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fr – Trimestriel N°°3 – Avril – Mai – Juin 2024

1
livre noir n°3
NOTRE ENQUÊTE INÉDITE
ANTIFAS, GROUPES PRO-HAMAS,
LGBT, ÉCO-ACTIVISTES, ZADISTES,
FÉMINISTES, ASSOCIATIONS
PRO-MIGRANTS ET FICHÉS S.

INFILTRÉE
AU COEUR DE L’EXTRÊME GAUCHE
infiltrée
 boualem sansal
Georges Fenech xavier Driencourt
2
livre noir n°3

Gilles-William Goldnadel

jean-eric schoettl
ils ont rémi brague

Nicolas pouvreau-monti
contribué thierry lentz

thibault de montbrial
infiltrée

pierre-marie sève Philippe olivier

François-Xavier Bellamy
 BRÛLER
SES VAISSEAUX
L
par érik tegnér
directeur de la rédaction
e week-end dernier, quatre gen-
darmes ont débarqué chez moi peu
avant midi. « Nous avons été alertés
par la plateforme Pharos, qui s’est
auto-saisie parce que sous un tweet
de Livre Noir, un islamiste a écrit :
« On va vous faire une Charlie dans
vos bureaux ». On va l’identifier
pour l’arrêter, mais vous devez por-
ter plainte. »
Quelques jours plus tard, ce sont les renseignements territo-
riaux qui m’appellent pour s’assurer que la plainte sera bien
déposée. Quel était ce tweet de Livre Noir qui nous a valu de
devenir une cible suffisamment précise pour qu’elle alerte Pha-
ros et les services ? La révélation par nos soins des noms et pré-
noms des sept adultes interpellés pour avoir attaqué au mortier
le commissariat de police de La Courneuve. Hasard, ils étaient
tous de consonance maghrébine.
Je ne vous parle pas de cet autre individu revendiqué musulman,
qui sur mon profil Instagram personnel, me harcèle depuis des
jours, matin et soir, avec des insultes telles que : « Les salopes
dans ton genre je les fais trembler » ; « je me suis fait planter, j’ai
planté des gens » ou encore « Je te le ferai comprendre quand je
t’attraperai à la sortie de CNews sale goy sioniste ». Lorsque les
donneurs de leçon nous disent qu’on ment sur la réalité de la
menace en France, je les incite à lire ce nouveau message : « Je
ne suis pas le pire de ceux que tu pourras croiser sur ta route. T’as
pas idée de quelle rage pullule en nous en ce moment. T’as pas
idée des malades énervés qui cathartiseraient [sic] le génocide sur
ta tronche. »
Sauf que tout cela ne nous fait pas peur. Cela veut dire que nous
frappons là où il faut.
Il y a également l’éternel acharnement judiciaire : convocation
Le magazine Livre Noir est un trimestriel, d’enquêtes et de grands reportages. Lancé en septembre 2023, il est
diffusé à 30 000 exemplaires. Disponible également par abonnement.
édito
3
livre noir n°3
à la PJ la semaine dernière pour une audition en raison d’une
plainte de SOS Racisme contre l’entretien de Marguerite Stern
dans Livre Noir parce qu’elle avait osé souligner la surreprésen-
tation de la délinquance dans les populations immigrées. Mais il
y a mieux parmi d’autres procédures : en fin d’année, procès en
vue pour incitation à la haine raciale en raison d’une plainte…
du CCIF, association dissoute pour islamisme par Gérald Dar-
manin. Plainte reprise par « Les Musulmans de France ». On
peut ainsi en France avoir une association islamiste qui parvient
à convaincre des procureurs de diligenter un procès contre
vous. Classique.
Avec cette grande enquête et cette infiltration de groupuscules
d’extrême gauche dont certains sont directement liés à des isla-
mistes, nous envoyons un message : il n’y aura pas de retour en
arrière possible. Les insultes, attaques et accusations subies de-
édito
puis notre création nous ont renforcés. Aujourd’hui, nous avons
brûlé nos vaisseaux pour être sûrs de ne jamais faiblir ni reculer.
L’investigation, c’est ce qui permettra à notre média d’être vé-
ritablement libre et indépendant : c’est la base du journalisme.
Mais nous savons que notre vie va changer, en particulier celle
de notre courageuse journaliste qui a infiltré certains groupus-
cules durant plusieurs mois et que je tiens ici à saluer.
Notre média, chaque trimestre, prendra soin de vous révéler
ce que les autres ne voudront ou ne pourront faire. Comme
le nom d’Aziz Bouhafsi, ce fiché S tout juste sorti de prison le
9 décembre dernier où il purgeait une peine de six ans, et qui
se promène tranquillement dans Paris aujourd’hui alors qu’il a
promis de passer à l’acte.
Si de votre côté vous trouvez notre mission importante, si vous
êtes révoltés de voir qu’en France des journalistes vivent sous
des menaces permanentes, si vous tenez ce magazine entre vos
mains et que vous lisez ces lignes, alors mille fois merci. Vous
êtes ce qui chaque jour nous pousse à nous battre, à toujours
repousser plus loin nos limites. Un vent se lève, il gonfle nos
âmes de détermination. Et ce n’est qu’un début.
infiltrée
4
livre noir n°3

P.36
SOULÈVEMENTS
Sommaire N.
INFILTRÉE
o
P.52
DERNIÈRE RÉNOVATION
DE LA TERRE au coeur de l'extrême gauche AVEC LES ÉCO-ACTIVISTES
INCLUSIFS ET HORS-LA-LOI
Durant 6 mois, une journaliste de Livre Noir
s’est infiltrée dans différents groupes d’ex-
trême gauche. Une enquête inédite jamais
réalisée auparavant, entre féministes, isla-
mistes et éco-activistes, dans une conver-
UGO AMEZ/SIPA

gence des luttes glaçante.

P.46
AVEC LES ZADISTES

12
LES ÉCOLOS PERCHÉS DE L'A69

P.
P.79 URGENCE PALESTINE P. 90
AGF LES DESSOUS CHOCS D'UN GROUPE LA JEUNE GARDE
FÉMINISME ISLAMISTE KAPOS VIRILISTES
AU SERVICE DU HAMAS
sommaire

P.64 P.76
COLLECTIF TRANS
SANS-PAPIERS PERTURBATEUR
EXPLOITANTS DE LA MISÈRE ENDOCTRINEMENT

TEUR
PRÉDICA E
ISLAMIST

P.72
BRÛLER LES CRA
ILS VEULENT LIBÉRER LES CLANDESTINS
infiltrée
 5
108

livre noir n°3

P.
SUR LES ROUTES MIGRATOIRES
CANARIES, MAURITANIE, SÉNÉGAL

P.138
P. 100
AZIZ BOUHAFSI P.124
FAUX AGENTS DU GIGN LE DJIHADISTE EN LIBERTÉ PASSEUR DE MIGRANTS
LA FAKE NEWS DE DARMANIN NOS RÉVÉLATIONS NOTRE RENCONTRE
AVEC ABDOULAYE

sommaire
FICHÉ S E PRISON
P.87 D P.162
MEDIAPART
LIBÉRÉ AZOV
UNE JOURNÉE EN ENFER REPORTAGE EN UKRAINE

P.99
MONTBRIAL
Wikipedia-Alain Stival

P.130
BELLAMY - DRIENCOURT

P.152
infiltrée

BRAGUE
 édito
6
livre noir n°3
Infiltrée au cœur de l'extrême gauche

INFILTRÉE
AU CŒUR
DE L'EXTRÊME GAUCHE
infiltrée

par pauline condomines

photo François Delauney
S
'il y a bien une chose que j'ai
apprise sur moi au cours de ma
très courte carrière de journa-
liste, c'est que je n'ai pas vrai-
ment l'âme d'une éditorialiste.
Pourtant, je dois bien me livrer
au commentaire de cette longue
et passionnante enquête que j'ai
effectuée au sein de l'extrême
gauche pendant six mois.
Cette histoire trouve ses prémices en avril 2023, lorsque
j'ai appris que l'association pro-migrants Utopia 56 avait
investi une école désaffectée dans le XVIe arrondisse-
ment pour y loger 250 « mineurs non-accompagnés »
(MNA). En me documentant sur le sujet, je me rendais
compte que personne ne savait vraiment ce qu'était un
MNA. L'association et les militants de gauche soute-
naient à cors et à cris qu'il s'agis-
sait d'« enfants et d'adolescents »
livrés à eux-mêmes par un État
raciste. À droite, on affirmait que
ces clandestins n'avaient de mineur Je me suis donc
que le nom. enrôlée sur un coup
Moi, je cherchais des faits et de
de tête
l'exactitude, je ne voulais pas être
contrainte de devoir adopter telle
ou telle opinion sur la question par
simple connivence idéologique avec un tel ou un tel. Et,
surtout, j'étais curieuse, j'avais envie de bâtir mes propres
certitudes en observant de mes yeux ce qu'il en était de
l'autre côté du rideau.
Je me suis donc enrôlée, sur un coup de tête, comme béné-
vole dans l'association Utopia 56, en ce mois d'avril 2023.
Les deux mois qui ont suivi, j'ai fait le pied de grue des
après-midis entiers pour recueillir des migrants clandes-
tins dont la reconnaissance de minorité avait été refusée.
J'ai participé à l'organisation de manifestations au cours
desquelles des familles migrantes étaient contraintes de
rester devant l'Hôtel de ville de Paris toute la nuit par les
bénévoles d'Utopia, pour exiger la mise à disposition d'un
hébergement d'urgence. J'ai compris que les militants uti-
lisaient les clandestins comme un « moyen » de mener à
bien leur agenda politique sans-frontiériste, en profitant
de la situation de dépendance et d'attente de ces migrants
à leur égard. Cette expérience m'a marquée.
Alors, lorsque notre directeur de la rédaction, Erik Te-
gnér, m'a suggéré de recommencer une telle infiltration
ailleurs, j'ai sauté sur l'occasion. À partir de septembre,
j'ai commencé un long travail de documentation et d'ap-
7
proche. Il fallait que j'identifie les collectifs précis que
j'allais devoir infiltrer et que je prépare un plan d'action.
livre noir n°3
J'ai choisi des mouvements qui ont fait l'actualité sans
pour autant être très connus du grand public comme les
Soulèvements de la Terre ou Dernière Rénovation. L'ob-
jectif était de découvrir et de révéler leur fonctionnement,
leurs méthodes et leurs cachotteries. Je me suis aussi in-
téressée à des groupuscules moins connus, qui agissent à
couvert mais qui n'en sont pas moins actifs, comme les
collectifs de sans-papiers, les mouvements autonomes
violents ou encore les associations transgenristes et fé-
ministes.
Enfin, j'ai eu la chance d'enquêter longuement sur le col-
lectif Urgence Palestine, créé après les massacres du 7 oc-
tobre et qui catalyse depuis la convergence des luttes entres
islamistes, marxistes, féministes,
écologistes et autres décoloniaux.
Cette dernière immersion fut sans
Infiltrée au cœur de l'extrême gauche
doute la plus instructive car elle m'a
permis d'observer en toute liberté la
façon dont des alliances se nouent,
entres des groupes aux intérêts radi-
calement opposés, dans le seul but
de mener un combat féroce contre
l'Occident.
Mon travail fut long. J'ai vécu des moments intenses,
certes, lors d'actions coup de poing auxquelles j'ai par-
ticipé ou de voyages lointains, dans la ZAD de l'A69 par
exemple. J'ai parfois eu peur, lorsque j'ai été confrontée
à la violence de quelques militants radicalisés. Mais j'ai
aussi dû m'armer de patience pour participer à de nom-
breuses et longues réunions dans le but d'acquérir une
connaissance fine et précise des mouvements que j'infil-
trais ainsi que de leurs membres.
Aussi, je n'espère qu'une chose à l'issue de cette enquête :
avoir réussi à être le plus factuelle possible et à réunir des
informations utiles et précises, qui permettront aux édi-
torialistes de talent d'en tirer des conclusions nécessaires,
en toute connaissance de cause.
infiltrée
infiltrée Gilles-William Goldnadel livre noir n°3 8
préface
 Il faut

9
livre noir n°3
DISSOUDRE
URGENCE PALESTINE
Au pays de Voltaire, désormais on se bat pour le droit de mieux tuer son
voisin. Au nom de l’humanitarisme, le mouvement « Urgence Palestine »
développe ainsi que vous allez pouvoir le lire ici un antisémitisme décom-
plexé, dissimulé derrière une défense globale des dominés et des damnés de
la terre. Il est temps que cesse cet exercice de haine, qui se déroule sous nos

Gilles-William Goldnadel
yeux. Nous ne pourrons plus dire que nous savions pas.

J
par Gilles-William Goldnadel
photo Charles Duroselle

e dois dire que j’ai été impres- lement noter, c’est que les députés, avec un bel esprit
sionné, et plus qu’agréablement d’hypocrisie, se retiendront d’utiliser en public cer-
surpris par la qualité et le ca- taines des expressions que l’on peut entendre dans ce
ractère documenté de l’enquête reportage. Pour faire simple, tout est antisémite à Ur-
de Pauline, et je crois qu’elle gence Palestine, sauf que vous n’entendrez pas « mort
fera œuvre utile. C’est pour aux juifs ». Prenez l’exemple de Madame Simonnet,
cela d’ailleurs que je suis très qui a reçu Monsieur Corbyn à Paris à grand renfort
heureux d’en faire la préface, de tapis rouge, avec l’appui de Madame Obono dont
car bien que je n’aie pas l’ha- on connaît l’admiration pour Houria Bouteldja qui
bitude de regarder des associations comme Urgence s’assume parfaitement comme antisémite. Eh bien,
Palestine avec les yeux de Chimène, cette enquête a malgré tout cela, nous n’entendrons pas Madame Si-
quand même réussi à me surprendre (ce qui n’est plus monnet exprimer directement des propos antisémites.
si simple avec le temps !), à la fois par la détestation Et c’est chaque fois ainsi, tout comme Rima Hassan
raciale et par le wokisme primaire qu’elle met en lu- qui, du temps où elle était encore simple militante,
mière chez ces militants. avait soutenu dans l’émission « Le Crayon » que les
actions du Hamas sont légitimes et qu’Israël n’a pas
J’ai été moins surpris par l’attitude des membres de le droit de se défendre ; mais sitôt éligible sur la liste
La France Insoumise, puisque j’ai du mal à faire la dif- Insoumise, elle a fait un petit pas de côté pour ne pas
férence aujourd'hui entre leurs députés et un militant compromettre son parti plus qu’il ne l’est déjà. Cela
infiltrée

qui regarde les actions du Hamas avec faveur, voire étant, reconnaissons quand même que c’est une hypo-
avec ferveur. La différence que l’on pourrait éventuel- crisie modérée, dans la mesure où ayant déjà franchi
10
depuis longtemps le mur de la respectabilité, ils assu-
ment tout de même 90 % de leurs propos à ce sujet.
livre noir n°3
Il faut dire qu’une certaine partie des militants d’Ur-
gence Palestine ne brille pas particulièrement par son
intelligence, et n’est même pas capable de comprendre
les contraintes minimales de ses alliés insoumis.
L’un des passages les plus instructifs de l’excellente
enquête sur Urgence Palestine est sans doute le fait
que les groupes féministes s’insèrent au sein de col-
lectifs particulièrement virulents dans leur refus de
condamner les viols du Hamas. Qu’un militant isla-
miste soit antisémite et ne compte pas se cacher, ce
n’est plus un scoop. Rien de nouveau sous le soleil
noir du djihad. En revanche, voir jusqu'où peut aller
cette « convergence des luttes », lorsqu’un antiraciste
accepte de pactiser avec un « antisémite colonisé »,
c’est frappant. Je crois même que l’on va au-delà de
ça, car sous cette détesta-
tion des juifs et d’Israël,
qui est intemporelle, on « Les associations PRO-PALESTINE
voit percer un profond ra-
et PRO-HAMAS
Gilles-William Goldnadel
cisme anti-Occident et an-
ti-blancs. Je le note dans
mon Journal de guerre, et
favorisent certainement
c’est très important à com-
prendre. Pour résumer, des
militantes qui sont décrites
de L'ISLAMISME »
ici, pseudo-féministes sou-
vent blanches, voire LGBT ou autres, et qui veulent
casser la figure des « collabos » d’en face, on com-
prend qu’elles n’auront pas la moindre compassion
pour les femmes violées, éventrées, torturées dans les
kibboutz le 7 octobre. Et ces femmes massacrées, ce
sont certes des juives, mais surtout des blanches, et
dans la psychologie tourmentée de ces gens-là, cela
signifie invariablement « privilégiées » « coupables »
– bien davantage qu'elles ne sont victimes ! Pire en-
core, ceux qui les ont violées à l’inverse ne sont pas
des mâles blancs, mais des « racisés », ce qui dans
l’inconscient de ces militantes induit quelque chose
d’extrêmement sournois : finalement, ces agresseurs
n’en sont pas vraiment, et ils ne sont pas vraiment
détestables… Leur qualité de martyr dépose un voile
pudique sur leur culpabilité.
En vérité, de telles « féministes » n’en sont pas, et peu
importe aux militants LGBT le fait que s’ils étaient à
Gaza, à Hébron ou en Cisjordanie, leur espérance de
vie ne dépasserait pas les sept à dix secondes. Dans
infiltrée
leur tenue habituelle, ils ne seraient pas autre chose
que des cibles à abattre, mais ça n’a aucune espèce
d’importance pour eux, car leur culpabilité est telle
qu’ils en deviennent masochistes. On est à des an-
nées-lumières des combats pour le droit des femmes
ou des homosexuels – qui par ailleurs est déjà gagné
dans notre société – et plus proche du domaine psy-
chiatrique que politique.
Les associations pro-Palestine et pro-Hamas favo-
risent certainement la diffusion de l’islamisme, et il
n’est pas du tout exclu, ne serait-ce que par la loi du
nombre, qu’il l’emporte un jour. Je parierais davan-
tage sur les islamistes que sur les gauchistes d’ailleurs,
qui sont plus des vassaux qu’autre chose dans cette
affaire. Cela étant dit, leur détestation de l’Occidental
blanc est tout à fait sincère, et d’une certaine manière
l’islamo-gauchisme est une alliance qui a le mérite de
fonctionner contre un ennemi commun. Ça marche
dans les universités américaines, ça marche dans les
facultés françaises, et ça permet de diffuser dans les
LA DIFFUSION
journaux d’extrême gauche – ayant parfois pignon sur
rue – les idées qui les servent, jusqu’à les normaliser
complètement. On ne voit quasiment jamais dans l’es-
pace public, dans le domaine du politiquement cor-
rect, d’antipathie à l’égard de ces gens-là ! En com-
paraison, l’ultradroite comme Génération Identitaire
inspire infiniment plus d’articles et de commentaires
que les organisations dont on parle. Je défie quiconque
de trouver dans leurs journaux un article au vitriol qui
se permettrait de moquer, par exemple, le wokisme
masochiste qui se met dans la main des islamistes.
Tout bien pesé, Urgence Palestine n’est pas si éloignée
de ce que l’on trouve dans les journaux de gauche.
Enfin, dès l’instant où l’on dissout des associations
pour racisme et pour violence, il me paraît être de la
première urgence de dissoudre Urgence Palestine, qui
n’a d’ailleurs pas d’existence juridique véritable. Oui,
il faut dissoudre Urgence Palestine. Mais vous savez,
je me permets d’être pessimiste quant à ces dissolu-
tions, car je vous ai parlé de sociologie journalistique
à l’extrême gauche, mais la sociologie de certains ma-
gistrats n’est pas très éloignée…
infiltrée livre noir n°3 11
DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DO DOSSIER N°1

URGENCE PALESTINE
12
livre noir n°3

CEUX QUI VEULENT ÉRADIQUER ISRAËL

Palestine, extrême gauche, islam, Hamas,
antisionisme… On peut trouver quelques
lointains liens logiques entre ces termes,
mais cela demeure encore confus dans
notre esprit. Pourtant, il y a un point
commun aux associations que j’ai infil-
trées jusqu’alors, que ce soit les Soulève-
ments de la Terre, le Collectif sans-pa-
piers ou l’AG féministe Paris-banlieue :
toutes convergent vers Urgence Palestine.
à aller chercher des soutiens, l’association « La Pa-
lestine nous rassemble » leur permet d’obtenir des
fonds… Urgence Palestine n’a aucune existence offi-
cielle, mais n’en est pas moins très active.
Durant mon infiltration, mon investissement me per-
met d’être chargée de missions comme rédiger des
comptes-rendus de réunions et des rapports pour ré-
colter des informations. Il m’arrive d’ailleurs, grâce
à mon zèle discret, d’être incluse dans des groupes
restreints réservés aux militants de confiance.

J
par PAULINE CONDOMINES
Urgence Palestine, c’est le pied dans la porte pour
photo François Delauney rendre l’islamisme mainstream. Le mouvement ac-
cepte l’alliance avec des islamistes, des porteurs de
l’islam politique, mais s’emploie également à « dé-
’aurais pu me rendre aux réu-
construire » la notion de terrorisme qui devient une
nions d’Urgence Palestine et
résistance dans leur bouche, à Gaza comme en France.
n’y découvrir qu’une simple
Le combat pour la Palestine est appelé décolonial,
association de soutien aux ci-
mais s’inscrit largement dans une perspective reli-
vils palestiniens. Pourtant, en
gieuse qui lie toute l’Oumma.
m’infiltrant dans cette associa-
tion durant plusieurs semaines,
Le 8 mars, la Marche internationale pour le droit des
ce que je découvre dépasse de
femmes est organisée à Paris. Très vite, elle dégénère :
très loin ce que je pouvais ima-
des membres d’Urgence Palestine se sont organisés
giner. Glorification du 7 octobre, soutien au Hamas,
pour « dégager les sionistes ». Par sionistes, ils en-
désir de destruction d’Israël, complotisme, fichés S,
tendent les membres du collectif « Nous Vivrons » qui
islam politique : tout y est. À travers des réunions dans
condamne les viols commis par le Hamas le 7 octobre.
des hangars, des manifestations, des conversations
L’attaque était prévue, et je me rends compte qu’Ur-
privées ou des discussions, j’ai récupéré des éléments
gence Palestine remplit de nombreux critères qui jus-
me permettant de démontrer des faits d’apologie du
tifieraient sa dissolution.
terrorisme, d’antisionisme débridé ou d’incitation à la
violence et à la haine chez Urgence Palestine. Le com-
Cette enquête est sans doute la plus risquée et la plus
plotisme antisémite des militants va même jusqu’à
incroyable de celles que j’ai réalisées dans ce magazine.
leur faire penser que les attentats islamistes en France
Imaginez que le fiché S pour islamisme à côté duquel
n’étaient pas perpétrés par Daech : tout cela n’est pour
vous vous tenez sans défense découvre que vous êtes
eux qu’un complot sioniste.
infiltrée pour le compte d’un média qu’il voit comme
ennemi ! Comme je l’ai observé de mes propres yeux
Leurs accointances avec l’islam leur permettent de re- durant la manifestation pour la Journée du droit des
infiltrée

cruter dans les mosquées, leurs liens avec La France femmes, ces gens sont capables de violence. Espérons
Insoumise les autorisent à se « respectabiliser » et que cette enquête permette de la stopper.
 13
livre noir n°3
TOUTES LES RÉUNIONS
ET LES DISCUSSIONS
QUE J’AI RÉALISÉES AVEC
URGENCE PALESTINE M’AU-
RONT FAIT ENTENDRE DES
PAROLES INDÉFENDABLES.
LE 8 MARS, IL FALLAIT « DÉ-
GAGER LES SIONISTES DE
LA MANIF » : POUR CELA,
L’UN DES MEMBRES DE
L’ASSOCIATION S’EN EST
PRIS PHYSIQUEMENT AUX

dossier n°1
MANIFESTANTS. J’ENTENDAIS PARLER DE
« COMPLOT SIONISTE » OU DE « BOM-
BARDER ISRAËL ». LE SOUTIEN AU HAMAS,
POINT DE MÉSENTENTE AVEC D’AUTRES
ASSOCIATIONS, N’ÉTAIT MÊME PAS VOILÉ :
« QUAND LES GAZAOUIS ONT CASSÉ LE
MUR, J'AI DIT ALLAH AKBAR », A DÉCLARÉ
L’UN DES MILITANTS. LE HAMAS, CHEZ
URGENCE PALESTINE, C’EST « LA RÉSIS-
TANCE EN ACTION ». AU FOND, TOUT EST
BON POUR ÉRADIQUER ISRAËL, MÊME LE
TERRORISME OU LES CRIMES DE MASSE.

infiltrée
DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DO
Créée à la suite du 7 octobre,
14

Urgence Palestine qui se présente

livre noir n°3

officiellement comme
une « coordination citoyenne »,
entretient pourtant des liens forts
avec La France Insoumise.
Elle attire de nombreux
manifestants lors de
ses mobilisations.
Au fil de mon immersion
dans différents groupes
d'extrême gauche, j'ai rencontré
plusieurs militants
qui faisaient aussi
partie de ce collectif :
au cours de mon enquête,
ce mouvement s'est avéré être
un véritable réseau pro-Hamas,
réunissant complotistes,
antisémites, islamistes
et « progressistes » compromis.
par pauline condomines
photo pierre christen

IMMERSION Notre journaliste Pauline

AU CŒUR
parmi les militants d'Urgence
Palestine lors de la manifesta-
tion du 9 mars 2024.

D'UN RÉSEAU
PRO-HAMAS
infiltrée
 PAULINE

infiltrée livre noir n°3 15

DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DO
MERCREDI 7 FÉVRIER
16
livre noir n°3
Me voilà tout près du siège de la Confédération natio-
nale du travail (CNT), dans le XXe arrondissement. Ce
syndicat révolutionnaire qui souhaite l'abolition des
classes, l'émancipation des travailleurs et la régulari-
sation de tous les sans-papiers, héberge des collectifs
pro-Palestine. Je suis en retard et me dépêche pour
assister à la réunion publique du comité d'arrondis-
sement d'Urgence Palestine. J'entre dans l'allée bordée
de deux bâtiments aux murs peints en rouge et aux
fenêtres noires. J'ai de la chance : tout le monde n'est
pas encore arrivé dans le petit hangar qui sert de local,
et je m'installe au second rang.
Devant moi, une blonde imposante accompagnée de
deux hommes s’assoit pour assister à la présentation.
Il s'agit de Danielle Simonnet, députée insoumise
de la XVe circonscription de Paris. La salle est rapi-
dement comble et quatre présentateurs rejoignent
l'estrade sur laquelle une table ornée d'un drapeau
palestinien grand format a été installée. Derrière eux,
une banderole blanche s'étend sur toute la largeur du
mur et arbore le message : « Résistance antisioniste et
­anti-colonialiste ».
Aux côtés des trois autres présentateurs, je recon-
nais Mériem. Je l'ai rencontrée dans un collectif de
sans-papiers au sein duquel elle est très impliquée.
C'est elle qui m'a fait part de cette réunion, m'expli-
quant qu'elle avait été choisie par ses camarades pour
intervenir sur le lien entre la loi immigration et le
conflit au Proche-Orient car elle est « racisée » (c'est-
à-dire, non-blanche).
« Urgence Palestine est un collectif qui rassemble des
citoyens, des associations, des mouvements, mobili-
sés pour la Palestine et son autodétermination », en-
tonne Rima, une jeune femme brune, pour débuter
la réunion. La militante palestinienne explique par
la suite que le collectif est composé de sections lo-
.
cales, qui jouissent d'une « grande décentralisation très
agréable », et invite les participants à y adhérer.
APOLOGIE
DU TERRORISME
C'est au tour de Mériem de prendre la parole pour dé-
fendre le lien entre la lutte pour la Palestine et celle
contre la loi Darmanin. « Il n'y a pas de loi sur l'im-
migration qui soit acceptable, une loi sur l'immigration
infiltrée
est forcément raciste », défend la quadragénaire aux
cheveux noirs coupés à la garçonne en rajustant ses
ERSILIA
e Grimaldi
SOUDAIS
Ersilia Soudais, c'est Louis
erg
S Boyard sans la notoriété. Élue
LFI de Seine-et-Marne, elle
passe difficilement une semaine
sans commettre une bourde. Celle qui se
considère comme une « intellectuelle » a mul-
tiplié ces derniers mois les appels du pied aux
nationalistes palestiniens en invitant à Paris
une membre du FPLP, en soutenant le mou-
vement Boycott Israël ou en reprenant leurs
éléments de langage.
RIMA
HASSAN
arat
kB
ran Militante pro-Palestine pro-
F pulsée septième de liste aux
élections européennes chez LFI,
Rima Hassan est le symbole de la
stratégie du parti de Jean-Luc Mélenchon
pour draguer l'électorat des banlieues. Parlant
presque exclusivement de la Palestine à lon-
gueur de plateau, elle cherche à mettre Gaza
au coeur de la campagne électorale française.
Son principal argument ? Son origine, qu'elle
met sans cesse en avant, au risque d'oublier
que l'élection se déroule en France.
THOMAS
PORTES
Remarqué par les Français
F
PC
pour avoir joué au foot avec un
ballon à l'effigie d'Olivier Dus-
sopt, Thomas Portes n'est pas un
adepte de la finesse. Obsessionnel, la grande
majorité de sa communication depuis le 7 oc-
tobre est basée sur la défense de la Palestine. Il
considère ainsi que l'État d'Israël est terroriste
(contrairement au Hamas ?) et n'hésite pas à
se rendre à une manifestation pro-Palestine
interdite par la préfecture de Paris fin octobre.

lunettes. Selon la militante, la nouvelle loi relative à
l'immigration est non seulement « raciste » mais aussi
« islamophobe » : elle enjoint en effet les migrants à
« respecter les principes de la République ». Son analyse
lui vaut un tonnerre d'applaudissements dans la salle.
Mériem passe sans transition à la question palesti-
nienne : « Pour moi, comme pour beaucoup de musul-
mans, pour pas dire la majorité, le 7 octobre a été la
résistance en action », poursuit-elle avec une allégresse
effrayante au sujet des massacres commis par le Ha-
mas. La militante compare aussi l'attaque du groupe
terroriste au « 1er novembre 1954 », la Toussaint rouge
qui a signé le début de la guerre d'indépendance algé-
rienne.
Pour Mériem, le lien entre la guerre au Proche-Orient
et la politique française en matière d'immigration est
limpide : « Le racisme tue, le colonialisme tue, le fas-
cisme tue, ce système colonialiste tue », scande-t-elle en
haussant le ton. Elle conclut finalement : « La résis-
tance qui est menée par le peuple palestinien doit s'ac-
compagner d'un soulèvement des pays arabes et nous
avons un rôle à jouer contre notre gouvernement, ici en
France ».
C'est désormais au tour du public de prendre la parole.
Un jeune homme, membre de « Samidoun Paris-ban-
lieue » – collectif qui se définit comme « réseau inter-
national de solidarité avec les prisonniers palestiniens »
et qui est accusé par Israël d'être le prête-nom du
Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) à
l’étranger – prend la parole.
« Notre rôle est de venir en aide de manière concrète à la
résistance palestinienne », affirme le militant. Il préco-
nise pour ce faire d'« inverser le récit en reconnaissant
la légitimité de la résistance palestinienne sous toutes les
formes qu'elle prendra », recueillant immédiatement
l'adhésion bruyante de la salle.
17
livre noir n°3
Pour un autre intervenant, aide-soignant de l'hôpital
Tenon, « l'angle dominant mis en avant dans le récit,
c'est la lutte contre le terrorisme, à Gaza et… également
.
ici. Et des gens s'identifient par ce prisme, c'est ce qu'il
faut déconstruire ».
immersion au coeur d'un réseau pro-hamas
PETIT MARCHÉ ÉLECTORAL
DES INSOUMIS
Après ces interventions, Danielle Simonnet, députée,
se lève et commence à dérouler son argumentaire. « Je
pense qu'il faut accepter le f ait que tout le monde ne
sera pas dans les manifs pour les mêmes raisons », af-
firme l'élue de La France Insoumise, comme pour se
démarquer de son auditoire. Elle affirme par la suite
avec verve « avoir des désaccords avec des choses qui
ont pu être dites ce soir », avant de rassurer l'assistance
: « Moi, je ne demanderai pas un examen de conscience
politique à tous ceux qui souhaitent aller dans les mani-
festations ! »
« Je me retrouve dans la revendication pour un cessez-
le-feu permanent, mais je ne remettrai pas en cause
l'existence de l'État d'Israël » : la position de Danielle
Simonnet semble décevoir son auditoire, peu convain-
cu. Pour mettre tout le monde d'accord, la députée
fustige ensuite les médias et leur volonté de « traiter
d'antisémites tous ceux qui sont pour la Palestine ».
Après son discours, elle demande si elle est autorisée
à photographier la salle pour communiquer sur sa
présence et se voit opposer un refus empreint de mé-
fiance. Elle s'éclipse quelques minutes plus tard.
Lors du moment convivial qui suit la réunion, les mi-
litants critiquent la position de Danielle Simonnet au-
infiltrée
tour d'un couscous et de verres de jus de fruit. Pour
beaucoup, la députée propose une vision uniquement
DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DO
18

FRONT POPULAIRE
Laurent Sorel, conseiller municipal insoumis du XXe
livre noir n°3

arrondissement, assiste à la réunion. La discussion

DE LIBÉRATION tourne autour de la manifestation internationale

de lutte pour les droits des femmes, prévue pour le

DE LA PALESTINE 8 mars. « Ce serait bien de faire attention aux mots

Le Front Populaire de Libération de la Pales-
tine (FPLP) est une organisation terroriste pa-
lestinienne marxiste et révolutionnaire.
Ayant compté parmi ses soutiens le terroriste
George Abdallah, ce mouvement est allié du
Hamas et responsable d'une douzaine d'atten-
tats en Israël depuis 2000. Ce petit parti po-
litique, est soupçonné d'avoir participé à l'at-
taque terroriste du 7 octobre.
Synthèse de l'islamo-gauchisme, il puise dans
les théories décoloniales pour justifier son an-
tisionisme radical. Le 9 novembre dernier, la
députée insoumise Ersilia Soudais avait invité
l'une de ses militantes à l'Assemblée Nationale.
d'ordre concernant le 7 octobre », suggère l'élu d'ar-
rondissement. Il tente ensuite d'inciter les militants à
« aller embêter la mairie d'Hidalgo au sujet de la Pa-
lestine », sans trouver véritablement d'oreille attentive.
Nous nous demandons par la suite comment recruter
davantage. « Il faut qu'on fasse le tour des mosquées,
pour recruter là où c'est facile pour nous », suggère
Mériem. Le ramadan approchant, des militants pro-
posent aussi de prendre contact avec des associations
d'aide alimentaire comme la « Chorba pour tous », du
nom d’une soupe populaire d’origine maghrébine.

focalisée sur une volonté de «

paix » et sans véritable « pers-
pective décoloniale ». Dans un
coin de la salle, les membres
de « Samidoun Paris-banlieue
» tiennent leur stand. D'un
côté de la table, des cartes pos-
tales et des feutres de couleur
sont mis à disposition pour les
enfants qui souhaitent écrire
ou dessiner pour les prison-
niers palestiniens. De l'autre,
des tracts appelant à la libéra-
tion de George Abdallah et d'Ahmad Sa'adat, deux « On peut aussi faire le tour des foyers pour migrants,
membres du FPLP emprisonnés pour leurs activités comme le foyer Bisson », propose une militante. La
terroristes, sont exposés en libre-service. résidence sociale Bisson, qui héberge des migrants,
Je pars, déjà marquée par cette soirée et ce que j'y ai dont de nombreux sans-papiers, est gérée par Coal-
entendu. Je ne m'attendais pas à être témoin d'une lia, une association financée par des fonds publics.
apologie si décomplexée du 7 octobre et des exactions Les réunions d'Urgence Palestine Paris 20 s’y tenaient
du Hamas, en présence d'une élue de la République jusqu'en février.
complaisante. La réunion s'avère par la suite très opérationnelle : une
déambulation dans le quartier aura lieu le samedi sui-
vant, concomitamment à une journée de boycott de
MERCREDI 14 FÉVRIER l'enseigne Carrefour qui distribue des produits israé-
liens. Cette action est destinée à recruter les habitants
Je reviens assister à une réunion du groupe local d'Ur- du quartier. Je profite de la réunion pour me faire
gence Palestine. La rencontre n'est pas publique cette ajouter sur les différentes boucles de discussion sur Si-
infiltrée

fois-ci, et nous sommes une trentaine dans le petit gnal, un réseau social crypté utilisé par de nombreux
hangar glacé de la CNT. groupes militants.

À la fin de la séance, Laurent Sorel affirme : « Je me
sens bien ici, même si j'ai des désaccords avec vous ».
L'élu affirme en effet, comme Danielle Simonnet, être
contre l'éradication d'Israël. « On parle d'une question
décoloniale, donc à un moment il faudra bien se poser
la question : qu'est-ce qu'on va en faire de ces colons ? »
lui explique Marwan, un militant libanais très investi à
l'échelle locale et nationale.
.
MERCREDI 21 FÉVRIER
FASCINATION
POUR LE HAMAS
Lors de cette nouvelle réunion, toujours à la CNT de la
rue des Vignolles, nous évoquons la journée internatio-
nale des droits des femmes. Johana, militante féministe
du collectif « AG Féministe Paris-banlieue », gère le
temps de parole des participants.
« Pécresse voudrait dénoncer les viols des Israéliennes
qu'elle sort tout droit de son imagination », s'indigne
un militant d'une cinquantaine d'années. La salle
approuve. J'observe la militante féministe qui ne
bronche pas.
Le club de Médiapart
Participez au débat
À la Une du Club Participer
Lettre ouverte aux organisations
qui convergent au sein d’Urgence
Palestine
Nous sommes militant.es de gauche, écologistes,
révolutionnaires, libertaires, syndicalistes, juif.ves
pour certain.es. Notre solidarité et notre soutien
sont tournés vers les Gazaoui.es. Dans cette lettre
ouverte, nous interpellons le collectif Urgence
Palestine et les organisations qui le composent : le
soutien au peuple palestinien ne doit tolérer ni l’an-
tisémitisme ni les idées réactionnaires.
19
À la fin de la séance, les participants évoquent une tri-
bune parue dans le Club de Mediapart le 20 février.
livre noir n°3
Signée de militants de gauche, elle dénonce « l'antisé-
mitisme » et le caractère « réactionnaire » d'Urgence
Palestine qui serait complaisant avec le Hamas et les
islamistes.
Un texte en ligne intitulé « Forum réponse Mediapart »
diffusé par Urgence Palestine suggère aux militants
des éléments de réponse à la tribune, en vue de pu-
blier un démenti. Je consulte le document dans lequel
la tribune parue sur le club de Mediapart est vivement
vilipendée. « Décrire la glorieuse opération Déluge
d'Al-Aqsa comme une attaque contre des juifs parce
qu'ils sont juifs = victimisation des Juifs », écrit l'un des
rédacteurs au sujet des accusations d'antisémitisme
à l'encontre du Hamas. Les massacres du 7 octobre
sont ici qualifiés de « glorieuse opération », signalant
une fascination profonde pour l'attaque menée par le
groupe islamiste.
immersion au coeur d'un réseau pro-hamas
Un autre rédacteur affirme que les « crimes contre les
colons » sont « non-prouvés », mais que s'ils ont été
commis, ce n'est pas en raison de la judéité de leurs
victimes mais plutôt de leur « statut de colon ». Je me
rends compte en lisant ces lignes qu'il s'agit là d'une
rhétorique constante de ce réseau pro-Hamas. L'éloge
du terrorisme et l'appel à le soutenir coûte que coûte
s'accompagnent souvent de sa négation. En d'autres
termes : non le Hamas n'a pas commis de
crimes contre les civils, mais oui, il a eu rai-
son de le faire.
Ainsi, un rédacteur dénonce « l'instrumen-
talisation habituelle du viol, sachant qu'il
n'y a aucune preuve de viol systémique le 7
octobre ». Puis il fustige le fait de « décrire
les colons qui habitent sur les terres pales-
tiniennes pillées et qui représentent une
extension de l'entité sioniste comme des tous
mignons « civils innocents » ou même des ac-
tivistes engagés pour la paix ». La formule me
rappelle celle d'Houria Bouteldja, fondatrice
du Parti des Indigènes de la République, qui
avait déclaré en 2019 : « On ne peut pas être
israélien innocemment », au sujet d'une Miss
Provence harcelée sur
Twitter parce que née
d'un père israélien.
Je continue de lire le
infiltrée
document. Parmi les
éléments de réponse,
DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DO
20
« DE LA MER
livre noir n°3
.
AU JOURDAIN ! »
le cri des
ANTI-ISRAËL
La répression contre Gaza après le 7 octobre, comme
les attaques terroristes elles-mêmes, ont révéillé l'Ou-
mma, la communauté musulmane mondiale . Dans
une large part de l'Europe, de nombreux musulmans
non-assimilés ont trouvé tout à fait naturel d'appeler
« frères » leurs coreligionnaires palestiniens et d'em-
brasser leur lutte contre l'État d'Israël.
« From the river to the sea, Palestine will be free ! »
a-t-on pu entendre scander à Londres au cours d'im-
pressionnantes manifestations dans rues de la ville.
Ce slogan, signifiant en creux que l'on souhaite voir
Israël disparaître, se réfère à l'espace historique des
royaumes d'Israël et de Judée converti à l'islam à partir
du VIIe siècle.
MER
MÉ DI TE RRANÉE
CISJORDANIE
BANDE
DE GAZA
ISRAËL
Le territoire de la Palestine, pour les décoloniaux qui
souhaitent la fin de l'État juif en faveur d'une Pales-
tine allant de la Mer (Méditerranée) au Jourdain. Cette
connaissance aurait sans doute été utile à Mathilde Pa-
infiltrée
not, incapable de dire si la Palestine était à l'ouest ou à
l'est du Jourdain.
on retrouve la dénonciation du « traitement maccar-
thyesque de l'islam » par où l'on décrit « le Hamas
comme une organisation "réactionnaire", "antisémite",
"homophobe" (et tous les phobes qui vont avec) ». Les
militants assimilent ainsi la critique du parti islamiste
et terroriste qu'est le Hamas à une critique de l’islam
.
LA DÉFENSE
DES ANTISÉMITES ET
DES MISOGYNES
La réponse à cette tribune du Club de Mediapart
donne ensuite lieu à une discussion plus générale au
sein du groupe. Marwan, le militant libanais, abonde
au sujet du Hamas : « Iels sont nos martyrs, même moi
qui suis athée je n'ai aucune difficulté à le dire, et quand
les Gazaouis ont cassé le mur, j'ai dit Allah Akbar ».
Le militant livre ensuite sa définition du féminisme
intersectionnel : « Si un racisé dit un gros mot sexiste
à une policière et qu'elle va l'attaquer/l'arrêter, et si je
peux intervenir pour lui donner la possibilité de fuir ou
de résister, je le ferai ». Marwan justifie ensuite cette
position stratégique : « Pas parce que je trouve ok d'être
sexiste, mais justement parce que c'est en me battant
contre l'ennemi que je deviens un allié dont il écoutera
les idées sur le féminisme. J'ai le même rapport avec un
antisémite colonisé ».
Je me dis que tout cela n'est pas nouveau : dans l'inter-
sectionnalité des luttes, l'antiracisme a inévitablement
la priorité sur le féminisme, et la lutte contre le « colo-
nialisme » est privilégiée face à celle contre l'antisémi-
tisme. Marwan l'explique clairement : « La grille de lec-
ture européenne sur l’antisémitisme, c'est pas normal de
l'utiliser pour les peuples colonisés par Israël et ses alliés ».
« Il y a beaucoup de gens dans mon quartier qui ont pris
plaisir aux actions du Hamas. Des jeunes Arabes ont
célébré ce phénomène », relate Leila au sujet du 7 oc-
tobre. Pour elle, cette joie ne trouve pas sa source dans
le fait de « tuer des civils ou des juifs, mais dans l'idée de
détruire le mur. C'est très symbolique. On ne pourra pas
objectivement et intellectuellement défendre ce point de
vue. Parce qu'il y a une question de morale derrière »,
ajoute la militante. « Je ne suis pas pro-Hamas mais je
ne suis pas contre le Hamas… bien au contraire », ren-
chérit le sibyllin Marwan.

leila elyaakabi
Il ya bcp de gens dans mon quartier qui ont
pris du plaisir dans les actions du hamas. Non
pas dans l'idée de tuer des civils ou des juifs.
Mais dans l'idée de détruire le mur. C'est très
symbolique. On ne pourra pas objective-
ment et intellectuellement défendre ce point
de vue. Parce qu'il ya une question morale
derière.
01:20
leila elyaakabi
Je ne suis pas pro-Hamas mais je ne suis pas
contre le Hamas… bien au contraire
L 01:21
La discussion se poursuit. Pour les participants, c'est
le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou,
qui a fait monter le Hamas volontairement pour jus-
tifier la guerre. Une militante nommée Maï compare
cette situation à ce qu'il se passe en France : « Pour
moi, c'est comme les « attentats » d'ici où t'as la carte
d'identité du gars dans la voiture ou encore le jeune
Merah... » Ces propos complotistes suggèrent que les
attentats en France auraient été fomentés pour attiser
la haine contre les musulmans.
Le complotisme n'est pas un épiphénomène à Urgence
Palestine. Pour les militants, les « sionistes » tirent
toutes les ficelles. Marwan explique ainsi à plusieurs
.
reprises que « le sionisme est une menace existentielle
pour toute l'humanité, comme le nazisme l'était », sans
jamais être contredit.
« IMAMS SIONISTES »
Plus tard dans la discussion, Jocelyne, membre de
l'Union juive française pour la paix (UJFP), explique
aux autres qu'il existe des « imams sionistes ». « Ah
oui, j'avais vu passer ça… Mais dans quel intérêt : ar-
rivisme ou conviction profonde ? » répond Mayi, une
militante qui semble avoir du mal à concevoir qu'un
représentant du culte musulman ne soit pas opposé
à l'existence d'Israël. « Chalghoumi, imam de la reli-
gion de Macron : il me rappelle les imams de Ben Ali à
l'époque de la dictature en Tunisie », s'amuse un autre
participant au sujet de l'imam de Drancy qui vit sous
protection policière depuis près de quinze ans car il est
menacé de mort par des intégristes musulmans. Joce-
lyne précise qu'il « a même été invité au dîner du CRIF
… et il y est allé ! »
ISLAMO-GAUCHISME
.
21
RESSUSCITÉ
livre noir n°3
Paul, un militant anticapitaliste, explique les rapports
que doivent entretenir les marxistes avec le Hamas.
Selon lui, il faudrait « engager la lutte idéologique au
sein du mouvement de libération nationale. C’est-à-dire
ne jamais être dans une position de suivisme vis-à-vis
des éléments réactionnaires ». Les marxistes devraient
donc s'allier au Hamas tout en maintenant un rapport
de force pour imposer leurs idées in fine.
Dans l’alliance de circonstance, avec le Hamas pour la
libération de la Palestine, ce serait « le rôle des marxistes
de prendre le leadership », selon Paul. Car pour l'anti-
capitaliste convaincu, le Hamas qualifié de « bourgeoi-
sie réactionnaire », ne serait pas « capable d'obtenir la
libération du peuple palestinien en raison de son idéo-
logie et en l'absence d'éléments révolutionnaires comme
avant-garde de la lutte ». Comme lors de la révolution
islamique d'Iran en 1979, des marxistes estiment qu'il
immersion au coeur d'un réseau pro-hamas
.
faut soutenir des islamistes, dans l'espoir d'avoir le
dernier mot et de parachever la lutte révolutionnaire
visant à anéantir le capitalisme et l'impérialisme...
« BOMBARDER ISRAËL »
« L'Union européenne doit bombarder Israël », écrit un
peu plus tard Leila, qui souhaite que ce soit le prochain
mot d'ordre des manifestations pro-Palestine. Joce-
lyne, militante de l'UJFP lui rétorque qu'il ne faut pas
« répondre à un génocide par un autre génocide ». « Tu
es contre l'éradication d'Israël ? Là sont tes limites, Jo-
celyne », répond Leila. La militante de l'UJFP marque
son désaccord : « On ne souhaite pas détruire Israël,
mais l'État sioniste. Et, oui, je suis contre l'éradication
d'Israël. Même le Hamas ne veut pas détruire Israël, il
faut lire sa charte ».
Mais Leila n'en démord pas : « Il faut demander une ac-
tion offensive pour les arrêter. On ne peut pas demeurer
dans la dimension défensive. C'est ce que font nos frères
du Hezbollah, du Hamas, du Yémen ». Senhadja, fé-
ministe de longue date et présidente d'une association
dédiée aux femmes algériennes, tempère les ardeurs
de sa camarade : « Si on veut être offensifs, il faut réussir
à sortir un million de personnes comme à Londres ».
infiltrée
DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DO
22
leila elyaakabi
Notre prochain mot d'ordre lors des mani-
livre noir n°3
festations : bonbardements sur israel.
01:32
leila elyaakabi
Il faut y aller maintenant c'est ce qu'on sou-
haite en vrai : détruire israel. Mot d'ordre :
bombarder israel. de quoi avons nous peur ?
01:33
L Je sais pas ... 01:33
Jocelyne fgrfhd
Je te rappelle qu'il y a beaucoup de Palesti-
J niens en Israël.
01:35
leila elyaakabi
Ils ont des armes précises
01:36
Pour defoncer les points militaires israeliens.
Tu es contre l'éradication disrael ?
01:36
Là sont tes limites jocelyne. 01:36
Je suis pour que l'union européenne bom-
L barde Israël
01:37
.
MARDI 5 MARS
LA CONVERGENCE
DES LUTTES
Lors de la dernière réunion, je m'étais proposée pour
participer à la plénière d'Urgence Palestine à l'échelle
régionale. Une militante habituée me fait parvenir
l'adresse le jour-même. Je pénètre donc au Centre in-
ternational de culture populaire (CICP), dans le XIe
arrondissement, une maison hébergeant des « asso-
ciations de solidarité internationale » pour assister
à la réunion Île-de-France d'Urgence Palestine. Les
chaises grises sont disposées en cercle dans la grande
salle au carrelage rose pâle du rez-de-chaussée. Nous
sommes bientôt une quarantaine de participants à la
infiltrée
plénière. Omar Alsoumi, assis devant l'estrade, préside
la réunion vêtu d'une parka et d'un bandeau rouges. Je
l'ai déjà vu, lors d'une manifestation pro-Palestine à
laquelle je m'étais rendue pour Livre Noir le 22 octobre
dernier. Juché sur une camionnette place de la Répu-
blique, il avait ce jour-là évoqué le Hamas en parlant
de « résistance » devant une foule survoltée.
Le Parisien, né de père palestinien et diplômé de
Sciences-po, n'est pas un nouveau venu dans la lutte :
porte-parole du Palestinan Youth Movement (PYM)
affilié au Front Populaire de Libération de la Pales-
tine (FPLP), l’organisation palestinienne considérée
comme terroriste par l'Union européenne depuis les
années 2000, il est aussi le fondateur de « Boussole
Palestine ». C'est de ce collectif qu'émane directement
Urgence Palestine, créée à la suite des attentats du 7
octobre. Omar Alsoumi est le délégué responsable de
toute l'organisation interne du jeune mouvement.
Chaque participant se présente, ainsi qu’il présente le
collectif dont il fait partie. Nombreux sont les cadres
de mouvements d'extrême gauche comme le Nouveau
Parti Anticapitaliste (NPA), dirigé par Philippe Poutou
ou encore Podemos, parti de gauche radicale espagnol.
Le mouvement « Du pain et des roses », composante
interne de Révolution Permanente, est aussi présent.
Le collectif a plusieurs casquettes : il milite pour le
droit de porter l'abaya à l'école, et contre l'interdiction
des bloqueurs de puberté pour les « ados trans » au
Royaume-Uni, le tout en intervenant au sein de ré-
seaux pro-Hamas comme Urgence Palestine.
La parole continue de circuler dans la salle. J'apprends
que certains participants sont là pour porter la voix de
collectifs « juifs décoloniaux » comme « Tsedek ! » ou
l'Union Juive Française pour la Paix (UJFP). D'autres
encore affirment venir de la part des Soulèvements de
la Terre et d'Alternatiba Paris, des groupes écologistes
radicaux.
LA CONVERGENCE
DES LUTTES
La convergence des luttes est un concept néo-
marxiste soutenant que tous les « dominés »
doivent s'unir pour résister face à « l'oppres-
sion » qu'ils subissent au quotidien. Toutes les
luttes doivent donc se rejoindre : féminisme,
LGBTQ+, antiracisme, décolonialisme... La
convergence des luttes est centrale à l'ex-
trême gauche.
 Mercredi 7 février 2024, Pauline

23
participe à sa première réunion
d'Urgence Palestine en présence de
la député LFI Danielle Simonnet

livre noir n°3

Urgence P 19
Pour la stratégie, ce contexte est essentiel car
il cloue le bec à toute tentative de nuance. Le Maï
sionisme est une menace existentielle pour
toute l'humanité comme le nazisme l'était. +33627857305 Marvin
01:16 Oui effectivement il y a une vidéo de Netanyahu
quic'est
Oui dit que Hamas
celle la etc'est ... pour moi c'est
du coup
comme les " attentas " d'ici ou ta la carte
d'indentité du gars dans la voiture ou encore
M le jeune Merah ...
01:04

Marvin wkjdmdd
Que même un 7 octobre ne justifie rien
01:04

Marvin wkjdmdd
Au contraire 01:04

Marvin wkjdmdd
Il rappelle que la palestine est colonisée
M 01:04

Marvin wkjdmdd
Oui iels sont nos martyres, même moi qui
suis athé je n'ai aucune difficulté à le dire, et
quand les gazaouis ont cassé le mur jai dit
M allah w akbar 01:23

leila elyaakabi
Je ne renierai pas le hamas. C'est ça mon
message ici. Donc je ne peux pas être porté
parole d'une organisation politique. Voilà la
L limite de mon implication militante.
01:24

Maï

Je ne renierai pas le hamas. C'est ça mon mes-

sage ici. Donc je ne peux pas être porte parole
M d'une organisation politique. Voilà la limite de
kiffkiff 01:26
mon implication militante.

