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Gilles Aldon et Karine Bécu-Robinault, « Modélisation et représentations des états de l’eau par des
élèves de SEGPA », RDST [En ligne], 8 | 2013, mis en ligne le 17 février 2016, consulté le 31 janvier
2017. URL : http://rdst.revues.org/758 ; DOI : 10.4000/rdst.758
RÉSUMÉ • Dans une séance de physique dont l’objectif est de comprendre le phénomène
d’augmentation du volume de l’eau dans le passage de l’état liquide à l’état solide,
le professeur met en place une situation de modélisation combinant des concepts
mathématiques et physiques. L’objet de l’analyse est de comprendre les éléments
permettant de favoriser la construction du modèle explicatif et de pointer les difficultés
liées à l’utilisation des représentations des objets physiques ou mathématiques mobilisés
et à leurs interprétations en mathématiques et en physique. Le cadre théorique mobilisé,
combinant des analyses des milieux de la situation avec représentations sémiotiques, nous
amène à proposer les ajustements nécessaires pour mettre en adéquation les intentions
du professeur et l’apprentissage des élèves.
MOTS-CLÉS • Modélisation, milieu, représentation, sémiotique.
Introduction
Depuis le rapport Bach 1, le collège s’est engagé dans une rénovation de
l’enseignement des sciences visant des démarches communes et des incitations
à la convergence entre les disciplines. Cette rénovation s’inscrit dans le cadre de
la loi d’orientation de 2005 visant à une refondation des dispositifs d’aide aux
élèves en difficulté. Dans ce contexte, nous nous sommes intéressés à la manière
dont les enseignants de sciences des SEGPA (Sections d’enseignement général et
professionnel adapté) mobilisaient des concepts et des outils initialement conçus
pour des élèves en filières ordinaires. Si ce choix implique la prise en compte de
particularités de ces sections, comme la formation initiale et la polyvalence des
enseignants, mais aussi/ou les caractéristiques des élèves accueillis, il apporte
des informations utilisables dans les filières ordinaires, les enseignants devant se
1 Groupe de relecture des programmes de collège, Pôle des sciences, sous la présidence de Jean-François Bach.
En ligne : <http://pedagogy.free/images/rapport_bach.pdf>(consulté le 1er mars 2013).
conformer aux mêmes programmes. Les SEGPA accueillent des élèves en grande
difficulté d’apprentissage, auxquelles n’ont pu remédier les actions traditionnelles
de remédiation. Les collégiens des filières SEGPA suivent des enseignements adaptés
(effectifs réduits, suivi individualisé) visant l’acquisition du socle commun de
compétences et de connaissances. Dans la classe de quatrième suivie, l’enseignante,
professeur des écoles et de formation universitaire en philosophie, a en charge les
enseignements de mathématiques et de sciences physiques. Notre étude est centrée
sur une séance visant à construire un modèle explicatif au niveau microscopique
des états macroscopiques de l’eau et mobilisant des productions élaborées en cours
de mathématiques.
La séance étudiée a été élaborée au sein d’un projet de recherche collaborative
visant à mettre en évidence l’évolution des représentations mobilisées
spontanément par les enseignants dans leur classe, de la maternelle à la fin du
collège, autour du thème de l’eau. L’objectif initial du projet étant d’identifier
les pratiques « naturelles » des enseignants, nous leur avons proposé de collecter
leurs préparations de cours et d’observer plus particulièrement une séance qu’ils
jugeaient importante. Il s’agit donc de séances de classe ordinaire (Aldon, 2011)
dans lesquelles la responsabilité de l’enseignement incombe à l’enseignant dans une
perspective d’action conjointe (Sensevy & Mercier, 2007). Les activités choisies et le
déroulement de la classe sont sous la responsabilité des enseignants. Ces derniers
pouvaient toutefois se référer à un document élaboré collectivement concernant la
démarche d’investigation. Cette référence a notamment conduit tous les enseignants
à déclarer s’appuyer sur des hypothèses d’apprentissage socio-constructivistes et
favoriser les interactions entre les élèves.
