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PRESENTATION DU ROMAN

Publié en 1998 sous le titre évocateur Rebelle, le premier roman de


Fatou Keïta suscita quelques remous lors de sa sortie de presse. Ce livre
courageux raconte la vie de Malimouna, une toute jeune fille qui prend
la fuite le soir de ses noces alors que son père vient de la marier à un
riche commerçant. Ce départ précipité de l'adolescente marque le point
de départ d'un apprentissage de la vie qui se déroule au gré de multiples
péripéties, chacune d'elles permettant à la narratrice de dénoncer les
problèmes auxquels de trop nombreuses jeunes filles de Côte d'Ivoire
sont confrontées: exploitation, ignorance, viol, mutilations, racisme,
polygamie, violence domestique, etc.

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INTRODUCTION

Malimouna est l'héroïne parfaite: elle est belle, intelligente,


persévérante, sensible, indépendante et efficace. Elle doit affronter mille
difficultés mais elle réussit toujours à renverser la vapeur et à laisser
entrevoir ce que le monde pourrait être si la brutalité, la contrainte et les
dogmes faisaient place au respect, au dialogue et à la tolérance. Dès lors,
un des attraits du roman est d'avoir su donner un tour résolument positif
à un récit qui se déroule au cœur d'un monde figé dans des attitudes
débilitantes.

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Malimouna vit à Boritouni, à 800 kilomètres de la capitale, et tous les
habitants de ce petit village perdu au milieu de nulle part vivent dans le
respect des traditions. Il ne viendrait à personne l'idée d'en contester le
caractère inéluctable. Le fait d'échapper aux affres de l'excision
représente donc pour Malimouna un événement tout à fait inattendu.
Mais le soir de ses noces, cette entorse aux us et coutumes ne passe pas
inaperçue et son mari découvre « horrifié » (p.39) que sa jeune épouse
n'a pas subi les mutilations rituelles auxquelles nulle femme de la région
n'a jamais pu se soustraire. Toutefois, avant que le vieil homme soit
revenu de sa surprise, Malimouna l'assomme avec une statuette qui se
trouve à portée de main et elle s'enfuit aussi vite que possible. Ainsi
commence un long périple semé d'embûches.

La précarité de la situation des employées de maison est la première


épreuve qui attend Malimouna. Alors qu'elle arrive dans la lointaine cité
de Salouma au terme d'une fuite éperdue, encore vêtue de ses habits de
jeune mariée, la chance lui sourit car elle trouve immédiatement un
emploi de nounou dans une famille d'expatriés français.
Malheureusement pour elle, le maître de céans ne tarde pas à
s'amouracher de sa petite bonne, ce qui n'échappe pas à sa femme qui
renvoie immédiatement Malimouna. Son séjour dans une seconde
famille se termine de manière plus dramatique encore car son employeur
essaie de la violer, obligeant Malimouna à prendre la fuite sans
demander son reste. La banalité de ce scénario n'évoque que trop bien le
sort d'innombrables jeunes filles violées par leur patron et violentées par
des individus « qui croient qu'ils peuvent tout se permettre lorsqu'ils sont

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en face d'une femme » [1]. Il s'agit là d'un sujet tabou dont on ne parle
d'habitude qu'à mots couverts, comme de tant d'autres, et Malimouna se
retrouve à la rue. Sa situation est d'autant plus précaire qu'elle se trouve
en France – où elle a accompagné ses patrons pour s'occuper de leurs
enfants – au moment de son agression et de sa fuite.

Seule, abandonnée, et sans cesse observée par des passants qui la


dévisagent comme « une bête curieuse » (p.67), elle se sent lasse et
déprimée. Mais la fortune lui sourit à nouveau lorsqu'elle est recueillie
par un pasteur et son épouse. Ce couple « charmant » (p.71) accueille la
jeune femme à bras ouverts mais, malheureusement, le zèle qu'ils
déploient pour la convaincre que « Jésus est le passage obligé pour aller
vers Dieu » (p.72), laisse Malimouna de plus en plus désemparée: «
Toutes ses années de prière dans son pays n'avaient donc servi à rien ! »
pense-t-elle. « Etait-il possible que son peuple tout entier soit destiné à
brûler en enfer parce qu'il ne connaissait pas Jésus. ... Elle pensait à sa
mère. Sa mère qui était si croyante, qui l'avait élevée dans une piété sans
faille, qui était la bonté même et qui, de surcroît avait tant souffert.
Serait-elle, elle aussi, la proie du diable, au jugement dernier, parce
qu'elle priait à l'est et non au nord ? Cela ne pouvait être. » (p.72). Dès
lors, bien qu'elle fût convaincue de la sincérité de ses hôtes et
reconnaissante de ce qu'ils ont fait pour elle, Malimouna sent qu'elle ne
pourra jamais partager la foi de sa famille d'accueil et elle décide de
reprendre la route, direction Paris.