Marvin wkjdmdd
Le hamas est plus que légitime aux yeux des
palestiniens-nes, c'est tout ce qu'il me faut David Guiraud, député LFI
en ce moment pour être solidaire du mouve-
infiltrée

M ment.
01:26
DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DO
24
livre noir n°3

.
Le prédicateur Elias d'Imzalène à la
manifestation du 9 mars dernier. AUX CÔTÉS
D'UN PRÉDICATEUR
ISLAMISTE

Un homme grand, à la barbe et aux cheveux longs

nous rejoint avec un léger retard et prend place aux
côtés d'Omar Alsoumi. C'est Elias d'Imzalène (Eli Yess
Zareli de son vrai nom), fondateur de « Perspectives
musulmanes », un collectif créé pour s'opposer à la loi
séparatisme.
Le prédicateur salafiste est cité dans une note des ren-
infiltrée

seignements ayant motivé la fermeture de la mosquée

de Torcy en 2017, « lieu de référence influent dans la

www.islametinfo.fr
Nous, on a été
convoqués par la
brigade anti-terro'
mouvance salafiste ». Elias d'Imzalène s'y est rendu deux
fois, selon la note, et a « fourni des éléments de langage
comparant la situation existant en France à l'apartheid et
demandant aux fidèles d'arrêter d'être français légalistes,
français républicains, français patriotes ». Un exemplaire
de Mein Kampf a été retrouvé chez le militant lors d'une
perquisition de son domicile.
Elias d'Imzalène est également connu pour avoir
co-organisé la Marche contre l'islamophobie en 2019.
La mobilisation avait réuni plus de 13 000 personnes,
y compris des élus de La France Insoumise, et au cours
de laquelle la foule avait scandé « Allah Akbar » devant
le Bataclan.
25
Le militant, fiché S en 2021
pour islamisme, est aussi à
livre noir n°3
l'initiative du site Islame-
tInfos, décrit comme un
« site d'information par le
musulman, pour le musul-
man ». Le média recense les
« actes islamophobes » en France. Elias d'Imzalène
a par ailleurs une conception assez particulière de
cette islamophobie puisqu'il la définit comme « tout
ce qui entrave la construction et le développement de
la communauté [musulmane], son expression visible
et politique, en France ou ailleurs ».
Ce curriculum vitae qu'on pourrait qualifier d'in-
quiétant ne déstabilise pas la députée « insoumise »
de Seine-et-Marne Ersilia Soudais qui participe à
une table ronde avec le bonhomme, organisée par
le collectif juif décolonial Tsedek ! le 1er mars. « Une
soirée mémorable sur le rôle de l'art dans la cause pa-
lestinienne », se réjouit l'élue sur X le lendemain.
immersion au coeur d'un réseau pro-hamas
Elias d'Imzalène s'apprête par ailleurs à organiser
une table ronde sur les vingt ans de la loi interdi-
sant le port des signes religieux à l'école intitulée :
« Vingt ans d'islamophobie, vingt ans de résis-
tance ! », prévue pour le 16 mars. Cette rencontre se
.
fait en partenariat avec Urgence Palestine et le Parti
des Indigènes de la République.
RÉUNION
DES PRO-TERRORISTES
Le tour de parole se poursuit. Une militante de
CAPJPO-EuroPalestine, une autre association
pro-Palestine, annonce que son procès va bientôt
avoir lieu. Nawelle explique qu'elle a été attaquée en
justice « pour avoir soutenu la résistance sur les ré-
seaux sociaux ». Elle sera donc jugée pour apologie
du terrorisme. La militante ne préfère pas donner
la date de son procès car elle risquerait « d'avoir 46
parties civiles contre elle comme c'est arrivé à la fille
qui a parlé du bébé dans le four ».
« Nous, on a été convoqués par la brigade anti-ter-
ro' », embraie Lola, une jeune femme rousse aux
cheveux bouclés avec un ton désinvolte. Elle fait
partie du comité Urgence Palestine du campus
Condorcet de l'École des hautes études en sciences
sociales (EHESS). La section locale d'UP est soup-
infiltrée
çonnée d'avoir fait l'apologie du terrorisme sur ses
réseaux sociaux et les militants craignent que l'af-
DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DO
26
faire tourne au procès.
Ce n'est pas la première fois que je vois Lola : je l'ai
livre noir n°3
déjà rencontrée lors de la préparation d'une action
conjointe entre les Soulèvements de la Terre et Ur-
gence Palestine. Celle-ci m'avait alors confié que
son école, l'EHESS, ferait mieux d'être rebaptisée
« l'école des hautes études en sciences sionistes » à
cause des interventions des professeurs sur la ques-
tion. J'avais alors fait naïvement remarquer que cer-
tains professeurs de l'école, telle la sociologue Eva
Illouz, tenaient des positions critiques envers la po-
litique du Premier ministre israélien. « Oui, mais ça
c'est le souci des sionistes de gauche. Ils pensent que le
.
problème, c'est l'extrême droite israélienne alors que
c'est l'existence même de l'État d'Israël le vrai pro-
blème », m'avait rétorqué la militante.
« OFFENSIVE SIONISTE »
Quand arrive mon tour de parole, je me présente
un peu craintivement en expliquant que je viens de
la section du XXe arrondissement et je propose de
prendre des notes pour participer au compte-rendu.
Lorsque tout le monde s'est exprimé, Omar Al-
soumi récite la liste des sujets à l'ordre du jour. Au
programme : la préparation de la manifestation du
8 mars consacrée à la journée internationale des
droits des femmes, ainsi que celle du lendemain,
exclusivement dédiée à la Palestine. Irene Hermo-
so, jeune féministe espagnole, demande à prendre
la parole. L'activiste, assez connue dans ces milieux,
est l'autrice de La Terreur féministe. Petit éloge du
féminisme extrémiste, dans lequel elle vante les ac-
tions d’une dizaine de femmes qui ont recouru à la
violence pour combattre le « patriarcat ».
La militante a déjà été décrite par la journaliste
Nora Bussigny dans son enquête Les Nouveaux In-
quisiteurs. Enquête d'une infiltrée en terres wokes. À
l'époque, Irene animait une réunion interdite aux
« hommes cisgenres » à l'Université Paris-8 où elle
étudie l'histoire du genre. Désormais elle est membre
de l'AG Féministe Paris-Banlieue, un « cadre ouvert
(en non-mixité choisie) » qui « organise la grève fé-
ministe » lors de ses réunions à la Bourse du travail
de Paris. Le groupe réunit de nombreux collectifs et
associations féministes et tout le monde peut parti-
ciper à ses rencontres mis à part les « hommes cis-
genres ».
Avec un ton enjoué et un léger accent espagnol, Irene
infiltrée
rappelle que les membres d'Urgence Palestine sont
invités dans le cortège de son collectif dans le cadre
de la journée internationale des droits des femmes,
qui a lieu le 8 mars. L'AG Féministe Paris-Banlieue
fait en effet partie des collectifs qui ont une place
officielle dans la marche féministe qui rassemble
chaque année plusieurs dizaines de milliers de per-
sonnes dans la capitale. Le groupe a décidé d'offrir
une place à Urgence Palestine dans son cortège pour
que l'organisation puisse participer à la marche.
Mais la conversation prend vite un tour inattendu :
les membres de la réunion apprennent en direct que
« Nous Vivrons » a été accepté officiellement dans le
cortège du 8 mars par le cadre unitaire qui organise
la manifestation. Ce collectif, créé à la suite du 7 oc-
tobre pour dénoncer les viols commis par le Hamas
sur les Israéliennes et pour exiger la libération des
otages, est qualifié de « sioniste » par les militants
d'Urgence Palestine.
Nous Vivrons était intervenu le 25 novembre, lors
de la journée internationale contre les violences
sexistes et sexuelles, pour dénoncer le silence des
féministes au sujet du 7 octobre. Le collectif n'avait
alors pas de place officielle dans la mobilisation
comme c’est désormais le cas. La salle entre vite en
ébullition, l'assistance est atterrée devant la nou-
velle : « C'est les fausses féministes colonialistes qui
ouvrent grand la porte aux sionistes génocidaires »,
s'emporte Omar en interrompant toute l'assistance.
« C'est intolérable, ce genre de cadre unitaire mou est
typiquement propice à ce type d'infiltration », déplore
Marwan avec colère. Le militant libanais poursuit :
« Les sionistes s'infiltrent partout. Ça semble com-
plotiste de dire cela mais… en fait… il y a un vrai
complot ! » La militante féministe Irene Hermoso,
quant à elle, ne s'étonne pas de cette présence tolé-
rée de Nous Vivrons : « Le Collectif national pour le
droit des femmes [CNDF qui organise la marche] est
problématique sur pleins de points : la transphobie, la
Palestine, le travail du sexe, je ne suis pas étonnée ».
Rim J.
Je comprends et J'avoue que c'est un casse
tête, j'ai pris la température autour de moi,
beaucoup veulent faire la manif certains
prévoient même de venir "armé" les manches
à balaie des drapeaux faisant office d'éven-
tuelles battes de baseball !!
R C'est à dire ! 23:59
 .

27
APPELS À LA VIOLENCE

livre noir n°3

« Sionistes de gauche ! » : l'invective fuse parmi les
militants au sujet des organisateurs de la marche.
Mornia Labssi, une inspectrice du travail connue
pour ses engagements anti-racistes, fustige quant à
elle l’« hypocrisie » des « féministes blanches qui ne
s'intéressent de toutes façons qu'aux écarts salariaux
alors que les femmes voilées se font harceler dans les
quartiers ». La quadragénaire suggère ensuite de de-
mander aux « antifascistes blancs de dégager les sio-
nistes de la manif ».

Omar Alsoumi demande à l'assistance si quelqu'un

« connaît des fighteuses motivées pour virer les bouf-
fonnes sionistes ». « Vous n'avez pas besoin d'hommes
aussi pour vous battre ? » s'enquiert Hedi, membre
de la section de l'université Paris-III d'Urgence Pa-
lestine et de Palestine Action France, une organisa-
tion activiste présidée par Rima Hassan. L'assemblée
se met à rire et un autre participant lui répond : « Si
c'est pour se battre contre des femmes, il vaut mieux
que ce soit d'autres femmes qui s'en occupent ».
On évoque ensuite le « service d'ordre » de Nous Vi-
vrons. D'après les militants, il s'agirait de la Ligue
de défense juive (LDJ). « C'est un groupe classé
comme terroriste par les États-Unis, vous vous rendez
compte ! » s'écrie une militante. En vérité, il s'agit du
Service de protection de la société juive, un orga-
nisme créé pour protéger la vie juive suite à l'attentat
de la rue Copernic en 1980. Le service de sécurité
travaille en collaboration avec les forces de l'ordre.
Les militants décident de dénoncer la présence de
Nous Vivrons lors du 8 mars publiquement. Pour Omar Alsoumi, leader
régler la question, Elias d'Imzalène suggère : « Ce se- d'Urgence Palestine.
rait bien que les personnes ici qui se réclament du fé-
minisme écrivent un texte pour expliquer le lien entre
la Palestine et le féminisme ». Un groupe de travail
se constitue pour travailler sur la question et je me
porte volontaire pour en faire partie.
« Le sionisme travaille la gauche, les amis, c'est une
bataille idéologique et politique qui nous attend »,
affirme Omar Alsoumi avec un ton solennel. Si cer-
tains militants annoncent finalement qu'ils ne parti- omar alsoumi
ciperont pas à la marche, d'autres semblent détermi- demande si quelqu'un
nés à bouter Nous Vivrons hors de la manifestation.
« Dans tous les cas, il faut dénoncer le complot sio- "connaît des fighteuses
niste… euh… on trouvera un autre terme », conclut motivées pour virer les
Omar en riant.
bouffonnes sionistes"
infiltrée

Après la réunion, je rédige un court compte-rendu.

DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DO
28

Je mentionne le fait qu'un groupe de travail a été créé prime en bégayant au milieu de l'assemblée composée
pour « gérer la réaction du collectif face à la présence de d'une trentaine de personnes, dans le local de la CNT.
livre noir n°3

Nous Vivrons » et j'envoie le document à un militant
nommé Sivan. Ce dernier me fait parvenir une version
finale du compte-rendu dans laquelle Omar Alsoumi a
fait ses propres ajouts. Le cadre d'Urgence Palestine y
appelle en toutes lettres à « s'opposer physiquement aux
sionistes qui viendraient balader leurs drapeaux génoci-
daires dans la manif ».
COMPTE RENDU DE L'ASSEMBLÉE PLE
NIÈRE
Je rappelle les prochaines dates de mobilisation à ve-
nir : les 8 et 9 mars. Je ne sais pas tellement quoi dire
au sujet de Nous Vivrons et je mentionne simplement
qu'il s'agit d'un « groupe sioniste » accepté dans la ma-
nifestation du 8 mars, à l'occasion de la journée in-
ternationale des droits des femmes. Une militante me
reprend, expliquant à l'assemblée que Nous Vivrons,
« c'est un groupe violent, de sionistes d'extrême droite
qui attaque les militants pour la Palestine grâce à un
service d'ordre terroriste ». Les
participants sont consternés.

Johana, artiste plasticienne et

membre, comme Irene Hermo-
so, du collectif féministe AG Fé-
ministe Paris-Banlieue explique
qu'un texte a été rédigé par son
groupe pour dénoncer la pré-
sence de Nous Vivrons. Elle de-
mande alors s'il y a un consen-
sus à Urgence Palestine Paris
XXe pour le signer. « Je n'aime
pas du tout le texte, mais on s'est
mis d'accord dessus à l'AG », ex-
plique la trentenaire aux cheveux
courts et aux yeux bleu clair d'un
air désolé. Mais l'assemblée ne re-
chigne pas à apposer la signature
du collectif, reconnaissant que le texte, bien qu'impar-
MERCREDI 6 MARS fait, a le ­mérite d'exister.

.
Le consensus surprend Johana. En effet, le commu-
DUR-DUR D'ÊTRE niqué féministe stipule que « les crimes commis le 7
FÉMINISTE octobre sont intolérables » et condamne l'utilisation
du viol comme arme de guerre d'une manière géné-
ET PRO-HAMAS rale. Johana a bien essayé de convaincre ses camarades
féministes de supprimer les mentions des crimes du
Je suis de retour dans la section locale d'Urgence Pa- Hamas, craignant que cela pose un problème chez Ur-
lestine et je dois résumer la séance nationale. Je m'ex- gence Palestine, sans succès.

LES 5 PILIERS D'URGENCE PALESTINE

1. 2.
La libération de toute Le retour de toustes
infiltrée

la Palestine. les réfugié-e-s.


Après la réunion, je pose quelques questions à Johana
sur Nous Vivrons, car elle m'indique avoir participé
à la marche contre les violences faites aux femmes
du 25 novembre où le collectif avait fait irruption. Je
demande à la militante quels étaient les slogans des
militantes. « Des choses du genre : LGBTQ, le Hamas
t'aurait pendu ! », me répond-elle en levant les yeux
au ciel.
L'affaire du texte, malgré la signature du comité local,
est loin d'être finie. Le lendemain de cette réunion, des
militants de la section nationale d'Urgence Palestine
font irruption dans la messagerie du comité du XXe
arrondissement. En cause : la signature du texte fémi-
niste par le groupe local. Imen, une militante très in-
vestie dans le collectif dénonce sèchement une « prise
de position gravissime », qu'elle qualifie par la suite de
« tentative de dérive politique extrêmement grave ».
Effectivement, le texte déroge au troisième des « cinq
piliers d'Urgence Palestine » constate la jeune femme.
Celui-ci est limpide : « 3. La résistance sous toutes ses
formes », et signe l'interdit définitif de dénoncer un
quelconque crime. « Aucun contexte ne doit invisibili-
ser le pilier trois », insiste Imen alors que la discussion
s'éternise.
Les cinq piliers « rappelés » par la militante dont le pre-
mier, « La libération de toute la Palestine », ne sont pas
tout à fait les mêmes que ceux mentionnés sur le site
internet du collectif. Des militants s'étonnent de cette
opacité. Mais le message est clair : ceux qui seraient op-
posés aux cinq piliers élaborés par une « centralité pales-
tinienne de lutte » feraient mieux de s'en aller.
Marwan, qui n'a pas assisté à la réunion au cours de
laquelle le texte a été signé, s'alarme : « On pourrait
perdre pleins de gens sur une signature, des gens qui
trouveraient surréelle l'association du nom de UP à ce
genre de texte… UP a réussi à fédérer des milliers de
pro-Palestine sur cette fente politique ! »
O des gens déter’ pour porter ça
3. 4.
La résistance sous La fin du sionisme,
toutes ses formes. du colonialisme et
de l'impérialisme.
« DÉGAGER
.
29
LES SIONISTES »
livre noir n°3
En parallèle, le groupe de travail « 8 mars » d'Urgence
Palestine s’organise ; je suis ajoutée à un groupe Signal
restreint dans lequel nous sommes une dizaine, dont
Omar Alsoumi. L'enjeu ? « Dégager les sionistes de la
manif », comme le revendique Irene Hermoso sur la
messagerie dédiée. Je rencontre la jeune femme deux
jours avant la marche pour préparer les banderoles de
la manifestation et elle m'explique avoir déjà contac-
té des « amis antifas ». « J'ai beau être féministe, c'est
pas moi qui vais aller me battre avec mes petits bras »,
s'amuse-t-elle. La militante qui a écrit un essai hom-
mage au « féminisme extrémiste » fait désormais la
louange du virilisme violent.
La veille de la marche, Omar vient aux nouvelles : « Les
amies, je pense qu'on est tous d'accord pour bloquer
immersion au coeur d'un réseau pro-hamas
Nous Vivrons, non ? Si opposition, dites. Sinon, on dit à
Julie de voir ça avec des gens déter’ pour porter ça ». Les
autres militants approuvent. Julie, qui gravite dans les
milieux antifascistes, explique qu'elle n'est pas sûre de
pouvoir porter l'expulsion d'ici le 8 mars, mais affirme
qu'elle va « passer des coups de fil et faire une demande
au nom d'Urgence Palestine à plusieurs orgas ».
Finalement, l'organisation patine. Omar estime que
virer les sionistes « était un mandat trop lourd pour un
petit groupe en si peu de temps » et qu'il faut « laisser
des alliés solides faire le job ». « À l'époque de Généra-
tion Palestine, on a dégagé les Soral et les Dieudo mais
on a moins de force aujourd'hui », déplore le militant.
Le leader appelle quand même les manifestants moti-
vés à aller scander « Sionistes, fascistes, vous n'êtes pas
féministes ! » devant le cortège de Nous Vivrons.
Omar dfkdlkf
Les amies, je pense qu'on est tous d'accord
pour bloquer Nous Vivrons, non ? Si opposi-
tion, dites. Sinon, on dit à Julie de voir ça avec
10:15
5.
L'égalité contre toutes les
infiltrée
formes d'exploitation
et d'oppression.
 infiltrée livre noir n°3
DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DO 30

Les manifestants pro-Palestine s'op-
posent à la Société de protection de
la communauté juive (SPCJ) lors de
la marche du 8 mars.
VENDREDI 8 MARS
31
15H
livre noir n°3
PLACE GAMBETTA
Le soleil brille au-dessus de la place Gambetta et les
fanfares résonnent tandis que les différents cortèges
s'apprêtent à débuter la marche. C'est la journée inter-
nationale des droits des femmes, mais certaines sont
loin d'être les bienvenues à la marche qui la célèbre.
Dans le cortège AG Féministe Paris-Banlieue, des
militants d'Urgence Palestine portant keffiehs et dra-
peaux viennent s'agréger au groupe. Plus loin, dans la
rue des Pyrénées, reléguées en queue de cortège, les
manifestantes de Nous Vivrons attendent en scandant
« Juives violées, Hamas à condamner ! ». Autour d'elles,
les hommes de la Société de protection de la commu-
nauté juive veillent.
Le cortège se met en branle. Dans la cohorte de l'AG
immersion au coeur d'un réseau pro-hamas
Féministe, les slogans fusent et l'ambiance est festive.
« Le kérosène, c'est pas pour les avions, c'est pour brûler
les flics et les patrons ! » succède à « La Palestine est une
cause féministe ! » Je marche quelque temps au milieu
de ce cortège original dans lequel les militants pro-Pa-
lestine alertes tentent d'identifier des « sionistes »
autour d'eux. Pendant ce temps, un autre journaliste
de la rédaction suit le groupe Nous Vivrons, en fin
de cortège.
Là-bas, un groupe de manifestants pro-Palestine se
livre à un harcèlement en règle. « Sionistes, fascistes,
vous n'êtes pas féministes ! » s'égosille une jeune femme
voilée, avant de conclure par un aimable « Sales putes ! »
en direction des manifestantes de Nous ­Vivrons.
Peu avant 16 heures, des heurts éclatent entre le
groupe pro-Palestine et la société de sécurité. Des mi-
litants s'opposent physiquement au service d'ordre de
Nous Vivrons. Parmi eux Hedi, membre d'Urgence
Palestine qui avait déjà évoqué sa volonté de se battre
lors de la réunion précédente. Un homme de la sécuri-
té déclenche une bombe lacrymogène pour disperser
les agresseurs.
« Faites attention à vous les filles, éloignez-vous de ces
gros bâtards ! » avertit sur le groupe de discussion
Mornia Labssi, qui n'est pas présente à la marche. Se
distinguant dans la foule avec sa parka rouge, Omar
Alsoumi ramasse alors deux bouteilles de bières bri-
sées sur la chaussée et les lance sur le cortège de Nous
Vivrons. La scène est filmée et il est vite identifié. « J'ai
mis les voiles à République, je rentre récupérer les en-
infiltrée
fants à l'école », envoie par la suite le leader à ses cama-
rades qui se demandent où il est passé.
DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DO
32
livre noir n°3
.
COMMUNICATION
VICTIMAIRE ET PETITS
ARRANGEMENTS AVEC
LA RÉALITÉ
Le cortège de Nous Vivrons est exfiltré après l'assaut.
« Les sionistes chassés de la manifestation féministe ! »
se vante par la suite Omar auprès du groupe. « Il faut
vite faire notre récit. Si tu as des extraits médias stp,
partage Mornia. Je prépare un petit communiqué vic-
toire ? » ajoute le militant dans le groupe du 8 mars.
Mais Mornia explique qu'il faut privilégier un autre
récit : « La dépêche AFP nous est favorable, on joue pas
sur la victoire, on reste sur l’idée que c'était des oufs »,
ordonne-t-elle par message vocal. « Faut vite qu'on en-
voie notre version aux médias avec qui on bosse, notam-
ment les médias arabes ».
Le groupe qui a décidé d'attaquer le cortège entame
donc une stratégie de victimisation médiatique. Pour
ce faire, il faut procéder à quelques arrangements avec
la réalité : « Le problème de la vidéo de Noman c'est qu'il
faut couper le début où tu sais c'est « Dégage ! Dégage »,
parce que sinon tu sais ça fait genre on les a agressés. Et
peut-être un peu la fin », poursuit Mornia au sujet des
images de l'affrontement.
La militante affirme avoir contacté le média qatari
Al Jazeera : « Ils étaient pas chauds ce matin, ils s'en
infiltrée
foutent un peu de la marche des femmes […] Par contre,
le sujet maintenant est plus politique donc ils vont sûre-
ment faire un article ». Elle annonce par la suite avoir
demandé au média Streetpress de mener une enquête
sur les événements de la marche.
Lorsque la vidéo d'Omar Alsoumi jetant des bouteilles
sur les manifestants circule sur les réseaux sociaux, les
militants s'amusent à imaginer un storytelling : « Omar
était là, tranquillement, il a vu ses frères et sœurs se
faire sauvagement agresser. Il a pris ce qu'il avait sous
la main pour leur jeter non seulement sa colère, mais
les pires liquides qui existent sur cette terre, les salissant
du péché », commente Elsa Lefort. L'épouse de l'avocat
franco-palestinien Salah Hamouri arbore un Handala,
personnage illustré qui représente la Palestine, faisant
du parapente dans un ciel aux couleurs de l'aube. Le
dessin a été créé pour glorifier l'incursion des brigades
du Hamas dans le territoire israélien réalisée grâce à
des parapentes motorisés.
Mais l'euphorie cède à la crainte : Gérald Darmanin
a saisi la justice pour des menaces de mort scandées
à l'encontre des policiers par le cortège féministe où
se trouvaient les militants pro-Palestine. L'affaire a
fait le tour des médias grâce aux vidéos de Livre Noir.
Elsa Lefort demande si quelqu'un a le lien permettant
d'écouter l'intervention de « Moussa », désignant le
ministre de l'Intérieur par son ­deuxième prénom.
Les images des attaques qui ont eu lieu lors de la ma-
nifestation ont aussi fait le tour des réseaux sociaux et
provoqué un tollé dans la presse. Omar risque d'être
interpellé pour ses forfaits ainsi que les autres agres-
seurs. « Chelou ce soir en rentrant j'ai croisé dans ma
rue au fond de la cambrousse une voiture de civils en
vadrouille […] elle m'a mis la pression Elsa, quand elle

Rim J.
Nous avons un médecin au sein de l'associa-
tion Mplp qui peut faire des CM pour coups
et blessures si besoin.
R 19:52
..
Rim J.
Nous avons un médecin au sein de l'associa-
tion Mplp qui
Attention à cepeut
qu'onfaireécrit
des ici..
CM pour coups et
.. blessures si besoin. 19:53
dit qu'il restait jusqu'à demain pour la procédure en
flag’ », relate le leader le lundi 11 mars.
Afin de riposter face à la menace judiciaire, Omar
suggère de lancer un appel à témoin pour recueillir
le témoignage de manifestants « agressés » par Nous
Vivrons. Une des militantes du groupe restreint dédié
au 8 mars propose quant à elle les services d'un mé-
decin pro-Palestine qui « pourrait faire des certificats
médicaux pour coups et blessures si besoin ». Elle est
sommée de supprimer son message, trop confidentiel.
« On fait affaire à l'arc sioniste tendu contre nous », dé-
clare le sentencieux Omar, qui s'attend à des retom-
bées judiciaires.
.
MERCREDI 13 MARS
DERNIÈRE RÉUNION
LOCALE
Je me rends à la dernière réunion de la section locale
d'Urgence Palestine. Manon Armishahi, militante de
33
livre noir n°3
immersion au coeur d'un réseau pro-hamas
longue date dans le collectif et secrétaire générale de
la CGT pour les collaborateurs parlementaires à l'As-
semblée nationale, préside la séance. « On va faire un
point sur le 8 mars et sur le texte », annonce la jeune
femme aux longs cheveux noirs et bouclés. Les mili-
tants estiment qu'il faut discuter de ce texte qu'ils ont
signé et qui dénonce les crimes du Hamas.
« Apparemment, c'est le pilier numéro 3 d'Urgence Pa-
lestine qu'on a violé… Enfin, qu'on n'a pas respecté »,
analyse Houda, au sujet du texte qui condamne les
viols du Hamas avant de lire les cinq piliers. Une mi-
litante de l'Union juive française pour la paix (UJFP)
brise la glace face au silence de la salle : « Oui, il y a
eu des crimes mais c'est le lot de la résistance, c'est nor-
mal », assène-t-elle avec calme et sérénité. « Les mé-
dias nous font croire que tous les musulmans sont des
violeurs : est-ce que mes grands-parents sont des vio-
leurs ? » s'écrie une militante nommée Leila les larmes
aux yeux.
Finalement, tout le monde est d'accord pour dire qu'il
était problématique de signer un texte condamnant le
Hamas. Cela ferait le jeu de « la propagande israélienne
et des sionistes qui cherchent à nous diviser », explique
une participante. Par message, les militants discutent
du dessin de la caricaturiste Coco publié dans Libéra-
tion dénonçant la famine à Gaza. La dessinatrice est
jugée « réactionnaire et islamophobe » par un jeune
homme qui n’a visiblement pas compris la carica-
ture et appelle au « boycott du parti de la presse et de
l'argent ». « N'oublie pas que le directeur de Libé, c'est
infiltrée
Dov Alfon un ancien des services secrets israéliens, donc
aucune surprise ! » analyse un autre activiste.
DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DO
34
livre noir n°3
.
LUNDI 18 MARS
RIMA HASSAN : TRAÎTRESSE
À LA CAUSE
J'arrive à 19 heures, peu avant l'iftar, le repas de cou-
pure de jeûne du ramadan. Des militantes entrent
dans le CICP au compte-goutte, apportant avec elles
des plats à partager. Aux côtés d'une étudiante de
l'EHESS qui me demande des nouvelles du XXe arron-
dissement, j'explique que nous avons eu un souci avec
un texte. « Ah oui, vous avez critiqué la résistance, c'est
ça ? » me demande-t-elle. J'acquiesce.
Une femme qui mange dans un coin de la pièce s'ex-
clame : « Vous avez vu la dernière interview de Rima
Hassan ? » Devant nos mines perplexes, elle enchaîne :
« Franchement, elle a abusé : elle a dit qu'elle était pour
un État binational ! » avant de nous montrer l'extrait
vidéo du passage de la candidate aux européennes
pour La France Insoumise au micro de France Inter.
« Je parlais avec elle vendredi, c'est mieux que je ne l’aie
pas su à ce moment-là, ça se serait mal passé... » Je pose
quelques questions sur l'État binational pour savoir
ce qui lui reproché. « C'est un peu le même truc que
l'Afrique du Sud, c'est pas décolonial du tout », com-
mente une militante.
infiltrée
La réunion commence après le repas. Nous sommes
nombreux et je reconnais les mêmes têtes : Omar Al-
soumi, Elias d'Imzalène. « Maintenant on n’accepte que
des gens qui connaissent des personnes de confiance »,
explique le leader méfiant à un nouveau venu : cer-
tains des réseaux sociaux d'Urgence Palestine auraient
été « infiltrés ». Heureusement, ce n'est pas la pre-
mière réunion à laquelle je participe et je passe entre
les mailles du filet.
Cette fois-ci, Ramy Shaath est présent. Le militant
palestino-égyptien accueilli par le président Macron
à bras ouvert lors de son expulsion par le régime égyp-
tien a été élu par Urgence Palestine comme respon-
sable de la doctrine politique du mouvement. Lors de
la manifestation pro-Palestine du 9 mars, il a tenu à
féliciter ceux qui « ont attaqué la milice sioniste » en
référence à l'exfiltration du groupe Nous Vivrons.
Pour débuter la réunion, le militant chauve et à la
barbe grise prononce un discours en arabe, traduit par
Omar Alsoumi au cours duquel il présente l'actualité
géopolitique de la « résistance palestinienne ». Celle-ci
.
désigne tous les ennemis d'Israël : le Hamas, le Hez-
bollah libanais et les Houthis au Yémen.
VERS UNE « ORGANISATION »
DE LA VIOLENCE
La réunion bifurque par la suite vers le sujet du 8
mars. Un membre du Parti des Indigènes de la Répu-
blique s'indigne que ses camarades aient été obligés de
manifester aux côtés de « l'équivalent de l'OAS et des
nazis » à la marche du 8 mars. Pour Omar Alsoumi,
l'éjection de Nous Vivrons « marque un précédent im-

portant, une victoire ». Le chef déplore a contrario le
manque d'organisation : « Ça a été assez spontané, ça
a été du free fight », affirme-t-il de sa voix rauque. Des
militants reprochent à Omar Alsoumi de s'être « ex-
posé » lorsqu'il a jeté les bouteilles sur le cortège. Adel,
membre de Samidoun, déclare ainsi : « Il y a différents
niveaux d'implication et de responsabilité, y a des gens
qui doivent se mettre en retrait à certains moments.
Omar, tu n'as rien à nous prouver ».
Une autre participante partage le point de vue d'Omar
et va même encore plus loin : « L'expulsion a été pré-
sentée comme un succès, mais ça n'était pas assez or-
ganisé ». Selon la jeune femme, « c'est pas un truc de
malfrat de s'organiser dans la rue, de manière très ma-
térielle, ça devrait être la base. Ça dit quelque chose du
niveau de confiance entre nous et d'organisation qu'on
doit atteindre ». La salle approuve. Je comprends que
la chasse aux « sionistes » en est encore à son stade
embryonnaire. L'agression du cortège n'est pas consi-
dérée comme un franc succès car elle n'a pas été suffi-
samment « organisée » et qu'elle a exposé un des chefs
qui aurait dû être préservé et laisser les autres faire le
travail. « Tout cela va désormais s'organiser à l'échelle
.
nationale », conclut Omar Alsoumi. En effet, une coor-
dination nationale est en train de se mettre en place,
destinée à gérer les sujets sensibles et ­importants.
BILAN
Je sors enfin de la longue réunion, aux alentours de
21h30. Mon immersion à Urgence Palestine est fi-
nie. Ce collectif, sans conteste pro-Hamas, n'a pas
d'identité juridique. Il utilise pourtant une association
reconnue d'intérêt général nommée « La Palestine
nous rassemble » pour percevoir ses dons et déclarer
ses manifestations. Grâce à la manœuvre, ceux qui
donnent de l'argent au réseau pro-Hamas violent bé-
néficient d'une déduction fiscale.
J'ai pu observer au cours de cette enquête la façon
dont la convergence des luttes s'organise de manière
concrète, au prix des plus grandes compromissions.
Des « féministes » qui ne tolèrent pas qu'on dénonce
les viols commis par le Hamas, aux « antiracistes » dé-
coloniaux qui affichent une bienveillance à l'égard des
antisémites, en passant par les militants LGBT qui col-
laborent avec des islamistes : j'avais du mal à imaginer
ces alliances, dont la lutte pour la Palestine constitue
le parfait paravent, avant de les constater de mes yeux.
Un autre doute s'est largement dissipé. Tout ce qui est
qualifié depuis des mois d'« ambiguïtés », de « déra-
35
pages » dans les déclarations des figures de La France
Insoumise au sujet du Hamas et de la communauté
livre noir n°3
juive fait écho aux propos auxquels j'ai été confron-
tée durant ces longues semaines. L'apologie du Hamas
comme « mouvement de résistance », le complotisme,
qui va même jusqu'à la remise en question des atten-
tats islamistes, et l'antisionisme extrême qui devient
antisémitisme : tout cela n'a rien de hasardeux et flatte
un électorat que j'ai rencontré.
Cette stratégie a bien sûr des limites : Rima Hassan,
la candidate insoumise aux européennes, est consi-
dérée comme une traîtresse par le réseau pro-Hamas
car elle s'est prononcée pour un État binational. La
politicienne qui tente de rassurer les journalistes sur
ses motivations est compromise pour les partisans du
groupe islamiste. Car Urgence Palestine et ses parties
prenantes souhaitent pour leur part la totale éradica-
tion d'Israël et des « colons » qui « représentent l'exten-
sion de l'entité sioniste ».
immersion au coeur d'un réseau pro-hamas
Ce mot de « sioniste », je l'ai entendu résonner des
centaines de fois au cours de ces dernières semaines.
C'est à l'aune de cette notion que les militants sondent
le paysage politique, notamment de gauche, et dé-
signent leurs ennemis et leurs alliés. Tous ceux qui se
prononcent pour l'existence d'un État juif ou qui dé-
noncent les exactions du Hamas tombent sous le coup
de cette invective. L'enjeu n'est pas de soutenir la Pa-
lestine ou de dénoncer la politique israélienne, l'enjeu
est de gagner la bataille politique et idéologique en
imposant l'idée qu'Israël n'a pas le droit de se défendre
car il est le coupable originel. À ce titre, il faut faire
taire tous ceux qui dénoncent les crimes du Hamas,
à l'instar du groupe Nous Vivrons, agressé lors de la
marche du 8 mars.
Chez ces militants, le sentiment d'être des martyrs,
seuls contre un « arc sioniste » qui se substituerait
à l'arc républicain, règne. L'ennemi est partout et,
puisque le Hamas, considéré comme terroriste par
l’Occident, est légitime à leurs yeux, le terrorisme isla-
miste qui frappe la France le devient aussi par capilla-
rité, s'il n'est pas tout simplement nié par complotisme
antisémite.
Urgence Palestine prospère depuis le 7 octobre alors
qu'elle se livre quotidiennement à l'apologie du terro-
risme : la répression est inexistante. Ce n'est donc pas
étonnant qu'elle en arrive à user de la violence sans
aucun complexe contre ceux qu'elle considère comme
des ennemis politiques provocateurs aujourd'hui. Et à
en croire la dernière réunion à laquelle j'ai assisté, ce
infiltrée
n'est que le début...
DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . D DOSSIER N°2

ÉCO-ACTIVISTES
36
livre noir n°3

L’ÉCOLOGISME AU MÉPRIS DES LOIS

ET DU BON SENS
L’une des causes qui, aujourd’hui, mo-
bilisent le plus à l’extrême gauche est
l’écologie. À l’origine noble combat, il est
pourtant dévoyé par des militants intersec-
tionnels violents et déconstruits à la fois.
bien organisées et bénéficient d’un large soutien de la

I
par Pauline condomines
part des responsables politiques de gauche.
photo François Delauney

A contrario, les ZAD poussent l’anarchie en modèle

nfiltrer les associations d’éco-ac-
tivisme, c’est entrer dans l’univers
parallèle des progressistes. Les co-
des sociaux, les noms, la manière
de s’habiller ou de dire comment
on va : ces militants vivent dans une
société pseudo-inclusive où règne
un illusoire « safe space » visant à
éviter toutes les oppressions et mi-
cro-agressions… Mais seulement à l’intérieur de cette
même société. En-dehors, dans le monde patriarcal,
écocide et raciste, tout est permis.
en essaimant dans toute la France leurs communautés
autonomes. Je me suis rendue dans la plus active de
ces « zones à défendre », celle de l’autoroute A69 qui
doit relier Castres et Toulouse. Ici, leur combat est tout
à fait défendable, mais les méthodes et le mode de vie
des zadistes confinent à l’absurde. Vivant dans un es-
pace tout à fait dénué d’hygiène, ils s'appellent par des
prénoms tels que « Choupisson » ou « Floraison », et
leur consommation abusive de cannabis semble n’être
pas pour rien dans leur déconnexion totale vis-à-vis
du monde. Mobilisant en permanence une centaine de
gendarmes, leur non-violence est en fait assez relative
derrière leurs grands sourires béats.

Le vol dans un magasin ? C’est une « auto-réduction
». Une personne au milieu d’une autoroute qui bloque
tout le monde ? C’est une « abeille ». Être embarqué
pour avoir commis une action illégale ? C’est subir la
« répression » d’un État quasi-fasciste.
À Paris et dans les grandes villes françaises, les Soulè-
vements de la Terre et Dernière Rénovation organisent
des actions coup de poing qui peuvent aller du saccage
d’une œuvre d’art au blocage d’une route en passant
par des actions de boycott.
La première association a subi une tentative de dis-
solution de la part de Gérald Darmanin : sans succès.
La seconde, soutenue et financée par un réseau inter-
national, s’emploie à manipuler le droit pour modifier
infiltrée
La galaxie écologiste tisse également des liens parfois
ténus avec d’autres luttes tels que le décolonialisme
palestinien ou le féminisme intersectionnel. Véritable
point d’accord de la majorité de la gauche, l’écologisme
permet à toutes les luttes de se rencontrer, à toutes les
minorités de s’épanouir dans un monde fantasmé.
Dans les prochaines semaines, les prochains mois,
d’autres actions sont prévues à travers toute la France
par ces associations, dont certaines d’ampleur. En m’in-
filtrant parmi elles, j’ai pu connaître autant leurs mé-
thodes que comprendre leurs objectifs : que le capita-
lisme s’effondre, que les Français prennent conscience
de l’urgence climatique, et ce par tous les moyens.

la jurisprudence européenne sur à la désobéissance ci-

vile. Au fond, ces organisations sont particulièrement
 37
livre noir n°3
« POUR LA PROCHAINE
GROSSE MOBILISATION
CONTRE LES BASSINES
ENTRE LES 14 ET 21 JUILLET
DANS LE POITOU, ON AT-
TEND 40 000 PERSONNES.
Y AURA DES CONVOIS QUI
PARTIRONT DE TOUTE LA
FRANCE POUR S'Y RENDRE
», M’EXPLIQUE UN CADRE

dossier n°2
DES SOULÈVEMENTS DE LA TERRE. LES
JEUX OLYMPIQUES DEVRAIENT AINSI SER-
VIR DE VITRINE À LEURS ACTIONS DU-
RANT LE PLUS GRAND RASSEMBLEMENT
QUE LES « SLT » AIT JAMAIS ORGANISÉ.
ALORS QUE LA MENACE SÉCURITAIRE
SERA MAXIMALE À LA VEILLE DE L’ÉVÈNE-
MENT SPORTIF MONDIAL, LA MOBILISATION
POURRAIT BIEN AJOUTER DU CHAOS.

infiltrée
 livre noir n°3

SOULÈVEMENTS
DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . D
38

ÉCOLOS, Sainte Soline, 25 mars 2023, de vio-

lents affrontements éclatent entre
manifestants et forces de l'ordre.

INCLUSIFS
ET
HORS-LA-LOI
Les Soulèvements de la Terre, groupe
écologiste radical, sont connus du grand
public pour la manifestation ultra-vio-
lente qu'ils ont organisé contre les mé-
ga-bassines en mars dernier à Sainte-So-
line. Leur dissolution, ordonnée par le
ministre de l'Intérieur pour incitation à
la violence, a été annulée par le Conseil
d'État en novembre dernier. Je suis allée
à leur rencontre, pour comprendre qui ils
sont, quelle est leur idéologie et quels rap-
ports ils entretiennent avec la violence.
Immersion.

par PAuline Condomines

.
VENDINE (TARN),
2 NOVEMBRE 2023, 13H

ÉCUREUIL VOLANT

« Bonjour, moi c'est Écureuil volant ! » Sous la véran-

da d'une belle maison de campagne, un jeune homme
grand et brun se présente à moi et aux autres partici-
pants. À l'aide d'un vélo rouillé, j'ai rejoint ce matin
un convoi de cyclistes parti la veille, qui entreprend de
rallier Toulouse-Castres en quatre jours. Des membres
du collectif La voie est libre et circassiens de profes-
sion organisent le trajet : il est constitué d'opposants
à la future A69, l’autoroute qui doit relier les deux
villes fin 2025.

Notre groupe, d'une trentaine d'adultes et enfants,

infiltrée

s’est arrêté pour déjeuner chez un couple d'habitants

sympathisants qui habitent Vendine, lieu-dit situé
 UGO AMEZ/SIPA
TS DE LA TERRE

infiltrée Soulèvements de la Terre livre noir n°3 39

DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . D
40
livre noir n°3

Pauline Condomines
dans le Tarn entre Toulouse et Castres. « Écureuil vo-
lant » a un surnom car il fait partie des Soulèvements
de la Terre ; il a fait le trajet depuis Grenoble pour
participer au convoi. C’est mon premier contact avec
le mouvement écologiste radical.

« Je suis ingénieur dans l'informatique et j'ai décidé

de prendre mon année et demi de chômage pour m'in-
vestir à fond dans la lutte », m'explique l'homme de
25 ans en mangeant des chips. Il suggère ensuite au
groupe d'aller « désarmer » des machines de chantier
qui servent à construire l'A69 et devant lesquelles nous
sommes passés en vélo. « Non, nous on est le versant
familial et gentil de la lutte », lui répond en riant l'or-
ganisateur du tour.
Le militant m'explique par la suite le fonctionnement
du mouvement : « On est un mouvement anarchiste, y
a pas de chef, donc on n'a pas le droit d'empêcher la
violence des gens qui veulent être violents ». Écureuil
volant expose la stratégie choisie par les Soulèvements
pour répondre à ce problème : « On fait plusieurs cor-
tèges, avec des noms métaphoriques et des couleurs
pour prévenir les gens. Par exemple, le 21 octobre, le
Pauline Condomines

cortège rouge où j'étais s'appelait « Préparez vos bas-

kets », ça voulait dire qu'on allait avoir affaire aux
flics », me conte-t-il au sujet de la mobilisation orga-
nisée par les Soulèvements contre l'A69 dix jours au-
infiltrée

paravant. Ce premier contact me permet d'en savoir un

peu plus sur le mouvement. Je dois désormais y entrer.

.
PLACE JEAN FERRAT,
SAMEDI 20 JANVIER 2024, 10H
RENCONTRE SECRÈTE
Il est près de dix heures lorsque j'arrive sur la place
Jean Ferrat embrumée par le froid. J'ai rendez-vous à
la bouche de métro Ménilmontant pour une réunion
avec les Soulèvements de la Terre Paris-Est après avoir
contacté le groupe par mail. C'est Écureuil volant qui
m'a indiqué la démarche à suivre pour rejoindre le
groupe.
Sur la messagerie Signal, j'ai été ajoutée à un groupe
où quelques aspirants « nouvelle.au.x » et moi-même
avons reçu le lieu et l'heure du rendez-vous confiden-
tiel la veille. « Si on vous demande ce que vous faites
là, dites que vous venez faire une balade bucolique »,
nous a conseillé un certain « Proco », administrateur
du groupe.
Devant la bouche de métro, je rencontre Jeanne,
grande femme aux cheveux roux et aux yeux bleus,
elle aussi nouvelle. D'autres personnes nous rejoignent
petit à petit, après nous avoir lancé des regards enten-
dus. Nous sommes désormais six à attendre dans le
froid. Un homme d'une cinquantaine d'années, à la sil-
houette fine et aux lunettes noires se présente comme
étant le fameux Proco. « Je pense qu'on est tous là.
Nous allons nous installer dans un café pour que je
vous présente le mouvement, suivez-moi », nous lance
le militant avant de mener la marche.
Nous nous installons au Numidia, un café à deux pas.
« On va tous mettre notre téléphone dans une boîte,
on sait jamais maintenant avec les dissolutions »,
prévient Proco qui range ensuite la boîte métallique
sur une table plus loin. Le militant, qui ne dévoile
pas son vrai prénom, présente ensuite le mouvement.
« Les Soulèvements de la terre ont été créés contre
l'artificialisation et l'accaparement des terres. On
lutte contre les projets écocides, mortifères et capita-
listes. Lors de la tentative de dissolution cet été après
Sainte-Soline, on a décidé de créer des comités locaux
dans toute la France », nous explique-t-il.
Le militant fait allusion à la mobilisation contre les «
méga-bassines » qui a eu lieu à l'été 2023. Au cours
de la lutte contre ces réserves d'eau géantes théorique-
41
ment destinées à lutter contre la sécheresse, des af-
frontements violents ont eu lieu entre les manifestants
livre noir n°3
et les force l'ordre, faisant de nombreux blessés de part
et d’autre.
« Nous, on appelle à la dégradation des biens, c'est
très différent de la violence contre les personnes »,
poursuit l'orateur au sujet de l'aspect radical du mou-
vement. « On fait ce qu'on appelle des actions de «
désarmement », ce qui signifie qu'on met hors d'état
de nuire des machines mortifères », complète-t-il.
Nous devons ensuite nous présenter chacun notre tour,
avec un « pseudo » si nous le souhaitons, et évoquer
les raisons de notre présence. Jeanne, mère de deux
enfants, « travaille dans l'associatif depuis quinze ans
et cherche des personnes qui partagent sa préoccupa-
tion pour le climat ». Anselme quant à lui, éducateur
dans le milieu associatif, « veut passer de la théorie à
la pratique ». Je dis pour ma part que mon pseudo est
« Béluga » et que je cherche un nouveau groupe écolo
où militer puisque la campagne de Dernière Rénova-
Soulèvements de la Terre
tion est finie.
Un homme blond d'une trentaine d'années nommé
Antonin Blanc nous rejoint. Il annonce être journaliste
à Konbini, ce qui créée une crispation chez tous les
participants. « Le mieux quand on est journaliste, c'est
de prévenir avant », lui reproche alors Proco. – Mais
je viens en tant que civil aujourd'hui. En plus, c'est
nous qui avons suivi Sainte-Soline et vous maîtrisiez
toutes les images publiées », lui répond le jeune jour-
naliste pour le rassurer.
L'incident passé, Proco poursuit la présentation : «
Vous allez voir, ce qui est bien aux Soulèvements,
c'est qu'on est un mouvement très horizontal, tout le
monde peut participer », vante l'ancien militant d'At-
tac. L'activiste nous explique ensuite la manière dont
fonctionne l'agenda : « Il y a des dates de mobilisa-
tion nationale, comme Sainte-Soline, avec la lutte
contre les méga-bassines. Et il y a des actions locales
comme celles contre l'entreprise de béton Lafarge en
décembre où les groupes locaux ont mené des actions
dans la France entière ».
Les Soulèvements fonctionnent ainsi par « saisons »
au cours desquelles plusieurs actions ont lieu. Les ac-
tions sont décidées lors des « interludes », rencontres
nationales qui réunissent le noyau dur des militants,
nous apprend Proco. Après ce café au cours duquel
infiltrée
nous avons noué un premier contact, nous sommes in-
DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . D
42

vités à participer à la prochaine Assemblée Générale

(AG) du comité. Celle-ci a lieu le lundi suivant, à la
livre noir n°3

Bourse du travail de Paris.

BOURSE DU TRAVAIL DE PARIS,

LUNDI 22 JANVIER, 19H
Je me rends à la Bourse du travail pour découvrir
l'AG des Soulèvements de la Terre de Paris-Est. Dans
une grande salle du vieux bâtiment hébergeant divers
groupes militants et syndicats, les participants s'ins-
tallent autour de longues tables en bois. Chacun a
déposé au préalable son téléphone portable dans une
boîte hermétique, comme l'exige la coutume. Coty,
quarantenaire qui porte un T-shirt rouge à manches
longues et une coupe punk, préside la séance dans
une ambiance qui évoque presque un Conseil des mi-
nistres.
Des militants du triangle de Gonesse, ancienne ZAD
située dans le Val d'Oise, présentent brièvement leur
combat contre l'urbanisation de la zone agricole pour
débuter la séance et former la soixantaine de parti-
cipants présents. « On vous invite tous à notre pro-

.
chaine Zadimanche, bien entendu », lance le retraité à
l'assistance une fois son discours fini.
BUREAUCRATIE
ET PARANOÏA
La réunion glisse ensuite vers la question de l'accueil
des « nouvelle.au.x » : « On a un groupe de travail qui
va nous présenter ses idées pour accueillir mieux les
nouvelle.au.x », annonce Coty. « Kim » prend alors
la parole pour expliquer qu'il « faudrait intégrer les
aspirants militants en les faisant participer à des ac-
tions et en les intégrant à des groupes de confiance ».
La jeune femme aux cheveux châtains présente un ta-
bleau couvert de schémas représentant la « nouvelle
structuration » à laquelle elle a pensé pour le groupe.
« Ok. Mais moi je suis pas d’accord : accueillir les
nouveaux, oui. Accueillir les agents des renseigne-
ments, non. On doit rester paranos si on veut pas se
veaux porte-parole médias ». L'assistance convient
d'un vote et Stella, femme d'une trentaine d'années,
se présente en levant la main. « Est-ce qu'on a accès
à des infos sensibles quand on est porte-parole ? »
demande alors Gog. – Oui, un peu, répond Coty. – Ah
bah alors, on peut pas confier ça à tout le monde, dé-
solé mais je te connais pas toi, réplique-t-il en se tour-
nant vers Stella.– Ça fait des mois que je viens… se
justifie la militante. – C’est pas une raison, ici il y a un
fonctionnement affinitaire, moi je n'ai pas confiance
en toi », clôt le militant. Finalement, aucun porte-pa-
role n'est élu.
« Kornelia » annonce ensuite que des actions de «
dégonflage de SUV » sont prévues prochainement et
fait circuler un papier où inscrire son numéro pour
participer. Une employée du lieu vient nous signifier
que nous devons rendre la salle car la Bourse ferme
ses portes. « On n'a pas eu le temps de parler des
agriculteurs », déplore un militant au sujet de la crise

.
faire dissoudre à nouveau », lance un jeune homme agricole qui secoue le pays.
surnommé Gog après avoir écouté les nombreuses
suggestions. Le groupe renonce finalement aux pro- PAS DE DISCUSSION
positions.
AVEC LES AGRICULTEURS
infiltrée

Coty annonce qu'il faut passer au sujet suivant. « On a FACHOS

aussi prévu dans l'ordre du jour de désigner des nou-

Vincent Fline
Je suis parfaitement d'accord avec ce texte.
S
Je ne comprendrais pas que les soulèvements
de la terre ne soit pas signataires de La
Tribune de la conf. L'histoire des luttes nous
donne des leçons de ralliement sans lequel
rien n'est possible. Pour les gilets jaunes de
ralliement. Pour les gilets jaunes en 2019
ce fut exactement pareil : récupération par
l'extrême droite et des hallucinés, ignorer les
motifs profonds de la révolte qui est com-
mune. N'est ce pas commun, la solidarité,
S l'union notre seule force ? 10:15
Cuervo
Il semble qu'il y ait déjà de l'entrisme, et pas
seulement avec la présence des factos de
la Coordination Rurale ou Bardela qui vient
carresser le cul des vaches, mais des tracts
tourneraient dans les rassemblements de-
mandant de l'argent pour les agriculteurs et
C pas pour l'immigration ... 10:15
Plus tard, sur la messagerie dédiée du groupe, un
militant surnommé Ganak suggère aux autres d'al-
ler « faire un tour sur le blocage de Rungis » pour
« discuter avec les gens sur place » en évoquant les
agriculteurs qui manifestent leur colère. Les avis sont
mitigés : « Ce ne sont pas nos amis. Ce sont des gens
qui peuvent être violents, peu enclins à la discussion,
et infiltrés par les groupes d'extrême droite », affirme
Cœur Noir, un ancien d'Extinction Rebellion.
43
« Lieutenant Roger », un militant de longue date
des Soulèvements, explique que les agriculteurs qui
livre noir n°3
bloquent Rungis sont « ceux qui ont exigé notre disso-
lution, qui portent les projets de bassines et de baisse
des normes et qui détruisent l'agriculture paysanne ».
Pour Stella, il faudrait quand même « essayer » de
nouer le dialogue avant qu'il ne soit trop tard.
« Il semble qu'il y ait déjà de l'entrisme, et pas seu-
lement avec la présence des fachos de la Confédé-
ration paysanne [en fait, Coordination rurale]. Des
tracts tourneraient dans les rassemblements deman-
dant plus d'argent pour les agriculteurs et moins pour
l'immigration », rétorque « Cuervo », styliste parisien
qui tient une fabrique artisanale de couteaux. Les
militants considèrent finalement que le combat des
agriculteurs est trop gangrené par l'extrême droite et
la FNSEA pour leur permettre d'aller plus loin dans
leur soutien.
LA PAROLE ERRANTE, MONTREUIL,
JEUDI 1ER FÉVRIER, 19H
Soulèvements de la Terre
.
ALLIANCE DES ÉCOLOS
RADICAUX ET
DES PRO-HAMAS
J'ai décidé de rejoindre le groupe local de Montreuil,
qui semble plus dynamique. Je me rends alors à la
Parole Errante, maison investie par le dramaturge Ar-
mand Gatti avant sa mort et aujourd'hui occupée par
de nombreux collectifs gauchistes. Je traverse le jar-
din arboré pour me rendre dans la vieille bâtisse où se
tient la rencontre des Soulèvements de la Terre.
Dans une grande pièce sombre et vétuste qui donne sur
la cour, je rejoins les militants installés sur des chaises
pliantes. Le public est plus jeune et je reconnais cer-
tains militants qui font partie de groupes antifascistes.
La réunion est inédite, il s'agit de programmer une ac-
tion conjointe avec Urgence Palestine, un collectif «
mobilisé pour l'auto-détermination du peuple palesti-
nien » et ouvertement pro-Hamas (enquête à retrou-
ver p...). Les deux collectifs ont décidé d'unir leurs
forces pour mener un week-end « Boycott Carrefour »
prévu dans toute la France les 17 et 18 février. Ils ont
été rejoints par d'autres mouvements altermondialistes
comme Alternatiba Paris.
C'est le comité rennais des Soulèvements de la Terre,
infiltrée
très influencé par la gauche révolutionnaire et donc
enclin à la convergence des luttes, qui a impulsé cette
DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . D
44

alliance. L'enseigne Carrefour est visée depuis de

longs mois par une campagne de boycott menée par
livre noir n°3

les militants pro-Palestine, notamment parce qu'elle

fournit des rations alimentaires aux soldats israéliens.
Lola, militante d'Urgence Palestine et étudiante à
l'EHESS, représente le groupe lors de la réunion. Les
militants écolos hésitent entre une action « auto-ré-
duc » consistant à piller un magasin Carrefour et le «
blocage » d'une enseigne. « Nous, le souci c'est qu'on
a beaucoup de camarades étrangers sans-papiers qui
pourraient se faire arrêter », prévient Lola en évo-
quant l'auto-réduc.
« C'est à prendre en compte, en plus ça fera genre «
c'est des gauchistes qui profitent de la Palestine pour
piller »… Mieux vaut faire un blocage », complète
Cœur Noir, ancien d'Extinction Rebellion qui est là
pour transmettre ses expériences de blocages.
« Sinon on fait une caisse gratuite », propose la pe-
tite brune qui mène la réunion. La méthode consiste
à inciter les clients à quitter le magasin sans payer. «
En fait, on a déjà essayé nous, mais les gens osaient
pas partir de la boutique », relate Cœur Noir, militant
aguerri. « On n’a qu'à utiliser des militants comme
faux clients qui feraient semblant d'adorer l'idée ! »
suggère une jeune femme enthousiaste. Mais un autre
militant relate que certains clients, issus des quartiers
populaires, se sont déjà fait arrêter à cause de cette
pratique. L'idée est abandonnée.

