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Notre rap raconte la vie du gangster dans un chant plus proche de la prière que du rap.

« Charbon » est un titre qui évoque le travail dur, la noirceur et le passé minier de certaines régions
de France où les hommes les plus pauvres travaillaient à la mine pour nourrir leurs familles. On sent
affleurer le thème du travail et de ses difficultés dès le titre. On comprend que les thèmes de
l’humilité et du sens du devoir du travailleur seront abordés. Le titre du poème rappelle la fermeture
problématique des mines et l’immigration voulue par l’Etat français pour exploiter les mines. De
manière plus lointaine, l’auditeur peut se souvenir de l’habitat minier qui n’est pas sans rappeler les
HLM. En effet l’architecture des maisons de mineurs en série de bâtiments qui abritent un seul type
de population rappelle fort les barres et les tours HLM. Les mineurs étaient de classe modeste sans
être dans la misère mais ils ont été heurtés à une grande violence sociale au moment de la fermeture
des mines. Certains mineurs se sont retrouvés dans la misère après leur licenciement. C’est ce
morceau de l’histoire qui laisse croire que les mineurs désœuvrés ont dû se retrouver dans les
quartiers pauvres en périphérie des villes. C’est ainsi qu’un vocabulaire rappelant la mine a été
récupéré pour parler de la vente de drogues qui s’est développé en partie dans les quartiers les plus
pauvres. Les termes de « aller au charbon », « charbonner », « charbonneur », « le four » pour
désigner le travail, le travailleur et le lieu où la drogue est commercialisée sont tout droit hérités des
métiers de la mine et autour de la mine (les hauts fourneaux, la sidérurgie…) qui nécessitaient du
charbon en guise d’énergie. Notre poème est composé en trois parties : la réussite du gangster, le
passage par la prison et le retour en force du gangster sur son territoire.

Nous allons nous arrêter sur trois aspects importants dans le rap « Charbon » de Booba. D’abord
nous allons repérer les caractéristiques classiques qui font de notre poème un gangsta rap. Dans un
second temps nous allons rappeler les racines religieuses du gangsta rap. En effet le rap et le gangsta
rap sont souvent considérés comme des musiques « urbaines ». Le caractère « citadin » du rap est
indéniable mais l’ADN chrétien protestant reste très visible. Nous finirons notre analyse en observant
comment Booba guide son auditeur vers une réflexion philosophique au sujet de notre existence et
vers une forme de spiritualité musicale.

I / Un gangsta rap

a) Caractéristiques formelles du gangsta rap

L’hyperbole « toute la journée dans la street » établit dès le premier vers le contexte spatio-temporel
dans lequel se déroule le travail du gangster. D’emblée les journées du gangster semblent très
longues, une journée faisant 12H. La « street » qu’on peut traduire par « la rue », nous fait
comprendre que le gangster travaille dans la rue. La rue est un endroit dangereux pour travailler. On
peut dans le cadre du négoce de produits illégaux être amené à porter sur soi des sommes
importantes et s’exposer ainsi aux agressions des voleurs. La rue est fréquentée par tout le monde
donc par les meilleurs et par les pires. Ainsi la rue reste un espace ou la violence peut surgir. Dans
nos sociétés, les plus favorisés travaillent dans des locaux fermés au public, à l’abri des intempéries
et d’éventuels curieux indésirables qui risquent de perturber le processus du travail. En somme, la
rue est un milieu hostile pour travailler donc le gangster qui travaille entre sept et douze heures par
jour dans la rue a un travail difficile quel que soit ses bénéfices. Le gangster a pour mission de
pérenniser le commerce des biens et services illégaux comme la vente de stupéfiants ou d’armes sur
le « terrain ». C’est pour ces raisons que le gangster est un acteur réprouvé dans notre société car
même s’il ne cherche qu’à gagner sa vie comme tout le monde, « juste ça » son commerce a des
effets néfastes sur les populations voire l’environnement. Inévitablement, comme c’est le cas dans
notre rap, le gangster passe par la case « placard », soit la prison. L’allusion à l’univers carcéral est
une des caractéristiques de gangsta rap. Toujours en ce sens, le gangster doit défendre son poste
dans la hiérarchie du gang dans la violence comme l’euphémisme des onomatopées nous le fait
comprendre « bang bang bang refais le game ». Dans notre poème le gangster fait sa « moula », soit
son argent, en faisant transiter la drogue dans le corps de ses mules qui « avales ses bombonnes ».
On note en début de rap des rimes en [i] sonorité associée classiquement aux pleurs. Les rimes en [i]
de « Street », « réussi » et « félicite » dressent une atmosphère dramatique autour de ce gangster
dont on va raconter le parcours tragique.

C-h-a-r-b-o-n épelé et répété deux fois et 3-6-5 décomposé sont déclamés selon une technique
propre au rap qui consiste à exploiter les mots en tant que groupe de son et à en apprécier chaque
son. A l’image des poètes Esprit Nouveau du XXème siècle, Booba utilise les sons de l’épellation
comme un ressort poétique. Le son étant la matière première dans le gangsta rap. Les deux termes
décomposés nous invitent à réfléchir sur pourquoi Booba décompose « charbon » et « 365 », et ce
sont en effet les deux termes les plus importants du poème. La même technique est utilisée pour
parler de la luxueuse ceinture Hermès. La ceinture Hermès est réduite à être une ceinture « H », à
prononcer comme le nom de la lettre pour des raisons prosodiques. Cette réduction peut
s’interpréter comme une remise en question du luxe. Une ceinture si chère d’une griffe si
prestigieuse voit son nom écorché, réduit au minimum comme si elle ne valait quasiment rien. La
ceinture s’efface devant l’objet qu’elle soutient : l’arme du gangster.

La langue du gangsta rappeur, qu’on imagine être celle du gangster aussi est abondamment utilisée
dans notre poème. On remarque des mots issus du verlan comme l’« 47 AK » ou « rain-té ». On note
des termes issus du langage technique des trafiquants de drogue comme « souches », « mula »,
« charbon », « geush », « kush », « bombonne », « middle man » (subordonné dans la hiérarchie de
la revente de la drogue, il se trouve entre le grossiste et le client) ou « bombonnes ». On note aussi
des termes familiers comme « placard », « fume-le », « t’faire fumer » pour dire évoquer la mort. De
nombreuses injures sont présentes comme « pétasse » « bougre » ou « les porcs en bleu ». Pour finir
on relève des mots étrangers comme « l’time », « massoko », « middle man », « Game » qui
démontrent que le gangster évolue dans une société cosmopolite. Les onomatopées évoquent
sommairement la mort en imitant les tirs d’arme à feu « bang bang bang ».

Comme attendu, on relève des impératifs « fume le middle man », des exclamations « Pétasse ! Bring
mon jack ! » dans la bouche du gangster retranscrit au discours indirecte libre, et une provocation
finale à l’égard des personnes dépositaires de l’autorité publique si souvent accusées de perpétrer
des violences racistes « Prendre en levrette missionnaire le commissaire divisionnaire ».

Le poème de Booba déploie une grande musicalité avec des rimes variées

Le son nasal de « cinq » qui figure les percussions du gong en cuivre est répété trois fois et apporte
de la solennité dès le début du poème. Les répétitions, les épellations invitent à la contemplation du
son. Nous remarquons de nombreuses rimes en « a » par répétition de « mula » et « juste ça ». Les
rimes en « i » pour apporter de la tristesse car il parle d’un homme qui n’a pas été reconnu dans son
travail. Bien que le gangster serve la société en lui procurant les drogues dont elle a besoin pour se
consoler, celui-ci est communément méprisé à cause de son activité moralement répréhensible. Les
allitérations en « ch » et en « ss » et l’assonance en « ou » servent à mettre sur le même plan les
geush, les porcs en bleu, la mule, le middle man, le gangster dont l’arme est dans la « gousse » et le
prisonnier « accroupi [qui] tousse ». Tous ces protagonistes sont mis à égalité à leur niveau d’Homme
quelque soit leur rôle dans la société. Le son « ou » [u] peut aussi être l’onomatopée des pleurs
comme « eu » (diphtongue qui comprend le son [u]) dans l’élégie grecque. Ce travail des sons sert
aussi à prouver la virtuosité du rappeur si souvent remis en question au sujet de son talent et de sa
capacité à créer une œuvre complexe. La répétition du mot « charbon » induit une assonance en
« on » son nasal qui apporte aussi de la solennité. La mélopée est terminée par un couplet plein
d’assonances en « è » : « aile », « game », « même », « tunnel », « conditionnelle », « prévisionnel »,
« visionnaire » et « divisionnaire ». Ce changement de mélodie permet l’envolée philosophique finale
et détache cette réflexion du reste du texte qui est essentiellement de la narration. Les répétitions de
« charbonner », « je suis au charbon » « tu fais ta moula » « c h a r b o n » « juste ça et « 3 6 5 »
permettent de gagner des rimes aussi même si leur fonction est de donner une allure liturgique au
rap.

Le champ sémantique développé est celui de la gangsta life et du monde la ville avec les armes
« glock », la drogue « cocaïna » et la violence « assassinat ». La ville on peut la deviner quand Booba
parle du « rain-té ». En effet la ville et surtout sa périphérie est composée de plusieurs terrain
attribués pour y bâtir des immeubles mais aussi parfois laisser vacant. Le terrain c’est une unité pour
diviser l’espace en ville et en périphérie de ville. Le terrain c’est aussi le territoire que s’approprie le
gang pour faire son commerce. La violence est aussi présente avec des expressions comme « armé »
ou « jus de bagarre » qui font passer le gangster pour un surhomme. Le gangster aime les femmes,
l’alcool et les armes « pétasse bring mon jack, l’47ak en douce », soit des choses auxquelles tous les
hommes n’ont pas droit. Ainsi le gangster est un homme qui mène une vie de paria mais de
privilégié.

Les tonalités du texte sont variées. En effet au début le poème est plutôt descriptif, au présent de
narration pour raconter le long des deux premiers couplets la vie de gangster. On remarque l’usage
de l’impératif comme « fume-le ». Au troisième couplet les rimes se font plus nombreuses et plus
variées. Ainsi, notre esprit s’éveille après avoir été embrumé par les longues rimes en [ou] qui ont
terminés quasiment tous les vers des deux premiers couplets, monacaux tant sur la forme que sur le
fond. Des mots à la césure riment ensemble comme « placard » et « bagarre », « demain » et
« terrain ». On voit aussi des rimes internes comme « réel » et « conditionnelle », « missionnaire » et
« divisionnaire ». Le troisième couplet n’est plus une narration ni une description. C’est une invitation
à une réflexion philosophique sur le sort des Hommes. Une interrogation oratoire ouvre la réflexion
« verras-tu le bout du tunnel ? ». En effet « je » et « tu » gangsta rappeur et gangster forme presque
la même personne. Ainsi Booba nous invite à utiliser la vie du gangster comme une clé pour mieux
comprendre notre sort. On sent une pointe d’humour noir dans les derniers vers quand Booba après
une envolée philosophique dans laquelle évoque notre mort comme d’un « prévisionnel » et nous
conseille de « prendre en levrette, missionnaire le commissaire divisionnaire ». Booba finit son rap
avec une pointe d’humour et de provocation comme pour raviver le feu qu’il a allumé dans notre
esprit. C’est une provocation qui relève de la haine esthétique des rappeurs contre les « porcs en
bleu ». Il s’agit surtout de détendre l’atmosphère après avoir raconté la dure vie de l’Homme,
contraint de souffrir au travail pour expier sa faute. Rappelons-le, seul l’homme travaille pour vivre.

b) Caractéristiques fondamentales
Un gangsta rap se reconnait aussi par des caractéristiques qui concerne le fond du poème. Tout
d’abord, notons que l’univers de notre poème est manichéen. D’un côté nous avons le gangster et de
l’autre le « bougre », « le middle man » sur qui on tire « bang bang bang » pour refaire « le game ».
En face du gangster on trouve la « pétasse » et « les porcs en bleu ». Le gangster est un personnage
seul et mal entouré.

Le gangster fait sa « moula » (argent) pour vivre ; « juste ça » précise Booba pour souligner la
modestie du gangster. Bien qu’il y ait un gangster contre les « Autres », tous les personnages du rap
semblent égaux voire se confondent. En effet le gangster qui tient son arme « à la ceinture H »
ressemble aux policiers qui portent leur arme « dans la housse », attachée à la ceinture. Cette
gémellité suggère l’égalité entre les Hommes quel que soit leur activité, leur couleur ou leur camp. Il
est fréquent dans le gangsta rap que les armes et la violence soient utilisées pour rappeler à tous que
tous les Hommes sont égaux face au destin et surtout face à la mort. Quelle que soit la couleur de
peau, la classe sociale, le métier ou le niveau d’instruction.

Dans le gangsta rap la figure du gangster est exaltée. Dans notre rap, le gangster est
avantageusement présenté comme un repère dans la « street », son territoire. Sans lui à sa tête,
comme un baron, le « rain-té bat de l’aile ». Il faut attendre que le gangster sorte « du placard » pour
qu’il « refait le game » afin de retrouver l’équilibre, l’harmonie que la hiérarchie mafieuse apporte
sur le territoire « rain-té ». En ce sens, le cartel apparaît comme une organisation qui nécessite
hiérarchie et paix pour se développer comme toute société humaine. Ainsi, mieux comprendre le
fonctionnement du cartel nous permet de mieux comprendre la communauté humaine.

La vie du gangster est décrite comme palpitante avec ses pauses au « placard » et ses coups
d’accélération pour reprendre le pouvoir au sein du cartel. « Bang bang bang refait le game » est une
onomatopée qui sert à illustrer accélération et le retour au pouvoir du gangster. Le gangster reprend
sa place sur le terrain aussi vite que les balles partent. La vie du gangster est aussi mue par des codes
et ceux qui ne les respectent pas sont sanctionnés « coup d’spray, pas assassinat, devant toi il a fait le
bougre ». « Coups d’spray, pas assassinat » est une litote utile à indiquer la mort du « bougre ». En
effet les collaborateurs qui vont à l’encontre du gangster risquent leurs vies. Dans cette litote la mort
du « bougre » est niée. Ainsi la violence est amplifiée car le gangster ne respecte pas cet homme
même après sa mort. L’assassinat pour le gang ne compte pas pour un homicide « pas assassinat »
mais juste comme un « coup d’spray ». En bon libéral, le gangster protège à tout prix les affaires du
gang.

