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Rimbaud "Roman"
Rimbaud "Roman"
Biographie :
https://www.youtube.com/watch?v=x2O7DbOOkSI
https://www.dailymotion.com/video/x6h1it6
• La révolte, qui caractérise l’adolescent, amène à analyser les cibles visées et les
reproches adressés, en même temps que l’idéal qui, par contrepoint, s’affirme.
• L’image de la femme, dans toute son ambivalence, tantôt embellie et rêvée, tantôt
rejetée, qui traduit les rêves amoureux du jeune poète.
Enfin, ces poèmes de jeunesse, au-delà des emprunts à des modèles et de traits directement
issus de la poésie romantique, révèlent déjà des ruptures formelles qui annoncent la
révolution du langage poétique que cherchera à mettre en œuvre Rimbaud dans ses
recueils ultérieurs.
Les fugues
La marche
Les poèmes accordent une place importance à la marche, dont témoigne la place du
verbe « aller » dans de nombreux poèmes, avec une progression. « Les Reparties de
Nina », poème en tête du recueil, s’ouvre sur ce verbe conjugué au conditionnel, en
unissant les amants, « nous irions », puis le « je » s’affirme : « j’irais ». Ce mouvement,
encore rêvé, imaginaire, se change ensuite en certitude, avec le choix du futur dans
« Rêvé pour l’hiver » (« Nous irons »), puis, dans « Sensation », avec la répétition de
« j’irai ». Enfin, dans « Ma Bohème », le choix de l’imparfait, « Je m’en allais », « J’allais »,
marque un retour sur soi, dot la durée est accentuée, comme un souvenir ébloui de ce
temps des fugues.
L'actualisation spatio-temporelle
Elle se rattache aussi, par sa fluidité, à cette image de mouvement, mais davantage
ambivalent.
Très fréquemment, elle est source de vie, ce sont les « gouttes / De rosée à [s]on
front, comme un vin de vigueur » qui, dans « Ma Bohème », telle l’eau du baptême,
donne au poète sa dimension sacrée en lui apportant l’inspiration.
John Everett Millais, Ophelia, 1852 Huile sur toile, 76,2 x 111,8 cm. Tate Gallery, Londres
La terre
Le végétal abonde dans ces poèmes de « fugues », fleurs, arbres, talus, herbe,
campagne… Mais, plus qu’un simple décor, la végétation donne la preuve de
l’existence d’une force cachée qui la fait jaillir de la terre, d’un dynamisme
vital, symbolisée par la récurrence du mot « sève ». Les morts d’ailleurs
fertilisent cette terre, tels les « soldats » « de Quatre-vingt-douze », « que la
Morts a semés, noble Amante, / Pour les régénérer dans tous les vieux
sillons ». De la terre peut donc sortir un monde nouveau, comme l’exprime
avec force le début de « Soleil et chair », Et, quand on est couché sur la vallée,
on sent / Que la terre est nubile et déborde de sang », avant que le poète ne
s’exclame : « Et tout croît, et tout monte ! ».
Le feu
Face au feu de l’âtre où « la flamme illumine, claire, les carreaux gris » (« Les
Reparties de Nina »), celui du four dans lequel le boulanger fait cuire le pain et
dont la chaleur réchauffe les « Effarés », un autre feu éclaire les fugues du
jeune Rimbaud, celui du soleil, dont de nombreux poèmes mentionnent les
« rayons ». Lui aussi symbolise une force créatrice, signalée et amplifiée par la
majuscule, dès les premiers vers de « Soleil et chair » : « Le Soleil, le foyer de
tendresse et de vie / Verse l’amour brûlant à la terre ravie ». Mais cette force
créatrice est aussi celle qui nourrit la poésie, comme le révèle la métaphore
des « Reparties de Nina » : « Nos grands bois sentiraient la sève / Et le soleil /
Sablerait d’or fin leur grand rêve / Vert et vermeil. »
Vincent Van Gogh, Le semeur au soleil couchant, 1888. Huile sur toile, 80,5 x
64. Rijksmuseum Krueller-Muller, Otterlo
Comment ne pas y voir ici l’image de l’alchimie, déjà évoquée par Baudelaire
et que Rimbaud reprendra plus tard dans « Alchimie du verbe », extrait d’Une
Saison en enfer, pour en faire le définition même de la création poétique ?