« Le blocage nous permettra de faire entendre nos

idées et de faire du bruit, tout ça c'est médiatique,
on n’arrivera pas à atteindre Carrefour économique-
ment », tranche Lola. « Il faudrait que l'association

France Palestine Solidarité ou qu'Urgence Palestine
déclare une manifestation officielle pour nous proté-
ger avec leur arc républicain pendant qu'on fait des
actions offensives », ajoute la jeune femme élégante à
la chevelure rousse.
« On avait pensé à faire le lien avec la mobilisation
des agriculteurs mais c'est pas du tout une évidence,
vu l'accueil qu'on a reçu sur les blocages, on va évi-
ter, explique la leadeuse écolo de la réunion. Mais
bon, tant mieux, faut pas tout mélanger, ça nous fe-
rait perdre du temps », conclut-elle. Étrangement, le
groupe « écologiste » s'allie de façon bien plus facile
et naturelle avec des collectifs pro-Hamas qu'avec les
agriculteurs français.
Je m'inscris dans les groupes destinés au blocage de
Carrefour et je suis les avancées du groupe de travail.
infiltrée
.
RUE CENSIER,
SAMEDI 17 FÉVRIER, 11H30
BLOCAGE DE CARREFOUR
Il fait beau, ce samedi matin. J'ai rendez-vous devant
le Jardin des plantes avec les militants des Soulève-
ments de la Terre, à vingt minutes du Carrefour ciblé.
Je rejoins « Doguito » et « Flam » qui m'attendent.
Nous ne sommes que trois issus du groupe parisien,
les autres militants sont répartis en petits groupes qui
partent de plusieurs coins du quartier pour ne pas at-
tirer l'attention.
Nous nous dirigeons vers le Carrefour de la rue Natio-
nale, dans le XIIIe arrondissement. Au cours du trajet,

Flam, femme d'une cinquantaine d'années, explique

qu'elle trouve finalement les actions des Soulèvements

un peu « molles ». « Je m'attendais à quelque chose
de plus rock n'roll quand j'ai rejoint le mouvement »,
ajoute-t-elle. Doguito, travailleur associatif diplômé
d'HEC, lui explique que les groupes locaux ont été
selon lui « créés pour recruter du monde en vue des
actions nationales comme Sainte-Soline ».
Nous arrivons devant le square Louis Say. Un autre
militant écolo vient à notre rencontre : « Vous pou-
vez attendre dans le parc, je vous préviens il y a très
peu de vrais gens dedans ». Effectivement, le parc est
rempli de militants qui attendent l'air de rien, certains
sont à peine reconnaissables par leur keffieh qui dé-
passe de leur veste. Après une vingtaine de minutes à
attendre, nous nous levons tous et nous postons devant
le Carrefour.
Des militants collent compulsivement des autocol-
lants « Boycott Carrefour » sur la vitre du magasin,
tandis que d'autres déploient une banderole où il est
inscrit : « Carrefour complice du génocide ». « Israël
45
livre noir n°3
UGO AMEZ/SIPA
assassin, carrefour complice », entonne la voix che-
vrotante d'un militant dans le mégaphone. Il s'inter-
rompt de temps en temps pour prendre à partie une
mamie qui veut rentrer faire ses courses : « Non ma-
dame, n’y allez pas ! Pas vous ! Non ! » insiste-t-il
devant les grand-mères médusées.
Aux passants curieux, un membre de « Samidoun »,
collectif accusé par Israël d'être affilié au Front de
libération de la Palestine (FPLP) considéré comme
terroriste par l'Union européenne, distribue des tracts.
Pendant ce temps-là, un groupe de militants écolo-
gistes force la barrière de vigiles et pénètre dans le
magasin en hurlant le même slogan et en collant des
autocollants sur les produits israéliens vendus par la
marque. Ne sachant trop où me mettre au milieu de
cette cohue, je m'éclipse rapidement. J'observe sur le
chemin du retour que le quartier est quadrillé par des
infiltrée
guetteurs qui scrutent l'arrivée des policiers.
DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . D
IMPASSE CROZATIER,
46
« Notre violence, elle existe
MARDI 27 FÉVRIER,
livre noir n°3
mais il faut la remettre dans
19H
un contexte »
Mon investissement important
à Urgence Palestine ne m'a pas
permis de venir aux réunions ces
derniers temps. Mais je ne peux rater celle-ci : elle a
lieu après les « interludes » où se décident les pro-
chaines luttes à venir.
Le lieu de la réunion du comité Paris-Est n'est plus
le même, nous nous retrouvons désormais à l'EDMP,
un local coopératif situé dans le XIe arrondissement
de Paris. Nous sommes tous installés en cercle dans
une salle aux baies vitrées qui donne sur une impasse
calme et déserte. La réunion commence par une dis-
cussion épineuse de trente minutes sur le nom des
différents groupes Signal. Par la suite, « Pino » jeune
homme brun qui porte une chemise à carreaux, nous
fait le compte-rendu de l'interlude qui prépare la sai-
son 7 des Soulèvements.
Le groupe national crée lors de ces interludes une
sorte de « jury » pour choisir les luttes locales qu'il va
inscrire dans son programme d'actions. Des militants
locaux présentent leur combat et les Soulèvements,
qui fonctionnent comme un catalyseur de mobilisa-
tion, les retiennent ou non.
Le militant qui a été coopté pour participer au week-
end national nous livre le programme : « Le deuxième
week-end de mai, on va faire une action contre les
giga-bassines dans le Puy de Dôme, expose-t-il. Là
le message sera encore plus clair parce que ça vise
les très gros exploitants de maïs. C'était un peu l'en-
jeu de l'action, être audible. – Après, on va pas faire
de l'électoralisme auprès des agriculteurs non plus »,
nuance un autre délégué national.
Pino nous explique par la suite que le week-end des
24-26 mai sera consacré à la lutte contre Greendock,
un projet d'entrepôt logistique au bord de la Seine en
construction à Gennevilliers. Celui-ci consistera en un
« blocage de flux fluviaux » : « On attend entre 1 000
et 5 000 personnes, donc on sera mis à contribution
pour héberger les militants qui viennent de province ».
Un groupe de travail s'est d'ores et déjà constitué
pour travailler sur l'action et s'apprête à rencontrer
le maire écologiste de l'Île-Saint-Denis et vice-pré-
sident de l'Association des maires de France (AMF)
infiltrée
Mohamed Gnabaly. « Pour la prochaine grosse mo-
bilisation contre les bassines entre les 14 et 21 juillet
dans le Poitou, on attend 40 000
personnes. Y aura des convois
qui partiront de toute la France
pour s'y rendre » explique Pino
au sujet de l'équivalent du pro-
chain Sainte-Soline qui se dérou-
lera quelques jours avant les Jeux
Olympiques de Paris.
Lors de la manifestation anti-bas-
sines du 25 mars 2023 à Sainte-Soline, les organisa-
teurs avaient déclaré 30 000 manifestants présents tan-
dis que les forces de l'ordre en avaient dénombré 6 000.
Les organisateurs attendent ainsi 10 000 personnes de
plus que l'année dernière selon leurs estimations. De
toute l’Europe vont affluer des éléments violents, is-
sus de mouvements autonomes. La mobilisation peut
constituer un enjeu sécuritaire important, à la veille
.
des Jeux Olympiques et ce, alors que de nombreuses
forces de l'ordre seront mobilisés en région parisienne.
LA VIOLENCE
DES SOULÈVEMENTS
Après la présentation, je participe à un atelier « média
et porte-parolat » avec Pino et deux autres militants.
J'oriente rapidement la conversation vers Sainte-So-
line et la violence du mouvement. Au cours de la
mobilisation en 2023, des affrontements ont eu lieu
entre les manifestants armés et les forces de l'ordre,
faisant 200 blessés chez les militants et 47 chez les
gendarmes déployés pour l'occasion. Ce sont ces évè-
nements qui ont conduit Gérald Darmanin à ordonner
la dissolution des Soulèvements en juin 2023. Elle a
été annulée par la suite par le Conseil d'État, qui a jugé
que le mouvement n'appelait pas à la violence, ni ne la
justifiait ou la valorisait.
« Les blacks blocks, les gens violents, c'est pas les
Soulèvements, c'est des gens violents qui viennent en
manifestation depuis toujours pour se battre », com-
mence Puma lorsque je lui demande si la violence était
imputable aux Soulèvements. En effet, de nombreux
membres de cette mouvance, vêtus de noir ou de com-
binaisons bleues, ont participé aux affrontements avec
les forces de l'ordre pendant la mobilisation.
Les Soulèvements avaient par ailleurs organisé un sys-
tème de cortèges différenciés. Des noms de codes per-
mettaient de séparer les manifestants pacifistes venus
en famille et les quelques 1 000 ultra-radicaux armés
et prêts à aller au contact des gendarmes.
Pino, qui fait partie du comité national, ne va pas dans
son sens : « Les Soulèvements de la Terre, on peut
 DORA MOUTOT & MARGUERITE STERN

47
pas se désolidariser des mouvements autonomes, des
black blocks, ils font partie de notre lutte », explique

livre noir n°3

le militant. Pour lui, condamner la violence revien-
drait aussi « baisser en popularité auprès de ces mou-
LE

11 AVRIL
vements violents ».
Pino livre ensuite la façon dont il conçoit les affron-
tements avec la police : « Si des gens qui se reven-
diquent des Soulèvements veulent utiliser l'action di-
recte, même envers des personnes… enfin ça m'embête
de dire des personnes… parce que tu vois c'est pas des
personnes, c'est le système en fait ! La violence pre-
mière, c'est celle de l'État qui opprime ! »
« Nous, on avait que des pavés et eux ils tiraient des
armes semi-mortelles, complète Puma au sujet de
Sainte-Soline. S'ils nous avaient laissé débâcher tran-

.
quillement la bassine, y aurait pas eu tout ça ». Pino
conclut la discussion : « Notre violence, elle existe
mais il faut la remettre dans un contexte ».

BILAN

Les Soulèvements de la Terre, fondés par d'anciens za-

distes, luttent contre des projets qu'ils jugent injustes

boualem sansal
et mortifères en mobilisant tous les moyens d'action
possible : manifestations pacifiques, dégradations et
même coopération avec des groupuscules violents.
Leur idéologie révolutionnaire les amène à considérer
que tous les moyens sont légitimes pour lutter contre
l'« État oppresseur », allant même jusqu'à déshumani-
ser les forces de l'ordre qui en sont les garants.
Leur volonté de destruction et de sabotage, rebaptisée
« désarmement » pour donner l'impression qu'ils ne
font que se défendre, leur vaut une certaine impopula-
rité chez les agriculteurs français. À défaut, ils trouvent
leurs alliés ailleurs, parmi les partisans du Hamas en
France notamment, avec lesquels ils semblent avoir
bien plus d'atomes crochus idéologiques.
Comme c'est habituel parmi les groupuscules d'ex- POUR LA PREMIÈRE FOIS EN FRANCE, LES AU-
trême gauche, le mouvement est gazeux, sans exis- TEURES DORA MOUTOT ET MARGUERITE STERN
tence juridique. Font partie des Soulèvements tous SIGNENT UNE ENQUÊTE CHOC SUR LES DÉRIVES
ceux qui s’y reconnaissent. La manœuvre est com- DE L’IDÉOLOGIE TRANSGENRE. BIENVENUE
mode pour les dirigeants qui fuient leurs responsa- DANS UN MONDE OÙ LES HOMMES PEUVENT
bilités, bien qu'ils engrangent des dons grâce à une
ÊTRE « ENCEINTS », OÙ LES PÉNIS PEUVENT ÊTRE
association vraiment déclarée, tout en ménageant et
« DE FEMME » ET OÙ LES NOTIONS DE GENRE ET
facilitant les actions des ultra-radicaux armés lors des
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DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . D
48
livre noir n°3
trump galvanise ses troupes

ZAD DE L'A69
À LA RENCONTRE
DES ÉCOLOS
PERCHÉS
À deux reprises, je me suis rendue au beau milieu de la ZAD de l'autoroute A69
qui relie Castres à Toulouse. Le voyage en valait le détour, et tout en restant en
France, je suis entrée dans un monde parallèle, opposé à la civilisation.
Erik Tegner
infiltrée

par pauline condomines

photos erik tegnér
 SAMEDI 2 MARS, 11H00,

49
EN BAJOU, SAÏX,

livre noir n°3

.
(43.577451, 2.147904)

DIRE BONJOUR
AUX ÉCUREUILS

Cela fait une heure que je pédale, depuis Castres, pour

rejoindre la ZAD de la « Cal'arbre ». Un fermier qui
s'apprête à être exproprié par la future autoroute A69 a
décidé de laisser les zadistes s'installer dans les arbres
de son terrain pour protester. Les militants se sont
alors mis à construire des cabanes dans les arbres pour
pouvoir tenir un siège lorsque les forces de l'ordre arri-
veront pour réquisitionner le terrain.

Après avoir longé le « chemin en Bajou », une petite

route de campagne, j'arrive devant un terrain boueux
jonché de petites constructions en palettes de bois et
d'outils en tout genre. La clôture est grande ouverte,
j'entre.

zad de l'a69
Deux jeunes hommes en salopette scient du bois à
ma gauche et me saluent de la main. Derrière eux,
une mare boueuse entourée de grands chênes en haut
desquels sont perchées des cabanes de bois. Je pose
mon vélo contre un arbre et je vais à la rencontre des
deux hommes pour leur expliquer que je suis là pour
la journée. « Bienvenue, fais comme chez toi, on te
laisse visiter », me dit l'un d'eux avant de me deman-
der mon surnom. Je dis que je m'appelle « Beluga ».

Je m'enfonce un peu plus dans le terrain qui donne

sur un grand champ nu, vers la mare et les arbres ha-
bités. Dans une « cuisine » construite en palettes, un
jeune homme blond aux cheveux longs comme les cils
m'accueille. « Moi c'est Floraison », se présente-t-il.
La plupart des habitants ici ont un surnom, au cas où
des membres des renseignements ou de la police s'im-
misceraient.
Je rencontre par la suite « Petit Tonnerre », « Choupis-
son » en référence aux bébés hérissons, « Chicane »,
« Loutre » et Erwan. Tous me demandent pourquoi je
suis là gentiment et j'explique venir les soutenir pour
la journée.
Le campement de la ZAD de la
Cal'arbre sur le tracé de l'A69 à Saïx
infiltrée

dans le Tarn en mars 2024.

DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . D
50
livre noir n°3
LE MONDE TOUT MIGNON
DE CHOUPISSON .
Choupisson, un homme d'une trentaine d'années aux
yeux bleu clair, me fait visiter la ZAD. Nous faisons
le tour des arbres sur lesquels sont perchées des ca-
banes couvertes de bâches. « Chaque arbre à un nom
», m'explique-t-il. Nous passons ainsi devant trois
grands chênes nommés « Bon matin », « Julia » et «
Sans nom ». Le zadiste me montre ensuite comment
escalader les arbres grâce à un baudrier et un nœud
autobloquant qu'il accroche au cordage.
Par la suite, j'accompagne Floraison chercher de l'eau
chez une voisine du coin qui soutient la lutte. « C'est
ma première ZAD. J'ai passé six ans à beaucoup
théoriser sans rejoindre l'action et là j'ai décidé de
me lancer », me raconte le jeune Breton qui a fait des
études d'histoire. « J'ai essayé de convaincre des amis
de venir mais ça n'a pas marché car leur vie est trop
intriquée au capitalisme », ajoute-t-il en ouvrant le
coffre de sa voiture garée chez l'habitante.
Lorsque je rentre au campement, les zadistes pré-
parent le déjeuner à l'aide de légumes que leur ont
infiltrée
donné les paysans du coin qui s'opposent à l'A69. Les
cuisiniers lavent les légumes dans une bassine remplie
d'un fond d'eau brune. J'explique à « Petit Tonnerre »,
un homme de quarante ans aux cheveux mi-longs qui
porte un bonnet avec des oreilles d’ours, que Floraison
est resté faire une sieste dans sa voiture. « D'accord.
Mais Floraison, c'est « elle », son pronom », me ré-
pond-il lentement en me fixant.
J'observe plus en détail les résidents de ce lieu aty-
pique : les profils sont très variés. Un groupe de jeunes
Lyonnais, habillés de noir, cagoulés en permanence et
très méfiants, mangent avec nous. Un ancien travail-
leur d'Emmaüs à Paris qui approche des 70 ans nous
raconte ses souvenirs de l'abbé Pierre en caressant sa
longue barbe grise. Erwan, qui a la quarantaine bien
tassée et une allure destroy, fume un grand pétard dans
son coin : un paysan de la région est passé une heure
avant pour déposer aux zadistes un grand bocal de
cannabis à fumer.
Certains sont venus parce qu'ils sont opposés au pro-
jet, d'autres sont des zadistes professionnels. « Avant
j'étais dans une ZAD en Allemagne » me confie un
homme d'une trentaine d'années au regard vitreux et
à la voix d'outre-tombe. « Puis je suis arrivé dans
le coin et je suis resté dans un arbre deux semaines.
Mais on m'a dit qu'il était pas menacé, donc je suis
descendu » ajoute-t-il avec un rire saccadé.

Les cabanes construites dans
les arbres par les zadistes de la
Cal'arbre pour empêcher leur
abattage.
La ZAD est auto-gérée
donc chacun fait
ce qu'il veut
Après le repas, personne n'est très motivé pour faire
la vaisselle. L'après-midi, chacun vaque à ses occupa-
tions. « La ZAD est auto-gérée donc chacun fait ce
qu'il veut », m'explique Floraison lorsque je lui de-
mande ce que je peux faire pour aider. « Tu peux faire
le panneau pour la fête des voisins de mercredi », me
dit finalement « Chicane », une femme blonde propre
sur elle d'une trentaine d'année qui porte un sweat à
capuche.
Je peins le panneau de façon médiocre et m'en excuse
à Chicane. « C'est pas grave. Tu as fait quelque chose
au moins, c'est bien mieux que de ne rien faire. Et
puis, on est dans une ZAD, on va pas se permettre
d'être exigeant quand même ! » me répond-elle avec
compassion. Elle ajoute : « Le plus difficile dans une
.
ZAD, c'est de trouver ce pour quoi on est vraiment
utile ».
NOUS N’AVONS RIEN À
PERDRE QUE NOS CHÊNES
À la fin de l’après-midi, un convoi se prépare. Les
militants vont rejoindre l'autrebZAD, celle de la «
Crem'arbre » assiégée depuis déjà des semaines par
la Cellule nationale d'appui à la mobilité (CNAMO).
51
livre noir n°3
L'unité de gendarmerie, spécialisée dans la gestion
d'accrochage complexe de manifestants, peine à faire
descendre les « écureuils » qui siègent dans les arbres.
Pendant plus d'une heure, les manifestants s'engagent
dans une mêlée avec les gendarmes et se font repous-
ser de temps en temps. Lorsque la tension monte d'un
cran, des jeunes habillés tout en noir qui sirotent des
bières en canette couvrent leur visage d'un masque de
plongée en criant : « C'est l'heure du gazaaaage ! »
et en riant. Les militants se disperseront finalement,
après plusieurs heures d'usure à la nuit tombée.
VENDREDI 15 MARS
Je suis de retour pour la soirée et pour la nuit. Cette
fois j'ai prévu des bottes de jardinage et un bon jogging.
Le chantier a bien avancé, il y a déjà trois cabanes
de plus dans les chênes de la Cal'arbre, une grande
yourte en palette siège aussi au milieu du campement.
Les zadistes ont également fabriqué une « love room
» en bois, à usage de tous les habitants. Certains sont
partis, je reconnais quelques têtes et je rencontre des
nouveaux venus.
infiltrée
J'ai ramené un pack de bières, ce qui ravit les mili-
tants. Nous prenons l'apéro autour d'un feu de camp.
DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . D
52

Alors que nous parlons brièvement de l'entreprise

Pierre Fabre qui soutient les travaux de l'A69, une
livre noir n°3

jeune femme vêtue de noir qui est ici depuis plusieurs

jours demande : « C'est qui, Pierre Fabre ? » Je lui ex-
plique que c'est un groupe pharmaceutique situé dans
la région, attaché au projet d'autoroute notamment,
car il peine à recruter. « Ah d'accord, je lis pas assez
les raisons des luttes avant de venir… C'est comme à
Sainte-Soline, je savais pas qu'il y avait des bassines
en arrivant », s'amuse-t-elle.

Soudain une troupe d'hommes en noir arrive devant

le terrain en hurlant. Ce sont des vigiles de nuit qui
ont été embauchés par la carrière d'en face, à la suite
des nombreux vols commis par les zadistes. « On va
vous niquer vos mères ! » hurlent de leur voix rauque
des hommes de la ZAD, tandis que les vigiles nous
lancent des pétards.
Chicane me dit qu'il faut grimper « pour protéger les
arbres ». Au milieu des cris et des pétards incandes-
cents, je monte rapidement dans un chêne. Alors que
j'avais prévu de dormir au sol, je passe finalement la
nuit dans une cabane perchée en haut d'un chêne.
Au matin, je suis réveillée par la lumière du jour et par
les klaxons des anti-ZAD qui passent sur la nationale
à proximité. Lorsque je peux enfin fouler le sol, je vais
prendre un café avec les autres. « Apparemment, ils
vont faire venir le GIGN, ça risque d'être autre chose
que ces clowns », s'amuse un militant. Je quitte la
ZAD après le café, je n'ai jamais été aussi heureuse de
retourner à la civilisation.
À la Zad de la Crém'arbre, une mésange bleue est
aperçue le 22 mars dans les arbres. L'office français
de la biodiversité (OFB) interdit ainsi tout abattage
jusqu'en septembre et les derniers écureuils perchés
dans les arbres descendent victorieux. Les travaux
menés par Atosca, le concessionnaire de l'A69, sont
retardés une fois de plus.

Les opérations conduites contre la Crem'arbre ont mo-

bilisé plus d'une centaine de gendarmes pendant un
mois. D'autres militants en ont profité pour implanter
une ZAD à la Cal'arbre, où je me suis rendue. Malgré
la légalité incontestable du projet de l'A69, il paraît de
plus en plus difficile de le mener à bien, les Zad essai-
mant, investies par des « écureuils ». Ce nouveau mode
de « lutte » tend à se multiplier et constitue une nou-
velle forme de ZAD, bien plus difficile à démanteler.
infiltrée
 53
livre noir n°3
PLONGEZ
AU CœUR DE

L'E X TR Ê M E GAU C H E
-Palestine /
loniaux / Pro-migrants / Pro
ACAB / Antiracistes et déco
Écologistes / Antifascistes

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infiltrée
 infiltrée livre noir n°3
DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . D 54
 55
DERNIÈRE

livre noir n°3

RÉNOVATION/
RIPOSTE
ALIMENTAIRE
les ÉCO-ACTIVISTES
qui DÉVOIENT
le SYSTÈME
Blocages de routes, jets de soupe
sur des toiles de maître ou des
monuments et, plus récemment, dé-
clenchements volontaires d'alarmes
La police détache les
militants de Dernière
dans des lieux publics : les actions
Rénovation lors de illégales de Dernière Rénovation,
leur blocage du pont
de la Concorde devant devenue Riposte Alimentaire, se
l'Assemblée nationale multiplient depuis avril 2022. Cette
en décembre 2023.
« campagne de résistance civile »
écologistes profite d'un système
qu'elle passe son temps à dénoncer.
Enquête.
infiltrée

par Pauline condomines

photos jules laurans
DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . D
56
livre noir n°3
la militarisation du trafic de drogue
.
JEUDI 23 NOVEMBRE 2022
PREMIÈRE APPROCHE
Nous sommes en plein milieu de l'hiver. Ce soir, je
me rends à l'Académie du Climat dans les majestueux
anciens locaux de la mairie du IVe arrondissement
de la capitale. Fondé par la ville de Paris, ce repaire
héberge pléthore d'associations, collectifs et groupus-
cules œuvrant pour la préservation de la planète.
J'y vais pour assister à une réunion publique de Der-
nière Rénovation, une « campagne de résistance civile
» qui s'est fait connaître en organisant des blocages de
routes et des jets de peinture sur des œuvres d'art. Le
but ? Exiger du gouvernement qu'il finance la rénova-
tion thermique du parc immobilier français.
infiltrée
Dans une salle blanche à l'étage, devant de grandes
fenêtres donnant sur la cour, Thibault récite sa pré-
sentation. L'événement s'intitule « Nos responsabili-
tés à ce moment de l'histoire » et il a pour objectif de
convaincre le plus de participants possible à s'engager
dans Dernière Rénovation.
« Je vais commencer cette présentation par un petit
trigger warning », annonce Thibault solennellement
aux auditeurs serrés sur des bancs alignés. Le mili-
tant poursuit en expliquant qu'il « s'apprête à men-
tionner des luttes LGBT, racisées et féministes » mais
qu'il « n'appartient pas à ces communautés ». « Je ne
cherche pas à m'approprier ces luttes ! » explique-t-il
d'un ton presque penaud à l'assistance impassible. Le
public autour de moi est varié, composé d'hommes et
de femmes de toutes les générations.
.
TOUT PLAQUER
POUR ENTRER DANS
LA RÉSISTANCE

Le présentateur poursuit : « Je vais vous expliquer
ce qu'est le déni climatique léger ». Selon le militant,
ce syndrome est différent du fait d'être climatoscep-
tique : « Il s'agit tout simplement de vivre sa vie, à
certains moments, comme si on n’était pas au bord
du précipice ». Une faute que le présentateur admet
lui-même commettre de temps à autre.
Pour guérir de ce mal, Thibault explique qu'il faut
lutter et résister, comme lui a choisi de le faire. Avec
un ton grandiloquent, il nous ordonne alors à tous de
nous « demander dans quelles mesures la lutte contre
le réchauffement climatique est plus importante que
notre job, que notre carrière et que certaines rela-
tions ». L'activiste explique qu'il a lui-même décidé
de s'engager à plein temps pour Dernière Rénovation.
L'orateur aborde ensuite la lutte des suffragettes pour
obtenir le droit de vote à Londres au début du XXe
siècle. Puis, il évoque celle des Freedom riders, mili-
tants des droits civiques qui bravaient la ségrégation
aux États-Unis au début des années 1960. « Leurs
luttes montrent qu'il faut désobéir pour faire avancer
les choses », en conclut-il en fixant l'assistance.
« Vous savez quel était le point commun de tous les
résistants pendant la Seconde Guerre mondiale ?
demande alors le présentateur. Ce n'était pas des
critères sociologiques ou politiques, c'était la pro-
fondeur d'âme », révèle Thibault avant de laisser la
parole à deux autres intervenants.
Un bénévole ayant participé à un blocage d'auto-
route en août précédent raconte alors son aventure.
« Il paraît que l'espérance de vie est très réduite sur
l'autoroute, mais moi je ne me suis jamais senti aussi
vivant que lorsque je m'y suis assis avec Dernière Ré-
novation », s'enthousiasme l'ingénieur dans la filière
énergétique. Arrêté par la police suite à son action, il
confie même s'être senti « frustré de n'avoir été re-
tenu que quelques heures ». Une seconde vétérane,
d'une soixantaine d’années, explique « qu'il ne faut
.
pas avoir peur de la garde à vue ou de la prison, mais
du monde dans lequel on s'apprête à vivre ».
UN RECRUTEMENT
INSISTANT
Après cette présentation, nous sommes tous répartis
en petits groupes de quatre à cinq dans le couloir qui
donne sur la salle. Nous devons expliquer comment
nous nous sentons par rapport au climat et à la confé-
rence qui vient d'être donnée. « Certains de mes amis
57
ne se rendent pas compte de l'urgence et je leur en veux
de s'en foutre autant », confie une étudiante en droit.
livre noir n°3
Nous sommes ensuite pressés de remplir un formulaire
en ligne par une bénévole. Celui-ci nous permet de
raconter la façon « dont nous souhaitons nous impli-
quer dans Dernière Rénovation ». Le but est de garder
contact avec ceux qui hésitent encore. Tout semble fait
pour que nous nous décidions à nous engager.
J'ai franchi le premier pas qui m'a permis de me rap-
procher de Dernière Rénovation, mais il me reste en-
core du chemin à parcourir pour me retrouver au cœur
de l'action. Je dois maintenant participer à une jour-
née entière de formation à l'action, indispensable pour
s'inscrire à un blocage. C'est un an plus tard, pour me-
ner à bien mon infiltration dans l'extrême gauche, que
je décide de participer à une action.
LE SOUTIEN
COMPLAISANT DE
CERTAINS POLITIQUES
La campagne de Dernière Rénovation a beau
se prétendre « apolitique », elle entretient
néanmoins des liens ténus avec les partis de
la Nouvelle Union Populaire Ecologique et So-
ciale (NUPES). La coalition soutient en effet
le mouvement et communique régulièrement
des informations en provenance de l'Assem-
blée nationale aux militants.
Le soutien de certains partis peut aussi revêtir
des formes plus directes comme dans la ville
de Lyon. La « campagne » y dispose d'une an-
tenne locale, et, comme à Paris, elle organise
des formations au blocage de route. Certaines
d'entre elles ont lieu au local du parti Les Éco-
logistes Rhône-Alpes, prêtés pour la journée,
comme c’était le cas le samedi 2 mars. C'est
au musée des Beaux-arts de la ville que deux
activistes du mouvement ont aspergé la toile
Le Printemps de Monet avec de la soupe. Le
maire écologiste de la ville, Grégory Doucet,
a désapprouvé la méthode, sans pour autant
infiltrée
condamner fermement l'action.
DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . D
LUNDI 4 NOVEMBRE 2023
58

.
livre noir n°3

LANGAGE SILENCIEUX
ET OPPRESSIONS
SYSTÉMIQUES

« Bienvenue à cette journée de formation à l'action ! »

Bastien et Clara nous accueillent dans l'open space
spacieux d'une start-up située Porte de la Chapelle
avec du café et des viennoiseries. Les locaux ont été
prêtés gracieusement par l'agence dont le fondateur
est très impliqué dans la « campagne ».
Bastien, ingénieur au chômage qui a décidé de s'inves-
tir pleinement cette année et Clara, consultante climat
et bénévole à Dernière Rénovation, vont nous former
pendant toute la journée.
Il est dix heures du matin et les six participants
semblent encore un peu endormis en ce samedi de no-
vembre. Avant d'entamer cette journée de formation
chargée, nous sommes tous sommés de dévoiler notre
prénom ou pseudo et nos pronoms puis de décrire
notre « météo intérieure ».
« Moi, c’est Léonard et pour les pronoms c'est « il » mais
ça pourrait bien changer, j'ai pas encore assez étudié la
question », déclare un comédien blond d'une trentaine ment de diversité » parmi les bénévoles de Dernière
d'années. Emma, « elle », enchaîne. « Ma météo est plu- Rénovation, avant de s'excuser car il a oublié de lever
tôt bonne, même si je suis très fatiguée », poursuit une le doigt pour parler. « Au niveau de la parité on est
jeune femme qui travaille dans le marketing. bons, il y a aussi différentes classes sociales mais c'est
Clara pose ensuite le « cadre de communication » vrai qu'il y a encore très peu de personnes racisées.
de la journée : si nous sommes d'accord avec ce que On n’a pas encore réussi sur ce point », lui répond
quelqu'un dit, il ne faut pas le dire à l'oral mais agiter Bastien.
les mains en l'air, pour ne pas « polluer la conversa- Nous devons ensuite discuter par binôme de nos « es-
tion ». La formatrice nous demande aussi de former poirs » et de nos « craintes » concernant le climat.
un « C » avec notre main pour signifier que nous avons Emma m'explique qu’elle trouve ses amis « égoïstes »
besoin d'une « clarification ». Nous devons aussi lever car ils ne comprennent pas l’« urgence climatique ».
le doigt pour demander la parole. Léonard dit quant à lui souhaiter « trouver une cause
« Un dernier point : à Dernière Rénovation, on a qui le dépasse ». La plupart des participants évoque la
conscience qu'il existe des oppressions systémiques, peur de la « répression policière » et certains craignent

même chez nous », déclare très sérieusement Clara.
Elle liste ensuite toutes les formes que ces oppressions
peuvent prendre : « racistes », « sexistes », « classistes
», « validistes », « grossophobes », et nous invite à
venir la prévenir absolument si nous en subissons au
cours de la journée.
Enfin, Clara nous explique que cette formation n'est
pas le moment de « remettre en question les méthodes
de Dernière Rénovation » avant de poursuivre : « Il y
a des espaces faits pour ça, mais pas ici ».
infiltrée
.
d'être « incompris par leurs proches en agissant pour
Dernière Rénovation ».
PRÉPARER
UNE ACTION SECRÈTE
Par la suite, Bastien nous indique le déroulé d'une ac-
tion de Dernière Rénovation : « Vous allez remplir un
formulaire en ligne et sélectionner une date d'action

Vient par la suite une petite séance de questions/ré- ainsi que le rôle que vous souhaitez jouer ». Les rôles
ponses : un participant demande s'il y a « suffisam- sont divers : il y a les « abeilles » qui se mettent au mi-

Les militants de Dernière
Rénovation lors de leur
dernière action sur le
Pont de la Concorde en
décembre 2023.
lieu de la route pour la bloquer, la « reine » qui mène
le groupe, les « médiactivistes » qui prennent des vi-
déos pour les réseaux sociaux. Enfin, les « soutiens »
font semblant d'être des passants impressionnés posi-
tivement par l'action en applaudissant les bloqueurs.
« La veille de l'action, vous serez ajoutés sur un
groupe Signal, une messagerie sécurisée, poursuit
Bastien. On vous donnera alors le lieu et l'heure de
rendez-vous pour le brief. En général, ça se passe le
soir ». Ces précautions importantes permettent de di-
minuer le risque que l'action soit connue et empêchée
par les services de police.
Le jeune homme nous apprend ensuite à former une
chaîne humaine pour bloquer la circulation : « Si un
automobiliste essaye de vous dégager, faites le poids
mort : laissez tous vos membres tomber et ne vous rai-
dissez surtout pas, ça vous rendra très difficile à bou-
ger ». La technique permet aussi de « prendre des su-
pers images qui montrent la répression », complète le
formateur. « En général, on est plutôt rassurés quand
on voit la police arriver, le plus dangereux c'est avant
: on ne sait pas comment les automobilistes peuvent
réagir », enchaîne Clara.
.
LES ÉCO-ACTIVISTES FONT
59
EXPRÈS D'ALLER EN GARDE
livre noir n°3
À VUE
Les formateurs nous apprennent ensuite que nous ne
devons surtout pas avoir notre carte d'identité sur nous
lors d'une action. Je demande pour quelle raison : «
Parce que si vous donnez votre carte d'identité au po-
licier, vous allez vous en tirer avec une simple amende
! Si on n'a pas de carte d'identité et qu'on ne répond
pas aux questions des policiers, là on va en garde à
vue, m’apprend Bastien. Donc on attend que l'officier
de police judiciaire nous notifie la garde à vue, c'est
essentiel », poursuit-il.
Maxime, un autre participant cadre à la SNCF, de-
mande quel est l'intérêt d'aller en garde à vue. « Déjà
ça permet de montrer qu'on nous martyrise, explique
Bastien naturellement. Donc même si c'est difficile, on
ne donne pas son identité au policier avant la garde à
dernière rénovation i riposte alimentaire
vue. Sinon on commet une violence envers le groupe
.
entier ». La « répression » est donc si inexistante que
les militants de Dernière Rénovation doivent élaborer
des stratégies pour être privés de liberté.
STRATÉGIE JURIDIQUE
« Aller en garde à vue, ça permet aussi d'aller au pro-
cès », enchaîne Bastien. Le bénévole nous explique
qu'après notre remise en liberté, nous serons « contac-
tés par un juge pour payer une amende d'environ 500
euros ». Elle nous permettrait de nous en sortir avec
un simple rappel à loi. « Si vous voulez payer, vous
pouvez le faire, mais ce n'est pas Dernière Rénova-
tion qui règle la somme », prévient Clara. Les forma-
teurs expliquent ensuite que nous aurons l'occasion de
payer une seconde amende et qu'encore une fois, ce
n'est pas la campagne qui nous aidera à nous acquitter
de notre dette.
« On fait cela parce qu'on veut aller au procès, dé-
voile Bastien. Non seulement ça permet d'avoir une
bonne exposition médiatique, mais en plus on espère
pouvoir faire changer la jurisprudence comme ça »,
poursuit-il devant les participants un peu perplexes.
Effectivement, le refus de payer les amendes mène fi-
nalement au procès.
D'après les formateurs, l'objectif est d'obtenir le statut
« d'irresponsabilité pénale » via l'« état de nécessité »
défini par l'article 122-7 du code pénal. « On a besoin
infiltrée
de trois critères pour obtenir ce statut : la présence
d'un danger imminent, c'est-à-dire le réchauffement
DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . D
climatique, le fait d'apporter une réponse propor-
60
tionnée à ce danger et le fait d'avoir épuisé tous les
recours légaux possible ». Selon Clara, « les juges
livre noir n°3
sont du côté de Dernière Rénovation », mais ne re-
connaissent toujours pas le troisième critère. Les ma-
gistrats considèrent que les militants n'ont pas épuisé
tous les moyens légaux à leur disposition. Le cœur de
la communication de Dernière Rénovation consiste
pourtant à déclarer qu'« on a déjà tout essayé pour
faire changer les choses » pour justifier ses actions.
Si l’état de nécessité était finalement accordé, cela fe-
rait jurisprudence pour tous les militants bloquant les
routes ou participant à des actions de dégradation en
comme Dernière Rénovation. « C’est pour ça qu'on
fait appel, on espère que ça ira jusqu'à la Cour eu-
ropéenne des droits de l'Homme », conclut Bastien
.
en souriant. Une décision favorable de la Cour euro-
péenne permettrait à tous les militants européens de
perpétrer leurs actions sans conséquences judiciaires.
FORMATION À L'ACTION
À midi, nous sortons tous acheter un plat dans un fast-
food indien sauf Léonard, le comédien, qui a ramené
le sien. Après le repas, il s'offusque auprès de nous
tous : « Le déjeuner, c'est censé être un moment im-
portant de convivialité, et vous, vous allez acheter des
plats à emporter bourrés de plastique, ça n'a rien à
voir avec les valeurs qu'on est censé défendre, ça me
fait beaucoup de peine ».
Après le repas, nous devons fermer les yeux et écou-
ter Bastien qui nous lit le témoignage de Clément, un
ancien bloqueur. Ce dernier raconte s'être assis sur le
périphérique parisien et avoir entravé la circulation
des automobilistes : « Une femme enceinte dit qu'elle
ne se sent pas bien. On imagine le pire. Je me dis qu'il
se serait passé la même chose pour cette femme s'il
y avait eu un embouteillage. Le risque zéro n'existe
pas », relate le texte du militant qui se définit lui-
même comme un « bourgeois privilégié ».
Enfin, nous nous entraînons de manière pratique à
bloquer les routes. Nous faisons le « poids mort »
tour à tour tandis que deux autres militants essaient de
nous porter. Puis nous participons à des jeux de rôle
au cours desquels Bastien joue le policier à qui on ne
doit pas répondre.
À la fin de la journée, nous sommes ajoutés sur un
nouveau groupe Signal, celui des « abeilles ». Clara et
Bastien nous expliquent que nous pouvons nous ins-
crire directement à une action grâce à un simple lien
infiltrée
internet en sélectionnant la date qui nous plaît.
DES « RÉSISTANTS » SOUS
TUTELLE AMÉRICAINE
« Il faut savoir qu'on fait partie d'un réseau in-
ternational de résistance civile, le réseau A22 et
que c'est vraiment fort de voir tous ces citoyens
se soulever en même temps dans le monde », rap-
pelle « Arctique » lors de la session questions/
réponses de la réunion de recrutement. Ce
réseau, fondé en avril 2022 possède effective-
ment des antennes dans sept pays occiden-
taux. Chacun des mouvements locaux lutte
pour une cause propre au pays où elle est im-
plantée mais les modes d'actions restent les
mêmes : dégradation d’œuvres d'art, blocages
de routes, etc.
Le principal bailleur de fonds de ce réseau est
le Climate Emergency Fund (CEF), un fonds
américain administré par des professionnels
de la philanthropie, des experts en commu-
nication ou encore des stars hollywoodiennes.
Celui-ci défend le concept de « venture philan-
thropy » ou « philanthropie de risque » selon le-
quel il est plus rentable d'investir dans la dé-
sobéissance civile que dans les associations ou
ONG, dont le gradualisme aurait moins d'im-
pact sur la vie politique.
Le bailleur de fonds déclare « coordonner les
campagnes » sur sa page de présentation et
se vante du « recrutement de masse » généré
par les antennes de ce réseau. Si les fonds al-
loués au réseau ne sont plus affichés, l'objectif
de septembre 2022 était de réunir 3,2 millions
de dollars pour le réseau A22 en un mois. Les
visiteurs du site désireux de financer des mou-
vements de résistance civile découvrent rapi-
dement le réseau A22 auquel le fonds réserve
une place de choix en vantant sa « success story
» : 23 000 articles de presse en 2022.
Le bailleur de fonds ne se contente pas de
donner : il impose un cahier des charges aux
campagnes. Les généreuses donations du CEF
sont conditionnées au nombre d'actions ré-
alisées par Riposte Alimentaire et les autres
campagnes de l'A22. Le fonds insiste par ail-
leurs sur le nombre restreint des membres de
l'équipe organisatrice. Une réalité bien éloi-
gnée de la vitrine du « mouvement citoyen
» affichée dans les médias par les différents
porte-parole.
MERDREDI 6 DÉCEMBRE 2023

61
fée d’une casquette demande à chacun de se présenter
et de donner sa fameuse « météo intérieure ». « Moi

livre noir n°3

J-1 AVANT L'ACTION
Je me suis inscrite en tant que « médiactiviste » pour
l'action du lendemain. Je suis en vitesse la formation
publiée sur « moodle » par Dernière Rénovation pour
savoir ce que je dois faire. Tout est très bien organisé :
chaque participant à une formation dédiée, qu'il soit
« bloqueur », « soutien » ou « reine des abeilles ». Un
brief juridique est disponible pour tous.
Dans l'après-midi, je reçois un texto d'un prénommé
Kiké : « Coucou, le rdv est aux arches citoyennes,
place de l'Hôtel de ville, 5e étage », m'indique le
militant. Je me rends le soir-même dans ce lieu que
les activistes de Dernière Rénovation appellent « la
Ruche ».
L'immense local est hébergé par un tiers-lieu nommé
les « Arches citoyennes » qui a investi l'ancien siège
de l'AP-HP, un établissement public. Ici les associa-
tions peuvent louer des bureaux à petit prix. Sur le
plan du site, les locaux occupés par Dernière Rénova-
tion sont déclarés au nom de « Génération Mobilisa-
tion ». Il s'agit d'une association qui n'a ni site inter-
net, ni communication mais qui est déclarée d'intérêt
général et engrange ainsi des dons défiscalisés pour la
campagne.
Je monte les six étages du grand bâtiment haussman-
nien qui mènent à la Ruche. Lorsque j'entre dans le lo-
cal, plusieurs militants s'affairent dans la grande pièce
autour d'une montagne de radiateurs de toutes tailles,
c'est Luc, c'est ma deuxième action et comme c'est
la dernière je suis un peu ému, mais plutôt serein et
confiant », commence un participant.
Romain, un jeune homme à la silhouette mince avoue
qu'il n'est « pas hyper serein » : « Je vois les camé-
ras passer sur moi, je me vois passer au JT avec ma
grand-mère… Je sais pas si je vais le faire », confie-t-
il en souriant. « Je suis un peu stressée, ça m'angoisse
de laisser les enfants et en même temps j'ai vachement
envie de le faire, donc voilà », continue Cécile, une
mère de famille aux cheveux blonds coupés courts
avant d'éclater en sanglots.
Lorsque tout le monde s'est présenté, l'organisatrice
dessine un plan de la route au feutre sur un grand ta-
bleau blanc. Chaque participant choisit où il se place-
ra le lendemain. Je fais un point avec les deux autres
médiactivistes qui prendront aussi des photos pour
les réseaux sociaux. Il est conclu que je dois arriver à
gauche de la route, en faisant semblant d'être une pas-
sante et dégainer mon téléphone dès que les abeilles
commenceront à bloquer la route. Après plusieurs en-
traînements, nous quittons la Ruche à 22h30.

.
empilés les uns sur les autres. Je reconnais Bastien,
qui nous a formés à l’action.

BLOQUER LE PONT
DE LA CONCORDE
Nous sommes plus d'une trentaine à nous réunir pour
le brief, dans une seconde pièce bordée de canapés
et de banquettes. L'organisatrice de l'action fait pas-
ser une boîte hermétique dans laquelle nous devons
déposer notre téléphone et elle la place ensuite hors
de la pièce. « Demain, on va bloquer le pont qui mène
à l'Assemblée nationale avec cinquante radiateurs,
comme ça on comprendra enfin notre message », ex-
plique-t-elle à l'assistance pendue à ses lèvres. L'ob-
jectif est de porter la revendication de la rénovation
thermique des bâtiments de manière symbolique de-
infiltrée

vant le pouvoir législatif.

Avant de nous en dire plus, la jeune femme brune coif-
DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . DOSSIER N°2 . D
62
« GÉNÉRATION
livre noir n°3
MOBILISATION » :
L'ASSOCIATION-ÉCRAN QUI
ABRITE LES ACTIVISTES
« Campagne de résistance civile », Dernière
Rénovation/Riposte Alimentaire n'a aucune
existence légale. Pourtant, il y a bien des sala-
riés qui travaillent à temps plein pour le mou-
vement et des locaux et entrepôts qui per-
mettent de stocker le matériel d'action. Les
militants se réunissent en effet au 3 place de
l'Hôtel de Ville, dans de vastes bureaux. Dans
ces anciens locaux de l'AP-HP de Paris, le tiers-
lieu « les Arches Citoyennes » s'est implanté
temporairement et propose des espaces de
travail à un prix bien en dessous du marché.
Riposte Alimentaire occupe ses bureaux via
une association déclarée, « Génération Mobi-
lisation ». « Mobiliser un maximum de citoyens
pour qu'ils s'engagent dans des mouvements so-
ciaux et environnementaux » : l'objet de cette as-
sociation reconnue d'intérêt général ne men-
tionne pas les actions illégales qu'elle organise.
Pourtant, c'est bien dans les bureaux qu'elle
loue aux Arches Citoyennes que s'amoncellent
les radiateurs destinés à bloquer le pont de la
Concorde, le 7 décembre 2023.
C'est aussi via cette association que la cam-
pagne engrange les dons des particuliers et
organismes. Ces derniers donnent droit à une
réduction fiscale, ce qui signifie que « Géné-
ration Mobilisation » est reconnue « d'intérêt
général ».
.
JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023
BLOCAGE EXPRESS
Il est 9h moins le quart quand je retrouve les autres
médiactivistes autour du bassin octogonal du Jardin
des Tuileries où règne un froid glacial. Sept journa-
listes « amis » nous rejoignent : ils ont été sélectionnés
infiltrée
par Dernière Rénovation pour couvrir l'évènement et
nous les menons sur place. Ce sont des journalistes
de Brut, Reuters, Streetpress ou des indépendants qui
préparent un documentaire sur les activistes du climat.
Ils ont été choisis pour leur façon complaisante de
couvrir ces actions.
Les coordinateurs de l'action, le visage dissimulé par
une casquette et une cagoule, sont stressés et font des
aller-retour sur le pont pour surveiller le terrain. Ils
nous donnent finalement le signal, les journalistes
suivent au pas les militants qui les guident.
À 9h, nous rejoignons le pont de la Concorde où les
militants transportent les radiateurs en les faisant
rouler sur des skateboards. Les abeilles bloquent la
route, attachées les unes aux autres grâce à des tubes
orange dans lesquelles elles ont glissé leurs bras. Au-
tour d'elles, un monceau de radiateurs est dispersé de
manière anarchique sur toute la chaussée.
Des automobilistes commencent à quitter leur véhicule
pour invectiver les bloqueurs qui restent impassibles.
Seuls ceux qui ont été désignés comme porte-parole
s'adressent aux journalistes, récitant le texte donné par
Dernière Rénovation, qu'ils ont appris par cœur. « On
a pas le choix, on en arrive là parce que personne ne
nous écoute », déclare une jeune femme nommée Sa-
cha aux journalistes. Certains automobilistes contra-
riés s'attèlent à dégager les radiateurs de la route. Je
m'active pour prendre le plus d'images possible de la
scène et les envoyer aux bénévoles qui gèrent la com-
munication.
Manque de chance, les abeilles se sont assises sur le
pavé pile au moment où un car de gendarmerie fran-
chissait le pont. Les gyrophares s'allument et les forces
de l'ordre arrivent sur place en trois minutes. Les mi-
litants se font dégager de la chaussée. Alignés sur le
trottoir, ils restent mutiques face aux policiers qui leur
demandent leurs papiers. Enfin, ils se font embarquer
dans le fourgon de police. Je ne les reverrai plus.
Les abeilles ont fait leur garde à vue et Dernière Ré-
novation a lancé sa communication sur les réseaux so-
ciaux en évoquant la « répression » qui gronde contre
les activistes du climat.
En janvier, la campagne est devenue Riposte Alimen-
taire. Pour marquer le coup, les militants parisiens
sont allés au Louvre asperger la Joconde avec de la
soupe. « Les gens ne supportent pas qu'on attaque le
sacré », m'explique une militante du mouvement au
sujet de cette action.
Le mouvement exige désormais la mise en place d'une
« sécurité sociale de l'alimentation ». Un système qui

permettrait à chaque citoyen d'obtenir un chèque ali-
mentaire de 150 euros par mois donnant accès à des
produits conventionnés. La revendication est diffé-
rente, mais les méthodes et les équipes sont toujours
les mêmes.
BILAN
À Dernière Rénovation, comme dans de nombreux
mouvements d'extrême gauche, l'impunité règne. Les
« résistants » de la campagne écologiste dispensent
leurs réunions d'accueil dans les bâtiments de la ville
de Paris, préparent leurs actions illégales dans des lo-
caux publics et reçoivent des dons défiscalisés en s'ap-
puyant sur une association écran reconnue d'« intérêt
général ».
La Nupes collabore avec le groupe d'éco-activistes. Le
parti Europe-Ecologie les Verts, quant à lui, va jusqu'à
prêter, en toute discrétion, le local de son siège régio-
nal en Auvergne-Rhône-Alpes à ceux qui voudraient
se former au blocage de routes… et au jet de soupe sur
des tableaux de maîtres.
63
Dernière Rénovation, devenue Riposte Alimentaire,
n'est pas un mouvement de « citoyens qui décident de
livre noir n°3
s'engager pour le climat » comme la campagne le pré-
tend. La stratégie est pensée d'avance et les bénévoles
ne peuvent la remettre en question puisqu'ils sont fi-
nancés par un fonds américain spécialisé, qui exige
des résultats.
Non contente de bénéficier de milliers de dollars ve-
nus de l'étranger, la campagne récolte aussi de nom-
breux dons en France. Ceux-ci, destinés officiellement
à combattre la « répression » judiciaire des éco-acti-
vistes « martyrisés », permettent en vérité à des ur-
bains privilégiés de pousser notre justice clémente
dans ses derniers retranchements. Le tout dans l'espoir
de faire évoluer la jurisprudence pour que le système
judiciaire devienne encore plus laxiste à leur égard.
La complainte de ces mouvements qui fustigent la
« répression » à chaque instant est une stratégie de
communication victimaire qui s'inscrit parfaitement
dans l'air du temps. Les militants profitent de tout ce
qu'offre le système : argent public, partis politiques,
médias, justice, tout en rêvant de faire la révolution.
Riposte Alimentaire/SIPA
infiltrée
DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . D DOSSIER N°3
LES
64
livre noir n°3
SANS-FRONTIÉRISTES
Durant plus de deux mois, j’ai infiltré le
collectif anti-CRA et un collectif d’aide
aux sans-papiers parisien. Au milieu des
sans-frontiéristes, j’ai pu observer com-
ment ils manipulaient les migrants qu’ils
prétendaient servir et étaient prêts à s’at-
taquer à des bâtiments publics au nom de
leur idéologie.
C
par Pauline condomines
Photo françois delaunay
’est dans des squats dé-
saffectés ou de vieux
locaux que se réunissent
les sans-frontiéristes.
Les tenants de cette
idéologie, invariable-
ment d’extrême gauche,
considèrent que les
êtres humains sont in-
terchangeables à merci, que ni la culture, ni l’identité
d’un peuple n’ont d’importance : en fait, il faudrait
que le monde ne connaisse point de frontières. Selon
eux, loin d’être les fondements de la civilisation, elles
sont des barrières qui empêchent l’amour, la paix et
la solidarité entre les peuples. Pourtant, la plongée au
cœur de leur univers utopique révèle bien des désillu-
sions : leurs « nobles » objectifs justifient la violence
ou la manipulation.
Pour ce qui est des membres du collectif anti-CRA,
leurs objectifs sont simples : il s’agit de détruire, par
tous les moyens possibles, les centres de rétention ad-
ministrative qui servent à garder en lieu sûr les migrants
n’ayant rien à faire en France parce qu’ils sont clandes-
tins ou qu’ils font l’objet d’une OQTF, avant leur expul-
sion. Ces centres sont pourtant indispensables à la sécu-
rité publique, à la mise en œuvre, même timide, d’une
politique migratoire, et coûteux ! Mais l’objectif avoué
infiltrée
des membres du collectif est de les incendier comme
ils l'ont fait il y a maintenant un an à Turin. Au-delà
des conséquences matérielles, le risque est grand pour
les migrants et les policiers qui pourraient y succom-
ber, sans parler de la population que menaceraient ces
clandestins ou délinquants dans la nature. Ces militants
d’ultra-gauche, souvent de jeunes femmes d’apparence
bourgeoise, rêvent de révolution, d’un monde sans
frontières tout en s’attachant à leur identité de genre.
L’idéologie est un aveuglement.
J’ai aussi participé aux réunions d’un collectif pour
les sans-papiers à Paris. Pour ces militants, l’objectif
est de permettre leur régularisation automatique : ar-
river en France, c’est avoir les mêmes droits que les
Français. La méthode du Collectif sans-papiers Paris
XXe est plus pernicieuse : il s’agit de convaincre les
migrants qu’ils doivent embrasser leurs combats. Si
l’incitation ne suffit pas, la contrainte prendra le relai.
Les clandestins sont d’abord soumis à la propagande
du collectif : pour ce qui est de la loi Darmanin votée
en décembre, nombre de migrants la voyaient plutôt
d’un bon œil car elle permettait les régularisations
dans les métiers en tension. Pourtant, les dirigeants
de l’association, eux, n’ont pas hésité à aller contre
leur volonté en racontant dans un tract qu’il s’agis-
sait d’une loi « antisociale et raciste ». S’ils ne sont
pas d’accord, tant pis ! L’association les forcera à aller
« pointer » en manifestation anti-immigration, c’est
d’ailleurs ce qui déterminera s’ils seront aidés ou non.
Le but n’est donc pas d’aider les migrants, mais de les
utiliser à des fins idéologiques.
 65
livre noir n°3
DURANT MON INFILTRA-
TION DANS LE COLLECTIF
D’AIDE AUX SANS-PAPIERS,
J’AI OBTENU LA RESPON-
SABILITÉ DE TRAITER UN
FICHIER EXCEL RÉPERTO-
RIANT TOUTES LES DON-
NÉES QUE L’ASSOCIATION
A COLLECTÉES SUR LES
MIGRANTS. ON Y APPREND
PAR EXEMPLE QUE LA PLU-
PART VIENNENT DE MAU-

dossier n°3
RITANIE, DU SÉNÉGAL OU DU MALI. PLU-
SIEURS D’ENTRE EUX SONT MÊME SOUS
OQTF OU SOUS IRTF. LA GRANDE MAJORI-
TÉ HABITENT DANS DES FOYERS POUR
MIGRANTS TRAVAILLEURS OU DANS DES
HLM ET SONT SOUTENUS PAR DES ORGA-
NISATIONS COMME COALLIA ET ADOMA. ON
RETROUVE ÉGALEMENT SUR LE TABLEUR
LE NOM DE CEUX QUI ONT POINTÉ EN MA-
NIFESTATIONS…ET DONC QUI MÉRITENT
D’ÊTRE AIDÉS PAR LE COLLECTIF !

infiltrée
DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . D
66
livre noir n°3

COLLECTIF
de SANS-PAPIERS
En janvier, je me rends presque par hasard à une réunion du Collectif de sans-papiers du XXe
arrondissement (CSP20). Ayant déjà enquêté sur les associations pro-immigration en infiltrant
Utopia 56, je connais déjà les méthodes de ce genre d'organisations, mais ce que je découvre
dépasse l'entendement : les clandestins qui adhèrent au collectif doivent « pointer » dans des
manifestations politiques dans l'espoir d'être aidés à obtenir des papiers.
par pauline condomines
photos pierre christen

.
MARDI 30 JANVIER
INFILTRATION FORTUITE
Nous sommes mardi 30 janvier peu avant 19h et je
déambule dans le quartier des Amandiers alors qu'il
fait déjà nuit noire, à la recherche de la Fasti (Fédé-
ration des associations de soutien à tou-t-es les im-
migré-e-s). La semaine précédente, j'ai découvert que
s'y réunissait « 20ème solidaire avec tou-t-es les mi-
grant-e-s », un collectif d'arrondissement qui fait par-
tie de la Marche des Solidarités, largement mobilisée
ces derniers temps contre la loi Darmanin. Le souci
est que les horaires publiés sur le site de l'association
datent de 2015. Il y a donc de fortes chances qu'ils
soient obsolètes et je n'ai aucune idée de ce que je
m'apprête à trouver.
J'arrive à heure pile devant les locaux fermés, pein-
turlurés de vert et d'affiches pro-immigration : il n'y
a personne. Déçue, j'entreprends de faire le tour du
infiltrée
tion. De nombreux hommes, d'origine subsaharienne,
entrent et sortent. Les chaussures des visiteurs sont
alignées dans le hall, comme dans une mosquée. Je ne
m'attarde pas.
Lorsque je repasse devant la Fasti, je constate que plu-
sieurs hommes, d'origine subsaharienne également,
attendent en conversant dans une langue étrangère. Je
décide d'attendre moi aussi, et quelques secondes plus
tard, une grande femme brune qui porte des lunettes et
une coupe courte apparaît. « Moi, c'est Mériem* », se
présente-elle à moi avec un sourire accueillant.
J'apprends que je ne suis pas à la fameuse réunion de
20ème Solidaires mais à la réunion du « CSP20 », un
collectif de sans-papiers qui lui est affilié.
« Tu as beaucoup de chance d'être venue aujourd'hui,
c'est la première fois depuis plusieurs années que
nous nous réunissons ici », m'explique Mériem alors
que nous attendons la personne qui a les clefs pour
ouvrir le local en compagnie d'une quinzaine de
sans-papiers. Habituellement, le collectif se réunit au
« foyer Bisson », une résidence sociale qui appartient

pâté de maison pour observer le coin. Un immeuble à l'association Coallia et qui loge de nombreux travail-
qui appartient au même îlot urbain attire mon atten- leurs migrants. « On a eu des soucis avec le nouveau

comment
L'EXTRÊME GAUCHE
EXPLOITE les clandestins
gestionnaire, il ne nous accepte plus », expose-t-elle
amèrement. Mériem m'apprend que la Fasti a accepté
de prêter ses locaux au CSP20 depuis.
Arrive enfin Vanina, une femme d'une cinquantaine
d'années qui porte une queue de cheval, c'est elle qui
a les clefs. Nous entrons dans la salle principale de
la Fasti et la porte-fenêtre reste ouverte, pour accueil-
lir les retardataires. Nous regroupons les tables et les
chaises pour être tous assis les uns face aux autres. Les
affiches appelant à abolir le Céseda (Code de l'entrée
et du séjour des étrangers et des demandeurs d'asile)
parsèment les murs, il y a une cuisine et un bar dans
le coin de la pièce.
C'est Vanina qui anime la réunion, tandis que Mériem
me fournit des détails sur le fonctionnement du col-
lectif. Les interventions en français sont traduites en
peul et en soninké par deux sans-papiers pour ceux
qui ne maîtrisent pas notre langue. Vanina rappelle les
résolutions prises pour l'année 2024 : « On va alter-
ner entre actions, réunions de formation politique et
permanences juridiques cette année », commence-t-
elle. Les « actions » consistent en des tractages et du
porte-à-porte dans les foyers de travailleurs migrants
67
livre noir n°3
collectif de sans-papiers
pour recruter les nouveaux membres du collectif. « Le
foyer juste à côté, par exemple, est occupé à 60 % par
des sans-papiers », m'explique Mériem.
Des négociations avec la préfecture sont aussi men-
tionnées : « Pour l’instant, la préfecture n'accepte pas
que nous déposions régulièrement des dossiers de ré-
gularisation chez elle », annonce Vanina. J'apprends
alors que plusieurs collectifs de sans-papiers, celui de
Paris, celui de Montreuil et celui du XVIIe arrondisse-
ment déposent régulièrement des dossiers d'admission
exceptionnelle au séjour grâce à des accords avec la
préfecture.
S'il s'avère que certains dossiers déposés par ces col-
lectifs dans le cadre de leur accord sont incomplets,
cela ne donne pas lieu à l'émission d'une OQTF,
comme c'est le cas habituellement lors des dépôts de
dossiers individuels. Les collectifs déposent généra-
lement une trentaine de dossiers par mois grâce à ce
procédé.
« On est en train de porter plainte avec notre avo-
infiltrée
cat auprès du tribunal administratif pour inégal accès
au droit, on verra ce que ça donne », poursuit Va-
DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . D
68

LA FASTI
livre noir n°3

Créée en 1967, la Fédération des associations

de solidarité avec tou-t-es les immigré-e-s
(FASTI) regroupe des associations d'aide aux
migrants. L'association prône l'abolition du
Céseda (Code de l'entrée du séjour des étran-
gers et du droit d'asile) qu'elle compare au
Code Noir. La Fasti édite également une ga-
zette nommée « Ouvrons les frontières ». « Ce
nouveau crime policier n'est pas une bavure mais
vient encore une fois démontrer la violence d'un
État contre les personnes racisées, violence qui
mutile, enferme et tue depuis longtemps les ha-
bitant-e-s des colonies et des quartiers populaires
», peut-on y lire au sujet de la mort de Nahel,
dans la dernière édition de la revue, qui date
d'août 2023.

