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Les Éditions Transcontinental

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du
Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Mintzberg, Henry, 1939-
[Simply managing. Français]
Gérer dans l’action : la version condensée du best-seller Gérer (tout simplement) à
l’intention des patrons pressés
Traduction de : Simply managing.
ISBN 978-2-89472-748-5
1. Gestion. 2. Efficacité organisationnelle. 3. Chefs d’entreprise. I. Titre. II. Titre :
Simply managing. Français.
HD31.M56214 2014 658 C2014-940656-8
First published by Berrett-Koehler Publishers, Inc., San Francisco, CA, USA. All
Righs Reserved.
Copyright © 2013 by Henry Mintzberg
Ce livre a été publié originalement en anglais sous le titre Simply Managing par
Berrett-Koehler Publishers, Inc.
Traduction : Nathalie Tremblay
Révision : Danielle Charron
Correction : Odette Lord
Photographie de l’auteur : Owen Egan
Imprimé au Canada
© Les Éditions Transcontinental, une marque de commerce de TC Média Livres
Inc., 2014 pour la version française publiée en Amérique du Nord.
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2e trimestre 2014
Bibliothèque et Archives Canada
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La version condensée du best-
seller Gérer (tout simplement) à
l’intention des patrons pressés
Autres ouvrages d’Henry Mintzberg

Management : It’s Not What You Think


Managing (Gérer [tout simplement])
Tracking Strategies
The Flying Circus (Je déteste l’avion)
Strategy Bites Back
Managers not MBAs (Des managers, des vrais ! Pas des MBA)
The Strategy Process
Managing Publicly
Strategy Safari (Safari en pays stratégie)
The Canadian Condition (Les propos d’un pur coton)
The Rise and Fall of Strategic Planning
(Grandeur et décadence de la planification stratégique)
Mintzberg on Management
(Le management : voyage au centre des organisations)
Structure in Fives
Power In and Around Organizations
(Pouvoir et gouvernement d’entreprise)
The Structuring of Organizations
(Structure et dynamique des organisations)
The Nature of Managerial Work
(Le manager au quotidien. Les 10 rôles du cadre)
TABLE DES MATIÈRES

Bienvenue dans Gérer dans l’action

1. La gestion au-delà des mythes


Les mythes et réalités de la gestion
Quelques exemples assez peu réjouissants
Le leadership, une affaire de communauté
La gestion vue comme une pratique plutôt que comme
une profession
La gestion n’est pas le changement

2. La gestion incessante
Les pressions de l’exercice de la gestion
Il y a savoir et savoir
L’effet Internet
Un chaos calculé

3. La gestion de l’information, des


gens et de l’action
Un modèle de gestion
La gestion, un rôle à la fois
Un aperçu du modèle
La formulation et la planification
La gestion par l’information
La gestion avec les gens
La gestion de l’action
La gestion équilibrée

4. La gestion de toutes sortes de


façons
L’infinie diversité de la gestion
La gestion, au cas par cas
Le contexte externe de la gestion
La nature de l’organisation
Les pressions temporaires de la gestion
La personne en poste
Les postures de la gestion
La gestion au-delà du gestionnaire

5. La gestion sur la corde raide


Les paradoxes inéluctables de la gestion
Le syndrome de la superficialité
La difficulté de la planification
Le labyrinthe de la décomposition
Le dilemme de la connexion
Le dilemme de la délégation
Les mystères de la mesure
L’énigme de l’ordre
Le paradoxe du contrôle
Le conflit de la confiance en soi
L’ambiguïté de l’action
L’énigme du changement
Le paradoxe ultime
Mon propre paradoxe

6. La gestion efficace
L’essence de la gestion
Les qualités du gestionnaire prétendument efficace
Le gestionnaire inévitablement imparfait
Les familles organisationnelles dirigées de façon
malheureuse
Les familles organisationnelles bien dirigées
La sélection des gestionnaires efficaces
L’évaluation de l’efficacité en matière de gestion
Le développement efficace des gestionnaires
La gestion, tout naturellement
Dédicace
Bibliographie
Index
À propos de l’auteur
Bienvenue dans Gérer dans
l’action

Cet ouvrage, qui porte sur l’exercice de la gestion, s’adresse


aux gestionnaires en fonction, ainsi qu’à toute personne
influencée par cet exercice ou qui s’y intéresse. Il peut s’avérer
particulièrement utile aux gestionnaires qui débutent dans le
métier et qui sont déconcertés par ce nouvel univers étrange.
Gérer dans l’action est une version considérablement resserrée
et un tant soit peu révisée de mon ouvrage Gérer (tout
simplement) paru en 2010, afin que le lecteur occupé puisse
aller à l’essentiel.
J’ai fait ressortir des phrases clés en caractères gras tout
au long de l’ouvrage, pour vous offrir un résumé fluide des
éléments principaux. (Je ne résume pas les chapitres. À mon
avis, les phrases en caractères gras sont plus efficaces.) Tenez-
vousen à ces repères si vous êtes un gestionnaire affairé,
comme ceux qui sont décrits au chapitre 2, et explorez le
contenu autour si vous aspirez à être un gestionnaire réfléchi,
comme ceux qui sont décrits au chapitre 5. Voici un aperçu des
six chapitres :
Le chapitre 1 introduit l’ouvrage par une remise en
question de certains mythes courants à propos de la
gestion. Par exemple, l’idée que le leadership est plus
important que la gestion. Ce chapitre est court, mais
nécessaire pour la suite des choses. Je vous incite à le
lire !
Le chapitre 2 présente les pressions incessantes que
subissent les gestionnaires – le rythme soutenu, les
interruptions, le désordre à ordonner, et bien plus encore.
Prenez le temps de le découvrir… vous aurez peut-être des
surprises.
Le chapitre 3 s’intéresse au contenu de la gestion – ce que
les gestionnaires font et pourquoi. La gestion est décrite
sur trois « plans » : celui de l’information, celui des gens
et celui de l’action. Les phrases en caractères gras peuvent
s’avérer ici fort utiles.
Le chapitre 4 examine l’infinie diversité de la gestion :
dans différentes cultures ; à divers échelons de la
hiérarchie ; exercée comme un art, un artisanat ou une
science ; et ainsi de suite. Les phrases en caractères gras
peuvent vous aiguiller vers certaines conclusions
inattendues.
Le chapitre 5 plonge au cœur de ce qui complique la
gestion : les paradoxes qui forcent tout gestionnaire à
marcher sur plusieurs cordes raides à la fois. Par exemple :
comment le gestionnaire peut-il être connecté lorsqu’il est,
de façon intrinsèque, déconnecté ? Comment rester
confiant sans devenir arrogant ? À mon avis, c’est le
chapitre le plus important de l’ouvrage : lisez-le pour
comprendre les aspects impossibles à résoudre de la
gestion, plutôt que de tenter de le résoudre.
Le chapitre 6 porte sur ce qui rend un gestionnaire efficace.
Ne vous attendez pas aux exhortations habituelles. Vous
verrez plutôt que tout gestionnaire devrait être choisi
autant pour ses défauts que pour ses qualités (et qui le
connaît mieux que ceux qui ont travaillé sous ses ordres),
que le meilleur gestionnaire est celui qui semble lucide et
sain sur le plan émotionnel, et bien d’autres choses encore.
Terminée la gestion héroïque, il est temps de passer au
style de gestion engageant !
Chapitre 1

La gestion au-delà des


mythes
Les mythes et réalités de la gestion
Il y a une cinquantaine d’années, Peter Drucker (1954) a sorti
la gestion de l’ombre. Depuis, elle s’est fait éclipser par le
leadership. Nous sommes désormais submergés d’histoires
relatant les exploits remarquables et les échecs retentissants de
grands leaders, mais nous ne comprenons toujours pas les
réalités du gestionnaire.
Cet ouvrage porte sur la gestion, la gestion pure et simple,
même si son exercice n’est pas simple. Il examine les
caractéristiques, les contenus et les styles de la gestion
pratique. Il expose également les problèmes avec lesquels les
gestionnaires doivent composer et les moyens qu’ils peuvent
utiliser pour accroître leur efficacité. Mon objectif est simple :
la gestion est importante pour quiconque est touché par son
exercice, c’est-à-dire pas seulement les gestionnaires, mais
bien tout le monde. Nous devons donc mieux comprendre la
gestion afin de mieux l’exercer. Cet ouvrage aborde des
questions telles que :
Les gestionnaires sont-ils trop occupés à gérer ?
Le leadership est-il nécessairement distinct de la gestion ?
Internet gêne-t-il les gestionnaires ou facilite-t-il les
choses ?
Comment les gestionnaires peuvent-ils être connectés
quand la nature même de leur travail les éloigne de ce
qu’ils gèrent ?
Où est passé l’esprit critique ?
Depuis des années, je demande à des groupes de gestionnaires
ce qui s’est passé le jour où ils sont entrés en fonction, s’ils ont
reçu des conseils particuliers. La réaction est presque toujours
la même : regards interrogateurs, haussements d’épaules. On
est censé comprendre la gestion par soi-même, comme le sexe,
j’imagine, habituellement avec des conséquences tout aussi
embarrassantes. Hier, vous jouiez de la flûte ou vous faisiez
des opérations chirurgicales ; aujourd’hui, vous vous retrouvez
à gérer des gens qui exercent ces activités. Vos fonctions ont
changé du tout au tout, mais vous êtes laissé à vous-même,
perdu et surchargé. Cet ouvrage vise à vous aider non pas en
donnant des réponses faciles (puisqu’il n’y en a pas), mais en
favorisant une meilleure compréhension.

Quelques exemples assez peu réjouissants


À la fin des années 1960, pour ma thèse de doctorat, j’ai
observé cinq cadres supérieurs pendant une semaine. Ce
travail a donné lieu à mon premier ouvrage, The Nature of
Managerial Work (1973) (paru en français en 1984 sous le titre
Le manager au quotidien. Les 10 rôles du cadre). Dans les
années 1990, j’ai réexaminé ce sujet en observant, pendant une
journée chacun, 29 gestionnaires issus de milieux variés :
entreprise privée, fonction publique, soins de santé et ONG – à
divers échelons, de la haute direction à la supervision, en
passant par la gestion intermédiaire, dans des organisations
comptant de 18 à 800 000 employés (voir la figure 1). Ces
observations se sont avérées à la fois révélatrices et peu
réjouissantes. (La description et l’interprétation des 29
journées sont accessibles sur www.mintzberg-managing.com.)
J’ai utilisé ces résultats dans mon ouvrage Gérer (tout
simplement). Gérer dans l’action est une version abrégée de
Gérer (tout simplement) pour les gestionnaires et tous ceux
qui s’intéressent à la gestion. Voici quelques-uns des
exemples assez peu réjouissants.
Les cadres supérieurs sont censés adopter une
perspective à long terme et avoir une vue
d’ensemble ; quant aux cadres intermédiaires, ils
s’occupent normalement de problématiques plus
circonscrites, plus immédiates. Pourquoi alors
Gordon Irwin, directeur des aires aménagées du
parc national de Banff, se préoccupait-il tant des
conséquences environnementales de
l’agrandissement du stationnement d’un centre
de ski, tandis qu’à Ottawa Norman Inkster,
commissaire de la Gendarmerie royale du
Canada (GRC), regardait le téléjournal de la
veille pour préparer des réponses aux questions
embarrassantes qu’on poserait à son ministre ce
jour-là ?

Figure 1 Les 29 gestionnaires observés*


* La description et l’interprétation des 29 journées sont accessibles sur
www.mintzberg-managing.com.

Pourquoi Jacques Benz, directeur général de GSI,


une société de haute technologie parisienne,
assistait-il à une réunion sur le projet d’un client ?
En tant que haut dirigeant, n’aurait-il pas dû être
dans son bureau, à élaborer de grandes stratégies ?
C’est ce que Paul Gilding, directeur général de
Greenpeace International, essayait, lui, de faire,
même s’il en retirait surtout de la frustration. Lequel
des deux s’acquittait réellement de ses tâches ?
Un des gestionnaires étudiés était Alan Whelan de la
British Telecom (BT) en Grande-Bretagne. Puisqu’il
était directeur des ventes, on aurait pu croire qu’il
rencontrait des clients ou, à tout le moins, qu’il
aidait son équipe à leur vendre des produits. Or, le
jour où je l’ai rencontré, il était bel et bien en train
de vendre, mais à un dirigeant de sa propre société
qui hésitait à approuver son contrat le plus
important. Pour reprendre les termes traditionnels
de la gestion, Alan Whelan était-il occupé à
planifier, à organiser, à commander, à coordonner
ou à contrôler quelque chose ?
Fabienne Lavoie, infirmière en chef du 4e Nord-
Ouest, une unité pré- et post-opératoire d’un hôpital
montréalais, travaillait de 7 h 20 à 18 h 45, à un
rythme qui m’épuisait. À un moment donné, en
l’espace de quelques minutes, je l’ai vue discuter
d’un pansement avec un chirurgien, valider la carte
d’hôpital d’un patient, réorganiser son tableau de
planification, parler avec une personne de la
réception, ausculter un patient qui faisait de la
fièvre, appeler quelqu’un pour un remplacement,
discuter de médication et converser avec la famille
d’un patient. La gestion est-elle censée être aussi
compliquée ?
Enfin, qu’en est-il de la célèbre métaphore du
gestionnaire chef d’orchestre qui dirige son équipe
pour l’amener à produire une belle musique ?
Bramwell Tovey, de l’Orchestre symphonique de
Winnipeg, est descendu de son estrade pour me
parler de son travail. « Ce qui est difficile, m’a-t-il
dit, ce sont les répétitions, et non les concerts. »
C’est moins glorieux. Et qu’en est-il de la
direction ? « C’est au compositeur qu’il faut se
subordonner », a-t-il ajouté. Alors, le chef dirige-t-il
vraiment l’orchestre ? Exerce-t-il réellement son
leadership ? « Nous ne parlons jamais de relations
de ce type », m’a répondu le maestro. C’est
éloquent, n’est-ce pas ?
Avant de poursuivre, je crois qu’il est utile de revenir sur trois
autres mythes importants qui empêchent de considérer la
gestion dans sa réalité. D’abord, on dit qu’elle est différente du
leadership ; ensuite, qu’elle constitue une science ou, du
moins, une profession ; enfin, que les gestionnaires vivent,
comme tout le monde, dans une ère de grands changements.

Le leadership, une affaire de


communauté
Il est devenu chic de distinguer les leaders des gestionnaires.
Les premiers font les choses qu’il faut faire et affrontent le
changement, alors que les seconds font les choses
correctement et affrontent la complexité (Bennis, 1989 ;
Kotter, 1990 ; Zaleznik, 1977). C’est bien beau, mais dites-
moi qui sont les leaders et qui sont les gestionnaires dans les
exemples ci-dessus ? Alan Whelan se contentait-il de tenir un
rôle de gestionnaire à la BT ? Bramwell Tovey se limitait-il à
un rôle de leader quand il était derrière son pupitre ? Jacques
Benz de GSI faisait-il les choses qu’il fallait faire ou les
accomplissait-il correctement ?
Voudriez-vous être géré par une personne sans leadership ?
Cela pourrait être très démotivant. Souhaiteriez-vous alors être
dirigé par un individu qui ne gère pas ? Cela pourrait être très
démobilisant. Comment un tel leader pourrait-il savoir ce qui
se passe au sein de son entreprise ? Comme l’a écrit Jim
March, de l’école de gestion de l’Université Stanford : « le
leadership est autant une affaire de plomberie que de poésie »
(dans Augier, 2004, p. 173).
J’ai observé John Cleghorn, PDG de la Banque
Royale du Canada, réputé au sein de son entreprise
comme un type qui, en route pour l’aéroport, appelle
au bureau pour signaler qu’un guichet automatique
est en panne. Cette banque compte des milliers de
guichets. John fait-il de la microgestion ? Veut-il
donner l’exemple pour que d’autres gardent l’œil
ouvert ?
En fait, nous devrions nous inquiéter davantage des
personnes qui pratiquent la « macrodirection ». Ces
individus, qui occupent des postes de direction, essaient
de gérer à distance. Ils sont déconnectés de tout, sauf de
la « vue d’ensemble ». De nos jours, les gens croient
qu’ils sont sur-gérés et sousdirigés. Je pense au contraire
que nous sommes sur-dirigés et sous-gérés.
Au lieu d’établir une distinction entre gestionnaires et
leaders, nous devrions considérer les gestionnaires comme
des leaders et le leadership comme le synonyme d’une saine
gestion.
De plus, alors qu’on a tendance à voir le leadership comme un
processus individuel, je soutiens dans cet ouvrage que
l’association de la gestion avec le leadership relève
naturellement de la communauté.

La gestion vue comme une pratique


plutôt que comme une profession
Après des années de quête du Saint-Graal, le temps est venu
de reconnaître que la gestion n’est ni une science ni une
profession.

Certainement pas une science


La science vise à acquérir des connaissances systématiques en
s’appuyant sur la recherche. Le but de la gestion consiste
plutôt à faire en sorte que les choses s’accomplissent au sein
des organisations.
La gestion applique la science : en effet, les gestionnaires
doivent utiliser le savoir qu’ils possèdent. Toutefois, la gestion
efficace découle davantage de l’art, et particulièrement de
l’artisanat. L’art produit la « compréhension de soi » et la «
vision », qui s’inspirent de l’intuition. (Peter Drucker a écrit en
1954 que « les jours des dirigeants intuitifs sont comptés » (p.
93). Soixante ans plus tard, nous comptons toujours.) Quant à
l’artisanat, il consiste à apprendre par l’expérience : le
gestionnaire voit aux choses au fur et à mesure qu’elles se
présentent.
Ainsi, comme le montre la figure 2, la gestion peut s’exercer
au sein d’un triangle dont les sommets sont l’art, l’artisanat et
la science. Le premier apporte les idées et l’intégration, le
deuxième permet les rapports à partir des expériences
tangibles et le troisième procure l’ordre au moyen de l’analyse
systématique de la connaissance.

Figure 2 La gestion vue comme un art, un


artisanat et une science

Aux gestionnaires, on laisse le « sale boulot », les problèmes


désagréables et les rapports complexes. Voilà pourquoi la
pratique de la gestion est si floue, et pourquoi les étiquettes
comme « expérience », « intuition », « jugement » et « sagesse
» sont si souvent nécessaires pour la décrire. Rassemblez une
bonne quantité d’artisanat, ajoutez-y la juste touche d’art
et saupoudrez le tout de science, vous obtiendrez alors un
travail qui est avant tout une pratique qui se maîtrise par
l’expérience et qui est ancrée dans le contexte. Il n’y a pas
qu’une seule façon de gérer. Tout dépend de la situation.

Et pas non plus une profession


Selon Lewin (1979), l’ingénierie, à l’instar de la gestion, n’est
ni une science pure ni une science appliquée, mais plutôt une
pratique. Toutefois, elle applique de nombreux principes
scientifiques, codifiés et certifiés sur le plan de l’efficacité. On
peut donc dire qu’il s’agit d’une profession : on l’enseigne
avant de la mettre en pratique, mais hors contexte. D’une
certaine façon, un pont est un pont, ou du moins de l’acier,
c’est de l’acier, même si son emploi doit être adapté aux
circonstances. On peut en dire autant de la médecine, mais pas
de la gestion. Très peu de notions sur l’exercice de la gestion
ont été codifiées de manière fiable, et encore moins
confirmées sur le plan de l’efficacité. C’est pour cette raison
que Linda Hill, dans son étude sur les nouveaux gestionnaires,
a conclu que les gens « devaient jouer le rôle de gestionnaire
avant de le comprendre » (2003, p. 45).
Depuis que Frederick Taylor (1916) a dit que sa méthode
d’étude du travail était « la meilleure », nous cherchons le
Saint-Graal de la gestion dans le monde de la science et dans
celui des professions. Aujourd’hui, cette quête se poursuit
dans les formules toutes faites des ouvrages populaires, telles
que la « planification stratégique » et la « valeur pour les
actionnaires » (tous deux des oxymorons). Cependant, les
réponses simplistes ont toujours échoué.
En ingénierie comme en médecine, le spécialiste est presque
toujours plus compétent que le profane. Ce n’est pas le cas en
gestion. Peu de gens accorderaient leur confiance à l’ingénieur
ou au médecin intuitif n’ayant reçu aucune formation.
Pourtant, ils l’accordent à des gestionnaires qui n’ont jamais
suivi de cours dans leur domaine (et nous nous méfions de bon
nombre de ceux qui ont passé deux ans dans un programme de
MBA ; à ce propos, voir mon ouvrage Managers, Not MBAs
[2004] paru en français en 2005 sous le titre Des managers,
des vrais ! Pas des MBA).
Le vrai professionnel, comme le vrai scientifique, est celui qui
est compétent. Cependant, le gestionnaire qui croit tout savoir
nuit à sa propre pratique, car il devrait avant tout jouer un rôle
de facilitateur.
Selon la définition retenue ici, le gestionnaire est responsable
de l’organisation dans son ensemble ou d’une unité de celle-ci.
Pour reprendre un vieux dicton, le gestionnaire accomplit sa
mission en bonne partie grâce au travail des autres. Il doit
savoir beaucoup de choses, particulièrement au sujet du
contexte dans lequel il travaille, et il doit prendre des décisions
en fonction de ces connaissances. Toutefois, surtout dans les
grandes organisations et dans les « industries du savoir », le
gestionnaire doit amener les autres à donner le meilleur
d’eux-mêmes, afin qu’ils puissent mieux connaître, mieux
décider et mieux agir.

La gestion n’est pas le changement


Le livre que vous avez entre les mains s’appuie sur des travaux
réalisés aux 20e et 21e siècles. Quant à mes 29 journées
d’observation, elles remontent aux années 1990. En général,
les ouvrages d’aujourd’hui ne sont pas conçus ainsi ; ils se
fondent plutôt sur des données aussi récentes que possible.
Mais en étant excessivement à jour, nous risquons d’être
subjugués par le présent et de manquer d’objectivité quant aux
histoires que nous croyons parfaitement connaître. Il est bon
de laisser s’écouler un peu de temps avant de se pencher sur
les événements.
Si vous assistez à un discours sur la gestion, vous constaterez
que, d’entrée de jeu, le conférencier annonce que « nous
vivons dans une période de grands changements » – le mantra
de tant de gestionnaires. Quand vous entendrez ces paroles,
jetez un œil sur nos vêtements et demandez-vous comment il
se fait qu’en période de bouleversements nous boutonnions
encore nos chemises… D’ailleurs, comment se fait-il que nous
conduisions encore des voitures propulsées par des moteurs à
combustion interne à quatre temps ? Le modèle T de Ford
n’utilisait-il pas un tel moteur ?
Pourquoi n’avez-vous pas remarqué vos boutons en vous
habillant ce matin ou cette vieille technologie qui vous a
permis de vous rendre au travail ? Au bureau, pourtant, vous
avez constaté un changement dans le système d’exploitation
de votre ordinateur. En fait, nous remarquons seulement ce
qui change, et la plupart des choses ne changent pas. Les
technologies de l’information se transforment ; tout le monde
le note. Il en va de même pour l’économie. Cependant, qu’en
est-il de la gestion ?
« Malgré la nouvelle mode du leadership, c’est encore la
gestion d’antan qu’on exerce, et ses caractéristiques
fondamentales n’ont pas changé. » (Hales, 2001, p. 54) Si les
défis que les gestionnaires doivent affronter se transforment
avec le temps, les modes de gestion, eux, restent relativement
immuables. Si vous en doutez, louez un vieux film sur les gens
qui gèrent une entreprise ou une guerre. Pensez également aux
exemples tirés des années 1900 présentés dans ce chapitre :
vous paraissent-ils dépassés ?
Dans cet ouvrage, je m’appuie sur de nombreuses années de
recherche en matière de gestion, et je puise à des sources qui
remontent parfois à près d’un siècle. Je le fais simplement
pour avoir le meilleur aperçu possible et, comme nous le
verrons, les recherches anciennes sont parfois les meilleures.
Gérer, c’est gérer.
Dans ce premier chapitre, j’ai voulu montrer clairement que
j’ai écrit cet ouvrage non pas pour renforcer la sagesse
traditionnelle – pour ajouter à cette rectitude guindée de la
gestion –, mais pour ouvrir de nouvelles perspectives, pour
amener les gens à se poser des questions et à réfléchir sur la
gestion. Ce livre ne devrait pas seulement vous permettre
d’acquérir des connaissances ; il devrait d’abord et avant tout
stimuler votre imagination, et vous pousser à réfléchir et à
vous interroger. La compétence du gestionnaire se mesure à
sa capacité à trouver, après mûre réflexion, des solutions à
ses problèmes. Comme vous le verrez au chapitre 5, la gestion
est un travail tissé de paradoxes, de dilemmes et de mystères
qui ne peuvent être résolus. Le seul résultat assuré de toute
formule de gestion (y compris de celle-ci, évidemment) est
l’échec.
Engageons-nous donc sur la voie des délices, des tâches et des
souffrances liées à l’exercice de la gestion.
Chapitre 2

La gestion incessante
Les pressions de l’exercice de la
gestion
Jetez un œil sur les images populaires de la gestion (le chef
d’orchestre à son pupitre, le cadre à son bureau dans les
caricatures du New Yorker), et vous verrez qu’elles la
présentent comme un travail bien ordonné, en apparence
soigneusement maîtrisé. Observez des gestionnaires à l’œuvre,
et vous verrez quelque chose de très différent : le rythme est
démentiel, les interruptions sont nombreuses, et les tâches sont
plutôt des réactions que des initiatives.
Ce chapitre décrit les caractéristiques dynamiques de la
gestion : la manière dont les gestionnaires travaillent, les gens
avec qui ils travaillent, à quel rythme ils travaillent, et ainsi de
suite. Une bonne partie des données provient d’études
effectuées il y a un certain temps, mais des recherches plus
récentes suggèrent qu’elles sont toujours d’actualité (par
exemple, Hales, 2001 et Tengblad, 2006).
Présentée dans mon premier ouvrage en 1973, cette
description n’aurait dû surprendre quiconque a passé une
journée dans le bureau d’un gestionnaire. Pourtant, elle a
touché une corde sensible chez beaucoup de gens, surtout des
gestionnaires, sans doute parce qu’elle remettait en question
certains des mythes les mieux ancrés. Quand je présentais mes
conclusions à des groupes de cadres, j’obtenais invariablement
le commentaire suivant : « Vous me rassurez ! J’imaginais les
autres en train de planifier, d’organiser, de coordonner et de
contrôler, pendant que moi, j’étais continuellement interrompu
et que je passais d’un dossier à un autre, tout en essayant de
maîtriser le chaos ».
Il y a savoir et savoir
Pourquoi ces personnes réagissaient-elles ainsi à des choses
qu’elles connaissaient pourtant ? Selon moi, c’est parce que la
connaissance se manifeste de deux façons chez l’être humain.
D’abord, nous savons certaines choses de manière consciente,
explicite ; nous pouvons les verbaliser, souvent parce que nous
avons beaucoup lu sur le sujet ou en avons amplement entendu
parler. Ensuite, nous savons certaines choses de manière
viscérale, tacite, par expérience.
Pour bien fonctionner, il faut employer ces deux formes de
savoir. Elles doivent se renforcer mutuellement. Cependant,
dans le domaine de la gestion, il arrive souvent qu’elles
s’opposent l’une à l’autre, perpétuant ainsi une série de mythes
– les idées reçues sur la planification, l’organisation et ainsi de
suite – qui vont à l’encontre des réalités de la gestion
quotidienne.
Pour faire évoluer de façon notable le travail de gestion, il
faut combiner sa réalité tacite avec sa représentation
explicite. C’est ce que ce chapitre se propose de faire en
traitant les thèmes suivants : le rythme soutenu de la gestion ;
la brièveté, la variété et la discontinuité de ses activités ; la
propension à l’action ; la préférence pour les communications
informelles et verbales ; la nature horizontale du travail (avec
collègues et partenaires) ; et le contrôle tacite plutôt
qu’explicite.

Idée reçue : Le gestionnaire est un planificateur réfléchi


et systématique.

Nous nous représentons souvent les gestionnaires (surtout


ceux qui occupent des échelons supérieurs) comme des
personnes assises à leur bureau en train de réfléchir aux
grandes questions, de prendre des décisions importantes et,
surtout, de planifier l’avenir. S’il existe beaucoup de données
relatives à cette représentation, aucune d’entre elles ne la
confirme.
Faits : De nombreuses études ont montré que :
(a) le gestionnaire travaille à un rythme
soutenu ;
(b) ses activités se caractérisent par la
brièveté, la variété et la fragmentation ;
(c) ses activités sont fortement axées sur
l’action.

Le rythme
Les études font régulièrement état du rythme soutenu du
travail de gestion, que ce soit dans le cas d’un contremaître
dont les activités durent en moyenne 48 secondes (Guest,
1955-1956, p. 478), d’un gestionnaire intermédiaire qui
parvient à travailler une demi-heure ou plus sans interruption
environ une fois tous les deux jours (Stewart, 1967) ou d’un
cadre supérieur dont la moitié des nombreuses activités durent
moins de neuf minutes (Mintzberg, 1973, p. 33). « Depuis les
années 1950, plus d’une quarantaine d’études s’intéressant à la
gestion ont montré que les cadres passent le plus clair de leur
temps à courir à gauche et à droite. » (McCall, Lombardo et
Morrison, 1988, p. 55).
Dans ma première étude, j’ai noté que le rythme de travail des
directeurs généraux était implacable. Depuis leur arrivée au
bureau le matin jusqu’à leur départ le soir, ils étaient sans
cesse sollicités par le téléphone et le courrier. Ils faisaient leurs
pauses et prenaient inévitablement leurs repas dans un
contexte lié au travail, et les gens autour d’eux ne se gênaient
pas pour les envahir dans leurs moindres moments libres. Un
d’eux m’a dit : « La gestion, c’est une sacrée affaire après
l’autre. »
La quantité de travail que le gestionnaire doit ou choisit de
faire dans sa journée, est considérable ; même après les heures
de bureau, le cadre supérieur demeure esclave des situations
qui relèvent du pouvoir rattaché à sa fonction et de sa
prédisposition à s’inquiéter des problèmes non résolus.
Cette attitude découle en partie de la durée et de la nature
indéterminée du travail de gestion. S’il est responsable du
succès de l’unité, le gestionnaire n’a aucun point de repère
tangible qui lui permet de dire : « Voilà, ma tâche est
accomplie. » L’ingénieur termine la conception d’un pont à
une certaine date ; l’avocat gagne ou perd une cause à un
moment donné. Le gestionnaire, lui, n’a pas le loisir de
s’arrêter, car il ne sait jamais avec certitude si l’affaire est dans
le sac ou sur le point de basculer. Par conséquent, la gestion
est un travail préoccupant : le gestionnaire ne peut
échapper à son travail ni connaître le plaisir de savoir,
même pendant un court moment, qu’il ne reste rien à faire.

La variété et les interruptions


Dans la société, une grande part du travail relève de la
spécialisation et de la concentration. Les ingénieurs et les
programmeurs peuvent passer des mois à concevoir une
machine ou un logiciel ; les vendeurs peuvent consacrer toute
leur vie professionnelle à vanter les mêmes produits. Les
gestionnaires, eux, ne peuvent espérer une pareille
concentration de leurs efforts.
La recherche de constantes dans le travail de gestion – que ce
soit à l’échelle de la journée, de la semaine ou de l’année – n’a
pas donné grand-chose, si ce n’est quelques conclusions
concernant les périodes de préparation du budget et autres
tâches du même ordre. Comme l’a di Lee Iacocca à propos de
son travail de chef de la direction éminemment visible : « Si
j’avais su ce qui m’attendait certains jours chez Chrysler, je
serais resté au lit. » (Iacocca, Taylor et Bellis, 1988). Ma
première étude a dégagé un résultat inattendu : les réunions et
autres contacts des directeurs généraux sont rarement
programmés. En moyenne, 13 réunions sur 14 ne sont pas
inscrites à l’agenda.
Par conséquent, on peut dire que le travail de gestion est
fortement fragmenté et qu’il comporte de nombreuses
interruptions : le gestionnaire reçoit un appel qui l’informe
d’un incendie dans une installation, puis il lit quelques
courriels ; sur ces entrefaites, un employé entre dans son
bureau pour l’avertir du dépôt d’une plainte par une
association de consommateurs, puis un autre, qui part à la
retraite, vient se faire remettre une plaque commémorative ;
encore quelques courriels, puis le gestionnaire se rend à une
réunion sur l’appel d’offres déposé en vue d’un contrat
important. Et ainsi de suite. Le plus étonnant, c’est que les
activités les plus importantes sont entrecoupées de
banalités. Le gestionnaire doit donc être prêt à changer
rapidement d’état d’esprit.
Dans une étude empirique qu’il a menée sur le travail de
gestion de directeurs généraux, l’économiste suédois Sune
Carlson (1951) a cherché à savoir pourquoi les cadres
n’évitaient pas davantage les interruptions en recourant
davantage à leurs secrétaires et en acceptant de déléguer le
travail. Le chercheur a cependant éludé un aspect important :
la brièveté, la variété et la fragmentation sont-elles imposées
aux gestionnaires ou, au contraire, choisissent-ils de travailler
dans ces conditions ? À mon avis, on doit répondre aux deux
questions par l’affirmative, surtout à la deuxième.
Les cinq directeurs généraux que j’ai observés au cours de ma
première étude semblaient soutenus de manière adéquate par
leurs secrétaires, et rien ne laissait croire qu’ils ne savaient pas
déléguer. En fait, ils préféraient les interruptions et
s’interdisaient d’avoir du temps libre. Par exemple, ils
mettaient euxmêmes fin à certaines réunions et à certains
appels téléphoniques. De la même manière, ils coupaient court
à leurs propres tâches pour faire des appels ou demander à
quelqu’un de venir les voir. Un d’entre eux avait même
disposé son bureau de façon à avoir une vue sur le couloir. Sa
porte était généralement ouverte, et ses employés venaient
continuellement le visiter.
D’où vient cette préférence pour les interruptions ? Dans une
certaine mesure, le gestionnaire les tolère parce qu’il ne
veut pas entraver la circulation de l’information. De plus,
s’il s’est habitué à avoir un travail varié, il craint peut-être de
s’ennuyer.
En réalité, le gestionnaire semble être conditionné par sa
charge de travail : il acquiert une sensibilité au coût de
renonciation de son temps, c’est-à-dire aux avantages qu’il
sacrifie en faisant une chose plutôt qu’une autre. Par
ailleurs, il est très conscient des obligations de son poste : le
courrier ne peut être remis à plus tard, il doit répondre aux
appels et il doit assister aux réunions. La gestion, écrivait
Leonard Sayles, un professeur de l’Université Columbia qui a
étudié les cadres intermédiaires américains, c’est « comme
tenir maison… Les robinets fuient presque tout le temps, et la
poussière réapparaît dès l’époussetage terminé » (1979, p. 13).
En d’autres termes, quoi qu’il fasse, le gestionnaire est sans
cesse poursuivi par ce qu’il pourrait et devrait faire.
Comme le disait le directeur de l’Association britannique du
football (soccer) à la suite des émeutes causées par les
hooligans : « Dans ce travail, il faut s’inquiéter en
permanence ! » C’est la raison pour laquelle les gestionnaires
se surchargent de travail, font les choses rapidement et évitent
de perdre du temps. Bref, la superficialité est un des risques
du métier. Pour réussir, le gestionnaire doit devenir
compétent dans cette superficialité.
On a dit du spécialiste qu’il sait de plus en plus de choses sur
de moins en moins de sujets, au point où il finit par savoir tout
sur rien. Le problème du gestionnaire se situe à l’opposé : il
sait de moins en moins de choses sur de plus en plus de sujets,
au point où il finit par ne rien savoir sur tout. Au chapitre 5,
nous reviendrons sur le « syndrome de la superficialité » et sur
d’autres paradoxes qui se rapportent à la gestion.

L’action
Les gestionnaires aiment l’action, les activités qui changent et
qui s’enchaînent ; ils adorent les tâches qui sont concrètes et
d’actualité sans être routinières. En général, ils ne passent pas
beaucoup de temps à débattre d’enjeux abstraits ; la plupart
préfèrent s’attaquer à des problèmes précis. Rares sont ceux
qui font de la planification générale ou qui visitent des
installations sans avoir au préalable un objectif bien établi.
Cela s’observe même dans leur emploi du temps. « On ne
devrait jamais demander à un cadre débordé de s’engager à
faire quelque chose pour la semaine prochaine ni même pour
vendredi prochain. Il n’inscrit pas de demandes aussi vagues
dans son agenda. Il faut être plus précis (par exemple,
vendredi à 16 h 15). Il notera alors le rendez-vous et réalisera
la tâche en temps opportun. » (Carlson, 1951, p. 71)
Le gestionnaire aime avoir de l’information actuelle. Il lui
accorde souvent la priorité et va même jusqu’à interrompre des
réunions, à réorganiser son emploi du temps et à déclencher un
tourbillon d’activités pour y donner suite. Bien sûr, cette
information est parfois moins fiable que celle qui a été mûrie,
analysée et comparée avec d’autres données. Mais c’est un
prix que le gestionnaire est prêt à payer pour obtenir les
renseignements les plus récents.
S’il a une telle propension à l’action, comment le gestionnaire
peut-il planifier ? À cet égard, les propos de Leonard Sayles
méritent d’être cités :
Nous […] préférons ne pas considérer la
planification et la prise de décisions comme des
activités distinctes. Elles sont inextricablement liées
l’une à l’autre dans la trame des contacts et des
interactions […]Dean Acheson rapporte que son
successeur au poste de secrétaire d’État, [John
Foster] Dulles, lui avait dit qu’il allait travailler
différemment, « qu’il allait se libérer de ce qu’il
appelait les problèmes d’administration et de
personnel afin d’avoir plus de temps pour penser.
[…] Cette manie de vouloir assimiler le gestionnaire
à l’Homme pensant d’Emerson, entouré de statues
de Rodin […] me semble anormale. Assurément,
penser ne peut être si difficile, si inaccessible et si
solennel. » (1964, p. 208-209)
Donc, la vraie planification se déroule dans la tête des cadres
et, de manière implicite, dans le contexte de leurs activités
quotidiennes. Il ne s’agit pas d’un processus abstrait qui se
déroule à huis clos, dans des endroits retirés, ou d’une pile de
formulaires à remplir. Pour conclure, les pressions inhérentes
à son milieu de travail n’encouragent pas le gestionnaire à
devenir un « planificateur réfléchissant », quoi qu’en dise
la littérature. Par la force des choses, il est plutôt un
manipulateur d’information adaptable qui aime les
situations concrètes.

Idée reçue : Le gestionnaire s’appuie sur de


l’information provenant d’un dispositif
formel.

Conformément à l’image classique du cadre perché sur la plus


haute branche de la hiérarchie, le gestionnaire est censé
recevoir les renseignements importants par l’intermédiaire
d’une sorte de système de gestion de l’information (SGI)
sophistiqué. Pourtant, cela n’a jamais été prouvé, ni avant
l’invention de l’ordinateur ni depuis, et ce, même à l’ère
d’Internet.

Fait : Le gestionnaire préfère habituellement la


communication informelle, surtout les appels
téléphoniques, les réunions et les courriels.

