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Yaxin ZHOU

Quand en 1979, Waltz a introduit la notion de structure internationale en RI, les États souverains

étaient ses objets d’études principaux. Pour Waltz, cela ne relève que de l’évidence : ce sont les

États qui décident de la guerre et de la paix, ils ont fait émerger un système d’anarchie

internationale et c’est sur eux que la pression systémique pèse (Waltz, 1979). Vingt ans après,

Wendt a précisé que l’anarchie systémique à la Waltz est en fait une anarchie westphalienne, une

anarchie non sans normes, une anarchie dans laquelle les États s’interagissent entre eux et avec la

dynamique systémique : les États se mettent d’accord sur la reconnaissance mutuelle et sur des

règles interétatiques, ils construisent et sont construits par la structure anarchique (Wendt, 1999).

Pour Waltz et Wendt, les États et la structure internationale, sont de toute évidence, les objets

principaux en RI. Cependant, cette approche état-centrique et euro-centrique est-elle encore

pertinente avec la décolonisation et la globalisation ? À une époque où la légitimité même des

termes l’État, la souveraineté et la structure internationale sont remis en question, à l’intérieur

comme à l’extérieur des territoires souverains, la réponse me semble négative.

Au tournant du 20e siècle, à la lumière de la globalisation et de la décolonisation, les débats

autour des États souverains et de la structure internationale ont été relancés. Néanmoins, cette fois-

ci, la dynamique était tout autre. Plutôt que de prendre les relations interétatiques et les États pour

acquis, un nombre croissant de chercheurs se questionnaient sur l’origine de ces deux constructions

politiques et sur le pouvoir qu’elles introduisent et font internaliser dans la communauté

internationale. D’abord, l’origine et la légitimité des États souverains sont réexaminées en

profondeur. Dans Sovereignty : organized hypocricy, Krasner a distingué quatre types de

souveraineté étatique, à savoir la souveraineté légale internationale, la souveraineté westphalienne,

la souveraineté domestique et la souveraineté d’interdépendance (Krasner, 1999). Si les deux

premières souverainetés étatiques sont assurées par la reconnaissance mutuelle des autres États

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souverains (et donc sont assurées par l’autorité des États sur la scène internationale), les deux

dernières sont garanties par l’autorité mais aussi par le contrôle effectif sur le territoire (Krasner,

1999). Cependant, force est de constater que les deux penchants de la souveraineté étatique :

externe et interne sont tous les deux menacés à l’ère de la globalisation. La souveraineté externe,

incluant la reconnaissance légale internationale (la souveraineté légale internationale) et la

territorialité et l’exclusion d’intervention extérieure (la souveraineté westphalienne), est défiée par

les États souverains eux-mêmes : par la convention ou le contrat quand les États choisissent de

céder une partie de leurs souverainetés en faveur des autres intérêts ; et par la coercition ou

l’imposition quand les États sont forcés d’accepter la concession sur leurs souverainetés par les

contraintes matérielles ou par la menace d’existence (Krasner, 1999). Dans toutes ces quatre

déviations des souverainetés externes, les États souverains, bon gré ou mal gré, amenuisent

l’exclusivité de leurs souverainetés, à un degré divers.

La souveraineté interne quant à elle, voit sa légitimité s’effriter à mesure que le pouvoir

étatique sur le territoire se décentralise et se disperse au sein de la société, au profit des acteurs

non étatiques et privés (Strange, 1996). Les États souverains, semblerait-il, ne jouissent désormais

plus d’une autorité absolue, leurs retraits sur la scène internationale et dans la vie quotidienne des

citoyens amènent Susan Strange à parler du déclin des États (Strange, 1996). Dans The Retreat of

the State, Susan Strange a constaté que la relation État-marché a complètement changé au

détriment de l’État avec la globalisation : la force du marché mondial agit par la finance, la

technologie et le commerce et cette force transforme la relation État-Marché-Société dans deux

sens : (1) L’État perd progressivement ses compétences exclusives sur les affaires régaliennes : la

sécurité, la monnaie, la taxation etc., (2) L’État n’arrive pas à exercer un contrôle efficace sur les

nouveaux défis. Dans tous ses sens du terme, la souveraineté se détache de l’État en même temps

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que les différents aspects de la souveraineté sont exercés et assumés de manière différente par les

acteurs non-étatiques (Strange, 1996).

Ensuite, avec le changement de rapport de force entre l’État et les autres acteurs, la

structure internationale se transforme en structure globale dans laquelle les politiques

deviennent une activité commune de tous les agents globaux. Cette transition vers une structure

globale a commencé dans un premier temps par une prise de conscience de la hiérarchie et

l’injustice derrière la structure internationale qui pourtant se prétend anarchique. Dans Regimes of

Soverignty : International Morality and the Africain Condition, Grovogui se questionnait sur la

légitimité du système westphalien international : à qui en fait profit le régime de souveraineté ? En

comparant le processus de l’établissement du régime westphalien en Belgique et en Suisse d’un

côté et celui du Congo de l’autre, Grovogui a démontré que le régime de souveraineté et ses règles

découlées que les chercheurs en RI considèrent souvent comme allant de soi, légitimes et

universelles ne sont que le produit des intérêts et des désirs des pays occidentaux (Grovogui, 2002).

