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Samir Bouadi

Agathe Colombier-Hochberg

Dictionnaire des cons et autres génies

Pygmalion

© Pygmalion, département de Flammarion, 2015


Dépôt légal : novembre 2015
ISBN Epub : 9782756417974

ISBN PDF Web : 9782756417981

Le livre a été imprimé sous les références :


ISBN : 9782756417950

Ouvrage composé et converti par Meta-systems (59100 Roubaix)


Présentation de l'éditeur

« Ce livre aurait pu s’intituler le Dictionnaire des génies.


Légendes, icônes, les personnages à qui nous rendons hommage ont, pour
la plupart, marqué leur temps grâce à leur art, leur science ou leurs actes.
Mais à y regarder de plus près, les choses ne sont pas si simples, car, un
jour ou l’autre, ces personnalités hors du commun ont toutes dérapé, dit ou
fait une connerie susceptible de réduire à néant l’œuvre de toute une vie.
C’est cet acte grandiose que nous souhaitons saluer, car grâce à eux, génie
et connerie n’ont jamais été si proches, unissant par là même les créatures
insignifiantes que nous sommes à ces êtres infiniment brillants… »
Neil Armstrong, Bono, Confucius, Salvador Dalí, Albert Einstein,
Sigmund Freud, Victor Hugo, Michael Jackson, Napoléon, Le Père Noël,
William Shakespeare, Voltaire, Zidane…
Une soixantaine de conneries décomplexantes !
Samir Bouadi est un auteur pas plus con qu’un autre et Agathe Colombier-
Hochberg est une romancière géniale de temps en temps.
Ils sont également les auteurs du Traité ultime, voire définitif, des banalités
à l’usage des gens exceptionnels qui ne veulent plus le rester (2007), des
26,5 auteurs qui n’existent pas mais qu’il faut absolument avoir lus (2008)
et de L’Affabuleuse histoire vraie de Jules Cardot (2010).
De Samir Bouadi et Agathe Colombier-Hochberg
L'Affabuleuse histoire vraie de Jules Cardot, Fleuve Éditions, 2010.
26,5 auteurs qui n'existent pas mais qu'il faut absolument avoir lus,
Marabout, 2008.
Traité ultime voire définitif des banalités : À l'usage des gens exceptionnels
qui ne veulent pas le rester, Marabout, 2007.
La Coupe du monde et autres footaises : Le dico non officiel, Mots Et Cie,
2006.

De Samir Bouadi
Le Polimentik : Dico non officiel de la politique, avec Abel Hermel, Mots
Et Cie, 2006.

D'Agathe Colombier-Hochberg
Les Vies turbulentes de Lady M., Fleuve Éditions, 2015.
Rien de personnel, Fleuve Éditions, 2014.
Messie malgré lui, Fleuve Éditions, 2013 ; puis sous le titre Nos (pires)
meilleures vacances à Tel Aviv, Pocket, 2014.
Nos (pires) meilleures vacances à Las Vegas, Fleuve Éditions, 2012 ;
Pocket, 2013.
Nos (pires) meilleures vacances, Fleuve Éditions, 2010 ; Pocket, 2011.
Dans l'intimité des écrivains, Eyrolles, 2009.
Mes amies, mes amours, mais encore ? Mango, 2005 ; Pocket, 2007.
Ce crétin de prince charmant, Mango, 2003 ; Pocket, 2005.
Dictionnaire des cons et autres génies
PRÉFACE

Ce livre aurait pu s'intituler le Dictionnaire des génies.


Légendes, icônes, les personnages à qui nous rendons hommage ont, pour
la plupart, marqué leur temps grâce à leur art, leur science ou leurs actes.
L'histoire de l'humanité est faite de ces trajectoires en apparence
fulgurantes.
Mais à y regarder de plus près, les choses ne sont pas si simples, car, un
jour ou l'autre, ces personnalités hors du commun ont toutes dérapé, dit ou
fait une connerie susceptible de réduire à néant l'œuvre de toute une vie.
C'est cet acte grandiose que nous souhaitons saluer, car grâce à eux, génie et
connerie n'ont jamais été aussi proches, unissant par là même les créatures
insignifiantes que nous sommes à ces êtres infiniment brillants…
Louis Althusser (1918 – 1990)

Louis Althusser n'a que 30 ans lorsqu'il devient professeur de philosophie


à l'École normale supérieure. Au début des années 1960, il accède à la
requête de certains de ses élèves lui demandant d'enseigner le marxisme,
mais ce perfectionniste passera tout de même deux ans à étudier Le Capital
au préalable. La spécificité d'Althusser tient au fait qu'il intègre le
spinozisme au marxisme. Il nous serait fort agréable de vous expliquer en
quoi consiste cette nuance, mais dans la mesure où il est difficile de traiter
ce sujet passionnant en quelques lignes, nous nous abstenons à regret et
vous renvoyons à l'œuvre du philosophe.
Au-delà de la trace qu'il a laissée avec ses travaux, Louis Althusser a
formé toute une génération de philosophes qui marqueront à leur tour la
pensée du XXe siècle : Michel Foucault, Jacques Derrida, Alain Badiou,
Jacques Rancière, et même Bernard-Henri Lévy. Avoir eu ce dernier pour
disciple justifierait en soi que Louis Althusser figure dans cet ouvrage, mais
notre homme avait un peu plus d'ambition. C'est en 1946 qu'il a rencontré
celle qui deviendra sa femme, Hélène Rytmann. De huit ans son aînée, elle
est une héroïne de la Résistance et une militante communiste qui fréquente
Malraux et Lacan. Durant trente-cinq ans, il lui vouera un amour filial
empreint d'admiration, jusqu'à un beau matin de novembre 1980 où après
lui avoir proposé un massage de la nuque, il l'étrangle sans transition
aucune. Prenant conscience de son léger dérapage, il appelle lui-même le
médecin de l'E.N.S où il est domicilié. Le philosophe est interné à Sainte-
Anne, un établissement qu'il connaît bien car depuis l'âge de 25 ans, il est
traité pour des troubles maniaco-dépressifs. Déclaré irresponsable au
moment des faits, Louis Althusser ne sera jamais jugé pour son crime, qui
se conclura deux mois plus tard par un non-lieu. Il faut dire que le juge
d'instruction chargé de l'affaire l'a trouvé dans un tel état de prostration qu'il
a renoncé à lui signifier sa mise en examen. Et là, on regrette de ne pas
avoir été dans la pièce lorsque s'est jouée la scène, car a priori, il ne suffit
pas d'être bipolaire pour pouvoir étrangler son épouse en toute impunité (ou
alors qu'on nous le dise !). Le philosophe a brillamment prouvé le contraire.
En 1985 est paru un article de Claude Sarraute qui soulignait, non sans
raison, que lorsqu'un nom prestigieux est mêlé à un procès, « la victime ne
mérite pas trois lignes. La vedette, c'est le coupable ». Vexé, Althusser lui a
répondu en publiant une autobiographie de près de 600 pages – quand on
vous dit qu'il était perfectionniste.
Archimède (287 – 212 av. J.-C)

La légende a retenu de lui le fameux « Eurêka ! », qu'il aurait prononcé


en courant nu dans Athènes après avoir compris comment distinguer une
couronne en or pur d'un alliage de plusieurs métaux.
Il en faut davantage pour définir Archimède, plus grand mathématicien
de l'Antiquité, mais aussi physicien et ingénieur de génie. Ses travaux
portent aussi bien sur la numération que sur l'infini ; c'est lui qui parvient à
préciser le chiffre π, et établit le calcul définissant l'aire et le volume du
cylindre et de la sphère. Lui encore qui détermine les bases du calcul
intégral et de la mécanique statique. On lui doit la fameuse poussée qui
porte son nom et définit le principe des corps plongés dans l'eau, ce qui se
traduit à l'époque par la construction du plus grand navire jamais conçu. À
ses heures perdues, il travaille sur l'optique, invente la vis sans fin, la roue
dentelée et le boulon, et fabrique des machines prouvant qu'à l'aide de
poulies et de leviers, l'homme peut soulever bien plus que son poids, ce qui
donne lieu à toutes sortes de machines de guerre qui laisseront de très
mauvais souvenirs aux Romains.
Les sciences modernes lui doivent tout et lui auraient sans doute dû
davantage, s'il s'était montré un peu plus poli avec le légionnaire qui a
croisé sa route. Syracuse avait alors été prise par les Romains, mais il
semblerait qu'à l'instar de tout savant génial et déconnecté de la réalité,
Archimède n'en ait rien su. Très agacé d'être dérangé par un soldat tandis
qu'il traçait des figures géométriques sur le sol, il lui lance : « Ne dérange
pas mes cercles ! » Ce seront ses dernières paroles puisque deux secondes
plus tard, il sera transpercé par l'épée de son visiteur. Le grand homme
quittera ce monde, non sans découvrir une ultime vérité : le légionnaire est
susceptible…
Neil Armstrong (1930 – 2012)

Quel que soit l'âge que vous aviez le 20 juillet 1969, et même si vous
n'étiez pas né, les images de Neil Armstrong effectuant quelques pas sur la
Lune sont gravées dans votre mémoire. Intemporelles, teintées d'irréel, elles
sont de celles que l'on n'oublie jamais, un peu comme celles des avions
s'encastrant dans les tours jumelles et des ruines consécutives à leur
effondrement. Dans les deux cas, un drapeau américain apparaît au milieu
de nulle part, mais de là à y voir un lien de causalité, il n'y a qu'un pas que
nous ne saurions franchir. Revenons à Neil Armstrong. Excellent étudiant, il
effectue son service militaire dans la marine et n'a que 20 ans lorsqu'il
obtient son diplôme de pilote apte à se poser sur un porte-avions. C'est ainsi
que s'ouvre devant lui une carrière militaire, et qu'il participe à la guerre de
Corée dont il sort auréolé de médailles. Il reprend alors ses études dans
l'aérospatiale puis intègre la future NASA en vue de devenir pilote d'essai.
Durant plusieurs années, il y effectue toutes sortes de prouesses, la
principale étant de rester en vie compte tenu de l'état dans lequel il ramène
les avions à la base, si tant est que la moindre parcelle ait résisté au choc.
En avril 1962, il est au sommet de son art. À la suite d'une erreur de
pilotage, il passe au-dessus de sa piste d'atterrissage à Mach 3, si bien que
lorsqu'il parvient à se poser, il est à 72 kilomètres de sa base. Quatre jours
plus tard, il est en mission avec Chuck Yeager, coéquipier aguerri puisqu'il
s'agit du premier pilote à avoir franchi le mur du son, mais refuse de
l'écouter lorsque ce dernier lui déconseille de se poser sur un lac. Certes,
Armstrong pose leur appareil, mais il ne parvient pas à redécoller et les
deux hommes en sont réduits à regarder les canards s'ébrouer dans l'attente
d'être secourus. Nouveau vol trois semaines plus tard : suite à une mauvaise
évaluation de son altitude, il réduit en miettes son train d'atterrissage,
éventre son avion, et abîme passablement la piste sur laquelle il s'est posé
en catastrophe. Les âmes charitables expliquent ces déboires en rappelant
qu'Armstrong était un pilote-ingénieur, catégorie où la maîtrise du pilotage
n'est pas forcément la première qualité requise. Toujours est-il que l'Armée
de l'air, ou plutôt son très détendu responsable du recrutement, décide de
l'intégrer au programme Apollo. La suite, on la connaît, et on se perd en
conjectures à se demander quels motifs ont valu à Armstrong de faire partie
des trois heureux élus à être envoyé sur la Lune. De deux choses l'une : soit
il était l'un des astronautes les plus compétents de sa génération, ce qui
désacralise quelque peu la NASA et nous donne envie de jeter notre DVD
de L'Étoffe des héros au feu. Soit sa hiérarchie, compte tenu des risques
encourus, a tout simplement choisi de minimiser les pertes en cas de pépin,
en se débarrassant d'un casse-cou dont le nombre d'avions pulvérisés et la
prime d'assurance finissaient par compromettre le budget de l'Armée de
l'air. C'est probablement parce qu'il était déstabilisé par le succès inhabituel
de sa mission qu'Armstrong a décidé de ne pas retourner dans l'espace. Un
choix regrettable, car on aurait bien aimé savoir où il aurait atterri – et dans
quel état – s'il avait poursuivi sa conquête de l'espace avec autant de
précision que lors de ses missions aériennes.
Brigitte Bardot (1934)

Icône absolue, incarnation définitive de la beauté sauvage et de la


féminité libérée, sex-symbol mondial, BB est sans conteste la star des
années 1960. Des générations d'hommes dans le monde entier seront
fascinées par celle qui peut être à la fois la femme enfant que l'on veut
protéger, tout autant que la femme fatale, dominatrice et cruelle. Elle
tournera avec les plus grands (Guitry, Autant-Lara, Vadim, Godard,
Clouzot, Malle, Deville…) et rayonnera superbement dans des films habités
par son corps et sa voix. Elle incarne l'ange pour qui l'on se damne, le
démon que l'on prie, le corps que l'on vénère. En 1973, quand elle décide de
mettre fin à sa carrière pour se consacrer à la cause des animaux, elle est au
sommet de son art et de sa popularité.
On pourrait penser que ce renoncement est la preuve d'une bonté sans
limites et d'une humilité sublime, mais c'est plus compliqué que ça. BB
s'isole à La Madrague avec ses amis poilus, regardant en boucle sur son
magnétoscope l'émission 30 millions d'amis (qui les a comptés ?). Au début,
ça va à peu près. Elle s'insurge avec force et courage contre le massacre des
bébés phoques, et n'hésitera pas à mettre aux enchères tous ses effets et
souvenirs personnels afin de débloquer des fonds pour financer la fondation
de défense des animaux qui porte son nom. C'est après que ça se gâte… Ses
déclarations deviennent de plus en plus agressives et elle se radicalise. Le
point de non-retour est atteint quand, prenant fait et cause pour Baby et
Népal, deux éléphants peut-être atteints de tuberculose, elle menace de
quitter la France pour la Russie si on les euthanasie. Sans risquer de se
tromper, on peut affirmer que les deux pauvres pachydermes n'en
demandaient pas tant. Au passage, elle en profite pour déclarer sa flamme à
Vladimir Poutine, parce qu'il a « beaucoup d'humanité. […] Et puis, là-bas,
ils n'ont pas l'Aïd-el-Kébir… ».
Son légitime combat la conduit parfois à confondre soutien de la cause
animale avec incitation à la haine raciale, mais rassurons ses fans, elle n'a
été condamnée que cinq fois. Dans la mesure où elle continue à proclamer
qu'elle n'est pas raciste, il s'agit sans doute d'un malentendu. Nous n'avons
aucune raison de mettre en doute sa parole. De toute façon, les génies sont
souvent incompris. Par exemple, lorsqu'elle déclare au sujet de son amie
Marine Le Pen : « … elle a une paire de couilles ! », il doit s'agir d'un détail
anatomique qui nous a échappé.
Les signes avant-coureurs de sa philanthropie relative sont apparus le
11 mai 1960, jour de la naissance de son fils, Nicolas. « J'aurais préféré
accoucher d'un chien » sont les mots qu'elle a choisis pour faire part de son
immense bonheur. (L'enfant chéri va bien, merci. Il s'est barré en Norvège.)
Pour finir ce portrait, laissons la parole à Jacques Charrier, son ex-mari et
père de l'expatrié, qui connaît la dame un peu plus que nous : « Pour elle,
l'humanité se divise en trois : les êtres humains (race inférieure et
méprisable), les animaux (dignes d'être aimés) et elle-même (digne d'être
adulée). »
Bono (1960)

S'il s'avère utile de citer les œuvres majeures de Victor Hugo quand on
fait son portrait, ce n'est pas le cas pour Bono, qui depuis les années 1980
arpente la planète sur des talons surcompensés en hurlant les nombreux
tubes de son groupe U2. Véritable bête de scène, le petit bonhomme fessu a
mis autant de jeunes femmes en émoi que s'il était un boys band à lui tout
seul. À ce titre, il incarne une certaine résilience et c'est probablement grâce
à lui que beaucoup d'autres petits bonshommes fessus ont pris suffisamment
confiance en eux pour réussir à épouser des top models qui elles-mêmes,
ont pris assez confiance en elles pour chanter alors qu'elles sont grandes et
minces. Ce que nous venons d'écrire n'a aucun sens, mais cela nous permet
d'évoquer la tragique absurdité du destin de Bono. En effet, tout commence
avec le fait que son surnom soit issu de « Bonavox », un magasin de
prothèses auditives situé à Lypton, son village natal. Vous vous attendez
sans doute à ce que nous dressions une liste exhaustive des autres absurdités
qui caractérisent sa vie, mais nous n'avons pas de comptes à vous rendre, et
avons décidé de nous en tenir à deux exemples avant d'en venir à l'essentiel.
Sachez donc que lorsqu'il a rencontré le pape en 1999 (voir Jean-Paul II),
le chanteur prêcheur n'a rien trouvé de mieux à faire que de lui offrir ses
horribles lunettes bleues de cycliste et le forcer à les essayer tandis qu'un
témoin très sournois immortalisait la scène. Derrière l'apparente générosité
de ce geste, on devine que ce grand mégalo de Bono était probablement
convaincu que le pape, comme tant d'autres, n'aspirait qu'à lui ressembler…
Mais Dieu n'apprécie pas qu'on se moque impunément de ses lieutenants, et
comme la vengeance est un plat qui se mange froid, il attendra quelques
années pour s'occuper du petit druide fessu. Alors que ce dernier faisait le
cycliste à Central Park, Il l'a envoyé s'emplâtrer dans un arbre, avec
suffisamment d'enthousiasme pour que son bras et son visage soient mis
hors d'état de nuire pendant un bon moment. Si c'est pas une preuve de
l'existence de Dieu, c'est quoi ?
Mais revenons à ce qui nous préoccupe réellement, à savoir que Bono est
vraiment relou. Sous prétexte d'engagements humanitaires divers, le rocker
curé rencontre toutes sortes de dignitaires à qui il explique que la guerre
c'est pas bien, et le Sida, c'est pas cool. Il milite pour l'annulation de la dette
des pays du tiers-monde, tout en cachant son pognon dans un paradis fiscal
pour échapper à une réforme de l'imposition irlandaise légèrement
contraignante. En bon parangon de la rock star se prenant pour Jésus, il a
probablement oublié que le Messie a toujours prôné l'humilité et la
pauvreté. À notre connaissance, personne n'a eu l'idée d'interpeller Bono sur
son bilan carbone, à titre personnel ou avec U2, mais le cas échéant, on
imagine aisément que ce grand écologiste se justifierait en arguant que la
bonne parole n'a pas de prix. Pour les pauvres darwiniens que nous
sommes, le Bono beau descend vraiment du singe.
Tycho Brahé (1546 – 1601)

Issu de la grande noblesse danoise, il devient le scientifique le plus


célèbre de son temps, notamment grâce aux instruments qu'il fabrique lui-
même et qui lui permettent de recueillir des données essentielles en
astronomie. Ses observations d'une nouvelle étoile en 1572 – on parle
aujourd'hui de supernova – et de la grande comète de 1577 l'amènent à
remettre en question les principes énoncés par Aristote, tandis que son
étude des positions de Mars est à l'origine de découvertes fondamentales sur
les mouvements des planètes.
Féru de mathématiques, d'alchimie et d'astrologie, il semble moins précis
dans ce domaine puisque le 28 octobre 1566, une éclipse de Lune le conduit
à annoncer la mort prochaine du sultan Soliman le Magnifique, qui est en
fait décédé près de deux mois plus tôt. C'est vraisemblablement cette erreur
qui l'amène à se chamailler avec un de ses cousins avec assez d'entrain pour
que la dispute finisse en duel. Le jeune astronome n'y perd pas la vie mais
le bout de son nez. Il portera dès lors un postiche métallique, qui lui vaudra
d'être surnommé « l'homme au nez d'or ».
Protégé du roi Frédéric II, il se voit offrir une île près de Copenhague sur
laquelle il bâtit un centre de recherche et un observatoire astronomique.
Bien que les lunettes et télescopes n'existent pas encore, il établit le
catalogue d'étoiles le plus précis de son temps. Le roi finance également une
imprimerie visant à diffuser ses travaux, ce qui lui permet de rayonner sur
l'Europe scientifique durant une vingtaine d'années. À la mort de son
mécène, il s'installe à Prague où Rodolphe II l'a invité à devenir le
mathématicien de sa cour. L'empereur l'impressionne, et c'est un
euphémisme. Alors qu'ils passent plusieurs heures dans son carrosse, le
scientifique n'ose évoquer son besoin urgent d'uriner. Une fois seul, sa
vessie trop longtemps condamnée au silence refuse de lui obéir, et il décède
d'une septicémie au terme de onze jours de souffrance. « Il a vécu comme
un sage et est mort comme un fou » est l'épitaphe qu'il rédige lui-même,
croyant sans doute désamorcer les railleries qui ne manqueront pas de
s'abattre sur lui à titre posthume. Peine perdue, aujourd'hui encore, les
Tchèques sujets à une envie pressante déclarent : « Je ne veux pas mourir
comme Tycho Brahé », et lorsque Milan Kundera évoque sa mémoire dans
son roman L'Immortalité, c'est pour le qualifier d'« immortel le plus ridicule
de tous les temps ».
Marlon Brando (1924 – 2004)