Voici les conclusions de deux études à ce sujet :


La seule chose dont les directeurs généraux se
plaignaient [concernant les rapports internes
qu’ils recevaient], c’était la quantité et
l’épaisseur des rapports, qui augmentaient sans
cesse. Il était devenu impossible de les lire tous
[…] Ces rapports […] constituent la pièce
maîtresse de la paperasse qui s’empile sur le
bureau ou dans la serviette du DG et qui est la
cause d’un si grand supplice mental. (Carlson,
1951, p. 89)
Il est à noter que Carlson s’est penché sur la question au
moment de l’invention du premier ordinateur. Essayez
d’imaginer l’épaisseur des rapports actuels ! La seconde
conclusion est tirée d’une étude sur les administrateurs de
SGI :
Ces gestionnaires faisaient peu confiance aux
sources d’information formelle […] Comme des
cordonniers mal chaussés, ils semblent être les
derniers à bénéficier directement de la technologie
qu’ils procurent. (Ives et Olson, 1981, p. 57)

L’information parallèle
Plusieurs études, dont la mienne, démontrent que de 60 % à
90 % du travail de gestion se fait verbalement. Un des PDG
que j’ai observés a jeté un œil sur la première enveloppe qu’il
avait reçue pendant la semaine (un rapport sur les coûts) et l’a
mise de côté en disant : « Je ne regarde jamais ça. » Un autre
gestionnaire m’a affirmé : « Comme vous le voyez, je n’aime
pas écrire des mémos. Je préfère de loin le contact en
personne. »
Contrairement aux autres types de travailleurs, le gestionnaire
ne met pas un terme à un appel, à une réunion ou à la
rédaction d’un courriel pour retourner au travail. En effet,
ces contacts constituent son travail. Sa productivité se
mesure plutôt en fonction de l’information qu’il transmet
verbalement ou par courriel. Comme le disait Jeanne Liedtka,
de la Darden School, au cours d’une conférence à laquelle j’ai
assisté : « La parole est la technologie du leadership. »
Les gestionnaires semblent donc apprécier l’information
parallèle, une découverte que j’ai faite dans mes recherches.
Les potins, les ouï-dire et les suppositions occupent une
place importante dans l’« alimentation informationnelle »
de ces cadres. La raison semble être sa rapidité de diffusion :
la rumeur d’aujourd’hui sera peut-être la réalité de demain. Le
gestionnaire qui néglige un courriel lui signalant que le client
le plus important de sa boîte a été vu en train de jouer au golf
avec son principal concurrent l’apprendra à ses dépens
lorsqu’il constatera, à la lecture du rapport trimestriel, que les
ventes de son entreprise ont périclité. À ce moment-là, il sera
peut-être trop tard pour intervenir. Comme me l’a dit un
gestionnaire : « Je serais dans de sales draps si en consultant
les documents comptables je trouvais de l’information que je
ne connais pas » (dans Brunsson, 2007, p. 17).
Songez à ces paroles de Richard Neustadt, qui a étudié les
modes de collecte de renseignements des présidents Roosevelt,
Truman et Eisenhower :
Ce n’est pas l’information générale qui permet à
un président de se faire une idée des grands
enjeux ; ce ne sont ni les résumés, ni les
sondages, ni les « amalgames insipides ». Ce
sont plutôt les détails tangibles glanés ici et là.
Une fois reconstitués dans son esprit, ils
illuminent la face cachée des enjeux. Pour
parvenir à ses fins, le président doit ratisser le
plus large possible, afin de rassembler toutes les
bribes de faits, d’opinions et de rumeurs qui sont
liés à ses intérêts et à ses relations. Il lui faut
devenir le directeur de sa propre agence de
renseignements. (1960, p. 153-154)
L’information formelle est objective, définitive, voire
concrète. Quant à l’information parallèle, elle est souvent
beaucoup plus riche, même si elle est moins fiable. Au
téléphone, on peut tirer bien des renseignements à partir du ton
de la voix de l’interlocuteur, et on a la possibilité d’interagir.
Dans les réunions, les expressions faciales et la gestuelle des
autres peuvent nous apprendre pas mal de choses. Il ne faut
jamais sous-estimer ces éléments. Quant au courriel, même s’il
n’offre pas ces avantages, il est beaucoup plus rapide que le
courrier traditionnel, donc plus interactif.

L’accès personnel au gestionnaire


Dans notre programme de maîtrise pour gestionnaires en
exercice (www.impm.org), chaque participant est jumelé à un
autre pour un « échange professionnel » ; chacun passe une
semaine sur le lieu de travail de l’autre. Tous ceux qui ont
vécu une semaine dans un pays dont ils ne connaissaient pas la
langue ont trouvé l’expérience des plus enrichissantes, et ce,
parce qu’ils devaient se concentrer sur les aspects non verbaux
de la communication.
Ce phénomène soulève une préoccupation importante : les
gens qui travaillent dans l’entourage immédiat de leur
gestionnaire peuvent, en raison de leurs contacts directs,
communiquer de manière plus efficace que leurs collègues
éloignés et être ainsi mieux informés, voire obtenir des faveurs
plus facilement. Nous parlons de plus en plus de l’abolition
des frontières, mais la plupart des organisations (même
celles dont les activités s’exercent à l’échelle internationale)
tendent à avoir un siège social local.
Bien sûr, le gestionnaire peut toujours prendre un avion pour
aller rencontrer des collègues et découvrir ce qui se passe
ailleurs. Toutefois, cela demande beaucoup plus de temps qu’il
n’en faut pour rédiger des courriels. Le danger est donc peut-
être de rester sur place et de communiquer par voie
électronique.

Les véritables banques de données des organisations


Deux aspects méritent d’être abordés ici. Premièrement, le
gestionnaire a tendance à préférer l’information stockée dans
le cerveau humain à celle qui est emmagasinée dans un
cerveau électronique, car celle-ci doit d’abord être écrite. Or, il
faut du temps pour écrire, et le gestionnaire, comme nous
l’avons vu, est une personne occupée. Même dans ses
courriels, il privilégie les réponses rapides plutôt que les longs
exposés. En conséquence, les données stratégiques des
organisations se trouvent autant dans le cerveau de leurs
gestionnaires que dans les fichiers de leurs ordinateurs.
Deuxièmement, la nature même de cette information
n’encourage pas le gestionnaire à déléguer. Il ne peut pas
simplement confier un dossier à quelqu’un ; il doit prendre le
temps de « vider » sa mémoire, de transmettre à la personne le
contenu du dossier, et cela risque d’être aussi long que
d’effectuer la tâche. Le gestionnaire peut donc être condamné
par son propre système d’information au « dilemme de la
délégation » – soit il ne délègue pas et se retrouve à en faire
trop, soit il délègue sans donner d’instructions adéquates.
Nous y reviendrons au chapitre 5.

Idée reçue : La gestion concerne avant tout les


relations entre des « supérieurs » et des «
subordonnés ».

Personne ne croit vraiment à cet énoncé. Nous savons tous que


la gestion s’exerce largement en dehors des liens
hiérarchiques. Toutefois, le fait d’employer les étiquettes «
supérieur » et « subordonnés » est révélateur, au même titre
que le sont l’obsession du leadership, l’omniprésence de
l’expression « haute direction » et les organigrammes rigides.

Fait : En gestion, les relations entre collègues et


partenaires sont aussi importantes que les
relations hiérarchiques.

Dans les ouvrages sur la gestion, on sous-estime l’importance


des relations horizontales. Pourtant, les études ne cessent de
montrer que les gestionnaires passent une grande partie de leur
temps de contact (souvent près de la moitié, voire plus) avec
une variété de gens n’appartenant pas à leur unité (clients,
fournisseurs, partenaires, représentants du gouvernement et
d’associations professionnelles), ainsi qu’avec des collègues
de leur organisation n’ayant aucun lien hiérarchique avec eux.
Les PDG ont de vastes réseaux d’informateurs qui leur font
parvenir divers rapports et qui les renseignent sur les derniers
événements et sur les occasions d’affaires. De plus, ils sont en
contact avec de nombreux spécialistes (consultants, avocats,
courtiers, etc.) et obtiennent d’eux des conseils d’expert. Les
gens des associations professionnelles les renseignent sur les
changements dans leur secteur d’activité.
J’ai étudié Brian Adams, directeur de
programme de conception d’avion chez
Bombardier, et qualifié son travail de « gestion
horizontale d’un ordre supérieur ». Il avait
d’énormes responsabilités, mais très peu
d’autorité formelle sur les nombreuses
personnes avec lesquelles il travaillait dans les
organisations partenaires (sous-traitants
responsables des pièces d’avion). De même,
Charlie Zinkan, un responsable du parc national
de Banff, devait composer avec les intérêts de
divers acteurs (promoteurs, écologistes, etc.) et
devait interagir avec eux le plus délicatement
possible.
On peut donc comparer la position du gestionnaire à la
partie centrale d’un sablier : il se situe à la jonction d’un
réseau de contacts externes et de l’unité qu’il gère. Il reçoit
toutes sortes de renseignements et de demandes provenant de
l’interne et de l’externe ; il doit les survoler, les absorber, puis
les déléguer aux autres.

Idée reçue : Le gestionnaire exerce un contrôle étroit


sur son temps, ses activités et son unité.

Comme nous l’avons déjà mentionné, la métaphore populaire


du chef d’orchestre est appropriée au monde de la gestion.
Voici comment le premier maître de la gestion, Peter Drucker,
l’a présentée dans son ouvrage classique, The Practice of
Management :
Considérons l’analogie [du gestionnaire] avec le
chef d’orchestre. Grâce aux efforts, à la vision et
au leadership du chef d’orchestre, les
instruments, qui ne produisent en eux-mêmes que
des bruits, deviennent une totalité vivante : la
musique. Il dispose toutefois de la partition
écrite par le compositeur : il n’est qu’un
interprète. Le gestionnaire, lui, est à la fois
compositeur et chef d’orchestre. (1954, p. 341-
342)
Sune Carlson, qui a étudié les horaires de travail de neuf
directeurs généraux suédois, utilise une métaphore bien
différente :
Avant cette étude, je pensais qu’un directeur
général était une sorte de chef d’orchestre seul
sur son estrade. Maintenant, je le perçois plutôt
comme une marionnette dont des centaines de
personnes tirent les ficelles, le forçant à agir
d’une façon ou d’une autre. (1951, p. 52)
Leonard Sayles, qui s’est penché sur les gestionnaires
intermédiaires aux États-Unis, écrit :
Le gestionnaire est comme le chef d’un orchestre
symphonique qui s’efforce d’obtenir une
prestation mélodieuse dans laquelle les
contributions des divers instruments sont
coordonnées, enchaînées, harmonisées et mises
en forme. Il doit accomplir cela dans un contexte
où les musiciens ont des problèmes personnels,
où des personnes déplacent les chevalets portant
les partitions, où l’alternance de la chaleur et du
froid incommode le public et nuit aux
instruments, et où l’organisateur du concert
insiste pour inclure dans le programme des
changements irrationnels. (1964, p. 162)
Quelle citation vous interpelle le plus ? Les gestionnaires
optent presque toujours pour la troisième.

Fait : Le gestionnaire n’est ni un chef d’orchestre


ni une marionnette ; dans la mesure du
possible, il exerce un contrôle implicite plutôt
qu’explicite en établissant des obligations
auxquelles il doit donner suite et en en
tournant d’autres à son avantage.

Si le travail de gestion s’apparente à la direction d’orchestre,


ce n’est certainement pas dans un contexte de spectacle
grandiose, où chacun est parfaitement préparé et donne sa
meilleure prestation, y compris l’auditoire. Il s’agit plutôt
d’une répétition où toutes sortes de choses peuvent aller de
travers et doivent être corrigées rapidement.
En vérité, cependant, le gestionnaire efficace n’est ni un chef
d’orchestre ni une marionnette ; il maîtrise les situations
malgré les contraintes en se ménageant une double marge de
manœuvre. D’abord, il prend un ensemble de décisions qui
définissent bon nombre de ses engagements (par exemple, en
lançant des projets qui, une fois en cours, exigent de son
temps). Et il adapte à ses propres finalités les activités dans
lesquelles il doit s’investir (par exemple, en profitant d’une
activité sociale pour faire valoir les intérêts de son
organisation).
En d’autres mots, le gestionnaire efficace crée certaines de
ses obligations et tire parti des autres. Son succès n’est pas
nécessairement attribuable à sa grande marge de
manœuvre, mais plutôt à l’utilisation avantageuse de celle
qu’il peut créer. Autrement dit, tous les gestionnaires
semblent être des marionnettes. Or, certains choisissent les
personnes qui actionneront les ficelles et décident de la façon
dont elles s’y prendront, tandis que d’autres sont rapidement
dépassés par ce travail exigeant.

L’effet Internet
S’il est un changement qui aurait dû avoir beaucoup d’effet sur
les caractéristiques de la gestion au cours des dernières années,
c’est évidemment Internet, et surtout le courriel, mode de
communication qui a fait exploser la vitesse de l’information
et le volume de transmission. L’incidence de cet outil sur la
gestion est-elle aussi forte qu’on le pense ?
On serait porté à le croire à en juger par la quantité de
courriels qui circulent et l’omniprésence des appareils
mobiles. La question est de savoir si Internet a transformé les
bases de la gestion. Il existe peu de données sur ce sujet, mais
la réponse semble être oui et non.
Non, parce qu’Internet renforce les caractéristiques mêmes de
la gestion telle qu’on l’exerce depuis longtemps. Et oui, parce
qu’Internet est peut-être en voie de faire basculer certains
éléments de l’exercice de la gestion.
Mieux informés qu’avant, certains gestionnaires sont en
mesure de communiquer plus rapidement, et peuvent
développer des organisations plus rapides et plus
concurrentielles. D’autres passent à l’action sans trop
réfléchir ; ils se conforment davantage que les premiers aux
règles, mais analysent moins.

Le média et ses messages


Soulignons d’abord que la messagerie électronique n’est pas
un média riche. Comme le courrier traditionnel, le courriel
est limité par la pauvreté du texte écrit. Il n’y a pas de voix
à entendre, pas de gestes à voir, pas de présence à sentir. (Est-
ce que et « MDR [mort de rire] » vous conviennent ?) Or,
ces aspects de la communication sont tout aussi importants
pour le gestionnaire que le contenu factuel du message.
Le courriel donne au gestionnaire l’impression d’être en
contact avec une personne alors que, dans les faits, il n’est en
contact qu’avec son clavier. Cela peut aggraver un des vieux
problèmes de la gestion : l’illusion du contrôle.
Au téléphone, les gens peuvent interrompre leur interlocuteur,
grogner, éclater franchement de rire ; dans les réunions, ils
peuvent acquiescer d’un signe de tête ou cogner des clous. Le
gestionnaire efficace est sensible à ces indices. Avec le
courriel, on ne connaît pas la réaction du destinataire avant
d’avoir reçu sa réponse, et même là, on ignore s’il a choisi ses
mots avec soin ou s’il les a écrits à la hâte.
Les écrits de Marshall McLuhan (1962) sur le « village
planétaire » créé par les TI sont célèbres. De quel type de
village s’agit-il au juste ?
Dans un village traditionnel, on parle avec ses voisins que l’on
rencontre au marché du quartier : c’est l’essence de la
communauté. Dans le village planétaire, on clique pour
envoyer un message au bout du monde, à une personne qu’on
ne connaît pas forcément. De telles relations demeurent
invisibles et intangibles, à l’instar des liaisons amoureuses
virtuelles.
Les organisations sont des communautés qui dépendent de la
solidité de leurs relations. La confiance et le respect sont
essentiels. C’est pourquoi il faut se montrer prudent à l’égard
du village planétaire, et éviter de prendre ses réseaux pour des
communautés. Bref, il est possible qu’Internet enrichisse les
réseaux tout en affaiblissant les communautés, tant au sein
des organisations qu’à l’extérieur.

Les répercussions du courriel sur la gestion


Une chose est certaine : le courriel augmente le rythme, les
pressions et les interruptions liés au monde de la gestion. Un
ordinateur portatif sur la table est une chose, un iPhone dans la
poche en est une autre : c’est ce qui rattache au village
planétaire. Pour ce qui est de la propension à l’action, l’ironie
est qu’un courriel, détaché de l’action sur le plan technique,
favorise une gestion axée sur l’action, car il faut y répondre
IMMÉDIATEMENT !
Le courriel aide à multiplier les contacts du gestionnaire ; tout
le monde est facile à joindre. Toutefois, cela peut se faire aux
dépens d’une meilleure communication avec, par exemple, un
collègue au bout du couloir. Le réseautage mondial se fait-il
au détriment de la conversation locale ?
Comme pour toute technologie, Internet peut être utilisé pour
le meilleur et pour le pire. Si on se laisse fasciner par la
technologie, on lui octroie le pouvoir, mais si on en comprend
les avantages et les inconvénients, on peut la maîtriser. J’ai
écrit cette section pour encourager le lecteur à suivre la
deuxième voie, c’est-à-dire pour décourager le chef
d’orchestre de devenir une marionnette.
La conclusion que j’ai tirée dans un article rédigé avec notre
doyen, un spécialiste des TI (Mintzberg et Todd, 2012), est
qu’Internet ne change pas fondamentalement l’exercice de
la gestion ; il renforce plutôt les caractéristiques que nous
observons depuis des décennies. Ce sont les détails qui
posent problème. Internet est peut-être en train de faire
basculer des pans entiers de la gestion, en rendant le
travail si frénétique qu’il en est devenu trop superficiel,
trop déconnecté et trop conformiste.

Un chaos calculé
Dans ce chapitre, j’ai présenté les caractéristiques de la gestion
telle qu’elle se pratique depuis toujours. Faut-il comprendre de
tout cela que la gestion actuelle est inefficace ? Pas du tout.
Ces caractéristiques sont normales, mais il reste qu’au-delà de
certaines limites, l’exercice de la gestion peut devenir
dysfonctionnel. Nous connaissons tous des gestionnaires qui
ont perdu la tête. Il est possible qu’une situation normale
devienne tout à coup explosive.
La gestion, même normale, n’est pas une sinécure. Dans un
commentaire publié dans le New York Times sur ma première
étude, Andrews (1976) emploie deux expressions qui évoquent
bien, selon moi, la nature du travail : « chaos calculé » et «
désordre contrôlé ». Elles rendent compte de la nuance qui
caractérise la gestion efficace, par comparaison avec le « chaos
déroutant » des « gestionnaires naïfs » (Sayles, 1979, p. 19).
Sur ce, enchaînons avec la description du travail de gestion.
Nous reviendrons au chapitre 5 sur les moyens dont disposent
les gestionnaires pour remédier aux pressions.
Chapitre 3

La gestion de l’information,
des gens et de l’action
Un modèle de gestion
La plupart des gourous considèrent le travail du gestionnaire
comme un ensemble de composantes plutôt que comme un
tout intégré. C’est en nous penchant sur cette conception que
nous commencerons ce chapitre. Nous proposerons ensuite un
modèle qui positionne les parties dans l’ensemble en
représentant la gestion sur trois plans : celui de
l’information, celui des gens et celui de l’action. Dans la
dernière section, nous décrirons en quoi consiste l’exercice de
la gestion équilibrée.

La gestion, un rôle à la fois


Si vous désirez devenir un célèbre gourou dans la sphère de la
gestion, vous devez accorder toute votre attention à un aspect
au détriment des autres. Henri Fayol considérait la gestion
comme l’exercice du contrôle. Tom Peters la voyait plutôt
comme une action : « Ne réfléchissez pas, foncez », disait-il en
1990. Pour Michael Porter, elle est « un ensemble de
techniques d’analyse visant à élaborer des stratégies » (The
Economist, 1987, p. 2).
D’autres, comme Warren Bennis, ont forgé leur réputation
auprès des gestionnaires en affirmant que leur travail en était
un de direction. Herbert Simon, lui, a acquis une certaine
notoriété auprès des universitaires en décrivant la gestion
comme un processus de prise de décisions. (La Harvard
Business Review a d’ailleurs contribué à cette vision en se
décrivant pendant des années comme le « magazine des
décideurs ».) Sur Wall Street enfin, gérer, c’est « faire des
affaires ».
Ces gens n’ont pas tort, mais ils s’arrêtent à un seul aspect de
la gestion. Or, celle-ci doit amalgamer le contrôle, l’action, la
transaction, la réflexion, la direction, la prise de décisions, et
bien plus encore. Le gestionnaire qui néglige l’un ou l’autre de
ces aspects fait un travail incomplet. En mettant l’accent sur
un seul d’entre eux au détriment des autres, les gourous
restreignent la portée de la gestion plutôt que de l’accroître.
Quant aux universitaires, bien moins populaires que les
gourous, ils dressent des listes de rôles du gestionnaire. Cette
conception clarifie certaines notions, mais malheureusement
fragmente le travail sans le reconstituer. On se retrouve alors
devant une sorte d’Humpty Dumpty, étalé sur le sol en mille
morceaux.
Il y a quelques années, j’ai tenté de souder ces fragments dans
un modèle cohérent. L’idée était de les réunir en un seul
diagramme, afin que le lecteur puisse avoir une vue
d’ensemble de tous les aspects de la gestion. Le résultat est
présenté à la figure 3. (Il a sensiblement la forme d’un œuf, un
peu comme Humpty Dumpty remis en place !) La première
fois que j’ai présenté ce diagramme à un gestionnaire – un ami
qui travaillait pour une société cinématographique –, il a
immédiatement souligné les forces et les faiblesses qu’il
voyait chez les des gestionnaires de sa société. Un autre
gestionnaire, de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), à
qui je l’ai montré m’a dit qu’il lui avait permis de voir de
façon instantanée les fonctions ou les rôles qu’il tendait à
éviter ou à négliger, et qu’en ce sens, il le remettait en
question.

Figure 3 Un modèle de gestion


Un aperçu du modèle
Ce modèle présente le gestionnaire au centre, entre l’unité
dont il est responsable et son environnement : le reste de
l’organisation (sauf si le gestionnaire est directeur général,
donc responsable de toute l’organisation) et le monde extérieur
(clients, agents de commerce, etc.).
Le but premier de la gestion est de garantir que l’unité
remplira sa fonction fondamentale, qu’il s’agisse de vendre
des produits dans une chaîne de magasins ou de prendre soin
des personnes âgées dans une maison de retraite. Cela exige
des actions, que le gestionnaire entreprend parfois lui-même.
Mais en général, il se distancie de l’action. Soit il encourage
les gens à agir (par l’accompagnement professionnel, la
motivation, la formation des équipes, le renforcement de la
culture d’entreprise, etc.), soit il utilise l’information pour
guider les actions des autres et les inciter à prendre les mesures
nécessaires (en imposant des cibles de vente, en transmettant
de l’information à propos d’un client, et ainsi de suite).
Le jour où je l’ai observée, Carol Haslam,
directrice générale d’Hawkshead Ltd., travaillait
sur les trois plans. Sur le plan de l’action, elle a
participé à la mise sur pied de projets de films en
négociant des ententes à gauche et à droite. Sur
le plan des gens, elle a entretenu un vaste réseau
de contacts pour la promotion de ces projets tout
en bâtissant une équipe de cinéastes pour les
mener à bien. Et sur le plan de l’information,
toute la journée, elle a colligé et diffusé des
idées, des données, des conseils, etc.
Comme le montre la figure 3, le gestionnaire tient deux rôles
sur chacun des plans. Sur le plan de l’information, il
communique (tous azimuts) et contrôle (à l’intérieur). Sur le
plan des gens, il dirige (à l’intérieur) et lie (vers l’extérieur).
Sur le plan de l’action, il agit (à l’intérieur) et négocie (vers
l’extérieur). De plus, il formule (il élabore des stratégies,
détermine des priorités, etc.) et il planifie (son emploi du
temps). Je discuterai de chacun des aspects du modèle, puis, en
conclusion, je les présenterai sous forme d’ensembles.

La formulation et la planification
La formulation concerne la façon dont le gestionnaire aborde
son travail : il traite d’enjeux et élabore des stratégies. La
formulation fournit le contexte de travail au personnel de
l’unité. Alain Noël (1989) fait référence à ce concept en
parlant d’une préoccupation (par comparaison à l’occupation,
soit ce que le gestionnaire fait en réalité) qui peut devenir une
« terrible obsession ».
Brian Adams, directeur du programme Global
Express de Bombardier, avait une terrible
obsession et il s’était vu imposer cette mission
par la haute direction : il devait « voler » avant
le mois de juin. À l’inverse, John Cleghorn,
président de la Banque Royale du Canada, était
aux prises avec une gamme de préoccupations
relatives au perfectionnement et à la réussite de
la société.
La planification du travail occupe une place de premier plan
chez le gestionnaire qui accorde inévitablement beaucoup
d’attention à son agenda. Il y a plus d’un demi-siècle, Sune
Carlson remarquait d’ailleurs que les gestionnaires souffraient
du « complexe de l’agenda » (1951, p. 71). La planification
est importante, car elle détermine ce que le gestionnaire a
l’intention d’accomplir et lui permet d’avoir une certaine
marge de manœuvre.
De plus, l’agenda du gestionnaire peut avoir un impact
important sur chaque membre de l’unité. Ce qui est inscrit à
l’agenda est de première importance pour l’unité. En fait,
lorsque le gestionnaire prépare son agenda, il organise non
seulement son propre emploi du temps, mais aussi celui des
gens qui sont sous ses ordres.
La planification correspond à ce que Peters et Waterman
(1982) appellent la « fragmentation », c’est-à-dire le
découpage des préoccupations en tâches distinctes à accomplir
dans un créneau horaire défini. Le problème, évidemment (que
nous examinerons au chapitre 5), est de savoir comment
recomposer ce qui a été fragmenté. Voilà où la formulation
entre en jeu. Si elle est suffisamment précise, elle peut servir à
réunir les morceaux en un tout cohérent.

La gestion par l’information


Gérer par l’information, c’est prendre du recul à l’égard
du but ultime de la gestion : les données sont traitées par le
gestionnaire pour inciter les autres à prendre les mesures
nécessaires. En d’autres mots, sur ce plan, le gestionnaire ne
se concentre ni sur les gens ni sur l’action, mais sur
l’information comme moyen indirect de faire avancer les
choses.
Cette conception classique de la gestion, qui a surtout dominé
au siècle dernier, fait un retour en force en raison de
l’obsession des « bénéfices nets » et de la « valeur pour
l’actionnaire » qui encouragent un exercice de la gestion à
la fois détaché de l’information et axé sur elle.
Sur le plan de l’information, le gestionnaire a deux rôles
principaux : la communication, qui favorise la circulation des
renseignements autour du gestionnaire, et le contrôle, qui
utilise l’information pour orienter les comportements des gens
au sein de l’unité.

La communication tous azimuts


Lorsqu’on observe n’importe quel gestionnaire, une
évidence s’impose : il passe beaucoup de temps à
communiquer, c’est-à-dire à collecter et à diffuser de
l’information, sans nécessairement la traiter. Des études
indiquent que les directeurs généraux passent souvent la
moitié de leur temps à communiquer d’une manière ou d’une
autre.
Norm Inkster, commissaire de la GRC, feuilletait
les coupures de presse des 24 dernières heures ;
John Cleghorn tenait les investisseurs
institutionnels au courant des événements qui se
déroulaient à la banque ; Stephen Omollo,
directeur de camp de réfugiés de la Croix-Rouge
en Tanzanie, supervisait la reconstruction d’une
clôture détruite par une tempête.
La communication est une sorte de membrane qui entoure le
gestionnaire et à travers laquelle circulent toutes ses activités.
Cette fonction comporte quatre différents aspects :
En tant qu’observateur actif, le gestionnaire collecte la
moindre parcelle d’information utile sur tous les sujets qu’il
peut imaginer : opérations internes et événements extérieurs,
tendances et analyses, etc. De plus, il est bombardé de ce
genre d’information par les réseaux qu’il a lui-même établis.
Dans l’étude de Morris et coll., les directeurs d’écoles
secondaires passaient beaucoup de temps à arpenter les
corridors, à visiter la cafétéria, à examiner les salles de classe
et les bibliothèques, bref à « jauger le climat de l’école » et à «
anticiper et étouffer les troubles potentiels » (1981, p. 74).
Le gestionnaire, c’est le généraliste qui surveille le travail des
spécialistes. Il n’a peut-être pas autant de connaissances
précises qu’eux, mais il en sait habituellement plus qu’eux sur
l’ensemble des spécialités. Par conséquent, le gestionnaire
devient le centre nerveux de l’unité, c’est-à-dire son
membre le mieux informé. Morris et coll. abondent dans le
même sens :
« Le directeur de l’école est… le tableau de commande de
l’information par où circulent tous les messages importants. »
(1982, p. 690)
Il en va de même pour l’information externe. En raison de son
statut, le gestionnaire tient aussi ce rôle auprès de gens de
l’extérieur qui sont eux-mêmes les centres nerveux de leurs
unités. Tout comme un contremaître d’usine peut en appeler
un autre, le président des États-Unis peut contacter le premier
ministre de la Grande-Bretagne. Par exemple :
L’essentiel de la technique de Roosevelt pour la
collecte d’information tenait de la concurrence.
« Il vous convoquait, m’a dit un de ses
assistants, pour vous enjoindre de découvrir ce
qui se tramait dans le contexte d’une situation
particulièrement complexe. Vous reveniez
quelques jours plus tard présenter l’information
juteuse que vous aviez découverte pour vous
rendre compte qu’il était déjà au courant, et
même qu’il savait des choses que vous ignoriez.
» (Neustadt, 1960, p. 157)
Le gestionnaire est un diffuseur. Il partage une grande
partie de ses renseignements avec les gens de son unité. À
l’instar des abeilles, il fait de la pollinisation croisée. Allen
Burchill, commandant de la GRC en Nouvelle-Écosse, a dit,
au moment où il se rendait à une réunion avec ses
collaborateurs : « Moi, je suis informé. Je fais cette tournée
pour m’assurer que les autres le sont. »
Le gestionnaire est un porte-parole. Il transmet
également l’information qu’il détient à des gens de l’extérieur,
comme des clients, des fournisseurs ou des représentants du
gouvernement. En tant que porte-parole de l’unité, il
représente celle-ci. Il parle en son nom devant divers
publics, défend ses intérêts, vante son expertise et garde les
partenaires externes informés de ses progrès.
Le verbal, le visuel et le viscéral. Il devrait apparaître
évident que l’avantage du gestionnaire tient non pas à
l’information documentée, qui est accessible à tous, mais à
l’information courante transmise en grande partie par le
bouche-à-oreille, par exemple les potins, les ouï-dire et les
opinions dont il a été question au dernier chapitre. En fait, la
plus grande partie de l’information qui parvient à un
gestionnaire n’est pas de nature verbale, mais plutôt de nature
visuelle ou viscérale. En d’autres mots, elle est davantage vue
et sentie qu’entendue.
Pour conclure sur le rôle de la communication, je dirais que la
gestion est essentiellement un travail de traitement de
l’information qui se fait principalement par l’écoute,
l’observation et l’intuition, en plus de la simple discussion.
Toutefois, cela peut mener le gestionnaire au surmenage ou à
la frustration. D’un côté, il y a la tentation de foncer et d’être
au courant de tout – « pour éviter la stérilité qu’on observe si
souvent chez ceux qui s’isolent des opérations » (Wrapp,
1967, p. 92). Évidemment, cela peut encourager la «
microgestion » : le gestionnaire se mêle alors des affaires des
autres. De l’autre côté, il y a la « macrogestion » : le
gestionnaire ignore tout simplement ce qui se passe. Nous y
reviendrons au chapitre 5.

Le contrôle à l’intérieur de l’unité


Un des usages directs de l’information du gestionnaire est le
contrôle, c’est-à-dire l’orientation du comportement des
subordonnés. Comme il a été mentionné précédemment,
pendant la majeure partie du siècle dernier, la gestion était
considérée comme un quasi-synonyme de contrôle. C’est bien
plus que cela, mais le contrôle de l’unité par l’exercice de
l’autorité formelle demeure une part importante du travail.
Dans les camps de réfugiés en Tanzanie, le
contrôle était à l’avant-plan, simplement parce
qu’une grande partie de ce qui se passait devait
être gardée secrète, de crainte qu’un incident
déclenche une crise majeure. « Stephen, il faut
simplement poser l’oreille contre le sol pour en
découvrir davantage sur le sentiment qui règne
parmi les réfugiés », a dit Abbas Gullet, chef de
sous-délégation à Stephen Omollo, directeur des
camps, pour l’inciter à intervenir et mettre fin à
tout problème imminent. À cela, s’ajoutaient les
dispositifs, les procédures, les règles et les
règlements mis en place par la Croix-Rouge. À
l’opposé, le chef d’orchestre Bramwell Tovey
exerçait un contrôle beaucoup moins manifeste.
Ce jour-là, il a à peine dirigé, au sens de donner
des ordres, de déléguer des tâches ou de prendre
des décisions.
Selon le dictionnaire anglais Oxford, le verbe to manage («
gérer ») vient du mot français « main », au sens d’«
entraînement », de « manipulation » et de « direction du train
d’un cheval ». En gestion, cela se traduit par le contrôle, au
sens où l’on s’assure que les gens accomplissent leur travail. Il
faut toutefois éviter d’être esclave du contrôle, et ne pas le
laisser dominer l’exercice de la gestion.
La prise de décisions est généralement considérée dans l’esprit
du décideur comme un processus de réflexion qui lui permet
de faire des choix. Mais elle ne se limite pas à cela, et elle peut
englober les différents aspects du contrôle :
La prise de décisions par la conception. Le
gestionnaire conçoit des choses – des projets, des structures,
des systèmes afin d’orienter les comportements des membres
de l’unité. Dans sa recherche, Robert Simons (1995) de l’école
de gestion de l’Université Harvard, a démontré que les
directeurs généraux tendent à avoir une préférence pour un
système en particulier (par exemple, la planification du profit),
qui devient alors un instrument clé de l’exercice du contrôle.
La prise de décisions par la délégation. Ici, le
gestionnaire circonscrit le besoin, mais laisse à autrui le soin
d’agir.
La prise de décisions par la désignation. Dans ce cas,
la prise de décisions se limite à se prononcer sur les décisions
des autres. Voyons ce qu’en dit Andy Grove, directeur général
d’Intel :
Il nous arrive, à nous, les gestionnaires, de prendre
une décision. Mais nous participons toujours au
processus décisionnel, et ce, de façon fort
diversifiée. Nous fournissons des données précises
ou donnons simplement notre opinion ; nous
discutons des avantages et des inconvénients des
solutions de rechange et forçons ainsi l’émergence
de meilleures décisions ; nous révisons les décisions
prises ou sur le point d’être prises par d’autres, puis
nous les ratifions ou les rejetons. (1983, p. 50-51)
La prise de décisions par l’affectation des
ressources. Une bonne partie des décisions du gestionnaire
concerne l’affectation des ressources : l’argent, le matériel,
l’équipement, de même que les efforts des membres de l’unité.
Il utilise également les ressources de bien d’autres façons, par
exemple pour planifier son emploi du temps et pour concevoir
des structures permettant de planifier celui des autres.
Pour les besoins du contrôle, tout ce qui est considéré comme
une ressource devient une information. Dans cette perspective,
l’affectation des ressources correspond au contrôle sur le plan
de l’information. Ainsi, l’expression « ressources humaines
» sous-entend qu’on traite les gens comme de
l’information, et non comme des personnes. Ce faisant, on
les réduit à une dimension limitée de leur identité.
La prise de décisions par la prescription. Finalement,
il y a la prescription, une forme de plus en plus populaire de
contrôle, mais peu connue sous cette appellation. (La « gestion
par objectifs » est plus répandue.) Par prescription, j’entends
l’imposition de cibles aux gens et l’exigence qu’ils s’y
conforment : on leur demandera, par exemple, d’augmenter les
ventes de 10 % ou de réduire les coûts de 20 %. Trop souvent
de nos jours, quand le gestionnaire est pris au dépourvu, il
enjoint à ses subordonnés de donner leur pleine mesure. Une
grande partie de ce qui est considéré comme de la planification
stratégique est en fait de la prescription, qui réduit souvent le
processus stratégique à la gestion par les chiffres. « Augmenter
les ventes de 10 % » n’est pas une stratégie. (Nous y
reviendrons. Voir également Mintzberg [1994c et 1994d].)
Pour améliorer le fonctionnement de son unité, le gestionnaire
ne doit pas s’en tenir aux cibles. Autrement dit, un peu de
prescription, ça va, mais la gestion par la prescription, ça
ne va pas. Tout gestionnaire doit évidemment gérer sur le plan
de l’information, mais ne doit pas négliger les plans des gens
et de l’action.

La gestion avec les gens


Quand il considère l’aspect humain, plutôt que celui de
l’information, le gestionnaire se rapproche de l’action tout
en conservant une certaine distance par rapport à celle-ci.
Sur ce plan, le gestionnaire aide les autres à faire avancer les
choses : ceux-ci deviennent les acteurs.
Quand il aborde cette facette de son travail, le gestionnaire
doit avoir une attitude complètement différente de celle qu’il a
quand il gère sur le plan de l’information. Il doit alors, non pas
orienter les gens vers des fins précises (ce que lui permettait
l’information), mais bien les encourager à suivre des voies
qu’eux-mêmes auraient choisies naturellement.
Ces commentaires s’appliquent à la gestion à l’intérieur de
l’unité, aux gens sous les ordres du gestionnaire. Toutefois,
comme mentionné au chapitre précédent, le gestionnaire passe
au moins autant de temps avec des gens de l’extérieur. Par
conséquent, en examinant le plan des gens, nous abordons
deux rôles de la gestion : la direction des individus à
l’intérieur de l’unité et la liaison avec ceux de l’extérieur.

