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DM 090 0035
DM 090 0035
Résumé
Dans un contexte d’incitation à la réduction énergétique, quels sont les leviers d’action sur les comportements
de consommation des individus, au-delà des valeurs qu’ils associent à la maîtrise de leur consommation ? Sur la
base d’une étude qualitative menée avec 40 répondants d’un même complexe locatif réhabilité, cette recherche
mobilise la théorie des pratiques appliquée au contexte de la consommation énergétique. Après avoir présenté et
discuté ce cadre d’analyse peu usité en marketing, elle propose une typologie de profils. Ceux-ci intègrent à la fois
les savoir-faire, les routines et les significations attachées à un ensemble d’activités consommatrices d’énergie,
mais aussi le système d’équipement incorporé au logement et les incitations/prescriptions qui ont accompagné le
programme de réhabilitation énergétique. Les résultats enrichissent les approches comportementales par la prise
en compte de l’environnement socio-technique des individus et fournissent une série de recommandations utiles
aux bailleurs sociaux comme aux organisations publiques ou marchandes engagées dans ces problématiques.
Mots-clés : consommation d’énergie, théorie des pratiques, efficacité énergétique, sobriété, réhabilitation thermique
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Abstract
Energy consumption and practice theory: towards possible courses of action for energy transition
In a context in which energy reduction is encouraged, what are levers for action on individuals’ consumption
patterns beyond values associated to the mastering of their energy use? On the basis of a qualitative study carried
out with 40 informants from the same rehabilitated rental complex, this research first proposes a theorization of
energy practices. After having presented and discussed the practice-theory framework still new in the marketing
field, we propose a typology of profiles. These incorporate the know-how, routines and meanings associated with
a set of energy-consuming activities, but also the system of equipment incorporated in housing and the incentives/
prescriptions that accompanied the program of energy rehabilitation. The results enrich behavioral approaches by
taking into account individuals’ socio-technical environment and provide a series of useful recommendations to
social landlords as well as public and commercial organizations involved in these issues.
Keywords: energy consumption, practice theory, energy efficiency, sobriety, energy rehabilitation of social housing.
La question de la transition énergétique est au connu sous le nom d’« effet rebond »4. La
cœur des débats et des politiques publiques réduction de la consommation d’énergie,
qui considèrent comme urgentes la transfor- obtenue par une plus grande efficacité et un
mation des modes de vie et leur réorientation meilleur rendement des équipements, semble
vers des logiques de soutenabilité (Bourg donc insuffisante à elle seule pour atteindre
et al., 2016). Réduire la demande d’énergie les objectifs de réduction fixés à l’horizon
constitue en effet un enjeu majeur en lien 2050. Elle appelle donc pour certains un
avec l’épuisement ou la rareté des ressources, engagement plus radical vers la sobriété,
et, de façon cruciale, avec la problématique consistant à redimensionner, limiter, réduire
du changement climatique. Celle-ci renforce ou mutualiser les équipements (Bourg et al.,
2016). De plus, alors que deux personnes sur
l’impératif d’une diminution de la demande
trois déclarent s’imposer régulièrement des
en énergie1, dans laquelle le secteur rési-
restrictions sur plusieurs postes budgétaires
dentiel représente 27 % de la consommation
et que les gains de pouvoir d’achat des mé-
totale en France2, soit presque autant que les
nages (+1,6 % par rapport à 2016) sont érodés
transports et davantage que l’industrie. Aussi,
par l’inflation (+1 %) provoquée par la hausse
des politiques publiques, contraignantes ou des prix de l’énergie5, les individus continuent
incitatives, ont été mises en œuvre dès 1974 à investir dans l’acquisition d’équipements
à la suite des chocs pétroliers, avec l’objectif électriques ainsi que dans les abonnements
principal d’accroître l’efficacité énergétique (téléphonie, télévision payante, Internet) qui
des logements. Désormais, la transition éner- leur sont liés6. De fait, les changements de
gétique fait l’objet d’une loi3 qui vise à lut- comportements des individus semblent très
ter contre le dérèglement climatique comme insuffisants en dépit de leurs attitudes favo-
à renforcer l’indépendance énergétique du rables ou des valeurs qu’ils associent aux
pays. Y sont favorisées les mesures suscep- économies d’énergie (Innocent, François-
tibles d’encourager les économies d’énergie Lecompte et Le Gall-Ely, 2016 ; Zélem,
par la rénovation des logements, et incitant 2010). Brisepierre (2011) confirme également
par ailleurs les individus à se doter d’équipe- que la sensibilité écologique n’entraîne pas à
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fait d’en user pour jouer sur un ordinateur ou étudiés et servent (ou non) les objectifs de ré-
pour cuisiner de manière récréative. Réussir duction définis par les acteurs institutionnels.