Le gangsta rap est aussi une initiation aux bonnes pratiques pour mener une gangsta life fictive. Dans
notre rap Booba conseille de « [fumer] le middle man » pour multiplier le bénéfice du commerce de
la drogue. C’est un conseil cruel mais qui donne une idée précise de la violence présente dans le
monde de la rue. En effet, se débarrasser des intermédiaires dans une chaîne de distribution permet
de multiplier les bénéfices. Le passage en prison est banalisé et décrit comme une étape de la vie du
gangster « accroupi aux arrivants tu tousses » « tu viens de sortir du placard ». Il s’agit surtout de
raconter la vie de gangster et de dédramatiser pour soutenir psychologiquement les frères
emprisonnés. Le rappeur, professionnel du langage, connaît les limites à ne pas dépasser. La cellule
que connait le gangster n’est pas sans rappeler la cellule du moine.

« 3-6-5 » décomposé en « trois six cinq » dans le rap fait sûrement référence au nombre de jours
dans l’année1. Le fait que le nombre soit décomposé à l’oral invite l’auditeur à réfléchir pour
comprendre ce nombre. Il s’agit d’une invitation à peser et apprécier chacun de ces chiffres. La
mention des 365 jours de l’année peut même rappeler une certaine poésie qui relie le rythme des
prières au rythme du travail comme le poème sapiential d’Hésiode Les travaux et les jours dans
lequel est chanté comment travailler la terre. De la même manière, notre poème raconte la vie du
gangster en trois couplets qui énumèrent les différentes étapes du parcours du gangster et son
travail. L’auditeur est d’entrée de jeu, invité à réfléchir. Mesurer le temps a servi aux religieux à
organiser leurs prières et leurs travaux. Le rapport entre le temps mesuré, la prière et le travail est
très étroit. Le négoce se développe favorablement dans nos sociétés libérales grâce à la mesure du
temps et à la quantification temps/travail. Le gangster utilise et maîtrise les ressorts que le
capitalisme offre pour développer son commerce illégal. En somme le gangster brille dans des

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secteurs économiques dont personne ne veut. Le gangster est un Homme qui règne sur un territoire
et qui parle forme particulière de sa langue faite d’argot, de jargon de voyou et de familiarités. Le
gangster respecte et développe une certaine philosophie. Pour finir, nous remarquons que le
gangster développe son business égoïstement, en dépit de la morale comme tous les autres
entrepreneurs de nos sociétés pour expier le péché originel par son travail comme tous les autres
Hommes. Le gangster apparaît comme une figure fédératrice qui unit de nombreux Hommes, de
toutes les couleurs, qui se reconnaissent dans sa langue son histoire, son vécu, sa philosophie et sa
manière de pratiquer le négoce. Rappelons que le gangsta rap est né aux Etats Unis au début des
années 90 pour abolir, comme démontré plus haut, les différences entre les Hommes et empli de
croyances protetantes.

La vie du gangster est rendue enviable par différents procédés. Le gangsta rap est né au sein de la
population afro américaine au début des années 90. Ces populations étaient discriminées,
marginalisées et violentées. Le gangster, bien qu’issu de ce milieu difficile, est le meilleur dans son
domaine. Notre gangster est à la tête du cartel qui « bat de l’aile » aussitôt qu’il entre en prison. Dès
que le gangster sort de prison, il refait « le game », soit il rétablit les règles du jeu du cartel et sa
hiérarchie. Le gangsta rap sert à partager la vie palpitante des gangsters issus des populations les
plus discriminées des Etats Unis. Le gangsta rap est né pour prouver aux blancs que malgré les
discriminations et la haine raciale, les afro américains goutent à une certaine belle vie. En effet dans
la philosophie du gangster on prouve sa richesse en arborant des biens de luxe comme le « Taureau
sur le capot ». On montre sa réussite soi-disant dépendante du travail. Les rares afro américains qui
réussissent sont le « peu de négros […] dans la course ». Cette volonté de revanche fait poindre dans
le gangsta rap le thème du racisme et de l’injustice sociale. Cette richesse étalée sert aussi à donner
envie à l’auditeur de rap d’embrasser la carrière du gangster. En effet la carrière du gangster
palpitante, avec de belles voitures puissantes, de belles femmes et beaucoup d’argent peut être
enviée par le citoyen qui a le mieux réussi sa carrière dans notre société. En ce sens les afro
américains ont montré que la vie est belle malgré la volonté des racistes de rendre la vie infernale à
la population afro-américaine. En ce sens le gangsta rap est une revanche intellectuelle et artistique
contre la société raciste dans laquelle il est née.

Parmi les caractéristiques fondamentales du gangsta rap on trouve l’exploration et l’exposition de


l’auditeur à différente types de violences. Les différentes formes de violences sont explorées pour
que l’auditeur fasse acte de pénitence. En effet le gangsta rap est né au sein de la communauté afro
américaine profondément christianisée. Cette volonté d’expier le péché originel et nos péchés par la
souffrance et la douleur auto infligée ou infligée par un tier (ici le gangsta rappeur Booba) est une
tradition héritée de l’Eglise. C’est en ce sens qu’on peut considérer le rap et le gangsta rap comme
une pratique poético-musicale qui a un pied dans la rue et un pied à l’Eglise. L’homme est présenté
comme violent car il est frappé par une malédiction génétique « le crime serait-il dans nos gênes » et
sa violence il l’exerce sur ses frères pour purger cette malédiction.

La violence verbale est de mise. Le gangsta rappeur utilise des termes réducteurs pour parler des
acteurs de la vie du gangster comme « geush » pour désigner les clients dépendants, les « porcs »
pour désigner la police et « pétasse » pour parler de sa compagne du moment. La violence verbale
permet de dresser un décor anxiogène dans le rap.

D’abord il y a la violence sociale. Booba dit que le gangster a « réussi » mais que « personne ne [le]
félicite ». En effet le gangster est riche. Son véhicule porte un « taureau sur le capot » comme les
véhicules du constructeur automobile Morris Motors. Le gangster a l’argent et le réseau pour se
munir en arme « glock » « 47 AK ». La réussite du gangster dans un secteur prohibé par la société fait
du gangster un paria. Le gangster se retrouve dans l’obligation qu’il n’a pas vraiment réussi. Le
renoncement aux lauriers de la gloire et à la réussite contraint le gangster à une forme d’ascèse dans
laquelle l’auditeur de rap peut le suivre. En effet si l’auditeur de rap comprend et se retrouve dans le
destin du gangster à qui on a refusé les louanges, alors l’auditeur de rap se retrouve aussi mortifié
par cette violence sociale. Ainsi l’auditeur de rap reçoit en pleine figure la violence de notre société
qui valorise certaines activités plus que d’autres pour des raisons arbitraires. L’assonance en « i »
ajoute un aspect mélancolique quand Booba déclame les premiers vers du rap « Charbon ». La
violence sociale qui n’est pas sans rappeler le contexte de haine raciale et de tensions sociales aux
états unis au moment où le gangsta rap est né.

Après la violence sociale, mettons en lumière les violences entre hommes. En racontant les violences
que les hommes s’infligent entre eux, Booba fait souffrir grâce à l’empathie, l’auditeur du rap. Ces
violences entre hommes apparaissent comme une autre manière d’expier nos péchés. Comme si les
violences dont les hommes sont victimes rétablissent d’une certaine manière l’égalité. Ce qui est très
discutable. Quoiqu’il en soit dans la philosophie qui anime le gangsta rap, la violence, comme tout le
monde en est victime, rétablit une forme d’égalité. Que tu sois pauvre ou riche, noir ou blanc quand
tu écoutes un rap violent, vous souffrez tous de manière similaire. Dans notre rap la violence entre
hommes se voit quand Booba dit que le gangster ne fait que « dans la coco » parce que « personne
n’a l’temps pour la douce ». Un euphémisme de dire que ce n’est qu’à cause du manque de temps
que les clients exigent des drogues dures. Cet euphémisme amplifie la violence du propos car on
comprend que les Hommes exigent des drogues dures pour s’anesthésier et survivre à leur existence
trop pénible.

Toujours dans le registre des violences faites par les hommes aux hommes, Booba évoque la mule
qui « avale les bombonnes ». Il s’agit d’une méthode risquée et cruelle de faire voyager les drogues
dures en utilisant le corps d’individus motivés par l’argent. Ce sont souvent des femmes enceintes
qui sont choisies pour faire voyager les bombonnes dans leur ventre car les aéroports n’ont pas le
droit de les ausculter aux rayons X. Si une de ses bombonnes éclate c’est la mort assurée par
overdose. « Gout du latex à la bouche » est une précision que Booba a nous partage pour nous faire
vivre par synesthésie l’horreur, la violence physique et psychologique que ces Hommes subissent
pour gagner de l’argent au péril leurs vies.

Le gangsta rappeur minimise voire nie les crimes commis pour protéger le gang. Assassiner un
collaborateur intempérant n’est « pas assassinat ». Ce crime est réduit au « coup d’spray » pour
nettoyer les souillures de l’homicide. Le crime perpétré est nié sous prétexte que le « bougre » l’a
mérité. L’insulte « bougre » insinue que la victime a mal agi. Cette grande violence qui consiste en la
négation d’un homicide est susceptible de heurter l’auditeur au niveau éthique et psychologique. La
violence ici est une violence qui heurte les hommes en entrant en conflits avec leurs principales
valeurs. L’auditeur peut se sentir concerné par ce manque de respect envers les morts et trouver le
propos du gangsta rappeur inacceptable. Nier et profaner la mémoire d’un défunt est communément
perçu comme un acte violent, obscène et insupportable. En outre l’exhortation à assassiner
l’intermédiaire « Fume-le middle man » pour gagner plus d’argent rajoute de la violence et du
cynisme dans la bouche du gangsta rappeur.

Pour amplifier l’effet de la violence, le gangsta rappeur évoque, par une provocation, la violence
sexuelle contre la police « en levrette missionnaire » pour prouver que la violence du gang va dans
tous les sens. La violence s’exerce contre les traitres, le middle man, la police et les femmes
« pétasse ». Les insultes dans le rap contre la police et tout autre forme d’autorité (les
physionomistes) ou de représentant de l’Etat (les professeurs) est fréquent. Ces insultes servent à
prouver que le gangster s’est affranchi et libéré de toute forme de domination. La haine contre la
police et les insultes contre les figures de l’autorité et de l’Etat s’interprètent comme une vengeance
car ceux-ci ont fait du tort au gangster par le passé, quand il était enfant et quand il était pauvre.
Rappelons-le que d’après la légende dans le gangsta rap, le gangster est un personnage toujours
présenté comme issu des populations pauvres, discriminées, marginalisée, déportée ou immigrée et
souvent de couleur.

La violence contre les femmes dans gangsta rap a souvent fait débat. Dans notre rap, la femme est
insultée par une apostrophe à connotation sexuelle « pétasse ». Le gangster s’adresse à elle avec un
impératif en anglais mais que l’on comprend très bien en français grâce au contexte « Pétasse, bring
mon Jack ». Ainsi humiliée, la femme attendrit l’auditeur qui souffre avec elle du caractère violent et
excessif du gangster qui ne voit que ses intérêts et ceux du gang.

Dans le gangsta rap en général et dans le gangsta rapp de Booba la misogynie est totalement
fictionnelle et esthétique. La misogynie dans le rap et le gangsta rap a une fonction pénitentielle.
Toutes les formes de violences dans le gangsta rap ont un but pénitentiel auprès du public récepteur
mais la misogynie et en particulier les violences à l’égard des fragiles femmes ou des traitres d’une
fois désarmés et seul ont une fonction pénitentielle. Le gangster n’a « pas l’time pour massoko » soit
pour les « fesses » en lingala. Le message du gangsta rappeur est de prioriser les affaires plutôt que
les femmes et tout ce qui s’y rapporte (le sexe, l’amour, ses parents ou encore la création d’un
foyer). Ce conseil est une bonne pratique qui a pour but de renforcer les responsables qui tiennent le
gang. En ce sens ceux qui critique le rap comme étant une musique qui incite à la violence ne sont
motivés que par l’envie d’opprimer des populations déjà désavantagées. Pour tenir une affaire
debout, il faut s’y consacrer complètement. En ce sens le gangster se sacrifie pour son activité
illégale. Le gangster renonce aux femmes, au jeu, aux savoirs, à la musique, à la famille u confort et à
mille autres choses pour son négoce prohibé. Le gangster sur la voie du renoncement est aussi sur la
voie de l’ascèse. Pour revenir sur l misogyne dans le rap, l’auditeur est sensé souffrir de cette
violence systématique contre les femmes dans le rap. Booba dit « j’abuse de filles car elles sont
fragiles » dans sa chanson « Mr Kopp » pour remuer le couteau dans la plaie. C’est un procédé pour
que l’auditeur de rap se mortifie par l’empathie. L’auditeur doit souffrir avec le gangster et sa vie
faite de renoncements, l’auditeur doit aussi souffrir ce que la femme bafouée subit. C’est par le biais
de ces souffrances additionnées et artificiellement provoquées par le rappeur, que l’auditeur doit
atteindre une forme de clairvoyance. C’est après avoir souffert qu’on arrive à comprendre de quoi
parle Booba dans son dernier couplet. La souffrance dans le rap est un moyen d’atteindre une vérité
inaccessible au quotidien. A l’image de certains courants religieux chrétiens qui pratiquent la
flagellation et l’auto flagellation physique pour atteindre une forme conscience de la souffrance de
Jésus, le rap violente psychologiquement et moralement son public pour le faire atteindre un certain
niveau de sagesse et expier ses péchés.

Dans la même veine, le gangster qui nous est présenté est un homme seul, que la société ne
reconnait pas « personne te félicite ». Le gangster a des ambitions modestes. Le gangster ne veut que
sa « moula » précise Booba avec le modalisateur « juste ça ». En effet le gangster, comme tous les
autres Hommes, ne demande qu’à travailler pour gagner son argent et vivre. Il n’est pas question de
bonheur ou d’enfants. La vie du gangster c’est se battre « toute la journée dans la street » pour
pérenniser son activité commerciale illégale car celle-ci lui permet de vivre bien. D’autant plus que
l’activité professionnelle du gangster est très enrichissante car quand « [il] coupe du kush [il] fait le
double ». L’assonance en [ou] sert à illustrer l’efficacité du système de revente de drogue réglé
comme une pendule dont le coucou sonne.

