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La Période Médiévale
- TITRE I -
La révolution juridique des XI-XIIIe siècles
Cette redécouverte a été préparée par un certain état d’esprit, car le droit romain est
considéré comme très important dans les milieux ecclésiastiques et c’est évidemment
cette importance qui a favorisé la redécouverte des collections de Justinien.
Ce prestige remonte à la fin de l’Antiquité. Le droit romain est l’héritage d’un Empire
devenu chrétien. Ce droit romain repose sur une législation émise par les empereurs de Rome,
qui se sont convertis au IVème siècle convertis au christianisme, et qui ont largement
légiféré sur les questions ecclésiastiques. Cet Empire romain se voulait universel, comme
se veut universel l’Eglise catholique qui siège à Rome, l’ancienne capitale de l’Empire. Ce
droit romain, très tôt, l’Eglise l’a revendiqué comme étant son droit personnel pour régler ses
affaires temporelles, dans ce système de la personnalité des lois. Des canonistes, dès le milieu
du IXème, ont copié des textes du droit romain.
Le droit romain est un outil potentiel entre les mains de ceux qui veulent lutter contre la
féodalisation de l’Eglise.
B. La Réforme grégorienne
La Réforme grégorienne doit son nom au pape Grégoire VII (1073), mais c’est un
mouvement qui commence bien avant. Dès le Xème s, on voit naître des idées réformatrices
dans les milieux monastiques, plus particulièrement dans les monastères de Cluny.
Les moines de Cluny ⇒ cherchent à lutter contre les désordres engendrés par la féodalité
Féodalité ⇒ a pour conséquence que les fonctions ecclésiastiques sont captées par des
laïcs.
Comte ⇒ fait nommer son frère évêque ⇒ ne remplit pas ses fonctions. Les monastères ne
devront pas répondre aux évêques, mais directement au pape, qui doit les protéger.
MAIS le pape du Xème siècle ⇒ souvent placé par l’Empereur du Saint-Empire (pas
plus vertueux que les évêques locaux)
L’idée des réformateurs ⇒ purger l'Église des laïcs qui veulent se remplir les poches, pour
restaurer une structure vertueuse, en sorte que l’Eglise redevienne ce qu’elle était auparavant.
Ces réformateurs ⇒ finissent par arriver à faire élire pape l’un d’entre-eux ⇒ Bruno
d'Eguisheim (Léon IX). Il va tenter d’imposer à Rome les idées réformatrices. A sa suite,
d’autres papes vont poursuivre son œuvre.
Grégoire VII en 1073 ⇒ va donner un tournant radical à la réforme. Il est entré en lutte
contre l’Empereur du Saint-Empire, Henri IV, qui nommait les évêques. Il a essayé de
lui soustraire ces nominations : la querelle des investitures /!/
Dès les années 1070 - 1080 ⇒ les réformateurs utilisent le droit romain pour justifier
les règles canoniques.
Vers 1088 ⇒ Deusdedit rédige une grosse collection canonique dans laquelle il copie
d’importants extraits du code de Justinien pour justifier la primauté du pape.
C. La réapparition du Digeste
Digeste ⇒ partie du corpus de Justinien la plus importante (50 livres). En effet, celui-ci
recueille toute la jurisprudencia de l’époque classique, càd le meilleur de la science
juridique romaine.
Une légende raconte raconte que les habitants de la ville de Pise, qui en 1135 en mettant à
sac la ville d’Amalphie, ont découvert un manuscrit du Digeste dont ils se seraient emparés
(exemplaire officiel adressé par Justinien à Vigile en 554 ⟶ Littera Pisana).
Le Corpus juris civilis a été réorganisé assez profondément par les juristes médiévaux, qui
lui ont fait des ajouts.
Cette réorganisation a été commandée par le fait que les différents volumes qui composent
le Corpus juris civilis ne sont pas entrés en circulation en même temps, mais ont été diffusés
de manière progressive, ce qui a entraîné le redécoupage de ces volumes.
1. Le Digeste
Le Digeste est un ouvrage très volumineux, d’un maniement difficile en raison de sa taille.
Diviser le Digeste en plusieurs volumes était d’abord une question de confort, mais
également car le Digeste ne contient pas de
L’infortiat désigne quelque chose qui est au centre, qui est pressé. Cette partie centrale du
Digeste est diffusée le plus tard. Elle a le moins circulé, moins que les deux autres, car elle
contient des règles plus difficiles à transposer directement dans la société médiévale. Elle
contient des règles relatives au mariage par exemple.
Cette dernière partie est entrée en circulation avant la partie centrale. Ce Digeste neuf a été
beaucoup diffusé et très vite, car il contenait des textes que l’on pouvait beaucoup utiliser,
notamment concernant l’éducation.
On y trouve un titre entier consacré aux définitions des termes juridiques, sur les anciennes
règles de droit, notamment les adages, ce qui lui offrit un immense succès dans les écoles et
souvent seulement les derniers livres sur le vocabulaire juridique étaient copiés.
1.
2. Le Codex (livres 1 à 9 du Code Justinien)
Le Code de Justinien a circulé très tôt comme le digeste vieux dès la fin du 11ème siècle. Il
commence par circuler sous la forme d’abrégé. Dès le Xème siècle, ce code a circulé en deux
morceaux :
Les 9 premiers livres sont copiés directement, ils contiennent le droit ecclésiastique, les
sources du droit, la procédure et le droit privé romain. Ce Codex a constitué, avec le digeste
vieux, les Libri ordinarii. Ces livres sont copiés très tôt.
Les 3 derniers livres furent écartés au départ, car ils contiennent essentiellement du droit
administratif et pénal, donc difficilement transposable.
Le Volumen est un ensemble constitué de 3 éléments, formé à partir des années 1150, qui
renferme tout d’abord ce que les juristes du M-A appellent les tres libri.
Cette entité est l’ensemble qui est constitué des parties du corpus de Justinien jamais mis en
circulation composées des trois derniers livres du Code de Justinien, les Institutes,
l’Authenticum (traduction latine intégrale des Novelles de Justinien) qui à partir milieu XIIe s
remplace epitomé de julien qui offrait une version abrégée
mise en circulation tardive
à partir milieu XII et fin M-A, le corpus juris… est tjrs en 5 volumes.
1er tome : digeste vieux (d1 à 24)
2- infortiat (D25 à 38)
3. Digeste neuf (39 - 50)
4. Codex (C. 1-9)
5 volumen
a) tres libri c10 à 12
b) institutes
c) auhenticum
on peut encore en trouver. sont des éditions en 5 volumes
A.
B. Les ajouts faits aux compilations justiniennes par les juristes médiévaux
Ces ajouts ont été opérés à l’intérieur du code de justinien et dans l’antheticum.
= ce sont des résumés des novelles ou d’autres textes présentés comme étant des résumés,
réalisé par des juristes XII et introduit dans code justinien.
Ces résumés sont réalisés pour remettre à jour le code justinien.
certains nombre de novelles qui modifient les constitutions du code.
copié sur de vastes feuilles de parchemin, sur 2 colonnes. les juristes médiévaux vont copier
en marge de la constitution, en indiquant CN= constitutio nova
Ce résumé est extrait de l’anthenticum qui est le recueil intégral.
ces authenticae sont un moyen de remettre à jour codification justinienne
Le Code de Justinien a été promulgué en 534 mais des novelles ont été promulguées après
le Code, novelles qui se trouvent dans l’Authenticum. Quand on a un exemplaire du Code
sous les yeux, la législation n’est pas totalement à jour. Pour remédier à cette situation, les
juristes médiévaux ont imaginé le système des authenticae, au début du XIIe siècle. Les
glossateurs affirment que ces ajouts sont du fait du père de l’école de droit de Bologne,
Irnerius. Il a été imaginé pour offrir un exemplaire du code mise à jour, d’introduire dans le
code des résumés des novelles qu’ils ont placés en marge du texte du code pour indiquer que
ces novelles ont été modifiées. Elles sont indiquées par la mention Constitutio Nova. Les
glossateurs ont aussi ajoutés plusieurs constitutions promulguées par les auteurs du
Saint-Empire étant donné qu’ils sont considérés comme les successeurs des Empereurs
romains.
➣ L’Habita, Frédérick Barberousse (1155)
➣Le Sacramenta, Frédérick Barberousse ⟶ constitution pour les mineurs
➣ Constitution de la Basilique de Saint-Pierre, Fredérick II (1220)
Frédérick émet donc une constitution, promulguée lors de son couronnement, qui octroie
toute une partie de privilèges. Cette constitution est introduite par extraits sous la forme
d’Authentique dans la marche du Code.
L’Authenticum est une traduction en latin des novelles de Justinien, qui les classe en 9
livres, appelés collations. Cet Authenticum circule à partir des années 1150, mais au début du
XIIIème siècle, on finit par joindre à ces 9 collations une dixième, qui contient un ouvrage
intitulé : Livre des fiefs. Ces Livres des fiefs sont un ensemble qui a été constitué en Italie à
partir des années 1190, qui réunit différents éléments. Il y a un édit à l’origine de ces livres,
promulgué par Conrad II le Salique, qui a promulgué en 1037 un édit sur la transmission des
fiefs. Cet édit de Conrad II a été copié avec les lois des Lombards, puis copié à part à partir
des années 1150-1160, en lui ajoutant deux lettres adressées à un juriste de Milan, Obertus de
Orto à son fils, parti étudier le droit de Bologne. Cet ensemble, que l’on appelle les Livres des
fiefs, est utilisé dans les écoles pour étudier le droit féodal. On le copie à la fin de
l’Authenticum, considérant qu’il s’agit d’un élément de l’Authenticum.
Ecole des glossateurs : école au sens abstrait, groupe de juriste qui enseigne, étudie le
droit romain entre les années 1100 et le milieu du XIème siècle. Ces glossateurs sont
remplacés à partir du milieu XIIIème siècle, la méthode évolue. Pour désigner ces juristes, on
dit commentateur. La méthode de la glose caractérise l’enseignement du droit romain
jusqu’au milieu du XIIIème.
C’est en Italie que s’est développé un enseignement commun du droit romain, et à partir
des années 1130, que se développe dans le sud de la France puis se diffuse dans le Nord. On
donne le nom de glossateur à tous les maîtres qui ont enseigné le droit romain.
Le fait que l’enseignement du droit romain ait commencé de se développer à Bologne n’est
pas un hasard. C’est une très riche cité d’Italie, située dans le Saint-Empire (tout le Nord de
l’Italie), c’est une ville impériale dotée de privilèges par l’Empereur du Saint-Empire.
Cette ville de Bologne est une importante ville marchande, carrefour commercial, et une
ville épiscopale, qui a vu se développer des écoles épiscopales qui enseignent le programme
prévu par la réforme des études à la demande de Charlemagne par les Bénédictins. On
enseigne dans ces écoles le trivium (enseignement en 3 volets) :
Cette installation d’une science qui vise à former des scribes de haut niveau est la source
du développement d’un véritable notariat du droit public. Les notaires publics vont émerger à
la fin du XIème siècle .
B. Les premiers maîtres de cette école de Bologne
On en sait peu sur les premiers maîtres, mais quelques noms nous sont parvenus, voire
quelques écrits. Le premier à avoir enseigné est un certain Pepo.
1. Pepo
Ce Pepo, nous n’en conservons que des citations postérieures, par quelques glossateurs
faisant référence à ses opinions (pas d’écrit). Il devait enseigner dans les années 1080-1090.
Au milieu du XIIème siècle, un moine anglais, Raoul le Noir, écrit dans une chronique que
Pepo n’enseignait qu’avec le Code et les Institutes, mais ne connaissait pas le Digeste.