la transition énergétique passe donc par une
Les pratiques ont été analysées par le biais
compréhension plus fine de l’ensemble des
d’une étude qualitative et par observations
pratiques de consommation affectant de ma-
menées auprès de 40 répondants d’un en-
nière positive ou négative la consommation
semble de logements sociaux locatifs de la
énergétique, mais également des normes so-
région Provence-Alpes-Côte d’Azur ayant
ciales et de l’environnement matériel dans les-
fait l’objet du même programme de réhabi-
quels elles s’insèrent (Moloney et Strengers,
litation thermique, incluant un programme
2014). L’objectif de cette recherche est donc
d’accompagnement et de sensibilisation des
de proposer une typologie d’individus basée
usagers. Ce programme, soumis au volonta-
sur un ensemble de pratiques qualifiées selon
riat et suivi par un tiers de notre échantillon,
leur caractère favorable ou défavorable à la
comportait un volet collectif avec des réu-
réduction de leur consommation énergétique.
nions d’information et d’échanges entre parti-
Cette typologie intègre l’environnement dans
cipants sous la forme d’ateliers et un volet in-
lequel les individus sont placés, c’est-à-dire
dividualisé avec des visites au domicile. Pour
l’infrastructure matérielle (les installations du
éviter tout biais lié à des différences socio-
logement et les divers appareils acquis) ainsi
économiques marquées dans l’échantillon, et
que les normes sociales que sont par exemple donc susceptibles d’entacher la comparabilité
la température de chauffage recommandée des résultats (Gram-Hanssen, 2008), la re-
d’un logement, les « bons gestes » évitant la cherche a été menée auprès d’une population
déperdition de chaleur, le temps nécessaire homogène placée dans des conditions simi-
pour une douche, etc. (Shove, 2003). Nous laires, c’est-à-dire confrontée par nécessité
mobilisons pour cela la théorie des pratiques (et non par choix) au même programme de
(Reckwitz, 2002 ; Schatzki, 1996, 2002 ; réhabilitation énergétique. Un inventaire du
Warde, 2005 ; Shove et Pantzar, 2005) qui système technique incorporé au logement,
considère les comportements, énergétiques soit l’ensemble des dispositifs tels que chau-
en l’occurrence, comme la résultante plus
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Gram-Hanssen (2008) analyse les routines découpage opéré par Schatzki (2002) entre la
de régulation thermique dans un contexte « compréhension pratique » – c’est-à-dire les
résidentiel homogène ayant bénéficié d’un routines physiques et mentales incorporées
programme d’affichage environnemental. De par les individus – et « l’intelligibilité pra-
Warde (2005), elle retient les quatre dimen- tique », autrement dit le sens qu’ils donnent
sions d’analyse des pratiques : les formes de à ce qu’ils font. Son modèle intègre les règles
compréhension de la manière de faire les explicites et les savoirs tacites qui font d’une
choses, le niveau d’engagement des indivi- grande partie des activités domestiques des
dus dans leurs pratiques, les procédures (ou tâches routinières auxquelles les individus
normes de comportements) qu’ils partagent sont capables de prêter un sens. Il en va ainsi
autour du « faire » et du « dire », et les objets de l’extinction de l’éclairage dans les pièces
présents dans leur consommation. Sur la pre- inoccupées dans l’intention, tacite, de ne pas
mière dimension, elle conserve toutefois le gaspiller. Considérant aussi la dimension
Shove et Gram-Hanssen,
Schatzki, 2002 Reckwitz, 2002 Warde, 2005
Pantzar, 2005 2008
Compréhen-
Corps sion pratique
Savoir-faire
Intelligibilité Compréhen- Esprit incorporés
pratique sion pratique Compréhension Compétences
Intelligibilité
Agent pratique
Structures Raison d’être
Process des routines
élevé : « Maintenant lorsque vous achetez un même si je paye pareil » (Bernard). Si, inci-
appareil ménager c’est écrit ce qu’il va dé- demment, son niveau de consommation lui
penser. Vous allez prendre un A+ ou A, vous est rappelé, par les factures notamment, il vit
n’allez pas prendre B, C, D » (Jacqueline). Il sa situation comme le résultat d’un contexte
manifeste simplement une attention aux pres- ou de limites sur lesquels il ne peut agir :
criptions en faveur d’équipements les moins « Avant, il y avait la campagne, ils pouvaient
énergivores possibles. aller jouer dehors. Je vais leur dire quoi ?