Celui à qui la plupart des cinéphiles et bon nombre de comédiens et de


réalisateurs décernent le titre de plus grand acteur de tous les temps a été
formé par Stella Adler, puis à l'Actors Studio. L'extraordinaire mélange de
force et de sensualité qui le caractérise lui permet de brûler les planches à
Broadway dès 1947, dans Un Tramway nommé désir, mis en scène par Elia
Kazan. Trois ans plus tard, la pièce est portée à l'écran ; ce n'est que le
deuxième film de Brando, mais son inoubliable interprétation de Stanley
Kowalski le propulse immédiatement au rang de sex-symbol mondial et de
légende vivante. Dès lors, il ne quitte plus les plateaux et illumine de sa
présence magnétique des films appelés à devenir cultes comme Viva
Zapata !, L'Équipée sauvage, et Sur les quais, qui lui vaut son premier
Oscar. Surnommé « Monsieur Marmonne 1 » par Frank Sinatra en raison de
sa tendance à oublier d'articuler, il prouve qu'il est capable d'une diction
irréprochable en s'illustrant dans des rôles classiques comme Napoléon
Bonaparte, puis Marc-Antoine, dans le Jules César de Mankiewicz.
D'autres chefs-d'œuvre se succèdent : Le Bal des maudits, L'Homme à la
peau de serpent, et Reflets dans un œil d'or, dans lequel il joue un
homosexuel refoulé qui délaisse sa femme, la sublime Elizabeth Taylor.
Dans la vie en revanche, Brando assume ouvertement sa bisexualité à une
époque où le sujet relève encore d'un tabou absolu. Bon camarade, il en
profite pour dévoiler celle de Paul Newman, qu'on imagine enchanté de ces
révélations sur sa vie privée. « Paul Newman a eu autant de liaisons sur des
tournages que nous autres, et il était autant bisexuel que moi. Mais, là où
moi je me faisais attraper la main dans le sac, lui a toujours réussi à le faire
en douce. » C'était bien la peine de se donner autant de mal.
Si l'éclat d'une star se mesure à l'aune de ses caprices et coups d'éclat,
Brando est incontestablement la plus lumineuse de toutes. Ainsi, en 1973,
lorsqu'il remporte un Oscar pour sa prestation dans Le Parrain, il le refuse
en signe de protestation contre la façon dont le cinéma hollywoodien traite
les Indiens d'Amérique. Le soir de la cérémonie, Don Corleone reste chez
lui et y délègue une actrice apache qu'il a chargée de lire son message à
l'Académie. Déguisée en Pocahontas, la jeune femme littéralement terrifiée
par sa lourde tâche supplie qu'on l'excuse de son intrusion et que tous se
retrouvent bientôt « avec amour et générosité ». Dans la mesure où on ne l'a
jamais revue, il est probable qu'elle ne s'est jamais remise de ce grand
moment de solitude.
Cette cause n'est pas la seule choisie par l'inlassable défenseur des
minorités, qui soutiendra également avec ferveur le mouvement afro-
américain des droits civiques. Cependant, cet être ambigu s'est aussi
distingué par des déclarations moins glorieuses, notamment en 1996,
lorsqu'il déclare sur CNN que Hollywood est « tenue par les Juifs » qu'il
accuse d'exploiter les stéréotypes raciaux et ethniques : « Ils devraient avoir
une grande sensibilité à la souffrance parce qu'ils ont été eux-mêmes
exploités. On a vu le nègre, le gros latino, le Chinetoque, le Jap dangereux
aux yeux bridés, mais on n'a jamais vu le youpin parce qu'on sait
parfaitement qu'on va dessiner les wagons autour. »
Après une dernière prestation mémorable dans Apocalypse Now, le
comédien délaisse peu à peu le cinéma, réservant ses apparitions à des
productions pharaoniques comme Superman, qui lui permettent de négocier
un contrat de plusieurs millions de dollars, sans qu'il se sente pour autant
tenu d'apprendre son texte.
Si l'on peut tout pardonner au fils de deux alcooliques qui garda les
séquelles d'une enfance douloureuse, on ne peut que déplorer le manque de
goût dont il fit preuve à la fin de sa vie. Fort de ses 136 kg, l'acteur qui avait
fait fantasmer des générations d'hommes et de femmes s'échoua dans son
lit, telle une baleine, et passa ses dernières années à regarder inlassablement
des vidéos de Laurel et Hardy. Un peu comme si Laurent Terzieff avait
achevé son existence en regardant en boucle des sketchs de Chevallier et
Laspalès. Une image qui, superposée à celle de la brute torride qui hurlait
« Stella » dans la pièce de Tennessee Williams, est tout simplement
insoutenable. Et à laquelle on attribue l'état dépressif profond dans lequel
semblent plongés nombre d'amoureux des salles obscures.
William Burroughs (1914 – 1997)

Auteur halluciné du Festin nu, maître à penser de la Beat Generation,


celui dont l'œuvre a influencé toutes les rock stars des années 1970 et dont
le rayonnement perdure, n'a rien trouvé de mieux à faire, un soir de
septembre 1951, que de tenter de reproduire l'exploit de Guillaume Tell
alors qu'il était, selon son habitude, sous l'emprise de l'alcool. Ici, point
d'arc et de flèches, mais plus sobrement une arme à feu. Il rate la pomme
mais pas sa femme bien-aimée, qu'il tue d'une balle entre les deux yeux. Un
défi d'autant plus courageux que la plupart des historiens sérieux
s'accordent aujourd'hui à dire que Guillaume Tell n'a jamais existé. Et une
double prouesse pour Burroughs, qui élimine par la même occasion la mère
de leur charmant et unique bambin de 4 ans. Ce n'est pas du tout l'objet de
ce livre, mais on est en droit de se demander si leur fils a eu l'occasion de
passer une soirée encore plus dingue depuis. L'écrivain faisant preuve d'une
rare ténacité, il s'écoulera cinq ans avant qu'il se laisse convaincre d'entamer
une (première) cure de désintoxication.
George W. Bush (1946)

Né sous le signe du Cancer et sous une bonne étoile, puisque son père
dirige une puissante compagnie pétrolière et qu'il suivra ses traces. Papa
Bush devient président des États-Unis en 1988, et son fiston se lance à son
tour dans une carrière politique.
Élu gouverneur du Texas en 1994, il s'illustre surtout par son
enthousiasme pour la peine de mort puisqu'il refuse de gracier 152
condamnés, ce qui plaît tellement aux Texans qu'ils lui offrent un second
mandat. En 1999, il est en lice pour accéder à la fonction suprême et
déclare : « Il faut garder de bonnes relations avec les Gréciens », avant de
conclure : « J'ai une politique étrangère axée sur l'étranger. » Il y avait là de
quoi se méfier, mais on le sait, les Américains ne s'intéressent qu'à la
politique intérieure. Ça tombe bien, notre homme est un expert en économie
– « De plus en plus, nos importations viennent de l'étranger », – et il s'y
connaît en chiffres : « C'est évidemment un budget. Y a plein de numéros
dedans. » La campagne est de haute volée, donnant à George W. l'occasion
de montrer qu'il est à la pointe sur les questions d'environnement – « Je sais
que l'être humain et le poisson peuvent coexister pacifiquement » – et a de
solides convictions : « La raison pour laquelle je crois en une baisse des
impôts, c'est avant tout parce que j'y crois. » Au fil des meetings, le
leadership du candidat républicain s'affirme : « Je ne sais pas si je vais
gagner ou non, je pense que oui. Je sais que je suis prêt pour cette charge.
Et si je ne le suis pas, eh bien tant pis ! » L'élection est serrée, des soupçons
de fraude entachent plusieurs États où l'on procède à un second décompte.
Lucide dans la tourmente, George Bush fait ce constat implacable : « Si
nous étions en dictature, les choses seraient plus simples – du moment que
ce serait moi le dictateur. »
C'est lui qui devient le 43e président des États-Unis, bien qu'il ait prévenu
quelques mois plus tôt : « Je pense que tous ceux qui ne pensent pas que je
sois assez malin pour la tâche présidentielle sont en deçà de la réalité. » Les
dés sont jetés, le grand homme peut accomplir son destin, et dès sa prise de
fonction, il prouve qu'il est à la hauteur de la tâche qui l'attend : « Je
veillerai à respecter le pouvoir exécutif, non seulement pour moi-même,
mais aussi pour mes prédécesseurs. »
Le nouvel homme fort de la planète a un programme clair – « La chose
qui est importante pour moi, c'est de toujours me souvenir quelle est la
chose la plus importante », et il a le sens des priorités : « La troisième
priorité est de donner la première des priorités à l'enseignement. » En un an,
il apprend à maîtriser les fondamentaux de l'économie – « Il est très
important pour tous de réaliser que plus le négoce augmente, plus il y a de
commerce » – et se montre toujours inspiré lorsqu'il s'agit de rappeler les
valeurs de son pays : « Je suis très honoré de m'exprimer ainsi devant vous
ce soir. Et la grandeur de l'Amérique fait que personne n'est obligé
d'écouter, sauf s'il en a envie. »
Mais ce qui marque le premier mandat de George W. Bush, c'est
évidemment son combat contre le terrorisme. Persuadé que Saddam
Hussein développe un programme d'armes de destruction massive, il décide
d'envahir l'Irak, et prouve qu'au chapitre de l'intimidation, il ne s'en laisse
pas conter : « Si nous devons agir, ce ne sera pas pour envoyer un missile à
deux millions de dollars dans une tente vide à dix dollars pour blesser un
chameau au postérieur. Ce sera plus décisif que ça. » Bien que l'existence
d'armes de destruction massive apparaisse vite comme un mensonge d'État
et que le conflit fasse de nombreuses victimes parmi les marines, le chef de
la Maison-Blanche ne doute jamais du bien-fondé de son intervention :
« Saddam Hussein est directement impliqué dans la guerre de la terreur à
cause de sa nature, de sa propre histoire, et de sa vive volonté de se
terroriser lui-même. » En août 2004, en pleine campagne pour sa réélection,
il sait trouver les mots justes pour définir son action : « Nos ennemis
innovent, ils sont pleins de ressources. Nous aussi. Ils n'arrêtent jamais de
réfléchir à de nouveaux moyens de nuire à notre pays et nos compatriotes.
Nous non plus. »
Malgré ou grâce aux innombrables preuves de son incompétence, il
réussit à se faire élire pour un second mandat, haut la main cette fois,
puisqu'il recueille 11,6 millions de voix de plus que lors de sa première
élection. Le génie à l'état pur.

« J'ai une politique étrangère axée sur l'étranger. »


David Carradine (1936 – 2009)

Un chaudron fumant… Deux avant-bras tendus vers le tigre et le dragon


qui viendront marquer sa chair et sanctionner la fin de l'initiation… La
douleur est intense, mais néanmoins maîtrisée… Un vague rictus se dessine
sur le visage du moine shaolin qui va enfin quitter le temple pour vivre son
destin d'aventurier solitaire. Ces images sont à jamais gravées dans nos
mémoires, ce sont celles du générique de Kung Fu, première (et dernière)
série à faire d'un héros invincible un apôtre de la non-violence. David
Carradine y excelle, il marquera des générations entières en contribuant à
installer le mythe du moine bouddhiste guerrier, dont le corps et l'esprit ont
été forgés par le fer du sabre et imprégnés d'une philosophie érigeant le
respect du vivant comme valeur suprême. Manque de bol, il passera son
temps à croiser des crétins qui chercheront des poux dans les cheveux qu'il
n'a plus, et seront souvent trop avinés pour comprendre qu'un type qui se
promène pieds nus dans le désert en a forcément sous la semelle. La suite
on la connaît : les gros orteils parfaitement pédicurés de l'imperturbable
bonze finissent invariablement sur la joue des couillons arrogants qui, alors
que le combat est au ralenti, devraient avoir la présence d'esprit de partir en
courant.
Quelques années plus tard, Quentin Tarantino, grand fan de celui qui aura
eu une traversée du désert plus longue que le générique de Kung Fu (et ce
n'est pas peu dire), relancera sa carrière en lui confiant le rôle du héros de
Kill Bill, film d'action en deux parties nécessitant pas moins de 245 minutes
et plusieurs centaines de tueurs pour venir à bout de sa personne. Le film est
un succès mondial, l'effet Tarantino fonctionne à merveille et l'ancien has-
been enchaîne les tournages. L'un d'eux l'entraîne en Asie, où, à l'image de
« Petit scarabée », il tentera une fois encore de repousser ses limites. En
2005, quand un journaliste lui avait demandé ce qui était le plus important
pour lui dans les arts martiaux, il avait répondu : « C'est que je prenne mon
pied. » Souhaitons qu'il l'ait particulièrement bien pris dans la nuit du 3 au
4 juin 2009, où à l'issue d'une scène ne se jouant pas sur un plateau de
cinéma mais dans le placard de sa chambre d'hôtel, il a finalement été
vaincu par un foulard, tandis qu'il s'adonnait à un jeu auto-érotique. On a
une pensée émue pour ses trois enfants, qui ont dû, comme nous, apprendre
les circonstances du drame par l'intermédiaire d'une chaîne d'information, et
qui, à cette occasion, ont probablement expérimenté un sentiment confus de
douleur et de honte que peu d'entre nous peuvent se targuer d'avoir ressenti.
Coco Chanel (1883 – 1971)

« La mode se démode, le style jamais. » Ces quelques mots résument


toute la philosophie de celle qui incarne l'élégance à la française. Bien plus
qu'une créatrice de mode, Coco Chanel s'est démarquée de ses pairs en
créant des vêtements qui avaient un autre objet que celui de rendre les
femmes belles : les libérer des habits qui les enfermaient et limitaient leurs
mouvements.
Orpheline à 12 ans, celle qui s'appelle encore Gabrielle est éduquée dans
une abbaye cistercienne, dont on dit qu'elle lui donna le goût de la sobriété.
Et de fait, les vêtements qu'elle dessine ont des lignes épurées et se
déclinent souvent en noir et blanc. Cependant, la couturière est aussi une
grande novatrice qui raccourcit les jupes, fait porter des pantalons aux
femmes et lance la mode des vêtements androgynes. Alors que le noir est la
couleur du deuil, elle en fait celle du chic en lançant sa fameuse « petite
robe noire ». Et en quelques années, plusieurs de ses modèles deviennent
des classiques, comme la jupe plissée, le tailleur en tweed, les chaussures
bicolores, et le sac matelassé à chaîne dorée. Mais Coco Chanel ne s'arrête
pas là. En 1921, elle devient la première couturière à lancer sa gamme de
parfums et crée entre autres le fameux N° 5, qui demeure aujourd'hui encore
le parfum le plus vendu dans le monde. Trois ans plus tard, elle ouvre un
atelier de bijoux avec le même succès. Et lorsqu'éclate la guerre, l'entreprise
de la petite orpheline compte 4 000 ouvrières.
Celles-ci seront toutes licenciées dès le début du conflit. On imagine que
c'est parce que la grande créatrice craint une baisse drastique de son chiffre
d'affaires, mais que nenni ! La guerre vient tout simplement de lui fournir
un prétexte pour se débarrasser de ses employées, qui avaient osé faire
grève en 1936 en vue d'obtenir une hausse de salaire et de meilleures
conditions de travail.
Encore une fois, Coco Chanel ne s'arrête pas là. Depuis 1924, elle a
confié la diffusion internationale de ses parfums à Pierre et Paul Wertheimer
qui en détiennent 70 %. Se servant des lois antisémites, elle s'adresse aux
autorités afin d'en récupérer la propriété, et demande même réparation pour
« les préjudices subis ». Une manière pour le moins surprenante de les
remercier du rayonnement qu'ils ont offert à ses parfums. Fort
heureusement, sa démarche se solde par un échec. Elle se console en
emménageant dans un appartement de l'hôtel Ritz, alors réquisitionné par la
Luftwaffe, et où Goebbels et Göring sont ses aimables voisins lors de leurs
séjours parisiens.
Elle y vit avec un ancien attaché d'ambassade allemand travaillant pour le
renseignement, et ne tarde pas à être elle-même recrutée comme agent.
Après une première mission en Espagne, elle est envoyée à Londres pour
négocier les conditions d'une éventuelle paix entre l'Allemagne et la
Grande-Bretagne auprès de son ami Churchill. Mais elle est identifiée en
tant qu'espionne et ne peut aller au bout de sa mission. Après être allée faire
son compte rendu à Berlin, elle retourne au Ritz y attendre sagement la fin
de la guerre auprès de ses amis, estimant comme elle le déclare lors d'un
déjeuner mondain, que « La France a eu ce qu'elle méritait ».
C'est aussi ça, le style Chanel.
Michel Chasles (1793 – 1880)

C'est au lycée impérial de Paris où Michel Chasles est un étudiant brillant


qu'il découvre la géométrie, grande passion de sa vie. Entré à l'École
polytechnique en 1812, il doit interrompre ses études pour intégrer l'armée
de Napoléon. Lorsque ce dernier abdique, le généreux jeune homme
emmène ses condisciples démunis chez son père, qui les héberge dans sa
maison de Chartres en attendant la réouverture de leur célèbre école. C'est
en 1837 qu'il publie son premier ouvrage, Aperçu historique sur l'origine et
le développement des méthodes en géométrie, qui lui vaut d'être
immédiatement élevé au rang de grand mathématicien, et qui constitue
toujours une référence. Dans les années 1840, il devient professeur à
Polytechnique puis à la Sorbonne, et publie une série de mémoires qui
contribuent à asseoir sa réputation. En 1852, il publie un Traité de
géométrie supérieure dont est issue la relation qui porte son nom et sur
laquelle planchent encore nos lycéens aujourd'hui. Son nom est inscrit sur la
tour Eiffel, mais c'est aussi sa naïveté qui l'a fait entrer dans l'histoire.
En 1861, il reçoit la visite d'un certain Denis Vrain-Lucas, chargé de
vendre les lettres rares d'un collectionneur désargenté, dont une
correspondance inédite entre Blaise Pascal et Isaac Newton. Leur contenu
est explosif, puisqu'il révèle que ce n'est pas Newton, mais Pascal qui a
découvert le principe de l'attraction universelle. S'en étant aussitôt porté
acquéreur, Chasles garde un moment la révélation pour lui, puis n'y tenant
plus, va l'exposer à l'Académie des sciences. Plusieurs sommités
s'insurgent, mais le prestige du mathématicien fait taire la polémique.
Encouragé, il partage ses dernières acquisitions avec ses pairs, dont une
autre correspondance de Pascal, cette fois avec Galilée, et truffée
d'anachronismes notoires. Là encore, des voix s'élèvent pour dénoncer
l'escroquerie, mais notre mathématicien poursuit ses achats et devient
l'heureux propriétaire de lettres de Charlemagne, Molière, Dante,
Shakespeare, Alexandre le Grand, Jeanne d'Arc, Cléopâtre et César. Clous
de la collection, une lettre de Judas à Marie-Madeleine, et une autre de
Ponce Pilate évoquant ses regrets d'avoir fait crucifier Jésus. En tout,
27 000 pièces, ayant coûté une petite fortune à leur acquéreur. Finalement
démasqué, le faussaire est jugé en 1870 lors d'un procès retentissant au
cours duquel on apprend que ces missives étaient toutes rédigées en vieux
français… Comment ont-elles pu passer pour authentiques ? Tout
simplement car elles ont été traduites et recopiées par Rabelais. C'est du
moins ce dont Vrain-Lucas a persuadé le mathématicien, comme il
l'explique à la cour hilare. À se demander si ce n'est pas lui, le véritable
génie de l'histoire.
Georges Clemenceau (1841 – 1929)

Il commence sa carrière aux États-Unis, où il enseigne le français et


l'équitation dans un collège pour jeunes filles du Connecticut. Tombé
amoureux de l'une de ses élèves, il l'épouse et l'installe dans la demeure
familiale vendéenne, où elle élèvera leurs trois enfants. Élu député, ce grand
orateur s'impose à la tête des républicains radicaux et combat notamment
Jules Ferry, à qui il impose la laïcité dans sa loi sur l'éducation publique. Il
l'attaque ensuite sur sa politique coloniale et le force à démissionner, ce qui
lui vaudra son surnom de « Tigre ». Après avoir fondé le journal La Justice,
il devient rédacteur à L'Aurore, où il s'illustre en tant que défenseur de la
première heure du commandant Dreyfus. C'est lui qui publie le célèbre
article de Zola, qu'il a lui-même intitulé « J'accuse ». En 1906, il devient
ministre de l'Intérieur puis président du Conseil. Autoproclamé « premier
flic de France », il réprime fermement les grèves qui se succèdent et crée les
brigades de police qui deviendront les fameuses « brigades du Tigre ».
Durant la guerre 14-18, il passe un tiers de son temps à aller soutenir les
troupes dans les tranchées et prend une part active à la création du
commandement unique qui permet aux alliés de l'emporter. Le Kaiser
Guillaume II lui-même lui rendra hommage en déclarant que ce n'est pas
l'entrée en guerre de l'Amérique qui a été la cause principale de la défaite
allemande, mais « l'indomptable petit vieillard qui était à la tête du
gouvernement français ». Quant à Churchill, il dira de lui : « Dans la
mesure où un simple mortel peut incarner un grand pays, Georges
Clemenceau a été la France. » Une bien belle image de la France, lorsque
l'on sait avec quelle créativité il sut réinventer la définition de la galanterie
conjugale. En effet, lorsque son épouse, totalement délaissée et lasse des
frasques de celui à qui l'on prête 800 maîtresses, finit par avoir une liaison
avec le précepteur de leurs enfants, Clemenceau retourne en Vendée afin de
faire constater l'adultère. Une excellente initiative qui lui permet de
l'envoyer passer quinze jours à la prison Saint-Lazare, d'obtenir le divorce,
et de lui faire perdre la garde de ses enfants. Un bonheur n'arrivant jamais
seul, il la fera également déchoir de sa nationalité française, avant de la
renvoyer aux États-Unis après lui avoir généreusement offert un billet de
troisième classe. La classe !
Christophe Colomb (1451 – 1506)

Il est l'un des plus grands navigateurs de tous les temps et l'histoire a
retenu de lui l'homme qui a découvert l'Amérique. Dans les faits, les choses
sont un peu plus nuancées, malgré les incontestables qualités de notre
homme, et notamment sa formidable force de conviction. Car pour faire
valider son projet d'atteindre les Indes orientales sans jamais y avoir mis les
pieds, en y accédant par une voie que personne n'avait empruntée avant lui,
il fallait être sacrément persuasif. Son interlocutrice, Isabelle la Catholique,
ne passe pas pour avoir été particulièrement malléable, et notre homme
avait autant de prétentions que d'ambition, ce qui explique que les
négociations aient mis six ans à aboutir. À la tête de trois navires devenus
célèbres, la Pinta, la Niña, et la Santa María, le voilà paré pour atteindre la
Chine puis le Japon en passant par l'Atlantique, et yalla, comme dirait sœur
Emmanuelle, une autre grande navigatrice.
Le 12 octobre 1492, il accoste sur une île qu'il baptise San Salvador, –
Saint-Sauveur, un signe de reconnaissance envers le Christ –, car le
navigateur génois est certain d'avoir atteint son but et de se trouver dans
l'archipel nippon. Il est en réalité aux Bahamas, mais ne mégotons pas,
d'autant plus qu'il va reproduire ce type d'erreur avec une constance jamais
démentie.
Pacifiques, les autochtones comblent de présents celui qui se fait nommer
vice-roi des Indes, tandis que le brillant interprète de l'expédition croit
comprendre qu'une énorme quantité d'or se trouve sur une île voisine, ce qui
vaudra à tous ces braves gens d'être décimés en moins d'un siècle. C'est ce
qui s'appelle un début prometteur, et Christophe Colomb poursuit sa route.
Quinze jours plus tard, il est à Cuba, mettrait sa main au feu qu'il est au
Japon, et se lance en vain à la recherche du Grand Kahn. Il pousse sa flotte
un peu plus loin, débarque à Haïti, et y croise quelques cannibales, ce qui le
rend soudainement nostalgique de l'Europe. À Lisbonne, la nouvelle de sa
découverte des Indes se répand comme une traînée de poudre, ce qui lui
permet de négocier sa deuxième expédition. Il est cette fois à la tête de 17
navires et 1 500 hommes, avec qui il fonde la première colonie du Nouveau
Monde. Le Grand Kahn du Japon est toujours introuvable, mais qu'à cela ne
tienne, après avoir consciencieusement exploré Cuba, Colomb décide qu'il
s'agit bien d'une île asiatique. Il force toutefois ses hommes à le confirmer
par écrit et condamne à une lourde amende tous ceux qui s'aviseraient de
changer d'avis. Pendant ce temps, les Espagnols massacrent les colons.
Notre explorateur embarque 500 survivants qu'il emmène à Cadix, laissant
l'île aux mains de ses frères. Son retour est moins glorieux que prévu, car
les souverains lui reprochent son excès de zèle et font libérer les esclaves.
Quelle ingratitude ! Lorsqu'il regagne sa colonie, elle est dans un état si
pitoyable que l'émissaire du roi qui l'a rejoint fait arrêter la fratrie Colomb
et les renvoie en Espagne, enchaînés dans la cale, ce qui sied fort mal aux
titres ronflants qu'ils se sont octroyés. Libéré, le navigateur entreprend sa
dernière expédition. Il est désormais persuadé que Cuba est la province
chinoise de Mangi, et a hâte d'accéder enfin aux riches territoires qu'il
convoite depuis quinze ans. Il navigue au large de Panama, échoue en
Jamaïque, et doit attendre un an d'être enfin secouru. Il s'éteint deux ans
plus tard, sans avoir reconnu qu'il n'avait jamais atteint les Indes.
En réalité, le grand explorateur n'a pas non plus découvert l'Amérique,
des fouilles archéologiques ayant établi que les Vikings et d'autres
Européens l'avaient fait avant lui. Ses erreurs sont avérées depuis des
siècles, tout comme le terrible traitement infligé aux peuples colonisés,
mais le Génois semble bénéficier d'une amnésie populaire aussi durable
qu'universelle. Il reste le personnage de légende dont le monde entier
célèbre les découvertes, et c'est probablement là son plus grand fait d'armes.
Confucius (551 – 479 av. J.-C.)