Cette remarque est probablement juste, car le Digeste est très peu diffusé. Il a dû enseigner
au départ le droit romain à partir du code et des institutes.
Ces quatres personnages ont enseigné à Bologne entre les années 1130 et 1160. En
poursuivant l’oeuvre d’Irnerius, ils ont installé l’enseignement du droit romain à Bologne.
- Bugarus (mort en 1166) est surnommé “Bouche d’or” en raison de son éloquence. Il
est connu pour être un grand défenseur du droit strict et d’une interprétation
rigoureuse de la loi.
- Martinus (mort en 1158) surnommé “Abondance des lois”, considéré comme étant le
grand adversaire de Bugarus et un grand défenseur de l’équité, càd le tenant d’une
manière souple d’interpréter la règle juridique, pour faire entrer en considération
d’autres éléments que la règle elle-même. Beaucoup de juristes médiévaux se sont
inscrits soit dans la ligne de Martinus ou de Bugarus.
Ils sont aussi connus pour le rôle qu’ils ont joué pour Frédéric Barberousse lors de la traite de
Roncaglia, qui voulait appuyer et justifier ses droits sur la Lombardie. L’Empereur aurait fait
une promenade avec Burgarus et Martinus, les interrogeant sur le fait que l’Empereur romain
serait le maître du monde. Burgarus a répondu certainement pas (monarques en Europe) et
Martinus lui aurait répondu oui, et aurait reçu un cheval en récompense. Burgarus aurait
répondu : “A missi equum, Qui dixi aequum, Quod non fuit aequum”.
Ces juristes sont ceux qui ont développé cet enseignement du droit romain, qui est sorti
d’Italie.
Ces juristes ont aussi implanté dans le Sud de la France un enseignement du droit romain.
Cet enseignement se développe grâce à un ordre canonial (de chanoine) que l’on appelle les
chanoines de Saint-Ruf. Ils sont implantés en Provence et en Catalogne depuis le XIème
siècle, s’étant spécialisés dans l’enseignement.
A partir des années 1130, ils se sont mis aussi à développer un enseignement du droit. Cet
enseignement se développe presque exclusivement sur la base du code Justinien et des
Institues. Les juristes provençaux, qui développent cet enseignement, rédigent des sommes
(résumés des codes ou des institutes dans lesquels ils font référence au Digeste vieux).
A Montpellier, vers 1160, s’installe un juriste italien, Placentin, héritier des quatre docteurs
de Bologne, qui y a enseigné le droit mais qui en est parti à cause d’une dispute avec les
juristes bolonais. A cette époque, l’enseignement du droit romain remonte vers le Nord.
Cette diffusion, on la voit se dessiner dès 1150. Dans les écoles épiscopales, on commence
à enseigner le droit canonique au Nord, auquel se greffe un enseignement du droit romain.
Vers 1155 et 1160, à Auxerre, on enseigne le droit romain à partir d’un petit manuel nommé
Bradnylogus, qui a été rédigé pour des clercs.
Vers 1170, on enseigne aussi le droit romain à l’école cathédrale de Reims. Albéric, italien
installé à Reims, enseigne le droit romain. On trouve dans l’entourage de l’évêque de l’école
un certain Vacarius, lui aussi venu d’Italie, qui enseigne le droit romain et qui pour ses
étudiants anglais rédige un manuel composé d’extraits du Digeste et du Code appelé le Liber
pauperum (Livre des pauvres), étant donné que le Code de Justinien était cher. A l’école
cathédrale de Cologne, on enseigne aussi le droit romain à la même époque.
À mesure du temps, l’enseignement du droit romain remonte vers le nord de l’Europe où
des juristes sont désormais formés au droit romain dans des écoles. Cependant, ces écoles
sont des écoles de taille plus modeste dans lesquelles il y a moins d’étudiants et jusqu’au
milieu du XIIIe siècle, c’est surtout à Bologne que l’étude du droit romain a une importance
et est réputé, au point notamment qu’on surnomme Bologne, alma mater legum (la mère
nourricière des lois).
Les juristes du XII et XIIIème siècle ont eu recours à ce système de la Glose, car c’est un
système en réalité très répandu au M-A central.
1. Le système de la glose
Tous les savants de l’époque du M-A central utilisent ce système de la glose. Les
théologiens glosent la Bible, les médecins glosent les grands traités de médecine de
l’Antiquité (Galien), les philosophes glosent les traités d’Aristote…
Ce système résulte du fait que la science au M-A s’appuie tout d’abord sur des textes. La
réflexion juridique part toujours d’un texte qui est généralement un texte de l’Antiquité. Les
premiers juristes qui développent un enseignement du droit glosent le Corpus de Justinien.
Pour préparer leurs cours, les maîtres annotent le texte qu’ils vont lire devant les étudiants
en introduisant des explications entre les lignes du texte. Ce sont ces explications que l’on
appelle des gloses. Le texte des différents volumes du Corpus de Justinien est toujours
transcrit sur deux colonnes au centre d’une vaste page, où sont faites des annotations.
Le reportator peut prendre les notes du cours et les transmettre avec le contrôle du maître
(se développe surtout au XIIIème siècle).
Les manuscrits du Corpus Juris Civilis sont rares et chers. C’est pourquoi un manuscrit sert
souvent à plusieurs maîtres et plusieurs générations de maîtres, de sorte que des couches de
gloses différentes peuvent s’accumuler.
Au fur et à mesure que les manuscrits se transmettent d’un maître à l’autre, le maître qui
prépare son cours bénéficie des gloses de ses prédécesseurs. Les opinions vont ainsi se
transmettre de génération en génération.
A partir des années 1160, les glossateurs mettent au point un système de signes rouges, qui
permet de renvoyer d’une glose à l’autre (on indique par un signe qu’il faut aller regarder une
glose un peu plus loin). Le système des allégations, qui permet de référer à différents
passages du texte, est particulièrement adapté à l’analyse du Corpus de Justinien.
Cette glose est un commentaire de type exégétique (signification des mots et phrases) en
s’appuyant sur la grammaire et la dialectique ⟶ développement du raisonnement sur le
système de la dispute.
Au début du XIIème siècle, les premières gloses sont de très courtes annotations qui
expliquent le texte souvent de manière assez littérale. Plus on avance, plus la science
juridique se développe et les gloses juridiques s’allongent. En même temps qu'elles
s’allongent, les couches de gloses s’accumulent.
A la fin du XIIème siècle, de nombreux maîtres récupèrent des livres de droit entièrement
glosés dont les marges sont pleines. Certains d’entre eux vont donc utiliser ces très riches
ensembles de gloses pour composer des apparats de gloses, càd des gloses intégrales du texte.
Le phénomène commence de se développer à partir des années 1190, mais prend son
ampleur à partir des années 1210.
Les premiers apparats de gloses ont été rédigés en 1190/1200 par un juriste bolonais Azon,
qui par ailleurs a aussi rédigé une somme au code (1210) qui est un commentaire de droit,
livre de droit le plus utilisé dans l’époque médiévale et jusqu’au XVIe siècle. Les juristes de
Bologne vont donc adopter le système de la somme.
Ces maîtres qui composent ces grands apparats les font copier à l’usage des étudiants. Le
point d’aboutissement de ce processus c’est l'apparat dit d’Accurse, qui entre 1227 et 1234, a
composé un vaste apparât sur l’ensemble du Corpus de Justinien. Il a rapidement été
surnommé par les juristes la Magna Glosa (la grande glose) et est devenu en quelques
décennies (1230 - 1250) ce que l’on appelle la Glose ordinaire du Corpus Juris Civilis.
Lorsque dans les écoles on se met à copier systématiquement le texte de base servant à
l’enseignement, avec un apparât permanent, celui-ci est appelé glose ordinaire car il constitue
un commentaire qui est toujours copié avec le texte, un commentaire permanent utilisé à la
fois par les maîtres et par les étudiants. La glose ordinaire d’Accurse, à partir du milieu du
XIIIème siècle, est toujours copiée avec le Corpus.
A partir des années 1230, les copies du CJC sont systématiquement copié avec la glose
d’Accurse et ce système s’est poursuivi pendant tout le Moyen Âge et jusqu’au XVe siècle et
puis imprimé avec jusqu’au XVIIe siècle. C’est un élément lié et indissociable du texte.
Mais les juristes ne se sont pas contentés du système de la glose.
A.
B. La diversification des méthodes de travail
Cette diversification a pour première origine des raisons pratiques : tout le monde ne
dispose pas de CJC. C’est pour cela que l’on a écrit des abrégés.
Ce sont des œuvres composées au départ en dehors d’Italie (la France, l’Angleterre et
l’Allemagne), des pays dans lesquels ne circulent pas assez d’exemplaires du CJC. Les
maîtres pour leurs étudiants composent des recueils d’extraits et des sommes
(résumés/commentaires des codes et institutes). Ces recueils d’extraits ou ces sommes sont
des compositions en mosaïque, car pour abréger le texte ils en extraient des mots ou des
portions de phrases qu’ils recousent les uns aux autres. Ce système de la composition en
mosaïque est commenté par le fait que les juristes du Nord sont attachés à la lettre du texte,
car pour eux l’ensemble du CJC constitue ce qu’ils appellent les leges (les lois).
Tous ces textes sont pour eux des leges et se qualifient de légistes, ceux qui étudient les
leges. Ils les étudient en les glosant, selon une méthode exégétique. Ce système de la
composition en mosaïque part de la confection de la collection d’exerta (d’extraits). Très tôt
les sommes (ouvrage qui sont des résumés commentant le texte) deviennent des
commentaires développés et vont être rédigés par des juristes italiens, qui trouvent cette
méthode de la somme bien commode car elle permet une certaine liberté par rapport au texte.
Azon a ainsi composé une somme sur le Code et les Institutes.
2. Le développement des exercices pratiques
Les leçons dispensées dans les écoles où l’on enseigne le droit sont toujours dispensées le
matin, pour que la lumière permette de lire aisément le texte. Ces leçons, qui consistent à lire
devant les étudiants des textes que l’on analyse devant les étudiants, constituent des lectiones
(Cours magistraux). Le maître parle, les étudiants prennent des notes. On a très tôt développé
aussi des enseignements en groupes plus réduits, que l’on appelle des séances de questions
disputées. Ces séances ont lieu les après-midis, et consistent en des exercices pratiques. Le
maître soumet à ses étudiants un casus (un cas) qui va mener à une discussion qui ressemble
à un procès fictif. Ce casus, le maître peut l’avoir imaginé ou prendre un cas qu’il a vu dans
ses activités.
Ces maîtres, très tôt, ont publié le résultat de leurs meilleures séances de questions
disputées. Ces collections sont fabriquées en Italie, à Bologne, où il y a de très nombreux
étudiants, et sont diffusées en pays en voie de développement : France, Allemagne et
Angleterre.
La réforme Grégorienne s’est accomplie par le droit, et les collections canoniques ont porté
cette Réforme. Lorsque cette réforme a été achevée, une collection canonique plus importante
va remplacer toutes les autres : le décret de Gratien.
Si ces collections sont d’abord rédigées en France, c’est parce que le mouvement
grégorien s’est développé autour du Rhin. La première grande collection visant à imposer
partout la réforme grégorienne a été rédigée dans la région de Reims, dans les années 1050 :
la Collectio Sinemuriensis. Cette Sinemuriensis défend la primauté du pape, la lutte
contre la simonie (trafic des biens ecclésiastiques) et le célibat des clercs (car favorise la
simonie).
