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Hypertension artérielle maligne


L. Zafrani, A. Kanfer

L’hypertension (HTA) maligne (HTAM) est définie par l’installation rapide de valeurs élevées de pression
artérielle (> 180/100 mmHg, souvent > 200/120) et d’atteintes viscérales diversement associées :
troubles visuels par rétinopathie, constante, comportant hémorragies, exsudats et œdème papillaire ;
atteinte neurocérébrale, encéphalopathie hypertensive diffuse, ou accident vasculaire cérébral, à
distinguer par les techniques d’imagerie ; insuffisance ventriculaire gauche, angor ; insuffisance rénale
par néphroangiosclérose maligne et microangiopathie thrombotique avec anémie hémolytique
intravasculaire. Le plus souvent l’HTAM complique l’évolution d’une HTA essentielle méconnue ou
insuffisamment traitée ; chez environ un tiers des patients elle est consécutive à une sténose artérielle
rénale uni- ou bilatérale. L’activation extrême du système rénine-angiotensine est présente dans la
majorité des cas avec hyperaldostéronisme et hypokaliémie. Les patients sont hospitalisés d’urgence en
secteur de soins intensifs. Le traitement antihypertenseur est mis en route par voie intraveineuse sous
contrôle automatique permanent. L’abaissement de la pression artérielle doit être progressif, notamment
en cas d’accident vasculaire cérébral. Ultérieurement le traitement antihypertenseur oral a pour objectifs
la normalisation de la pression artérielle, la prévention des accidents cérébraux et cardiovasculaires et
l’amélioration de la fonction rénale.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Hypertension artérielle maligne ; Atteintes viscérales ; Traitement antihypertenseur

Plan est déterminée par la rapidité d’installation et par ses consé-


quences viscérales : par définition celles-ci incluent une rétino-
¶ Introduction 1
pathie comportant hémorragies et exsudats, et le plus souvent
œdème papillaire. Ainsi, on distingue les HTA à pression
¶ Manifestations cliniques 1 artérielle élevée sans atteinte viscérale aiguë et les HTAM
Signes oculaires 1 nécessitant l’hospitalisation d’urgence, au mieux en service
Signes cardiaques 2 spécialisé (Fig. 1) pour prise en charge du traitement et de
Signes neurologiques 2 l’investigation étiologique et des conséquences viscérales
Signes rénaux et hématologiques 3
(Tableau 1).
¶ Causes d’hypertension artérielle maligne 3
¶ Physiopathologie 3
Rôle de la dysfonction endothéliale
Rôle du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA)
3
4 ■ Manifestations cliniques
Rôle de la vasopressine/hormone antidiurétique (ADH) 4
¶ Traitement 4 Signes oculaires
¶ Conclusion 5
La baisse de l’acuité visuelle est fréquente. On constate des
hémorragies rétiniennes par nécrose des parois capillaires et des
artérioles précapillaires, des exsudats qui correspondent à une
extravasation des protéines plasmatiques dans la rétine posté-
■ Introduction rieure (Fig. 2) ; l’œdème papillaire est bilatéral. Il était habituel
de classer les lésions en rétinopathie stade III (hémorragies,
Dans cette revue, nous traitons de l’hypertension artérielle exsudats) ou IV (avec œdème papillaire). Il est préférable
(HTA) maligne (HTAM) en insistant sur les données récentes cependant de décrire les anomalies et de souligner leurs
physiopathologiques, diagnostiques et thérapeutiques (à l’exclu- associations avec d’autres évènements cardiovasculaires. En
sion de la prééclampsie). L’HTAM se définit par l’association effet, la rétinopathie est un marqueur des lésions des organes
d’une HTA sévère et d’une rétinopathie hypertensive au stade III cibles de l’HTA : la présence d’hémorragies, d’exsudats ou de
ou IV. Les valeurs de pression artérielle sont variables : pression nodules cotonneux de la rétine est significativement associée à
artérielle systolique le plus souvent supérieure ou égale à la survenue d’accidents vasculaires cérébraux et d’accidents
200 mmHg et pression artérielle diastolique de 100 à coronariens, le risque de décès étant d’autant plus élevé qu’il
180 mmHg. Plus que par sa valeur absolue, la gravité de l’HTA existe un œdème papillaire [1].

