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Henry Mintzberg - Gérer Dans L'action
Henry Mintzberg - Gérer Dans L'action
2. La gestion incessante
Les pressions de l’exercice de la gestion
Il y a savoir et savoir
L’effet Internet
Un chaos calculé
6. La gestion efficace
L’essence de la gestion
Les qualités du gestionnaire prétendument efficace
Le gestionnaire inévitablement imparfait
Les familles organisationnelles dirigées de façon
malheureuse
Les familles organisationnelles bien dirigées
La sélection des gestionnaires efficaces
L’évaluation de l’efficacité en matière de gestion
Le développement efficace des gestionnaires
La gestion, tout naturellement
Dédicace
Bibliographie
Index
À propos de l’auteur
Bienvenue dans Gérer dans
l’action
La gestion incessante
Les pressions de l’exercice de la
gestion
Jetez un œil sur les images populaires de la gestion (le chef
d’orchestre à son pupitre, le cadre à son bureau dans les
caricatures du New Yorker), et vous verrez qu’elles la
présentent comme un travail bien ordonné, en apparence
soigneusement maîtrisé. Observez des gestionnaires à l’œuvre,
et vous verrez quelque chose de très différent : le rythme est
démentiel, les interruptions sont nombreuses, et les tâches sont
plutôt des réactions que des initiatives.
Ce chapitre décrit les caractéristiques dynamiques de la
gestion : la manière dont les gestionnaires travaillent, les gens
avec qui ils travaillent, à quel rythme ils travaillent, et ainsi de
suite. Une bonne partie des données provient d’études
effectuées il y a un certain temps, mais des recherches plus
récentes suggèrent qu’elles sont toujours d’actualité (par
exemple, Hales, 2001 et Tengblad, 2006).
Présentée dans mon premier ouvrage en 1973, cette
description n’aurait dû surprendre quiconque a passé une
journée dans le bureau d’un gestionnaire. Pourtant, elle a
touché une corde sensible chez beaucoup de gens, surtout des
gestionnaires, sans doute parce qu’elle remettait en question
certains des mythes les mieux ancrés. Quand je présentais mes
conclusions à des groupes de cadres, j’obtenais invariablement
le commentaire suivant : « Vous me rassurez ! J’imaginais les
autres en train de planifier, d’organiser, de coordonner et de
contrôler, pendant que moi, j’étais continuellement interrompu
et que je passais d’un dossier à un autre, tout en essayant de
maîtriser le chaos ».
Il y a savoir et savoir
Pourquoi ces personnes réagissaient-elles ainsi à des choses
qu’elles connaissaient pourtant ? Selon moi, c’est parce que la
connaissance se manifeste de deux façons chez l’être humain.
D’abord, nous savons certaines choses de manière consciente,
explicite ; nous pouvons les verbaliser, souvent parce que nous
avons beaucoup lu sur le sujet ou en avons amplement entendu
parler. Ensuite, nous savons certaines choses de manière
viscérale, tacite, par expérience.
Pour bien fonctionner, il faut employer ces deux formes de
savoir. Elles doivent se renforcer mutuellement. Cependant,
dans le domaine de la gestion, il arrive souvent qu’elles
s’opposent l’une à l’autre, perpétuant ainsi une série de mythes
– les idées reçues sur la planification, l’organisation et ainsi de
suite – qui vont à l’encontre des réalités de la gestion
quotidienne.
Pour faire évoluer de façon notable le travail de gestion, il
faut combiner sa réalité tacite avec sa représentation
explicite. C’est ce que ce chapitre se propose de faire en
traitant les thèmes suivants : le rythme soutenu de la gestion ;
la brièveté, la variété et la discontinuité de ses activités ; la
propension à l’action ; la préférence pour les communications
informelles et verbales ; la nature horizontale du travail (avec
collègues et partenaires) ; et le contrôle tacite plutôt
qu’explicite.
Le rythme
Les études font régulièrement état du rythme soutenu du
travail de gestion, que ce soit dans le cas d’un contremaître
dont les activités durent en moyenne 48 secondes (Guest,
1955-1956, p. 478), d’un gestionnaire intermédiaire qui
parvient à travailler une demi-heure ou plus sans interruption
environ une fois tous les deux jours (Stewart, 1967) ou d’un
cadre supérieur dont la moitié des nombreuses activités durent
moins de neuf minutes (Mintzberg, 1973, p. 33). « Depuis les
années 1950, plus d’une quarantaine d’études s’intéressant à la
gestion ont montré que les cadres passent le plus clair de leur
temps à courir à gauche et à droite. » (McCall, Lombardo et
Morrison, 1988, p. 55).
Dans ma première étude, j’ai noté que le rythme de travail des
directeurs généraux était implacable. Depuis leur arrivée au
bureau le matin jusqu’à leur départ le soir, ils étaient sans
cesse sollicités par le téléphone et le courrier. Ils faisaient leurs
pauses et prenaient inévitablement leurs repas dans un
contexte lié au travail, et les gens autour d’eux ne se gênaient
pas pour les envahir dans leurs moindres moments libres. Un
d’eux m’a dit : « La gestion, c’est une sacrée affaire après
l’autre. »
La quantité de travail que le gestionnaire doit ou choisit de
faire dans sa journée, est considérable ; même après les heures
de bureau, le cadre supérieur demeure esclave des situations
qui relèvent du pouvoir rattaché à sa fonction et de sa
prédisposition à s’inquiéter des problèmes non résolus.
Cette attitude découle en partie de la durée et de la nature
indéterminée du travail de gestion. S’il est responsable du
succès de l’unité, le gestionnaire n’a aucun point de repère
tangible qui lui permet de dire : « Voilà, ma tâche est
accomplie. » L’ingénieur termine la conception d’un pont à
une certaine date ; l’avocat gagne ou perd une cause à un
moment donné. Le gestionnaire, lui, n’a pas le loisir de
s’arrêter, car il ne sait jamais avec certitude si l’affaire est dans
le sac ou sur le point de basculer. Par conséquent, la gestion
est un travail préoccupant : le gestionnaire ne peut
échapper à son travail ni connaître le plaisir de savoir,
même pendant un court moment, qu’il ne reste rien à faire.
L’action
Les gestionnaires aiment l’action, les activités qui changent et
qui s’enchaînent ; ils adorent les tâches qui sont concrètes et
d’actualité sans être routinières. En général, ils ne passent pas
beaucoup de temps à débattre d’enjeux abstraits ; la plupart
préfèrent s’attaquer à des problèmes précis. Rares sont ceux
qui font de la planification générale ou qui visitent des
installations sans avoir au préalable un objectif bien établi.
Cela s’observe même dans leur emploi du temps. « On ne
devrait jamais demander à un cadre débordé de s’engager à
faire quelque chose pour la semaine prochaine ni même pour
vendredi prochain. Il n’inscrit pas de demandes aussi vagues
dans son agenda. Il faut être plus précis (par exemple,
vendredi à 16 h 15). Il notera alors le rendez-vous et réalisera
la tâche en temps opportun. » (Carlson, 1951, p. 71)
Le gestionnaire aime avoir de l’information actuelle. Il lui
accorde souvent la priorité et va même jusqu’à interrompre des
réunions, à réorganiser son emploi du temps et à déclencher un
tourbillon d’activités pour y donner suite. Bien sûr, cette
information est parfois moins fiable que celle qui a été mûrie,
analysée et comparée avec d’autres données. Mais c’est un
prix que le gestionnaire est prêt à payer pour obtenir les
renseignements les plus récents.
S’il a une telle propension à l’action, comment le gestionnaire
peut-il planifier ? À cet égard, les propos de Leonard Sayles
méritent d’être cités :
Nous […] préférons ne pas considérer la
planification et la prise de décisions comme des
activités distinctes. Elles sont inextricablement liées
l’une à l’autre dans la trame des contacts et des
interactions […]Dean Acheson rapporte que son
successeur au poste de secrétaire d’État, [John
Foster] Dulles, lui avait dit qu’il allait travailler
différemment, « qu’il allait se libérer de ce qu’il
appelait les problèmes d’administration et de
personnel afin d’avoir plus de temps pour penser.
[…] Cette manie de vouloir assimiler le gestionnaire
à l’Homme pensant d’Emerson, entouré de statues
de Rodin […] me semble anormale. Assurément,
penser ne peut être si difficile, si inaccessible et si
solennel. » (1964, p. 208-209)
Donc, la vraie planification se déroule dans la tête des cadres
et, de manière implicite, dans le contexte de leurs activités
quotidiennes. Il ne s’agit pas d’un processus abstrait qui se
déroule à huis clos, dans des endroits retirés, ou d’une pile de
formulaires à remplir. Pour conclure, les pressions inhérentes
à son milieu de travail n’encouragent pas le gestionnaire à
devenir un « planificateur réfléchissant », quoi qu’en dise
la littérature. Par la force des choses, il est plutôt un
manipulateur d’information adaptable qui aime les
situations concrètes.
L’information parallèle
Plusieurs études, dont la mienne, démontrent que de 60 % à
90 % du travail de gestion se fait verbalement. Un des PDG
que j’ai observés a jeté un œil sur la première enveloppe qu’il
avait reçue pendant la semaine (un rapport sur les coûts) et l’a
mise de côté en disant : « Je ne regarde jamais ça. » Un autre
gestionnaire m’a affirmé : « Comme vous le voyez, je n’aime
pas écrire des mémos. Je préfère de loin le contact en
personne. »
Contrairement aux autres types de travailleurs, le gestionnaire
ne met pas un terme à un appel, à une réunion ou à la
rédaction d’un courriel pour retourner au travail. En effet,
ces contacts constituent son travail. Sa productivité se
mesure plutôt en fonction de l’information qu’il transmet
verbalement ou par courriel. Comme le disait Jeanne Liedtka,
de la Darden School, au cours d’une conférence à laquelle j’ai
assisté : « La parole est la technologie du leadership. »
Les gestionnaires semblent donc apprécier l’information
parallèle, une découverte que j’ai faite dans mes recherches.
Les potins, les ouï-dire et les suppositions occupent une
place importante dans l’« alimentation informationnelle »
de ces cadres. La raison semble être sa rapidité de diffusion :
la rumeur d’aujourd’hui sera peut-être la réalité de demain. Le
gestionnaire qui néglige un courriel lui signalant que le client
le plus important de sa boîte a été vu en train de jouer au golf
avec son principal concurrent l’apprendra à ses dépens
lorsqu’il constatera, à la lecture du rapport trimestriel, que les
ventes de son entreprise ont périclité. À ce moment-là, il sera
peut-être trop tard pour intervenir. Comme me l’a dit un
gestionnaire : « Je serais dans de sales draps si en consultant
les documents comptables je trouvais de l’information que je
ne connais pas » (dans Brunsson, 2007, p. 17).
Songez à ces paroles de Richard Neustadt, qui a étudié les
modes de collecte de renseignements des présidents Roosevelt,
Truman et Eisenhower :
Ce n’est pas l’information générale qui permet à
un président de se faire une idée des grands
enjeux ; ce ne sont ni les résumés, ni les
sondages, ni les « amalgames insipides ». Ce
sont plutôt les détails tangibles glanés ici et là.
Une fois reconstitués dans son esprit, ils
illuminent la face cachée des enjeux. Pour
parvenir à ses fins, le président doit ratisser le
plus large possible, afin de rassembler toutes les
bribes de faits, d’opinions et de rumeurs qui sont
liés à ses intérêts et à ses relations. Il lui faut
devenir le directeur de sa propre agence de
renseignements. (1960, p. 153-154)
L’information formelle est objective, définitive, voire
concrète. Quant à l’information parallèle, elle est souvent
beaucoup plus riche, même si elle est moins fiable. Au
téléphone, on peut tirer bien des renseignements à partir du ton
de la voix de l’interlocuteur, et on a la possibilité d’interagir.
Dans les réunions, les expressions faciales et la gestuelle des
autres peuvent nous apprendre pas mal de choses. Il ne faut
jamais sous-estimer ces éléments. Quant au courriel, même s’il
n’offre pas ces avantages, il est beaucoup plus rapide que le
courrier traditionnel, donc plus interactif.
L’effet Internet
S’il est un changement qui aurait dû avoir beaucoup d’effet sur
les caractéristiques de la gestion au cours des dernières années,
c’est évidemment Internet, et surtout le courriel, mode de
communication qui a fait exploser la vitesse de l’information
et le volume de transmission. L’incidence de cet outil sur la
gestion est-elle aussi forte qu’on le pense ?
On serait porté à le croire à en juger par la quantité de
courriels qui circulent et l’omniprésence des appareils
mobiles. La question est de savoir si Internet a transformé les
bases de la gestion. Il existe peu de données sur ce sujet, mais
la réponse semble être oui et non.
Non, parce qu’Internet renforce les caractéristiques mêmes de
la gestion telle qu’on l’exerce depuis longtemps. Et oui, parce
qu’Internet est peut-être en voie de faire basculer certains
éléments de l’exercice de la gestion.
Mieux informés qu’avant, certains gestionnaires sont en
mesure de communiquer plus rapidement, et peuvent
développer des organisations plus rapides et plus
concurrentielles. D’autres passent à l’action sans trop
réfléchir ; ils se conforment davantage que les premiers aux
règles, mais analysent moins.
Un chaos calculé
Dans ce chapitre, j’ai présenté les caractéristiques de la gestion
telle qu’elle se pratique depuis toujours. Faut-il comprendre de
tout cela que la gestion actuelle est inefficace ? Pas du tout.
Ces caractéristiques sont normales, mais il reste qu’au-delà de
certaines limites, l’exercice de la gestion peut devenir
dysfonctionnel. Nous connaissons tous des gestionnaires qui
ont perdu la tête. Il est possible qu’une situation normale
devienne tout à coup explosive.
La gestion, même normale, n’est pas une sinécure. Dans un
commentaire publié dans le New York Times sur ma première
étude, Andrews (1976) emploie deux expressions qui évoquent
bien, selon moi, la nature du travail : « chaos calculé » et «
désordre contrôlé ». Elles rendent compte de la nuance qui
caractérise la gestion efficace, par comparaison avec le « chaos
déroutant » des « gestionnaires naïfs » (Sayles, 1979, p. 19).
Sur ce, enchaînons avec la description du travail de gestion.
Nous reviendrons au chapitre 5 sur les moyens dont disposent
les gestionnaires pour remédier aux pressions.
Chapitre 3
La gestion de l’information,
des gens et de l’action
Un modèle de gestion
La plupart des gourous considèrent le travail du gestionnaire
comme un ensemble de composantes plutôt que comme un
tout intégré. C’est en nous penchant sur cette conception que
nous commencerons ce chapitre. Nous proposerons ensuite un
modèle qui positionne les parties dans l’ensemble en
représentant la gestion sur trois plans : celui de
l’information, celui des gens et celui de l’action. Dans la
dernière section, nous décrirons en quoi consiste l’exercice de
la gestion équilibrée.
La formulation et la planification
La formulation concerne la façon dont le gestionnaire aborde
son travail : il traite d’enjeux et élabore des stratégies. La
formulation fournit le contexte de travail au personnel de
l’unité. Alain Noël (1989) fait référence à ce concept en
parlant d’une préoccupation (par comparaison à l’occupation,
soit ce que le gestionnaire fait en réalité) qui peut devenir une
« terrible obsession ».
Brian Adams, directeur du programme Global
Express de Bombardier, avait une terrible
obsession et il s’était vu imposer cette mission
par la haute direction : il devait « voler » avant
le mois de juin. À l’inverse, John Cleghorn,
président de la Banque Royale du Canada, était
aux prises avec une gamme de préoccupations
relatives au perfectionnement et à la réussite de
la société.