Philosophe chinois qui a tellement fait surkiffer ses disciples et leurs


descendants que sa pensée a donné naissance au confucianisme et a été
élevée au rang de religion d'État jusqu'à ce que Mao (qui n'a pas fait que des
conneries) en décide autrement. De quoi s'agit-il au juste ? Petit florilège à
méditer – ou pas.

« Lorsque l'on se cogne la tête contre un pot et que cela sonne creux, ça
n'est pas forcément le pot qui est vide. »
Waouw.
« Se regarder scrupuleusement soi-même, ne regarder que discrètement
les autres. »
A l'avantage de séduire les pervers, les narcissiques, et les pervers
narcissiques.
« L'homme qui déplace une montagne commence par déplacer les petites
pierres. »
Drôle de projet.
« Le plus grand voyageur est celui qui a su faire une fois le tour de lui-
même. »
Quand ils auront fini de tourner, on aimerait bien entendre les derviches
tourneurs sur le sujet.
« Le sage est calme et serein. L'homme de peu est toujours accablé de
soucis. »
Salauds de pauvres !
« Quiconque a entendu les cris d'un animal qu'on tue ne peut plus jamais
manger de sa chair. »
Même pas vrai.
« Celui qui plante la vertu ne doit pas oublier de l'arroser souvent. »
Fais tourner…
« Ne choisis tes amis que parmi tes égaux. »
Donc, l'ascenseur social, c'est non ?
« Ne vous souciez pas d'être sans emploi ; souciez-vous plutôt d'être
digne d'un emploi. »
Membre du Medef ?
« Si tu empruntes le chemin de la vengeance, prépare deux cercueils. »
C'est pour qui, l'autre ?
« Je ne peux rien pour qui ne se pose pas de questions. »
C'est pourtant pas faute d'avoir essayé…
Émile Coué (1857 – 1926)

Qui ne connaît pas la fameuse méthode Coué ? Même le génial animateur


Cauet s'en est inspiré pour baptiser une émission déprogrammée depuis,
c'est dire !
Alors qu'il officie comme pharmacien, le « bon docteur Coué » découvre
qu'accompagner ses traitements de mots réconfortants et optimistes en
décuple les effets. « Allez-y, Madame Joubert, tu vas voir, c'est de la balle !
Demain, tu pourras gober un œuf avec ton cul tellement t'auras plus
d'hémorroïdes ! », avait-il coutume de dire lorsque sa cliente s'appelait
Madame Joubert et qu'elle avait des hémorroïdes. Sans le savoir, il vient
d'inventer ce que l'on nommera l'effet placebo. L'autosuggestion consciente
et positive vient de naître, il la théorisera ainsi : lorsqu'il y a conflit entre
l'imaginaire et la volonté, c'est toujours l'imaginaire qui l'emporte. La
volonté seule ne sert à rien si elle n'est pas accompagnée d'une vision de soi
dans l'état souhaité. C'est sans doute parce que Mme Joubert s'imagina
gober un œuf avec son cul que l'onguent dont elle se tartina l'anus eut un
effet que le préparateur du médicament était loin de prévoir. Toutes les
amies de Mme Joubert affluèrent à la pharmacie du docteur Coué, si bien
qu'il la quitta pour monter une clinique où ne tardèrent pas à se bousculer
des milliers de patients. Le problème du docteur Coué, c'est que tout le
monde a compris sa théorie de travers, étant donné qu'il ne s'est pas donné
la peine de l'expliquer. Recevoir des patients à longueur de journée et faire
le beau devant le président des États-Unis, oui, mais s'asseoir et gratter du
papier, wallou. Ses œuvres complètes (qu'on a lues) se résument à une
phrase : « Tous les jours, à tout point de vue, je vais de mieux en mieux. »
Ainsi, depuis plus d'un siècle, quand un homme perd une jambe, sa femme,
une partie de poker, sa jambe ou sa femme au poker, il se répète la même
formule magique selon la posologie indiquée, à savoir vingt fois le matin et
vingt fois le soir. C'est arrivé à l'un des deux auteurs de ce livre (on ne
précisera pas lequel, ni à propos de quoi) et, même si il ou elle refuse d'en
parler, il ou elle tient à dire que le résultat a été au-dessous de ses attentes.
Toujours est-il que grâce à son mantra, le docteur Coué est passé à la
postérité et a été acclamé dans le monde entier, tant et si bien qu'une fois de
retour chez lui, il est mort d'épuisement et d'une pneumonie. Sans avoir été
foutu de décider s'il devait tutoyer ou vouvoyer Mme Joubert qui, aux dires
d'un témoin anonyme (son mari), serait décédée des suites d'une tendinite
de l'anus.
Marie Curie (1867 – 1934)

Physicienne et chimiste d'exception, prix Nobel de physique et titulaire


de la médaille Davy en 1903, elle obtient ensuite le prix Nobel de chimie en
1911 pour ses travaux sur le polonium et le radium. C'est la seule femme
lauréate de deux prix Nobel, obtenus de surcroît dans deux disciplines
différentes. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Marie Curie
développe la radiologie médicale afin de la mettre au service des blessés du
front. Organisatrice du premier service de radiologie mobile, elle fait
équiper vingt camions d'unités chirurgicales de radiographie, les « petites
Curie », qui partiront secourir sur place les blessés non rapatriables. Quant
aux salles de radiologie installées dans les hôpitaux des armées, elles
traiteront plus d'un million de blessés. Ce sont les techniques de
rayonnement qu'elle a découvertes qui permettent aujourd'hui de traiter
certains cancers par radiothérapie. Première femme à enseigner à la
Sorbonne, Marie Curie s'est également engagée auprès d'Albert Einstein
dans la Commission internationale de coopération intellectuelle. Elle entre
dans l'histoire grâce à ses travaux sur la radioactivité, qui ont fait passer
l'humanité de l'âge industriel à l'âge atomique.
Les Japonais lui disentありがとう 1
!
Salvador Dalí (1904 – 1989)

Salvador Dalí n'a que 14 ans lorsqu'il expose pour la première fois,
attirant aussitôt l'attention de deux célèbres critiques. Installé à Madrid pour
étudier à l'Académie royale des beaux-arts de San Fernando, il en est
expulsé avant d'être diplômé pour avoir affirmé que personne n'est en
mesure de juger son travail. En effet, le jeune peintre, futur sculpteur,
scénariste et écrivain, est convaincu de son talent depuis sa plus tendre
enfance, et sanctionnera ce sentiment en rédigeant son Journal d'un génie.
Il consent toutefois à le reconnaître chez d'autres pairs, et attribue ainsi un
20/20 à Picasso, Vinci, Vélasquez, Raphaël et Vermeer dans la catégorie
« Génie », alors qu'en plein accès d'humilité, il ne s'octroie qu'un 19.
C'est à Paris qu'il rencontre sa future femme Gala – elle est alors celle de
Paul Éluard – et peint ce qui deviendra son œuvre la plus connue, Les
Montres molles 1, qu'il expliquera en ces termes : « Les montres molles sont
comme du fromage, et surtout comme le camembert quand il est tout à fait à
point, c'est-à-dire qui a la tendance de commencer à dégouliner. Et alors,
mais quel rapport entre le fromage et le mysticisme ? […] Parce que Jésus,
c'est du fromage. » Accueilli à bras ouverts par les surréalistes, il les éblouit
avec sa méthode paranoïaque-critique permettant de libérer son énergie
créatrice en accédant à son subconscient, mais ne tarde pas à agacer André
Breton, qui n'apprécie ni son obsession pour Hitler, ni le récit des rêveries
érotiques que lui inspirent les jeunes filles de 12 ans. Convoqué par le
maître en 1934, il se présente à lui avec un thermomètre dans la bouche, et
répond à ses accusations tout en faisant un strip-tease. Il clôt sa plaidoirie
en affirmant qu'il ne fait que retranscrire ses rêves et que d'après ceux-ci,
lui-même et Breton feront bientôt l'objet d'une représentation sexuelle ; une
prémonition que goûte peu l'intéressé et qui se solde par une nouvelle
exclusion.
En 1934, il se rend avec Gala à New York et séduit les foules par ses
excentricités, jusqu'au jour où il pousse le bouchon un peu loin. Nous
sommes en 1936, le pays entier s'émeut du meurtre du fils de l'aviateur
Charles Lindbergh, et pour se rendre à une soirée costumée, Dalí a le bon
goût de déguiser sa femme en « bébé Lindbergh assassiné » en
l'emmaillotant dans un tissu ensanglanté. Après ce glorieux épisode, il
rentre en Espagne, la fuit au moment de la guerre civile, et se rend à
Londres où il rencontre Sigmund Freud. Leur échange aurait dû être de
haute tenue, le peintre vouant une profonde admiration au psychanalyste qui
lui a inspiré nombre de ses œuvres sur le rêve et l'inconscient. Hélas, le
Catalan a probablement manqué de sobriété, car le mot utilisé par Freud à
son sujet sera « fanatique ». Quant à Dalí, voici ce qu'il en retira : « J'ai déjà
dit, en racontant ma rencontre avec lui, que le crâne de Freud ressemblait à
un escargot de Bourgogne. La conséquence est évidente : si on veut manger
sa pensée, il faut la sortir avec une aiguille. Alors elle sort tout entière. »
Comprenne qui pourra.
Dans les années 1950, il est en pleine crise mystique et est reçu par le
pape Pie XII (initiateur du mouvement « Je suis pape, et alors ? », ayant
conduit Benoît XVI à recevoir Jean-Marie Bigard). Il est invité à présenter
ses idées à la Sorbonne et s'y rend dans une Rolls-Royce remplie de choux-
fleurs qu'il distribue en guise d'autographes. Jusqu'à la fin de sa vie, il
multipliera les provocations et les contrats publicitaires, si bien qu'il
réussira la prouesse de faire oublier son œuvre au profit de son image, yeux
écarquillés et moustache retroussée vers le ciel, vantant les mérites du
chocolat Lanvin ou encore de l'Alka-Seltzer. Un drôle d'héritage artistique.
Ou une manière bien personnelle d'être resté fidèle au mouvement
surréaliste.
Jack Daniel (1846 – 1911)

It's not Scotch. It's not Bourbon. It's Jack 1. Inutile de préciser de quel
« Jack » il s'agit, le prénom suffit et sonne comme une invitation pour les
amateurs de whisky. Derrière cette marque, un garçon né dans le Tennessee,
qui perd sa mère à l'âge de 6 ans et fugue pour aller vivre chez un ami de
son oncle. Ce dernier exerce la double profession de prédicateur et
distillateur, et lui transmet tout son savoir-faire. Ayant fini par réaliser que
ces deux activités sont assez peu compatibles, il opte pour la première, et
revend son affaire à son protégé en 1863. Trois ans plus tard, le jeune
homme met au point la formule du fameux Old N° 7, qui reste à ce jour le
whisky le plus vendu dans le monde. Probablement parce qu'au-delà de ses
talents de « Master Distiller », Jack Daniel est aussi un génie du marketing,
qui invente en 1895 la première bouteille carrée et l'orne d'une étiquette
noire devenue tout aussi célèbre. Le succès est immense, et prend une
dimension nationale quand le Old N° 7 remporte la médaille d'or au
concours de whisky qui se tient à l'exposition universelle de 1904. Une
consécration dont Jack ne jouira pas très longtemps car il décède
prématurément des suites d'une grosse colère. Celle-ci se produit un matin
de 1906, où l'honorable chef d'entreprise se trouve dans l'impossibilité
d'ouvrir son coffre-fort. La raison ? Il a oublié la combinaison. Il essaye à
plusieurs reprises, insiste, s'énerve, et finit par donner un gros coup de pied
dedans. Son orteil fracturé s'infecte, ne cicatrise pas, et la gangrène emporte
Jack au terme de cinq années de souffrance. Pour quelqu'un qui était destiné
à mourir d'une cirrhose, ça fait désordre.
Diogène (413 – 327 av. J.-C.)

« Si je n'étais Alexandre, je voudrais être Diogène. » Des mots loin d'être


anodins, puisqu'ils ont été prononcés par Alexandre le Grand. « Demande-
moi ce que tu veux, je te le donnerai » avait-il aimablement proposé au
philosophe. La réponse de Diogène, « Ôte-toi de mon soleil », lui inspira un
immense respect, car tous les grands conquérants ont des tendances
sadomaso, c'est bien connu. On peut être affranchi sans être grossier, mais
là n'est pas la question ; la liberté qui caractérisait Diogène est demeurée
légendaire, car en appliquant à la lettre la doctrine de l'école cynique, il est
devenu le symbole de l'antimatérialisme.
Conformément à l'image qu'il a laissée, il avait élu domicile dans une
jarre en terre cuite, ne possédait qu'un bâton et une lanterne, et ne vivait que
de dons. Sachant que ses contemporains étaient aussi sollicités qu'un
touriste à New Delhi, il s'était d'ailleurs entraîné à être ignoré en faisant
l'aumône auprès de statues. Mais loin de se contenter d'être un simple
anticonformiste, le philosophe s'est aussi distingué par les valeurs qu'il
défendait avec deux millénaires d'avance, comme l'égalité entre hommes et
femmes, la négation du sacré et la suppression des armes, et il prôna
inlassablement la vertu, la sagesse et l'humilité aux grands hommes de la
Grèce antique.
Fidèle à l'enseignement de son maître, Diogène se présentait comme un
chien ; c'est donc en toute logique qu'il avait émis le souhait d'être enterré
comme tel, en précisant que son corps devrait être jeté à la voirie. De toute
évidence, ses amis étaient très indisciplinés puisqu'il eut droit à des
funérailles somptueuses et à un tombeau surmonté d'une sculpture en
marbre. Pour quelqu'un qui avait passé sa vie à prêcher le dénuement, c'est
ce qui s'appelle un bide.
Walt Disney (1901 – 1966)

Rien ne prédestinait le petit Walter à devenir l'un des symboles du rêve


américain. Son père est un homme violent qui le fait travailler dès l'âge de
9 ans, le forçant à se lever à 3 h 30 du matin pour distribuer des journaux
avec son frère avant d'aller en cours. À 16 ans, il tente d'entrer dans l'armée
pour participer à la Première Guerre mondiale, mais son âge le lui
interdisant, il falsifie son passeport afin d'intégrer la Croix-Rouge.
Débarqué au Havre au lendemain de l'armistice, il y passe une année parmi
les ambulanciers, avant de regagner sa ville de Kansas City où il se lance
dans le dessin publicitaire. À 22 ans, il rejoint son frère Roy à Hollywood,
emportant avec lui son dernier court-métrage, une version d'Alice au pays
des merveilles mêlant animation et prises de vues. Séduit, un distributeur
leur commande douze films : les studios Disney sont nés.
Après s'être fait la main sur un chat prénommé Julius et un lapin
répondant au doux nom d'Oswald, Walt et un dessinateur donnent vie à
Mickey Mouse. Nous sommes en 1927 et le cinéma vient de passer du muet
au parlant, une innovation que ne laisse pas passer notre visionnaire, qui
vend sa voiture pour pouvoir financer la création du premier dessin animé
sonore. Se prenant probablement pour un Noé des temps modernes, Disney
enrichit ensuite son arche du canard Donald et des chiens Dingo et Pluto.
Après avoir passé une dizaine d'années à fréquenter exclusivement des
animaux, une certaine nostalgie de l'espèce humaine le pousse à engager la
production de Blanche-Neige. Tous, y compris sa femme et son frère,
tentent de le faire renoncer à ce projet qui représente d'énormes
investissements et un défi technique sans précédent. Il faudra quatre ans de
travail acharné pour que naisse le premier long-métrage animé et en
Technicolor, qui devient le film le plus rentable de l'année 1938. Pinocchio
et Fantasia lui succèdent, puis – faut-il y voir un regain de ses tendances
zoophiles – Bambi et Dumbo.
Pourtant, celui qui est devenu le meilleur ami des enfants n'est pas
toujours bon camarade ; durant la guerre froide, il se venge de trois anciens
employés grévistes en les accusant d'être communistes, ce qui n'est pas très
généreux à l'époque où se profilent les purges maccarthystes. Non content
de les dénoncer à la Commission des activités anti-américaines, il profite de
son audition pour vanter ses mérites de patriote exemplaire, et en ressort
auréolé des félicitations du juge.
Mieux inspiré hors des tribunaux, il continue à émerveiller le monde avec
des films comme Cendrillon et Peter Pan. Sa soif d'entreprendre est
intarissable et dès les années 1950, Disney diversifie ses activités : il
produit des films éducatifs sur le programme spatial américain avec un
ingénieur de la NASA, des séries télévisées comme Zorro, et s'associe au
créateur du Muppet Show pour concevoir les premières marionnettes.
L'entreprise Disney est devenue un véritable empire et en 1960, c'est elle
qui est chargée d'organiser les cérémonies des Jeux Olympiques d'hiver se
déroulant en Californie.
Cinq ans plus tôt, « Oncle Walt » a créé Disneyland, le premier parc à
thème du monde. Terrassé par un cancer, il meurt avant d'avoir pu assister à
l'ouverture de Disney World en Floride. Depuis, son nom est devenu une
marque déposée, et son héritage ne cesse de rayonner sur la planète,
notamment à travers les films produits par ses studios et l'ouverture de
Disneyland Paris.
C'est donc à cause de lui que chaque année, des millions de parents sont
obligés d'amener leurs enfants dans l'un des parcs où ils dépensent à peu
près un mois de salaire en attractions, peluches, souvenirs en tout genre et
fast-foods indigestes. La torture ne s'arrête pas là puisqu'après s'être fait
vomir dessus par leurs bambins durant Space Mountain, ils ont droit à
l'incontournable croisière du Monde des Poupées. De retour chez eux, ils
auront beau tout essayer, la chanson « It's a Small World » tournera en
boucle dans leur tête à longueur de journée, et s'agissant des insomniaques,
la nuit aussi. Un vrai sadique.
Marguerite Duras (1914 – 1996)

Femme de lettres et cinéaste mondialement admirée, Marguerite Duras


illustre parfaitement ce qu'il est convenu d'appeler le délit de notoriété.
Entrée en littérature en 1943, elle connaît le succès en 1950 avec Un
barrage contre le Pacifique ; il l'accompagnera de Moderato Cantabile à
L'Amant, qui lui vaudra le prix Goncourt en 1984. Elle écrit pour le théâtre
à compter de 1959, puis passe au cinéma l'année suivante, en signant le
scénario et les dialogues de Hiroshima mon amour, d'Alain Resnais. Elle
apporte également sa contribution au septième art en réalisant une dizaine
de films dont India Song avec Delphine Seyrig, et Le Camion, avec Gérard
Depardieu.
Duras est au sommet de sa gloire, ce qui l'autorise sans doute à porter des
jugements peu nuancés sur ses pairs, comme Roland Barthes, dont elle
fustige « le faux de l'écrit » ou Jean-Paul Sartre dont elle dit : «Sartre, il n'a
pas écrit. Pour moi il n'a pas su ce que c'était, écrire. »
Voyant avec quelle générosité elle parle de ses confrères, toute
l'intelligentsia française la consulte avec la confiance qu'on accorde à un
spécialiste rendant dérisoire toute velléité de contre-expertise,
l'encourageant à s'exprimer sur tout et n'importe quoi, applaudissant ses
envolées ésotériques avec le snobisme de ceux qui pensent que ce qui est
obscur est forcément brillant.
Ainsi, en pleine tragédie de l'affaire Grégory, Serge July croit bon de
l'envoyer interviewer Christine Villemin, mère de l'enfant noyé dans la
Vologne. Celle-ci refuse de rencontrer l'écrivain, mais telle Jeanne d'Arc
entendant des voix, Duras ne revient pas bredouille : « Dès que je vois la
maison, je crie que le crime a existé. Je le crois. Au-delà de toute raison. »
L'affaire est résolue et la messe est dite pour la pauvre Christine
Villemin. Dans un article paru dans Libération le 17 juillet 1985, Duras,
tout en la qualifiant de « sublime, forcément sublime », la juge purement et
simplement coupable du meurtre de son fils. Il est peu aisé d'évaluer le
nombre de victimes directes ou indirectes de cette affaire, mais on peut déjà
en lister quelques-unes, tels la présomption d'innocence, le métier de
journaliste, la crédibilité du quotidien Libération et de son patron, et la
santé mentale de Marguerite Duras, qui non contente d'accuser une mère
d'un atroce infanticide, justifie son acte par une vie terne, et une rancœur
contre son époux.
Les responsables de l'article auront beau tenter de se justifier en
invoquant la licence artistique, il va sans dire qu'une partie non négligeable
du monde littéraire condamnera sévèrement ce texte. Angelo Rinaldi écrit
notamment dans L'Express : « Le drame de Lépanges est assez compliqué et
douloureux comme cela. Il n'était pas nécessaire que s'y ajoutât, pour
l'obscurcir encore, la suffisance pâmée d'une femme de lettres qui donne à
lire les ouvrages de la collection Harlequin au “Penseur” de Rodin.
L'horreur d'une telle histoire se sera augmentée des rires que Mme Duras a
suscités. »
La volonté d'élargir sa sphère de compétence au journalisme ne quitte
pourtant pas l'écrivain, qui récidive en 1987, dans une interview de Michel
Platini restée mémorable, du moins pour le footballer qui déclare : « Une
heure avec Marguerite Duras, ça a été plus dur pour moi que n'importe quel
match de ma carrière. Quelquefois, il y avait même certaines questions que
j'avais du mal à comprendre. »
Mais revenons au meurtre du petit Grégory. Après la parution de l'article
dans Libération, madame Villemin porte plainte pour atteinte à la
présomption d'innocence ; elle est déboutée huit ans plus tard. Lorsque
Christine Ockrent interviewe l'écrivain à la veille du verdict, on s'attend à
ce qu'elle soit intraitable. Stylo plume acéré, regard perçant et veste pied-
de-poule commando, la reine Christine s'adresse à une Marguerite Duras
totalement extatique, qui tremble encore en pensant à l'image de l'enfant qui
la débordait, car « il était devenu gigantesque ». Cet entretien est à diffuser
dans toutes les écoles, sauf celles de journalisme 1. Car loin de dénoncer des
errements indignes d'un auteur respecté, Ockrent, dont la pugnacité est
pourtant reconnue, parle de « drame antique » et semble totalement adhérer
à un discours incohérent où il est question, pêle-mêle, de la prostitution au
début du XIXe siècle (et à la fin surtout !), de l'amour (qui est très important)
et de l'évolution des rapports homme-femme. De dos, Ockrent opine du
chef et n'y tenant plus, fait un curieux parallèle avec les femmes qui
habitent des pavillons, conduisent des voitures achetées à crédit et passent
commande à La Redoute. Ces propos, tout comme le mépris manifesté, sont
difficilement compréhensibles, mais ces deux-là se comprennent
parfaitement, ou font très bien semblant. En gros, selon Duras, il est
toujours aussi légitime de buter son môme quand on a un mari chiant. Et
même si l'affaire est terminée – mais pas close – il ne faut absolument pas
qu'on sache un jour qui a tué le petit Grégory.
Finalement, pour qualifier Marguerite Duras, personne n'aura été aussi
synthétique et juste que Christine Villemin, lorsqu'elle déclare : « Mais elle
est folle celle-là ! »
Clint Eastwood (1930)