Cardiologie 1
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Figure 1. Arbre décisionnel. Prise en charge


PAS > 180-200 mmHg d’une poussée hypertensive aiguë. HTA : hy-
PAD >100-120 mmHg pertension artérielle ; PAS : pression artérielle
systolique ; PAD : pression artérielle diastoli-
que.

HTA asymptomatique HTA maligne


Manifestations cliniques oculaires,
cardiopulmonaires, neurologiques,
générales
Consultation ou Signes hématologiques, rénaux
hospitalisation de jour
Hospitalisation
immédiate

Traitement antihypertenseur oral Enquête étiologique Traitement d'urgence


(de préférence anticalcique ou Analyse des parentéral initialement
central initialement) conséquences
viscérales de l'HTA

Tableau 1.
Enquête étiologique et investigation des conséquences viscérales de
l’hypertension artérielle maligne.
Examens biologiques de routine
NFS, schizocytes, haptoglobinémie, LDH, bilirubinémie libre,
hémostase complète
Urée sanguine, créatininémie, ionogramme plasmatique, ionogramme
urinaire, protéinurie, examen cytobactériologique des urines,
troponine Ic
Recherche de conséquences viscérales et enquête étiologique
Fond d’œil
Électrocardiogramme, échographie cardiaque transthoracique,
radiographie thoracique
Scanner cérébral et/ou IRM cérébrale
Échographie-doppler Taille des reins, degré de différenciation
rénale corticomédullaire ; recherche de sténose
artérielle rénale, d’éléments en faveur
Figure 2. Rétinopathie hypertensive avec hémorragies (grandes flè-
d’une néphropathie chronique
ches), exsudats (petites flèches) et flou papillaire (Dr Girard – service
Détermination de l’index de résistance d’ophtalmologie – hôpital Tenon).
intrarénale (N < 0,7)
Dosage de rénine Recherche d’hyperaldostéronisme
et d’aldostérone secondaire (réninémie élevée) ou primaire inhibiteurs calciques dihydropyridiniques). L’activation extrême
plasmatique (réninémie basse) du système rénine-angiotensine avec hyperaldostéronisme
NB : nécessité d’interpréter les résultats secondaire et hypokaliémie est caractéristique de la plupart des
en tenant compte du traitement en cours cas d’HTAM ; cette activation contribue à la dysfonction
Catécholamines, Recherche ventriculaire gauche et aux premiers stades de l’infarctus
métanéphrines de phéochromocytome myocardique, et apparaît comme un facteur de mauvais pronos-
et normétanéphrines tic cardiaque [2]. Plus rarement, une dissection aortique compli-
urinaires que une poussée d’HTAM.
Cortisolurie des 24 heures Recherche d’hypercorticisme
NFS : numération-formule sanguine ; LDH : lactate déshydrogénase ; IRM : Signes neurologiques
imagerie par résonnance magnétique.
Les signes neurologiques sont dus soit à une encéphalopathie
hypertensive soit à une hémorragie cérébrale ou cérébroménin-
Signes cardiaques gée, soit à des infarctus lacunaires [3].
L’encéphalopathie hypertensive est la traduction d’un œdème
L’atteinte cardiaque est caractérisée par une insuffisance cérébral diffus par perte de l’autorégulation vasculaire cérébrale
ventriculaire gauche avec œdème pulmonaire patent ou latent. avec hyperpression intra-artériolaire et intracapillaire et exsuda-
Elle concerne surtout la fonction diastolique et est définie par tion plasmatique dans le tissu cérébral [4] : cet œdème cérébral
un défaut de remplissage ventriculaire avec anomalie de se manifeste par des céphalées, des nausées, vomissements, une
relaxation du ventricule gauche et relative conservation de sa confusion, et au maximum des convulsions et un coma [5].
fraction d’éjection. L’hypertrophie ventriculaire gauche est L’imagerie par résonance magnétique (IRM) peut révéler un
absente si l’HTA est d’installation récente. Des accidents œdème de la substance blanche des régions pariéto-occipitales
d’ischémie myocardique aiguë peuvent compliquer l’HTAM dans le syndrome d’encéphalopathie postérieure réversible
dans deux circonstances : comme conséquence directe de la (PRES), une entité clinicoradiologique comportant des lésions
poussée aiguë hypertensive ; ou comme conséquence de son caractéristiques de leucoencéphalopathie postérieure à l’IRM [6].
traitement, par le biais d’une baisse brutale de la pression La symptomatologie neurologique est aspécifique et le diagnos-
artérielle ou d’une tachycardie réflexe (notamment avec les tic se fonde sur la neuro-imagerie. Les anomalies apparaissent