C’est une collection qui n’est pas systématique, mais organisée par de grands blocs de
sources, organisés pour défendre les idées réformatrices. On en conserve que 6 manuscrits.
Elle est un outil au service des réformateurs.
A la fin du XIe siècle (1095), 3 autres collections canoniques ont été rédigées en France par
Yves de Chartres :
Ces collections ont eu un immense succès et ont été copiées et réutilisées pendant tout le
XIIe siècle au-delà de la Gaule. C’est dans l’entourage des papes grégoriens que l’on a
beaucoup reproduit des collections mettant en œuvre la réforme.
2. Les collections italiennes
Lorsque le pape Grégoire VII accède au pontificat en 1073 veut immédiatement mettre en
œuvre sa réforme. Il réunit des conciles pour imposer la lutte contre la simonie et le
nicolaïsme, et a besoin d’une collection pratique pour justifier sa primauté. Il choisit donc de
faire recopier à l’intention de ses lega (représentants) une collection que l’on appelle : la
collection en 74 titres. Elle a été fabriquée en France dans les années 1050 dans les milieux
monastiques. Cette collection défend très vigoureusement les idées réformatrices, et peut être
copiée facilement. Elle a été diffusée à partir de la cour pontificale (Rome), après l’élection
de Grégoire VII. Dans les années qui ont suivi, des proches du pape se sont mis à fabriquer de
nouvelles collections pour défendre ses idées :
Elles ont été les deux principales collections pour mettre en place la réforme.
C’est le texte le plus important du droit canonique, composé au milieu du XIIème siècle.
Il devient à la fin du M-A la première partie du Corpus Juris Canonici.
A. La composition du Décret
Ce texte est diffusé sous le nom de Décret de Gratien, donc attribué à un personnage dont
on sait bien peu de chose. Une tradition dit qu’il aurait été moine de l’ordre des Camaldules
(?) de Bologne. Moine ou évêque, peut-être les deux, car à cette époque on choisit d’élir des
moines comme évêque, qui ne risquent pas de virer dans la simonie. Le décret de Gratien n’a
pas été composé par une seule personne, mais sans doute par une équipe, peut-être sous la
direction de Gratien. On a tout d’abord rédigé une première version du décret de Gratien :
- la “version courte”, élaborée vers 1120 et 1130 : Cette première version comprenait
environ 1500 canons, insérés à l’intérieur d’un commentaire relativement développé
par rapport aux canons eux-mêmes. Cette version est essentiellement destinée à
l’enseignement. Il s’agissait de rédiger un texte pour les étudiants de Bologne qui
souhaitent étudier le droit canonique.
- Vers 1140, le texte est augmenté de façon considérable en insérant un grand nombre
de canons supplémentaires, jusqu’à arriver à 3883 canons, de telle manière que ce
texte ne serve plus seulement à l’enseignement, mais forme une vaste collection
comparable aux collections d’Yves de Chartres, destinée aussi aux praticiens. Elle
avait pour ambition de couvrir tout le droit canonique du premier millénaire. L’auteur
et ses collaborateurs ont eu recours à un nombre limité de collections récentes. Ils ont
beaucoup utilisé les collections d’Anselme de Lucques et d’Yves de Chartres.
Après 1140, les copistes ont introduit progressivement de petits textes complémentaires :
paleae (paille → jeu de mot sur la parabole du bon grain et de la livrée). On trouve
notamment un certain nombre d’autenticae.
A partir des années 1150, s’est propagé dans toute l’Europe et devient le support de
l’enseignement canonique dans toutes les écoles. Cependant, au bout d’une trentaine
d’années, il s’avéra être insuffisant car la législation des papes postérieurement à son œuvre a
connu une ampleur considérable. Une source du droit canonique en pleine expansion se
développe.
jus novum ⇒ législation pontificale qui est promulguée après le décret de Gratien. La
Réforme Grégorienne a favorisé le développement de la législation canonique et ce
développement a entraîné le développement de collections sur ce décret.
§1. L’essor de la législation canonique
Cette législation canonique est principalement émise par les papes, mais elle peut parfois
être émise en concile et néanmoins sous l’autorité du pape, qui par ailleurs légifère
également. Les papes de la fin du XIIème siècle disposent d’un fort pouvoir politique.
A. La législation conciliaire
Les papes grégoriens envoient des légats dans les provinces ecclésiastiques pour réunir
localement des conciles sous l’autorité du légat pontifical. La législation est considérée
comme placée sous l’autorité du pape, donc dépasse la province où elle est tenue.
Soit il s’y déplace pour les tenir, notamment si le concile a un enjeu particulier. En 1095, le
Pape Urbain II s'est rendu à Clermont pour réunir un concile où il a prêché la première
croisade. Ces conciles émettent une législation qui est considérée comme placée sous
l’autorité du pape.
En 1123, 1139, 1179, 1215, ont été réunis successivement 4 conciles généraux au Latran de
Rome : conciles de Latran I, II, III, IV. Ils ont émis une législation importante, en tranchant
aussi sur les questions religieuses, et en introduisant du droit.
Les papes de cette période sont des législateurs surabondants. Cette législation pontificale,
qui se développe dans la deuxième moitié du XIIème siècle, est très importante en nombre et
en quantité.
Concurremment, les papes légifèrent de manière endémique. Ainsi, des milliers de décrétales
émises.
Le système devient une espèce de mécanique où les évêques écrivent pour solliciter des
décrétales, d’où l’importance de cette législation pontificale qui a une importance
quantitative. Ces justices épiscopales connaissent un immense succès. La plupart des
justiciables préfèrent aller devant les justices ecclésiastiques plutôt que devant les justices
laïques : elles sont gratuites et tenues par des magistrats professionnels. Il y a aussi un
système d’appel qui n’existe pas dans le monde laïc. Ces tribunaux traitent de questions qui
dépassent largement le domaine canonique. Ils traitent par exemple de contrats. Ils n’ont donc
pas toujours les outils juridiques pour régler les litiges.
La réforme grégorienne a abouti à une curie pontificale, peuplée dès le milieu du XIIème
siècle de juristes professionnels. Ces juristes de la chancellerie pontificale ont rédigé pour les
papes des décrétales d’une grande qualité. Ils utilisent beaucoup le droit romain, ils sont aussi
très novateurs, en développant toute une série de procédés propres à répondre aux demandes
nouvelles aux juridictions ecclésiastiques.
Ces décrétales pontificales interviennent dans tous les champs, non traités dans la
législation pontificale : droit de la famille, des contrats, de la responsabilité…
Alexandre II a émis 34 textes à portée générale mais Honorius III en a émis 103. Les papes
désormais promulguent aussi des décrétales à portée générale et avec le temps elles
deviennent de plus en plus nombreuses. Elles sont émises en faveur des ordres monastiques.
Mais les papes, progressivement, en ont émis pour d’autres sujets que le droit monastique.
Les canonistes vont les considérer comme ayant une valeur comparable à celle des conciles
généraux. Huguccio de Pise a dit qu'elles étaient des lois.
Cependant, ces décrétales à portée générale demeurent minoritaires. L’ensemble sont des
rescrits donc adressés individuellement, ce qui pose problème à leur connaissance publique.
C’est pourquoi on s’est donc mis à compiler les décrétales en collections.
Les premières collections sont fabriquées dans les années 1170 à un moment où la quantité
de législation pontificale est devenue importante, et une législation postérieure au décret de
Gratien.
Elles sont fabriquées dans le Nord de l’Europe, en France et en Angleterre, donc dans des
lieux éloignés du siège de Rome, dans des lieux où il est difficile de connaître la législation
pontificale mais aussi dans des lieux où les législations des évêques connaissent un essor
considérable.
Elles sont au départ chronologiques, mais à partir de 1180, on essaye de les classer par
thème de la manière des codifications séculières.
En 1192, Bernard de Pavie va élaborer une collection de décrétales qu’il va diffuser sous le
nom de Breviarium extravagantium (Le bréviaire des extravagantes) qui a un plan très
rigoureux en cinq livres, que les étudiants du M-A vont retenir comme il suit : “Judex,
Judicium, Clerus, Conubia, Crimen”. Ce plan va faire le succès de ce recueil qui sera par la
suite diffusé sous le nom de Compilatio prima. Prima car il va inspirer d’autres canonistes
qui vont composer quatre autres recueils pour le compléter. Ces cinq compilations ont été
désignées sous le nom de Quinque Compilationes Antiquae
Ce sont des oeuvres privées, fabriquées pour enseigner le droit nouveau et qui ont
été remplacées en 1234 par une compilation officielle promulguée par le pape
Lorsque Grégoire IX devint pape en 1227, il chercha une décrétale mais ne la trouva pas.
On a raconté que c’était à cause de cette aventure que Grégoire IX a voulu lancer une
codification.
Pour fabriquer ces décrétales, Raymond de Peñafort utilise des solutions adoptées par la
doctrine de son époque.
Dès sa promulgation, le Liber Extra est envoyé aux universités pour servir à
l’enseignement du jus novum, de la législation pontificale en complément du Décret de
Gratien.
Cependant, Liber Extra est aussi le livre à travers lequel on doit citer la législation : on ne
peut plus citer les collections privées. Pour autant, ce n’est pas un code comparable à notre
code civil, c’est une législation composée de rescrits, donc de textes formulant des collections
particulières, elle doit être d’abord commentée pour pouvoir être applicable.
A. L'École de Bologne
Celui-ci est lancé par Gratien au départ mais c’est surtout, après 1140, après la mise en
circulation de la seconde version du Décret de Gratien que se développe cet enseignement
scolaire.
Le Décret de Gratien sert de manuel à l’étude. Au départ, les étudiants n'avaient pas
beaucoup de copies du manuscrit. C’est pourquoi les premiers canonistes polonais ne
rédigent pas des gloses mais des sommes (résumé́ avec commentaire), comme l’ont fait les
romanistes français, allemands, italiens, etc.
Vers 1149, Paucapalea a rédigé une somme mais c’est Rufin qui rédige une grosse somme
purement juridique qui consacre l’enseignement du droit canonique. Puis, Etienne de
Tournai rédige en 1165 une somme qui utilise le droit romain pour commenter le droit
canonique puis a fini par la diffuser dans le nord de l’Europe en la faisant publier. Ainsi, sa
somme a été une base de l’enseignement canonique en France.
-Huguccio 1180 qui dans sa somme utilise aussi le droit romain et le jus novum pour
commenter le droit canonique. Vers 1190, il a aussi réalisé somme assez novatrices, bcp
copiées. Cet enseignement qui se développe à Bologne, il franchit très vite les Alpes pour se
développer dans le Nord de la France et sur le bord du Rhin.
B. L’école franco-rhénane
L’enseignement du droit romain en France a été lancé par Etienne de Tournai ces 1165 lors
de la diffusion de sa somme.
S’y sont développés des centres de théologie.
Cette école franco-rhénane, échange entre villes, se développe à partir du milieu des années
1160 sous l’influence d’Etienne de Tournai qui diffuse sa somme.
En 1169, on enseigne aussi le droit canonique à Cologne et celui qui enseigne le droit
canonique, Bertrand de Metz est en lien avec les écoles parisiennes. Il rédige aussi une grosse
somme, la Summa Coloniensis. Peu après, au début des années 1180, un certain Sicard de
Crémone enseigne le droit canonique à Mayence et il publie aussi sa somme qui somme des
textes très copieux qui sont de vastes commentaires développés.
Ces décrétistes commencent à rédiger des apparats de gloses. Huguccio a rédigé un grand
apparat vers 1180. A Paris, vers 1210, on rédige des apparats de gloses. Dans le nord, on écrit
des petits traités de procédures où les tribunaux épiscopaux sont en pleine expansion, écrits
par des maîtres qui enseignent.