L’objet de cet article est d’étudier ce qui, dans une situation combinant des
concepts mathématiques et physiques, permet ou perturbe la construction d’un
modèle explicatif.
1. Cadre théorique
Notre cadre théorique vise à permettre la mise en relation de l’analyse de la
situation, des activités des élèves en lien avec les objectifs d’apprentissage, des
intentions du professeur ainsi que des réajustements opérés par l’enseignante
pendant la séance.
1.1. Le milieu didactique
Les approches théoriques de l’apprentissage pointent l’importance des relations
du sujet avec son milieu. Il en est de même pour la théorie des situations didactiques
(Brousseau, 2004). Dans cette théorie, le milieu est considéré comme un système
autonome « antagoniste du système enseigné, ou plutôt précédemment enseigné »
(Brousseau, 1986, p. 347). L’étude des situations amène à considérer les interactions
entre maître et élèves ainsi que les interactions des acteurs avec le milieu et ce,
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La règle s’applique et si une procédure additive est utilisée, le milieu M-1 renvoie
l’invalidation de la construction effective, l’assemblage des pièces agrandies ne
formant pas la forme attendue.
Symétriquement, la situation S + 3 (situation noosphérienne 2) représente la
situation des interactions du professeur et de son épistémologie personnelle
avec le milieu de construction. Dans la situation S + 2, le professeur construit
les éléments d’une situation pour un élève générique ; il s’agit de la situation
dans laquelle le professeur fait des choix didactiques en s’appuyant sur ses
conceptions de l’enseignement et de la discipline enseignée. Pour reprendre
l’exemple du puzzle, dans les situations S + 3 et S + 2, le professeur construit dans
une perspective socioconstructiviste un problème dont l’enjeu est la construction
du concept de proportionnalité. Dans la situation de projet, P-projeteur prend
en compte la réalité des conditions de son enseignement et l’élève est modélisé
dans cette situation comme E-réflexif s’interrogeant sur les intentions didactiques
de l’enseignant.
Les intentions didactiques sont les résultats des interactions de P + 3 avec les
milieux sur-didactiques. Le concept de bifurcation didactique (Margolinas, 2004)
résulte d’un décalage entre les intentions du professeur et la compréhension de la
situation au travers du contrat didactique. La situation objective, interprétée par
les élèves, fait fonctionner des connaissances non conformes à celles attendues par
l’enseignant. Ces éléments permettent d’analyser les décalages dans les situations
de classes observées.
Les analyses a priori peuvent être conduites en lisant le tableau 1 du bas vers
le haut, c’est à dire en partant du point de vue des élèves, ou du haut vers le bas,
en partant cette fois du point de vue du professeur. L’analyse a priori en termes
de milieu permet la compréhension des difficultés rencontrées par les élèves, les
objets du milieu matériel ne pouvant être manipulés que s’ils ont un sens pour les
élèves. La séance observée mettant en jeu deux domaines de connaissances, il est
crucial de s’interroger sur les opportunités offertes par les différents milieux pour
construire du sens aux représentations manipulées en relation à l’explication des
phénomènes.
1.2. Les activités de modélisation et l’apprentissage
1.2.1. Modélisation
Les recherches en didactique des sciences et des mathématiques (Cabassut
& Vilette, 2012) ont conduit à considérer la modélisation soit comme outil de
catégorisation des activités des élèves en phase d’élaboration de connaissances
(Tiberghien, 1994), soit comme outil précisant les contraintes d’un projet
d’enseignement de la modélisation en science (Martinand, 1992). Les distinctions
2 Le mot noosphère proposé par Chevallard (1985) se construit sur νοοζ : intellect, intelligence et σφερια :
champs social, sphère.
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Fig. 1 : dessin des triangles équilatéraux sur la base d’un segment de 10 cm.
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Fig. 2 : copie d’écran des éléments initialement fournis aux élèves sur le TBI.
La situation se termine par une phase de mise en commun des productions des
élèves visant à discuter la pertinence des représentations utilisées.