Le gangster est un homme riche. Le gangster est armé « l’47 AK en douce » et donc protégé. Le
gangster est véhiculé « taureau sur le capot ». Pour finir le gangster est accompagné d’une femme
« Pétasse, brig mon jack ». L’environnement autour du gangster est hostile, il existe bien des bougres
sur qui tirer mais pas d’amis, ni de collègue. Le gangster est tourmenté par son activité car il sait qu’il
peut atterrir en prison à tout moment « aux arrivants tu tousses ». Le gangster est un personnage
torturé car obligé de renoncer à de nombreuses belles choses permises ici-bas comme le mariage et
la famille car il fréquente une « pétasse » et que s’il fait des enfants ceux-ci pourront être des cibles
pour les cartels rivaux. Le gangster renonce à l’amitié pour éviter d’être trahi par un de ces
« bougre ». Le gangster est comme un esclave, contraint, enchaîné, limité par son existence précaire
et sa mort imprévisible. L’activité dangereuse amplifie la précarité du destin du gangster. À tout
moment le gangster peut être assassiné et à tout moment le gangster peut se retrouver en prison. La
vie précaire du gangster dans le gangsta rap sert à comprendre la vie précaire de tout Homme. Le
gangsta rap questionne la précarité de la vie et de l’existence humaine en la comparant par analogie
à la vie du gangster. Le gangster renonce même à sa relation avec sa mère. Aliéné par la rue, sa «
mère a bien compris que son fils serait plus le même ». Le gangster renonce aux liens familiaux
(enfants) pour ne pas que ses ennemis aient une prise sur lui. Mais le gangster renonce aussi, à
contre cœur, aux liens familiaux préexistant à sa naissance par son choix de vie et son activité
professionnelle répréhensible.

Pour finir ce gangsta rap intronise la mémoire. Notre gangsta rap est l’occasion d’une leçon d’Histoire
et d’une vengeance littéraire par un trait d’esprit : « Regarder derrière sur le terrain c’est ça être
visionnaire » l’avant dernier vers de notre rap nous invite à regarder le passé pour pieux comprendre
l’avenir. En effet ceci est une grande leçon de professeur d’Histoire. Le gangsta rap rempli ici sa
mission éducative et pédagogique. Le rap méprisé et souvent appelé à la censure à cause de ses
propos libres, remplit une mission de mémoire et éducative auprès des populations les plus
défavorisée à l’école. S’attaquer au gangsta rap revient à s’attaquer et brimer les populations les plus
défavorisées sur l’un de leur rare support d’éducation et de transmission. A la fin du rap, Booba nous
invite à adopter la paranoïa du gangster « regarder derrière ». Ce conseil peut s’interpréter comme
une invitation à la méfiance et comme une invitation à toujours regarder vers le passé (esclavagiste)
pour mieux comprendre le présent. Le thème important de la Mémoire dans le rap de Booba affleure
à la fin du poème, au moment où les choses les plus importantes de notre rap sont déclamées. Le
plus important est dit à la fin et le tout est relevé d’une blague gauloise. Le gangsta rap est uassi
l’occasion de créer des héros propres à Booba et aux auditeurs de Booba. Les héros chantés dans le
gangsta rap et en particulier le gangsta rap de Booba ne sont pas ceux que l’on découvre dans les
cours d’Histoire à l’école ou dans la littérature. Le rap et le gangsta rap c’est l’occasion de
reconstruire une partie de l’Histoire qui n’est pas expliquée à l’école. C’est ainsi qu’on explique les
références aux grands chefs maffieux comme Toto Riina et Joaquin El Chapo Guzman. Les grands
chefs maffieux sont fréquemment présentés comme des modèles dans le gangsta rap pour leur
intelligence, leur férocité, leur endurance et leur loyauté. Le gangster n’est pas dupe et connaît la
cruauté de ces Parrains mais cela ne l’empêche pas de leur donner une place dans son œuvre car les
grands parrains s‘avèrent souvent être de bons représentants des populations marginalisées. En effet
les grands parrains de la drogue étaient souvent eux aussi issus de populations ostracisées et ont
réussi à dépasser les barrières de leur milieu social. Toto Riina et Joaquin Guzman sont issus du
milieu paysan et n’avaient pas bénéficié d’une grande instruction. Il est bon d’avoir le « mental Toto
Riina » mais pas celui du commandant Massoud qui apparaît comme un transfuge après avoir aidé
l’occident à lutter contre Al Qaida. Les gangsters chantés dans le gangsta rap sont des figures
honorées pour leurs qualités de guerrier et de stratège. Les parrains ont réussi mais à leur manière,
d’une manière réprouvée par notre société.
II/ Le gangsta rap : un sous genre poétique aux racines religieuses qui
s’est épanoui dans la « Rue ».

a) La vie de gangster comme une clé pour mieux comprendre la vie des Hommes

Personnellement je me suis intéressée au gangsta rap car je trouve une ressemblance avec la
musique de la confrérie religieuse Gnawa. La musique Gnawa est connue comme étant une musique
élaborée par des esclaves convertis à l’islam. Les Gnawa louent Dieu et son prophète dans leurs
chants après avoir assimilé le principe musulman d’après lequel tous les Hommes sont esclaves de
Dieu. Gnawa ont donc fait l’analogie entre leur condition particulière d’esclave et la condition
humaine en général qui est une condition humble et servile. C’est par le prisme de leur condition
d’esclave que Gnawa nous donnent accès à des vérités valables pour tous les Hommes. En effet, tous
les Hommes sont les jouets de leur destin et de Dieu. Dans le gangsta rap, le gangster qui comme
l’esclave peut se retrouver menotté, est un avatar de l’Homme. Rappelons-nous que le gangster afro-
américain qui est chanté dans les premiers gangsta rap est le descendant des esclaves africains
déportés en Amérique. La vie du gangster racontée dans le gangsta rap permet de mieux
comprendre la vie des Hommes. La vie de l’Homme est, par analogie, la vie d’un gangster à cause de
nos fautes. C’est en décortiquant la vie du gangster que l’on comprend mieux notre vie, ses risques,
nos fautes et la précarité de notre destin. Le gangsta rappeur part du principe que tous les Hommes
fautent. Ainsi tous les hommes sont d’une certaine manière des gangsters à cause de leurs erreurs.

Dans notre gangsta rap « Charbon », tout le cursus du gangster est raconté en trois parties. Dans le
premier et le deuxième couplet du poème, on raconte le travail du gangster, ses acteurs et la prison.
Dans le troisième couplet, on raconte le retour du gangster et la philosophie qui l’anime. Dès le
début du rap des bases sont posées pour démontrer la ressemblance entre le gangster et l’Homme.
Le gangster est « toute la journée dans la street ». L’espace et le temps du gangster sont partagés
avec l’Homme « normal ». Sans travailler dans l’illicite, tous les Hommes travaillent en général « tout
la journée ». « Toute la journée » sert à matérialiser une durée de travail qui s’étale nécessairement
sur plusieurs longues heures. En outre tous les Hommes travaillent dans la « street ». Dans le gangsta
rap « La street » symbolise par métonymie souvent la société humaine dans le gangsta rap.

Dès le début du poème on est confronté aux violences que la société inflige aux gangsters. En effet,
la réussite du truand n’est pas reconnue « personne te félicite » bien qu’elle lui permette de bien
vivre avec des véhicules haut de gamme « taureau sur le capot ». « Peu de négros sont dans la
courses » est une périphrase pour dire que notre gangster est arrivé en haut de l’échelle au sein du
cartel. La métaphore avec la compétition sportive, née avec la société capitaliste qui pousse ses
travailleurs à dépasser leurs limites, sert à montrer que le gangster est un bon travailleur comme les
autres bons travailleurs qu’on retrouve à l’usine. Il faut comprendre le terme « négro » comme
« frères » comme dans les gangsta rap américains de Tupac Shakur et Biggie Small. Le métier de
gangster est à l’image des métiers des Hommes, pas toujours honorable. En ce sens le gangsta rap
pose la question du bon travail. La finalité du travail doit-elle être morale pour le travail soit reconnu
comme tel ? Est ce qu’il suffit que le travail soit bien fait pour que ce soit du travail ? Un travail licite
est-il nécessairement un travail irréprochable ? Dans notre rap le travail du gangster est reconnu par
le rappeur malgré le crime « pas assassinat, devant toi il a fait le bougre ». La réussite professionnelle
des gangsters Toto Riina et de Joaquin Guzman est louée par le rappeur Booba. L’auditeur du rap est
invité à réfléchir à cette question. Il nous est présenté comme injuste que le gangster aille en prison
« aux arrivants » pour n’avoir fait que son travail « juste ça ».
Le gangster commet le mal pour pérenniser son activité illégale mais sa pratique professionnelle
demeure réglée par des codes semblables aux codes des chevaliers. Le bon gangster doit tenir sa
parole, être respectueux, courageux et loyal. Le gangster doit savoir se tenir est rester modéré. Dans
cette perspective le gangsta rappeur Booba va jusqu’à nier de manière choquante un assassinat
«coup d’spray pas assassinat » parce que l’un à fait preuve d’intempérance « devant toi il a fait le
bougre ». Les gangsters n’apprécient pas l’arrogance, l’insolence et la jalousie. Les principes des
gangsters chantés dans le gangsta rap peuvent être pris pour des principes généraux qui s’appliquent
à tout le monde. Souvent le gangsta rap est une poésie dotée d’une morale. Le gangsta rappeur est
un poète moraliste. Même si le gangsta rap est traversé par des paradoxes, le gangsta rap demeure
un sous genre poético-musical à vocation didactique.

Notre poème offre un réseau complexe d’identification qui relie l’auditeur, le gangster et le gangsta
rappeur qui est un narrateur omniscient. En effet Booba sait même ce qu’il y a dans la tête de la
mère du gangster qui « a bien compris que son fils serait plus le même ». Dans notre rap, le gangsta
rappeur chante un peu au-dessus des personnages de son rap. Le rappeur sait tout du gangster qu’il
chante. Les propos du narrateur émanent d’un espace métadiégétique. Les trois personnages
(rappeur, gangster et auditeur) ne sont pas délimités précisément, ils s’entre-mêlent. Quand Booba
dit « tu veux ta moula ? » en début de rap on pourrait croire qu’il s’adresse à son auditeur. Ce vers
ambigu peut aussi être le propos du gangster pour alpaguer son client addict au discours indirect
libre. « Tu veux ta mula » au début du poème semble s’adresser soit au client addict soit à l’auditeur
de rap. A ce vers semble répondre à la fin du poème « tu fais ta mula ». Dans « tu fais ta mula » le
pronom « tu » semble concerner le gangster voire le rappeur qui offre un poème en guise de
psychotrope aux amateurs de rap et qui est souvent attaqué par l’opinion publique pour sa liberté de
ton. Par ces modes d’énonciations divers le pronom « tu » désigne soit le gangster, soit le client, soit
l’auditeur, soit le gangsta rappeur. La moula représente soit la drogue du client soit la musique du
mélomane amateur de rap qui attend d’écouter le rap de Booba. Ainsi le rap de Booba et la drogue
sont assimilés par analogie. Le rap de Booba serait aussi fort, aussi pur et aussi psychédélique que de
la cocaïne, drogue dont il est question dans notre rap « tu fais dans la coco ». Booba/ auditeur et
gangster/client sont des personnages qui se confondent.

« T’as réussi personne te félicite » est un vers dans lequel Booba s’adresse au gangster en narrateur
omniscient et en personnage intégré à la diégèse. Ce vers peut déjà être interprété personnellement
par l’auditeur en fonction de son parcours. En outre, le gangsta rap de Booba étant souvent décriée
dans les médias, on peut aussi s’imaginer que Booba parle de lui-même car il connait un sort similaire
au gangster que personne ne félicite de gagner énormément d’argent dans un secteur réprouvé.
Booba parle en son nom de gangsta rappeur mais aussi au nom du gangster voir au nom de
l’auditeur. Le destinataire de ce vers étant ambigu, les personnages de rappeur, gangster et auditeur
se confondent.

Quand Booba dit :« Tu fais ta moula, juste ça », il s’adresse directement au gangster dont il raconte le
parcours en détail. Booba se place comme un narrateur omniscient et utilise à plusieurs reprises la
deuxième personne du singulier pour impliquer l’auditeur dans son récit « tu fais dans la coco » « aux
arrivants tu tousses ». L’auditeur interpellé par le pronom de la deuxième personne du singulier et
les impératifs comme « laisse-les compter les roubles » se sent immanquablement concerné bien
que Booba s’adresse au gangster. Ainsi gangster et auditeur se confondent. C’est valable pour tous
les vers à la deuxième personne du singulier « Fume le middle man », « Tu l’as à la ceinture », « pas
assassinat devant toi il a fait le bougre » « tu viens de sortir du placard » « ta mère a bien compris
que son fils serait plus le même ». Ces vers du gangsta rappeur s’adressent au gangster mais peuvent
être pris personnellement par l’auditeur compte tenu de l’ambigüité établie dès le vers « t’as réussi
personne te félicite » et de l’usage répété de la deuxième personne du singulier.

Le gangster se confond avec le gangsta rappeur tout au long du rap à travers le vers « je suis au
charbon » qui sert de refrain. « Je suis au charbon » dans le refrain donne l’impression d’un intervalle
de narration autodiégétique. En effet le narrateur qui est le gangsta rappeur parle de son travail qui
consiste à composer et chanter ses poèmes. Comme Booba le fait effectivement quand on perçoit
son rap « Charbon ». Le refrain peut aussi être interprété comme un propos au discours direct du
gangster mais aussi comme un vers propre au gangsta rappeur qui travaille quand il chante et
compose le poème que l’on écoute. Ainsi dans ce vers c’est le gangster et le gangsta rappeur qui se
confondent.

Gangster et gangsta rappeur s’entremêlent aussi dans le vers : « Pétasse bring mon jack, passe-moi
l’47 AK en douce ». En effet ce vers peut être interprété de deux manières. Soit c’est du discours
directe repris de la bouche du gangster. Soit c’est un propos du gangsta rappeur compte tenu de
l’usage de l’impératif et l’article possessif « mon ». En effet dans ce rap on a été habitué à ce que le
gangsta rappeur utilise la deuxième personne du singulier pour parler du gangster mais en poésie
aucun procédé n’est unique ni définitif. Booba peut librement naviguer entre la deuxième et la
première personne du singulier pour évoquer le gangster quand il compose son poème.

Les personnages de gangsta rappeur, gangster et auditeur ainsi mêlés sont à interpréter comme si le
rappeur et l’auditeur étaient rigoureusement ressemblant aux gangsters, bien que les gangsters
soient marginalisés dans nos sociétés. Ce réseau d’indentifications enchevêtrées permet à Booba de
finir son poème sur une morale qui concerne tout le monde : le gangsta rappeur, le gangster et tous
les autres Hommes. « Verras-tu le bout du tunnel ? » et « tu peux t’faire fumer demain, tu pars d’un
prévisionnel ». Ces identités mêlées sont construites grâce à l’emploi du pronom « tu » de manière
indéfinie. Ainsi le gangster devient un personnage sur lequel réfléchit le gangsta rappeur et qui
représente l’Homme. Toutes les difficultés que le gangster rencontre comme la prison, la trahison ou
la violence, peuvent se présenter à n’importe quel Homme. Dans notre poème le gangster est une clé
pour mieux comprendre l’homme car le gangster est entravé dans son activité imprévisible et son
destin de marginal qu’il n’a pas choisi. C’est pareil pour l’Homme qui est entravé dans son destin
précaire dont il n’a pas choisi la trajectoire et dont il ignore tout de la fin.