C. L’école anglo-normande
➣ Alain l’anglais : rédaction de gloses mais qui ne se contente pas d’enseigner à partir du
décret de Gratien, qui va aussi développer un enseignement à partir du droit nouveau, du
droit des décrétales, ce qui nous amènera à envisager les premiers décrétalistes.
Ces canonistes anglo normands ont la particularité de citer bcp la législation pontificale. Il y a
une multitude de decretales et citent la nouvelle législation, qui fera l’objet d’un
enseignement dédié.
Dans le dernier quart du XIIème siècle se développe un enseignement scolaire de ce que les
canonistes appellent : le droit nouveau, le jus novum. C’est un enseignement systématique de
la nouvelle législation pontificale, en pleine expansion.
Cet enseignement apparaît dans les années 1190, une cinquantaine d’années après la
diffusion du décret de Gratien. La législation énorme, rendue possible par l’oeuvre Prima
(Bréviaire des Extravagances) par Bernard de Pavie (1192) a favorisé l’émergence d’un
enseignement scolaire spécialisé dans le droit des décrétales, notamment à Bologne où
Bernard de Pavie a mis en circulation son oeuvre. Ce Bréviaire il l’avait conçu pour les
étudiants. C’est sur cette base que s’est développé un enseignement des décrétales, d’abord à
Bologne. Cet enseignement va sortir de Bologne et se répandre dans toute l’Europe.
Dès le milieu des années 1190, on enseigne aussi les décrétales à Paris, une des écoles les
plus importantes. Cet enseignement systématique suit l’ordre du Bréviaire des Extravagances,
il se déroule selon son plan. Le pouvoir de juridiction, la procédure, les biens et les personnes
ecclésiastiques, le mariage et le droit criminel. On utilise avant tout le recueil de Bernard de
Pavie, mais également une somme que Bernard de Pavie a rédigé en 1195 sur son propre
recueil, copié dans toute l’Europe.
Les maîtres vont gloser le Bréviaire des Extravagances. Les gloses que vont rédiger les
canonistes sur ces recueils vont très vite se fixer en apparât de glose ordinaire.
La raison pour laquelle se forme des apparât de glose qui deviennent permanent, c’est que
les maîtres se passent les mêmes manuscrits, et les gloses se fixent car on les copie peu à peu
avec les textes des manuscrits.
A cette époque, on invente un nouveau système pour reproduire les livres : le système de la
pecia. Quand un maître a besoin d’un manuscrit, il emprunte un manuscrit et demande à un
scribe de le recopier, ce qui prend du temps. On a imaginé qu’au lieu de faire copier un livre
par un scribe, on pouvait faire copier ce même livre par plusieurs scribes à la fois. L’on voit à
cette époque se mettre en place des officines pour reproduire les livres avec le système de la
pecia. On peut ainsi copier à la chaîne des livres en grand nombre et les diffuser rapidement.
A Bologne, dans les officines qui entourent l’école, on copie une cinquantaine de codes de
Justinien par an.
Cela permet donc une diffusion beaucoup plus rapide, et ce système a aussi favorisé la
formation d'apparat de glose permanent, car quand on donne à copier un livre, on va le
donner à copier avec les gloses qui accompagnent le texte. Ce système de copie à la chaîne
favorise donc l'ossification des gloses.
Au tournant des XII et XIIIème siècle, le Bréviaire des Extravagances et les autres textes
sont tous munis d’apparats de gloses, aussitôt après leur mise en circulation. Les juristes qui
composent ces apparats de gloses peuvent en composer très rapidement sur plusieurs textes à
la fois.
Un juriste de Bologne, Tancrède, a composé des apparats de gloses sur les 4 premières
compilations de décrétales, presque aussitôt leur mise en circulation. Il est l’auteur de la glose
ordinaire sur le bréviaire des Extravagances.
Les décrétalistes, qui glosent les compilations de législation pontificale, sont quelquefois
les mêmes qui enseignent aussi le décret de Gratien. Jean le Teutonique a composé entre 1215
et 1220 la glose ordinaire sur le décret de Gratien, mais il a aussi composé un apparat sur la
compilation quarta et tercia.
Ces canonistes rédigent finalement des œuvres assez variées.
Section V. Les rapports entre droit romain et droit canonique : l’utrumque jus
Le droit romain et le droit canonique sont les deux seuls droits enseignés. Ce sont les droits
dits “savants”. Ces deux droits entretiennent des rapports extrêmement étroits, mais à
l’origine un peu complexes.
Pour les canonistes, la situation est claire. Le droit romain constitue le droit commun pour
les affaires temporelles de l’Eglise. L'Église utilise le droit romain pour gérer ses affaires
temporelles toutes les fois qu’il n’existe pas de dispositions adéquates dans le droit
canonique. Le droit romain, c’est le droit de l’Eglise en tant que personne juridique, morale,
sur le plan extérieur. Il est naturel d’utiliser le droit romain. Les canonistes admettent cette
utilisation. Ils ne se contentent pas d'admettre l’utilisation du droit romain sur le plan externe,
ils considèrent aussi que le droit romain peut être un droit supplétif quand le droit canonique
ne règle pas telle ou telle question.
Jusqu’au XIIème siècle, le droit canonique ne règle pas toutes les questions. Quand il n’y a
pas de dispositions, on va la chercher dans le droit romain. Le droit romain vient envahir
naturellement certains champs du droit canonique, et les canonistes l’admettent, du moment
que les dispositions du droit romain ne s’opposent pas au canon.
Entre les années 1180 et 1220, du fait de l’utilisation à titre supplétif le droit romain, il y a
une pénétration massive du droit romain dans le droit canonique.
Dès 1190, les canonistes ont inventé l’expression : “l’un et l’autre droit”. Cette expression
manifeste la conscience qu’ont les canonistes de l’imbrication entre les deux droits.
La situation originairement est différente s’agissant des romanistes.
§2. L’attitude des romanistes face au droit canonique
Les romanistes n’ont pas fait preuve de la même ouverture vis-à-vis du droit canonique,
parce que les romanistes sont en face du Corpus de Justinien, qu’ils considèrent comme les
sacratissimae leges (sacrées parce que promulguées par l’Empereur), mais qui est un corpus
clos. Il y a très peu de modifications qui ont été faites au Corpus de Justinien.
Les romanistes ont recours à une méthode exégétique en comparant les textes du Corpus
juris civilis entre eux. Ce système d’interprétation exégétique se poursuit jusque dans les
années 1160-70. Seulement, ce système, consistant à interpréter les textes du Corpus de
Justinien, a ses limites. Les romanistes ont commencé à indiquer aux étudiants que ces règles
sont contraires au canon. A la fin du XIIème siècle, les romanistes, lorsqu’ils enseignent le
droit justinien, vont être obligés de faire référence en les expliquant à des règles du droit
canonique.
En 1190-1200, certains romanistes vont plus loin, n’hésitant pas à s'inspirer de ce que
peuvent écrire des canonistes à leur époque pour interpréter telle ou telle règle de droit, y
compris de droit romain. Azon, le grand maître bolonais, n’hésite pas à emprunter à Bernard
de Pavie. Les réticences des romanistes ont fini par tomber, et à partir du début du XIIIème
siècle, les romanistes ne vont plus hésiter à user du droit canonique.
Finira par se former le jus commune, qui est un droit romano-canonique. On le voit se
manifester dans un champ fondamental du droit : la procédure, qui à cette époque est un droit
fabriqué par des éléments du droit romain et canonique. Dans un autre secteur également : le
droit des contrats.
Mais ce droit romain et canonique, qui ont tendance à se marier, qui sont les deux seuls
droits enseignés, ne sont cependant pas en pratique les deux seuls droits appliqués. Ce sont
des droits un peu universels, mais il existe aussi des règles juridiques d’application locale des
droits dits territoriaux.
Durant le Haut M-A, le principe était la personnalité des lois. Toute une série de règles
juridiques s'appliquaient en fonction du statut des personnes. A partir du XIème siècle, ce
système de la personnalité des lois disparaît au profit de la territorialité des lois, en fonction
du lieu où les individus habitent. Ces règles se sont des coutumes, des statuts promulgués
dans les villes, ça peut être aussi des lois promulgués par des souverains comme le Roi de
France.
- le phénomène féodal,
- la croissance, spectaculaire, que connaissance les villes occidentales,
- le développement d’une science juridique.
Il se produit au tournant des XI-XIIème siècle, à la faveur d’un développement des villes,
qui est dû à une croissance démographique très forte, causée par un réchauffement
climatique. Les épidémies reculent et les cultures se développent. Mais la croissance
démographique est si forte que les campagnes ne suffisent plus à occuper tous les bras, ce qui
a entraîné un exode des campagnes vers les villes, qui accueillent de nouvelles populations
car cette période développe le commerce. La méditerranée se rouvre avec le recul des arabes,
et la croissance des villes est avantagée par le commerce. La croissance, et même la fondation
de villes nouvelles. Ces villes qui se développent, ou nouvellement fondées, viennent pour
exercer non plus des activités d’agriculture, mais pour exercer des activités de commerce ou
d’artisanat. Or, les règles du régime féodal appliquées dans les seigneuries s’accordent mal
avec ces nouvelles activités.
Les populations nouvelles qui arrivent dans les villes, qui sont qualifiées de bourg quand
elles sont fortifiées. Ces habitants de ces bourgs, les burgenses, ont besoin de nouvelles règles
pour exercer plus librement leurs activités. Ils obtiennent des seigneurs des villes des chartes
de privilège, qui dérogent aux règles du droit féodal pour permettre aux artisans et
commerçants de mieux exercer leur activité : tribunaux propres. Ces chartes de privilège
contiennent des dispositions de droit public, mais elles créent dans les villes, comme c’est le
cas dans les seigneuries banales, des situations juridiques nouvelles qui font que la ville
forme un détroit de justice particulier dans lequel des règles juridiques spécifiques ont pu se
développer.
Pour que des coutumes locales soient considérées comme coutumes locales, encore
fallait-il que le concept lui-même de coutumes, fut connu des juristes. Or ce concept de
coutume, né à l'intérieur d’un groupe de population déterminé et s’imposant car étant
rationnels, entendu comme source de droit, est apparu dans le droit romain de la fin de
l’Antiquité lorsqu’on construit l’idée que des usages appliqués de manière répétée pouvait
devenir des règles juridiques formant un Jus consuertudinarium : droit coutumier. Les
romains n’utilisaient jamais ça. Coutume : règle née de l’usage et qui s’impose par la
prescription, par le temps, avec l'approbation du corps social.
Lorsque les juristes médiévaux ont redécouvert le corpus de Justinien comme source de
droit, ils vont employer cette expression pour désigner les coutumes développées au sein des
seigneuries banales puis dans le courant du XIIe siècle, les glossateurs vont s’emparer de
cette expression et développer une théorie du droit coutumier, en distinguant droit écrit et
droit coutumier né de l’usage dont les règles restent orales mais qui devient obligatoire car il
est accepté par tous, pas l’ensemble du corps social et finit par être sanctionné par le juge.
Ces doctrines sont développées par les glossateurs du droit romain et par les canonistes, qui
par ailleurs, sont installés dans les villes, travaillent pour ces villes comme juge/notaires,
donc ces idées sont développées pour rendre compte de ce que ces juristes vivent au
quotidien.