La direction à l’intérieur de l’unité


Lorsqu’un spécialiste devient gestionnaire, le changement le
plus important est souvent le passage du « je » au « nous ». Il
pourra avoir le réflexe de se dire : « Bon, maintenant, je peux
prendre des décisions et donner des ordres. » Rapidement,
toutefois, il se rendra compte que « l’autorité formelle est une
source restreinte de pouvoir » et que le fait de devenir
gestionnaire le force à être « plus dépendant… des autres pour
l’exécution du travail » (Hill, 2003, p. 262). C’est alors
qu’entre en jeu le rôle de direction.
Il y a probablement plus d’écrits sur le leadership que sur tous
les autres aspects de la gestion réunis. À toute organisation qui
a un problème, les gens proposent la solution du leadership. Si,
à l’arrivée d’un nouveau dirigeant, on constate une
amélioration notoire – quelle qu’en soit la cause (la reprise
économique, la faillite d’un concurrent) –, on lui donnera
raison. Cela s’inscrit dans l’histoire d’amour que nous
entretenons avec le leadership (Meindl et coll., 1985).
La direction peut faire une différence, mais elle n’est pas plus
importante que le contrôle ou la prise de décisions. En fait, je
crois que nous devons considérer la direction en tant que
composante de la gestion.
Le gestionnaire exerce son leadership de trois façons : auprès
des personnes (individuellement), auprès des équipes et auprès
de l’unité ou de l’organisation dans son ensemble*.
La direction, c’est aider les personnes à être plus
énergiques. Le gestionnaire passe une bonne partie de son
temps à persuader les gens, à les aider, à les convaincre, à les
encourager. Peut-être devrions-nous le présenter autrement :
dans son rôle de direction, le gestionnaire aide les gens à
exprimer leur énergie naturelle. Pour citer un PDG : « Il n’est
pas du ressort [du gestionnaire] de superviser et de motiver. Il
devrait plutôt libérer et permettre. » (citation de Herman
Miller, Max DePree, 1990)
Alors, méfiez-vous de certains termes populaires du
leadership. Par exemple, la participation et l’habilitation
maintiennent les gens en position de subordination, à la merci
du gestionnaire. Ceux qui sont vraiment habilités, comme les
médecins dans un hôpital, ou même les abeilles dans une
ruche, n’attendent rien des dieux de la gestion ; ils savent ce
qu’ils ont à faire et s’y consacrent, tout simplement. En fait,
une grande partie de ce qu’on considère aujourd’hui comme de
l’habilitation n’est autre que le résultat de la fin de nombreuses
années d’aliénation. L’habilitation, c’est ce que le
gestionnaire fait aux gens. L’engagement, c’est ce qu’il fait
avec les gens.
La direction, c’est le développement des gens. Le
gestionnaire accompagne, forme, aide, éduque, conseille,
encourage : bref, il stimule le développement des personnes au
sein de l’unité. Ici encore, la variété des termes est un signe de
l’attention accordée à cet aspect de la direction. Il n’en
demeure pas moins que la responsabilité qui incombe au
gestionnaire est davantage d’aider les gens à se développer
eux-mêmes (voir www.coachingourselves.com/fr). D’ailleurs,
cela ne s’applique pas qu’au gestionnaire, comme le montre ce
commentaire de deux enseignants de Calgary : « L’idée
suggérant que le rôle du professeur est simplement de faciliter
le développement des enfants est exaspérante. […] Notre tâche
est autrement plus subtile et profonde que cela : nous agissons
comme médiateurs en ce qui a trait au savoir, aux problèmes et
aux questions des enfants. » (Clifford et Friesen, 1993, p. 19)
La direction, c’est la formation et le maintien des
équipes. Il revient aussi au gestionnaire de former et de
maintenir des équipes à l’intérieur de l’unité. Pour cela, il doit
non seulement réunir les gens en groupes coopératifs, mais
également de résoudre les conflits au sein de chaque
groupe et entre les groupes afin que chacun puisse
accomplir sa tâche. Par exemple, les grandes formations
sportives font preuve d’une « grande habileté à travailler en
tant qu’unité, les efforts de chaque membre se fondant avec
ceux des autres ». La gestion en tant que « sport d’équipe est
tout aussi exigeante envers ses joueurs » (Kraut et coll., 2005,
p. 122).
Les nouveaux gestionnaires que Linda Hill a étudiés
concevaient à l’origine « leur rôle de gestion des personnes
comme la capacité d’établir les relations les plus efficaces
possible avec chaque subordonné », et dans ces circonstances
ne réussissaient pas « à reconnaître et à assumer leurs
responsabilités en matière de formation d’équipe ». Toutefois,
au fil du temps, ils ont saisi l’importance de cet aspect de leur
travail (2003, p. 284).
Peut-être que les nouveaux gestionnaires se « font avoir » par
la structure organisationnelle : « ils présument que, si tous les
employés accomplissent leur tâche en fonction d’un plan
directeur ou d’une orientation quelconque, il n’y aura nul
besoin de contact ou d’intervention humaine » (Sayles, 1979,
p. 22). En d’autres mots, ils croient que le système de contrôle
se chargera de la coordination. C’est rarement le cas.
La direction, c’est le développement et le
renforcement de la culture. Autrement dit, le gestionnaire
joue un rôle clé dans le développement et le renforcement de
la culture que ce soit au sein d’une unité ou de l’organisation
en entier.
La culture a la même fonction pour l’organisation que les
autres aspects du rôle de direction pour les personnes et les
groupes : encourager les gens à donner le meilleur d’eux-
mêmes en alignant leurs intérêts avec les besoins de
l’organisation. Contrairement à la prise de décisions, qui est
une forme de contrôle, la culture est un modelage de
décisions comme forme de direction. Comme l’a dit Mary
Parker Follett en 1920 : « Nous avons besoin de leaders, pas
de maîtres ou de chauffeurs. […] Voilà le type de pouvoir qui
crée une communauté. » (p. 230) « Ainsi, un directeur
patrouille dans l’école pour rappeler leurs devoirs aux
enseignants et aux élèves, et pour exhorter les participants au
processus d’apprentissage à bien travailler et à avoir un
rendement exemplaire. » (Morris et coll., p. 1982, p. 691)
Le gestionnaire n’est pas que le centre nerveux de
l’information au sein de l’unité, il en est également le centre
énergétique de la culture. Comme l’a dit William F. Whyte
dans son étude classique sur les gangs de rue :
Le leader est le point de contact de
l’organisation du clan. En son absence, les
membres du gang sont divisés en petits groupes
qui ne partagent ni activité ni conversation. Au
retour du leader, la situation se transforme de
façon frappante : les petites unités reforment un
grand groupe. Les discussions redeviennent
générales, et des actions unifiées en découlent.
(1955, p. 258)
Il en va à peu près de même chez les abeilles : « La reine ne
donne aucun ordre ; elle obéit, aussi humblement que ses
sujets, au pouvoir nu que nous qualifierons d’esprit de la
ruche. » (Maeterlinck, 1901) Toutefois, par sa simple
présence, manifestée par l’émission d’une substance chimique,
elle unifie la ruche et galvanise les troupes. Dans le contexte
des organisations humaines, cette substance, c’est la culture :
c’est l’esprit de la ruche humaine.
La culture d’une organisation peut être difficile à établir et
à améliorer – cela peut prendre des années, voire ne jamais
se produire –, mais elle est facile à anéantir. Il suffit pour
cela d’une gestion négligente. Voilà pourquoi le soutien à la
culture occupe une place de premier plan pour les
gestionnaires d’organisations établies depuis longtemps.
Dans les services de police, on s’attend à un
contrôle sous forme de règles, de normes de
rendement et de formulaires à remplir. À
l’occasion de mes rencontres avec les trois
cadres de la GRC, ce type de contrôle était bien
présent, mais on semblait davantage mettre
l’accent sur la culture : on procédait au contrôle
des comportements par le partage de normes, en
fonction d’une socialisation consciencieuse.
Ainsi, lors de la visite des membres de l’école de
formation des officiers, le commissaire Inkster
s’est adressé à eux de façon impromptue pendant
une demi-heure, et l’exposé a été suivi d’une
période de questions.
Pour conclure cette discussion sur le rôle de direction, je
reprendrai la métaphore du chef d’orchestre en pleine
possession de ses moyens. Est-ce un bon exemple de
l’exercice du leadership ? Pour répondre à cette question, lisez
ce qui suit.
LE LEADER, UN CHEF D’ORCHESTRE ?
ENCORE UN MYTHE À DÉCONSTRUIRE
De prime abord, le chef d’un orchestre symphonique semble être la
représentation parfaite du leader. Le maestro se tient debout devant ses
musiciens, qui sont prêts à répondre au moindre de ses ordres. Il lève
sa baguette, et ils jouent à l’unisson ; il fait un autre mouvement, et ils
arrêtent tous. Il détient le pouvoir absolu, ce qui est le rêve de tout
gestionnaire ; au moindre signe fait au service des ventes ou du
marketing, et ils jouent en parfaite harmonie. Le mythe parfait.
Comme l’a signalé Bramwell Tovey, chef de l’Orchestre symphonique de
Winnipeg, l’orchestre se caractérise par un ensemble de relations de
subordination, et il en va de même pour le chef. C’est Mozart qui tire les
ficelles. Comment expliquer autrement le phénomène du « chef
d’orchestre invité » ? Peuton imaginer un « gestionnaire invité » dans
toute autre organisation ?
En fait, ces « chefs d’orchestre » sont plus engagés dans le
fonctionnement de l’orchestre que dans sa direction. Les répétitions,
comme on l’a dit, sont essentielles – c’est à ce moment que la gestion
prend toute sa place. Un concert est effectivement un projet, et la
gestion de projet, qui se produit en répétitions, sert à parfaire le rythme,
la forme, le tempo et la sonorité.
Lorsque je lui ai demandé de me parler de son leadership, Bramwell m’a
dit qu’il s’agissait plutôt d’un « leadership obscur ». Pourtant, il avait
sûrement la direction à l’esprit lorsqu’il a affirmé en plaisantant : « Je ne
considère pas mon travail comme celui d’un gestionnaire. Je l’imagine
davantage comme celui d’un dompteur de lions ! » Cette métaphore
intéressante a déclenché les rires, mais elle n’évoque sûrement pas
l’image de 70 gentils chatons prêts à jouer au premier coup de baguette.
Et qu’en est-il de la culture ? Soixante-dix personnes se réunissent le
temps d’une répétition, puis se dispersent. Comment la culture se
développe-t-elle dans ce cas précis ? Peut-être également de façon
indirecte, par l’énergie et le comportement général du chef d’orchestre.
Par ailleurs, la culture est intrinsèque au système. En d’autres mots, il
ne s’agit pas seulement de la culture de l’Orchestre symphonique de
Winnipeg, mais aussi de celle des orchestres en général, qui se
construit depuis des siècles.
Alors, amateurs de leadership, méfiez-vous. Un jour, vous vous
réveillerez en découvrant que Bramwell Tovey représente l’essence de
la gestion contemporaine. Vous devrez descendre de votre estrade,
poser votre baguette budgétaire et garder les pieds sur terre, où se
déroule le véritable travail des organisations. À ce moment seulement,
vous pourrez jouer une musique admirable.
(Adapté de Mintzberg, 1998.)

La liaison avec l’extérieur de l’unité


Toujours sur le plan des gens, la liaison est centrée sur les
liens que le gestionnaire entretient avec diverses personnes
et divers groupes à l’extérieur de l’unité. « Les
gestionnaires ont un réseau organisationnel plus étendu que les
autres travailleurs. Ils sont membres de plus de clubs, de
sociétés, etc. » (Carroll et Teo, 1996, p. 437). Toutefois,
chaque gestionnaire le fait à sa façon.
Les trois gestionnaires de Parcs Canada que j’ai
observés géraient à la frontière de leurs unités et
du contexte extérieur, mais la situation était
différente pour chacun. Sandy Davis, directrice
générale régionale de la région de l’Ouest,
gérait à la frontière politique, entre les parcs de
l’Ouest et les fonctionnaires d’Ottawa. Elle
rattachait la politique aux processus. Charlie
Zinkan, surintendant du parc national de Banff,
travaillait sous les ordres de Sandy ; il gérait
surtout à la frontière des intervenants, là où
plusieurs personnes exerçaient des pressions sur
lui. Il rattachait l’influence aux programmes.
Finalement, Gord Irwin, directeur des aires
aménagées du parc national de Banff, travaillait
sous les ordres de Charlie : il dirigeait à la
frontière des opérations, entre les opérations et
l’administration. Il rattachait l’administration à
l’action.
Il est surprenant de constater qu’on a accordé, dans les écrits
sur la gestion, très peu d’attention à la liaison, car, au fil des
décennies, on a établi que le gestionnaire forge des liens avec
l’extérieur tout autant qu’il dirige à l’intérieur. Cela est
encore plus étonnant aujourd’hui, vu le nombre d’alliances, de
coentreprises et de relations collaboratives qui existent entre
les organisations.
Le gestionnaire établit des liens avec des clients, des
fournisseurs, des partenaires, des représentants du
gouvernement, des représentants syndicaux, et bien d’autres,
de même qu’avec des membres du personnel opérationnel de
l’organisation. Un directeur d’école allait même jusqu’à «
cultiver ses contacts avec les grand-mères du quartier qui
connaissaient bien leurs voisins, et qui pouvaient agir à titre
d’informatrices et avertir le directeur de tout fait inhabituel »
(Morris et coll., 1982, p. 689).
Au sein de son service hospitalier, Fabienne
Lavoie était responsable de la liaison entre les
médecins, les patients et leurs familles. Quant à
John Cleghorn, il a lunché avec des investisseurs
de la Banque Royale pour les informer et les
influencer. Brian Adams, lui, travaillait avec des
sociétés partenaires de Bombardier dans le
monde entier.
Un modèle du rôle de liaison du gestionnaire est présenté à la
figure 4. Ses composantes seront traitées à tour de rôle.
La liaison par le réseautage. Il est clair que le réseautage est
omniprésent : presque tous les gestionnaires passent une
bonne partie de leur temps à établir des réseaux de
contacts et des coalitions de soutien externes.

Figure 4 Un modèle du rôle de liaison

Carol Haslam, directrice générale de la société


cinématographique Hawkshead Ltd., assurait le
lien entre les clients et les producteurs, tirant
profit de ce qui semble être un réseau imposant
de contacts et d’une compréhension fine de
l’industrie télévisuelle britannique. Dans les
camps de réfugiés de la Croix-Rouge, Abbas
Gullet excellait à la tâche consistant à jeter des
ponts entre l’anglais et le swahili, entre les
Africains et les Européens, entre le siège social
d’une grande ville européenne riche et le bureau
de délégation d’un village africain défavorisé.
La liaison par la représentation. Sur le front externe, le
gestionnaire joue le rôle de figure de proue. Qu’il s’agisse
du PDG d’une société présidant un dîner, du doyen d’une
université signant les diplômes des finissants ou du
contremaître d’une usine accueillant les visiteurs. (Quelqu’un
a dit, mi-figue mi-raisin, que le gestionnaire rencontre les gens
afin que les autres puissent accomplir leur travail.)
Bramwell Tovey a passé une soirée en
compagnie du donateur le plus généreux de
l’orchestre, qui animait le « Cercle du Maestro
». Il a socialisé avec une cinquantaine
d’admirateurs de l’orchestre, a prononcé un bref
discours, puis les a divertis en jouant du piano.
La liaison par la communication-persuasion. Le
gestionnaire se sert de son réseau afin d’obtenir des appuis
pour son unité. Ainsi, sur le plan de l’information, il cherchera
à recevoir des renseignements des bonnes personnes de
l’extérieur ; par exemple, il demandera aux vieilles dames du
quartier d’avoir les revendeurs de drogue à l’œil. Sur le plan
des gens, il exercera des pressions pour ses causes, fera la
promotion de ses produits, défendra les besoins de l’unité et
utilisera simplement son influence pour la soutenir.
Rony Brauman, président de Médecins sans
frontières, a passé une bonne partie de la
journée à faire des entrevues avec les médias et
à exprimer le point de vue de l’organisation à
l’égard de la situation en Somalie, afin
d’influencer l’opinion publique. Il parlait sur un
ton franc et direct, et n’avait pas l’air de
prononcer des formules toutes faites.
La liaison par la transmission. La liaison est une voie à
double sens : le gestionnaire qui use de son influence peut
également être sujet à celle des gens de l’extérieur, auquel
cas il doit la transmettre à son unité.
Afin de faire voler l’avion comme promis, Brian
Adams, de Bombardier, devait s’arranger pour
que tout s’emboîte dans un emploi du temps
serré. Ainsi, il devait transmettre à ses
ingénieurs les pressions de ses fournisseurs et de
ses hauts dirigeants. Dans la même veine, Carol
Haslam, de Hawkshead Ltd., devait s’assurer
que les équipes responsables de la production
des films réagiraient rapidement aux demandes
des clients.
La liaison par la protection. La fusion de toutes ces
activités de liaison permet d’apprécier l’équilibre délicat de la
gestion. Le gestionnaire n’est pas seulement une voie de
transmission de l’information et de l’influence ; il représente
également la valve qui contrôle l’accès à cette information et à
cette influence, ainsi que leur mode de circulation. Pour
reprendre deux termes à la mode, disons que le gestionnaire
est le contrôleur d’accès et le filtre du flux d’influence. Pour
saisir toute l’importance de ces fonctions, examinons cinq
erreurs potentielles :
Le gestionnaire est un tamis trop lâche, qui laisse trop
aisément entrer l’information au sein de son unité. Cette
situation peut devenir impossible pour ses subordonnés,
car elle les forcera à réagir sous pression. C’est le cas, par
exemple, des directeurs généraux de sociétés cotées en
Bourse qui forcent leurs employés à produire de meilleurs
résultats à court terme pour répondre aux exigences des
analystes des marchés boursiers.
Le gestionnaire oppose un barrage qui bloque une trop
grande part de l’influence externe, par exemple lorsqu’un
client demande d’apporter des changements aux produits.
Cela protège peut-être les gens de l’unité, mais les
déconnecte du monde extérieur.
Le gestionnaire se conduit comme une éponge en absorbant
lui-même la plupart des pressions. Les subordonnés
apprécient sûrement cet état de fait, mais dans une telle
situation, le gestionnaire est plus que jamais sujet à
l’épuisement professionnel.
Le gestionnaire se comporte comme un tuyau d’arrosage.
Il exerce des pressions sur le monde extérieur qui peut, en
retour, se mettre en colère et se montrer peu coopératif.
Cela se produit fréquemment lorsque les sociétés exercent
de fortes pressions sur leurs fournisseurs.
Enfin, il y a la perfusion. Elle caractérise celui qui exerce
trop peu de pression sur le monde extérieur et qui, ainsi,
ne défend pas bien les besoins de l’unité. Par exemple, les
directeurs généraux qui ne repoussent pas les analystes des
marchés boursiers aux dépens de la santé de leur
entreprise.
Le gestionnaire efficace peut agir d’une de ces façons à
l’occasion, mais il ne doit pas laisser ces erreurs le dominer.
En d’autres mots, la gestion à la frontière entre l’unité et
son contexte est plutôt complexe : toute unité doit être
protégée, mais selon les circonstances, elle doit aussi être
réactive et dynamique.

La gestion de l’action
Si le gestionnaire gère par l’information (c’est-à-dire de
façon conceptuelle et en observant une certaine distance) et
par les gens (c’est-à-dire de façon plus personnelle), il le
fait aussi sur un troisième plan, de manière plus directe,
plus active et plus concrète. Pourtant, les ouvrages sur la
gestion ne parlent guère de cette forme de gestion
comparativement à la direction ou à la prise de décisions.
Les nouveaux gestionnaires de Linda Hill ont fini par
reconnaître cet état de fait. Après quelques mois, quand on
leur demandait ce qu’était un gestionnaire, ils ne répondaient
plus « le patron » ou « la personne qui tient les rênes », mais
plutôt « un conciliateur » et « un spécialiste des
transformations rapides ». (2003, p. 57)
Catherine Join-Diéterle, conservatrice en chef
du Musée de la mode et du costume à Paris,
jouait un rôle important dans l’introduction et
l’examen de nouveaux vêtements. Elle participait
personnellement aux visites du musée et
rédigeait des propositions d’expositions.
Le jargon de la gestion souligne le côté actif du métier. Ainsi,
on dit que le gestionnaire « se fait le champion du changement
», « éteint les feux », « gère des projets », « négocie des
ententes ». Ces actions relèvent tantôt de l’intérieur de l’unité,
tantôt de la transaction avec l’extérieur. Examinons cela de
plus près.

L’action de l’intérieur
Pourquoi dit-on des gestionnaires que ce sont des gens
d’action ? Après tout, certains d’entre eux ne font pas grand-
chose ; il y en a même qui ne font pas leurs propres appels
téléphoniques. En fait, quand on observe un gestionnaire, on
constate généralement qu’il parle et écoute beaucoup, mais
qu’il agit peu.
Dans le contexte de la gestion, agir signifie généralement «
presque faire », c’est-à-dire s’approcher de l’action. Plus
précisément, le gestionnaire fait bouger les choses en les
faisant faire.
Cependant, qu’accomplit-il au juste ? La réponse à cette
question trouve son écho dans ce que l’unité réalise, qu’il
s’agisse d’un produit ou d’un service. La participation du
gestionnaire n’est pas passive : il n’est pas assis derrière à son
bureau à donner des ordres. Prescription n’est pas synonyme
d’action. Et ce n’est pas non plus en concevant des stratégies,
des structures ou des dispositifs qu’il pousse les gens à
l’action ; cela relèverait du contrôle. Sur le plan de l’action, le
gestionnaire participe, s’engage directement, contribue aux
actions qui déterminent les résultats de l’unité.
Il y a quelques années, quand est venu le temps de revoir le
concept de Pampers, le produit le plus important de Procter &
Gamble, c’est le directeur général de la société qui a géré le
projet. De la même manière, lorsque Johnson & Johnson a
connu une crise après qu’un individu eut trafiqué certains
emballages de Tylenol, le PDG est intervenu pour rétablir la
situation (Bennis, 1989). Ces exemples suggèrent qu’il y a
deux facettes au rôle d’action : la gestion proactive de
projets et le traitement réactif des perturbations.
La gestion proactive de projets. Diverses raisons
poussent le gestionnaire à diriger lui-même des projets ou à y
participer. Parfois, c’est pour apprendre : il veut s’informer au
sujet de dossiers importants (sur le plan de l’information).
D’autres fois, c’est pour enseigner : il désire encourager les
membres de l’unité à passer à l’action ou leur montrer
comment les choses doivent être faites (sur le plan des gens).
Enfin, plus couramment, le gestionnaire participe aux projets
parce qu’il se préoccupe des résultats (sur le plan de l’action).
Jacques Benz, directeur général de GSI, participait
activement à une réunion de conception d’une
plateforme pour la poste française. Après avoir
écouté un certain temps, il a dit qu’il fallait « faire
un choix ». Plus tard, il a prodigué quelques conseils
et, à la fin de la réunion, il a insisté sur ce qui devait
être fait à la prochaine rencontre. Lorsqu’on lui a
demandé pourquoi il avait assisté à cette réunion,
Jacques a répondu que le projet établissait un
précédent pour la société, « le début d’une stratégie
».
Évidemment, il est difficile pour un gestionnaire de prendre la
tête de tous les projets de son unité. Cela dit, la théorie
voulant qu’il ne doive rien faire (parce que l’action est
considérée comme de la microgestion) vient d’une
conception stérile du travail : le gestionnaire est installé sur
son estrade, littéralement déconnecté, et énonce
simplement des stratégies que les autres mettent en œuvre.
Comme le rapporte un cadre de l’industrie de la motocyclette :
« Le directeur général d’une firme de conseillers en gestion de
renommée mondiale a tenté de me convaincre qu’il était
préférable que les hauts dirigeants en sachent le moins
possible sur le produit. Cet homme croyait fermement que cela
leur permettait de traiter les affaires de l’entreprise de façon
efficace et détachée. » (Hopwood, 1981, p. 173)
Cette méthode serait peut-être efficace dans un univers où tout
serait simple, mais le nôtre est chaotique. Le gestionnaire doit
donc se mouiller pour savoir ce qui se passe. Une bonne façon
de le faire consiste à participer à des projets particuliers. Les
stratégies ne sont pas élaborées dans des bureaux
déconnectés. Elles s’apprennent grâce à l’expérience
concrète (voir le chapitre 5). Comme Jacques Benz l’a
suggéré, la réalisation d’un projet ne se résume pas à la mise
en œuvre de stratégies ; le projet contribue à la création même
des stratégies. Le gestionnaire déconnecté n’apprend rien et
s’avère souvent, par le fait même, être un piètre stratège.
Dans la plupart des cas, en raison de ses nombreuses
responsabilités, le gestionnaire ne peut se permettre de se
concentrer sur un seul projet – et se laisser aller à cette «
terrible obsession ». Il peut cependant le faire
exceptionnellement, par exemple, lorsqu’une unité est en crise
ou qu’une occasion extraordinaire se présente. Par ailleurs, le
travail de certains gestionnaires, comme Brian Adams, de
Bombardier, consiste justement à se pencher sur des projets en
particulier.
Cela dit, la plupart des gestionnaires s’attaquent à plusieurs
projets de front. Puisque ceux-ci tendent à se faire en plusieurs
étapes et à comporter de nombreux délais, le gestionnaire peut
se pencher sur chacun d’eux de façon intermittente, puis se
tourner vers d’autres préoccupations.
Le traitement réactif des perturbations. Si la gestion de
projets touche essentiellement l’instauration du changement
proactif au sein de l’unité, le traitement des perturbations est,
quant à lui, essentiellement une question de réaction au
changement imposé à l’unité. Un événement imprévu, un
problème trop longtemps ignoré ou la venue d’un nouveau
concurrent peuvent précipiter une crise. Il y a alors
perturbation, et une mesure correctrice est nécessaire.
La journée où je l’ai observé, Alan Whelan, de la
BT, s’est surtout occupé de ce qu’il considérait
comme une perturbation de taille : l’échec de la
signature d’un contrat important. Chez Bombardier,
Brian Adams a dû intervenir auprès d’un «
fournisseur problématique ». Abbas Gullet, lui, a
affronté une crise au centre hospitalier du camp de
réfugiés à la suite de la mise à pied inopportune de
son infirmière en chef.
Lorsque les gestionnaires accèdent à des postes de haute
direction, ils « traitent davantage de situations difficiles que de
problèmes ». Celles-ci « requièrent des aptitudes
d’interprétation » ; elles « ne peuvent être réglées en douceur »
(Farson, 1996, p. 43).
Pourquoi le gestionnaire doit-il être responsable de la
réaction ? D’autres membres de l’unité n’en sont-ils pas
capables ? Bien sûr, et ils le font régulièrement. Toutefois,
certaines perturbations nécessitent l’autorité formelle du
gestionnaire ou l’information dont il dispose en tant que centre
nerveux. De plus, certaines perturbations ne peuvent être
traitées que par le gestionnaire – par exemple, lorsqu’elles
impliquent un intervenant important. Qui plus est, les
problèmes se transforment généralement en perturbations
précisément parce qu’ils sont passés à travers les mailles du
filet : aucun membre de l’unité n’en a assumé la
responsabilité. Par conséquent, le gestionnaire doit s’en
charger. Pour revenir à l’exemple de Johnson & Johnson,
rappelons que le directeur général de la société a
immédiatement pris les choses en main à la suite de la
découverte de poison dans certaines gélules de Tylenol :
Je savais que je pouvais et devais le faire… Je
connaissais bien les médias. J’étais accro des
informations et j’avais négocié avec les réseaux à
plusieurs occasions. Je connaissais les noms des
chefs de pupitre ; je savais avec qui communiquer,
comment aborder le sujet… J’étais dans ce bureau
12 heures par jour. Je demandais conseil à tout le
monde, parce que personne n’avait jamais affronté
ce genre de problème… Nous avons conçu le nouvel
emballage pratiquement du jour au lendemain, alors
qu’en temps normal, le processus aurait duré deux
ans. (dans Bennis, 1989, p. 152-154)
Les histoires de perturbations découlant d’une gestion
incompétente, voire négligente, sont légion. L’envers de la
médaille est moins connu, mais vaut la peine d’être
mentionné : les bouleversements peuvent survenir
naturellement dans toutes les organisations (comme dans
l’exemple de Tylenol). En fait, les organisations efficaces ne
sont pas uniquement celles qui évitent les perturbations,
mais aussi celles dont les gestionnaires sont aptes à les
traiter. En effet, plus l’organisation fait preuve de créativité,
plus elle risque de rencontrer des perturbations. L’organisation
qui ne prend aucun risque évitera peutêtre les perturbations
jusqu’à ce que survienne celle qui scellera sa destinée.
Un autre aspect du traitement des perturbations mérite d’être
abordé. Parfois, un gestionnaire remplace une personne de son
unité, qui est malade, qui est partie brusquement ou qui est
dans l’impossibilité d’accomplir sa tâche. Dans un tel cas, il
prend part aux activités régulières de l’unité. Cela devrait être
considéré comme une partie de son travail de gestion puisqu’il
traite une perturbation engendrée par un événement
exceptionnel.
À l’occasion, le gestionnaire décide, sans raison précise, de
participer aux opérations quotidiennes de son organisation : le
pape dirige la prière, le directeur d’un hôpital fait du travail
clinique le vendredi. Peut-être ont-ils tout simplement envie de
faire ce genre de travail, qui autrement leur manquerait. S’il
est vrai que ces activités ne correspondent pas au travail de
gestion, elles peuvent découler de considérations relatives à la
gestion. Ainsi, en dirigeant la prière, le pape fait figure de
proue, et par son travail clinique, le directeur de l’hôpital
trouve le moyen de demeurer en contact avec les membres de
son unité.
Afin de clore cette discussion sur la gestion de l’action,
Chester Barnard, jadis PDG de New Jersey Bell, a écrit que «
lorsqu’on gère, on ne gère pas l’organisation, mais on effectue
un travail spécialisé qui maintient l’organisation en activité »
(1938, p. 215). Cela semble logique, mais il est difficile de
distinguer une activité de l’autre.
La transaction avec l’extérieur
La transaction est la manifestation externe de l’action. Le
gestionnaire « brasse des affaires » avec l’extérieur, avec des
fournisseurs et des banques, mais également avec d’autres
gestionnaires à l’intérieur de l’organisation. Il est à noter que
le « brassage d’affaires » suggère que le gestionnaire est
souvent déconnecté de l’action, comme c’est le cas du PDG
qui négocie une acquisition dont les autres subiront les
conséquences malheureuses.
Doug Ward, qui dirigeait la station de radio de
la CBC à Ottawa, a fait remarquer que sa
société était devenue « très entrepreneuriale, très
axée sur les transactions », avec une philosophie
du genre « aide-moi et je t’aiderai ».
Le rôle de transaction comporte deux grandes
composantes : la formation de coalitions autour d’enjeux
précis (ou encore, la mobilisation du soutien), puis le
regroupement de ces coalitions et des réseaux établis pour
la conduite de négociations. Ces deux facettes seront abordées
ensemble.
Bon nombre d’actions nécessitent la transaction : par exemple,
le fait de mettre un projet en chantier requiert généralement
beaucoup de négociations avec les fournisseurs, les clients, les
partenaires, les représentants du gouvernement, etc.
En tant que directrice de Hawkshead Ltd., Carol
Haslam devait concevoir des projets faisant
appel à plusieurs réseaux de télévision, parfois
dans le monde entier. Elle présentait ses idées à
des clients potentiels et tentait de les convaincre
que sa société cinématographique pouvait les
concrétiser. Le processus engageait une bonne
dose de réseautage.
Les directeurs de sociétés d’experts-conseils et de sociétés de
haute technologie comme Boeing ou Airbus agissent souvent
comme des vendeurs quand vient le temps de négocier des
contrats avec leurs clients. Ils se chargent ainsi de tâches qui,
dans la majorité des industries, seraient considérées comme
des activités de fonctionnement. Ils doivent cependant s’en
acquitter, car ce sont eux qui ont le statut et l’autorité
nécessaires pour conclure ces ententes. À titre de figure de
proue, le gestionnaire donne plus de crédibilité aux
négociations ; à titre de centre nerveux, il apporte de
l’information qui pèse dans la balance, en position
d’autorité, il fournit les ressources nécessaires en temps
réel.

Trop de microgestion ?
Je conclurai cette section en revenant sur la discussion
touchant la microgestion et la macrodirection. De nos jours, la
macrodirection est peut-être plus problématique. Le
gestionnaire qui n’est pas actif et qui ne fait pas de
transactions avec l’extérieur peut être incapable de
prendre des décisions avisées et d’élaborer des stratégies
solides. En revanche, nous n’avons pas plus besoin de
gestionnaires qui s’agitent et qui ne font que brasser des
affaires. Comme nous le verrons, l’univers de l’action doit être
rattaché à l’univers des gens, qui doit à son tour être relié à
l’univers de l’information.

La gestion équilibrée
D’entrée de jeu, j’ai noté que bien des théoriciens avaient
souligné un aspect de la gestion à l’exclusion des autres.
Maintenant, il est possible de comprendre pourquoi ils ont tort.
Si on tient compte des conseils de l’un d’entre eux seulement,
on court le risque d’appliquer un modèle de gestion désaxé.
Par exemple, le fait d’accepter la vision de Tom Peters, qui
met l’accent sur l’action, peut entraîner une explosion
centrifuge du travail. Dénué de cadre central, celui-ci ira dans
toutes les directions. Par ailleurs, en adoptant la vision de
Michael Porter, on réduit le rôle du gestionnaire à celui d’un
analyste qui se concentre sur la formulation de stratégies. Cela
peut entraîner une implosion centripète ; le travail risque de se
refermer sur lui-même, loin des actions tangibles nécessaires
pour documenter et ancrer les stratégies. La réflexion est
lourde (trop de réflexion peut épuiser un gestionnaire),
tandis que l’action est légère (trop d’action, et le
gestionnaire ne peut rester en place un instant).
Poursuivons : si on met trop l’accent sur la direction, on
risque de faire un travail sans contenu, sans but, sans
cadre et sans action. À l’inverse, si on insiste trop sur la
liaison, les tâches paraîtront détachées de leurs racines et
se résumeront à des opérations de relations publiques. Le
gestionnaire qui se contente de communiquer n’accomplit
rien ; celui qui se concentre exclusivement sur l’action fait
des choses, oui, mais seul. Enfin, celui qui met trop l’accent
sur le contrôle pourrait se retrouver à la tête d’une armée
de « béni-oui-oui ». Le gestionnaire ne doit pas axer son
travail exclusivement sur les gens, l’information ou l’action ; il
lui faut jouer sur les trois plans.
Au risque de verser dans le cliché, je dirai que le gestionnaire
doit faire un travail équilibré. Évidemment, il peut parfois
substituer un rôle à un autre, par exemple en stimulant les
employés par la direction plutôt que par le contrôle. Certes, il
peut accomplir son travail de différentes façons, mais il doit
veiller à intégrer tous ses rôles dans l’exercice de ses
fonctions.
La gestion déséquilibrée est cependant monnaie courante.
Cette situation peut être due à la dissociation de l’action et de
la stratégie, à la rigueur du contrôle ou au désengagement du
leadership narcissique. Voilà pourquoi le modèle de ce
chapitre est présenté sur une seule page : pour ne pas oublier
qu’on doit voir le travail de gestion de façon holistique.
La figure 5 présente les compétences associées aux rôles
exposés dans ce chapitre. Un gestionnaire peut-il toutes les
maîtriser ? A priori, non. Toutefois, comme nous le verrons au
chapitre 6, l’univers de la gestion fonctionne assez bien même
si ses acteurs ne sont pas parfaits. Il n’y a pas d’autres choix.

Figure 5 Les compétences de la gestion


A. Les compétences personnelles
1. L’autogestion interne (la réflexion, la réflexion stratégique)
2. L’autogestion externe (le temps, l’information, le stress, la carrière)
3. La programmation (la fragmentation, la priorisation, l’agenda, le
choix du moment)

B. Les compétences interpersonnelles


1. La direction de personnes (la sélection, l’enseignement, le mentorat,
l’accompagnement, l’inspiration, le traitement avec les spécialistes)
2. La direction de groupe (la formation d’une équipe, la résolution de
conflits, la médiation, la facilitation des processus, la conduite de
réunions)
3. La direction de l’organisation ou de l’unité (le développement de la
culture)
4. L’administration (l’organisation, l’affectation des ressources, la
délégation, l’autorisation, la systématisation, la fixation d’objectifs,
l’évaluation du rendement)
5. La liaison de l’organisation ou de l’unité (le réseautage, la
représentation, la collaboration, la promotion et la défense des
causes, la protection)

C. Les compétences informationnelles


1. La communication orale (l’écoute, l’entrevue, l’élocution, la
présentation, le briefing, l’écrit, la collecte d’informations, la diffusion
d’informations)
2. La communication non verbale (la vision ou l’intelligence perceptive,
la détection ou l’intelligence viscérale)
3. L’analyse (le traitement des données, la modélisation, la mesure,
l’évaluation)

D. Les compétences liées à l’action


1. La conception (la planification, l’artisanat, la vision)
2. La mobilisation (l’extinction des feux, la gestion de projets, la
négociation, la transaction, la politique, la gestion du changement)
Compilé à partir de sources diverses, adapté de Mintzberg (2004, p. 280).

L’atteinte de l’équilibre dynamique


Lorsqu’une pilule agit, ses couches se décomposent et se
mêlent les unes aux autres. Il en va de même pour ce modèle :
lorsque le gestionnaire gère, la distinction entre ses rôles se
brouille. En d’autres mots, s’il est relativement facile de
différencier ces rôles de manière conceptuelle, il peut être
difficile de le faire dans la réalité.
Cette observation réduit-elle le modèle à néant ? Pas du tout.
Pour comprendre l’exercice de la gestion, il faut en
comprendre les composantes, même si on peut rarement avoir
recours à celles-ci de manière distincte. Par exemple, pour
Andy Grove, d’Intel, le « coup de coude » se situe à l’interface
de la direction, du contrôle, de la communication et de
l’action :
Souvent, au bureau, on fait des choses pour
influencer légèrement le cours des événements,
par exemple un appel à un associé pour lui
suggérer une orientation… Dans ces occasions,
on peut défendre une ligne de conduite, mais on
ne donne ni instructions ni ordres. Pourtant, on
fait bien plus que relayer de l’information.
Appelons cela un « coup de coude » puisque, par
ce geste, on aiguille les gens ou une réunion vers
une direction qui nous intéresse. On s’adonne
constamment à cette activité, qui se distingue
clairement de la prise de décisions ; en effet,
celle-ci débouche sur des directives fermes. En
fait, pour chaque décision, on donne
probablement une dizaine de coups de coude.
(1983, p. 51-52)
La journée de Fabienne Lavoie, l’infirmière en chef, donne
une bonne idée de la fusion des différents rôles de gestion.
Il était remarquable de constater que tout
s’emboîtait naturellement. Je voyais des
exemples évidents de chacun des rôles, mais ils
se déroulaient si rapidement qu’ils se mêlaient
les uns aux autres. Ainsi, une conversation brève
avec une infirmière s’accompagnait d’un
contrôle subtil et d’une direction compréhensive.
Et en parlant au téléphone avec un proche d’un
patient, Fabienne a rempli son rôle de liaison.
Elle agissait constamment, même s’il était
difficile de distinguer l’action de la direction et
de la communication.
J’ai décrit plus haut comment le gestionnaire contrôle les gens
de l’intérieur et persuade les gens de l’extérieur de l’unité. Or,
s’il a affaire à des collaborateurs hautement qualifiés, comme
les chercheurs d’un laboratoire, il doit souvent faire appel à
des techniques de persuasion plutôt que de contrôle. Quant aux
fournisseurs, ils peuvent être bel et bien contrôlés s’ils sont
captifs d’une société. Les axes verticaux reliant les «
supérieurs » aux « subordonnés » se sont affaiblis dans bien
des organisations, alors que les axes horizontaux vers les
partenaires et les collègues se sont renforcés.
J’insiste : chaque gestionnaire doit jouer tous les rôles du
modèle ; il doit avaler la pilule entière. Cependant, cela ne lui
enlève pas le droit de préférer un rôle à un autre. De plus,
chacun a son style propre, comme nous le verrons au prochain
chapitre. Par conséquent, le gestionnaire efficace ne présente
pas un équilibre parfait de ses différents rôles, mais plutôt
un équilibre dynamique qui lui permet de pencher vers
l’un ou l’autre, selon les circonstances.
Cet équilibre dynamique rend futile l’enseignement de la
gestion en classe, surtout si on le dispense en ne présentant
qu’un rôle ou une compétence à la fois. La maîtrise des
compétences ne rend pas le gestionnaire efficace. À mon
avis, aucune simulation en classe (les études de cas, les jeux,
les exercices) ne peut rivaliser avec le travail lui-même. La
gestion s’apprend sur le tas.
Les gestionnaires en fonction peuvent certainement tirer profit
d’un cours qui les encourage à réfléchir sur leur expérience et
à la partager avec autrui (comme nous le verrons au chapitre
6). Toutefois, cette expérience revêt tellement de formes que la
méthode pédagogique employée devrait être axée sur
l’apprentissage à partir des expériences plutôt que sur
l’enseignement théorique. C’est l’objet du chapitre suivant.