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« L'ambiance noire » (p.77) qu'elle retrouve dans le quartier populaire de
la capitale où elle s'installe, entourée d'immigrés africains de toutes les
nationalités, lui permet de retrouver son équilibre. Son travail de
coiffeuse et de nettoyeuse lui garantit l'indépendance économique et
financière à laquelle elle aspire mais ce petit morceau d'Afrique au cœur
de Paris s'avère être lui aussi le théâtre de vilenies et de comportements
avilissants qui ravivent le souvenir douloureux des manières d'être et de
penser dont elle avait elle-même été victime quelques années
auparavant. Elle n'a qu'à regarder autour d'elle pour retrouver l'univers
des mariages arrangés, des jeunes Africaines enfermées chez elles, des
épouses rudoyées par un mari qui leur fait une ribambelle de gosses, des
familles qui font exciser leurs filles et celles qui leur refusent le droit à
l'éducation et à l'émancipation. L'exemple de sa voisine de palier Fanta
en est l'exemple le plus éloquent. Elle donne naissance à quatre enfants
au cours des quatre premières années de son séjour en France, ce qui
réduit à néant son rêve d'aller à l'école, et lorsque son mari découvre
qu'elle a été voir un docteur qui lui a prescrit la pilule, il la bat
violemment. Le cauchemar atteint son paroxysme lorsque Fanta accepte
de faire exciser sa fille aînée – qui s'y oppose violemment et meurt aux
mains de ses tourmenteurs.

Ce drame dû à l'ignorance laisse Malimouna anéantie. Elle mesure


combien il est difficile d'aider les autres, de lutter contre les idées reçues
et d'abandonner certaines pratiques coutumières devenues
anachroniques. Mais, n'ayant pas l'habitude de reculer devant les
situations difficiles, elle décide de devenir assistante sociale pour faire

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bouger les choses. Ses efforts sont couronnés de succès lorsqu'elle
obtient son diplôme et un poste de travail dans un Centre qui s'occupe de
femmes immigrées. Comme sa propre expérience le lui a appris, la
liberté passe par « l'instruction qui, au bout du compte, aide à mieux s'en
sortir financièrement, et donc à être moins dépendante de son
compagnon » (p.105). Toutefois, cette idée lui attire les foudres des
maris concernés « que la seule idée d'indépendance de leurs femmes
horripilait » (p.106). Et comme pour rendre son travail plus précaire
encore, elle commet l'irréparable, aux yeux de ses compatriotes, en
tombant amoureuse d'un Blanc. C'est donc au moment-même où elle
devrait célébrer l'amour et la réussite professionnelle, qu'elle renoue
avec les doutes et les incertitudes.

Le retour en Afrique de Malimouna, accompagnée de son compagnon


Philippe, ne fait qu'accentuer le trouble de la jeune femme. Il souligne le
fossé infranchissable qui sépare deux communautés victimes de leurs
préjugés réciproques et incapables d'engager un dialogue rationnel.
Malimouna et Philippe – qui a été nommé directeur du lycée français de
Saloum – ont abandonné leur appartement spacieux au centre de Paris
pour une coquette villa dans les quartiers huppés de la capitale, ils ont
laissé derrière eux une petite coterie fustigeant « la racaille des banlieues
» pour se retrouver au cœur d'une colonie d'expatriés vilipendant leurs
employés et les Africains de leur entourage. De leur côté, à Saloum
comme en France, les Africains qui évoluent autour d'eux continuent à
considérer les Européens avec dédain et suspicion. Dès lors, la situation
devient de plus en plus difficile pour Malimouna qui entend se ménager
le soutien de chacune des deux parties. Elle ressent avec la même
amertume le racisme de ses compatriotes qui la « mettent au pilori »
(p.122) parce qu'elle vit avec un Français, et celui de ses amis Blancs qui

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rabâchent qu'« elle est différente des autres Africains » (p.134) pour
justifier sa présence parmi eux. Rien, semble-t-il, ne peut être accompli
à l'intersection de deux mondes qui refusent de se rencontrer et de se
mélanger. Il faut choisir son camp et ce malheureux constat marque la
fin de la vie commune de Malimouna et de Philippe. Bien qu'auréolées
de sincérité et de sentiments partagés, leurs amours, romantiques à
souhait, ne résistent pas au regard des autres. Le destin de Malimouna
est scellé: pour avancer, elle doit partir.

Sa rencontre puis son mariage avec son compatriote Karim ne lui


permettent cependant pas de changer le cours des choses. Alors que
Karim est tout sucre au début de leur vie commune, il ne tarde pas à se
montrer sous ses vraies couleurs. Après l'avoir convaincue d'arrêter de
travailler et de rester à la maison pour s'occuper de leurs deux enfants, il
se remarie, la délaisse et essaie de l'empêcher de témoigner lors d'une
campagne contre l'excision organisée par l'Association de femmes dans
laquelle elle milite. Malimouna qui n'est pas femme à se laisser dicter sa
conduite par un mari volage, passe outre aux ordres de son époux mais
cet acte de bravoure lui coûte cher car, pour se venger, Karim organise
le kidnappage de sa femme et son retour sous bonne garde à Borituni où
la famille de son premier mari l'attend depuis longtemps pour lui régler
son compte. Heureusement, l'ange gardien de la jeune femme intervient
une fois de plus, in extremis, pour lui éviter le pire et sauver la mise

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CONCLUSION

Le parcours initiatique de Malimouna s'achève sur cette courte


victoire mais « d'autres combats l'attendent » (p.232) car dans la lutte
contre les discriminations, les idées reçues et les violences perpétrées
contre des millions de femmes taillables et corvéables à merci, rien n'est
jamais gagné de manière définitive. La défense des notions d'égalité, de
liberté et de justice est un combat de tous les jours. Elle nous concerne
tous et ce roman d'apprentissage au féminin est là pour nous le rappeler.

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