La planification du travail occupe une place de premier plan
chez le gestionnaire qui accorde inévitablement beaucoup
d’attention à son agenda. Il y a plus d’un demi-siècle, Sune
Carlson remarquait d’ailleurs que les gestionnaires souffraient
du « complexe de l’agenda » (1951, p. 71). La planification
est importante, car elle détermine ce que le gestionnaire a
l’intention d’accomplir et lui permet d’avoir une certaine
marge de manœuvre.
De plus, l’agenda du gestionnaire peut avoir un impact
important sur chaque membre de l’unité. Ce qui est inscrit à
l’agenda est de première importance pour l’unité. En fait,
lorsque le gestionnaire prépare son agenda, il organise non
seulement son propre emploi du temps, mais aussi celui des
gens qui sont sous ses ordres.
La planification correspond à ce que Peters et Waterman
(1982) appellent la « fragmentation », c’est-à-dire le
découpage des préoccupations en tâches distinctes à accomplir
dans un créneau horaire défini. Le problème, évidemment (que
nous examinerons au chapitre 5), est de savoir comment
recomposer ce qui a été fragmenté. Voilà où la formulation
entre en jeu. Si elle est suffisamment précise, elle peut servir à
réunir les morceaux en un tout cohérent.
La gestion de l’action
Si le gestionnaire gère par l’information (c’est-à-dire de
façon conceptuelle et en observant une certaine distance) et
par les gens (c’est-à-dire de façon plus personnelle), il le
fait aussi sur un troisième plan, de manière plus directe,
plus active et plus concrète. Pourtant, les ouvrages sur la
gestion ne parlent guère de cette forme de gestion
comparativement à la direction ou à la prise de décisions.
Les nouveaux gestionnaires de Linda Hill ont fini par
reconnaître cet état de fait. Après quelques mois, quand on
leur demandait ce qu’était un gestionnaire, ils ne répondaient
plus « le patron » ou « la personne qui tient les rênes », mais
plutôt « un conciliateur » et « un spécialiste des
transformations rapides ». (2003, p. 57)
Catherine Join-Diéterle, conservatrice en chef
du Musée de la mode et du costume à Paris,
jouait un rôle important dans l’introduction et
l’examen de nouveaux vêtements. Elle participait
personnellement aux visites du musée et
rédigeait des propositions d’expositions.
Le jargon de la gestion souligne le côté actif du métier. Ainsi,
on dit que le gestionnaire « se fait le champion du changement
», « éteint les feux », « gère des projets », « négocie des
ententes ». Ces actions relèvent tantôt de l’intérieur de l’unité,
tantôt de la transaction avec l’extérieur. Examinons cela de
plus près.
L’action de l’intérieur
Pourquoi dit-on des gestionnaires que ce sont des gens
d’action ? Après tout, certains d’entre eux ne font pas grand-
chose ; il y en a même qui ne font pas leurs propres appels
téléphoniques. En fait, quand on observe un gestionnaire, on
constate généralement qu’il parle et écoute beaucoup, mais
qu’il agit peu.
Dans le contexte de la gestion, agir signifie généralement «
presque faire », c’est-à-dire s’approcher de l’action. Plus
précisément, le gestionnaire fait bouger les choses en les
faisant faire.
Cependant, qu’accomplit-il au juste ? La réponse à cette
question trouve son écho dans ce que l’unité réalise, qu’il
s’agisse d’un produit ou d’un service. La participation du
gestionnaire n’est pas passive : il n’est pas assis derrière à son
bureau à donner des ordres. Prescription n’est pas synonyme
d’action. Et ce n’est pas non plus en concevant des stratégies,
des structures ou des dispositifs qu’il pousse les gens à
l’action ; cela relèverait du contrôle. Sur le plan de l’action, le
gestionnaire participe, s’engage directement, contribue aux
actions qui déterminent les résultats de l’unité.
Il y a quelques années, quand est venu le temps de revoir le
concept de Pampers, le produit le plus important de Procter &
Gamble, c’est le directeur général de la société qui a géré le
projet. De la même manière, lorsque Johnson & Johnson a
connu une crise après qu’un individu eut trafiqué certains
emballages de Tylenol, le PDG est intervenu pour rétablir la
situation (Bennis, 1989). Ces exemples suggèrent qu’il y a
deux facettes au rôle d’action : la gestion proactive de
projets et le traitement réactif des perturbations.
La gestion proactive de projets. Diverses raisons
poussent le gestionnaire à diriger lui-même des projets ou à y
participer. Parfois, c’est pour apprendre : il veut s’informer au
sujet de dossiers importants (sur le plan de l’information).
D’autres fois, c’est pour enseigner : il désire encourager les
membres de l’unité à passer à l’action ou leur montrer
comment les choses doivent être faites (sur le plan des gens).
Enfin, plus couramment, le gestionnaire participe aux projets
parce qu’il se préoccupe des résultats (sur le plan de l’action).
Jacques Benz, directeur général de GSI, participait
activement à une réunion de conception d’une
plateforme pour la poste française. Après avoir
écouté un certain temps, il a dit qu’il fallait « faire
un choix ». Plus tard, il a prodigué quelques conseils
et, à la fin de la réunion, il a insisté sur ce qui devait
être fait à la prochaine rencontre. Lorsqu’on lui a
demandé pourquoi il avait assisté à cette réunion,
Jacques a répondu que le projet établissait un
précédent pour la société, « le début d’une stratégie
».
Évidemment, il est difficile pour un gestionnaire de prendre la
tête de tous les projets de son unité. Cela dit, la théorie
voulant qu’il ne doive rien faire (parce que l’action est
considérée comme de la microgestion) vient d’une
conception stérile du travail : le gestionnaire est installé sur
son estrade, littéralement déconnecté, et énonce
simplement des stratégies que les autres mettent en œuvre.
Comme le rapporte un cadre de l’industrie de la motocyclette :
« Le directeur général d’une firme de conseillers en gestion de
renommée mondiale a tenté de me convaincre qu’il était
préférable que les hauts dirigeants en sachent le moins
possible sur le produit. Cet homme croyait fermement que cela
leur permettait de traiter les affaires de l’entreprise de façon
efficace et détachée. » (Hopwood, 1981, p. 173)
Cette méthode serait peut-être efficace dans un univers où tout
serait simple, mais le nôtre est chaotique. Le gestionnaire doit
donc se mouiller pour savoir ce qui se passe. Une bonne façon
de le faire consiste à participer à des projets particuliers. Les
stratégies ne sont pas élaborées dans des bureaux
déconnectés. Elles s’apprennent grâce à l’expérience
concrète (voir le chapitre 5). Comme Jacques Benz l’a
suggéré, la réalisation d’un projet ne se résume pas à la mise
en œuvre de stratégies ; le projet contribue à la création même
des stratégies. Le gestionnaire déconnecté n’apprend rien et
s’avère souvent, par le fait même, être un piètre stratège.
Dans la plupart des cas, en raison de ses nombreuses
responsabilités, le gestionnaire ne peut se permettre de se
concentrer sur un seul projet – et se laisser aller à cette «
terrible obsession ». Il peut cependant le faire
exceptionnellement, par exemple, lorsqu’une unité est en crise
ou qu’une occasion extraordinaire se présente. Par ailleurs, le
travail de certains gestionnaires, comme Brian Adams, de
Bombardier, consiste justement à se pencher sur des projets en
particulier.
Cela dit, la plupart des gestionnaires s’attaquent à plusieurs
projets de front. Puisque ceux-ci tendent à se faire en plusieurs
étapes et à comporter de nombreux délais, le gestionnaire peut
se pencher sur chacun d’eux de façon intermittente, puis se
tourner vers d’autres préoccupations.
Le traitement réactif des perturbations. Si la gestion de
projets touche essentiellement l’instauration du changement
proactif au sein de l’unité, le traitement des perturbations est,
quant à lui, essentiellement une question de réaction au
changement imposé à l’unité. Un événement imprévu, un
problème trop longtemps ignoré ou la venue d’un nouveau
concurrent peuvent précipiter une crise. Il y a alors
perturbation, et une mesure correctrice est nécessaire.
La journée où je l’ai observé, Alan Whelan, de la
BT, s’est surtout occupé de ce qu’il considérait
comme une perturbation de taille : l’échec de la
signature d’un contrat important. Chez Bombardier,
Brian Adams a dû intervenir auprès d’un «
fournisseur problématique ». Abbas Gullet, lui, a
affronté une crise au centre hospitalier du camp de
réfugiés à la suite de la mise à pied inopportune de
son infirmière en chef.
Lorsque les gestionnaires accèdent à des postes de haute
direction, ils « traitent davantage de situations difficiles que de
problèmes ». Celles-ci « requièrent des aptitudes
d’interprétation » ; elles « ne peuvent être réglées en douceur »
(Farson, 1996, p. 43).
Pourquoi le gestionnaire doit-il être responsable de la
réaction ? D’autres membres de l’unité n’en sont-ils pas
capables ? Bien sûr, et ils le font régulièrement. Toutefois,
certaines perturbations nécessitent l’autorité formelle du
gestionnaire ou l’information dont il dispose en tant que centre
nerveux. De plus, certaines perturbations ne peuvent être
traitées que par le gestionnaire – par exemple, lorsqu’elles
impliquent un intervenant important. Qui plus est, les
problèmes se transforment généralement en perturbations
précisément parce qu’ils sont passés à travers les mailles du
filet : aucun membre de l’unité n’en a assumé la
responsabilité. Par conséquent, le gestionnaire doit s’en
charger. Pour revenir à l’exemple de Johnson & Johnson,
rappelons que le directeur général de la société a
immédiatement pris les choses en main à la suite de la
découverte de poison dans certaines gélules de Tylenol :
Je savais que je pouvais et devais le faire… Je
connaissais bien les médias. J’étais accro des
informations et j’avais négocié avec les réseaux à
plusieurs occasions. Je connaissais les noms des
chefs de pupitre ; je savais avec qui communiquer,
comment aborder le sujet… J’étais dans ce bureau
12 heures par jour. Je demandais conseil à tout le
monde, parce que personne n’avait jamais affronté
ce genre de problème… Nous avons conçu le nouvel
emballage pratiquement du jour au lendemain, alors
qu’en temps normal, le processus aurait duré deux
ans. (dans Bennis, 1989, p. 152-154)
Les histoires de perturbations découlant d’une gestion
incompétente, voire négligente, sont légion. L’envers de la
médaille est moins connu, mais vaut la peine d’être
mentionné : les bouleversements peuvent survenir
naturellement dans toutes les organisations (comme dans
l’exemple de Tylenol). En fait, les organisations efficaces ne
sont pas uniquement celles qui évitent les perturbations,
mais aussi celles dont les gestionnaires sont aptes à les
traiter. En effet, plus l’organisation fait preuve de créativité,
plus elle risque de rencontrer des perturbations. L’organisation
qui ne prend aucun risque évitera peutêtre les perturbations
jusqu’à ce que survienne celle qui scellera sa destinée.
Un autre aspect du traitement des perturbations mérite d’être
abordé. Parfois, un gestionnaire remplace une personne de son
unité, qui est malade, qui est partie brusquement ou qui est
dans l’impossibilité d’accomplir sa tâche. Dans un tel cas, il
prend part aux activités régulières de l’unité. Cela devrait être
considéré comme une partie de son travail de gestion puisqu’il
traite une perturbation engendrée par un événement
exceptionnel.
À l’occasion, le gestionnaire décide, sans raison précise, de
participer aux opérations quotidiennes de son organisation : le
pape dirige la prière, le directeur d’un hôpital fait du travail
clinique le vendredi. Peut-être ont-ils tout simplement envie de
faire ce genre de travail, qui autrement leur manquerait. S’il
est vrai que ces activités ne correspondent pas au travail de
gestion, elles peuvent découler de considérations relatives à la
gestion. Ainsi, en dirigeant la prière, le pape fait figure de
proue, et par son travail clinique, le directeur de l’hôpital
trouve le moyen de demeurer en contact avec les membres de
son unité.
Afin de clore cette discussion sur la gestion de l’action,
Chester Barnard, jadis PDG de New Jersey Bell, a écrit que «
lorsqu’on gère, on ne gère pas l’organisation, mais on effectue
un travail spécialisé qui maintient l’organisation en activité »
(1938, p. 215). Cela semble logique, mais il est difficile de
distinguer une activité de l’autre.
La transaction avec l’extérieur
La transaction est la manifestation externe de l’action. Le
gestionnaire « brasse des affaires » avec l’extérieur, avec des
fournisseurs et des banques, mais également avec d’autres
gestionnaires à l’intérieur de l’organisation. Il est à noter que
le « brassage d’affaires » suggère que le gestionnaire est
souvent déconnecté de l’action, comme c’est le cas du PDG
qui négocie une acquisition dont les autres subiront les
conséquences malheureuses.
Doug Ward, qui dirigeait la station de radio de
la CBC à Ottawa, a fait remarquer que sa
société était devenue « très entrepreneuriale, très
axée sur les transactions », avec une philosophie
du genre « aide-moi et je t’aiderai ».
Le rôle de transaction comporte deux grandes
composantes : la formation de coalitions autour d’enjeux
précis (ou encore, la mobilisation du soutien), puis le
regroupement de ces coalitions et des réseaux établis pour
la conduite de négociations. Ces deux facettes seront abordées
ensemble.
Bon nombre d’actions nécessitent la transaction : par exemple,
le fait de mettre un projet en chantier requiert généralement
beaucoup de négociations avec les fournisseurs, les clients, les
partenaires, les représentants du gouvernement, etc.
En tant que directrice de Hawkshead Ltd., Carol
Haslam devait concevoir des projets faisant
appel à plusieurs réseaux de télévision, parfois
dans le monde entier. Elle présentait ses idées à
des clients potentiels et tentait de les convaincre
que sa société cinématographique pouvait les
concrétiser. Le processus engageait une bonne
dose de réseautage.
Les directeurs de sociétés d’experts-conseils et de sociétés de
haute technologie comme Boeing ou Airbus agissent souvent
comme des vendeurs quand vient le temps de négocier des
contrats avec leurs clients. Ils se chargent ainsi de tâches qui,
dans la majorité des industries, seraient considérées comme
des activités de fonctionnement. Ils doivent cependant s’en
acquitter, car ce sont eux qui ont le statut et l’autorité
nécessaires pour conclure ces ententes. À titre de figure de
proue, le gestionnaire donne plus de crédibilité aux
négociations ; à titre de centre nerveux, il apporte de
l’information qui pèse dans la balance, en position
d’autorité, il fournit les ressources nécessaires en temps
réel.
Trop de microgestion ?
Je conclurai cette section en revenant sur la discussion
touchant la microgestion et la macrodirection. De nos jours, la
macrodirection est peut-être plus problématique. Le
gestionnaire qui n’est pas actif et qui ne fait pas de
transactions avec l’extérieur peut être incapable de
prendre des décisions avisées et d’élaborer des stratégies
solides. En revanche, nous n’avons pas plus besoin de
gestionnaires qui s’agitent et qui ne font que brasser des
affaires. Comme nous le verrons, l’univers de l’action doit être
rattaché à l’univers des gens, qui doit à son tour être relié à
l’univers de l’information.
La gestion équilibrée
D’entrée de jeu, j’ai noté que bien des théoriciens avaient
souligné un aspect de la gestion à l’exclusion des autres.
Maintenant, il est possible de comprendre pourquoi ils ont tort.
Si on tient compte des conseils de l’un d’entre eux seulement,
on court le risque d’appliquer un modèle de gestion désaxé.
Par exemple, le fait d’accepter la vision de Tom Peters, qui
met l’accent sur l’action, peut entraîner une explosion
centrifuge du travail. Dénué de cadre central, celui-ci ira dans
toutes les directions. Par ailleurs, en adoptant la vision de
Michael Porter, on réduit le rôle du gestionnaire à celui d’un
analyste qui se concentre sur la formulation de stratégies. Cela
peut entraîner une implosion centripète ; le travail risque de se
refermer sur lui-même, loin des actions tangibles nécessaires
pour documenter et ancrer les stratégies. La réflexion est
lourde (trop de réflexion peut épuiser un gestionnaire),
tandis que l’action est légère (trop d’action, et le
gestionnaire ne peut rester en place un instant).