Durant le Haut M-A, l’essentiel du droit privé était réglé par des lois personnelles. Selon
son origine, chacun se voyait appliquer un droit propre. Ce système finalement des lois
personnelles à perdurer jusqu’à la fin du XIème siècle. Il commence à se dissoudre à la fin du
IXème siècle, parce que les mélanges de population font que ça a de moins en moins de sens
de juger personnellement. Une autre cause pour laquelle ce système a cessé d’être appliqué
est qu’avec l’effondrement progessif de l’Empire carolingien, les tribunaux carolingiens sont
de moins en moins aptes à faire appliquer ce système. Le morcellement féodal, qui se produit
à la fin du Xème siècle, a apporté le coup de grâce à la personnalité des lois.
Le Xème siècle, qui se carac. par une certaine anarchie, fait que les particuliers ont recours
à des conventions privées : le système des convenientiae (contrat que vont passer entre-eux
des particuliers pour déterminer les règles juridiques applicables aux affaires qu’ils décident
d’entreprendre. Les particuliers donc, durant le Xème siècle, prennent l’habitude d’organiser
eux-mêmes le droit qui leur sera applicable, un droit qui naît de la libre volonté des
contractants.) Ce système a perduré dans certaines régions pendant tout le Xème siècle. Les
seigneuries banales s’organisent progressivement et deviennent de véritables entités
juridiques. La justice seigneuriale va, en réglant des contentieux qui naissent à l'intérieur des
seigneuries, favoriser la reconnaissance de règles juridiques propres à l’intérieur de ces
seigneuries, de règles juridiques appliquées par la pratique, et qui forment bien donc des
coutumes au sens entendu par les juristes romains.
Lorsque l’on rédige des chartes de privilège dans les villes, on va quelquefois reconnaître
ces coutumes. En 1132, dans un accord est passé entre la ville de Narbonne et Gêne, où l’on
prévoit que les autorités de chacunes des deux villes réprimeront les délits qui sont
éventuellement commis par des ressortissants des autres villes, selon l’usage et la coutume du
lieu. En 1143, accord similaire entre Saint-Gilles et Gêne.
On voit à la même époque des mentions du même type dans le Nord. En 1128, dans la
charte de la ville de Lens, on introduit une disposition qui règle le sort de la dot de la femme
à la mort du mari : la femme doit récupérer sa dot. A la même époque, la charte de la ville de
Saint-Omer prévoit que la coutume donne à l’héritier un délai d’un an et un jour pour
revendiquer sa succession.
Dans le courant du XIIème siècle, on a reconnu l’existence de règles juridiques nées de
l’usage, érigées en coutume dès lors qu’elles sont acceptées par tous et sanctionnées par le
juge. Ces coutumes territoriales qui se forment durant les XI-XIIème siècle ont fait l’objet
dans certains lieux d’une mise à l’écrit.
B. Les premières réductions de coutumes (fin du XIIème siècle et milieu du XIIIème
siècle)
Ces premières tentatives de mise par écrit des coutumes ont pris une forme différente selon
que l’on se situe plutôt de la moitié nord ou sud du Royaume de France.
Dans les provinces de la moitié nord de la France, on voit apparaître à partir de la fin du
XIIème siècle des ouvrages rédigés par des juristes, qui sont en général des juges, peut être
des avocats pour certains, des ouvrages destinés à aider ceux qui doivent administrer la
justice en facilitant leurs connaissances des coutumes propres à tel ou tel lieu ou tel ou tel
province. Le plus ancien exemple de ce type d’ouvrage, c’est le très ancien coutumier de
Normandie, rédigé à la fin du XIIème siècle et qui prétend décrire les coutumes propres au
duché de Normandie.
Durant le XIIIème siècle, plusieurs ouvrages importants du même type sont rédigés dans
plusieurs provinces du Royaume de France. Au milieu du XIIIème siècle, Pierre de Fontaine,
bailli du roi (agent d'administration local : préfet avec des pouvoirs de justice) à Vermondois,
rédige un ouvrage intitulé Conseils à un ami qui prétend décrire les usages de la région.
Dans l’Orléanais, vers 1250, un auteur a rédigé un ouvrage : Livre de Justice et de plet qui
décrit les coutumes de l’Orléanais.
Le plus célèbre est rédigé dans les années 1280 par un certain Philippe de Beaumanoir,
bailli de clermont en beauvaisie, qui décrit les coutumes du bailliage de beauvais.
Dans le midi, ne sont pas rédigés des coutumiers, des manuels privés, mais un certain
nombre de coutumes locales, essentiellement dans des villes, qui sont officiellement mises
par écrit. Ces coutumes locales peuvent être mises officiellement par écrit lorsque l’on octroie
une charte de privilège à la ville.
Ces coutumes peuvent être aussi le fait de magistrats des villes, qui vont faire rédiger par
écrit les coutumes propres à la ville :
Ces coutumes sont donc des mises par écrit officiel des coutumes, effectués à la demande
du seigneur de la ville ou des magistrats qui gouvernent la ville. Elles font l’objet d’une
promulgation officielle.
C’est une succession de dispositions organisées en articles à l’image d’une codification
romaine ou canonique, ce qui n’est pas étonnant sachant que ses auteurs ont étudié à
l’université le droit savant. Ces coutumes ne stoppent pas pour autant l’évolution du droit
coutumier qui est une droit oral et de l’usage donc souple. C’est pourquoi, de nouveaux
coutumiers sont rédigés au XIVe et XVe siècles.
Ces coutumes de démodent, car l’usage peut évoluer, de sorte qu’il a fallu parfois modifier
ces mises par écrit ou elles sont devenues obsolètes.
§1. La lente affirmation du pouvoir législatif des premiers capétiens (fin du Xe - milieu du
XIIe s)
Pendant 150, entre l’élection d’Hugue Capet en 987 et l’avènement du roi Louis VII en
1137, les rois capétiens ont légiféré avec “timidité”, ne se contentant que d’émettre des
privilèges. Ce n’est seulement qu’à partir du règne de Louis VII que les capétiens retrouvent
un pouvoir législatif comparable à celui des carolingiens.
A. Le règne du privilège
Un privilège est une loi d’application particulière, appliquée à une personne ou un petit
groupe de personnes.
Les empereurs romains, qui émettaient avant tout des recrits, légiféraient d’abord par
privilège. Sauf que les privilèges émis par les rois capétiens sont très loin d’être des rescrits,
ce sont seulement des faveurs, adressées à des individus, des petits groupes ou des
institutions. Cette situation, certes est due à une certaine faiblesse politique du roi capétien,
mais elle est due aussi à l’idée que l’on se fait du droit. Le droit est conçu comme un
ordonnancement harmonieux que l’on ne peut pas toucher trop profondément. On ne peut pas
détruire son ordonnancement en émettant des lois nouvelles. On ne légifère que par exception
et dans des domaines et cas exceptionnels.
Le privilège est une loi particulière qui intervient pour régler une situation spéciale et à la
marge. La plupart des privilèges octroyés sont des faveurs accordées à des institutions ou des
personnes (exemption d’impôt, le droit d’exercer localement la justice, le droit d’élever une
fortification, etc). Quelquefois, le roi capétien peut intervenir à la demande des habitants d’un
lieu pour réformer les mauvaises coutumes, c’est-à-dire supprimer les coutumes abusives
(impôts abusifs par exemple). Le roi peut donc supprimer ou dispenser de mauvaises
coutumes. Cependant, le domaine d’intervention est limité. Le droit capétien octroie des
privilèges à l’intérieur de son domaine royal, c’est-à-dire pas au-delà de l’Ile-de-France. Le
roi capétien a donc un pouvoir législatif limité et pourtant, survit l’idée de la fonction
législative royale.
Cette idée est entretenue par des intellectuels qui connaissent l’histoire et la fonction royale
mais aussi par la papauté.
Aux yeux des intellectuels, le roi capétien aussi misérable soit-il est l’héritier officiel des
anciens rois carolingiens. Il est le successeur du roi carolingien et a donc hérité de son
pouvoir. Or, le roi carolingien était un roi législateur. Ce souvenir du roi législateur
carolingien est entretenu par la législation des capitulaires carolingiens qu’on continue de
recopier et est particulièrement dans la province ecclésiastique de Reims. Le chroniqueur de
la dynastie capétienne est un moine de Saint-Remi-de-Reims, Richer qui, en écrivant la
biographie de Hugues Capet, dit « Selon la coutume royale, il rendit des décrets, fit des lois,
ordonna et rédigea tout. ». Abbon de Fleury publie une collection de textes qui justifient le
pouvoir législatif du roi pour obtenir l’appui de Hugues Capet.
Il y a donc une idée justifiée théologiquement selon laquelle le roi a une idée du roi qui sont
les modèles du roi carolingien.
Les rois capétiens ont bien compris cette dimension et dès les années 1077, le roi Philippe
Ier qui est le contemporain de Grégoire VII a cherché à étendre son autorité en imitant le
pape. Le roi Philippe Ier évoque son autoritas. Ces allusions se développent dans les actes du
roi Philippe Ier et empruntent à des textes des collections canoniques. Pas de pouvoir
carolingiens mais le roi capétien commence à émettre de nouvelles sortes d’actes. A l’époque
de Philippe Ier, on voit le roi capétien émettre des mandements, des ordres qu’il adresse à ses
agents locaux dans les seigneuries de son domaine, les prévôts. Le roi capétien n’émet plus
des privilèges mais des mandements pour les agents de son domaine. Le roi se met à légiférer
parce qu’il voit le pape qui légifère qui émet de la législation à portée générale.
Le fils de Philippe Ier, Louis VI, poursuit l'œuvre de son père et on voit sous le règne de
Louis VI, se multiplier des mandements, des abolitions de mauvaise coutume. Le roi Louis
VI essaie d’étendre l’effet de privilège à tout son royaume. En 1111, Louis VI octroie aux
clercs de l’abbaye de Saint-Denis le droit d’agir en justice, d’assigner en justice des hommes
libres. C’est sous le règne de Louis VII qu'apparaît une vraie législation à portée générale.
§2. L'apparition d’une véritable législation royale (fin XIIe - début XIIIe s)
A. Les causes de cette évolution
La diffusion des droits enseignés dans l’entourage du roi capétien est le facteur de reprise
de cette activité législative. Le droit de justinien a commencé à être diffusé dans le sud de la
France dès les années le XIIe siècle mais il n’est remonté au nord qu’au milieu du XIIe siècle.
Giraud de Bourges, conseiller à la chancellerie royale, connaît le droit de justinien car dans
les années 1140-1150 il a écrit un traité de procédures dans lequel il cite les compilations de
justinien, en particulier institutes et digestes vieux. Or dans les compilations de justinien, on
présente l’empereur romain comme un législateur universel, en particulier dans le Digeste, où
Ulpien qui proclame que ce qui plaît au prince a force de loi. (Quod principi placuit legis
habet vigorem). La volonté émise par le prince peut aussitôt potentiellement se transformer
en une norme légale.
Au XIIe siècle, les empereurs du Saint Empire se rêvent comme les successeurs naturels
des empereurs romains, notamment Frédéric Barberousse. Or les canonistes ont imprégné des
idées de la Réforme Grégorienne et pour eux, il est impératif de tenter de limiter ses
prétentions pour défendre la primauté du pape sur l’ensemble des évêques mais aussi
vis-à-vis des souverains temporels. Les canonistes vont alors travailler pour défendre les rois
des différents royaumes occidentaux qui peuvent concurrencer le pouvoir de l’empereur du
Saint Empire. Pour parvenir à ce résultat, les canonistes vont défendre l’idée que l’autorité de
l’Empereur (auctoritas) n’est pas un pouvoir sans partage : l’Empereur n’est pas le seul à
détenir un pouvoir législatif. Cette auctoritas est détenue par d’autres souverains que
l’empereur qui, comme lui, peuvent légiférer. Ils ne détiennent que la modestas mais c’est
suffisant pour légiférer. Ils peuvent le faire comme l’Empereur du Saint-Empire.