Impossible de songer à évoquer l'intégralité de la biographie de Clint


Eastwood, immense acteur mais aussi réalisateur de génie. Rappelons
seulement qu'il a sublimé de sa virilité tranquille les cultissimes westerns
Pour une poignée de dollars, Le Bon, la Brute et le Truand et Pendez-les
haut et court, pour tuer le genre quelques décennies plus tard en réalisant le
sublime Impitoyable dans lequel il incarne un tueur à gages qui gagne sa
rédemption en éliminant des assassins de prostituées. Entre-temps, il aura
définitivement installé son personnage de justicier sans état d'âme dans la
plupart de ses films, et notamment dans la série des Inspecteur Harry. Le
mal doit être traité par le mal, et il applique la loi du talion avec une
constance qui l'honore. Cependant, utiliser éternellement la violence pour la
dénoncer finit par être suspect. Les idéalistes veulent croire que le véritable
Clint se cache dans Gran Torino, où il salit son personnage pour mieux
dénoncer le racisme, allant jusqu'au sacrifice ultime à la fin du film. Mais la
réalité est sans doute un peu plus complexe. Parce qu'à force de jouer avec
le Bien et le Mal, voire de les confondre un peu, on finit par s'y perdre.
C'est sans doute pour cela que dans la vraie vie, Clint se dit opposé au fait
de tuer, y compris les animaux, tout en militant pour la peine de mort. Avec
de telles convictions, on comprend qu'il n'apprécie pas beaucoup Michael
Moore et son intrusion chez Charlton Heston. Était-ce une raison pour lui
dire, lors d'un très chic dîner de gala à New York en 2005, « Michael, si
vous vous présentez un jour à ma porte avec une caméra, je vous tue. » ?
Lorsque la salle éclate de rire, croyant à une bonne blague, il s'empresse de
préciser qu'il est sérieux. On a failli en douter.
Dans ses engagements politiques, il n'y va pas non plus avec le dos de la
cuillère. Républicain convaincu, il se lance dans le stand-up lors d'une
apparition à la convention de son parti en 2012. Ça commence plutôt bien,
par une photo sur un écran géant de sa belle gueule d'il y a cinquante ans,
tout de flingue et chapeau vêtu, puis l'octogénaire se présente devant un
public conquis d'avance et s'adresse à une chaise vide censée représenter
Obama. Mais là où on s'attendait à ce que le flingueur de légende zigouille
le président et sa bande de scélérats d'une rafale expéditive, il dégaine des
blagounettes manifestement écrites par le cousin yankee de Jean Roucas
(John Jack Rook Ass ?), bafouille, titube un peu, et finit par quelques
balivernes que n'aurait pas reniées le cousin américain de Kev Adams (Kev
Adams ?). La scène est pathétique et rappelle la dernière pub de Gad
Elmaleh pour une banque. Le résultat ne s'est pas fait attendre. Mitt
Romney a perdu, et le grand Clint a raté le concours d'entrée au Jamel
Comedy Club.
Thomas Edison (1847 – 1931)

Comme toujours, ça commence bien. À l'âge où les enfants passent leur


temps à jouer, faire du sport, ou arracher les ailes des insectes qui viennent
distraire leur ennui, le petit Thomas Edison se livre à des expériences
scientifiques dans le laboratoire qu'il a aménagé chez ses parents.
De 12 à 15 ans, il travaille comme vendeur de journaux sur une ligne de
chemin de fer et économise son salaire pour acheter une presse d'occasion.
Il l'installe dans le wagon à bagages et fonde le Weekly Herald, premier
journal à être imprimé et vendu à bord d'un train. Son destin bascule quand
il sauve le fils d'un chef de gare sur le point de se faire écraser. Pour le
remercier, son père accepte de lui apprendre à utiliser son télégraphe. C'est
ainsi qu'Edison conçoit sa première invention : un télégraphe pouvant à la
fois transmettre et recevoir sur un même câble. Il travaille ensuite à la
bourse de New York, où il perfectionne son œuvre en créant un télégraphe
qui transmet le cours des valeurs boursières. Ceci lui permet de gagner
suffisamment d'argent pour créer son entreprise. Premier à considérer que
les chercheurs devraient travailler conjointement, Edison en embauche
soixante et supervise leurs travaux. C'est le début d'une longue série
d'inventions, qui feront l'objet de plus d'un millier de brevets. Pour réunir
ses différentes activités, l'ingénieur fonde la General Electric, puissant
conglomérat encore en activité aujourd'hui. Précisons qu'Edison est
quasiment sourd, suite à une scarlatine contractée à 13 ans mais il a toujours
fait de ce handicap un atout, se déclarant heureux de pouvoir consacrer tout
son temps à travailler au lieu de le perdre à bavarder. Il le prouve, ainsi
qu'une évidente philanthropie, en inventant le phonographe en 1877, dont
on imagine qu'il ne profita qu'avec parcimonie.
Parmi les brillants scientifiques qu'il a recrutés se trouve le Serbe Nikola
Tesla. Edison le charge de développer la technologie du courant alternatif et
lui promet 50 000 dollars s'il y parvient. Tesla relève le défi, mais lorsqu'il
vient réclamer son dû, Edison lui rit au nez. « Lorsque tu deviendras un
Américain à part entière, tu apprécieras l'humour américain. » Grand
seigneur, il lui propose toutefois de faire passer son salaire de 10 à
18 dollars par semaine. Outré, son collaborateur démissionne. Dès lors, les
deux hommes se livrent une guerre sans merci. Tandis que Tesla tente de
vendre le courant alternatif aux industriels, Edison entreprend de prouver
qu'il est bien plus dangereux que le courant continu. Pour ce faire, il réunit
un public autour d'un petit chien à qui il envoie 1 000 volts de courant
continu à seule fin de montrer qu'il survit au choc. Il lui balance ensuite 300
volts de courant alternatif, ce qui permet aux témoins médusés de voir
l'adorable chiot se faire carboniser sur place. Edison semble avoir pris goût
à cette démonstration puisqu'il la reproduit sur des chats, des chevaux, et
même un éléphant, qui subissent tous la même issue fatale. Mais notre
homme ne s'arrête pas là, il veut encore démontrer que l'invention de Tesla
peut tuer des hommes. On peut supposer qu'à partir du moment où elle tue
un éléphant, elle tuerait aussi un homme, mais Edison est un scientifique. Il
a besoin d'expérimenter. Quoi de mieux qu'un condamné à mort pour se
faire la main ? Reste à enrober le procédé d'un joli papier cadeau, ce
qu'Edison fait en militant pour une exécution « plus humaine » que la
pendaison. L'argument convainc, et un condamné du nom de William
Kemmler en devient l'heureux bénéficiaire. Les festivités commencent par
une électrocution de dix-sept secondes. Malheureusement pour Edison, la
victime ne meurt pas. Ses organes se consument, mais il gémit encore. Ne
pouvant se permettre d'échouer, Edison réclame une seconde décharge. Elle
dure quatre minutes et cette fois, Kemmler tout entier a le bon goût de
prendre feu, donnant raison à son bourreau. « Si nous faisions tout ce que
nous sommes capables de faire, nous en serions abasourdis », déclara un
jour Edison. Là encore, il a su le prouver.
Albert Einstein (1879 – 1955)

E = mc2. Ou comment atteindre l'immortalité en cinq caractères. En gros,


ceci revient à dire que l'énergie dégagée par un corps est proportionnelle à
sa masse. Suffisait d'y penser. C'est ce qu'a fait Albert Einstein, ancien élève
dyslexique aux résultats médiocres, dont les travaux en physique ont ensuite
relégué toutes les connaissances en la matière à l'âge de pierre. Élaborée en
1916, sa théorie de la relativité restreinte lui vaudra de recevoir le prix
Nobel, et d'être jusqu'à ce jour considéré comme l'un des plus grands
scientifiques de tous les temps. Non content de révolutionner la physique,
Einstein brille par son humanisme et est nommé président de la Ligue des
droits de l'homme en 1925. Il est également juif et pacifiste, deux tares
susceptibles de nuire gravement à sa santé dans une Allemagne où monte le
nazisme, il s'installe donc aux États-Unis en 1933. Il y dénonce le racisme
ambiant, s'investit dans l'éducation des enfants noirs et refuse d'intervenir
dans les universités où règne la ségrégation raciale.
Dans la sphère conjugale, il est un peu plus souple, puisqu'il quitte sa
première épouse pour sa cousine Elsa Einstein, une cousine très très proche
puisque leurs mères étaient sœurs et leurs pères, cousins germains. Mais
tout est relatif. Le couple se sépare, et Einstein épouse Mileva Maric, une
condisciple de l'École polytechnique de Zurich, brillante physicienne qui en
plus de lui donner trois enfants, l'aide à élaborer ses théories. Cependant,
cela ne suffit pas à lui faire oublier sa cousine, à qui il écrit cette touchante
missive : « Chère Elsa, ce n'est pas facile d'obtenir le divorce si on ne
dispose pas de preuves de la culpabilité de l'autre partie. Aussi, je traite ma
femme comme une employée que je ne peux pas virer. J'ai ma propre
chambre, et évite d'être seul avec elle. Mais qu'il serait merveilleux qu'un de
ces jours nous puissions partager un petit foyer modeste. »
Bouleversée, Elsa quitte son mari, et Einstein négocie son divorce en
octroyant une partie de l'argent de son prix Nobel à Mileva. Le voilà libre
d'épouser sa cousine, ce qu'il ne se prive pas de faire.
Lorsque la guerre éclate, trois physiciens hongrois, persuadés que les
Allemands sont à deux doigts de fabriquer la bombe nucléaire, demandent à
Einstein d'alerter le Président Roosevelt. Fort de son prestige, il accepte
d'endosser le rôle de donneur d'alerte avant l'heure et écrit au Président, lui
laissant entendre que la meilleure solution serait de prendre leur ennemi de
vitesse. Devant son absence de réaction, il lui écrit une nouvelle fois en
mars 1940. Cette fois, il fait mouche. Chaud comme de la braise, Roosevelt
le remercie chaleureusement, crée un Comité consultatif pour l'uranium, et
en voiture Simone ! Un laboratoire est construit dans le plus grand secret et
confié à un certain Robert Oppenheimer. Cet enthousiasme collectif se
concrétisera à Hiroshima. Einstein prendra alors sa plume une dernière fois,
cette fois pour prier le Président d'interdire l'emploi de la bombe atomique.
Mais le mal est fait et toute sa vie, il regrettera l'influence qu'il a exercée sur
le Président. Suffisait d'y penser avant.
Claude François (1939 – 1978)

Nous ne vous ferons pas l'affront de vous rappeler que Claude François
est l'inoubliable interprète de Belles ! Belles ! Belles !, Si j'avais un
marteau, Le lundi au soleil, Le téléphone pleure, Magnolias for Ever,
Alexandrie Alexandra, et bien sûr Comme d'habitude, devenu standard
international sous le titre de My way… Enfin, on vient de le faire quand
même parce que ça nous a fait plaisir. Cela étant, le plus grand talent de
Claude François n'est pas d'avoir accumulé les tubes, mais d'avoir fait
danser non seulement ses fans, mais aussi les millions de gens qui comme
nous, goûtent peu la variété, détestent les costumes en satin bleu layette,
trouvent que la coiffure d'une Drôle de dame ne sied pas forcément à un
homme, et abhorrent les chorégraphies à base de sautillements, moulinets
de bras injustifiés et autres auto-claques sur les fesses suivies d'une rotation
à 360°, une jambe semi-pliée, l'autre tendue comme un string.
Ce grand perfectionniste qui a étudié la clarinette, la flûte, le chant
classique, les percussions et l'harmonie aurait été bien inspiré de se
renseigner sur les fondamentaux du courant alternatif 1. Quelqu'un aurait dû
se charger de le tenir au jus : eau et électricité ne font pas bon ménage.
Cloclo, fidèle à sa légende de grand maniaque hyperactif, a voulu régler
deux problèmes à la fois : se savonner énergiquement (était-ce avec du
Cadum ? de l'Obao ? du Monsavon ?) tout en remettant à sa place une
applique assez provocatrice pour avoir les fils dénudés. Était-ce un défi ?
Était-il sous tension ? Était-il au courant des principes physiques les plus
élémentaires ? Trop survolté pour s'en soucier ? Déconnecté du réel à cause
d'un sentiment de toute-puissance inhérent à sa réussite foudroyante ? On ne
le saura jamais, car la sanction fut immédiate, et bien que sa compagne,
portant des chaussures à semelles de bois, ait séparé les deux belligérants, et
que les pompiers aient tout fait pour ranimer le chanteur, il succombe. Celui
qu'on appelait la pile électrique s'est éteint, allumé par une ampoule. Une
issue aussi tragique qu'ironique, sachant qu'il aurait suffi d'attendre
quarante-huit heures pour que l'électricien, dûment mandaté par sa
secrétaire, vienne régler le problème.
Sigmund Freud (1856 – 1939)

Avec lui, une nouvelle ère s'est ouverte, puisqu'il a su nous persuader que
notre psyché était la source de tous nos maux, et qu'il nous appartenait de
les identifier et de les résoudre. De plus, il a eu la générosité de nous
absoudre de nos torts puisqu'ils sont toujours imputables à un inconscient
nettement plus fort que nous. Ainsi, l'inventeur de la psychanalyse a
contribué à l'émancipation de l'individu et de la société en général, qu'il a
libérée d'une morale omnipotente. En songeant à ce que seraient les chiffres
du chômage si le métier de psychanalyste n'existait pas, nous lui sommes
infiniment reconnaissants, tout comme le sont les vendeurs de méridiennes
et sofas en tout genre, et Woody Allen qui, privé de toutes les névroses qu'il
cultive chez son thérapeute, aurait sans doute été un réalisateur médiocre.
Qu'on le veuille ou non, nous sommes tous des patients du docteur Freud.
C'est sa faute si dès leur plus tendre enfance, les petits garçons sont
brutalement éjectés du lit de leur mère car soupçonnés de désirs pervers à
son égard, et que l'éminent psychanalyste a théorisés sous le nom de
complexe d'Œdipe, en s'inspirant d'une œuvre de pure fiction, faut-il le
rappeler ; sa faute si Jean-Jacques Goldman a chanté un jour « À nos actes
manqués… yeah yeah yeah yeah yeah » fois 6, et on reprend depuis le
début… ; sa faute si tous les lapsus sont révélateurs (lape et suce ?). Sa
faute enfin si l'on ne peut plus rêver tranquillement de clés, de trains, de
grottes, de poissons ou même d'une boîte à bijoux car selon lui, tout (et
surtout n'importe quoi) est l'expression d'une pulsion sexuelle refoulée dont
il faut urgemment se défaire. Mais l'œuvre de Sigmund ne s'arrête pas là.
Non content de ne jamais avoir soigné personne – c'est du moins ce
qu'affirment ses détracteurs –, il a également rendu certains patients bien
plus malades qu'ils ne l'étaient avant de le connaître. C'est le cas d'Emma
Eckstein, qui souffre de troubles hystériques, mais aussi d'hémorragies
génitales et de douleurs gastriques. Freud refuse de lui prescrire le moindre
examen médical, puisqu'il est convaincu que ses maux sont dus à un excès
de masturbation. Il est alors adepte de la thèse du docteur Wilhelm Fliess,
qui prétend que parties génitales et nasales sont étroitement liées, et suit les
préconisations de son confrère qui affirme que la gastralgie se soigne par
une opération du nez, siège de tous les désordres masturbatoires. En
février 1895, la patiente est donc amputée du morceau d'os désigné comme
fautif. Près d'un mois plus tard, elle est toujours défigurée, en proie à
d'atroces souffrances et à un tel état infectieux que le docteur Freud se
décide à convoquer un O.R.L. Grand bien lui en prend, puisque ce dernier
retire du nez de la patiente une bande de gaze d'environ 50 centimètres,
oubliée là par l'habile docteur Fliess. La pauvre Emma est à l'agonie, et
devant le spectacle, son psychanalyste préféré fait un malaise. Le récit des
opérations qui s'ensuivront ressemble à un film d'horreur que nous avons
choisi de vous épargner, afin de nous concentrer sur la façon dont le docteur
Freud vécut l'événement. Devant un tel échec, on se serait attendu à ce qu'il
cherche un thérapeute meilleur que lui pour l'aider à passer le cap, mais il se
soucie avant tout de la réputation de son ami Fliess, en qui il conserve toute
sa confiance. Entre deux piqûres de morphine, Mademoiselle Eickstein, qui,
en plus de tous ses maux, semble avoir été atteinte de masochisme aigu,
reprend son analyse. Et là, tout s'explique. Apprenant qu'elle avait déjà
souffert de saignements du nez dans son enfance, Freud fait un parallèle
avec ses menstruations, et attribue aux deux une portée sexuelle. Emma a
inconsciemment provoqué ces saignements pour attirer l'attention des
médecins qu'elle cherchait à séduire, et a réitéré avec lui puisque, transfert
oblige, elle est amoureuse de son thérapeute. La boucle est bouclée, scellée
même, car forte de tous ces enseignements, Emma Eikstein deviendra la
première femme analyste. Dix ans plus tard, elle est de nouveau victime
d'hémorragies, et puisque le docteur Freud refuse toujours d'y voir une
cause physique, elle consulte en cachette un médecin qui diagnostiquera un
abcès, puis une tumeur bénigne, responsable de ses saignements. Informé
du diagnostic, le docteur Freud, toujours prêt à se remettre en question, en
conclura qu'elle est sa première psychanalyse réussie. CQFD.
Évariste Galois (1811 – 1832)

Le génie romantique par excellence. Le génie foudroyant et foudroyé…


Le problème, c'est que c'est un mathématicien et qu'on ne comprend rien à
son génie. Pouvez-vous nous dire ce qu'est une équation algébrique
résoluble par radicaux ? Non. Ou alors vous mentez, ou alors vous êtes un
mathématicien, ou alors vous êtes un mathématicien menteur, ou un
menteur mathématicien… Bref, Évariste Galois, on n'y comprend rien, mais
c'est un génie, un pur génie. Il est mort à vingt ans en plus, ça en jette…
Pour une vague histoire de nana. Un des plus grands matheux de tous les
temps qui se fait plomber en duel pour une histoire de fesses…
Il reste qu'il a laissé des équations extrêmement compliquées sur
lesquelles planchent encore les meilleurs mathématiciens au monde. Du
coup, sa postérité est auréolée de ce romantisme qui fait justement les héros
éternels. Ceci dit, en réalité, il passe beaucoup de temps à se prendre la tête.
Bagarreur, toujours dans une embrouille, c'est un républicain radical qui
fera souvent le coup de poing dans la rue après les Trois Glorieuses.
Homme de barricades et fervent anticlérical, il séjournera en prison…
Jamais d'accord, toujours en guerre, il a le mérite de se battre pour ses idées.
C'est un colérique qui ne transige pas… Mais il ira trop loin dans cette voie
de l'intransigeance, parce qu'en amour aussi il se prend la tête. Il se fera
donc flinguer en duel pour une idylle qui tourne mal. À ce titre, on peut dire
que c'est finalement un sacré con qui aurait pu avoir la politesse de vivre
plus vieux, histoire d'éclairer son siècle, ceux qui ont suivi et suivront…
Mais non, Évariste Galois aura juste le temps de découvrir les
mathématiques à quinze ans et de les dompter en moins de trois ans. Trop
speed, Évariste… Alors, à vingt ans, une balle dans le bide et salut l'artiste.
Il a précisé en marge de ses écrits : « Je n'ai pas le temps de
démontrer… »
C'était, selon la légende, la nuit qui a précédé l'aurore fatale. Et dire
qu'aujourd'hui, d'autres démontrent ses théorèmes à sa place et en retour,
reçoivent la médaille Fields…
Charles de Gaulle (1890-1970)