Bien que réprouvé, le métier de gangster est nécessaire pour servir les « geush » et pour faire
travailler les « porcs en bleu » mais c’est un métier dangereux. En effet en sortant du « placard » il
faut faire usage de son arme à feu « bang bang bang » pour remettre de l’ordre dans la hiérarchie du
gang. Le gang est perturbé à chaque fois qu’un lieutenant entre en prison car d’autres veulent en
profiter pour voler sa place. La mentalité de de gagner quoiqu’il en coûte est une mentalité inspirée
des croyances capitalistes et héritées des protestants qui ont conquis l’Amérique. Convaincus d’avoir
Dieu à leurs côtés, ils se sont permis jusque l’esclavage pour bâtir l’Amérique et devenir compétitif
face à l’Europe. Le gangster, même s‘il n’a pas réussi en suivant les cursus conventionnels, a quand
même intégré les codes qui régissent notre société marchande et capitaliste. Le gangster et un
« CEO » comme les autres. « Laisse-les compter les roubles » dit Booba. En effet le gangster
ambitionne l’enrichissement et n’hésite pas à rationaliser son activité « tu coupes du kush tu fais le
double ». Le gangster est un capitaliste comme les autres. Booba instille tut de même une réflexion
sur l’argent et la richesse « taureau sur le capot peu de négros sont dans la course ». La métaphore
courses automobile/carrière dans les sommets de la hiérarchie du gang voire au sommet de la
hiérarchie de notre société met en valeur la coordination entre chance, talent et travail pour réussir
quelque soit le domaine. Cette moralité est une moralité qui correspond aux valeurs du travail et du
Capital qu’on connait aujourd’hui.
« Charbonner » vient de « charbon ». Cette étymologie s’explique par le fait que la mine de charbon
s’inscrit dans le passé des familles de ceux qui portent aujourd’hui le gangsta rap. Le « re-fou » ou
« le four » fait allusion aux fours utilisés général dans l’industrie d’après-guerre. En effet dans la
légende du rap, ceux qui se sont reconvertis dans les économies parallèles sont les descendants des
ouvriers licenciés à cause de la désindustrialisation de la France et de la fermeture des dernières
mines françaises. Cette allusion au passé minier agit sur l’affectif et renforce le groupe qui se
reconnait dans un passé commun laborieux, fait de mépris en d’indigence. Dans notre rap
« Charbon » peut raviver chez certains d’entre nous la mémoire de romans lus à l’école comme
Germinal de Zola, dans lequel on voit combien les ouvriers du XX -ème siècle ont souffert.

Booba nous incite à effectuer une réflexion sur la légitimité du métier marginalisé et illégal. Tout
compte fait, le gangster paie sa TVA et se bat pour vivre comme tout citoyen. Le parallèle entre le
gangster et le policier armés tous deux à la ceinture nous force à s’interroger sur qui est le bon et qui
le mauvais. La ressemblance entre le gangster et le policier est troublante. En effet un gangster peut
faire le bien car il est guidé par sa morale de gangster mais policier peut faire une bavure. Aux Etats
Unis comme en France les bavures policières racistes n’ont pas cessé d’éclater dans les médias ces
cinquante dernières années. Tupac Shakur parlait déjà des violences policières racistes au début de
années 90 (il y a trente ans). En somme Booba souligne juste que sur l’Homme pèse l’injonction à
travailler pour gagner de l’argent et vivre. On remarque de nombreuses rimes en « i » et en « ou »
dès les premiers vers pleurs qui suggèrent dans un premiers temps les pleurs. Booba nous invite à
réfléchir sur la légitimité de juger l’activité de l’autre. Comment la police, accusés de commettre des
« violences policières », accusée de « racisme » et parfois d’avoir assassiné des citoyens lors de leur
arrestation ou de leur GAV peut-elle juger un gangster et l’arrêter sous prétexte qu’il commet des
crimes et que son activité est illégale ? Cela paraît incohérent que des Hommes (policiers) qui
commettent le mal arrêtent et jugent d’autres Hommes (gangsters) qui commettent le mal. C’est sur
cette incohérence que Booba invite son auditoire à réfléchir. Quel homme peut juger un autre
homme ? comment reconnait-on un métier légitime d’un métier illégitime ? On pense sans hésiter à
l’affaire Adama Traore en France et George Floyd aux Etats Unis. D’autant plus que, souvent dans la
vraie vie comme présenté dans le gangsta rap, les gangsters sont issus des populations discriminées,
pauvres, ayant un accès difficile aux études et ont la peau noire ; et souvent les policiers sont blancs
car eux sont issus de populations plus favorisée et pont pu faire des études pour avoir un métier. Cet
ordre des choses dans le gangsta rap montre que la société bipolaire qu’ont connu les afro-
américains aux Etats Unis au temps de l’esclavage est une société qui est encore la nôtre même en
Europe parce que l’Histoire nous a rapproché. De manière caricaturale dans le gangsta rap, c’est
encore aujourd’hui le blanc qui juge, qui punit voire qui tue dans le cadre des violences policières. Et
c’est toujours le gangster, homme de couleur, qui a les menottes et qui connait les barreaux de la
prison, comme un esclave. Cette injustice sert à illustrer la dureté du métier de gangster et la
longévité des codes de notre société basés sur le racisme et la discrimination. Le gangsta rap sert à
démontrer comment la société est structurellement raciste. Dans notre rap on voit comment
gangster noir de peau est discriminé car son activité est soi-disant illégale. Booba nous prouve
poétiquement que son activité est aussi illégale que celle d’un policier ripoux ou d’un policier tueur.
Le gangsta rap est une discipline qui s’attache à montrer le racisme à tous les niveaux dans notre
société comme par exemple à l’école « malabar choco BN sale noir ma génération » Booba dans
Pitbull.

Dans le gangsta rap de Booba nous avons une description des différents acteurs de la Rue et des
étapes de la vie de gangster. Dans la Rue, symbole de notre société, on trouve les geush. Ce sont les
personnes dépendantes à une substances psychotrope. Il y a les porcs c’est la police, ennemi éternel
du gangster. On remarque la présence d’une femme réduite à son massoko, soit à ses fesses. On
trouve la mule qui transporte la drogue dans son ventre et pour finir il y a le middle man qui
représente de manière générale tout intermédiaire entre le grossiste et le client final. Dans notre rap
il est fait allusion au « placard » soit la prison. Quand le gangster sort de la prison il « refait le game »
donc il rétablit la hiérarchie du gang qui est l’image de la hiérarchie entre rappeurs dans le « rap
game ». Avec le terme « game » on envisage la vie comme un jeu, animée par le hasard. Les
différents protagonistes du gang se trouvant dans la rue sont alors des membres de notre notre
société. Ces protagonistes proviennent des différentes strates de notre société. Ainsi le gangsta rap
en nous présentant la pègre, nous permet de mieux appréhender notre société qui est faite à son
image.

b) Les racines chrétiennes protestantes du rap qui affleurent

Le rap et en particulier le gangsta rap sont traversés par la souffrance, la douleur, la violence et la
solitude qu’ont connu les esclaves et les populations afro-américaines longtemps victimes de
ségrégation et de discriminations. C’est pourquoi dans notre rap « Charbon » tous les personnages
mentionnés sont réduits. Booba renvoie cette violence dans le visage de son auditeur. Les policiers
sont réduits car désignés par une périphrase insultante qui met l’accent sur la couleur de leur
vêtement « les porcs en bleu ». En aucun cas dans le gangsta rap on ne présente la police sous son
angle de justicier à cause des problèmes de violences policières racistes que les Etats Unis et la
France ont connu. La femme est réduite à ses fesses « massoko », les gueush sont désignés par un
terme familier voire jargonneux qui les réduit à leur addiction, la mule est réduite à son emploi et le
middle man est réduit à sa place dans la hiérarchie du gang. Le gangsta rap utilise donc une violence
esthétique pour rétablir l’égalité, venger les opprimés. La violence dans le rap sert surtout à purifier
les auditeurs de rap. En effet comme certains courants religieux extrémistes chrétiens qui pratiquent
la flagellation ou d’autres mortification corporelle pour atteindre la sagesse, le gangsta rap est à subir
comme les coups de poings d’un boxeur qui va vous faire atteindre une forme de Vérité une fois que
vous serez KO. Ce n’est pas innocent si un vers de rappeur s’appelle une « punchline » (ligne/phrase
coup de poing) et si on dit qu’un rappeur « kick » (met des coups de pieds) quand il rappe. Pour finir
on peut relever l’assonance en i qu’on retrouve dans les termes « street » « félicite » peuvent faire
penser à des pleurs et ainsi faire apparaitre la tristesse du sort du gangster. A l’image du gangster, le
sort de tout Homme apparait triste voire tragique.

Le gangster aime faire de l’argent coûte que coûte comme les missionnaires chrétiens l’ont fait avant
lui. Les missionnaires qui ont conquis l’Amérique ont fait le choix de s’enrichir au dépend de leurs
frères noirs de peau. L’argent a primé. L’argent est passé devant l’humanité pour les missionnaires
chrétiens. Cette leçon de commerce inhumain le gangster l’a bien intégrée. Ainsi le gangster est prêt
à tuer pour protéger ses bénéfices et intérêts et ceux de son gang. En ce sens, Booba mène une
réflexion sur l’argent la « moula » dans notre texte ce terme est ambigu. « Moula » veut dire argent
mais aussi drogue. Dans notre texte la moula c’est la chanson, le rap de Booba. Par métaphore le rap
charbon de Booba est présenté comme quelques grammes de cocaïne pure.

Nous avons vu plus haut comment le gangster a intégré les valeurs capitalistes. Le gangsta rappeur
chante aussi le gangster comme un super héros qui se fait tout seul. En effet le gangster que Booba
crée n’a pas de femme ni de parents ni d’enfants. Dans notre texte la société, comme une marâtre, a
fait naître un nouvel homme en notre gangster car sa mère biologique ne le reconnaît plus « ta mère
a bien compris que son fils serait plus le même ». Le gangster est sans attaches ainsi ses ennemis
peuvent difficilement lui faire du mal. Tout d’abord le gangster ne connait que les prostituées, il n’a
« pas le temps pour massoko ». C’est un détail dans le gangsta rap qui n’est pas sans rappeler
l’Amérique qu’a connu Malcolm X où l’essentiel de la communauté afro-américaine survivait grâce au
banditisme quant aux hommes et à la prostitution quant aux femmes. Il faut rappeler que le gangsta
rap est l’héritier des rêves brisés des afro-américains qui ont soutenu Martin Luther King. Le gangsta
rap c’est le chant des Hommes qui constatent l’échec partiel des luttes afro-américaines de la
première moitié du XXème siècle. Le gangster réussit à force d’efforts et de souffrances. En effet le
gangster renonce à l’amour familial pour pouvoir librement s’adonner à son activité de gangstérisme
sans craindre d’être réellement touché. De manière utopique la vraie liberté si on en croit le logos du
gangsta rap c’est une vie sans amour. C’est pour cette raison que souvent Booba chante des amours
impossibles. Dans Dragon de Booba on entend « Pour pas souffrir, j'apprends à ne pas aimer » et
« Dès qu'elle s'attache, le négro fout le camp ». Le gangster connait une vie faite de renoncement à
l’image des religieux chrétiens. Le gangster aussi connait « le placard » soit la cellule de prison
comme les religieux vivent leur vie dans leurs cellules. Les ressemblances entre le religieux et le
gangster sont concrètes.

Le gangster se fait seul contre tous et notre gangsta rap est un discours poétique qui se forme autour
de ce personnage. Grâce à un réseau de références intratextuelles et intertextuelles partagé avec
d’autres gangsta rappeurs. Sadek dans « La Chute » nous dit bien « je suis toujours le même, même si
ma daronne me reconnait plus ». Le gangsta rappeur construit la légende du gangster. Ainsi Booba
(comme Tupac Shakur ou Biggie small et tant d’autres gangsta rappeurs) essaie de former autour de
la figure de gangster qu’il a artificiellement élaboré, un groupe humain composé d’auditeurs qui
comprennent et adhèrent aux concepts développés dans le gangsta rap. Cette figure du gangster
soutenu et compris par les auditeurs qui écoutent les gangsta rap racontant ses exploits (« bang bang
bang refais le game ») n’est pas sans rappeler les gestes comme la Chanson de Roland, les épopées
comme l’Iliade, l’épopée de Gilgamesh ou certains textes religieux comme la Bible qui fédèrent tout
un peuple autour d’un homme, sa langue, son Histoire sa culture et sa religion. C’est en ce sens qu’on
peut décemment considérer que le gangsta rap est un discours récent mais une tradition qui a des
racines anciennes. Le gangsta rap chante une Histoire partagée entre le rappeur, le gangsta rappeur
et les auditeurs. En effet dans notre rap Booba chante des Héros non reconnus par l’Histoire qu’on
apprend à l’école. Booba nous chante Joaquin et Toto Riina. Avec ce travail de Mémoire, le gangsta
rappeur fédère des auditeurs autour d’une Histoire qu’ils reconnaissent comme étant la leur, autour
de personnages historiques dont ils reconnaissent les qualités et les erreurs.

Les racines religieuses du gangsta rap se voient aussi dans notre poème « Charbon » car il a aspect
d’une prière par sa monotonie. Outre le fait que la technique de chant « rap » ressemble
intensément à la psalmodie, notre poème double sa ressemblance avec les textes religieux par un
travail sur les sons monocorde avec les rimes en « ou ». L’assonance en « ou » permettent une
meilleure mémorisation et évite de tomber dans le poème dont on apprécierait que le lyrisme et la
beauté de sons. On remarque des allusions à des forces qui nous dépassent dans l’aphorisme final.
On aborde le thème du destin « dans le crime… emprisonnement est réel » et de la mort « le bout du
tunnel ». Le nombre « 3 6 5 » et le terme « C H A R B O N » prononcés décomposés et répétés
invitent à peser, estimer et contempler chaque son qui compose ces mots. A l’image du religieux qui
répète ses prières en égrenant son chapelet, Booba répète et nous fait répéter sa prière. Il faut
ajouter à ce travail sur les sonorités, la présentation d’un travail mortifiant qui implique de renoncer
aux femmes, de se retrouver au « placard », cellule humiliante du prisonnier. Le gangster se retrouve
« accroupi » et il se sacrifie pour faire le métier dangereux « l’47 AK en douce », « bang bang bang
refait le game ». C’est aussi un travail non reconnu « personne te félicite ». Tous ces efforts pour
protéger et entretenir les activités du gang 365 jours par an et survivre dans cette société
discriminante qui rend les Hommes malheureux. Le gangster renonce aux lauriers de la gloire malgré
le fait qu’il ait assez travaillé pour les mériter.