3.2. Analyse du modèle à construire
Il est intéressant de faire une analyse du modèle choisi par Martine au regard
de son caractère théorique et fonctionnel (Walliser, 1977). L’analyse du caractère
théorique permet de faire émerger le domaine de validité du modèle à construire.
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État solide
Formes État liquide État gazeux
Organisations 1 Organisations 2
Disques
Avec les
Triangles
Tabl. 2 : prévisions des organisations des particules selon les états et les formes géométriques fournies.
Les représentations utilisées par les élèves et leur articulation ont du sens si elles
ont des propriétés communes (mathématiques ou physiques) : les triangles en carton
ne sont plus à mettre en relation avec l’objet mathématique triangle mais sont des
représentations des particules. C’est pourtant bien avec l’objet mathématique
« triangle » que ces formes en carton ont été dessinées et découpées le matin. Un
calcul des densités des agencements avec disques ou triangles montre que Martine
pouvait expliquer l’augmentation de volume en s’appuyant sur les propriétés
géométriques des formes utilisées pour modéliser les particules (triangle : densité
entre 0,5 et 1 ; disques : densité entre π/4 et π/2√3). La relation mathématiques-
physique peut conduire à des productions d‘élèves non conformes aux attentes
de l’enseignante. Les élèves ayant découpé les triangles dans le cadre d’un pavage
d’un triangle équilatéral, peuvent spontanément reproduire ce pavage pour l’état
« solide » de l’eau, la reconstruction du pavage permettant de reconstruire la forme
« solide » du triangle initial.
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3.4. Analyse des tâches relatives aux trois activités en termes de milieux
Pour chacune des activités de cette situation, nous procédons à des analyses
descendante et ascendante. La mise en regard de ces deux analyses nous conduit
à prévoir des décalages entre les tâches demandées aux élèves et les attentes de
Martine.
3.4.1. Activité 1 : le mime
Analyse descendante. Les élèves doivent mimer les trois états de l’eau. Martine
souhaite que les élèves explicitent les règles d’arrangement des particules dans
les trois états. Pour l’état gaz, les élèves-particules doivent occuper tout l’espace à
disposition et se déplacer librement dans cet espace. Pour l’état liquide, les élèves-
particules doivent occuper moins d’espace, car ils doivent se toucher, tout en ne
s’opposant pas à la déformation occasionnée par le passage d’un poisson, d’une main.
Pour l’état solide, les élèves-particules doivent se toucher, ils forment une structure
rigide, et sont disposés selon une forme géométrique donnée qui contient du vide.
Analyse ascendante. Le milieu matériel est ici composé des élèves pouvant se
déplacer dans l’espace délimité par Martine. Les particules sont mimées par les
corps en mouvement des élèves : il s’agit d’une représentation dynamique des états
de l’eau. Les élèves-particules ont des formes qui peuvent varier selon les besoins
(bras plus ou moins éloignés du corps, corps recroquevillés, etc.). Les élèves peuvent
s’éloigner plus ou moins, se tenir pour représenter l’espacement entre les particules
ou former une structure rigide. Leurs bras peuvent représenter des liaisons entre
les particules. Le mime peut se comprendre comme une représentation en deux
dimensions horizontale, les mouvements verticaux (se coucher, sauter, voler !)
n’étant pas prévus par l’enseignante. Toutefois, les élèves-particules sont en trois
dimensions et ils doivent mimer des particules toutes identiques les unes aux autres.
Les décalages prévisibles. Concernant la forme de l’eau solide, rien ne contraint
les élèves à adopter une organisation particulière. Dans le passage gaz à liquide,
l’espace occupé par les particules va varier. S’il n’y a pas de réduction explicite par
l’enseignante de l’espace à disposition, ni d’explicitation de règles concernant la
non-déformation de particules, il est difficile d’expliquer aux élèves de ne pas se
regrouper ni de se coucher sur toute la surface au sol. Les aspects microscopiques et
macroscopiques ne sont pas pris en compte, ce qui peut conduire à une confusion
entre ces deux niveaux.