Poursuivons : si on met trop l’accent sur la direction, on
risque de faire un travail sans contenu, sans but, sans
cadre et sans action. À l’inverse, si on insiste trop sur la
liaison, les tâches paraîtront détachées de leurs racines et
se résumeront à des opérations de relations publiques. Le
gestionnaire qui se contente de communiquer n’accomplit
rien ; celui qui se concentre exclusivement sur l’action fait
des choses, oui, mais seul. Enfin, celui qui met trop l’accent
sur le contrôle pourrait se retrouver à la tête d’une armée
de « béni-oui-oui ». Le gestionnaire ne doit pas axer son
travail exclusivement sur les gens, l’information ou l’action ; il
lui faut jouer sur les trois plans.
Au risque de verser dans le cliché, je dirai que le gestionnaire
doit faire un travail équilibré. Évidemment, il peut parfois
substituer un rôle à un autre, par exemple en stimulant les
employés par la direction plutôt que par le contrôle. Certes, il
peut accomplir son travail de différentes façons, mais il doit
veiller à intégrer tous ses rôles dans l’exercice de ses
fonctions.
La gestion déséquilibrée est cependant monnaie courante.
Cette situation peut être due à la dissociation de l’action et de
la stratégie, à la rigueur du contrôle ou au désengagement du
leadership narcissique. Voilà pourquoi le modèle de ce
chapitre est présenté sur une seule page : pour ne pas oublier
qu’on doit voir le travail de gestion de façon holistique.
La figure 5 présente les compétences associées aux rôles
exposés dans ce chapitre. Un gestionnaire peut-il toutes les
maîtriser ? A priori, non. Toutefois, comme nous le verrons au
chapitre 6, l’univers de la gestion fonctionne assez bien même
si ses acteurs ne sont pas parfaits. Il n’y a pas d’autres choix.
La culture
La plupart des gens croient vivre dans des endroits dotés d’une
culture unique, au style de gestion prédominant. Pourtant,
certaines études concluent qu’il y a des similitudes frappantes
dans l’exercice de la gestion au sein de cultures différentes. La
culture est certes importante, mais nous tendons à exagérer nos
différences. Dans mon étude sur les 29 gestionnaires, j’ai
remarqué que la culture ne semblait être un facteur important
que dans deux cas :
Abbas Gullet et Stephen Omollo étaient aux
camps de la Croix-Rouge en Tanzanie en raison
d’événements tragiques survenus de l’autre côté
de la frontière, au Rwanda. La situation avait
une incidence importante sur la gestion, les
forçant à être d’une prudence extrême en
matière de sécurité et à mettre l’accent sur le
contrôle. Le contraste qui existait entre cette
situation et celle des deux Australiens observés
au bureau de Greenpeace à Amsterdam était
frappant : ils auraient pu se trouver n’importe
où, puisque le milieu culturel de Greenpeace est
en fait la planète entière. Par ailleurs, John
Cleghorn, PDG de la Banque Royale du
Canada, et Max Mintzberg, cofondateur d’une
chaîne de boutiques téléphoniques à Montréal,
ont eu des journées fort différentes bien qu’ils
soient tous deux Canadiens.
Le secteur d’activité
Les 29 gestionnaires de mon étude venaient de différents
secteurs d’activité : secteur privé, gouvernement, soins de
santé et secteur communautaire (ONG, etc.). Cet aspect est-il
important pour comprendre le travail de gestion ?
Dans toutes les organisations du secteur privé de mon étude, il
y avait des pressions (économiques) concurrentielles, mais
cela ne semblait important que pour trois des six gestionnaires.
Dans le secteur public, les pressions politiques ne sont
ressorties de manière claire que dans un seul cas. En fait, les
enjeux politiques sont davantage ressortis quand j’ai observé
Rony Brauman, de Médecins sans frontières, et Paul Gilding,
de Greenpeace, tous deux appartenant au secteur
communautaire. Dans le domaine de la santé, la nature
professionnelle du travail était importante pour les gens
directement engagés dans les opérations, mais moins pour
ceux qui évoluaient au sommet de la hiérarchie. (Je reviendrai
sur ce point.) En conséquence, on ne peut affirmer que le
secteur a une influence prépondérante (autrement dit, que «
c’est ainsi que ça fonctionne dans ce secteur »), car l’exercice
de la gestion est trop variable.
L’industrie
J’utilise le terme industrie dans son sens large (par exemple,
l’« industrie des orchestres »). Le thème de l’industrie s’est
fortement démarqué au cours de douze des journées
d’observation, par exemple la réalisation cinématographique
pour Carol Haslam et la direction d’orchestre pour Bramwell
Tovey. Toutefois, l’incidence de l’industrie était importante
pour les gestionnaires de premier niveau, plus près des
travailleurs et des utilisateurs, et moins pour les gestionnaires
intermédiaires et la haute direction.
La nature de l’organisation
Considérons maintenant les différentes caractéristiques de
l’organisation : sa forme, son âge, sa taille, le poste occupé au
sein de la hiérarchie et le travail supervisé.
La forme de l’organisation
Il est intéressant de constater que dans 20 cas sur 29, la forme
de l’organisation a été de loin le facteur le plus important pour
bien comprendre le travail des gestionnaires de mon étude.
Cependant, ce facteur est souvent ignoré. Pourquoi ?
Imaginons ce que serait la biologie si nous n’avions pas une
terminologie suffisante pour désigner les espèces. Comment
pourrions-nous, par exemple, distinguer un castor d’un ours
autrement qu’en disant qu’il s’agit de mammifères ? Voilà où
nous en sommes en ce qui a trait aux organisations ; il n’y a
pas de terme plus précis que le mot « organisation ». Comment
un PDG peut-il alors expliquer à des experts-conseils ou aux
membres du conseil d’administration qu’ils traitent son
entreprise comme une organisation de type X, alors qu’elle est
plutôt de type Y s’il n’y a pas de mots pour décrire X et Y ?
Dans des ouvrages précédents*, j’ai proposé les 6 formes
principales d’organisations :
L’organisation entrepreneuriale est centrée sur un leader
unique, qui participe énormément à l’action et aux opérations.
L’organisation bureaucratique est une structure formelle où
les tâches sont simples et répétitives, et où les gestionnaires
exercent un grand contrôle.
L’organisation professionnelle est axée sur des professionnels
qui travaillent généralement de façon individuelle. Le
gestionnaire s’oriente vers l’extérieur, vers la liaison et la
transaction, dans le but de soutenir et de protéger les
professionnels.
L’organisation par projets (adhocratie) est conçue autour
d’équipes spécialisées et novatrices. Le chef de projet se
concentre sur la direction des équipes, l’action d’exécution et
la liaison entre les différentes équipes. Quant au cadre
supérieur, il s’occupe de la liaison et de la transaction pour
obtenir des projets.
L’organisation missionnaire est dominée par une culture forte.
Le gestionnaire se concentre sur la direction pour renforcer et
soutenir cette culture.
L’organisation politique est dominée par le conflit. Le
gestionnaire doit parfois se concentrer sur l’action et la
transaction pour éteindre des feux.
Ces tendances ont été évidentes pour la réalisation
cinématographique (organisation par projets) et le commerce
au détail (organisation entrepreneuriale). Toutefois,
l’influence organisationnelle la plus forte sur la gestion a
été observée au sein des organisations professionnelles,
particulièrement chez les gestionnaires travaillant en
étroite collaboration avec les professionnels qui exécutaient
le travail. C’était le cas, par exemple, des responsables des
services hospitaliers, des directeurs cliniques et du chef
d’orchestre.
Le travail supervisé
Si le cadre supérieur gère l’organisation entière, alors que
gèrent les autres gestionnaires ? Les fonctions, les projets et
les groupes, entre autres choses.
Le terme fonction servait surtout à décrire les composantes
classiques des affaires : la production, la commercialisation,
les ventes, et ainsi de suite. Toutefois, la fonction doit être
considérée de façon plus générique. Il s’agit d’un élément
d’une chaîne d’activités : les ventes d’une entreprise
manufacturière représentent une fonction, car elles ne peuvent
pas être isolées de la production. Il en va de même pour les
soins infirmiers et la médecine d’un hôpital. La fonction jouait
un rôle important pour 7 des 29 gestionnaires que j’ai
observés.
La pérennité
La pérennité en poste, ainsi qu’au sein de l’organisation et de
l’industrie, était un facteur important pour neuf des
gestionnaires à l’étude. Par exemple :
Abbas Gullet s’est engagé dans la Croix-Rouge
alors qu’il était tout jeune. Dès l’adolescence, il
a participé à des rencontres internationales, puis
il s’est mis à travailler au bureau central. Par
conséquent, il connaissait intimement
l’institution, ce qui était évident par sa façon
d’établir des liens entre le site en Tanzanie et le
siège de Genève. Paul Gilding, de Greenpeace,
et Sandy Davis, de Parcs Canada, occupaient
leur poste depuis peu ; c’est pourquoi ils
privilégiaient la planification formelle. Peut-on
en conclure que les gestionnaires utilisent ce
genre de planification pour bien saisir leurs
nouvelles fonctions ? Peut-être, mais seulement
dans certains cas, car Alan Whelan, de la BT,
également nouveau en poste, ne semblait pas
aussi enclin à s’en servir.
Le contrôle à distance
Les trois prochaines postures décrivent les façons dont les
cadres supérieurs de grandes organisations s’y prennent pour
tenter de pénétrer leur hiérarchie afin d’y apposer leur sceau.
Le contrôle à distance décrit une posture quelque peu
détachée et analytique, non interventionniste, sur le plan
de l’information. Les gestionnaires qui l’utilisent se
considèrent comme au sommet et favorisent le contrôle, que
ce soit par la prise de décisions ou la prescription de
rendement.
Paul Gilding, nouveau à la barre de
Greenpeace, semblait tenté d’utiliser la
planification formelle afin de prendre le
commandement de l’organisation. Ironiquement,
alors qu’il poussait les autres à mettre
davantage la main à la pâte, il évitait
consciemment de le faire lui-même (même si un
employé l’y a vivement encouragé à un moment
de la journée).
Bien que le contrôle à distance soit surtout l’apanage des gens
qui sont au sommet des grandes organisations,
particulièrement de type bureaucratique, les Drs Webb et
Thick, qui travaillaient à la base de leurs hôpitaux,
l’utilisaient. Tous deux étaient gestionnaires à temps partiel ;
ils étaient davantage engagés dans des activités cliniques et de
recherche (où ils faisaient preuve d’une orientation plus
artisanale). Par conséquent, le jour de l’observation, ils se sont
rapidement acquittés de leurs tâches de gestion en autorisant
des décisions prises par d’autres, ce qui relève aussi du rôle de
contrôle.
La consolidation de la culture
Cette posture, quoique fort différente des autres, semble
également être l’apanage des cadres supérieurs. Elle allie l’art
et l’artisanat, par l’entremise de l’engagement personnel plutôt
que par le contrôle impersonnel. L’objectif est ici de
renforcer la culture de l’organisation – son sens de la
communauté –, afin de pouvoir faire confiance aux gens.
La direction est le rôle clé de cette posture. Elle est soutenue
par une bonne dose de communication et est associée à la
liaison, afin de protéger l’organisation des perturbations
extérieures. Le gestionnaire se considère comme étant au
centre des activités plutôt qu’au sommet, plongé dans la
culture.
Cette posture s’est clairement manifestée chez Norm Inkster,
commissaire de la GRC, et a été évidente à d’autres occasions,
particulièrement avec deux autres officiers de la GRC, de
niveau intermédiaire et de première ligne. Elle était due à une
combinaison de facteurs : la noblesse de la mission, l’histoire
unique de l’organisation, ainsi qu’un chef en poste depuis
longtemps et entièrement dévoué à sa culture.
L’intervention stratégique
Cette posture, qui vise également l’infiltration dans la
hiérarchie, se caractérise par l’intervention personnelle et
ponctuelle d’un cadre supérieur dans le but d’obtenir des
changements précis. Par exemple, Jacques Benz, de GSI,
s’est engagé dans des projets qui pouvaient, à son avis, avoir
une incidence stratégique. Quant à John Cleghorn, de la
Banque Royale, il s’est occupé de problèmes d’exploitation
qu’il connaissait bien.
Le rôle caractéristique de cette posture est l’action, qui est
souvent appuyée par le contrôle et la communication. Le style
tend alors à être axé sur l’artisanat et à être fondé sur des
expériences tangibles. Le gestionnaire emploie des stratégies
provenant davantage de l’apprentissage informel que de la
planification formelle. Par ailleurs, même s’il se considère
comme « au sommet », il a tendance à agir en intervenant un
peu partout.
Le nouveau gestionnaire
Afin de conclure cette discussion, deux postures méritent
d’être mentionnées. L’une est temporaire, et l’autre devrait
l’être. Il s’agit des postures du nouveau gestionnaire et du
gestionnaire réticent.
Plus haut, j’ai indiqué que, le jour où une personne devient
gestionnaire pour la première fois, tout bascule. Hier, elle
exerçait une action ; aujourd’hui, elle la gère. Le choc peut
être grand. Dans un nouveau poste, une période d’adaptation
est essentielle, même pour un gestionnaire d’expérience. Il
doit se bâtir un réseau de contacts (liaison) afin d’obtenir
l’information nécessaire au travail (communication). Cela lui
permet éventuellement d’agir (action et transaction)
L’ouvrage Becoming a Manager (2003), de Linda Hill,
comprend une bonne discussion de cette posture. Cette
chercheuse, dont les idées ont été citées à maintes reprises
dans le présent ouvrage, a souligné que, lorsqu’on devient
gestionnaire, on doit faire la transition abrupte entre les états
de spécialiste et d’acteur et ceux de généraliste et de
programmeur. On doit aussi faire le saut entre l’action
individuelle et le développement de réseaux pour devenir celui
qui pousse les autres à l’action (p. 6).
Linda Hill a expliqué comment de nombreux nouveaux
gestionnaires de son étude ont adopté une « approche
autocratique et pragmatique de la gestion » (p. 99), pour
finalement se rendre compte des limites de leur autorité
formelle, car « peu de gens semblaient suivre leurs ordres » (p.
100). Ces gestionnaires ont donc dû « apprendre à diriger par
la persuasion plutôt que par les directives » (p. 100) et à
découvrir « de nouvelles façons de mesurer leur réussite et de
tirer satisfaction de leur travail. Il s’agissait d’acquérir une
toute nouvelle identité professionnelle ». (p. x)
Le gestionnaire réticent
Deux personnes étaient, à mon avis, des gestionnaires
réticents. En fait, elles étaient, d’une certaine façon, des
gestionnaires à temps partiel. C’était particulièrement évident
pour le Dr Webb, qui se débarrassait rapidement de ses tâches
de gestion afin de se consacrer au travail clinique qu’il
chérissait :
Après une heure intensive avec sa « directrice
administrative », au cours de laquelle elle posait
des questions auxquelles le Dr Webb répondait
rapidement en buvant un café après l’autre et en
fumant des cigarettes à la chaîne, il est parti
pour se consacrer à ses visites médicales. Il est
alors devenu calme et réceptif à ses patients. Il
avait du temps pour répondre à leurs besoins et
était détendu avec le personnel accompagnant.
Au cours des deux heures qu’il a passées dans le
service, il n’a consommé ni café ni cigarettes ; il
n’en a même pas parlé.
Quant à John Tate, du ministère de la Justice, c’était
beaucoup plus qu’un gestionnaire ; comme je l’ai
mentionné plus haut, il était également conseiller du
ministre. Il était plutôt réticent à l’égard de ses
tâches de gestion et il le manifestait clairement.