À la lecture des premières lignes des mémoires du général de Gaulle,


dont le premier tome a pour titre : L'appel, on est saisi par le lyrisme dont
fait preuve l'auteur, habitués que nous sommes à la figure austère d'un
personnage qui pour toujours incarne « une certaine idée de la France ». La
grande France, celle qui se relève, celle qui dit non, celle qui revendique
son indépendance, celle qui refuse qu'on lui dicte son destin… Cette France
rêvée, fantasmée, de Gaulle l'a faite. Il a redonné à son pays la fierté au
lendemain des débâcles. De Gaulle, c'est la dignité retrouvée. De toute son
âme, de tout son corps, il aura étreint et bien embrassé l'histoire de ce pays
qu'il aime plus que tout. Il s'est marié à la France, comme on épouse une
concubine volage dont on a pressenti l'intégrité meurtrie. C'est ainsi, de
Gaulle a entendu la voix du destin lui intimer l'ordre de sauver la patrie. De
Gaulle et la France, de Gaulle est la France. Un peu comme Jeanne d'Arc
avant lui, il a su très tôt que sa vie n'aurait de sens qu'à la condition d'un
sacrifice ultime à la cause supérieure. D'ailleurs, pour lui, les ambitions
personnelles ne sont que jeux infantiles. Il avait pressenti la défaite, théorisé
sur les efforts allemands pour gagner du terrain bien avant tout le monde.
Quand il croise Pétain, héros de Verdun, à la veille de la grande raclée, il se
dit que la vieillesse est un naufrage… La ligne Maginot et toutes ses
forteresses lui semblent dérisoires à l'heure de l'aviation… Il comprend
avant tout le monde et il tente de se faire entendre. Il n'a de cesse que
d'avertir les tauliers d'une armée vieillissante et repue que la menace est
proche et qu'il faut revoir tous les dispositifs de défense. Peine perdue… Et
puis Hitler envahit la Pologne et de Gaulle se dit que c'est le début de la fin
si personne ne reprend le flambeau. La suite, on la connaît, il décide de
refuser, de s'insurger contre la capitulation. Il fonce en Angleterre et prépare
son appel. Il souffle sur des braises pour raviver le feu patriotique. Entouré
de fidèles, il va subir l'humiliation du vaincu et en demande beaucoup à des
autorités anglaises qui considèrent que la France est perdue… ou presque. Il
va alors déployer ses ailes, faire parler son génie, et redonner le feu à tous
ces hommes de peu de foi qui avaient plié les genoux pour s'adonner aux
prières du désespoir. Il n'est pas homme à accepter les armistices forcés. Il
va donc prononcer son célèbre appel, le 18 juin 1940.
De l'autre côté de la Manche, le lyrisme de la révolte fait son effet. On
peut dire que son discours, c'est le premier acte de la Libération. Tout part
de là. De Gaulle a donné du souffle aux destins étouffés. Il va devenir le
héros, le chef, le sauveur. La France l'accueille comme son maître. Les
années passent et il faudra beaucoup de courage à ses détracteurs pour
proposer une autre vision de la société française à un peuple pour qui de
Gaulle est un demi-dieu. Finalement, l'homme vieillit, et le voilà Président,
puis homme de discours. Le grand auteur qu'il est peut aussi se faire
bateleur, ironisant devant des journalistes qui se délectent de ses petites
phrases. Le lyrisme fait place à l'ironie des hommes de communication.
L'homme du 18 juin est de moins en moins audible pour une jeunesse qui
en a fini avec le képi et le petit doigt sur la couture. Nous sommes en 1968
et aux Beaux-Arts de Paris, on s'adonne à la vindicte graphique en dessinant
un joli de Gaulle presque cubiste sous lequel est écrit : « La chienlit c'est
lui… » Mitterrand pointe le bout de son nez et la gauche est aux aguets…
L'heure est venue pour « le » Général de revenir à ses fondamentaux. Il en a
marre de tous ces pédants qui lui reprochent d'être un dictateur déguisé en
démocrate. Son passé de militaire ne joue plus en sa faveur, le monde a
changé : « Faites l'amour, pas la guerre… » Il ne croit pas vraiment que le
cynisme a remplacé les grands sentiments et las de toutes ces remises en
question, l'« homme du coup d'État permanent », selon le mot de
Mitterrand, va jouer avec le feu en proposant un référendum, un appel au
peuple, en 1969. L'appel de trop. Il s'agit de la réforme du sénat et de la
régionalisation… Un truc bien lourd mais un bon prétexte pour engager son
mandat. Le non va gagner. C'est fini, cette fois la France et son peuple n'ont
pas répondu à son appel… Il se retire. Dix-huit mois plus tard il s'éteindra,
dans sa maison de Colombey-les-Deux-Églises. L'homme qui avait répondu
« Vaste programme » au fameux mot « Mort aux cons », aura jusqu'au bout
cru que la France et lui ne faisaient qu'un… Mais les plus belles histoires
d'amour ont une fin, et le cocu a beau être fier, képi ou pas, les cornes
finissent toujours par dépasser…
Pour lui rendre hommage, nous lui laissons le mot de la fin : « Quant au
pouvoir, je ne saurais en tout cas quitter les choses avant qu'elles ne me
quittent. » Parole tenue.
Valéry Giscard d'Estaing (1926)

« Au re-voir. » C'est à peu près tout ce qu'on a retenu de ce génie et c'est


très injuste. S'il fallait retenir un mot pour définir le parcours de VGE, ce
serait plutôt « précoce ». Titulaire d'un double baccalauréat en philosophie
et mathématiques à 16 ans, il prend part à la libération de Paris en 1944,
puis s'engage dans l'armée. Placé sous les ordres du général de Lattre de
Tassigny, ses états de service sur le front allemand lui valent d'être décoré
de la croix de guerre. Il entre ensuite à l'École polytechnique et enchaîne
avec l'ENA, dont il sort si bien classé qu'il intègre l'Inspection générale des
finances alors qu'il n'a que 26 ans. Là encore, ses supérieurs louent la
qualité de son travail et dix ans plus tard, il devient ministre des Finances et
des Affaires économiques sous le gouvernement du Général de Gaulle. Très
en avance sur son temps, il milite dès 1966 en faveur d'un Sénat européen
élu au suffrage universel et d'une « Banque d'Europe », chargée d'instaurer
une monnaie commune. Ministre de l'Économie et des Finances sous
Pompidou, il se présente à l'élection présidentielle à la mort de ce dernier.
Sa campagne est novatrice : il est le premier candidat à poser avec ses
enfants, en jouant au foot ou en faisant du ski, et à obtenir le soutien
d'artistes comme Alain Delon ou Johnny Hallyday qui arborent fièrement
leur tee-shirt « Giscard à la barre ». Le débat qui l'oppose à François
Mitterrand entre les deux tours fera date, pas seulement parce que c'est la
première fois que les Français l'écoutent assez longtemps pour s'entraîner à
imiter sa diction bien particulière, mais aussi parce qu'il y prononce la
phrase « Vous n'avez pas le monopole du cœur », qui a probablement fait
beaucoup pour son élection. À 48 ans, VGE devient le plus jeune président
qu'ait connu la France.
Qui se souvient encore combien ses débuts portent l'empreinte de la
modernité ? C'est sous son mandat que la majorité civile passe à 18 ans, que
l'avortement est dépénalisé, et que sont autorisés l'I.V.G ainsi que le divorce
par consentement mutuel. Mais à force d'être précoce, on finit par faire des
erreurs de bleu, et son septennat est entaché de grossières fautes de
communication ; difficile de savoir ce qui lui a coûté le plus cher, entre
l'affaire des diamants de Bokassa où il était pourtant irréprochable, son
silence durant les jours qui ont suivi l'attentat de la synagogue rue Copernic,
ou sa rencontre avec Brejnev alors que les chars soviétiques avaient envahi
l'Afghanistan. Il faut y ajouter l'idée saugrenue de se faire inviter à la table
des « Français ordinaires » et celle de prendre son petit déjeuner à l'Élysée
avec des éboueurs. Sans oublier cette pénible séquence de vœux du nouvel
an où une Anne-Aymone visiblement terrifiée souhaite une bonne année
aux Français, et sa manie de se faire filmer en train de jouer de l'accordéon.
Giscard sort battu de sa seconde confrontation avec Mitterrand, et le fait
que grâce à lui, les jeunes de 18 à 21 ans aient eu le droit de vote, n'y est
sûrement pas pour rien.
Il poursuit cependant sa carrière politique, notamment en dirigeant
nombre d'institutions européennes. Auteur de brillants essais, c'est tout
naturellement qu'il est élu à l'Académie française. En revanche, il en
surprend plus d'un en publiant un roman intitulé La Princesse et le
Président, deux personnages qui évoquent furieusement Lady Di et lui-
même. Outre-Manche, The Guardian note que cet ouvrage « a provoqué
hilarité et curiosité » tandis que le Daily Mail évoque « un Français qui
prend ses désirs pour des réalités ». Quant à nos compatriotes, malgré les
années écoulées, ils continuent à gloser sur sa prétendue virilité et le fait
que l'Académie accueille désormais des auteurs de la collection Harlequin.
Décidément, notre grand homme a bien du mal avec ses sorties.
Mikhaïl Gorbatchev (1931)

Homme d'État qui dirigea l'URSS de 1985 à 1991, l'artisan de la


perestroïka est consacré Membre Honoraire du Club de Rome puis prix
Nobel de la paix en 1990. C'est également un homme de convictions qui
s'est battu pour la protection de la planète avant que cela ne devienne une
mode et à ce titre, le Club de Budapest lui a décerné le prix « Conscience
planétaire » en 1997. Gorbatchev est aussi l'homme qui face à la muraille de
Chine a osé déclarer : « Très bel ouvrage, mais il y a déjà trop de murs entre
les hommes. » Quelques mois plus tard, le mur de Berlin s'effondre,
consacrant ainsi des années de lutte pour rapprocher les hommes. Ce
visionnaire a indiscutablement changé la face du monde.
Pour autant, il ne s'est pas reposé sur ses multiples lauriers ; après
cinquante ans de guerre froide, il décide de promouvoir ce que les États-
Unis ont de mieux à offrir sur les terres de la Grande Catherine : la Pizza
Hut double-cheese aux bords fourrés. Il gagnera ce dernier combat en
s'illustrant brillamment dans un film publicitaire où ses talents d'acteur
crèvent l'écran et où une charmante octogénaire s'exclame : « Grâce à lui,
nous sommes même libres d'aller jusqu'au bout de notre pizza. » Certes, son
cachet servira à financer de nouveaux locaux abritant les archives de la
pérestroïka, mais peu importe, il a pris goût aux écrans et récidive dix ans
plus tard, en posant devant l'objectif de la photographe Annie Leibowitz.
L'ancien président y figure assis à l'arrière d'une voiture, le mur de Berlin
pour toile de fond. Cette fois, son cachet a été reversé à la fondation qui
porte son nom, et Gorbatchev déclare que c'est lui qui a choisi ce décor,
pour rappeler qu'il a été l'un des acteurs de sa chute. Visiblement, personne
n'a osé lui dire que pour ceux qui verraient cette photo, l'image frappante
serait surtout le fait qu'il pose à côté d'un sac de voyage de la marque Louis
Vuitton, commanditaire de la campagne, et que l'image du maroquinier de
luxe écraserait joyeusement tout message sur la disparition du « mur de la
honte ».
Victor Hugo (1802-1885)

Il est l'un des plus grands humanistes que la Terre ait jamais porté et
incarne le génie à l'état pur. Celui qui écrivit sur son cahier d'écolier vouloir
« être Chateaubriand ou rien » a dépassé son maître. En plus d'être le
pourfendeur de toutes les injustices et l'un des plus grands auteurs et poètes
de tous les temps, il est l'utopie française. Il nous a légué ce que la
littérature a de plus noble, et a sublimé le « métier » d'écrivain en faisant de
chacun de ses écrits un plaidoyer pour plus de justice, de paix et de
fraternité. Sans lui, le monde aurait été privé des Contemplations, des
Misérables, d'Hernani et du Dernier Jour d'un condamné. Et sans lui, le
monde aurait été privé de Julie Zenatti, Patrick Fiori, Hélène Ségara et
Garou, dans la tragique comédie musicale Notre-Dame de Paris. Pour
interpréter l'inoubliable Quasimodo, Garou s'est glissé dans la peau de Jean-
Luc Mélenchon. Il gueule autant que lui, a les mêmes dents, mais pour
l'occasion, le Mélenchon est coiffé comme Jeanne Mas, et maquillé comme
Michou, lui-même déguisé en Mad Max. Ultime raffinement, il semblerait
bien que le chanteur québécois ait poussé la conscience artistique jusqu'à
imaginer un Jean-Luc Mélenchon qui se serait lui-même glissé dans le
corps de Michel Petrucciani. Victor Hugo était un fervent adepte du
spiritisme, et plus que jamais, la question qui se pose est : « Esprit, es-tu
là ? »
Icare

« Attention, c'est chaud, c'est très chaud, ça fait bobo ! » Vous avez tous
au moins une fois dans votre vie tenté de mettre en garde un enfant
approchant son adorable petit doigt de connard d'une flamme vacillante.
Ceux qui n'ont pas écouté se sont brûlé le doigt, et nous avons peiné à
réprimer un sourire narquois en leur disant : « Je t'avais prévenu, p'tite
merde ! » Ceux qui ont obéi et ont attendu qu'on ait le dos tourné pour
réessayer se sont brûlés tout seuls dans leur coin ; ils se sont bien gardés de
s'en vanter car ils sont orgueilleux, mais aujourd'hui, on les reconnaît car ils
sont devenus chanteur de rap, doublure sodomie de film X, syndicaliste,
apiculteur, ecclésiastique ou tueur en série.
L'homme dont nous allons parler rêvait sans doute d'une telle carrière,
mais il n'a pas vraiment eu le temps de faire son trou, sa connerie l'ayant
disqualifié avant même son premier rendez-vous à Pôle Emploi. Certes,
Icare n'a pas existé, mais sa connerie l'a rendu immortel, puisque depuis
l'Antiquité, on cite son nom pour évoquer ceux qui se sont brûlé les ailes à
trop vouloir s'approcher du soleil, surtout au mois d'août en Grèce.
Contextualisons un peu cette affaire. Icare est le fils de Dédale, célèbre
architecte qui a conçu le labyrinthe dédié à l'incarcération définitive du
Minotaure (les remises de peine n'existaient pas à l'époque), et où il a lui-
même été condamné à être enfermé avec son fils. Pour des raisons qui nous
échappent, il s'est montré incapable de sortir de son propre labyrinthe, et a
eu la riche idée de s'en évader par voie aérienne. On imagine Icare, tout
excité à l'idée de participer au premier vol en deltaplane de l'histoire. Ni une
ni deux, ils se procurent de la cire et des plumes (c'était le bordel dans ce
labyrinthe), se fabriquent une paire d'ailes en ricanant et en songeant à
l'argent que va leur rapporter l'invention dont ils vont bientôt déposer le
brevet. « Mon fils, on va se faire des couilles en marbre, espèce de
connard ! » se serait écrié Dédale, en plumant une oie dont la mythologie a
curieusement oublié le nom. À la va-comme-j'te-pousse, père et fils
s'élancent, agitant frénétiquement les bras comme tout un chacun lorsqu'il
prend son envol. Ultime conseil de Dédale à son rejeton : « Tu feras quand
même gaffe à pas trop voler près de l'eau, vu l'humidité, et à pas trop
t'approcher du soleil, rapport à la chaleur. T'as compris, connard ? » Mais
Icare est un connard, comme tous les mômes. Il kiffe sa race le vol, monte
de plus en plus haut, et n'écoute pas son père qui lui crie pourtant à maintes
reprises : « Mais qu'est-ce tu fous, connard ? » La suite, tout le monde la
connaît : comme il se doit, la cire fond et Icare se noie après quelques
ricochets foireux sous le regard atterré de son père qui s'exclame : « C'était
vraiment un connard 1. » Et d'un coup d'aile, l'ingénieur pragmatique fonce
déposer le brevet tout seul.
Michael Jackson (1958 – 2009)

Le génie plus que précoce chante et danse comme personne dès l'âge de
cinq ans, reléguant au rang de figurants ses frères pourtant très doués, et sa
trajectoire marque à tout jamais la pop culture. Pendant des années, il aligne
les tubes, fait de Thriller l'album le plus vendu de tous les temps, et le
monde entier se ridiculise avec bonheur en tentant d'imiter ses petits cris de
souris et son moonwalk consistant à glisser à reculons en se déboîtant
l'épaule et en prenant le risque de se cogner contre un meuble. Il se construit
alors un personnage de petite chose fragile, si bien qu'on surnomme Bambi
celui qui est atteint du syndrome de Peter Pan, et côtoie de préférence des
enfants prépubères pour qui il fera construire un parc d'attractions dans son
ranch. Michael est un homme généreux, au point de faire dormir ses fans
dans sa chambre, de donner constamment du travail à son chirurgien
esthétique, et de faire vivre une partie de l'industrie pharmaceutique
américaine à lui tout seul…
Quand son ami Paul McCartney lui confie qu'il aimerait bien récupérer
les droits des chansons écrites avec Lennon, et pas seulement pour des
raisons affectives, le jeune milliardaire compatit. Le catalogue des Beatles
rapporte plusieurs millions de dollars par an, or Bambi a très faim et il se
donne les moyens de l'acquérir en intégralité, en se gardant bien de prévenir
son ami du poignard qu'il est en train de lui planter dans le dos. Rien ne
résiste à Bambi quand il a les crocs, et il les a tout le temps. Elvis Presley
continuant à lui damer le pion en tant qu'icône absolue de la musique, il se
tape sa fille et va même jusqu'à l'épouser, ce qui lui permet d'associer son
nom à celui du King. Le couple a une drôle de dégaine, dans la mesure où il
est plus blanc et plus féminin qu'elle, et d'ailleurs, ça ne durera pas.
Totalement ravagé, il décide de se reproduire et épouse une infirmière – ça
peut toujours servir en cas d'infection, vu qu'il passe sa vie à se prendre des
coups de bistouri. Artistiquement, son travail consiste désormais à hurler
face à une soufflerie géante, se mettre sur les pointes sans les chaussons
Repetto, se serrer très fort les parties en prévenant qu'il est « Bad », et nous
menacer de toutes sortes de représailles alors qu'on ne lui a rien fait.
D'ailleurs, dans un acte de violence inouï, il prénomme son premier fils
Prince, une façon comme une autre de faire de l'ombre au chanteur de
Minneapolis, qui lui en a fait un peu trop à son goût. Après la naissance de
sa fille Paris, son imagination s'est tarie, aussi il appelle son dernier fils
comme le premier, à savoir Prince Michael II. Quelques mois plus tard, il
est à Berlin pour recevoir le prix « Bambi » récompensant son action en
faveur de l'enfance défavorisée. Alors qu'une foule de fans est amassée sous
les fenêtres de son hôtel, il ne trouve rien de mieux à faire que de suspendre
son nourrisson dans le vide comme une vulgaire peluche. Saluons le geste,
assez délirant pour faire oublier le procès qu'on lui a intenté pour pédophilie
et qui s'est soldé par un arrangement financier. La suite est dans toutes les
mémoires : la tournée qu'il préparait alors qu'il ressemble de plus en plus
aux zombies de son clip Thriller n'aura jamais lieu, car le chanteur fait une
overdose de médicaments, envoyant son médecin traitant en prison. On
attend encore le procès de son chirurgien esthétique.
Jean-Paul II (1920 – 2005)

Dans la plupart des cas, être canonisé prend des siècles, dans le cas de
Jean-Paul II, il n'aura fallu que neuf ans après son décès. Mais avant d'être
assis à la droite du Père, il a eu plusieurs vies. Dans la Pologne meurtrie de
sa jeunesse, le jeune athlète commence par étudier la philologie, puis il
intègre une troupe de théâtre antinazie avant d'entrer dans les ordres. Un
impérieux besoin de justice et son aversion pour tous les totalitarismes
guideront ses choix et son parcours jusqu'au 16 octobre 1978, date à
laquelle il est élu pape. Il fait son premier voyage officiel à Auschwitz, se
rend dans des pays où aucun de ses prédécesseurs ne s'est rendu et fait
preuve d'une ouverture œcuménique totalement novatrice en allant prier
dans des mosquées et des synagogues. D'une tolérance à toute épreuve, y
compris à celle des balles, il ira jusqu'à rendre visite en prison à celui qui, le
13 mai 1981, a attenté à ses jours. Œuvrant sans relâche pour la paix des
peuples, il est le messager de la paix et de l'amour universel du XXe siècle.
Rôle que Bono aura essayé de lui ravir en lui offrant ses lunettes de soleil
façon cycliste, mais pas bête la guêpe, l'amour dont il est question reste
matrimonial et conjugal ; rien à voir avec les roulages de pelle sur scène
auxquels se livre régulièrement le chanteur (qui aime aussi embrasser les
arbres à vélo, mais c'est une autre histoire). À ce titre, JiPé II aura été
cohérent sur toute la ligne (rien à voir avec celle que Bono a dû s'enfiler au
moins une fois dans sa vie – enfin on dit ça, on n'a rien dit), puisque c'est
précisément sa thèse sur l'amour conjugal qui lui aura valu de devenir le
plus jeune évêque polonais à l'âge de 38 ans. Jusque-là, tout va bien. Mais
ce spécialiste de l'amour universel est visiblement passé à côté de
l'évolution des mœurs de son temps, qui correspondent plutôt à une certaine
universalisation de l'amour. Au lieu de lui offrir ses binocles, Bono aurait
mieux fait de lui expliquer l'intérêt de l'usage du préservatif à une époque
où le Sida faisait rage, car en estimant que ce moyen de prévention était
« blessant pour la dignité humaine », il n'a vraisemblablement pas contribué
à éveiller les consciences. « À moi la calotte, à vous les capotes ! » aurait
été un slogan plus digne du grand homme.
Steve Jobs (1955 – 2011)

Il a fait du terme « technologie » l'un des mots les plus sexy de notre ère
et a mis le monde entier à notre portée. Steve Jobs a su nous convaincre que
dans certains domaines, tout pouvait être simple, et ses produits sont à son
image : révolutionnaires, cools et accessibles. « Un des plus grands
innovateurs américains, assez courageux pour penser différemment, assez
audacieux pour croire qu'il pouvait changer le monde, et assez talentueux
pour le faire », a dit de lui Barack Obama. Des mots qui résument bien le
fait qu'aujourd'hui, une grande partie de l'humanité a en permanence une
petite pomme sous les yeux, collée à sa main, son oreille ou son poignet.
Le visionnaire en baskets se distinguait aussi par une personnalité hors du
commun, et faisant allusion à la dureté et l'autoritarisme dont il faisait
parfois preuve, l'un de ses anciens collaborateurs avait estimé qu'il « aurait
fait un excellent roi de France » (nombre d'Américains ont d'importantes
lacunes en histoire-géo, ce qui pourrait expliquer une certaine confusion
entre monarques français et dictateurs africains). On peut cependant établir
un parallèle entre Steve Jobs et François Mitterrand quant à leur façon
d'appréhender le cancer qui les a frappés. Tous deux taisent leur maladie le
plus longtemps possible, continuent à gouverner jusqu'à l'épuisement, et
font de leurs bulletins de santé des modèles d'euphémismes. Toutefois, là où
Jobs se démarque de notre ancien président, c'est dans son parcours
thérapeutique, prouvant combien les végétaux sont une constante dans son
histoire.
N'écoutant ni ses médecins ni ses proches, il refuse de se faire opérer et
décide d'affronter son cancer du pancréas à coup de doses massives de
carottes crues, de jus de fruits et de plantes diverses. Il semblerait
notamment que les pissenlits aient joué un rôle non négligeable dans cette
affaire. Venant de l'homme qui a fait de l'ordinateur un outil de grande
consommation, choisir de snober la technologie médicale au profit de
séances d'acuponcture, lavements du côlon et séjours dans diverses
cliniques New Age est un parti pris étonnant. Il finit par le tempérer au bout
de neuf mois, acceptant enfin l'opération préconisée dès le premier jour.
Hélas, comme le chantait Barbara, « Le temps perdu ne se rattrape plus », et
l'on se prend à regretter que Steve Jobs n'ait pas été un roi français ; il aurait
connu la chanson.
Mathieu Kassovitz (1967)