3.4.2. Activité 2A : les triangles découpés et la feuille de papier
Analyse descendante. Martine souhaite que les élèves parviennent à une
organisation des triangles idéalement de type pavage semi-régulier 6,3 (figure 3)
conforme au manuel utilisé dans sa classe 3. Le mime est pensé pour être un élément
du milieu matériel de cette situation.
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être déformés si l’on tire sur les poignées de la forme « disque ». Contrairement à
la situation 2A, le nombre de particules disponibles pour chacun des états est le
même. Sur le tableau, les légendes indiquent l’expérience réalisée : « laissé à l’air
libre, laissé à l’air mais avec un bouchon, placé au congélateur ». Il y a donc la
volonté du P-projeteur de faire entrer les élèves dans une phase d’investigation et
de formulation à travers les représentations proposées.
Analyse ascendante. Le milieu matériel dans la situation objective incite à
déplacer les disques-particules mais ne donne aucune rétroaction permettant de
valider les constructions réalisées. Autrement dit, le milieu permet des expériences
avec les objets virtuels à disposition mais n’est pas construit pour susciter une
réflexion sur l’expérience. En revanche la représentation des béchers incite à un
point de vue macroscopique, renforcé par la possibilité de déformer les disques.
Par ailleurs, le mime précédant cette activité, le milieu matériel comprendra les
résultats et les sensations éprouvés dans cette situation.
Les décalages prévisibles. La représentation proposée mélange les deux niveaux
microscopique et macroscopique et le milieu incite à construire une représentation
schématique des états de l’eau plus qu’une représentation particulaire. Par ailleurs,
le milieu ne permet pas directement la représentation du mouvement et la
traduction du registre sémiotique du mime au registre de représentation proposé
ne peut s’appuyer sur cette dimension pourtant cruciale. Le milieu construit dans le
mime et les résultats obtenus et institutionnalisés rentrent d’une certaine manière
en conflit avec le milieu matériel décrit ce qui tend à favoriser une représentation
macroscopique du phénomène.
4. Résultats
Pour chacune des activités, nous présenterons ce qu’il s’est passé dans
l’interaction des élèves avec le milieu, les ajustements opérés par l’enseignante
ainsi que les propriétés construites par les élèves.
4.1. Activité 1 : le mime
4.1.1. Ce qu’il s’est passé
Dans cette situation l’enseignante choisit les éléments du milieu matériel à
proposer aux élèves pour faciliter leur autonomie dans la situation d’investigation
imaginée. La situation didactique, dans les phases d’introduction, va mettre en œuvre
les choix didactiques locaux : permettre aux élèves de s’engager dans la résolution
d’une question en même temps que de conceptualiser la notion de particule. Martine
replace dans le milieu matériel des élèves les expériences des séances précédentes.
Elle délimite un espace pour le mime en début de séance et autorise les
déplacements des élèves. Elle fait également référence au mime réalisé lors de la
précédente séance pour demander aux élèves de comparer ce qu’ils font avec ce
qui a été fait. Afin d’expliciter les règles du mime des trois états, elle demande aux
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élèves ayant joué le mime précédemment de donner des consignes aux élèves qui
étaient absents. L’analyse des vidéos montre que pour l’état gaz, les élèves ont du
mal à occuper tout l’espace disponible. Pour l’état liquide, l’enseignante demande un
mime « sans se rouler par terre », et pour l’état solide, les élèves se disposent en cercle.
4.1.2. Les ajustements opérés par l’enseignante
Ces comportements d’élèves vont amener Martine à procéder à quelques
modifications du milieu. Concernant l’occupation de l’espace, elle rappelle le mime
précédemment réalisé à l’aide de questions-réponses, la situation précédente joue le
rôle de situation objective dans laquelle un certain nombre d’actions ont été légitimées.