* Un troisième groupe d’activités – incluant l’embauche, le jugement, la


rémunération, la promotion et le licenciement – s’inscrit sous le rôle du contrôle et
non de la direction, car ces activités sont en lien avec la prise de décisions.
É
Évidemment, la façon dont un gestionnaire les mène peut le placer sur le plan des
gens. C’est d’ailleurs vrai pour chaque rôle de la gestion, de l’action à la
transaction, du contrôle à la communication.
Chapitre 4

La gestion de toutes sortes


de façons
L’infinie diversité de la gestion
En gestion, il n’y a pas de « taille unique » ; il n’y a pas «
qu’une seule bonne façon » de gérer. En effet, au risque de me
répéter, ceux qui se croient aptes à gérer n’importe quoi sont
généralement incapables de gérer quoi que ce soit. Toute
gestion est sans contredit ancrée dans un contexte. Si vous
passez quelques heures en compagnie d’un éventail de
gestionnaires, vous serez frappé par la variété de leur travail :
le PDG d’une banque visite des succursales, un délégué de la
Croix-Rouge est à l’affût des tensions dans un camp de
réfugiés, un chef d’orchestre répète, puis exécute, le chef
d’une ONG participe à la planification formelle tout en
repoussant un enjeu politique. La gestion est presque aussi
variée que la vie parce que, justement, elle concerne ce qui
se passe dans la vie.
Les deux chapitres précédents ont traité des caractéristiques et
du contenu de la gestion. Celui-ci se penche sur sa grande
variété. Comment établir un ordre dans cette diversité ?
Les principales sources de diversité dont nous traiterons sont
le contexte externe (la culture nationale, le secteur d’activité,
l’industrie) ; la forme de l’organisation (entrepreneuriale,
professionnelle, etc.), ainsi que son âge et sa taille ; le niveau
hiérarchique du poste de gestion et le travail supervisé par le
gestionnaire ; les pressions temporaires du travail ; et le
titulaire du poste (sa formation, sa pérennité, son style
individuel).
La gestion, au cas par cas
La tendance, tant dans la recherche que dans la pratique, est de
tenter de cerner la gestion en se penchant sur un facteur à la
fois. Par exemple, quelle est la différence entre un cadre
supérieur et un gestionnaire intermédiaire, entre la gestion
dans la fonction publique et en entreprise privée, ou encore en
Chine et en Inde ? Toutefois, lorsque j’ai réfléchi aux 29
gestionnaires que j’ai observés, j’ai été surpris de constater à
quel point plusieurs de ces facteurs étaient insignifiants, voire
ambigus, dans la plupart des cas :
Était-ce si important de savoir que Bramwell Tovey,
en tant que chef de l’Orchestre symphonique de
Winnipeg, était britannique ou qu’il exerçait sa
fonction au Canada ? C’était un cadre supérieur,
mais c’était également un superviseur de premier
niveau, puisque l’organisation était de petite taille.
Et qu’en était-il de son style individuel ? Voilà un
facteur – il s’agit toujours d’un facteur – plutôt lié à
la façon dont il exerçait son métier qu’au travail
qu’il accomplissait : il dirigeait un orchestre,
comme tous les chefs d’orchestre. Les deux facteurs
qui semblaient particulièrement probants étaient
l’industrie, c’est-àdire le fait qu’il s’agissait d’un
orchestre symphonique, et la forme d’organisation,
soit une organisation composée de professionnels
hautement qualifiés.
J’ai conclu qu’on ne peut faire fi d’aucun de ces facteurs, car
chacun semble avoir une influence certains jours. En
revanche, on peut éviter de les examiner à tour de rôle,
puisqu’ils doivent être considérés dans un ensemble.
La première partie de ce chapitre explore brièvement les
manifestations de chacun de ces facteurs, alors que la
deuxième est centrée sur un facteur particulier, le style
individuel. La troisième réunit le tout pour définir les postures
que les gestionnaires semblent adopter (par exemple, le
maintien du déroulement du travail, la gestion hors cadre,
etc.), alors que la quatrième porte sur les diverses postures de
« la gestion au-delà des gestionnaires ».

Le contexte externe de la gestion


Tout travail de gestion s’inscrit dans un contexte externe,
c’està-dire dans un milieu culturel comprenant un secteur
d’activité en général et une industrie en particulier.

La culture
La plupart des gens croient vivre dans des endroits dotés d’une
culture unique, au style de gestion prédominant. Pourtant,
certaines études concluent qu’il y a des similitudes frappantes
dans l’exercice de la gestion au sein de cultures différentes. La
culture est certes importante, mais nous tendons à exagérer nos
différences. Dans mon étude sur les 29 gestionnaires, j’ai
remarqué que la culture ne semblait être un facteur important
que dans deux cas :
Abbas Gullet et Stephen Omollo étaient aux
camps de la Croix-Rouge en Tanzanie en raison
d’événements tragiques survenus de l’autre côté
de la frontière, au Rwanda. La situation avait
une incidence importante sur la gestion, les
forçant à être d’une prudence extrême en
matière de sécurité et à mettre l’accent sur le
contrôle. Le contraste qui existait entre cette
situation et celle des deux Australiens observés
au bureau de Greenpeace à Amsterdam était
frappant : ils auraient pu se trouver n’importe
où, puisque le milieu culturel de Greenpeace est
en fait la planète entière. Par ailleurs, John
Cleghorn, PDG de la Banque Royale du
Canada, et Max Mintzberg, cofondateur d’une
chaîne de boutiques téléphoniques à Montréal,
ont eu des journées fort différentes bien qu’ils
soient tous deux Canadiens.
Le secteur d’activité
Les 29 gestionnaires de mon étude venaient de différents
secteurs d’activité : secteur privé, gouvernement, soins de
santé et secteur communautaire (ONG, etc.). Cet aspect est-il
important pour comprendre le travail de gestion ?
Dans toutes les organisations du secteur privé de mon étude, il
y avait des pressions (économiques) concurrentielles, mais
cela ne semblait important que pour trois des six gestionnaires.
Dans le secteur public, les pressions politiques ne sont
ressorties de manière claire que dans un seul cas. En fait, les
enjeux politiques sont davantage ressortis quand j’ai observé
Rony Brauman, de Médecins sans frontières, et Paul Gilding,
de Greenpeace, tous deux appartenant au secteur
communautaire. Dans le domaine de la santé, la nature
professionnelle du travail était importante pour les gens
directement engagés dans les opérations, mais moins pour
ceux qui évoluaient au sommet de la hiérarchie. (Je reviendrai
sur ce point.) En conséquence, on ne peut affirmer que le
secteur a une influence prépondérante (autrement dit, que «
c’est ainsi que ça fonctionne dans ce secteur »), car l’exercice
de la gestion est trop variable.

L’industrie
J’utilise le terme industrie dans son sens large (par exemple,
l’« industrie des orchestres »). Le thème de l’industrie s’est
fortement démarqué au cours de douze des journées
d’observation, par exemple la réalisation cinématographique
pour Carol Haslam et la direction d’orchestre pour Bramwell
Tovey. Toutefois, l’incidence de l’industrie était importante
pour les gestionnaires de premier niveau, plus près des
travailleurs et des utilisateurs, et moins pour les gestionnaires
intermédiaires et la haute direction.

La nature de l’organisation
Considérons maintenant les différentes caractéristiques de
l’organisation : sa forme, son âge, sa taille, le poste occupé au
sein de la hiérarchie et le travail supervisé.

La forme de l’organisation
Il est intéressant de constater que dans 20 cas sur 29, la forme
de l’organisation a été de loin le facteur le plus important pour
bien comprendre le travail des gestionnaires de mon étude.
Cependant, ce facteur est souvent ignoré. Pourquoi ?
Imaginons ce que serait la biologie si nous n’avions pas une
terminologie suffisante pour désigner les espèces. Comment
pourrions-nous, par exemple, distinguer un castor d’un ours
autrement qu’en disant qu’il s’agit de mammifères ? Voilà où
nous en sommes en ce qui a trait aux organisations ; il n’y a
pas de terme plus précis que le mot « organisation ». Comment
un PDG peut-il alors expliquer à des experts-conseils ou aux
membres du conseil d’administration qu’ils traitent son
entreprise comme une organisation de type X, alors qu’elle est
plutôt de type Y s’il n’y a pas de mots pour décrire X et Y ?
Dans des ouvrages précédents*, j’ai proposé les 6 formes
principales d’organisations :
L’organisation entrepreneuriale est centrée sur un leader
unique, qui participe énormément à l’action et aux opérations.
L’organisation bureaucratique est une structure formelle où
les tâches sont simples et répétitives, et où les gestionnaires
exercent un grand contrôle.
L’organisation professionnelle est axée sur des professionnels
qui travaillent généralement de façon individuelle. Le
gestionnaire s’oriente vers l’extérieur, vers la liaison et la
transaction, dans le but de soutenir et de protéger les
professionnels.
L’organisation par projets (adhocratie) est conçue autour
d’équipes spécialisées et novatrices. Le chef de projet se
concentre sur la direction des équipes, l’action d’exécution et
la liaison entre les différentes équipes. Quant au cadre
supérieur, il s’occupe de la liaison et de la transaction pour
obtenir des projets.
L’organisation missionnaire est dominée par une culture forte.
Le gestionnaire se concentre sur la direction pour renforcer et
soutenir cette culture.
L’organisation politique est dominée par le conflit. Le
gestionnaire doit parfois se concentrer sur l’action et la
transaction pour éteindre des feux.
Ces tendances ont été évidentes pour la réalisation
cinématographique (organisation par projets) et le commerce
au détail (organisation entrepreneuriale). Toutefois,
l’influence organisationnelle la plus forte sur la gestion a
été observée au sein des organisations professionnelles,
particulièrement chez les gestionnaires travaillant en
étroite collaboration avec les professionnels qui exécutaient
le travail. C’était le cas, par exemple, des responsables des
services hospitaliers, des directeurs cliniques et du chef
d’orchestre.

L’âge et la taille de l’organisation


Normalement, la gestion des jeunes et petites organisations
devrait être plus intense et moins formelle que celle des autres.
Mais ne sautons pas aux conclusions.
Il est vrai que Max Mintzberg gérait de manière
beaucoup plus intense sa chaîne de magasins,
qui est petite et jeune, alors que John Cleghorn
fonctionnait de façon extrêmement organisée
avec sa banque, qui est de grande taille et
arrivée à maturité. D’un autre côté, un orchestre
est une petite organisation, bien qu’il soit
composé d’une vaste unité, et même le plus jeune
de ses membres se conforme à un protocole
plusieurs fois centenaire. Par ailleurs, la taille
imposante du National Health Service (NHS), en
Angleterre, influençait à coup sûr le travail de
son PDG ; cependant, le travail des
gestionnaires médicaux et infirmiers aurait-il été
très différent si ceux-ci avaient œuvré dans des
hôpitaux autonomes ou de petite taille ?

Le niveau dans la hiérarchie


Le terme niveau se rapporte à la position du poste au sein de la
hiérarchie formelle de l’autorité : cadres supérieurs,
gestionnaires intermédiaires et superviseurs de premier niveau
(le mot « inférieur » n’est jamais utilisé). Tout cela,
évidemment, renvoie à un schéma imprimé sur une feuille de
papier. Dans les faits, il est inutile de chercher les
gestionnaires intermédiaires au centre de quoi que ce soit
ou les cadres supérieurs « au-dessus de tout ».
Nous considérons généralement que plus le niveau
hiérarchique du gestionnaire est élevé, moins son travail est
structuré et plus il est de longue portée. Pourquoi alors,
comme il a été noté au premier chapitre, Gord Irwin, du
bureau des aires aménagées du parc national de Banff, était-il
si préoccupé par les répercussions d’un stationnement sur
l’environnement ? Pourquoi Norm Inkster, commissaire de la
GRC, regardait-il les journaux télévisés de la veille afin
d’éviter que l’on pose des questions embarrassantes à son
ministre ce jour-là ? Les gestionnaires font ce qu’ils doivent
faire, pas ce que la théorie leur dit de faire. Qui d’autre à la
GRC aurait pu faire ce qu’a fait Norm Inkster ce jour-là ?
La gestion intermédiaire est au banc des accusés depuis un
certain nombre d’années. On dit d’elle qu’elle a été « gonflée
» et est par conséquent soumise, dans bien des sociétés, à la
réduction des effectifs à répétition. Il s’agit là de la version
moderne des saignées – le remède à toutes les maladies qui
touchent l’entreprise. Comment se fait-il que tant
d’organisations aient découvert le problème en même temps ?
Les cadres supérieurs étaient-ils distraits avant – ou après ?
Encore une fois, les simples généralités ne fonctionnent pas.
En fait, comme l’a dit Quy Huy d’Insead, « les cadres
intermédiaires sont souvent bien meilleurs que la majorité
des cadres supérieurs lorsqu’il s’agit d’utiliser le réseau
informel de l’entreprise pour faire des changements
substantiels et durables ». Ces gestionnaires savent « où sont
les problèmes » et peuvent aussi « avoir une vue d’ensemble »
(2001, p. 73).
Doug Ward, directeur de la programmation de la
station de radio CBC d’Ottawa, était à cheval
entre les opérations tangibles liées à la
programmation d’émissions de radio et la
complexité de la hiérarchie formelle de
l’organisation. « Un emploi à l’interface, c’est
bien », a-t-il dit. Grâce à son expérience
antérieure (il avait été directeur de tout le réseau
radio), il pouvait à la fois remettre en question
toute l’organisation et agir pour son bien, par
exemple, en contribuant à la création d’une
émission radiophonique qui a été adoptée plus
tard par le réseau.

Le travail supervisé
Si le cadre supérieur gère l’organisation entière, alors que
gèrent les autres gestionnaires ? Les fonctions, les projets et
les groupes, entre autres choses.
Le terme fonction servait surtout à décrire les composantes
classiques des affaires : la production, la commercialisation,
les ventes, et ainsi de suite. Toutefois, la fonction doit être
considérée de façon plus générique. Il s’agit d’un élément
d’une chaîne d’activités : les ventes d’une entreprise
manufacturière représentent une fonction, car elles ne peuvent
pas être isolées de la production. Il en va de même pour les
soins infirmiers et la médecine d’un hôpital. La fonction jouait
un rôle important pour 7 des 29 gestionnaires que j’ai
observés.

Les pressions temporaires de la gestion


Les pressions temporaires de la gestion regroupent les
conditions du moment : une grève, une fusion, une action en
justice, un assaut de la concurrence, etc.
Plusieurs recherches ont montré que les crises – une faillite
imminente, des hostilités soudaines, l’effondrement d’une
devise – peuvent entraîner la centralisation du pouvoir
organisationnel afin de permettre à une personne donnée de
réagir de façon rapide et décisive, particulièrement à l’aide des
rôles d’action et de contrôle.
Étonnamment, les pressions temporaires ne semblent être
importantes que pour 7 des 29 gestionnaires que j’ai observés.
Cela infirme-t-il les conclusions tirées plus haut, à savoir que
le gestionnaire réagit en temps réel aux pressions du moment ?
Je ne le crois pas. En fait, les pressions auxquelles le
gestionnaire est soumis ne sont pas temporaires, mais
perpétuelles. En d’autres mots, la pression fait partie
intégrante de la gestion. Par exemple, Brian Adams, de
Bombardier, ne s’inscrivait pas dans le cadre classique de la «
gestion par exception ». Son travail consistait plutôt à gérer les
exceptions.
La mode, comme facteur temporel, mérite d’être mentionnée.
À l’instar de la rectitude politique, il existe une « rectitude en
matière de gestion », la façon d’exercer la gestion qui est au
goût du jour. Par exemple, au fil des ans, la gestion du
personnel a été influencée par plusieurs modes : les relations
humaines, la gestion participative, la théorie Y, la qualité de
vie au travail, la gestion de la qualité totale, l’habilitation des
employés, etc.
Si ce n’est pas le travail comme tel qui est influencé, à tout le
moins, les gestionnaires sont susceptibles de l’être. Par
ailleurs, certains styles de gestion sont à la mode, par exemple
le « leadership héroïque », qui prédomine actuellement chez
les PDG. Toutefois, la mode n’était pas à l’ordre du jour des
gestionnaires que j’ai observés. Au contraire, Bramwell Tovey,
par exemple, se conformait à une tradition ancienne dans le
domaine de la musique symphonique.
La personne en poste
Dans le cadre de mon étude, le facteur le plus influent a été le
style individuel du gestionnaire, c’est-à-dire son approche de
la gestion, au-delà des exigences de l’environnement, du
travail, de l’organisation, etc. En d’autres mots, le style
correspond à la façon dont le titulaire d’un poste façonne son
travail au lieu de simplement le faire. Par exemple, le
président Truman « aimait prendre des décisions », ce qu’il
faisait rapidement, tandis que le président Eisenhower était
plutôt disposé à se tenir à distance de la prise de décisions
(Dalton, 1959, p. 163).
Le style est-il une question de caractère ou d’expérience ?
Résulte-t-il de l’inné ou de l’acquis ? La réponse est
évidemment un amalgame des deux. Voyons d’abord
brièvement ce qu’il en est de l’acquis, en matière
d’antécédents et de pérennité du gestionnaire. Ensuite, il sera
question de différents styles de gestion individuels, influencés
par l’inné ou l’acquis.

Les antécédents du gestionnaire


Les antécédents du gestionnaire peuvent comprendre les
études, les postes précédents, les réussites, les échecs et
d’autres expériences. De toute évidence, les antécédents
influençaient les 29 gestionnaires de l’étude. Cependant, leur
poids semblait vraiment important dans seulement six cas :
John Tate, du ministère de la Justice, qui avait une formation
en droit, Ann Sheen, Fabienne Lavoie et les Drs Thick et
Webb, qui avaient tous des antécédents professionnels en soins
infirmiers ou en médecine, et Marc, à qui ces antécédents
professionnels faisaient défaut.

La pérennité
La pérennité en poste, ainsi qu’au sein de l’organisation et de
l’industrie, était un facteur important pour neuf des
gestionnaires à l’étude. Par exemple :
Abbas Gullet s’est engagé dans la Croix-Rouge
alors qu’il était tout jeune. Dès l’adolescence, il
a participé à des rencontres internationales, puis
il s’est mis à travailler au bureau central. Par
conséquent, il connaissait intimement
l’institution, ce qui était évident par sa façon
d’établir des liens entre le site en Tanzanie et le
siège de Genève. Paul Gilding, de Greenpeace,
et Sandy Davis, de Parcs Canada, occupaient
leur poste depuis peu ; c’est pourquoi ils
privilégiaient la planification formelle. Peut-on
en conclure que les gestionnaires utilisent ce
genre de planification pour bien saisir leurs
nouvelles fonctions ? Peut-être, mais seulement
dans certains cas, car Alan Whelan, de la BT,
également nouveau en poste, ne semblait pas
aussi enclin à s’en servir.

Les styles individuels de gestion


Les dimensions servant à décrire le style individuel de gestion
ne manquent pas. La gestion peut en effet être centrée sur la
tâche ou sur les personnes, ouverte ou fermée, axée sur le long
terme ou le court terme. Comme il est impossible de toutes les
traiter, je me concentrerai sur trois dimensions qui semblent
particulièrement importantes : le dynamisme, la position et le
triangle art-artisanat-science.
Le dynamisme. Si un seul facteur doit se démarquer de
mes journées d’observation, c’est le dynamisme, soit la
mesure dans laquelle les gestionnaires faisaient usage de
leur liberté pour provoquer un changement ou pour
consolider la stabilité. Abbas Gullet, par exemple, était tout
aussi dynamique que les autres gestionnaires de l’étude, mais
son seul objectif était de stabiliser les camps de réfugiés. Alan
Whelan, quant à lui, cherchait à insuffler un vent de
changement à la BT. J’ai été très frappé par la propension d’un
grand nombre des 29 gestionnaires à agir en dépit de
contraintes importantes :
Peter Coe, qui œuvrait au sein de la structure
difficile du NHS en Angleterre, était un bon
exemple. Audessus de lui planait une vaste
hiérarchie ; en dessous, la majorité des activités
qui étaient censées être sous sa responsabilité
étaient en fait hors de son contrôle direct (des
médecins indépendants, des hôpitaux où il devait
faire des acquisitions, etc.). Le cadre de son
travail était plutôt vague et semblait même
imposé. Pourtant, le jour de l’observation, Peter
exerçait une gestion extrêmement dynamique.
La position : au sommet, au centre ou à travers. La
position que le gestionnaire estime occuper par rapport aux
autres membres de son unité est une dimension essentielle.
Certains gestionnaires se voient au-dessus des autres, sur le
plan hiérarchique, mais aussi sur le plan métaphorique. Ils
se sentent supérieurs aux gens qui sont sous leurs ordres, et
tendent généralement à accorder une grande importance au
rôle de contrôle.
D’autres gestionnaires se positionnent au centre des
activités. Cela semble être le cas de plusieurs femmes de mon
étude. Dans son ouvrage The Female Advantage: Women’s
Ways of Leadership, Sally Helgesen a écrit que les femmes qui
occupent des postes de gestion « se considéraient
généralement comme au cœur des activités ; pas au-dessus,
mais bien au centre, et tournées vers l’extérieur plutôt que vers
le bas » (1990, p. 45-46). Pour ma part, j’ai remarqué la
différence la plus prononcée entre hommes et femmes au cours
de mes deux journées d’observation à Paris (voir l’encadré ci-
dessous).

LE YIN ET LE YANG DE LA GESTION


Rony Brauman était à la tête de Médecins sans frontières et Catherine
Join-Diéterle était responsable du Musée de la mode et du costume.
Tous les deux travaillaient à Paris. Tous les deux occupaient de tout
petits bureaux et se déplaçaient sur deux roues – motocyclette pour le
premier et scooter pour la seconde, reflet de leur rythme de travail. Tous
deux étaient très engagés, mais l’un d’eux était, si l’on peut dire, bien
moins déterminé.
Les membres de Médecins sans frontières se promènent dans le monde
entier pour gérer des crises de façon intermittente. Ils se rendent là où
ça va mal pour tenter de soigner les gens ou du moins de pallier leurs
maux, puis ils reprennent la route. Le Musée de la mode et du costume
de Paris est quant à lui immuable ; il recueille des objets de famille qu’il
peut préserver à jamais.
Au cours de ces deux journées d’observation, les gestionnaires se sont
adaptés à la situation, d’une part avec intensité et de façon résolue, à
l’instar du yang, d’autre part avec soin et inspiration, à l’instar du yin.
Médecins sans frontières ne fait pas que s’occuper de médecine ;
l’organisation fonctionne comme la médecine. Les décisions sont prises
de façon définitive – dans le but de régler une crise ou de se retirer.
L’organisation préfère les situations critiques aux situations chroniques,
et tend à se retirer lorsque la stabilité est de retour. Ce n’est pas une
coïncidence si son directeur était un médecin. Le jour de mon
observation, Rony exerçait aussi la gestion comme il pratique la
médecine, de manière interventionniste. Son travail était largement
tourné vers l’extérieur – il courait dans Paris pour donner des entrevues
aux médias et promouvoir une perspective politique concernant un pays
où œuvrait son organisation.
Le musée, lui, préserve à la fois les objets et le patrimoine. La directrice
du musée porte le titre révélateur de « conservatrice en chef ». Son
travail, ce jour-là, était tourné vers l’intérieur, vers l’action et le détail.
Elle mettait la main à la pâte, au propre comme au figuré. Lorsqu’elle
discutait de la relation intime entre le vêtement et le corps, elle aurait pu
transposer la métaphore aux rapports entre la mission de l’organisation
et son « corps », c’est-à-dire la conservation du patrimoine du vêtement
français dans sa structure bien ficelée.
Il faut se rappeler que le yin et le yang, ces deux « grandes forces
cosmiques », sont interdépendantes. Leur dualité est ancrée dans
l’unité : la lumière doit jaillir de l’ombre, et l’ombre fait partie de la
lumière. Si l’harmonie est atteinte lorsqu’il y a équilibre du yin et du
yang, alors peut-être faut-il rééquilibrer la gestion ?

Enfin, certains gestionnaires n’évoluent ni au sommet de la


hiérarchie ni au centre des activités, mais dans un réseau
d’activités. De nos jours, les organisations sont des réseaux
d’activités interactifs, où la communication va dans tous les
sens. Considérez la figure 6, et demandez-vous où le
gestionnaire doit se positionner dans une telle structure. Au
sommet ? S’il le fait, il sera déconnecté. Au centre ? Il
centralisera le réseau, c’est-à-dire qu’il attirera vers lui tous
les modèles de communication.
Figure 6 Les perceptions de la position du
gestionnaire

Ainsi, pour diriger un réseau, comme dans une organisation


par projets, le cadre doit exercer sa gestion tous azimuts – et se
considérer lui-même ainsi. En d’autres mots, il doit être
partout. Bref, il préférera la liaison à la direction, la transaction
à l’action et la persuasion au contrôle.
L’art, l’artisanat et la science. Pour déterminer les
différents styles de gestion, je préfère le triangle art-artisanat-
science présenté au premier chapitre. Dans la figure 7, on voit,
à proximité de la science, le style cérébral, c’est-à-dire
délibéré et analytique. Il a longtemps influencé la gestion,
peut-être aujourd’hui plus que jamais. Près de l’art, on note le
style réfléchi – préoccupé par les idées et la vision,
particulièrement intuitif. Finalement, près de l’artisanat, on
remarque le style engageant, qui se caractérise par son aspect
participatif et utile, ancré dans l’expérience.
Si l’on insiste trop sur l’un ou l’autre de ces styles, on risque
de créer un déséquilibre. Comme le montre également la
figure 7, le style cérébral peut devenir calculateur (trop axé
sur la science et l’analyse), le style réfléchi peut devenir
narcissique (l’art pour l’art), et le style engageant peut devenir
fastidieux (le gestionnaire est réticent à s’aventurer au-delà de
son expérience personnelle). L’absence d’une dimension peut
aussi être problématique et, comme on le voit dans la figure,
entraîner une gestion désorganisée (sans la science), une
gestion déconnectée (sans l’artisanat) ou une gestion morose
(sans l’art).

Figure 7 Les styles de gestion selon l’art,


l’artisanat et la science

Par conséquent, il est préférable de se situer au cœur du


triangle : la gestion efficace requiert un mélange judicieux
d’art, d’artisanat et de science, que ce soit chez le
gestionnaire ou au sein d’une équipe de gestion. En d’autres
mots, bien que la gestion ne soit pas une science, elle a
besoin de l’ordre de la science et, en plus, de l’ancrage de
l’artisanat et du zeste de l’art. L’instrument que j’ai conçu
avec Beverley Patwell, une consultante de la Colombie-
Britannique, permet de circonscrire votre propre style dans le
triangle, et ceux de vos collègues (figure 8).

Figure 8 L’estimation de votre style individuel de


gestion selon l’art, l’artisanat et la
science
Source : Développé par © Henry Mintzberg et Beverley Patwell, 2008.

Le style à sa place. J’ai décrit la journée de travail de Carol


Haslam dans la société cinématographique en ces termes : elle
négocie avec fermeté et dirige en douceur. Le verbe désigne ce
qu’elle fait, alors que le nom qualifie sa façon de faire.
Lorsqu’un collaborateur demande à son gestionnaire de
l’aider, celui-ci peut répondre : « Vois Sally pour ça » (rôle de
communication) ou « Je m’en occupe » (rôle d’action). La
façon de procéder peut varier pour chacun de ces rôles. Par
exemple, en ce qui concerne la communication, « Selon moi,
Sally sera nerveuse à ce sujet » est assez différent de « Dis à
Sally qu’elle nous manque ; ça aidera. »
Le style individuel a-t-il influencé les actions des 29
gestionnaires à l’étude ? Beaucoup moins que prévu ! Bien
que le style joue un rôle prépondérant quant à la façon
d’aborder le travail, il semble avoir une incidence
étonnamment assez restreinte sur la gestion en tant que telle.
Bien sûr, Ann Sheen, responsable des soins infirmiers, était
rapide ; Jacques Benz, président de GSI, était réfléchi ;
Catherine Join-Diéterle était plutôt yin, Rony Brauman, plutôt
yang, etc. Mais à quelques exceptions près, le style n’était pas
un facteur déterminant en ce qui concerne le travail comme tel.
Carol Haslam concluait ses transactions d’une
main ferme et dirigeait tout en douceur, mais le
directeur d’une autre société cinématographique
aurait-il opté pour des rôles différents ? Et qu’en
est-il de Bramwell Tovey ? Sa prédisposition
personnelle avait-elle une incidence sur son
travail, que ce soit devant ou derrière le
pupitre ?
Pourquoi est-ce ainsi, considérant toute l’attention que l’on
accorde aux styles de gestion ? Parce que ce que fait le
gestionnaire est principalement défini par les défis qui se
présentent à lui, lesquels ne sont pas indépendants de sa
personnalité.
Bramwell Tovey s’était dirigé vers la musique,
puis vers la direction d’orchestre, en raison de
sa disposition naturelle. Norm Inkster avait de
toute évidence été attiré par la GRC pour sa
culture, et il en était probablement devenu le
directeur parce qu’il se fondait à merveille dans
celle-ci.
Et ce n’est pas une coïncidence si Carol Haslam occupait un
poste dans le cadre duquel elle doit effectuer des transactions
importantes avec des gens de l’extérieur ou si les fonctions de
Fabienne Lavoie requièrent une forte direction interne.
(Imaginez quelle serait la situation si Carol et Fabienne
inversaient leurs rôles.)
En un mot comme en cent, le style individuel est important,
oui, mais il influence davantage la façon dont le
gestionnaire exerce ses fonctions (en termes de décisions et
de stratégies) que le travail en soi.
Le gestionnaire est-il un caméléon ? Daniel Goleman
soutient, dans son article « Leadership That Gets Results »,
publié en 2000 dans la Harvard Business Review, que les
styles peuvent être choisis un peu comme « des bâtons de golf
dans le sac d’un joueur professionnel, en fonction des besoins
de l’instant. Le golfeur évalue le défi, prend sans hésiter le bon
bâton et s’en sert avec élégance. Voilà comment les
gestionnaires de choc exercent leurs fonctions » (2000, p. 80).
Je ne suis pas d’accord. L’hypothèse suivant laquelle il est
possible de changer de comportement comme on change de
bâton est bien ancrée dans la psychologie appliquée et dans le
domaine de la formation des cadres. Elle doit être examinée à
fond.
Prenons Marc, le directeur général d’un hôpital.
Tourné vers l’extérieur, il défendait son
institution en exerçant des pressions avec une
efficacité apparente. Toutefois, tourné vers
l’interne, Marc devait affronter de nombreuses
personnes qui cherchaient à défendre leurs
propres intérêts. Donc, le style qui le rendait si
efficace à l’extérieur pouvait lui causer des
problèmes à l’interne, à moins, évidemment,
qu’il prenne un bâton différent ou, pour utiliser
une métaphore à la mode, qu’il change de
couleur à l’instar du caméléon. Le défenseur
tenace et agressif – « autoritaire », « instigateur
» – n’avait qu’à devenir, disons, « affiliatif », «
démocratique » (selon les termes utilisés par
Goleman). Malheureusement pour lui, il n’était
pas seulement question de changer de bâton de
golf, mais bien de trouver un sport mieux
adapté : le badminton au lieu de la boxe, par
exemple.
N’oubliez pas que bien que le caméléon change de couleur, il
ne change pas d’habitat. En réalité, il ne fait que se dissimuler.
Cela peut fonctionner pour lui dans un certain contexte, mais,
dans le cas d’un gestionnaire, combien de temps cette stratégie
sera-t-elle efficace ? Le gestionnaire efficace est peut-être
davantage celui dont le style naturel convient au contexte
que celui qui change de style pour s’adapter au contexte
(sans parler du gestionnaire dont le style est censé
s’adapter à tout contexte).
Sans aucun doute, tout le monde peut s’adapter, mais jusqu’à
un certain point seulement. Malgré sa popularité, l’idée selon
laquelle l’organisation doit tout simplement s’adapter au style
de son directeur général est terriblement destructrice. En y
accordant du crédit, on peut négliger des aspects importants de
l’organisation, dont sa culture. S’attendre à ce que le titulaire
du poste se conforme avec rigidité au travail relève de la
bureaucratie, mais lui donner carte blanche pour qu’il
puisse façonner le travail comme il l’entend n’est guère
mieux. Tout gestionnaire doit façonner le travail, mais
aussi le faire.
Un professeur en éducation m’a un jour demandé ce que je
pensais de la pratique américaine consistant à nommer des
officiers de l’armée à la retraite à la direction de systèmes
scolaires. « C’est une bonne idée, ai-je répondu, tant que le
pays est prêt à ce que l’armée soit dirigée par des directeurs
d’école à la retraite. »

Les postures de la gestion


Comme nous l’avons vu dans ce chapitre, les différents
contextes de la gestion ne sont pas indépendants, mais plutôt
interreliés. Dans le cas de Max Mintzberg, par exemple, sa
jeune et petite entreprise concurrentielle était dotée d’une
forme entrepreneuriale qui permettait à son directeur général
d’avoir une grande marge de manœuvre, mais qui générait
également beaucoup de pression. Le rythme de travail était
frénétique ; les actions et les transactions étaient nombreuses.
Heureusement, cela convenait parfaitement à la personnalité
de Max.
Si nous voulons bien comprendre les diverses formes de la
gestion (pour des besoins de sélection, de perfectionnement,
d’évaluation, etc.), nous avons besoin d’une classification
cohérente de ses postures. À partir de mes observations sur les
29 gestionnaires, j’ai défini douze postures de la gestion,
décrites dans les sections qui suivent.

Le maintien du déroulement du travail


Certains gestionnaires de l’étude étaient, de toute évidence,
centrés sur le maintien du déroulement du travail. Ils
s’assuraient que tout fonctionnait rondement. De tels
gestionnaires maintiennent un équilibre dynamique afin que
l’organisation garde le cap, une posture qui relève
davantage du réglage précis que du grand bouleversement.
Cette posture semble plus appropriée pour les superviseurs de
premier niveau des organisations bureaucratiques (comme
Stephen Omollo, dans les camps de réfugiés). Cependant, je
l’ai également observée dans des organisations
professionnelles (Fabienne Lavoie, à l’hôpital), chez des
cadres intermédiaires (Abbas Gullet, dans les camps de
réfugiés), voire chez un directeur général (Bramwell Tovey,
qui veillait au déroulement de base de la musique).
Il s’agit d’une gestion pratique, axée sur l’artisanat. Le rôle
clé, ici, est l’action, quoique la communication soit aussi
importante : le gestionnaire a besoin d’information instantanée
afin de saisir au vol ce qui peut clocher.

Les liens vers l’extérieur


À l’autre extrémité du spectre, on remarque une posture qui
assure un lien vers l’extérieur plus qu’elle ne contrôle à
l’intérieur. En termes techniques, le gestionnaire maintient
les conditions frontières de son organisation. On s’attend à
retrouver davantage cette posture au sein de la haute direction.
C’était le cas pour Rony Brauman, de Médecins sans
frontières, pour Carol Haslam, de Hawkshead Ltd. et pour
Marc, à la tête de l’hôpital – toutes des organisations de
travailleurs du savoir. Le centre d’intérêt ici réside dans les
rôles externes de liaison et de transaction. Cette posture,
adoptée par les grands négociateurs et les bâtisseurs de réseaux
les plus enthousiastes, repose beaucoup sur l’art.

L’harmonisation tous azimuts


Cette troisième posture comprend certains aspects des deux
premières, et plus encore. Le gestionnaire est à proximité du
déroulement du travail, mais il est également en liaison avec
l’extérieur et, par-dessus tout, il harmonise habilement les
deux. Quoique cette posture semble tout indiquée pour les
directeurs généraux, dans les faits, ce sont surtout des cadres
intermédiaires qui l’ont adoptée. Ceux-ci sont en effet
probablement les mieux placés pour intégrer les activités
d’une organisation. Tous ces gestionnaires sauf un étaient
bien engagés dans des projets, ce qui n’est pas étonnant,
puisqu’un projet peut nécessiter une gestion assez complète.
En raison de l’importance de leurs relations latérales, ces
gestionnaires ne pouvaient se permettre de se placer au
sommet, ni même au centre. Ils devaient se positionner « à
travers », pour entrer en contact avec autrui et faire usage de
leurs vastes réseaux. En fait, dans cette posture, les supérieurs
et les subordonnés peuvent se mêler aux associés et aux
partenaires, comme c’est le cas de Brian Adams chez
Bombardier.
Cette posture tient davantage des liens entre les rôles que des
rôles eux-mêmes, et est très près du style de gestion artisanal,
plus facilitateur que directif. Mais s’il fallait identifier ses
rôles clés, ils comprennent la transaction, l’action et une
bonne dose de communication.

Le contrôle à distance
Les trois prochaines postures décrivent les façons dont les
cadres supérieurs de grandes organisations s’y prennent pour
tenter de pénétrer leur hiérarchie afin d’y apposer leur sceau.
Le contrôle à distance décrit une posture quelque peu
détachée et analytique, non interventionniste, sur le plan
de l’information. Les gestionnaires qui l’utilisent se
considèrent comme au sommet et favorisent le contrôle, que
ce soit par la prise de décisions ou la prescription de
rendement.
Paul Gilding, nouveau à la barre de
Greenpeace, semblait tenté d’utiliser la
planification formelle afin de prendre le
commandement de l’organisation. Ironiquement,
alors qu’il poussait les autres à mettre
davantage la main à la pâte, il évitait
consciemment de le faire lui-même (même si un
employé l’y a vivement encouragé à un moment
de la journée).
Bien que le contrôle à distance soit surtout l’apanage des gens
qui sont au sommet des grandes organisations,
particulièrement de type bureaucratique, les Drs Webb et
Thick, qui travaillaient à la base de leurs hôpitaux,
l’utilisaient. Tous deux étaient gestionnaires à temps partiel ;
ils étaient davantage engagés dans des activités cliniques et de
recherche (où ils faisaient preuve d’une orientation plus
artisanale). Par conséquent, le jour de l’observation, ils se sont
rapidement acquittés de leurs tâches de gestion en autorisant
des décisions prises par d’autres, ce qui relève aussi du rôle de
contrôle.

La consolidation de la culture
Cette posture, quoique fort différente des autres, semble
également être l’apanage des cadres supérieurs. Elle allie l’art
et l’artisanat, par l’entremise de l’engagement personnel plutôt
que par le contrôle impersonnel. L’objectif est ici de
renforcer la culture de l’organisation – son sens de la
communauté –, afin de pouvoir faire confiance aux gens.
La direction est le rôle clé de cette posture. Elle est soutenue
par une bonne dose de communication et est associée à la
liaison, afin de protéger l’organisation des perturbations
extérieures. Le gestionnaire se considère comme étant au
centre des activités plutôt qu’au sommet, plongé dans la
culture.
Cette posture s’est clairement manifestée chez Norm Inkster,
commissaire de la GRC, et a été évidente à d’autres occasions,
particulièrement avec deux autres officiers de la GRC, de
niveau intermédiaire et de première ligne. Elle était due à une
combinaison de facteurs : la noblesse de la mission, l’histoire
unique de l’organisation, ainsi qu’un chef en poste depuis
longtemps et entièrement dévoué à sa culture.

L’intervention stratégique
Cette posture, qui vise également l’infiltration dans la
hiérarchie, se caractérise par l’intervention personnelle et
ponctuelle d’un cadre supérieur dans le but d’obtenir des
changements précis. Par exemple, Jacques Benz, de GSI,
s’est engagé dans des projets qui pouvaient, à son avis, avoir
une incidence stratégique. Quant à John Cleghorn, de la
Banque Royale, il s’est occupé de problèmes d’exploitation
qu’il connaissait bien.
Le rôle caractéristique de cette posture est l’action, qui est
souvent appuyée par le contrôle et la communication. Le style
tend alors à être axé sur l’artisanat et à être fondé sur des
expériences tangibles. Le gestionnaire emploie des stratégies
provenant davantage de l’apprentissage informel que de la
planification formelle. Par ailleurs, même s’il se considère
comme « au sommet », il a tendance à agir en intervenant un
peu partout.

La gestion à partir du milieu


Certains gestionnaires qui se situent au centre de la hiérarchie
adoptent une des deux postures suivantes, qui sont bien
différentes l’une de l’autre : soit ils suivent le courant et gèrent
à partir du milieu, soit ils opposent une résistance et exercent
une gestion hors cadre.
Selon la vision classique, le gestionnaire intermédiaire est au
cœur de la hiérarchie, entre le cadre supérieur, qui formule les
stratégies, et ceux de premier niveau, qui ne font que les
mettre en œuvre. Par la communication et le contrôle, le
gestionnaire intermédiaire facilite la transmission des
stratégies (vers le bas) et des renseignements relatifs au
rendement (vers le haut). Il a moins recours à l’action, à la
transaction et à la direction. Dans l’ensemble, cette posture est
de type analytique et cérébral ; elle est tributaire de la
planification, du budget et d’autres systèmes formels. Il est
donc davantage question ici de maintien de l’équilibre que de
promotion du changement. Le rythme de travail est moins
frénétique et plus régulier que dans le cas de certaines autres
postures.
La gestion hors cadre
Comme nous l’avons déjà mentionné, la gestion intermédiaire
dépasse largement le contexte hiérarchique. Dans cette
posture, j’ai découvert des personnes dynamiques qui gèrent «
à partir du centre ».
Alan Whelan, de la BT, était de toute évidence au
cœur d’une hiérarchie imposante, d’une culture
en transition, d’une problématique complexe et
du dilemme éthique qu’elle soulevait – il devait
dire à un client qu’il n’avait pas réussi à obtenir
la signature d’un contrat, tout en continuant de
chercher à convaincre la haute direction de le
faire. Il induisait le changement en encourageant
la haute direction à reconnaître le nouvel univers
des télécommunications. Il est intéressant de
noter que, des 29 gestionnaires observés, dont
12 étaient des cadres supérieurs, c’est Alan qui a
formulé la stratégie la plus articulée*.
La gestion hors cadre semble donc centrée sur les rôles
externes de liaison et de transaction ; elle met
particulièrement à profit les aptitudes de négociation du
gestionnaire. Elle était adoptée par les gestionnaires de mon
étude qui bâtissaient leurs coalitions afin d’influencer des gens
ne relevant absolument pas de leur autorité formelle. Le
contrôle et la direction étaient peu présents ici, du moins, ils
n’étaient pas au cœur des préoccupations. Cette posture, peut-
être plus que toute autre, se situe très près de l’art.