Dans les années 1160, Etienne de Tournai dit « Une constitution est une loi prise par
l’empereur ou le roi. ». Le droit d’édicter appartient au roi et à l’empereur. Huguccio écrit «
Dans mon royaume, le roi rend un édit comme l’empereur prend une constitution ». Ainsi, le
roi et l’empereur sont semblables.
Cependant, après 1180, les glossateurs du droit romain sont obligés de tenir compte de ce
qu’est devenu la réalité politique de leur temps. Dans les années 1180, certains rois d’Europe
se sont mis à légiférer comme les romains : en France et en Angleterre. Ils ont fini par
admettre que les rois pouvaient légiférer comme les empereurs romain. Azon prend position
pour la doctrine des canonistes : un roi a les mêmes droits que les empereurs sur ses terres.
A partir de la deuxième moitié du XIIIe siècle, âge d’or de la science du droit mais aussi une
période où le droit romain et canonique cohabitent avec des règles en pleine expansion.
2 / La reconnaissance officielle
Dès la fin du XIIe siècle, les papes ont compris le profit qu’ils pouvaient tirer à défendre les
corporations universitaires contre les évêques et contre les laïcs. C’était un moyen pour eux
de placer les universités sous leur protection mais aussi sous leur juridiction directe. Pour
cela, des papes ont octroyés des privilèges aux universités : Célestin III, Innoncent III,
Grégoire IX. En 1215, un légal d’Innocent III, nommé Robert de Courson a donné à
l’université de Paris ses premiers statuts, que Grégoire IX a renouvelé en lui reconnaissant
son indépendance. Ce dernier l’affirme dans une bulle, la Parens Scientiazum (mère des
sciences). L’intervention des papes vise à s’assurer un contrôle sur les universités et en
particulier à permettre au pape, lorsque ces universités comportent des facultés de théologie,
de contrôler la façon d’enseigner la religion.
En même temps, cette reconnaissance permet à ces universités de reconnaître par la valeur
pontificale leur valeur intellectuelle et leur permet de se trouver dans une situation
d’indépendance étant donné que le pape demeure éloigné et n’interfère pas directement.
B / L ’organisation universitaire
➣ L’université est une corporation ecclésiastique. Tous ces membres sont assimilés à des
clercs et à ce titre, ils échappent aux juridictions séculières. Ils sont justiciables seulement
devant les juridictions pontificales.
➣ Le droit de grève est accordé aux universités par les papes.
➣ Les universités ont un monopole local en matière d’enseignement. À ce titre, elle contrôle
l’enseignement et l’allocation des grades universitaires qui vont se mettre en place dans le
courant du XIIIe siècle.
➣ Les universités ont toutes un fonctionnement international dans le sens où maîtres et
étudiants viennent de pays différents. Les gradués peuvent recevoir, si le pape accorde aux
universités ce privilège, la licentia ubique docendi (permission d’enseigner partout).
➣ En tant que corporation, l’université constitue une personne juridique ou morale. C’est une
conception inventée par Sinibaldo Fieschi, professeur à l’université de Bologne, qui devient
pape sous Innocent IV.
Chaque université d’Europe a un certain nombre de caractéristiques propres mais toutes les
universités formées se rattachent à un des deux grands modèles universitaires : Paris et
Bologne. L’université de Paris est organisée en quatre facultés : les arts (lettres), décrets
(droits), médecine et théologie. Ces quatre universités ne sont pas sur le même pied d’égalité.
En effet, la faculté d’art est élémentaire, c’est-à-dire que tous les étudiants doivent y étudier
avant d’accéder aux trois autres facultés.Dans la faculté des arts, les étudiants sont regroupées
selon leur nation (française, picarde, normande et anglaise) avec un procureur à leur tête. Les
quatre procureurs élisent un recteur à la tête de la faculté des arts. Les facultés supérieures
sont gouvernées par les maîtres régents, des facultés, qui sont à présent les professeurs
ordinaires. Ces régents élisent à leur tête un doyen. Les maîtres des facultés se réunissent en
assemblée générale à l’Eglise Saint-Julien Le-Pauvre. Le recteur de la faculté des arts a fini
par être considéré comme le chef de toute l’université.
A Bologne, chaque faculté forme une université. Les deux plus importantes sont la faculté
de droit civil et de droit canonique qui ont fusionné. A partir de ce moment, la faculté de droit
a à sa tête un recteur. Nations regroupées en fédération : les stramontains (les italiens) et les
ultramontains (les européens). Ce modèle a inspiré les universités de Toulouse et Montpellier
dans le courant du XIIIe siècle.
A / Le cursus universitaire
L’organisation connaît des variantes selon les lieux mais on peut tout de même dresser les
grandes lignes. Les universités médiévales ne sont pas seulement des établissements
supérieures, ce sont aussi des établissements d’enseignement secondaire (lycée). Les études
commencent dans des petites écoles de grammaire (8-14 ans) pour apprendre à lire et écrire.
Ces écoles sont des écoles qui existent dans toutes les villes épiscopales, qui répondait à la
demande de Charlemagne. Après, on rentre à l’université (14 ans) à la faculté des arts (14-20
ans) pour obtenir le baccalauréat S-art pour enseigner après 2 ans puis par la maîtrise D-art,
cad docteur, après 6 ans Dans la faculté des arts, l’enseignement porte sur la logique et la
dialectique dispensé à partir des écrits d’Aristote et qui vise à former le raisonnement.
C’est seulement à l’issue de ces 6 ans que l’on accède aux facultés supérieures : pour le
droit et la médecine, les études durent 6 ans et pour la théologie, 8 à 10 ans. Pas forcément de
diplôme.
➣ L’examen public : examen pour devenir docteur pour pouvoir docere. Cet examen public
va se dérouler à la cathédrale. Le candidat va faire un discours dans laquelle il va défendre
une thèse, c'est-à-dire défendre une opinion. Des étudiants vont lui poser des questions pour
introduire une discutatio. A l’issue de l’épreuve, l’archidiacre lui remet son titre de docteur et
le licencia docendi dans une cérémonie traditionnelle.
La méthode scolastique n’est pas une méthode qui consiste à exposer des faits et
connaissances qui vont être assimilées. C’est une méthode qui consiste à présenter des
connaissances en posant des questions qui vont être discutées et auxquelles on va tenter de
donner des réponses. C’est donc une méthode dynamique qui repose sur une technique de
raisonnement qui vient de la philosophie d’Aristote qui est la technique dialectique. Elle va
être mise à profit dans les séances de question discutée et dans les cours du professeur.
Ce que l’on appelle, les autorictates, ce sont les textes et les auteurs qui font référence donc le
texte de base. Les premières autorités sont les textes de base, comme le Corpus Juris Civilis,
le Décret de Gratien ou le Liber Extra. Mais les autorictates sont aussi les auteurs qui sont
convoqués par les maîtres lorsqu’ils l’interprètent. On peut aussi citer quelqu’un qui l’a
interprété avant. La science médiévale est une science des autorités qui se nourrit de textes et
les textes universitaires sont bâtis autour de ces éléments.
Ce cadre a entraîné des évolutions importantes aussi dans le droit canonique et romain.
On dit que la méthode du commentaire est née à Orléans. C’est une école où on enseigne le
droit romain et qui connaît un grand succès et qui finit par être reconnu par le Pape comme
une université par le pape Clément V en 1306.
Comment cette école s’est-elle développée ? En 1219, la Pape Honorius III dans une bulle
interdit l’enseignement du droit romain à Paris (Bulle Super specula) parce que les évêques
de la chrétienté envoient des étudiants à Paris. Un certain nombre d'étudiants, au lieu
d’étudier la théologie et le droit canonique, étudient le droit civil et s'engagent dans des
fonctions publiques.
Pour éviter cette fuite de cerveau et cette perte d’argent, le pape interdit l’enseignement du
droit romain. Mais on avait besoin de cet enseignement car l’administration royale
commençait à recruter régulièrement des juristes, et pas ceux seulement formés au droit
canonique. Les maîtres parisiens vont s’installer à Orléans car il existe déjà des écoles de
grammaire très importantes. Ainsi, les conditions sont favorables au développement d’un
enseignement juridique.
Aussi, pour bien comprendre le droit canonique il faut connaître le droit romain qui était
utilisé comme droit supplétif. En 1306 le pape Clément V a octroyé à l’école d’Orléans le
statut d’université. Mais avant même cela, l’école d'Orléans se distinguait sur la scène
Européenne par son enseignement intellectuel.
2 / Le rayonnement de l’école
Ce qui a assuré un succès immédiat à cette école c’est que très tôt à Orléans on a adopté
cette nouvelle méthode du commentaire. Cette méthode qui, se détachant de la stricte exégèse
des textes, donnait plus de liberté d’interprétation et permettait aux interprètes du droit
d’avantage d’innovations. Le développement à Orléans de la méthode du commentaire a été
favorisé par le fait que les maîtres de l’école du droit d’Orléans venaient de Paris et ils
venaient avec la connaissance de la philosophie aristo-éthicienne de sorte que cette
dialectique prend une place qui va fortement influencé les maître orléanais et qui les a
conduit à être le premiers grands commentateurs. Parmi les grands maîtres de l’école
d’Orléans, on peut notamment citer :
➣ Jacques de Revigny ⟶ théories novatrices sur la coutume et sur la doctrine juridique qui
venait d’être inventé + auteur de lecture et de répétition sur le Digeste vieux et sur le Code.
Dans les écoles italiennes se sont développées la science du droit romain car en Italie, il y
de très riches cités marchandes et ces villes se sont dotées d’universités.
1 / La multiplication des centres et des sujets d’étude
A la fin du Moyen Âge, Bologne reste l'université la plus importante de droit ce qui fait
qu’on la surnomme « alma mater legum » c.-à-d. la mère nourricière des lois. Mais en réalité,
si tout est parti de Bologne, l’enseignement s’est répandu en Italie et des universités
importantes se sont créées dans l’Italie. Or dans ces universités, on enseigne seulement le
droit de Justinien mais d’autres sujets d’études se développent.
Tous ces juristes italiens, qui à côté du droit romain se mettent à enseigner d’autres
matières, offrent aussi la caractéristique d’êtres des maîtres et des praticiens. Ils font des
consultations. Et beaucoup d’entre eux se sont mis à publier pour l’usage des étudiants des
recueils de leurs consultations, de « consilia ». Ils suppriment le nom de leurs clients sauf si
se sont des personnes publiques, et ils publient ces consultations pour que les étudiants
puissent nourrir leurs études. Beaucoup de ces juristes exercent parfois le métier d’avocat
comme un juriste de Berkane qui s’appelle Albéric de Rosate qui est l’auteur d’un grand
dictionnaire de droit romain et canonique. Ces juristes italiens enseignent selon la méthode du
commentaire qui triomphe et qu’on appelle le bartolisme.
Cynus de Pistoie va importer en Italie les théories et les méthodes de Jacques de Revigny et
de Pierre de Belleperche en diffusant leurs pensées. Il va diffuser leurs doctrines et leur
manière de commenter les textes, imprégnée de dialectique (arguments pro et contra).Cette
diffusion de ses pensées va nourrir le développement de la méthode du commentaire dans les
écoles italiennes. Son principal élève nommé Bartoli va laisser une œuvre colossale. Il va
commenter tout le Corpus Juris Civilis et va, dans ses commentaires, pousser cette méthode
du commentaire à ce paroxysme. Chaque fragment des textes est disputé et de cette
discussion naissent des théories toujours nouvelles. Il va mettre au point la théorie des statuts
et qui est à l’origine du droit international privé contemporain.
