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Il est bien
admis que le rappeur est un créateur, un artisan du langage. Connu comme un grand jongleur de
ballon, Pacotille a une poétique qui rappelle celle des grands rhétoriqueurs. D’après Algridas
Julien Greimas et Joseph Courtés, « au sens courant, la poétique [Mise en gras dans le texte
initial] désigne […] l’étude de la poésie »3. Il appert que s’intéresser à la poétique reviendra à
relever dans un texte, ici le rap de Pacotille, des éléments propres à l’esthétique d’un poème. En
fait, les rappeurs se plaisent bien à écrire selon certaines contraintes : un défi académique. A
l’image des grands poètes, ils cherchent à être appréciés en faisant un minutieux travail dans la
rédaction4.
Cet effort est d’ailleurs reconnu par Julien Barret lorsqu’il écrit :
Si ce retour à la règle est illustré de façon évidente par l’Oulipo et ses écrivains, qui
ont fondé leur pratique littéraire sur l’obéissance aux contraintes les plus improbables
et la conception de processus littéraires nouveaux, le rap, derrière son apparente
désinvolture, procède lui aussi, certes différemment et de façon moins précise, de
certaines règles. Finalement, en faisant de la rime sa caractéristique majeure, le rap
réactive les caractéristiques originelles de la poésie : une poésie technique, lyrique et
accentuée.5
Le rap, malgré une certaine critique qui la conçoit comme un art désordonné, obéit bien à
des contraintes. En fabriquant son texte, le rappeur a tendance à écrire tel un poète. Il est vrai que
le hip hop se meut dans la liberté, mais le compositeur est conscient qu’il crée une œuvre
artistique. Pour cette raison, il a tendance à chercher l’originalité. Cette volonté le mène à prouver
à ses auditeurs qu’il maîtrise les ressources de la langue. En réalité, rapper c’est aussi prouver
qu’on a du talent. De ce fait, le MC 6 s’arrange à démontrer qu’il mérite une attention et une
reconnaissance. A ce sujet, il essaie de relever beaucoup de défis linguistiques en rapprochant son
texte à l’esthétique poétique. Selon Barret, cet effort se manifeste à travers trois faits :
l’expression sentimentale, les sonorités et les arrangements graphiques.
1
« Le rap devient l’instrument poétique […] ». Cf., Christian Béthume. Op. cit., p. 55.
2
Dans un article que nous avons publié…
3
Julien Courtés, Algridas J. Greimas. Sémiotique : dictionnaire raisonné de la théorie du langage. Paris : Hachette,
1979, p. 282.
4
« Si la violence caractérise le rap, les textes sont cependant travaillés et dérogent au préjugé de lacune
sémantique ». Cf., Op. cit., www.toutelacultp. 3.
5
Julien Barret. Op. cit., pp. 32-33.
6
Ainsi, pour étudier le rap poétique de Pacotille, nous mettrons l’accent sur le lyrisme, la
musicalité et les jeux de lettres.
D’après une conception simple, le lyrisme peut être défini comme une poésie sur soi et
l’ego trip comme un rap sur soi. Sous cet angle, les deux termes équivalent. Par ailleurs, le
premier terme est conçu telle une « façon enthousiaste, presque exagérée d’exprimer ses
sentiments »7. Quant au second, c’est Christian Béthume qui fournit sa véritable quintessence de
manière imagée. Il soutient : « Si ‘’le moi est haïssable’’ [Mis entre guillemets dans le texte
initial] à qui revendique l’urbanité […] les rappeurs ne font, semble-t-il, pas grand cas de la
maxime pascalienne »8. Il est alors clair que les deux notions renvoient toutes à un style
particulier permettant à un artiste de mettre en valeur sa personne.