En 2019, la Fasti fait l'objet d'une polémique Les militants du collectif de

à la suite de la décision du Conseil de Paris
de lui accorder une subvention d'un montant
de 3 000 euros pour mener un projet d'ac-
compagnement de couturiers sans-papiers
de la Goutte d'Or. Benjamin Griveaux, alors
porte-parole du gouvernement, déplore le
choix de cette association qui se met « en-de-
hors des valeurs de la République » selon lui. La
subvention est tout de même maintenue. De-
puis, les fonds alloués par la ville de Paris à la
Fasti ont considérablement augmenté : 140
000 euros pour l'année budgétaire 2023 et 37
000 euros pour 2024.
nina au sujet de ces précieux accords que le CSP20
sans-papiers du XVIIe arrondis-
sement lors de la marche du
23 mars à Paris.
font donc acte de présence en manifestation dans l'es-
poir d'être aidés à avoir des papiers...
La pratique semble répandue, un jeune sans-papiers
mauritanien nommé Aly mentionne ses « cousins »
qui pointent aux manifestations organisées par le
CSP75, le plus grand collectif de sans-papiers de Pa-
ris. Je me souviens que ce sont eux qui ont organisé un
rassemblement contre le débat de Livre Noir sur l'im-
migration au Cirque d'Hiver, en septembre dernier. En
effectuant des recherches ultérieurement, je m'aper-
çois aussi que les collectifs de sans-papiers (dont celui

.
tente d'obtenir. du XXe) se sont mobilisés en novembre 2022 contre le
congrès du Rassemblement national à Paris.

POUR ÊTRE AIDÉS, Ces méthodes me font penser à celles d'Utopia 56 :

IL FAUT POINTER
« On a aussi décidé que cette année le pointage ne
se ferait plus seulement en manifestations, mais aussi
à la fin des réunions », continue Vanina. Je ne com-
prends pas et me tourne vers Mériem : « En fait, on les
aide à faire leur dossier de régularisation, mais on a
énormément de demandes… Donc on fait pointer les
sans-papiers en manifestation pour savoir qui on va
infiltrée
l'association loge des familles avec des petits enfants
le soir chez des particuliers, pour qu'elles ne dorment
pas à la rue. Mais en parallèle, elle milite pour obtenir
des places d'hébergement d'urgence auprès de la mai-
rie, dont ce n'est pas la compétence. Lorsque je me
suis infiltrée dans cette association, en juin dernier,
je me suis rendu compte que les familles étaient for-
cées de manifester devant la mairie pendant des nuits
entières. À certaines mères qui demandaient à rentrer
pour dormir, les bénévoles répondaient qu'il n'y avait

aider en premier », me révèle Mériem le plus naturel- pas d'hébergement pour cette fois. Utopia 56 présen-
lement du monde. Je suis abasourdie, les sans-papiers tait ensuite la mobilisation comme une manifestation

spontanée sur ses réseaux sociaux.
L'aide précieuse que les collectifs apportent aux clan-
destins est ainsi de la même façon conditionnée à
leur présence dans des manifestations qui servent un
agenda politique. Les militants d'extrême gauche, qui
passent le plus clair de leur temps à dénoncer « l'ex-
ploitation » des minorités, utilisent les clandestins
comme des manifestants low-cost pour remplir leur
cortège lors des manifestations. Si certains y vont de
bonne foi, combien s'y rendent seulement pour avoir
une chance d'être aidés ? Si ces collectifs portent réel-
lement la voix et la volonté des sans-papiers, pour-
.
quoi l'expression de cette voix nécessite-t-elle l'espoir
d'une contrepartie ? La réunion se poursuit alors que
toutes ces questions se bousculent dans ­ma tête.
D'UTOPIA 56 AU CSP20
Vanina annonce ensuite que le renouvellement des
cartes du collectif se fera le mardi suivant. Chaque ad-
hérent du collectif en possède une : « Elle leur permet
de contacter notre avocat s'ils sont arrêtés par la po-
lice et de faire intervenir des élus locaux pour les libé-
rer de garde à vue ». Un sans-papier très fraîchement
arrivé en France et dont je me rappelle le visage car je
69
livre noir n°3
collectif de sans-papiers
m’en suis occupée lorsque je suis devenue bénévole
infiltrée en 2023 chez Utopia 56, est justement venu
pour obtenir cette carte.
À l'époque, je dois prendre en charge les fameux « mi-
neurs non-accompagnés » suivis par Utopia 56. Avec
des bénévoles de l'association, nous nous rendons
chaque après-midi devant l'AMNA (Accueil des Mi-
neurs Non-Accompagnés) qui évalue la demande de
minorité des étrangers fraîchement arrivés sur le terri-
toire. C'est alors que je me rends compte qu'Utopia 56
prend en charge tous les clandestins dont la demande
a été refusée, directement à la sortie du centre d'éva-
luation.
Certains ne comprennent pas le refus qui leur est op-
posé, car ils ont un acte de naissance avec eux. « Un
acte de naissance, c'est dix euros à Barbès, tu sais, ici
personne n'a jamais été refusé avec un passeport »,
m'explique alors le vigile de l'AMNA d'un air désolé.
Les bénévoles, eux, apprennent aux sans-papiers dé-
boutés qu'ils doivent faire un recours et que « dans
80 % des cas, ça marche ». La procédure ne semble
pas avoir été fructueuse pour Youssef* qui est devenu
un sans-papier comme les autres et vient désormais
infiltrée
adhérer au CSP20.
Lorsque la réunion touche à sa fin, Vanina ouvre son
DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . D
70

COALLIA ET ADOMA
livre noir n°3

Coallia est une association française qui pro-

pose des solutions d'hébergement aux publics
vulnérables. L'association est financée par le
Fonds européen asile et immigration (FAMI),
les collectivités territoriales, l'État et d'autres
établissements publics. L'association été épin-
glée par la Cour des Comptes en 2024 pour
sa mauvaise gestion financière. L'organisme
ne survivrait désormais que grâce aux subven-
tions publiques d'après les magistrats-finan-
ciers.
Par ailleurs, l'instance pointe du doigt le fait
que le siège de Coallia ne fait pas remonter de
façon systématique les informations concer-
nant les évènements indésirables qui sur-
viennent dans ses établissements.
Lors de mon enquête, je me suis rendu compte
que des dizaines de clandestins du Collectif
de sans-papiers du XXe arrondissement sous-
louent une place dans des foyers appartenant
à Coallia auprès de résidents légaux, sans être
inquiétés.

carnet de pointage pour noter les noms des sans-pa- un tableau Excel.
piers présents. Chacun d’entre eux se précipite pour Je suis seule car Mériem doit s'occuper des sans-pa-
que son nom y soit inscrit. piers dans la pièce mitoyenne, je peux donc analyser
le fichier en détail. Je constate alors que des tableurs
entiers sont consacrés au pointage en manifestation
MARDI 6 FÉVRIER des sans-papiers. L'origine de chaque clandestin y est
recensée et je lis que la plupart sont originaires de
Mauritanie, du Sénégal et du Mali. Certains sont en
LE PROFIL France depuis plus de dix ans. Plusieurs d'entre eux

.
DES CLANDESTINS : sont sous OQTF ou même sous IRTF (Interdiction de
Retour sur le Territoire Français).
TRAVAILLEURS MALIENS,
SÉNÉGALAIS Le lieu de résidence est aussi mentionné pour chaque
clandestin et je ne suis pas surprise d'apprendre que la
ET MAURITANIENS grande majorité habite des foyers pour travailleurs mi-
grants ou des résidences sociales, détenus et gérés par
Me revoilà à la Fasti ce mardi soir. Lorsque j’entre, je des associations comme Coallia ou Adoma qui sont
suis surprise du nombre de sans-papiers présents : ils financées par de l'argent public provenant des collec-
sont au moins cinq fois plus nombreux que lors de la tivités, de l'État et de l'Union européenne... Je me de-
session précédente. La réunion du jour est consacrée mande si les sans-papiers sont logés gratuitement ou
au renouvellement des cartes du collectif, précieuses s'ils doivent payer un loyer et si oui, à qui ?
infiltrée

pour les clandestins. Mériem me charge d'entrer les

informations qui concernent chaque sans-papier sur C'est Aly qui me donne la réponse tandis que j'entre

les informations sur le grand fichier Excel. Ce Mauri-
tanien qui m'explique être né en 1998 vit dans un foyer
du XIe arrondissement, chez son oncle. Ce dernier lui
fait payer un loyer et lui « crie souvent dessus », me
raconte-t-il. Aly a quitté la Mauritanie en 2021 après
un « problème administratif » qui l'aurait empêché de
passer un brevet. Il reste évasif lorsqu'il mentionne les
raisons de son départ.
Sa sœur se trouve déjà en France lorsqu'il prend le ba-
teau pour les Canaries et échappe à la guardia civil.
« Je suis resté en Espagne quelques mois puis j'ai re-
joint la France », me confie-t-il. Il travaille désormais
chez Ibis, dans un hôtel accolé à l'aéroport d'Orly. En
quoi consiste son métier ?
« J'ai un téléphone avec moi et on m'appelle quand
on a besoin de porter des choses lourdes, de servir
des clients, je sers à tout faire ». Aly travaille sous
un alias, selon lui ses supérieurs sont au courant de
sa situation : « Ils savent et ils en profitent, je ne suis
pas le seul ». Chaque mois, il envoie de l'argent à ses
parents restés au pays. Aly a beau avoir beaucoup de
famille en France, sœur, cousins, etc. cela ne change
71
livre noir n°3
pas grand-chose : « C'est la mentalité africaine, c'est
chacun pour soi », regrette-t-il.
Les noms des entreprises qui emploient les sans-pa-
piers du CSP20 sont aussi indiqués dans le fichier Ex-
cel. Ce sont pour la plupart des agences d'intérim ou
de propreté. Les patrons refusent souvent de délivrer
le Cerfa qui permettrait au clandestin travaillant sous
.
alias d'être régularisé par le travail.
CONVERGENCE
DES LUTTES
Pendant la soirée, Aly se plaint auprès de Mériem de
n'avoir pu manifester à la précédente mobilisation,
qui a eu lieu samedi, car il travaillait. « Le problème
c'est que ce n'est jamais le bon moment Aly », lui ré-
pond-elle, embêtée. La manifestation a rassemblé à
Paris la Marche des solidarités, contre la loi Darma-
infiltrée
nin et Urgence Palestine, un collectif pro-Hamas. Par
la suite, je découvre que dans chaque manifestation
DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . D
72

pro-Palestine, il y a un cortège qui rassemble les col-

lectifs de sans-papiers.
livre noir n°3

L'alliance aurait pu sembler improbable, mais que je

comprends vite : Mériem, comme d'autres soutiens du
collectif, fait aussi partie d'Urgence Palestine. Demain,
elle doit intervenir lors d'une réunion de la section du
XXe arrondissement pour expliquer que les combats
pour la Palestine et contre la loi Darmanin sont liés.
« Dans le collectif, on m'a dit que ce serait bien que
je fasse la présentation parce que je suis racisée »,
m'annonce-t-elle fièrement. Je me dis alors que je fe-
rais bien de m'y rendre (voir p.14). Au détour de la
conversation, j'apprends que Vanina est enseignante.
Je découvre par la suite que c'est une ancienne mili-
tante du NPA et qu'elle est aussi active à Urgence
Palestine.
Après avoir complété le fichier, je retourne dans
la salle principale. Les cartes imprimées sont
plastifiées et distribuées aux clandestins, heu-
reux d'avoir en main cet ersatz de document
officiel auquel ils peuvent se raccrocher.

MARDI 13 FÉVRIER

DIVERGENCE D'INTÉRÊTS .
Aujourd’hui, la réunion est plus restreinte : les « sou-
tiens » ont prévu de faire un point sur la loi Darmanin.
« Moi, je voudrais insister sur une chose. On sait qu'il
y a beaucoup de groupes WhatsApp qui circulent et
qui disent que la loi est bonne et qu'on peut être régu-
larisé grâce à l'article 17. On aimerait vous prouver
que ce n'est pas vrai », entame Vanina. Elle essaie par
la suite de convaincre l'assistance que la loi est mal-
heureuse malgré l'article 17, puisque la régularisation
des sans-papiers exerçant des métiers en tension est
décidée par les agents de la préfecture et non plus par
les patrons.
Mériem, quant à elle, évoque le
Contrat d'Intégration Républicaine
(CIR) qui engage le migrant régularisé à respecter les
« principes et valeurs de la société française et de la
République ». « Ça peut vouloir tout et rien dire les
"principes de la République'' », entonne-t-elle éner-
vée. « On pourrait vous dire que vous ne les respec-
tez pas parce que vous pratiquez la polygamie par
exemple », s'insurge la militante.
Vanina complète l'intervention : « Ce qu'ils appellent
« troubles à l'ordre public » fait aussi partie de ce
« contrat ». La police écrit régulièrement de faux rap-
ports, ça se sait. Et comme l'écrasante majorité des
policiers est raciste, la police dira ce qu'elle veut sur
vous ». Tout est traduit en peul par l'un des sans-papiers.

« Entre les patrons et la préfecture, on ne sait pas ce
qu'il y a de pire mais tout de même, cela rend la dé-
cision arbitraire », poursuit-elle au sujet de la régu-
larisation des clandestins qui travaillent sous alias et
pour lesquels il est ainsi difficile de prouver l'exercice
de leur métier. L'argument ne semble pas prendre : les
sans-papiers présents expliquent qu'ils préfèrent es-
infiltrée
Si les soutiens semblent vouloir à tout prix que la mo-
bilisation contre la loi Darmanin se poursuive, ça ne
me semble pas du tout être le cas des clandestins.
« Il faut essayer de faire abroger la loi, si on n'essaye
pas, on n’y arrivera pas », tente encore Vanina. Ab-
doul*, un sans-papiers, estime pour sa part qu'il faut
« essayer » la régularisation via la disposition sur les

sayer d'avoir un titre de séjour en passant par la voie métiers en tension, ses camarades approuvent. Un dia-
des métiers en tension. logue de sourds s'engage alors, au cours duquel cha-
 La République,
c’était lui !

73
livre noir n°3
Grandeur et déchéance du camarade

Mélenchon
Le nouvel essai

d’Éric Naulleau

Les militants sans-pa-

piers à la marche antira-
ciste du 23 mars à Paris.

cun répète ses positions tour à tour.

Malgré la volonté des clandestins de profiter de l'ar-
ticle 17, le tract finalement imprimé par le collectif est
sans appel : « Nous, collectif de sans-papiers du XXe
arrondissement, refusons d’être les victimes de cette
politique antisociale et raciste », stipule le texte qui
appelle finalement à l'abrogation de la loi Darmanin.

Le 23 mars, la Marche des Solidarités organise une

manifestation « contre le racisme et le fascisme » dont
l'appel exige pêle-mêle l'abrogation de la loi Darma-
nin, la fin de l'interdiction de l'abaya à l'école et de la
« colonisation » à Mayotte. Les collectifs de sans-pa-
piers ont « décidé » de se joindre à la mobilisation qui
rassemble des revendications politiques parfois bien
éloignées des questions d'immigration.

Pointage en manifestation, discours imposé, conver-

gence des luttes douteuse : les « soutiens » de ce col- Photo Jean Couturier (D.R.)
lectif n'ont pas peur d'instrumentaliser les sans-pa-
piers pour servir leur propre agenda politique sans
aucune vergogne et en toute impunité. L'exploitation
des sans-papiers, à des fins économiques, c'est dia-
bolique, mais lorsque c'est pour servir le camp du
bien, cela devient subitement respectable. Quand on
À paraître le 3 avril 2024
infiltrée

« porte la voix de ceux qui n'en ont pas », on a toujours

le dernier mot.

Éditions Léo Scheer

DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . D
74
livre noir n°3

ILS
INCENDIENT
Arménie : le glaive et la croix

.
Après l'arrestation, le 31 dé- VENDREDI 26 JANVIER, 18H00
cembre, de 12 membres de
l'ultra-gauche munis d’une À la rencontre
substance explosive aux abords des « no borders »
frontières et la PAF avec ! "

du Centre de Rétention Admi-

nistrative (CRA) de Vincennes,
La nuit tombe sur le centre-ville de Vitry-sur-Seine.
"Que brûlent les CRA, les

je me suis intéressée aux réseaux Dans le froid, je parcours un quartier pavillonnaire à

d'ultra-gauche anti-CRA. J'ai
découvert qu'ils opèrent dans de
nombreuses villes, en France et
en Italie, où ils encouragent les
révoltes des retenus et vont même
jusqu'à provoquer des incendies
volontaires.
Garegin Nzhdeh
la recherche d'un squat nommé la « Kunda » (qui si-
gnifie la « communauté » en soninké). Je m'y rends
pour assister à une réunion publique organisée par
des militants français et italiens et sobrement intitu-
lée : « De la France à l'Italie : détruire les centres de
­rétention ».
J'ai pris connaissance de cet événement en effectuant

par pauline condomines des recherches sur les collectifs anti-CRA après que
des individus ont été interpellés le 31 décembre der-
nier aux abords du centre de rétention de Vincennes,

LES CENTRES
infiltrée

Documents récupéré lors de la réunion
avec les anti-CRA : JOURNAL ANTICRA
MESNIL DE MERDE
munis de produits explosifs. J'ai alors découvert une
galaxie de collectifs et de militants voués à la lutte
contre les Centres de rétention administrative (CRA) :
il existe une « Assemblée anti-CRA » internationale,
dont les antennes sont implantées dans plusieurs villes
de France et d'Italie. Ces militants d'ultra-gauche s'op-
posent à l'existence des centres où sont retenus tem-
porairement des étrangers expulsables, y compris des
terroristes en fin de peine.
L'antenne parisienne, dont le site s'intitule « abasles-
cra.noblogs.org», a publié les plans de tous les centres
de rétention de la région. Les articles, édités sur leur
site hébergé aux Pays-Bas, présentent tous une grande
vulgarité et se concluent par le même slogan « que
brûlent les CRA, les frontières et la PAF avec ! »
Tout est anonyme, il n'y a pas de porte-parole, pas de
figure qui incarne la lutte de ces collectifs : je ne sais
donc pas ce que je m'apprête à trouver lorsque j'arrive
enfin devant le grand bâtiment rouge où a lieu la soi-
rée. À l'entrée du jardin, quelques jeunes femmes aux
allures punk tiennent la caisse. Elles m'expliquent que
DE RÉTENTION
75
livre noir n°3
ils incendient les centres de rétention
l'entrée est à prix libre, les bénéfices seront reversés
à l'assemblée de Turin et à un collectif qui s'organise
.
à Dunkerque contre la construction d'un CRA dont
l'inauguration est prévue pour 2027.
IMPOSSIBLE de se fondre
dans la masse
Me voilà dans la cour boueuse du squat. Avec les vê-
tements sobres que j'ai revêtus pour l'occasion, je me
sens comme un ovni dans la foule. La majorité des
participants arborent un look punk : cheveux rasés sur
la moitié du crâne, piercings en tout genre et tenues
bariolées. Tout le monde semble se connaître et les
militants qui ont fait le déplacement depuis des villes
de province échangent des accolades avec leurs cama-
rades parisiens.
Passablement mal à l'aise, j'entre dans le bâtiment.
Au rez-de-chaussée, les militants accolés au bar d'une
grande cuisine remplie de bric-à-brac distribuent des
bières tièdes, elles aussi à prix libre. De nombreux
infiltrée
DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . DOSSIER N°3 . D
76
livre noir n°3
tracts anti-CRA sont exposés sur la table du salon.
Parmi la documentation, un petit livret intitulé :
« Journal anti-CRA Mesnil de merde », en référence
au centre de Mesnil-Amelot, attire mon attention. À
l'intérieur, une bande-dessinée met en scène l'évasion
d'un retenu avec jubilation. Le sol de l'immeuble est
collant et les murs sont recouverts de tags disposés de
manière anarchique : « mange tes morts », « zbeul par-
tout » ou encore « vive les cons ».
Dans le brouhaha des bavardages et des retrouvailles,
je rejoins la pièce principale pour assister à la réunion.
La salle sombre se remplit et nous sommes finalement
plus d'une centaine à attendre que débute la réunion.
Beaucoup de participants sont contraints de s'asseoir
par terre, par manque de place. Les femmes sont ma-
joritaires dans l'assistance et il n'y a que des présenta-
trices pour porter la parole des collectifs anti-CRA :
me voilà surprise, moi qui m'attendais à tomber sur
des antifas ou anarchistes révolutionnaires !
C'est une jeune femme du collectif parisien qui com-
mence par prendre la parole. Elle nous appelle à «
soutenir ses camarades arrêtés aux abords du CRA de
Vincennes le 31 décembre en allant à leur audience
au tribunal ». La militante explique ensuite la raison
d'être du collectif « anticarcéral et antiraciste » : dé-
noncer les centres de rétention.
« Il faut détruire les centres de rétention, qui sont l'ap-
pareil raciste de la machine à expulser », entonne la
jeune femme. La porte-parole trace ensuite un por-
trait sombre de l'avenir de la France : des centres de
rétention de plus en plus nombreux, de plus en plus
sécurisés, destinés à assoir un grand projet fasciste in-
infiltrée
carné par la loi Darmanin. Un silence solennel règne
sur l'assistance.
UN RÉSEAU violent .
Une autre jeune femme prend à son tour la parole.
Cheveux châtains désordonnés, pantalon militaire
et français impeccable, elle fait pourtant partie de la
section turinoise de cette étrange organisation. De-
vant l'assistance admirative, elle présente la brochure
de son collectif intitulée : « Les CPR se ferment par le
feu ». J'apprends alors que le CPR (équivalent italien
d'un centre de rétention) de Turin a définitivement
fermé ses portes début 2023 à la suite de départs de
feu répétés entre les mois de février et de mars.
Une fermeture qui ne doit rien au hasard d'après la
présentatrice : « On les a aidés à mettre le feu », se
vante-t-elle en évoquant la séquence. Je suis surprise
qu'elle avoue si facilement, et devant une centaine de
personnes, avoir participé à un incendie volontaire.
Ces jeunes femmes d'ultra-gauche qui se prétendent
persécutées par la répression de l'État fasciste prennent
décidément bien peu de précautions.
La militante relate par la suite le processus qui a pré-
cédé cette « révolte » définitive : « On leur a lancé des
balles de tennis avec notre numéro écrit dessus, on a
organisé des parloirs sauvages, il fallait qu'on entre en
contact avec eux ». Le but ? Convaincre les retenus de
conclure une alliance et décrédibiliser les associations
officielles destinées à les accompagner, jugées « col-
labos de l'État ». L’accusation vise des organisations
pro-migrants subventionnées comme la Cimade ou
France Terre d'Asile.
« Mars 2023 a été l'un des moments les plus importants
de la lutte des classes de ces dernières années », répète
avec exaltation la militante au sujet des incendies de
Turin, devant l'assemblée médusée. Elle conclut son

discours par un éloge de la résistance face aux « rafles
qui se multiplient et aux déportations des sans-papiers ».
Je comprends que le collectif anti-CPR de Turin a été
mis à l'honneur car il montre la marche à suivre aux
militants de toutes les villes : incendies volontaires et
révoltes organisées.
Un intervenant, doctorant en histoire, avait alors don-
né son opinion sur les centres de rétention : « Moi, les
CRA, je pense qu'il faut les brûler ! », entraînant ainsi
un tonnerre d'applaudissements dans l'amphithéâtre
vétuste. Un étudiant avait alors évoqué la soirée an-
ti-CRA de la Kunda et les professeurs, enjoués, avaient
écrit la date et l'heure de l'évènement au tableau pour
.
en faire la promotion à tous les auditeurs.
DES TERRORISTES
en Erasmus
Lorsque la longue présentation des militantes an-
ti-CRA s'achève, nous nous dirigeons tous vers la
cantine. Je mange un plat végétarien peu appétissant
aux côtés de Modibo*, seul sans-papier présent à la
soirée, et d'une jeune femme aux cheveux courts qui
se fait appeler « Robin » et qui a fait le déplacement
de Lyon pour l'évènement. Elle tente d'expliquer au
clandestin qu'une de leurs connaissances communes
a changé de prénom car elle a fait une transition de
genre : « Entraîne-toi à l'appeler Yoko s'il-te-plaît, pour
ne pas la blesser », sermonne-t-elle avec bienveillance.
« C'est vrai, j'oublie à chaque fois », répond Modibo qui
s'amuse beaucoup de la situation.
J'ai du mal à finir mon assiette et une personne dont
j'ignore le genre me propose de la reverser dans la
sienne. Les squatteurs font la fête et je m'exfiltre dis-
crètement de la soirée.
Sur le chemin du retour, je repense au profil presque
surprenant de ces militants : pour la plupart, de très
jeunes femmes, blanches, peut-être étudiantes en
échange pour certaines, qui s'expriment dans un lan-
gage soutenu, fréquentent des squats et préparent la
révolution. Ce n'est pas tout à fait ce à quoi je m'at-
tendais mais cela paraît logique après réflexion : elles
ont décidé d'appliquer de manière concrète les thèses
véhiculées à l'université. L'impunité dont elles béné-
ficient de la part de l'« État fasciste » et la vétusté des
centres de rétentions leur permettent d'opérer leurs
forfaits et de s'en vanter sans être inquiétées. Drôle de
dictature !
77
LE PROCÈS
livre noir n°3
DE DOUZE MILITANTS
D'ULTRA-GAUCHE
Mercredi 13 février, je me rends au tribunal
pour assister à l'audience des douze inculpés
du CRA de Vincennes, dont l'un est un fiché
S d'origine italienne. Tous ces membres de
l'ultra-gauche ont été arrêtés le 31 décembre
au matin aux abords du centre pour « parti-
cipation à un groupement en vue de commettre
des dégradations et des violences », mais aussi
parce qu'ils étaient en possession de subs-
tances explosives. Autres chefs d’inculpation :
ils ont tous fourni une identité imaginaire aux
policiers et refusé de donner leurs empreintes
ils incendient les centres de rétention
lors de leur arrestation.
Je comprends assez vite et avec regret que le
procès sera renvoyé à plus tard : le tribunal n'a
prévu qu'une heure d'audience pour statuer
sur un dossier à plus de mille cotes. Les juges
doivent aussi décider du maintien ou non du
contrôle judiciaire des inculpés. Ces derniers
ont interdiction formelle de s'approcher à
moins de 200 mètres du CRA de Vincennes et
beaucoup n'ont pas le droit de contacter les
autres membres du groupe.
Si leur tenue leur donne à tous un très air ju-
vénile, certains ont plus de trente ans. C'est
le cas d'une femme appelée à la barre qui
porte des vêtements très larges et une queue
de cheval. Elle s'insurge lorsque la procureure
rappelle ses précédents faits d'armes : refus
de donner ses empreintes en 2014 et vol en
réunion en 2018. « Vous n'avez pas le droit ! »
hurle-t-elle à la magistrate qui la reprend aus-
sitôt et lui démontre qu'elle peut effective-
ment évoquer ces infractions passées.
C'est le seul moment de tension de l'audience
: le reste du temps, les inculpés ricanent et ba-
vardent. « Ils se croient au théâtre », désespère
même la procureure. Cette dernière se pro-
nonce en faveur de la levée de l'interdiction de
contact mais demande que la mesure d'éloi-
gnement du CRA soit maintenue. Les magis-
trats annoncent la même décision et le renvoi
infiltrée
du procès après délibéré.
78
livre noir n°3

TRANS
PERTURBATEUR
ENDOCTRINEMENT
Dans l’intersectionnalité globale, les mouvements trans occupent une place de choix même
s’ils ne représentent mécaniquement qu'une fraction fort réduite de la population. Les rencon-
trer était pour moi une nécessité. Plongée dans un bocal aux curieux poissons.
infiltrée

par pauline condomines

photo charles duroselle
SAMEDI 24 FÉVRIER Comme ça pendant ce temps-là en bas, les enfants

79
peuvent se livrer plus facilement », s'amuse Anaïs.
LA BULLE - 14H D’autres enfants arrivent par la suite, sans leurs pa-

livre noir n°3

rents et rejoignent le sous-sol discrètement.
J'entre timidement dans les grands locaux vitrés de la
Je ne saurai donc pas ce que les intervenants en-
« Bulle », une « maison des solidarités LGBT » si-
seignent aux enfants, dans le sous-sol de la Bulle. En
tuée dans le IVe arrondissement de Paris. Cet espace
attendant, je suis aux côtés d'une quinzaine de parents
interassociatif, inauguré en mai 2023 est « dédié aux
anxieux qui profitent de la réunion pour se livrer et po-
personnes les plus vulnérables, les plus invisibilisées
ser des questions. « Il faut savoir que la transidentité
au sein de la communauté LGBTQI+ » selon la des-
n'est pas une pathologie, cela concerne au moins 15%
cription de la Ville de Paris.
de la population de 18- à 25 ans […] Nous on mi-
lite pour ceux qui veulent avoir accès aux traitements
La mairie a accordé un montant de 590 000 euros à

.
de transition y arrivent peu importe leur âge. C'est
la Bulle pour remettre à neuf le bâtiment. Le loyer,
l'autodétermination », déclare Anaïs pour présenter
très arrangeant, a été réduit à 10 000 euros par an par
l'association.
la ville, soit quinze fois moins que le prix du mar-
ché. J'ai décidé de me rendre ici car je me suis rendu
compte, en faisant des recherches, que l'une des as-
MINEURS
MAL-ACCOMPAGNÉS

.
sociations hébergées dans la « Bulle » organise des
groupes de parole pour les « enfants transgenres entre
Un père dont la fille de treize ans veut devenir un gar-
6 et 18 ans » et leurs proches.

trans i perturbateur endoctrinement

çon s'inquiète de l'effet des traitements hormonaux sur
la santé : « En termes de conséquences, il y a énor-
ASSEMBLÉE TRANS-GÉNÉ- mément de choses et à certain âge, ça peut avoir des
RATIONNELLE conséquences problématiques ». Une mère explique
que sa fille de 17 ans veut prendre des hormones mas-
Cette association s’était déjà fait connaître quand l'un
culinisantes : « Je n’assume pas le fait qu'il prenne des
de ses intervenants avait accusé des jeunes élèves
hormones. Je préfère attendre qu'il ait 18 ans et soit
d'être « transphobes » lors d'une intervention devant
responsable de ses choix », s'émeut-elle.
des classes de 4e à l'École alsacienne. Je décide d'aller
Anaïs rassure les parents d'une voix douce. « Il faut
voir ce qu'il se trame lors des fameux groupes destinés
savoir que les effets des bloqueurs de puberté et des
aux enfants.
hormones sont réversibles, sauf la mue de la voix »,
explique-t-elle. Elle ajoute ensuite au sujet de leur
Dans la grande salle ouverte, percée par un escalier
appréhension : « Tout ce temps de prise d'informa-
qui mène au sous-sol, des adultes s'installent autour
tion qui vous semble nécessaire peut être très long et
d'une table. Anaïs Perrin-Prevelle, femme transgenre
cette longueur-là aggrave la santé mentale des enfants
quadragénaire et présidente de l'association, nous ac-
transgenres ».
cueille gentiment et nous invite à nous assoir. Je re-
garde autour de moi et je ne vois aucun enfant, je me
Pour conclure, la présidente d'Outrans nous informe
dis alors que je me suis peut-être trompée de réunion.
qu'elle organise aussi des réunions dans un bar LGBT
nommé « La Mutinerie ». « Là pour le coup, c'est
« Bienvenue dans ce groupe de parole », commence
ouvert à toutes les personnes trans, c'est censé être
Anaïs d'une voix bienveillante. Soudain, des retarda-
pour les majeurs mais on ne demande pas la carte
taires pénètrent dans la salle dont les grandes baies
d'identité. On parle des rencontres amoureuses, du
vitrées donnent sur la place. Il s'agit d'une mère et
polyamour et des relations sexuelles », explique-t-elle
de son enfant. « On va le laisser descendre avec les
au groupe.
autres », explique Anaïs à la mère au sujet de son fils.
À la fin, les enfants remontent pour retrouver leurs pa-
J'apprends par la suite que lors de ce groupe de parole,
rents et prendre un goûter. La plupart sont des jeunes
les enfants sont séparés de leurs parents et emmenés
filles qui souhaitent devenir des garçons.
au sous-sol pour participer à une réunion réservée aux
infiltrée

mineurs, animée par un membre de l'association. « Ici,

c'est un peu la garderie des parents et des proches.
DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DO
9 JANVIER
80

BOURSE DU TRAVAIL DE PARIS

livre noir n°3

Il est 19 heures et ce lundi soir je me rends à la

Bourse du travail, à la lisière du Xe arrondissement,
pour participer à la réunion de l’« Assemblée fémi-
niste Paris-banlieue ». En faisant mes recherches sur Vendredi 8 mars 2024, marche
les groupes féministes radicaux, je suis tombée sur ce XIe arrondissement de Paris.
mouvement qui se réunit en excluant les « hommes
cisgenres », c’est-à-dire les hommes biologiques.

J’entre dans la grande salle Jean Jaurès, au sous-sol du

bâtiment. Le bruit des chaises et des pas résonne tandis
que la cinquantaine de participantes à l’AG féministe
Paris-banlieue s’installe pour inaugurer la première
assemblée plénière de l’année. Le silence est presque
pesant lorsque la maîtresse de cérémonie prend la pa-
role au milieu de la salle aux murs orange et décrépits.
« Bonsoir et bienvenues à l’AG féministe Paris-ban-
lieue », avance la jeune femme timidement en manipu-
la reconquête des cités par l'armée

lant le gigantesque écarteur qui traverse son lobe.

Elle rappelle les règles et l’objet un peu flou de cette

Assemblée très particulière. « L’AG féministe Pa-
ris-banlieue revendique des vies dignes et libres pour
toustes ». Et la seule règle concrète qui ressort de cette
présentation est l'interdiction d'assister aux réunions
pour les « hommes cisgenres ».

« Nous avons de nombreux sujets à l’ordre du jour »,

annonce Johana, jeune femme brune aux cheveux très
courts et aux yeux bleu clair. L’assemblée organise
en effet une marche de nuit réservée aux « femmes-
trans-pédé-gouines » le 7 mars, la veille de la Journée
internationale des droits des femmes. La mobilisation
se veut le pendant radical de la marche du 8 mars. En
effet, en plus d'être interdite aux « hommes cisgenres
non homosexuels », le cortège de tête est réservé aux
personnes « racisées » (c’est-à-dire non-blanches). Le
but est de réparer la discrimination qui pèse sur les
racisés en les mettant en avant le temps de la marche.

« Mais avant de parler de la marche, on doit abor-

der un sujet urgent », annonce Johana. Une « marche
fasciste » s’apprête à avoir lieu le samedi 13 janvier à
l’initiative de l’association identitaire « Paris Fiertés »
pour rendre hommage à sainte Geneviève, nous ap-
prend la militante.
L’assemblée semble ignorer qui est la patronne de Pa-
infiltrée

ris : « C'est sûrement un symbole fasciste », tranche

une participante en haussant les épaules. « S’il n'y a
LE FÉMINISME

81
livre noir n°3
au SERVICE
du HAMAS
Fondée à la fin de l’année 2022, l’AG Fémi-
niste Paris-Banlieue regroupe divers collec-
tifs et associations féministes et progressistes
qui se rencontrent lors de réunions interdites
aux hommes. Ce mouvement néo-féministe
organise la convergence des luttes autour de
la haine anti-police, anti-hommes et antisio-
niste. Immersion.

le féminisme au service du hamas

par pauline condomines
photo Charles Duroselle

infiltrée
DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DO
82

pas d'opposition, on se dit qu'on organise

un contre-rassemblement anitfasciste ? » Le 7 mars, c’est
livre noir n°3

demande une militante. L'idée fait consen-

sus dans la salle.
la meilleure
Soudain, un homme blanc d’une cinquan- manifestation de
taine d’années qui porte une barbe grise l’année parce que
fait irruption dans la salle, l’air désorienté.
Des petits sursauts de surprise et d’indi- c’est la seule où
gnation parcourent l’assemblée, les mili- y a pas d’hommes
tantes se regardent, interloquées. Anouk,
l'une des participantes se lève et reconduit
l’homme à la sortie gentiment en lui expliquant qu'il
a dû se tromper de salle. Après quelques secondes de

.
silence, les militantes reprennent la discussion.

DISSENSIONS AUTOUR
DE LA PALESTINE
« Je pense que ce serait bien qu'on évoque aussi la Pa-
lestine », poursuit Johana. La mobilisation de l’AG en
faveur de l’État palestinien s’essouffle, estime la jeune
artiste plasticienne qui pense qu’il faudrait y remédier.
« Nous devons nous rapprocher du comité Urgence
Palestine », propose Arya, une femme transgenre, de
sa voix rauque teintée d’un accent espagnol.

Lorsque le conflit a éclaté le 7 octobre, les militantes

du collectif ont été un temps divisées au sujet du Ha-
mas. Anouk, membre de l’association « Féministes
Révolutionnaires » a essayé de nuancer l'adhésion ab-
solue à la doctrine pro-Hamas. « Le Hamas n’est pas
la « résistance palestinienne » : c’est une organisation
politique autoritaire, violente, sexiste, antisémite », a
déclaré la jeune femme sur le forum du groupe face à
ses camarades qui soutenaient le mouvement.
La militante a rappelé que le groupe islamiste était
« une émanation des Frères musulmans ». « Le projet
politique du Hamas est fondé sur une lecture très radi-
cale du Coran, avec tout ce que ça charrie de sexisme
et de LGBTphobies », a ajouté Anouk pour tempérer
les ardeurs de ses camarades féministes.
« Merci pour le petit cours de géopolitique », lui a
alors rétorqué Inès, une militante de Nous Toutes, un
collectif féministe co-fondé par Caroline De Haas en
2018. « L’offensive du Hamas est soutenue massive-
ment par les peuples arabes, y compris en Palestine.
Ça ne veut pas dire que les gens soutiennent le Ha-
mas. Franchement, j’ai un peu de mal avec cette lec-
infiltrée
conclure la discussion.
Finalement, le groupe féministe s’est clairement orien-
té vers une doctrine « antisioniste » prônant l’éradica-
tion de l’État d’Israël. Les militantes ont décidé de se
former au sujet du conflit au Proche-Orient en faisant
appel au collectif « juif décolonial » Tsedek ! Les mi-
litantes avaient hésité à faire appel à un mouvement
de gauche nommé « Juifves révolutionnaires ». Elles
y ont finalement renoncé en estimant que le groupe
était « sioniste », c’est-à-dire pour la reconnaissance
de l'État d'Israël.
La réunion se poursuit. Selon Arya qui recoiffe ses
longs cheveux épais aux pointes décolorées : « Le su-
jet Macron-Depardieu ne doit pas être écarté pour les
prochaines mobilisations non plus. D’autant que ça
s’inscrit dans un processus croissant de fascisation de
la société ». Le président de la République avait en
effet déclaré en décembre précédent au sujet de l’ac-
teur Gérard Depardieu accusé d’agressions sexuelles

ture occidentale qui se veut bienveillante mais qui fait qu’il soutenait la « présomption d’innocence » et qu’il
beaucoup de raccourcis », a ajouté la militante pour faisait « la fierté de la France ». Arya propose que les

mobilisations du 7 et 8 mars portent sur ce thème fort.
Johana acquiesce et propose de se mobiliser aussi
contre la loi de 2004 interdisant le port des signes
religieux à l’école. La militante est opposée à la loi
qui interdit aux élèves d’arborer des signes religieux
dans les établissements scolaires considérant qu’elle
constitue une oppression contre les femmes musul-
manes. « Cela va faire 20 ans que cette loi injuste et
islamophobe est en vigueur et je pense que c’est juste
de montrer qu’on s’y oppose », souffle-t-elle douce-
ment avant de clore l’AG. L’assistance approuve.
4 MARS
BOURSE DU TRAVAIL DE PARIS
UN SERVICE D'ORDRE
QUI DOIT GUETTER
LES « SIONISTES »
83
livre noir n°3
ET LES « FASCISTES » .
Ce soir, dans la salle Jean Jaurès, les militantes pour-
suivent l'organisation des marches des 7 et 8 mars.
« Le 7 mars, c’est la meilleure manifestation de l’an-
née parce que c’est la seule où y a pas d’hommes »
m'explique Johana au sujet de la mobilisation en
« non-mixité ». Une militante explique timidement
qu’un « Groupe d’encadrement féministe » (GEF) a
été mis en place pour faire le service d’ordre des deux
manifestations et qu’il recherche des volontaires. Je
me désigne.
Je reçois alors un « brief » rédigé sur un document
crypté à destination du futur service d’ordre. Le docu-
ment liste les « menaces spécifiques liées à la marche
de nuit du 7 mars », comme la « présence de terfs
[féministes anti-trans], de fachos, de groupes sionistes
et de masculinistes ». Le brief incite les membres du
service d'ordre à être extrêmement vigilantes pour les
infiltrée
repérer en amont de la marche.
De plus, la notice rappelle que la marche est en «
DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DOSSIER N°1 . DO
84
non-mixité entre meufs et trans-pé-
dé-gouines » mais invite les mili- Faites attention à
livre noir n°3
tantes à ne pas faire « la police du
vous y a des fafs !
genre ni de l'orientation sexuelle ».
Pour faire face aux « fachos », les
militantes préconisent « d’appeler
la Jeune Garde », un groupe antifasciste violent qui
.
évolue à Lyon et en région parisienne.
LA RÉVOLUTION MANGE
SES ENFANTS
Nous abordons ensuite la marche du 8 mars, destinée
au grand public et qui rassemble des dizaines de mil-
liers de personnes dans les rues chaque année. Arya
explique que le cadre qui organise la marche du 8
mars n’accepte pas les appels d’ordre anti-Israël dans
la manifestation. Des militantes ne comprennent pas
cette mesure. « En fait, c’est des vieilles féministes des
années 70 dedans, elles ne comprennent pas les nou-
veaux enjeux sur le travail du sexe, la transphobie et
l’anti-colonialisme », entonne Arya.
En effet, le comité féministe historique n'est pas aussi
enclin que l'AG Féministe à normaliser le « travail du
sexe », l'antisionisme, et l'appel à laisser les enfants
changer de genre. Le CNDF qui organise le 8 mars
depuis des décennies semble essayer de ménager la
chèvre et le chou entre l'ancien féminisme, toujours
universaliste, et une forme de néoféminisme décolo-
nial et racialiste.
« C’est quand même grave qu’on n'ait pas le droit de
dénoncer un génocide, c’est de la censure », renchérit
une femme d’une cinquantaine d’années au sujet de
la Palestine. « Le CNDF est problématique, on le sait
depuis longtemps. Pour l’instant, on fait avec, mais
notre objectif final c’est de le dégager », conclut Arya.
7 MARS
.
PLACE DE LA RÉPUBLIQUE
OÙ SONT PASSÉS
LES RACISÉS ?
Le soleil se couche sur la place de la République et des
groupes de manifestants commencent à affluer autour
du camion de l’AG Féministe Paris-Banlieue. J'ac-
infiltrée
compagne les filles du service d'ordre qui ont noué un
bandeau jaune autour de leur bras. Elles sont tendues
et alertes et surveillent la police aux
alentours. Nous nous regroupons au
centre de la place avant le départ
du cortège. Il faut guetter les éven-
tuelles « terfs » ou groupes « sio-
nistes » qui essaieraient de s'immis-
cer dans le cortège.
Lorsque tout le monde s'est rassemblé sur la place et
que le cortège s'apprête à partir, à la tombée de la nuit,
Johana s'adresse à la foule dans son mégaphone : «
Bon… s’il vous plaît… On va laisser les racisés pas-
ser à l’avant du cortège ». Les concernés qui ne repré-
sentent que quelques dizaines de personnes s'avancent
dans l’immense espace qui leur est laissé devant le
cortège par les autres manifestantes.
Mais la séparation entre les deux groupes s’étiole au
bout d’une centaine de mètres et le cortège se mé-
lange. En effet, le groupe de « racisés » est trop peu
nombreux pour que le cordon sanitaire se maintienne.
Les militantes du service d'ordre sont démunies de-
vant ce micmac. La manifestation qui réunit 4 100
personnes selon la préfecture de police et entre 7 000
et 8 000 selon les organisatrices aboutit finalement de-
vant l’Hôtel de Ville.
8 MARS
PLACE GAMBETTA
Je suis dans le cortège de l’AG Féministe Paris-ban-
lieue qui participe au 8 mars aux côtés des militants
d’Urgence Palestine, collectif pro-Hamas. À 15
heures, sous un grand soleil, les militantes marchent
depuis la place Gambetta en observant les alentours
d’un œil méfiant.
Elles sont entourées par des hommes de la Jeune
Garde, collectif antifasciste réputé pour son usage de
la violence. Mathilde, une jeune diplômée de sciences
politiques qui fait partie du groupuscule, a contacté
l’AG Féministe quelques jours auparavant pour propo-
ser la Jeune Garde comme escorte. Sur une message-
rie dédiée, les militantes signalent ceux qu’elles iden-
tifient comme « sionistes » ou « fachos » au groupe
violent.
« Faites attention à vous y a des fafs ! » prévient Lamia
sur le groupe à 15h30. Mathilde, référente de la Jeune
Garde, lui demande alors « plus d'informations » pour
pouvoir intervenir avec son équipe.
Des drapeaux palestiniens flottent au milieu du cor-
 85
tège et une militante juchée sur une camionnette aux
couleurs de la Palestine scande les slogans de l’AG,

livre noir n°3

préparés depuis des mois. « Le kérosène, c'est pas
pour les avions, c'est pour brûler les flics et les pa-
trons ! » s’écrie la militante dans le mégaphone avant
d’être reprise par la foule survoltée. Des journalistes
de Livre Noir filment la scène et la publient sur les
réseaux sociaux.

Après la manifestation, le ministre de l’Intérieur sai-

sit la justice pour menaces de mort à l’encontre des
forces de l’ordre grâce à l’une des vidéos postées par
mes collègues. La nouvelle fait le tour des médias. Les
manifestantes sont atterrées de la plainte. Effective-
ment, le slogan est inscrit dans les archives du collectif
depuis sa création, en 2022.

