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la religion
romaine
avec un appendice sur la religion des Etrusques
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la religion
romaine archaïque
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B IB L IO T H È Q U E H IS T O R IQ U E
GEORGES DUMÉZIL
Professeur honoraire au Collège de France
Membre de l ’Institut
la religion
romaine archaïque
avec un appendice sur
la religion des Étrusques
P A Y O T , P A R IS
106, B o u l e v a r d S a in t - G e r m a in
*974
au R . P . P i e r r e D A B O S V IL L E
à M. A d o l p h e C H A U V IN
à M. A n t o n i n B O N D A T
a u x m aîtres et au x élèves
de
l ’ É c o l e S A IN T M A R T IN d e F R A N C E
en souvenir
du
T. R . P. M a u r i c e D U P R E Y
fondateur et prem ier directeur de l’École
(1929-1949)
Supérieur général de l ’Oratoire
(1949-1959)
¿¿S'. G if
2. A utres abréviations.
Wiss. : Georg W issowa, Religion und K ultus der Rômer, 2. A ufl., 1912.
Y t. : Y ait.
I. IN C E R T IT U D E D E L ’H IS T O IR E
D E S P R E M IE R S S IÈ C L E S
ï . Ci-dessous, p. 99.
2. Je résume les claires mises au point de R . Bloch, Les origines de
Rome ( Club du Livre Français), 1959, pp. 63-100, et Appendice à T ite-
live, L iv re I (Budé), 1965, pp. 99-153, où l ’on trouvera l ’essentiel de
la bibliographie. Sur les données archéologiques du P alatin et du Forum ,
V . les trav au x de S. M. Puglisi, notam m ent « Gli abitatori prim itivi del
P alatino attraverso le tcstim onianze archeologichc e le nuove inda
gini stratigrafiche sui Germalo » M A L . 41, 1951, col. 1-138 ; « N uovi
resti sepolcrali nella valle del Foro Rom ano », B u ll, di paletnologia
italiana, N . S. 8, 4, 1952, pp. 5-17. E in ar Gjerstad constitue depuis
vin gt ans, après une révision com plète des fouilles, un corpus monu
mental de l ’archéologie du site romain : Early Rome (Acta Instituti
Romani Regni Sueciae, Series Prima, 17) : I, 1953, Stratigraphical
Researches in the Forum Romanum and along the Sacra Via ; II, 1956,
The Tombs ; III, i960, Fortifications, Domestic Architecture, Sanctuaries,
Stratigraphie Excavations ; IV , 1966, Synthesis of Archaeological Evidence.
L ’auteur soutient une chronologie révolutionnaire, dont les archéo
logues discutent, exposée dès 1952 dans l'article « Scavi Stratigrafici
nel Foro Rom ano e problemi ad essi relativi », B C A . 73 (1949-50), pp. 3-19.
Dans son troisième volume, l ’auteur produit des traces de culture de
l'âge du bronze qui allongent la préhistoire du site jusque vers 1500
ava n t J.-C. Parm i les opposants, je signale A. von Gerkan, « Zur Friih-
geschichte Rom s », R hM . 100, 1957, PP· 82-97 ! * D as friihe Rom nach
E . G jerstad », ibid. 104, 1961, pp. 132-148 ; réponse de E . Gjerstad,
« Discussions concerning early Rom e », Opuscula Romana, III, i960.
E n tou t cas, l ’utilisation que ce savan t fa it des légendes n ’est pas accep
table : « Legends and facts of early Rom an history », Studier, Lund,
K . hum. vet. samfundet, 1960-61, 2. — V . surtout H. M iiller-Karpe, Vom
Anfang Roms, R M ., Ergãnzungsheft 5, 1959, et M. P allottino, qui a
recensé un grand nombre de publications récentes dans « F a tti e leggende
(moderne) sulla più antica storia di R om a », S E . 31, 1963, pp. 3-37.
L ’état actuel de l’exploration du sol romain est clairem ent exposé,
mais avec des interprétations généreuses, dans J. Heurgon, Rome et
la Méditerranée occidentale ju squ ’aux guerres puniques, 1969, pp. 79-92.