Dans ses albums, Pacotille ne manque pas d’être « égoïste ». Il se glorifie très clairement
dans certains de ses sons. D’ailleurs, il est des titres qui sont entièrement consacrés à l’expression
de son autosatisfaction. On peut citer, entre autres, « Pacotille »9, « Le Professeur »10. L’ego trip
du rappeur sénégalais porte essentiellement sur son style et sa vie.
Dès sa première production, Pacotille fait savoir qu’il « est venu avec un style
particulier »11. Effectivement, l’enfant prodige de Yeumbeul propose un flow différent de ce qui
existait jusqu’ici dans le hip hop sénégalais. Chantant essentiellement en wolof, il prouve qu’il
maîtrise bien l’art du rap. Il estime d’ailleurs qu’il est le meilleur. Dans un titre extrait de son
premier album, il laisse entendre aux autres rappeurs :
7
Line Karoubi [sous la dir. de]. Super major : le dictionnaire encyclopédique. Paris : Larousse, 2007, p. 635.
8
Christian Béthume. Op. cit., p. 45.
9
Un opus de l’album…
10
Opus de l’album…
11
(« Pacotille », Fuye kma)
(C’est ici que le flow déborde
Consomme et évite l’excès !
Que le fait d’être imam
Ne te laisse pas croire que tu as la meilleure des fois.
Je suis plus puissant que toi,
Tu n’es pas capable de supporter ce que je supporte).
Pacotille marque la spécificité de son rap. Il considère d’ailleurs qu’il rappe mieux que
quiconque. C’est dans ce sens qu’il invite les autres à venir afin qu’il les aide à faire leurs textes.
Il se considère comme le maître et pour cette raison il faut qu’ils viennent à son école. Se croyant
être au-dessus, Pacotille estime que son rap est plus séduisant. Cet égoïsme est un propre des
rappeurs. Chaque artiste prétend faire des choses inédites : apporter un style nouveau, aborder des
thèmes ignorés, se forger un port vestimentaire particulier… Ces particularités font de lui un
rappeur spécial, puissant, sachant réaliser des exploits qu’aucun autre concurrent ne pourrait.
C’est bien cette pensée que Julien Barret tente de soutenir dans un chapitre qu’il consacre
à ce genre de style. A ce sujet, il avance :
L’egotrip [Mis en italique par l’auteur] s’inscrit par définition dans un cadre ludique. Les mots sont
choisis parce qu’ils provoquent l’oreille de l’auditeur, choquent son bon sens en faisant s’entrechoquer
les sons. Le but est d’épater et, finalement, de s’auto-encenser […]. Ce qui importe […] c’est de montrer
aux autres qu’ils savent manier le micro en exploitant jusqu’à leur apogée les ressources lexicales et
phonétiques que la langue met à leur disposition.12
Barret précise ici la portée essentielle de l’egotrip : se mettre en valeur par la provocation.
En fait, la stratégie consiste à faire croire aux autres qu’ils ne font pas du rap du moment où ils
n’ont pas de style particulier. Le véritable rappeur est celui qui peut transformer l’espace du hip
hop en un terrain de jeu en prouvant qu’il est prêt à relever tout défi. Pour cela, il doit être en
mesure de réaliser des textes dignes de ce nom en évitant de copier l’autre et en mettant en relief
sa personne. C’est tout le sens l’egotrip. Le rappeur cherche à se glorifier. De ce fait, il affirme
pouvoir faire des vers en s’obligeant parfois certaines contraintes, en défiant des règles en
concevant ses textes.
Pacotille n’échappe pas à cette donne. Il profite de ses albums pour démontrer à ceux qui
l’écoutent, à l’image des poètes de la Négritude comme Léon Gontran Damas ou Aimé Césaire,
12
Julien Barret. Op. cit., p. 40.
qu’il n’a pas une vie paisible. Sa réussite est par conséquent le fruit d’une longue et pénible
bataille. A ce propos, il se confesse dans Taxi bu russ:
Précisons qu’un tel récit n’est pas gratuit. Il est adressé à deux cibles : ses ennemis et ses
fans. Aux uns, l’objectif est de montrer que c’est un homme qui a su forger sa personnalité avec
le temps. Aux autres, Pacotille cherche à épater afin de gagner davantage leur sympathie. En
mettant en valeur son expérience, le rappeur sénégalais envisage se montrer différent des autres
pour être considéré comme une référence.