Ceux qui aimaient leur travail de gestion étaient beaucoup plus
nombreux : ils en appréciaient plusieurs aspects, dont l’action,
l’influence et le rythme, et n’avaient pratiquement pas de
doléances (quoiqu’il arrive à tous les gestionnaires en exercice
de se plaindre un jour ou l’autre). Cette attitude me paraît
saine, car la gestion n’est pas un travail à aborder avec
réticence : elle requiert tout simplement un engagement
complet de la personne.
La gestion participative
À quelques pas de la gestion maximale, on trouve la « gestion
participative », aussi appelée « habilitation » ou «
décentralisation ».
Le problème de cette forme de gestion, c’est que la direction
générale qui accorde le pouvoir peut tout aussi facilement le
retirer. Pour ce qui est de l’habilitation, le mot est maintenant à
la mode, mais les gens qui ont un travail à accomplir ne
devraient pas avoir besoin d’être « habilités » par leur
gestionnaire, comme c’est le cas des médecins dans les
hôpitaux et des abeilles dans les ruches. Le terme «
décentralisation », quant à lui, désigne généralement le
transfert du pouvoir de quelques cadres supérieurs vers
d’autres gestionnaires du niveau hiérarchique suivant. Ce qui
ne constitue pas vraiment une diffusion du pouvoir*.
La gestion partagée
Le travail de gestion peut être partagé entre deux personnes ou
plus. Par exemple, le directeur général se concentre sur les
aspects externes de son emploi (la liaison et la transaction),
alors que le directeur de l’exploitation s’occupe des aspects
internes (le contrôle, la direction et l’action).
La clé est le partage de l’information. Il a été noté à maintes
reprises que l’information est le ciment des rôles de gestion. Si
deux personnes occupant un même poste ne partagent pas
complètement leurs informations, il y aura inévitablement des
écueils.
La gestion par équipe est une extension du concept de gestion
partagée. Dans un hôpital psychiatrique (Hodgson, Levinson et
Zaleznik, 1965), le directeur général reliait l’organisation à son
environnement (par la liaison et la transaction) en faisant
preuve d’assurance. Un autre cadre gérait les services
cliniques à l’interne (par l’action, le contrôle et la direction),
tout en jouant un rôle de soutien. Une troisième personne était
responsable de l’innovation (par l’action), tout en mettant de
l’avant des normes égalitaires et conviviales (une autre
approche de la direction).
Dans une étude réalisée dans les années 1990 (Pitcher, 1995,
1997), on a découvert que la gestion d’une institution
financière était assumée de façon équilibrée par des artistes,
des artisans et des technocrates. Tant et aussi longtemps que
ceux-ci ont collaboré, utilisant les forces et corrigeant les
faiblesses les uns des autres, l’entreprise a prospéré.
Cependant, lorsqu’un technocrate a pris le dessus et éliminé
les artistes et la plupart des artisans, l’entreprise s’est mise à
chanceler.
La gestion distribuée
La gestion distribuée diffuse la responsabilité de la gestion de
façon plus large. Lorsqu’un groupe d’oies traverse le ciel, le
leadership change quand l’oie de tête se fatigue et perd de
l’élan. Les autres oies trouvent sûrement que le meneur est «
habilitant », voire charismatique, mais cela ne dure qu’un
moment. Si les oies peuvent partager le rôle de direction, et si
les abeilles sont capables de travailler avec vigueur sans y être
encouragées par la reine, alors les humains peuvent sûrement
atteindre un tel degré de sophistication. En d’autres mots, il est
possible de considérer le leadership comme une chose tout à
fait naturelle.
Les tâches liées à la gestion peuvent également être réparties
entre les personnes. Par exemple, certaines décisions peuvent
être prises en commun – comme à l’occasion des réunions
communales dans l’ancienne Nouvelle-Angleterre, où les
membres de la collectivité se réunissaient pour voter. Ici
encore, les abeilles ont de l’avance sur l’humain : elles
prennent ensemble la décision de déplacer la ruche. Les
éclaireuses évaluent différents sites, puis retournent vers leurs
congénères pour leur communiquer, par une chorégraphie, les
caractéristiques de chaque endroit. « Un concours s’ensuit.
Finalement, le site présenté avec le plus de vigueur par le plus
grand nombre d’abeilles ouvrières l’emporte, et tout l’essaim
s’y dirige, la reine emboîtant le pas. » (Wilson, 1971, p. 548)
Les professionnels et les spécialistes des organisations mettent
parfois en œuvre des projets d’où émergent de grandes
stratégies. Dans un article intitulé « Waking Up IBM : How a
Gang of Unlikely Rebels Transformed Big Blue », Gary
Hamel (2000) raconte comment la société est entrée dans le
commerce électronique : un « programmeur replié sur lui-
même » en a eu l’idée et, avec bien peu de ressources, a réussi
à convaincre un directeur du personnel du bien-fondé de cette
aventure. Il a ensuite formé une équipe disparate, qui y est
parvenue. À la question : « Sous les ordres de qui êtes-vous ?
» il a simplement répondu : « D’Internet. »
La gestion constructive
Si les non-gestionnaires jouent de plus en plus de rôles liés à la
gestion, alors les gestionnaires eux-mêmes peuvent en tenir
moins. La gestion constructive, une forme de gestion de
soutien, est appelée à avoir une place de plus en plus
prédominante dans nos sociétés.
Si la reine ne joue aucun rôle dans la prise de décisions
stratégiques de la ruche, alors que fait-elle ? En plus de
produire des bataillons de petites abeilles, elle exerce une autre
fonction, qui, elle, est fondamentalement associée à la
gestion : elle émet une substance chimique qui fait tenir la
ruche. Dans les organisations humaines, il s’agit de la culture.
Celle-ci constitue un des aspects clés du rôle de direction,
comme dans le cas de Norm Inkster, de la GRC.
Les abeilles fonctionnent de façon autonome, sans grande
supervision. Il en va de même pour les professeurs
d’université et les médecins (qui ne relèvent généralement pas
de la hiérarchie de l’hôpital). Leur travail, qualifié de «
professionnel », change complètement la nature de la gestion.
« J’évitais de me trouver en travers de leur chemin », a affirmé
l’ancien doyen d’une école de gestion en parlant des
professeurs.
Évidemment, il n’est pas toujours possible de les éviter, car il
faut, par exemple, que les budgets soient établis et respectés.
De plus, les professionnels ont besoin de soutien et de
protection, afin de pouvoir effectuer leur travail avec le moins
de perturbations possible. Leur gestionnaire exerce donc un
rôle de liaison et de transaction avec les intervenants
extérieurs afin d’assurer un approvisionnement régulier en
ressources, tout en limitant les pressions externes. Robert
Greenleaf a qualifié cette forme de gestion de leadership
engagé : « dans ce cas, les personnes sont choisies comme
leaders parce qu’elles ont fait leurs preuves à titre de serviteurs
et parce qu’elles ont un désir naturel de servir avant tout,
contrairement à celles qui sont des leaders avant tout » (2002,
p. 24 et 27).
La gestion minimale
Le dernier degré de l’échelle est celui de la gestion minimale.
À ce stade, il y a très peu de gestion à faire, parfois même pas
du tout. Toutefois, il faut coordonner quelques activités, ce qui
fait appel à la gestion.
Les gens ont affaire à ce genre de gestion chaque jour. Il n’y a
qu’à songer aux systèmes ouverts comme l’encyclopédie
Wikipédia et le logiciel d’exploitation LINUX. Il s’agit là
d’adhocraties au sens le plus large : elles font appel au
potentiel créatif de toute la collectivité. Les gens y entrent, y
circulent, y apportent des changements, puis en repartent, et
les systèmes évoluent avec une cohérence remarquable. Ils
sont presque autogérés, mais pas tout à fait : quelqu’un les a
conçus, quelqu’un en a établi les règles d’accès, de
modification et de sortie, et quelqu’un doit voir à leur
cohérence. Cela peut se faire également en arrière-plan. Sur
une affiche représentant un groupe de canards en vol, on a
écrit : « Les voilà partis. Je dois bien les suivre, puisque je suis
leur leader. »
Voilà qui conclut notre discussion sur l’infinie diversité de la
gestion. Les deux derniers chapitres s’appuient sur les quatre
premiers. Ils prennent en considération les paradoxes
inévitables que doit affronter quiconque accepte un poste de
gestion, puis traitent de ce que la gestion efficace pourrait
signifier.
_____________
* Présenté dans Mintzberg 1979 et 1983, et bien développé dans Mintzberg 1989
(2e partie ; voir également Mintzberg 2007, chapitre 12, sur la façon dont chaque
forme a tendance à créer ses stratégies).
* Voici quelques mots tirés de mon rapport à propos des commentaires d’Alan : «
L’époque où le fournisseur présentait simplement des services auxquels les clients
n’avaient qu’à souscrire est depuis longtemps révolue. De nos jours, les clients
désirent obtenir des services qui répondent à leurs besoins particuliers. Le pouvoir
s’est déplacé vers le consommateur. Les services de réseaux, comme ceux de la BT,
étaient partiels, alors que les clients cherchaient des services complets, inclus dans
une seule et même entente. Il y avait donc un besoin d’intégration afin de réunir le
centre de données, les ordinateurs de bureau, les réseaux et d’autres services, ce qui
nécessitait la collaboration de différents fournisseurs. »
* En fait, le cas de « décentralisation » le plus célèbre en était plutôt un de
centralisation. Dans les années 1920, Alfred Sloan, de General Motors, régnait sur
les gens qui dirigeaient les différentes unités de son empire (Chevrolet, Buick, etc.)
par la création d’une structure divisionnaire qui les soumettait au contrôle du
rendement imposé par le siège (Mintzberg, 1979, p. 405-406).
Chapitre 5
Le syndrome de la superficialité
Il s’agit probablement du paradoxe le plus fondamental de la
gestion. C’est le tourment de tout gestionnaire. Comment
approfondir la réflexion alors que la pression pour obtenir
des résultats est omniprésente ? Comme je l’ai mentionné
dans ma première étude, de même qu’au chapitre 2, le risque
majeur que court le cadre est celui de la superficialité. Parce
que son travail est peu défini, il a tendance à assumer une
charge très importante. Par conséquent, le gestionnaire devient
un manipulateur d’information qui s’adapte plutôt qu’un
planificateur réfléchi.
« Je ne veux pas que ce soit parfait – je veux que ce soit fait
pour mardi ! » de dire un gestionnaire. Les organisations ont
besoin de produire, c’est vrai, mais est-ce vraiment nécessaire
que cela soit pour mardi ? Ou tout de suite par courriel ? La
mise en marché, par exemple, doit se faire de façon accélérée
dorénavant. Il faut être les premiers à lancer le produit.
Pourquoi donc ? Pour devoir le retirer par la suite ?
Le gestionnaire ne peut se départir de la superficialité, il doit
plutôt devenir un expert dans le domaine – par exemple, il
s’occupera d’enjeux complexes en les fragmentant en étapes
qui peuvent être franchies une à la fois. Il doit également
s’efforcer de réfléchir à son travail, de prendre du recul,
d’avoir une vue d’ensemble.
La réflexion sans action relève de la passivité, mais l’action
sans réflexion est machinale. Comme l’a souligné Saul
Alinsky dans son ouvrage, Rules for Radicals, « la majorité
des gens traversent la vie en subissant une série d’événements
qui deviennent des expériences une fois qu’ils sont digérés,
réfléchis, liés à des modèles généraux et synthétisés » (1971,
p. 68-69). L’un des cadres inscrits à notre maîtrise
internationale pour gestionnaires en exercice (IMPM)
(www.impm.org) a inventé le terme « réfl’action », pour
décrire la nécessité d’allier la réflexion et l’action dans le
travail de gestion.
On dit des grands athlètes qu’ils voient le jeu un peu moins
vite que les autres et qu’ils sont donc en mesure d’effectuer
des manœuvres de dernière minute. Peut-être est-ce également
le cas du gestionnaire efficace : soumis à de fortes pressions, il
conserve son calme, ne serait-ce qu’un moment, afin d’agir de
façon réfléchie.
La difficulté de la planification
La difficulté de la planification est une variante du syndrome
de la superficialité. En effet, malgré le rythme frénétique de
son travail, le gestionnaire doit trouver le moyen de
planifier, d’élaborer des stratégies et simplement de
réfléchir.
Ce paradoxe oppose les caractéristiques dynamiques de la
gestion dont il a été question au chapitre 2 (le rythme
implacable, les interruptions, etc.) aux responsabilités du
gestionnaire en ce qui a trait à la direction comme telle et à la
supervision des décisions prises au sein de l’unité. Il s’agit là
d’un paradoxe, car les gestionnaires ne peuvent ni éviter ces
pressions ni en faire fi.
La création de stratégies**
Dans la planification stratégique, le gestionnaire est censé
réfléchir et formuler des stratégies afin que les autres puissent
les mettre en œuvre. Ainsi décrit, ce processus est déductif et
délibéré. Il se situe plus près de la science que de l’art ou
l’artisanat.
Dans mon étude sur l’évolution des stratégies de dix
organisations (Mintzberg, 2007), j’ai découvert autre chose.
Les stratégies peuvent naître sans être formulées. Elles
peuvent émerger d’un apprentissage non structuré. Les
gens ont des idées et lancent des initiatives qui peuvent
devenir de grandes stratégies. Autrement dit, l’action
entraîne la réflexion de la même façon que la réflexion
entraîne l’action.
Les stratégies ne sont pas des tables de pierre gravées au
sommet d’une montagne, puis rapportées en bas pour qu’on
les exécute. Elles sont acquises sur le terrain par ceux qui sont
capables d’avoir une vue d’ensemble au-delà des détails. Bref,
il vaut mieux être bien ancré dans le concret que de planer
dans la stratosphère du conceptuel.
Cela signifie que le gestionnaire peut surmonter la difficulté de
la planification en laissant s’épanouir les bourgeons
stratégiques au sein de son organisation pour ensuite choisir
ceux qui peuvent le mieux la servir. Il évite ainsi d’adopter un
profil trop cérébral, qui préconise la culture de stratégies en
serre, lui préférant un style engageant qui ouvre la porte à une
croissance potentielle.
Le labyrinthe de la décomposition
L’univers de la gestion est fragmenté, parfois naturellement,
parfois artificiellement. Les organisations sont scindées en
divisions, départements, produits et services, sans parler des
missions, objectifs, programmes et budgets. De même, les
plans sont divisés en enjeux, et les enjeux stratégiques sont
décomposés en forces, faiblesses, menaces et occasions.
La supervision de ces éléments relève du gestionnaire, qui doit
faire de l’ordre dans tout ce fatras (qu’il a parfois créé lui-
même). Voilà qui nous mène au labyrinthe de la
décomposition : comment synthétiser dans un univers si
décomposé par l’analyse ?
La synthèse représente l’essence même de la gestion : elle
désigne l’assemblage d’éléments sous forme de visions
cohérentes, d’organisations unifiées et de systèmes intégrés.
Voilà ce qui rend la gestion à la fois si complexe et si
intéressante. Alors, comment le gestionnaire peut-il avoir une
vue d’ensemble à partir de tant de détails ? Il ne s’agit pas
d’une peinture accrochée au mur. Elle doit se dessiner dans
l’esprit des gens.
L’organigramme est censé être une représentation ordonnée
des composantes d’une organisation. Il présuppose que si
chaque unité accomplit correctement son travail, l’organisation
fonctionnera rondement. En d’autres mots, la structure est
censée prendre l’organisation en charge, de la même façon que
la planification est censée s’occuper de la stratégie. Celui qui
prête foi à ce raisonnement n’a pas le sens des réalités.
L’organigramme peut tout aussi bien être vu comme un
labyrinthe dans lequel les individus sont obligés de trouver
leur chemin.