INCERTITUDE DE L'HISTOIRE DES PREMIERS SIÈCLES 29
Palatium ) ont été durablem ent occupés par des villages dont
la trace directe subsiste, alors que l ’existence d ’établissem ents,
un peu postérieurs, sur l ’E squilin et sur le Quirinal n ’est pro
visoirem ent qu ’hypothétique, déduite de l ’existence d ’une nécro
pole assez vaste sur le premier, de cinq tom bes isolées sur le
second. C ’est au v n e siècle seulement, à partir de 670, et avec
une coupure due à des inondations, que le peuplem ent s ’est
étendu à la vallée du Forum , jusqu ’alors utilisée pour les sépul
tures. A p artir de 650, le Quirinal, le Vim inal, le Capitole offrent
de riches dépôts votifs, des fauissae, attestan t l ’existence de
lieux de culte, construits ou non, durablement utilisés : la prin
cipale fauissa du Quirinal, par exemple, proche des tom bes du
v m e siècle, contient de la céram ique dont la date descend
jusque vers 580. D u milieu du V Ie siècle au début du V e, un clair
changem ent du m atériel archéologique renvoie incontestable
m ent à l ’É tru rie et atteste que Rom e a eu la période d ’hégé
monie étrusque et de richesse que décrit l ’annalistique : le sou
bassement du tem ple capitolin à trois cellae attribu é aux T ar-
quins a laissé des vestiges qui se datent de la fin du v ie siècle,
et des fragm ents d ’égout, d ’enceinte peut-être, sont du même
temps. Si les dates q u ’im posent ou suggèrent ces trouvailles
ne coïncident pas avec les lim ites que l ’annalistique donne à la
royauté étrusque, l ’essentiel n ’en est pas moins confirmé ;
confirmé aussi, par la disparition, vers 480, du lu xe que repré
sentait la céram ique grecque importée, le retour de Rom e,
dans le premier quart du V e siècle, à son étroite latinité.
T o u t cela est extrêm em ent précieux et dessine une histoire
qui rejoint et éclaire certains faits cultuels dont l ’annalistique
ne rend pas compte, par exem ple la fête annuelle du Septimon
tium (Fest. p. 439 L 2) 1 qui se célébrait chaque 1 1 décembre
et où des sacrifices étaient offerts par les hab itants des trois
sommets du P alatin, par ceux des trois somm ets de l’Esquilin
et, en septième, par ceux de Suburre, à l ’exclusion des gens du
Quirinal, du Vim inal, du Capitole, de l ’A ven tin et, au ras du
ï. Il y a débat (et dès l'an tiq u ité : p. ex. L yd . Mens. 4, 155) sur la
définition topographique des sept montes prim itifs, et même sur le nom
de la fête : L . A. Holland, « Septimontium or Saeptimontium ? », T A P h A .
84, 1953, pp. 16-34 I J· Poucet, « L e Septim ontium et la Succusa chez
Festus e t chez Varron, un problèm e d'histoire e t de topographie
romaines », Bulletin de l'Institut Belge de Rome 32, i960, pp. 25-73.
On interprète en général cette fête comme la com m ém oration « d ’une
première union des villages romains », au début du vu® siècle. D ’autres
conceptions sont possibles. D ès le début tou t ou partie des « villages »
dispersés ont pu form er une unité politique sous un même rex.