Allez jouer dans le parking ? Il faut bien
5. Les éléments matériels du système les occuper, on a peur quand ils sortent »
énergétique incorporé et acquis (Paméla). L’intelligibilité des pratiques bute
Le « volontaire » se satisfait en général d’un de fait contre des besoins perçus comme fon-
niveau d’équipement standard : « J’ai aména- damentaux et irréductibles : « Chez moi je
gé par rapport à nous. J’aime bien cuisiner : ne peux pas faire grand-chose puisqu’il y a
il y a un peu de matériel » (Murielle), même actuellement tout d’éteint sauf le téléphone.
si, sous la pression de l’entourage et notam- Ce n’est pas à moi qu’il faut dire ça, c’est
ment des enfants, il peut avoir tendance à aux autres qui consomment beaucoup »
céder, à multiplier ou renouveler ses équipe- (Bernard). Ce qui dépasse le cadre strict de
ments (téléphonie par exemple). son action débouche ainsi sur un report de
responsabilité sur d’autres acteurs.
Le « responsable » : efficace sans perte
de confort et sans changer le monde 3. Les engagements et les significations
accordées aux pratiques
Son approche pragmatique fait de ce profil le
champion économique de la « chasse au gas- Le « responsable » est en quelque sorte le
pi » en dépit d’une faible conscientisation des champion de l’efficacité, tant lors de l’acqui-
consommations associées aux équipements sition d’équipements supplémentaires – « Je
acquis du fait qu’il ne souhaite pas se priver préfère qu’elle soit en classe A et qu’elle
d’un certain confort. consomme moins d’électricité et qu’elle
consomme moins d’eau » (Madona) – que
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on ne peut pas enlever ses habitudes comme 5. Les éléments matériels du système
ça, malgré que l’on soit dans un quartier énergétique incorporé et acquis
spécial » (Françoise). De fait, la référence Se restreignant par nécessité absolue du fait
aux routines se manifeste sous l’angle d’une de sa situation économique, l’« empêché »
continuité existentielle, structurante, et donc dispose d’un niveau d’équipement person-
difficilement modifiable. nel souvent basique, le coût d’appareils per-
formants étant souvent généralement hors
3. Les engagements et les significations de portée financière : « J’ai une seule télé,
accordées aux pratiques c’est un écran d’il y a très longtemps : c’est
En dépit de ses difficultés à s’extraire de sa encore un tube cathodique » (Aline). Au
situation, l’ « empêché » demeure ouvert à final, la question qui se pose à propos de ce
de possibles changements : « Oui, c’est pos- profil est la direction vers laquelle il pour-
sible de réduire la consommation d’énergie rait « migrer » en cas de desserrement de ses
de moitié mais il faut trouver une astuce et contraintes.
quand on a cinq enfants sur le chemin ce
n’est pas simple » (Moktar). Si Aline tente de Le « réfractaire » : quand réduire, c’est
faire agir ses proches : « Au quotidien, je le régresser
dis aussi à ma fille pour essayer de la sensi- A l’extrémité du continuum d’orientations
biliser un peu. Éteins l’eau, éteins la lumière défavorables, le « réfractaire » refuse toute
quand tu sors de ta chambre. Dès qu’il y contrainte énergétique, manifestant un désin-
a un truc, éteins-le », son influence sur les térêt pour une démarche de réduction, que
autres n’est pas absente, mais reste d’ampleur celle-ci soit perçue comme une régression ou
modeste. comme une peur de perdre sa liberté.