2 Cardiologie
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Tableau 2.
Atteintes rénales dans l’hypertension artérielle maligne (HTAM).
Causes rénales d’HTAM
Sténose unilatérale ou bilatérale des artères rénales (aggravée
par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les antagonistes des
récepteurs de l’angiotensine II)
Néphropathie chronique préexistante
Glomérulonéphrite aiguë
Conséquences rénales de l’HTAM
Insuffisance rénale fonctionnelle par bas débit cardiaque
Insuffisance rénale fonctionnelle par déshydratation extracellulaire
Microangiopathie thrombotique/néphroangiosclérose maligne (±
anémie hémolytique)

sur les séquences T2 et FLAIR sous la forme d’hypersignaux ;


l’IRM de diffusion montre un aspect d’œdème vasogénique. La Figure 3. Hypertension artérielle maligne avec syndrome hémolytique
physiopathologie reste mal élucidée. Une hypothèse évoquée et urémique. Biopsie rénale. Artère de petit calibre siège d’une proliféra-
pour expliquer l’atteinte préférentielle de la circulation cérébrale tion subintimale avec aspect en « bulbe d’oignon » ; thrombose intralu-
postérieure est la faible innervation sympathique de celle-ci, minale (flèche) (trichrome de Masson × 40).
avec en conséquence, en cas de poussée hypertensive, une
moindre augmentation du tonus périvasculaire et une moindre
protection de cette zone que d’autres zones du cerveau face à décours d’un épisode d’HTAM, environ 20 % des patients
l’augmentation de la pression intravasculaire [7]. gardent des séquelles rénales à moyen ou long terme avec
Cette encéphalopathie hypertensive doit être distinguée d’un élévation significative de la créatininémie, qu’une hémolyse ait
accident vasculaire cérébral (AVC) avec signes de localisation été ou non présente initialement [10].
neurologique. L’IRM cérébrale confirme le diagnostic en mon- Une insuffisance rénale fonctionnelle par déshydratation
trant la leucoencéphalopathie postérieure qui ne présente pas de extracellulaire et hypovolémie par natriurèse excessive est
systématisation artérielle. Les séquences en diffusion permettent présente à la phase initiale de l’HTAM chez certains patients et
de distinguer l’œdème vasogénique du PRES de l’œdème cyto- s’accompagne d’une soif intense liée en partie à l’hyperangio-
toxique des accidents ischémiques. Le PRES est le plus souvent tensinémie : elle est réversible après réhydratation adéquate.
réversible avec la réduction de la pression artérielle. L’état d’hydratation doit donc être systématiquement évalué
Les accidents vasculaires cérébraux sont soit ischémiques, soit chez ces patients, cliniquement (poids, état cutanéomuqueux) et
hémorragiques, à l’origine de signes neurologiques focaux : le biologiquement (protidémie).
scanner cérébral est réalisé en urgence. La réduction de la
pression artérielle doit être moins agressive en cas d’AVC qu’en
cas d’encéphalopathie hypertensive, une réduction trop rapide ■ Causes d’hypertension artérielle
ou trop importante de la pression artérielle pouvant aggraver les
lésions cérébrales [5]. maligne
L’HTAM survient le plus souvent chez des patients ayant une
Signes rénaux et hématologiques (Tableau 2) HTA ancienne méconnue ou insuffisamment contrôlée, ou dont
le traitement a été interrompu. Elle complique le plus souvent
L’HTAM est responsable d’une insuffisance rénale aiguë ou
une HTA essentielle, en particulier chez les sujets noirs. Une
rapidement progressive, oligurique chez certains patients qui
sténose artérielle rénale doit toujours être recherchée, initiale-
doit être traitée par dialyse. La protéinurie est variable en
ment par échographie-doppler, en raison de sa grande fré-
général inférieure à 1 g/l ou 24 h, une protéinurie supérieure à
quence : elle est présente chez environ 30 % des patients avec
3 g/l ou 24 h devant faire rechercher une glomérulopathie sous-
HTAM, notamment les sujets âgés athéromateux. La survenue
jacente préexistante. L’hématurie microscopique est inconstante.
d’un œdème aigu pulmonaire « flash » sur un cœur apparem-
L’atteinte rénale est anatomiquement caractérisée par les lésions
ment sain doit la faire suspecter. Une néphropathie sous-
de néphroangiosclérose maligne [8, 9] : nécrose fibrinoïde
jacente peut être également en cause : glomérulopathies
artériolocapillaire ; prolifération intimale réalisant une endarté-
chroniques, glomérulonéphrite aiguë, néphropathies vasculaires
rite avec aspect dit en « bulbe d’oignon » qui va occlure la
(polyangéites, sclérodermie) ; il est alors difficile de faire la part
lumière artérielle ; thrombi de fibrine obstructifs intra-artériels
dans l’atteinte rénale de ce qui revient à l’affection préexistante
(artères interlobulaires), intra-artériolaires et intracapillaires
et à la néphroangiosclérose maligne. D’autres causes d’HTAM
(Fig. 3). Ces lésions témoignent d’une microangiopathie
sont rares : phéochromocytome, hyperaldostéronisme primaire,
thrombotique (MAT). Celle-ci traduit l’existence d’une coagula-
hypercorticisme, réninome ; une intoxication par la cocaïne ou
tion intravasculaire intrarénale avec activation locale de
les amphétamines peut aussi être suspectée d’après le contexte
l’hémostase, consommation plaquettaire et fragmentation des
clinique et anamnestique.
hématies à leur passage dans les petits vaisseaux en partie
thrombosés. Les lésions spécifiques de néphroangiosclérose
maligne sont associées à une ischémie glomérulaire avec
rétraction du floculus au pôle vasculaire et à des lésions de ■ Physiopathologie
nécrose tubulaire aiguë.
L’hémolyse intravasculaire par fragmentation des hématies Rôle de la dysfonction endothéliale
dans les microvaisseaux thrombosés est responsable d’une
anémie avec réticulocytose supérieure à 5 %, présence de L’endothélium a un rôle central dans la régulation de la
nombreux schizocytes, haptoglobinémie inférieure à 30 mg/l, pression artérielle en sécrétant des substances comme le
lacticodéshydrogénase (LDH) sérique élevée et est accompagnée monoxyde d’azote (NO) et la prostacycline qui modulent le
d’une thrombopénie et d’une élévation des produits de dégra- tonus vasculaire par leur effet vasodilatateur. En cas d’HTAM,
dation de la fibrine circulants. L’existence d’une hémolyse ces mécanismes de compensation vasodilatateurs endothéliaux
intravasculaire ne semble pas influencer le pronostic rénal : au sont dépassés, avec diminution de la production de NO,