30 INCERTITUDE DE L ’ HISTOIRE DES PREMIERS SIÈCLES
Une des chances de l’étude des faits religieux a été que celui-là
même qui avançait avec le plus de bonheur la critique des
légendes des premiers siècles de Rome, Mommsen, et après lui
un autre grand homme, son disciple Georg W issowa, ont senti
que l ’incertitude de l ’histoire politique et m ilitaire n ’entraînait
pas autom atiquem ent celle de l ’histoire religieuse. Quelques
réflexions de bon sens font v ite comprendre cette relative
indépendance. Alors que le passé politique et m ilitaire, sauf
dans les lois et traités qui en sont issus, est bel et bien du passé
enregistré ou fabriqué, et sans utilisation pratique, la religion
est toujours, en tout lieu, chose actuelle et a ctiv e ; ses rites
sont journellem ent ou annuellem ent célébrés, ses concepts et
ses dieux interviennent dans la routine des tem ps calm es comme
dans la fièvre des tem ps de crise. D e plus, à Rom e, depuis long
tem ps sinon de toujours, la religion occupait un nom breux
personnel, des groupes de spécialistes qui, de génération en
génération, se passaient les règles du culte, et que contrôlait
le pontifex. Quand il s’éleva des temples, la date de consécration
et les circonstances du vœ u ne pouvaient guère s’oublier. Même
un coup terrible comme le désastre gaulois ne dut pas compro
m ettre sensiblement de telles traditions, à la fois simples et,
quant a u x rites, maintenues vivan tes par la pratique. E nfin,
jusqu ’à ce que les grands sacerdoces fussent devenus des postes
stratégiques dans les lu ttes entre classes ou factions, la science
religieuse, to u t im portante et actuelle qu ’elle était, restait au to
nome, soumise uniquement à ses propres règles et à sa logique
interne, et, par conséquent, moins exposée que le récit des
événements profanes aux entreprises falsificatrices de l’orgueil
ou de l ’am bition. Bref, pour nous borner à quelques exem ples
frappants, l ’histoire des T arquins n ’est peut-être qu ’un tissu
de fables, mais l ’authenticité du culte C apitolin qu ’ils ont
légué à la République ne s ’en trouve pas compromise. Ce n ’est
certainem ent pas Num a qui a créé les offices des trois grands
flamines, et notam m ent pas du premier, du flamine de Jupiter ;
32 HISTOIRE POLITIQUE ET HISTOIRE RELIGIEUSE
cela n ’empêche pas que le m otif qui est attribué par les anna
listes à cette création, à savoir le souci de décharger le rex de
la plupart des offices religieux incom patibles avec sa nécessaire
liberté d ’action, n ’énonce, entre le rex et le flamen D ialis, et
par delà le prêtre, entre le rex et Jupiter, une affinité tout à
fait conforme à ce que m ontre par ailleurs le sta tu t réel de ce
personnage.
D ’autre part, en dehors de toute théorie, Mommsen et W issowa
comprenaient q u ’une religion ne saurait être, pour l ’essentiel,
à aucun moment, l’accum ulation anarchique de conceptions et
de prescriptions apportées par toutes sortes de hasards. Certes,
d ’un bout à l ’autre de son histoire, Rom e m ontre une remar
quable aptitude à absorber ce que les circonstances et le voisi
nage lui proposent de rehgieusement puissant, fêtes et dieux ;
mais ce q u ’elle prend ainsi, elle l ’annexe, avec des précautions,
à un capital national préexistant, déjà riche, où se remarquent
vite des divisions naturelles, des structures partielles, sinon un
plan unitaire. On a reproché au M anuel de W issowa sa dispo
sition systém atique. Mais ce parti-pris résulte de la nature de
la m atière. Il im porte peu que cet auteur ait couvert sa princi
pale division — dieux anciens, dieux im portés — des deux
noms d ’Indigetes et de Nouensides (ou -siles), sûrem ent m al
interprétés en « indigènes » et en « nouvellem ent installés » ;
cette erreur est désagréable à l'œ il parce qu ’elle se répète dans
les titres courants de 223 pages impaires, mais on se rend vite
com pte q u ’elle n ’a pratiquem ent aucune im portance et n ’em
pêche pas la division d ’être utile.
E n fin Mommsen et W issow a ont été im perturbablem ent indif
férents aux théories éphémères qui, de leur temps, se sont succédé
quant à la nature, à l ’origine et à l ’évolution stéréotypée des
faits religieux : m ythologie solaire de M ax M üller ou animisme
de T ylo r, génies de la végétation de M annhardt et de ses dis
ciples ou totém ism e de Salomon Reinach, elles ont éveillé la
défiance de ces savants exacts et précis. L a résistance de W is
sowa n ’a sans doute pas m anqué d ’hybris et l ’on regrette l ’exé
cution sommaire qu ’il a faite, au bas d ’une note, de l ’auteur
du Golden Bough 1. Mais cet excès dans la réserve ou, si l ’on
veut, dans la ferm eture va u t m ieux que les engouements qui,
avan t et après Religion und K ultus der Rbmer, ont produit
tant d ’études aussi vite démodées qu ’écrites. Ce m anuel aurait
besoin d ’être mis à jour, et, quant à la doctrine, corrigé dans
ï . P. 248, n. 3.