Le jeune Mathieu Kassovitz, né dans une famille d'amoureux de cinéma,


d'un père réalisateur et une mère monteuse, avait toutes les clefs en main
pour s'ouvrir les portes d'une carrière prestigieuse. Ce qu'il fit très tôt, avec
un talent indéniable de comédien, notamment dans les films de Jacques
Audiard Regarde les hommes tomber, et surtout Un héros très discret, où
son jeu tout en finesse et en distance servait à merveille un projet ambitieux
et populaire à la fois. Populaire, justement… Il le devint réellement en 1995
avec La Haine, son chef-d'œuvre. Un grand réalisateur était né. Son talent
éclate tout au long de cette errance presque onirique. Virtuose. Inspiré par
un cinéma qui n'est plus (celui de Cassavetes, ou de Schatzberg), il puise
aussi du côté de Scorcese… Kassovitz est au sommet.
La suite est moins brillante, mais le jeune homme continue son petit
bonhomme de chemin. Et puis, pour une raison que tout le monde ignore, il
change. Le voilà sur les plateaux de télé à se prendre pour un spécialiste de
géopolitique… Bla bla bla… Kasso est en colère ! Il s'engueule avec tout le
monde, théorise sur le 11-septembre en déjouant des complots ourdis par on
ne sait qui, dans le but de déstabiliser le monde (?). La finesse et la distance
dont il faisait preuve jusqu'alors font place à une sorte d'hystérie
complotiste… Tout y passe, ou presque… Tous des cons, sauf lui ! Selon
lui, le cinéma français est nul. Il s'inspire de celui des Américains qui se
foutent de nous et nous font consommer n'importe quoi dans le but de nous
flinguer le cerveau… Complot !!! (Il réalisera pourtant un film américain,
Gothika… No comment, mais quand même un p'tit : c'est pas tout à fait ce
qu'on appelle un chef-d'œuvre…) Le diagnostic est sans appel : le cerveau
de Mathieu Kassovitz est en phase avancée de boulardisation… On se dit
alors que c'est foutu, que le petit prince du cinéma français est devenu un
vieux con pétri de sa propre vérité et qui prêche à la vas-y comme je te
pousse un évangile de conneries. Soyons honnêtes, certaines de ses sorties
sont splendides et quand il tweete, ça ne rigole pas, ou plutôt si ! Jugez
vous-mêmes : J'encule le cinéma français. Allez vous faire baiser avec vos
films de merde. Il y aurait beaucoup à dire sur cette saillie, mais ce n'est pas
l'objet de ce livre. Disons simplement que sur le plan stylistique, il a renoué
avec le génie. Remettons rapidement dans le contexte, tout de même. Cette
élégante déclaration date de 2011, année de la sortie de son film L'ordre et
la morale, que l'académie des Césars n'a manifestement pas assez
« remarqué » selon son auteur, puisqu'elle ne lui octroiera qu'une
nomination, celle de la meilleure adaptation. Le très relatif succès
commercial de ce (bon) film finira de persuader le réalisateur que le monde
entier lui en veut. De toute façon, il en était déjà persuadé. Juste une
confirmation donc… Mathieu Kassovitz, génie de l'autopersuasion et du
premier film…
On l'a retrouvé récemment dans la série Le bureau des légendes, d'Éric
Rochant… Il y interprète avec finesse et distance un agent secret, très
secret… Mathieu Kassovitz, ou les vertus du silence…
Le Corbusier (1887 – 1965)

Celui qui se destine à une carrière de graveur et répond au nom de


Charles-Édouard Jeanneret n'a que 15 ans lorsqu'il obtient sa première
distinction, à l'exposition des arts décoratifs de Turin. Devenu aveugle d'un
œil, le jeune Helvète doit renoncer à sa vocation première et il se tourne
vers l'architecture et la décoration. Il poursuit sa formation en étudiant le
dessin technique et en se formant l'œil au cours de voyages à travers toute
l'Europe. En 1920, il adopte le pseudonyme qui le rendra célèbre, alors qu'il
participe à la création de L'Esprit nouveau, une revue d'art et d'architecture
dans laquelle il exprime déjà ce qui sera sa marque de fabrique, à savoir la
volonté de conjuguer rigueur et sobriété avec une certaine idée de
l'esthétisme. Un principe qu'il ne tardera pas à étayer par diverses
publications, et qu'il déclinera en réalisant toutes sortes d'habitations, villas,
ateliers et cités qui lui vaudront une renommée internationale. Et de fait, il
officie aussi bien en France qu'en Espagne, au Brésil, en Suède, en Algérie,
en Inde et en URSS. À l'issue de la guerre, il est chargé de « montrer un
nouvel art de bâtir qui transforme le mode d'habitat » et construit la Cité
radieuse à Marseille, première de ses fameuses « Unités d'habitation ».
Totalement novatrice, cette construction représente la vision que porte
l'architecte sur l'urbanisme, et qui fait du bonheur le principe fondateur de
sa création.
Quant à son cheminement personnel, il est un peu plus difficile à suivre.
Celui qui est considéré comme l'un des plus grands architectes urbanistes
modernes se dit apolitique, mais dans la mesure où il est l'auteur d'un palais
des soviets et du siège du Centre Soyouz à Moscou, il passe pour
communiste – ses ouvrages seront d'ailleurs interdits en Allemagne car
taxés de bolchévisme. Cependant, en 1936, il fait des démarches pour
exposer ses thèses à Mussolini et en 1941, il s'installe à Vichy à la suite du
gouvernement du Maréchal Pétain, jugeant que grâce à ce dernier, « Tout
est sauvé et l'action est dans le pays ». S'attendant sans doute à ce que ce
type de compliments et sa place de conseiller auprès du gouvernement
collaborationniste lui valent un blanc-seing pour tous ses projets, Le
Corbusier est fort dépité lorsque son plan d'urbanisme pour Alger est rejeté,
et il tourne le dos au Maréchal.
Il fréquente alors les milieux d'extrême droite et son attitude envers les
Juifs est pour le moins énigmatique puisque dans les lettres qu'il écrit à sa
mère, il semble parfois déplorer le sort qui leur est réservé, avant d'estimer
qu'ils en sont « en partie responsables ». Les Américains n'ont pas
davantage ses faveurs puisqu'il les définit en ces termes : « Pas de tête, pas
de cœur, pas de couilles. » Ce qui ne l'empêche pas de proposer ses services
au président Roosevelt, qu'il appelle malencontreusement Rockfeller.
Jusqu'à aujourd'hui, nombre d'intellectuels se disputent sur son cas, ses
détracteurs lui reprochant sa fascination pour les régimes fascistes et
qualifiant ses constructions de totalitaires, tandis que ceux qui le défendent
cultivent l'euphémisme en parlant d'ambiguïté. Loin de ce débat, une vérité
s'impose : Le Corbusier a su réinventer la notion d'opportunisme.
Bernard-Henri Lévy (1948)

Écrivain, philosophe, éditeur, homme d'affaires, dramaturge, cinéaste,


professeur des universités et ancien ministre des affaires touristico-
militaires de Nicolas Sarkozy. Touche-à-tout indéfinissable, BHL est un
irrésolu aux talents multiples qui semble décidé à laisser une trace dans un
nombre infini de disciplines. S'agissant du 7e art, c'est fait, puisque son film
Le jour et la nuit est déjà – et à juste titre ! – culte dans la catégorie des
pires nanars de l'histoire du cinéma.
Son parcours est jalonné d'échecs retentissants, et finalement, sa plus
grande réussite est le personnage qu'il s'est créé ; mélange du dalaï-lama et
de Jack Bauer, toujours là où ça pète en attendant qu'on lui décerne enfin le
prix Nobel de la paix.
Tout le monde connaît cet auteur prolifique, mais nombreux sont ceux
qui se sont arrêtés aux portes de son œuvre, craignant sans doute de ne pas
être en mesure d'en apprécier pleinement toutes les subtilités. Comme nous,
vous êtes passés à côté de Bangladesh, Nationalisme dans la révolution, et
de La Barbarie à visage humain. Vous avez également fait l'impasse sur Les
Aventures de la liberté, une histoire subjective des intellectuels, et sur ses
Réflexions sur la Guerre, le Mal et la fin de l'Histoire. Mais rassurez-vous,
la lecture de ses analyses géopolitiques et essais philosophiques n'est pas la
seule façon d'accéder à la pensée profonde de BHL. Les archives du Web
sont un excellent moyen d'avoir accès aux propos du philosophe dans leur
expression la plus pure, notamment grâce à une vidéo tournée alors qu'il se
faisait entarter pour la énième fois. Debout, le pied posé sur le fautif
solidement maintenu au sol par des âmes charitables, il a laissé à la
postérité ces mots dont chacun mesurera la portée : « Lève-toi ! Lève-toi
vite, ou je t'écrase la gueule à coups de talon ! » Où qu'il soit, Desproges en
rit sans doute encore.
Charles Lindbergh (1902 – 1974)

Il entre dans la légende en devenant le premier aviateur à relier Paris à


New York, sans escale et en solitaire, en mai 1927. Après avoir séduit
l'Europe entière, Lindbergh rentre chez lui et reçoit le prix de l'Aigle royal,
symbole des États-Unis, ainsi que la Medal of Honor, plus haute distinction
militaire de son pays.
En 1929, celui que l'on appelle l'« aigle solitaire » épouse une jeune
poétesse qu'il initie au pilotage. Elle devient à son tour une aviatrice
chevronnée et participe avec lui à plusieurs raids, avant de battre le record
de vitesse de la traversée des États-Unis. Le malheur s'abat sur le jeune
couple un soir de mars 1932, lorsque leur fils est kidnappé. Il est âgé de
20 mois et sera retrouvé mort près d'un an plus tard. Un coupable sera arrêté
et exécuté en 1936, mais entre-temps, plus de 200 personnes à la santé
mentale douteuse auront revendiqué ce que l'on nomme alors « le crime du
siècle ». Très éprouvé par cette épreuve et par l'incessant battage médiatique
qu'il suscite, le pilote quitte les États-Unis pour s'installer en Angleterre
avec sa famille.
Quelques mois plus tard, l'ambassade américaine l'envoie en Allemagne
afin d'y effectuer un rapport sur la Luftwaffe. Nous sommes en 1936 et
durant cette période pourtant un tantinet tendue de l'entre-deux-guerres,
Lindbergh s'enthousiasme pour l'aviation allemande qu'il qualifie
d'invincible. Un nouvel aigle vient orner sa poitrine : l'Aigle allemand que
lui remet l'aimable Göring. Enchanté du bon accueil qui lui a été réservé et
grisé par toutes ces festivités, Lindbergh en profite alors pour qualifier
Hitler de « grand homme ».
En 1940, de retour dans son pays natal, il devient l'un des leaders du
mouvement America First, qui milite ardemment contre l'entrée en guerre
des États-Unis. Lorsque le président Roosevelt lui demande de renvoyer ce
qu'il nomme « la médaille de la honte », c'est-à-dire celle remise par
Göring, Lindbergh choisit de conserver sa breloque et démissionner de son
poste de colonel du United States Department of War.
Pour saluer sa traversée de l'Atlantique, Paul Vaillant-Couturier avait
écrit : « Des millions et des millions d'hommes aujourd'hui des deux côtés
de l'océan vont se sentir plus voisins les uns des autres, plus fraternels… »
Force est de constater que l'aviateur n'a plus rien d'une colombe de la paix
lorsqu'il déclare à la radio en mai 1941 : « Qui sont les agitateurs
bellicistes ? – Les Britanniques, les Juifs et l'administration Roosevelt. »
L'attaque de Pearl Harbor finira par le convaincre que l'entrée en guerre
des États-Unis n'est peut-être pas une si mauvaise idée. Hélas, il est un peu
tard pour redevenir patriote, d'autant plus que le gouvernement n'a que très
modérément goûté au comique de ses propos, et ne l'autorise plus à intégrer
l'US Air Force. Devenu consultant auprès de constructeurs aéronautiques, il
parvient toutefois à effectuer quelques missions dans le Pacifique, sa
hiérarchie ayant sans doute estimé qu'il n'avait que peu de chances d'y
croiser des amis germaniques susceptibles de lui faire à nouveau retourner
sa veste.
Après de longues considérations, Lindbergh en vient à la conclusion qu'il
vaudrait mieux faire oublier son statut d'ancien groupie du Führer pour
retrouver celui de héros national, et il publie le récit de sa traversée de
l'Atlantique, qui sera couronné par le prix Pulitzer en 1954.
En plus des six enfants qu'il a eus avec son épouse, Charles Lindbergh en
a conçu sept autres avec trois femmes différentes, dont deux sœurs
allemandes qui n'en ont rien su (le manque de discernement semble être le
fil rouge de cette histoire). La patience de Mme Lindbergh ayant ses limites,
ceci explique probablement que, contrairement aux vœux de son mari, elle
ait refusé de reposer à ses côtés.
Patrice de Mac-Mahon (1808 – 1893)

Avant d'être une avenue, Mac-Mahon fut d'abord un homme. Issu d'une
famille de militaires, il étudie à Saint-Cyr et entre dans l'armée à 19 ans. Il
se distingue par sa bravoure dès la première expédition à laquelle il
participe – celle d'Alger, en 1830 – et est unanimement salué comme grand
chef militaire après la guerre de Crimée, qui le voit triompher lors du siège
de Sébastopol (qui avant de s'unir avec Mlle Réaumur pour devenir une
station de métro, était une ville russe).
C'est en 1859, après sa victoire à Magenta (qui avant d'être un boulevard,
était une ville du nord de l'Italie), qu'il est nommé duc du même nom, et
élevé au rang de maréchal. Nommé gouverneur d'Algérie à partir de 1864, il
entreprend des réformes qui suscitent un tel tollé qu'il présente deux fois sa
démission. Rappelé en France, il participe à la guerre franco-prussienne en
1870, essuie plusieurs défaites en Alsace, est finalement blessé puis fait
prisonnier lors de la bataille de Sedan. Qu'à cela ne tienne, aussitôt libéré, il
est nommé commandant en chef de l'armée versaillaise, chargée de réprimer
la Commune de Paris. En seulement quelques jours, il a raison des insurgés,
qui seront, selon leur karma, fusillés, emprisonnés, ou envoyés au bagne.
Cet épisode, nommé « semaine sanglante », vaut une immense popularité au
distingué militaire. Il faut dire qu'entre la monarchie, la Terreur et l'Empire,
les Français n'ont eu qu'une expérience fugace de la démocratie. Pour
remercier Mac-Mahon (qui n'est pas encore un cinéma), l'Assemblée l'élit
troisième président de la République française en 1873. Il pense alors
n'occuper cette fonction que durant le laps de temps précédant la
Restauration ; malheureusement pour lui, aucun roi ne viendra le remplacer
et bon an mal an, il gouvernera jusqu'en 1879, année où il démissionne, la
France honorant déjà sa future réputation de pays ingouvernable.
Mac-Mahon ne s'est pas contenté de faciliter durablement la tâche du
conseil municipal de Paris, l'auteur du fameux « J'y suis, j'y reste »,
prononcé après la prise de Malakoff (qui avant d'être une avenue était une
forteresse en Crimée), a laissé autant de citations célèbres que de victoires
accolées à son nom. Ainsi, il aurait déclaré : « La fièvre typhoïde est une
maladie terrible. Ou on en meurt, ou on en reste idiot. Et je sais de quoi je
parle, je l'ai eue. » 1
Mata Hari (1876 – 1917)

La simple prononciation de ces quelques syllabes nous plonge dans un


abîme… Le début du XXe siècle et ses brumes, les soldats allemands et leurs
casques à pointes, Paris et ses ruelles ou ses estaminets enfumés… La
guerre ne se fait pas uniquement dans les tranchées. Le siècle s'ouvre sur un
conflit fratricide. L'Europe explose comme un œuf trop longtemps couvé.
La France et l'Allemagne vont se saigner et trancher dans le vif. C'est
l'heure de toutes les horreurs et au cœur de cette guerre, au centre de cette
boucherie, les espions, véritables équarrisseurs du silence, trouvent un rôle
à leur mesure. Parce que la guerre est aussi une affaire d'informations
volées sur des oreillers en sueur…
Mata Hari, malgré elle, va devenir l'icône des alcôves. Le mythe fait
d'elle l'espionne idéale, la femme fatale qui dégrafe les galons des officiers
avant de faire d'eux des troufions bavards, vantards diserts, donneurs de
plans secrets sous la caresse experte… Mais la grande Mata Hari n'est en
fait qu'une victime de plus de la Grande Guerre et surtout la femme-objet
par excellence. La vérité, c'est que c'est sans doute l'espionne la plus nulle
de toute l'histoire ! Pour faire simple, Mata Hari, de son vrai nom
Margaretha Geertruida Zelle, née aux Pays-Bas en 1876, n'est en fait qu'une
prostituée de luxe, vaguement, timbrée et mystique – ce qui revient souvent
au même – qui se fera passer pour une spécialiste des danses rituelles
hindoues, au point de prendre le pseudonyme qu'on lui connaît…
Mais commençons par le début. Margaretha est en fait une sacrée petite
coquine qui aime les hommes riches. Jusque-là, rien de vraiment
extraordinaire. Elle enchaîne les coups de reins utiles jusqu'à rencontrer un
certain Rudolph MacLeoden, qu'elle épuisera et quittera en 1902, lui
léguant ses deux enfants qu'elle n'est pas décidée à élever, préférant s'élever
elle-même dans les hautes sphères d'une société où les femmes de son
espèce ont toutes les chances de se faire un nom. Elle enchaînera les
relations torrides avec de jeunes officiers fascinés par sa capacité à ne
jamais dire non. En 1905, elle décide de se lancer dans une carrière de
danseuse… Mais pas n'importe quelle danse ! Il s'agit d'une sorte de strip-
tease sophistiqué, soi-disant inspiré d'un rituel magico-religieux des
lointaines Indes. Elle change alors de nom et se fait appeler Mata Hari.
Les hommes tombent comme des mouches devant cette espèce de
mythomane hirsute qui n'a de cesse de se déhancher en se prenant pour une
sorte de déesse de l'Amour. À moitié nue, le regard torve, le derrière en
mouvement pour un oui ou pour un nom, la voilà qui fait son trou dans la
haute société… Mais la guerre éclate, et les hommes deviennent soudain
moins enclins à se laisser endormir par cette folle. Ils décident d'utiliser ses
dons de péripatéticienne. Elle est recrutée par les services secrets allemands
en 1916. On l'envoie à Paris, ville de toutes les débauches. On lui donne
20 000 francs, et la voilà devenue l'agent secret H21. À peine arrivée,
l'imbécile tente de rejoindre un amant de cœur à Vittel, le lieutenant russe
Vadim Maslov… Pour ce faire, elle demande un sauf-conduit aux autorités.
Le chef des services secrets français, qui sait pertinemment à qui il a affaire,
la recrute immédiatement, certain qu'il est qu'elle travaille pour les
Allemands ! On a de quoi se poser des questions quant aux talents
d'espionne de la bougresse… Mais ce n'est qu'un début. Pensant enfumer
son monde, elle séduit l'attaché militaire du Kaiser en Espagne, un certain
Hans von Kalle, pour le compte des services français… Mais le dignitaire
n'est dupe de rien. En fait, personne n'est dupe et tous les services s'amusent
de sa relative expertise en matière de renseignements… Le SRC, service
français de renseignement militaire, s'amuse à tromper la pauvre couillonne
qui est persuadée de manipuler tout ce petit monde. Elle enchaîne les
missions, pensant accumuler les points de retraite dans toutes les langues.
Mais plus dure est la chute…
Le 13 février 1917, elle est emprisonnée. Elle n'a donné aucun
renseignement à ses multiples employeurs. Rien. Nada. En fait, pour donner
l'exemple et sans doute aussi pour montrer à l'opinion publique – et aux
poilus ! – qu'à l'arrière du front, les dirigeants et les bourgeois de la Belle
Époque ne font pas que copuler dans les salons, les autorités françaises
prennent la décision de la faire exécuter pour haute trahison. C'est chose
faite le 15 octobre, dans une mise en scène qui ne laissera rien au hasard.
Certains affirment que la pauvre est juste une victime, un bouc émissaire.
Pour notre part, nous pensons qu'elle est une conne comme une autre qui
aura eu le tort de se croire moins conne que les autres… ou plus maligne, ce
qui revient au même. Mata Hari, espionne bidon mais génie du CDD.
Molière (1622 – 1673)

Un des plus grands auteurs de tous les temps, paraît-il. On parle même de
la langue de Molière quand on parle de la langue française…
Exemple de langue de Molière :
« J'ai couru jusqu'à quand ce que je pouvais… »
Franck RIBÉRY
Napoléon (1769 – 1821)

Génie pour les uns, boucher pour les autres, le grand Napoléon reste une
énigme morale pour tous. Il fascine par-delà les siècles, et dans le monde
entier. L'Empereur incarne le génie militaire, la conquête, tout autant que la
chute et l'exil. Sa trajectoire d'étoile filante laisse béat d'admiration et
d'effroi. Il aura sabré l'Europe, saigné la moitié du globe, vaincu les plus
grands et défait l'Ancien Monde. Fils d'une révolution humaniste, il est
celui avec qui s'ouvre une ère nouvelle, celle d'un monde qui coupera dans
la chair pour tailler des trônes éphémères. Il inspirera autant les fous
sanguinaires que les progressistes éclairés. Sa connerie est justement là : on
ne sait toujours pas à qui on a affaire, et même les plus grands spécialistes
ont du mal à juger, malgré les innombrables débats qu'il provoque…
Napoléon ou le génie du flou artistique…
Pour preuve ? Il fera voter une loi qui interdit à quiconque d'appeler son
cochon Napoléon… Le grand homme, travailleur infatigable et maître de
l'univers connu à son époque, aura trouvé le temps de conquérir un
continent jusqu'alors inexploré : la connerie paradoxale. Comme quoi,
boucher ou pas, pour Napoléon, tout n'est pas bon dans le cochon.
Aristote Onassis (1906 – 1975)

Fils d'un riche marchand de tabac établi à Smyrne, le jeune Aristote


Onassis est forcé de s'enfuir lorsque les Turcs prennent la ville en 1922. Sa
famille est ruinée et il n'a que 50 dollars en poche lorsqu'il embarque sur un
paquebot pour Buenos Aires, où il exerce des petits métiers pour survivre.
C'est bien le seul moment de sa vie où son histoire ressemble à celle
d'autres émigrés, car peu de temps après, il se lance dans l'importation de
tabac avec un tel succès que cinq ans plus tard, il a déjà gagné son premier
million de dollars. Viennent ensuite le sel, l'huile, l'alcool ; tout est bon à
vendre, y compris les marchandises déclarées endommagées, si l'on en juge
par les nombreux procès pour fraude à l'assurance qui s'accumulent contre
lui. Lorsqu'il achète six cargos canadiens, il les fait immatriculer au Panama
et invente alors le pavillon de complaisance, qui permet de soumettre un
navire à une fiscalité légère. Ce n'est pas le seul fait d'armes d'Onassis, qui
semble prendre autant de plaisir à violer le code du travail que les eaux
territoriales. Convaincu que le pétrole va bientôt gouverner le monde, il
achète d'autres cargos, et fait construire le premier supertanker en 1953. La
nationalisation du canal de Suez vient encore agrandir sa fortune, déjà
colossale. Une époque glorieuse que l'armateur célèbre par des orgies de
caviar et champagne et par des chasses aux cétacés qui sont ni plus ni moins
qu'un massacre de gentilles espèces en voie de disparition. Des bateaux aux
avions, il n'y a qu'un pas, qu'il franchit en fondant Olympic Aviation,
appelée à devenir la compagnie nationale grecque. Tel Midas, Onassis
change tout ce qu'il touche en or ; pour certains, il est l'incarnation du génie
des affaires, pour d'autres, c'est surtout, un Megalos, surnom dont il est
affublé. Consécration suprême, Hergé s'inspire de lui pour créer le
personnage de Roberto Rastapopoulos, ennemi juré de Tintin et richissime
homme d'affaires doublé d'un trafiquant de drogue et d'esclaves. La seule
personne qui tient tête à Onassis est John Edgar Hoover, le patron du FBI,
qui a accumulé contre lui un énorme dossier recensant tous ses délits. Il
l'empêche de devenir le distributeur exclusif du pétrole d'Arabie Saoudite et
s'offre même le luxe de lui faire faire un petit séjour en prison pour fraude
fiscale.
Avec les femmes, le séduisant Ari est aussi efficace qu'en affaires : à leur
manière, elles doivent toutes lui permettre de réaliser une certaine plus-
value. Sa première épouse est la fille du plus grand armateur grec, autant
dire un excellent investissement. Il la quitte pour Maria Callas, qui lui ouvre
les portes du monde de l'art et avec qui il reçoit la jet-set internationale sur
son yacht, dont il a la délicatesse de confier les plans à l'un des architectes
d'Hitler, probablement moins sollicité depuis la fin de la guerre. Quand
Jackie Kennedy s'annonce parmi ses invités prestigieux, il renvoie la
cantatrice chez elle avec une bonne petite claque sur les fesses – abandon
dont elle ne se remettra jamais. Alors qu'il avait toujours refusé le mariage à
la Callas, il décide d'épouser la veuve du président. Nombreux sont ceux
qui y voient sa façon de se venger des Américains en leur montrant
l'étendue de son pouvoir, et Ted Kennedy veillera à ce que leur union se
négocie à coups de millions de dollars – « Un achat et non un mariage »,
commentera Onassis. Étant donné le train de vie astronomique de l'ex-first
lady, il signe là sa plus mauvaise affaire, et leur hymen tourne rapidement
au désastre. Des amours qu'Onassis commentera en ces termes : « J'ai fait
des erreurs dans ma vie, mais là c'est le pompon. »
Jack Parsons (1914 – 1952)