CONCLUSION
Cette analyse conduit à constater que les poèmes liés aux "fugues" de
Rimbaud vont bien au-delà d’une simple description de la nature. Elle est
totalement sublimée, invoquée telle une divinité dans « Le Dormeur du val »,
« Nature, berce-le chaudement », ou dans « Le Mal », avec la mise en valeur de
l’interpellation : « – Pauvres morts ! dans l’été, dans l’herbe, dans ta joie /
Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !... – » Se substituant à la religion
officielle, avec ses rites et ses dogmes, celle que rejette Rimbaud, elle incarne
une religion qui puise dans le monde antique sa puissance, « Chair, marbre,
Fleur, Vénus, c’est en toi que je crois ! », et se confond avec l’amour et la
femme : « Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien, / Par la Nature, –
heureux comme avec une femme. »
Rimbaud le révolté
La jeunesse de Rimbaud est, en soi, une révolte, mais elle se traduit dans la
satire et les dénonciations, parfois violentes, qu’expriment plusieurs poèmes
des « Cahiers de Douai ».
LA RÉVOLTE RELIGIEUSE
Comme il est de règle à cette époque, et tout particulièrement dans les petites
villes de province, la famille Rimbaud est pratiquante, et le jeune garçon, dont
la mère, particulièrement rigoureuse, exige chaque soir la lecture de la Bible, le
« livre du devoir », comme il le nomme, a fréquenté l’église, et fait sa
communion. Son rejet de tout ordre moral s’attaque donc, très
naturellement, à la religion qui le soutient.
L'anticléricalisme
LA RÉVOLTE POLITIQUE
Les cibles de la critique
L’attaque est plus violente dans plusieurs autres poèmes, par exemple dans
« Le Mal », où le poète dénonce le cynisme du « Roi » qui « raille » le
massacre qui se déroule sous ses yeux. Rimbaud avait d’abord écrit « le chef »,
accusation plus directe, en changeant de mot, il contourne la censure puisque le
pays est alors dirigé par un empereur et non pas « un roi ». De même, le titre au
pluriel « Rages de Césars », dépasse la personne de Napoléon III : ce sont tous
ceux qui veulent « souffler la Liberté » que Rimbaud englobe dans sa
dénonciation. Mais il ne masque pas, pour autant, avec l’exclamation et le
lexique méprisant, sa critique de Napoléon III, à présent prisonnier au château
de Wilhelmstrohe : « l’Empereur est soûl de ses vingt ans d’orgie ! »
La dénonciation de la guerre
Dans plusieurs poèmes, Rimbaud introduit des détails qui, tous, convergent
pour illustrer la pauvreté, depuis les soldats de Valmy en « sabots » et en
« haillons », jusqu’aux vieilles mères « pleurant sous leur vieux bonnets noirs »
la mort de leur fils, en passant par les « effarés » : « À genoux, cinq petits, –
misère ! – / Regardent le boulanger faire / Le lourd pain blond… » Les points
de suspension semblent résumer leur envie, leur faim, le froid qui les fait
trembler, car ils n’ont que « ce trou chaud » pour se réchauffer.
CONCLUSION
Rimbaud retrouve les accents de Victor Hugo pour s’attaquer, parfois
directement, parfois par le biais d’autres chefs d’État, les « rois », « Louis
Seize », à toute tyrannie, et, à plusieurs reprises, pour lancer un hymne à la
liberté, trop oubliée depuis la grande Révolution de 1789. Mais les tyrans sont
nombreux, dans le monde politique, mais aussi cachés sous la soutane. Et
même, dans son propre foyer, se subit-il pas l’oppression d’une mère
excessivement rigoureuse ?