Les conseils de l’extérieur


Dans cette posture, le gestionnaire est vu comme un conseiller,
un spécialiste et un intervenant qui agit davantage en fonction
de son expertise que de son autorité. Le cadre intermédiaire
traditionnel est assis entre deux chaises, mais le
gestionnaire conseiller est à l’extérieur. Il cherche à
influencer les autres. Par conséquent, il n’est ni au sommet ni
même au milieu ; il se contente de jouer un rôle d’influence
auprès des réseaux.
Cette posture peut sembler réservée aux spécialistes plus
qu’aux cadres, mais les unités formées de spécialistes ont
besoin de gestionnaires, qui doivent parfois agir comme
experts. De plus, les superviseurs sont également parfois
amenés à jouer le rôle de conseillers. Par exemple, en plus de
gérer le ministère de la Justice du Canada, John Tate devait
agir à titre de conseiller du ministre sur des questions
politiques et législatives.
Le style individuel qui obéit à cette posture est plus près de
l’analyse que de l’art ou de l’artisanat. Les rôles de liaison et
de communication y sont prédominants, et l’organisation,
souvent grande et structurée, est en mesure de puiser à
l’interne l’expertise dont elle a besoin.

Le nouveau gestionnaire
Afin de conclure cette discussion, deux postures méritent
d’être mentionnées. L’une est temporaire, et l’autre devrait
l’être. Il s’agit des postures du nouveau gestionnaire et du
gestionnaire réticent.
Plus haut, j’ai indiqué que, le jour où une personne devient
gestionnaire pour la première fois, tout bascule. Hier, elle
exerçait une action ; aujourd’hui, elle la gère. Le choc peut
être grand. Dans un nouveau poste, une période d’adaptation
est essentielle, même pour un gestionnaire d’expérience. Il
doit se bâtir un réseau de contacts (liaison) afin d’obtenir
l’information nécessaire au travail (communication). Cela lui
permet éventuellement d’agir (action et transaction)
L’ouvrage Becoming a Manager (2003), de Linda Hill,
comprend une bonne discussion de cette posture. Cette
chercheuse, dont les idées ont été citées à maintes reprises
dans le présent ouvrage, a souligné que, lorsqu’on devient
gestionnaire, on doit faire la transition abrupte entre les états
de spécialiste et d’acteur et ceux de généraliste et de
programmeur. On doit aussi faire le saut entre l’action
individuelle et le développement de réseaux pour devenir celui
qui pousse les autres à l’action (p. 6).
Linda Hill a expliqué comment de nombreux nouveaux
gestionnaires de son étude ont adopté une « approche
autocratique et pragmatique de la gestion » (p. 99), pour
finalement se rendre compte des limites de leur autorité
formelle, car « peu de gens semblaient suivre leurs ordres » (p.
100). Ces gestionnaires ont donc dû « apprendre à diriger par
la persuasion plutôt que par les directives » (p. 100) et à
découvrir « de nouvelles façons de mesurer leur réussite et de
tirer satisfaction de leur travail. Il s’agissait d’acquérir une
toute nouvelle identité professionnelle ». (p. x)

Le gestionnaire réticent
Deux personnes étaient, à mon avis, des gestionnaires
réticents. En fait, elles étaient, d’une certaine façon, des
gestionnaires à temps partiel. C’était particulièrement évident
pour le Dr Webb, qui se débarrassait rapidement de ses tâches
de gestion afin de se consacrer au travail clinique qu’il
chérissait :
Après une heure intensive avec sa « directrice
administrative », au cours de laquelle elle posait
des questions auxquelles le Dr Webb répondait
rapidement en buvant un café après l’autre et en
fumant des cigarettes à la chaîne, il est parti
pour se consacrer à ses visites médicales. Il est
alors devenu calme et réceptif à ses patients. Il
avait du temps pour répondre à leurs besoins et
était détendu avec le personnel accompagnant.
Au cours des deux heures qu’il a passées dans le
service, il n’a consommé ni café ni cigarettes ; il
n’en a même pas parlé.
Quant à John Tate, du ministère de la Justice, c’était
beaucoup plus qu’un gestionnaire ; comme je l’ai
mentionné plus haut, il était également conseiller du
ministre. Il était plutôt réticent à l’égard de ses
tâches de gestion et il le manifestait clairement.
Ceux qui aimaient leur travail de gestion étaient beaucoup plus
nombreux : ils en appréciaient plusieurs aspects, dont l’action,
l’influence et le rythme, et n’avaient pratiquement pas de
doléances (quoiqu’il arrive à tous les gestionnaires en exercice
de se plaindre un jour ou l’autre). Cette attitude me paraît
saine, car la gestion n’est pas un travail à aborder avec
réticence : elle requiert tout simplement un engagement
complet de la personne.

Des postures et des buts pour tous


J’ai associé chacun des 29 gestionnaires de l’étude avec une
posture en particulier. Cela dit, il faut bien comprendre que
tout gestionnaire adopte la majorité des postures à un moment
ou à un autre, car elles constituent la raison d’être de la
gestion. En effet, le gestionnaire doit établir des liaisons
externes (avec différents intervenants), maintenir le
déroulement du travail (en le gardant sur ses rails) et
même exercer un contrôle à distance. Dans la plupart des
cas, il voit aussi à consolider la culture, à lancer certaines
initiatives stratégiques et à agir de temps à autre à titre de
spécialiste de son domaine. De plus, peu importe où il se
situe dans la hiérarchie, il doit gérer à partir du centre
d’un réseau complexe de forces déterminantes. Cela
signifie qu’il doit parfois exercer une gestion hors cadre.
Par conséquent, pour fonctionner de façon efficace, le
gestionnaire doit non seulement adopter toutes les
postures, mais également les combiner de toutes les
manières possibles, et ce, même s’il en privilégie une en
raison des circonstances particulières.

La gestion au-delà du gestionnaire


Jusqu’à maintenant, nous avons considéré la gestion
principalement sous l’angle du travail du gestionnaire.
Pourtant, elle s’exerce de plus en plus au-delà des tâches
accomplies par celui-ci.
Deux facteurs expliquent l’attention grandissante dont est
l’objet la gestion au-delà des gestionnaires. D’abord, dans un
contexte où le travail intellectuel et le réseautage deviennent
de plus en plus importants, certaines prises de décisions sont
naturellement transférées à des non-gestionnaires. Dans les
organisations de forme professionnelle, par exemple – la
plupart des stratégies semblent émerger des efforts conjoints
des professionnels euxmêmes (Mintzberg, 2007, chapitre 10).
Ensuite, bon nombre de personnes entretiennent une relation
ambivalente avec leur gestionnaire. Ils considèrent tantôt qu’il
a la solution à tous les problèmes, tantôt qu’il est la source de
tous les problèmes. En fait, je soupçonne qu’ils changent
d’avis en fonction de leur plus récente interaction avec leur
supérieur.
La prudence est donc de mise. Qu’on se le tienne pour dit : les
gestionnaires sont nécessaires, mais ils ne doivent pas être
idolâtrés. J’espère que la démonstration a été claire jusqu’à
maintenant et je répète que le gestionnaire accomplit des
tâches essentielles au sein de l’organisation : il apporte un sens
à l’unité, traduit l’information en action, la représente auprès
du monde extérieur, et ainsi de suite. Toutefois, le but, la
réalisation et la responsabilité de l’organisation dépassent
largement le travail du gestionnaire.
Par conséquent, sur le spectre de la figure 9, il vaut mieux
ignorer les deux extrêmes – la position du gestionnaire
responsable de tout et celle de la gestion sans gestionnaire. On
devrait plutôt considérer les catégories suivantes : la gestion
maximale, la gestion participative, la gestion partagée, la
gestion distribuée, la gestion constructive et la gestion
minimale.

Figure 9 La gestion par les gestionnaires et au-


delà
La gestion maximale
À certains égards, Henri Fayol (1916, 1949) avait en gros
raison : il y a des gestionnaires qui planifient, organisent,
coordonnent, ordonnent et contrôlent. Nous qualifierons cette
approche de gestion maximale, par contraste avec la gestion
minimale.
La gestion maximale est-elle en voie de disparition, comme
l’affirment depuis des années tant de gourous de la gestion ?
Eh bien, ce n’est pas le cas. On n’a qu’à regarder autour de
soi : les chaînes de montage d’automobiles, les fabriques de
textiles, les supermarchés, les centres d’appels et les nombreux
commis dans les ministères. Sans oublier ces organigrammes
où le chef est « au sommet ». On peut donc affirmer, pour
paraphraser Mark Twain, que les rumeurs concernant le «
décès » de la gestion maximale ont été largement exagérées. Et
pourtant, quelle portion de la gestion est véritablement
maximale ? Très peu.

La gestion participative
À quelques pas de la gestion maximale, on trouve la « gestion
participative », aussi appelée « habilitation » ou «
décentralisation ».
Le problème de cette forme de gestion, c’est que la direction
générale qui accorde le pouvoir peut tout aussi facilement le
retirer. Pour ce qui est de l’habilitation, le mot est maintenant à
la mode, mais les gens qui ont un travail à accomplir ne
devraient pas avoir besoin d’être « habilités » par leur
gestionnaire, comme c’est le cas des médecins dans les
hôpitaux et des abeilles dans les ruches. Le terme «
décentralisation », quant à lui, désigne généralement le
transfert du pouvoir de quelques cadres supérieurs vers
d’autres gestionnaires du niveau hiérarchique suivant. Ce qui
ne constitue pas vraiment une diffusion du pouvoir*.

La gestion partagée
Le travail de gestion peut être partagé entre deux personnes ou
plus. Par exemple, le directeur général se concentre sur les
aspects externes de son emploi (la liaison et la transaction),
alors que le directeur de l’exploitation s’occupe des aspects
internes (le contrôle, la direction et l’action).
La clé est le partage de l’information. Il a été noté à maintes
reprises que l’information est le ciment des rôles de gestion. Si
deux personnes occupant un même poste ne partagent pas
complètement leurs informations, il y aura inévitablement des
écueils.
La gestion par équipe est une extension du concept de gestion
partagée. Dans un hôpital psychiatrique (Hodgson, Levinson et
Zaleznik, 1965), le directeur général reliait l’organisation à son
environnement (par la liaison et la transaction) en faisant
preuve d’assurance. Un autre cadre gérait les services
cliniques à l’interne (par l’action, le contrôle et la direction),
tout en jouant un rôle de soutien. Une troisième personne était
responsable de l’innovation (par l’action), tout en mettant de
l’avant des normes égalitaires et conviviales (une autre
approche de la direction).
Dans une étude réalisée dans les années 1990 (Pitcher, 1995,
1997), on a découvert que la gestion d’une institution
financière était assumée de façon équilibrée par des artistes,
des artisans et des technocrates. Tant et aussi longtemps que
ceux-ci ont collaboré, utilisant les forces et corrigeant les
faiblesses les uns des autres, l’entreprise a prospéré.
Cependant, lorsqu’un technocrate a pris le dessus et éliminé
les artistes et la plupart des artisans, l’entreprise s’est mise à
chanceler.

La gestion distribuée
La gestion distribuée diffuse la responsabilité de la gestion de
façon plus large. Lorsqu’un groupe d’oies traverse le ciel, le
leadership change quand l’oie de tête se fatigue et perd de
l’élan. Les autres oies trouvent sûrement que le meneur est «
habilitant », voire charismatique, mais cela ne dure qu’un
moment. Si les oies peuvent partager le rôle de direction, et si
les abeilles sont capables de travailler avec vigueur sans y être
encouragées par la reine, alors les humains peuvent sûrement
atteindre un tel degré de sophistication. En d’autres mots, il est
possible de considérer le leadership comme une chose tout à
fait naturelle.
Les tâches liées à la gestion peuvent également être réparties
entre les personnes. Par exemple, certaines décisions peuvent
être prises en commun – comme à l’occasion des réunions
communales dans l’ancienne Nouvelle-Angleterre, où les
membres de la collectivité se réunissaient pour voter. Ici
encore, les abeilles ont de l’avance sur l’humain : elles
prennent ensemble la décision de déplacer la ruche. Les
éclaireuses évaluent différents sites, puis retournent vers leurs
congénères pour leur communiquer, par une chorégraphie, les
caractéristiques de chaque endroit. « Un concours s’ensuit.
Finalement, le site présenté avec le plus de vigueur par le plus
grand nombre d’abeilles ouvrières l’emporte, et tout l’essaim
s’y dirige, la reine emboîtant le pas. » (Wilson, 1971, p. 548)
Les professionnels et les spécialistes des organisations mettent
parfois en œuvre des projets d’où émergent de grandes
stratégies. Dans un article intitulé « Waking Up IBM : How a
Gang of Unlikely Rebels Transformed Big Blue », Gary
Hamel (2000) raconte comment la société est entrée dans le
commerce électronique : un « programmeur replié sur lui-
même » en a eu l’idée et, avec bien peu de ressources, a réussi
à convaincre un directeur du personnel du bien-fondé de cette
aventure. Il a ensuite formé une équipe disparate, qui y est
parvenue. À la question : « Sous les ordres de qui êtes-vous ?
» il a simplement répondu : « D’Internet. »

La gestion constructive
Si les non-gestionnaires jouent de plus en plus de rôles liés à la
gestion, alors les gestionnaires eux-mêmes peuvent en tenir
moins. La gestion constructive, une forme de gestion de
soutien, est appelée à avoir une place de plus en plus
prédominante dans nos sociétés.
Si la reine ne joue aucun rôle dans la prise de décisions
stratégiques de la ruche, alors que fait-elle ? En plus de
produire des bataillons de petites abeilles, elle exerce une autre
fonction, qui, elle, est fondamentalement associée à la
gestion : elle émet une substance chimique qui fait tenir la
ruche. Dans les organisations humaines, il s’agit de la culture.
Celle-ci constitue un des aspects clés du rôle de direction,
comme dans le cas de Norm Inkster, de la GRC.
Les abeilles fonctionnent de façon autonome, sans grande
supervision. Il en va de même pour les professeurs
d’université et les médecins (qui ne relèvent généralement pas
de la hiérarchie de l’hôpital). Leur travail, qualifié de «
professionnel », change complètement la nature de la gestion.
« J’évitais de me trouver en travers de leur chemin », a affirmé
l’ancien doyen d’une école de gestion en parlant des
professeurs.
Évidemment, il n’est pas toujours possible de les éviter, car il
faut, par exemple, que les budgets soient établis et respectés.
De plus, les professionnels ont besoin de soutien et de
protection, afin de pouvoir effectuer leur travail avec le moins
de perturbations possible. Leur gestionnaire exerce donc un
rôle de liaison et de transaction avec les intervenants
extérieurs afin d’assurer un approvisionnement régulier en
ressources, tout en limitant les pressions externes. Robert
Greenleaf a qualifié cette forme de gestion de leadership
engagé : « dans ce cas, les personnes sont choisies comme
leaders parce qu’elles ont fait leurs preuves à titre de serviteurs
et parce qu’elles ont un désir naturel de servir avant tout,
contrairement à celles qui sont des leaders avant tout » (2002,
p. 24 et 27).

La gestion minimale
Le dernier degré de l’échelle est celui de la gestion minimale.
À ce stade, il y a très peu de gestion à faire, parfois même pas
du tout. Toutefois, il faut coordonner quelques activités, ce qui
fait appel à la gestion.
Les gens ont affaire à ce genre de gestion chaque jour. Il n’y a
qu’à songer aux systèmes ouverts comme l’encyclopédie
Wikipédia et le logiciel d’exploitation LINUX. Il s’agit là
d’adhocraties au sens le plus large : elles font appel au
potentiel créatif de toute la collectivité. Les gens y entrent, y
circulent, y apportent des changements, puis en repartent, et
les systèmes évoluent avec une cohérence remarquable. Ils
sont presque autogérés, mais pas tout à fait : quelqu’un les a
conçus, quelqu’un en a établi les règles d’accès, de
modification et de sortie, et quelqu’un doit voir à leur
cohérence. Cela peut se faire également en arrière-plan. Sur
une affiche représentant un groupe de canards en vol, on a
écrit : « Les voilà partis. Je dois bien les suivre, puisque je suis
leur leader. »
Voilà qui conclut notre discussion sur l’infinie diversité de la
gestion. Les deux derniers chapitres s’appuient sur les quatre
premiers. Ils prennent en considération les paradoxes
inévitables que doit affronter quiconque accepte un poste de
gestion, puis traitent de ce que la gestion efficace pourrait
signifier.
_____________
* Présenté dans Mintzberg 1979 et 1983, et bien développé dans Mintzberg 1989
(2e partie ; voir également Mintzberg 2007, chapitre 12, sur la façon dont chaque
forme a tendance à créer ses stratégies).
* Voici quelques mots tirés de mon rapport à propos des commentaires d’Alan : «
L’époque où le fournisseur présentait simplement des services auxquels les clients
n’avaient qu’à souscrire est depuis longtemps révolue. De nos jours, les clients
désirent obtenir des services qui répondent à leurs besoins particuliers. Le pouvoir
s’est déplacé vers le consommateur. Les services de réseaux, comme ceux de la BT,
étaient partiels, alors que les clients cherchaient des services complets, inclus dans
une seule et même entente. Il y avait donc un besoin d’intégration afin de réunir le
centre de données, les ordinateurs de bureau, les réseaux et d’autres services, ce qui
nécessitait la collaboration de différents fournisseurs. »
* En fait, le cas de « décentralisation » le plus célèbre en était plutôt un de
centralisation. Dans les années 1920, Alfred Sloan, de General Motors, régnait sur
les gens qui dirigeaient les différentes unités de son empire (Chevrolet, Buick, etc.)
par la création d’une structure divisionnaire qui les soumettait au contrôle du
rendement imposé par le siège (Mintzberg, 1979, p. 405-406).
Chapitre 5

La gestion sur la corde raide


Les paradoxes inéluctables de la
gestion
La gestion est truffée de paradoxes. Peu importe de quel côté
se tourne le gestionnaire, des énigmes ou des paradoxes
semblent se tapir dans l’ombre. Il faut les voir comme autant
de cordes raides sur lesquelles le gestionnaire doit avancer. «
La fonction du gestionnaire consiste précisément à réconcilier
les forces conflictuelles, les instincts, les intérêts, les
conditions, les positions et les idéaux. » (Barnard, 1938, p. 21)
Remarquez que cet auteur emploie le mot réconcilier plutôt
que résoudre. Ce chapitre traite de différents paradoxes au
cœur de la gestion, avec quelques pistes de réconciliation.

Le syndrome de la superficialité
Il s’agit probablement du paradoxe le plus fondamental de la
gestion. C’est le tourment de tout gestionnaire. Comment
approfondir la réflexion alors que la pression pour obtenir
des résultats est omniprésente ? Comme je l’ai mentionné
dans ma première étude, de même qu’au chapitre 2, le risque
majeur que court le cadre est celui de la superficialité. Parce
que son travail est peu défini, il a tendance à assumer une
charge très importante. Par conséquent, le gestionnaire devient
un manipulateur d’information qui s’adapte plutôt qu’un
planificateur réfléchi.
« Je ne veux pas que ce soit parfait – je veux que ce soit fait
pour mardi ! » de dire un gestionnaire. Les organisations ont
besoin de produire, c’est vrai, mais est-ce vraiment nécessaire
que cela soit pour mardi ? Ou tout de suite par courriel ? La
mise en marché, par exemple, doit se faire de façon accélérée
dorénavant. Il faut être les premiers à lancer le produit.
Pourquoi donc ? Pour devoir le retirer par la suite ?
Le gestionnaire ne peut se départir de la superficialité, il doit
plutôt devenir un expert dans le domaine – par exemple, il
s’occupera d’enjeux complexes en les fragmentant en étapes
qui peuvent être franchies une à la fois. Il doit également
s’efforcer de réfléchir à son travail, de prendre du recul,
d’avoir une vue d’ensemble.
La réflexion sans action relève de la passivité, mais l’action
sans réflexion est machinale. Comme l’a souligné Saul
Alinsky dans son ouvrage, Rules for Radicals, « la majorité
des gens traversent la vie en subissant une série d’événements
qui deviennent des expériences une fois qu’ils sont digérés,
réfléchis, liés à des modèles généraux et synthétisés » (1971,
p. 68-69). L’un des cadres inscrits à notre maîtrise
internationale pour gestionnaires en exercice (IMPM)
(www.impm.org) a inventé le terme « réfl’action », pour
décrire la nécessité d’allier la réflexion et l’action dans le
travail de gestion.
On dit des grands athlètes qu’ils voient le jeu un peu moins
vite que les autres et qu’ils sont donc en mesure d’effectuer
des manœuvres de dernière minute. Peut-être est-ce également
le cas du gestionnaire efficace : soumis à de fortes pressions, il
conserve son calme, ne serait-ce qu’un moment, afin d’agir de
façon réfléchie.

La difficulté de la planification
La difficulté de la planification est une variante du syndrome
de la superficialité. En effet, malgré le rythme frénétique de
son travail, le gestionnaire doit trouver le moyen de
planifier, d’élaborer des stratégies et simplement de
réfléchir.
Ce paradoxe oppose les caractéristiques dynamiques de la
gestion dont il a été question au chapitre 2 (le rythme
implacable, les interruptions, etc.) aux responsabilités du
gestionnaire en ce qui a trait à la direction comme telle et à la
supervision des décisions prises au sein de l’unité. Il s’agit là
d’un paradoxe, car les gestionnaires ne peuvent ni éviter ces
pressions ni en faire fi.

La planification stratégique peut-elle résoudre ce


paradoxe ?
Comment le gestionnaire affairé doit-il procéder, alors ? En
fermant la porte ? En se retirant ? En appelant un consultant ?
Il peut effectivement avoir recours à ces solutions à l’occasion,
mais seulement s’il les voit pour ce qu’elles sont : des mesures
temporaires.
La planification stratégique semble être la solution idéale du
gestionnaire débordé. En effet, si on est incapable de prévoir, il
peut être tentant de laisser le système réfléchir et planifier pour
soi (cette technique remplace parfois l’utilisation du cerveau).
Malheureusement, la planification stratégique ne fonctionne
jamais comme prévu – elle n’a jamais servi à la conception
d’une stratégie. Pourquoi ? Parce que si la planification permet
l’analyse, la stratégie exige la synthèse. Certes, l’analyse
contribue à la synthèse, mais ce sont deux processus différents.
Lorsque Michael Porter a écrit dans The Economist qu’il
utilisait « un jeu de techniques d’analyse pour la conception de
stratégies » (1987), il se leurrait complètement. Personne n’a
jamais conçu de stratégie grâce à des techniques. L’univers de
l’analyse est catégorique ; celui de la stratégie est désordonné.
Évidemment, les techniques d’analyse peuvent alimenter le
processus stratégique, mais elles ne peuvent le remplacer.
La planification se déploie au moment prévu, et le gestionnaire
doit composer avec les problèmes et les occasions au fur et à
mesure qu’ils se présentent*. Par exemple, comment un cadre
de Parcs Canada peut-il concilier sa mission consistant à «
soutenir l’intégrité, la santé, la diversité, la majesté et la beauté
de l’héritage culturel et national de l’Ouest canadien » avec
une épuisante chamaillerie à propos de l’agrandissement d’un
stationnement ?

La création de stratégies**
Dans la planification stratégique, le gestionnaire est censé
réfléchir et formuler des stratégies afin que les autres puissent
les mettre en œuvre. Ainsi décrit, ce processus est déductif et
délibéré. Il se situe plus près de la science que de l’art ou
l’artisanat.
Dans mon étude sur l’évolution des stratégies de dix
organisations (Mintzberg, 2007), j’ai découvert autre chose.
Les stratégies peuvent naître sans être formulées. Elles
peuvent émerger d’un apprentissage non structuré. Les
gens ont des idées et lancent des initiatives qui peuvent
devenir de grandes stratégies. Autrement dit, l’action
entraîne la réflexion de la même façon que la réflexion
entraîne l’action.
Les stratégies ne sont pas des tables de pierre gravées au
sommet d’une montagne, puis rapportées en bas pour qu’on
les exécute. Elles sont acquises sur le terrain par ceux qui sont
capables d’avoir une vue d’ensemble au-delà des détails. Bref,
il vaut mieux être bien ancré dans le concret que de planer
dans la stratosphère du conceptuel.
Cela signifie que le gestionnaire peut surmonter la difficulté de
la planification en laissant s’épanouir les bourgeons
stratégiques au sein de son organisation pour ensuite choisir
ceux qui peuvent le mieux la servir. Il évite ainsi d’adopter un
profil trop cérébral, qui préconise la culture de stratégies en
serre, lui préférant un style engageant qui ouvre la porte à une
croissance potentielle.

Le labyrinthe de la décomposition
L’univers de la gestion est fragmenté, parfois naturellement,
parfois artificiellement. Les organisations sont scindées en
divisions, départements, produits et services, sans parler des
missions, objectifs, programmes et budgets. De même, les
plans sont divisés en enjeux, et les enjeux stratégiques sont
décomposés en forces, faiblesses, menaces et occasions.
La supervision de ces éléments relève du gestionnaire, qui doit
faire de l’ordre dans tout ce fatras (qu’il a parfois créé lui-
même). Voilà qui nous mène au labyrinthe de la
décomposition : comment synthétiser dans un univers si
décomposé par l’analyse ?
La synthèse représente l’essence même de la gestion : elle
désigne l’assemblage d’éléments sous forme de visions
cohérentes, d’organisations unifiées et de systèmes intégrés.
Voilà ce qui rend la gestion à la fois si complexe et si
intéressante. Alors, comment le gestionnaire peut-il avoir une
vue d’ensemble à partir de tant de détails ? Il ne s’agit pas
d’une peinture accrochée au mur. Elle doit se dessiner dans
l’esprit des gens.
L’organigramme est censé être une représentation ordonnée
des composantes d’une organisation. Il présuppose que si
chaque unité accomplit correctement son travail, l’organisation
fonctionnera rondement. En d’autres mots, la structure est
censée prendre l’organisation en charge, de la même façon que
la planification est censée s’occuper de la stratégie. Celui qui
prête foi à ce raisonnement n’a pas le sens des réalités.
L’organigramme peut tout aussi bien être vu comme un
labyrinthe dans lequel les individus sont obligés de trouver
leur chemin.

L’agrégation
Selon Peters et Waterman (1982), le gestionnaire saisit les
problèmes généraux en les fragmentant, afin de les traiter un à
la fois. Ça va, tant que le gestionnaire n’a pas à remettre les
morceaux ensemble. En effet, les fragments ne s’imbriquent
pas les uns dans les autres comme les morceaux d’un casse-
tête. Le processus tient davantage du jeu de Lego, sauf que les
pièces ne sont pas parfaites et que le gestionnaire ne sait peut-
être pas au juste ce qu’il doit construire.
Dans un article haut en couleur intitulé The Magic Number
Seven, Plus or Minus Two : Some Limits on Our Capacity for
Processing Information, George Miller (1956) a fait remarquer
que les êtres humains ne peuvent traiter qu’environ sept
fragments d’information à la fois dans leur mémoire à court et
à moyen terme. Par conséquent, comment leur cerveau peut-il
concevoir une vue d’ensemble ?

La vue d’ensemble
Reprenons la métaphore de la peinture. Comment le peintre
fait-il pour avoir une vue d’ensemble ? À l’instar du
gestionnaire, il ne dispose d’aucun élément pour obtenir cette
vision. Bien sûr, il pourrait copier le tableau de quelqu’un
d’autre, mais cela ne ferait pas de lui un grand peintre (le
gestionnaire qui emprunterait les stratégies des autres ne serait
pas non plus un brillant stratège).
La peinture doit être réalisée un coup de pinceau à la fois,
une expérience à la fois. Le peintre peut évidemment
commencer par une perspective générale, mais, dans les faits,
le tableau est le fruit d’une suite de petits gestes. Il en va de
même de plusieurs stratégies. De nos jours, peu de sociétés ont
une meilleure stratégie qu’IKEA, la chaîne de magasins de
meubles. Toute une vue d’ensemble ! Mais il a fallu quinze
années de labeur pour la dessiner.

Le travail de gestion naturel


Certains des fragments de l’organisation sont naturels, d’autres
non. Lorsqu’un gestionnaire est responsable d’un fragment
qui n’est pas naturel, la gestion peut devenir impossible.
Voilà à quoi Ann Sheen a dû faire face. Elle était responsable
de la gestion des soins infirmiers de deux hôpitaux
d’Angleterre, situés à plusieurs kilomètres l’un de l’autre. Ces
hôpitaux avaient été fusionnés sur papier, comme par magie.
Comment pouvaient-ils constituer une seule unité de gestion ?
Ce fragment organisationnel n’était certainement pas naturel.
Trop souvent, le travail de gestion est défini de façon
arbitraire. Une autre gestionnaire à l’étude, Sandy Davis, était
directrice régionale de l’Ouest pour Parcs Canada. Chaque
parc possède son propre gestionnaire. Quel était le rôle de
Sandy ? En d’autres mots, qu’avaient en commun les parcs de
l’Ouest du Canada ? Un des dangers inhérents à la gestion
d’un tel ensemble est que le gestionnaire se sentira obligé de
trouver des points communs (par exemple, dans le cas de
Sandy, en organisant une réunion des directeurs de parcs pour
établir une certaine synergie entre eux). Ou alors, il versera
dans la microgestion.
Il n’y a rien de pire pour une société qu’un gestionnaire
qui n’a pas grand-chose à faire. En effet, les gestionnaires
sont généralement des gens énergiques ; c’est d’ailleurs pour
cela qu’ils occupent leurs postes. Plus ils gravissent les
échelons, plus ils tendent à être énergiques. Par conséquent,
dans des emplois où leurs fonctions sont réduites, ils trouvent
de nouvelles tâches à exécuter. C’est alors que les problèmes
surviennent.

Le dilemme de la connexion
Les trois premiers paradoxes portaient principalement sur la
réflexion, tandis que les trois prochains traitent de la gestion
sur le plan de l’information.
Comme nous l’avons déjà mentionné, l’exercice de la gestion
comporte un risque professionnel important : le cadre peut se
trouver dans une situation où il sait de moins en moins de
choses sur de plus en plus de sujets, à tel point qu’il finit par
ne plus rien savoir. Le dilemme de la connexion aborde ce qui
se cache derrière cette attitude : comment peut-on rester
informé lorsque la gestion, par sa nature, éloigne le cadre
de l’objet même de son travail ? En d’autres mots, comment
le gestionnaire peut-il rester connecté lorsqu’il est, de façon
intrinsèque, déconnecté ?
J. Sterling Livingston (1971), alors professeur à l’école de
gestion de l’Université Harvard, a écrit à propos de la nature «
indirecte » de l’enseignement traditionnel de la gestion –
particulièrement dans le cas des MBA. Il aurait dû parler de
nature « doublement indirecte », puisque la gestion en elle-
même est par essence indirecte. Les organisations sont
conçues pour que des personnes se chargent des tâches de base
(la conception, la fabrication, la vente, etc.), tandis que
d’autres, les gestionnaires, supervisent le tout. Au risque de
me répéter, j’affirme que la gestion, c’est faire faire les choses
par d’autres, que ce soit sur le plan des gens (par la direction et
la liaison) ou sur celui de l’information (par le contrôle et la
communication). Même sur le plan de l’action, le gestionnaire
s’arrange (par l’action et la transaction) pour que les gens
agissent.
Certains prétendent que le détachement peut rendre le
gestionnaire plus objectif. C’est vrai. Néanmoins, d’autres
disent que l’objectivité, c’est traiter les gens comme des
objets. Est-ce là ce que nous voulons de nos gestionnaires ?
Par ailleurs, d’aucuns considèrent que grâce à Internet, les
gens sont en contact les uns avec les autres où qu’ils soient. En
fait, ils sont surtout en contact avec leur clavier.
Ce paradoxe est probablement moins préoccupant pour le
gestionnaire de premier niveau, qui est en contact naturel avec
les opérations. Cela m’est apparu particulièrement évident
lorsque j’ai rencontré Stephen Omollo dans les camps de
réfugiés. Je l’ai regardé parcourir les camps et collecter avec
enthousiasme de l’information. À un moment donné, après
avoir fait un arrêt dans la zone de distribution alimentaire, il a
annoncé qu’il n’y avait pas de problème ce jour-là, car
personne n’était venu se plaindre. Pour illustrer ce mode de
fonctionnement, Peters et Waterman (1982) ont parlé de «
gestion ambulante ». Ici, Stephen exerçait sa gestion par sa
seule présence.
Ironiquement toutefois, le dilemme de la connexion est ressorti
de façon notoire dans la frustration exprimée par Gord Irwin,
gestionnaire des aires aménagées du parc national de Banff. Il
s’est retrouvé pris entre les réalités tangibles du parc, qu’il
connaissait parfaitement, et ses nouvelles responsabilités,
ancrées dans l’abstraction de l’administration. La frustration
était également le lot de Bramwell Tovey, qui a évoqué avec
nostalgie son travail musical.

Les dalles dans les silos


Malgré tout, à l’instar de Steve et Gord, Bramwell était encore
assez près des opérations pour y être connecté naturellement.
Son organisation était de petite taille et, comme nous l’avons
mentionné, Bramwell était autant cadre supérieur que
superviseur.
Pour leur part, les organisations de Steve et de Gord étaient de
grande taille. Le fait que les gestionnaires s’empilaient au-
dessus de lui était à l’origine de la frustration de Gord. On sait
que plus le gestionnaire gravit les échelons, plus il s’éloigne de
l’action, au point où, comme l’a dit Paul Hirsch, le directeur
général peut devenir « le paratonnerre, à défaut de savoir ce
qui se passe ».
On parle beaucoup des silos dans les organisations, ces
clivages verticaux qui séparent les fonctions les unes des
autres. Comme le démontre la figure 10, par exemple, la
production, les ventes et le marketing sont distincts les uns des
autres. Le paradoxe dont nous parlons ici suggère une autre
forme de clivage plus problématique : les dalles. Comme on le
voit également à la figure 10, les dalles traversent les silos en
couches horizontales qui isolent les gestionnaires les uns des
autres aux différents échelons de la hiérarchie. Lorsque les
dalles sont particulièrement épaisses, le dilemme de la
connexion peut entraîner l’organisation dans un
engorgement stratégique : les cadres supérieurs ne
possèdent pas le savoir spécialisé qui leur permettrait
d’élaborer des stratégies solides, ou même de reconnaître
les initiatives stratégiques créées par des gens d’autres
échelons. On peut dire alors qu’il se crée un écart administratif
entre les actions concrètes sur le terrain, où les produits et
services rejoignent le client, et les discussions qui se déroulent
dans les bureaux administratifs.
Figure 10 Les silos et les dalles dans les
organisations

L’entrée en relation
Comment combler cet écart ? En principe, c’est très simple :
on peut (1) faire monter les gens des opérations pour rejoindre
la gestion ; (2) faire descendre les gestionnaires pour rejoindre
les opérations ; (3) diminuer l’écart (en éliminant certains
échelons intermédiaires) ; ou (4) mieux utiliser les
gestionnaires intermédiaires de manière à ce qu’ils établissent
des liens entre le haut et le bas.
Nous avons traité le premier point au dernier chapitre en
décrivant comment les non-gestionnaires peuvent partager
l’exercice de la gestion. L’expérience de Steve Omollo illustre
bien le deuxième point. Il ne suffit pas que le gestionnaire
sorte de son bureau et « visite » le terrain ; il doit être présent
de corps et d’esprit. Il doit mettre la main à la pâte.
Un jour, je suis allé faire faire une mise au point de ma voiture
chez le concessionnaire. Je discutais avec le propriétaire
lorsqu’il m’a dit quelque chose qui m’a surpris : « Je n’ai pas
de bureau ici. » On comprend donc pourquoi il est toujours sur
le plancher – à l’instar de Fabienne Lavoie, à l’hôpital.
La puissance de la « gestion ambulante » – autrement dit, la
présence du gestionnaire, à portée de voix – ne doit pas être
sous-estimée. Évidemment, tous les gestionnaires n’ont pas la
chance d’avoir la majorité de leurs collaborateurs et clients à
portée de la main. Cependant, pourquoi une si grande part de
la gestion devrait-elle s’exercer dans des bureaux isolés et
dans des salles de réunion fermées ? Une société japonaise,
Kao, est même devenue célèbre pour ses réunions tenues dans
des espaces ouverts ; tout employé qui le désire peut y
participer. De telles organisations, à l’instar du
concessionnaire automobile, n’ont pas besoin d’adopter des
politiques dites « portes ouvertes » !
Dans le cadre de notre maîtrise internationale pour
gestionnaires en exercice, un gestionnaire de Fujitsu a amené
ses camarades de promotion voir ses bureaux. Il n’y avait
aucune cloison, seulement des tables de travail. « Qui est-ce ?
» a demandé la directrice d’une banque canadienne à propos
de deux personnes qui discutaient debout. « C’est notre
supérieur et un de mes collègues », a répondu notre hôte, en
désignant l’espace de travail du cadre supérieur à côté de tous
les autres. « Comment pouvez-vous travailler quand votre
patron regarde par-dessus votre épaule ? » a-t-elle rétorqué,
horrifiée. « Où est le problème ? » a répondu son interlocuteur.
Pour lui, ce qu’elle considérait comme du contrôle était plutôt
de la facilitation. Il ne s’agissait pas de microgestion, mais de
contact.
À l’instar de la saignée pour la médecine il y a quelques
siècles, la diminution de l’écart administratif par la réduction
du nombre de dalles est devenue trop populaire et trop facile,
comme nous l’avons déjà mentionné. Cela peut sûrement
soulager les organisations gonflées par la gestion
intermédiaire. Mais combien de fois avons-nous vu des
gestionnaires intermédiaires utiles être liquidés au même titre
que ceux qui occupaient des postes superflus ?
Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, on peut
combler l’écart administratif en utilisant les gestionnaires
intermédiaires qui, naturellement, peuvent établir des liens
avec les échelons supérieurs (dont les tâches sont plus
abstraites) et les échelons inférieurs (dont les tâches sont plus
concrètes). Ils constituent ni plus ni moins une strate
unificatrice, comme le montre la figure 10.
Plusieurs considèrent que la « haute direction » a le pouvoir de
tout superviser. Pourtant, nous avons tous été témoins de cas
de myopie, où, pour le haut dirigeant, rien n’est très clair d’un
point de vue si éloigné. Souvent, la strate unificatrice des
gestionnaires intermédiaires est mieux à même de relier les
réalités opérationnelles à la stratégie d’ensemble (voir la
figure 11).