P : « Est-ce que vous étiez en contact les uns avec les autres ? Est-ce que vous étiez
proches les uns des autres ? »
E : « Non »
Martine rappelle quelques règles comme « occuper tout l’espace » (elle pointe les
espaces encore libres), « donner de l’espace » pour laisser passer un poisson dans
l’eau liquide afin de ne pas opposer de résistance à son passage. Cette référence au
poisson vient de la séance précédente et est reprise par un élève :
P : « L’eau liquide, oui, alors, qu’est ce que vous donnez comme consigne à vos
camarades […] »
E : « C’est la, j’sais pas comment, en s’tenant, pis y’a un poisson qui doit passer
euh […] »
P : « Il est où le poisson ? Il a du mal à passer le poisson, hein ? Alors. Alors ! Allez,
allez, moi je voudrais le voir passer sans qu’il soit obligé de mettre des coups de coude. »
Les élèves formant un cercle, en lieu et place d’un carré à la séance précédente,
Martine interroge les élèves sur le choix de la forme. Elle associe ce cercle à une
goutte d’eau. Enfin, elle précise l’inutilité de mettre un poisson dans le glaçon. Les
élèves insistant, le « poisson » sert alors de testeur de la rigidité de la structure en
poussant les élèves-particules les uns après les autres.
4.1.3. Les propriétés construites
À la fin du mime, les élèves représentent l’eau solide par un carré. Les liens sont
plus forts dans l’eau solide que dans l’eau liquide. Les élèves-particules se tiennent
les uns les autres. Cette situation renforce la confusion micro-macro à différents
niveaux. Effectivement, le poisson est de la même taille que les particules, l’air
n’est pas représenté et les particules d’air dans l’eau à l’état de gaz sont invisibles,
et enfin, la représentation en carré au niveau microscopique est fortement liée à
l’objet macroscopique glaçon.
P : « Vous vous êtes organisés dans quel cadre ? Quand est-ce que vous avez fait
une organisation comme ça en disant toi tu te mets là, toi tu te mets là ? C’était pour
quel état ? »
E3 : « Le glaçon »
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Ce dernier exemple illustre que pour les élèves, la distinction entre l’état solide
(terme appartenant au modèle physique) et le glaçon (terme décrivant un objet)
n’est pas claire. Ce flou renforce la possibilité de confusion entre les descriptions
microscopiques et macroscopiques des phénomènes et pose le problème de la
modélisation des phénomènes macroscopiques par des entités microscopiques.
Les activités des élèves lors du mime relèvent néanmoins d’une modélisation en
physique, les élèves établissant des relations entre des phénomènes observés au
niveau macroscopique et des organisations spatiales d’entités microscopiques.
4.2. Activité 2A : les triangles découpés et la feuille de papier
4.2.1. Introduction aux activités 2A et 2B
L’activité 2A se déroule en parallèle avec l’activité 2B. Le milieu commun entre
les activités 2A et 2B comprend les résultats institutionnalisés des leçons précédentes
ainsi que de l’expérience corporelle du mime qui est rappelée :
P : « Alors moi je voudrais savoir, quand vous faites l’eau solide, comment vous
vous êtes organisés, là ? »
E : « Ben en carré… »
P : « Vous vous êtes organisés en carré, d’accord. Et comment vous avez fait pour
que ce soit bien solide ? » [Brouhaha. Les élèves montrent qu’ils se sont rapprochés
les uns des autres].
P : « Vous vous êtes ? »
E : « Serrés »
[P mime avec ses bras et ses poings fermés une position compacte.]
P : « Vous vous êtes pas seulement collés, vous vous êtes ? »
E : « Compacté »
E’ : « Tenus »
P : « Vous vous êtes tenus, là, d’accord ? Donc le lien est plus fort. Bon, ben c’est
bon, vous pouvez retourner à votre place. »
Dans la phase « papier-collage », Martine rajoute au milieu matériel les triangles
équilatéraux dessinés et découpés par ses élèves dans la séance de mathématiques.