La femme et l'amour
Même si, dès sa rencontre avec Verlaine, Rimbaud vit ouvertement son
homosexualité, ses poèmes d’adolescence révèlent, eux, plus de complexité
dans son attitude face aux femmes, très présentes ne serait-ce que dans les
titres, « Les Reparties de Nina », « Vénus anadyomène », « Ophélie », « La
Maline ». Mais l’image donnée de la femme est ambivalente, comme chez de
nombreux écrivains romantiques, de même que celle de l’amour qui
oscille entre la sensualité et une forme de sublimation.
La plupart des poèmes renvoie aux premiers émois de l’adolescent qui laisse
libre cours à ses rêves sensuels. « Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai
rêvés », s’écrie-t-il dans « Ma Bohème », mais s’agit-il vraiment d’« amours » ?
Ces rêves sont souvent liés aux « fugues », face à la servante du « Cabaret-
Vert » ou à « La Maline », comme si l’expression de la sensualité était aussi
une façon de s’opposer aux contraintes morales, aux bonnes mœurs
imposées par l’ordre bourgeois. Ainsi, la « demoiselle aux petits airs
charmants » trottine « [s]ous l’ombre du faux-col effrayant de son père… »,
symbole de l’interdiction qui la rend inaccessible.
Il ne reste alors que le rêve d’une complicité partagée, tel le jeu amoureux
évoqué dans « Rêvé pour l’hiver » ou les trois baisers donnés à la jeune fille
« fort déshabillée » de « Première soirée » : « La première audace permise, / Le
rire feignait de punir ! » ? L’imaginaire poétique se substitue à l’impossible
concrétisation.
Pierre-Auguste Renoir, La Promenade, 1870. Huile sur toile, 65 x 81,3. Paul
Getty Museum, Malibu, Californie
La "chair" féminine
La femme, celle qui fait rêver, que l'adolescent rêve de voir nue et d’enlacer,
l’amour, perçu comme témoignage d’une sensualité qui se pose en vérité de
l’âme, autant d’images qui nous rappellent la jeunesse de Rimbaud lorsqu’il
compose ses « Cahiers ». Cependant, comment ne pas lire également, dans ses
rêves, dans ses élans, et, parfois, dans ses rejets, toutes les rebellions qui se
donneront libre cours dans ses œuvres ultérieures, et ce goût de la liberté,
qu’il manifestera jusqu’à la fin de sa vie, au-delà de toutes les contraintes, y
compris celles de la morale ?
Le langage poétique
Dans la versification
Rimbaud, s’il choisit souvent le sonnet, est loin d’en respecter la
versification régulière. Ainsi, dans les quatrains, les rimes sont très
fréquemment croisées, au lieu d’être embrassées, et différentes dans chacun,
comme dans « Le Dormeur du val » ou « Au Cabaret-Vert », et l’orthographe
est parfois modifiée pour satisfaire à la rime, tel, dans « La Maline », « je ne
sais quel met » pour permettre la rime avec « parfumait « , ou bien la rime ne
fonctionne que pour l’œil et non pour l’oreille, comme celle entre « « la grande
Vénus » et « sont venus ».
Dans les rythmes
Dans la structure de sa phrase également, Rimbaud poursuit le travail pour
assouplir le rythme, qui coïncide de moins en moins avec celui de la
versification. Ainsi, il multiplie les rejets – ou contre(rejets – et les
enjambements, ne fait plus grand cas de la césure pour préférer des coupes
secondaires. Cela se traduit notamment dans ses choix d’une ponctuation qui
introduit des ruptures brutales, tout particulièrement les nombreux tirets, et
les points de suspension qui laissent la syntaxe en suspens, dont « L’éclatante
Victoire de Sarrebrück » donne un très bon exemple.
VERS UNE LANGUE NOUVELLE
Autour du lexique
Le cri de Victor Hugo, dans Les Contemplations, « Plus de mot sénateur, plus
de mot roturier », a été entendu par le jeune Rimbaud, qui n’exclut aucun mot
de sa langue poétique, à commencer par les archaïsmes patoisants, tels ce
verbe « épeurer », médiéval, qui a survécu dans la province des Ardennes,
l’emploi de « maline » au lieu de « maligne », ou des formulations locales : « le
feu qui claire les couchettes » dans « Reparties de Nina », ou « Elle arrangeait
les plats, près de moi, pour m’aiser » dans « La Maline ».
