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et dynamique
L. Marin, Benoit G. Bardy
Dans Movement & Sport Sciences - Science & Motricité 2011/3 (n° 74), pages 39 à 52
Éditions EDP Sciences
ISSN 2118-5735
DOI 10.3917/sm.074.0039
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Résumé. Dans cet article, nous exposons les principes gouvernant deux grandes théories des co-
ordinations posturales : l’approche neuromusculaire et l’approche dynamique. Après avoir montré
que la théorie neuromusculaire présente des ambiguı̈tés qui ne permettent pas de rendre compte de
l’ensemble des résultats obtenus dans une littérature foisonnante, nous démontrons que les résultats
classiques obtenus sur les coordinations posturales peuvent être expliqués par les concepts de l’ap-
proche dynamique. Au-delà de cette synthèse théorique, nous tentons de répondre à deux questions
fondamentales sur les coordinations posturales tout au long de cet article : Comment pouvons-
nous contrôler toutes les parties de notre corps simultanément ? Comment pouvons-nous adopter la
posture la plus efficiente face à la multitude de possibilités posturales offerte ?
Key words: Postural coordination, dynamical approach, postural strategy, constraint, emergence,
relative phase
Nous réalisons tous les jours de nombreuses tâches qui à la multitude de possibilités d’organisation posturale ?
toutes sous-tendent un contrôle postural précis et efficace. La première réponse qui vient à l’esprit est que les mou-
Certaines de ces tâches sont nouvelles et nécessitent une vements des différentes parties du corps doivent être co-
organisation posturale jamais adoptée auparavant. Dans ordonnés entre eux. Cependant là aussi il existe de nom-
ce cas, comment adoptons-nous une posture efficace, aussi breuses solutions du fait du caractère multi-articulaire
rapidement et spontanément ? D’autre part, le corps hu- (≈102 articulations) du corps humain. Deux approches
main est formé de segments mobiles les uns par rapport ont tenté au cours des 30 dernières années de répondre
aux autres ; il constitue de ce fait un système déformable. à cette question : l’approche neuromusculaire et l’ap-
La conséquence fondamentale est qu’il existe plusieurs proche dynamique. Mais l’ensemble des chercheurs de ces
postures possibles pour contrôler l’équilibre corporel au approches s’accorde à dire que le cerveau ne peut pas
cours d’une tâche donnée. En effet, le déplacement de contrôler toutes les parties du corps en même temps. Il
différents segments peut avoir le même effet sur le main- faut réduire le nombre des degrés de liberté à contrôler
tien de l’équilibre et, réciproquement, le mouvement d’un (Bernstein, 1967). À partir de cette notion de réduction
seul segment peut avoir des effets différents sur l’équilibre des degrés de liberté à contrôler, nous allons présenter
du corps selon le déplacement des segments voisins. Là en- ces deux approches dans le cadre du contrôle postural et
core, comment adoptons-nous une posture efficiente face tenter de répondre aux questions précédentes. Comment
l’utilisation d’une stratégie Cheville est inefficace puis- la stratégie Cheville (e.g., Horak & Nashner, 1986, fi-
qu’il faut un grand déplacement de la cheville pour ob- gure 7 ; Horak et al., 1990, Fig. 4 ; Martin, Cahouet,
tenir un petit effet au niveau de la tête. En revanche, Ferry, & Fouque, 2006). Il faut d’ailleurs préciser que la
au cours d’une stratégie Hanche le sujet peut déplacer représentation de la stratégie Cheville comme un pen-
rapidement sa tête et son buste, sans toutefois mettre dule inversé implique de fait un contrôle actif de la part
son équilibre en péril. De ce fait, il est facile de com- des muscles de la hanche : au cours d’un déplacement du
prendre que cette stratégie soit la plus souvent employée corps autour de l’articulation de la cheville, il faut une
sur un support déformable (e.g., sable, tapis). Cette certaine activation musculaire pour éviter tout mouve-
même stratégie Hanche est également sélectionnée sur une ment de l’articulation des hanches alors que le corps en-
poutre de 10 cm de largeur puisque la longueur du pied est tier est soumis à des forces inertielles (Bardy, Faugloire,
fortement diminuée : le moment qui s’exerce au niveau de Fourcade, & Stoffregen, 2006 ; Bardy, Oullier, Lagarde, &
la cheville amène plus rapidement la projection du centre Stoffregen, 2007 ; Creath, Kiemel, Horak, & Jeka, 2008).