Le milieu matériel des élèves comprend la question reconstruite avec la classe :
P : « Alors, pourquoi l’eau gonfle-t-elle ? Oui, je l’avais peut-être formulé autrement…
Pourquoi… » [P prend un stylo et écrit sur le tableau]. « Alors, pourquoi… Quand on
parle de place, hein ? » [P fait des gestes avec les bras pour embrasser un grand volume].
E : « De volume ! » [P se retourne en acquiesçant]
P [en écrivant] : « Pourquoi… l’eau… augmente de volume… lorsque, lorsque on la ? »
E : « Congèle »
P : « Euh, lorsque, alors, j’ai mis elle, alors, lorsqu’elle a été congelée ? Voilà, hein !
Je vous rappelle, c’est notre question de départ. »
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Fig. 4 : productions des élèves en carré (à gauche), en hexagone compact (au centre),
et complété en quinconce (à droite).
Dans cette activité, les élèves respectent la propriété d’indéformabilité. Les triangles
ayant été découpés précédemment, le redécoupage des formes géométriques semble
hors contrat.
Concernant l’état « gaz », les productions des élèves sont relativement uniformes : des
triangles sont disposés aléatoirement dans l’ensemble ou une partie de l’espace délimité
par les lignes représentant le bécher (figure 4). Une élève représente dans le bas de cet
espace une organisation de triangles qui s’apparente à sa représentation de l’eau liquide.
Pour l’état liquide, les élèves ont disposé les triangles, soit en quinconce, reconstruisant
l’organisation des triangles équilatéraux avant le découpage, soit de manière similaire
à l’organisation de l’état « gaz », en rapprochant les triangles les uns des autres. Un des
élèves a souhaité disposer ses triangles de manière aléatoire, certains se chevauchant.
Le chevauchement des triangles opéré par cet élève relève d’une représentation en trois
dimensions ce qui transgresse une règle implicite dans les consignes de l’enseignante et
les documents élaborés : la représentation des états de l’eau est en deux dimensions.
Ne disposant pas de traces vidéo ou audio des échanges pour cette activité, nous
ne pouvons faire état des ajustements opérés par l’enseignante.
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À partir de ces manipulations les élèves investissent ainsi une autre situation de
référence où il s’agit de représenter non plus le positionnement des particules dans les
trois états de l’eau mais plutôt l’image macroscopique de l’eau dans ces états. Comme la
situation est construite comme une situation adidactique, les rétroactions du milieu dans
la situation de référence au lieu d’invalider cette bifurcation la confortent et l’encouragent.
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Dans la production finale des élèves (figure 6), nous constatons que les formes
mises à disposition tiennent pour des objets, des événements différents. Dans
l’état solide (à droite sur la photo de la figure 6) les molécules sont disposées de
manière compacte, et le volume occupé est moindre que dans la représentation
de l’état liquide.
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5. Discussion
Au fur et à mesure de la séance, les élèves perdent de vue l’objectif initial
lié à l’explication de l’augmentation de volume pour construire du sens aux
représentations manipulées et à leurs règles d’agencement. Les élèves investissent
le milieu matériel dans la situation objective et interprètent ses rétroactions pour
construire leur propre situation de référence, distincte de la situation de référence
imaginée par le professeur (Margolinas, 2004). Ils mobilisent des connaissances
issues de la vie quotidienne : l’état solide, c’est l’eau à l’état « glaçon », avec une
forme de cube, représentée dans le plan par un carré. Les élèves forment donc un
carré lors du mime et avec les triangles. Le mime est révélateur de la prégnance
des connaissances communes dans les activités de modélisation en physique
(Bécu-Robinault, 2004). Il illustre également une confusion entre les aspects
microscopiques et macroscopiques de la matière (Barlet & Plouin, 1997) que l’on
retrouve à d’autres moments de la séance : lorsque les élèves représentent l’eau à
l’état liquide, ils reproduisent la surface plane observée à l‘échelle macroscopique
avec des représentations au niveau microscopique. Pour cela, soit ils organisent
les triangles dans une configuration alternée, soit ils étirent un disque pour en
faire une ellipse la plus plate possible. Les connaissances mobilisées lors du mime
sont réinvesties avec le TBI : les élèves représentent des molécules allongées pour
donner une impression de mouvement. Cette confusion est également associée à
un glissement vers des propriétés mathématiques pour l’activité avec les triangles,
ce qui n’est pas le cas pour l’activité avec les disques. Alors que l’enseignante
pensait que la forme triangle favoriserait l’élaboration d’un modèle explicatif de
l’augmentation de volume, il s’avère que ce choix de formes « triangles » oriente
les élèves vers la mise en œuvre de propriétés mathématiques, et non physiques,
contrairement aux représentations « disques ».