quotidiennes, bien qu’énergivores, sont justi- « C’est plus les grandes sociétés qui devraient
fiées par le désir d’éviter des efforts cognitifs faire attention. Ceux qui brûlent, les usines,
qui viseraient à changer l’existant : « La télé c’est plus à eux de défendre la planète »
est en veille 24h/24, la télé… c’est une ques- (Mickaël). De fait, le « réfractaire » est peu
tion de commodité et en fait je ne me suis ja- perméable à l’influence, aux prescriptions ou
mais posé la question » (Lucette). De même, aux informations fournies sur la consomma-
le critère de consommation énergétique n’est tion : « C’est pas facile la différence entre le
jamais pris en compte lors de l’achat d’appa- double A et le triple A. Même les vendeurs ils
reils additionnels. ne savent pas. Tout ça c’est de la rigolade »
(Rose). En revanche, à l’instar de Mila qui
3. Les engagements et les significations indique : « Ça serait bien d’encourager de
accordées aux pratiques cette manière : s’il y a un bonus, je pense
Le « réfractaire » se caractérise par un re- qu’il y aura plus de personnes qui feront
fus marqué de toute contrainte énergétique. attention », il se déclare sensible aux récom-
Bien qu’il affirme ne pas gaspiller, on per- penses économiques comme possibles leviers
çoit dans son orientation une forme d’inertie, de changement, une suggestion déjà formulée
voire de résistance. Toutes les pratiques sont par Bertoldi, Rezessy et Oikonomou (2013).
donc considérées comme irréductibles : on
ne peut pas faire moins, on ne peut pas faire 5. Les éléments matériels du système
mieux. Pour les plus âgés comme Daniel énergétique incorporé et acquis
(80 ans), c’est la crainte de régresser qui do- S’agissant de son niveau personnel d’équipe-
mine, par référence au passé, à ce qui a pu ment, le « réfractaire » n’est pas caractérisé
être acquis ou conquis en termes de niveau par une diversité ou un nombre d’appareils
de vie et de confort : « On revient à la lampe particuliers, sa limite étant surtout liée à sa
à huile de mon grand-père… A un certain capacité financière.
âge j’ai connu la guerre, les restrictions, le
En résumé, le cadre d’analyse fourni par la
manque de ceci, le manque de cela. En faire théorie des pratiques permet de mettre en
plus, non, c’est pas possible ». Pour les plus
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sion pratique, l’empêché cherchant à gérer gie et de freins à sa réduction. Toutefois, cha-
au mieux sa consommation contrairement cun des profils identifiés présente des leviers
au réfractaire qui considère l’existant comme d’action spécifiques que nous détaillons à la
inamovible. suite (Tableau 2).
Tableau 2 : Synthèse des profils, objectifs et modalités d’action pour favoriser la réduction de la
consommation d’énergie
Volontaire Être partie prenante de L’inciter à exprimer ses convic- Soutenir sa propension à agir
sa maîtrise énergétique tions, l’inciter à se comporter sur les autres
comme un leader d’opinion Lui donner un rôle de block-
leader dans l’immeuble et les
associations de quartiers
Responsable Être efficace mais sans Consolider sa propension à Accroître son accessibilité aux
remise en cause de son l’efficacité équipements efficaces et amé-
« confort » liorer l’efficacité de gestion de
ses équipements
Empêché Être dans l’incapacité Rendre l’efficacité accessible Multiplier les caractéristiques
économique à faire plus efficaces des équipements à
ou mieux en dépit d’une prix inchangé
possible volonté de L’inciter à partager des équipe-
changement ments
Réfractaire Être dans la peur de la Montrer l’intérêt financier de Donner des exemples concrets
réduction de consom- l’efficacité d’usage sans inci- avec chiffrage des gains
mation assimilée à une dence sur le service rendu
régression…
riser, dans les publicités, des modèles sobres a été évoqué plus haut. Une telle formule de
que le « responsable » aurait envie d’imiter, parrainage pourrait donc être une première
d’autre part à réélaborer les composants ma- voie de passage, sécurisée et sécurisante,
tériels de la pratique en développant l’effica- pour des individus souvent repliés sur eux-
cité énergétique et l’éco-design des produits mêmes et peu confiants dans leurs moyens de
(Spurling et al., 2013). progresser.