L’agrégation
Selon Peters et Waterman (1982), le gestionnaire saisit les
problèmes généraux en les fragmentant, afin de les traiter un à
la fois. Ça va, tant que le gestionnaire n’a pas à remettre les
morceaux ensemble. En effet, les fragments ne s’imbriquent
pas les uns dans les autres comme les morceaux d’un casse-
tête. Le processus tient davantage du jeu de Lego, sauf que les
pièces ne sont pas parfaites et que le gestionnaire ne sait peut-
être pas au juste ce qu’il doit construire.
Dans un article haut en couleur intitulé The Magic Number
Seven, Plus or Minus Two : Some Limits on Our Capacity for
Processing Information, George Miller (1956) a fait remarquer
que les êtres humains ne peuvent traiter qu’environ sept
fragments d’information à la fois dans leur mémoire à court et
à moyen terme. Par conséquent, comment leur cerveau peut-il
concevoir une vue d’ensemble ?
La vue d’ensemble
Reprenons la métaphore de la peinture. Comment le peintre
fait-il pour avoir une vue d’ensemble ? À l’instar du
gestionnaire, il ne dispose d’aucun élément pour obtenir cette
vision. Bien sûr, il pourrait copier le tableau de quelqu’un
d’autre, mais cela ne ferait pas de lui un grand peintre (le
gestionnaire qui emprunterait les stratégies des autres ne serait
pas non plus un brillant stratège).
La peinture doit être réalisée un coup de pinceau à la fois,
une expérience à la fois. Le peintre peut évidemment
commencer par une perspective générale, mais, dans les faits,
le tableau est le fruit d’une suite de petits gestes. Il en va de
même de plusieurs stratégies. De nos jours, peu de sociétés ont
une meilleure stratégie qu’IKEA, la chaîne de magasins de
meubles. Toute une vue d’ensemble ! Mais il a fallu quinze
années de labeur pour la dessiner.
Le dilemme de la connexion
Les trois premiers paradoxes portaient principalement sur la
réflexion, tandis que les trois prochains traitent de la gestion
sur le plan de l’information.
Comme nous l’avons déjà mentionné, l’exercice de la gestion
comporte un risque professionnel important : le cadre peut se
trouver dans une situation où il sait de moins en moins de
choses sur de plus en plus de sujets, à tel point qu’il finit par
ne plus rien savoir. Le dilemme de la connexion aborde ce qui
se cache derrière cette attitude : comment peut-on rester
informé lorsque la gestion, par sa nature, éloigne le cadre
de l’objet même de son travail ? En d’autres mots, comment
le gestionnaire peut-il rester connecté lorsqu’il est, de façon
intrinsèque, déconnecté ?
J. Sterling Livingston (1971), alors professeur à l’école de
gestion de l’Université Harvard, a écrit à propos de la nature «
indirecte » de l’enseignement traditionnel de la gestion –
particulièrement dans le cas des MBA. Il aurait dû parler de
nature « doublement indirecte », puisque la gestion en elle-
même est par essence indirecte. Les organisations sont
conçues pour que des personnes se chargent des tâches de base
(la conception, la fabrication, la vente, etc.), tandis que
d’autres, les gestionnaires, supervisent le tout. Au risque de
me répéter, j’affirme que la gestion, c’est faire faire les choses
par d’autres, que ce soit sur le plan des gens (par la direction et
la liaison) ou sur celui de l’information (par le contrôle et la
communication). Même sur le plan de l’action, le gestionnaire
s’arrange (par l’action et la transaction) pour que les gens
agissent.
Certains prétendent que le détachement peut rendre le
gestionnaire plus objectif. C’est vrai. Néanmoins, d’autres
disent que l’objectivité, c’est traiter les gens comme des
objets. Est-ce là ce que nous voulons de nos gestionnaires ?
Par ailleurs, d’aucuns considèrent que grâce à Internet, les
gens sont en contact les uns avec les autres où qu’ils soient. En
fait, ils sont surtout en contact avec leur clavier.
Ce paradoxe est probablement moins préoccupant pour le
gestionnaire de premier niveau, qui est en contact naturel avec
les opérations. Cela m’est apparu particulièrement évident
lorsque j’ai rencontré Stephen Omollo dans les camps de
réfugiés. Je l’ai regardé parcourir les camps et collecter avec
enthousiasme de l’information. À un moment donné, après
avoir fait un arrêt dans la zone de distribution alimentaire, il a
annoncé qu’il n’y avait pas de problème ce jour-là, car
personne n’était venu se plaindre. Pour illustrer ce mode de
fonctionnement, Peters et Waterman (1982) ont parlé de «
gestion ambulante ». Ici, Stephen exerçait sa gestion par sa
seule présence.
Ironiquement toutefois, le dilemme de la connexion est ressorti
de façon notoire dans la frustration exprimée par Gord Irwin,
gestionnaire des aires aménagées du parc national de Banff. Il
s’est retrouvé pris entre les réalités tangibles du parc, qu’il
connaissait parfaitement, et ses nouvelles responsabilités,
ancrées dans l’abstraction de l’administration. La frustration
était également le lot de Bramwell Tovey, qui a évoqué avec
nostalgie son travail musical.
L’entrée en relation
Comment combler cet écart ? En principe, c’est très simple :
on peut (1) faire monter les gens des opérations pour rejoindre
la gestion ; (2) faire descendre les gestionnaires pour rejoindre
les opérations ; (3) diminuer l’écart (en éliminant certains
échelons intermédiaires) ; ou (4) mieux utiliser les
gestionnaires intermédiaires de manière à ce qu’ils établissent
des liens entre le haut et le bas.
Nous avons traité le premier point au dernier chapitre en
décrivant comment les non-gestionnaires peuvent partager
l’exercice de la gestion. L’expérience de Steve Omollo illustre
bien le deuxième point. Il ne suffit pas que le gestionnaire
sorte de son bureau et « visite » le terrain ; il doit être présent
de corps et d’esprit. Il doit mettre la main à la pâte.
Un jour, je suis allé faire faire une mise au point de ma voiture
chez le concessionnaire. Je discutais avec le propriétaire
lorsqu’il m’a dit quelque chose qui m’a surpris : « Je n’ai pas
de bureau ici. » On comprend donc pourquoi il est toujours sur
le plancher – à l’instar de Fabienne Lavoie, à l’hôpital.
La puissance de la « gestion ambulante » – autrement dit, la
présence du gestionnaire, à portée de voix – ne doit pas être
sous-estimée. Évidemment, tous les gestionnaires n’ont pas la
chance d’avoir la majorité de leurs collaborateurs et clients à
portée de la main. Cependant, pourquoi une si grande part de
la gestion devrait-elle s’exercer dans des bureaux isolés et
dans des salles de réunion fermées ? Une société japonaise,
Kao, est même devenue célèbre pour ses réunions tenues dans
des espaces ouverts ; tout employé qui le désire peut y
participer. De telles organisations, à l’instar du
concessionnaire automobile, n’ont pas besoin d’adopter des
politiques dites « portes ouvertes » !
Dans le cadre de notre maîtrise internationale pour
gestionnaires en exercice, un gestionnaire de Fujitsu a amené
ses camarades de promotion voir ses bureaux. Il n’y avait
aucune cloison, seulement des tables de travail. « Qui est-ce ?
» a demandé la directrice d’une banque canadienne à propos
de deux personnes qui discutaient debout. « C’est notre
supérieur et un de mes collègues », a répondu notre hôte, en
désignant l’espace de travail du cadre supérieur à côté de tous
les autres. « Comment pouvez-vous travailler quand votre
patron regarde par-dessus votre épaule ? » a-t-elle rétorqué,
horrifiée. « Où est le problème ? » a répondu son interlocuteur.
Pour lui, ce qu’elle considérait comme du contrôle était plutôt
de la facilitation. Il ne s’agissait pas de microgestion, mais de
contact.
À l’instar de la saignée pour la médecine il y a quelques
siècles, la diminution de l’écart administratif par la réduction
du nombre de dalles est devenue trop populaire et trop facile,
comme nous l’avons déjà mentionné. Cela peut sûrement
soulager les organisations gonflées par la gestion
intermédiaire. Mais combien de fois avons-nous vu des
gestionnaires intermédiaires utiles être liquidés au même titre
que ceux qui occupaient des postes superflus ?
Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, on peut
combler l’écart administratif en utilisant les gestionnaires
intermédiaires qui, naturellement, peuvent établir des liens
avec les échelons supérieurs (dont les tâches sont plus
abstraites) et les échelons inférieurs (dont les tâches sont plus
concrètes). Ils constituent ni plus ni moins une strate
unificatrice, comme le montre la figure 10.
Plusieurs considèrent que la « haute direction » a le pouvoir de
tout superviser. Pourtant, nous avons tous été témoins de cas
de myopie, où, pour le haut dirigeant, rien n’est très clair d’un
point de vue si éloigné. Souvent, la strate unificatrice des
gestionnaires intermédiaires est mieux à même de relier les
réalités opérationnelles à la stratégie d’ensemble (voir la
figure 11).
Le dilemme de la délégation
Alors que selon le paradoxe précédent, le gestionnaire est
déconnecté des réalités opérationnelles, ici, il a du mal à
confier des tâches à autrui, car il est mieux informé que les
gens à qui il devrait déléguer le travail.
Est-ce là une contradiction ? Pas lorsqu’on comprend la nature
de l’information dont il s’agit. En tant que centre nerveux de
l’unité, le gestionnaire en est le membre le mieux informé,
même si sa connaissance n’est pas détaillée. Le gestionnaire,
qui est un généraliste, doit donc déléguer à quelqu’un qui est
spécialiste.
Il n’y aurait aucun problème si le gestionnaire pouvait
aisément transmettre l’information pertinente reliée à la tâche
en question. Souvent, toutefois, comme nous l’avons
mentionné au chapitre 2, une bonne partie de cette information
est de nature verbale, donc enregistrée uniquement dans la
mémoire du gestionnaire. Et même s’il est en mesure de la
transmettre, c’est un processus qui prendra du temps. Par
conséquent, comment le gestionnaire peut-il déléguer
quand une grande partie de l’information est de nature
personnelle, verbale ou privilégiée ?
En fait, le gestionnaire semble condamné, par la nature de
son système d’information, au surmenage ou à la
frustration. Dans le premier cas, il se charge lui-même d’un
trop grand nombre de tâches ou il passe trop de temps à
transmettre de l’information verbalement. Dans le second cas,
il doit veiller à ce que les tâches déléguées soient accomplies
convenablement par une personne qui en sait moins que lui. Il
arrive trop fréquemment que des gens soient accusés d’avoir
mal accompli la tâche en question alors qu’ils n’avaient pas
accès à l’information nécessaire pour ce faire. Bref, la
délégation par déchargement ne relève pas d’une gestion
responsable.
Le gestionnaire peut résoudre ce paradoxe en livrant
l’information le plus souvent et le plus clairement possible à
des membres de l’unité, surtout à un bras droit. Ainsi, quand
vient le temps de déléguer, le problème est déjà à moitié
résolu.
Ce partage risque-t-il de laisser filtrer de l’information
confidentielle ? C’est possible, encore que le refus de
transmettre certains renseignements cache parfois des
politicailleries. Il reste qu’il est nettement préférable de
s’entourer de gens bien informés.
L’énigme de l’ordre
Les trois paradoxes suivants se rapportent au plan des gens.
Les organisations ont besoin d’ordre. Parfois, elles ont
également besoin de désordre (c’est-à-dire de réorganisation),
mais la plupart du temps, elles doivent se concentrer sur la
prestation stable de leurs biens et de leurs services. C’est au
gestionnaire qu’il incombe de s’assurer que tout est ordonné.
Les membres de l’unité se tournent généralement vers lui pour
savoir ce qui peut ou doit être accompli, afin d’être en mesure
d’effectuer leurs tâches, d’engager des gens, de planifier des
opérations, de produire des résultats, etc.
C’est sur ce plan que la gestion s’assimile au contrôle. L’ordre
découle ici en grande partie des stratégies et des structures
traditionnelles : les premières donnent une orientation, les
secondes définissent les responsabilités.
Pourtant, même en tentant d’imposer un tel ordre, le
gestionnaire se trouve souvent dans des situations où il doit
travailler de façon désordonnée. C’est le message du chapitre
2. Comme l’a dit Tom Peters, dans le travail de gestion, « le
laisser-aller est normal, probablement inévitable et
généralement sensé » (1979, p. 171).
En effet, bien que toute organisation souhaite poursuivre
sur sa lancée, certaines forces de l’extérieur continuent de
changer. Dans l’organisation, les gens ont peut-être besoin de
prévisibilité, mais l’univers a la mauvaise habitude d’être
imprévisible. Les clients changent d’idée, de nouvelles
technologies voient le jour, les syndicats déclenchent des
grèves. Même la structure organisationnelle change. « Les
subordonnés doivent comprendre clairement leurs tâches et
leurs limites, même si leurs tâches empiètent les unes sur les
autres et rendent les limites floues. » (Sayles, 1979, p. 4)
Quelqu’un doit s’occuper de l’imprévisible. C’est souvent le
lot du gestionnaire, dont les responsabilités sont vastes et dont
le travail est suffisamment flexible pour traiter les incertitudes
et les ambiguïtés.
L’énigme de l’ordre peut donc se résumer en ces termes :
comment mettre de l’ordre dans les tâches d’autrui alors
que le travail de gestion est intrinsèquement désordonné ?
Comme Andy Grove, d’Intel, l’a dit : « Il faut laisser régner le
chaos afin de régner dans le chaos. » (1995, p. 141) Voilà le
paradoxe ultime !
Les activités désordonnées peuvent-elles produire des résultats
ordonnés ? Bien sûr. Songez aux artistes, aux inventeurs et aux
architectes. Certains d’entre eux sont désordonnés au plus haut
point ; pourtant, ils obtiennent souvent des résultats ordonnés.
Il en va de même des gestionnaires.
La contamination de l’ordre
D’aucuns croient qu’il n’y a rien de paradoxal dans la nature
désordonnée de l’ordre organisationnel jusqu’à ce qu’ils voient
à quel point un processus désordonné peut contaminer un
résultat ordonné, et vice-versa.
Revenons aux peintres. Peu d’entre eux étalent sur la toile leur
désordre personnel – leur trouble intérieur – autant que Van
Gogh, ou Munch dans Le cri. Cependant, même les tableaux
de ces artistes sont étonnamment ordonnés. Évidemment, l’art
désordonné ne manque pas, mais ces œuvres sont rapidement
oubliées. Dans le domaine de l’art, tout cela n’est peut-être pas
très important, mais, dans celui de la gestion, ça l’est. En effet,
une gestion désordonnée peut aisément semer le désordre dans
une organisation, car le gestionnaire, dans son rôle de tamis, y
transfère ses conflits et ses ambiguïtés. L’inverse est aussi vrai.
Les membres d’une unité peuvent imposer leur désordre à leur
gestionnaire.
Comment le gestionnaire peut-il traiter ce paradoxe ? Comme
tous les autres : en introduisant des nuances de chaque côté. Il
doit pencher d’un bord comme de l’autre et laisser régner le
chaos afin de régner dans le chaos.
En imposant trop d’ordre, il rendra le travail rigide et détaché ;
s’il en impose trop peu, les gens seront incapables de
fonctionner. Nous connaissons tous des gestionnaires qui
permettent au chaos (le leur comme celui de l’extérieur) de
s’infiltrer au sein de l’unité, sans offrir la protection
nécessaire. Nous connaissons tous également des gestionnaires
qui font l’inverse : ils surprotègent tant leur unité que tout
devient détaché du réel. L’organisation semble ordonnée,
jusqu’à ce que la réalité explose.