Les formes manipulées dans les activités 2A et 2B aident parfois à faire des liens
entre les différents milieux. Pour les triangles, les élèves représentent l’état solide
par un carré, les triangles se touchant par un angle, comme dans le mime lorsqu’ils
se touchaient par les mains. Ce n’est pas le cas pour les disques, pour lesquels
nous ne retrouvons pas cet agencement en carré pour l’état solide. En revanche,
la représentation proposée par les élèves au TBI tend à figurer l’aspect compact
de l’eau solide, occupant un volume moindre que l’eau à l’état liquide. En cela,
il semble que le choix des représentations fournies par l’enseignante soit adapté,
même si le modèle élaboré n’est pas conforme au point de vue scientifique.
L’investissement des différentes situations conduit les élèves à inventer ou
modifier des propriétés. Certaines propriétés semblent être issues du contrat
didactique, comme l’organisation des molécules différente dans les trois états.
D’autres sont liées à des contraintes matérielles comme le chevauchement possible
des disques du TBI et la difficulté de chevauchement pour les triangles en carton,
possédant déjà une épaisseur. Enfin, certaines sont liées au respect naturel de
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productions issues d’un travail préalable pour lequel les élèves ont investi du temps
et de l’énergie. Ainsi, si les élèves s’autorisent des déformations des molécules au
TBI cela n’est pas le cas pour les triangles découpés. Enfin, les élèves s’interdisent
de créer de nouveaux objets, et donc d’associer les particules à d’autres formes
géométriques, avec le TBI : ils se débrouillent avec les objets présents à l’écran,
quitte à les modifier, même si cela n’est pas explicitement autorisé par l’enseignant.
D’autres propriétés sont liées aux caractéristiques du milieu. Par exemple, les
représentations dans les activités 2A et 2B sont en deux dimensions, ce qui devrait
interdire la superposition des formes. C’est bien le cas pour les triangles, qui en
fait sont en trois dimensions, le papier cartonné ayant une épaisseur gênant la
superposition des triangles. Cela n’est pas le cas pour le TBI, la production finale
révélant une superposition des disques pour représenter l’état solide. En effet, le
fait que les élèves souhaitent construire une représentation très compacte, « on
les fait toutes bien serrées », les conduit involontairement à superposer les disques.
Dans cette situation, il s’avère que même si les élèves prenaient soin de ne pas
superposer les disques, le milieu ne réagissait pas suffisamment pour empêcher
ces superpositions.
6. Conclusion et perspectives
Le cadre théorique présenté nous a permis d’interroger une séance construite par
une enseignante dans le cadre d’un projet de recherche collaborative. L’enseignante
a souhaité étendre le modèle proposé dans les documents d’accompagnement pour
l’interprétation d’un phénomène différent, dont elle savait qu’il suscitait de l’intérêt
chez les élèves. Le modèle particulaire a donc été introduit non pas pour interpréter les
propriétés des gaz, mais pour expliquer l’augmentation de volume de l’eau lorsqu’elle
passe de l’état liquide à l’état solide. Sur la base de l’observation d’une séance conçue
par cette enseignante et visant cet objectif d’enseignement, nous avons analysé les
ajustements opérés par l’enseignante, et les propriétés construites par les élèves, en
relation avec des connaissances disciplinaires en jeu. Cette analyse met en lumière
la manière dont les connaissances quotidiennes, mathématiques et physiques sont
mobilisées lors de l’utilisation des représentations. En effet, si la signification d’objets
tels que des disques ou des triangles peut sembler relativement indépendante de la
discipline considérée, il s’avère que ces objets embarquent des propriétés et des sens
liés à la discipline de référence. Ces propriétés sont ensuite mobilisées, consciemment
ou non, par les élèves lorsqu’ils agencent ces objets les uns avec les autres. Ainsi, les
triangles restent des triangles équilatéraux permettant des agencements en lien avec
leurs propriétés mathématiques, alors que les disques, qui deviennent opportunément
déformables, peuvent représenter différents phénomènes physiques observés.