Bartoli a eu pour élève principal un certain Baldé né vers 1327 et mort vers 1400. Il a lui
aussi commenté tout le corpus et qui, à la différence de son maître, a vécu vieux donc est
passé par différentes universités. Balde a le sens du mot et de la formule, écrit avec une très
grande clarté, de sorte que ses commentaires du CJC vont connaître un succès fantastique.
Ses œuvres vont être diffusées dans toutes l’Europe jusqu’au XVIIIe siècle. Il a commenté
pratiquement tout le CJC mais il aussi enseigné le droit canonique. Il a laissé un commentaire
sur le Liber Extra car il était docteur en droit romain et docteur en droit canonique. Le titre
des juristes qui avaient ce double titre était : Docteur in utrumque jus (docteur dans l’un et
l’autre droit). Tous ces juristes partagent comme caractéristique :
⟶ Les commentateurs s’intéressent à d’autres sujet que le droit romain
⟶ Ils sont imprégnés de la méthode scolastique donc ils discutent davantage les textes
⟶ Leur activité pratique a laissé des traces dans leur enseignement
⟶ Tous connaissent bien les deux droits.
§ 2. — L ’ÉTUDE DU DROIT CANONIQUE
Cette étude est renouvelée car les sources du droit canonique se renouvellent et sources
nouvelles dit renouvellement.
Renouvellement car à partir du milieu du XIIIe siècle et jusqu’à fin, l'activité législative des
papes se poursuit. La promulgation en 1234 du Liber Extra n’a pas fait cesser l’activité des
papes
Le Corpus juris canonici s’est formé de manière très progressive après la promulgation du
Liber extra. Les papes ont continué de légiférer de façon abondante.
Le Pape Boniface VIII a décidé l’élaboration d’un nouveau recueil des décrétales qu’il a
promulgué en 1298 sous le nom « Liber Sextus » car il était censé compléter le Liber Extra en
compilant toute la législation postérieure à 1234. Ce liber est organisé en 5 livres selon un
plan : le juge, le procès, le mariage et le crime. Il le fait envoyer aux universités de Bologne
et de Paris pour servir de recueil officiel de la législation pontificale. Les décrétales ont été
profondément remaniées par le législateur. Les canonistes qui l’ont élaboré ont modifié
certaines décrétales pour leur donner un aspect général.
Après un concile à Vienne en 1312, le pape Clément V avait promulgué 20 constitutions à
portée générale qu’il souhaitait compiler. Sa mort en 1314 a interrompu le processus mais en
1317, Jean XXII a adressé la collection de Clément V aux universités publié sur le nom de
Constitutiones clementiae puis lui-même a continué à légiférer et à promulguer une série de
constitution. Ces constitutions n’ont jamais été compilées mais des universités françaises ont
réuni les principales constitutions et les ont diffusées sous le nom d’« Extravagantes de Jean
XXII » en 1325.
Au XVe siècle, Jean Chappuis a élaboré un recueil de décrétales privées qui a circulé sous
le nom d’« Extravagantes communes » compilant les décrétales pas déjà compilées puis il a
préparé un recueil de tous les textes qui servaient dans les universités à enseigner le droit
canonique. Ce recueil a été publié entre 1499 et 1501 par volume successif et sous le nom de
Corpus juris canonici et comprenait :
— Décret de Gratien (1140)
— Décrétales de Grégoire IX (1234)
— Sexte de Boniface VIII (1298)
— Clémentines (1314/1317)
— Extravagantes de Jean XXII (vers 1325)
— Extravagantes communes (XV e s.) accompagnées de leurs gloses ordinaires.
Ce Corpus juris canonici va servir dans les universités pour l’enseignement du droit
canonique mais il a aussi fini par faire l’objet d’une approbation officielle de la papauté. En
1582, le pape Grégoire XIII a fini par reconnaître ce Corpus Juris Canonici, qui comprenait
trois recueils officiels mais aussi trois recueils privés, comme étant la collection juridique
officielle de l’Eglise latine.
B / Les écoles canoniques À la fin du Moyen Âge, le droit canonique est enseigné dans toutes
les universités de droit aux côtés du droit romain.
L’enseignement du droit canonique a subi la même évolution que le droit romain. Dans le
XIIIe siècle, on passe de la glose au commentaire. Pourquoi ? Première raison car les textes
de base, à partir desquels on enseigne, sont désormais pourvus de glose ordinaire, de glose
permanente. La glose ordinaire du Décret de gratien a été rédigée par Jean le Teutonique mais
le Liber extra a été lui aussi pourvu d’une glose ordinaire élaborée dans les années 1250 par
Bernard de Parme puis le Sexte, les Clémentines ont été pourvues de gloses ordinaires
élaborées par Jean d’André. C’est pourquoi les canonistes développent des commentaires
détachés des textes de base. Ils se sont imprégnés de la méthode scolastique et développent
des commentaires imprégnés de dialectique et organisés selon un schéma pro et contra qui
développe un système de discussion des textes. Ils s’intéressent davantage à la pratique.
Puis, comme les romanistes, ils publient des recueils de leurs consultations. Ces canonistes
sont comme leurs collègues, connaisseurs des 2 droits. Ils mettent à profit le droit romain
dans leurs explications.
Les principaux centres d’études du droit canonique sont comme pour le droit romain situés
en Italie et en France. En réalité, le droit canonique s’enseigne dans la plupart des universités
en parallèle au droit romain. Il y a une seule exception qui est l’université de Paris où on
n’enseigne que le droit canonique. Toutefois, les statuts de la faculté des décrets de
l’université de Paris prévoient qu’on doit avoir étudié au moins le droit romain à Orléans 3
ans, avant d'apprendre le droit canonique. Au XIIIe siècle, les universités les plus importantes
sont en Italie. Au XIVe , elles ont tendances à être en France, en particulier dans le midi car la
papauté s’est installée en Avignon.
Hostiensis a enseigné le droit canonique à Paris et est ensuite devenu évêque puis cardinal.
Durant ces années d’enseignement, il a rédigé une somme sur le Liber Extra qui est presque
autant un traité de droit romain que de droit canonique. Il caractérise le mouvement de jus
commun. Guillaume Durand a écrit pendant ses années d’enseignement une encyclopédie de
procédure intitulée « speculum juris » (le miroir du droit), ouvrage de procédure utilisé par
tous les juges et tous les avocats aussi bien dans les tribunaux d’église que séculiers jusqu’au
début de l’époque moderne.
Des juristes comme Hostiensis ou Guillaume Durand et d’autres ont enseigné le Droit
canonique mais connaissent les deux et la somme d’Hostiensis et de Guillaume résument une
grande quantité de droit romain ⟶ illustration du mouvement du jus commune.
Dans le courant du XIIIe siècle, les juristes prennent l’habitude de désigner le droit romain
sous l’expression de jus commune.
Toutes les fois qu’il n’existe pas un droit propre (jus proprium), c’est-à-dire pas de coutume
locale ou loi émise, on considère que le droit romain doit s’appliquer. Quel droit romain ?
C’est le droit de Justinien tel que les juristes médiévaux l’ont réinterprété. Le jus commune,
c’est donc le Corpus Juris Civilis et les gloses qui les interprètent et le rendent applicable au
contexte médiéval.
L’Eglise catholique a reconnu officiellement cette situation car elle-même l’utilise. Ceci a
conduit à le considérer comme le droit commun s’appliquant à toute l’Europe occidentale et à
mesure du temps, toutefois, ce droit commun va se charger d’éléments extérieurs, notamment
du droit canonique qui va fusionner avec le droit romain.
À partir du XIIIe siècle, quand les juristes disent jus commune, ils incluent le droit
canonique. Cette inclusion était inévitable tant le droit romain et canonique sont des droits
extrêmement étroits. En effet, ce sont les deux droits enseignés (les autres ne font pas l’objet
d’un enseignement). Ils sont enseignés dans les mêmes lieux, parfois par les mêmes juristes,
selon les mêmes méthodes.
L’Eglise a reconnu d’ailleurs officiellement le droit romain comme étant son droit supplétif.
Dans certaines matières, les règles du droit romain sont tellement enchevêtrées qu’il est
difficile de distinguer leur origine romaine ou canonique. Il arrive qu’une décrétale émise par
un pape reprend une règle romain qui n’était pas très commentée. Il la remet alors en vigueur
et provoque un regain d’intérêt pour cette règle disparue.
Le droit romain et canonique sont tellement mélangés qu’on peut parler de droit romano
canonique.
A / Un droit de juriste
Ce qui forme le jus commune, ce n’est pas seulement le Corpus Juris Civilis et le Corpus
Juris Canonici, ce sont ces textes accompagnés indissociablement de leur commentaire. En
effet, les règles des deux corpus ne s’appliquent qu’au regard de l’interprétation donnée par
les juristes car c’est un droit de juriste. Par conséquent, dans cette société de fin du Moyen
Âge, on peut dire que la première source créatrice de règles nouvelles, c’est la doctrine (puis,
coutume > jurisprudence > loi).
Dès le XIIe siècle, le jus commune a commencé à pénétrer en France. Les rois capétiens ont
vu le parti qu’ils pouvaient prendre du droit romain pour renforcer leur pouvoir législatif.
Mais son utilisation, à partir du XIIIe siècle, a posé des difficultés politiques.
Utiliser le droit romain est un mouvement naturel. Le reconnaître officiellement est plus
délicat car certains juristes considèrent que le droit romain, c’est le droit de l’empereur.
A / Un droit impérial
Dès le début du XIIIe siècle, la papauté a reconnu cette position du roi de France. En 1202,
le Pape Innocent III a reconnu, dans une décrétale « Per Venerabilem », que officiellement le
roi de France n’avait aucun supérieur sur le plan temporel (à part le Pape sur le plan spirituel)
et qu’il n’était donc pas soumis à l’empereur allemand. Rigord, le biographe officiel de
Philippe II, lui donne le surnom de Augustus car il le voit revêtu de l’auctoritas, dans une
position politique semblable à celui de l’empereur romain. Dans les années 1240, Jean de
Blanot dit à propos du roi de France « le roi est empereur en son royaume ». En France, le
droit romain est utilisé depuis déjà une centaine d’année mais devant l’insistance des juristes
italiens qui ressassent que le droit romain est le droit de l’Empire, en 1312, le roi Philippe le
Bel prend une ordonnance pour renouveler l’interdiction d’Honorius III en 1219 d’enseigner
le droit romain à Paris et dans celle-ci, Philippe le Bel dit qu’on n’a pas besoin de l’enseigner
car dans le Nord du royaume, il y a des coutumes mais en même temps, il reconnaît
l’enseignement du droit romain à Orléans.
Le droit romain a commencé de pénétrer dès le premier tiers du XIIe siècle dans le sud de
la France, puis est remonté vers le Nord et à partir du XIIIe siècle, ce droit romain s’est
imposé dans toute la France comme le droit commun, c’est-à-dire le droit qui s’applique par
défaut.
On voit dans les contrats de la fin du XIIIe siècle se multiplier des clauses de renonciation
qui précisent que lorsqu’on conclut telle convention, on renonce à telle protection. Ces
clauses de renonciation interviennent lorsque des particuliers influencés par le notaire,
choisissent dans leurs conventions pour renforcer leurs contrats de renoncer à différentes
règles qui leur permettraient d’échapper à l’exécution du contrat ou choisir des règles
non-romaines. Si l’on se croit obligé d’insérer ces clauses, c’est bien évidemment parce que
l’on considère ce droit romain comme le droit commun.