ments sur les économies réalisées au fil du cation publique environnementale (Ministère
temps qui, actuellement, ne sont pas direc- de la Transition écologique et solidaire,
tement visibles dans ses factures. La géné- ADEME ou fournisseurs d’énergie). En effet,
ralisation des nouveaux « compteurs intelli- la réduction de la consommation d’énergie
gents » pourrait jouer ce rôle de rétroaction peut résulter de l’efficacité et/ou de la sobrié-
en lui donnant le sentiment d’être maître de té : il importe donc de considérer le point de
sa consommation et de ses dépenses. Plus vue du consommateur différemment de celui
encore, le « réfractaire » se déclarant réceptif du fournisseur d’énergie. En effet, si pour
à l’idée d’une récompense ou d’un « bonus », ce dernier l’unité de mesure est la quantité
un programme d’incitations financières ex d’énergie consommée (quel que soit le ser-
ante liées aux économies réalisées, couplé vice), pour le premier, c’est le volume ou la
à un système de suivi en temps réel de leur qualité de service obtenu qui se révèle essen-
consommation pourrait se révéler intéressant tiel. Il est donc nécessaire que la communica-
(Bertoldi, Rezessy et Oikonomou, 2013 ; tion publique insiste sur la maximisation de
Zhao et al., 2012). Cette recommandation l’expérience de service de l’utilisateur plutôt
concerne en particulier les bailleurs sociaux que de lui faire craindre sa dégradation. La
et l’information qu’ils pourraient leur fournir, communication visant la sobriété doit égale-
à la fois sur leurs gains de consommation ment tenir compte des profils. Elle s’adresse
et sur les économies réalisées. En troisième prioritairement au « responsable » et au « vo-
lieu, ces mêmes acteurs pourraient publier lontaire », et non au « réfractaire » pour qui
des chiffrages de consommation compara- les discours de réduction risquent de susciter
tifs dont l’efficacité a été démontrée (Allcott, de la résistance et appellent d’autres actions,
2011). En effet, la théorie de l’engagement par exemple des incitations économiques,
appliquée au domaine de l’énergie montre moins problématiques sur ce point.
que les individus auxquels on demande un
geste – par exemple réduire l’usage d’une
climatisation – s’y tiennent quand cet enga-
Conclusion
gement est public et l’oublient quand il est Les individus, au quotidien, consomment de
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résultat d’un choix individuel, ni d’une appré- des habitations individuelles. L’analyse pour-
ciation des simples coûts et bénéfices liés à rait également être poursuivie dans le sens
la maîtrise des consommations énergétiques de l’approfondissement du rôle des sources
(Innocent, François-Lecompte et Le Gall-Ely, d’influence, informatives ou prescriptives, et
2016), mais qu’elles sont enchâssées sociale- des phénomènes d’acceptation, de rejet ou
ment et matériellement. En cela, la théorie des de résistance qu’elles peuvent engendrer. En
pratiques propose un éclairage systémique des effet, les techniques de nudge, a priori jugées
comportements qui évite deux grands écueils peu intrusives, ne seront efficaces que si (ou
(Geels et al., 2015) : soit considérer, dans tant que) les individus ne les perçoivent pas
une perspective « révolutionnaire », que la comme des tentatives de manipulation de
sobriété ne peut être atteinte qu’en suivant les leurs comportements. Enfin, des études quan-
préceptes de la décroissance, sans considérer titatives pourraient utilement compléter cette
le caractère socialement marqué et souvent
première approche, en incluant notamment
élitiste de ces mouvements ; soit penser, dans
la mesure de l’idéologie politique. En effet,
une perspective « réformiste », qu’il suffit de
celle-ci semble entraîner une réception dif-
peser sur les attitudes ou les choix pour obte-
férente des nudges selon la sensibilité idéo-
nir des effets durables sur les comportements
logique des individus (Costa et Kahn, 2010),
(Allcott, 2011). Ces deux approches relèvent
de positions idéologiques opposées mais se appelant ainsi à leur usage différencié selon
rejoignent sur le principe d’une (ir)rationa- les profils. Finalement, il apparaît aussi que
lité des décisions prises par les individus. les individus sont soumis à des injonctions
A contrario, notre approche considère que paradoxales – consommer vs économiser,
l’individu est d’abord pris dans des routines, optimiser leurs usages vs réduire leurs équi-
enserré dans un système de normes sociales pements. Il serait donc utile d’analyser, dans
et contraint par un environnement socio-tech- une perspective systémique, la manière dont
nique particulier. Nous considérons, à l’instar différents types d’acteurs – économiques, ins-
de Gram-Hanssen (2008) que la théorie des titutionnels et pro-environnementaux – s’em-
pratiques est pertinente et utile pour l’analyse parent de la question énergétique et pèsent,
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Annexes
Annexe 1 : Caractéristiques sociodémographiques des 40 répondants
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