En effet le gangster renonce à de nombreuses consolations terrestres. Le gangster est sur le chemin
du renoncement. Dans le rap « Comme les autres », le gangsta rappeur renonce même à la
miséricorde : « que dieu me punisse » dit-il. « Personne te félicite » dès le début de notre rap donne
l’impression que le gangster se sacrifie pour nous. L’omission de la négation « ne » typique du
français parlé, rend le vers plus percutant. Le gangster de notre texte s’« en fous du reste », il
renonce à tout sauf son business. Le modalisateur « juste ça » insiste sur ce fait. Le gangster ne vit
que pour de l’argent avec son activité. Le gangster n’a « pas l’time pour massoko ». Le gangster va
jusqu’à renoncer à l’amour et à la fondation d’une famille. Cette femme réduite par métonymie à ses
fesses « massoko » et que le gangster appelle « pétasse » ne sert qu’à divertir le gangster avec les
plaisirs de la chair. Le gangster ne connait que deux consolations : l’argent du business qui lui donne
accès à des objets de luxe et le sexe, lui aussi souvent permis par l’argent. Le gangster souffre
d’embrasser une carrière dont personne ne veut mais qui est aussi dommageable que tant d’autres
métiers comme le métier de policier quand celui-ci est violent, raciste voire meurtrier. En fin de
compte le gangster est jugé, sanctionnée « aux arrivants » et méprisé alors qu’il veut juste gagner
son argent pour vivre comme tout le monde. Le gangster a un métier plus dur que les autres alors
qu’il n’est pas le pire métier dans notre société. Le gangster se retrouve au « Placard » comme la
cellule du moine. Le gangster se retrouve « Accroupi aux arrivants ». Accroupi est une position de
soumission qui peut rappeler la prosternation et l’humilité des religieux quand ils prient. « Tu l’as à la
ceinture, leur arme est dans la housse » est un vers qui compare par analogie le gangster et le
policier qui porte tous deux leurs armes au niveau de la ceinture, prêt à dégainer. Le travail (gangster
ou policier) rétablit une forme d’égalité entre les Hommes. Bien sûr cette égalité par le travail est très
discutable. En effet il existe des métiers plus pénibles que d’autres. A cause de leur travail gangster
noir et policier blanc se retrouve tous les deux armés à la ceinture, contraints de se baisser au sol
« accroupi aux arrivants » et « cherchent leurs souches ». Ce mouvement vers le sol n’est pas sans
rappeler l’origine humble de l’Homme qui est fait d’argile, d’humus selon la Bible et qui y
retourneras. Les métiers de gangster, policiers et autre nous prouvent que nous sommes tous
semblables, fragiles et mortels.

L’humilité que le travail demande et les souffrances que le travail inflige à l’Homme servent aussi à
mortifier la race « maudite » que nous sommes depuis la déchéance d’Adam et Eve. Comme chez les
religieux le travail est chez tous une manière de nous mortifier. Le travail apparait comme un vecteur
de l’égalité car il nous faits tous souffrir. Obligés de faire le mal même sans le vouloir, dans notre
travail et par notre existence de « d’animal maudit », Booba nous invite à nous interroger sur le
tunnel de Joaquin : « Verras-tu le bout du tunnel ? ». Le tunnel de Joaquin est une métaphore de
notre vie. Dans cette métaphore seule la mort semble peut-être pouvoir nous libérer de notre
malédiction à faire et subir le mal. Contraints de faire le mal nous ne fuirons pas nos sanctions et
responsabilités qu’elles soient terrestres ou divines. Cette métaphore nous pousse à nous interroger
sur la fin de la violence entre Hommes. Le poème entier est traversé par la violence et la mort, à
l’image de l’existence humaine. Parmi les différentes violences auxquelles Booba a donné vie dans
son rap, on remarque la violence que les Hommes s’infligent entre eux comme pour se faire purger
entre eux la peine du péché originel.

Dès le début du poème il est question d’une mule qui « avale les bombonnes » de cocaïne. L’auditeur
est immédiatement plongé dans l’horreur la violence du trafic de drogue qui utilise les corps humains
vivants pour faire transiter la drogue. L’auditeur ainsi effectue une mortification par l’empathie.
L’auditeur souffre avec la mule grâce à la synesthésie provoquée par le pléonasme « goût du latex à
la bouche ».

L’auditeur souffre aussi par empathie la violence verbale infligée à tous. D’abord nous avons la
misogynie car la femme et désignée par une insulte « pétasse » et par une métonymie qui la réduit à
ses fesses « massoko ». Le policier est un homme réduit à la couleur de son uniforme professionnel
et désigné par une insulte « porcs en bleu ». Tous les personnages du rap sont réduits : « pétasse »,
« porcs en bleu » et « middle man ». Même l’ennemi du gangster n’est pas désigné par autre chose
que le pronom « il » dans « il a fait le bougre ». Tous les personnages sont réduits, aucun n’a de nom
propre pas même le gangster. Ces Hommes sans prénoms sont mal traités voire niés. Cette violence
verbale qui consiste à nier les personnes est une violence qui touche l’auditeur qui se retrouve dans
ces personnages. Ecouter du gangsta rap c’est s’auto-flageller (comme certains extrémistes
chrétiens) pour accéder à un niveau supérieur de conscience, à une forme de vérité. C’est pour cette
raison que notre poème mu par la violence se termine par un aphorisme existentiel.

Comme nous l’avons vu plus haut le gangster renonce aux liens familiaux. En effet sa mère, qui l’a
fait, ne le reconnait plus car elle a « bien compris que son fils serait plus le même ». Tous ces
renoncements qui font partie des violences que le gangster subit. Ces violences font de lui un
Homme nouveau, un monstre. Ce monstre que sa mère ne reconnait plus, c’est la « street » qui l’a
enfanté car il n’est « plus le même ». Le pronom « même » signifie l’identification impossible entre
l’enfant que la mère a enfanté et l’Homme que la « Rue » a créé à partir de cet enfant qui était
comme les autres, bon au départ. La « Street », avatar de la société est dans le gangsta rap une
marâtre héritée des contes traditionnels comme Cendrillon. Le renoncement aux liens familiaux et à
l’enfantement n’est pas sans rappeler les vœux des religieux chrétiens qui consacrant leurs vies à
Dieu, ne font pas d’enfants et s’éloigne de leurs familles pour se consacrer à Dieu. Le gangster
s’éloigne de tout (famille, amour, gloire.) pour se consacrer à son activité illégale et gagner de
l’argent.

La violence et le fait que l’homme souffre (y compris par empathie) est une preuve de notre
matérialité. C’est parce que les Hommes sont constitués de chair qu’ils peuvent avaler « les
bombonnes », souffrir des balles « fume le middle man », des addictions « de la kush ». On peut
même sentir poindre le thème de la violence sexuelle avec les insultes misogyne que le gangster a
pour sa partenaire « pétasse » et « massoko ». Ces deux termes ont une connotation sexuelle et le
second plus que le premier parce qu’il réduit la femme à ses fesses donc à sa fonction d’attirance
sexuelle. La femme réduite à ses attributs sexuels (seins fesses ou sexe) est aussi à percevoir comme
un être de matière, éclaté, dont on mentionne les différentes parties du corps. Souvent les corps sont
en morceaux dans le rap comme si les rappeurs essayaient de reconstituer le corps humain après
qu’il a été déchiqueté par les guerres (guerre du Vietnam, 2nde guerre mondiale, intifada, conflits en
Tchétchénie, en Ukraine, génocide arménien…) afin de recharger chaque partie du corps de ses
fonctions naturelles. Dans notre rap la femme est réduite à son « massoko » certes, mais Booba
réinvestit les fesses des femmes de leur fonction séductrice pour écarter toutes les autres fonctions
envisageables dans un conflit où l’on utilise ce type de partie du corps pour torturer les Hommes. Les
violences misogynes et sexuelles dans le rap servent, par leur matérialité, à faire le lien entre la
flagellation purement esthétique et la flagellation physique. C’est le caractère excessif et récurrent
de la mention aux violences faites aux femmes qui doit interpeller, faire réfléchir et mener l’auditeur
sur le chemin d’une interprétation de ces violences. En effet les violences faites aux femmes dans le
gangsta rap touchent tout le monde. L’allusion faites aux violences contre les femmes suffit à faire
ressentir au plus profond de la chair de chacun ces violences par la force performative des mots. On
peut considérer que les violences misogynes dans le gangsta rap font le lien entre une violence
purement esthétique et une vraie violence physique d’autant plus que les gangsta rappeur n’hésite
pas à donner des détails scabreux et matériels sur les violences qu’ils exercent (esthétiquement) sur
les femmes. Dans Scarface, un des raps les plus appréciés de Booba, Booba va jusqu’à chanter un viol

« J'arrête pas de mater son cul


J'y plongerais 25 fois par jour
Jusqu'à ce que la gow appelle au secours
Jusqu'à ce qu'elle n'en peuve plus
Puis je la sauverais, la réanimerais ».

Pour finir sur les violences et humiliations, on relève les impératifs irrespectueux caractéristiques du
gangsta rap qui est un sous genre poétique au ton souvent martial et polémique. En effet, on est tous
égaux, plus de place pour les formules de politesse et les formules révérencieuses de mise du temps
de l’esclavage et de la ségrégation. Le gangsta rappeur ne reconnaît aucune hiérarchie entre les
Hommes, aucun Homme n’est digne de respect car tous sont mauvais, fautifs et porteur du péché
originel. En ce sens le gangsta rappeur rejette les révérences que les esclaves devaient à leurs
maîtres. Les maîtres ne sont plus, la grossièreté et l’insolence de Booba caractéristique des gangsta
rappeurs est une manifestation qui sert à illustrer une liberté de penser et de s’exprimer acquise au
prix du sang. Le gangsta rap est une revanche après l’esclavage et la ségrégation. Ecouter du gangsta
rap revient à s’auto-flageller par une poésie libre et violente. En somme, si un gangsta rap provoque
l’indignation, le rejet, la colère et le dégout, c’est que ce rap est efficace.

III/ Une poésie épiphanique


a) Une réflexion philosophique sur l’existence enracinée dans les croyances
chrétiennes

Notre gangsta rap explore la musique et offre une réflexion sur l’existence comme les bluesmen
faisaient. Le discours gangsta rap en général offre une pensée sur l’existence humaine mais notre rap
consacre littéralement ses dernières lignes à une méditation sur l’existence « dans l’crime…
visionnaire ».

Le thème de la mort, notamment violente, et de la violence meut tout notre texte. L’évocation de la
mort sert d’abord à souligner la fragilité de l’Homme et la vanité de son existence.
La Madeleine à la veilleuse, Georges de la tour

Tout d’abord, notons dans notre rap l’omniprésence de la mort. En effet le rap Charbon est traversé
et mû par la violence et la mort. Cette omniprésence de la mort, même en creux à travers la violence,
s’explique par le fait que Booba souhaite faire réfléchir son auditeur sur la mort et sur la précarité de
notre vie. La violence et la mort sont très présents d’abord par un champ sémantique très
développé : « l’47AK », « avale les bombonnes », « fume-le », « jus de bagarre bang bang
bang » ,« assassinat », « glock », « l’crime » et « tunnel ». Le tunnel est dans croyance populaire vu
comme l’entrée dans la mort. On a aussi une allusion en miroir des armes du gangster et du policier
« leur arme.. ton arme » pour mieux les rapprocher et les présenter à égalité face à leurs sorts. En
effet l’existence de tout Homme est précaire. Notre vie est une forme d’emprisonnement délimité
par notre naissance et notre mort. La fin de notre vie, comme le début, sont imprévisibles, nous ne
savons ni quand ni comment nous allons naître et mourir. Emprisonnés dans nos existences
précaires, Booba nous invite à nous interroger sur la vanité de notre existence avant de nous engager
et de prévoir un avenir que nous ne verrons pas forcément « verras-tu le bout du tunnel ?». Dans
notre texte le tunnel est l’image qui matérialise notre prison existentielle. Le « bout du tunnel »
serait la liberté mais les Hommes y auront-ils accès vraiment après leur mort ? En effet le bout du
tunnel dans les croyances populaires est très lié à la mort donc par habitude l’auditeur peut relier la
mort avec la fin de cette prison qu’est la vie. Ainsi Booba nous pousse à nous demander si la mort est
une vraie forme de libération. L’allusion au tunnel appuyée de la comparaison à Joaquin Guzman dit
« El Chapo » calque et scelle définitivement le destin de l’Homme et du gangster comme étant les
mêmes destins. Joaquin Guzman est le gangster qui s’est évadé de prison en creusant un tunnel
étroit et rudimentaire qu’il a pu traverser sans doute avec angoisse. En ce sens, l’existence des
Hommes est totalement précaire à l’image de la vie gangster qui peut mourir, se retrouver en prison,
séquestré par ses ennemis à tout moment « tu peux t’faire fumer demain, tu pars d’un
prévisionnel ». On sent une pointe d’ironie et d’humour noir car Booba utilise un terme propre au
négoce pour parler de la vie humaine. Tous conscients de notre mort, nous avons dès la naissance
comme un prévisionnel qui prévoit notre mort certaine. La précarité existentielle, la mort et la
violence remettent tous les hommes sur le même pied d’égalité. En filigrane on remarque une
réflexion sur la mort au travail. Les pompiers, policiers qui sont morts en travaillant, les mineurs
morts dans les mines, les travailleurs morts à cause de l’amiante, ou plus récemment les travailleurs
qui se suicident suite à un Burn out sont à l’image des gangsters tués par la police. Cette
ressemblance sert à confirmer que le gangster n’est qu’un alter ego de du citoyen ordinaire.

L’Homme est présenté comme pécheur car il est limité. En effet l’Homme est limité par son existence
précaire. Comme l’Homme est limité, il n’hésite pas à fauter pour obtenir les choses auxquelles il
tient comme l’argent. Ainsi l’Homme est tourmenté car il est contraint parfois de faire le mal pour
son propre bien. Le gangster peut être amené a être violent, cruel ou assassin pour défendre son
territoire ou gagner plus d’argent. Dans notre rap le gangster n’a pas de remords à contraindre la
« mule » à avaler « les bombonnes, gout du latex à la bouche ». Obligé de faire le mal à contre cœur,
l’Homme est représenté comme torturé. En effet le gangster fait le mal en vendant de la cocaïne car
tous ces clients, malgré la variété de leurs profils, exigent uniquement de la drogue dure pour mieux
supporter leurs existences vaines et souffrantes « tu fais dans la coco personne a l’temps pour la
douce ». Tous les Hommes font le mal inévitablement et commencent en se faisant du mal à eux
même. Non seulement l’Homme a une existence précaire mais en plus l’homme connait une
existence de souffrances. En effet, « personne a le temps pour la douce » veut dire que tous, même
les Hommes qui ont les conditions de vie les plus favorisées, souffrent entre autre de leur existence
précaire et utilisent des alternatives comme la cocaïne pour supporter leur existence. La précarité de
nos existences est une preuve de notre manque de liberté et de notre emprisonnement réel qui nous
fait tous souffrir.