Par ailleurs, l’importance de l’utilisation du droit romain en pratique fait que dans le sud de
la France, à la fin du XIIIe siècle, on commence à considérer que le droit romain est une sorte
de coutume générale. Cette revendication des méridionaux a contribué à faire émerger une
distinction qui a été une distinction entre les pays de coutume et les pays de droit écrit.
À partir de la deuxième moitié du XIIIe siècle, on commence à dire que les provinces du
Nord du royaume jusqu’à l’Auvergne constituent des pays de coutume, où il existe des
coutumes locales très différentes du droit romain tandis que les provinces du Sud ont pour
coutume générale le droit romain. Cette distinction commence à s’affirmer à la fin du XIIIe
siècle car les méridionaux veulent empêcher une intervention excessive du roi capétien dans
leurs usages.
En réalité, il n’y a pas de grande différence entre le Nord et Sud du royaume. Il y a des
matières régies par le jus commune et puis des matières régies par les coutumes : le droit de la
propriété des biens, droit des successions, etc. Il existe des coutumes qui dans les faits n’est
pas encore la coutume générale des pays du midi. Il y a aussi des régions intermédiaires :
l’Auvergne est un pays de coutume mais dans le sud de l’Auvergne, on se revendique du droit
écrit, par exemple.
Cette distinction ne devient une véritable distinction juridique au XVIe siècle avec la
rédaction officielle des coutumes.
Le roi de France, milieu XIIe siècle, commence à émettre à nouveau des normes à portée
générale. Ce pouvoir d’émettre des règles qui s’appliquent à l’ensemble de son royaume a été
reconnu et théorisé par les juristes de la fin du Moyen-Âge qui ont justifié ce pouvoir.
1 / Un roi souverain
Le roi de France est désormais reconnu comme étant un roi souverain et c’est cette
souveraineté qui l’autorise à légiférer à l’égal de l’empereur romain.
Jusqu’au milieu du XIIe siècle, le roi de France était surtout un symbole, c’était le prince
territorial qui régnait sur l’île de France qui avait hérité du titre de roi carolingien mais ne
s'exerçait pas le même pouvoir. Les rois capétiens ont pendant plusieurs siècles reconstruit la
position politique du roi de France, en récupérant une à une les différentes provinces.
Les rois capétiens ont lutté contre les pouvoirs féodaux et cette lutte s’est accomplie durant
le XIIIe siècle grâce à une politique menée par ces rois capétiens mais une politique soutenue
par des juristes de l’entourage du roi.
Ces juristes, notamment Jean de Blanot, ont affirmé que le roi était supérieur à tous les
seigneurs du royaume, qu’il était le suprême suzerain du royaume. C’est ainsi que le roi s’est
hissé au sommet de la pyramide féodale. Puis, dans la deuxième moitié du XIIIe siècle,
certains juristes sont allés plus loin, notamment Philippe de Beaumanoir déclare « le roi de
France est souverain par-dessus tout ». Ce mot qu’il a inventé, c’était pour traduire le mot
superanus, ce qu’il lui permet de faire les lois, les interpréter, les aggraver.
Les juristes de l’entourage des capétiens affirment que, parce qu’il est souverain, le roi est
législateur.
2 / Un roi législateur
Le roi de France étant « empereur en son royaume » (Jean de Blanot), il est donc dans la
position de l’empereur romain.
Comme l’a écrit Ulpien, « Quod principi placuit legis habet vigorem » (= ce qui plaît au
Prince a force de loi). Au XIVe siècle, cela débauche sur un adage en français : « si veut le
roi, si veut la loi ».
Cette affirmation est une affirmation à relativiser car cela ne correspond pas exactement à la
réalité. En effet, jusqu’au XVe siècle, l’unité politique de la France n’est pas achevée. Il y a
toujours des princes territoriaux : le duc de Bretagne, de Bourgogne. Ils sont théoriquement
vassaux du roi de France. Pour cette raison, les juristes vont dire qu’il peut faire la loi mais
qu’il n’a pas de limites. « Princeps legibus solutus est » (Ulpien) : le Roi est délié des lois, ni
des lois des prédécesseurs, ni des princes territoriaux. Cela fait du roi un res absolutus.
Les mêmes juristes qui recyclent les doctrines d’Ulpien pour faire un souverain législateur,
posent des limites à cette souveraineté dès le XIIIe siècle.
➣ Philippe de Beaumanoir, lui-même, dit que le roi ne légifère que pour le « commun profit
», c’est-à-dire qu’il ne peut pas légiférer pour des intérêts particuliers.
➣ Il y a cette idée que le roi de France ne peut pas légiférer de manière frénétique car le roi
est gardien des lois. On reste dans un droit juridique que les juristes considèrent comme un
ordre immanent que l’on ne peut bouleverser en légiférant tous les jours.
➣ Le roi ne peut pas bouleverser l’ordre divin et naturel. Cela signifie que le roi ne peut pas
prendre une législation qui irait contre la théologie chrétienne. Par ailleurs, le roi doit
conserver les coutumes et les privilèges particuliers qui existent dans son royaume au nom du
maintien de l’ordre.
➣ Le roi ne légifère pas seul mais en son conseil qui sont tous des juristes, de grands juristes
dont les compétences techniques vont permettre de légiférer.
Dans sa structure, la France n’est pas comparable à un Etat moderne. Il s’agit d’un
ensemble de principautés avec des princes territoriaux avec pouvoir local contre lequel le roi
ne peut pas aller. En conséquence, le roi de France ne peut pas exercer sans frontière son
pouvoir car ce roi de France n’est pas dans une position politique et matérielle qui lui
permettent de le faire.
La France est aussi une mosaïque de territoires dont chacun possède des privilèges et des
coutumes propres, que ne peut pas balayer le roi capétien d’un revers de main. Or, ces
coutumes régissent notamment des pans entiers du droit privé (droit de la propriété, des
successions, des régimes matrimoniaux) et le reste du droit privé est régi par le jus commune.
C’est pourquoi le roi ne peut pas légiférer à ce sujet.
En fin de compte, le roi de France légifère pour organiser son administration, pour régler sa
justice, ses finances, son armée. La législation royale intervient en matière administrative et
d’ordre public, le droit privé demeure régi par les coutumes territoriales multiples.
1 / La géographie coutumière
Dans chaque seigneurie, on trouve des coutumes différentes mais au-delà des règles propres
à des groupes de seigneuries, il existe des ensembles de coutumes particulières à une ou
plusieurs provinces du royaume de France, on peut dessiner une carte de la géographie
coutumière.
Lorsqu’il y a un litige, on avance une coutume que l’adversaire conteste. Plusieurs modes
de preuve sont utilisés :
➣ l’enquête par turbe (turba = foule) : utilisée dans le royaume de France et dans la plupart
des pays occidentaux. Le juge va demander à 10 personnes habitant le lieux, appelés les
turbiens, de s’exprimer à l’unanimité, pour dire que cette coutume est bien appliquée. Cette
enquête est attestée dès le milieu du XIIIe siècle et est rendue obligatoire en 1270 par une
ordonnance de Saint-Louis. L’inconvénient de cette pratique est dénoncé par un adage
médiéval « qui mieux abreuve, mieux preuve ».
➣ les témoignages : « testis unus testis nullus » ⟶ recours au témoignage d’au moins deux
témoins . Méthode justifiée par un passage de l’évangile de Matthieu 18:16 « Que toute
parole se tienne dans la bouche de deux ou trois témoins ».
➣ le système de Weistümer : enquêtes ordonnées par les juges périodiquement pour
interroger les populations sur les coutumes existantes puis mise par écrit dans des registres
(les records de coutume) par des agents d’une juridiction.
Au XIVe et XVe siècle, on continue dans le Nord du royaume de France à élaborer des
coutumiers privés, c’est-à-dire des manuels non-officiels à l’usage des praticiens, juges et
avocats. Ces manuels décrivent la coutume de tel ou tel lieu mais n’ont pas de valeur
juridique.
Quelques exemples :
➣ 1385, Somme rural ou grand coutumier de pratique civile et canon par Jean Bouteiller ⟶
coutumes du Nord face au droit romano-canonique s’appliquant dans le Nord.
➣ 1389, Grand Coutumier de France par Jacques d’Ableiges ⟶ coutumes du groupe parisien
en rapport étroit avec les règles du jus commune.
En dépit de leur nom de « provinces coutumières », ces dernières ne sont pas entièrement
régies par les coutumes. En effet, le jus commune qui règle la procédure, l’ensemble du droit
des obligations donc le droit des contrats, de la responsabilité, le droit extrapatrimonial de la
famille, etc, c’est-à-dire des pans entiers de la vie juridique.
Pour ce qui est des autres champs du droit privé qui sont régis par les coutumes, le jus
commune peut néanmoins être utilisé à titre supplétif lorsqu’il y a une lacune dans le
coutumier. On utilise aussi pour mettre en ordre les règles coutumières, pour les penser. Le
droit savant exerce une influence très importante dans ces pays de coutume.
Dès la fin du XIIIe siècle, les pays du Midi sont considérés comme étant régis par le droit
romain, c’est-à-dire le droit de Justinien, des règles du Corpus Juris Civilis interprétées par
les juristes médiévaux, les glossateurs et les commentateurs. Ce droit romain est considéré
comme la coutume par défaut du pays.
Toutefois, cela pose des difficultés car pour le droit patrimonial, il existe, dans le sud du
pays, des coutumes qui diffèrent du droit romain.
2 / Le développement de la pratique des renonciations
Dès le XIIIe siècle, dans le Midi, apparaissent des actes de notaires inscrivant une clause de
renonciation à telle ou telle disposition du droit commun pour adopter une autre règle locale.
Ces renonciationsse multiplient au courant du siècle car dans ces provinces du midi, s’est
installée l’idée que la coutume, c’est le droit romain donc on éprouve le besoin de l’écarter,
non seulement dans les cas où il s’applique mais aussi dans les cas où il existe une coutume
locale. Ceux qui ont conclu un contrat ne peuvent pas se réduire en allant en justice pour
échapper à leur engagement par une règle de droit.
Ces renonciations se présentent comme le marqueur de la réception de l’idée que le droit
romain règle toute la vie juridique. Impression fausse car les règles utilisées sont souvent
différentes du droit romain.
3 / L’écart entre les règles de fond du droit romain et certaines pratiques locales
Les méridionaux reconnaissent le droit romain comme commun mais en réalité, il y a dans
ces provinces, des coutumes locales et celles-ci sont différentes du droit romain.
Le droit romain a pénétré dans le Midi plus tôt que dans le centre. Ainsi, les juristes du midi
ont adopté tôt le vocabulaire du droit romain. Mais ce vocabulaire souvent couvre des réalités
qui n’ont pas de rapport avec le droit romain. On utilise des appellations pour décrire des
institutions purement coutumières.
Ces pays du Midi sont très différents les uns des autres et diffèrent parfois plus ou moins du
droit romain :
➣ Sud-Est (Provence) : forte romanisation du droit
➣ Sud-Ouest (Languedoc et Catalogne française) : coutumes sous influence du droit
wisigothique
➣ Sud-Ouest (Bordelais) : coutumes semblables au Nord
Il y a une multitude de coutumes locales différentes du droit romain mais qui empruntent le
vocabulaire romain étant donné qu’il n’est qu’un droit supplétif.
Cette situation que nous venons de décrire et qui fait de la France une espèce de mosaïque
juridique s’est maintenue à l’époque moderne.