Figure 11 La gestion tous azimuts

Le dilemme de la délégation
Alors que selon le paradoxe précédent, le gestionnaire est
déconnecté des réalités opérationnelles, ici, il a du mal à
confier des tâches à autrui, car il est mieux informé que les
gens à qui il devrait déléguer le travail.
Est-ce là une contradiction ? Pas lorsqu’on comprend la nature
de l’information dont il s’agit. En tant que centre nerveux de
l’unité, le gestionnaire en est le membre le mieux informé,
même si sa connaissance n’est pas détaillée. Le gestionnaire,
qui est un généraliste, doit donc déléguer à quelqu’un qui est
spécialiste.
Il n’y aurait aucun problème si le gestionnaire pouvait
aisément transmettre l’information pertinente reliée à la tâche
en question. Souvent, toutefois, comme nous l’avons
mentionné au chapitre 2, une bonne partie de cette information
est de nature verbale, donc enregistrée uniquement dans la
mémoire du gestionnaire. Et même s’il est en mesure de la
transmettre, c’est un processus qui prendra du temps. Par
conséquent, comment le gestionnaire peut-il déléguer
quand une grande partie de l’information est de nature
personnelle, verbale ou privilégiée ?
En fait, le gestionnaire semble condamné, par la nature de
son système d’information, au surmenage ou à la
frustration. Dans le premier cas, il se charge lui-même d’un
trop grand nombre de tâches ou il passe trop de temps à
transmettre de l’information verbalement. Dans le second cas,
il doit veiller à ce que les tâches déléguées soient accomplies
convenablement par une personne qui en sait moins que lui. Il
arrive trop fréquemment que des gens soient accusés d’avoir
mal accompli la tâche en question alors qu’ils n’avaient pas
accès à l’information nécessaire pour ce faire. Bref, la
délégation par déchargement ne relève pas d’une gestion
responsable.
Le gestionnaire peut résoudre ce paradoxe en livrant
l’information le plus souvent et le plus clairement possible à
des membres de l’unité, surtout à un bras droit. Ainsi, quand
vient le temps de déléguer, le problème est déjà à moitié
résolu.
Ce partage risque-t-il de laisser filtrer de l’information
confidentielle ? C’est possible, encore que le refus de
transmettre certains renseignements cache parfois des
politicailleries. Il reste qu’il est nettement préférable de
s’entourer de gens bien informés.

Les mystères de la mesure


De nos jours, on dit souvent que « ce qui ne peut être mesuré
ne peut être géré ». Cet adage est étrange ; en effet, qui a déjà
mesuré de manière fiable le rendement de la gestion elle-
même ? J’imagine que cela signifie que la gestion ne peut être
gérée. Et qui a déjà tenté de mesurer le rendement de la
mesure ? Il vaut donc mieux se défaire également de la
mesure. En fait, la seule conclusion fiable qu’on peut tirer de
tout cela, c’est que la mesure comprend elle aussi des
paradoxes, dont le suivant : comment gérer lorsqu’on ne
peut se fier à la mesure de la gestion ?
Évidemment, si l’on pouvait mesurer la gestion de façon
complète et fiable, les deux derniers paradoxes n’en seraient
pas. Le gestionnaire pourrait rester dans son bureau tout en
étant bien informé. Il n’aurait pas besoin de passer du temps
sur le terrain à communiquer avec ses employés. De plus, il
pourrait déléguer autant qu’il le voudrait : en appuyant sur le
bouton « envoyer », il transmettrait l’information nécessaire
pour exécuter les tâches en question. Vraisemblablement, voilà
ce qui rend la mesure si intéressante, particulièrement pour le
gestionnaire éloigné de la réalité tangible de son organisation.
Après tout, les chiffres ne mentent pas, n’est-ce pas ? Ils sont
fiables, objectifs et solides.

La subjectivité des données objectives


Qu’est-ce, au juste, qu’une donnée objective, une donnée dite
« solide » ? Les roches sont solides, mais l’encre sur le papier
ou les électrons dans l’ordinateur ne le sont pas.
Pour rester dans le domaine de la métaphore, on peut
facilement voir les nuages à distance, mais de près, ils
semblent flous. On peut les traverser sans rien sentir. Bref, la
solidité des données, c’est une illusion qui laisse croire que
l’on a transformé des événements et des résultats en
statistiques. Cela paraît clair, sans ambiguïté et tout à fait
objectif. Plutôt que de dire d’un employé qu’il est
égocentrique, on dira qu’il a obtenu un score de 4,7 sur une
quelconque échelle psychologique. Plutôt que d’affirmer
qu’une société a bien réussi, on déclarera qu’elle a obtenu un
rendement du capital investi de 16,7 %. C’est d’une grande
clarté, non ?
Les données subjectives, dites « molles », sont pour leur part
nébuleuses et ambiguës. Elles requièrent généralement une
part d’interprétation et ne peuvent pas être transmises de façon
électronique. En fait, il peut simplement s’agir de potins ou
d’impressions. Où est l’objectivité là-dedans ?
Par conséquent, les dés sont pipés. Les données objectives
l’emportent à tout coup, du moins jusqu’à ce qu’elles
atteignent la subjectivité du cerveau humain. Analysons donc
les points faibles des données objectives.
Les données objectives ont une portée restreinte. Elles
offrent une base descriptive, mais elles n’expliquent rien.
Les profits de votre entreprise sont en hausse. Pourquoi ?
Est-ce parce que le marché est en expansion ? Il y a
probablement des chiffres qui appuient cette hypothèse.
Est-ce parce qu’un concurrent important fait des bêtises ?
Ici, il n’y a probablement aucun chiffre à l’appui. Est-ce
parce que votre gestion est exceptionnelle ? Ce n’est pas
quantifiable non plus (on supposera donc que c’est le cas).
En fait, nous avons habituellement besoin de données
subjectives pour expliquer ce que cachent les chiffres : la
politique du concurrent, l’expression faciale d’un client,
etc. À elles seules, les données objectives peuvent être
stériles, voire impuissantes. « Peu importe ce que je lui
disais, s’est plaint un des sujets de la célèbre enquête de
Kinsey sur le comportement sexuel de l’homme, il me
regardait droit dans les yeux et me demandait : “Combien
de fois ?” » (dans Kaplan, 1964)
Les données objectives sont souvent regroupées à l’excès.
Ces données font habituellement référence à de nombreux
faits qui sont ensuite réduits à un quelconque nombre,
comme par exemple, le fameux bénéfice net. Songez à
tout ce qu’on a perdu en cours de route. Il est bien de voir
la forêt plutôt que les arbres, à moins d’être dans le
domaine du bois d’œuvre. Il faut alors se préoccuper
également des arbres. L’excès de gestion se compare ici à
la vue qu’on a depuis un hélicoptère : les arbres
ressemblent à un tapis de verdure.
Les données objectives sont souvent lentes à éclore.
L’information met du temps à se consolider. Ne vous
laissez pas berner par la rapidité des électrons sur
Internet : les événements doivent d’abord être
documentés, puis amalgamés en résultats, et faire ensuite
l’objet de rapport dont la diffusion doit respecter certaines
échéances (la fin d’un trimestre, par exemple). La
concurrence peut avoir fait main basse sur la clientèle
avant que les données soient parvenues au bout du
processus.
Enfin, une grande partie des données objectives sont tout
simplement peu fiables. Les chiffres précis semblent
intéressants. Cependant, d’où viennent-ils ? Tournez la
pierre des données objectives et observez ce qui rampe
dessous :
Les organismes publics sont friands de
statistiques : ils les récoltent, les additionnent,
les élèvent à la puissance X, en extraient la
racine cubique et préparent des diagrammes
superbes. Il ne faut cependant pas oublier que
ces chiffres viennent du guetteur du village, qui
inscrit à peu près ce qu’il veut. (Attribué à Sir
Josiah Stamp, 1928, cité par Maltz, 1997)
Et ce n’est pas seulement le lot des organismes publics. Les
entreprises, aujourd’hui, sont obsédées par les chiffres.
Pourtant, qui vérifie ce que les guetteurs inscrivent ? De
plus, même si les faits notés sont fiables, on perd toujours
quelque chose pendant le processus de quantification et
d’agrégation : on arrondit des chiffres, des erreurs se
glissent, des nuances se perdent. Quiconque a produit une
mesure quantitative (la quantité de rejets d’une usine ou le
nombre de publications d’une université, par exemple) sait
combien les données peuvent être déformées, que cela soit
intentionnel ou non.
Loin de moi l’idée de bâtir un argumentaire contre les données
objectives. Ce ne serait pas plus logique que de faire fi de
l’information subjective. Je cherche plutôt à montrer que nous
devons cesser d’être fascinés par les chiffres et de laisser
les données objectives supplanter les subjectives.
Nous savons tous qu’il est important d’avoir recours aux
données objectives pour vérifier les intuitions. Et si nous
utilisions notre intuition pour vérifier les données objectives
(par exemple, par l’examen empirique des statistiques) ?
Qu’en est-il de ce qu’on voit avec ses yeux et de ce qu’on
entend avec ses oreilles ? Une telle information risque d’être
ponctuelle, mais elle peut aussi être directe et riche, et ancrer
le cadre déconnecté dans le réel.

L’énigme de l’ordre
Les trois paradoxes suivants se rapportent au plan des gens.
Les organisations ont besoin d’ordre. Parfois, elles ont
également besoin de désordre (c’est-à-dire de réorganisation),
mais la plupart du temps, elles doivent se concentrer sur la
prestation stable de leurs biens et de leurs services. C’est au
gestionnaire qu’il incombe de s’assurer que tout est ordonné.
Les membres de l’unité se tournent généralement vers lui pour
savoir ce qui peut ou doit être accompli, afin d’être en mesure
d’effectuer leurs tâches, d’engager des gens, de planifier des
opérations, de produire des résultats, etc.
C’est sur ce plan que la gestion s’assimile au contrôle. L’ordre
découle ici en grande partie des stratégies et des structures
traditionnelles : les premières donnent une orientation, les
secondes définissent les responsabilités.
Pourtant, même en tentant d’imposer un tel ordre, le
gestionnaire se trouve souvent dans des situations où il doit
travailler de façon désordonnée. C’est le message du chapitre
2. Comme l’a dit Tom Peters, dans le travail de gestion, « le
laisser-aller est normal, probablement inévitable et
généralement sensé » (1979, p. 171).
En effet, bien que toute organisation souhaite poursuivre
sur sa lancée, certaines forces de l’extérieur continuent de
changer. Dans l’organisation, les gens ont peut-être besoin de
prévisibilité, mais l’univers a la mauvaise habitude d’être
imprévisible. Les clients changent d’idée, de nouvelles
technologies voient le jour, les syndicats déclenchent des
grèves. Même la structure organisationnelle change. « Les
subordonnés doivent comprendre clairement leurs tâches et
leurs limites, même si leurs tâches empiètent les unes sur les
autres et rendent les limites floues. » (Sayles, 1979, p. 4)
Quelqu’un doit s’occuper de l’imprévisible. C’est souvent le
lot du gestionnaire, dont les responsabilités sont vastes et dont
le travail est suffisamment flexible pour traiter les incertitudes
et les ambiguïtés.
L’énigme de l’ordre peut donc se résumer en ces termes :
comment mettre de l’ordre dans les tâches d’autrui alors
que le travail de gestion est intrinsèquement désordonné ?
Comme Andy Grove, d’Intel, l’a dit : « Il faut laisser régner le
chaos afin de régner dans le chaos. » (1995, p. 141) Voilà le
paradoxe ultime !
Les activités désordonnées peuvent-elles produire des résultats
ordonnés ? Bien sûr. Songez aux artistes, aux inventeurs et aux
architectes. Certains d’entre eux sont désordonnés au plus haut
point ; pourtant, ils obtiennent souvent des résultats ordonnés.
Il en va de même des gestionnaires.

La contamination de l’ordre
D’aucuns croient qu’il n’y a rien de paradoxal dans la nature
désordonnée de l’ordre organisationnel jusqu’à ce qu’ils voient
à quel point un processus désordonné peut contaminer un
résultat ordonné, et vice-versa.
Revenons aux peintres. Peu d’entre eux étalent sur la toile leur
désordre personnel – leur trouble intérieur – autant que Van
Gogh, ou Munch dans Le cri. Cependant, même les tableaux
de ces artistes sont étonnamment ordonnés. Évidemment, l’art
désordonné ne manque pas, mais ces œuvres sont rapidement
oubliées. Dans le domaine de l’art, tout cela n’est peut-être pas
très important, mais, dans celui de la gestion, ça l’est. En effet,
une gestion désordonnée peut aisément semer le désordre dans
une organisation, car le gestionnaire, dans son rôle de tamis, y
transfère ses conflits et ses ambiguïtés. L’inverse est aussi vrai.
Les membres d’une unité peuvent imposer leur désordre à leur
gestionnaire.
Comment le gestionnaire peut-il traiter ce paradoxe ? Comme
tous les autres : en introduisant des nuances de chaque côté. Il
doit pencher d’un bord comme de l’autre et laisser régner le
chaos afin de régner dans le chaos.
En imposant trop d’ordre, il rendra le travail rigide et détaché ;
s’il en impose trop peu, les gens seront incapables de
fonctionner. Nous connaissons tous des gestionnaires qui
permettent au chaos (le leur comme celui de l’extérieur) de
s’infiltrer au sein de l’unité, sans offrir la protection
nécessaire. Nous connaissons tous également des gestionnaires
qui font l’inverse : ils surprotègent tant leur unité que tout
devient détaché du réel. L’organisation semble ordonnée,
jusqu’à ce que la réalité explose.

Le paradoxe du contrôle
L’énigme de l’ordre est déjà complexe. Ajoutez à cela les
pressions venant du sommet et vous obtenez le paradoxe du
contrôle. Le gestionnaire intermédiaire est soumis aux ordres
du cadre supérieur (« Augmentez la production de 30 % »,
etc.), en même temps qu’aux pressions venant des clients, des
communautés, de l’économie, le tout au sein de son propre
désordre. En conséquence, l’énigme de l’ordre se transforme
en paradoxe du contrôle : comment maintenir l’état
nécessaire de désordre contrôlé lorsque le gestionnaire
supérieur impose l’ordre ?

Le ravage de la prescription
Dans le cas qui nous occupe, la gestion par la prescription peut
devenir particulièrement dévastatrice. Il est certainement
commode pour le cadre supérieur d’avoir recours à cette
méthode et de balayer les ambiguïtés sous le tapis en imposant
des normes de rendement particulières : « Vous avez besoin
d’orientation de ma part ? Pas de problème. Les objectifs sont
clairs. Vous n’avez qu’à les atteindre ! »
Mais voilà : que représentent ces objectifs ? D’où viennent les
chiffres ? Comme nous le savons, ils sont parfois arbitraires,
voire contradictoires, choisis au hasard, sans égard à ceux qui
doivent les atteindre, notamment les cadres de niveaux
hiérarchiques inférieurs. Ainsi, la prescription, qui est de
plus en plus fréquente dans les grandes organisations,
constitue une solution de facilité pour le cadre supérieur.

La fusion des paradoxes


Par comparaison avec d’autres gestionnaires, le cadre
supérieur a les coudées franches. Les conseils d’administration
sont exigeants, mais généralement pas autant que le PDG lui-
même. S’il est vrai que le haut dirigeant doit vivre avec
l’énigme de l’ordre, il impose le paradoxe du contrôle aux
gestionnaires de niveaux hiérarchiques inférieurs.
Les pressions descendent le long de la hiérarchie, car les
gestionnaires « témoignent de leur loyauté et de leur sens des
responsabilités en transmettant une bonne partie des exigences
de la haute direction à leurs subordonnés » (Sayles, 1979, p.
115). Le poids de ces pressions augmente, jusqu’à ce que toute
la cascade s’abatte sur les épaules du gestionnaire de premier
niveau, qui n’a pas la possibilité de se cacher : il doit
directement faire face aux clients insatisfaits, aux employés en
colère et aux militants bruyants.
Le cadre supérieur, lui, peut se cacher derrière les systèmes,
c’est-à-dire les abstractions. Il peut prétendre que la
planification et le contrôle se chargeront des ambiguïtés. À son
échelon, c’est effectivement le cas – pendant un certain temps,
du moins. Sur le bureau du président Truman, il y avait une
plaque où on pouvait lire : « Le responsable, c’est moi ». Une
telle attitude est trop rare de nos jours : le gestionnaire qui
utilise la prescription se décharge de ses responsabilités en les
faisant descendre d’échelon en échelon, jusqu’à ceux qui
travaillent sur le terrain.
Que peut faire le gestionnaire de premier niveau quand il est
soumis à de telles pressions ? Selon Morris et coll., il peut
parfois ignorer la chaîne de commandement, du moins
lorsqu’il a « la sagesse de savoir quand et comment désobéir »
aux ordres. Le gestionnaire « sophistiqué », disent-ils, apprend
à maîtriser cette « façon de faire » (1981, p. 143). Du reste
(comme cela a été mentionné dans la section consacrée à la
gestion hors cadre au dernier chapitre), il peut renverser la
vapeur et promouvoir le changement en remontant la
hiérarchie. Quant au gestionnaire intermédiaire, il l’aidera s’il
comprend que c’est sur lui, son subordonné, que retombent les
problèmes qu’il devrait lui-même résoudre.

Le conflit de la confiance en soi


Ce paradoxe est plus facile à expliquer, même s’il est aussi
difficile à gérer.
Il faut une bonne dose de confiance en soi pour exercer la
gestion avec efficacité. Imaginez : le gestionnaire doit
composer avec toutes les pressions et avec tous les paradoxes.
Dans le contexte de mon étude, j’ai constaté que, ce travail
n’est pas fait pour les âmes sensibles ou pour les gens
souffrant d’insécurité. Tout gestionnaire qui a tendance à
éviter les problèmes, à s’en décharger ou à protéger ses
arrières rendra la vie impossible à tous ceux qui l’entourent.
À l’inverse, qu’en est-il du gestionnaire qui a trop confiance
en lui ? Il peut aggraver la situation. En effet, cette confiance
peut reposer sur des fondations instables : une information pas
toujours fiable, des enjeux parfois chargés d’ambiguïtés, des
paradoxes non résolus. Le gestionnaire est souvent obligé
d’improviser.
Fondamentalement seul, le gestionnaire doit donner
l’impression de savoir ce qu’il fait même s’il ne sait pas
trop où il s’en va, afin que les autres aient confiance en lui.
En d’autres mots, il doit parfois feindre l’assurance. Pour
le gestionnaire modeste, c’est difficile ; pour celui qui a une
confiance excessive en lui, ça peut être catastrophique.
Le problème concernant la confiance, même raisonnable, c’est
qu’elle peut faire basculer le gestionnaire et l’entraîner sur la
pente de l’arrogance. Il n’en faut pas beaucoup pour que le
cadre devienne imbu de lui-même, cesse d’écouter les autres,
s’isole et se considère comme un héros.
Une fois sur cette pente, il pourra difficilement s’arrêter. Le
conflit de la confiance s’énonce donc comme suit : comment
conserver un certain degré de confiance en soi sans tomber
dans l’arrogance ?
Ce paradoxe est tout aussi dévastateur que les autres. Cela est
particulièrement vrai en cette époque de leadership héroïque,
où même le gestionnaire modeste, lorsqu’il fait bien son
travail, peut être mis sur un piédestal.

L’éloge du gestionnaire modeste


Comment un gestionnaire peut-il éviter le conflit de la
confiance ? En s’appuyant sur ses amis et sur des conseillers
honnêtes. En effet, ils pourront au moins tenter de le retenir
s’il s’approche trop près du gouffre de l’arrogance (comme
toute personne qui réussit le fait de temps à autre). Cependant,
pour avoir de tels amis et de tels conseillers – et pour savoir
les écouter –, il faut une bonne dose de confiance en soi et de
modestie. Donc, la clé pour traiter ce paradoxe est peut-être
de s’assurer que les postes de gestion sont occupés par des
gens à la fois modestes et confiants. Cependant, de nos jours,
on a trop souvent tendance à écarter le gestionnaire modeste et
à choisir le gestionnaire arrogant.

L’ambiguïté de l’action
Passons maintenant aux deux paradoxes liés à l’action.
Si la gestion consiste à s’assurer que les choses sont
accomplies, alors le gestionnaire doit être résolu. Il ne peut pas
trop se défiler et peut réfléchir jusqu’à un certain point
seulement : il doit prendre position, trancher et provoquer
l’action pour mener son unité.
Le problème, c’est qu’il doit le faire dans des circonstances
difficiles, caractérisées par l’ambiguïté. Cela soulève un autre
paradoxe : comment agir avec fermeté dans un univers
complexe et tout en nuances ?

L’incertitude de la décision
Considérons la décision en elle-même. Le terme en soi
connote la résolution, la fermeté. Il désigne un engagement
envers l’action. Cependant, est-il toujours nécessaire de
s’engager – c’est-à-dire de décider – pour passer à l’action ? Si
vous croyez que c’est le cas, alors demandez à quelqu’un de
vous frapper le genou avec un marteau à réflexes ou assistez à
une audience pour une affaire de meurtre au deuxième degré –
l’action sans décision. Les organisations reçoivent aussi
parfois des coups de marteau sur le genou : il y a quelques
années, un cadre supérieur d’un grand fabricant automobile
européen a embauché des experts-conseils pour l’aider à
comprendre comment au sein même de son entreprise on en
était venu à créer un modèle de voiture en particulier.
Lorsqu’on s’engage – lorsqu’on décide de passer à l’action –,
est-ce vraiment si clair ? Par ailleurs, le fait de s’engager
entraîne-t-il nécessairement l’action ? Beaucoup de choses
peuvent se passer entre la décision et l’action. « Bon nombre
de décisions doivent être reconsidérées, puis reprises. »
(Sayles, 1979, p. 11)
La confiance permet au gestionnaire d’agir de façon résolue,
mais cette fermeté peut, en présence d’ambiguïté, paver la voie
à l’arrogance. C’est particulièrement le cas lorsqu’un
gestionnaire est éloigné des enjeux concrets. Songez aux
mauvaises acquisitions des grandes sociétés. Dans ces cas-là,
on a pris des décisions audacieuses sans tenir compte de leurs
conséquences. Et qu’en est-il du choix de George W. Bush de
déclarer la guerre à l’Irak en 2003 ?
D’un autre côté, le gestionnaire qui hésite à agir peut ralentir
la progression de l’organisation. Il est toujours préférable de
prendre des décisions que de se morfondre dans l’indécision ;
au moins, cela fait avancer les choses. Cela dit, le gestionnaire
trop prompt, même s’il est bien informé, peut entraîner
l’organisation dans une action prématurée sans tenir compte
des événements qui peuvent encore survenir.
Évidemment, il y a toujours des événements qui peuvent
survenir, et les plus importants tendent à le faire de façon
imprévue. Il faut donc savoir quand attendre (en dépit des
coûts liés aux délais) et quand agir (en dépit des
conséquences imprévisibles). Aucun manuel ne traite de ces
points, il n’existe aucune recette. Il faut simplement être bien
informé et faire preuve d’esprit critique.

De retour à la fragmentation
Si bon nombre de décisions doivent être prises de nouveau,
pourquoi ne pas les aborder par étapes, en laissant le temps à
la rétroaction de faire son œuvre ?
Au chapitre 2, j’ai traité de l’importance pour le gestionnaire
de savoir jongler avec de nombreux projets et enjeux. Il doit
tout intégrer rapidement : attraper chaque nouveau problème
au vol tout en ayant un œil sur les autres.
Charles Lindblom a donné à ce comportement le nom de «
gradualisme disjoint », qu’il décrit comme « un processus sans
fin d’étapes successives où le grignotage continuel remplace le
véritable repas » (1968, p. 25-26). Lindblom ne voit pas le
gestionnaire, ce « gradualiste réparateur », comme une « figure
héroïque », mais comme un « résolveur de problèmes
perspicace et ingénieux qui se débat dans un univers qu’il sait
pertinemment trop vaste pour lui » (p. 27).

L’énigme du changement
Comme nous l’avons mentionné au chapitre 1, le changement
est en vogue. Pourtant, ma voiture fonctionne toujours selon la
technologie de combustion interne du modèle T de Ford.
Même les déclarations sur le changement n’ont pas changé :
Peu de phénomènes sont aussi remarquables que
le développement accéléré de la civilisation
matérielle, à savoir le progrès de l’humanité
dans toutes les inventions qui, au cours des
cinquante dernières années, ont facilité les
choses et la promotion du confort de la vie
quotidienne. On a fait plus de grandes
découvertes et réalisations durant cette période
qu’au cours de toute l’histoire de l’humanité.
Cette citation est tirée de la revue Scientific American… de
1868 !
Comme je l’ai déjà souligné, même si presque tout ce qui nous
entoure ne change guère, nous ne remarquons que ce qui
change. De plus, on parle souvent de la résistance au
changement dans les organisations comme d’un problème. Or,
le véritable problème, c’est le changement dysfonctionnel.
Aucun gestionnaire ne peut gérer que le changement ; cela
mènerait à l’anarchie. Il doit aussi gérer la continuité, d’où
l’énigme du changement : comment gérer le changement
tout en préservant la continuité ? Ici encore, tout est une
question d’équilibre.
Comme nous l’avons vu dans un chapitre précédent, Chester
Barnard a dit que « lorsqu’on gère, on ne gère pas
l’organisation, mais on effectue un travail spécialisé qui
maintient l’organisation en activité » (1938, p. 215). Cela
signifie qu’il faut garder l’organisation sur ses rails et l’y
remettre lorsqu’elle en sort, consolider les rails au besoin et
parfois en bâtir de nouveaux pour mener l’organisation
ailleurs.
Mon collègue Jonathan Gosling a interviewé un certain
nombre de gestionnaires sur leur façon de gérer le
changement. À son grand étonnement, la majorité d’entre eux
ont parlé de gestion de la continuité. De même, au cours de
mes 29 journées d’observation, j’ai constaté que beaucoup de
changements étaient imbriqués dans la continuité. Abbas
Gullet et Stephen Omollo, des camps de réfugiés de la Croix-
Rouge, préconisaient le changement pour assurer la stabilité,
tandis que John Cleghorn, de la Banque Royale du Canada,
soutenait les changements, qu’ils soient grands (faire
l’acquisition d’une compagnie d’assurance) ou petits (ajuster
une enseigne), pour garder la banque sur le droit chemin.

La double quête de la certitude et de la flexibilité


Dans un brillant ouvrage intitulé Organizations in Action,
James D. Thompson a défini ce paradoxe comme étant celui
de l’administration, et plus précisément comme la « double
quête de la certitude et de la flexibilité ». Essentiellement, il
décrit comment les organisations fonctionnent pour « réduire
l’incertitude et la convertir en certitude relative », afin de
protéger leurs activités de base. Pourtant, ajoute-t-il, « la
caractéristique centrale du processus administratif [est une]
quête de la flexibilité » (1967, p. 148).
Thompson croyait qu’on pouvait résoudre ce paradoxe en
encourageant la certitude à court terme (pour obtenir une plus
grande efficacité opérationnelle) et la flexibilité à long terme
(pour « se libérer des engagements ») (p. 150). Le problème,
évidemment, est que le long terme n’arrive jamais (ou, du
moins, comme l’a dit John Maynard Keynes, nous serons tous
morts quand il arrivera). Par conséquent, le gestionnaire doit
composer avec ce paradoxe, comme avec les autres, à court
terme, c’est-à-dire dans l’immédiat.
Comme il a été suggéré précédemment, il y a toujours du
changement dans la continuité, même si ce n’est pas évident,
et il y a toujours quelques élans de stabilité dans le
changement. Dans les organisations, le changement, parfois
envahissant, alterne avec des moments de relative stabilité.
Dans la gestion comme dans la Bible, il y a un temps pour
semer et un temps pour récolter.

Le paradoxe ultime
Terminons par deux paradoxes généraux. Premièrement,
comment le gestionnaire peut-il gérer en même temps tous
ces paradoxes ?
Ceux-ci ne se manifestent pas dans un ordre donné et
indépendamment les uns des autres. Ils sont inextricablement
enchevêtrés dans la gestion. Par conséquent, la gestion n’est
pas une traversée sur une corde raide, mais plutôt une
excursion dans un labyrinthe multidimensionnel tissé de
cordes raides.
J’ai souvent dit que le gestionnaire devait trouver le juste
équilibre. Toutefois, il s’agit, non pas d’un équilibre statique,
mais d’un équilibre dynamique. En effet, le gestionnaire doit
aller dans différentes directions selon les circonstances. Par
exemple, il fera preuve d’une plus grande fermeté devant les
difficultés et d’une plus grande souplesse devant les occasions.
J’ai également fait remarquer à maintes reprises que ces
paradoxes ne peuvent être résolus. Comme l’a dit Charles
Handy, « un paradoxe est comme la température : il faut s’en
accommoder […] atténuer ses pires aspects, apprécier ses bons
côtés et s’en servir comme indicateur pour aller de l’avant »
(1994, p. 12-13).
Il n’y a pas de solution, car chaque paradoxe doit être traité
dans son contexte. Ces paradoxes, ces difficultés, ces
labyrinthes et ces énigmes font partie intégrante du travail
de gestion – ils sont la gestion – et ils sont là pour rester. Ils
peuvent être allégés, mais jamais éliminés ; compris, mais
jamais résolus. Le gestionnaire doit composer avec eux,
jongler avec eux, les saisir et y réfléchir. F. Scott Fitzgerald a
écrit que « le signe d’une intelligence supérieure est la
capacité de soutenir deux idées opposées en même temps, tout
en étant apte à fonctionner ». Dans l’univers de la gestion,
pouvons-nous nous permettre une autre forme d’intelligence ?
Évidemment, cela signifie que le paradoxe ultime du
gestionnaire (comment traiter tous les paradoxes en même
temps ?) demeure irrésolu. Peut-être alors l’espoir réside-t-il
dans mon paradoxe final.

Mon propre paradoxe


Comment concilier le fait que tous ces paradoxes puissent
être décrits individuellement et le fait qu’ils semblent
n’être que différentes expressions du même paradoxe ? J’ai
beaucoup parlé du chevauchement des paradoxes, de leurs
similitudes et même de leur redondance. Peut-être s’agit-il
d’un seul et même paradoxe, infiniment complexe. Si c’est le
cas, en tant que gestionnaire, vous n’avez pas besoin de vous
préoccuper du paradoxe ultime. Ne vous en tenez qu’à ceux
qui précèdent.
_____________
* Tout cela a été abordé dans mon ouvrage The Rise and Fall of Strategic Planning
(Grandeur et décadence de la planification stratégique) 1994c ; voir également
1994a.
** Ce qui suit est tiré de Mintzberg (1987, 2007, chapitre 12) et Mintzberg,
Ahlstrand, et Lampel (2009).
Chapitre 6

La gestion efficace
L’essence de la gestion
Il est difficile de savoir ce qui fait en sorte qu’un gestionnaire
est efficace, même s’il l’est effectivement. Et on ne fait que
compliquer les choses en s’imaginant que les réponses sont
simples. Les gestionnaires et les personnes qui travaillent avec
eux vivent dans un univers complexe. L’objectif de ce chapitre
est de leur venir en aide.
Nous commencerons par examiner les caractéristiques du
gestionnaire efficace (mais qui inévitablement est imparfait).
Cela nous entraînera dans une brève discussion sur les familles
organisationnelles gérées de façon malheureuse, que nous
comparerons aux familles organisationnelles dont la gestion
est saine. Nous traiterons ensuite de la sélection, de
l’évaluation et du développement des gestionnaires, en
insistant sur la nécessité de faire preuve d’esprit critique. Par
le fait même, nous reviendrons sur les différents aspects
abordés dans cet ouvrage que nous conclurons par un
commentaire sur la « gestion naturelle ».

Les qualités du gestionnaire


prétendument efficace
Il existe de nombreuses listes énumérant les qualités du
gestionnaire efficace. Elles sont généralement courtes, sinon
on ne les prendrait pas au sérieux. Par exemple, dans une
brochure promotionnelle (publiée vers 2005) du programme de
EMBA portant sur les qualités d’un bon leader et intitulée «
Qu’est-ce qui fait un leader ? » l’école de gestion de
l’Université de Toronto répond : « Le courage de mettre en
doute le statu quo, de prospérer dans un environnement
exigeant, de collaborer dans l’intérêt général, d’établir des
orientations claires dans un univers en changement constant,
de ne pas avoir peur de prendre des décisions. »
Cette liste est loin d’être exhaustive. Où sont l’intelligence
innée, la capacité d’écoute, l’énergie ? Heureusement, elles
apparaissent sur d’autres listes. Pour pouvoir nous fier aux
listes, il faut donc les combiner.
C’est ce que j’ai tenté de faire à la figure 12, en regroupant les
qualités de diverses listes et en y ajoutant certaines de mes
préférées. Si vous avez toutes les qualités qui y sont
énumérées, vous êtes sans doute un gestionnaire efficace…
mais vous n’êtes pas un être humain.

Le gestionnaire inévitablement imparfait


À cause de notre « histoire d’amour avec le leadership »
(Meindl et coll., 1985), nous installons d’humbles mortels sur
le piédestal de la gestion (« Rudolph est la personne idéale
pour ce poste ; il saura nous sauver ! »), et nous les blâmons
lorsqu’ils s’effondrent (« Comment Rudolph a-t-il pu faillir à
la tâche ? »). Cependant, certains gestionnaires réussissent à
rester au sommet. Comment font-ils ?
La réponse est simple : le gestionnaire qui réussit est
imparfait – nous le sommes tous –, mais ses imperfections
ne sont pas fatales dans les circonstances. (Même Superman
était imparfait, rappelez-vous la kryptonite.) Lors d’une
conférence, Peter Drucker a dit que la tâche du leader était de
« créer un alignement de forces, afin de rendre hors de propos
les faiblesses des gens ». Il aurait pu ajouter : « y compris les
siennes ».
Pour découvrir rapidement les imperfections d’une personne,
on peut l’épouser ou travailler pour elle. Tout être humain
mature capable de faire des choix raisonnables est
habituellement capable de vivre avec ces défauts. À preuve,
les gestionnaires et les mariages réussissent, et l’univers
continue de tourner en révélant ses propres défauts*.

Figure 12 Liste des qualités pour une réussite


assurée en gestion
Source : Cette compilation provient de différentes sources. Mes qualités préférées
sont en italique.
* Cet élément n’apparaissait dans aucune des listes consultées. Cependant, il
pourrait se classer devant bon nombre de qualités parce que des études ont montré
que les gestionnaires sont en moyenne plus grands que les autres. Citant une étude
de 1920, intitulée The Executive and His Control of Men et fondée sur une
recherche effectuée avec beaucoup plus d’attention que ce que nous observons
généralement dans les grandes revues de nos jours, Enoch Burton Gowin a abordé
la question ainsi : « Si on considère l’organisme comme une machine chimique, un
grand corps fournit-il davantage d’énergie qu’un petit ? » Plus précisément, y
aurait-il « un lien quelconque entre la taille et le poids d’un cadre, et l’importance
de son poste ? » (1920, p. 22-31). Selon les nombreuses statistiques compilées par
l’auteur, la réponse est affirmative. Les évêques, par exemple, sont en moyenne
plus grands que les prêtres des petites villes ; les gestionnaires des commissions
scolaires sont plus grands que les directeurs d’école. Des données sur les cadres de
compagnies de chemin de fer et sur les administrateurs appuient ces résultats. Les «
directeurs du nettoyage des rues » arrivent au deuxième rang en ce qui concerne la
taille, après les « réformateurs ». Quant aux « organisateurs sociaux », ils sont juste
derrière les « chefs de police ». Les musiciens sont au bas de l’échelle (p. 25).

Les listes de qualités du supergestionnaire sont utopiques.


Elles comportent aussi des erreurs. Par exemple, on dit du
gestionnaire qu’il doit être ferme, mais quiconque a suivi les
machinations de George W. Bush (qui a appris l’importance de
la fermeté en lisant des études de cas dans une salle de classe
de l’Université Harvard) peut en douter. Pour reprendre les
éléments de la liste de l’Université de Toronto, nous pouvons
admettre qu’en allant envahir l’Irak, M. Bush n’a pas eu peur
de prendre des décisions. Mais son ennemi juré, caché en
Afghanistan, a quant à lui eu le courage de mettre en doute le
statu quo. Et Ingvar Kamprad, qui a fait d’IKEA une des
chaînes de magasins les plus rentables de la planète, aurait mis
environ 15 ans à donner une orientation claire à son entreprise
dans un monde en mutation toujours plus rapide. (En fait, il a
réussi parce que l’industrie du meuble n’évoluait pas
rapidement. Il a lui-même apporté l’élément de rapidité au
développement de ce domaine.) Pour devenir un gestionnaire
efficace, peut-être qu’il faut procéder différemment.

Les familles organisationnelles dirigées


de façon malheureuse
Léon Tolstoï a commencé son célèbre roman Anna Karénine
par la phrase suivante : « Les familles heureuses se
ressemblent toutes ; les familles malheureuses sont
malheureuses chacune à leur façon. » Il en va de même pour le
gestionnaire et sa famille organisationnelle : ils peuvent
trouver mille et une manières de tout bousiller, toutes plus
fascinantes les unes que les autres*, mais seulement quelques-
unes qui sont garantes de succès.

La légende des 2 gestionnaires


Voici l’histoire de deux gestionnaires. Liz et Larry étaient des
gens modernes, intelligents et éduqués. Ils travaillaient tous les
deux dans la même société, chacun à la tête d’un grand
service. Liz avançait rapidement, Larry traînait derrière. La
première prenait des décisions hâtives, qui devaient souvent
être révisées ; le second avait de la difficulté à en prendre ou
les prenait de façon ambiguë. Le résultat était fort semblable :
les gens de leurs unités se sentaient exclus, décontenancés et
découragés.
De façon générale, la tactique de Liz était fondée sur
l’affrontement ; celle de Larry, sur la manigance. La première
se disputait souvent avec ses collègues (elle se sentait
supérieure à eux), sauf avec le PDG, à qui elle témoignait une
grande déférence. Larry, pour sa part, faisait si attention de ne
pas brimer qui que ce soit qu’il hésitait à remettre les choses
en question même lorsque c’était nécessaire.
Chacun reconnaîtrait sans doute l’autre dans cette description.
Par contre, se reconnaîtraient-ils eux-mêmes ? Je dois ajouter
que, bien que leur famille organisationnelle respective ne fût
pas particulièrement heureuse, ces gestionnaires ne
rencontraient pas d’échecs. Leurs imperfections n’étaient
nullement fatales. Les choses avançaient. Elles auraient
simplement pu être accomplies de façon plus efficace et plus
heureuse.
Pour rester fidèle à Tolstoï, j’éviterai de dresser la liste des
causes d’échec dans le monde de la gestion. Mais si vous y
tenez, vous n’avez qu’à revoir la figure 12 et à remplacer les
qualités par leurs antonymes. Par exemple, vous pouvez
remplacer « décidé » par « nonchalant » et « dynamique » par
« apathique ». Ou encore, vous pouvez laisser les qualités
telles quelles, mais y aller à l’excès. À la place de « décidé » et
de « dynamique », écrivez « précipité » et « hyperactif ». Bref,
imaginez que vous employez ces caractéristiques dans le
mauvais contexte : vous êtes ferme sans comprendre la
situation (comme Bush en Irak), vous gérez un salon funéraire
de façon dynamique, etc.
Je vous propose ici quelques catégories d’échecs : les échecs
personnels, les échecs professionnels, les échecs d’adaptation
et les échecs de réussite. J’en discuterai brièvement afin de me
consacrer davantage aux succès.