Le paradoxe du contrôle
L’énigme de l’ordre est déjà complexe. Ajoutez à cela les
pressions venant du sommet et vous obtenez le paradoxe du
contrôle. Le gestionnaire intermédiaire est soumis aux ordres
du cadre supérieur (« Augmentez la production de 30 % »,
etc.), en même temps qu’aux pressions venant des clients, des
communautés, de l’économie, le tout au sein de son propre
désordre. En conséquence, l’énigme de l’ordre se transforme
en paradoxe du contrôle : comment maintenir l’état
nécessaire de désordre contrôlé lorsque le gestionnaire
supérieur impose l’ordre ?
Le ravage de la prescription
Dans le cas qui nous occupe, la gestion par la prescription peut
devenir particulièrement dévastatrice. Il est certainement
commode pour le cadre supérieur d’avoir recours à cette
méthode et de balayer les ambiguïtés sous le tapis en imposant
des normes de rendement particulières : « Vous avez besoin
d’orientation de ma part ? Pas de problème. Les objectifs sont
clairs. Vous n’avez qu’à les atteindre ! »
Mais voilà : que représentent ces objectifs ? D’où viennent les
chiffres ? Comme nous le savons, ils sont parfois arbitraires,
voire contradictoires, choisis au hasard, sans égard à ceux qui
doivent les atteindre, notamment les cadres de niveaux
hiérarchiques inférieurs. Ainsi, la prescription, qui est de
plus en plus fréquente dans les grandes organisations,
constitue une solution de facilité pour le cadre supérieur.
L’ambiguïté de l’action
Passons maintenant aux deux paradoxes liés à l’action.
Si la gestion consiste à s’assurer que les choses sont
accomplies, alors le gestionnaire doit être résolu. Il ne peut pas
trop se défiler et peut réfléchir jusqu’à un certain point
seulement : il doit prendre position, trancher et provoquer
l’action pour mener son unité.
Le problème, c’est qu’il doit le faire dans des circonstances
difficiles, caractérisées par l’ambiguïté. Cela soulève un autre
paradoxe : comment agir avec fermeté dans un univers
complexe et tout en nuances ?
L’incertitude de la décision
Considérons la décision en elle-même. Le terme en soi
connote la résolution, la fermeté. Il désigne un engagement
envers l’action. Cependant, est-il toujours nécessaire de
s’engager – c’est-à-dire de décider – pour passer à l’action ? Si
vous croyez que c’est le cas, alors demandez à quelqu’un de
vous frapper le genou avec un marteau à réflexes ou assistez à
une audience pour une affaire de meurtre au deuxième degré –
l’action sans décision. Les organisations reçoivent aussi
parfois des coups de marteau sur le genou : il y a quelques
années, un cadre supérieur d’un grand fabricant automobile
européen a embauché des experts-conseils pour l’aider à
comprendre comment au sein même de son entreprise on en
était venu à créer un modèle de voiture en particulier.
Lorsqu’on s’engage – lorsqu’on décide de passer à l’action –,
est-ce vraiment si clair ? Par ailleurs, le fait de s’engager
entraîne-t-il nécessairement l’action ? Beaucoup de choses
peuvent se passer entre la décision et l’action. « Bon nombre
de décisions doivent être reconsidérées, puis reprises. »
(Sayles, 1979, p. 11)
La confiance permet au gestionnaire d’agir de façon résolue,
mais cette fermeté peut, en présence d’ambiguïté, paver la voie
à l’arrogance. C’est particulièrement le cas lorsqu’un
gestionnaire est éloigné des enjeux concrets. Songez aux
mauvaises acquisitions des grandes sociétés. Dans ces cas-là,
on a pris des décisions audacieuses sans tenir compte de leurs
conséquences. Et qu’en est-il du choix de George W. Bush de
déclarer la guerre à l’Irak en 2003 ?
D’un autre côté, le gestionnaire qui hésite à agir peut ralentir
la progression de l’organisation. Il est toujours préférable de
prendre des décisions que de se morfondre dans l’indécision ;
au moins, cela fait avancer les choses. Cela dit, le gestionnaire
trop prompt, même s’il est bien informé, peut entraîner
l’organisation dans une action prématurée sans tenir compte
des événements qui peuvent encore survenir.
Évidemment, il y a toujours des événements qui peuvent
survenir, et les plus importants tendent à le faire de façon
imprévue. Il faut donc savoir quand attendre (en dépit des
coûts liés aux délais) et quand agir (en dépit des
conséquences imprévisibles). Aucun manuel ne traite de ces
points, il n’existe aucune recette. Il faut simplement être bien
informé et faire preuve d’esprit critique.
De retour à la fragmentation
Si bon nombre de décisions doivent être prises de nouveau,
pourquoi ne pas les aborder par étapes, en laissant le temps à
la rétroaction de faire son œuvre ?
Au chapitre 2, j’ai traité de l’importance pour le gestionnaire
de savoir jongler avec de nombreux projets et enjeux. Il doit
tout intégrer rapidement : attraper chaque nouveau problème
au vol tout en ayant un œil sur les autres.
Charles Lindblom a donné à ce comportement le nom de «
gradualisme disjoint », qu’il décrit comme « un processus sans
fin d’étapes successives où le grignotage continuel remplace le
véritable repas » (1968, p. 25-26). Lindblom ne voit pas le
gestionnaire, ce « gradualiste réparateur », comme une « figure
héroïque », mais comme un « résolveur de problèmes
perspicace et ingénieux qui se débat dans un univers qu’il sait
pertinemment trop vaste pour lui » (p. 27).
L’énigme du changement
Comme nous l’avons mentionné au chapitre 1, le changement
est en vogue. Pourtant, ma voiture fonctionne toujours selon la
technologie de combustion interne du modèle T de Ford.
Même les déclarations sur le changement n’ont pas changé :
Peu de phénomènes sont aussi remarquables que
le développement accéléré de la civilisation
matérielle, à savoir le progrès de l’humanité
dans toutes les inventions qui, au cours des
cinquante dernières années, ont facilité les
choses et la promotion du confort de la vie
quotidienne. On a fait plus de grandes
découvertes et réalisations durant cette période
qu’au cours de toute l’histoire de l’humanité.
Cette citation est tirée de la revue Scientific American… de
1868 !
Comme je l’ai déjà souligné, même si presque tout ce qui nous
entoure ne change guère, nous ne remarquons que ce qui
change. De plus, on parle souvent de la résistance au
changement dans les organisations comme d’un problème. Or,
le véritable problème, c’est le changement dysfonctionnel.
Aucun gestionnaire ne peut gérer que le changement ; cela
mènerait à l’anarchie. Il doit aussi gérer la continuité, d’où
l’énigme du changement : comment gérer le changement
tout en préservant la continuité ? Ici encore, tout est une
question d’équilibre.
Comme nous l’avons vu dans un chapitre précédent, Chester
Barnard a dit que « lorsqu’on gère, on ne gère pas
l’organisation, mais on effectue un travail spécialisé qui
maintient l’organisation en activité » (1938, p. 215). Cela
signifie qu’il faut garder l’organisation sur ses rails et l’y
remettre lorsqu’elle en sort, consolider les rails au besoin et
parfois en bâtir de nouveaux pour mener l’organisation
ailleurs.
Mon collègue Jonathan Gosling a interviewé un certain
nombre de gestionnaires sur leur façon de gérer le
changement. À son grand étonnement, la majorité d’entre eux
ont parlé de gestion de la continuité. De même, au cours de
mes 29 journées d’observation, j’ai constaté que beaucoup de
changements étaient imbriqués dans la continuité. Abbas
Gullet et Stephen Omollo, des camps de réfugiés de la Croix-
Rouge, préconisaient le changement pour assurer la stabilité,
tandis que John Cleghorn, de la Banque Royale du Canada,
soutenait les changements, qu’ils soient grands (faire
l’acquisition d’une compagnie d’assurance) ou petits (ajuster
une enseigne), pour garder la banque sur le droit chemin.
Le paradoxe ultime
Terminons par deux paradoxes généraux. Premièrement,
comment le gestionnaire peut-il gérer en même temps tous
ces paradoxes ?
Ceux-ci ne se manifestent pas dans un ordre donné et
indépendamment les uns des autres. Ils sont inextricablement
enchevêtrés dans la gestion. Par conséquent, la gestion n’est
pas une traversée sur une corde raide, mais plutôt une
excursion dans un labyrinthe multidimensionnel tissé de
cordes raides.
J’ai souvent dit que le gestionnaire devait trouver le juste
équilibre. Toutefois, il s’agit, non pas d’un équilibre statique,
mais d’un équilibre dynamique. En effet, le gestionnaire doit
aller dans différentes directions selon les circonstances. Par
exemple, il fera preuve d’une plus grande fermeté devant les
difficultés et d’une plus grande souplesse devant les occasions.
J’ai également fait remarquer à maintes reprises que ces
paradoxes ne peuvent être résolus. Comme l’a dit Charles
Handy, « un paradoxe est comme la température : il faut s’en
accommoder […] atténuer ses pires aspects, apprécier ses bons
côtés et s’en servir comme indicateur pour aller de l’avant »
(1994, p. 12-13).
Il n’y a pas de solution, car chaque paradoxe doit être traité
dans son contexte. Ces paradoxes, ces difficultés, ces
labyrinthes et ces énigmes font partie intégrante du travail
de gestion – ils sont la gestion – et ils sont là pour rester. Ils
peuvent être allégés, mais jamais éliminés ; compris, mais
jamais résolus. Le gestionnaire doit composer avec eux,
jongler avec eux, les saisir et y réfléchir. F. Scott Fitzgerald a
écrit que « le signe d’une intelligence supérieure est la
capacité de soutenir deux idées opposées en même temps, tout
en étant apte à fonctionner ». Dans l’univers de la gestion,
pouvons-nous nous permettre une autre forme d’intelligence ?
Évidemment, cela signifie que le paradoxe ultime du
gestionnaire (comment traiter tous les paradoxes en même
temps ?) demeure irrésolu. Peut-être alors l’espoir réside-t-il
dans mon paradoxe final.
La gestion efficace
L’essence de la gestion
Il est difficile de savoir ce qui fait en sorte qu’un gestionnaire
est efficace, même s’il l’est effectivement. Et on ne fait que
compliquer les choses en s’imaginant que les réponses sont
simples. Les gestionnaires et les personnes qui travaillent avec
eux vivent dans un univers complexe. L’objectif de ce chapitre
est de leur venir en aide.
Nous commencerons par examiner les caractéristiques du
gestionnaire efficace (mais qui inévitablement est imparfait).
Cela nous entraînera dans une brève discussion sur les familles
organisationnelles gérées de façon malheureuse, que nous
comparerons aux familles organisationnelles dont la gestion
est saine. Nous traiterons ensuite de la sélection, de
l’évaluation et du développement des gestionnaires, en
insistant sur la nécessité de faire preuve d’esprit critique. Par
le fait même, nous reviendrons sur les différents aspects
abordés dans cet ouvrage que nous conclurons par un
commentaire sur la « gestion naturelle ».
Le fil de l’énergie
« Bien que les familles [efficaces] ne déploient pas le même
degré d’énergie, elles en ont toutes plus que les familles
manifestement dysfonctionnelles. » (Lewis et coll., 1976, p.
208-209) Nous pouvons de même nous attendre à ce que le
cadre efficace présente un degré d’énergie plus élevé que celui
du gestionnaire inefficace, ainsi qu’une plus grande capacité à
entrer en relation. S’il y a une chose qui se démarque en ce
qui concerne le rythme et l’action, c’est l’énorme quantité
d’énergie déployée par les gestionnaires efficaces dans le
contexte de leur travail. Ce n’est pas un emploi pour les
paresseux.
Dans notre tapisserie, l’énergie est un fil essentiellement
personnel qui ancre une des extrémités du cadre du côté
gauche de la figure 13 (ou peut-être est-ce le métier à tisser).
Évidemment, il n’y a rien d’entièrement personnel dans le
domaine de la gestion. Comme Peter Brook, le légendaire
metteur en scène de la Royal Shakespeare Company, l’a écrit
dans son ouvrage The Empty Space (1968), le public stimule
l’acteur au même titre que l’acteur stimule le public.
Ce fil peut nous aider à saisir la façon dont le gestionnaire
traite deux paradoxes. En effet, le dilemme de la connexion
interroge la manière dont le gestionnaire peut rester informé
tout en étant fondamentalement déconnecté, et l’énigme du
changement interroge la manière dont il peut apporter le
changement tout en préservant la stabilité. La connexion, le
changement et le maintien de la stabilité nécessitent une bonne
quantité d’énergie.
Le fil de la réflexion
« Quand elle s’attaque aux problèmes familiaux, [la famille
saine] explore plusieurs options ; si l’une ne fonctionne pas,
elle en essaie une nouvelle. Cela contraste avec l’attitude de
plusieurs familles dysfonctionnelles, qui se cantonnent dans
une seule approche avec une persévérance indue. » (Lewis et
coll., 1976, p. 208) Mes propres observations suggèrent que le
gestionnaire efficace a tendance à réfléchir : il sait tirer
profit de son expérience, explore plusieurs options, fait
marche arrière lorsque l’une d’entre elles échoue et en
essaie alors une autre. Il faut donc qu’il fasse preuve d’une
certaine humilité et admette qu’il n’a pas la science infuse.
Comme je l’ai écrit dans Des managers, des vrais ! Pas des
MBA, lorsqu’on réfléchit, on s’interroge, on explore, on
analyse, on synthétise, on établit des liens – le tout dans le but
de comprendre la signification que prend une expérience pour
soi (Mintzberg, 2004, p. 254, citant Daudelin, 1996, p. 41). La
réflexion va plus loin que l’intelligence pure et simple, vers
une sagesse profonde qui permet au gestionnaire de saisir de
façon perspicace le cœur des enjeux, au-delà des perceptions
habituelles. Comme nous l’avons évoqué précédemment, le
gestionnaire efficace réfléchit et observe par lui-même.
Comme la gestion est un domaine marqué par une activité
frénétique, le gestionnaire a désespérément besoin de prendre
du recul et de réfléchir tranquillement à son expérience. En
effet, la réflexion peut être un antidote efficace contre bon
nombre de paradoxes : le conflit de la confiance, la difficulté
de la planification, le syndrome de la superficialité et le
dilemme de la connexion. La figure 14 présente une série de
questions permettant au gestionnaire de s’autoanalyser.
Certaines questions paraissent simples, voire rhétoriques, mais
elles peuvent stimuler la réflexion.
Le fil de l’analyse
Comme je l’ai mentionné précédemment, trop d’analyse peut
déboucher sur une gestion dysfonctionnelle, mais trop peu
risque d’entraîner un style de gestion désorganisé.
Chercher la clé de la gestion efficace à la lumière de l’analyse
peut être une erreur, mais s’attendre à la trouver dans
l’obscurité de l’intuition n’est guère mieux. Ici encore, ce qui
importe, c’est un certain équilibre : le gestionnaire doit
s’appuyer sur son savoir formel et explicite de même que
sur ces connaissances informelles et tacites. Voilà pourquoi
les expressions « chaos calculé » et « désordre contrôlé »
présentées à la fin du chapitre 2 s’appliquent si bien au
contexte de la gestion. Dans le même ordre d’idées, Lewis et
coll. ont décrit les familles les plus dysfonctionnelles comme
présentant des « structures chaotiques » et celles qui se
trouvaient à mi-chemin entre la fonctionnalité et le
dysfonctionnement comme ayant des « structures rigides »
alors que « les familles compétentes présentaient des
structures flexibles » (1976, p. 209).
Le danger de l’analyse réside principalement dans deux
paradoxes : le labyrinthe de la décomposition, où ce qui
entoure le gestionnaire est divisé en catégories ordonnées et
artificielles, et le mystère de la mesure, où le gestionnaire doit
composer avec la subjectivité des données objectives.
Toutefois, l’énigme de l’ordre nous rappelle que le
gestionnaire doit organiser le chaos dans son travail.