Cardiologie 3
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responsable à la fois d’une augmentation plus importante de la rôle de l’aldostérone [23] dans l’atteinte vasculaire et la microan-
pression artérielle et de lésions endothéliales. Un cercle vicieux giopathie de l’HTAM, rôle dont le mécanisme n’est pas bien
s’enclenche avec augmentation des résistances vasculaires et connu. L’aldostérone pourrait diminuer la production ou
dysfonction endothéliale de plus en plus sévère. Les mécanismes l’activité de l’oxyde nitrique vasodilatateur et avoir aussi un
moléculaires exacts de cette dernière restent mal compris mais effet pro-inflammatoire.
impliquent probablement des réponses pro-inflammatoires
induites par les tensions mécaniques, comme la sécrétion de
cytokines, l’augmentation de calcium cytosolique endothélial, la Rôle de la vasopressine/hormone
production d’endothéline-1 vasoconstrictrice et l’augmentation antidiurétique (ADH)
de l’expression de molécules d’adhésion endothéliales ICAM-
1 et VCAM-1 [11-14]. Les lésions endothéliales sont responsables Des études animales ont montré une augmentation de la
d’une augmentation de la perméabilité vasculaire avec des vasopressine plasmatique dans l’HTAM comparée à l’HTA non
dépôts de protéines plasmatiques et de dérivés du fibrinogène maligne [24]. Chez les patients ayant une HTAM, les concentra-
dans la paroi vasculaire d’une part, et d’autre part de l’activa- tions plasmatiques de vasopressine sont augmentées mais sans
tion de médiateurs de la coagulation et de la prolifération corrélation avec la pression artérielle [25]. La natriurèse excessive
cellulaire. On observe chez les patients ayant une HTAM une et la déplétion volémique stimulent non seulement le SRAA et
augmentation du fibrinogène et du facteur von Willebrand, le système nerveux sympathique mais aussi la sécrétion d’ADH,
témoignant de l’existence d’un état inflammatoire et de lésions éventuellement responsable d’une hyponatrémie et d’une
vasculaires actives [15]. aggravation de l’œdème cérébral.