Les échecs personnels


Certains gestionnaires n’occupent tout simplement pas le bon
emploi. C’est le cas notamment des gestionnaires réticents, qui
n’apprécient pas les pressions et le rythme inhérents à leur
travail. Peut-être préfèrent-ils travailler seuls ou avec un
groupe de collègues, sans être responsables des autres.
D’autres aiment ce travail, mais n’ont pas les compétences
pour le faire. Par exemple, ils sont irréfléchis ou ils n’aiment
pas les gens. Ils sont étonnamment nombreux ; on les retrouve
même parmi les hauts dirigeants. Dans un article du magazine
Fortune au sujet de l’échec des PDG, Charam et Colvin ont
proposé deux pistes de réponse à ce sujet : la mauvaise
exécution et les mauvaises relations interpersonnelles. À
propos de la première, ils ont dit :
Effectuer le suivi de toutes les missions
essentielles, les évaluer, n’est-ce pas ennuyeux ?
Admettons-le : ça l’est. C’est une corvée. Du
moins, bon nombre de gestionnaires fort
intelligents et accomplis qui ont échoué le
croyaient. On ne peut les blâmer. Ils n’auraient
tout simplement pas dû être PDG. (1999, p. 36)
Il semble qu’on ait affaire ici à de la macrodirection, un
concept que nous avons vu précédemment. Le phénomène est
de plus en plus fréquent : certains gestionnaires empruntent la
« voie rapide » et proposent des « solutions faciles ». (Vous les
reconnaîtrez à leur propension à utiliser ces expressions.) En
tant que PDG de grandes entreprises, ils sont particulièrement
enclins aux fusions, aux restructurations et aux
rationalisations, des méthodes très à la mode et souvent
beaucoup plus faciles à appliquer que les techniques de
résolution de problèmes complexes. Ici, le syndrome de la
superficialité est invasif.
Il existe des gestionnaires dont les pratiques sont
déséquilibrées. Comme je l’ai mentionné au chapitre 3, le
cadre qui opte pour un excès de direction privilégie le style au
détriment de la substance, et celui qui opte pour un excès
d’action s’expose à l’implosion de son organisation. Au
chapitre 4, j’ai discuté des problèmes qui surviennent quand
on met trop l’accent sur l’art, l’artisanat ou la science. Les
gestionnaires qui emploient ces styles à outrance sont
considérés respectivement comme narcissiques, fastidieux et
calculateurs.
Beaucoup de déséquilibres en gestion peuvent également être
envisagés sous forme de paradoxes. Comme nous l’avons vu
au chapitre 5, on est à peu près sûr d’échouer si on tente de les
éliminer. Par exemple, on peut tenter de résoudre l’énigme du
changement en mettant trop – ou trop peu – l’accent sur le
changement. De même, comme nous l’avons vu au chapitre 2,
un rythme implacable ou un excès de fragmentation ou de
communication verbale peut faire basculer l’organisation si,
comme on le voit de plus en plus souvent de nos jours, on ne
sait pas s’arrêter.
Je ne cherche pas ici à promouvoir l’équilibre parfait en
matière de gestion. Cela serait en soi une forme de
déséquilibre, car qui voudrait d’un gestionnaire sans caractère
et sans style propre.

Les échecs professionnels


Parfois, une personne est taillée sur mesure pour la gestion et
son approche est bien équilibrée, mais le travail est tout
simplement impossible à accomplir, d’où l’échec. C’est le cas
par exemple du travail de gestion anormal, comme nous
l’avons vu au chapitre précédent.
Un gestionnaire peut également échouer parce que son poste
fait partie d’une organisation ou d’un contexte externe qui
rend les choses impossibles. Songez à l’officier responsable de
replacer les transats sur le pont du Titanic ou au vice-président
de n’importe quelle division d’Enron au moment de sa chute.
Qu’en est-il du directeur commercial d’une société dont les
produits sont de mauvaise qualité, voire invendables ? L’échec
n’est pas imputable au gestionnaire ; sa seule faute est peut-
être d’avoir accepté l’emploi.

Les échecs d’adaptation


Cette catégorie se rapporte au gestionnaire potentiellement
compétent, équilibré et parfaitement apte à exercer un poste de
gestion, mais pas celui qu’il occupe précisément. Il perd alors
son équilibre ; il devient incompétent et littéralement
mésadapté.
Ici encore, les exemples sont légion. Certains sont le fruit du
mythe de la gestion professionnelle (qui fait croire qu’un
gestionnaire bien formé peut gérer n’importe quoi). Un jour,
une école de gestion a nommé un ancien directeur de société
de transport au poste de recteur. L’homme en question
prétendait qu’il pouvait gérer des professeurs comme il avait
géré des conducteurs de camions. Eh bien, la plupart des «
professeurs-camionneurs » compétents ont préféré partir.
Au chapitre des échecs d’adaptation, on peut compter le
principe de Peter, selon lequel les gestionnaires atteignent à un
moment donné leur plafond de compétence (Peter et Hull,
1969). Ils n’auraient pas dû obtenir leur dernière promotion.
L’expérience de gestion acquise à un échelon donné n’est pas
nécessairement suffisante pour gérer à l’échelon supérieur. Et
vice versa : essayez de mettre un PDG dans un poste
opérationnel. Il est peut-être trop habitué à être entouré de
gens qui s’occupent des détails.
Il peut aussi y avoir mésadaptation lorsque les conditions
changent. Dans ce cas, les qualités deviennent d’importantes
imperfections. Par exemple, une organisation en crise peut être
mal gérée par un individu qui, pourtant, est un gestionnaire
hors pair lorsque la situation est stable. À l’inverse, le grand
artiste du redressement sera démuni s’il se retrouve à la barre
d’une organisation qui fonctionne rondement. Et que dire de
l’officier, formé pour la guerre traditionnelle, lorsqu’il se
retrouve dans un contexte de guérilla ?
Il faut toutefois être prudent : certains couplages qui paraissent
harmonieux peuvent s’avérer discordants. Parfois, le mariage
d’opposés fonctionne mieux que celui d’éléments qui semblent
aller de pair. Dans ce cas, on parle de mésadaptations
intentionnelles. Une organisation bureaucratique a-t-elle
nécessairement besoin d’un chef cérébral ? Peut-être requiert-
elle plutôt un gestionnaire dont la vision peut s’élargir. Dans le
même ordre d’idées, une adhocratie désordonnée peut parfois
bénéficier d’un chef organisé, qui saura contenir les élans de
l’organisation.

Les échecs des réussites


Paradoxalement, certains échecs découlent des réussites. Par
exemple, une société peut devenir trop grande pour son
fondateur entrepreneur ou l’arrogance peut s’installer dans un
établissement de recherche qui connaît un grand succès. Dans
un ouvrage intitulé The Icarus Paradox (Le paradoxe
d’Icare)*, qui aurait également pu porter le titre Périls de
l’excellence, Danny Miller (1990) a démontré comment les
forces d’une organisation peuvent se transformer en faiblesses
et faire en sorte que leurs réussites se transforment en échecs.
« Lorsqu’elles sont gérées par des leaders imaginatifs, écrit
Miller, les organisations audacieuses et régies par la croissance
[deviennent] des organisations impérialistes avides et
impulsives qui [se transforment] en sociétés dont les
gestionnaires ignorent tout ». (p. 6) Dans d’autres cas, le
gestionnaire d’action en fait trop, celui qui tisse des liens
devient harcelant ou celui qui réussit bien et se prend au
sérieux devient arrogant. Pourtant, plusieurs de ces dirigeants
survivent malgré leur mauvaise gestion.
En conclusion, on peut dire que de nombreux pièges
accompagnent l’exercice de la gestion. On a décrit le
spécialiste comme un individu qui évite tous les écueils alors
même qu’il est en route vers la grande erreur. Eh bien, ce n’est
pas seulement le lot des spécialistes ; c’est également celui des
gestionnaires.

Les familles organisationnelles bien


dirigées
Bon, assez parlé d’échecs. On pourrait le faire encore
longtemps, mais ce qui importe, c’est la réussite, qui se produit
tout de même assez souvent. Comme le suggère le récit de Liz
et Larry, les gestionnaires imparfaits sont capables de bien se
débrouiller. Ils contournent assez de pièges pour éviter de
tomber dans le panneau. En fait, bon nombre des 29
gestionnaires que j’ai étudiés ont réussi à créer et à soutenir
des familles organisationnelles saines. Comment l’ont-ils fait ?
Ce serait génial si je pouvais vous donner une recette, mais
c’est impossible. En revanche, je peux vous proposer un cadre
de travail.
Dans l’introduction de leur ouvrage No Single Thread :
Psychological Health in Family Systems, Lewis et coll. ont fait
le commentaire suivant : « Les familles pathologiques sont
largement documentées, mais il y a peu de données sur les
familles saines. » (1976, p. xvii). Que savons-nous au juste sur
les organisations saines ?

Un cadre de travail pour l’efficacité


Je ne propose ni formule, ni théorie, ni même un ensemble de
propositions, mais plutôt un cadre qui permet de réfléchir à
l’efficacité de la gestion en contexte. Au centre de la figure 13,
il y a cinq « fils » ou « états d’esprit de gestion » (selon la
terminologie de l’IMPM (Gosling et Mintzberg, 2003), allant
du personnel au social : le fil de la réflexion, celui de
l’analyse, celui de l’expérience, celui de la collaboration et
celui de la proaction. Ce cadre comprend deux fils
supplémentaires : à l’une des extrémités, celui de l’énergie sur
le plan personnel, et à l’autre, celui de l’intégration sur le plan
social.

Figure 13 Cadre de réflexion sur l’efficacité de la


gestion en contexte
Ces fils sont enracinés dans l’exercice de la gestion (telle
qu’elle est décrite au chapitre 3) plutôt que dans la nature de la
personne qui la pratique. Ces fils sont présentés à tour de rôle
dans les pages qui suivent avant d’être traités ensemble dans la
conclusion. On y retrouvera également plusieurs des points
soulevés dans cet ouvrage.
À la lecture de l’ouvrage de Lewis et coll. sur les familles
saines, j’ai été frappé par les parallèles avec le cadre de travail
présenté ici (que j’avais déjà esquissé ; c’est par la suite que
j’ai emprunté le terme fil). En effet, j’ai été en mesure d’en
tirer une citation qui rejoint chacun des fils de la gestion,
même une pour indiquer qu’ils doivent finalement être tissés
tous ensemble. « Nous n’avons trouvé aucune qualité unique
qui ait été adoptée par les familles fonctionnant de façon
optimale et qui ait manqué aux familles moins chanceuses.
[…] Par exemple, la santé de la famille n’était pas un fil
unique ; la compétence jouait le rôle d’une tapisserie (1976, p.
205-206). »

Le fil de l’énergie
« Bien que les familles [efficaces] ne déploient pas le même
degré d’énergie, elles en ont toutes plus que les familles
manifestement dysfonctionnelles. » (Lewis et coll., 1976, p.
208-209) Nous pouvons de même nous attendre à ce que le
cadre efficace présente un degré d’énergie plus élevé que celui
du gestionnaire inefficace, ainsi qu’une plus grande capacité à
entrer en relation. S’il y a une chose qui se démarque en ce
qui concerne le rythme et l’action, c’est l’énorme quantité
d’énergie déployée par les gestionnaires efficaces dans le
contexte de leur travail. Ce n’est pas un emploi pour les
paresseux.
Dans notre tapisserie, l’énergie est un fil essentiellement
personnel qui ancre une des extrémités du cadre du côté
gauche de la figure 13 (ou peut-être est-ce le métier à tisser).
Évidemment, il n’y a rien d’entièrement personnel dans le
domaine de la gestion. Comme Peter Brook, le légendaire
metteur en scène de la Royal Shakespeare Company, l’a écrit
dans son ouvrage The Empty Space (1968), le public stimule
l’acteur au même titre que l’acteur stimule le public.
Ce fil peut nous aider à saisir la façon dont le gestionnaire
traite deux paradoxes. En effet, le dilemme de la connexion
interroge la manière dont le gestionnaire peut rester informé
tout en étant fondamentalement déconnecté, et l’énigme du
changement interroge la manière dont il peut apporter le
changement tout en préservant la stabilité. La connexion, le
changement et le maintien de la stabilité nécessitent une bonne
quantité d’énergie.

Le fil de la réflexion
« Quand elle s’attaque aux problèmes familiaux, [la famille
saine] explore plusieurs options ; si l’une ne fonctionne pas,
elle en essaie une nouvelle. Cela contraste avec l’attitude de
plusieurs familles dysfonctionnelles, qui se cantonnent dans
une seule approche avec une persévérance indue. » (Lewis et
coll., 1976, p. 208) Mes propres observations suggèrent que le
gestionnaire efficace a tendance à réfléchir : il sait tirer
profit de son expérience, explore plusieurs options, fait
marche arrière lorsque l’une d’entre elles échoue et en
essaie alors une autre. Il faut donc qu’il fasse preuve d’une
certaine humilité et admette qu’il n’a pas la science infuse.
Comme je l’ai écrit dans Des managers, des vrais ! Pas des
MBA, lorsqu’on réfléchit, on s’interroge, on explore, on
analyse, on synthétise, on établit des liens – le tout dans le but
de comprendre la signification que prend une expérience pour
soi (Mintzberg, 2004, p. 254, citant Daudelin, 1996, p. 41). La
réflexion va plus loin que l’intelligence pure et simple, vers
une sagesse profonde qui permet au gestionnaire de saisir de
façon perspicace le cœur des enjeux, au-delà des perceptions
habituelles. Comme nous l’avons évoqué précédemment, le
gestionnaire efficace réfléchit et observe par lui-même.
Comme la gestion est un domaine marqué par une activité
frénétique, le gestionnaire a désespérément besoin de prendre
du recul et de réfléchir tranquillement à son expérience. En
effet, la réflexion peut être un antidote efficace contre bon
nombre de paradoxes : le conflit de la confiance, la difficulté
de la planification, le syndrome de la superficialité et le
dilemme de la connexion. La figure 14 présente une série de
questions permettant au gestionnaire de s’autoanalyser.
Certaines questions paraissent simples, voire rhétoriques, mais
elles peuvent stimuler la réflexion.

Figure 14 Questions d’autoanalyse pour


gestionnaires

1. Où est-ce que j’obtiens de l’information et comment ?


Puis-je faire un plus grand usage de mes contacts pour en
obtenir ? Comment puis-je faire en sorte que les autres me
fournissent les renseignements dont j’ai besoin ? Est-ce
que je dispose de modèles mentaux suffisamment
puissants pour saisir les choses qu’il m’est nécessaire de
comprendre ?
2. Quelle information est-ce que je diffuse ? Comment puis-je
transmettre à d’autres plus de données, de façon qu’ils
soient en mesure de prendre de meilleures décisions ?
3. Ai-je tendance à agir avant d’avoir reçu suffisamment
d’information ? Ou est-ce qu’au contraire j’attends trop
longtemps, de telle sorte que les occasions me passent
sous le nez ?
4. Quelle vitesse de changement est-ce que je demande à mon
unité de tolérer ? Ce rythme respecte-t-il son besoin de
stabilité ?
5. Suis-je suffisamment informé pour juger des propositions
qui me sont faites ? M’est-il possible de laisser certaines
décisions entre les mains des autres ?
6. Quelles sont mes intentions pour mon unité ? Devrais-je
les rendre plus explicites de façon à mieux guider les
décisions des autres ? Ai-je besoin de flexibilité pour
pouvoir les changer à volonté ?
7. Suis-je assez sensible à l’influence de mes actions et de
mon style de gestion ? Ai-je trouvé l’équilibre adéquat
entre l’encouragement et les pressions ? Est-ce que je
décourage les initiatives ?
8. Est-ce que je passe trop ou trop peu de temps à cultiver
mes relations externes ? Y a-t-il certains types de
personnes que je devrais mieux connaître ?
9. Pour établir mon emploi du temps, est-ce que je ne fais que
réagir aux pressions du moment ? Ai-je un ensemble
d’activités équilibré ou ai-je tendance à me concentrer sur
une fonction particulière juste parce que je la trouve
intéressante ? Suis-je plus efficace à un moment donné de
la journée ou de la semaine ?
10. Est-ce que je travaille trop ? Quel effet ma charge de
travail a-t-elle sur mon efficacité et sur ma famille ?
Devrais-je me forcer à faire des pauses ou à réduire mon
rythme ?
11. Suis-je trop superficiel dans ce que je fais ? Est-ce que
j’arrive réellement à changer de registre aussi rapidement
et aussi fréquemment que l’exigent les structures de mon
travail ? Devrais-je essayer de réduire le degré de
fragmentation et d’interruption de mon travail ?
12. Suis-je esclave de l’action et de l’excitation qui découlent
de mon travail, à tel point que je ne suis plus capable de
me concentrer sur les problèmes ? Devrais-je passer plus
de temps à lire et à m’intéresser à fond à certaines
questions ?
13. Est-ce que j’utilise les différents moyens de
communication de façon appropriée ? Est-ce que je sais
tirer parti des communications écrites et du courriel ?
Suis-je prisonnier du rythme du courriel ?
14. Est-ce que je m’appuie trop sur les communications en
personne, mettant ainsi mes subordonnés dans une
situation défavorable en ce qui concerne le domaine des
communications ? Est-ce que je consacre assez de temps
aux tournées de mon organisation pour observer l’activité
directement ?
15. Mes obligations occupent-elles tout mon temps ?
Comment puis-je m’en libérer suffisamment pour être en
mesure de conduire mon organisation là où je veux la
mener ? Comment puis-je me servir de mes obligations à
mon avantage ?
Source : Adapté de Mintzberg, 1973, p. 175-177.

Le fil de l’analyse
Comme je l’ai mentionné précédemment, trop d’analyse peut
déboucher sur une gestion dysfonctionnelle, mais trop peu
risque d’entraîner un style de gestion désorganisé.
Chercher la clé de la gestion efficace à la lumière de l’analyse
peut être une erreur, mais s’attendre à la trouver dans
l’obscurité de l’intuition n’est guère mieux. Ici encore, ce qui
importe, c’est un certain équilibre : le gestionnaire doit
s’appuyer sur son savoir formel et explicite de même que
sur ces connaissances informelles et tacites. Voilà pourquoi
les expressions « chaos calculé » et « désordre contrôlé »
présentées à la fin du chapitre 2 s’appliquent si bien au
contexte de la gestion. Dans le même ordre d’idées, Lewis et
coll. ont décrit les familles les plus dysfonctionnelles comme
présentant des « structures chaotiques » et celles qui se
trouvaient à mi-chemin entre la fonctionnalité et le
dysfonctionnement comme ayant des « structures rigides »
alors que « les familles compétentes présentaient des
structures flexibles » (1976, p. 209).
Le danger de l’analyse réside principalement dans deux
paradoxes : le labyrinthe de la décomposition, où ce qui
entoure le gestionnaire est divisé en catégories ordonnées et
artificielles, et le mystère de la mesure, où le gestionnaire doit
composer avec la subjectivité des données objectives.
Toutefois, l’énigme de l’ordre nous rappelle que le
gestionnaire doit organiser le chaos dans son travail.
Skinner et Sasser avaient peut-être de bonnes raisons de
prétendre, dans leur article paru dans la Harvard Business
Review (1977), que les gestionnaires efficaces « utilisaient
l’analyse de manière très efficace » et « employaient les outils
analytiques […] avec discipline et régularité ». Cependant,
lorsqu’ils ont conclu que les gestionnaires efficaces étaient «
avant tout des analystes » (p. 143, 148), à mon avis, ils se sont
carrément trompés. Dans le domaine de la gestion, l’excès
d’analyse a délogé l’esprit critique.

Le fil de l’expérience
« Il existe une autre variable complexe qui implique le respect
de la perspective personnelle et de celle des autres. » (Lewis et
coll., 1976, p. 207)
De nos jours, il est souvent question de l’importance de la
mondialisation pour les gestionnaires ; il est encore plus
fondamental qu’ils soient des gens d’expérience. La
mondialisation implique une certaine homogénéité, un certain
conformisme. Est-ce vraiment là ce que nous désirons pour
nos gestionnaires ? Il me semble que leur travail est déjà trop
marqué par le conformisme.
Ce qui encourage le plus le gestionnaire à réfléchir par
luimême, c’est l’expérience. Celle-ci renvoie à l’expérience de
la vie, bien sûr, mais aussi au perfectionnement et à
l’expérience pratique. Ce mélange de termes, fort intéressant,
est probablement ce qui se rapproche le plus de ce que nous
recherchons véritablement chez le gestionnaire.
L’expérience, c’est d’aller vers l’univers des autres – les autres
cultures, les autres organisations, et même les autres fonctions
au sein de sa propre organisation. Pour paraphraser une
citation de T.S. Eliot qui a été surexploitée pour de bonnes
raisons : les gestionnaires devraient explorer sans cesse afin de
redécouvrir leur propre monde. Voilà l’esprit de l’expérience.
« Comment arrives-tu à conduire avec tout ce trafic ? » a
demandé une gestionnaire américaine à un professeur indien
lorsqu’elle est arrivée à Bangalore pour participer à un module
de notre programme IMPM. « Je m’y insère, tout simplement
», a répondu l’homme. Pour cette femme, l’acquisition de
l’expérience venait de commencer ! L’univers des autres a sa
propre logique – un ordre qui peut sembler chaotique pour
autrui. En nous efforçant de le comprendre, nous devenons de
meilleurs gestionnaires, voire de meilleurs êtres humains.
Pour apprécier l’univers des autres, nous n’avons pas besoin
d’envahir leur vie personnelle ou d’essayer de lire dans leurs
pensées. Selon Lewis et coll., on observe ces « attitudes
destructrices » seulement au sein des « familles les plus
gravement dysfonctionnelles » (p. 213). Dans les familles
médianes, on tendait à la conformité, mais dans les familles
saines, les chercheurs ont trouvé une caractéristique
particulière qu’ils ont qualifiée de « négociation respectueuse
»:
Les différences étaient tolérées, et les conflits
étaient abordés par la négociation, dans le
respect du droit des autres de ressentir, de
percevoir et de réagir différemment. Il n’y avait
pas de pression pour une uniformité qui aurait
effacé les distinctions individuelles. (p. 211)
Dans notre triangle art-artisanat-science, l’analyse est près de
la science, et l’expérience se rapproche de l’artisanat ; elle est
enracinée dans la pratique et le savoir tacite.
Un thème ressort des paradoxes, particulièrement en ce qui
concerne l’ambiguïté de l’action (comment agir de façon
décisive dans un univers complexe et tout en nuances) : il
s’agit du besoin, pour le gestionnaire, d’avoir le sens des
nuances. Les cadres d’expérience qui ont appris à découvrir
leur univers parce qu’ils ont exploré celui des autres sont peut-
être les plus aptes à composer avec les paradoxes de la gestion.

Le fil de la collaboration
« La tendance vers un mariage égalitaire chez les familles
saines était en contraste direct à la fois avec le mariage distant
(et décevant) des familles adéquates et avec le modèle
conjugal de domination et de soumission si fréquent au sein
des familles dysfonctionnelles. » (Lewis et coll., 1976, p. 210)
À mesure que nous tissons notre tapisserie, les aspects sociaux
de la gestion deviennent de plus en plus importants. La
collaboration ne se rapporte ni à la motivation ni à
l’habilitation des gens, car ce sont des actions qui, comme je
l’ai noté plus haut, ne pourraient que renforcer l’autorité du
gestionnaire. Il s’agit plutôt de les aider à travailler ensemble.
Kaz Mishina, qui a dirigé notre module de l’IMPM sur la
collaboration au Japon, disait que par ce « leadership de
l’arrière-plan », on confiait la direction de l’unité au plus
grand nombre de gens ordinaires possible ».
Dans le style de gestion engageant présenté au chapitre 4, et
décrit à la figure 15, le gestionnaire met la main à la pâte afin
de faire participer les autres. Il fait preuve de respect, de
confiance, d’attention, d’inspiration et surtout d’écoute.
Toujours selon Lewis et coll., « les familles saines étaient
ouvertes à l’expression de l’affect. Leur état d’esprit principal
se caractérisait par la sensibilité et l’attention. Leur capacité
d’empathie était grande » (p. 214).

Figure 15 La gestion engageante

Les gestionnaires sont importants dans la mesure où ils


aident les autres à le devenir.
Une organisation est un réseau et non une hiérarchie
verticale. Les gestionnaires efficaces œuvrent partout ; ils
ne s’enferment pas dans leur tour d’ivoire.
Des stratégies naissent de ce réseau. Les membres
s’engagent à fond et résolvent de petits problèmes, qui se
transforment en grandes initiatives. L’exécution alimente
la formulation.
Être gestionnaire, c’est libérer l’énergie positive naturelle
des gens. Par conséquent, la gestion, c’est l’engagement
fondé sur l’esprit critique et ancré dans le contexte.
Le leadership repose sur la confiance et s’obtient par le
respect des autres.
Comme nous l’avons vu au chapitre 4, il y a eu, au cours du
siècle dernier, une évolution de la gestion contrôlante vers la
gestion engageante. Nous entendons de plus en plus parler de
travailleurs du savoir, de travail à forfait, d’organisations
réseautées et « apprenantes », d’équipes, de force
opérationnelle, de coentreprises et d’alliances. Bon nombre de
« subordonnés » sont devenus des collaborateurs, et plusieurs
fournisseurs sont maintenant des partenaires. Il y a eu un
changement correspondant des styles de gestion, qui ont migré
du contrôle vers la persuasion, de la direction vers la liaison,
de l’habilitation vers l’inspiration.
Lorsque le gestionnaire est naturellement enclin à garder les
membres de son unité bien informés, le dilemme de la
délégation s’estompe. Il en va de même du dilemme de la
connexion : le gestionnaire qui collabore est mieux connecté,
et donc mieux informé.
Il est important de comprendre que ce fil n’a rien de magique
et qu’il n’est pas une grande caractéristique du leadership. Il
est aussi naturel que la vie dans une famille qui fonctionne
bien.

Le fil de la proaction
« Chez les familles saines, la passivité n’est pas de mise. Elles
réagissent aux événements en faisant preuve d’un grand sens
de l’initiative. » (Lewis et coll., 1976, p. 208-209)
Comme je l’ai noté à plusieurs reprises, et comme l’illustre la
figure 13, toute activité de gestion est prise en étau entre la
réflexion (plan abstrait) et l’action (plan concret) – elle relève
de la « réfl’action », ce terme inventé par un participant du
programme IMPM. Quand on réfléchit trop, rien ne bouge ;
quand on agit trop, on fait les choses de manière
machinale. Le fil de la proaction concerne l’action sur le
terrain et fait appel aux rôles de la gestion d’action et de
transaction.
Si la réflexion est en grande partie personnelle, la proaction est
fondamentalement sociale : il ne peut y avoir d’action de
gestion sans la participation d’autres personnes. La gestion est
un processus social. Le gestionnaire qui tente de tout faire
seul se met généralement à exercer un trop grand
contrôle ; il donne des ordres et commande le rendement
dans l’espoir qu’on lui obéira parce qu’il détient l’autorité.
Cela fonctionne parfois. Cependant, en agissant ainsi, le
cadre ne tire pas profit du potentiel humain.
J’utilise le terme proactif plutôt qu’actif pour montrer que ce
fil a trait à l’initiative du gestionnaire : il prend les devants
plutôt que de simplement réagir. Comme je l’ai indiqué plus
haut, le gestionnaire efficace, peu importe où il se situe dans la
hiérarchie et le degré de contrainte auquel il est soumis,
s’empare de toute la liberté possible. Comme l’a dit Isaac
Bashevis Singer dans ce qui pourrait être la devise du
gestionnaire efficace : « Nous devons avoir foi en la volonté ;
nous n’avons pas le choix. »
Ainsi, le gestionnaire efficace n’a pas le comportement de
la victime. Il est « l’agent du changement et non sa cible »
(Hill, 2003, p. xiii). Il suit le mouvement (comme le trafic à
Bangalore) tout en l’influençant.
Dans ce contexte, le paradoxe le plus évident est celui de
l’ambiguïté de l’action : comment agir de façon ferme dans un
univers complexe et tout en nuances ? L’expérience peut aider,
tout comme la réflexion, mais la proaction est essentielle.
Notons que le véritable changement n’est pas seulement
transmis du sommet vers le bas de l’échelle de façon ferme,
délibérée et spectaculaire, mais également du bas vers le haut
et du centre vers l’extérieur, de façon expérimentale,
graduelle, et émergente. La proaction peut être une
caractéristique du gestionnaire à tout échelon de la hiérarchie,
comme nous l’avons remarqué en observant Alan Whelan de
la BT.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier l’énigme du changement : si
le gestionnaire efficace doit parfois mener le changement, il lui
faut également préserver l’équilibre, ce qui peut exiger autant
de proaction. C’est ce que j’ai observé dans les camps de
réfugiés de la Croix-Rouge.

Le fil de l’intégration
Permettez-moi de reprendre ici ce qui est peut-être la
conclusion la plus importante de Lewis et coll. : « [L]a santé
de la famille ne tient pas qu’à un fil ; la compétence joue un
rôle important dans la tapisserie. » (p. 206) La gestion est une
tapisserie formée des fils de la réflexion, de l’analyse, de
l’expérience, de la collaboration et de la proaction, le tout
infusé d’une énergie personnelle et assemblé par
l’intégration sociale.
En ce qui concerne « l’essentiel du leadership », Mary Parker
Follett a dit qu’il était « de la plus haute importance d’avoir la
capacité de saisir la situation dans son ensemble. Le leader
doit trouver le fil conducteur dans un amas de faits,
d’expériences, de désirs, de buts. Il doit considérer le tout
plutôt que les parties et voir la situation comme évolutive ».
En d’autres mots, la gestion, c’est l’intégration en mouvement,
la « maîtrise du moment » (1920, p. 168 et 170).
La synthèse exige également de maîtriser tous les moments.
La qualité de la gestion tient à l’atteinte d’un équilibre
dynamique qui se manifeste sur les plans de l’information,
des gens et de l’action. Cela peut se faire en réconciliant les
besoins de l’art, de l’artisanat et de la science, et en
jonglant avec plusieurs problèmes à la fois.
Le terme analyse semble assez clair, mais le mot synthèse est
nébuleux. Que signifie-t-il vraiment ? Quand nous arrivons à
faire une bonne synthèse, en avons-nous véritablement
conscience ? En réalité, le gestionnaire doit toujours tendre
vers la synthèse, même en sachant qu’il ne l’atteindra
jamais. Comme j’en ai discuté au chapitre 5, le gestionnaire
efficace travaille non seulement de façon déductive et
cérébrale (en passant de la réflexion à l’action, de la
formulation à la mise en œuvre, du conceptuel au concret),
mais également de façon inductive, intuitive (en passant de
l’action à la réflexion, du concret au conceptuel, en apprenant
par l’expérience et en révisant sa formulation après une soi-
disant mise en œuvre). Par-dessus tout, le gestionnaire effectue
des allers-retours entre l’action et la réflexion, en maîtrisant
les moments.
Il ne faut toutefois pas présumer que la réflexion et l’action
sont séparées et séquentielles. La réflexion fait
intrinsèquement partie de l’action : le gestionnaire réfléchit
certainement avant d’agir, mais il agit également dans le
but de réfléchir, pour découvrir ce qui fonctionne. Avant
tout, le gestionnaire réfléchit pendant qu’il agit. Par
conséquent, « les activités de gestion peuvent être accomplies
de manière plus ou moins réfléchie » (Weick, 1980, p. 19).
Toutefois, l’exploitation de l’« esprit collectif » est un des plus
grands défis rencontrés par les organisations contemporaines,
par exemple dans le contexte de l’élaboration des stratégies et
dans celui de l’établissement de la culture.

La sélection des gestionnaires efficaces


Comment choisir des gestionnaires qui seront efficaces,
évaluer s’ils le sont vraiment et augmenter cette efficacité ?
Cette section et les deux suivantes sont respectivement
consacrées à ces préoccupations.
On a beaucoup traité de la sélection des gestionnaires
efficaces. Je tiens simplement à ajouter certaines réflexions
personnelles.
Mieux vaut un mal connu. Le gestionnaire parfait n’existe
pas encore. Comme il est préférable de connaître les
imperfections d’un individu dès le départ, tout gestionnaire
devrait être choisi autant pour ses défauts que pour ses
qualités. Malheureusement, on tend souvent à se concentrer
sur les qualités des gens ; parfois, une seule d’entre elles
oblitère tout le reste. On dira : « Sally est un as du réseautage »
ou « Joe est un visionnaire », surtout si le prédécesseur qui a
échoué était un piètre réseauteur ou manquait de vision
stratégique.
Personne ne devrait confier un poste de gestion à un individu
avant d’avoir fait tous les efforts (raisonnables sur le plan
éthique) pour repérer ses défauts. Ceux-ci devraient ensuite
être jaugés avec prudence en fonction de l’emploi et de la
situation pour éviter les surprises. Le rendement obtenu dans
un poste de gestion antérieur n’est pas une indication fiable du
potentiel dans le prochain poste, mais il peut faire la lumière
sur les défauts de la personne.
La voix aux subordonnés. La gestion s’effectue au sein de
l’unité comme à l’extérieur de celle-ci. Pourtant, ce sont
généralement des gens de l’extérieur de l’unité qui ont la
responsabilité de choisir le gestionnaire qui la dirigera. Il peut
s’agir par exemple de membres du conseil d’administration
pour la sélection d’un directeur général ou de cadres
supérieurs pour la sélection d’un gestionnaire novice.
Or, il peut être plus facile d’impressionner des gens qui n’ont
pas à traiter quotidiennement avec le candidat, que les
subordonnés. Le charme peut être un critère de sélection, mais
c’est loin d’être le plus important. De nos jours, de
nombreuses organisations se retrouvent avec des gestionnaires
« lèche-bottes » en amont comme en aval. Ces cadres trop sûrs
d’eux sont de beaux parleurs qui ne manifestent pas la
moindre forme de leadership.
Si un seul précepte permettait d’améliorer
considérablement l’efficacité de la gestion, ce serait celui
qui recommanderait de donner la voix à ceux qui
connaissent le mieux le candidat, c’est-à-dire ceux qui ont
été ses subordonnés. Je ne suis pas pour l’élection des
gestionnaires, mais plutôt pour une évaluation équilibrée
venant autant de l’intérieur que de l’extérieur. Il s’agit
d’ailleurs d’une pratique courante dans les hôpitaux, les
universités et les cabinets d’avocats*.
L’option de l’étranger initié. Certaines organisations ont
tendance à favoriser des gens de l’extérieur pour occuper les
postes de gestion, du moins pour les postes supérieurs de
direction. On se dit qu’un nouveau balai nettoiera mieux.
Malheureusement, il a peut-être un défaut que le comité de
sélection ne connaît pas, et le comité ne sera peut-être pas en
mesure de distinguer la vraie poussière. On court ainsi le
risque de s’attaquer au cœur et à l’âme de la société. Peut-être
devrait-on plutôt sélectionner un balai qu’on connaît bien
et qui connaît bien la poussière de l’organisation.
En fait, les comités de sélection peuvent parfois choisir un
ancien cadre qui est parti en claquant la porte, une sorte
d’étranger initié. Une telle personne est au courant de la
situation ; elle l’a même combattue. Elle est donc parfaite pour
diriger un redressement. Bref, c’est un nouveau balai qui
connaît la vieille poussière. De surcroît, les gens de l’intérieur
peuvent évaluer les qualités et les défauts de cette personne.

L’évaluation de l’efficacité en matière de


gestion
Vous êtes gestionnaire. Vous désirez savoir comment vous
vous débrouillez, et ceux qui vous entourent, peut-être encore
plus. Il existe plusieurs façons d’y parvenir, mais il faut
prendre garde aux solutions faciles. L’efficacité d’un
gestionnaire ne peut s’évaluer qu’en contexte. Ce principe
semble assez simple… jusqu’à ce que vous le divisiez, comme
je le ferai, en sept idées secondaires. (Patience, je vous
expliquerai à la fin pourquoi nous en avons besoin de tant.)
(1) Les gestionnaires ne sont pas efficaces ; les couplages le
sont. Un bon mari ou une bonne épouse, ça n’existe pas ; il
n’y a que de bons couples. Il en va de même pour le
gestionnaire et son unité. Il y a des gens qui ne sont pas faits
pour la gestion, mais aucun gestionnaire n’excellera dans tous
les postes de cadre. Tout dépend du jumelage entre la personne
et le contexte, à un moment donné, pendant un certain temps.
Par conséquent, (2) il n’y a pas de gestionnaire efficace au
sens général, ce qui signifie également (3) qu’il n’existe pas
de gestionnaire professionnel – personne n’est apte à tout
gérer.
Évidemment, le gestionnaire et son unité réussissent ou
échouent ensemble. Par conséquent, (4) pour évaluer la
compétence d’un gestionnaire, il faut également évaluer
l’efficacité de l’unité. De plus, (5) un gestionnaire ne peut
être considéré comme compétent que dans la mesure où il
contribue à rendre son unité plus efficace.
Certaines unités fonctionnent bien en dépit de l’incompétence
de leurs gestionnaires, et d’autres fonctionneraient beaucoup
plus mal si ce n’était de leurs gestionnaires. Cela dit, il faut
éviter de présumer que le gestionnaire est le seul responsable
de la réussite ou de l’échec de son unité. Beaucoup d’autres
éléments comptent : l’histoire de l’organisation, sa culture, les
marchés, le temps, etc. Plusieurs gestionnaires ont réussi tout
simplement en manœuvrant pour obtenir de bons emplois, en
s’assurant de ne rien déranger et en s’attribuant les succès de
leurs organisations.
(6) L’efficacité en matière de gestion doit également être
évaluée en fonction de son impact au sens large, au-delà de
l’unité, voire de l’organisation. Qu’en est-il du gestionnaire
qui rend son unité plus efficace au détriment du reste de
l’organisation ? Ce serait le cas, par exemple, du directeur du
service commercial d’une organisation qui aurait amené son
équipe à vendre de grandes quantités de produits, tandis que le
service de la production n’arrive pas à répondre à la demande.
Combien d’organisations mesurent le rendement de leurs
unités, et de leurs gestionnaires, en fonction de leur
contribution à l’ensemble ? N’oubliez pas qu’une
organisation saine n’est pas un assemblage de ressources
humaines divisées, c’est une communauté d’êtres humains
responsables.
De plus, ce qui est bon pour l’unité et l’organisation ne l’est
peut-être pas pour la communauté. Un gestionnaire qui
soudoie les clients est peut-être « efficace » pour son
organisation, mais certainement pas pour la société. À quoi
bon exiger des gestionnaires qu’ils soient socialement
responsables si ensuite leur comportement « efficace »
irresponsable n’est pas évalué ?
Vous vous demanderez sûrement comment on peut évaluer un
gestionnaire en tenant compte de toutes ces propositions. En
principe, la réponse est encore une fois toute simple. (7)
L’efficacité en matière de gestion doit être jugée, pas
seulement mesurée.
Nous pouvons assurément obtenir des mesures d’efficacité
pour certaines choses, par exemple pour le rendement de
l’unité, du moins à court terme. Cependant, pouvons-nous
mesurer le reste ? Quelle est l’unité de mesure magique qui
permettrait de répondre à cette question ?
Si vous croyez qu’il est un peu excessif de tenir compte de
toutes ces propositions pour évaluer l’efficacité des
gestionnaires, songez aux primes excessives qu’on a accordées
à certains d’entre eux parce qu’on avait justement fait fi de ces
critères d’évaluation. Dans la plupart des cas, on s’est contenté
de vérifier si le cours de l’action avait augmenté. L’efficacité
de tout cadre supérieur doit être évaluée à long terme.
Malheureusement, en pratique, nous ignorons comment
nous y prendre pour le faire. Par conséquent, les primes
des cadres supérieurs devraient être abolies. Un point, c’est
tout.
Où est passé l’esprit critique ? Vous vous souvenez de
l’esprit critique ? Cette fonction tapie dans l’ombre du cerveau
qui servait à gérer de façon efficace ? Puis est arrivée la
mesure vers laquelle se sont tournés tous les feux des
projecteurs. C’est un bon outil tant qu’il ne cherche pas à
remplacer l’esprit critique. Alors, allez-y, mesurez tout ce que
vous voulez, mais, de grâce, assurez-vous de garder votre
esprit critique. Ne vous laissez pas aveugler par la mesure.
En 1981, Business Roundtable, un groupe de cadres supérieurs
de plusieurs grandes sociétés américaines, a publié un Énoncé
sur la responsabilité d’entreprise :
Les actionnaires doivent obtenir un bon
rendement, mais les préoccupations légitimes
des autres constituants (clients, employés,
communautés, fournisseurs et société en
général) doivent également être prises en
considération. […] [Les gestionnaires
dirigeants] considèrent qu’apporter une
attention éclairée […] servira mieux les intérêts
[des] actionnaires. (Cité dans Mintzberg, Simons
et Basu, 2002, p. 71 ; retiré depuis du site
www.businessroundtable.org)
Business Roundtable a publié en 1997 un autre texte, intitulé
Énoncé de gouvernance d’entreprise. Ce document, qui réfute
le premier, affirme que la principale tâche des gestionnaires et
du conseil d’administration est de rendre des comptes aux
actionnaires de la société. En voici un extrait :
L’idée que le conseil doive d’une certaine façon
équilibrer les intérêts des actionnaires de la
société et ceux des autres parties prenantes de
l’entreprise est une mésinterprétation
fondamentale du rôle des membres du conseil.
De surcroît, il s’agit là d’une notion
impraticable, car cela ne laisserait au conseil
aucun critère pour résoudre les conflits entre les
intérêts des actionnaires de la société et ceux des
autres parties prenantes ou parmi les différents
groupes de parties prenantes. (Cité dans le
même article, également retiré depuis du site
www.businessroundtable.org)
Aucun critère, en effet – outre l’esprit critique ! À un certain
moment entre 1981 et 1997, ce regroupement de grands chefs
d’entreprises américaines a perdu son esprit critique. C’est
d’ailleurs ce qui permet de comprendre ce qui se cache
derrière la crise économique actuelle en Amérique (voir
www.mintzberg.org/enterprise).
J’écris des livres et je conçois des programmes pour les
gestionnaires. Les gens me demandent parfois s’il existe des
mesures de rendement pour ces programmes (un gestionnaire
m’a même déjà demandé dans quelle mesure le fait de
participer à un de mes programmes ferait augmenter le cours
de l’action de son entreprise). Je résiste à l’envie de répondre «
43 cents ». Je réponds plutôt ce qui suit :
« Pensez à un livre que vous avez lu récemment. Pouvez-vous
quantifier son coût ? » Évidemment, m’a-t-on rétorqué. Tant
d’argent pour l’acheter, tant d’heures pour le lire. « Bon.
Maintenant, si vous en êtes capable, évaluez les bénéfices de
ce bouquin et mesurez l’impact qu’il a eu sur vous. Ensuite,
faites-moi connaître vos chiffres, et je ferai de même pour le
programme. » En tant que lecteur, il se peut que vous trouviez
cet ouvrage extraordinaire (vous lui attribuez une note de 4,9
sur une échelle de 5, par exemple), mais que vous n’en tiriez
aucun profit. À l’inverse, il se peut que vous le détestiez (vous
lui donnez une note de 1,3), mais que vous utilisiez tout de
même une de ces idées cinq ans plus tard sans vous souvenir
d’où elle vient. Vous pouvez cesser de lire des livres si vous le
voulez, mais vous ne pouvez faire fi de la gestion simplement
parce qu’il est difficile d’en mesurer le rendement.