Parfois, il propose sa fiche biographique. C’est dans ce cadre qu’il se présente en ces
termes :
Maay Pacotille
Ňol sew tuti
Melni spaghetti
Dëk Yeumbeul city
Di prôner peace ak unity
Bok ndeyam ak baayam sant
Dëk Afrique sow jant
Di naar piir
(« Pacotille », Fuye kma)
(C’est moi Pacotille
Elancé, petit
Tel le spaghetti
Habitant Yeumbeul city
Prônant la paix et l’unité
Portant le même nom de famille que son père et sa mère
Habitant l’Afrique de l’Ouest
Etant un vrai Maure
Une telle présentation peut paraître banale. Toutefois, elle s’avère instructive. Elle met
davantage en exergue l’égoïsme du rappeur puisque qu’il demeure le sujet et l’objet de son texte.
Profitant alors de son premier album, Pacotille entend se faire connaître. A ce sujet, il ne lésine
sur aucune forme pour atteindre son objectif. Le focus noté dans ce passage : « moi », indique
que l’élément le plus important de l’information porte sur sa personne. Il tient à se dévoiler.
Désirant donner un sens à ce qui semblerait insignifiant pour l’autre, il veut tout ramener à lui.
Ainsi, il fait preuve de jouir d’une vie dont il est fier. Comme Césaire qui conçoit que sa
« négritude » « plonge dans la chair rouge du sol »13, il fait de sa petite physionomie une aubaine,
de son taudis un paradis. Cette posture lui permet de célébrer ses origines et de dévoiler toute sa
fierté d’appartenir un groupe social.
13
P. 47.
Le rappeur cherche à traduire ses sentiments personnels à travers un style particulier
proche à la poésie. Cet attachement au genre justifie ses efforts consentis dans le travail relatif
aux sonorités, éléments essentiels d’ailleurs au rap.
A l’image d’un poète, le rappeur se considère comme un artisan. Il croit d’ailleurs que son
rap n’est bon que s’il parvient à manipuler la langue afin de créer un discours inédit. Pour lui,
l’objectif est de tondre le cou au langage ordinaire. En fait, il est clair que chez le rappeur
l’originalité du rap réside dans les capacités du chanteur à sublimer. S’il veut y parvenir, il met
l’accent certes sur la rime mais aussi sur les combinaisons de mots. Ce travail fait sur des
associations de termes le mène à accorder un intérêt capital à l’emplacement de certaines lettres.
C’est ainsi qu’il devient un appréciable jongleur de mots. En tant qu’artiste, il se plait à se jouer
des termes de manière à produire, à partir de morphèmes proches, des sons originaux.
Pacotille, dans ses albums, se joue des lettres. Cette technique lui permet de prouver son
talent d’artiste et de donner un élan poétique à ses textes. Parmi les procédés relatifs aux jeux de
lettres qu’il fait, nous comptons mettre l’accent sur le calembour et la paronomase.
- Le calembour
Marc Moingeon et alii définissent le mot en ces termes : « Jeu de mots fondé sur une
différence de sens entre des mots de prononciation similaire »15. A. Beaujean partage cette même
acception lorsqu’il écrit que le calembour est un « jeu de mots fondé sur une ressemblance de
sons et une différence de sens »16. De ces définitions, nous en déduisons que le calembour est un
travail sur le langage consistant à associer des termes de nature différente mais ayant une
homophonie.
Dans les albums de notre corpus, Pacotille utilise le calembour sous plusieurs formes.
Certains sont essentiellement en wolof.