de gravité proche de la limite de stabilité (Martin, 1990). Ces exemples montrent que la définition de la stratégie
D’après les tenants de l’approche neuromusculaire, le Cheville est ambiguë et doit être reconsidérée tout comme
SNC identifie les propriétés biomécaniques du sujet et la stratégie Hanche qui elle aussi pose quelques problèmes
celles de la surface de support puis sélectionne et pa- de définition. Par exemple, pour certains auteurs, la
ramétrise la stratégie posturale la plus adéquate (Maeda stratégie Hanche peut être représentée comme un double
& Fujiwara, 2007). D’une manière générale, le choix d’une pendule inversé (e.g., Akram, Frank, Patla, & Allum,
stratégie posturale découle d’une prescription du SNC 2008 ; Colobert et al., 2006 ; McCollum & Leen, 1989),
(Horak, 2006 ; Leonard, Brown, & Stapley, 2009). alors que, pour d’autres, elle est définie comme une in-
Plus de vingt-cinq ans après l’article princeps de clinaison du buste sur les jambes sans mouvement appa-
Nashner et McCollum (1985), la validité du concept rent de l’articulation des chevilles (Nashner & McCollum,
de stratégie posturale est toujours largement acceptée 1985, p. 136). Enfin, pour compliquer le tout, les au-
dans les recherches portant sur le contrôle de l’équilibre teurs princeps de cette approche ont proposé l’existence
chez l’homme debout. Cependant, depuis une douzaine de stratégies mixtes. Cependant, il existe presque au-
d’année nous avons montré que la manière dont ces tant de stratégies mixtes que de travaux les observant.
stratégies Hanche et Cheville sont définies présente Prenons quelques exemples dans la littérature pour illus-
un certain nombre d’ambiguı̈tés (e.g., Bardy, Marin, tration. D’après Mesure, Amblard et Crémieux (1997),
Stoffregen, & Bootsma, 1999 ; Bardy, Oullier, Stoffregen une stratégie Mixte est une synchronisation de l’ensemble
& Bootsma, 2002 ; Faugloire, Bardy, & Stoffregen, des différents segments du corps. Au contraire, pour
2009 ; Gautier, Marin, Leroy, & Thouvarecq, 2009 ; Vaugoyeau et al., (2008), les stratégies de contrôle pos-
Marin, Bardy, Baumberger, Flückiger, & Stoffregen, tural nécessitent une stabilisation de la tête sur la ver-
1999 ; Marin, Bardy, & Bootsma, 1999 ; Oullier, Bardy, ticale et une stabilisation du tronc. Enfin, pour Horak
Stoffregen, & Boostma, 2002 ; Oullier, Marin, Stoffregen, et Nashner (1986), elle s’apparente à une organisation
Bootsma, & Bardy, 2006). dans laquelle les muscles des hanches et des chevilles
se chevauchent jusqu’à ce qu’une stratégie pure appa-
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la posture, peut également contribuer à augmenter l’am- 3 Approche dynamique des coordinations
biguı̈té de la notion de stratégie. Dans un tel paradigme posturales
en effet, les sujets doivent revenir à une position précise,
la station droite le plus souvent, après une perturbation L’approche dynamique est une alternative à l’ap-
mécanique de la surface de support. Or, dans la plupart proche neuromusculaire. Nous présentons brièvement le
des activités humaines impliquant le système postural, le phénomène des coordinations posturales dans cette pers-
caractère discret de la position de référence à atteindre est pective dynamique avant d’exposer quelques données
plus l’exception que la règle. L’activité posturale étant in- expérimentales à titre d’illustration et de validation
trinsèquement une activité continue et cyclique (Gautier, expérimentale.