Le développement efficace des


gestionnaires
Comment devrions-nous former les gestionnaires ? En 1996,
nous avons entrepris de réviser l’enseignement de la gestion,
afin que sa pratique se rapproche de ce qui est décrit dans cet
ouvrage. Nous avons commencé en offrant des cours de
gestion à l’école de gestion de l’université où je travaille.
Dans le programme traditionnel de MBA, il n’est question que
d’administration des affaires. Lorsqu’on suit ce programme,
on apprend à connaître les fonctions de l’entreprise, mais pas à
gérer. En fait, en donnant l’impression à des étudiants ayant
peu d’expérience qu’ils maîtrisent l’art de la gestion, sans
parler du leadership, ce genre de programmes encourage
l’arrogance.
Nos efforts ont donné naissance à la Maîtrise internationale
pour gestionnaires en exercice (www.impm.org), dont j’ai fait
mention à plusieurs reprises et qui est décrite (avec trois
programmes qu’elle a engendrés) dans l’encadré à la page 230.
Examinons d’abord les prémisses de ces projets.
1. Les gestionnaires, sans parler des leaders, ne peuvent être
formés dans une salle de classe. La gestion étant un
exercice, elle ne peut être enseignée comme une science ou
une profession. En fait, elle ne peut tout simplement pas
être enseignée. Certains des plus grands gestionnaires et
leaders n’ont jamais mis les pieds dans une classe de
MBA ; plusieurs parmi les pires s’y sont assis de façon
assidue pendant deux ans*.
2. La gestion s’apprend en occupant un poste. Ainsi,
l’exercice est amélioré par une gamme d’expériences et de
défis. Personne n’exerce la profession de chirurgien ou de
comptable sans avoir suivi au préalable une formation.
Dans le domaine de la gestion, c’est tout le contraire.
Comme nous l’avons vu, le travail est trop nuancé, trop
complexe et trop dynamique pour être appris au préalable.
Par conséquent, le point de départ logique est le travail en
lui-même. La première expérience peut s’avérer cruciale,
parce que c’est à ce moment que le gestionnaire « est peut-
être le plus ouvert et apprend les rouages du métier » (Hill,
2003, p. 288). Cet apprentissage initial sera ensuite bonifié
par une gamme de mandats stimulants (McCall, 1988 ;
McCall et coll., 1978).
3. Les programmes de formation peuvent aider les
gestionnaires à donner un sens à leur expérience en les
encourageant à réfléchir et à partager le fruit de leur
réflexion avec leurs collègues. La salle de classe est un lieu
exceptionnel pour améliorer la compréhension et les
compétences des gestionnaires déjà en exercice,
particulièrement lorsque l’apprentissage s’appuie sur leurs
propres expériences. Ils peuvent s’y retrouver en petits
groupes et discuter de leurs expériences à la lumière de
concepts utiles sans être dérangés.
4. Les leçons tirées de cette formation doivent être mises en
œuvre dans le milieu de travail et avoir une incidence au
sein de l’organisation. Un des gros problèmes de la
formation en gestion est qu’elle se fait généralement
ailleurs que dans le milieu de travail. Le gestionnaire est
formé, voire transformé, mais retourne dans un
environnement professionnel inchangé. Le développement
doit comprendre le développement de l’organisation et
inspirer le changement au sein de l’organisation.
5. Les programmes de formation pour gestionnaires doivent
être conçus en fonction de la nature de la gestion – c’est-
à-dire en fonction des états d’esprit de la gestion, et non des
fonctions commerciales. La gestion n’équivaut pas à la
somme du marketing, des finances, de la comptabilité, etc.
De plus, quand on se penche trop sur les fonctions
commerciales, on se concentre trop sur l’analyse, qui n’est
qu’un des cinq états d’esprit.

LE DÉVELOPPEMENT : DU GESTIONNAIRE
À L’ORGANISATION À LA SOCIÉTÉ À SOI-
MÊME
Au milieu des années 1990, nous avons commencé à repenser
l’ensemble de l’enseignement de la gestion, ce qui a favorisé la création
d’une famille de nouveaux programmes, dont quatre sont présentés ici.
Le programme IMPM : la combinaison de l’enseignement de la
gestion et du développement des gestionnaires. La Maîtrise
internationale pour gestionnaires en exercice (www.impm.org) a été
conçue pour transformer l’enseignement des affaires en enseignement
de la gestion, en le combinant au développement des gestionnaires. Le
but est d’aider les gestionnaires à accomplir un meilleur travail dans
leurs organisations, et non pas à les encourager à obtenir un meilleur
emploi dans une autre société.
Ce programme compte cinq modules de dix jours chacun, portant sur
autant d’états d’esprit. Les modules sur la réflexion (sur l’autogestion),
l’analyse (sur la gestion des organisations), l’expérience (sur la gestion
en contexte), la collaboration (sur la gestion des relations) et l’action (sur
la gestion du changement) sont respectivement présentés en
Angleterre, au Canada (Montréal), en Inde (Bangalore), en Chine
(Pékin) et au Brésil (Rio de Janeiro).
Réunis en tables rondes, les gestionnaires apprennent les uns des
autres en partageant leurs réflexions sur leurs expériences. Parfois, ils
s’engagent dans un « partage des compétences », c’est-à-dire la mise
en commun d’expériences sur la façon dont ils exercent certaines
compétences (comme le réseautage). Cela leur permet de mieux
prendre conscience de leur exercice. Ils font de la « consultation
amicale » pour s’entraider dans la réflexion sur leurs problèmes de
gestion et font également des « échanges professionnels », en passant
quelques jours sur les lieux de travail l’un de l’autre. Une fois qu’ils sont
de retour dans leur organisation, ils sont encouragés à créer des
équipes de choc avec leurs collègues ou leurs subordonnés, dans le but
de diffuser leurs apprentissages et de provoquer des changements
(Mintzberg, 2011a).
Le programme ALP : la combinaison du développement de
l’organisation avec celui de la gestion. Les soi-disant programmes
avancés de gestion ne sont souvent que des copies des programmes de
MBA traditionnels : ils utilisent plusieurs des mêmes cas et sensiblement
les mêmes théories. Axés sur les fonctions commerciales, ils placent les
gestionnaires en rangs bien ordonnés.
Le programme ALP (www.alp-impm.com) est une version élargie du
programme IMPM. Ici, les sociétés paient pour des tables plutôt que
pour des chaises : elles délèguent des équipes de six gestionnaires,
chacun porteur d’un enjeu particulier. Au fil de trois modules d’une
semaine, répartis sur une période de six mois, les équipes se penchent
sur tous les enjeux à tour de rôle selon un processus de consultation
amicale.
Le programme IMHL : l’ajout du développement social. Le
programme de Maîtrise internationale pour le leadership en santé est
fondé sur le programme IMPM, mais il s’adresse aux gestionnaires en
exercice qui ont une expérience clinique. Il touche tous les aspects des
soins de santé dans le monde. Ce programme met également à profit la
démarche de consultation amicale, mais en la propulsant dans la sphère
du développement social. En plus de présenter des enjeux
préoccupants liés à leur travail et à leur organisation, les gestionnaires
font appel les uns aux autres afin de traiter certains problèmes relatifs à
la santé dans leurs communautés ou en utilisant la classe comme un
groupe de réflexion.
CoachingOurselves : le pas vers l’autonomie du développement.
Ces initiatives ont été amenées vers leur conclusion naturelle par le
directeur de l’ingénierie d’une firme de haute technologie. Il avait besoin
de former ses gestionnaires, mais il ne disposait pas d’un budget
suffisant. Lorsqu’il a entendu parler des programmes ci-dessus, il a suivi
leur exemple. Les membres de son groupe se rencontraient de façon
informelle environ toutes les deux semaines pour réfléchir à leur
expérience en utilisant du matériel conceptuel pour lancer la discussion.
L’initiative s’est poursuivie pendant deux ans. Certains membres du
groupe d’origine ont même formé leurs propres équipes. Cela a mené à
la création de www.coachingourselves.com/fr. Le but de ce programme
est d’encourager ce type d’autoformation dans d’autres organisations.
Les gestionnaires peuvent télécharger différents textes sur des sujets
comme « Les pressions de la gestion », puis travailler les thèmes au
cours de séances informelles d’environ 90 minutes pour renforcer
l’esprit d’équipe et apporter un vent de changement au sein des
organisations. Certaines sociétés proposent maintenant ce programme
à leurs cadres intermédiaires. (Pour plus de renseignements au sujet de
ces programmes, voir Mintzberg, 2004, 2011a, 2011b et 2012.)

La gestion ne peut être enseignée ni par des professeurs ni par


des spécialistes du développement. Les cadres doivent donc
apprendre d’eux-mêmes. Ils peuvent profiter de formations,
mais d’après notre expérience, il n’y a rien d’aussi fort et
d’aussi naturel que des gestionnaires engagés qui
s’investissent dans leur propre développement, celui de leurs
organisations et celui de leurs communautés.

La gestion, tout naturellement


Si le développement de la gestion peut se faire de manière si
naturelle, c’est qu’il y a de l’espoir pour la gestion.

Une espèce hors de contrôle


Les premiers êtres humains ont probablement vécu dans des
cavernes, d’où ils partaient en groupes pour chasser. Ils étaient
probablement organisés comme des volées d’oies : le membre
le plus fort prenait la tête du groupe, puis cédait sa place à
celui qui entretemps était devenu plus fort que lui. Cela ne
signifie pas que le leadership, le charisme, l’habilitation, la
gestion et le reste n’existaient pas, mais ils étaient intégrés de
façon naturelle aux processus sociaux. Les êtres humains de
cette époque-là n’avaient pas accès à des milliers d’ouvrages
sur tous ces sujets ; ils faisaient simplement ce qu’ils devaient
faire.
Aujourd’hui, nous disposons de ces milliers d’ouvrages. Voilà
pourquoi, trop souvent, nous ne faisons pas simplement ce
qu’il faut faire. Au fil des ans, nous sommes devenus de plus
en plus organisés. J’imagine qu’on a d’abord procédé en
choisissant comme chef le membre de la bande qui chassait et
combattait le mieux ses ennemis et qui, dans certains cas,
intimidait les membres de son propre groupe. Au cours du
millénaire, ces chefs sont devenus des seigneurs, des prêtres,
des pharaons, des empereurs, des rois, des reines, des shoguns,
des tsars, des maharadjas, des sultans, des vice-rois, des
dictateurs, des führers, des premiers ministres et des
présidents, sans parler des gestionnaires, des directeurs, des
cadres, des patrons, des oligarques, des PDG, des directeurs de
l’exploitation, des finances et de la formation.
Ces étiquettes ne montrent-elles pas que notre espèce a perdu
le contrôle ? Gord Irwin, du parc national de Banff, m’a parlé
d’un « bouchon d’ours », un bouchon de circulation causé par
un ours. Un ours descend jusqu’à la route, les touristes
s’arrêtent pour le regarder (certains sortent même de leur
voiture pour le prendre en photo) et les camionneurs
fulminent. Dans les parcs, on parle de « gestion du milieu
naturel ». De toute évidence, il s’agit d’un oxymoron : cet
environnement s’est « géré » lui-même sans problème durant
des millénaires. Et voilà que nous arrivons avec nos « plans de
gestion des ours » !
Songez à ce que sont devenus la gestion et le leadership dans
nos propres environnements. Nous avons complexifié à
outrance un processus naturel en plaçant des « leaders » sur
des piédestaux, en transformant les êtres humains en
ressources humaines ; en mesurant à l’excès leur rendement
pour les contrôler ; en étant convaincus que la gestion est une
profession ; en élaborant des « plans de gestion des ours »,
pendant que les êtres humains se battent entre eux pour
s’approprier le droit de « gestion » de l’environnement naturel.
Où est passée la bonne vieille gestion ?
Si nous désirons vraiment comprendre ce qui arrivé à la
gestion, nous devrions alors aller sur le terrain, là où broutent
les wapitis et où les camionneurs fulminent contre les
touristes. Peut-être pourrons-nous alors « monter » vers les
abstractions de la gestion qui nous fascinent tant. Dans ces
hautes sphères, les gens gagnent de gros salaires parce que leur
travail est important, mais peut-être en réalité parce qu’ils
doivent composer avec ce qui n’a aucun sens logique. Une
bonne partie de cet illogisme, d’ailleurs, vient des systèmes
formalisés dans lesquels ces gens évoluent. Apparemment
conçus pour traiter la complexité, ces systèmes ne constituent
peut-être en fait qu’une vaste diversion conceptuelle visant à
rassurer une espèce qui a perdu le contrôle et qui est devenue
étrangère à son environnement. Après tout, les ours savent très
bien que le véritable problème, c’est le « bouchon d’hommes
».

Alors qu’en est-il de Gérer dans l’action ?


Il est temps de réveiller notre humanité et de passer outre notre
obsession infantile du leadership. Ne serait-il pas naturel de
traiter nos organisations comme des communautés
d’engagement, où chaque membre est respecté et
respectueux, plutôt que comme des hiérarchies mystiques ?
Nous aurons évidemment besoin de gens pour coordonner nos
efforts, pour donner une certaine orientation à nos systèmes
sociaux complexes et pour soutenir ceux qui ont à cœur de
faire un travail utile. Cependant, ces gestionnaires travailleront
avec nous, sans nous diriger.
Richard Boyatzis, de l’Université Case Western Reserve, a
écrit qu’« il semble ne pas y avoir d’image, de métaphore ou
de modèle de gestion dans le monde naturel » et que, par
conséquent, « la gestion est un acte dénaturé » (1995, p. 50).
Évidemment, il est beaucoup plus compliqué de gérer des gens
que de diriger une volée d’oies ou d’émettre une substance
chimique dans une ruche. La gestion est toutefois une activité
parfaitement naturelle, que nous dénaturons en la déconnectant
de son contexte, sans la voir pour ce qu’elle est.
Est-ce à dire que nous perdons notre temps à nous préoccuper
des grands gestionnaires et des grands leaders ? Peut-être
devrions-nous plutôt être reconnaissants du fait que des gens
raisonnables, quoiqu’imparfaits, réussissent assez bien à gérer
et à diriger. J’oserais affirmer que pour être un gestionnaire
accompli ou même un grand leader, peut-être qu’il n’est
pas nécessaire d’être extraordinaire. Peut-être qu’il suffit
d’être lucide et plus ou moins sain sur le plan émotionnel.
Il faut avoir assez de perspicacité pour réfléchir par soi-même,
et comprendre clairement les mythes de la gestion, ses propres
limites, le potentiel illimité des autres, comment le monde
fonctionne et comment on peut changer la donne. C’est du
moins ce que j’ai observé chez la plupart des 29 gestionnaires
de mon étude.
Évidemment, il y a des narcissiques et des gens souffrant
d’autres dysfonctions qui réussissent pendant un certain temps.
Mais la plupart échouent de façon lamentable. Celui qui a
donné à la gestion ses lettres de noblesse a dit : « Aucune
institution ne peut survivre si elle a besoin de génies ou de
superhéros pour la gérer. Elle doit être organisée de façon à
pouvoir s’épanouir sous le leadership composite d’êtres
humains ordinaires » (Drucker, 1946, p. 26).
Comment se doter d’un leadership si naturel ? Comme l’a
souligné Peter Drucker, il faut d’abord cesser de bâtir des
organisations qui dépendent de leaders héroïques. Il n’est pas
étonnant de constater que nous sommes incapables de nous en
affranchir : lorsqu’un héros échoue, nous en cherchons
frénétiquement un autre. Pendant ce temps, l’organisation –
l’école, l’hôpital, le gouvernement, l’entreprise – stagne. En
faisant la promotion à outrance des leaders, nous faisons
rétrograder tous les autres. Nous créons des sujets qui sont
poussés à performer plutôt qu’à exploiter leur propension
naturelle à collaborer au sein de communautés. Dans cette
perspective, la gestion efficace peut être considérée comme
engagée à être engageante, connectée pour promouvoir la
connexion.
Je me plais à croire que le sujet de cet ouvrage touche le cœur
de nos vies de plus en plus « organisées ». Nous devons
repenser la gestion et l’organisation, voir le leadership comme
une affaire de communauté, et nous rendre compte que tout
cela peut être simple, naturel et sain.

* Mais pas toujours. Les politiciens se concentrent dans l’art de dissimuler leurs
défauts pendant les élections, jusqu’à ce que ceux-ci deviennent fatals lorsqu’ils
sont élus. Par exemple, l’objectif d’un débat politique télévisé est de montrer qu’on
est parfait et que l’opposant ne l’est pas. L’hypothèse est que le candidat imparfait
devrait perdre. Peut-être cette farce est-elle une des raisons pour lesquelles les gens
en ont assez du leadership politique.
* On m’a raconté que le directeur général d’une grande société anglaise ne laissait
généralement pas les employés ordinaires passer devant la porte de son bureau. Ils
devaient descendre un étage et remonter un peu plus loin. Ceux qui entraient dans
son bureau devaient s’asseoir sur des chaises plus basses que la sienne, afin qu’il
puisse leur parler de haut. Il est devenu président du conseil d’une société encore
plus importante et a éventuellement été anobli pour ses efforts. Lorsqu’il a quitté la
présidence, il a conseillé à son successeur, à l’occasion de réunions du conseil
d’administration, de bien s’habiller, de ne pas fumer et de garder le contrôle par un
ordre du jour clair. À la première réunion qu’il a organisée, ce successeur a retiré sa
veste, allumé un cigare et demandé aux membres de l’équipe de quoi ils avaient
envie de parler.
* Le titre de l’ouvrage vient du mythe grec d’Icare, qui a volé si près du soleil que
la cire de ses ailes a fondu et qu’il est mort en tombant dans la mer.
* Une société célèbre, qui est le chef de file dans son domaine depuis de
nombreuses années, fait élire son directeur général par des cadres supérieurs, qui
procèdent par vote secret. J’ai demandé à plusieurs groupes de gens d’affaires de
tenter de deviner quelle était cette société. Rares sont ceux qui ont donné la bonne
réponse. Il s’agit de McKinsey & Company, dont le directeur général est élu pour
un mandat de trois ans. Cela semble avoir été bénéfique pour McKinsey. Est-ce que
les consultants de cette entreprise ont déjà proposé cette approche à leurs clients ?
* Voir Managers, Not MBAs (Mintzberg 2004, p. 1-194) (paru en français en 2005
sous le titre Des managers, des vrais ! Pas des MBA), y compris le rapport d’une
étude menée par Joseph Lampel et moi-même (p. 114-119). Nous avons suivi sur
plus de 13 ans 19 directeurs généraux vedettes formés à l’école de gestion de
l’Université Harvard (Ewing, 1990). Dix d’entre eux ont échoué (la société a fait
faillite, le PDG a été remercié, une fusion importante a raté, etc.) et 4 ont connu un
rendement tout au plus discutable. Seulement 5 semblaient avoir réussi.
Dédicace

Je dédie cette édition de Gérer dans l’action à Berrett-


Koehler*, une organisation engageante.
Steve Piersanti était président d’une division très efficace
d’une grande maison d’édition lorsque, dans le cadre d’une
rationalisation des coûts, on lui a demandé de réduire son
personnel de 10 %. Il a refusé en faisant valoir que son unité
fonctionnait bien et que, contrairement aux autres, elle n’avait
pas le problème de roulement de personnel qui rendait la
coupe plus facile. Lorsque des auteurs et des fournisseurs ont
appris qu’il avait été licencié, ils l’ont encouragé à lancer sa
propre maison d’édition et lui ont offert leur soutien. Steve a
alors fondé Berrett-Koehler.
Il s’agit là d’une maison d’édition différente. Il y a très peu de
roulement de personnel. Une bonne partie des employés,
dévoués et efficaces, sont là depuis plusieurs années. Ils
croient aux livres plus qu’aux ventes, aux causes plus qu’à la
valeur des actions, et aux idées des auteurs plus qu’à leur
réputation. L’énoncé de mission de Berrett-Koehler – Créer un
univers qui fonctionne pour tout le monde – se reflète dans les
ouvrages que cette maison produit et dans son fonctionnement
interne. À preuve, lorsqu’elle a eu besoin de financement et
s’est tournée vers ses auteurs, 60 d’entre eux en ont acquis des
parts.
La maison Berrett-Koehler consulte ses auteurs sur chaque
aspect de leurs ouvrages, y compris la conception graphique.
En fait, elle organise pour chaque auteur une journée spéciale
où celui-ci discute de son ouvrage avec un groupe enthousiaste
d’éditeurs, de concepteurs, de producteurs, de spécialistes du
marketing, de responsables des droits à l’étranger, et bien
d’autres. Le point culminant est le « lunch avec l’auteur »
auquel participent tous les employés présents au bureau ce
jour-là et un certain nombre d’invités, et pendant lequel
l’auteur présente son livre. J’ai changé le titre d’un de mes
ouvrages à la suite des commentaires faits par un représentant
d’une chaîne de librairies à l’occasion d’un tel lunch.
Le nom Piersanti & Company a été rejeté d’emblée. Les deux
fondateurs, Steve et sa femme, ont plutôt fouillé dans leur
généalogie. Après avoir envisagé plusieurs possibilités, ils ont
opté pour Berrett, le nom de l’arrière-grand-mère de Steve, et
Koehler, celui du grand-père de sa femme.
Steve Piersanti n’est pas un leader héroïque. C’est un
gestionnaire engagé, discret et modeste, mais très déterminé. Il
n’est pas un suiveur : Berrett-Koehler a publié des ouvrages
que de grandes maisons d’édition ont refusés.
Je suis fier d’être un auteur de Berrett-Koehler Publishers, Inc.
et de faire partie de sa communauté des propriétaires.

* NDLT : Berrett-Koehler Publishers, Inc. est la maison d’édition ayant publié la


version originale anglaise du présent ouvrage.
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Une bibliographie plus complète est disponible dans Gérer


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Index

A
Adams, Brian, 14, 43, 57, 77, 80, 86, 87, 110, 127
Administration des affaires, 228
Agenda, 32, 35, 58, 94
Alimentation informationnelle, 39
Alinsky, Saul, 148
ALP
programme de formation_, 231
Aptitude(s)
d’interprétation, 87
de négociation, 132
Arrogance, 177, 179, 199, 228
Aspect humain, 67
Association(s) professionnelle(s), 43
Autoanalyse, 206
Autoformation, 232, 256
Autogestion, 94, 230
Autonomie du développement, 232

B
Banque Royale du Canada, 14, 17, 57, 77, 102, 130, 182
Barnard, Chester, 89, 182
Becoming a Manager (Hill), 134
Bennis, Warren, 54
Benz, Jacques, 14, 15, 17, 84, 85, 121, 129
Bombardier, 43, 57, 77, 80, 86, 87, 110, 127
Boyatzis, Richard, 236
Brauman, Rony, 14, 79, 103, 115, 116, 121, 126
British Telecom (BT), 14, 15, 17, 86, 113, 114, 131, 216
Brook, Peter, 204
Burchill, Allen, 14, 62
Business Roundtable, 225, 226

C
Cabine téléphonique (La), Montréal, 14
Cadre supérieur, 30, 100, 105, 109, 129, 130, 158, 162, 173-175, 179, 225
CBC (Canadian Broadcasting Channel) Radio, 14, 90, 108
Centre nerveux, 61, 72, 87, 91, 164
Charam, R., 195
Charge de travail, 33
Cleghorn, John, 14, 17, 57, 60, 77, 102, 106, 130, 182
CoachingOurselves, 70, 232
Coe, Peter, 14, 114
Colvin, G., 195
Communication, 49, 55, 59, 60, 69, 95, 117, 121, 126, 127, 129, 130, 133, 157,
197, 207, 208
aspects de la_, 48
aspects non verbaux de la_, 40
informelle, 29, 37
mode de, 46
moyens de_, 207
non verbale, 94
orale, 94
rôle de la_, 63, 120
Communication-persuasion, 78, 79
Confiance en soi, 176, 177
conflit de la_, 176, 177, 205
Connexion, 204, 238
dilemme de la_, 156, 158, 159, 204, 205, 214
Conseil(s), 12, 92
d’administration, 174
d’expert, 43
de l’extérieur, 132
Contact(s), 32, 38, 40, 43, 48, 49, 71, 72, 89, 157, 158, 162, 206
entrer en_, 127
réseau(x) de_, 43, 77, 133
temps de_, 42
Continuité, 182, 183
Contrôle, 29, 44, 45, 48, 53-55, 57, 59, 63-66, 69, 71, 72, 83, 93, 95, 96, 105,
110, 114, 118, 128-130, 132, 140, 157, 162, 170, 175, 214, 215
à distance, 127, 128, 136
illusion du_, 48
paradoxe du_, 173, 174
Créativité, 20, 88
Croix-Rouge, 14, 60, 64, 78, 99, 102, 112, 182, 216
Culture(s), 10, 72, 73, 75, 102, 106, 124, 129, 136, 143, 210
consolidation de la_, 128
d’entreprise, 56
de l’organisation, 73, 129, 223
de stratégies, 152
développement de la_, 94
différentes, 102
établissement de la_, 218
nationale, 100
renforcement de la_, 72

D
Davis, Sandy (Sandra), 14, 76, 113, 155
Délégation, 65, 94, 163, 165
dilemme de la_, 42, 163, 214
Des managers, des vrais! Pas des MBA (Mintzberg), 205
Dilemme de la connexion, 156, 158, 159, 204, 205, 214
délégation, 65, 94, 163, 165
Drucker, Peter, 11, 19, 44, 189, 237
Dynamisme, 113

E
Efficacité, 11, 21, 176, 201, 202, 219, 220, 222-225
mesures d’_, 224
opérationnelle, 183
Eliot, T.S., 210
EMBA, Université de Toronto, programme de_, 188
Empty Space, The (Brook), 204
Énoncé de gouvernance d’entreprise, 226
Énoncé sur la responsabilité d’entreprise, 225
Executive and His Control of Men, The (Burton), 191
Experts-conseils, 91, 105, 179
F
Famille(s) organisationnelle(s), 187, 192, 194, 201
Fayol, Henri, 53, 138
Female Advantage: Women’s Ways of Leadership, The, 115
Flexibilité, 183
Follett, Mary Parker, 72, 217
Fonction(s) commerciale(s), 230, 231

G
Gendarmerie Royale du Canada (GRC), 14, 60, 62, 73, 107, 108, 122, 129, 143
General Motors, 139
Gestion,
aspects sociaux de la_, 212
constructive, 138, 142
créativité dans la_, 20, 88
de l’action, 69, 82, 89
de projets, 86, 94
déséquilibres en_, 196, 197
distribuée, 138, 141
diversité de la_, 10, 99, 100, 145
efficace, 19, 51, 119, 187-189, 208, 238
engageante, 213, 214
hors cadre, 101, 130-132, 136, 175
maximale, 138, 139
minimale, 138, 144
mythes à propos de la_, 9, 11, 12, 16
par équipe, 140
paradoxes de la_, 10, 25, 34, 145, 147, 149, 156, 158, 159, 163, 165, 166, 170-
174, 176-178, 183-186, 196, 204, 205, 209, 212, 216
partagée, 138, 140
participative, 111, 138, 139
proactive de projets, 84-86
styles de_, 11, 111, 112, 118, 119, 121, 214
Gestionnaire(s),
autorité du_, 212
compétence du_, 25
développement des_, 187, 230
intermédiaire, 30, 100,130, 173, 175
modeste, 176-178
nouveau_, 133
pressions que subissent les_, 27, 28, 49, 51, 79, 81, 100, 103, 124, 147, 149,
173-176, 195, 207, 211, 232
réticent, 133-135
qualités du_, 10, 188, 190, 191, 199, 219
sélection des_, 219-221
style individuel du_, 101, 111, 113, 120-122, 133
Gilding, Paul, 14, 15, 103, 113, 128
Gosling, Jonathan, 182
Gowin, Enoch Burton, 191
Greenpeace International (Amsterdam), 14, 15, 102, 103, 113, 128
Grove, Andy, 65, 95, 171
GSI, Paris, 14, 15, 17, 84, 121, 129
Gullet, Abbas, 14, 64, 78, 87, 102, 112, 113, 125, 182

H
Habilitation, 69, 70, 139, 212, 214, 233
des employés, 111
Harvard Business Review, 54, 122, 209
Haslam, Carol, 14, 56, 78, 80, 90, 104, 120-122, 126
Haute direction, 13, 42, 87, 104, 126, 163, 174
Hawkshead Ltd., Londres, 14, 56, 78, 80, 90, 126
Helgesen, Sally, 115,
Hill, Linda, 21, 71, 82, 134
Hohnen, Paul, 14
Hôpital général juif, Montréal, 14
Hôpital St. Charles, NHS, Londres, 14
Hôpital St. Mary’s, NHS, Londres, 14
Humble, Ralph, 14
Huy, Quy, 108

I
Icarus Paradox, The (Le paradoxe d’Icare) (Miller), 200
IMHL (Maîtrise internationale pour le leadership en santé), 231, 232
IMPM (Maîtrise internationale pour gestionnaires en exercice), 149, 202, 212,
215, 228, 230-232
Inkster, Norman, 13, 14, 60, 74, 107, 108, 122, 129, 143
Intégration, 19, 202, 217
sociale, 202, 217
Intel, 65, 95, 171
IKEA, 155, 192
Insead, 108
Irwin, Gordon, 13, 14, 76, 107, 158, 234

J
Johnson & Johnson, 84, 87
Join-Diéterle, Catherine, 14, 82, 115, 121

K
Kamprad, Ingvar, 192
Keynes, John Maynard, 183

L
Lavoie, Fabienne, 14, 15, 77, 96, 112, 122, 125, 161
Leadership, 11, 16-18, 24, 38, 42, 44, 68, 69, 75, 141, 189, 212-214, 217, 220,
228, 233, 235-238
en santé, 231
engagé, 143
héroïque, 111, 177
Livingston, J. Sterling, 157

M
Macrodirection, 18, 91, 196
Macrogestion, 63
Magic Number Seven, Plus or Minus Two: Some Limits on Our Capacity for
Processing Information (Miller), 154
Maîtrise internationale pour gestionnaires en exercice (IMPM), 149, 202, 212,
215, 228, 230-232
Maîtrise internationale pour le leadership en santé (IMHL), 231, 232
March, Jim, 17
McLuhan, Marshall, 48
Médecins sans frontières, 14, 79, 103, 115, 116, 126
Microgestion, 63, 85, 91, 156, 162
Miller, Danny, 200
Ministère de la Justice du Canada, 14, 112, 133, 135
Mintzberg, Max, 14, 102, 106, 124, 125
Mishina, Kaz, 212
Musée de la mode et du costume, Paris, 14, 82, 115

N
National Health Service (NHS), Angleterre, 14, 107, 114
New Jersey Bell, 89
Nichol, Duncan (Sir), 14
No Single Thread : Psychological Health in Family Systems (Lewis), 201
Noël, Alain, 57

O
Omollo, Stephen, 14, 60, 64, 102, 125, 158, 160, 182
Orchestre symphonique de Winnipeg, 14, 16, 74, 75, 100
Organisation mondiale de la Santé (OMS), 55
Organizations in Action (Thompson), 183

P
Paradoxe(s)
de la gestion, 10, 25, 34, 145, 147, 149, 156, 158, 159, 163, 165, 166, 170-174,
176-178, 183-186, 196, 204, 205, 209, 212, 216
du contrôle, 173, 174
Paradoxe d’Icare, Le (The Icarus Paradox) (Miller), 200
Parc national de Banff, 13, 14, 43, 76, 107, 158, 234
Parcs Canada, 14, 76, 113, 151, 155
Patwell, Beverley, 119
Persuasion, 118, 134, 214
communication-, 78,79
techniques de_, 96
Peters, Tom, 53, 92, 170
Plan directeur, 71
Planification, 28, 35, 36, 55, 57, 58, 67, 94, 131, 150, 151, 153, 175
difficulté de la_, 149, 152, 205
du profit, 65
du travail, 58
formelle, 99, 130
stratégique, 21, 67, 150, 151
Porter, Michael, 53, 92, 150
Practice of Management, The, 44
Pression(s), 27, 28, 49, 51, 79, 81, 100, 103, 124, 147, 149, 173-176, 195, 207,
211, 232
externes, 143
incessantes, 10
inhérentes au milieu de travail, 36
temporaires de la gestion, 110
Prise de décisions, 54, 64-66, 69,72, 82, 95, 111, 128, 143
Proaction, 202, 214-217
Programme (s)
ALP, 231
de formation pour gestionnaires, 228-233
EMBA (Université de Toronto), 188
IMHL (Maîtrise internationale pour le leadership en santé), 231, 232
IMPM (Maîtrise internationale pour gestionnaires en exercice), 215, 230, 231

Q
Quantité de travail, 30

R
Réalité(s) opérationnelle(s), 163
Réflexion
groupe de_, 232
processus de_, 64
stratégique, 94
Relation(s)
hiérarchique(s), 42
interpersonnelle(s), 195
Réseau(x) de contacts, 43, 77, 133
Réseautage, 49, 77, 78, 94, 137, 219, 231
Ressources humaines, 66, 224, 235
Rise and Fall of Strategic Planning, The (Grandeur et décadence de la
planification stratégique), 151
Rivard, Glen, 14
Royal Shakespeare Company, 204
Rules for Radicals (Alinsky), 148

S
Sayles, Leonard, 44
Sheen, Ann, 14, 112, 121, 155
Simon, Herbert, 54
Singer, Isaac Bashevis, 215
Sloan, Alfred, 139
Stratégie(s), 57, 83, 85, 91-93, 120, 122, 130, 137, 142, 149, 150-155, 159, 163,
170, 213, 218
Superficialité, 34, 147, 148
syndrome de la_, 34, 147, 149, 196, 205
Système de gestion de l’information (SGI), 37

T
Tate, John, 14, 112, 133, 135
Taylor, Frederick, 21
Thick, Michael, 14, 112, 128
Thompson, James D., 183
Tovey, Bramwell, 14, 16, 17, 64, 74, 75, 79, 100, 104, 111, 121, 122, 125, 158
Travail du gestionnaire
charge de_, 33
quantité de_, 30
Transmission, 78
des stratégies, 130
liaison par la_, 79
voie de_, 80
volume de_, 47

U
Université Case Western Reserve, 236
Université de Toronto, École de gestion, 188, 192
Université Harvard, École de gestion, 157
Université Stanford, École de gestion, 17

V
Waking Up IBM : How a Gang of Unlikely Rebels Transformed Big Blue
(Hamel), 142
Wall Street, 54
Ward, Doug, 14, 90, 108
Webb, Stewart, 14, 112, 128, 134, 135
Whelan, Alan, 14, 15, 17, 86, 113, 114, 131, 216

Z
Zincan, Charlie, 14, 43, 76
À propos de l’auteur

En 1979, Henry Mintzberg a publié The


Structuring of Organizations, un livre qui
faisait 512 pages. En 1983, il a publié les
mêmes idées sous le titre Structure in Fives
en deux fois moins de mots. De ses seize
ouvrages, c’est le plus vendu. (Parmi ses
ouvrages, on compte Des managers, des
vrais ! Pas des MBA [2005], Le
management : voyage au centre des organisations [1989] et
Grandeur et décadence de la planification stratégique [1994].)
En 2010, il a publié Gérer (tout simplement). Gérer dans
l’action en est un condensé pour gens pressés.
Après avoir étudié le génie mécanique à l’Université McGill,
Henry Mintzberg a travaillé en recherche opérationnelle pour
la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, avant
de recevoir son diplôme de maîtrise ès sciences et son doctorat
de la Sloan School of Management du MIT. Depuis, il
enseigne à la faculté de gestion de l’Université McGill et il est
récemment devenu titulaire de la chaire Cleghorn. Il a
également été professeur invité de l’Université Carnegie
Mellon, de l’Université d’Aix-Marseille, de HEC Montréal, de
la London Business School, de l’Insead et d’autres universités.
Henry Mintzberg a reçu des prix d’associations universitaires
et professionnelles importantes, dont l’Academy of
Management, la Strategic Management Society, et
l’Association of Management Consulting Firms. Il est le
premier membre d’une faculté de gestion à avoir été élu à la
Société royale du Canada, et il est officier de l’Ordre du
Canada et de l’Ordre national du Québec. Il a également reçu
dix-huit diplômes honorifiques d’universités du monde entier.
Depuis une vingtaine d’années, il travaille avec des collègues
de l’Université McGill et d’autres établissements sur une
famille de programmes de formation qui permettent aux
gestionnaires d’apprendre tout en réfléchissant en petits
groupes à leur propre expérience : la Maîtrise internationale
pour gestionnaires en exercice (IMPM) (www.impm.org), la
Maîtrise internationale pour le leadership en santé (MILS) et le
programme ALP (www.alp-impm.com). Ces programmes ont
d’ailleurs mené à la création d’un site d’autoformation,
www.coachingourselves.com/fr, grâce auquel les gestionnaires
apprennent à devenir des agents de changement au sein de leur
organisation.
Henry Mintzberg termine une monographie intitulée
Managing the Myths of Health Care, et travaille à une série de
textes électroniques intitulée Rebalancing Society : Radical
Renewal beyond Left, Right, and Center. Les deux ouvrages
seront publiés sur le site www.mintzberg.org avant d’être
édités sous d’autres formes. Lorsqu’il ne travaille pas, il passe
son temps à échapper aux organisations en patin, en ski, à
pied, en vélo et en canot, le plus souvent dans la nature
canadienne.
Le livre-source
Le livre Gérer (tout simplement) est à
l’origine du présent ouvrage. Sur 376 pages
bien remplies, Henry Mintzberg y
décortique, grâce à l’étude exhaustive de 29
gestionnaires, l’infinie diversité de la gestion
ainsi que ses paradoxes inéluctables, et
propose sa propre vision d’une gestion
efficace. De nombreuses réflexions
nourrissent son propos.

À la fois compatissant et iconoclaste, Gérer


(tout simplement) est un ouvrage
remarquable qui trace un portrait réaliste et
tout en nuances de la gestion aujourd’hui.

Gérer (tout simplement)


Henry Mintzberg
376 pages

www.tcmedialivres.com

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