Autant dans le cas de la Belgique et de la Suisse, ce régime de souveraineté était le résultat de

l’équilibrage du pouvoir des grandes puissances, autant ce régime constitue aujourd’hui une excuse

pour blanchir le passé colonial des pays européens et pour justifier leur néo-colonialisme : ils

déplorent l’état en faillite des pays africains, selon leurs critères westphaliens. Ils y interviennent

et instaurent un régime de souveraineté, un régime qui fonctionne et qui aurait fait de ces pays

africains de vrais États. Grovogui a ainsi dénoncé la hiérarchie et la condescendance systémiques

internalisées dans le régime de souveraineté, ce régime sert à la fois à légitimer les pouvoirs

occidentaux et à délégitimer les autres régimes politiques : pour avoir une reconnaissance du

système international (qui est en fait de nature westphalienne), il faut d’abord devenir un joueur

westphalien et donc se soumets aux intérêts des pays qui le sont déjà.

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Dans un deuxième temps, la transition passe de la révélation de la nature hiérarchique et

coloniale de la structure internationale actuelle à la reconception et la reconstruction d’une

nouvelle structure globale et inclusive. Dans son livre Global Indigenous Politics, A subtle

revolution, Lightfoot a décrit à quoi ressemble une telle structure. Comme Giovogui, Lightfoot a

commencé ses arguments par déconstruire la structure internationale actuelle : Il estime que la

structure actuelle ne devrait plus jouir de la même légitimité qu’elle en avait, car celle-ci ne traduit

qu’une distribution asymétrique et inégale du pouvoir entre les pays occidentaux d’un côté et les

peuples colonisés de l’autre. La structure internationale est, en fait un outil des colonisateurs pour

qui internaliser leur discours colonial et stabiliser le rapport de pouvoir (Lightfoot, 2016). Pour

remplacer cette structure westphalienne par une nouvelle structure globale et post-coloniale,

Lightfoot pensait à intégrer d’autres acteurs que les États occidentaux dans la communauté globale,

en l’occurrence les peuples autochtones. Longtemps laissés dans l’oubli, le combat que les peuples

indigènes mènent pour rentrer dans la structure internationale contribue en effet à transformer la

structure et les pratiques de politiques globales : (1) il contribue à élargir les droits humains pour

inclure les droits collectifs qui revendiquent à la fois les droits doux, à savoir la culture, l’éducation,

la langue, l’identité et la spiritualité ; et les droits durs, à savoir le droit au territoire et le droit à

l’autodétermination d’un entité non-étatique ; (2) il pousse à réfléchir sur les termes centraux en

RI, sur le pouvoir derrière ces termes et sur leur pertinence dans une ère post-coloniale et de

globalisation, comme l’État, le libéralisme et la diplomatie, pour n’en citer que quelque uns ; (3)

il favorise le changement de paradigme dans la perspective des normes internationales : les normes

n’émergent pas nécessairement des États mais aussi des autre acteurs non-étatiques et avec ces

derniers, l’ordre politique mondial peut se concevoir de manière différente pour se détacher

désormais d’une approche euro-centrique et état-centrique.

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On aurait compris, le regard vers les États, la souveraineté et le système international a

complètement changé, l’époque où l’État pouvait réclamer ses prérogatives sur les affaires

domestiques et internationales est révolue. Aujourd’hui, la légitimité de l’État est contestée à deux

degrés. Le premier degré consiste à déplorer le déclin des États dans sa capacité d’assumer et

d’exercer ses responsabilités sur les dossiers nationaux et internationaux. Les États doivent

désormais composer avec d’autres acteurs non-étatiques à l’intérieur comme à l’extérieur de leurs

frontières. Le deuxième degré représente une approche plus critique qui s’intéresse aux

conséquences néfastes de ce système étatique westphalien sur les acteurs non-étatiques et sur les

États dits en faillite. L’approche euro-centrique est remise en question et le terme État même est

réexaminé avec une perspective post-coloniale. Quand Waltz concevait sa théorie de structure,

dans son imaginaire, cette construction métaphysique de structure est constante et stable, quoique

les États au sein de cette structure changent leurs comportements. Je serais curieuse de connaître

sa réponse sur la structure mondiale actuelle où les États devraient composer avec la montée en

puissance des acteurs non-étatiques et que le régime de souveraineté en soi est délégitimé de tous

les sens.

Bibliographie

Grovogui, Siba N. “Regimes of Sovereignty: International Morality and the African Condition.”
European Journal of International Relations 8, no. 3 (September 1, 2002): 315–38.
https://doi.org/10.1177/1354066102008003001.
Krasner, Stephen D. “Sovereignty and Its Discontents.” In Sovereignty: Organized Hypocrisy.
Princeton: Princeton University Press, 1999. https://www.jstor.org/stable/j.ctt7s9d5.
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———. “Post-Colonial Completion, a New Vision of What the Post-Colonial Can and Should
Mean.” In Global Indigenous Politics : A Subtle Revolution. London: Routledge, 2016.

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Yaxin ZHOU

Strange, Susan. “The Declining Authority of States.” In The Retreat of the State. Cambridge:
Cambridge University Press, 1996. https://www.cambridge.org/core/books/retreat-of-the-
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———. “The State of the State.” In The Retreat of the State. Cambridge: Cambridge University
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Waltz, Kenneth N. “Anarchic Orders and Balances of Power.” In Theory of International Politics.
Sydney: Addison-Wesley Publishing Company, 1979.
Wendt, Alexander. “The State and the Problem of Corporate Agency.” In Social Theory of
International Politics. Cambridge: Cambridge University Press, 1999.

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