HISTOIRE POLITIQUE ET HISTOIRE RELIGIEUSE 33
de tête », exactem ent comme flamen signifie « ce qui est produit par l ’acte
de souffler », c’est-à-dire un coup de vent. L e m ot en est venu à signifier
« le produit ou l ’expression d ’un pouvoir », — et non, il fa u t le noter,
le pouvoir lui-même. A parler proprement, ce sont les dieux et parfois
d ’autres puissances plus q u ’humaines, qui on t du numen ; mais comme
leur raison d ’être se réduit justem ent à cela, q u ’ils ont du numen, il arrive
souvent q u ’ils sont désignés par ce nom, surtout au pluriel, numina.
A vec le développem ent de la pensée théologique à Rom e, le m ot revêt
une plus haute signification, v a lan t « divinité », « déité » ; mais cette
phase de son évolution ne nous concerne pas pour l ’instant.
Mais on peut bien dire que, pour concevoir un esprit, de quelque espèce
qu’il soit, surtout s’il ne fa it rien de plus relevé que de donner de temps
en tem ps a u x paysans le pouvoir de fumer leurs cham ps avec succès,
ce qui éta it l ’affaire de Stercutius, point n ’est besoin d ’un bien consi
dérable effort de pensée abstraite. Certes, les prêtres théologiens de
Rom e se sont emparés de ces anciens numina, les ont m ultipliés et classés
au point q u ’on peut presque dire q u ’ils constituent une liste détaillée
des fonctions de la divinité en général. Mais on peut rem onter beaucoup
plus haut dans leur histoire, ju squ ’à une phase beaucoup plus prim itive :
ils n ’étaien t alors rien de plus que le concept sauvage du mana, logé dans
un lieu ou dans un objet matériel.
roi. E tc. Cela ne veu t pas dire que, ici et là, le niveau, l ’intention,
le ressort même de la cérémonie soient les mêmes. Il y a une
différence considérable dans le substrat idéologique de la com
munion eucharistique chez le catholique qui croit à la présence
réelle et chez tel protestant qui ne vo it dans la Sainte Cène
qu ’une comm émoration ; une différence plus grande encore
entre le profit spirituel que l ’un comme l ’autre attend de son
acte, et le renforcement physique, racial, qu’est censée donner
à qui la consomme une nourriture totém ique. Je doute que le
parrain et la marraine s’im aginent communiquer un fluide au
bébé qu ’ils touchent : leur geste manifeste simplem ent q u ’ils
parlent, q u ’ils s ’engagent en son nom ; il n ’est pas efficace, m ais
sym bolique. M. W agenvoort a écrit tout un chapitre, bien inté
ressant, sur contactus, sur les gestes rituels im pliquant contact
dans la religion romaine. Mais s'il est possible que celui du
consécrateur d ’un tem ple (postem tenere) transm ette une force,
je doute que ce soit le cas de celui du général qui fait la deuotio
et qui, entre autres éléments d ’une mise en scène complexe
(voile sur la tête, main au menton), se tient debout sur un
javelot. Q u’on soit donc circonspect lorsqu’on interprète un geste
rituel que des textes explicites et de bonne source ne com
m entent pas, ce qui est malheureusement, à Rom e, le cas ordinaire.
Cela dit, on ne conteste pas que bien des traits de notre docu
m entation romaine ne conspirent à donner à la religion une
apparence « prim itive ». Les uns sont relatifs à des dieux parti
culiers, les autres au typ e général des dieux. Les premiers,
que m et surtout en valeur l ’école de H. J. Rose et qui concernent
Mars et Jupiter, ne sont pas d ’ailleurs les plus frappants.
I. Cf. encore Justin. 43, 3, 3 : nam et ab origine rerum pro signis immor
talibus ueteres hastas coluere, ob cuius religionis memoriam adhuc deorum
simulacris hastae adduntur.
44 LA RELIGION ROMAINE LA PLUS ANCIENNE
1. o Num en and M ana », H T hR . 1951, pp. 109-130. Il est sans exem ple
que la notion dom inante d ’une religion n ’ait pas d'expression dans
la langue des fidèles de cette religion.
2. L es m anaïstes allèguent parfois un fragm ent de Lucilius (dans
Nonius, p. 35 L), mais numen y est une correction pour notnen des manus
crits, qui est pourtant acceptable ; v. en dernier lieu L atte, p. 57, n. 2,
et cf. H . W agenw oort lui-même. Roman Dynamism, p. 74, n. 1, dans
le ch. n i, « Numen ».