14
52 « Le rap… surprenant »
15
Marc Moingeon [sous la dir. de]. Hachette : Le Dictionnaire de notre temps 1992. Paris : Hachette, 1991, p. 214.
16
A. Beaujean. Dictionnaire de la langue française: Abrégé du dictionnaire de Littré. Paris : Librairie Générale
Française, 1990, p. 209.
Ma la gënë don say say
(« Pacotille », Fuye kma)
(N’essaie pas de me sublimer avec tes trucs
Je suis plus dangereux que toi)
L’exploit artistique est notoire ici. Le calembour porte sur deux sens opposés. En fait, le
rapprochement des termes finaux des deux vers, mis en gras, permet de s’apercevoir de
l’homophonie en [saj saj]. Pourtant au premier, le terme est un groupe de mots en wolof et
signifie : « tes trucs ». Au niveau du deuxième vers, le terme est un substantif en wolof et renvoie
à : « bandit ». C’est alors avec prouesse que Pacotille parvienne à réaliser le jeu des lettres.
Ca cikim di cax
Te mëno dëk ci di ko wat
Kon, sa ap jotna nga dem ngembu wat
(« Yaay mbër », Yaay mbër)
(Ta barbiche pousse
Et tu ne peux passer tout le temps à la raser
Donc il temps tu te prépares à nouveau)
Ici, l’homophonie [wat] porte sur deux mots de familles grammaticales et de sens
différents. Au deuxième vers, « wat » est un verbe wolof et signifie : « raser ». Au troisième,
« wat » est un adverbe et est l’équivalence de : « encore ». Le rappeur fait ainsi du calembour une
technique favorite. Un tel choix lui permet de prouver qu’il maîtrise les différentes ressources de
langue. Cela lui permet de manipuler les lettres à leur guise.
Parfois, Pacotille combine le wolof à d’autres langues internationales pour obtenir son
calembour :
Pacotille mêle des familles lexicales variées, des lexies de langues différentes afin de
calembourdiser. Son talent de calembouriste l’aide à faire des paronomases.
- La paronomase
D’après les auteurs du Petit Robert, la paronomase est une « figure qui consiste à
rapprocher des paronymes […] »17. D’ailleurs, pour Mamadou Dramé, cette figure de style
« peut être considérée comme un procédé permettant de rapprocher des mots qui se prononcent à
peu près de la même manière »18. Contrairement au calembour, il ne s’agit pas d’homonymie. Il
convient, peut-être, de la comparer à la paronymie. En fait, le rapprochement des termes
permettra de se rendre compte de la différence réelle du son.
Conçue par Barret comme la « figure du rap par excellence »19, la paronomase paraît du
coup comme un des baromètres d’un bon rap. Pacotille utilise de ce fait ce procédé dans l’optique
de faire preuve d’une maîtrise de la langue et d’une performance poétique. Dans un souci de
crédibilité et de reconnaissance, il fait alors des efforts dans le sens de se jouer des lettres en vue
de créer d’autres sens.
Voici la première :
17
Josette Rey-Debove, Alain Rey [sous la dir. de]. Le Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analytique de la
langue française [1ère éd. 1967]. Paris : SEJER, 2013, p. 1811.
18
Mamadou Dramé. Op. cit., p. 111.
19
Julien Barret. Op. cit., p. 72.
La paronomase porte sur les mots « wutële » (v.1) et « ňi tële » (v.2). La paronymie est
patente. Le premier est un verbe et signifie « différencier », le second est une expression et peut
se traduire par : « ceux-ci impuissants ». On constate alors que, pour trouver une paronomase
parfaite au premier terme, Pacotille a combiné au niveau du deuxième vers un pronom
déterminatif (« ňi » : ceux-ci) et un adjectif (« tële » : incapables). Ce travail digne de celui d’un
rhétoriqueur lui permet d’enrichir son rap.
Par ailleurs, il arrive que, pour obtenir la paronomase, Pacotille se focalise sur la langue
française. Notons cette première :
Voici la seconde :