Skinner et Sasser avaient peut-être de bonnes raisons de
prétendre, dans leur article paru dans la Harvard Business
Review (1977), que les gestionnaires efficaces « utilisaient
l’analyse de manière très efficace » et « employaient les outils
analytiques […] avec discipline et régularité ». Cependant,
lorsqu’ils ont conclu que les gestionnaires efficaces étaient «
avant tout des analystes » (p. 143, 148), à mon avis, ils se sont
carrément trompés. Dans le domaine de la gestion, l’excès
d’analyse a délogé l’esprit critique.
Le fil de l’expérience
« Il existe une autre variable complexe qui implique le respect
de la perspective personnelle et de celle des autres. » (Lewis et
coll., 1976, p. 207)
De nos jours, il est souvent question de l’importance de la
mondialisation pour les gestionnaires ; il est encore plus
fondamental qu’ils soient des gens d’expérience. La
mondialisation implique une certaine homogénéité, un certain
conformisme. Est-ce vraiment là ce que nous désirons pour
nos gestionnaires ? Il me semble que leur travail est déjà trop
marqué par le conformisme.
Ce qui encourage le plus le gestionnaire à réfléchir par
luimême, c’est l’expérience. Celle-ci renvoie à l’expérience de
la vie, bien sûr, mais aussi au perfectionnement et à
l’expérience pratique. Ce mélange de termes, fort intéressant,
est probablement ce qui se rapproche le plus de ce que nous
recherchons véritablement chez le gestionnaire.
L’expérience, c’est d’aller vers l’univers des autres – les autres
cultures, les autres organisations, et même les autres fonctions
au sein de sa propre organisation. Pour paraphraser une
citation de T.S. Eliot qui a été surexploitée pour de bonnes
raisons : les gestionnaires devraient explorer sans cesse afin de
redécouvrir leur propre monde. Voilà l’esprit de l’expérience.
« Comment arrives-tu à conduire avec tout ce trafic ? » a
demandé une gestionnaire américaine à un professeur indien
lorsqu’elle est arrivée à Bangalore pour participer à un module
de notre programme IMPM. « Je m’y insère, tout simplement
», a répondu l’homme. Pour cette femme, l’acquisition de
l’expérience venait de commencer ! L’univers des autres a sa
propre logique – un ordre qui peut sembler chaotique pour
autrui. En nous efforçant de le comprendre, nous devenons de
meilleurs gestionnaires, voire de meilleurs êtres humains.
Pour apprécier l’univers des autres, nous n’avons pas besoin
d’envahir leur vie personnelle ou d’essayer de lire dans leurs
pensées. Selon Lewis et coll., on observe ces « attitudes
destructrices » seulement au sein des « familles les plus
gravement dysfonctionnelles » (p. 213). Dans les familles
médianes, on tendait à la conformité, mais dans les familles
saines, les chercheurs ont trouvé une caractéristique
particulière qu’ils ont qualifiée de « négociation respectueuse
»:
Les différences étaient tolérées, et les conflits
étaient abordés par la négociation, dans le
respect du droit des autres de ressentir, de
percevoir et de réagir différemment. Il n’y avait
pas de pression pour une uniformité qui aurait
effacé les distinctions individuelles. (p. 211)
Dans notre triangle art-artisanat-science, l’analyse est près de
la science, et l’expérience se rapproche de l’artisanat ; elle est
enracinée dans la pratique et le savoir tacite.
Un thème ressort des paradoxes, particulièrement en ce qui
concerne l’ambiguïté de l’action (comment agir de façon
décisive dans un univers complexe et tout en nuances) : il
s’agit du besoin, pour le gestionnaire, d’avoir le sens des
nuances. Les cadres d’expérience qui ont appris à découvrir
leur univers parce qu’ils ont exploré celui des autres sont peut-
être les plus aptes à composer avec les paradoxes de la gestion.
Le fil de la collaboration
« La tendance vers un mariage égalitaire chez les familles
saines était en contraste direct à la fois avec le mariage distant
(et décevant) des familles adéquates et avec le modèle
conjugal de domination et de soumission si fréquent au sein
des familles dysfonctionnelles. » (Lewis et coll., 1976, p. 210)
À mesure que nous tissons notre tapisserie, les aspects sociaux
de la gestion deviennent de plus en plus importants. La
collaboration ne se rapporte ni à la motivation ni à
l’habilitation des gens, car ce sont des actions qui, comme je
l’ai noté plus haut, ne pourraient que renforcer l’autorité du
gestionnaire. Il s’agit plutôt de les aider à travailler ensemble.
Kaz Mishina, qui a dirigé notre module de l’IMPM sur la
collaboration au Japon, disait que par ce « leadership de
l’arrière-plan », on confiait la direction de l’unité au plus
grand nombre de gens ordinaires possible ».
Dans le style de gestion engageant présenté au chapitre 4, et
décrit à la figure 15, le gestionnaire met la main à la pâte afin
de faire participer les autres. Il fait preuve de respect, de
confiance, d’attention, d’inspiration et surtout d’écoute.
Toujours selon Lewis et coll., « les familles saines étaient
ouvertes à l’expression de l’affect. Leur état d’esprit principal
se caractérisait par la sensibilité et l’attention. Leur capacité
d’empathie était grande » (p. 214).
Le fil de la proaction
« Chez les familles saines, la passivité n’est pas de mise. Elles
réagissent aux événements en faisant preuve d’un grand sens
de l’initiative. » (Lewis et coll., 1976, p. 208-209)
Comme je l’ai noté à plusieurs reprises, et comme l’illustre la
figure 13, toute activité de gestion est prise en étau entre la
réflexion (plan abstrait) et l’action (plan concret) – elle relève
de la « réfl’action », ce terme inventé par un participant du
programme IMPM. Quand on réfléchit trop, rien ne bouge ;
quand on agit trop, on fait les choses de manière
machinale. Le fil de la proaction concerne l’action sur le
terrain et fait appel aux rôles de la gestion d’action et de
transaction.
Si la réflexion est en grande partie personnelle, la proaction est
fondamentalement sociale : il ne peut y avoir d’action de
gestion sans la participation d’autres personnes. La gestion est
un processus social. Le gestionnaire qui tente de tout faire
seul se met généralement à exercer un trop grand
contrôle ; il donne des ordres et commande le rendement
dans l’espoir qu’on lui obéira parce qu’il détient l’autorité.
Cela fonctionne parfois. Cependant, en agissant ainsi, le
cadre ne tire pas profit du potentiel humain.
J’utilise le terme proactif plutôt qu’actif pour montrer que ce
fil a trait à l’initiative du gestionnaire : il prend les devants
plutôt que de simplement réagir. Comme je l’ai indiqué plus
haut, le gestionnaire efficace, peu importe où il se situe dans la
hiérarchie et le degré de contrainte auquel il est soumis,
s’empare de toute la liberté possible. Comme l’a dit Isaac
Bashevis Singer dans ce qui pourrait être la devise du
gestionnaire efficace : « Nous devons avoir foi en la volonté ;
nous n’avons pas le choix. »
Ainsi, le gestionnaire efficace n’a pas le comportement de
la victime. Il est « l’agent du changement et non sa cible »
(Hill, 2003, p. xiii). Il suit le mouvement (comme le trafic à
Bangalore) tout en l’influençant.
Dans ce contexte, le paradoxe le plus évident est celui de
l’ambiguïté de l’action : comment agir de façon ferme dans un
univers complexe et tout en nuances ? L’expérience peut aider,
tout comme la réflexion, mais la proaction est essentielle.
Notons que le véritable changement n’est pas seulement
transmis du sommet vers le bas de l’échelle de façon ferme,
délibérée et spectaculaire, mais également du bas vers le haut
et du centre vers l’extérieur, de façon expérimentale,
graduelle, et émergente. La proaction peut être une
caractéristique du gestionnaire à tout échelon de la hiérarchie,
comme nous l’avons remarqué en observant Alan Whelan de
la BT.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier l’énigme du changement : si
le gestionnaire efficace doit parfois mener le changement, il lui
faut également préserver l’équilibre, ce qui peut exiger autant
de proaction. C’est ce que j’ai observé dans les camps de
réfugiés de la Croix-Rouge.
Le fil de l’intégration
Permettez-moi de reprendre ici ce qui est peut-être la
conclusion la plus importante de Lewis et coll. : « [L]a santé
de la famille ne tient pas qu’à un fil ; la compétence joue un
rôle important dans la tapisserie. » (p. 206) La gestion est une
tapisserie formée des fils de la réflexion, de l’analyse, de
l’expérience, de la collaboration et de la proaction, le tout
infusé d’une énergie personnelle et assemblé par
l’intégration sociale.
En ce qui concerne « l’essentiel du leadership », Mary Parker
Follett a dit qu’il était « de la plus haute importance d’avoir la
capacité de saisir la situation dans son ensemble. Le leader
doit trouver le fil conducteur dans un amas de faits,
d’expériences, de désirs, de buts. Il doit considérer le tout
plutôt que les parties et voir la situation comme évolutive ».
En d’autres mots, la gestion, c’est l’intégration en mouvement,
la « maîtrise du moment » (1920, p. 168 et 170).
La synthèse exige également de maîtriser tous les moments.
La qualité de la gestion tient à l’atteinte d’un équilibre
dynamique qui se manifeste sur les plans de l’information,
des gens et de l’action. Cela peut se faire en réconciliant les
besoins de l’art, de l’artisanat et de la science, et en
jonglant avec plusieurs problèmes à la fois.
Le terme analyse semble assez clair, mais le mot synthèse est
nébuleux. Que signifie-t-il vraiment ? Quand nous arrivons à
faire une bonne synthèse, en avons-nous véritablement
conscience ? En réalité, le gestionnaire doit toujours tendre
vers la synthèse, même en sachant qu’il ne l’atteindra
jamais. Comme j’en ai discuté au chapitre 5, le gestionnaire
efficace travaille non seulement de façon déductive et
cérébrale (en passant de la réflexion à l’action, de la
formulation à la mise en œuvre, du conceptuel au concret),
mais également de façon inductive, intuitive (en passant de
l’action à la réflexion, du concret au conceptuel, en apprenant
par l’expérience et en révisant sa formulation après une soi-
disant mise en œuvre). Par-dessus tout, le gestionnaire effectue
des allers-retours entre l’action et la réflexion, en maîtrisant
les moments.
Il ne faut toutefois pas présumer que la réflexion et l’action
sont séparées et séquentielles. La réflexion fait
intrinsèquement partie de l’action : le gestionnaire réfléchit
certainement avant d’agir, mais il agit également dans le
but de réfléchir, pour découvrir ce qui fonctionne. Avant
tout, le gestionnaire réfléchit pendant qu’il agit. Par
conséquent, « les activités de gestion peuvent être accomplies
de manière plus ou moins réfléchie » (Weick, 1980, p. 19).
Toutefois, l’exploitation de l’« esprit collectif » est un des plus
grands défis rencontrés par les organisations contemporaines,
par exemple dans le contexte de l’élaboration des stratégies et
dans celui de l’établissement de la culture.
LE DÉVELOPPEMENT : DU GESTIONNAIRE
À L’ORGANISATION À LA SOCIÉTÉ À SOI-
MÊME
Au milieu des années 1990, nous avons commencé à repenser
l’ensemble de l’enseignement de la gestion, ce qui a favorisé la création
d’une famille de nouveaux programmes, dont quatre sont présentés ici.
Le programme IMPM : la combinaison de l’enseignement de la
gestion et du développement des gestionnaires. La Maîtrise
internationale pour gestionnaires en exercice (www.impm.org) a été
conçue pour transformer l’enseignement des affaires en enseignement
de la gestion, en le combinant au développement des gestionnaires. Le
but est d’aider les gestionnaires à accomplir un meilleur travail dans
leurs organisations, et non pas à les encourager à obtenir un meilleur
emploi dans une autre société.
Ce programme compte cinq modules de dix jours chacun, portant sur
autant d’états d’esprit. Les modules sur la réflexion (sur l’autogestion),
l’analyse (sur la gestion des organisations), l’expérience (sur la gestion
en contexte), la collaboration (sur la gestion des relations) et l’action (sur
la gestion du changement) sont respectivement présentés en
Angleterre, au Canada (Montréal), en Inde (Bangalore), en Chine
(Pékin) et au Brésil (Rio de Janeiro).
Réunis en tables rondes, les gestionnaires apprennent les uns des
autres en partageant leurs réflexions sur leurs expériences. Parfois, ils
s’engagent dans un « partage des compétences », c’est-à-dire la mise
en commun d’expériences sur la façon dont ils exercent certaines
compétences (comme le réseautage). Cela leur permet de mieux
prendre conscience de leur exercice. Ils font de la « consultation
amicale » pour s’entraider dans la réflexion sur leurs problèmes de
gestion et font également des « échanges professionnels », en passant
quelques jours sur les lieux de travail l’un de l’autre. Une fois qu’ils sont
de retour dans leur organisation, ils sont encouragés à créer des
équipes de choc avec leurs collègues ou leurs subordonnés, dans le but
de diffuser leurs apprentissages et de provoquer des changements
(Mintzberg, 2011a).
Le programme ALP : la combinaison du développement de
l’organisation avec celui de la gestion. Les soi-disant programmes
avancés de gestion ne sont souvent que des copies des programmes de
MBA traditionnels : ils utilisent plusieurs des mêmes cas et sensiblement
les mêmes théories. Axés sur les fonctions commerciales, ils placent les
gestionnaires en rangs bien ordonnés.
Le programme ALP (www.alp-impm.com) est une version élargie du
programme IMPM. Ici, les sociétés paient pour des tables plutôt que
pour des chaises : elles délèguent des équipes de six gestionnaires,
chacun porteur d’un enjeu particulier. Au fil de trois modules d’une
semaine, répartis sur une période de six mois, les équipes se penchent
sur tous les enjeux à tour de rôle selon un processus de consultation
amicale.
Le programme IMHL : l’ajout du développement social. Le
programme de Maîtrise internationale pour le leadership en santé est
fondé sur le programme IMPM, mais il s’adresse aux gestionnaires en
exercice qui ont une expérience clinique. Il touche tous les aspects des
soins de santé dans le monde. Ce programme met également à profit la
démarche de consultation amicale, mais en la propulsant dans la sphère
du développement social. En plus de présenter des enjeux
préoccupants liés à leur travail et à leur organisation, les gestionnaires
font appel les uns aux autres afin de traiter certains problèmes relatifs à
la santé dans leurs communautés ou en utilisant la classe comme un
groupe de réflexion.
CoachingOurselves : le pas vers l’autonomie du développement.
Ces initiatives ont été amenées vers leur conclusion naturelle par le
directeur de l’ingénierie d’une firme de haute technologie. Il avait besoin
de former ses gestionnaires, mais il ne disposait pas d’un budget
suffisant. Lorsqu’il a entendu parler des programmes ci-dessus, il a suivi
leur exemple. Les membres de son groupe se rencontraient de façon
informelle environ toutes les deux semaines pour réfléchir à leur
expérience en utilisant du matériel conceptuel pour lancer la discussion.
L’initiative s’est poursuivie pendant deux ans. Certains membres du
groupe d’origine ont même formé leurs propres équipes. Cela a mené à
la création de www.coachingourselves.com/fr. Le but de ce programme
est d’encourager ce type d’autoformation dans d’autres organisations.
Les gestionnaires peuvent télécharger différents textes sur des sujets
comme « Les pressions de la gestion », puis travailler les thèmes au
cours de séances informelles d’environ 90 minutes pour renforcer
l’esprit d’équipe et apporter un vent de changement au sein des
organisations. Certaines sociétés proposent maintenant ce programme
à leurs cadres intermédiaires. (Pour plus de renseignements au sujet de
ces programmes, voir Mintzberg, 2004, 2011a, 2011b et 2012.)