Rôle du système rénine-angiotensine-


aldostérone (SRAA) ■ Traitement
L’activation du système SRAA joue un rôle majeur dans la La décision thérapeutique dépend des manifestations clini-
physiopathologie de l’HTAM et contribue au développement de ques cardiovasculaires, rénales, neurologiques, notamment la
la nécrose fibrinoïde. Comme indiqué ci-dessus, chez presque survenue d’un accident vasculaire cérébral, d’un infarctus du
tous les patients l’activité rénine plasmatique (ou la réninémie) myocarde ou d’une dissection aortique. Il s’agit d’une urgence
est augmentée en raison de l’augmentation initiale de la thérapeutique nécessitant une hospitalisation immédiate. Le
natriurèse liée à l’augmentation de la pression artérielle (natriu- traitement doit être conduit sous contrôle automatique rappro-
rèse dite « de pression »), et de l’ischémie rénale. Un autre ché de la pression artérielle, par brassard ou plus rarement par
argument en faveur du rôle du SRAA dans l’HTAM est apporté voie sanglante.
par les études génétiques chez l’homme. Le gène ACE (gène de L’objectif initial du traitement de la crise hypertensive est de
l’enzyme de conversion de l’angiotensine) a été impliqué dans ramener la pression artérielle diastolique à 100-105 mmHg ; ce
l’HTAM ; son polymorphisme est caractérisé par l’insertion ou la but doit être atteint en 2 à 6 heures avec un abaissement
délétion d’une paire de bases sur le chromosome 17q23 : le maximal initial de la pression artérielle d’environ 25 % de la
génotype DD (délétion/délétion) est associé à une augmentation valeur de départ [5, 26]. Une thérapie hypotensive plus agressive
de la concentration plasmatique d’ACE et d’angiotensine II, et n’est pas nécessaire, peut réduire la pression artérielle en dessous
est retrouvé plus fréquemment chez les patients ayant une du seuil d’autorégulation et être responsable d’accidents
HTAM que dans le groupe contrôle [16]. ischémiques cardiaques ou cérébraux. Dès que la pression
Les données de l’expérimentation animale confirment les artérielle est contrôlée, le traitement oral est commencé avec
constatations faites chez l’homme. L’hypertension maligne peut pour objectif la réduction progressive de la pression artérielle
apparaître chez le rat après constriction serrée d’une artère jusqu’à obtention de valeurs normales (< 140/90 mmHg). La
rénale : la phase de malignité est caractérisée par une insuffi- réduction initiale de la pression artérielle est souvent associée à
sance rénale, par l’augmentation de la natriurèse avec négativa- une détérioration modérée de la fonction rénale (augmentation
tion de la balance du sodium et hypovolémie, et consé- de la créatininémie d’environ 20 % de la valeur initiale). Ce
cutivement par l’élévation considérable de l’activité rénine phénomène est le plus net en cas de traitement par IEC de
plasmatique. L’importance de la natriurèse et de la déplétion l’angiotensine ou par antagoniste des récepteurs de l’angioten-
volémique dans l’HTAM est illustrée par l’effet de la correction sine II (ARA II), surtout en cas d’association avec un diurétique.
de l’hypovolémie par l’apport de soluté physiologique, qui L’élévation de la créatininémie doit être acceptée parce qu’elle
entraîne la stabilisation de la pression artérielle et la diminution est le plus souvent réversible, la perfusion et la fonction rénales
de l’activité rénine plasmatique [17]. Les études expérimentales s’améliorant sous traitement en 1 à 3 mois.
sur les animaux transgéniques ont souligné l’importance du Plusieurs agents antihypertenseurs sont utilisés dans le
SRAA dans la physiopathologie de l’HTAM. Les rats exprimant traitement initial de l’HTAM, leur efficacité débutant entre 5 et
le gène rénine Ren-2 (rats transgéniques qui surexpriment le 15 minutes après leur administration (Tableau 3).
gène de la rénine) développent une HTA plus sévère que les rats L’intérêt des IEC, notamment du captopril, dans le traitement
témoins [18]. De plus, les rats transgéniques qui surexpriment à de l’HTAM a été démontré au long cours mais aussi à la phase
la fois le gène humain de la rénine et celui de l’angiotensino- aiguë de la poussée hypertensive maligne [27]. L’administration
gène développent des HTA sévères mais aussi des lésions par voie parentérale est également possible [28]. L’efficacité des
vasculaires inflammatoires similaires à celles observées chez IEC est attendue en raison de la vasoconstriction due à l’hyper-
l’homme dans l’HTAM [19]. L’excès d’angiotensine II, en plus de angiotensinémie caractéristique de l’HTAM. Cependant, lors de
son rôle vasoactif, a des effets toxiques directs sur la paroi la phase aiguë, leur utilisation doit être prudente en raison du
vasculaire. Ceux-ci passent par l’activation de l’expression de risque de chute brutale de la pression artérielle chez les patients
gènes codant pour des cytokines pro-inflammatoires (comme hypovolémiques ou ayant une sténose de l’artère rénale ; ils
l’IL6) et l’activation du facteur de transcription NFjB (nuclear exposent au risque d’anurie en cas de sténose bilatérale des
factor jB) par l’angiotensine II [20, 21]. Le rôle pathogène de artères rénales et sont contre-indiqués dans cette situation. La
l’activation du SRAA indépendamment des valeurs de pression nicardipine parentérale peut être utilisée dans la plupart des
artérielle est affirmé dans un modèle animal d’HTAM : l’admi- situations et est devenue le traitement de référence des HTAM :
nistration d’une dose faible non hypotensive d’inhibiteur de c’est un vasodilatateur artériel et veineux de courte durée
l’enzyme de conversion (IEC) diminue la fréquence de la d’action administré initialement par voie intraveineuse conti-
nécrose fibrinoïde artériolaire (4 % versus 63 % chez les nue. La survenue d’une hypotension est rapidement réversible
animaux non traités) en association avec une diminution de à l’arrêt ou lors de la diminution de posologie. La nifédipine
l’activité du SRAA [22]. Des études chez le rat suggèrent aussi un sublinguale doit être évitée car le risque majeur est une réponse