Tous deux, le citoyen comme le gangster errent car ils sont entachés par le péché originel.
Rappelons-nous que tout au long de notre poème, un parallèle est établi entre les Hommes
« normaux » et les gangsters, tous contraints de fauter parfois à leur insu, pour survivre. Ainsi, Booba
fait fusionner la figure de l’Homme et du gangster en un, car tous deux fautent et tous deux
connaissent une existence précaire et un emprisonnement réel. Booba utilise une authentique
punchline pour assimiler ses auditeurs à Joaquin le grand criminel « dans le crime comme Joaquin »
comme pour nous faire comprendre que nous autres ne valons pas mieux que les gangsters, quel que
soit notre fonction dans la société. Le gangsta rap en entier est établi sur cette fusion entre la figure
du gangster et de l’Homme. Cette fusion est faite en mobilisant des principes chrétiens. La fusion de
l’image du gangster et de l’Homme a aussi servi à remettre sur un pied d’égalité voire à identifier les
américains blancs aux afro-américains au moment où le gangsta rap est né au début des années 90.
En effet au début des années 90, le gangsta rap est né car le racisme faisait rage aux Etats Unis et la
violence policière n’avait de limite que la mort. Le rap et le gangsta rap sont nés quand les rêves
d’égalité de Martin Luther King et de Malcolm X se sont écrasés sur le mur racisme structurel et
systémique de nos sociétés. Le rap et le gangsta rap correspondent à une période d’amertume
intellectuelle et sociale, à une « défestivisation » de la musique afro-américaine. On pouvait danser
sur le Blues, on dansait beaucoup sur le Jazz et sur le Rock mais on ne danse plus sur le rap compte
tenu de ses paroles parfois éminemment politiques, violentes et de sa forme hiératique. Cette vision
égalitariste des Hommes propre au gangsta rap est un écho aux religions abrahamiques d’après
lesquelles tous les Hommes sont égaux donc aucun n’est en mesure de juger son prochain, seul Dieu
peut juger les Hommes. Le gangster est un Homme et un travailleur presque comme les autres. Tous
les Hommes sont à l’image de Joaquin Guzman, entachés par le péché originel, contraints de fauter,
consciemment ou non, au cours de leur existence car tous les Hommes sont imparfaits et limités. La
précarité existentielle mets tous les Hommes à égalité. Booba le rappeur libre n’a peur ni des mots,
ni des Hommes, ni de dieu et se permet une réflexion de philosophique sur la vie humaine. Notre rap
est une réflexion philosophique car Booba nous partage une vision du monde et de notre existence
humaine qu’il décrit comme un « emprisonnement est réel, liberté conditionnelle ». En ce sens notre
précarité existentielle remet tous les Hommes à égalité. Il n’existe plus ni classe, ni fortune, ni mérite.
Bien sûr cette vision du monde est très discutable. Les riches et les pauvres ne sont pas égaux, dans
une certaine mesure, face à la maladie et à la mort. Cette prison est aussi celle du déterminisme
social qui fait que certains vont finir policiers et d’autres gangsters. D’après le tableau qui nous est
dépeint par Booba, le déterminisme social n’empêche pas que le travail, qu’il soit légal ou illégal,
remettent les Hommes à égalité car le policier en fonction risque autant sa vie que gangster. Cela
n’est pas dépourvu de symbolique quand on sait que dans les années 90 et jusqu’à aujourd’hui le
métier de policier est un métier « de blancs », voire touchée par des idéologies racistes et que les
activités de gangsters sont souvent endossées par des hommes de couleurs, afro-américains aux
Etats-Unis et hommes issus de l’immigration en France.

Juste pour donner une idée : https://www.hrw.org/fr/news/2023/09/29/le-racisme-au-sein-de-la-


police-en-france-necessite-une-surveillance-internationale

Dans le gangsta rap on pratique la purification par la prière et la mortification. En effet l’Homme est
pécheur et s’inflige des souffrances pour compatir avec ses frères les autres Hommes. L’auditeur de
rap accepte les dures vérités et reçoit la violence du rap avec plaisir pour accéder à une forme de
clairvoyance supérieure dans laquelle on sentirait instinctivement le sens de la vie. La mortification
est une forme de violence qui met les Hommes à égalité. Quand Booba nous rappelle que notre
corps peut partir en fumée à tout moment « Tu peux t’faire fumer demain », le pronom « tu »
concerne le gangster dont il chante dans notre rap, l’auditeur qui s’identifie au gangster parce que sa
vie est vraiment palpitante et enviable. Le pronom « tu » revêt même une troisième fonction plus
impersonnelle et englobe tous les Hommes dont la mort peut intervenir à tout moment. Dans le
gangsta rap on remarque la violence que s’infligent les Hommes entre eux et qui est interprétée dans
le gangsta rap comme une forme de mortification naturelle « coup de spray, pas assassinat » ou
encore « Pétasse… passe l’47 AK ». En effet les Hommes sont violents entre eux comme pour se faire
purger l’erreur d’Adam et Eve. Cette violence c’est aussi la violence de la misogynie avec des insultes
comme l’apostrophe « Pétasse ». En effet les insultes et allusions aux violences sexuelles à l’égard
des femmes est monnaie courante dans le gangsta rap. Ce n’est pas pour encourager au sexisme. Le
gangsta rap utilisa la figure de la femme comme une figure sacrificielle car elle cristallise le fait que
nous naissons tous du péché. Par conséquent, en enfantant, les mères perpétuent le péché et
l’espèce humaine qui est présentée dans le gangsta rap comme une espèce nuisible autant pour elle-
même (en effet c’est l’homme qui a inventé et pratiqué la haine raciale jusqu’à l’esclavage) que pour
la planète ou les autres animaux. La figure de la femme traditionnellement associée en littérature et
en peinture à l’amour, la beauté et la fertilité et la vulnérabilité dans nos cultures américaines,
européennes et arabes est une figure torturée dans le gangsta rap, sciemment pour nous faire
souffrir. En effet le gangsta rappeur aime faire souffrir ses auditeurs en torturant sa figure préférée
celle de la femme aussi mère ou amoureuse. Cette souffrance fait partie des mortifications que doit
subir l’auditeur de rap dans son parcours d’ascèse. La violence verbale du rappeur envers ses
auditeurs et parfois contre lui-même est aussi une forme de violence qui sert à nous mettre sur un
même pied d’égalité c’est-à-dire à notre niveau d’Hommes pécheurs, nés du péché. Dans notre rap, il
n’y a pas d’insulte claires contre le rappeur ou ses auditeurs mais la comparaison sans concession du
gangster/auditeur au criminel Joaquin Guzman « dans le crime comme Joaquin » peut être perçue
comme insultante par certains qui tentent tous les jours d’agir bien notamment les personnes qui
travaillent dans les métiers où il est questions de sauver la vie des Hommes comme médecin,
pompier, infirmier ou encore policier.

Outre le travail autour des différentes méthodes de mortification utilisées dans notre rap, celui-ci a
aussi par sa forme et son fond, l’apparence d’une prière d’aujourd’hui. Le gangsta rap est un genre
poétique qui est né après des siècles d’esclavage de ségrégation et de racisme. Les esclaves africains
déportés étaient tenus dans une servitude physique par des châtiments et mentale par le biais de la
religion chrétienne qui leur a été imposée. Les esclaves n’avaient pas le droit de réfléchir sur des
problématiques intellectuelles ou, philosophiques ou religieuses. Les esclaves devaient se contenter
des réponses chrétiennes de leurs maîtres pour mieux comprendre le monde. Les esclaves ont été
contraints d’oublier leurs croyances, coutumes, langues et pensées au moment de leur déportation
en Amérique. Les esclaves, privés du droit de réfléchir et de partager leurs idées, devaient aussi
s’adresser à leur maître-bourreau avec respect, révérence et obéissance. En ce sens insultes,
blasphèmes, jurons, menace et autre tournure audacieuse et vocabulaire fleuri ne devaient pas sortir
de la bouche d’un esclave ou d’un employé afro-américain pendant la ségrégation. C’est pour cette
raison que les gangsta rappeurs dont Booba, ne portent pas un vrai message religieux mais plutôt un
message qui porte les stigmates d’une religion à laquelle on a dû croire par la force mais à laquelle ils
ne font plus confiance car ses représentants les ont trahis. En effet le Vatican a, plusieurs fois dans
l’Histoire toléré voire autorisé l’esclavage. On retrouve de nombreux détails formels dans notre
gangsta rap qui trahissent les racines littéraires religieuses du rap. Tout d’abord nous avons abordé
les méthodes mortificatoires pour accéder à la Vérité. D’autres aspects formels de notre rap comme
les répétitions de « charbonner » et de « je suis au charbon » confèrent à notre rap l’allure d’une
prière dans laquelle on vénère le travail qui nous fait tous souffrir à égalité. Ces répétions sont
davantage récurrentes vers la fin du poème comme si le poème était coupé en deux. En effet nous
avons l’impression d’une première partie narrative et d’une seconde partie qui commence après
« divisionnaire » et se termine avec « juste ça ». La seconde partie du poème qui est une pure prière
est constituée de répétitions des termes autour du principe le plus important que Booba nous invite
à vénérer : le travail. En effet nous lisons des répétitions des termes « charbonner » dix-huit fois, « je
suis au charbon » vingt-quatre fois, le terme « C H A R B O N » est épelé deux fois et le nombre « 3 6
5 » est épelé quatre fois. Le mot CHARBON et le nombre 365 sont épelés car le poète nous invite à
peser le moindre de leurs sons qui les composent pour mieux les percevoir, intégrer et vénérer. Le
sujet du poème est un sujet déjà anciennement religieux et sacré. Déjà dans l’antiquité le poète
Hésiode s’est appuyé sur les travaux des champs et leurs organisations dans le temps pour produire
le poème sapiential Les travaux et les jours. Dans le rap, la rue ou le « terrain », symbolise la Terre
des Hommes « Toute la journée dans la street » qui ouvre le rap sert à poser le cadre spatio-
temporel du rap qui va raconter la vie d’un Homme sur Terre. Ainsi il est ancien de relier le travail, sa
dureté et son organisation dans le temps à une forme d’élévation de l’âme humaine. La monotonie
apparente avec les répétitions des rimes en « ou » avec « mula », « kush », « souche », « bouche »,
« source », « housse », « gousse » « tousses », « course », « douce », « bourse », « double,
« bougre », « poudre », « roubles », « coupes » et « Massoud » ou « on » avec les répétitions du
terme « charbon » rappelle les prières ânonnées pas les moines chrétiens ou bouddhistes. Les
rythmes de ce rap invitent à l’écoute et à la réflexion comme la récitation d’un rouleau tibétain. Un
second rap en deux parties comme le nôtre existe dans la rapographie de Booba c’est « Comme les
autres ». Dans le rap « Comme les autres » le rappeur Booba prie « que dieu me punisse, d’être
comme les autres » et use de nombreuses répétions.

Outre la violence verbale et physique décrite dans le gangsta rap, le rappeur énumère la liste de ses
renoncements. En effet, comme un moine, le gangsta rappeur nous fait part dans son rap des biens
de ce monde qui ne lui font plus d’effet. Dans notre rap Booba décrit le gangster comme n’ayant
« pas l’ temps pour Massoko » soit les femmes réduites à leurs fesses « massoko » et la famille que le
gangster pourrait fonder avec celle qu’il désigne par l’insulte « pétasse ». Booba nous décrit un
gangster qui « s’en fous du reste » étant donné qu’il est accaparé par l’idée de préserver son
territoire et l’argent que ce terrain lui génère. Les renoncements que le gangster fait le rapproche de
la figure d’un religieux tout entier à son travail, le travail étant aussi une forme de mortification
pratiquée tant par les moines chrétiens que reconnue comme telle dans d’autres religions
abrahamiques comme l’Islam. En effet le gangster est comme tous les autres Hommes empêtrés
dans sa matérialité et a des besoins autour de l’alimentation, la sexualité ou le sommeil à satisfaire
par l’argent. Cette vénération du travail nous vient du fait que Booba nous montre le travail comme
une manière saine de se mortifier et un vecteur d’égalité. En effet le travail met sur le même plan
d’égalité le gangster et le policier, tous deux armés à la ceinture, tous deux contraints à l’humilité. En
effet le policier est contraint de s'agenouiller au sol pour retrouver les souches des « geush » et le
gangster est contraints aux pires bassesses pour maintenir sa place « coup de spray, pas assassinat ».
Rappelons qu’il n’existe pas de spray pour faire disparaitre l’odeur d’un cadavre et qu’il est fait
allusion ici au spray désodorisant qu’on utilise dans les maisons, voitures et surtout dans les toilettes
pour camoufler l’odeur d’un crime. L’allusion aux mauvaises odeurs et à la nécessité que nous avons
de les camoufler est un détail qui souligne notre matérialité et notre animalité. L’Homme un être
d’odeur, de poussières et de sons. Le travail est montré comme une nécessité pour notre existence
mais aussi un vecteur d’égalité et l’outil de notre mortification. Dans notre rap le gangsta-rappeur
répète trois fois que le gangster fait son argent « juste ça ». Le sens restrictif de l’adverbe « juste »
démontre le caractère exclusif et sacrificiel de l’activité de vente de drogue à laquelle s’adonne le
gangster au détriment e tout autre activité personnelle ou professionnelle. Cette expression est
renforcée par l’hyperbole « Rien d’autre » à la toute fin du rap qui achève l’image d’un gangster
entier à son activité illégale « Tu t’en fous du reste » et « juste ça » répété jusqu’à la fin du poème
décrivent comment le gangster a dû renoncer à de nombreuses choses sur son chemin de l’ascèse. Le
rappeur a aussi dû renoncer à sa mère car « Ta mère a bien compris que son fils serait plus le
même ». Le gangster a dû renoncer à une partie de lui-même, aliéné par son train de vie et son
métier qui l’a rendu cruel et impatient. Le gangster se sacrifie pour son travail. Dans notre rap il est
même fait allusion au « placard » terme argotique pour désigner la cellule de prison qui n’est pas
sans nous rappeler sa ressemblance physique et de finalité avec la cellule du religieux. Le gangster a
ses ennemis sur les côtes par conséquent c’est un homme tourmenté et inquiet « passe moi l’47 ak
en douce ». Le gangster à l’image de tous les Hommes emprisonnés dans leurs existences incertaines
est inquiet et ses clients dépendants n’ont pas « l’temps pour la douce ». Les « gueush » décrits dans
notre poème se détruisent la santé et en particulier le cerveau avec des psychotropes puissants et
néfastes pour sortir de leur quotidien (notamment au travail) sans doute encore plus pénible. Le
gangster a renoncé aux liens familiaux tant à son ascendance qu’à sa descendance. Le gangster est
aliéné par la vie qu’il mène dans la Rue et même s’il aime et respecte sa mère il renonce à la rendre
heureuse en embrassant une carrière plus paisible. Le gangster renonce à la reconnaissance de sa
réussite « personne te félicite ». En effet le gangster sait qu’en gagnant sa vie dans l’illégalité
personne ne va le féliciter mais il se rétribue largement en s’achetant des véhicules et bijoux de rêves
et en fréquentant les plus belles femmes qu’ils exhibent lors de leurs apparitions publiques.