Il ne recule pas non plus devant les familiarités, notamment quand il s’agit
d’interjections, telles « Hop ! », « Peuh ! », « Hein ? », mais aussi avec les
emprunts aux réalités de son temps, par exemple les « pioupious », surnom
des jeunes soldats, « fumant des roses », métonymie qui, par la couleur de leur
paquet, désignent des cigarettes peu coûteuses. Nous l’entendons s’exclamer
« Oh ! là là ! » ou « nous chantions tra la la », voire se montrer grossier,
intégrant dans le poème des mots comme « merde », « putain »… Enfin, nous
relevons, dans « Roman », un néologisme, « Le cœur fou Robinsonne à travers
les romans », évocateur du lien qu’établit le jeune poète entre son rêve
amoureux et son goût pour la liberté et l’aventure.
Image publicitaire : le "pioupiou"
Une "voyance" annoncée
La langue poétique des « Cahiers » est encore loin des fulgurances du Bateau
ivre et, surtout de la prose poétique des Illuminations. Cependant Rimbaud ose
déjà des ruptures, aussi bien dans sa versification que dans ses choix lexicaux
ou dans ses thèmes, qui se remarquent d’autant plus qu’elles contrastent avec
des poèmes encore très parnassiens, d’un lyrisme encore traditionnel.
« Roman »
Léo Ferré https://www.youtube.com/watch?v=T7COPf5uNRo
Introduction
Accroche
Situation
• Notre poème présente les émotions d’un adolescent, quittant les cafés pour
goûter l’ivresse de la Nature. Une aventure qui a une dimension universelle !
• Il rencontre l’amour et se croit dans un roman, ce qui nous entraîne dans une
intrigue littéraire en raccourci.
• Mais le regard du poète est chargé d’ironie, refuse le sublime, et l’on devine
que le manque de sérieux de la jeunesse n’est pas ce que l’on croit !
Problématique
Comment le poète emprunte-t-il aux codes du roman pour raconter avec ironie
un petit récit d’éducation sentimentale ?
Le premier vers du poème « On n’est pas sérieux quand on a dix sept ans »
semble se présenter d’abord comme une confidence autobiographique, mais
l’emploi et la répétition du pronom indéfini « on » modère cette première
impression pour suggérer une expérience plus large, universelle, à laquelle le
lecteur peut s’identifier.
Le choix du « on », et non l’emploi du « je », cher aux poètes romantiques pour
exprimer leurs états d’âme, révèle aussi le souhait de Rimbaud d’opérer une
distance critique et de s’écarter des codes lyriques traditionnels pour relater
avec ironie ses premiers élans amoureux.
• La « vigne » s'oppose aux « bocks », annonçant déjà une autre forme d’ivresse
dans la Nature.
• Les « soirs » de juin laissent entendre que la nuit va tomber.
• Les points de suspension à la fin de ce mouvement laissent le temps au lecteur
d’imaginer la suite.
⇨ On peut se demander jusqu’où ira cette fugue de l’adolescent, quelles
surprises elle nous réserve…
Deuxième mouvement :
Des émotions fortes rapportées avec ironie
II
• Les « soirs de juin » > ciel « d’azur sombre » > « Nuit de juin ».
• Évolution du ciel à travers l’enjambement « chiffon / d’azur ».
• Le verbe « se fondre » montre une progression de l’obscurité.
⇨ La tombée de la nuit coïncide avec une évolution du récit.
Comment évolue ce petit récit ?
• Les deux tirets longs font encore progresser l’histoire : d’abord l’apparition du
« chiffon » ensuite, l’ivresse qui « monte ».
• Le verbe de perception « apercevoir » laisse place à des verbes d’action « se
fondre … monter … divaguer … palpiter ».