Chimiste et ingénieur de génie, Jack Parsons est l'un des principaux


acteurs de la conquête spatiale américaine, notamment grâce à ses travaux
sur la propulsion des fusées. À 25 ans, il dirige un laboratoire au sein du
prestigieux Institut de Technologie de Californie, puis intègre l'Aerojet où il
œuvre à la conception de missiles, une responsabilité qui devait largement
occuper ses journées, mais qui ne l'empêche pas de rejoindre l'Ordo Templi
Orientis, une organisation fraternelle et religieuse fondée par un chimiste
allemand spécialisé dans les doctrines de l'occulte. Au sein de l'O.T.O,
chacun pratique sa propre « magie sexuelle », ce qui explique sans doute
qu'Helen, l'épouse de Parsons, soit partie vivre avec le chef de leur groupe,
qui lui a fait un enfant entre deux rituels. N'en prenant pas ombrage – Jack
Parsons est cohérent – il se console avec la jeune sœur d'Helen, et lorsque
cette dernière prend un nouvel amant, les deux couples s'installent ensemble
dans une grande maison qui devient le siège de l'Agape Lodge, loge
californienne de l'O.T.O dont il a pris la tête. Il y donne de grandes fêtes où
il convie ses collègues de l'Aerojet, ce qui ne manque pas d'agacer sa
hiérarchie à une époque où le team building n'est pas encore de mise. Les
choses se gâtent un peu lorsqu'un garçon de 16 ans dépose une plainte pour
viol contre l'un des membres de la loge, déclenchant une enquête de la
police et du FBI. Certes, les orgies sont fréquentes au Lodge, dont tous les
membres consomment alcool et drogues à foison, mais rien ne permet de
conclure à une quelconque menace pour la sécurité nationale et Jack
Parsons poursuit sa vie de patachon et d'ingénieur aéronautique. En 1945, il
délaisse l'O.T.O pour se consacrer à une autre passion, la sorcellerie, et se
fait un nouvel ami, Ron Hubbard, qui explore divers courants ésotériques et
satanistes en attendant de fonder l'Église de scientologie. Au passage,
Hubbard lui pique sa deuxième femme et ses économies, mais pas de quoi
en faire un drame quand on a les idées larges. Moins larges que le
gouvernement américain, qui finit par licencier le scientifique quand il est
trouvé en possession de documents classés « secret défense ». Mais rien ne
semble démoraliser Parsons qui prend une troisième femme et poursuit ses
travaux dans son garage.
Hélas, alors qu'il manipule des explosifs, il fait malencontreusement
exploser la moitié de sa maison et une bonne partie de sa personne. Dans un
désordre assez conforme à son existence, son épouse apprend la nouvelle
d'un journaliste en rentrant du supermarché, et sitôt informée, sa mère se
suicide. On comprend que la NASA ait tendance à faire du tri sélectif
lorsqu'elle évoque le parcours de ce précieux contributeur.
Le Père Noël

De plus en plus tôt chaque année, villes et villages se parent de leurs plus
beaux atours, de superbes lumières et décorations viennent habiller nos
façades, écourtant nos nuits noires hivernales pour les rendre plus belles,
tandis que nous nous pressons dans des boutiques où Frank Sinatra chante
Jingle Bells. Des semaines durant, nous n'avons qu'une idée en tête : faire
plaisir à nos proches. Point culminant de ces festivités, le 24 décembre, nuit
magique où les enfants ont les yeux qui brillent et le cœur qui bat tandis
qu'ils attendent le merveilleux être qui n'a qu'une fonction : les combler de
cadeaux. Le Père Noël sera bientôt là, et même si on n'a pas toujours été
sage, on sait qu'avec lui, tout est oublié. Il est bon, généreux, connaît nos
moindres désirs et s'efforce de les assouvir, même en temps de crise. Pour
ceux qui sont visités au début de sa tournée, c'est après un repas de fête
qu'ils découvriront les paquets mystérieux qu'il a laissés au pied du sapin ;
pour les autres, c'est le lendemain matin, après une nuit forcément courte et
chargée de tous les espoirs. Nous serons bientôt le 25 décembre et dans une
grande partie du monde, grâce à ce vieillard joufflu et bienveillant, les
enfants rêvent et la vie est douce.
De plus en plus tôt chaque année, villes et villages succombent à une
folie consumériste exigeant que l'on achète tout et n'importe quoi. La
moindre échoppe ou administration nous rappelle que c'est la fête grâce à
un mini-sapin en plastique ployant sous une guirlande électrique qui
clignote péniblement. Aller chez le boucher prend une heure car devant
nous, une cliente n'en finit pas d'hésiter entre une poularde et un chapon
farci, et quand nous pouvons enfin demander notre steak haché, un regard
méprisant vient récompenser notre patience. Dans les centres commerciaux
bondés, un vieil intermittent du spectacle grimé en Père Noël sème le
trouble chez nos enfants. À peine savent-ils parler qu'ils nous assaillent de
questions nous forçant à leur mentir. « Mais comment il fait pour aller chez
tout le monde en une nuit ? Et quand y a pas de cheminée ? Et sa femme,
elle est morte ? Ils ont quel âge, ses rennes ? » À force de persévérance et
de comptes-épargne sacrifiés, au terme d'un repas indigeste qui nous a
forcés à côtoyer les membres de la famille qu'on évite toute l'année, vient le
moment où l'on offre ses cadeaux à ceux qui feront semblant de les
apprécier, tandis que nous feignons d'ignorer que dès le lendemain, ils
seront revendus sur eBay. Pendant ce temps, les gens seuls sont plus seuls
que jamais, le monde croule sous des conflits que personne ne peut résoudre
et nos problèmes demeurent entiers. Quant à cet égoïste de Père Noël, il
continue de se la couler douce au pôle Nord tandis qu'on se tue à faire son
boulot. Quel con !
Raymond Queneau (1903 – 1976)

Après de brillantes études de philosophie, Raymond Queneau rejoint le


groupe des surréalistes dont il est exclu en 1930, ce qui est plutôt à mettre à
son actif si l'on en juge par le nombre d'artistes prestigieux dont André
Breton prononcera la disgrâce. Les talents du jeune Normand sont
nombreux, et après avoir publié un premier roman, il exerce le métier de
journaliste, puis celui de traducteur aux éditions Gallimard, avant de se voir
confier la direction de La Pléiade. Tout en enchaînant les publications, le
touche-à-tout génial devient parolier puis scénariste, toujours avec le même
succès. Paru en 1947, son ouvrage Exercices de style est un parfait exemple
de la façon à la fois virtuose et ludique dont il envisage la littérature ;
l'écrivain y décline 99 fois la même histoire en y changeant tour à tour le
style, la structure ou la sonorité des mots. Ce texte illustre son humour, mais
aussi son goût pour les sciences, et après avoir adhéré à la Société
mathématique de France, Queneau prend le parti de construire ses œuvres
sur des règles arithmétiques. Étant donné le chemin qu'il était en train de
prendre, on peut émettre deux hypothèses sur l'état dans lequel se trouvaient
ses pairs le jour où ils l'ont élu à l'Académie française. Soit ils étaient
d'humeur étonnamment novatrice, soit ils étaient tout simplement ivres
morts. Dans les deux cas, ils seront servis dès 1960, année où Queneau
s'associe avec François le Lionnais pour créer l'Ouvroir de Littérature
Potentielle, plus connu sous le nom de l'Oulipo. Le dessein de ce club
d'écrivains et de mathématiciens est de stimuler leur créativité en se posant
des contraintes formelles, toutes plus exigeantes et folles les unes que les
autres. Sur sa lancée, Queneau publie Cent mille milliards de poèmes, un
livre qui invite le lecteur à créer lui-même des sonnets grâce au découpage
de quatorze pages en dix bandes dont chacune comporte un vers. À partir
du choix d'un vers, il existe dix autres possibilités pour le suivant, et ainsi
de suite, soit 1014 poèmes. Gageons que ces messieurs de l'Académie ont dû
apprécier cette petite fabrique du poème faisant de n'importe quel lecteur à
l'index agile un Baudelaire inspiré.
La passion de Queneau pour le langage l'a également amené à faire des
propositions de réforme de l'orthographe, et il est à craindre que celles-ci
aient mis ses confrères dans un tel état que leur espérance de vie s'en est
probablement trouvée réduite, malgré leur surnom d'immortels. En effet,
Queneau estimait que le français écrit est une langue morte, et qu'il serait
plus logique de créer une nouvelle langue, le néo-français, combinant le
langage parlé à une orthographe phonétique. Ainsi, un hors-la-loi devient
un « orlaloua », mais le but n'est pas toujours la simplification, puisque de
simples conclusions deviennent des « concluzillons ». En ouvrant son
roman Zazie dans le métro par la phrase « Doukipudonktan, se demanda
Gabriel excédé », Queneau signe lui-même l'arrêt de mort de sa réforme,
l'effet produit étant bien trop comique pour conférer à sa proposition la
moindre légitimité. À la fin de sa vie, il reconnaît s'être fourvoyé dans cette
voie et s'éteint paisiblement, sans imaginer une seconde que quelques
décennies plus tard, l'apparition du langage SMS fera de sa vision la
prémonition d'un monde où toufoulcan.
Paco Rabanne (1934)

Au panthéon des génies de la mode, Paco Rabanne tient une place de


choix. Il aura innové comme très peu de ses coreligionnaires, et l'utilisation
de matières jusque-là jamais employées en couture – métal, tablier de
boucher, cottes de mailles… – a fait de lui l'un des créateurs les plus
admirés de son temps. On s'est arraché le prodige au cinéma, au théâtre, et
ailleurs. Cet esprit débridé, ouvert à toutes les influences, a néanmoins fait
et dit pas mal de conneries. Mystique, au point d'en être complètement
illuminé, il a affirmé se souvenir de toutes ses vies antérieures, ce qui est
déjà un bon début. Dans le désordre, il fut donc : maîtresse de Louis XIV,
grand pote de Jésus, assassin de Toutankhamon, prostituée au XVIIe siècle…
Bref, on en passe et des meilleures, et même s'il nous est difficile de
démontrer le contraire, on a du mal à le croire sur parole quand il affirme
avoir rencontré Dieu à trois reprises. On peut légitimement se demander
pourquoi Dieu a voulu rencontrer Paco Rabanne, mais apparemment le
couturier ne s'embarrasse pas de ce genre de questions… Pour lui, tout
semble évident et simple. Il ira jusqu'à annoncer la fin du monde en 1999, et
de quelle manière ! C'est pas compliqué : la station Mir va se crasher en
France, le 11 août 1999, jour de l'éclipse du soleil. Paf ! Un gros trou dans
Paris, des gens qui hurlent et qui se jettent dans la Seine en se tirant les
cheveux… C'est la Vierge qui lui aurait filé le tuyau, mais comme il n'est
pas homme à tout gober sans vérifier, il aurait bossé de son côté pour
croiser les infos. Sa conclusion est sans appel : fin du monde, via Paris.
Vous vous demandez sans doute comment à partir de la chute d'une station
spatiale à un point précis du globe – catastrophe déjà suffisamment chiante
à digérer en soi –, on en arrive à l'extinction de la race humaine ? Lui, pas.
Encore une fois, M. Rabanne ne se prend pas la tête avec les détails. Droit
dans ses bottes, le lendemain de la « non-apocalypse », il dira simplement,
en substance : « Ah ben merde, je me suis trompé… »
Une dernière connerie de Paco pour la route ? Il a habillé Mylène Farmer.
Raymond Radiguet (1903 – 1923)

Avec Radiguet, nous sommes dans la catégorie « jeunes génies que


Cocteau a parrainés ». Leur liaison n'est pas du tout avérée, il s'agit a priori
d'une véritable histoire d'amitié, parfois houleuse… Bref, le jeune homme
va mourir à vingt ans, mais en nous laissant deux grands romans : Le diable
au corps et Le bal du comte d'Orgel. L'œuvre de Radiguet est presque
« classique » dans sa forme, malgré ses lectures et ses fréquentations (il
croise toute l'avant-garde et a lu Lautréamont). Sa maturité stylistique est
sidérante. Radiguet a fait confiance jusqu'au bout à Cocteau, puisque même
dans le choix de son médecin traitant, il se laissera guider. Grosse connerie !
Radiguet tombe malade et le praticien ne diagnostique pas la fièvre
typhoïde qui ronge le jeune homme. Pas vraiment inspiré, le disciple
d'Hippocrate… Le jeune Raymond meurt le 12 décembre 1923. Sa longue
agonie sera décrite plus tard par le très pudique Cocteau dans sa préface du
Bal du comte d'Orgel, publié donc à titre posthume, et dont il aura corrigé
les épreuves. (Cela étant, c'était un peu la moindre des choses…) Quelques
mois avant de mourir, Radiguet avait décidé de se prendre en main et de
vivre plus « sainement ». Dans les dernières pages du Diable au corps, il
avait écrit : « Un homme désordonné qui va mourir et ne s'en doute pas met
soudain de l'ordre autour de lui… » Belle intuition… Comme quoi on peut
être visionnaire de la plume et aveugle en amitié, parce que s'il avait douté
une seconde de son mentor, il aurait choisi lui-même son médecin. Va
savoir, il serait peut-être tombé sur un ancêtre du docteur House. On a le
droit de douter de tout, il n'est pas forcément anglo-saxon, le docteur House.
Il a peut-être des origines françaises. De toute façon, la leçon à tirer de la
courte vie de Radiguet est bien celle-là : en médecine comme en tout, deux
avis valent mieux qu'un.
William Shakespeare (1564 – 1616)

Un des plus grands auteurs de tous les temps, paraît-il. On parle même de
la langue de Shakespeare quand on parle de la langue anglaise…
Exemple de langue de Shakespeare :
« Win, the yes… need the no, to win against the no… »
Jean-Pierre RAFFARIN
Dominique Strauss-Kahn (1949)

Ministre à plusieurs reprises, professeur d'économie à HEC, l'ENA et


l'université de Stanford, maître du monde au FMI, il sort du lot, tant en
génie qu'en connerie, et sans que ça ait le moindre rapport avec ce à quoi
vous pensez. En 2011, Canal + lui consacre un long reportage qui est aussi
une vaste entreprise de communication pour le probable candidat à la
présidentielle qui aura lieu l'année suivante. Conscient d'incarner la gauche
caviar, habitué qu'il est aux palaces et jets privés, il nous montre comment il
gère ses petits soucis d'intendance dans une tentative quasi désespérée –
mais louable – de banaliser sa personne. Parce qu'il est comme nous, Dom :
il porte lui-même ses valises. Seul face à la caméra, il extrait d'une housse
un costume et nous explique son petit secret de VRP pour le défroisser dans
une chambre d'hôtel. Comme quoi certains lieux lui ont toujours porté la
poisse. L'homme voyage beaucoup, son emploi du temps est surchargé, et
dans certains pays, le service repassage laisse à désirer. Le reportage atteint
ici son climax. Tout guilleret, il nous explique qu'il faut d'abord mettre le
costume sur un cintre, l'accrocher au-dessus de la baignoire, ouvrir le
robinet d'eau chaude à fond, tirer le rideau, puis laisser couler pendant une
demi-heure. La vapeur fera le boulot. En gros, l'homme qui a en charge la
gestion de l'économie mondiale et qui est censé être au courant de deux ou
trois trucs liés à la diminution des ressources naturelles, nous apprend
comment gaspiller encore plus vite les réserves d'eau de la planète. Les
Africains et les écolos ont dû adorer ; les écolos africains encore plus. À
moins que ce ne soit un petit clin d'œil aux écologistes qui projetaient déjà
d'entrer dans son futur gouvernement.
On avait dit qu'on n'en parlerait pas, mais un mois plus tard, il complète
son C.V. de grand communiquant dans une autre chambre d'hôtel. C'est
encore un problème de ressources, mais cette fois, il s'agit de ressources
humaines. DSK, ou l'art de faire le buzz entre deux avions. On est fan.
Adolphe-Frédéric de Suède (1710 – 1771)

Lorsque le prince-évêque de Lübeck accède au trône de Suède, son pays


a renoncé à la monarchie absolue au profit du régime parlementaire, ce qui
ne lui laisse aucun pouvoir. Le jeune roi meuble donc son temps et les
chambres de son château en faisant quatre enfants à son épouse, la princesse
Louise-Ulrique de Prusse. Celle-ci ne se satisfait pas du statut décoratif de
son conjoint et en 1755, elle le pousse à tenter de se libérer de la tutelle du
Riksdag, le parlement suédois et finlandais. C'est un échec. Quelque temps
plus tard, sous l'influence de son fils aîné, Adolphe-Frédéric réitère ; sa
seconde tentative est la bonne, mais elle ne lui donne toujours pas les
moyens de gouverner. Sachant que le roi avait pour passion la confection de
tabatières, on peut imaginer que la situation ne le chagrinait guère et que s'il
n'avait pas été poussé par l'ambition de sa femme et de son fils, il se serait
probablement satisfait de son sort. A-t-il souhaité se délivrer de leur
domination ? Toujours est-il qu'il trouve le moyen de se débarrasser d'eux et
d'entrer dans l'histoire le 12 février 1771, lors d'un petit gueuleton organisé
au palais. Il y déguste du caviar, des huîtres, du homard, des harengs et
autres poissons fumés, puis comme l'appétit vient en mangeant, il enchaîne
avec une bonne petite choucroute. Le tout arrosé de champagne – on est
quand même à la cour de Stockholm. Le fromage faisant défaut, il passe
directement au dessert ; ça tombe bien, ce sont des semlor, sa petite
faiblesse ! Cette pâtisserie typiquement suédoise se compose d'une brioche
remplie de crème fouettée et de pâte d'amande. Chez nous, chacun de ces
ingrédients est un dessert en soi, mais il fait froid en Suède. Cette petite
douceur représente environ 600 calories, mais il fait très froid en Suède, et
pour être sûrs que ça tienne bien au corps, les Suédois mangent leur semla
trempée dans du lait chaud. Et ce soir-là, le roi achève son repas en
mangeant quatorze semlor. Ce qui devait arriver arrive, et après s'être bien
régalé, le roi meurt d'une indigestion. Adolphe-Frédéric de Suède a réussi
un coup d'éclat en accédant à l'immortalité en une soirée, mais accusées
d'avoir causé la mort du roi, les pauvres petites brioches fourrées seront
interdites dans le royaume pendant une trentaine d'années, et ça, c'est
impardonnable.
Charles Trenet (1913 – 2001)

Certes, la vie de celui qui est considéré comme un génie de la chanson


française n'a pas toujours été facile, mais la nôtre non plus, et il n'y est pas
pour rien. Est-ce que quelqu'un aurait l'amabilité de nous expliquer en quoi
écrire « Y a d'la joie, Bonjour bonjour les hirondelles » permet d'accéder à
la postérité ? Idem pour : « Boum ! Quand notre cœur fait boum ! », dont le
premier couplet est sujet à diverses interprétations psychanalytiques :
La pendule fait tic tac tic tac.
Les oiseaux du lac font pic pic pic pic.
Glou glou glou font tous les dindons.
Et la jolie cloche ding din don.
Cette même question nous taraude s'agissant de : « Je chante, Sur les
chemins, Je hante les fermes et les châteaux, Un fantôme qui chante, On
trouve ça rigolo. » Notre désarroi atteint son paroxysme en écoutant :
« C'est un jar-din ex-tra-or-di-nai-re, Il y a des ca-nards qui par-lent an-
glais, J'leur donn' du pain ils re-muent leur der-rière, En m'di-sant : Thank
you, ve-ry much Mon-sieur Tre-net. » Que les canards français de souche
parlent anglais, à la rigueur, mais comment connaissent-ils son nom ?
Après être tombé dans l'oubli, le Fou chantant a été réhabilité par
François Mitterrand, dont l'ouvrage de référence était pourtant les Mémoires
du Cardinal de Retz. On est complètement paumés.
Le U a toujours été un génie incompris…
François Vatel (1631 – 1671)