et al., 2009). Lorsque nous réalisons une activité quel-
conque nous oscillons en permanence autour de la di-
rection de l’équilibre (opposée à la résultante gravito- 3.1 L’approche dynamique
inertielle ; Riccio, Martin, & Stoffregen, 1992 ; Stoffregen,
Hove, Bardy, Riley, & Bonnet, 2007) qui ne coı̈ncide pas Cette approche, introduite dans les sciences du mouve-
toujours avec la direction gravitaire. Il faut donc tenir ment humain par Kelso, Kugler et Turvey (Kugler, 1986 ;
compte des forces inertielles (du caractère dynamique) Kugler, Kelso, & Turvey, 1980 ; Kugler & Turvey, 1987 ;
pour observer et analyser les coordinations posturales. Le Turvey, 2007), trouve son originalité dans l’étude des co-
problème de la sélection d’une stratégie se trouve posé de ordinations. L’idée générale est de considérer que tout
façon plus complexe que la définition statique originelle système est composé d’une multitude de composants (ar-
proposée par Nashner et McCollum (et un grand nombre ticulations, muscles, tendons, etc.) en interaction qui,
d’études récentes sur la posture). peuvent s’assembler (ou se désassembler) sous l’influence
de contraintes endogènes ou exogènes. Le concept d’auto-
2.3 Le choix des stratégies : un phénomène pré-établi organisation est central dans cette approche et signifie
que les patrons de mouvements qui émergent des in-
Enfin, le (( choix )) par le SNC de la stratégie appropriée teractions complexes entre les nombreux éléments com-
pose également des problèmes théoriques. En effet, il est posant le système peuvent se stabiliser ou se modifier
improbable que ce choix puisse être totalement prescriptif sous la pression de contraintes internes et externes sans
(Leonard et al., 2009 ; Maeda & Fujiwara, 2007 ; Nashner une prescription explicite par un contrôleur central (e.g.,
& McCollum, 1985). La sélection de la stratégie la plus Temprado & Montagne, 2001).
efficace pour une situation donnée impose, par définition, Le concept d’émergence des coordinations a été intro-
la connaissance exhaustive et la confrontation de la tota- duit par Kelso (e.g., 1981, 1995) à l’aide du paradigme
lité des stratégies potentiellement utilisables par le sujet, des coordinations bimanuelles révélant les états attrac-
dont le nombre, si l’on inclut les stratégies dites mixtes, teurs du système et les types de transition entre eux. De-
reste difficile à évaluer. De la même façon, la programma- puis ses premiers travaux, de très nombreuses études ont
tion centrale d’une stratégie suppose une connaissance a appliqué le même type de paradigme à des mouvements
priori de tous les paramètres qui peuvent influencer le variés – la marche (e.g., Seay, Haddad, van Emmerik,
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4.1 Les contraintes intrinsèques (liées à l’organisme) contraintes englobe les propriétés du milieu dans ou
sur lequel le sujet se meut. Elle dépend donc des ca-
Les contraintes intrinsèques font référence aux propriétés ractéristiques physiques de ce milieu (e.g., gravité), des
de l’organisme et dépendent de la nature et de la durée propriétés informationnelles provenant de l’environne-
de ses propriétés. Leur nature peut être structurelle (e.g., ment (e.g., flux optique, illusions) et de la qualité de
morphologie, déficit moteur), fonctionnelle (e.g. niveau la surface de support sur laquelle les individus sont en
d’éveil, fatigue) ou dépendante de l’histoire de chacun, du équilibre. Cette dernière contrainte a sûrement été la plus
niveau d’habileté et d’expertise motrice. Leur durée peut étudiée. Il faut de nouveau rappeler ici que si la qualité
être relativement permanente (e.g., taille, poids, déficit de la surface de support est évidemment importante dans
physique ou sensoriel d’un adulte), temporaire (e.g., gros- le contrôle postural, elle ne doit pas être prise en compte
sesse, blessure) ou évolutive (e.g., développement, vieillis- isolement. Elle n’est significative qu’en interaction avec
sement, apprentissage). d’autres contraintes.
Nous prenons ici quelques lignes pour détailler un peu
plus le statut de l’expertise motrice (et notamment en
4.3 Les contraintes intentionnelles (liées à la tâche)
sport) en tant que contrainte intrinsèque à part entière.
Les recherches en STAPS permettent de contribuer di- Ces contraintes correspondent (i) au but de la tâche,
rectement à la validation théorique du statut de l’exper- (ii) aux règles spécifiant et contraignant le comporte-
tise sportive. En effet, l’entraı̂nement intensif pendant de ment moteur des sujets (e.g., le type de mouvements
longues années modifie les capacités musculaires, articu- à réaliser) et (iii) aux matériels expérimentaux utilisés
laires et perceptives (Marin & Danion, 2005) ainsi que les (Newell, 1985, 1986). Ainsi, en fonction de la nature de
coordinations motrices (Temprado, Della Grasta, Farrell, la tâche, l’expérimentateur peut spécifier les modes de
& Laurent, 1997), la stabilité posturale et les coordi- coordinations réalisés par les sujets. Prenons un exemple
nations posturales (Wulf, 2008) d’un sportif, produisant trivial. Dans une tâche posturale, si l’on demande à un
une modification générale de l’ensemble de l’organisme. sujet de ramasser une balle au sol, on peut penser qu’il
Par exemple, Mesure, et al. (1997) suggèrent que la pra- va spontanément effectuer un mode de coordination en
tique sportive entraı̂ne une organisation posturale plus anti-phase. Par contre, si on lui demande de rester immo-
économique lorsque les sujets sont placés sur des surfaces bile (modification des contraintes liées à la tâche), nous
déstabilisantes. Les experts ont une synchronisation opti- pouvons penser qu’il va rester droit ((( quiet stance ))).