• Points de suspension : le lecteur apprécie chaque étape.
⇨ L’évolution du récit est partagée avec le lecteur.
III
• On retrouve encore l’adjectif « petit » deux fois : « petits airs charmants » puis
plus tard « petites bottines ».
• Allitération en T petits pas comiques.
• Subordonnée de cause « comme elle vous trouve immensément naïf » : intérêt
mais condescendance.
• L’adverbe « immensément » particulièrement long, insiste sur cette naïveté
qui l’empêche de deviner comment il est perçu.
• 2e personne du pluriel « vous » : récit rétrospectif ?
⇨ Le poète est désormais capable d’une certaine autodérision.
Une fugue bien éloignée d’une grande aventure
Quatrième mouvement :
Une passion de courte durée
IV
Le dernier vers constitue une chute inattendue à double titre. Le poème se clôt
sur l’image des tilleuls avec l’anacoluthe « et qu’on a des tilleuls verts » qui
marque une rupture syntaxique.
Rimbaud se joue des codes du lyrisme traditionnels.
• Les « tilleuls verts » : arbre citadin par excellence. Le poète veut au contraire
sortir des sentiers battus.
• De même, « la promenade » avec l’article défini : lieu bien connu des
villageois.
• Intentions de Rimbaud : vivre des aventures plus « sérieuses » ?
⇨ La fuite de Rimbaud avec Verlaine lui inspirera une poésie plus amère : Une
Saison en Enfer.
Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. — Et je l’ai trouvée amère. — Et
je l’ai injuriée.
Ouverture
L'actualisation spatiale
Même s’il n’est que fiction, le roman s’inscrit dans un décor, et c’est sur lui que
s’ouvre et se ferme le poème, en mêlant deux aspects contrastés, le cœur de la
ville et la nature, opposition soulignée par les tirets aux vers 2 et 4. Mais, au
début, la formule « foin de » traduit le rejet de la ville, de son bruit, de son activité,
des « cafés tapageurs aux lustres éclatants », pour trouver refuge « sous les tilleuls
verts de la promenade ». À la fin, le mouvement s’inverse : le roman s’achève,
toujours « on a des tilleuls verts sur la promenade », mais ils ne sont plus qu’une
réalité lointaine, et la ville reprend toute sa place, avec le glissement de l’adjectif
qui ne s’applique plus aux seuls « lustres » mais s’élargit aux « cafés », avec un
choix de consonnes comme pour illustrer leur force d’attraction : « vous rentrez aux
cafés éclatants ».
Ce décor, liant ville et nature, permet de mélanger aussi toutes les sensations,
visuelles d’abord, avec la lumière et les couleurs, mais aussi olfactives,
tactiles et auditives : « Les tilleuls sentent bon », « L’air est parfois si doux », « Le
vent chargé de bruits, – la ville n’est pas loin, – / A des parfums de vigne et des
parfums de bière… » Cette association d’impressions sensorielles différentes forme
une synesthésie qui suggère déjà le trouble ressenti par l’adolescent, presque
une sorte d’ivresse, de vertige : « On se laisse griser », « On divague », écrit-il
dans le quatrième quatrain.
L'actualisation temporelle
Les quatrains suivent une progression temporelle, en marquant nettement les
étapes de cette aventure amoureuse.
Le point de départ, comme dans un conte, en est posé par la formule qui
annonce déjà l’événement exceptionnel, celui qui viendra briser la banalité
quotidienne : « – Un beau soir ». La scène se déroule au début de l’été, et le
moment est décrit dans la seconde partie du poème, puis résumé en un élan
d’enthousiasme, mis en parallèle avec l’âge, l’adolescence : « Nuit de juin ! Dix-
sept ans ! » À nouveau, cette description recourt aux synesthésies : l’« azur
sombre » s’associe à une « étoile, qui se fond / Avec de doux frissons, petite et
toute blanche ». La nuit elle-même semble vibrer d’émotion.