Après avoir fait ses classes chez un pâtissier-traiteur, François Vatel


commence sa carrière à 22 ans chez Nicolas Fouquet, fraîchement nommé
surintendant des Finances par Mazarin, alors régent du jeune Louis XIV.
Les qualités du talentueux cuisinier le hissent rapidement au rang de maître
d'hôtel ; c'est donc lui qui est chargé d'organiser le fabuleux festin qui sera
servi au roi et à sa cour lors de l'inauguration du château de Vaux-le-
Vicomte, le 17 août 1661. Molière et Lully ont, quant à eux, été chargés du
programme de divertissement, et à la fin du repas est servie une crème
fouettée sucrée qui ne porte pas encore le nom de crème Chantilly et n'est
pas non plus l'invention de Vatel, mais n'en régale pas moins les centaines
d'invités. La suite est bien connue : Louis XIV vit comme un affront le faste
déployé par son surintendant qui, en une soirée, vient de faire passer sa
table royale pour une cantine populaire. Quelques jours plus tard, il charge
d'Artagnan d'arrêter Fouquet. Accusé de malversations, ce dernier passera
le reste de sa vie derrière les barreaux. Craignant d'être également
emprisonné, Vatel s'enfuit en Angleterre, mais revient en France pour servir
le Prince de Bourbon-Condé dans son château de Chantilly.
Dix ans plus tard, celui que l'on surnomme « le Grand Condé » sort enfin
de la disgrâce dans laquelle l'avait plongé son rôle durant la Fronde. La
rénovation de son château vient d'être achevée et comme Fouquet, il invite
Louis XIV à l'inauguration, donnant lieu à trois jours de fête censés sceller
leur réconciliation. Condé charge donc Vatel – rebelote – de composer les
somptueux mets qui honoreront l'événement et la cour.
Ici, on est en droit de se demander si c'est Louis XIV qui a porté la
scoumoune à Vatel, ou l'inverse, à moins que ce ne soit la crème Chantilly –
encore elle – qui soit à l'origine du malheur qui s'abat sur les festivités. Le
premier soir, tout se passe à peu près bien, si ce n'est que la viande manque
à deux tables, en raison de la présence de dizaines d'invités imprévus (le
terme pique-assiette n'existait pas encore).
C'est le lendemain que tout se gâte. Nous sommes le vendredi 24 avril,
jour de carême, et Vatel se doit de servir du poisson. Il a envoyé des
acheteurs dans plusieurs ports, et attend sa livraison à 4 heures du matin. À
8 heures, seuls deux paniers sont arrivés et Vatel, persuadé que son honneur
et sa réputation sont perdus, estime que la meilleure solution est de monter
dans sa chambre, de caler son épée contre la porte et de se jeter dessus avec
enthousiasme, ce qu'il fait au moment même où ses abondantes commandes
affluent vers les cuisines.
À défaut d'avoir inventé la crème Chantilly, en réalité importée d'Italie
par Catherine de Médicis, on peut se demander si Vatel n'aurait pas plutôt
inventé le burn-out, car n'ayant eu que quinze jours pour organiser les
festivités, c'est au terme de douze nuits sans sommeil qu'il a commis son
geste fatal.
Son suicide fait grand bruit parmi ses contemporains, et on en trouve le
récit sous les plumes émues de madame de Sévigné et Saint-Simon, tandis
qu'Alexandre Dumas, après avoir rappelé qu'en cette saison, « grâce à la
fraîcheur de l'atmosphère et à la glace sur laquelle on l'étend, on peut
conserver le poisson trois ou quatre jours », le qualifie d'homme
imprévoyant avec un tel mépris qu'il semble enchanté par son geste.
Le perfectionnisme du grand cuisinier a beau être tout à fait
disproportionné, il n'en demeure pas moins que si la ville de Chantilly jouit
d'un immense prestige, ce n'est ni pour son somptueux château, ni pour ses
Grandes Écuries, ni même pour son parc, création préférée de Le Nôtre,
mais parce que l'histoire a retenu le geste fou de Vatel et lui attribue à tort la
création d'une crème hypercalorique dont on se gave encore quatre siècles
plus tard. On tremble en imaginant quel geste radical aurait commis notre
puriste en découvrant son vulgaire conditionnement dans une bombe sous
pression.
François-Marie Arouet, dit Voltaire (1694-1778)

Si le siècle des Lumières est également appelé « le siècle de Voltaire »,


c'est parce que le philosophe incarne à lui seul ce mouvement visant à
combattre l'intolérance et l'obscurantisme par la diffusion de la
connaissance. Voltaire y prend une large part en collaborant à
l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, mais aussi en rédigeant une œuvre
littéraire comprenant du théâtre, de la poésie, de l'histoire, et des contes
philosophiques, dont les fameux Candide, L'Ingénu, et Zadig (qu'il n'a
jamais fait suivre de son patronyme, contrairement aux déclarations d'un
ancien ministre qui prétend pourtant qu'il s'agit de son livre de chevet). En
son temps, Voltaire est l'écrivain le plus engagé à promouvoir les réformes
politiques et sociales qui commencent à agiter la France, et ses pamphlets
contre le Régent lui valent d'être emprisonné à la Bastille. Souvent censuré,
il passe la majeure partie de sa vie en exil, mais ne renonce jamais à mener
un ardent combat contre le fanatisme religieux. L'affaire Calas, du nom d'un
innocent exécuté sans preuve, est la première injustice à laquelle il
s'attaque, et qui lui inspire son légendaire Traité sur la Tolérance. Après
être parvenu à faire innocenter Calas, le philosophe met sans relâche sa
notoriété au service d'autres condamnés, dont il obtiendra la réhabilitation
au prix de longues années de lutte.
Tout ce qui caractérise la vie de Voltaire est exceptionnel, il fallait donc
que ses amours le soient aussi. Durant quinze ans, il partage la vie de l'une
des femmes les plus remarquables de son temps, Émilie du Châtelet, qui
conjugue les talents de femme de lettres, mathématicienne et physicienne.
La considérant comme son égale, Voltaire participe à ses expériences
scientifiques et l'encourage à traduire Newton. Le philosophe a 50 ans
lorsque débute sa liaison avec l'autre femme de sa vie, qu'il aimera
passionnément jusqu'à son dernier souffle. « Mon âme embrasse la vôtre,
mon vit 1 et mon cœur sont amoureux de vous. J'embrasse votre gentil cul et
votre adorable personne. » Celle qui lui inspire ces mots est-elle une autre
érudite, une actrice jouant dans l'une de ses pièces, une aristocrate
rencontrée à la cour de Frédéric de Prusse, chez qui il séjourne durant trois
ans ?
Que nenni, Marie-Louise Denis est tout simplement sa nièce, la fille de
sa sœur Catherine. « Il n'y a pas de mal à se faire du bien », et « Là où y a
d'la gêne, y a pas d'plaisir », ont écrit deux philosophes moins connus que
Voltaire, mais tout aussi pertinents, et si cette relation incestueuse lui causa
des états d'âme, sans doute les chassa-t-il en méditant ces pensées
profondes. Les amours de Voltaire et madame Denis furent émaillées de
nombreuses brouilles, notamment en raison des infidélités de cette dernière,
mais il sut toujours lui pardonner et l'emmena lorsqu'il regagna la capitale
pour y finir sa vie. Marie-Louise écrivit alors : « Ma santé revient de jour en
jour, mon malheureux oncle y a trouvé la mort, et j'y retrouve la vie. »
Éperdue de douleur, elle se consola en épousant un homme beaucoup plus
jeune qu'elle, ce qui fit rire le Tout-Paris et ulcéra les proches du
philosophe. Elle vendit ensuite la propriété de Ferney où ils avaient vécu
près de vingt ans et où avaient défilé les esprits les plus éclairés d'Europe.
Dans la foulée, elle vendit aussi la bibliothèque et les papiers personnels de
Voltaire à Catherine de Russie. Un autre sacrilège pour les disciples du
philosophe, mais personne ne pouvait s'y opposer puisqu'il avait choisi de
faire d'elle sa légataire universelle. Le miracle de l'amour pour les
romantiques, la définition de l'aveuglement pour les autres.
Lech Wałęsa (1943)

Qui aurait cru qu'un électricien pourrait un jour devenir président de la


République ? Personne. Pourtant, Lech Wałęsa l'a fait. Cofondateur du
syndicat Solidarność en 1980, il défend les ouvriers des chantiers navals
dans une Pologne communiste où les syndicats sont interdits. La grève
gagne l'ensemble du pays, et Wałęsa, qui prône la non-violence, encadre les
grévistes afin d'éviter tout débordement. Il sort victorieux du bras de fer qui
l'oppose au gouvernement, et évite à son pays la guerre civile qui
s'annonçait. C'est grâce à lui qu'est signé l'accord de Gdańsk, synonyme de
considérables avancées sociales mais aussi d'une réforme des institutions.
Après le coup d'État du général Jaruselski, Wałęsa est arrêté et emprisonné,
puis libéré quelques mois plus tard car sa popularité et sa capacité au
dialogue en ont fait un homme indispensable. Lauréat du prix Nobel de la
paix en 1983, il est également décoré des ordres les plus prestigieux aux
États-Unis et dans divers pays européens. Élu président de la République
avec 74 % des voix en 1990, il échoue aux élections suivantes et prend alors
sa retraite. Ce qui ne l'empêche pas de commenter la vie politique de son
pays et du reste du monde.
Et en 2003, c'est la boulette. Alors qu'un journaliste un brin pervers lui
demande si les parlementaires homosexuels devraient être assis au dernier
rang, le sang du brave Lech ne fait qu'un tour. « Oui, près du mur et même
derrière le mur. » Il ajoute : « Je comprends qu'il y ait des gens différents,
différentes orientations et qu'ils ont droit à leur identité. Mais qu'ils ne
changent pas l'ordre établi depuis des siècles. Je ne veux même pas en
entendre parler. Qu'ils le fassent entre eux, et qu'ils nous laissent, moi et
mes petits-enfants, tranquilles. » On imagine la tête des membres du comité
Nobel. Quant à son fils, Jaroslaw, eurodéputé, il est obligé de commenter
cette charmante déclaration qu'il tente vaguement de justifier en rappelant
que son père est d'une autre génération, dont la « mentalité n'arrive pas à
suivre le développement de notre société ». Merci papa ! 1
Xerxès Ier (vers -519 – 465)

Son père Darius Ier le préfère à son fils aîné, et, comme les rois font tout
ce qu'ils veulent, le désigne pour lui succéder sur son trône de roi de Perse
en -485. La révolte gronde alors en Égypte et il y mène une guerre dont il
sort rapidement vainqueur, ce qui lui vaut le surnom de Xerxès le Grand.
Après avoir remporté une autre campagne à Babylone, il lève une immense
armée pour combattre les Grecs, ennemis héréditaires de son père. Il réunit
une flotte de 1200 bateaux, et fait établir un pont flottant en attachant entre
eux plusieurs centaines de ses navires, afin de permettre à son armée de
franchir le détroit de l'Hellespont, plus connu de nos jours sous le nom de
détroit des Dardanelles. Malheureusement, une violente tempête s'abat sur
son fragile édifice, qui ne résiste pas aux caprices de la mer déchaînée.
Notre homme est fou de rage, ou plus simplement, vexé comme un pou. La
suite, nous la connaissons grâce à Hérodote, le plus ancien historien grec
ayant laissé des écrits. Ce dernier nous raconte que pour se venger, Xerxès
envoie des exécuteurs mettre des entraves aux eaux de l'Hellespont, et les
marquer au fer rouge. On se demande comment ils s'y sont pris, mais
passons. Persuadé que la mer est aussi susceptible que lui, le roi des Perses
charge également ses hommes de la fouetter comme s'il s'agissait d'un
vulgaire esclave, tout en lui disant : « Eau amère, ton maître t'inflige ce
châtiment parce que tu l'as offensé sans raison. Le roi Xerxès te franchira,
que tu le veuilles ou non. C'est à juste titre qu'aucun homme ne t'offre des
sacrifices, parce que tu es une eau bourbeuse et salée. » Et toc. La mer n'a
probablement pas exprimé son humiliation avec suffisamment de vigueur,
aussi Xerxès décide-t-il de faire décapiter les ingénieurs qui avaient dirigé
les travaux. Ayant enfin trouvé un spectacle à la hauteur de son courroux,
l'orgueilleux roi repart en guerre ; il réussit à prendre Thèbes et Athènes,
mais sa flotte est à nouveau anéantie, cette fois par Thémistocle. De retour
en Perse, il connaît une ultime défaite, et décide que désormais, il ne
participera plus aux combats. Il meurt assassiné à la suite d'un complot
forgé par l'un de ses ministres. Curieusement, Hérodote n'a pas pris la peine
de justifier qu'un homme aussi sympathique et humble ait pu avoir des
ennemis.
Tata Yoyo (1981)

Nous sommes en 1981 et la France a peur. François Mitterrand vient


d'être élu président de la République et nombreux sont les visionnaires qui
prédisent que bientôt, les chars soviétiques entreront dans Paris. La
résistance s'organise au plus haut niveau, mais craignant de ne pas réussir à
contenir seule une telle invasion, la France se tourne vers l'éternel allié
belge, qui répond à la menace bolchévique par l'envoi de son arme la plus
fatale : Annie Cordy. Elle trouve la solution en choisissant d'interpréter
courageusement le personnage de Tata Yoyo, créé par Gérard Gustin et
Jacques Mareuil. Il s'agit d'une sorte de révolutionnaire armée d'un grand
chapeau qui cache des nattes érectiles, et qui n'hésite pas à faire tournoyer
son parapluie. Bien évidemment, les envahisseurs comprennent qu'il s'agit
en fait d'une arme de destruction massive, tour à tour bouclier ou épée
terrassant l'ennemi. Le texte qui accompagne la menaçante chorégraphie en
dit long sur la froide détermination de Tata Yoyo qui a « des tas d'oiseaux »
dans sa tête (comprenez la bombe atomique) et « même un grelot » (la
bombe à neutrons). Elle a également « une boussole sur le nombril », autant
dire une ceinture d'explosifs qu'elle activera dès l'arrivée du premier char
Porte de Bagnolet. Le résultat ne se fait pas attendre, les belligérants
comprennent qu'ils ne parviendront jamais à assujettir un peuple qui a une
telle alliée, et les chars restent au garage. Victoire ! La France reste un pays
libre et reprendra en chœur ce nouvel hymne à la liberté. Malheureusement,
d'autres pays n'auront pas la chance de pouvoir compter sur la bienveillance
et le courage de Tata Yoyo, et c'est là sa connerie. Où se planquait-elle
quand l'Irak a envahi le Koweït ? Où est-elle, alors que les Russes occupent
une partie de l'Ukraine ? Qu'attend-elle pour aller terrasser Daesh ? Mais ne
soyons pas trop ingrats et relisons son magnifique texte, véritable leçon de
patriotisme. No pasarán, Tata…

Tata Yoyo qu'est-ce qu'y a sous ton grand chapeau


Tata Yoyo, dans ma tête y a des tas d'oiseaux
Tata Yoyo, on m'a dit qu'y a même un grelot
Mais, moi j'aime ça quand ça fait ding ding di gue ding
Comme une samba !
Zinedine Zidane (1972)

Élégant, précis, altruiste : Zidane fut tout ça à la fois et plus encore…


Tellement plus. Pour les amoureux du foot, comme pour ceux qui s'en
foutent royalement, Zidane c'est un mouvement, une chorégraphie et aussi
et surtout un physique, une présence. Le très taiseux Zinedine naît dans les
quartiers nord de Marseille. À La Castellane, ses passements de jambes et
autres roulettes impressionnent les recruteurs qui vont très vite miser sur le
gamin. Il faut dire que le foot français est en berne au milieu des années
1990… Les Cantona et autres Papin ont bien sûr fait le boulot en club, mais
au niveau international, le foot tricolore, depuis Platini, c'est plus vraiment
ça…
Le jeune Zidane a tout pour lui : il est beau, sage, d'origine modeste et
c'est un travailleur acharné. Il veut marquer l'histoire de son sport et
secrètement, il rêve de détrôner le grand Platini. Techniquement, il est au-
dessus du lot, et de loin. Il a ce truc en plus qui fait les grands… Autre
qualité, il est en apparence d'une humilité confondante. Il ne parle que de
travail et d'effort, c'est son credo. Il va séduire plus qu'il ne fascinera. Il n'a
pas le charisme des grands meneurs de jeu et c'est balle au pied qu'il met
tout le monde à l'heure. Ni Pelé, ni Maradona, ni Platini donc, qui furent en
leurs temps de sacrées grandes gueules. Il s'impose par cette espèce de
mutisme souriant qui n'interdit pas la phrase juste et le bon mot. D'ailleurs,
jamais Zidane ne dit de conneries, jamais il ne fait une faute grossière de
français, jamais il ne sera tenté par la déclaration forte ou la sortie brillante.
Zidane est juste dans tout. Il est l'harmonie incarnée. Son corps est au
diapason d'une résonnance mélodieuse. Encore une fois, pas besoin de
connaître ou d'aimer le foot : Zidane peut être vu sans le foot, c'est un
danseur étoile…
Après 98 et le titre de champion du monde, le joueur devient une icône
mondiale. Son transfert de la Juventus de Turin au Real de Madrid sera le
plus cher de tous les temps (il sera largement battu depuis…). L'homme
incarne le gendre idéal en même temps que l'artiste accompli. Pas de
frasques, mais des fresques ! Son parcours est une tapisserie d'exploits…
Platini est presque oublié, la France du foot rigole. Personne pour arrêter les
Bleus quand Zizou a le ballon. Les titres s'enchaînent, il gagne tout et
surtout il fait tout gagner à ses coéquipiers. La retraite internationale est
amplement méritée et tous s'inclinent devant une telle décision. Le petit
Kabyle qui se dira Français et fier de l'être, aura uni ce qui est épars. Il aura
rendu sa fierté à toute une jeunesse d'origine algérienne, et plus largement
maghrébine, qui avait tant besoin d'un héros… Et puis, la France part en
campagne pour se qualifier au Mondial 2006… Les choses se passent mal :
Zidane n'est pas là… L'équipe de France est orpheline… Les passes
n'aboutissent pas, les buts sont rares… Bref, il manque à cette équipe son
meneur, son astre. Le soleil va briller à nouveau lorsque Zidane déclare
avoir entendu des voix qui lui auraient dit de revenir sauver la France.
Zidane devient Jeanne et personne n'ose se moquer, car l'homme est au-
dessus. Il revient donc, celui qui, dans le monde entier, est aimé, respecté, et
ardemment attendu…
Donc le retour, donc les attentes et donc Zidane qui peut jouer sa plus
belle partition lors d'un France-Brésil magique où son talent dépassera
largement le cadre du sport. On le voit se jouer des meilleurs joueurs du
monde comme un adulte qui jouerait contre une équipe de gamins… Il est
sur le toit du monde. La finale contre l'Italie, ce sera pour la France, pour
Zidane… Événement planétaire, ce dernier chapitre d'une vie superbement
remplie va s'écrire le 9 juillet 2006, à Berlin. Le monde entier n'aura d'yeux
que pour le maestro qui va marquer à la septième minute un penalty sur un
geste rare, une panenka, sorte de lob sur le gardien. Geste dangereux, geste
de classe, geste fou… Geste con ?
Là, la connerie s'empare de Zizou. Ce geste a le don d'agacer les gardiens
de foot qui se sentent humiliés. Zidane est plein de lui, il craque. Il est
capitaine, ce qu'il ne fut que rarement tout au long de sa carrière, lui qui a
toujours préféré briller par ses gestes. Il est dans la position d'un Platini,
plus que d'un Zidane, finalement. Et puis, c'est son dernier match
professionnel… Il veut marquer les esprits, laisser une trace comme il le
dira plus tard. L'Italie égalise, et Zidane devient la proie de Materazzi,
défenseur malin et physique qui va empoisonner le meneur des Bleus.
Insultes, coups bas, provocations en tout genre…
Zidane va exploser, comme un con. Il va mettre un coup de tête à son vis-
à-vis… au thorax… L'image a fait le tour du monde et ceci grâce d'ailleurs
au gardien de but, Buffon, victime de la panenka, qui ira informer le
quatrième arbitre de l'agression. Fallait pas l'humilier, lui, l'ancien
coéquipier de Zidane à la Juve… Bref, connerie… Grosse connerie qui
envoie le numéro 10 aux vestiaires pour toujours… Il passera devant cette
Coupe du monde qui trône au bord du terrain sans même lui jeter le
moindre regard. La vie se dérobe et les promesses nous trahissent. Juste
retour des choses, finalement. On apprendra plus tard, après moult
commentaires, que ce couillon de Materazzi, à la question de Zidane qui en
avait marre de se faire tirer le maillot : « Si tu veux mon maillot pour le
porter plus tard et dormir avec, attends la fin du match. » aurait répondu :
« Je préfère enfiler ta pute de sœur… ». Certes, on a tous envie de lui
bourrer la gueule à cet abruti de Materazzi qui doit sa célébrité à Zidane,
mais quand même, on est en droit d'en vouloir à notre héros. Certes, avec
lui, la France aurait pu gagner deux Coupes du monde et lui serait devenu le
plus grand joueur de tous les temps… Mais il y a plus triste, et la connerie
de Zizou est effarante, à l'image de son génie. En effet, pourquoi n'a-t-il pas
mis ce foutu coup de boule dans la tronche de Materazzi plutôt que sur la
poitrine ? Ce choix raté dans un geste décisif restera la plus grande connerie
que Zinedine Zidane ait commise… On lui en voudra longtemps, autant que
le dentiste du défenseur italien qui aurait pu se faire un max de tunes en
implants. Mais ceci est une autre histoire.
LISTE EXHAUSTIVE DES GÉNIES
RENCONTRÉS AU FIL DES PAGES

Althusser, Louis
Archimède
Armstrong, Neil

Bardot, Brigitte
Bono
Brahé, Tycho
Brando, Marlon
Burroughs, William
Bush, George W.

Carradine, David
Chanel, Coco
Chasles, Michel
Clemenceau, Georges
Colomb, Christophe
Confucius
Corbusier (Le)
Coué, Émile
Curie, Marie

Dalí, Salvador
Daniel, Jack
Diogène
Disney, Walt
Duras, Marguerite

Eastwood, Clint
Edison, Thomas
Einstein, Albert

François, Claude
Freud, Sigmund

Galois, Évariste
Gaulle, Charles de
Giscard d'Estaing, Valéry
Gorbatchev, Mikhaïl

Hugo, Victor

Icare

Jackson, Michael
Jean-Paul II
Jobs, Steve

Kassovitz, Mathieu

Lévy, Bernard-Henri
Lindbergh, Charles

Mac Mahon, Patrice de


Mata Hari

Napoléon

Onassis, Aristote

Parsons, Jack
Père Noël (le)

Queneau, Raymond

Rabanne, Paco
Radiguet, Raymond

Shakespeare, William
Strauss-Kahn, Dominique
Suède, Adolphe-Frédéric de

Trenet, Charles

Vatel, François
Voltaire

Wałęsa, Lech

Xerxès Ier

Yoyo, Tata

Zidane, Zinedine

Flammarion
Notes

1. Mister Mumbles.
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1.ありがとう est utilisé lorsqu'on s'adresse à des membres de sa famille, à
ses amis, à des enfants ou des subordonnés. En revanche, on remercie les
personnes que l'on ne connaît pas bien, plus âgées ou ses supérieurs en
disantありがとうございます . À prononcer « alligato ».
▲ Retour au texte
1. Connue du grand public sous cette appellation, mais dont le titre est La
Persistance de la mémoire.
▲ Retour au texte
1. « Ce n'est ni un scotch, ni un bourbon, c'est Jack. »
▲ Retour au texte
1. À regarder sur le site de l'Ina : http://www.ina.fr/video/CAC93006859
▲ Retour au texte
1. Solidement développés dans l'entrée consacrée à Thomas Edison.
▲ Retour au texte
1. Désolés pour l'utilisation intempestive et répétée du terme « connard »,
mais c'est de loin celui qui désigne le plus justement les deux connards de
cette histoire.
▲ Retour au texte
1. En voilà un qui nous a évité de trouver une chute !
▲ Retour au texte
1. Ce qui donne, en termes actuels, « ma bite ».
▲ Retour au texte
1. Toute ressemblance avec une famille de politiciens français où les
déclarations du père embarrassent régulièrement sa progéniture est
purement fortuite.
▲ Retour au texte
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