male des différents segments du corps alors que les novices D’une façon générale, les organismes adaptent leur pos-
font appel à des organisations plus variées impliquant ture aux caractéristiques de l’environnement. Une raison
des stratégies de rattrapage provoquées par d’impor- en est certainement la recherche de l’efficience (Newell,
tantes déstabilisations. De même, Gautier, Thouvarecq 1985), c’est-à-dire de la réduction des coûts énergétiques
et Chollet (2007) montrent que des gymnastes experts ou attentionnels imposés par la situation. Par exemple,
adoptent certaines postures que des sédentaires, voir la station droite minimise les moments de rotation qui
d’autres sportifs, sont incapables de réaliser pour exécuter s’exercent au niveau des articulations, et par conséquent,
une tâche donnée. Il a été montré qu’un court programme minimise l’effort que doit fournir le système postural
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Fig. 5. Moyenne de la phase relative entre les hanches (H) et les chevilles (C) en fonction des conditions d’amplitude de
déplacement de la cible (5, 14, 18 ou 35 cm) et (A) de la hauteur du centre de masse (Cm abaissé, Cm normal ou Cm élevé)
ou (B) de la longueur des pieds (Petit Pied, Normal, ou Grand Pied ). (D’après Bardy et al., 1999.)
Fig. 7. Évolution de la phase relative entre les hanches (H) et les chevilles (C) en fonction de la fréquence de la cible (0.15,
0.40, 0.50 et 0.70 Hz), de la surface de support (poutre et sol) et du niveau d’expertise (gymnaste et sédentaire). N-Gym ou
Nongym = Sédentaire. (D’après Marin et al., 1999.)
plus particulièrement dans le niveau de raideur muscu- 5.5 Le changement du niveau de contrainte influence
laire déployé naturellement par ces sportifs. En effet, directement les coordinations posturales (Gautier
pour réaliser un certain nombre de tâches gymniques les et al., 2009)
sportifs ne doivent pas fléchir l’articulation des hanches
sous peine de pénalisation (i.e., qui peut être considéré
comme une perte d’équilibre). Les gymnastes ont donc Cette dernière série d’expérience complétera cette
spontanément une raideur musculaire qui peut modi- démonstration consacrée à l’interaction des contraintes.
fier la nature des coordinations adoptées (Gautier et al., Dans les trois premières séries d’études, nous avons ob-
2007). tenu deux types de résultats issus de l’interaction des
contraintes. Dans le premier cas (le plus fréquent), il est
Les résultats ont encore une fois montré que sur le difficile de savoir si une catégorie de contrainte est plus
sol, l’augmentation de la fréquence du mouvement de la importante qu’une autre. Autrement dit, le résultat de
cible produit un changement rapide d’une coordination en l’interaction entre les trois contraintes engendre des coor-
phase vers une coordination en anti-phase pour toutes les dinations posturales différentes. Par exemple, pour une
participantes. Cependant, ce changement s’effectue plus même hauteur du centre de gravité (contrainte n◦ 1),
précocement chez les sujets sédentaires (0.50 Hz) que chez l’augmentation de l’amplitude des oscillations (contrainte
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Fig. 9. Représentation des données brutes du mouvement angulaires des hanches, épaules et poignets pour les High-Expert
et les Intermediate-Expert pour 6 cycles à la fréquence d’oscillation de la cible de 0.4 Hz (A). Une représentation du type de
coordination hanche-haut du corps pour les Intermediate-Expert et épaule-poignet pour les High-Expert est donnée en bas de
la figure (B). wrist = poignet, shoulder = épaule et hip = hanche. (D’après Gautier et al., 2009.)
partie de notre corps sont naturellement contraints par standing humans. In M. Latash & F.G. Lestienne (Eds.),
les mouvements des autres parties, ce qui fonde le pro- Motor control and learning over the lifespan (pp. 77–87).
cessus d’assemblage de coordinations préférentielles. À la Berlin: Springer Verlag.
seconde question, nous réitérons avec force que la posture Bardy, B.G., Marin, L., Stoffregen, T.A, & Bootsma, R.J.
la plus efficiente émerge de l’interaction simultanée entre (1999). Postural coordination modes considered as emer-
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