« Littéral le slogan gueulé à toutes les manifs depuis

dix ans, il est marrant le Darmanin », s’amuse Ire-
ne, une militante phare de l’AG Féministe et d’Ur-
gence Palestine par message. « C’est comme le slogan
« Pends ton patron » et tant d’autres slogans… « un
flic, une balle, justice sociale » », complète Julie, mi- FAITES UN DON
litante d’Urgence Palestine. « Il faut venir en Espagne,
SUR WWW.INSTITUTPOURLAJUSTICE.ORG
y a pas tout ça », conclut Irene.

l'œil éco
Finalement, le plus surprenant dans cette association
féministe est que les droits des femmes, le patriarcat et
le progressisme n’y sont pratiquement jamais abordés.
Durant mon infiltration, le sujet principal traité aura
été Gaza, les sionistes et les racisés, la condition fé-

Alexander Grey
minine semblant n’être qu’un prétexte pour beaucoup.
Dans cette convergence des luttes, on s’aperçoit que
les « whitefem » [féministes blanches et donc non-
conscientes des enjeux raciaux] sont mises au ban :
priorité est faite aux racisés et au décolonialisme,
quitte à soutenir un Hamas ultra-conservateur et na-
tionaliste.
L’intersectionnalité dans laquelle tous les combats L'INSTITUT POUR LA JUSTICE,
devraient se retrouver devient en fait bien vite une
concurrence entre droit des femmes et cause palesti-
LA SEULE ASSOCIATION QUI
nienne. Dans la pyramide des oppressions, la couleur
de peau semble se situer tout au sommet : le racisé LUTTE CONTRE
est la plus grande victime, c’est vers sa défense que
doivent s’unir les forces d’extrême gauche. Au fond,
LE LAXISME JUDICIAIRE
terre deux peuples

AG Féministe Paris-Banlieue est peut-être la plus ré-

vélatrice de mes enquêtes en ce qu’elle révèle la ten- RENDEZ-VOUS SUR
dance idéologique de la mouvance. Le féminisme se INSTITUTPOURLAJUSTICE.ORG
met au service de l’antiracisme décolonial, sans tou-
tefois se rendre compte qu’il finira par le dévorer. La
infiltrée

révolution mange toujours ses enfants.

une
86
livre noir n°3

QUIZZ
QUEL MILITANT
D'EXTRÊME GAUCHE
ÊTES-VOUS ?
1. Votre plat préféré est :
A Un couscous merguez B Un bon steak de tofu C Une poke-bowl D Un hachis-parmentier
assorti de graines de Picard
chia

2. En rentrant chez vous le soir, vous écoutez :

A Naps, SCH, Zola... B Une playlist relaxa- C Angèle D Du metal médieval
tion zen coréenne

3. Ce qui vous fait sortir de vos gonds :

A Quand on vous B Quand vous voyez C Quand on vous mé- D Quand vous entendez
explique qu'Israël a le quelqu'un jeter son genre que le capitalisme
droit d'exister mégot par terre permet le progrès

4. Dans la vie de tous les jours, on vous décrit comme étant…

A Impulsif B Rêveur C Bavard.e D Solide
5. Vous roulez en...
A Bus de nuit B Vélib C Renault Zoé D Clio 2
6. Quand vous vous engagez, vous êtes…
A Celui qui tague la nuit B Celui qui dessine les C Celui qui tient une D Celui qui tape les
affiches pancarte en manif fascistes

7. Ce que vous pourriez pardonner pour des raisons politiques :

A Vos amis qui crient B Un psychologue qui C Une agression lesbo- D Un député qui frappe
« Allah Akbar » sur viole des dizaines de phobe faite par un.e sa femme
la place de la Répu- femmes sous hypnose racisé.e
blique

8. Quitte à vous engager dans une association, vous préfèreriez :

infiltrée

A Une organisation B Ramasser les déchets C Prendre des cafés D De l’action, de la

religieuse sorores bagarre
 en sport des drag-queens
A de boules de pétanque tits enfants faites par
VOUS MILITEZ À
infiltrée

D Des sessions de lancer C Des lectures aux pe-

URGENCE PALESTINE stylos cours d'arabe
Vous êtes un militant pro-Palestine, voire un peu dable dans tous les de français par des
pro-Hamas sur les bords ! Vous masquez votre an- B De l'encre biodégra- A Remplacer les cours
tisémitisme tant que vous le pouvez, mais il faut cation en France...
avouer que rayer Israël de la carte ne vous déplairait 15. Votre mesure pour révolutionner l'édu-
pas. Votre communautarisme est exemplaire : l'Ou-
mma, ça passe avant la France !
festations mort
CRS pour les mani- phobie par la peine de
D La suppression des C Sanctionner l'homo-
B cannabis
VOUS MILITEZ AUX B La légalisation du A « Nique la police »
SOULÈVEMENTS DE LA TERRE France...
14. Votre mesure pour l'insécurité en
Vous êtes un militant écologiste, prêt à vous faire
coffrer pour que les gens rénovent leur maison ! d’études de sociologie
Vous êtes convaincu que pour sauver la planète, il D à l’usine C vous êtes en 8e année
faut raser toutes les centrales nucléaires de France
et que manger de l’avocat mexicain vaut mieux que de publicité
de boire un verre de lait. à Paris dans une boîte
B en tant que cadre sup' A pas
13. Vous travaillez...
C D Du vin, rouge C Sex on the beach
VOUS MILITEZ À
FRANSGENRE bio
B Un petit jus de goyave A Du Capri-Sun
Vous êtes un.e militant.e LGBTQIA2S+, champion. 12. En soirée, vous buvez...
ne des droits humain.es et toujours prêt.e à inven-
ter de nouveaux.elles moyen.nes d’accéder au Saint D L'extrême droite C L'extrême droite
Progrès. Pour vous, l’égalité.e doit être absolu.e et
tout le monde doit vous trouver normal.e, mais re- B L'extrême droite A L'extrême droite
connaître votre oppression. Aussi, ce que vous écri-
vez est illisible. vous c'est :
11. Le plus grand danger en France pour
D D L'Humanité C Têtu
VOUS MILITEZ CHEZ
LES BLACK BLOCKS
B Reporterre A Al-Jazeera
10. Le média que vous préférez :
Vous êtes un militant antifasciste, anticapitaliste,
antiraciste… Anti beaucoup de choses en fait. Ce
comme ça
que vous aimez, c’est le stalinisme (mieux que la
choisir son genre
société actuelle), chanter L’Internationale en soi- D Camille, iel pourra C Karl/Rosa
rée et jeter des pavés sur les policiers. Des passions
simples, des passions violentes.

livre noir n°3

B Phinéas/Groseille A Amine/Zineb

87
9. Votre enfant s'appellera :
 UNE JOURNÉE CHEZ
88
livre noir n°3
MEDIAPART
(ET C’EST DÉJÀ BEAUCOUP)
Me sacrifiant pour la cause, j’ai passé
un samedi à la journée portes ouvertes
annuelle de Mediapart, le 16 mars. C’était
la dernière fois qu’on pouvait y voir Edwy
Plenel, qui cède la direction à Carine Fou-
teau, annonçant un probable tournant
d’opinion néo-féministe dans ce média
d’enquêtes. Bienvenue en terre de gauche.
par alexandre de galzain
I
l est onze heures quand j’arrive au
beau milieu de l’un des pires quartiers
de Paris : Stalingrad. Entre les suaves
effluves de joint et cette librairie fran-
co-arabe que je dépasse avec un regard
étonné, il faut lutter pour tracer son
chemin jusqu’au centre Cent-Quatre,
« lieu infini d’art, de culture et d'in-
novation », ainsi qu'internet le décrit.
Il s’agit en fait d’un grand bâtiment sur plusieurs ni-
veaux, dont les nombreuses salles sont ouvertes tant
aux expositions qu’aux amateurs de pole-dance.
Le lieu mérite son commentaire. Entré, j’hésite :
suis-je dans un complexe pour étudiants circassiens
ou à un évènement organisé par le troisième média de
France ? Ah, mais j’oubliais presque : il s’agit d’un
site de gauche. Mais tout de même ! Entre les dan-
infiltrée
seuses portant un legging outrageusement moulant et
les danseurs en jogging au-dessus des chaussures de
ville – le tout en opérant des gestes las-
cifs en face d’un miroir, j’ai vu cette so-
ciété du spectacle s’admirant et ne rêvant
à rien d’autre qu’à elle-même. Même en
sortant du bâtiment du temple du moi pour fumer une
cigarette, je ne trouverai pas la paix : deux étranges
personnages se contorsionnent en sautant partout et
hurlant, formant je-ne-sais quel ballet grotesque tout
droit sorti d’une démente bacchanale. Les deux mal-
heureux tentent visiblement de jouer du théâtre, mais
le spectacle est si laborieux que je préfère presque
m’intéresser à ces quatre tiktokeurs africains qui se
trémoussent à quelques mètres. Le décor étant planté,
.
revenons à Mediapart.
DE L’ENQUÊTE
À L’OPINION
L’évènement de ce début de journée, c’est un podcast
enregistré en direct dans une petite salle de spectacle
de deux cents places presque pleine. On y trouve le
gratin de Mediapart : Carine Fouteau (la nouvelle
directrice de publication, donc), Marine Turchi, Fa-
brice Arfi, Pascale Pascariello, Antton Rouget ainsi
que l’inénarrable Edwy Plenel. Une heure de podcast
à propos de l’affaire Benalla, au passage très intéres-
sant – ponctué d’humour par l’ironie mordante de la
situation. Le travail présenté est sérieux, et l’affaire
qui a fait trembler la macronie brandie comme un
étendard, un symbole pour le média en ligne. On y
découvre les coulisses, les angoisses et les joies de la
rédaction, le spectacle est réussi. Ici, le média est ac-
croché à son identité première : l’enquête contre les
puissants, contre la corruption, pour la transparence.
Peu de temps après, je gagne une conférence sur :
« Gaza, où meurt notre humanité », où je constate un
étonnant phénomène. Dans ce bizarre semi-sous-sol
où se tient une estrade, la population qui assiste à la
conférence s’adapte tout à fait au thème proposé : un
nombre important de racisé.es (comme on dit chez
eux) prend place pour écouter le témoignage et les
impressions des intervenants. On se surprend tout de
même à constater que dans les quatre grands débats
organisés, on ne retrouve aucun universitaire, aucun
intellectuel. D’ailleurs, il n’y a pas non plus de dé-
bat dans ces « grands débats » : on assiste surtout à
une discussion animée entre plusieurs personnes on
ne peut plus d’accord entre elles. Une avocate, Sarah
Sameur, y défendra l’Afrique du Sud qui a qualifié de

« génocide » l’offensive israélienne contre Gaza, et
l’on entendra le témoignage poignant d’un médecin
nommé Zouhair Lahna, de retour du front gazaoui où
il a officié un mois durant. « L’État colonial » israélien
y est conspué, et l’on alterne entre émotion et révolte.
Après avoir écouté la première demi-heure de cette
table ronde, je me décide à faire un tour pour observer
ce qui se trame autour. Derrière moi, on peut prendre
une photo avec des posters de Sarkozy et Kadhafi qui
se serrent la main (Mediapart a pour projet de pro-
duire un documentaire sur le sujet), et encore derrière
une petite boutique. Errant dans les différentes pièces,
j’aperçois une jeune femme tout habillée de noir. L’air
tout à fait dépressive, elle demeure plusieurs minutes
contemplant une photo de Gaza. La population glo-
bale présente tout de même quelques caractéristiques
intéressantes : il y a incontestablement plus de pier-
cings que d’habitants, et le public demeure en général
.
très « blanc », comme on dit chez eux.
UN APERÇU
DE L’ENFER
Deux choses m’étonneront tout au long de la jour-
née. D’abord, l’absence manifeste de tout goût vesti-
mentaire. Ces révolutionnaires à paillettes, cherchant
certainement à « briser les tabous et déconstruire les
conventions », se vêtent de manière tout à fait ab-
surde : aux traditionnels T-shirts larges-shorts-col-
lants-Birkenstock succèdent des tenues plus absurdes
les unes que les autres, mélangeant audacieusement le
rose délavé avec le marron, des hauts féminins percés
de grands trous, et des paires de chaussures souvent
aussi usées que laides. Ce n’est pas une convention,
c’est un carnaval ! Le second point qui me déstabi-
lise, c’est la difficulté à différencier les sexes. De fa- trop longues minutes de son discours-sketch, c’est
çon générale, il y a beaucoup de jeunes femmes… et
de jeunes hommes ressemblant à des jeunes femmes.
Quelques transexuels (ou transgenres, ça ne se voit pas
toujours au premier coup d’œil)
sont également présents, respirant
le bien-être et la joie de vivre.
De façon générale,
Après avoir achevé ma balade
d’observation et déjeuné, je re-
il y a beaucoup de
plonge dans mon petit enfer où jeunes femmes…
j’arrive juste à temps pour assister et de jeunes hommes
à la dernière demi-heure du débat
sur « #Metoo dans le cinéma » où
ressemblant à des
jeunes femmes.
j’ouïrai quelques femmes blanches
(elles y tiennent) s’auto-flageller
89
durant quelques bonnes minutes. Affirmant « recon-
naître ses privilèges », l’une d’entre elles explique
livre noir n°3
par exemple : « Je suis une jeune femme blanche,
pas en surpoids et d'un bon milieu culturel », comme
pour exorciser ses tares supposées. « Les personnes
blanches jouent souvent les mêmes rôles dans les
films », ajoute l’actrice Zita Hanrot ; comprendre qu’il
faut se flageller de représenter la réalité, qu’il faudrait
placer des « racisés » dans des rôles historiques ou à
la tête de l’État, pour qu’enfin ce qui doit être dans
leur utopie soit. Viennent quelques questions. Une
jeune femme qui rappelle quatre fois à grand renfort
de « moi je » qu’elle est autiste et que c’est dur d’être
autiste en employant le terme « acteurices » pose une
question sur la condition des autistes. « Quand un
homme crie : Vive la liberté ! il pense évidemment
à la sienne », disait Bernanos. Ce culte du « moi »
sera d’ailleurs consacré durant toute la journée : le
gauchiste, c’est celui qui dit penser aux autres dans
l’unique but que les autres pensent à lui.
.
PÈRE CASTOR,
une journée chez médiapart
RACONTE-NOUS COMMENT
ON LUTTE CONTRE
LE FASCISME !
Vient alors la partie la plus croustillante de la journée :
« Comment lutter contre l’extrême droite ? » La salle
se remplit alors de boomers (qui succèdent aux jeunes
étudiantes de la Sorbonne) et d’une voix : celle de
l’une des pires humoristes qu’il m’ait été donné d’en-
tendre. Mahaut Drama, chroniqueuse à France Inter
et humoriste, est un phénomène. Durant les quelques
à peine si dix rires se feront entendre, toute la salle
étant pétrifiée de gêne et de pitié devant ce pitoyable
spectacle. Les blagues seront majoritairement à base
de « Cyril Hanouna prie Bolloré tous
les matins » ou élégantes comme ces
phrases qui demeureront dans les an-
nales : « Il faut garder cette capacité
d'émerveillement pour rire autant à
une blague de bite qu'à une blague
de teuch qu'à une blague sur Le Pen
». Cette incapacité totale à la trans-
gression, ce manque formidable
d’originalité et surtout, le silence de
infiltrée
plomb qui règne chez les quelques
trois-cents personnes présentes me
90

font comprendre la nécessité de « safe places » de

droite : nous avons besoin d’endroits où nous ne su-
livre noir n°3

birons pas ce calvaire pseudo-humoristique. Elle af-

firmera tout de même que : « Si dans trois ans, Le
Pen arrive au pouvoir, peut-être qu’il faudra s'armer,
avoir des milices violentes... Je pose des questions. »

« Vaincre l’extrême droite par la joie », objectif affi-

ché du colloque, ne sera pas de tout repos. Autre inter-
venant, Jean d’Amérique, obscur Haïtien ayant com-
mis quelques poèmes comme Rachida debout dont je
vous laisse juger la qualité : « Rachida va avec les
poches trouées / à la boulangerie du rêve de vivre. /
Elle allume les promesses du printemps / et fait cuire
le pain des soleils. » Ainsi que le présente fort subtile-
ment l’animatrice de la discussion : « La poésie c'est
beau, donc ça ne peut pas être d'extrême droite »,
mais l’idée principale de Jean d’Amérique
(pour autant qu’on puisse parler d’idée) est
que la poésie est bonne parce qu’elle per-
met d’être antifasciste. Pour compléter le
tableau, nous avons droit à la syndica-
une journée chez médiapart

liste de Solidaires qui ne prend pas la

peine de cacher sa propension à la dis-
crimination politique : « Quand un
militant a des liens avec l'extrême
droite, nous demandons son exclu-
sion ». Enfin, c’est la compagne
d’Alice Coffin, la très-masculine
Silvia Casalino, qui complète la
joyeuse compagnie et ne lâchera

EDWY
pas un sourire de l’heure.

Finalement, c’est la nouvelle

direction de Mediapart 100
% féminine, accompagnée
d’Edwy Plenel, qui achè-
vera la journée par une
nouvelle table ronde. Ce
dernier, tout sourire, ne

PLENEL
pourra s’empêcher de
lancer deux piques à
Jean-Luc Mélenchon,
tandis que Carine
Fouteau, la nouvelle
directrice de la publi-
cation, expliquera qu’il
faudra « tout faire pour
faire dérailler la pro-
chaine élection ».
infiltrée

On ne change pas les

vieilles habitudes.

EDWY PLENEL
QUITTE MEDIAPART :
NOTRE PRESQUE-HOMMAGE
Edwy Plenel est de gauche, Edwy Plenel n’a
jamais hésité à utiliser sa légitimité journalis-
tique pour en user comme argument d’auto-
rité dans ses opinions contre le camp national.
Edwy Plenel est un adversaire résolu de nos
valeurs, de la France telle que nous la conce-
vons. Aux sources de l’homme, il y a son indi-
génisme (tel que raconté dans l’épisode 4 de
ses podcasts : Edwy Plenel, une vie d’enquêtes,
où l’on comprend son tropisme tropical), son
amour de l’ennemi quand la France est forte.
C’est celui qui défendait Septembre Noir, qui
critiquait les caricatures de Charlie Hebdo, qui
soutenait Tariq Ramadan.
Cela étant dit, il est aussi un grand journaliste.
De l’affaire du Rainbow Warrior à l’affaire Sar-
kozy en passant par le scandale Cahuzac, le
vieux communiste moustachu a ce mérite
d’avoir toujours cherché à faire trembler le
pouvoir, à se tenir droit devant lui pour lui ré-
sister. Au-delà de son propre travail d’investi-
gation, il aura également marqué l’histoire de
la presse en montant un média intégralement
indépendant de la volonté des milliardaires,
de l’État ou d’un groupe de presse. Mediapart,
c’est aujourd’hui le troisième média de France
en nombre d’abonnés, ce sont 139 salariés et
une presse libre, dépendant seulement de ses
Wikipedia-Alain Stival
lecteurs. À Livre Noir, nous n’avons jamais ca-
ché ni notre respect, ni notre inspiration pour
ce média libre. C’est donc à la fois dans son
Y
sillage et à contre-courant que notre maga-
zine d’enquêtes se place. Mediapart aura per-
mis la création de la HATVP et aura modifié
de manière générale la loi pour un plus grand
contrôle des responsables politiques. Pour
avoir tant influencé le modèle de la presse
française que la politique de transparence de
la vie publique, chapeau.
Pour revenir à Edwy Plenel en tant que tel, il
faut tout de même dire que nous avons un peu
de peine pour lui. Son départ pourrait être
symbolisé par cette scène du documentaire
91
livre noir n°3
Depuis Mediapart (réalisé par Naruna Kaplan
de Macedo en 2019) où l’on peut voir Ellen Sal-
vi (journaliste) s’exclamer : « Mais moi je les
déteste la Manif pour Tous ! », et le taulier de
répondre : « On ne diabolise pas l’adversaire.
[…] Tu as grandi avec cette droite transgressive,
bling-bling, grossière, sans culture, sans profon-
deur… Cette droite qui est derrière Fillon, […]
c’est une droite qui peut être très conservatrice,
très réactionnaire, mais qui a plus de profondeur,
plus d’histoire, qui est donc plus intéressante, plus
complexe ». Au fond, en observant le tournant
qu’a pris Mediapart ces dernières années et
le profil de Carine Fouteau, remplaçante de
Plenel, on peut craindre que le média d’en-
une journée chez médiapart
quêtes ne se transforme en média d’opinion
intersectionnel. Les articles pour le néo-fémi-
nisme pourraient bien remplacer les grandes
enquêtes qui avaient fait la gloire du journal.
Depuis l’affaire Denis Baupin, les enquêtes re-
lèvent en effet plus du « on vous croit » que de
la rigueur d’un Fabrice Arfi, visiblement mis
de côté par la direction 100 % féminine : que
voulez-vous, l’égalité, c’est qu'aucun homme
ne dirige !
De même, quelle différence entre ce vieux
monsieur plein de bonhomie qui rit : « Atten-
tion au culte de la personnalité ! » en répondant à
ceux qui lui demandent un selfie, et cette froide
femme qui se félicite d’avoir recruté un « gender
editor », lâchant du bout des lèvres le 15 mars
sur France Info que laisser Plenel continuer à
écrire à Mediapart n’allait pas de soi : « On s’est
posé la question », le tout sans un remercie-
ment. Au fond, si nous regrettons le départ de
l’un de nos « meilleurs ennemis », c’est peut-
être parce qu’à Livre Noir, nous sommes suffi-
samment réacs pour nous exclamer dans un
soupir : « Mediapart, c’était mieux avant ! »
infiltrée
 Cortège de la Jeune Garde lors
92

d’une manifestation à Lyon en

novembre 2023
livre noir n°3
infiltrée
 LA

93
JEUNE GARDE

livre noir n°3

KAPOS
VIRILISTES
Visages masqués et gants coqués, les
membres du groupuscule d’extrême
gauche la Jeune Garde surveillent l’en-
trée de leur réunion parisienne. L’homme
qui s’exprime à l’intérieur est leur chef,
Raphaël Arnault, cofondateur du mou-
vement pseudo-antifasciste ultra violent
qui sévit dans plusieurs grandes villes de

la jeune garde
France. Notre journaliste Pauline a pu se
rendre sur les lieux et prendre des notes
sur les interventions.

C
par jules laurans
photos erik tegnér

e 18 décembre, Ra-
phaël Arnault intervient
au côté de Mathieu
Mollard, journaliste à
StreetPress, dans une
salle de l’IRIS (Institut
de Relations Internatio-
nales et Stratégiques)
prêtée pour l’occa-
sion. Devant une quarantaine de personnes, les deux
hommes abordent le risque de voir « l’extrême droite
au pouvoir en 2027 ». Un membre du public propose
de « viser les leaders », ce à quoi Raphaël Arnault
répond avec un sourire : « Je ne vais pas dire ça ici... »
Au fond de la salle, des membres de l’assistance ré-
agissent et traitent Zemmour « d’Arabe du système »
(à voix basse), puis Mathieu Mollard reprend la pa-
role. Il aborde une partie plus théorique et présente
infiltrée

une typologie de l’extrême droite. Raphaël Arnault a

moins de finesse. Il s’emporte, tape du pied. Avec un
94
livre noir n°3
accent de cité, il s’exclame : « On a du mal avec la
violence à gauche parce qu’on rêve d’un monde sans
violence. Mais face à des collectifs qui sont ultra-vio-
la jeune garde
lents, la violence est justifiée ! » Quelques jours plus
tôt, le bonhomme avait menacé de mort la fondatrice
du collectif Némésis, Alice Cordier, en lui promettant
« une balle dans la tête ».
La conversation dévie alors vers « la théorie du Grand
Remplacement », considéré comme un fantasme d’ex-
trême droite. Tout au long de la conférence, le cou-
pable est tout trouvé : l’extrême droite. Le reste est
excusé. « Le djihad, c’est quand on se défend d’une
attaque, c’est pas faire une attaque terroriste contre
des innocents », affirme par exemple un membre du
public, sans qu’aucune contradiction lui soit appor-
tée. Après un long silence, Raphaël Arnault tempère :
« Daech, c’est l’extrême droite ». Les morts du Ba-
.
taclan seront heureux de l’apprendre.
DES HOOLIGANS
D’EXTRÊME GAUCHE
Si la Jeune Garde s'ancre dans un héritage de gauche
en prenant pour nom l’hymne révolutionnairede la jeu-
nesse de la SFIO en 1912, elle rompt avec l'image sté-
réotypée de l'antifascisme des années 2000. Terminés
les Doc Martens, pantalons militaires et cheveux colo-
infiltrée
rés : la Jeune Garde mise désormais sur une commu-
nication viriliste dont les codes vestimentaires et les
marques portées (Fred
Perry, Loyle and Scott,
Longsdale…) sont di-
rectement issus de la
culture des hooligans du football. Plusieurs figures de
proue du mouvement ont d’ailleurs des racines dans
le milieu ultra marseillais, comme Raphaël Arnault,
le leader, ou Ama Houseiny, alias Luc Bawah, ancien
capo des « Yankees » et ami des « South Winners »
(groupes de supporters de foot marseillais).
Cette culture ultra du football, ils l’emportent dans
leurs manifestations, au cœur de cortèges rythmés par
des chants d’appel à la violence lancés au mégaphone,
et dans une ambiance cagoule, fumigène et bande-
roles. Un message est clair : jamais d’attaque sur la
police. Par tradition, on pourrait imaginer que ces mi-
litants sont également anticapitalistes, mais non. Ce
qui motive ces hooligans d’ultra-gauche, c’est la ba-
garre et la volonté de frapper ce qu’ils appellent « l'ex-
.
trême droite », par tous les moyens nécessaires.
VIOLENCE ET AGRESSIONS
GRATUITES
Selon un mode opératoire qui rappelle furieusement
les méthodes des vrais fascistes, ces militants identi-
fient, cataloguent, menacent et agressent dans les rues
ceux qu'ils jugent appartenir à l'extrême droite. Les
témoignages de victimes se multiplient et décrivent

toutes le même modus operandi. Thomas, affilié à
l'UNI à Lyon, raconte : « Ils se rassemblent en bande
de dix à quinze et parcourent l'université Lyon 3 à la
recherche d'individus au look considéré comme de
droite pour s’y confronter ou les passer à tabac ».
Un bon connaisseur de cette mouvance me confie : « À
Lyon, ils sont une cinquantaine, plutôt des profils de
gars à la fac. Des chômeurs aussi, car ils arrivent à se
retrouver en pleine journée à 14 heures alors que tout
le monde travaille. Ils ne sont pas nombreux, mais ca-
pables d’être très violents. Ils vont souvent attaquer à
quatre contre un ». Un étudiant lyonnais victime d’une
agression il y a un an confirme : « J'ai été ciblé juste
parce que je portais une veste Barbour en sortant de
la fac. Je suis de droite, mais je ne suis pas un mi-
litant. Pour eux, l'extrême droite, ça commence déjà
avec Macron, donc potentiellement, beaucoup d'étu-
diants peuvent se retrouver dans leur ligne de mire ».
En décembre 2021, ce sont justement des militants
soutenant le président Macron, qui ont été agressés
par des membres de la Jeune Garde pendant qu'ils
tractaient dans le quartier de Barbès à Paris. La scène
s'est répétée le 21 septembre dernier lors d'une distri-
bution de tracts sur le campus de l'université de Nan-
95
livre noir n°3
terre. Quelques mois plus tard, c’est la Coordination
féministe antifasciste qui a également publié un com-
muniqué dénonçant « une série d’agressions sexistes
la jeune garde
violentes » perpétrées par la Jeune Garde Lyon à l'en-
.
contre de ses membres.
COMMUNICATION
ET IMPUNITÉ
Cette violence, la Jeune Garde ne s’en cache pas, car
le groupuscule exploite massivement les réseaux
sociaux comme Twitter ou Instagram, ainsi que des
canaux Telegram comme « Antifa Squads » pour
revendiquer le passage à tabac de militants. Sur plu-
sieurs vidéos, qu’ils partagent fièrement, on découvre
des jeunes au sol se faisant tabasser par plusieurs
membres du groupuscule. Par exemple le 28 mars
2023, à l’université Lyon III, une dizaine de membres
de la Jeune Garde se sont filmés en train de frapper
un étudiant qui souhaitait aller en cours alors qu’ils
imposaient un blocus. La video, insoutenable, montre
une scène de torture où la Jeune Garde force l’étudiant
à sourire tandis qu’ils lui envoient plusieurs coups de
pieds au visage.
Jamais un groupe revendiquant sa violence n’a béné-
ficié d’une telle impunité et de l’État, depuis le FLN.
infiltrée
Ce que nous confirme une personne travaillant dans
les services de renseignement territoriaux : « Ils ont
96
livre noir n°3
La Jeune Garde brise les
codes de l'antifascisme
traditionnel en imposant
des règles qui
s’apparentent à celles
des groupuscules
d’ultra-droite.
la jeune garde
leurs entrées à la préfecture, donnent des renseigne-
ments sur les fafs [fascistes], et à la fin, ne prennent
pas grand-chose. C’est désespérant… »
Pourtant, ses cadres sont connus des services de po-
lice. Hamma Alhousseini, un des chefs, a fait l’objet
d’une enquête pour apologie du terrorisme après avoir
relayé sur les réseaux sociaux un soutien à Boko Ha-
ram et une approbation implicite de la décapitation de
Samuel Paty, en plus d’avoir été condamné en août
2020 pour une agression dans un bar du vieux Lyon.
Même chose pour Raphaël Arnault, chef du groupus-
cule, pourtant connu de la documentation des services
de police pour de nombreuses agressions de militants
et qui continue d’affirmer lors de cette réunion de
l’IRIS à Paris « qu’il faut être violent avec les mili-
tants du Rassemblement National et de Reconquête »
sans compter le nombre d’agressions commis de son
fait. Enfin Safak Sagdic, un des cofondateurs, est bien
connu des services de l’État pour avoir servi d’indic
à la police.
.
COMPROMISSIONS
DES POLITIQUES
DE GAUCHE AVEC
infiltrée
LES ULTRA-VIOLENTS
Malgré cette violence assumée, que le groupe justi-
fie comme une réponse à celle de l'extrême droite, la
Jeune Garde cherche à gagner en respectabilité. De-
puis sa création en 2018, le groupuscule n’a cessé de
prendre de l’ampleur médiatiquement. C’est en phase
avec sa doctrine. En effet, la Jeune Garde revendique
une vocation structurante, de proximité avec les partis
politiques, et se positionne comme moins autonome
que le milieu antifasciste révolutionnaire traditionnel.
Issu du NPA, Raphaël Arnault a même essayé de se
lancer dans une carrière politique en se présentant
aux élections législatives de 2022, dans la 2e circons-
cription du Rhône, une tentative qui s'est terminée par
un échec cuisant. Malgré cette défaite, l'ex-candidat
continue de maintenir des relations étroites avec divers
chefs syndicaux et politiques comme Olivier Besance-
not et Philippe Poutou. De plus, le soutien régulier de
députés de La France Insoumise à ces militants d'ex-
trême gauche offre une forme de « respectabilisation »
inattendue au mouvement. Jean-Luc Mélenchon, en
particulier, a été vu à plusieurs reprises aux côtés
de Raphaël Arnault et d'autres membres du groupe,
encourageant les antifas et les militants de LFI à se
mobiliser contre l'extrême droite avec des « méthodes

impactantes ». À ce sujet, de nombreux soupçons
pèsent sur le fait qu’une partie du service d’ordre des
manifestations de LFI soit assuré par des membres de
la Jeune Garde. Mais c’est de manière générale une
grande frange de LFI qui soutient les nervis d’extrême
gauche. Carlos Bilongo a participé à une session de
boxe avec le groupe Jeune Garde de Strasbourg ; An-
toine Léaument, Éric Coquerel, et Thomas Portes sont
des participants habituels des manifestations organi-
sées par la Jeune Garde… Enfin, Manuel Bompard et
Sébastien Delogu ont marqué de leur présence le camp
d'été du groupuscule en 2023. Enfin, Danièle Obono
était présente avec eux lors d’une réunion à Montpel-
lier le 23 mars, le tout avec une affiche réunissant les
logos de la Jeune Garde et de LFI.
Le clou du spectacle, c’est la réception en grande
pompe de Raphaël Arnault à l’Assemblée nationale
par des membres de La France Insoumise, encore,
pour parler des violences d’extrême droite. « Une évi-
dence » pour le député écologiste Aurélien Taché, qui
a invité le groupuscule ultra-violent en expliquant que
ce « groupe mène un travail de veille extrêmement im-
.
portant ». Un comble.
DES MÉTHODES
NOUVELLES
Avec tout ce soutien politique, la Jeune Garde gran-
dit. Il y a de plus en plus de sections : Lyon, Paris,
Strasbourg, Lille Montpellier, et deux en construction
à Aix et à Toulouse. Aujourd’hui ils cherchent à s’ins-
97
livre noir n°3
la jeune garde
taller au Puy-en-Velay pour lutter contre une librairie
catholique. Cette expansion provient aussi de la rup-
ture avec les méthodes traditionnelles antifas, ce qui
déclenche beaucoup d’oppositions au cœur de l’ex-
trême gauche.
À Lyon, la décision du gouvernement de dissoudre
la GALE (plus gros groupe antifasciste lyonnais, qui
porte d’ailleurs bien son nom) a constitué un tournant.
Plutôt que de lutter contre cette dissolution, la Jeune
Garde y a vu l’opportunité de se positionner comme
le principal acteur de l'antifascisme à Lyon, profitant
ainsi des difficultés de son rival.
À l’origine, le conflit entre les deux groupes vient no-
tamment de la position de la Jeune Garde qui reven-
dique une vocation moins autonome. À ce sujet, on ré-
pertorie de nombreuses agressions de la Jeune Garde
sur des membres de la GALE. Sur un blog antifasciste
retraçant les agressions de la Jeune Garde à Lyon, on
peut lire : « Dans tous les pseudo-éléments invoqués
par le ministère pour justifier cette dissolution de la
GALE, pas un seul n’est aussi grave que les violences
qu’a déclenchées la Jeune Garde ce 1er mai ».
Autre différence, la Jeune Garde brise les codes de
l'antifascisme traditionnel en imposant des règles
strictes, presque spartiates, qui s’apparentent à celles
infiltrée
des groupuscules d’ultra-droite comme l’interdiction
de boire de l’alcool durant les actions militantes, l’in-
98

terdiction d’avoir des relations avec les filles du groupe

afin d’éviter les conflits internes, et l’appui permanent
livre noir n°3

sur une dialectique violente et viriliste.

L'ensemble de la stratégie de communication du groupe

repose en effet sur une mise en avant de la virilité pour
attirer de nouveaux membres. Entre les photos en
équipe pour marquer son territoire, les vidéos d'entraî-
nements sportif et les stages d'auto-défense, leur image
pourrait facilement être confondue avec celle d'un
groupe identitaire ou nationaliste. Une source lyonnaise
me raconte : « Leur message est clair : on a des gros Mathilde dfkdlkf
bras, on n’est pas des victimes, et on n’a pas de cheveux Hello pour rappel je suis dans ce canal
roses. Ils veulent vraiment couper avec l’image de l’an- comme référente de la jeune garde, n'hésitez
tifa fragile ». Cette image déplaît à certains militants pas à me contacter en dernier recours s'il y a
d’extrême gauche qui dénoncent de plus en plus des un problème avec l'extrême droite
propos racistes, islamophobes, transphobes ou homo-
phobes tenus par la Jeune Garde. On observe en scru- je suis dans aucun binôme afin de ne pas
tant les réseaux antifas que beaucoup de critiques à leur empiéter sur votre travail
encontre reviennent sur leur emploi des termes « pédé
» ou « salope ». O Bonne manif à toustes 10:15
Sur un blog nommé InfoLibertaire dédié aux mou-
vances d’extrême gauche, on peut par exemple lire
une critique de la Jeune Garde par une féministe : « Il
la jeune garde

serait utile de rappeler que les personnes racisées,

les personnes musulmanes et juives, et les personnes
LGBTQIA+ sont les premières cibles de l’extrême
droite, mais manifestement la Jeune Garde ne l’a tou-
jours pas compris puisqu’à chaque manifestation, le
cortège des personnes les plus vulnérables est relé-
gué en fin de cortège… La position la plus fragilisée
et la plus invisible. Ces mêmes personnes qui se font
agresser tous les jours reçoivent un message clair :
“La lutte antifasciste, c’est un truc de mascu viriliste
blanc, vous n’avez pas votre place dans la lutte anti-
fasciste en dehors de notre utilisation de votre image
de victimes de l’extrême-droite”. »
Les manifestations sont également un sujet de ten-
la merde avec la police, le cortège de la Jeune Garde
leur sera fermé », raconte un membre sur internet.
Enfin, le groupuscule se veut très réactif sur son ser-
vice d’ordre en manifestation et s’affirme comme le
groupe le plus à même de l’assurer. Pour cela il utilise
des « référents Jeune Garde » dans les conversations
privées des cortèges de manifestants, afin d’être préve-
nu très rapidement en cas de problème. « Hello pour
rappel je suis dans ce canal comme référente de la
Jeune Garde, n’hésitez pas à me contacter en dernier
recours s’il y a un problème avec l’extrême droite »,
explique Mathilde sur la conversation Signal du ser-

sions entre les organisations antifascistes autonomes
et la Jeune Garde. Lors des rassemblements publics, le
groupe antifasciste met en œuvre deux stratégies dis-
tinctes. La première, c’est effectuer régulièrement des
pauses délibérées pour maintenir une séparation claire
entre eux et le reste de la manifestation. La stratégie
est critiquée par des autonomistes, autre mouvance
d’extrême gauche : « Cette technique, héritée des tra-
ditions syndicales, expose à des risques ceux qui sont
en tête de cortège, portant des messages et des ap-
proches plus radicales, tout en facilitant l'intervention
de la police pour les isoler du reste des manifestants. »
infiltrée
.
vice d’ordre de la manifestation féministe du 8 mars.
ALLIANCE RATÉE AVEC LES
QUARTIERS
À Paris, le quartier de Strasbourg-Saint-Denis est le
lieu de rassemblement privilégié de la Jeune Garde
grâce à des locaux mis à disposition par une associa-
tion communautaire kurde. La Jeune Garde entretient
en effet des liens étroits avec cette communauté : il y a

La seconde, c’est de refuser de participer à la confron- quelques années, deux antifascistes ont participé à des
tation avec la police. « Si le cortège de tête cherche combats au Kurdistan. Néanmoins, la Jeune Garde pa-

risienne est majoritairement dépourvue de membres
issus de l'immigration ou des banlieues. D'après les
observations de notre journaliste Pauline, qui a réus-
si à s'immerger au sein de l’association d’extrême
gauche Urgence Palestine, ces derniers désignent
la Jeune Garde comme étant des « antifas blancs ».
L'activité principale du groupe se concentre dans le Xe
arrondissement de Paris avec des déplacements fré-
quents à Montreuil et Nanterre.
À Lyon, le groupe ne semble pas disposer d'un local
fixe. Selon un expert en groupuscules violents : « Ils
organisaient auparavant de nombreuses conférences
dans une librairie anarchiste nommée La Plume Noire
et fréquentaient occasionnellement le bar d'Alternati-
ba ». La Jeune Garde de Lyon est ainsi majoritaire-
ment constituée « d’antifas blancs », pour reprendre
l’expression. Shafac Saglic, qui réside dans une petite
cité du Tonquin, et Raphaël Arnault, qui était surveil-
lant dans un établissement scolaire de la Duchère – un
quartier proche de Lyon – ont réussi au début à atti-
rer des jeunes lycéens, principalement issus de l’im-
migration, mais ces derniers ont progressivement été
remplacés par des blancs. Malgré une proximité avec
des islamistes, la Jeune Garde n'a pas réussi à former
son alliance rêvée entre les bourgeois décomplexés et
les quartiers défavorisés.
99
livre noir n°3
Fumigènes et chants contre
l’extrême droite, la Jeune
Garde se regroupe dans une
rue du vieux Lyon.
Pourtant, cette alliance pourrait se faire par le biais
d’une autre association antifasciste : AFA Paris Ban-
lieue. Plus important groupe antifa de la capitale, c’est
par le biais de l’islam qu’il s’est introduit dans les ci-
tés. Une source bien informée m’explique que « la
plupart des dirigeants d'AFA Paris Banlieue sont mu-
sulmans ou mariés à des musulmanes ». Une méthode
bien plus efficace pour séduire les banlieues, alors
que la Jeune Garde, qui parle plutôt d’islamophobie,
attire plutôt des hommes blancs violents et quelques
femmes, mais peu de femmes voilées parmi eux.
L'attitude passive de Gérald Darmanin envers les agis-
sements et les violences revendiquées par la Jeune
Garde questionne. Pourtant la législation détaille
plusieurs critères autorisant la dissolution d'une as-
sociation ou d'un « groupement de fait ». Parmi ces
critères, le fait que le groupe encourage « à des ma-
nifestations armées ou à des actions violentes contre
des personnes ou des propriétés », ou qu'il montre
« par sa structure et son organisation militaires les
caractéristiques de groupes de combat ou de milices
privées ». Après la dissolution de Génération Identi-
taire, des Zouaves, et celle entamée contre Académie
Christiana, ne serait-il pas judicieux de se pencher sur
infiltrée
les hooligans de la Jeune Garde ?
 tribune
JO
100

à QUITTE
livre noir n°3

ou DOUBLE

L
par thibault de montbrial
photo delphine duvet

es Jeux Olympiques et Pa-

ralympiques de Paris vont
focaliser l’attention de la
planète et rassembler des
délégations et des suppor-
ters de tous les pays du
globe.

Une immense responsa-

bilité pèse sur notre pays : garantir la sécurité de tous ces
participants, mais aussi de tous nos concitoyens, où qu’ils se
trouvent sur le territoire.

Avant même les JO, les grands évènements vont se mul-

tiplier : la France accueillera de nombreux chefs d’État à
l’occasion des 80 ans des débarquements de Normandie et
de Provence, sans oublier les classiques de l’été (le Tour de
France, qui arrivera à Nice ; et le défilé du 14 juillet sur
­l’avenue Foch).

Le défi est immense, car tout ce que le monde compte de

personnes, de groupes et même d’États hostiles à la France
et à ses valeurs, va tenter de mettre notre pays en échec.

Le risque de base est constitué par ceux qui tenteront des

coups d’éclat autour du parcours de la flamme olympique à
partir du 8 mai. En 2012, les Anglais avaient connu un taux
d’incidents de l’ordre de 25 % les jours du parcours. Et les
anciens se souviennent encore de la cohue qui avait accom-
pagné le passage de la flamme à Paris en avril 2008, avant
les jeux de Pékin.

Nul doute donc qu’un spectre allant d’illuminés à la re-

cherche de leur quart d’heure warholien jusqu’à des associa-
tions écologistes radicales qui ont déjà appelé à agir, viendra
tester l’imposant dispositif de protection (de l’ordre de 200
personnes !) de la précieuse chandelle.

Mais c’est naturellement la menace terroriste qui inspire le

infiltrée

plus de craintes aux autorités.


Comme si l’évènement ne constituait pas par nature une
cible de choix, le président de la République et la maire de
Paris ont ignoré les avis insistants des services de sécurité et
ont souhaité organiser une cérémonie d’ouverture « unique
dans l’histoire de l’humanité » : une grande parade nautique
de plusieurs kilomètres sur la Seine, en milieu ouvert. Les
cauchemars sécuritaires se multiplient : athlètes, autorités et
foule à découvert ; milliers de points hauts à surveiller ; in-
nombrables zones où des matériels les plus divers auront pu
être prépositionnés ; gageure de la maîtrise du ciel face aux
drones ; dimension sous-marine ; linéaires d’embarquement
et de débarquement… Le tout en intégrant les difficultés in-
hérentes à la navigation sur un fleuve capricieux et aux ponts
étroits.
L’enthousiasme du dossier de candidature a résisté au réel,
soit le monde de l’après 24 février 2022 et 7 octobre 2023.
Espérons que cette cérémonie n’aura d’historique que son
succès.
Le terrorisme islamiste constitue la
menace principale. D’abord, parce
qu’il est le seul à avoir tué en France
Les centaines de vétérans
dans notre histoire récente (273 vic- du djihad sortis de
times depuis 2015). Ensuite, parce que
prison ont le prestige et
la menace islamiste est remontée en
flèche depuis 18 mois. Elle est de trois la capacité pour recruter
sortes : et former des individus
1.
La menace endogène inspirée :
dans le vivier islamiste
des individus nés ou réfugiés français.
en France, agissant avec des
moyens rudimentaires sous l’influence
de la propagande islamiste. Les derniers attentats (Arras le
13 octobre et Paris Bir-Hakeim le 2 décembre) montrent
qu’en réalité, les auteurs n’étaient jamais isolés et qu’une
nébuleuse plus ou moins impliquée est systématiquement
identifiée après leur passage à l’acte.
2.
La menace projetée : il s’agit d’individus envoyés
en Europe depuis l’étranger, comme en 2015. Le 5
mars, la DGSI Céline Berthon expliquait au Sénat
que cette menace était redevenue d’actualité depuis environ
un an. De fait, la terrible attaque terroriste qui a frappé Mos-
cou le 22 mars illustre la capacité de l’EI-Khorassan à frap-
per au cœur des capitales européennes, après cinq attentats
déjoués en Allemagne. Le 25 mars, Emmanuel Macron ré-
vélait que « plusieurs » tentatives de l’EI-K visant la France
avaient été déjouées, raison pour laquelle le plan Vigipirate
« urgence attentat » était réactivé.
3.
101
Il y a enfin un dernier risque, peu évoqué : celui
de groupes endogènes – donc français – organisés,
livre noir n°3
capable d’actes dits complexes (attaques multiples,
accès aux armes à feu et explosifs). Les centaines de vété-
rans du djihad sortis de prison ont le prestige et la capacité
pour recruter et former des individus dans le vivier islamiste
français, et de coordonner des opérations spectaculaires.
Rappelons aussi le risque cyber : la France subit depuis des
mois des attaques de plus en plus sophistiquées et les scéna-
rios d’entrave au fonctionnement de notre pays sont légion,
même si nos capacités défensives figurent parmi les meil-
leures au monde.
Ajoutons que des États (la Russie, bien sûr, mais aussi à des
degrés divers l’Algérie, la Turquie et l’Iran) peuvent avoir
la tentation d’affaiblir la France en aidant voire en orga-
nisant des attaques sur notre sol, y compris sous « fausse
bannière ». La Russie dispose à cet égard d’une expérience
solide des actions de subversion.
Notons enfin que de nombreux ma-
tériels ont été détournés de l’aide à
thibault de montbrial
l’Ukraine, et des missiles individuels
antichars ou antiaériens sont acces-
sibles sur le darknet, ce qui n’est pas de
nature à rassurer les spécialistes de la
lutte antiterroriste.
Pour être complet, il faut ajouter que
la polarisation de l’attention et des
moyens sur les sites olympiques ne
doit pas conduire à négliger les pans
entiers de notre territoire qui, loin de l’attention mondiale,
seront exposés au terrorisme mais aussi à une délinquance
qui pourrait être tentée par le dépeuplement de la présence
sécuritaire locale.
Le tableau est sombre, d’autant qu’il ne faut pas exclure que
certains aient la tentation de frapper la France avant même
les JO pour dissuader les uns ou les autres d’y participer.
Mais une chose doit demeurer claire : d’abord, la France dis-
pose de capacités réelles, et la mobilisation de nos forces de
sécurité intérieures et de nos militaires nous permet de faire
face à de nombreux types de crise. Surtout, il est essentiel que
ces Jeux soient un succès, car ils vont conditionner l’image de
la France pour la décennie à venir, dans les yeux du monde
mais aussi dans son propre regard. Or, il faut restaurer la fierté
française, seul préalable à la reconstruction de notre société
infiltrée
si fracturée. Voilà finalement un objectif de long terme autre-
ment plus ambitieux que de protéger les JO !
102
livre noir n°3

Nom : AZIZ
Prénom(s) : BOUHAFSI
Épouse :
Date de naissance N° de procédure
27 10 1974
M Nat France Autre
Sexe FRANCO-ALGÉRIEN
F

lieu de
naissance : DREUX
Code lieu
naissance
2 81 34
Dépt : Eure-et-Loir Dépt : France
Père : Prénom :
Père : Prénom :

Autres délits : Code

PAF
Association de malfaiteurs en vue de la préparation
Palmaires :
d'un acte de terrorisme
Maison d'arret :

Date du
relevé :

Fiche établie par : Code

Service : service :
Service de rattachement ou d'investigation : Cliché n° :

M
A
I
N
D
R
O
I
T
E

M
A
I
N
G
A
U
C
H
infiltrée

* DOCUMENT FICTIF
 103
livre noir n°3
UN DJIHADISTE
AU CŒUR DE PARIS
J’ai enquêté pour Livre Noir sur le
cas
d’Aziz Bouhafsi, l’un des individus Chaque matin, tel un rituel, je l’observe
fichés S pour islamisme qui ont été quitter son immeuble et s’engager sur la
récemment libérés de prison. On le route menant au commissariat du XXe ar-
re-
trouve vivant quotidiennement à Par rondissement. À son habitude, d’un pas pres-
is,
alors que dans le même temps, des sé, il longe l’avenue Gambetta et scrute son
in-
formations extrêmement sensibles environnement avec une vigilance instinc-
que tive comme pour s’assurer que personne ne
nous avons pu consulter laissent pen
ser le suit. Cette prudence n'est pas sans rai-
que cet individu représente toujou
rs son, car le Franco-Algérien que je prends en
une menace terroriste pour la Fra
nce. filature doit se soumettre à un pointage au
commissariat.
par jules laurans Ce matin-là, une scène ordinaire se déroule
photos pierre christen
sous mes yeux. Aziz Bouhafsi s’adresse à des
passants, leur posant des questions sur le
passage du bus 61 à l’arrêt Martin Nadaud
afin d’emmener sa mère se faire soigner à l’hôpital. Poliment, ils lui indiquent le
chemin, sans méfiance ni hésitation. Ils voient en lui un simple citoyen, peut-être
un peu perdu, ignorant la direction à prendre pour rejoindre la gare de Lyon.

Le contraste entre l'homme que je connais par les dossiers et celui que les pas-
sants découvrent est frappant. Que se passerait-il si la vérité leur était révélée
? Si ces gens ordinaires apprenaient que l'homme qu'ils sont en train d’aiguiller
est Aziz Bouhafsi, un individu fiché S pour ses liens avec l'islamisme, et que cet
homme, condamné en 2018 à six ans de prison ferme pour « participation à une asso-
ciation de malfaiteurs dans le but de préparer un acte de terrorisme » vient tout
juste de recouvrer la liberté, le 9 décembre dernier ?

.
DES MENACES D’ATTENTAT que représente la libération d’Aziz Bouhafsi pour la
société française.
avant sa libération
Voici donc des notes retranscrivant les propos expri-
de ­prison més par Aziz Bouhafsi en prison avant sa libération.

Parallèlement, nous avons réussi à recueillir des in-

formations démontrant l’extrême dangerosité de lais-
ser se promener Aziz Bouhafsi dans les rues de Paris. EXTRAITS DU DOCUMENT
Ces informations que nous livrons en exclusivité pro-
viennent d’un document que nous avons pu consulter
et qui contient notamment des déclarations qu’Aziz
Bouhafsi a tenues en prison juste avant sa libération. • À un surveillant pénitentiaire, il affirme : « Vous savez
Elles sont la preuve que les ministères de l’Intérieur et moi demain je fais un attentat sur Paris, je vous regarde
infiltrée

de la Justice ont une parfaite connaissance du danger et je vous parle, je m’habille bien, petite ceinture explo-
sifs tout ça, je vous dis « bonjour madame ça va ? » et
je fais tout péter. » ;
 • Lors d'une conversation avec sa psychologue en prison,
104
il prédit : « Je vois un avenir sombre pour la France, le
feu va s’abattre sur vous » ;
livre noir n°3
• À sa psychologue, il confie : « Moi qui ai croisé des caïds
et des caïds en détention, je peux vous dire que les
gens sont en train de se former et Nice, Charlie Hebdo
n’est rien face à ce qui va arriver » ;
• Il signe « le djihadiste » à une lettre adressée à sa
psychologue ;
• A sa fille il demande dans une lettre qu’elle se prosti-
tue auprès d'un trafiquant pour acquérir un fusil d'assaut
de type Kalachnikov, de consommer de la cocaïne pour se
motiver, et de tuer le dealer à sa libération.
Tout au long de son incarcération, les pro-
pos que tient Aziz Bouhafsi témoignent
de sa dangerosité accrue. Des éléments, is-
sus des documents sensibles que nous avons
examinés, sont particulièrement préoccupants,
notamment en ce qui concerne le profil psycho-
logique de cet individu remis en liberté en plein
Paris. Si Aziz Bouhafsi passe à l’acte, conformément
à ses menaces, quid de la responsabilité de l'État, qui
aura fait choix de le relâcher tout en sachant qu'il re-
présente une bombe à retardement pour la sécurité
.
des Français ?
UNE FAMILLE imprégnée
de djihad international
Mais cela n’est pas tout. Je me questionne : comment
un individu aux multiples condamnations et ayant été
arrêté pour complicité de préparation d’un acte de ter-
rorisme a pu ressortir au bout de seulement six ans ?
Il fallait pour comprendre que je retourne dans le pas-
sé de Bouhafsi. Après quelques coups de téléphone,
mes investigations m'ont conduit à examiner son
procès en 2016. On y retrouve des témoignages-clefs
comme celui de son épouse qui a porté plainte contre
lui pour violence le 18 décembre 2015.
infiltrée
La jeune femme révéle l’appartenance d’Aziz Bouhafsi
à une famille fortement impliquée dans le djihad in-
ternational. Son grand frère, Nasser, est un islamiste
reconnu coupable d'avoir rejoint la Syrie pour faire le
djihad en 2014, et dont la sortie de prison est égale-
ment prévue dans les prochaines années. Jamil, le ca-
det de la fratrie, a également rejoint un groupe terro-
riste en Irak de 2003 à 2005.
L’épouse décrit un processus de radicalisation qui,
pour Aziz Bouhafsi, débute en 2012 au moment de
l'affaire Mohammed Merah : à cette époque, il est
un délinquant multirécidiviste condamné à douze
reprises, une personne réputée violente et profondé-
ment fascinée par le djihad. Mais c’est en 2014 que tout
prend forme, lorsqu’Aziz apporte un soutien moral,
matériel, et financier à son frère Nasser, facilitant son
départ vers le djihad armé syro-irakien au sein d'un
groupe lié à Jabhat al-Nostra (groupe rebelle affilié à
Al-Qaïda).
Les données extraites d’un ordinateur confisqué ré-
vèlent en effet des informations essentielles à propos
du départ de Nasser Bouhafsi pour la Turquie, financé
par Aziz. Ce dernier a utilisé la carte ban-
caire de son ex-épouse
pour acheter le
billet d'avion et
­accompagné Nasser
jusqu’à l'aéroport de
Charleroi.
Par la suite, des
conversations entre
les frères datant du
21 mars et du 27 sep-

tembre 2014, trouvées elles aussi dans l'ordinateur,
démontrent la connaissance de l’activité djihadiste de
Nasser par son frère Aziz. Les messages échangés in-
cluent des déclarations telles que :
105
livre noir n°3
rier à un djihadiste, et qu’il proférait des menaces ter-
rifiantes, allant jusqu'à déclarer qu'il décapiterait son
épouse tout en proclamant : « Je m’en fous des flics, je
vais les mitrailler ! »

Sa radicalisation va s’accroître avec le temps. Il ira

Je me suis préparé pour demain mais jusqu'à exprimer son regret de ne pas avoir
ils ne m'ont pas pris. « trouvé des copains
11:32 comme ça » lors des
attentats de Char-
On a été au combat lie Hebdo, tout en
18:21 planifiant d'em-
mener ses enfants
en Algérie, puis en
Notre surveillance a été bombardée
Syrie, dans le but
21:15 de rejoindre l'État
islamique.