Les indices temporels, soulignés par les tirets, détaillent ensuite le
déroulement de ce « roman », que le choix du présent semble faire revivre par
l’écriture poétique. Au vers 18, « lorsque » introduit l’événement perturbateur,
traditionnel, une rencontre, et « alors », au vers 24, sa conséquence, le coup de
foudre : « Sur vos lèvres alors meurent les cavatines ». Une durée est ensuite
mentionnée, « jusqu’au mois d’août », celle de l’été, jusqu’à l’intervention d’un
nouvel événement, de résolution celui-là, « – Puis l’adorée, un soir, a daigné vous
écrire… ! », qui conduit à la situation finale : « – Ce soir-là,… – vous rentrez aux
cafés éclatants, ». Notons aussi le rôle des points de suspension qui ponctuent
chacun de ces moments, comme pour laisser le lecteur imaginer le trouble et les
sentiments de l’adolescent.
L'aventure amoureuse
Avant d’être vécue, elle est d’abord rêvée, mais déjà dans une expression de
sensualité : « on se sent aux lèvres un baiser / Qui palpite là, comme une petite
bête… » Toutes les lectures semblent, à travers le néologisme et le pluriel, venir
soutenir les rêves amoureux de l’adolescent : « Le cœur fou Robinsonne à travers
les romans ».
Mais, dans les romans, l’amour se heurte forcément à des obstacles et exige
de l’amant qu’il surmonte des épreuves. C’est ce que reproduit ici l’hypallage qui
attribue au « faux-col » ce qui relève en fait de ce « père » qui, en accompagnant
sa fille, l’enveloppe de son « ombre », d’une noirceur destinée à la rendre
inaccessible : elle marche « sous l’ombre du faux-col effrayant de son père ». Le
coup de foudre est immédiat, c’est une possession entière, traduit par la répétition
de « Vous êtes amoureux ». Il s’agit alors de conquérir celle qui, comme dans la
tradition courtoise reprise par les romantiques, est désignée comme « l’adorée »,
divinisée par la majuscule du pronom , conquête qui réactive la fonction assignée à
la poésie : « Vos sonnets La font rire ». L’amant se place ainsi sous la
dépendance totale de la femme aimée, jusqu’à la réception de cette lettre : elle
« a daigné vous écrire… ! » L’exclamation indique l’importance de ce moment, mais
auquel les points de suspension conservent tout son mystère. Quel est le contenu
de cette lettre ? Seuls l’indice antérieur, « jusqu’au mois d’août », et le retour dans
les « cafés », donc la reprise du cours ordinaire de l’existence, permettent de
penser qu’elle met fin aux quatre chapitres de ce « roman ». Rupture imposée, ou
fuite du jeune homme qui ne souhaite pas s’engager davantage ? Au lecteur de
combler le vide…
L'autoportrait
L'adolescence
Le poème n’utilise pas le pronom « je », mais l’indéfini « on » qui généralise
cette aventure amoureuse. En répétant, au début et à la fin, « on n’est pas
sérieux, quand on a dix-sept ans », avec la diérèse qui amplifie l’adjectif et le
présent à valeur de vérité générale, il fait de ce bref « roman » l’illustration
même de l’adolescence. C’est l’âge de la contestation, du rejet de la morale
adulte qui voudrait imposer à la jeunesse le « sérieux ».
Mais l’adolescence est une période ambivalente, comme suspendue entre
l’enfance et le monde adulte, hésitation reflétée par les deux boissons citées,
« les bocks » ou « la limonade ». Même le langage poétique traduit cette
ambivalence, en conservant une expression parfois enfantine, par exemple avec la
répétition, « Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin ! », ou la
comparaison du « baiser » à « une petite bête ».
La conjonction « et », qui relie la légèreté des « dix-sept ans » à la présence des
« tilleuls verts », exprime aussi, de façon cocasse, l’idée que l’adolescence
correspond à l’éveil de sensualité, des désirs, encore flous : « La sève est du
champagne et vous monte à la tête… » unit la nature à cet état d’ivresse des sens,
que les points de suspension semblent prolonger. L’adolescent est donc l’âge où un
« cœur fou » est tout prêt à se laisser prendre par « une demoiselle aux petits airs
charmants », celle qui saura vous pousser à imiter ce que les » romans » d’amour
décrivent.