Notre étude semble indiquer que lorsque les propriétés physiques des
représentations manipulées ne sont pas explicitées par l’enseignant, ou lorsqu’elles
ne sont pas suffisamment prégnantes dans la situation proposée, elles ne sont pas
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accessibles aux élèves. En conséquence, les élèves se replient sur les propriétés
géométriques de ces représentations. Ces propriétés géométriques, impliquant
des contraintes matérielles de manipulation, sont mobilisées par les élèves pour
suppléer au manque de signification des objets manipulés. Le fait d’avoir construit
les triangles dans une activité mathématique justifie le recours aux connaissances
mathématiques lors de la manipulation des représentations des molécules.
Le choix des formes pour représenter les molécules n’est pas anodin. Pourtant,
la représentation de la molécule par une forme donnée n’a pas été explicitée
aux élèves. Le choix de la forme triangle devait permettre de justifier que l’eau
solide occupe un volume plus important, mais cela n’a pas été le cas dans les
productions des élèves car la règle : « les triangles ne peuvent se toucher que par
un point » ne leur avait pas été fournie. Les élèves ont manipulé des triangles,
pas des représentations de molécules et ont oublié l’enjeu de la situation, qui est
pourtant resté affiché au tableau tout au long de la séance, et qui est rappelé lors
de la discussion sur les productions.
Cette étude nous a permis de proposer à l’enseignante des pistes pour
transformer cette situation, sur la base des choix initialement opérés, en conservant
la dynamique créée dans la classe qui a permis une implication et un travail effectif
de tous les élèves. Les modifications prennent en compte la construction du milieu
pour éviter les bifurcations observées :
Le modèle particulaire, associé à des représentations « triangles » pourrait être
introduit pour proposer des organisations différentes selon les états de la matière.
Il s’agirait dans ce cas d’un germe de modèle, dont les propriétés initiales seraient
données de manière explicite, et les élèves auraient à leur charge d’enrichir ce modèle
en introduisant des propriétés supplémentaires (Chomat, Larcher & Méheut, 1992).
Dans un second temps, les élèves pourraient proposer une organisation spatiale
(pavage) particulière permettant de rendre compte de l’augmentation de volume
lors de la transformation état liquide à état solide. Il s’agira alors de mettre en
œuvre des règles fournies au préalable, qu’il faudra compléter par d’autres règles
d’organisation des particules au niveau microscopique, permettant d’expliquer le
phénomène observé.
Si notre recherche a permis de montrer la pertinence du recours à des cadres issus
de la didactique des mathématiques pour analyser une situation d’enseignement
en physique, elle a également pointé l’importance des spécificités disciplinaires
lors de l’élaboration et de la mise en œuvre des propriétés des représentations
associées au modèle en jeu. Ces spécificités disciplinaires soulèvent la question
du travail en interdisciplinarité qui semble être une source de complexification
des tâches assignées aux élèves. Cela semble d’autant plus délicat en SEGPA,
du fait à la fois des difficultés d’apprentissage récurrentes des élèves, et de la
polyvalence des enseignants. Notre étude semble indiquer que dans une démarche
de modélisation, il est nécessaire d’aider les élèves à identifier les propriétés
RDST | N° 8-2013
Modélisation et représentations des états de l’eau par des élèves de SEGPA 45
Karine BÉCU-ROBINAULT
karine.robinault@ens-lyon.fr
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46 Gilles ALDON & Karine BÉCU-ROBINAULT
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