C’est au cours de cette période qu’Aziz transfère 3 650 En 2015, à son

euros à Nasser pour soutenir son combat djihadiste. retour de Syrie,
Nasser ne sera
pas directement
arrêté pour son
Montant : + 3650 € activité djiha-
Réf : diste mais pour
Compte débiteur : des faits anté-
Kalachnikov
Compte créditeur : rieurs à ses acti-
vités terroristes.
Il passera donc quelque temps en prison entre no-
vembre 2015 et février 2016 avant de tranquillement
Mais l'histoire d’Aziz ne s'arrête pas là. Au-delà de repartir en Algérie. Ce n’est qu’à son retour en France,
son engagement dans le djihadisme, il exerce une in- en mai 2016, que Nasser et son frère Aziz seront arrê-
fluence coercitive au sein de son foyer. Il contraint sa tés pour leurs activités djihadistes. Jamil Bouhafsi, le
femme et ses filles, dès l'âge de sept ans, à adopter le petit frère, passera, lui, sous les radars de la justice,
djilbab (vêtement islamique couvrant tout le corps) bien que la prescription pour son activité de terro-
et les soumet au visionnage de vidéos d'exécutions riste en 2003 n’ait pas encore été atteinte.
ou d'immolations diffusées par Daech qu'il conserve
sur une clef USB. Selon un témoignage, la projection
de ces contenus de propagande djihadiste attisait en
lui une fureur le menant à exhiber ses armes. Sa fille
révèle également que son père envisageait de la ma-
infiltrée

* DOCUMENT FICTIF
106
livre noir n°3
PROSÉLYTISME
et manipulation .
Depuis le début de cette enquête, ce qui m’in-
quiète c’est le profil psychologique d’Aziz. Un
profil de manipulateur. Doté d’un bon niveau
culturel, il est capable de cacher des informa-
tions. Ainsi, il se rase et fume, afin de paraître
normal. Mais sous sa maîtrise de la taqiyya, il
n’en reste pas moins un délinquant aux multiples
condamnations pour vol et violence, capable de
dévisser à n’importe quel moment.
Aujourd’hui, il tente de se réinsérer parmi nous. Il
loge dans le XXe arrondissement dans un secteur à
proximité de six écoles, deux églises et une synagogue.
Nous savons qu’il a fait une demande à Pôle Emploi et
à la CAF afin obtenir des aides et qu’il voit régulière-
ment sa mère avec qui il garde des liens forts.
Dans les dossiers relatifs à Aziz, je retrouve des in-
formations sur ses efforts d'endoctrinement, en par-
ticulier lors de dîners qu'il organisait. Un témoin es-
sentiel, M. Tourni, explique lors du procès qu’Aziz le
poussait à le rejoindre pour combattre en Syrie et pro-
fitait de ces occasions pour montrer des films produits
par l'État islamique. Nous apprenons ainsi qu’Aziz lui
mettait la pression pour récupérer une clef USB conte-
nant toutes ces vidéos d'exactions. Cette clef, remise
aux enquêteurs, a permis de confirmer que des sup-
ports numériques appartenant à Aziz contenaient de
très nombreux documents de propagande djihadiste,
ainsi que des tutoriels pour la fabrication d'armes bio-
logiques ou explosives artisanales.
infiltrée
* DOCUMENT FICTIF
SIMPLE POINTAGE
au commissariat .
La négligence des mesures de sécurité autour d’Aziz
Bouhafsi accentue le danger qu'il représente. En le sui-
vant au quotidien, je me suis rendu compte qu’il ne
devait se plier qu’à un simple contrôle judiciaire, qui
l’oblige à venir pointer une fois par jour au commis-
sariat à Paris.
Dans un récent papier du Figaro, nous apprenions
que le ministère de l’Intérieur révélait début décembre
avoir mis en place depuis 2017 pas moins de 787 « me-
sures individuelles de contrôle administratif et de sur-
veillance » (MICAS). Ces mesures permettent aux au-
torités de surveiller et de restreindre les mouvements
de personnes considérées comme menace potentielle
et d’interdire le contact avec d’autres islamistes. Pour
les profils les plus dangereux, cela peut se matériali-
ser par l’imposition d’un pointage quotidien dans un
commissariat comme doit le faire Aziz Bouhafsi. Le
gros souci de ces mesures individuelles, c’est qu’elles ne
sont valables que pour une période d’un an.
Dans un contexte où Gérald Darmanin souligne que
« la menace terroriste issue du milieu carcéral consti-
tue un immense défi, qui sera de plus en plus important
pour la sécurité nationale » et que « le nombre d’isla-
mistes condamnés est en augmentation et leur sortie
sera de plus en plus nombreuse », nous nous sommes
permis d’envoyer une lettre
au ministère de l’Intérieur
et au parquet national an-
titerroriste de Paris pour
avoir des explications.
 107
livre noir n°3
en
ains
d e s river is.
c ar
e ave de P
i é c hang ssement
afs rrondi
Bouh a
Aziz 20 ème
ple i n

ant le bouclage
Quelques heures av ons que les
pren
du magazine nous ap nt Aziz Bou-
mesures qui obligeaie
commissariat
hafsi à se rendre au décidons ce
ont été levées. Nous urnaliste
un jo
même jour d’envoyer
et venues de
surveiller les allées
de tuer dans
celui qui promettait il croisera
e,
la capitale. Sur plac
ch ez lui avec une
Aziz rentrant
son visage.
cagoule pour cacher
ions reçu la
Ce même jour, nous av au paquet
re
réponse à notre lett te de Paris.
national antiterro ris
l antiterro-
« Le parquet nationa la mise en
é
riste n’a pas autoris uhafsi ».
ns ie ur Bo
liberté de Mo
ér é par un juge
Aziz a donc été lib Parquet.
en dépit de l’avis du

infiltrée
 ____________
____________________
108

LIVRE NOIR
ARTEFAKT
Publication éditée par
livre noir n°3

48 rue de Montreuil,
75011 PARIS
CPPAP : 1128 D 95211
t@__
contac__ __dit
__kte
artefa __s.fr
__ion ________
____________
Gérald DARMANIN,
A l’attente de Monsieur
et des Outre-mer,
Ministre de l’Intérieur
11 place Beauvau,
75008 Paris Cedex 08.

A Paris, le 5 mars 2023

amism e
erna nt le su ivi d’ un individu fiché S pour isl
nc
Objet : De mande d’information co

Monsieur le ministre,
uhafsi,
de Li vr e No ir, a réa lis é une enquête sur Aziz Bo
du pôle enquête -ci
Jules Laurans, journaliste a réc em me nt été lib éré de prison. En effet, celui
e qu i s en vue de la
en fiché S pour islamism sociation de malfaiteur
ressortissant franco-algéri pa rti cip ati on à un e as
six années pour « tion en 2018.
purgeait une peine de me » à la suite de son incarcéra
acte de ter ro ris
préparation d’un ter une fois par
a pe u de tem ps , av ec un e obligation de se présen contrôle
libéré il y « mesure individuelle de
Monsieur Bouhafsi a été da ns le ca dr e d’ un e
20ème arrondissement
jour au commissariat du
illance » (MICAS).
administratif et de surve stante à
Bo uh afs i fai sa it éta t d’une allégeance persi
a révélé que M . uée
Pourtant, notre enquête ab le qu e ce tte rad ica lis ation ne se soit pas attén
prob les déclarations
de sa détention, et il est confidentiel qui retrace
l’islamisme radical lors ac cè s à un do cu me nt
us avons en effet eu
depuis sa libération. No sa dé ten tion peu de temps avant
sa libération.
uh afs i lor s de
tenues par M. Bo
ce document :
Voici quelques extraits de vous
sa ve z mo i de ma in je fai s un attentat sur Paris, je
us bonjour madame
entiaire, il affirme : « Vo sifs tout ça, je vous dis «
- À un surveillant pénit n, pe tit e ce int ur e ex plo
m’habille bie
regarde et je vous parle, je ur la
ça va ? » et je fais tout pé
ter. » ;
pr iso n, il pr éd it : « Je vois un avenir sombre po
en
on avec sa psychologue
- Lors d'une conversati vous dire
e sur vous » ; ïds en détention, je peux
France, le feu va s’abattr isé de s ca ïds et de s ca
confie : « Moi qui ai cro i va arriver » ;
- À sa psychologue, il me r et Ni ce , Ch arl ie He bdo n’est rien face à ce qu
de se for
que les gens sont en train ychologue ;
ne « le dji ha dis te » à une lettre adressée à sa ps au pr ès d'u n trafiquant pour acquéri
r un fusil
- Il sig se pr os tit ue r à sa
e dans une lettre qu’elle tiver, et de tuer le deale
- A sa fille il demand la co ca ïne po ur se mo
ikov, de consommer de
d'assaut de type Kalachn
libération. me,
de fas cination envers le djihadis
infiltrée

erç ait un e pr of on
tion, M. Bouhafsi ex d’exécution et
Pour rappel, avant sa déten ett an t sa fem me et ses filles au visionnage
entourage, soum
comme le relève son
 d’immolations perpétuées par
Daesh. M. Bouhafsi avait éga
son frère Nasser à se rendre sur lement aidé financièrement et

109
la zone syro-irakienne au sein matériellement
d’un groupe djihadiste lié à Jab
hat al-Nostra.
Notre enquête a de plus déterm

livre noir n°3

iné que la surveillance dont bén
à son état de dangerosité corrob éficiait M. Bouhafsi n’était pas
oré par les agissements et les adaptée
en effet, à l’exclusion de son déclarations récentes de l’intér
obligation de se présenter un essé. A ce jour
arrondissement, M. Bouhafsi e fois par jour au commissa
est libre de ses mouvements riat du 20ème
pouvant excéder douze mois le reste du temps. Or, la durée
(loi du 30 juillet 2021), la rem d’u ne MICAS ne
pose à l’évidence d’impérieus ise en liberté d’un individu ave
es problématiques d’ordre pu c un tel profil
se renouvelle et s’accentue », blic, dans « un contexte de me
selon les déclarations du procur nace terroriste qui
au Figaro le 8 mars dernier. eur antiterroriste dans une int
erview donnée
Par ailleurs, nous avons eu réc
emment un exemple d’un ind
sa détention pour islamisme ividu radicalisé étant passé à
radical. Ce fut le cas notam l’acte après
Rajabpour-Miyandoab, qui a ment du ressortissant Franco
tué à Paris un touriste germano -Iranien Armand
autres personnes à l’aide d’un -philippin à coups de couteau
marteau le 2 décembre dernie et a blessé deux
r.
L’article relatif à cette enquêt
e paraîtra dans le prochain nu
Afin de compléter notre méro de notre magazine le 10
investigation, nous souha avril prochain.
d’informations relatif au tra iterions vous demander
itement de M. Bouhafsi par un complément
vos services sur ces 5 points
suivants :
1. Quelles mesures sont pré
vues par vos services à l’issue
Bouhafsi ? Quelles garanties de l’expiration de la MICAS
avez-vous que l’intéressé ne assignée à M.
du cas Armand Rajabpour-Mi dissimule pas sa radicalisatio
yandoab ? n à l’instar
2. Dans une note adressée aux
préfets, vous avez demandé la
autour des écoles et lieu de cul mise en place d’une vigilance
te jui fs en Fra nce . La rés renforcée
à Paris 20ème, à 650 mètres de idence d’Aziz Bouhafsi, située
la synagogue « DorVador », 7 rue soleillet
ce lieu de culte ? est-elle compatible avec la séc
urité de
3. Aziz Bouhafsi a-t-il encore
des contacts avec son frère Na
faire le djihad en Syrie ? Si ou sser Bouhafsi, en détention po
i, comment vous assurez vous ur être allé
pour commettre un attentat ? que Nasser n’influence pas son
frère
4. Pourquoi la déchéance de
nationalité n’a pas été prévue
français et algérien, alors que à l’encontre de M. Bouahfzi,
Unzile Nur Sert, ressortissant ressortissant
en 2017 à une peine de cinq ans e Franco-Turque ayant été con
d'emprisonnement pour associ damnée
une entreprise terroriste, a éco ation de malfaiteurs en relation
pé d’une telle déchéance en ma avec
5. Enfin, à la lumière des pro i 2023 ?
pos tenus par l’intéressé lors
dans la présente lettre, qui lai de sa détention que nous avo
ssent apparaître avec certitude ns rapporté
n’était-il pas envisageable de une radicalisation toujours pré
prolonger sa détention ? sente,
En considération du bouclage
de notre magazine à la fin du
parvenir vos réponses avant mois de mars, pourriez-vous
le vendredi 22 mars prochain nous faire
traiter. , afin que nous soyons en me
sure de les
Nous nous tenons à la dispositi
on de vos services pour échang
er à propos de notre
demande. Je vous prie d’agré
er, Mo nsieur le ministre, l’expressio
n de ma haute
considération.
ERIK TEGNER
infiltrée

DIRECTEUR DE LA REDA
CTION DE
LIVRE NOIR
infiltrée livre noir n°3 110
LES

111
ROUTES SECRÈTES

livre noir n°3

DES PASSEURS
DU SAHARA AUX CANARIES
En 2023, 40 000 migrants ont atteints l'Europe par les
Canaries soit une augmentation de 180 % en un an. Nous
avons remonté cette route, du port de La Restinga aux plages
de Saint-Louis en passant par le désert mauritanien. Avec
une rencontre inédite avec un passeur.
par erik tegnér
photos erik tegnér / Pierre-rené lavier

infiltrée
ÎLES CAN
112
livre noir n°3
infiltrée

Chaque jour, des pirogues remplies

de migrants se succèdent au port de
la Restinga. Six jours les séparent des
côtes africaines.
NARIES
1
ÎLES CANARIES
I
LE NOUVEAU LAMPEDUSA
par erik tegnér
photos Pierre-rené lavier
l est deux heures du matin. Depuis le
port de La Restinga, sur la petite île
d’El Hierro aux Canaries, nous aper-
cevons au large des côtes un navire
de sauvetage dans la nuit noire. C’est
l’agitation sur les quais qui s’ap-
prêtent à le recevoir : les voitures des
membres de la Croix Rouge qui ont
été réveillés en pleine nuit arrivent au
compte-goutte. Près d’une vingtaine de volontaires,
médecins et agents de sécurité préparent l’arrivée du
navire, allument les lumières dans les grandes tentes
blanches tandis qu’un léger dispositif de sécurité est
installé tout autour. Je suis monté près du phare pour
mieux suivre cette arrivée tant attendue.
Derrière ce navire orange de l’État espagnol, je dé-
cèle peu à peu une grande pirogue chargée d’hommes.
À côté, un Zodiac de la guardia civil surveille la
113
livre noir n°3
manœuvre de remorquage. Ce sont plus de 70 mi-
grants qui vont bientôt atteindre leur but : les côtes
européennes. Enfin entrés dans la nasse du port de
la Restinga, je peux voir qu’à peine sur le quai, ils
ont déjà reçu chacun un K-way vert pour leur tenir
chaud. Hagards, ils suivent à la lettre les consignes des
garde-côtes et des sauveteurs, qui les débarquent et les
confient à la Croix Rouge. Un à un, ils seront conduits
vers une grande tente blanche. C’est ici qu’ils vont
être pris en charge durant une heure avec deux objec-
tifs : l’enregistrement de leur identité et la détection
d’éventuelles maladies.
Je suis seul avec mon caméraman pour suivre cette
infiltrée
arrivée. Aucun journaliste en vue. Il faut dire que c’est
devenu habituel ici : en trois jours, nous pourrons voir
114
livre noir n°3
débarquer plus de 750 migrants rien que sur le port de
cette petite île des Canaries.
Si j’ai voulu venir ici en ce début du mois de janvier,
c’est qu’un chiffre m’a alerté : depuis septembre, les
arrivées de migrants y ont progressé de 180 %. Cette
voie migratoire est presque totalement inconnue : on
a l’habitude de se focaliser sur la Méditerranée ou la
Grèce. Pourtant, ce chiffre me paraît inquiétant, et
plus encore l’absence de couverture médiatique, d’au-
tant qu’il n’est pas aisé de se rendre à ce petit port
des Canaries : près de dix-huit heures de trajet pour
atteindre El Hierro, la plus petite île de l’archipel et la
plus éloignée. Avion, ferry, puis scooter pour parvenir
au port de La Restinga, un village de 500 habitants qui
voit passer autant de migrants en un seul week-end.
De fait, rares sont ceux qui savent que 40 000 migrants
sont arrivés en 2023 par le petit archipel espagnol.
Après avoir arpenté quelque temps le port de La Res-
tinga, je comprends comment tout cela fonctionne.
Tout commence par un navire de la guardia civil au
large des côtes équipé de radars afin de détecter les
embarcations à la dérive. Dès que l’une d’entre elles
infiltrée
est repérée, ordre est envoyé aux sauveteurs de partir à
leur recherche afin de les récupérer. L’opération dure
Deux jours après leur arrivée, les
clandestins sont transférés sur l’île de
Ténérife afin de rejoindre un centre
d'accueil, où ils y séjourneront 14 jours.
Ensuite, l'île étant saturée, ils sont
transférés à Malaga sur le continent.
entre trente minutes et trois heures. En règle générale,
les pirogues arrivent de nuit ou tôt le matin. Une fois
au port, les migrants sont pris en charge par la Croix
Rouge composée pour bonne partie des bénévoles,
et les autorités profitent de ce temps pour récolter
l’identité des migrants. De fait, la mécanique est si
bien huilée, si prévisible que nous passons quelques
heures chaque jour installés au bar qui donne sur le
port à attendre l’alerte des garde-côtes ! Ce n’est qu’à
l’arrivée du bateau de sauveteurs à l’horizon que nous
nous levons pour nous approcher de l’embarcadère.
J’ai connu enquête plus éprouvante !
Ce qui nous marque tout de suite, c’est l’excellente
synergie entre les garde-côtes, les sauveteurs, la
Croix Rouge, les bus et les centres d’accueil. La po-
pulation n’a presque aucun contact avec les migrants.
Nous sommes loin du capharnaüm de Lampedusa
que j’avais constaté en pleine crise migratoire en sep-
tembre dernier. Ici, pas de « contrôle » des frontières :
hors de question de repousser ces pirogues qui, si elles
ne sont pas prises en charge, risquent de dériver dans

l’Atlantique. Les moyens considérables mis en place
ne le sont que dans l’unique but « d’enregistrer » et de
« gérer le flux d’arrivées ». Au milieu de cette grande
majorité d’hommes qui arrivent dans ces pirogues,
nous trouvons quelques femmes et même de jeunes
enfants. Ils ont voyagé plusieurs jours, voire une se-
maine pour certains.
Je profite des arrivées de migrants sur le port pour
passer sur CNews : en duplex chez Sonia Mabrouk
ou Olivier de Keranflech, je profite du micro qu’ils
m’accordent pour leur montrer, comme je l’avais fait
à Lampedusa, toute cette industrie d’accueil et d’enre-
gistrement migratoire en direct. À ceux qui doutent, je
réponds que nos images parlent d’elles-mêmes.
Ici, nous n’avons croisé aucun agent de Frontex,
malgré la poussée migratoire. Un seul membre de la
« police des frontières de l’Europe » serait sur place :
l’observateur des droits de l’homme, agent ayant pour
mission non le contrôle des frontières, mais la véri-
fication que les droits fondamentaux des migrants
soient respectés par les autorités.
115
livre noir n°3
Marqué par ce constat au port de la Restinga, un sen-
timent m’anime : une frontière européenne qui n’a
aucune réalité, et des politiques nationales laissées
aux mains des gouvernements africains qui jouent de
l’arme migratoire pour monnayer leur aide, et ce sans
pour autant assurer aucun résultat tangible. Un garde-
côte nous résumera la situation : « Ça n’intéresse pas
la Mauritanie, ni le Sénégal, ni le Maroc de régler ce
.
problème, car c’est une arme politique, et de l’argent.
La situation leur convient très bien. »
POURSUITE À TRAVERS LES
CANARIES
Au cours d’une intervention de nuit, la guardia civil
récupère un esquif portant près de 150 migrants. Bien-
tôt, ils embarquent dans un bus. Il est presque minuit.
Nous décidons de le suivre pour comprendre la ma-
nière dont ils sont traités par les autorités sur place.
À trente minutes de La Restinga, nous découvrons
infiltrée
un camp monté de toutes pièces par les autorités lo-
cales, caché derrière une étable, à quelques dizaines
116
de mètres de la route principale. Seule une personne
avertie pourrait le localiser. Les migrants vont passer
livre noir n°3
48 heures dans ce camp pour se reposer, être habillés
et nourris. Ils seront par la suite conduits au port pour
être transférés sur la principale île des Canaries. Et
c’est ici que l’invraisemblable nous est apparu.
Avant d’embarquer sur le ferry du port de la Restaca
qui nous conduira à Ténérife, nous faisons un détour
par un centre d’accueil pour migrants en suivant un
bus qui les affrète. Nous souhaitons en effet échan-
ger avec eux avant notre départ, ce qui nous est sys-
tématiquement refusé. Nous nous approchons pour
échanger avec eux. Mais soudain, une des bénévoles
présente à leur côté nous hurle dessus en nous interdi-
sant de filmer : « Ce sont des mineurs, vous n’avez pas
l’autorisation de filmer ! »
C’est alors qu’une douzaine de jeunes femmes s’at-
troupent derrière nous en nous insultant, et nous
demandant de manière très insistante de voir notre
caméra afin que nous leur assurions avoir supprimé
les images des migrants. Des coups sont assénés sur
mon casque et mes jambes. Elles tentent également
d’arracher notre caméra. La police finira par interve-
îles-canaries
nir et calmer la situation. Nous irons déposer plainte
contre eux.
infiltrée
Ces bénévoles font partie de l’association « Quorum
social 77 », une association locale d’aide aux mi-
grants, mineurs et familles, une sorte d’Utopia 56 es-
pagnole, financée en partie par le gouvernement des
Canaries. Mais bien plus qu’une simple d’association
d’assistance aux migrants, nous découvrirons par la
suite quel rôle important elle joue réellement.
Alors que nous embarquons dans le ferry, nous tom-
bons nez à nez avec 180 migrants. Alignés, vêtus à
l’identique, et encadrés par des agents de sécurité,
ils sont montés discrètement dans le bateau. Nous
sommes identifiés par l’équipage et par un membre
de la guardia civil qui a été prévenu par… les mêmes
jeunes femmes bénévoles de l’association Quorum
.
social 77. Nous découvrons que ce sont elles qui ont
la charge de s’occuper du transfert de ces migrants de
cette île à la prochaine.
REVENIR À LA SOURCE
Une fois le trajet terminé, en compagnie de ces jeunes
Africains accrochés à leur téléphone et leurs écou-
teurs, qui témoignent de leur joie d’arriver à desti-
nation – de nombreuses vidéos sur le réseau social
TikTok prises par ces mêmes migrants circulent sur
les réseaux – ils sont débarqués au port où de nou-
L’UE et l’Espagne ont délégué à
la Croix-Rouge une grande partie
de leurs prérogatives en matière
de migration. C’est notamment
eux qui prennent en charge les
migrants dès leur arrivée sur le
territoire européen.

veaux bus les attendent. À nouveau, nous décidons de
les prendre en photo, malgré l’interdiction de filmer
en zone portuaire, et de suivre ce bus. À notre étonne-
ment, pas un policier à l’horizon. Qui donc les prend
en charge ? L’une de nos agresseuses pro-migrants,
sans policier autour.
Notre enquête ne s’arrête pas là. Nous parvenons à
trouver le centre dans lequel les migrants ont été trans-
férés à leur arrivée à Ténérife. Il s’agit d’un centre plus
grand, pris en charge par la police locale. Pourtant,
pour en obtenir une image, l’affaire n’est pas simple :
je suis obligé de grimper sur le toit en tôle branlant
d’une maison abandonnée pour faire passer ma per-
cher par-dessus le mur du vieux camp militaire recon-
verti en centre de rétention.
Sur la route, nous croisons de nombreux Africains,
libres de se déplacer dans les restaurants et magasins
alentours. Nous avons enfin l’occasion de pouvoir in-
terviewer certains d’entre eux, qui nous racontent leur
voyage.
Selina et Cherna viennent tous deux du Mali. Ils sont
partis de Mauritanie, à Nouadhibou. Quatre jours de
trajet en pirogue avec une arrivée à El Hierro il y a 13
jours. « Nous, on n’a pas payé. Gratuitement. Nous, il
n’y a pas d’argent. » Ils étaient 150 dans la pirogue.
« On recherche du travail, car on ne gagne pas assez
Une des militantes de
l’association « Quorum
social 77 » nous interpelle
pour nous empêcher
d’échanger avec des mi-
grants avant leur transfert
sur l’île de Ténérife.
117
au Mali, même s’il y a du travail. On veut aller en
Europe pour ça. On restera dans le pays où on aura
livre noir n°3
du travail, en Espagne ou sinon en France. »
Plus loin, Phili et Moussa acceptent également de
nous parler. Ils viennent aussi du Mali et ont entre 18
et 19 ans. « Nous sommes venus ici car notre pays,
ça va mal là-bas, c’est pour cela que nous sommes
venus. Nous avons pris un bateau pour venir ici, de-
puis Nouadhibou en Mauritanie. » Ont-ils dû payer ?
« Non c’était gratuit. On réclame seulement, on n’a
pas à payer. » Eux étaient cinquante dans le bateau
pour une traversée de six jours. Ils espèrent aussi aller
à Malaga en Espagne, « pour travailler ». « Ici, tout
le monde s’occupe bien de nous. Il y a beaucoup de
Maliens. Personne ne paye. »
Personne ne paye, comment cela est-il possible ?
Comment ces migrants sont-ils venus de Mauritanie,
du Mali, du Sénégal ou de Guinée ? Sont-ils riches,
pauvres, acclimatés de loin à l’Occident qui les ac-
cueille ? Qui sont ceux qui se chargent de la traversée,
ces fameux passeurs ? Je ne tiens pas en place avec
toutes ces questions, et nous prenons une décision ma-
îles-canaries
jeure : il faut remonter la route migratoire et retourner
à sa source. Demain, nous partons en Mauritanie, à
Nouadhibou.
Photo volée qui illlustre
l'entrée de 180 migrants
dans le ferry, organisée de
façon industrielle.
infiltrée
NOUADHI
118
livre noir n°3

ÎLES CANARIES
[ ESPAGNE ]

TAL,
SAHARA OCCIDOEN
NOUADHIB U
[ MAURITANIE ]

SAINT-LOUIS
[ SÉNEGAL ]

À quelques kilomètres de Nouadhibou, les

dunes de sable à perte de vue nous rappellent
l’hostilité de cette partie du territoire mau-
infiltrée

ritanien, à la frontière du Sahara Occidental

disputé par le Maroc.
IBOU 2

119
livre noir n°3
NOUADHIBOU
OASIS MIGRATOIRE

N
par erik tegnér & pierre-rené lavier
photos Erik Tegnér & Pierre-rené lavier

ous retrouvons Pierre

Martinet à l’aéroport
de Nouakchott. Il est
une heure du matin,
les visas mauritaniens
sont réalisés sur place.
Motif de votre séjour ?
« Tourisme, nous al-

nouadhibou
lons visiter le désert
de l’Adrar. »

Nous avons proposé à Pierre de nous accompagner

pour sécuriser notre déplacement. Ancien otage en
Libye en 2011, fin connaisseur de l’Afrique, son ex-
périence et ses compétences nous ont été d’une aide
précieuse. Car la Mauritanie n’est pas un pays sans
danger, la partie nord-est du pays vers laquelle nous
nous rendons est classée rouge par le Quai d’Orsay :
Boko Haram y est toujours présent, notamment à la
frontière malienne. Il faut donc rester vigilant, en plus
de ne pas se faire remarquer par les forces de l’ordre
locales dans cet État policier intransigeant.

Ici, dans cette République islamique, peu de chances

pour nous d’obtenir un visa presse, d’autant plus si les
autorités ont connaissance du thème de notre enquête.
C’est la raison pour laquelle nous allons tout le long de
séjour faire profil bas, et tenir notre légende de « tou-
ristes français », sans même informer notre chauffeur
de la réalité de notre voyage. Il faut donc veiller à ce
que nous disons, y compris en voiture.

Mohammed, 62 ans, est notre guide : sans lui, diffi-

infiltrée

cile de traverser ce pays de six millions d’habitants

du sud au nord, sans avoir de problèmes. Une seule
120
livre noir n°3

Mohammed, notre guide, nous a été

d’une aide précieuse pour percer les
mystères de cette région méconnue.

grande route nous conduit vers Nouadhibou, pour un

voyage de sept heures à travers le sable, des morceaux
nouadhibou

de déserts, des coins inhabités et pauvres. Dans son

pick-up Toyota blanc, nous devons passer toutes les 30
minutes les checkpoints des douanes mauritaniennes :
ici, les « bakchichs », en d’autres termes ce qu’il faut
payer aux policiers, sont un passage obligé. Heureuse-
ment, Mohammed est habitué à cette traversée et nous
jouons parfaitement notre rôle de touristes fascinés
par ce pays pourtant classé parmi les dix les moins
touristiques au monde.
Il est 18 heures lorsque la ville de Nouadhibou appa-
raît au loin, derrière une dune désertique et nichée au
bord du Sahara occidental disputé par le Maroc. Dès
notre arrivée, nous nous dirigeons vers le port, lieu
stratégique dans ce pays de pêcheurs. L’enquête peut
débuter avec une question centrale : comment font les
migrants pour partir d’ici alors que l’Europe paye la
Mauritanie pour empêcher les départs ? Et qui sont ces
passeurs qui permettent toutes ces traversées, notam-
ment celles gratuites dont nous avons entendu parler
à El Hierro ?
Nous arrivons au port autonome de Nouadhibou, au
coucher du soleil. Au loin, les pirogues de pêcheurs se
battent avec les imposants bateaux industriels entou-
infiltrée
dont fonctionne l’émigration de centaines de clandes-
tins chaque jour. Il nous désigne une partie du port où
sont entassées des centaines de barques, de toutes les
couleurs : « On peut mettre 200, parfois 250 personnes
ou même 300 personnes sur ce bateau, mais ils peuvent
aussi partir à 30 ou 35 et ils se font ainsi passer pour
des pêcheurs ». Le dispositif est bien huilé. Lors du dé-
part à la pêche, pour trois à quatre jours pour certains
d’entre eux, les migrants montent sur les pirogues par
petites dizaines pour ne pas se faire remarquer par la
police. Une fois le large atteint, ils se regroupent au
sein d’une même péniche, pilotée par un passeur, di-
rection les îles Canaries.
À notre hôtel, nous échangeons avec le gérant. Au fil
de notre discussion, nous lui disons notre étonnement

rés d’une perpétuelle fumée noire. Nous rencontrons de découvrir que Nouadhibou était un lieu important
Ali, gérant de cette zone, qui se confie sur la manière de départ de milliers de migrants chaque mois. Plein
 Pierre Martinet, pensif, retrouve
en Mauritanie les paysages de ses
premières missions en Afrique
avec l’armée française. Sur cette
route, de nombreux Maliens

121
passent chaque jour via le désert
pour rejoindre Nouadhibou.

livre noir n°3

lors de sa visite dans le pays le 8 février. Elle avait d’ail-
leurs défendu avec force « l’engagement remarquable

nouadhibou
[du gouvernement mauritanien], à sauver la vie de
migrants qui prennent la route de l'Atlantique – une
des plus dangereuses au monde ». Cruelle ironie. Mais
alors, à quoi servent ces centaines de millions d’argent
public concrètement ? Pour le savoir, nous nous met-
tons en quête de membres de la guardia civil censés
officier sur la côte.

Interpellés par ces découvertes, nous demandons

de confiance, et visiblement très au fait de ces sujets, il
se livre longuement sur la situation inquiétante : « Les
flics attrapent les migrants, mais les laissent courir,
contre 10 000 ouguiyas [à peu près 250 euros]. Comme
sur un mois ils touchent 8 000 ouguiyas de salaire, ça re-
présente beaucoup pour eux. » La police mauritanienne
serait donc corrompue. Il faut dire que la traversée
coûte cher pour un migrant : 2 000 euros, soit 80 000
en monnaie locale. Les passeurs eux, mauritaniens et
sénégalais, seraient en bisbille avec les gardes-côtes, ce
que me confirmera plus tard un associatif qui aide les
migrants africains.
Nous apprenons également, selon une source au mi-
nistère des Affaires étrangères, que l’Union euro-
péenne consacre d’importants moyens à la Maurita-
à notre hôte où nous pourrions rencontrer ces poli-
ciers aux frontières. Il nous fait savoir qu’ils se rendent
chaque dimanche à l’une des deux églises que compte
le territoire mauritanien, au centre de Nouadhibou.
C’est là-bas que nous nous rendons. Après avoir visi-
té une école catholique au pied de ladite église, nous
rencontrons l’un des curés de la paroisse, jeune prêtre
sénégalais vivant à Nouadhibou depuis quelques an-
nées. Il nous apprend l’existence d’une antenne locale
de l’ONG catholique Caritas, gérée par quatre prêtres
de nationalités différentes : congolais, ghanéens, gabo-
nais et lui-même, sénégalais. « On aide les migrants car
c’est une zone de passage : ils font une escale ici depuis
Nouakchott pour continuer vers le Maroc ou les îles Ca-
naries ».
infiltrée

nie pour empêcher ces départs : plus de 210 millions, Au contact des migrants de façon quotidienne, le curé
comme l’a annoncé la présidente Ursula von der Leyen est habitué à rencontrer chaque jour de nombreuses
122
livre noir n°3
histoires aux trajectoires différentes. « Certains sont ici
pour travailler et collecter de l’argent pour pouvoir en-
suite partir. Il y a beaucoup de passeurs. C’est beaucoup
d’argent. Beaucoup veulent partir en France. 90 % de
nouadhibou
nos paroissiens sont des migrants. » Il abonde : « J’en ai
un qui a traversé et a été renvoyé, il est revenu et il est
reparti, et il va retenter une troisième fois. Ils sont très
prudents en général mais avec l’église et nous ils sont à
l’aise. ».
Le curé nous convie à la prochaine messe dominicale.
Nous nous y rendrons, dans le but d’échanger avec ces
migrants venus en Mauritanie pour gagner l’Europe.
Mais nous espérons secrètement rencontrer les agents
de la guardia civil espagnole, qui, selon le prêtre séné-
galais, se rendent régulièrement à l’office.
Le jour dit, plus d’une centaine de personnes sont pré-
sentes à l’église de Nouadhibou. Lectures des textes
sacrés en français et anglais, chants religieux, discours
solennels des trois curés, le prêche prend l’allure d’une
bouffée d’oxygène pour ces chrétiens astreints à une
pratique minimaliste de leur religion dans un pays is-
lamique. S’adressant aux migrants présents au nombre
à la messe, d’un ton solennel, le curé assène de nom-
breuses réprimandes à l’encontre de ceux qu’il consi-
dère ne pas respecter leur pays d’accueil : « Vous devez
respecter la loi de ce pays ! Il y a des devoirs et vous de-
vez les suivre. Nous sommes accueillis ici, il faut arrêter
infiltrée
de ne pas respecter l’autre ».
Parmi la centaine de personnes présentes à la messe,
nous distinguons deux hommes de peau blanche,
grands de taille, à la stature robuste, mais discrète.
Nous devinons que ce sont les membres de la guardia
civil que nous recherchions. À la fin du prêche, alors
que les fidèles se retrouvent pour échanger sous le
soleil de plomb de Nouadhibou, nous décidons d’al-
ler à leur rencontre. Étonnés de voir des Européens
présents dans cette ville peu touristique, le contact
est chaleureux, et très vite nous en venons à parler de
la situation migratoire sur les côtes mauritaniennes.
Presque soulagés de rencontrer des semblables euro-
péens, ils se confient sur la situation délétère qu’ils y
rencontrent : « C'est perdu, on ne peut rien faire. On
les arrête et on les ramène à la plage auprès de la police
mauritanienne. Ensuite on ne sait pas où ils vont. On
sait qu’il y a de la corruption, bien sûr ». Il continue :
« On sait que la police est très dure ici, quand ils veulent
arrêter les bateaux ils le font, et les peines sont très sé-
vères. Mais parfois ça passe, c’est comme ça ».
Quand nous leur faisons part de notre étonnement de
constater la présence de policiers européens en Mau-
ritanie, ils nous racontent leur désespoir devant une
situation qu’ils jugent désespérée : « Le mieux qu’on
puisse faire, c’est sauver des vies. Sinon, on peut arrê-
ter un bateau, choper un passeur, mais croyez-vous que
les mafieux derrière qui récupèrent des millions d’euros
vont arrêter ça ? » Nous les questionnons sur l’absence
des agents de Frontex pour réaliser une mission qui
leur incombe. En effet, qui mieux que la police aux

Port de pêche de Nouadhibou
frontières de l’Europe pourrait lutter contre l’im-
migration illégale vers l’Europe ? « Nous n’avons ja-
mais vu d’agents de Frontex ici. Nous sommes trente
et ce n’est pas assez pour lutter contre l’immigration
illégale , il y a beaucoup de bateaux qui partent de
Nouadhibou. Pour nous, c’est de la communication ».
Nous ressentons très vite le ras-le-bol de ces mili-
taires envoyés en opération extérieure dans un pays
qu’ils n’apprécient guère. « À mon avis, ça ne s’arrête-
ra jamais » Cette phrase est exactement celle qu’un
passeur de migrants me dira quatre jours plus tard à
Saint-Louis du Sénégal.
Trois jours après notre arrivée, nous souhaitons vi-
siter le quartier des migrants sénégalais. Une sorte
de bidonville où nous croisons quelques jeunes qui
jouent au football. Deux d’entre eux attirent notre
attention : c’est l’occasion de faire connaissance
et de les interroger sur leur présence ici. Mais très
vite, d’autres migrants viennent vers nous, et nous
sommes bientôt entourés d'une petite dizaine.
Notre présence semble avoir attiré l’attention : trois
hommes blancs ici, c’est très rare et nous décidons de
quitter cette zone où tous les regards nous scrutent.
Notre instinct ne nous a pas trompés : une voiture
de police se dirige vers nous et nous somme de nous
arrêter. « Vous êtes journalistes ? » C’est le début d’un
long stress. « Non, nous sommes des touristes ! – Mais
on nous a dit que vous posiez des questions sur les mi-
grants ? »
123
livre noir n°3
Devant une centaine de
fidèles, le curé prononce
un prêche vigoureux. Je comprends que la
Ici, chaque catholique
compte, dans un pays police mauritanienne
composé de 99 % de est parfaitement au
musulmans. courant de ce qui se
passe dans ces quar-
tiers de migrants. En quinze minutes, ils ont été in-
formés, sûrement par des indics. Après vingt minutes
d’échange et un contrôle d’identité en règle, ils nous
embarquent dans leur véhicule, direction le commis-
sariat. Cela me rappelle ce qu’il m’était déjà arrivé en
Tunisie, dans des conditions similaires. « Si vous êtes
journaliste, c’est grave : êtes-vous journaliste ? »
On sent le commissaire inquiet. Mohammed est ap-
pelé et vient nous sauver la mise en parlant de notre
voyage, en arguant que nous sommes des touristes.
Heureusement qu’il nous croit…Au bout de 45 mi-
nutes, nous sommes libérés. C’est décidé, on rentre
demain à Nouakchott, après avoir réalisé une sauve-
garde de toutes nos données. Sait-on jamais. Nous ne
pouvons plus poursuivre l’enquête ici, nous partons
pour le Sénégal où nous espérons trouver la réponse
infiltrée
à toutes nos interrogations.
infiltrée livre noir n°3 124

SAINT-LO
OUIS
Port de pêcheurs parmi les plus importants

125
du Sénégal, Saint-Louis est une cité embléma-
tique des côtés sénégalaises. À deux heures de
la frontière mauritanienne, l’ancien comptoir

livre noir n°3

colonial est devenu depuis quelques années un
point de passage pour les milliers de migrants
souhaitant rejoindre l’Europe.

Sur cette plage d'où partent des milliers de

migrants chaque année, nous parvenons à
rencontrer Abdoulaye, passeur de migrants
depuis 2006, la période de la fameuse «
crise des pirogues».

3
SAINT-LOUIS
PIRATE DES CANARIES

D
par erik tegnér
photos Pierre-rené lavier

es milliers de kilo-
mètres parcourus de-
puis les Canaries et à
travers le Sahara occi-
dental de Mauritanie,
et me voici désormais
à Saint-Louis, au Sé-
négal, point de départ
des migrants. Venir à
la source de l’immigration me paraît incontournable.
Nous avons traversé le sud de la Mauritanie en bus
collectif et franchi la frontière en pirogue, dans des
paysages à couper le souffle. Mais désormais, il me
manque une seule chose, que je n’ai encore jamais
pu obtenir lors de mes nombreux reportages à Lam-
pedusa, en Tunisie, Lesbos et dans les Balkans, sur
les routes des migrants : rencontrer un passeur. Après
tour d’un verre. Chose rare, puisque très peu de mé-
dias y parviennent, surtout à visage découvert. Nous
rencontrons d’abord Abdoulaye dans un café, quelque
peu inquiets de la réputation que traînent ces exploi-
tants de la misère plongés dans de véritables mafias
sénégalaises. Passeur de migrants depuis 2006, fiché
par les autorités espagnoles, un bonnet sur la tête, de
taille robuste et sans affects, il finira par accepter cet
interview, en nous témoignant hors caméra que oui,
« la police touche de l’argent des passeurs ». Il faut
monter avec Abdoulaye et son ami dans un taxi qui
nous mène au port de pêche. Nous avons prévenu nos
collègues au cas où. C’est ici, sur le sable d’une plage
du Sénégal, d’où partent précisément des centaines de
bateaux de migrants par an, que l’échange va débuter.
Visualiser tous ces points de départ et être à la source
est une opportunité unique. J’ai tenu à rapporter ici
infiltrée

plusieurs jours à échanger avec des habitants, nous notre entretien pour vous laisser seuls juges.
avons pu décrocher cette exclusivité, un soir, tard au-
126

abdoulaye
livre noir n°3

[passeur de migrants]

Est-ce que tu peux te présenter ?

Je m’appelle Abdoulaye. Je suis pêcheur, j’habite

au quartier sud. Je suis devenu passeur de migrants
par accident, en 2006. Les gens sont venus chez moi
et m’ont proposé de partir. J’étais pêcheur, donc je
connais bien le trajet.

Comment ce métier se passait ?

Les gens s’assoient au bord du

fleuve. Ils discutent entre eux et
ont des amis qui les font venir.
« Ici, tu es malade,
Puis ils s’organisent avec des gens tu dois payer l’hôpital.
comme moi. Avec le matériel, ils
saint-louis

fixent le prix à 400-500 000 francs EN FRANCE TU NE PAYES PAS.

CFA par personne. Quand on part,
on se fait passer pour des pêcheurs,
Il y a beaucoup
avec notre tenue. Par pirogue, on
est parfois 150 ou 200, parfois plus
D’ASSOCIATIONS QUI T’AIDENT. »
même. On va vers la Mauritanie
avec une escale, puis c’est Nouad-
hibou, le Maroc et les îles Canaries en Espagne.
C’est un métier dangereux. Il y a beaucoup de frais :
l’essence, la priorité, les machines. Et surtout le côté
mystique pour qu’on ne t’attrape pas : les ablutions,
les prières. Beaucoup de prières. Il faut deux capi-
taines dans le bateau. Je peux être arrêté par la police
à tout moment. Moi, on me reconnaît en Espagne. Je
suis fiché. Je ne peux plus aller là-bas.

Il y a beaucoup de passeurs ici ?

Oui, beaucoup. Mais avec la police maintenant, il y

en a moins.

Combien de bateaux partent et arrivent à

destination ?

Parfois si je sors avec quinze pirogues, huit arrivent et

infiltrée

les autres échouent. Il y a beaucoup de monde qui veut

partir, beaucoup de monde. La traversée dure parfois
 127
livre noir n°3

Abdoulaye est un passeur. Pêcheur de

profession, c’est l’appât du gain qui
l’a convaincu de rejoindre ce marché
infiltrée

juteux mais dangereux. Abdoulaye

n’est néanmoins que le premier maillon
d’une chaîne bien plus importante.
128

six ou sept jours. Ça dépend du temps. Pour manger, tu ne gagnes pas beaucoup. C’est pas comme ici. Ici,
on a des biscuits et de l’eau. Les gens partent la nuit. tu es malade, à l’hôpital tu dois payer. Là-bas, tu ne
livre noir n°3

La plupart de ceux qui partent, c’est durant les fêtes, payes pas. Il y a beaucoup d’associations qui t’aident.
Tabaski, Magal Touba, et le Korité. Car il n’y a pas
de contrôles, les gens sont partis donc ils en profitent. Vous êtes au courant que là-bas, il y a des aides
sociales ?
Si quelqu’un échoue à passer tu rembourses ?
Oui. J’ai entendu ça, parce que j’ai des amis passeurs
Bien sûr. Jusqu’au dernier centime. Certains paient, qui travaillent et qui sont passés aux Canaries et sont
d’autres non. Sur 200 passagers, 50 peuvent ne pas restés en France, à Montpellier et Nantes, et ont ces
payer. Je suis obligé de le faire, car certains connaissent aides sociales.
les choses et si tu ne le prends pas il va te dénoncer,
le dire à la police et prévenir des départs. Certains Et tu penses que ça les motive ?
viennent à la dernière minute, la nuit. Ils forcent pour
rentrer. Ils disent : « Si je ne rentre pas, j’appelle la Oui. De jour en jour.
police ».
Tu penses que ça s’arrêtera ?
Pourquoi les gens veulent partir d’ici ?
Ça ne s'arrêtera jamais. Ça ne s'arrêtera jamais.
À cause de l’exploitation totale. Beaucoup de jeunes Chaque jour que Dieu fait, les gens qui travaillent ici,
ne travaillent pas. Ce sont les s’ils voient une pirogue partir ils embarquent. C’est
politiciens qui sont des mil- leur rêve.
liardaires. Tous les travailleurs
n’ont rien. Actuellement, avec
les dirigeants qu’on a ici, ça
« ÇA S’ARRÊTERA JAMAIS.
saint-louis

ne changera jamais. Pas en ce Chaque jour que Dieu fait,

moment. Car ils gèrent mal
l’argent. L’État français qui S’ILS VOIENT UNE PIROGUE PARTIR
aide ici, les Africains ne le
voient pas. Cet argent n’arrive ILS EMBARQUENT.
pas à l’immigré, mais aux di-
rigeants. C’est leur rêve. »
Certains meurent-ils ?

Je n’ai jamais assisté à ça parce que je travaille avec

des capitaines qui sont bien. On se guide avec les
GPS. On trouve le cap directement.

En France, certains disent que les passeurs ex-

ploitent la misère.

C’est pas vrai, ça. Les passeurs aiment les gens. Il y a

de vrais passeurs et de faux passeurs. Il faut dire à vos
dirigeants français qu’il faut faciliter la possibilité des
gens d’aller là-bas avec un visa. Ici, tu payes l’ambas-
sade et tu n’es pas remboursé. Il faut faciliter les visas.

Pourquoi aller en France ?

infiltrée

Les gens ici, du Sénégal et d’Afrique rêvent d’aller en

Europe parce que là-bas on les traite bien. Même si
 129
livre noir n°3
Ces jeunes Sénégalais s'apprêtent à partir vers
l'Europe en pirogue, une fois le beau temps
revenu. Leur destination ? La France.

infiltrée
 C
130

es douze derniers mois, « Ça ne s’arrêtera jamais » : c’est dans ce genre de

j’aurais donc parcou- moment que je suis heureux de ne pas faire de la po-
livre noir n°3

ru plus de dix pays à
travers le monde pour
enquêter sur les filières
de passeurs (premiers
reportages à retrouver
dans le premier numé-
ro du magazine Livre
Noir). Quelle conclusion puis-je en tirer ? Les fron-
tières européennes sont tout simplement illusoires. La
notion même de frontière n’existe plus. Nous parlons
souvent de l'Ocean Viking, ce navire de l’ONG SOS
Méditerranée qui a fait du « sauvetage de migrants »
en Méditerranée sa spécialité, mais les véritables
ONG, ce sont les gardes-côtes, dont l’unique fonction
est devenue de sauver les migrants, de les récupérer
et de les débarquer sur le sol européen où le droit les
protègera et dans 75 % des cas les empêchera d’être
expulsés.
litique. Car en rentrant de reportage, je suis tout sim-
plement animé par l’angoisse du vide, cette tâche im-
mense qui consiste à arrêter l’immigration et ne pas la
subir. Car ça ne sera pas une mince affaire. Mais sans
volonté politique, rien ne se fera. À nos lecteurs, je
veux dire aussi quelque chose que j’ai vu : non, ce ne
sont pas simplement des hommes qui font la traversée.
Ce sont les premiers oui, mais derrière, les femmes et
enfants suivent. Cette photo d’un jeune Sénégalais est
là pour l’illustrer. Ce jeune continent rêve d’Europe.
Et nous ne sommes pas prêts à cet afflux prochain de
femmes et d’enfants.
Erik Tegnér
Directeur de la rédaction de Livre Noir

La différence avec avant, c’est que l’Union européenne

et nos dirigeants ont compris que les Européens n'ac-
cepteront plus que ce soit mal géré : il faut donc mieux
enregistrer et identifier les migrants, mieux les contrô-
ler, mais non les empêcher de franchir nos frontières.
Une solution semble ressortir à travers le cas précis de
la Mauritanie : empêcher les départs, et donc négocier
avec les pays africains. Mais avec le danger de la cor-
ruption, le risque de tomber dans un chantage perma-
nent, et le peu d’entrain de la commissaire Johansson
à taper du poing sur la table lorsque, comme à Nouad-
hibou, les départs continuent malgré des centaines de
millions d’euros accordés.

Abdoulaye, le passeur de Saint-Louis, est-il le cou-

pable ? Finalement, pas vraiment. Je n’ai pas rencontré
un homme qui roulait sur l’or. Quand vous connaissez
l'Afrique, vous savez que pour faire quelque chose, il
faut payer tout le monde. Si le business paraît juteux,
lui-même le dit : il doit payer de nombreux frais. Je ne
suis pas en train de le défendre, mais je souhaite dire
quelque chose de crucial : nous sommes les véritables
passeurs.. L’Europe, le système qui veut que les sauve-
teurs soient nos gardes-frontières, que le droit les pro-
tège, que les associations aient un pouvoir quasi-réga-
lien exubérant, que les compagnies de ferry, d’avion
ou acteurs privés soient complices car cela fait plus
de clients réguliers, que nous ne sachions pas tordre le
bras au discours d’accueil. J’ai rencontré trop de mi-
infiltrée

grants avides de la France, qu’ils voyaient faussement

comme un Eldorado prêt à les accueillir.
infiltrée livre noir n°3 131
GRAND ENTRETIEN . GRAND ENTRETIEN . GRAND ENTRETIEN . GRAND ENTRETI
132
livre noir n°3

Redonner
des frontières

à L'EUROPE
xavier
Livre Noir : Tout d’abord, quel
est l’un et l’autre votre rapport
à l’immigration ?

driencourt [ Xavier Driencourt ] Nous aurons

sans doute deux regards différents, en
tant que politique pour vous et plutôt
en tant qu’« expert » pour ma part,

François-Xavier
puisque j’ai été beaucoup en contact
avec ces questions. J'ai été Consul gé-
néral il y a trente ans, quand les ques-

bellamy
par Erik tegnér
photos charles duroselle
Alors que le sujet de l’immigration promet
une nouvelle fois d’être un thème majeur de
la prochaine campagne des élections euro-
péennes, le chef de file des Républicains à
Bruxelles a répondu à toutes nos questions
aux côtés du président de notre comité stra-
tégique et ancien ambassadeur de France en
Algérie, Xavier Driencourt.
tions migratoires n’avaient pas tant
d’ampleur qu’aujourd’hui, j’ai été éga-
lement ambassadeur à Alger à deux
reprises pendant presque huit ans, et
j’ai pu voir notamment l’importance
des questions de visas dans la popu-
lation et dans l’imaginaire algériens.
Enfin ces dernières années j’ai pu voir
l’autre bout de la chaîne, en étant juge
à la Cour nationale du droit d’asile
(CNDA). C’est donc mon parcours
professionnel qui m’a amené à traiter
les questions d’immigrations, jusque
dans mon dernier livre.