Le romantisme démythifié
Le cadre choisi pour cette rencontre amoureuse, spatial, avec « les tilleuls verts »,
et temporel, cette « nuit de juin » douce et parfumée, répond à l’image traditionnelle
dans la poésie romantique. Cependant, Rimbaud y introduit des éléments qui
viennent rompre cette atmosphère idyllique. Déjà, « la ville n’est pas loin »,
donc le jeune garçon ne lui échappe pas complètement, il en sent même encore les
« parfums de bière ».
De plus, sa description semble rétrécir le cadre nocturne, avec la répétition de
l’adjectif « petit » dans le troisième quatrain et la comparaison qui ôte à la nuit toute
sa splendeur romantique : « – Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon / D’azur
sombre, encadré d’une petite branche ». Ce même rétrécissement s’applique au
ciel, une seule « mauvaise étoile », à peine distincte, « petite et toute blanche ».
Enfin, la jeune fille ne surgit pas dans un rayon éclatant de lune, mais « dans la
clarté d’un pâle réverbère ». Elle n’est d’ailleurs pas décrite, car, finalement, peu
importe : il ne s’agit pas de vivre l’amour unique, de trouver l’âme-sœur chère aux
romantiques, mais seulement d’éprouver quelques moments d’ivresse.
La distanciation
Après le pronom « on », le moment du coup de foudre introduit un glissement, mais
non pas au « je » lyrique » mais au « vous » : « – Sur vos lèvres alors meurent les
cavatines… » C’est comme si intervenait un dédoublement entre le poète
écrivant et l’adolescent vivant le « roman », le premier contemplant le
comportement du second avec un sourire amusé et se moquant gentiment de
son exaltation. C’est ce que traduit le portrait de la « demoiselle », où l’allitération
en [ t ] imite la vivacité de la marche et du mouvement : « Tout en faisant trotter ses
petites bottines, / Elle se tourne, alerte ». C’est donc la jeune fille qui, avec
coquetterie, prend l’initiative, ce que souligne le poète : « Et, comme elle vous
trouve immensément naïf ».
L’expression amoureuse elle-même traduit cette naïveté, déjà par la répétition
« Vous êtes amoureux », comme pour s’en persuader soi-même, alors que la
formule « Loué jusqu’au mois d’août » réduit considérablement ce « roman »
d’amour en fait bien banal à en juger par le jugement critique des autres : « Tous
vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût ». Même la poésie dédiée à son
« adorée » obtient des réactions bien éloignées de l’émotion espérée : « Vos
sonnets La font rire. » L’adolescent amoureux n’est guère pris au sérieux, et la
dernière lettre, pourtant attendue, met fin à ce beau « roman », qui n’était, en
réalité, qu’une amourette d’été.
Eva Gonzalès, Portrait d’une femme en blanc, 1879. Huile sur toile, 100,5 x 81,
détail. Collection particulière
CONCLUSION
Ce poème est bien éloigné du ton lyrique propre à l’expression amoureuse. Il est
plutôt la reconstitution d’un moment léger de l’adolescence vagabonde de
Rimbaud, qui ne se souvient de ses lectures que pour mieux en sourire. Car tout
est sourire ici, les occupations d’un soir d’été, l’ivresse, les rêves sensuels, l’amour
rêvé plus que vécu, et même les « sonnets » alors composés qui « font sourire ».
Mais ce sourire conduit à démythifier cette aventure, « roman », c’est-à-dire
inventée le temps d’un poème, témoignage de l’illusion qu’est l’amour, au-delà
de l’élan et des enthousiasmes. Ainsi, le poème traite de façon originale ce qui
était un thème conventionnel de la poésie lyrique.
Question de grammaire :
Relevez et analysez une subordonnée conjonctive circonstancielle dans la phrase :
« l’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière. » v6