4 Cardiologie
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Tableau 3.
Traitement de l’hypertension artérielle maligne.
Médicament Posologie Durée d’action Effets secondaires principaux Indications particulières
Inhibiteur calcique
Nicardipine 3-15 mg/h 45-90 min Tachycardie avec risque d’aggravation La plupart des urgences hypertensives
i.v. continue d’un syndrome coronarien, céphalées, sauf insuffisance coronaire aiguë
flush
IEC
Enalaprilat 1,25-5 mg 6 à 12 h Chute brutale de la pression artérielle Insuffisance ventriculaire gauche
Captopril toutes les 6 h i.v. en cas d’hyperangiotensinémie aiguë ; contre-indiqué pendant
extrême, toux, céphalées la grossesse
Dose initiale 12,5 mg p.o.,
augmentation progressive
␣b-bloquant
Labétalol 1 mg/kg puis 0,5-1 mg/min i.v. 2à6h Vomissements, nausées, La plupart des urgences hypertensives
bronchoconstriction, bloc cardiaque sauf insuffisance cardiaque aiguë
␣-1bloquant
Urapidil 25 mg en 20 min puis 10 à Vertiges, nausées, céphalées
30 mg/h i.v. continue Pas d’effet tachycardisant
Diurétiques de l’anse
Furosémide 40 à 80 mg i.v. 3h Déshydratation, hyponatrémie, Uniquement en cas de signes
Bumétanide 2 à 4 mg hypokaliémie congestifs pulmonaires
(œdème pulmonaire aigu)
i.v. : intraveineux ; p.o. : voie orale.

hypotensive excessive et incontrôlée responsable de symptômes [3] Phillips SJ, Whisnant JP. Hypertension and the brain. Arch Intern Med
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L. Zafrani.
A. Kanfer (alain.kanfer@tnn.aphp.fr).
Hôpital de jour de médecine, Hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Zafrani L., Kanfer A. Hypertension artérielle maligne. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Cardiologie,
11-301-K-20, 2007.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


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