[ François-Xavier Bellamy ] Mer-

ci de me donner l’opportunité de cet
infiltrée

échange avec Xavier Driencourt, à

qui je voudrais dire ma reconnais-

sance pour la parole claire et forte
qu’il a portée sur ce sujet, et particu-
lièrement sur l’accord franco-algérien.
Au-delà de l’impact de l’immigration
sur l’insécurité, sur les questions éco-
nomiques et sur les services publics
de notre pays, la grande question est
celle de l’unité même de notre nation
pour les années à venir. Cela, j’ai pu le
constater comme professeur, auprès
d’élèves qui étaient pour beaucoup is-
sus de l’immigration : des centaines de
milliers de jeunes ne se reconnaissent
pas eux-mêmes comme des citoyens
français. C’est un défi existentiel : s’il
n’existe plus d’appartenance à la cité,
alors plus rien n’a de sens en politique.
La frontière définit la cité. Elle est la
condition pour pouvoir construire
une réalité politique, comme pour
pouvoir habiter le monde. J’ai écrit
Demeure pour dire l’anxiété la plus
essentielle dans le cœur des Français,
mais plus largement des Européens
et des Occidentaux : savons-nous
encore dire qui nous sommes, et ce
qui distingue le proche et le lointain,
le citoyen et l’étranger ? La gauche a
rendu cette distinction coupable, et
la modernité a imposé un « grand
déracinement » des esprits, en exal-
tant le monde du mouvement et de
la transformation perpétuelle. Être «
en marche » est devenu un but en soi,
et non plus le moyen d’avancer vers
un but en s’appuyant sur des points
de repère solides. De là vient le mot
même de « migrant » et son idéali-
sation, comme s’il y avait des êtres
dont l’essence même est de « migrer
», et comme si les tristes sédentaires
n’avaient plus droit de demeurer, sauf
à être méprisés comme des « demeu-
rés ».
[ XD ] Vous parlez de la différence
entre citoyen et étranger : j’aime cette
image, qui veut que le migrant doit
adhérer au « règlement de coproprié-
té » du pays d’accueil. Vous ne rené-
gociez pas ce règlement lorsque vous
emménagez dans un immeuble, mais
vous y adhérez d’emblée. Vous ne
pouvez pas dire « je vais repeindre ma
porte en rouge » si toutes les portes
sont bleues, et il en est de même en
arrivant dans un pays d’accueil : vous
adhérez au contrat commun.
133
livre noir n°3
Xavier Driencourt et
François-Xavier Bellamy échangent
dans un café proche de l'Assemblée
Nationale.
[ FXB ] Tout à fait : cette idée-là est le
minimum minimorum - même si un
pays est bien plus qu’une copropriété.
La France a une extraordinaire puis-
sance d’assimilation : nous avons un
pays magnifique à transmettre, pour
peu qu’on soit capable de le donner
à connaître et à aimer. C’est ce qu’il a
toujours su faire : prenez la IIIe Répu-
blique, qui avait hérité d’une nation
très divisée, et dont l’école a su para-
chever par la culture française l’unité
du pays.
Aujourd’hui notre système est en
échec massif, non seulement parce
que nous n’avons pas été capables
d’imposer notre « règlement de co-
propriété », mais parce que nous
avons même expliqué aux nouveaux
arrivants que nous étions coupables
de tous les maux, que nous n’avions
que des hontes à traîner pour toujours
devant l’histoire, et même que nous
n’avions pas de culture ! Tout cela est
surtout le symptôme de nos propres
faiblesses intérieures : ce ne sont pas
mes élèves issus de l’immigration qui
m’ont expliqué que la France était
infiltrée
coupable de crimes contre l’humanité,
c’est Emmanuel Macron…
134
Cela nous amène à la probléma-
tique actuelle : si l’on se met-
livre noir n°3
tait d’accord aujourd’hui sur ce
constat, il resterait toujours l’im-
possibilité apparente de contrô-
ler nos frontières. L’ancien pa-
tron de Frontex nous disait que
l’Agence s’était transformée en
une sorte de « grande ONG d’ac-
cueil des migrants ». Pensez-vous
que l’idée de frontière euro-
péenne est un mythe ? Sommes-
nous condamnés à accueillir des
centaines de milliers de migrants
dans les années à venir ?
[ FXB ] Je ne crois pas ; vous savez,
l’Europe est le seul endroit au monde
où l’on considère qu’il est impossible
de tenir une frontière ! Les démo-
françois-xavier bellany i xavier driencourt
crates américains, bien qu’inefficaces,
se disent déterminés à maintenir une
politique migratoire ferme. Les États
africains eux-mêmes ont entre eux
une politique migratoire très stricte…
[ XD ] Ils font même plus que du
pushbacks : ils vont jusqu’à reconduire
certains migrants dans le désert !
[ FXB ] Oui, cela montre bien que
ce scrupule est purement européen.
Affirmer qu’on ne peut pas maîtriser
une frontière, cela implique de dis-
soudre immédiatement les États, les
parlements et le droit, puisque l’on ne
peut appliquer une loi sur un territoire
s’il n’est plus même délimité, défini et
protégé.
L’Europe ayant une grande par-
tie du pouvoir sur ce sujet, qui
sont ces dirigeants européens
qui pensent qu’il est impossible
de contrôler nos frontières ?
[ FXB ] Les lignes de partage des
votes peuvent varier à chaque amen-
dement en fonction de l’intérêt par-
ticulier de chaque pays, même au
infiltrée
sein d’un même groupe, ce qui se
comprend. Mais ce qui est sûr, c’est
que le véritable clivage au Parlement
s’est structuré sur ces sujets migra-
toires. Un bloc va de l’extrême gauche
jusqu’aux élus macronistes, et un bloc
est plus à droite. Dès mon groupe, le
PPE, a déposé sa proposition pour fi-
nancer des murs aux frontières de l’est
de l’Europe, on a vu toute la gauche
s’unir (en incluant les élus macro-
nistes) pour dire que nous étions «
ignobles » de faire une telle proposi-
tion… Le vrai sujet, c’est : comment
sort-on d’une impasse créée par la
gauche, incluant le parti présidentiel,
qui refuse de sortir de l’impuissance
publique ?
[ XD ] J’ai pour ma part le senti-
ment, confirmé en vous écoutant,
« l’Europe est le seul endroit
au monde où l’on considère
qu’il est IMPOSSIBLE
DE TENIR UNE FRONTIÈRE ! »
que l’Europe a baissé les bras. Pour
elle l’immigration serait l’avenir, avec
des positions plus ou moins graduées,
mais en tout cas un fait accompli, sans
autres solutions qu’un système de ré-
partition, d’amendes, etc.
Je pense qu’il y a trois niveaux d’in-
tervention des pays en matière mi-
gratoire : le niveau national, malgré
l’existence de l’Union européenne ; le
niveau européen, avec Frontex, et un
niveau politique auquel on pense ra-
rement : les pays du sud de l’Europe
devraient prendre des initiatives com-
munes, en marge de l’UE. Je pense
par exemple au droit de la mer, pour
lequel ils pourraient évidemment por-
ter secours aux bateaux de Méditerra-
née, sans pour autant leur ouvrir les
ports européens. Pour cela, ces cinq
États du sud de l’Europe doivent tra-
vailler ensemble.
Avez-vous le sentiment que les
compromis politiques qui émer-
gent mécaniquement au sein de
l’Union européenne permettent
plutôt d’avancer positivement ?
[ FXB ] Je ne me suis jamais com-
promis, et je n’ai jamais voté une loi
avec laquelle je ne sois pas réellement
en accord. Cela ne veut pas dire que
nous avons gagné tous nos combats
bien sûr. Nous nous sommes d’abord
battus pour éviter le pire ; prenez la
loi immigration en France : le Conseil
constitutionnel a vidé de sa substance
l’essentiel des dispositions que LR
avait réussi à faire entrer dans ce texte,
mais au moins nous aurons évité aux
Français le texte de régularisations
massives que voulait le gouverne-
ment. De même en Europe, disparaît
grâce à nous dans le Pacte le principe
de relocalisation obligatoire des mi-
grants, une obsession d’Emmanuel
Macron : la solidarité avec un pays de
première entrée en cas de crise migra-
toire pourra se matérialiser par l’en-
voi de renforts pour la protection des
frontières. C’est un vrai risque évité,
bien que le texte ne soit pas satisfai-
sant dans son ensemble à cause des
failles que la gauche y a créées.
[ XD ] J’ajouterais à tout cela qu’il y
a tout un monde en « sous-sol » qui
échappe à la réglementation euro-
péenne ou nationale : le nombre de
sites internet concernant les sans-pa-
piers, où ils s’échangent l’adresse des
préfectures les plus « coulantes », les
associations plus sympathiques à leur
égard, etc. De plus, comme les pays du
 135
livre noir n°3
PA RT I C I P EZ
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136

nord, sociaux démocrates, appliquent

une politique plus restrictive, il Y
livre noir n°3

AURA un détournement des flux. Je

l’ai vu à la CNDA, beaucoup sont ex-
pulsés par le Danemark ou la Suède
et viennent en France, car les sites in-
ternet leur expliquent que la France
n'exécute pas les OQTF, qu’il y a l’Aide
Médicale d’État qui les aidera, et bien
plus encore, etc.

Est-il vraiment possible de né-

gocier avec les pays africains ?
Sommes-nous même en mesure
de le faire, lorsque la commis-
saire Johansson en charge de
cela peut tout à fait privilégier la
coopération économique aux in-
térêts migratoires de l’Europe ?

[ FXB ] L’idée que le développement

de ces pays tarira les flux migratoires
est une illusion ; l’Europe est d’une
immense naïveté lorsqu’elle subven-
tionne des pays qui utilisent cette or-
ganisation sous-terraine d’immigra-
tion comme un élément clef de leur
stratégie : il y a un vrai business du
désespoir, qui consiste à exporter des
jeunes en pleine force de l’âge pour
importer des devises. Bien des régimes
corrompus gagnent leur stabilité en
pariant sur cette économie du mal-
heur. L’Europe a le devoir de taper du
poing sur la table, en conditionnant de
manière radicale et immédiate tous les
fonds de développement à un contrôle
migratoire strict et une coopération
totale en matière de retours.

[ XD ] L’émigration africaine est

devenue en effet une variable d’ajus-
tement, pour les raisons que vous
évoquez, mais aussi pour éloigner les
jeunes menaçant les régimes en place,
et pour déstabiliser l’Europe. C’est de-
venu une arme.
Delphine Duvet

[ FXB ] L’irénisme de la gauche l'em-

pêche de regarder la réalité en face.
infiltrée

Je me suis rendu dans un foyer qui

accueille des femmes SDF à Paris ;

beaucoup sont immigrées et sans-pa-
piers et mènent une vie d’une dureté
absolue en plein Paris. Lorsqu’on leur
demande pourquoi elles ne repartent
pas - car souvent, elles vivaient mieux
qu’ici, où elles sont exploitées, et des
proies permanentes au viol et à la
violence - on se rend compte qu’elles
ont été poussées à partir, et que l’on
compte sur elles au pays pour envoyer
de l’argent ! En réalité, c’est ce schéma
inhumain que la gauche et Madame
Johansson promeuvent. Sous couvert
d’« accueil » et de « besoin de bras
pour faire tourner l’Europe », on fa-
vorise la misère dans nos pays et l’ap-
pauvrissement des pays en développe-
ment de leurs forces vives.
« L’IRÉNISME DE LA GAUCHE
l'empêche de REGARDER
LA RÉALITÉ EN FACE. »
François-Xavier Bellamy
On voit que pour beaucoup de
migrants, le danger est la seule
véritable frontière qui puisse
encore les dissuader. On parle
d’externaliser les demandes de
droit d’asile, qui se feraient di-
rectement là-bas ; mais ne ver-
rait-on pas, alors, une recrudes-
cence des demandes d’asile ?
[ XD ] Dans certains pays, IL est
de toute façon impossible d’aller au
consulat français, puisque vous êtes
surveillé par la police. Il faut alors
l’organiser dans le pays voisin, comme
le Pakistan pour les Afghans par
exemple. Mais dans le fond, je crois
qu’il faut refondre l’ensemble du dis-
positif du droit d’asile, conçu en 1950
dans la Convention de Genève pour
répondre à deux problèmes : d’une
part les remords dramatiques de l’Eu-
rope vis-à-vis de la Shoah, et d’autre
part les demandes qui émanaient des
populations d’Europe de l’Est passés
sous domination soviétique. Une rai-
son de plus est que dans la CEDH,
nous sommes jugés par l’Europe des
46, et donc par des juges qui peuvent
être biélorusses, azéris et turques, et
qui sont trop contents de nous impo-
ser un certain nombre de règles mi-
gratoires à leur avantage.
Pensez-vous, Xavier Driencourt,
qu’Emmanuel Macron pourrait
modifier le fameux accord fran-
co-algérien signé après la déco-
lonisation ?
[ XD ] Non, le gouvernement
manque totalement de lucidité sur
cette question en raison du passé, de
l’opinion ou de l’idée qu’il s’en fait, et
notamment les 10 % de Français ayant
un lien avec l’Algérie . Il n’ose pas y
toucher, malgré de rares déclarations
de Madame Borne qui n’aboutirent
pas, à l’occasion de la résolution du
groupe LR qui a eu pour sa part le mé-
rite de mettre le sujet sur la table . Cet
accord, jusque-là, n’était connu que de
quelques experts et bien sûr des Algé-
riens ; ces accords n’étaient pas un ac-
cord sur les visas (qui n’existaient pas à
l’époque entre les deux pays) mais sur
l’installation permanente des Algé-
riens en France. J’espère que le débat
sera repris en 2027 avant les élections
présidentielles, et qu’un gouverne-
ment sera d’accord pour renégocier
ou au moins dénoncer cet accord.
On le ferait, chez les Républi-
cains ?
[ FXB ] Non seulement on le ferait,
137
mais vous savez que l’on a utilisé notre
créneau parlementaire dès que l’on a
livre noir n°3
pu pour imposer un vote sur la dé-
nonciation de cet accord.
Vous venez d’annoncer que vous
n’aviez pas voté pour le Pré-
sident sortant aux dernières
élections, ce qui a fait jaser à
gauche et au centre : que pen-
sez-vous des injonctions de vote
qui vous sont parfois faites ?
[ FXB ] Tout le piège dans lequel se
complaisent le pouvoir actuel et une
grande partie du monde médiatique
consiste à opposer seulement ces deux
forces politiques (Renaissance et RN),
parce que c’est ainsi que se maintient
cette majorité. La vraie obsession
françois-xavier bellany i xavier driencourt
du pouvoir, c’est d’empêcher la re-
construction d’une droite forte. Le «
en même temps » a abîmé la France
comme jamais ; mais face à un par-
ti « en même temps de droite et de
gauche », on voudrait qu’il n’y en ait
qu’un autre qui se dit « ni de droite
ni de gauche », et qui, quand il s’agit
de mener des combats concrets, est
aux abonnés absents. J’observe que
sur l’accord franco-algérien, si la dé-
nonciation n’est pas passée, c’est qu’il
manquait de nombreux parlemen-
taires du Rassemblement national...
Pour ma part, je crois au contraire
que la France a besoin d’un parti qui
s’assume clairement de droite pour re-
construire l’école, la justice, la sécurité,
notre économie, nos finances et nos
frontières. Si je me suis engagé chez
LR, ce n’est pas parce que tout y a été
bien fait dans le passé, mais parce que
je crois que c’est en relevant une droite
qui s’assume que l’on pourra changer
les choses. C’est la seule ligne politique
claire qui puisse réunir les Français
autour d’un cap sérieux, et leur rendre
la maîtrise de leur destin.
infiltrée
138
livre noir n°3

LE SAVIEZ-VOUS ?
La police de la zone de défense et de
sécurité Nord est confrontée à un nou-
veau phénomène, celui des migrants qui
jettent leurs enfants dans la Manche pour
échapper aux interceptions des forces
de l’ordre. Ce document de doctrine,
que Livre Noir vous dévoile, rappelle le
comportement que doivent adopter les
policiers face à ce phénomène triste et
méconnu.
infiltrée
infiltrée livre noir n°3 139
140
livre noir n°3

S DE POL
S FORCE I CE
LE EN
A CT
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ON
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RU
N BA
RRAGE
infiltrée

DARMANIN
ET SES FAUX
AGENTS DU GIGN
Vue en drone du stade de Cavani, où 1000 mi-
grants africains étaient réfugiés. Aujourd'hui,
ce camp installé dans le plus grand stade
de Mayotte a été démantelée : 90% de ses
habitants ont obtenu leur demande de droit
d'asile et ont été transférés en métropole.
141
livre noir n°3
En pleine crise migratoire et sécuritaire à
Mayotte, Gérald Darmanin veut montrer
les gros bras : il débarque à l'aéroport de
Mamoudzou avec "15 soldats d'élite du
GIGN" avec qui il pose devant des di-
mayotte - le mensonge de darmanin
zaines de caméras. Sur place, je parviens
à découvrir que ces membres du GI-
GN...n'en sont pas. Récit d'une fake news
à faire jalouser le Kremlin.
par erik tegnér
photos erik tegnér
ALERTE À MAMOUDZOU .
« Erik, il faut que tu ailles à Mayotte. Personne n’en
parle, alors que c’est la crise là-bas, la population se ré-
volte et c’est un aperçu de tout ce qui va nous arriver ! »
Lorsque je reçois ce type de message d’un ami fin
connaisseur de la situation sur place, je viens de ren-
trer de trois semaines de reportage en Afrique. Je n’irai
pas jusqu’à dire que j’ai pu me reposer, mais quatre
jours sont passés. Au début, j’hésite… l’espace de deux
minutes, pour finir par appeler Jules, mon rédacteur
en chef : « J’ai une idée : il faut aller à Mayotte. Les
Mahoraises se révoltent contre l’insécurité et l’immi-
gration, alors que chez nous en métropole, le peuple est
hagard. On doit aller couvrir l’info là-bas, car faut pas
compter sur l’AFP ». Jules, habitué, me lance un lapi-
daire : « Tu as déjà pris ta décision, tu pars quand ? »
Trente heures plus tard, j’atterris à Mamoudzou. C’est
la seconde fois que j’y viens, après un premier repor-
tage deux ans plus tôt. Mais cette fois-ci, tout s’est ag-
infiltrée
gravé : l’île est bloquée par des dizaines de barrages,
l’insécurité a explosé, et c’est le grand ras-le-bol qui

142
livre noir n°3
règne. Je dois négocier pour pouvoir utiliser la barge
qui relie Petite-Terre à Grande-Terre.
Ici, ce sont les femmes qui dirigent. Le collectif «
Forces Vives Mayotte » est dirigé et mené par une
majorité féminine et déterminée. Je vais passer cinq
jours avec elles, sur les points de blocage, jusqu’à dor-
mir sous la tente avec ces mères de famille qui se sont
installées juste devant la préfecture.
La situation sur place, beaucoup de Français la
connaissent désormais : les ESI (étrangers en situation
irrégulière) comoriens font preuve de violence perma-
nente, et attaquent les voitures et habitants sur les axes
routiers depuis des semaines. Il y a eu deux morts cette
semaine, dont un jeune par balles dont le corps a été
retrouvé près d’un rond-point. Ces « jeunes » de sept à
vingt ans ont pour spécialité de caillasser les voitures,
en les prenant en otage parfois par groupes de qua-
rante. Aucun camion d’approvisionnement ne peut
alors passer de ville en ville sans escorte de la gendar-
merie mobile. Les maisons voient toutes leurs portes
et fenêtres recouvertes de barres de fer pour tenter,
souvent vainement, d’éviter les cambriolages.
Mais en plus? cette situation folle, un autre problème
infiltrée
aggravant est survenu : les arrivées massives de mi-
grants africains ces dernières semaines. En effet, des
Gérald Darmanin revendique di-
rectement dans un tweet (X), l'ar-
rivée à ses côtés de "15 gendarmes
d'élite", confirmée également dans
ce communiqué officiel.
pirogues remplies d’Africains continentaux venus des
Grands Lacs échouent sur les rives mahoraises. Ayant
quitté le Burundi ou la RDC, ils visent Mayotte pour
son haut taux d’acceptation du droit d’asile (40 %). Or,
le phénomène pourrait ne faire que commencer car
la RDC possède environ six millions de migrants in-
ternes dont une partie entend parler de l’île française,
petit à petit, grâce au concours des passeurs comoriens
qui se sont professionnalisés et se passent le mot. 200
000 migrants stationnent actuellement en Tanzanie,
pays côtier d’où partent ces migrants.
Face à ces deux phénomènes, insécurité et arrivées
.
de migrants, j’ai pu constater sur place une véritable
supercherie du ministère de l’Intérieur : d’un côté un
mensonge, de l’autre une ambiguïté stratégique.
INCROYABLE MAIS VRAI
« 15 gendarmes d’élite du GIGN supplémentaires nous
accompagnent pour rétablir la paix publique ». L’an-
nonce fait fureur. Gérald Darmanin est décidé à
montrer les muscles pour se présenter comme celui
qui résoudra le problème de Mayotte. Il est l’homme
du régalien, celui qui dès qu’il débarque dans une si-

tuation périlleuse est entouré de ces fameux soldats
d’élite. L’annonce fait son effet : toute la presse natio-
nale reprend. Faire venir le GIGN, tout de même, ça
n’est pas rien.
Malgré une certaine incrédulité au niveau local, les
Mahorais avec qui je suis sont interpellés. Après tout,
faire venir des soldats d’élite pour arrêter la chienlit,
c’est ce qu’ils demandent. Gérald Darmanin met les
petits plats dans les grands : alors que son avion atter-
rit à Mamoudzou ce dimanche matin à 8h, ces quinze
membres du GIGN débarquent via un autre vol. Je
suis avec la presse locale et nationale à les attendre
dans l’aéroport. Soudain, nous les apercevons : cos-
tauds, grands, cagoules à trois trous, sacs de matériels
marqués « LBD ». L’opération fait son effet : tous nos
IPhones sont braqués sur eux. Les images sont très
fortes et font le tour de la France. Avec Darmanin, ça
ne rigole plus.
Mais voilà, un peu comme dans un film à la OSS 117,
je découvre quelques jours plus tard, grâce à mes
connexions nouées sur place, que ces fameux agents
du GIGN… n’en étaient pas. Tout cela n’était qu’une
vaste opération de désinformation à rendre jaloux le
Kremlin. Sur quinze personnes, seules quatre sont du
GIGN. Les autres sont issues des différents Pelotons
d’Intervention de la Garde Républicaine (PIGR) », me
révèle-t-on.
143
L'armement qui équipe les militaires qui arrivent est
celui de la gendarmerie, mais rarement utilisé par
livre noir n°3
le GIGN. Les uniformes bleus ne sont pas ceux du
GIGN. Ils sont depuis la réforme des Forces d'Inter-
vention en « vert de gris ».
En plus de ces éléments visibles et factuels, le lendemain
de l’arrivée de ces agents du GIGN, les forces de la garde
républicaine passaient de vingt à trente sur le papier,
mais sans communication. Bizarre. Pis, ses membres ne
cherchaient plus à se cacher et se montraient à Mayotte
comme de véritables hommes du peloton d’interven-
tion de la garde républicaine, sous leurs véritables iden-
tités, contrairement à ce qu’un membre du GIGN aurait
fait, protégé par la loi.
Mais qui savait ? « Darmanin comme le patron de la
gendarmerie nationale, étaient forcément au courant »,
selon une de mes sources. Il faut dire que ce dernier n’a
pas que des amis. Toute cette histoire paraît cohérente :
d’un côté un ministre qui cherchait un coup politique en
affichant, pas cher, une force mobilisatrice et répressive
; de l’autre, un patron de gendarmerie qui veut satisfaire
le politique mais sans se retrouver obligé à mobiliser
pour cela quinze soldats d’élite durant trois semaines.
Le ministre de l’Intérieur a donc menti et participé à
organiser une belle opération de propagande consistant
à faire venir de faux membres du GIGN, portant de faux
écussons pour donner l’illusion.
Arrivée des 15 agents revendiqués
du GIGN. Ils arborent un écusson
officiel de l'unité d'élite.
infiltrée
 .
LES ANNONCES
144

A Mayotte, les forces de police connaissent une situation sécuritaire difficile

TROMPEUSES
livre noir n°3

D’UN MINISTRE FALOT

Un autre volet des mensonges du ministère concerne
le transfert d’immigration de Mayotte vers la métro-
Voiture de gendarmerie cabos-
sée par les attaques incessan- pole : pour désengorger l’île, dont le camp de Cavani
tes d'ESI que j’ai pu visiter, Gérald Darmanin a procédé à deux
choses. D’un côté un taux d’acceptation très élevé

1. des demandes de droit d’asile des Africains réfugiés

au camp de Cavani, avec déjà 1 000 personnes en-
voyés ainsi légalement à Paris par avion et aux frais
du contribuable ; de l’autre, avec la fin du visa à vali-
Camion de la gendarmerie dité territoriale limitée, qui va de facto permettre le
mobile qui ouvre une escorte transfert légal de 35 000 étrangers qui n’avaient aupa-
d'un convoi de ravitaillement.
Sans eux, les camions refusent ravant de visa que pour Mayotte et non la métropole.
de passer de ville en ville. Le ministre est resté flou sur ce chiffre et le débat sur
la fin du droit du sol a caché la réalité de ce qui allait se
passer demain. Il convient ainsi de revenir technique-
ment sur ce volet.

La fin du VTL (Visa à validité Territoriale Limitée)

annoncée par Gérald Darmanin s’est révélée a priori
un bonne nouvelle pour les Mahorais. La conséquence
directe de cette décision affectera néanmoins large-
ment la France, car les immigrés titulaires d’un VTL
n’étant plus contraints de demeurer sur l’île, ils auront
accès à tout l’Hexagone. Et ce malgré les annonces de
restrictions. Aujourd’hui, il existe un « stock » de 35
000 immigrés titulaires d’un VTL qui pourront venir
en France métropolitaine quand ils le souhaiteront,
une fois ces visas élargis à l’Hexagone (aucune remise
en cause de l’obtention n’est prévu, le processus est au-
tomatique). Le cabinet de Gérald Darmanin, contacté,
préfère visiblement penser que ces immigrés ne seront

2.
pas assez riches pour payer le billet d’avion à 500 eu-
ros pour rallier Paris. Quand on sait qu’ils ont pour
la plupart payé 500 euros (pour les Comoriens) ou 3
000 euros (pour les Africains) pour faire la traversée
Sur petite-terre, ces femmes jusque Mayotte, c’est incongru.
bloquent l'entrée de la barge
qui permet de relier Grande- En regardant de plus près les chiffres et les projections,
Terre. les fameuses « restrictions » (et non « réductions ») de
90% des titres de séjours vont bien concerner les pro-
chains, soit 4000 personnes par an. Chaque année c’est
en effet 4 000 titres de séjours supplémentaires dont 3
600 pour motifs familial en particulier (les 90 % res-
treints en raison de la fin du droit du sol), car membres
de famille de Français (comme une mère étrangère
dont le fils est devenu français en naissant à Mayotte).

3.
infiltrée

Effectivement, la fin du droit du sol va de facto rendre

la situation migratoire plus contraignante.
 une des solutions : le transferts de migrants vers la métropole via le droit d'asile

145
Or, rien de cela n’aura d’impact immédiat : si on prend
2022 et ses 10 730 naissances, 38 % avaient au moins

livre noir n°3

un parent français (souvent le père). Donc même avec
la suppression du droit du sol on se retrouve avec 4
000 enfants par an qui peuvent acquérir la nationalité
si on poursuit ce rythme de naissances et malgré la fin
du droit du sol. À droit constant, selon le ministère de
l’Intérieur, l'augmentation de natalité à Mayotte laisse
envisager des demandes plus élevées quand ces mi-
neurs seront en âge de solliciter cette procédure, d'où
l'impact d'une réforme du droit du sol mais qui ne se-
rait donc qu’un équilibrage.
La suppression des titres de séjour à validité terri-
4.
toriale limitée à Mayotte sera faite via la loi Mayotte
donc sans besoin de réforme constitutionnelle alors Barrage à l'Est de Mayotte par
que son corollaire, c’est-à-dire la suppression du droit les femmes des Forces vives.
du sol, ne peut être garantie. Autre point crucial : cette
suppression des VTL risque de toucher l’ensemble des
DOM-TOM, Guyane incluse. Impact à suivre.

En rentrant de Mayotte, je repars avec un sentiment

profond de responsabilité : de nombreuses Mahoraises
m’ont félicité pour mes interventions sur CNews, en
duplex depuis Mayotte, pour alerter sur la situation
sur place. Elles avaient le sentiment d’être littéralement
abandonnées, avec peu de confiance en la chaîne de
service public Mayotte Première et dans les journaux
comme Le Monde.
Ici, aucune féministe pour saluer ces femmes qui
mènent la lutte pour survivre, tout simplement. Si le
ministre de l’Intérieur a mis en place des moyens pour
que Wuambushu 2 s’en prenne durement aux ESI, la
nouvelle du mensonge sur les faux agents du GIGN
risque à nouveau de fragiliser la confiance qu’ont les
Mahorais dans le gouvernement français.
De l’autre côté, le ministre de l’Intérieur risque de sa-

5.
per encore plus la confiance des citoyens de métro-
pole qui pensent que le gouvernement leur ment sur
l’immigration : communiquer en premier lieu sur la
suppression du droit du sol – qui est salutaire – pour
cacher la réalité de l’importation de dizaine de milliers Le jour même de l'arrivée de
d’étrangers sur notre sol. Enfin, il se dit que des offi- Gérald Darmanin, ces 150 de-
mandeurs d'asile africains sont
ciels français commencent à vouloir négocier avec la transférés en avion à Paris.
Tanzanie pour empêcher les départs, comme le font
les Espagnols en Mauritanie et au Sénégal. Il serait en
effet enfin temps de construire une véritable stratégie
de gardes-frontières.
Après avoir constaté les moyens du gouvernement so-
cialiste espagnol aux Canaries – qui pourtant sont loin
de suffire – j’ai beaucoup de mal à comprendre à quel

6.
infiltrée

moment nous sommes incapables de nous donner les

moyens de reprendre la maîtrise de nos frontières.
GRAND ENTRETIEN . GRAND ENTRETIEN . GRAND ENTRETIEN . GRAND ENTRETI
146
livre noir n°3

PEUT-ON
encore protéger
nos FRONTIÈRES ?
Directeur de l'Observatoire de l'Immigration et de la démographie,
Nicolas Pouvreau-Monti est un expert français désormais reconnu. Son travail est à la
infiltrée

fois celui d'un think tank et d'un lanceur d'alerte et sa réputation croît sans cesse.
Pour Livre Noir, il pose son regard sur les nouvelles routes migratoires.

par Jules LAURANS

photos delphine duvet

NICOLAS
POUVREAU-MONTI
Aux Canaries, l’île d’El Hierro est le der-
nier point d’accès pour les bateaux de
migrants en provenance de Mauritanie
et du Sénégal, avant de dériver dans
l’Atlantique. Dans ce cas de figure, les
gardes-côtes espagnols sont dans l’obli-
gation de sauvetage de fait. Comment
« repousser » les bateaux dans les cas
comme celui-ci ?
Face à la situation migratoire très difficile que
connaissent les Canaries, l’action de l’Espagne
comme celle de tous les États européens se
trouve fortement contrainte par un principe
juridique surplombant : celui du « non-refou-
lement ». Ce principe provient du droit inter-
147
livre noir n°3
nicoles pouvreau-monti
national, plus précisément de la convention de
Genève de 1951 relative au statut des réfugiés.
Pris à la lettre, il ne vaut que pour les étrangers
ayant obtenu cette qualité de « réfugié » ; mais
par extension, il s'applique aussi aux deman-
deurs d'asile le temps qu’il soit statué sur leur
dossier, ce qui recouvre la situation potentielle
de nombreux individus sur ces embarcations.
Le non-refoulement a été durci en Europe par
le droit de l’UE, mais aussi par la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’Homme
(CEDH) qui en a développé une interprétation
très extensive, puisqu'elle l’a appliqué au-delà
des limites territoriales des États membres – à
infiltrée
savoir en haute mer. Dans la situation de l’Ita-
lie, la CEDH a jugé inconventionnel le fait de
148

faire embarquer des migrants inter- cédemment éloignés, notamment au

ceptés en haute mer sur des navires nom du respect de leur « droit à la vie
livre noir n°3

militaires et de les débarquer sur les
côtes libyennes.
Ajoutons à cela les obligations d’assis-
tance en mer issues du droit maritime
international que les tactiques des
migrants s’appliquent à faire jouer :
le capitaine d'un navire a l'obligation
de porter assistance à quiconque est
trouvé en péril en mer et, dans la li-
mite de ce qui peut être raisonnable-
ment attendu, de se porter au secours
des personnes en détresse (article 98
de la Convention de l’ONU sur le droit
de la mer).
À Mayotte, l’application des
OQTF vers les Comores est faci-
litée avec 23 000 renvois en 2023.
Pourquoi ? Les arrivées de plus
en plus massives d’Africains pré-
sagent-elles une incapacité de
nicoles pouvreau-monti
privée et familiale » garanti par l’ar-
ticle 8 de la CEDH.
L’arrivée croissante de ressortissants
issus d’Afrique de l’Est (Somalie) ou
des Grands Lacs (RDC, Rwanda, Bu-
rundi) pose évidemment des difficul-
tés encore plus lourdes. Logistiques
d’abord, car les modalités pratiques de
leur éloignement sont beaucoup plus
difficiles qu’à Mayotte – où l’État af-
frète régulièrement un ferry vers l’île
comorienne d’Anjouan, distante de 70
km seulement. Mais aussi juridiques
: la situation intérieure de ces pays
d’origine rend encore moins certaine
la validité des mesures d’éloignement,
au regard de l’article 3 de la CEDH qui
protège ces étrangers contre le risque
de « traitements inhumains ou dégra-
dants ».

les renvoyer ? Peut-on vraiment renvoyer les

Ces renvois sont permis par le cadre
juridique particulier applicable à
Mayotte : une spécificité majeure ré-
side notamment dans le fait que les re-
cours « classiques » contre les OQTF
devant les tribunaux administratifs n’y
sont pas suspensifs, contrairement à la
métropole. Ce n’est en revanche pas le
cas des procédures d’urgence comme
les référés-libertés, où le juge admi-
nistratif doit rendre une décision en
quarante-huit heures. Plus largement,
la pratique policière et administrative
sur place s’est adaptée à la situation de
saturation migratoire que connaît l’ar-
chipel.
Mais cette adaptation est la cible d’une
campagne permanente de lawfare («
guérilla juridique »), menée par des
associations favorables à une immi-
gration plus nombreuse et moins
contrôlée, qui conduit à des condam-
nations fréquentes de l’État par la
justice administrative. Celle-ci oblige
régulièrement la préfecture de Ma-
infiltrée
migrants secourus en mer vers
les côtes libyennes et tunisiennes
au lieu de l'Europe ? Quels sont
les obstacles ?
Dans le cas de la Libye, la CEDH a
jugé que l’Italie était tenue de respec-
ter ses dispositions y compris dans des
opérations en haute mer de navires
battant pavillon italien et relevant
des autorités italiennes. Or, un renvoi
des immigrants vers la Libye – même
s'il s'agit du pays d'où ils ont pris la
mer – est contraire à l'article 3 de la
Convention Européenne des Droits de
l’Homme, compte tenu des risques en-
courus dans ce pays. La CEDH a d'ail-
leurs souligné que la situation née de
la pression migratoire croissante par
voie maritime n'exonère pas les États
« de leur obligation de ne pas éloigner
une personne risquant de subir des
traitements prohibés par l’article 3
dans le pays de destination ».
Cette jurisprudence de la CEDH laisse
peu d'ouverture et conduit à désarmer
renoncé à sa promesse de campagne
d'instaurer un « blocus naval ».
Dans le cas de la Tunisie, les possi-
bilités d’un renvoi des navires vers
les ports d’origine apparaissent plus
ouvertes, au regard de l’accord migra-
toire scellé entre l’UE et ce pays le 16
juillet dernier. Mais compte tenu de
la mise en œuvre laborieuse dudit ac-
cord et du traitement rugueux appli-
qué par les autorités tunisiennes aux
migrants présents sur leur sol (qui ne
nous met pas à l’abri de possibles dé-
cisions entravantes de la CEDH), les
perspectives immédiates apparaissent
limitées.
Quelles dispositions de droit
pourraient être appliquées pour
les refoulements aux frontières ?

moudzou à organiser le retour vers les États – l'Italie au premier chef, dont
Mayotte de Comoriens ayant été pré- on sait que le gouvernement Meloni a Toute volonté politique visant à faire

« Le coût annuel global
de la prise en charge
des MNA S'ÉLÈVE À PLUS
DE 2 MILLIARDS D'EUROS. »
appliquer mieux et plus largement le
repoussement de l’immigration illé-
gale aux frontières impliquerait une
stratégie en deux temps.
D’une part : exploiter plus largement
les marges de manœuvre dans le cadre
juridique existant, en renforçant la
protection concrète des frontières ex-
térieures de l’Union pour faire obsta-
cle à l’entrée des immigrants illégaux.
Concrètement, il s’agirait d’investir en
hommes et en matériel afin de rendre
ces frontières plus étanches. Une telle
démarche pourrait être appliquée aux
frontières maritimes, mais dans une
certaine mesure seulement, compte
tenu de l’obligation d’assistance en
mer consacrée par les traités interna-
tionaux.
D’autre part : une reprise complète
du contrôle démocratique sur la pro-
tection des frontières ne saurait faire
l’économie d’une profonde évolution
de notre rapport au droit européen
et international. Une action politique
déterminée en la matière pourrait
conduire à affirmer un véritable «
droit au refoulement », en assumant
la dénonciation de traités surannés (la
Un militant isolé fait un salut nazi
situation migratoire dependant
2024 n’est
la pas
manifestation.
149
celle de 1951) et des jurisprudences
qui se sont greffées sur eux.
livre noir n°3
Il y a de plus en plus d’enfants
en Afrique qui prennent les ba-
teaux vers l’Europe, comme
nous l’avons constaté au Séné-
gal. Nous sommes plutôt habi-
tués dans le discours ambiant
à dire que ce sont des adultes
hommes. Cette nouvelle donnée
– plus d’enfants et de femmes –
va-t-elle changer la donner ?
En effet, les règles en vigueur concer-
nant les mineurs dits « non-accompa-
gnés » (MNA) apparaissent inadaptées
à l’amplification des flux migratoires
comme aux réseaux criminels qui les
nourrissent. Le droit dérivé de l'UE
définit le MNA comme « un mineur
qui entre sur le territoire des États-
membres sans être accompagné d'un
nicoles pouvreau-monti
adulte qui, par le droit ou la pratique
de l’État-membre concerné, en a la
responsabilité, en tant qu'il n'est pas
effectivement pris en charge par un tel
adulte ».
Au mois d'août 2023, les services dé-
partementaux de l'Aide sociale à l'en-
fance prenaient en charge environ 44
000 mineurs étrangers non-accompa-
gnés en France – soit un record abso-
lu. L'Assemblée des départements de
France évaluant le coût moyen de la
prise en charge d'un MNA au titre de
l'ASE à 50 000€ par mineur et par an
(couvrant le logement, la nourriture,
les frais d'éducation et de formation),
le coût annuel global de la prise en
charge de ces MNA s'élève aujourd'hui
à plus de deux milliards d'euros.
Or cette dynamique ne cesse de s’accé-
lérer : le nombre de personnes se pré-
sentant comme MNA sur le territoire
français a augmenté de 48 % entre dé-
cembre 2021 et décembre 2023. Seul
un quart des personnes se présentant
comme MNA (23 %) est en définitive
évalué mineur.
infiltrée
150
L’HISTOIRE INSTRUMENTALISÉE
livre noir n°3
« NOUVEAU MONDE »
L
’état d’alerte ne va pas tarder à
être déclenché : dans quelques
semaines, le Grand Parcours du
Puy du Fou rouvrira ses portes
et la France « rance » pourra aller y en-
graisser la grande famille de la contre-ré-
volution. Pain béni pour les scogneugneux
woke et cancelleurs qui pourront sans gêne
meubler la fin de l’été en étalant leur mé-
pris de classe au nom de leurs valeurs émi-
nemment « républicaines ». Pour l’heure,
ils ont d’autres moments de l’histoire à
travestir ou à manipuler pour habiller de
légitimités leurs billevesées aux yeux du
peuple qui, sans eux, s’égarerait. On vient
d’en avoir un exemple avec la panthéoni-
sation des Manouchian : pour les besoins
de sa cause, le président de la République,
toute réalité historique écartée, a chanté les
louanges, non des héros résistants, mais du
tribunes
FOSSOYEUSE DE L’EUROPE
I
nvasion migratoire. Asphyxie nor-
mative de notre agriculture et de
notre industrie. Écologie punitive.
Ingérences étrangères. Compro-
missions avec l’islamisme. Propagande
LGBT. Atteintes à la souveraineté des États.
Lâcheté vis-à-vis de la Turquie et de l’Azer-
baïdjan. Opacité dans la gestion du covid.
Ce bilan non-exhaustif – que l’on pourrait
par bien des aspects attribuer à Emmanuel
Macron – est celui d’Ursula von der Leyen,
présidente de la Commission européenne
depuis 2019.
Soyons justes, ce bilan est aussi celui de
ses soutiens : le PPE, sa famille politique,
à laquelle appartiennent Les Républicains
et qui vient de lui renouveler sa confiance
pour un second mandat ; Renew, le groupe
infiltrée
des macronistes dont elle fut l’invitée
d’honneur du campus national en octobre
THIERRY LENTZ
communisme et des alliés de Staline ; il l’a
fait, « au nom de l’histoire ». Autre trou-
vaille que personne ne pourra contester,
pourquoi ne pas se servir des « années 30 »
pour battre la campagne des élections eu-
ropéennes : le fascisme ne doit pas passer,
NICOLAS BAY
VON DER LEYEN,
dernier ; les socialistes, qui forment une
coalition avec la fausse droite à Bruxelles
depuis quarante ans ; et cet attelage s’étend,
pour le funeste pacte vert, jusqu’aux éco-
logistes.
Le résultat s’impose à nous, chaque jour
avec plus de force : africanisation et
tiers-mondisation. Destruction de notre
identité et ruine de notre économie vont
de pair. Plus qu’aucun de ses prédéces-
seurs, von der Leyen aura fait de l’Union
européenne le bourreau de l’Europe. Elle
est la parfaite incarnation des échecs et des
errements de l’UE : sans âme, bureaucra-
tique, impuissante, la technostructure qui
rêve d’être un super-État n’est qu’une ma-
chine à broyer les nations et les peuples.
Ne lui en déplaise, nous sommes les hé-
ritiers de la civilisation européenne qui
puise sa source et ses racines dans la philo-
pas vrai ? Juste avant, il y aura le 80e an-
niversaire du Débarquement, où la gauche
et la macronie pourront prétendre que «
toute la droite » était pétainiste. D’ici là,
une vision historique simpliste continue-
ra à remplacer la recherche de solutions
– forcément complexes, insatisfaisantes et
douloureuses- pour mettre fin à l’agression
russe contre l’Ukraine : rejetons « l’esprit
munichois » ou agitons les réminiscences
de l’été 39. On en entendra sans doute
d’autres encore.
Quelle belle idée que d’avoir tué l’enseigne-
ment systématique de l’histoire depuis un
demi-siècle. Les mots qui claquent, les ré-
férences détournées et l’anachronisme ont
fini par remplacer la connaissance. Mais
c’est ainsi que va le « nouveau monde »,
fondé sur des slogans vides et les approxi-
mations historiques.
sophie grecque, le droit romain et la chré-
tienté. Nous sommes dépositaires d’un
héritage qu’il nous appartient de préserver
d’abord, d’embellir si possible et de trans-
mettre enfin.
Macron et von der Leyen ne nous feront
pas renoncer à défendre cette civilisation
sans égale, dont la force, la richesse et la
splendeur firent l’admiration du monde.
Les élections européennes du 9 juin seront
l’occasion de relever la tête pour rejeter la
submersion, la subversion, la soumission.
La droite civilisationnelle incarnée par
l’alliance des Conservateurs et réformistes
européens, à laquelle appartient Recon-
quête!, en pleine dynamique en Europe,
peut devenir le pivot du Parlement eu-
ropéen et enrayer le déclin, pour impul-
ser une nouvelle renaissance pour notre
continent. Per aspera ad astra.
 tribunes

151
PIERRE-MARIE SÈVE
INSÉCURITÉ

livre noir n°3

À QUAND LA PAROLE AU PEUPLE ?

À
l’heure où politologues ou so-
ciologues dénoncent les divi-
sions entre Français, un sujet
fait pourtant l’objet d’un large
consensus dans la population : l’insécurité;
et la façon de la faire reculer. Les sondages
sont en effet écrasants : 51 % des Français
n’ont pas confiance dans la justice selon un
sondage pour le JDD en novembre 2023,
81 % des Français la trouvent trop laxiste
selon un autre sondage d’octobre 2022 de
l’Institut CSA. Citons encore les 8 Fran-
çais sur 10 qui estiment que la situation
en matière de sécurité s’est dégradée ces
dernières années, selon un sondage Elabe
de fin 2023.
Mais la clairvoyance des Français ne s’ar-
rête pas au constat. Ils plébiscitent éga-
a grimpé jusqu’à 92 % en 2021, selon un
sondage pour l’Institut pour la Justice.
Les peines planchers, qui firent l’ob-
jet d’âpres débats sous Nicolas Sarkozy,
seraient acceptées par référendum par
79 % des Français, selon ce même son-
dage. Autre exemple : 88 % des Français
demandent l’expulsion automatique des
délinquants étrangers, une mesure au-
jourd’hui rarement mise en œuvre.
Fait remarquable, la popularité de ces me-
sures n’est pas fonction de la proximité
politique. Ce sont par exemple les Français
qui se considèrent proches du Parti Socia-
liste qui étaient les plus nombreux à soute-
nir les peines planchers en 2021.
tées à l’Assemblée nationale. Pire, elles ne
sont défendues que par une portion bien
maigre du soi-disant « arc républicain ».
En effet, autant l’opinion est écrasante, au-
tant l’inaction du gouvernement est acca-
blante. Aucune mesure de fermeté ne peut
être mise à l’actif d’Emmanuel Macron en
sept années de présidence. La suppression
des rappels à la loi ? Ils ont simplement
changé de nom. La suppression des re-
mises de peines automatiques ? Elles ont
été remplacées par un mécanisme encore
plus laxiste.
Alors, en matière de sécurité, comme en
tant d’autres, c’est dans l’intelligence et
dans la clairvoyance des Français qu’il faut
avoir confiance. C’est une certitude, plus

tribunes
lement des mesures précises : dès 2011, Pourtant, malgré cette unanimité popu- de démocratie apportera plus de sécurité.
89 % des Français demandaient la créa- laire en faveur d’un retour de l’autorité
tion d’une perpétuité réelle. Un chiffre qui judiciaire, ces mesures n’ont pas été vo-

GEORGES FENECH
CONSEIL D’ÉTAT
LE POUVOIR DE MUSELER

F
orce est de reconnaître qu’il y a une forme d’idéologie
qui a infiltré le Conseil d’État à partir du moment où
il s'érige en législateur. C’est une forme de déposses-
sion de la souveraineté populaire, notamment quand il
ajoute aux textes de loi et qu’il balise avec des critères très subjec-
tifs la liberté d’expression d’une chaîne comme CNews. Quand il
demande à l’Arcom de classer les intervenants et les chroniqueurs une chaîne qui sort des sentiers battus et qui traite certains sujets
pour savoir comment les ficher (à droite, à gauche, je ne sais où), il que d’autres ne traitent pas (et où j’officie régulièrement). Vouloir
y a là une forme de justice prétorienne, autoproclamée, qui ajoute museler une chaîne en restreignant la possibilité d'inviter qui l’on
finalement des critères de sélection. Or, on voit bien qui est visé en voudrait, ce n’est pas la conception de la loi de 1981 sur la liber-
l’espèce. Cette décision très surprenante porte une atteinte gravis- té de la presse, ni celle sur la loi de l’audiovisuel. Je ne peux que
sime à la liberté d’informer et de décrypter l’information en toute constater que cette décision a été prise par la section du conten-
indépendance. tieux du Conseil d’État qui est présidée par quelqu’un qui a été
Ce que l’on demandait jusque-là à l’Arcom, c’était d’assurer le plu- directeur de cabinet de Jean-Marc Ayrault. Imaginez que le pre-
ralisme. Mais c’était le pluralisme des personnalités politiques, en mier président de la Cour de cassation, qui assure l’indépendance
infiltrée

aucun cas des invités de plateau qui n’appartiennent pas forcément de la justice, soit nommé parmi les anciens premiers ministres de
à un parti politique. On ne supporte pas l’audience que peut avoir Nicolas Sarkozy, que dirait-on de l’indépendance de la justice ?
 infiltrée boualem sansal livre noir n°3 152

U
TRIBUNE

BOA LE
SANSAL
M
 2024
L’ANNÉE DE L’ALGÉRIE
ET DE
LA FRANCE RÉUNIES
L
par Boualem Sansal
photo erik tegnér
’horoscope l’avait annoncé par trois fois,
mais personne n’y a prêté attention : 2024
fera date dans l’histoire de l’Algérie in-
dépendante et des relations algéro-fran-
çaises. Pourquoi ? On ne sait trop, c’est
une parole d’horoscope, moi je vois mal
comment on peut faire date avec rien, du
M
banal, du déjà-oublié, de l’insignifiant
pour l’humanité qui a bien assez à faire
avec la guerre en Ukraine et sa probable
extension à l’Europe, et peut-être au
monde si la Chine profite du désordre et
envahit Taïwan ; avec le réchauffement
climatique qui nous rapproche du point
d’ébullition ; la submersion islamique
planétaire qui inverse le sens de rotation
de la terre ; les JO de Paris en état de siège
; la réélection de Biden ou le retour victo-
rieux de Trump ; la reconduction triom-
phale de Poutine ; et le sacre de Xi Jinping
en tant qu’Empereur de Chine et maître du
monde, etc.
Parmi les petits événements algéro-algé-
riens et algéro-français, l’horoscope an-
nonçait qu’on verrait Tebboune obtenir
de Monsieur Chengriha l’autorisation de
briguer un deuxième mandat à la tête de
la République algérienne démocratique et
populaire et l’assurance d’être élu avec un
score qui en imposerait à tous. L’astrologie
est une science approximative et elle laisse
planer un doute sur l’avenir de Tebboune.
Monsieur Chengriha, que la rumeur dit
très déçu par le bonhomme, pourrait à tout
moment changer de cheval et faire élire un
inconnu à la ramasse, comme lors de la
présidentielle précédente en décembre
2019 qui a vu le favori du système, un in-
connu qui fut ministre on ne sait de quoi,
soudainement remplacé par le moins coté
des postulants, le cacique sous quaran-
taine nommé Tebboune. Ainsi s’explique
la générosité spontanée dont Tebboune
fait montre ces derniers mois à l’égard
des pauvres, qui ne sont rien et n’ont rien,
en leur offrant de belles paroles et par-ci
par-là quelques sous de plus sur la fiche de
paie. L’ambitieux tenterait-il une OPA sur
le peuple par-dessus la tête de Monsieur
Chengriha ? Est-il devenu fou ?
La vérité est ailleurs. Dans l’Algérie com-
battante qui ne cesse de clamer son indé-
pendance et de réclamer la reconnaissance
de ses miracles, le peuple ne compte pas,
seule vaut la voix de l’ex-puissance colo-
niale sans laquelle l’Algérie ne peut pas
vivre, le visa tricolore est son oxygène, sa
bénédiction d’Allah. Un président est fait
pour ça, ramener de beaux visas au pays,
le reste on le trouve sur-place à Paris. Te-
bboune l’a compris, d’où ses manœuvres
153
de grand macho pour gagner le cœur de
Macron : il a vite su l’enfermer dans le
livre noir n°3
mémoriel pervers qui flatte sa fibre woke
et lui offrir une belle occasion de se mettre
en lumière, qui, croit-il, le mettrait à hau-
teur de de Gaulle.
Trop jeune, la tête farcie de belles idées
proustiennes, Macron n’a jamais été
confronté aux apparatchiks blanchis sous
le harnais du vice et de la soumission, il
a cru à la mission messianique que Teb-
boune lui a vendue : réussir ce qu’aucun
président français n’a pu faire, libérer la
mémoire française de ses méchants cona-
tus, sceller une paix éternelle avec l’Algé-
rie et rétablir pour elle la libre circulation
prévue dans les accords d’Évian par de
Gaulle en personne.
Deux autres petits évènements sont an-
noncés : la visite d’État de Tebboune à
Paris à l’invitation insistante de son ami
Macron. Ensemble, trois jours durant, ils
feront du mémoriel et du symbolique à en
boualem sansal
oublier la sainte réalité. Tebboune cesse-
ra d’insulter et de menacer la France, et
Macron de se moquer des généraux algé-
riens, promis juré. On dit qu’ils visiteront
ensemble, la main dans la main, le châ-
teau d’Amboise où l’illustre Grand ami de
la France, l’Émir Abdelkader, a séjourné
de 1848 à 1852. L’idée serait venue de Ka-
mel Daoud. Moi, j’aurais ajouté une virée
dans le 9-3, côté Courneuve. L’Émir avait
perdu l’Algérie après dix années d’un
combat épique contre la France coloniale,
ses descendants ont occupé la France en
moins de temps, clandestinement, sans
bruit ni fureur et avec l’argent et la béné-
diction des Français. L’histoire, c’est un
début et une fin. Il faut voir les deux. On
est plus sage quand on sait.
Le lecteur innocent demandera : mais qui
est donc ce Monsieur Chengriha qui em-
pêche tout ? Chut ! C’est le chef de l’Ar-
mée et des Services secrets algériens.
PS : La présidentielle algérienne, pré-
vue en décembre 2024, vient subitement
d’être avancée de deux mois. Quelqu’un
infiltrée
s’est impatienté. Qui ?
ENTRETIEN . ENTRETIEN . ENTRETIEN . ENTRETIEN . ENTRETIEN . ENTRETIE
154

à peu de frais l’impression qu’on agit,

et qu’on obtient un résultat dans l’im-
livre noir n°3

médiat. On aura donc quelque chose

à mettre à son propre crédit. Réin-
dustrialiser le pays, contrôler l’immi-
gration, réduire le chômage, juguler
la violence, arrêter l’effondrement du
système éducatif, désintoxiquer les
drogués, alléger la pression des règle-
ments et des normes, etc., tout cela
demande du temps et des efforts qui
peuvent rendre impopulaire.

Euthanasie, fin de vie, droit à

mourir dans la dignité, aide à
mourir : on est un peu perdu
avec tous ces termes. La séman-
tique sur ce thème revêt-elle
une grande importance, ou re-
lève-t-elle plutôt du « marke-

« TUER N'EST PAS

Levan Ramishvili
ting » de l’euthanasie ?