En effet tous les Hommes sont contraints de fauter ici-bas ne serait-ce que par son travail car il est
limité et ne voit pas toujours tout le mal qu’il fait c’est ainsi que nous sommes tous « dans le crime
comme Joaquin ». Cette comparaison peut être choquante pour certains qui ne souhaiteraient pas
être assimilés à ce type de criminel. C’est un énième détail dans notre rap qui blesse l’auditeur pour
que souffrant il se sente davantage exister. Le rap c’est faire souffrir l’auditeur notamment en
l’obligeant à s’interroger sur des problématiques éminemment philosophiques, jusqu’à qu’il atteigne
une forme de lumière. On n’est pas loin des mortifications des moines et religieuses chrétiennes très
en vogue au XVIIème siècle. L’auditeur doit passer par un chemin d’ascèse que le gangsta rappeur a
traversé. La question oratoire « verras-tu le bout du tunnel » sert à inviter l’auditeur à la réflexion sur
un sujet dont on préfère se détourner c’est à dire comment faire le Bien et comment accepter le fait
que nous sommes mortels. Le gangster et par extension l’Homme qui est décrit dans le rap de Booba
est tourmenté par son existence précaire mais instinctivement attiré par la musique qui nous unit
tous en dépit des langues et nous permet parfois d’accéder à une forme de Lumière.

b) La contemplation par la matière : l’animisme

Définition de l’animisme : Système de pensée qui considère que la nature est animée et que chaque
chose y est gouvernée par une entité spirituelle ou âme.2

Tout d’abord on rit sur le corps. En effet Booba finit son poème avec un trait d’humour gaulois.
L’humour qu’on attribue aux gaulois c’est l’humour grivois en français. Avec l’infinitif « prendre en
levrette missionnaire le commissaire divisionnaire » le dernier vers du rap a l’allure d’une injonction.
Cette injonction finale est une blague gauloise que Booba utilise pour marquer son territoire. Ainsi la
littérature et la langue française deviennent le territoire de Booba. Cette blague très près du corps
sert à rééquilibrer la balance. Booba s’approprie et pratique l’humour appartenant aux « gaulois »
qui l’ont tant rejeté. En effet, les français racistes s’imaginent descendre des gaulois depuis la
parution de la BD Astérix et Obélix. Les racistes s’imaginent être des gaulois bien qu’ils ignorent tout
de la vie, des coutumes, des croyances et de la langue des Gaulois par manque d’éducation et
d’instruction. Booba a même l’audace d’utiliser l’humour gaulois contre les gaulois c’est-à-dire une
des corporations les plus impliquée auprès des mouvements nationalistes et souvent accusées de
violences policières racistes. Aujourd’hui en France les corporations de la police et de l’armée sont
gangrénées par les idéologies racistes. Outre la vengeance littéraire, notre rap fait émerger des
concepts philosophiques et un point sur l’Histoire de la pensée. C’est en s’appuyant sur une poésie

2
https://www.cnrtl.fr/definition/animisme
proche de la matière que Booba, à l’image d’un prophète, délivre des messages et accompagne son
auditeur vers la contemplation. Le vers « l’emprisonnement est réel, liberté conditionnelle » nous
pousse à nous questionner sur la liberté. La liberté est-elle la mort au bout du tunnel ? La liberté est-
elle après la mort, une fois libérés de notre corps ? La liberté est-elle la liberté de penser grâce à l’art
du rap, arme intellectuelle incontestable ? La liberté est-elle la réflexion et la capacité à penser ? La
liberté conditionnelle qu’a évoqué Booba est-elle la liberté limité offerte par notre intelligence qui
nous permet d’appréhender les contours de notre monde et de mener à bien le Progrès. En effet
Booba se permet de réfléchir sur des problématiques existentielles. L’expression « bout du tunnel »
n’est pas sans rappeler le thème de la mort dans les croyances populaires actuelles. Booba enfonce
le clou « l’emprisonnement est réel, liberté conditionnelle ». Le verbe « être » au présent de vérité
général et le parallélisme des constructions de part et d’autre de la césure nom+ adjectif, nom+
adjectif donne l’allure d’un proverbe à ce vers. Ainsi cette punchline reste marqué dans l’esprit de
l’auditeur sans même qu’il le veuille. En outre ce vers arrive à la fin du rap donc l’auditeur sens que
les choses les plus importantes risquent d’être dites à la fin, sont attention est particulièrement
sollicitée à ce moment. Booba nous répond que nous ne verrons peut-être pas la fin du tunnel et que
nous mourrons emprisonnés dans ce tunnel. Le tunnel, métaphore de notre existence, peut
matérialiser par sa longueur indéterminée et sa froideur notre existence possible par le travail que
nous devrons effectuer jusqu’à extinction de nos capacités physiques et l’univers impitoyable du
travail. L’image du tunnel en pierre, espace privé de lumière, confiné, fait de matière minérale,
confère un caractère hostile au lieu où se déroule notre existence. En effet, aucun espoir qu’une fleur
ne pousse dans un tunnel à la longueur indéfinie. En ce sens Booba nous dépeint une existence
humaine sans espoir, rien de beau ne peut advenir, aucune couleur, aucun parfum, aucune lumière
n’égaie notre existence. La vie humaine peut connaitre des joies éphémères mais l’existence
humaine reste quelque chose d’humble, sans fioriture possible et limité à tout point de vue (durée,
espace…). L’ambiance dans le tunnel ressemble à celle de L’Espace (au-delà de l’atmosphère). En
effet, sans notre atmosphère nous serions privés d’oxygène, dans le froid, plongés dans le noir sidéral
car c’est essentiellement ce dont est fait l’univers d’où nous venons et dans lequel nous
retournerons. La Terre étant un îlot qui nous abrite de manière temporaire. L’existence de l’Homme
dans notre rap est figurée par un tunnel comme celui que Joaquin Guzman a traversé pour accéder à
la liberté. Le tunnel dans notre rap est la métaphore de la prison de notre existence dont les
extrémités nous échappent. Le tunnel c’est aussi l’image du travail d’ascèse que le rappeur propose à
ses auditeurs. Ce tunnel obscur c’est notre existence effrayante dont nous ne maitrisons ni le départ
ni la fin. La maladie (preuve de notre matérialité), les épreuves de la vie et la mort peuvent nous y
surprendre à tout moment. Le tunnel dont il est question est aussi l’image de cette période qu’est la
vie où l’on est contraints de faire le mal, ou de faire des actions qui ne correspondent pas à nos
principes, à nos devoir et à nos prétentions justes pour pouvoir subvenir à nos besoins premiers.
L’Homme est résolument un être de matière. En effet, le tunnel obscur de notre existence ne nous
permet aucune lecture au-delà de nos sens limités bien que nous évoluions dans un univers infini,
complexe et en expansion! Toute notre vie nous progressons dans un espace restreint. Aucun
Homme ne prend plaisir à réfléchir sur la finalité et sur la finitude de son existence comme le rap
nous incite à faire. C’est ainsi que le rap nous fait souffrir d’une souffrance métaphysique et
spirituelle. Du temps de l’esclavage, l’esclave devait n’avait pas le doit de réfléchir ou de s’exprimer
librement. Même libre l’Homme a-t-il le droit de réfléchir sur la liberté qu’il n’a pas car il est
emprisonné dans son corps ? L’esclave devait embrasser la religion chrétienne de son maître et lui
obéir malgré les mauvais traitements. L’esclave n’avait pas le droit comme prévu dans les religions
Abrahamiques de souhaiter par la pensée ou par les mots malheur à son maitre au risque d’être puni
par Dieu. En effet dans les religions abrahamiques on ne peut pas formuler une prière ou de pensées
souhaitant le malheur d’un autre homme car Dieu n’exauce que les prières allant vers le « Bien ».
Ainsi, l’esclave avait l’obligation d’être bienveillant par ses mots et ses pensées envers son maitre en
dépit des injustices que celui-ci lui faisait subir. Aujourd’hui dans le gangsta rap, Booba n’a pas peur
de dire « tue -les, tue-les tous » dans TLT. C’est une esthétique contrapuntiste et matérialiste
développée dans notre poésie qui est mise en œuvre pour nous guider jusqu’à cette une réflexion
philosophique existentielle finale. Notre gangsta rap développe une esthétique contrapuntiste qui a
pour but de nous faire revoir notre échelle de valeurs et d’accéder à une forme de Vérité. L’humour
noir au sujet d’une violence sexuelle « prendre en levrette missionnaire le commissaire
divisionnaire » , la « laideur » par l’usage de de vulgarités « Pétasse » et de détails triviaux concrets
« aux arrivants tu tousses », par l’allusion et la provocation de la douleur « coup de s’pray pas
assassinat » ou « gout du latex à la bouche » et le travail sur la musicalité (rime en ou et rimé en é
vues plus haut) participent à l’apparition d’une esthétique du contrepoint où des contraires se
répondent et d’une poésie matérialiste. En effet c’est à partir de la matière humble qu’est le gangsta
rap qui raconte la vie d’un Homme qui commet le pécheur que nous sommes guidés vers une
réflexion et des considération supérieures. Le matérialisme s’illustre aussi par le thème de la prison
corporelle n’est pas sans rappeler le concept philosophique d’après lequel « le corps est le tombeau
de l’âme » selon Platon. Cette prison corporelle, prison matérielle nous fait souffrir. Le thème de
l’emprisonnement au sens large d’entrave n’est pas sans rappeler la Traite des Noirs, réduits en
esclavages par des entraves, des châtiments, la déportation et la privation de liberté de mouvement.
Ainsi on peut lire l’existence humaine à la lumière de la vie des gangsters et de la vie des esclaves
comme Gnawa. Gnawa est une confrérie religieuse qui descend d’esclaves déportés au nord de
l’Afrique et qui s’appuyaient sur le concept musulman d’après lequel tous les Hommes sont les
esclaves de Dieu pour chanter l’existence humaine et rétablir l’égalité entre eux et leurs maitres
factices, le seul vrai maitre étant Allah. En somme, l’Homme est obligé de fauter et de mourir au
cours de son existence pénible. Cependant notre poème développe un contrapuntisme varié.
L’alternance entre le ton de l’humour et un ton plus sérieux stimule la réflexion chez l’auditeur.
L’esthétique du contrepoint est aussi développée grâce à la proximité entre le bien et le mal parfois
inextricablement entremêlés par des éléments matériels. En effet, par le parallélisme des
constructions « Tu l’as à la ceinture H, leur arme est dans la housse » la ressemblance entre gangster
et policier est saisissante. En effet, ceux-ci se ressemblent par leurs équipements (armes à la
ceinture) et par l’ingratitude de leur travail qui met leurs vies en danger. Bien que le policier travaille
pour le bien de la société et que l’autre œuvre à sa perte, tous deux sont des Hommes prêts au
fratricide pour effectuer leur travail. Le bien et le mal sont adossés à deux personnages qui se
ressemblent et qui sont fondamentalement la même chose : des Hommes. Comme nous l’avons vu
plus haut l’esthétique du contrepoint réside aussi dans le fait que le gangsta rappeur évoque des
réalités sombres, des plaisirs coupables comme la vengeance, une vie dissolue et tournée vers le vice
tout en nous les montrant sous leur meilleur jour comme des choses désirables. La vie de gangster
décrite par le gangsta rappeur est désirable car il a le monde a ses pieds, les plus belles femmes, pas
d’engagement avec le mariage, il a les armes, les voitures, les montres, la richesse. Le gangster
incarne le côté obscur de notre société et de l’Homme. Le simple fait d’évoquer l’existence du
gangster par ses aspects matériels en vue de susciter une réflexion philosophique existentielle est un
contrepoint. Nous partons de la matière « glock » « accroupi » « charbon » et nous nous dirigeons
vers le monde des Idées « liberté conditionnelle ». La vie du gangster et la figure du gangster est une
clé pour comprendre la vie de l’Homme en général.