* Mais pas toujours. Les politiciens se concentrent dans l’art de dissimuler leurs
défauts pendant les élections, jusqu’à ce que ceux-ci deviennent fatals lorsqu’ils
sont élus. Par exemple, l’objectif d’un débat politique télévisé est de montrer qu’on
est parfait et que l’opposant ne l’est pas. L’hypothèse est que le candidat imparfait
devrait perdre. Peut-être cette farce est-elle une des raisons pour lesquelles les gens
en ont assez du leadership politique.
* On m’a raconté que le directeur général d’une grande société anglaise ne laissait
généralement pas les employés ordinaires passer devant la porte de son bureau. Ils
devaient descendre un étage et remonter un peu plus loin. Ceux qui entraient dans
son bureau devaient s’asseoir sur des chaises plus basses que la sienne, afin qu’il
puisse leur parler de haut. Il est devenu président du conseil d’une société encore
plus importante et a éventuellement été anobli pour ses efforts. Lorsqu’il a quitté la
présidence, il a conseillé à son successeur, à l’occasion de réunions du conseil
d’administration, de bien s’habiller, de ne pas fumer et de garder le contrôle par un
ordre du jour clair. À la première réunion qu’il a organisée, ce successeur a retiré sa
veste, allumé un cigare et demandé aux membres de l’équipe de quoi ils avaient
envie de parler.
* Le titre de l’ouvrage vient du mythe grec d’Icare, qui a volé si près du soleil que
la cire de ses ailes a fondu et qu’il est mort en tombant dans la mer.
* Une société célèbre, qui est le chef de file dans son domaine depuis de
nombreuses années, fait élire son directeur général par des cadres supérieurs, qui
procèdent par vote secret. J’ai demandé à plusieurs groupes de gens d’affaires de
tenter de deviner quelle était cette société. Rares sont ceux qui ont donné la bonne
réponse. Il s’agit de McKinsey & Company, dont le directeur général est élu pour
un mandat de trois ans. Cela semble avoir été bénéfique pour McKinsey. Est-ce que
les consultants de cette entreprise ont déjà proposé cette approche à leurs clients ?
* Voir Managers, Not MBAs (Mintzberg 2004, p. 1-194) (paru en français en 2005
sous le titre Des managers, des vrais ! Pas des MBA), y compris le rapport d’une
étude menée par Joseph Lampel et moi-même (p. 114-119). Nous avons suivi sur
plus de 13 ans 19 directeurs généraux vedettes formés à l’école de gestion de
l’Université Harvard (Ewing, 1990). Dix d’entre eux ont échoué (la société a fait
faillite, le PDG a été remercié, une fusion importante a raté, etc.) et 4 ont connu un
rendement tout au plus discutable. Seulement 5 semblaient avoir réussi.
Dédicace
A
Adams, Brian, 14, 43, 57, 77, 80, 86, 87, 110, 127
Administration des affaires, 228
Agenda, 32, 35, 58, 94
Alimentation informationnelle, 39
Alinsky, Saul, 148
ALP
programme de formation_, 231
Aptitude(s)
d’interprétation, 87
de négociation, 132
Arrogance, 177, 179, 199, 228
Aspect humain, 67
Association(s) professionnelle(s), 43
Autoanalyse, 206
Autoformation, 232, 256
Autogestion, 94, 230
Autonomie du développement, 232
B
Banque Royale du Canada, 14, 17, 57, 77, 102, 130, 182
Barnard, Chester, 89, 182
Becoming a Manager (Hill), 134
Bennis, Warren, 54
Benz, Jacques, 14, 15, 17, 84, 85, 121, 129
Bombardier, 43, 57, 77, 80, 86, 87, 110, 127
Boyatzis, Richard, 236
Brauman, Rony, 14, 79, 103, 115, 116, 121, 126
British Telecom (BT), 14, 15, 17, 86, 113, 114, 131, 216
Brook, Peter, 204
Burchill, Allen, 14, 62
Business Roundtable, 225, 226
C
Cabine téléphonique (La), Montréal, 14
Cadre supérieur, 30, 100, 105, 109, 129, 130, 158, 162, 173-175, 179, 225
CBC (Canadian Broadcasting Channel) Radio, 14, 90, 108
Centre nerveux, 61, 72, 87, 91, 164
Charam, R., 195
Charge de travail, 33
Cleghorn, John, 14, 17, 57, 60, 77, 102, 106, 130, 182
CoachingOurselves, 70, 232
Coe, Peter, 14, 114
Colvin, G., 195
Communication, 49, 55, 59, 60, 69, 95, 117, 121, 126, 127, 129, 130, 133, 157,
197, 207, 208
aspects de la_, 48
aspects non verbaux de la_, 40
informelle, 29, 37
mode de, 46
moyens de_, 207
non verbale, 94
orale, 94
rôle de la_, 63, 120
Communication-persuasion, 78, 79
Confiance en soi, 176, 177
conflit de la_, 176, 177, 205
Connexion, 204, 238
dilemme de la_, 156, 158, 159, 204, 205, 214
Conseil(s), 12, 92
d’administration, 174
d’expert, 43
de l’extérieur, 132
Contact(s), 32, 38, 40, 43, 48, 49, 71, 72, 89, 157, 158, 162, 206
entrer en_, 127
réseau(x) de_, 43, 77, 133
temps de_, 42
Continuité, 182, 183
Contrôle, 29, 44, 45, 48, 53-55, 57, 59, 63-66, 69, 71, 72, 83, 93, 95, 96, 105,
110, 114, 118, 128-130, 132, 140, 157, 162, 170, 175, 214, 215
à distance, 127, 128, 136
illusion du_, 48
paradoxe du_, 173, 174
Créativité, 20, 88
Croix-Rouge, 14, 60, 64, 78, 99, 102, 112, 182, 216
Culture(s), 10, 72, 73, 75, 102, 106, 124, 129, 136, 143, 210
consolidation de la_, 128
d’entreprise, 56
de l’organisation, 73, 129, 223
de stratégies, 152
développement de la_, 94
différentes, 102
établissement de la_, 218
nationale, 100
renforcement de la_, 72
D
Davis, Sandy (Sandra), 14, 76, 113, 155
Délégation, 65, 94, 163, 165
dilemme de la_, 42, 163, 214
Des managers, des vrais! Pas des MBA (Mintzberg), 205
Dilemme de la connexion, 156, 158, 159, 204, 205, 214
délégation, 65, 94, 163, 165
Drucker, Peter, 11, 19, 44, 189, 237
Dynamisme, 113
E
Efficacité, 11, 21, 176, 201, 202, 219, 220, 222-225
mesures d’_, 224
opérationnelle, 183
Eliot, T.S., 210
EMBA, Université de Toronto, programme de_, 188
Empty Space, The (Brook), 204
Énoncé de gouvernance d’entreprise, 226
Énoncé sur la responsabilité d’entreprise, 225
Executive and His Control of Men, The (Burton), 191
Experts-conseils, 91, 105, 179
F
Famille(s) organisationnelle(s), 187, 192, 194, 201
Fayol, Henri, 53, 138
Female Advantage: Women’s Ways of Leadership, The, 115
Flexibilité, 183
Follett, Mary Parker, 72, 217
Fonction(s) commerciale(s), 230, 231
G
Gendarmerie Royale du Canada (GRC), 14, 60, 62, 73, 107, 108, 122, 129, 143
General Motors, 139
Gestion,
aspects sociaux de la_, 212
constructive, 138, 142
créativité dans la_, 20, 88
de l’action, 69, 82, 89
de projets, 86, 94
déséquilibres en_, 196, 197
distribuée, 138, 141
diversité de la_, 10, 99, 100, 145
efficace, 19, 51, 119, 187-189, 208, 238
engageante, 213, 214
hors cadre, 101, 130-132, 136, 175
maximale, 138, 139
minimale, 138, 144
mythes à propos de la_, 9, 11, 12, 16
par équipe, 140
paradoxes de la_, 10, 25, 34, 145, 147, 149, 156, 158, 159, 163, 165, 166, 170-
174, 176-178, 183-186, 196, 204, 205, 209, 212, 216
partagée, 138, 140
participative, 111, 138, 139
proactive de projets, 84-86
styles de_, 11, 111, 112, 118, 119, 121, 214
Gestionnaire(s),
autorité du_, 212
compétence du_, 25
développement des_, 187, 230
intermédiaire, 30, 100,130, 173, 175
modeste, 176-178
nouveau_, 133
pressions que subissent les_, 27, 28, 49, 51, 79, 81, 100, 103, 124, 147, 149,
173-176, 195, 207, 211, 232
réticent, 133-135
qualités du_, 10, 188, 190, 191, 199, 219
sélection des_, 219-221
style individuel du_, 101, 111, 113, 120-122, 133
Gilding, Paul, 14, 15, 103, 113, 128
Gosling, Jonathan, 182
Gowin, Enoch Burton, 191
Greenpeace International (Amsterdam), 14, 15, 102, 103, 113, 128
Grove, Andy, 65, 95, 171
GSI, Paris, 14, 15, 17, 84, 121, 129
Gullet, Abbas, 14, 64, 78, 87, 102, 112, 113, 125, 182
H
Habilitation, 69, 70, 139, 212, 214, 233
des employés, 111
Harvard Business Review, 54, 122, 209
Haslam, Carol, 14, 56, 78, 80, 90, 104, 120-122, 126
Haute direction, 13, 42, 87, 104, 126, 163, 174
Hawkshead Ltd., Londres, 14, 56, 78, 80, 90, 126
Helgesen, Sally, 115,
Hill, Linda, 21, 71, 82, 134
Hohnen, Paul, 14
Hôpital général juif, Montréal, 14
Hôpital St. Charles, NHS, Londres, 14
Hôpital St. Mary’s, NHS, Londres, 14
Humble, Ralph, 14
Huy, Quy, 108
I
Icarus Paradox, The (Le paradoxe d’Icare) (Miller), 200
IMHL (Maîtrise internationale pour le leadership en santé), 231, 232
IMPM (Maîtrise internationale pour gestionnaires en exercice), 149, 202, 212,
215, 228, 230-232
Inkster, Norman, 13, 14, 60, 74, 107, 108, 122, 129, 143
Intégration, 19, 202, 217
sociale, 202, 217
Intel, 65, 95, 171
IKEA, 155, 192
Insead, 108
Irwin, Gordon, 13, 14, 76, 107, 158, 234
J
Johnson & Johnson, 84, 87
Join-Diéterle, Catherine, 14, 82, 115, 121
K
Kamprad, Ingvar, 192
Keynes, John Maynard, 183
L
Lavoie, Fabienne, 14, 15, 77, 96, 112, 122, 125, 161
Leadership, 11, 16-18, 24, 38, 42, 44, 68, 69, 75, 141, 189, 212-214, 217, 220,
228, 233, 235-238
en santé, 231
engagé, 143
héroïque, 111, 177
Livingston, J. Sterling, 157
M
Macrodirection, 18, 91, 196
Macrogestion, 63
Magic Number Seven, Plus or Minus Two: Some Limits on Our Capacity for
Processing Information (Miller), 154
Maîtrise internationale pour gestionnaires en exercice (IMPM), 149, 202, 212,
215, 228, 230-232
Maîtrise internationale pour le leadership en santé (IMHL), 231, 232
March, Jim, 17
McLuhan, Marshall, 48
Médecins sans frontières, 14, 79, 103, 115, 116, 126
Microgestion, 63, 85, 91, 156, 162
Miller, Danny, 200
Ministère de la Justice du Canada, 14, 112, 133, 135
Mintzberg, Max, 14, 102, 106, 124, 125
Mishina, Kaz, 212
Musée de la mode et du costume, Paris, 14, 82, 115
N
National Health Service (NHS), Angleterre, 14, 107, 114
New Jersey Bell, 89
Nichol, Duncan (Sir), 14
No Single Thread : Psychological Health in Family Systems (Lewis), 201
Noël, Alain, 57
O
Omollo, Stephen, 14, 60, 64, 102, 125, 158, 160, 182
Orchestre symphonique de Winnipeg, 14, 16, 74, 75, 100
Organisation mondiale de la Santé (OMS), 55
Organizations in Action (Thompson), 183
P
Paradoxe(s)
de la gestion, 10, 25, 34, 145, 147, 149, 156, 158, 159, 163, 165, 166, 170-174,
176-178, 183-186, 196, 204, 205, 209, 212, 216
du contrôle, 173, 174
Paradoxe d’Icare, Le (The Icarus Paradox) (Miller), 200
Parc national de Banff, 13, 14, 43, 76, 107, 158, 234
Parcs Canada, 14, 76, 113, 151, 155
Patwell, Beverley, 119
Persuasion, 118, 134, 214
communication-, 78,79
techniques de_, 96
Peters, Tom, 53, 92, 170
Plan directeur, 71
Planification, 28, 35, 36, 55, 57, 58, 67, 94, 131, 150, 151, 153, 175
difficulté de la_, 149, 152, 205
du profit, 65
du travail, 58
formelle, 99, 130
stratégique, 21, 67, 150, 151
Porter, Michael, 53, 92, 150
Practice of Management, The, 44
Pression(s), 27, 28, 49, 51, 79, 81, 100, 103, 124, 147, 149, 173-176, 195, 207,
211, 232
externes, 143
incessantes, 10
inhérentes au milieu de travail, 36
temporaires de la gestion, 110
Prise de décisions, 54, 64-66, 69,72, 82, 95, 111, 128, 143
Proaction, 202, 214-217
Programme (s)
ALP, 231
de formation pour gestionnaires, 228-233
EMBA (Université de Toronto), 188
IMHL (Maîtrise internationale pour le leadership en santé), 231, 232
IMPM (Maîtrise internationale pour gestionnaires en exercice), 215, 230, 231
Q
Quantité de travail, 30
R
Réalité(s) opérationnelle(s), 163
Réflexion
groupe de_, 232
processus de_, 64
stratégique, 94
Relation(s)
hiérarchique(s), 42
interpersonnelle(s), 195
Réseau(x) de contacts, 43, 77, 133
Réseautage, 49, 77, 78, 94, 137, 219, 231
Ressources humaines, 66, 224, 235
Rise and Fall of Strategic Planning, The (Grandeur et décadence de la
planification stratégique), 151
Rivard, Glen, 14
Royal Shakespeare Company, 204
Rules for Radicals (Alinsky), 148
S
Sayles, Leonard, 44
Sheen, Ann, 14, 112, 121, 155
Simon, Herbert, 54
Singer, Isaac Bashevis, 215
Sloan, Alfred, 139
Stratégie(s), 57, 83, 85, 91-93, 120, 122, 130, 137, 142, 149, 150-155, 159, 163,
170, 213, 218
Superficialité, 34, 147, 148
syndrome de la_, 34, 147, 149, 196, 205
Système de gestion de l’information (SGI), 37
T
Tate, John, 14, 112, 133, 135
Taylor, Frederick, 21
Thick, Michael, 14, 112, 128
Thompson, James D., 183
Tovey, Bramwell, 14, 16, 17, 64, 74, 75, 79, 100, 104, 111, 121, 122, 125, 158
Travail du gestionnaire
charge de_, 33
quantité de_, 30
Transmission, 78
des stratégies, 130
liaison par la_, 79
voie de_, 80
volume de_, 47
U
Université Case Western Reserve, 236
Université de Toronto, École de gestion, 188, 192
Université Harvard, École de gestion, 157
Université Stanford, École de gestion, 17
V
Waking Up IBM : How a Gang of Unlikely Rebels Transformed Big Blue
(Hamel), 142
Wall Street, 54
Ward, Doug, 14, 90, 108
Webb, Stewart, 14, 112, 128, 134, 135
Whelan, Alan, 14, 15, 17, 86, 113, 114, 131, 216
Z
Zincan, Charlie, 14, 43, 76
À propos de l’auteur
www.tcmedialivres.com