Ces termes sont des fumigènes qui

UN GESTE ALTRUISTE » servent à nous aveugler. « Fin de vie »

est une façon de ne pas appeler par son
nom la mort, le dieu inavoué de nos
sociétés, qui évitent de la nommer par

RÉMI
respect religieux. « Euthanasie » veut
dire « bonne mort », comme si la mort
pouvait être bonne pour un mourant

BRAGUE
qui croit qu’avec elle tout est fini. En
régime de chrétienté, on pouvait par-
ler de « bonne mort » car on y voyait,
selon le mot de Thérèse de Lisieux, une
entrée dans la Vie. Parler de « mourir
dans la dignité » suppose qu’il pourrait
Philosophe des religions et membre éminent de l’Institut, y avoir une manière indigne de subir la
mort. Il n’y a en fait qu’un seul rapport
Rémi Brague s’est attaqué à la question de l’euthanasie qui
indigne à la mort, et c’est de la provo-
devrait être débattue dans les prochains mois. quer. Parler d’une « aide à mourir »,
c’est faire de l’acte de tuer un geste al-
par Alexandre de Galzain
truiste. Or, on aide quelqu’un qui vit,
pas quelqu’un qu’on supprime. En re-
Emmanuel Macron a annoncé Un politicien n’arrête jamais de faire vanche, marketing est un mot assez
l’ouverture du débat sur l’eu- de la politique ou, s’il s’arrête, comme juste, à ce point qu’on peut lui retirer
thanasie à la fin du mois de mai, en vélo, il tombe. Il est donc légitime ses guillemets. Il s’agit de vendre : les
quelques jours avant les élec- de voir derrière chacun de ses faits et soins palliatifs coûtent cher, et de toute
tions européennes. Pensez-vous gestes, dont ses déclarations, le souci façon plus qu’une piqûre.
que ce projet fasse partie de ses de conquérir ou de conserver le pou-
valeurs ou qu’il emploie les lois voir, puis de le léguer à ses clones. Ce qui est frappant avec l’eu-
infiltrée

sociétales à des fins politiques ? Les lois dites « sociétales » ont un gros thanasie, c’est que ses défen-
avantage : elles permettent de donner seurs sont peu nombreux, mais

ont apparemment le soutien
de la majorité de la population.
Qu’est donc cette société qui
adhère au « progrès » même
si elle n’en « bénéficiera » vrai-
semblablement jamais ?
Vous connaissez le mot de Mark
Twain sur les trois degrés de men-
songes : les mensonges, les foutus
mensonges, et les statistiques. Pour
moi, les résultats des sondages d’opi-
nion sont un quatrième degré, encore
pire, le cinquième étant l’art de for-
muler la question de manière à obte-
nir la réponse voulue. Si on demande :
« Préférez-vous mourir dans d’atroces
souffrances ou qu’on vous expédie
par une piqûre ? », la réponse sera
claire. Mais, avec les progrès des anal-
gésiques et des soins palliatifs, est-ce
ainsi que le problème se pose ?
Cela fait longtemps qu’on nous roule,
dans différents domaines, en parlant
de « progrès », d’« avancées » sans de-
mander si l’on avance dans la bonne
direction. Si l’on est dans une impasse,
est-il très malin de continuer à avan-
cer ? Peut-on encore parler d’une «
société » là où les individus sont de-
venus des atomes, isolés de tout ce qui
les précède, à commencer par leurs
parents, et incapables de se lier les uns
aux autres autrement que de façon ré-
vocable ?
On ne peut évidemment s’em-
pêcher de faire le parallèle entre
la constitutionnalisation de
l’avortement et la légalisation
de l’euthanasie. Symbolique-
ment, pourquoi nos dirigeants
veulent-ils inscrire à tout prix la
mort dans la loi ?
Vous avez raison de parler de symbo-
lique, car cette dimension des choses
n’est pas du décoratif, mais le fonde-
ment même de la vie humaine, qui
est aussi une vie sociale. Inscrire ces
choses dans une loi est étrange : la loi
est censée relever du droit et chercher
« PARLER D’UNE
« AIDE À MOURIR »,
C’EST FAIRE DE
L’ACTE DE TUER
UN GESTE
ALTRUISTE »
ce qui est juste. Or, le droit n’a besoin
de protéger que le plus faible. Le plus
fort, tant qu’il le reste, n’a nul besoin
du droit. Nos dirigeants veulent la fin
du droit précisément parce qu’ils sont
nos dirigeants, les forts, donc.
Un droit qui renonce à protéger le plus
faible au profit du plus fort n’a de droit
que le nom. L’avortement, un droit
de la femme ? Dans combien de cas
est-il autre chose que la conséquence
dernière du « débrouille-toi ! » de la
chiennerie masculine ? L’euthanasie,
un droit du mourant ? Elle est un
moyen de se défausser sur le malade
que, là aussi, on laisse « se débrouiller
» tout seul. En refusant de prendre la
peine de l’accompagner jusqu’au bout,
et en lui faisant croire que c’est lui
qui décide. Inscrire ces choses dans
la loi, c’est faire de la loi l’instrument
du non-droit, c’est mettre la culture au
service de la plus brutale des lois de
la jungle.
Légaliser l’euthanasie, n’est-ce
donc pas simplement confier
au citoyen le droit de choisir sa
mort ? La société y est-elle né-
cessairement impliquée ?
155
livre noir n°3
Choisir sa mort ? Quelle blague !
Nous mourrons de toute façon. Tout
au plus peut-on en choisir le moment
rémi brague
et la manière. Cela s’appelle un sui-
cide. Paradoxe : c’est la seule action
qui soit à la fois moralement condam-
nable et respectable. Ailleurs, c’est l’un
ou l’autre. Le suicide est respectable,
puisque c’est moi qui y passe, et pas
une victime extérieure, comme dans
un meurtre. Mais le suicide est en
même temps condamnable parce que
nous ne nous appartenons pas à nous-
mêmes. Quand nous serions-nous
achetés ? Nous sommes-nous gagnés
par notre travail ? Le suicide est donc
une sorte de vol. En nous tuant, nous
nous arrachons à nos proches et, à
l’horizon, à l’humanité.
Légaliser l’euthanasie, c’est plutôt dé-
simpliquer la société de sa respon-
sabilité envers chacun de ceux qui la
composent. Y voir un témoignage de
« solidarité » est une sinistre plaisan-
terie. Et parler de « fraternité » ? Mais
oui : Caïn était le frère d’Abel.
infiltrée
 JEAN-ÉRIC SCHOETTL
156
livre noir n°3
CONSEILLER D'ÉTAT ET ANCIEN SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU CONSEIL CONSTITU-
TIONNEL, JEAN-ÉRIC SCHOETTL NOUS A PARTAGÉ SES RÉFLEXIONS SUR LA COM-
PLEXE QUESTION DU SUFFRAGE PROPORTIONNEL.
De quelques considérations
pratico-juridiques relatives à
l’introduction de la proportion-
nelle à l’Assemblée nationale
L’introduction de la propor-
tionnelle à l’Assemblée natio-
nale, ou plutôt d’une dose de pro-
portionnelle, est un serpent de mer.
Elle faisait partie du chantier institu-
tionnel ouvert au début du premier quin-
quennat d’Emmanuel Macron. Le dispositif
alors imaginé fut validé par le Conseil d’État, dans
jean-eric schoettl
ses formations consultatives, mais resta en état d’ina-
chèvement. La question a de nouveau été évoquée à la
faveur de la « rencontre de Saint-Denis » de novembre
2023. Elle pourrait rebondir ultérieurement.
Au-delà de son aspect politique, l’introduction d’une
« dose de proportionnelle » à l’Assemblée nationale
1.
suscite plusieurs interrogations de caractère prati-
co-juridique.
Tout d’abord quelle proportionnelle ? Veut-
on un système correctif ou, plus simplement,
un scrutin de liste au niveau national, avec ré-
partition des sièges à la plus forte moyenne, comme
prévu pour les européennes ? Comment l’articuler
avec le scrutin majoritaire ? Veut-on un vote double
(comme en Allemagne1 ) ou vote unique (système de
la Nouvelle-Zélande) ? Une autre différence, potentiellement porteuse d’iné-
galité, est que les députés élus en circonscription
La solution envisagée en 2018 était
la solution simple (scrutin de liste
national, avec répartition à la plus
L’élu direct, adoubé
forte moyenne, seuil de 5% et vote
double). Combinée à un effectif par une majorité,
modeste (une soixantaine de dépu- a nécessairement une
tés), cette solution limitait le coup
de pouce donné à la représentation
vision plus universelle
infiltrée
des sensibilités minoritaires. de son mandat.
L’effet global pourrait être mar-
ginal pour des complications
2.
maximales. Much ado about
nothing.
Pose problème, au
regard de l’esprit
D.D de l’article 3 de la
Constitution (« La souveraine-
té nationale appartient au peuple
qui l'exerce par ses représentants et
par la voie du référendum/ Aucune section
du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer
l'exercice »), la coexistence, au sein de l’Assemblée
nationale, de deux types de députés dont les uns ont
obtenu, sur leur personne, la confiance d’une majori-
té d’électeurs et les autres n’ont été que suffisamment
bien placés sur une liste nationale par un parti éligible
à la répartition proportionnelle.
La « volonté générale » peut-elle s’exprimer avec la
même force au travers d’élus présentant un lien si dif-
férent avec les citoyens ? L’élu direct, adoubé par une
majorité (au moins au second tour), a nécessairement
une vision plus universelle de son mandat. L’élu issu
de la proportionnelle a une vision de sa fonction plus
partisane : son mandat est par nature plus « section-
naire », pour reprendre les termes de l’article de la
Constitution précité.
auront à entretenir des liens avec
celle-ci, tant en y assurant des per-
manences qu’en les parcourant, tan-
dis que les députés élus à la propor-
tionnelle pourront être beaucoup
plus présents au Palais Bourbon.
On peut en outre conjecturer que les
moyens mis à la disposition des dé-
putés pour l’exercice de leur man-
dat seront davantage employés par

les députés élus au scrutin majoritaire à leur activité
territoriale qu’au travail législatif ou au contrôle de
l’éxécutif. Ce ne sera pas le cas des députés élus à la
proportionnelle : leur influence relative s’en trouvera
accrue.
L’analogie avec les sénateurs n’est pas pleinement
convaincante dès lors que ceux-ci restent élus dans un
cadre départemental (où le scrutin est de l’une ou de
l’autre sorte) et que, en tout état de cause, leur élection
procède du suffrage indirect.
Nous sommes là à la frontière de la science politique et
du droit constitutionnel, plus du côté de la première que
3.
du second. L’instillation de la proportionnelle n’avait
d’ailleurs pas offusqué le Conseil d’Etat en 2018.
L’introduction de la proportionnelle pourrait
s’exposer a priori à une critique constitu-
tionnelle, tirée de la disparité des poids dé-
mographiques entre les deux types de députés.
Prenons le système imaginé en 2018. Il prévoyait,
outre une dose de proportionnelle de 15% des sièges,
une réduction du nombre total de députés de 30%
(l’effectif passant donc de de 577 à 404). Une soixan-
taine de députés auraient été élus à la proportionnelle
nationale, chacun d’entre eux « pesant » un peu plus
d’un million d’habitants. Pour sa part, chaque député
issu du scrutin uninominal majoritaire aurait été élu
en moyenne par environ 200 000 habitants. Arith-
métiquement, un tel écart excède de beaucoup les
fourchettes admises par la jurisprudence du Conseil
constitutionnel relative aux bases démographiques de
l’élection des membres d’une même assemblée.
Comme le rappelle en effet la décision n° 2008-573
DC du 8 janvier 2009 (loi relative à la commission
prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection
des députés) : « L'Assemblée nationale, désignée au
suffrage universel direct, doit être élue sur des bases
essentiellement démographiques selon une répartition
des sièges de députés et une délimitation des circons-
criptions législatives respectant au mieux l'égalité
devant le suffrage. Si le législateur peut tenir compte
d'impératifs d'intérêt général susceptibles d'atténuer
la portée de cette règle fondamentale, il ne saurait le
faire que dans une mesure limitée ».
L’application littérale de cette jurisprudence ferait
obstacle à l’introduction de la proportionnelle, sauf à
en augmenter dangereusement la dose au regard des
157
impératifs de gouvernance.
livre noir n°3
Mais, précisément, peut-on faire une application litté-
rale de cette jurisprudence à l’écart de représentativi-
té démographique entre députés élus à la majorité et
députés élus à la proportionnelle ? Il n’est pas interdit
d’en douter dès lors que chaque électeur concourt éga-
lement (et à égalité avec les autres électeurs) à deux
scrutins distincts : l’un pour désigner un représentant
proche, l’autre pour choisir entre listes porteuses des
programmes nationaux de partis politiques qui, en
vertu de l’article 4 de la Constitution, « concourent
à l’expression du suffrage ». S’agissant d’égalité
démographique devant le suffrage, les modalités de
désignation des deux types de députés ne sont pas in-
ter-comparables. C’est ce qu’a admis le Conseil d’Etat
en 2018.
4.
Cette non inter-comparabilité plaide cependant pour
un vote double au premier tour.
Même limité par une dose raisonnable de
proportionnelle, il faut rappeler le risque in-
jean-eric schoettl
hérent à l’introduction de ­celle-ci.
Il semble a priori légitime de vouloir concilier :
- d’une part, l’impératif de gouvernance (qui suppose
un mode de scrutin capable de transformer en majo-
rité absolue en sièges une majorité relative en voix
et de prévenir ainsi blocages, instabilité et coalitions
bancales, dont nous avons de multiples exemples sous
les yeux),
- d’autre part, le souci de permettre à chacun de se sen-
tir représenté, facteur d’adhésion et de participation,
qui peut appeler une dose de scrutin ­proportionnel.
Légitime, mais périlleux : l’exemple de l’Allemagne
montre que le « mixage » des deux modes de scru-
tin, s’il fait la part trop belle à la proportionnelle, peut
compromettre la formation d’une coalition majoritaire
ou, tout au moins, la fragiliser.
Enfin, conservent-ils un intérêt dans le scrutin propor-
tionnel, intégral ou partiel, les partis qui voyaient dans
celui-ci, compte tenu de leur poids électoral antérieur,
la clé de l’accès aux affaires, mais dont les suffrages
suivent désormais une pente ascensionnelle ?
infiltrée
 .
CRITIQUES LITTÉRAIRES . CRITIQUES LITTÉRAIRES . CRITIQUES LITTÉRAIRES
Critique LA CHUTE
158

du tribun
livre noir n°3

Q uand Éric Naulleau en veut à quelqu’un, il ne fait

pas dans la dentelle. Après avoir traité le « cas Rous-
seau » (Sandrine, pas Jean-Jacques), dans un pamphlet de
quelque 130 pages, le célèbre écrivain et chroniqueur de
CNews s’attaque à l’épineux sujet de la transition de Jean-
Inclure
Luc Mélenchon, passé de socialiste laïcard à intersection-
Dénis Cieslik,
nel pro-Palestine.
Magnus, 212 p.
« Cette gauche indigne ne s’intéresse plus qu’au cercle res-

.
treint des islamo-gauchistes », tonne l’écrivain. Et quand
elle tente de parler à l’électorat populaire, quand elle ose
21 00
€

déclarer que l’autorisation de transition de genre à seize

ans n’est pas une priorité, on la force à s’excuser. Éric
Naulleau, lui, a depuis quelques années vu le « LFI-Ex-
press » s’éloigner du quai, et dérailler. Loin de lui l’idée de
s’excuser, lui qui a eu pour seul tort de demeurer fidèle à
sa ligne de gauche universaliste, laïque et patriote. « Mé-
lenchon, c’était mieux avant » : finalement, Naulleau est
devenu réac sans le vouloir.
S’il est désormais dépassé, LFI et Jean-Luc Mélenchon,
eux, ne sont pas près de s’arrêter. Dénonçant les ou-
trances, dérapages et autres polémiques du vieux leader,
Naulleau y voit des compromissions, des appels du pied
à peine voilés (façon de parler) à son électorat des ban-
lieues, séparatiste, ou bien à son électorat des universités
– « woke » et progressiste jusqu’à la déconstruction totale.
« Les fantasmes rances d’une gauche confite dans le souve-
nir idéalisé, ou pour mieux dire trafiqué, de la Révolution
française, la fascination pour la violence, la haine de la
République, la complicité avec l’islam radical, un équilibre
mental incertain et la logique de boutique – tel est le cock-
tail explosif du mélenchonnisme. » Pas mieux, monsieur
Naulleau.
Critique BIENVENUE
au wokistan
A vec Inclure, Dénis Cieslik nous offre un roman qui
sort du commun. Construit autour d’une dystopie,
la France de 2060 gouvernée par Rokhaya Diallo, le livre
vous fera suivre les tribulations de Théophile Liviu, per-
sonnage type de l’homme moderne individualiste et vic-
time de son temps mais qui jamais ne se rebelle. En un
peu plus de 220 pages, l’auteur vous fera d’abord rire des
excès du wokisme. Puis, à mesure que vous vous enfonce-
rez dans le récit, il ne produira plus rien d’autre chez vous
qu’un effroi terrible.
Glaçant dans ce qu’il dit de l'idéologie de la gauche
contemporaine, Inclure agit véritablement comme un
« simulateur », illustrant avec réalisme ce que serait un
monde dirigé par ces gens. En ce sens, c’est un appel à agir
maintenant, dans cette drôle de société qu’est devenue la
nôtre, où une actualité de la cancel culture vient chasser
une énième polémique sur l’écriture inclusive. Et s'il est
vrai que beaucoup de livres sont écrits sur le sujet, celui-ci
à quelque chose de différent.

En ce que c'est un roman et non un essai, il parvient à sor-

tir de l'analyse froide et habituelle du phénomène woke
en lui donnant une matérialité concrète mais absurde,
tout en embarquant le lecteur dans une histoire haletante
pleine de péripéties. Un livre original, fluide, parfaite-
La République
ment ciselé et pointant de façon habile les contradictions
c'était lui ! des progressistes.
Éric Naulleau,
Édition Léo
18 Scheer, 144 p.
infiltrée

00
€
 Critique . L’ASCENSION

159
du camp national

livre noir n°3

Pour Les Moissons de la colère : plongée dans l’Europe na-
tionaliste, Charles Sapin a sillonné le Vieux Continent à la
rencontre d’intellectuels et de représentants de partis po-
litiques de toutes les droites pour analyser leur irrésistible
ascension. En Suède, en Italie, en Autriche, aux Pays-Bas,
en Allemagne et en France bien sûr, la progression de la
droite « alternative », baptisée « nationaliste » par le jour-
CENTRE DE RÉFLEXION
naliste, est incontestable. SUR LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE
Sont-ce là des partis d’extrême droite, selon l’expression
colportée par la majorité de la classe politique française
? Non, Meloni, Marine Le Pen ou Santiago Abascal ne NOTRE MISSION
sont pas d’extrême droite : les vocables « national-conser-
vateur » ou « national-populiste » Rassembler professionnels (magistrats, avocats,
ont le mérite d’être plus nuancés ; policiers, militaires), journalistes et membres de la
plus fins. société civile passionnés par ces enjeux.

Ensuite, il s’agit de comprendre les

20 00
€
mutations de cette droite. Quitter
l’Union européenne n’est plus à
l’ordre du jour, même chez Geert
Wilders, vainqueur aux élections
législatives néerlandaises et défen- Rencontrez des experts
les moissons de
la colère seur historique du Nexit. de la sécurité intérieure !
Charles Sapin,
Ed. du Cerf, Exeunt néanmoins les éléments
176 p. les plus radicaux, les vrais néofas-
cistes et néonazis et leurs références. C’est le processus de
« romanisation des barbares » décrit par Giovanni Orsi-
na, qui consiste à respectabiliser le parti qui subissait un
cordon sanitaire dans le but de le rapprocher des autres Informer le public par
mouvements.
des réunions et conférences.
Si l’ascension des droites est aujourd’hui difficilement
arrêtable du fait de l’épuisement des arguments moraux
pour la combattre, la bataille suprême est menée en ce
moment à Bruxelles où alliances et manigances pour par-
venir à la gouvernance de l’Europe ont lieu.
Publication d’études relatives
La victoire idéologique est déjà pratiquement acquise à ces questions.
dans la majorité de l’Europe, car la droite libérale (ou
même la gauche au Danemark) est obligée d’embrasser
les thématiques de la droite nationale pour survivre : le
combat contre l’immigration, pour l’identité et contre
SUIVEZ-NOUS SUR :
le progressisme sont déjà presque des acquis. Reste une WWW.CRSI-PARIS.FR
question fatidique à laquelle seul le temps apportera une
infiltrée

réponse : à la victoire idéologique verra-t-on succéder la

victoire politique ?
 nouvelle
160
CONVERGENCE
livre noir n°3
C
D.Duvet
I
AM
LE
L
I
l était dix heures et quart quand Camille
se leva. Le cours de sociologie du genre
à la Sorbonne commençait dans qua-
rante-cinq minutes, elle avait le temps.
Lorsqu’il prendrait fin, elle aurait aimé
passer à la manif ’ contre le génocide
ouïghour. Camille résidait à Bastille, elle
irait là-bas en trottinette, ça va plus vite et
ça emmerde les pollueurs.
La jeune étudiante enfila en vitesse un T-Shirt, un pull trop
large, un collant, un short et ses Birkenstock. De Bastille à
l’université, il n’y a certes qu’un quart d’heure, mais elle avait
hâte de longer un peu la Seine et de profiter des rayons de so-
leil de ce mois d’avril naissant. Si l’automne avait toujours été
sa saison préférée, elle ne reculait pas devant ces quelques
minutes passées à longer le fleuve parisien à toute vitesse,
le vent dans ses cheveux courts. Elle aimait ce trajet, de jour
du moins. La nuit y était parfois moins agréable, quand on
la sifflait ou qu’on la regardait avec mépris. Le patriarcat, que
voulez-vous.
infiltrée
Arrivée à la fac, Camille se rendit compte qu’elle avait un
ALEXANDRE DE GALZAIN
peu d’avance. Pas assez pour un joint, mais bien vite, le tabac
à rouler glissait entre ses mains expertes. Une petite ciga-
rette avant les cours, tant que l’on a le temps... En tournant
la tête sur sa droite, elle aperçut Phinéas, son ami étudiant.
Personnage un peu atypique, il était plein de tourments, ne
savait jamais à quel saint se vouer et ne trouvait refuge que
dans le pétard.
– Alors Phinéas, prêt pour la socio ?
L’étudiant s’arrêta net. Alors que son visage s’empourprait,
son regard se teinta de colère et sa voix monta vite dans les
aigus :
– Camille, je te l’ai déjà dit la dernière fois, j’ai tran-
sitionné ! Je ne suis plus « cis », mais xénogenre. Ça
me saoule que même toi, tu ne fasses pas l’effort,
tu sais à quel point je suis déjà oppressé.e par les
hétéros blancs…
Le visage de Camille se décomposa. Depuis 2026, mégenrer
quelqu’un était passible de 3 500 euros d’amende et de six
mois avec sursis, mais en plus, elle se rangeait dans le camp
des réacs.
– Je suis vraiment désolée, Phinéas ! J’avais com-
plètement oublié, c’est la troisième fois que tu as
transitionné cette année je… Pardon, quels sont
tes nouveaux pronoms ?
– Ça va, c’est bon… Mes pronoms, c’est xublon et
xyflette…
La tempête était passée. Camille s’excusa à nouveau et ils
avancèrent à travers la place. Avant d’entrer dans le bâtiment,
ils croisèrent tout de même un camarade debout, bardé de
morceaux de métal qui ressemblaient à une armure, et te-
nant bizarrement une grosse lanterne allumée les deux bras
tendus. Ruya – c’est ainsi qu’il s’appelait – prit les devants :
– Salut ! Je me sens réverbère aujourd’hui, vous in-
quiétez pas.
Les deux compagnons arrivaient enfin au cours, dédié à la
manipulation des concepts de genre par l’extrême droite. Le
débat était rude pour savoir où celle-ci commençait : du côté

de Fabien Roussel ou d’Olivier Faure ? La fin de la séance fut
vite sonnée et les étudiants s’en furent déjeuner.
Cela faisait désormais trois semaines qu’à l’appel de Raphaël
Glucksmann, des dizaines de milliers de personnes bran-
dissant des carrés bleus manifestaient dans les rues de Paris
contre le génocide ouïghour perpétré par le régime chinois.
C’est donc logiquement que Camille s’y rendait, sans son
ami.x qui préférait potasser son cours de sociologie de la
musique. Le devoir à rendre la semaine prochaine s’intitulait
« L’herméneutique d’Aya Nakamura : exégèse paroxystique de
la créolisation dans « Djadja » ».
Arrivée au lieu de rendez-vous, le regard de Camille se perdit
parmi la joyeuse foule qui lui faisait face. Dans le cortège se
mêlait toute la France dans sa diversité et, au milieu des tam-
tams camerounais, on pouvait entendre des slogans comme
: « Oui au boulgour, Ouïghours ! », « Genocide : here ouïghour
again », ou encore : « Touche mon clito, pas mon Ouïghour !
». Au milieu de ce festival, on pouvait apercevoir un char sur
lequel était inscrit : « Show de drag-gouines ». Effectivement,
une douzaine d’hommes travestis en femmes en tenue lé-
gère s’y embrassaient langoureusement. Plus loin, un groupe
de musulmans habillés de djellabas tonnaient quant à eux «
Allah Akbar ! » en se tenant un peu à l’écart des femmes aux
cheveux bariolés et aux oreilles trop percées.
Elle n’était pas entrée dans la manifestation qu’un jeune
homme s’avança en souriant :
– Y’a fouule !
Il tenait un micro sur lequel on pouvait lire : « Livre Noir ».
Jamais entendu parler. Il était suivi d’un caméraman.
– Tu vas à la manif ? Banger ! Tu veux bien répondre
à quelques questions ? lança-t-il.
Sans trop réfléchir, Camille acquiesça.
– Tu vas à une manifestation pour défendre les
Ouïghours. Ils sont opprimés par la Chine, mais
la Chine est un État communiste qui tente d’ap-
pliquer l’égalité partout en essayant de mettre en
place dans une région musulmane intégriste des
lois de gauche comme le mariage pour tous, la GPA
ou l’IVG. Est-ce que ça ne te pose pas problème ?
Terrassée par l’interrogation, Camille ne savait pas quoi ré-
pondre. Instinctivement, elle bredouilla :
– Oui ben enfin, euh… Ils font des camps de concen-
161
tration et tout…
livre noir n°3
– Comme Staline et Fidel Castro. Tu es contre
l’égalité ?
La jeune femme était sur le point de fondre en larmes quand
un groupe d’une dizaine de militants s’approcha en criant :
« Eh, mais c’est les fachos, ça ! Cassez-vous, les nazis ! » Les
deux journalistes, devant les antifas masqués et armés de
matraques, commencèrent à s’éloigner dans une rue per-
pendiculaire d’un pas rapide. Avant de partir, le journaliste
lâcha en souriant un : « Abonne-toi à Livre Noir ! » à Camille,
interloquée. Depuis que Raphaël Arnault avait été nommé
ministre de l’Intérieur, il ne fallait pas espérer un procès fa-
vorable en cas d’agression contre les journalistes.
– T’as fait quoi ? T’as répondu aux fachos ? l’interro-
gèrent les antifascistes.
– Je savais pas… Je connaissais pas leur média, j’vous
promets ! répondit-elle, les yeux embués de larmes.
Ailleurs, la manifestation tournait au chaos. Les musul-
mans qui criaient « Allah Akbar » avaient commencé à s’en
convergence
prendre au char de « Drag-gouines » tandis que Clémentine
Autain, qui avait tenté de se joindre à la compagnie, avait
reçu des cailloux et des « casse-toi la réac ! » pour tout ac-
cueil. Alors que tout virait à la catastrophe, Camille prit le
parti de rentrer chez elle. Elle fit d’ailleurs bien : on
dénombra trente-quatre blessés et onze
agressions sexuelles entre les protesta-
taires – depuis la loi Boyard, il n’était
plus permis aux policiers de porter
ni arme ni bouclier durant les ma-
nifestations. Un migrant guinéen
aux 71 récidives avait bien été
interpellé, mais s'étant déclaré
transgenre, la police le relâ-
cha sous la pression de ses
victimes de viol.
En arrivant à l’apparte-
ment, Camille s’allongea
dans son lit. Sur son carnet
intime, qu’elle se forçait à
tenir tous les jours, elle ins-
crivit : « Que c’est difficile la
convergence des luttes, de se
battre pour le progrès des droits
de toustes au quotidien. Heu-
infiltrée
D.Duvet
reusement, on a évité l’extrême
droite. »
 LA CARTE BLANCHE DE GAREN SHNOROKIAN
Dans un ouvrage à paraître, deux journalistes s'aventurent
162
dans l'exploration de l'extrême droite. Bien que je n'aie pas
encore eu l'occasion de m'y plonger, mes prévisions quant à
livre noir n°3
son contenu s'orientent vers une omission flagrante.
Durant près d'une décennie, j'ai évolué de l'autre côté du
miroir, du côté des politiques. Je me suis frotté à la fine fleur
des journalistes. Il est désormais temps de révéler ce que nul
n'a osé dévoiler jusqu'à présent.
Les journalistes, surtout ceux de gauche, se voient en cheva-
lier blanc de l’autorité morale.
Mais derrière le rideau, la vérité se révèle tout autre.
J'ai eu l'occasion de les observer, pro-
e v o us
Ce qu z pas
diguant verres et fausses amitiés à de
jeunes esprits influençables, se liant
avec des militants à peine majeurs et
e l i re
les enivrant jusqu'à ce qu'ils débitent ce
n l i v re
qu'ils voulaient entendre. Les manœuvres
a n s le
sont dignes du chevalier Bayard !
d s o l et
s
de Ma gal
À ce titre, je tiens à saluer les journalistes
de Mediapart qui, à leur décharge, privilé-
Ma
gient l'interrogatoire serré, vous laissant 24
heures pour répondre sous peine de publica-
tion sans concession.
Je me souviens d'une soirée où, après un apé-
ritif bien arrosé, nous nous sommes retrouvés
dans les locaux de Valeurs Actuelles avec
Nicolas Massol de Libération et Marylou
Magal de L'Express, vers trois heures du
matin. Ironie du sort, ces détracteurs du
journal étaient là, trinquant au milieu
des bureaux déserts des journalistes
qu'ils méprisent tant. La soirée fut ponc-
tuée de rires, les langues se délièrent.
Nicolas Massol, pourtant parmi l’un
des plus intelligents de sa génération,
m'avoua qu'il ne se destinait point à
informer, mais à modeler l'opinion.
Son honnêteté m'étonna, je l'avoue.
Bien plus franc qu'un des journa-
listes de l'AFP, Adrien de Calan,
que j'ai surpris en Normandie, in-
sultant Éric Zemmour et Nicolas
Bay en douce auprès d'un confrère.
Mis face à son flagrant manquement
à la neutralité journalistique, il s'est
confondu en excuses. Ces gens cen-
sés informer de manière impartiale
ont déjà leur opinion bien arrêtée, peu
infiltrée
importe ce que les politiques peuvent
dire, surtout s'ils sont de droite.
Ces mêmes journalistes, donneurs de leçons dans leurs
écrits, n'ont aucun scrupule à se sustenter aux cocktails des
politiciens, même si ceux-ci sont, selon eux, financés par
le Kremlin, Trump ou le gouvernement de Syldavie. Ils se
jettent sur les amuse-gueules et les coupes de champagne
offerts par des politiciens qui les répugnent, tels des charo-
gnards affamés. Sans doute ne sont-ils pas assez rétribués
dans leur rédaction pour se nourrir autrement que des restes
offerts par des individus qu'ils abhorrent. La morale, oui,
m a i s l'estomac d’abord !
Mais le comble est atteint lorsque certains jour-
nalistes, mécontents de la réalité, décident de
la manipuler pour nourrir leur propre haine.
Lors d'un déplacement dans le nord de la
France, un journaliste de France 5 trouva
qu'Éric Zemmour n'était pas assez bous-
culé. Il décida donc d'informer les anti-
fas locaux du lieu de rendez-vous avec
le candidat. Connaissant le statut d'Éric
Zemmour, alors homme parmi les plus
menacés de France, escorté par huit
policiers déployés par le ministère de l'Inté-
rieur, cela revenait à peindre une cible sur
son front. L'histoire ne s'arrêta pas
là, car, informés de ces faits, mes
confrères décidèrent de se couvrir,
déclarant honteuse l'accusation por-
tée à l'encontre d'un journaliste pour
un tel méfait. Après notre départ, ils in-
terrogèrent les militants antifas, qui
d’eux-mêmes avouèrent que c'était
bien cet homme qui leur avait fourni
l'information. Pas une ligne dans la
presse grand public ne mentionna
cette histoire. Finalement, le jour-
naliste fut discrètement mis à pied
par France 5. Tant de déontologie,
j'en fus ébloui !
la carte blanche de Garen Shnorokian
Néanmoins, il convient de ne pas
jeter « l’eau propre » sur toute
la profession. Quelques jour-
nalistes se distinguent par leur
intégrité, leur intelligence et leur
éthique, mais ils demeurent dis-
photo delphine duvet
crets, craignant les médiocres.
Et vive le camp du bien !
infiltrée livre noir n°3 163
infiltrée livre noir n°3 164

IMMER
RSION

165
livre noir n°3
AZOV
CHEZ

ORAGES D’ACIER
Le bataillon Azov, ultra-nationaliste,
s’illustre depuis deux ans dans la défense
de la terre ukrainienne. Si l’idéologie du
bataillon est ouvertement extrémiste, ce
groupe de combattants n’en a pas moins
une importance déterminante dans le
conflit. Témoignage d’un homme les
ayant rejoints dans leur combat contre
l’envahisseur russe.

par Xavier Maire

photos Xavier Maire
infiltrée

REPORTAGE
PHOTO
166
livre noir n°3
l
introduction par erik tegnér
e 19 mars 2022, je faisais partie des deux
premiers journalistes occidentaux, avec
TF1, à entrer à Marioupol dans le Don-
bass contrôlé par les Russes. Cette ba-
taille, je l’ai vécue sur place durant 6 se-
maines, en suivant pas à pas les avancées
de l’armée russe. Au bout de plusieurs
semaines, le point de blocage s’est situé
autour de l’usine d’Azovstal, que j’ai pu
survoler en drone, et observer avec les fameux tché-
tchènes de Kadyrov. Je me souviens de ce comman-
dant de char Russe qui m’expliquait que nombre de
ses camarades avaient été abattus par un char ukrai-
nien réputé indestructible et situé sur la zone d’Azovs-
tal. Car oui, loin des dimensions politiques et géopoli-
tiques, j’ai vu un combat qui opposait le même peuple
slave et qui depuis deux ans a fait des ravages. Les
soldats russes que j’ai rencontrés, de Marioupol à Do-
netskou Kherson, me disaient ressentir une profonde
fierté à combattre face à une armée ukrainienne jugée
redoutable. Loin des insultes entre politiques russes et
infiltrée
ukrainiens, j’ai vu du respect pour ces soldats d’Azov
qui refusaient héroïquement de se rendre à Marioupol,
réfugié dans l’usine d’Azovstal durant des semaines.
Plusieurs mois après, alors que j’étais sur le front de
Kremina au nord de Bakhmut comme reporter indé-
pendant, mon équipe a subi des tirs d’un char ukrai-
nien a 300 mètres de la ligne de front. Réfugie dans un
bunker, les soldats m’apprenaient qu’en face, l’unité
Kraken était une unité d’élite, respectée y compris
dans le camp russe pour leur ténacité.
Les abonnés de Livre Noir le savent, j’ai commencé le
24 février 2022 la couverture de ce conflit d’abord côté
ukrainien, de Lviv aux bombardements sur Jyotymir
près de Liev, jusqu’à Odessa, avant d’aller côté russe
où peu de journalistes étaient. Aujourd’hui, je tenais à
donner à nouveau la parole au terrain, de l’autre côté,
à ces hommes qui étaient en face de moi, et dont je
subissais parfois voire souvent les tirs et bombarde-
ments qui nous laissaient à chaque avancee dans mes
reportages, une certaine crainte. Au-delà des batailles
géopolitiques, j’ai tenu à ce qu’on puisse plonger nos
lecteurs dans une guerre qui depuis deux ans a fait
couler bien trop de sang.
 167
livre noir n°3
infiltrée

Répétition des gammes, durant un

entrainement du régiment Azov
168
livre noir n°3

Sur la photo Yevhen Konovalets,

leader historique du nationa-
lisme ukrainien assassiné par le
NKVD en 1938.

AU COEUR VISITE D'UN CENTRE DE

par Xavier Maire

Dans la caserne, le
mysticisme est par- cemment.
tout. Ici sur l’affiche
D'UN CENTRE SECOURS SUR LE FRONT « Réveillez le guerrier Malgré la
qui est en vous ! » résistance
D’ENTRAÎNEMENT u k r ai -
Depuis le début de la guerre en 2022, nienne, l’armée doit se replier en bon
Dans la caserne, le culte est partout. À tout n'a cessé d’évoluer. J'ai le souvenir ordre pour éviter l’encerclement. Je m'y
droite, je lis sur une affiche : « Réveillez de pick-ups et de camionnettes trans- suis rendu une semaine après sa chute.
le guerrier qui est en vous ! » ; à gauche, formés à la hâte en ambulances de for-
j’observe le portrait des chefs, ceux tune lors de la bataille de Kiev et de
qui ont fait l’histoire d’Azov. En haut, Kharkiv. La situation a quelque peu
Mykola Kravchenko, de son nom de changé maintenant.
guerre « Kruk » (Corbeau), qui sera L'armée russe a su pallier ses problèmes
tué lors de la bataille de Kiev le 14 organisationnels. C’est ce que l’on a pu
mars 2022. voir avec la prise de Bakhmout. C'est
Des bibliothèques et des bureaux sont un déluge de feu et d'acier qui s’abat
mis à disposition des soldats. On y sur l’Ukraine, comme à Adviivka ré-
trouve de nombreux ouvrages fran-
çais, allemands et japonais traduits
par différentes maisons d’éditions,
Plomin, Orientir et Rainhouse.
En échangeant avec eux, nous décou-
vrons leur culture et leur attachement
à l’histoire de France ; la question qui
revient le plus souvent : « Louis XIV
ou Napoléon ? »
Leur formation idéologique est fon-
dée sur une culture cosaque et par des
écrivains essentiellement issus de la
nouvelle droite. Dominique Venner
est un auteur déterminant dans leur
éducation.
Deimos, l’un des traducteurs de la
maison Plomin, perdra la vie dans la
banlieue de Kiev en tentant d’attaquer
un char. Nombre d’entre eux ont été
tués dans les premiers mois de cette
guerre.
C’est à vive allure que nous arpentons
ÉG
champs et localités détruites. Au loin,
infiltrée

nous entendons l’artillerie ukrainienne

répliquer.

Sur place, la tension reste palpable.
J'organise une rencontre avec le ser-
vice médical de la 3e brigade. On
m'explique que le centre de stabilisa-
tion (hôpital de campagne) est à 20
kilomètres du front. Nous ne pouvons
pas nous approcher davantage, au
risque d'être bombardés. Sur place, je
constate avec stupéfaction la débrouil-
lardise ukrainienne. D'une simple
grange, ils arrivent à faire un bloc opé-
ratoire pouvant accueillir cinq blessés
à la fois. Le médecin en chef qui nous
accueille nous explique le fonctionne-
ment du bloc ainsi que ses jours passés
GLISE
ORTH
ODOX
E
169
livre noir n°3
Centuria organise
dans l'enfer d'Adviika. différents entraîne-
ments : ici un « Me-
Au plus fort des combats, leur clinique dic tactic » pour la Andreï est
a vu passer plus de 200 patients en une population civile. chirurgien.
nuit. Il se porte
Pourquoi la nuit ? Parce qu’avec l'uti- volontaire au SSO Azov Kiev dès les
lisation des drones, il devient presque premiers jours des hostilités. Il sera
impossible de sortir avec un véhicule d'abord chargé d'une équipe de Mede-
de jour. Toutes les évacuations sont vac (équipe d'évacuation d’urgence).
ainsi faites de nuit. Certains blessés Lors de la visite, il se réjouit et paraît
ont dû attendre plusieurs heures, voire soulagé de n'avoir aucun patient à
une journée complète, avant d'être traiter.
évacués. Il faut attendre la rotation On sent dans son regard la fatigue des
d'une équipe de combat avec un blin- jours passés. Parmi les centaines de
dé pour espérer une extraction sans y blessés traités, près de 10 % relèvent
laisser sa peau. d’interventions d'urgence absolue.
infiltrée
170
livre noir n°3
DANS LE SECTEUR D'ADVIIVKA, DES HOMMES,
ÉPUISÉS MAIS SOUDÉS, AFFRONTENT LA BOUE
ET LE FROID, GARDIENS ACHARNÉS DE LA
LIGNE DE FRONT.
SUR LE FRONT DANS
LE SECTEUR D'ADVIIVKA
Après l'enfer de Lyssichanks et de Ba-
khmout, je décide de me rendre sur le
front dans le secteur d'Advivka.
Les Ukrainiens ont livré bataille du-
rant deux années avant de se retirer
définitivement de la ville. On dé-
nombre des milliers de blessés, dont
plusieurs centaines dans un état grave.
Nous sommes donc accueillis à 30
kilomètres du front par une section
Centuria du bataillon antichar de la 3e
brigade.
Nous arrivons dans un petit village où
nous attendent des volontaires. Pour
infiltrée
des raisons de sécurité, je ne peux
donner l'endroit précis. Les hommes
sont dispersés dans différentes habita-
tions pour éviter d'être repérés et de
succomber dans un « one shot ». L'at-
mosphère est spartiate et la fatigue se
fait sentir, ils sont sans cesse renvoyés
sur le front. Ils tournent en rotation de
trois jours. Le reste du temps, ils dor-
ment et se reposent.
Cela fait maintenant un mois que les
gars n'ont pas eu de permission. Ils
me racontent leurs combats, leur en-
fer (ou leur Valhalla ?) Sur le front, la
situation est critique, on l'entend très
bien d'ailleurs. Les bombardements
russes sont incessants et les tirs de
barrage se font rares.
On m'explique qu'ils n'ont plus de
munitions et qu'ils vont sans doute
devoir partir dans l'infanterie. Le
manque d'hommes se fait sentir, mais
ils ont le moral. Quoi qu'il arrive, ils
resteront soudés.
C'est sans doute la force d'Azov : leur
camaraderie et cet esprit de famille
qui y règne.
Dans la nuit, une rotation doit se faire.
Une nouvelle équipe va se rendre
dans les tranchées avec un « Javelin ».
L’ordre est de tenir coûte que coûte la
ligne. Je les vois se préparer, le silence
règne lorsque ces hommes enfilent
leurs cuirasses. On pourrait se croire
au Moyen-Âge, avec ces différents
morceaux d'armures à assembler. Seul
le café chaud rompra le silence dans
l'attente du pick-up qui les emmènera
dans l'enfer de la boue et du froid.
infiltrée livre noir n°3 171
172
TRIBUNE

D. IMOULAYEN

« LA MUSIQUE EST HARAM »

livre noir n°3

SOOLKING, DU HIP-HOP À PRÉDICATEUR ISLAMISTE

R
évélé par son style

.
mêlant raï et hip-hop, APPLIQUER
Soolking, de son vrai LA SOI-DISANT
nom Abderraouf Der- PAROLE D’ALLAH
radji, s’est s’imposé comme l’un des
chanteurs les plus écoutés de France,
SANS SE POSER
surtout dans les quartiers populaires.
DE QUESTION
wikipedia

Outre sa musique, son parcours de

sans-papiers à Marseille et ses réfé- Devant l’influenceur émirati qui tente
rences aux mangas célèbres font de de lui expliquer que la chanson et la
lui une idole de la jeunesse maghré- musique peuvent, contrairement à
bine, particulièrement algérienne. En son avis de musulman, provoquer
2022, son retour triomphal en Algé- de belles émotions, Soolking assène
rie fut marqué par une bousculade à : « Moi, musulman, je suis la parole
l’entrée du stade où il devait animer d’Allah et c’est tout. Je n’essaie pas de
un concert ; cinq personnes y ont chercher plus loin. Il a dit que c’était
trouvé la mort et vingt autres ont été haram, alors c’est haram ! »
tribune

blessées. « Pour moi, la réussite, poursuit l’obs-

Dans une interview accordée à l’in- curantiste, c’est de ressentir cette peur
fluenceur émirati Anas Bukhash diffusée le 12 mars, le et cet amour de Dieu, de la religion et de la charia », mar-
chantre du « hirak » a tenu un discours islamiste, allant

.
tèle-t-il, ajoutant que si jamais il mourait demain, la chose
jusqu’à qualifier la chanson de « haram » (interdit par l'is- qu’il regretterait le plus serait de ne s’être pas suffisamment
lam) : « Nous sommes musulmans. Mon père a accompli le pè- consacré et dévoué à sa religion.
lerinage [à la Mecque] et ma mère est très, très, très attachée à
sa religion […]. Ils savent que je fais cela [chanter] par amour. CONFLIT DE LOYAUTÉ
Ils me demandent de prier pour ne pas commettre de péché, ET RADICALISATION
parce que dans notre religion la musique est haram », déclare

.
le rappeur pour qui les priorités sont « Dieu, la religion puis
les parents ».
EXPULSÉ DE FRANCE ET
REVENU 2 ANS PLUS TARD
Interrogé sur la raison qui l’a poussé à immigrer en France,
Soolking l’explique par le manque de moyens en Algérie. «
Je suis parti en France parce que j’aime l’art et, en Algérie, il
n’y a pas d’industrie musicale […]. La seule façon de réussir,
c’était d’aller en Europe, en France », avoue-t-il et d’ajouter
: « La première fois que je suis allé en France, je n’avais que
19 ans, mais six mois plus tard on m’a arrêté et expulsé. J’y
suis retourné. C’était moins difficile car j’avais appris de mon
premier séjour comment, sans papiers, on pouvait s’adapter
infiltrée
Interrogé par nos soins, Karim H, éducateur de quartier, dé-
nonce un discours « inconscient » de la part du rappeur : «
Il y a quelques années, c’était dans des collèges ou lycées qu’on
pouvait faire face à des conflits : quand un élève musulman sur
cent exprimait son mécontentement vis-à-vis d’un sujet abor-
dé en classe. Aujourd’hui, même des élèves de CE1 s’insurgent
contre leurs professeurs », s’indigne-t-il, en confiant avoir été
confronté à des situations où des enfants refusaient de par-
ticiper à des projets musicaux pour des raisons islamiques. «
Comment voulez-vous convaincre des jeunes musulmans que
la musique n’est pas synonyme de péché quand c’est l’un de
leurs rappeurs préférés qui l’affirme ? Ce sont des mois, voire
des années, de travail pédagogique dans la lutte contre la radi-
calisation que les déclarations de Soolking peuvent saper. C’est
inadmissible ! »

en France ». Soolking n’explique toutefois pas comment il a

réussi à régulariser sa situation administrative.
infiltrée livre noir n°3 173
 APPEL
174

AUX DONS
livre noir n°3

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investigations sur l’extrême gauche et les islamistes.
Depuis ce jour-là, nous n’avons pas chômé. Tout notre temps et notre énergie ont été dépensé
dans la recherche d’information au cœur des réseaux d’extrême gauche et islamistes. Au-
jourd’hui, nous nous attendons à être attaqués. Beaucoup de nos adversaires souhaitent nous voir
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C’est la raison pour laquelle nous invitons tous ceux qui croient dans notre travail et jugent qu’il
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Je vous remercie d’avance au nom de tous.

sso
Helloa
Amitiés,

Erik Tegnér
Directeur de la rédaction de Livre Noir

egné r
T
infiltrée

E r i k
MA SOIRÉE AVEC
LA Horde LA LETTRE VOLÉE
P
armi mes nombreuses en-
quêtes, il en est certaines que
je n’ai pas pu poursuivre :
que voulez-vous, il fallait bien
un jour rendre ce magazine !
Pourtant, il en est une que je
tiens encore à écrire : ma soi-
rée passée en compagnie de La
Horde.
Pour la présenter brièvement, cette association représente le
courant plutôt intellectuel de l’antifascisme : ici, pas ques-
tion de frapper les « fafs », mais plutôt d’apprendre à les
connaître, à apprendre les cinquante nuances de brun.
L’ironie du sort est telle que j’y crois à peine : le soir de
ma venue, le thème de la soirée est « les femmes d’extrême
droite ». Bien que je ne me définisse pas ainsi, je dois ad-
mettre que je ne peux manquer de remarquer le logo de Livre
Noir dans leur cartographie de l’extrême droite, document
qui fait chaque année leur instant de buzz et de notoriété.
Alors, j’écoute la conférence donnée par une militante de La
Horde au sujet d’un ouvrage appelé Les Nouvelles Femmes
de droite, expliquant devant une assemblée multigénération-
nelle antifasciste la stratégie de féminisation de la droite :
pour résumer, les fachos frappent leur femme, mais la
175
livre noir n°3
montrent pour avoir une bonne image. Marine Le Pen est la
première à en user selon eux, mais pas la seule. De fait, l’as-
sociation Némésis d’Alice Cordier est vue comme dévoyant
le féminisme pour déguiser son racisme.
J’ai l’impression d’être dans La Lettre volée d’Edgar Allan
Poe : ceux qui passent leur temps à comprendre et ficher
les médias « d’extrême droite » ne voient pas que l’une
des journalistes qui y travaille écoute la conférence qu’ils
donnent ! Ou encore dans Le Nommé Jeudi, de Chesterton,
où chacun des anarchistes désignés par un jour de la semaine
se révèle finalement un flic infiltré.
Je reviens une seconde fois dans la grande librairie anti-
fasciste parisienne. Cette fois-ci, nous sommes une dizaine
réunis pour jouer à « Antifa le jeu », jeu de société créé par
La Horde, dans lequel on joue un antifasciste qui doit lutter
contre… l’extrême droite, évidemment. Si l’ambiance de la
cave de la librairie est agréable, il faut dire que le jeu est, lui,
passablement ennuyeux. Pourtant, à la fin, on repart avec
des fiches sur les vilains fachos : le temps passe, mais les
méthodes demeurent les mêmes.
infiltrée
 chronique chronique
chronique chronique chronique chronique chronique chronique chronique
L
176
a bataille qui se livre à l’occa-
sion de l’élection européenne
livre noir n°3
est moins anecdotique qu’il
n’y paraît. Comme souvent au mo-
ment des grandes confrontations, elle
fait émerger les basculements qui
s’annoncent et en l’occurrence le nou-
veau clivage politique qui se profile.
GREEN DEAL : LE PACTE DES
« GRÜNEN »
Alors que jusqu’à présent peu de gens
avaient osé contester aux écologistes
l’autorité morale dont ils s’étaient pa-
rés, voilà que les agriculteurs, en Hol-
lande d’abord, puis dans toute l’Eu-
rope, viennent renverser les totems
autour desquels nos sociétés étaient
aveuglément contraintes de danser. La
pampa s’est enflammée, et la révolte
agraire qui s’est déclarée dans de très
nombreux pays européens commence
à consumer les équilibres politiques
existants. Les Pays-Bas basculent, le
reste de l’Europe s’affole.
Pour bien comprendre la situation,
il faut revenir aux fondamentaux du
« vonderleyisme ».
L’un des piliers du mandat de la Pré-
sidente de la Commission est, avec
le Pacte pour les migrations, le Pacte
vert ou « green deal ». Cette feuille
de route d’écologie punitive, bornée
de mesures coercitives, comprimée
dans un calendrier de mise en œuvre
intenable, devait conduire l’Europe à
la rédemption écologique. L’objectif
était la neutralité carbone, mais pas
vraiment la neutralité idéologique.
L’ÉCOLOGISME EST UN
WOKISME
Selon un procédé chimique qui per-
met de transformer le rouge en vert,
l’Union européenne a, sous couvert
d’écologie, entrepris un grand chan-
tier de déconstruction. Comme ses
succursales wokistes que sont le gen-
infiltrée
risme, le décolonialisme ou le fémi-
nisme radical, l’écologisme procède
ont entraîné l’Europe de la croissance
recherchée à la « croissance verte »,
puis à la « croissance zéro », c’est-à-
dire la stagnation, pour l’engager dé-
sormais vers la « décroissance ».
DE L’INTERDICTION À L’EX-
TINCTION
En cinq ans, sous l’impulsion de la
très autoritaire Ursula von der Leyen,
ont été adoptés de très nombreux
textes qui s’appuyaient systématique-
ment sur des injonctions, des restric-
DÉCROISSANCE-PUISSANCE tions et surtout des interdictions.
LE NOUVEAU
Comme si le repli, la cessation d’ac-
tivité, l’extinction de la présence
CLIVAGE
humaine était la seule option, prati-
quement aucun de ces textes ne pré-
voyaient de solutions techniques ou
scientifiques corrélatives.
Ce choix délibéré d’un effacement
par Philippe Olivier, RN de l’Homme marque à l’évidence, à
d’une analyse oppressive du illustration delphine duvet bas bruit, une rupture avec l’anthro-
monde. L’être humain, tout pocentrisme tel qu’il fut porté par les
particulièrement occiden- classiques, le christianisme ou les Lu-
tal, doit donc être considéré mières.
comme un oppresseur ou
même un prédateur et traité UE : UN EMPIRE FONDÉ SUR
comme tel : il doit non seu- LA CULPABILISATION
lement s’accuser et se repen-
tir mais également laisser la Le grand paradoxe de l’Union Euro-
place. On parlerait dans cer- péenne, c’est de s’envisager comme
tains amphis de « cancélisa- un empire, un empire veule qui a re-
tion » de l’Homme. noncé à la puissance et se fait devoir
C’est toute cette pensée extrémiste qui d’absorber celle des Nations pour la
a prévalu dans le mandat d’Ursula von neutraliser ; un empire wokiste fon-
der Leyen où l’Europe, son génie, ses dé sur la culpabilisation des peuples
capacités technologiques, créatrices d’Europe dont le dynamisme créatif et
ou productives, ont été sommées de productif indispose, culpabilisation de
s’effacer. l’Occident d’avoir dominé le monde
durant des siècles, culpabilisation de
DERRIÈRE LA « TRANSITION » l’Homme que des tentations nihilistes
UNE RÉVOLUTION voudraient voir disparaître.
Appuyé sur la croissance de nos éco-
La « transition écologique » qui nous nomies et la puissance des Nations,
a été vendue benoîtement dissimule notre projet est national et huma-
en réalité une véritable révolution, niste, et c’est en cela qu’à l’inverse de
une révolution anti-technologique et l’Union Européenne, il est foncière-
anti-économique et, au-delà même, ment européen.
une révolution anti-humaniste. Su- Par Philippe Olivier,
brepticement, en effet, les européistes Eurodéputé RN
 chronique chronique
chronique chronique chronique chronique chronique chronique chronique
l y a longtemps que les gourous
verts et les prophètes de malheur
anti-progrès existent. Les années
1960 et 1970 en ont vu fleurir de nom-
breux. L’échec de leurs prévisions a
calmé les ardeurs collapsologiques
pendant un temps. Puis, une nouvelle
vague est arrivée à partir de l’an 2000,
à la confluence de l’écologie politique
et de la gauche en quête d’un modèle
après l’échec des régimes marxistes.
Historiquement, la pensée de gauche
est d’ambition libératrice, émancipa-
trice et progressiste. Depuis l’écroule-
ment marxiste, la gauche doit trouver
de nouvelles références idéologiques.
Elle choisit l’écologisme qui est un
gauchisme réactionnaire anti-progrès.
L’idéologie verte qui a contaminé
toute la gauche (sauf le PCF dont le
patron Fabien Roussel défend coura-
geusement la science, le progrès et la
technologie) fonctionne comme une
nouvelle religion... mais au lieu de de-
mander pardon à Dieu, l’on demande
pardon à la Nature.
Michel et Monique Pinçon-Char-
lot, célèbres sociologues du CNRS,
ont expliqué dans L’Humanité : « Le
dérèglement climatique dont les ca-
pitalistes, qui ont pillé les ressources
naturelles pour s’enrichir, sont les
seuls responsables, constitue leur
ultime arme pour éliminer la partie
la plus pauvre de l’humanité deve-
nue inutile à l’heure des robots et de
l’automatisation généralisée. L’In-
telligence Artificielle régnera alors
sur une planète au service des riches
survivants, une fois que les ouragans,
tempêtes, inondations et incendies gi-
gantesques auront fait le sale boulot
». Ce délire complotiste est accepté
par la nouvelle gauche. En réalité,
la gauche verte est fascinée par la
fin du monde. Comme l’expliquait
l’intellectuel de gauche Bruno La-
tour : « L’apocalypse, c’est enthou-
siasmant ». Eh bien non, le discours
collapsologique n’est pas enthousias-
mant ; il conduit l’Europe au suicide
177
dividuelles pour abaisser l’empreinte
carbone des citoyens ; promouvoir les
livre noir n°3
technologies frugales ancestrales...
Bruno Latour a même proposé que
l’on utilise la camisole de force
contre les scientifiques favorables à la
géo-ingénierie. Cette fascination pour
la décroissance survient au moment
où l’IA va générer une bouffée d’inno-
vations et accélérer la croissance. Blo-
quer les nouvelles technologies aurait
les mêmes conséquences que l’inter-
diction de l’imprimerie entre 1455 et
1727 a eues sur l’empire ottoman.
LA GAUCHE
C’est par facilité que la gauche a cessé
d’être favorable au progrès. Il faut
S’EST MISE
reconnaître que répéter « on va tous
mourir » est plus simple que d’ex-
pliquer comment lutter contre le lea-
À HAIR
dership technologique américain pour
maintenir le pouvoir d’achat des Gi-
lets jaunes !
LE PROGRÈS
par laurant alexandre
illustration delphine duvet
et nos enfants au Prozac.
Au-delà de la justifica-
tion du recul des libertés,
l’écologie politique rivalise
d’imagination pour réduire
notre confort et les petites
joies consuméristes. La di-
mension sadomasochiste est
troublante. Le programme
21 90
€
de l’écologie politique est
un concentré de mauvaises
nouvelles et de fausses bonnes idées
la guerre
: organiser la décroissance, c’est-à- des intelligences
dire la baisse du pouvoir d’achat ; Laurent
diminuer la démographie européenne Alexandre,
pour mieux accueillir les migrants ; JC Lattès, 480 p.
baisser la population en contingen-
tant les soins aux personnes âgées Le cri d’alarme du docteur Laurent
très malades comme le propose Jean- Alexandre à propos de ChatGPT, l’in-
Marc Jancovici ; bloquer la plupart telligence artificielle qui est en train
des technologies de pointe – OGM, de dominer le monde. Jamais une
infiltrée
nucléaire, spatial, aéronautique, nu- technologie ne s’était imposée aussi
mérique, 5G... ; limiter les libertés in- rapidement.
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178
livre noir n°3

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