L’homme souffre de son existence vaine mais aussi par son corps. Le corps est un élément primordial
dans le gangsta rap. Dans le gangsta rap il est souvent fait allusion au corps par ses caractéristiques
les plus triviales de sorte à nous rappeler notre matérialité. La seule évocation du corps par le biais
de la violence ou du trivial faut souffrir l’auditeur. L’humiliation physique et la sensation de douleur
comme les esclaves ou les religieux ont pu l’éprouver par le biais de châtiments ou de mortifications,
est un chemin pour accéder à la vérité, à un état final de sagesse et de clairvoyance portant sur notre
existence. Nous avons vu plus haut que le gangsta rap invoque différents types de violence et ainsi
génère de la violence pour mortifier et purifier les Hommes. La douleur et la souffrance servent à
nous rapprocher de la Passion du Christ. En effet dans notre rap nous avons vu qu’il est fait allusion à
de la violence misogyne « Pétasse bring mon jack », de la violence entre Hommes « avale les
bombonnes, goût du latex à la bouche » vers dont l’effet synesthétique rappelle la traite humaine
d’aujourd’hui. Dans notre rap le corps est mal traité, déshonoré et désacralisé. Booba insiste sur sa
matérialité pour en souligner l’humilité « accroupi aux arrivant tu tousses ». « Accroupi » c’est
littéralement se mettre au niveau de l’humus. Dans ce vers le corps est un « objet » qui sert aux
policiers à vérifier que le prisonnier ne transporte rien dans son corps mais c’est aussi une pratique
très humiliante autant pour le prisonnier que pour les policiers. En effet les prisonniers cachent dans
leur corps des objets qu’il est interdit de se procurer en prison. Utiliser le corps comme un
« véhicule » pour y dissimuler et transporter des objets vulgaires (armes, téléphone, drogue) met le
corps humain au même niveau qu’une valise. Le prisonnier comme la mule nos prouve que notre
corps véhicule dans lequel notre âme, notre cœur, notre intelligence, nos sentiments, nos sensations
voyagent toute notre vie est un objet comme les autres, utile et obsolescent. Toutes ces allusions aux
violences physiques sont des actes de violences physique exercée sur l’auditeur qui s’identifie par
empathie aux différents protagonistes du rap. L’évocation de la drogue, pomme de la discorde entre
gangster sert aussi à rappeler la matérialité du corps humain car tous les hommes sont susceptibles
d’être addicts aux mêmes rogues et donc susceptibles de connaitre la même déchéance et souffrance
physique et mentale propre à l’addiction. Les drogues et le malheur qu’elle apporte sert aussi à
rappeler que l’Homme est emprisonné dans un corps qui ne connait que les lois de la physique et de
la chimie. Le gangster, Homme aux prises avec les injustices de sa société et sa femme qui
normalement devrait symboliser l’amour et la fertilité sont tous deux maltraités, violentés de façon si
injuste que tout homme s’y identifie car ils sont les jouets du sort. L’auditeur de rap s’identifie aux
protagonistes du rap car il est un homme comme eux et comme nous l’avons vu plus haut le rappeur
use de procédés littéraires pour brouiller les frontières entre rappeur, gangster et auditeur avec le
pronom « tu » et une énonciation complexe. Dans le rap, on place l’auditeur à la limite d’une
violence physique. En effet, dire la violence c’est comme l’exercer en vrai. Le rappeur s’appuie sur le
pouvoir performatif des mots pour rendre la violence qu’il chante la plus concrète possible. Quand
un rappeur chante une violence esthétisée, c’est conçu par ses auditeurs comme si la violence était
faite en vrai. C’est pour cette raison que le gangsta rap a longtemps été victime d’accusations telle
que « musique qui incite à la violence », « musique insupportable par sa monotonie, sa langue
vulgaire et ses propos violents »3. Nous avons pu remarquer aussi que Booba évoque une forme de
violence sociale car le gangster est illégitime et le policier est légitime. En effet ces deux métiers aux
instruments et risques similaires sont perçus différemment. Certains par « chance sociale » se
retrouvent du côté des policiers acceptés par la société et d’autres par « malchance sociale » se
retrouvent du côté des gangsters. Bien que gangsters et policiers fassent presque le même métier le
gangster doit en plus assumer les conséquences du non-respect de la loi. Le gangster qui tue va en
prison mais le policier qui tue est protégé par la loi, sa corporation, sa déontologie et sa mission de
service public4. Pour finir, nous pouvons évoquer la violence verbale et psychologique avec les
insultes que nous avons étudié plus haut. C’est aussi pour nous insulter et nous faire souffrir que le
gangster insulte sa femme de « Pétasse » gratuitement et un collaborateur apparemment peu

3
https://www.bfmtv.com/people/musique/booba-vise-par-des-appels-au-boycott-apres-l-annonce-d-un-
concert-au-maroc_AN-202303220347.html
4
https://www.bfmtv.com/police-justice/mort-de-nahel-l-argent-de-la-cagnotte-a-ete-verse-mais-n-a-pas-
encore-ete-depense_AV-202309140058.html
scrupuleux de « bougre ». Dans d’autres rap les insultes peuvent aller jusqu’à des propos
blasphématoires pour heurter les croyants et les mettre dans une situation d’inconfort afin qu’ils
réfléchissent « pauvre Marie était vierge, elle m’a snappé les doigts dans la chatte » dans le rap
Azerty. Soulignons quand même que Booba parle d’une Marie vierge et pas forcément de Sainte
Marie, la mère de Jésus. Encore une fois les croyants imprudents sont allés trop vite en accusant
Booba de blasphème. Mais que vaut la ferveur d’un croyant imprudent et fou ? Dieu ne demande-t-il
pas aux Hommes de réfléchir et toujours être prudents ? Cette douleur causée par les mots traverse
notre esprit et nos membres et constitue un chemin d’ascèse que nous devons supporter pour
accéder à certaines vérités et à une forme de sagesse. Le salut de l’Homme apparait quand même
dans capacité à penser, réfléchir et à progresser. La souffrance nous met tous au même niveau car
nous avons tous un corps. Le gangsta rap se complaît à chanter la drogue, les armes, la violence et la
mort qui nous mettent tous à égalité. Très matérialiste, le gangsta rap est une discipline qui s’appuie
sur notre corps-matière pour générer de la douleur. La douleur suscitée par la violence esthétisée à
laquelle nous expose le gangsta rappeur peut aussi être vue comme une douleur esthétique ou
spirituelle car ce sont des lyrics malheureuses analysées par notre cerveau qui nous font souffrir dans
notre chair. En effet l’Homme étant un être de langage, il vit toute la réalité à travers le prisme de
son langage. La violence misogyne, les détails triviaux qui dégradent l’Homme comme le prisonnier
qui tousse pour prouver qu’il ne cache rien dans son anus, érigent la violence du gangsta rap à la
frontière entre la violence verbale « théorique » et la violence physique réelle et confirment notre
matérialité inacceptable. Notre matérialité nous permet d’accéder au chemin qui mène vers la
contemplation car c’est par la souffrance physique suscitée par les mots que nous accédons à une
forme de clairvoyance dans laquelle nous acceptons que nous sommes emprisonnés dans notre
existence précaire, mortels et égaux.

En ce sens, dans le gangsta rap en général on parler d’une esthétique Noire. En effet, le côté obscur
de la vie de gangster issu de milieux modestes et ayant réussi est rendu si beau par le rap que tout
homme pourrait avoir envie d’embrasser cette vie trépidante de gangster. La figure du gangster revêt
une grande noirceur car celui-ci est misogyne et violent « Pétasse, bring mon jack » enjoint-il à sa
compagne. Le gangster est aussi un homme violent et cruel « bang bang bang » pour reprendre le
pouvoir sur son territoire. Il minimise ses crimes « coup de spray pas assassinat » et utilise ses frères
Hommes comme des objets « avale les bombonnes gout du latex à la bouche ». Bien que mauvais, le
gangster reste celui qui a un « taureau sur le capot » et qui tout premier « dans la course » n’est
concurrencé par « peu de négros ». Pécheur mais béni, la figure du gangster permet de
développer une noirceur littéraire désirable qui n’est pas sans rappeler la couleur de peau de la
majorité des gangsta rappeurs et des rappeurs qui ont inventé le gangsta rap : la peau noire. C’est
par la littérature que ces artistes réhabilitent la couleur de leur peau longtemps méprisée par la faute
de l’esclavage. La littérature est une arme intéressante pour détruire le racisme contre les personnes
avec la peau noire. En effet c’est dans notre langage (et donc dans notre pensée) que nous portons
ces idées d’après lesquelles le noir est associé au mal. L’atrium sombre chez les latins a donné le mot
« atroce » en français. Jusqu’à aujourd’hui en français on parle de la Peste Noire, de la colère noire
ou encore de la misère noire. L’esthétisation de la noirceur sert à réhabiliter une couleur que, dans le
langage, nous avons méprisé et qui est la couleur de peau de ceux qui portent le gangsta rap. Dans le
gangsta rap le noir est associé à une idée du mal désirable doté d’un grand pouvoir. C’est grâce à
cette esthétique aux textures et musiques variées que l’auditeur du gangsta rap invente une forme
de Beauté Obscure qui nous permet d’accéder à une forme de Vérité. En effet le gangsta rap dépeint
une Vérité d’après laquelle le Bien et le Mal, le noir le blanc ou l’ombre et la lumière connaissent une
frontière floue, subjective et mouvante. Cette abolition de l’opposition noir/blanc a une finalité
égalitariste. L’abolition du Noir opposé au Blanc réunit les Hommes dans la couleur unique et pure de
l’humanité. Dans le gangsta rap c’est par une démarche paradoxale (contrapuntiste) que la beauté de
l’intelligence résulte de l’assimilation et de l’imprégnation de la « laideur » du discours gangsta rap
(thème de la violence, détails triviaux, langue très familière, usage d’insultes). C’est seulement après
ce processus de mortification et de catharsis que le gangsta rap nous permet d’accéder à une forme
de Pureté en mêlant le religieux et le profane. Le gangsta rap mobilise des références religieuses
quasi universelles, des techniques poético-musicale propres aux récitations pratiquées dans les
religions abrahamiques et des thèmes profanes très triviaux qui font allusion à notre matérialité.
L’usage même de notre matérialité dans le gangsta rap est un usage proche des mortifications de
religieux étant donné que le corps et la souffrance servent par l’empathie à nous mettre tous sur un
pied d’égalité et nous faire atteindre une sorte Lumière. Notre rap est un poème monocorde aux
thèmes réalistes et peu affriolants (la violence, la matérialité de l’Homme, la finitude de l’Homme par
exemple), qui nous force à ressasser ce qui nous fait souffrir pour prier. Souffrir pour expier nos
péchés est un sacerdoce chrétien qui rapproche les croyants de la Passion de Jésus Christ. Ainsi notre
rap est une prière « profane » qui s’appuie sur l’obscurité de l’Homme et sur la lumière de la pensée
pour nous élever. Dans notre vie de tous les jours, ce sont les surfaces faites de matière qui,
réfléchissant la lumière et faisant de l’ombre, nous servent de repères pour évoluer dans l’espace. En
ce sens l’ombre et la lumière caractéristique de notre monde de matière nous montrent le chemin
autant en littérature que dans la vraie vie. Le travail qui consiste à donner autant de valeur à l’ombre
et la lumière, permise par l’absence de matière, est une démarche animiste car c’est par la matière
que se forme notre réflexion. Pour finir, la souffrance est le propre du vivant. C’est parce que nous
souffrons que nous savons que nous vivons. Cette souffrance (par la violence, par la vanité de notre
existence, par l’injustice, par la mortification ou par la mortification par l’empathie propre au gangsta
rap) est obligatoire dans l’existence des Hommes et n’est pas sans rappeler le Péché Originel que
tous les hommes expient tous les jours ici-bas.

Le son est la matière première favorite du gangsta rappeur. Plus haut nous avons vu comment Booba
travaille les sons pour guider notre réflexion tout au long du rap. En effet les mots que le rappeur
utilise pour nous blesser sont formés de sons et il pose ses vers sur une instru c’est-à-dire une
musique rap. Bien que les mots ne soient malheureusement compréhensibles que par les locuteurs
de la même langue que Booba (le français de Booba intégrant des centaines de mots en langue
étrangère comme l’espagnol, le créole, le lingala, l’anglais…), la musique sur laquelle s’adossent les
vers est une langue universelle. En ce sens la musique est utilisée comme une langue primordiale.
Booba grâce, au gangsta rap, élabore une forme de religion de la Musique pour nous unir, nous
apaiser, ouvrir notre esprit vers une forme de spiritualité et anesthésier la douleur de notre
existence. Les sons des mots et les sons de l’instru sont de la matière car ils sont perceptibles par nos
tympans ou nos yeux si nous lisons les lyrics. En ce sens c’est encore par la matière-son que l’Homme
accède aux sens des mots, à la violence des mots puis à la sagesse. Booba crée une religion de la
musique, une religion universelle car la musique est la langue universelle. Autant impliquer la
matière pour comprendre des choses spirituelles n’est pas sans rappeler les traditions animistes
propre à certaines grandes régions d’Afrique et d’Asie. Même si la matière est une démonstration de
notre misère et qu’elle nous permet d’accéder à la sagesse, Booba aime enchanter la matière
« Glock, cocaïna, les deux font parler la poudre ». Par cette personnification, le glock, arme de poing,
et la cocaïne, psychotrope puissant, se retrouvent dotés du pouvoir de la parole. En effet le glock fait
parler la poudre car on entend une explosion (un son comme nos mots) au moment où la balle est
percutée. La cocaïne fait parler la poudre car cette simple poudre blanche contient une molécule qui
donne chair à tout un tas d’illusions dans le cerveau humain. Parler c’est aussi s’exprimer, ça va au-
delà de juste produire des sons pour transmettre un message. En ce sens le glock a le pouvoir d’offrir
à la poudre la capacité de s’exprimer comme un Homme donc presque de penser. En effet, la liberté
de s’exprimer est inextricablement liée à la liberté de penser. La cocaïne est une poudre qui permet à
certaines molécules de s’exprimer une fois dans le cerveau humain et d’engendrer des illusions qui
peuvent faire perdre tout repère à un Homme. La molécule de cocaïne s’exprime au contact de notre
cerveau comme la poudre du Glock et à l’image des Hommes dotées de la pensée. Cette chère
capacité de penser qui fait de nous des êtres différents est aussi détenue par des matières aussi
détestables que la poudre pour explosif et la drogue. Si on interprète cette double personnification
de la poudre et de la cocaïne à l’envers on découvre que l’homme est réifié. En effet l’Homme
s’exprime comme la poudre ou la cocaïne par la parole (sons) et il est fait de poussière (descendant
d’Eve et d’Adam êtres d’argile selon les religions Abrahamiques). Ce vers est une grande leçon
d’humilité. L’Homme est humilié comme on aime la faire dans les religions Abrahamiques. L’un dans
l’autre la matière est enchantée, l’Homme est désenchanté et humilié. Toutefois, l’Homme est décrit
comme fait de matière alors il demeure encore un peu « enchanté ». Le gangsta rap de Booba remet
l’homme à sa place dans l’univers, matière parmi les matières. Booba réutilise la croyance
vertigineuse et profondément ancrée dans notre culture d’après laquelle l’Homme est fait de
poussière d’argile. Il n’y a pas de place pour l’homocentrisme dans le rap de Booba. Booba se nourrit
des croyances proches des croyances Abrahamiques contemporaines d’après lesquelles l’Homme
n’est plus au centre de la Création ni au centre de l’Univers et met en valeur une forme d’animisme
où la matière est la chose la plus importante car elle nous constitue et nous permet d’accéder à une
forme de spiritualité.

Ainsi la matière sous toutes ses formes est un chemin vers une forme de spiritualité. La street
accouche d’Hommes nouveaux conscients de leur matérialité et de leur finitude. La musique est
érigée en religion car c’est la seule langue universelle (même certains animaux produisent des sons
et chants). Décidément avec Booba ça se passe toujours mal. Le gangsta rap une musique pour sortir
de ses gonds, s’adonner à des réflexions politiques, philosophiques, littéraires et spirituelle. Au-delà
de la réflexion, le gangsta rap, à l’image du gangsta rappeur avec ses femmes, joue avec nos
sentiments.

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