« NUMEN » OU « DEUS » ? 47
M. W agenvoort pour donner à numen le sens général de « mou
vem ent », d ’après la valeur, d ’ailleurs inexacte, q u 'il prête à
la racine nav- en védique, était donc condamnée d ’avance. E lle
n ’est pas sauvée par Lucrèce, 3, 144 (cetera pars animae... a i
numen mentis momenque mouetur), où numen et momen ne font
pas double emploi, l ’un désignant la décision m anifestée de la
souveraine mens, et l ’autre le m ouvement où elle s ’est engagée
(on peut traduire : « le reste de l ’âme obéit aux décisions de l ’in-
telligence et suit ses m ouvem ents »). Ce n ’est qu ’avec les écri
vains augustéens, par l ’interm édiaire d ’une valeur « puissance
divine », qui est comme l’intégrale des volontés particulières
du dieu, que numen est devenu d ’une part un synonym e poé
tique de « dieu », d ’autre part la notation de chacune des diverses
prouinciae qui composent le domaine com plexe d ’un dieu, et
en troisième lieu l ’expression de ce qu ’il y a de plus m ystérieux
dans l ’invisible. Pour l ’appréciation de la religion des temps
royau x et républicains, ces développem ents sont sans consé
quence. E ncore faut-il rem arquer que V irgile respecte souvent
le sens originel ; par exem ple dans les vers du début de l 'Enéide
(1, 8-11) qui ont été le point de départ de l ’étude de Th. B irt :
M usa mihi causas memora, quo numine laeso
quidue dolem regina deum tot uoluere casus
insignem pietate uirum tot adire labores
impulerit. Tantaene animis caelestibus irae ?
Les autres argum ents des prim itivistes ne sont pas relatifs
à la préhistoire de tel ou tel dieu ni à l’emploi d ’un mot tech
nique ; ils s ’attachent au type général des dieux romains, des
plus éminents, mais surtout de la masse des autres. Moins précis,
ces argum ents ont cependant meilleure apparence parce que
les faits q u ’ils retiennent ne sont pas contestables. Ils caracté
risent meme utilem ent la religion de Rome en regard, par
exemple, des religions grecques. Simplement, ils doivent être
correctem ent interprétés.
E n gros, si l ’on fait abstraction de tout ce qu ’il doit à la Grèce,
que trouve-t-on dans le monde divin de Rom e ? D ’abord un
certain nombre de dieux aux contours relativem ent nets, sépa
rément honorés, mais sans filiation et sans mariage, sans aven
tures ni scandales, sans rapports d ’amitié ou d ’hostilité, c ’est-
à-dire sans m ythologie ; quelques-uns, très peu, visiblem ent les
plus im portants, sont fréquemment présents dans la vie reli
gieuse ; les autres se distribuent à travers les mois du calendrier
et les quartiers de la ville, actualisés une fois l ’an par un sacrifice
sans qu ’on sache parfois (ainsi pour les dieux de juillet) le ser
vice qu’ils peuvent rendre. A utour d ’eux, dans l ’espace et dans
le temps romains, un nombre illim ité de points ou de moments
ont révélé à l ’expérience et continuent de révéler qu’ils recèlent
une puissance : les Romains sentent ainsi de tous côtés, en éveil,
favorisant ou renversant leurs entreprises, irritables ou ser-
viables, des personnes secrètes et jalouses de leur secret, q u ’ils
ne savent même pas comment nommer. Enfin, on entrevoit
quantité de petits groupes, de petites équipes étroitement soli
daires, dont chaque membre n ’est guère plus que le nom qu ’il
porte, un nom d ’agent qui l ’emprisonne dans la définition
menue d ’une fonction, dans un acte ou dans une fraction d ’acte ;
à vrai dire, ceux-là paraissent à peine dans la littérature, mais
les antiquaires, Varron notamment, en avaient dressé des listes
dont la polémique chrétienne s’est emparée. Ces trois catégories
d etres ne sont meme pas aussi distinctes que les signalements
précédents le laissent entendre : plusieurs des dieux de la pre-
D u m é zil. — L a relig io n rom aine archaïque. 4
50 LE TYPE DES DIEUX ROMAINS
mière n ’ont, eux non plus, guère d ’autre personnalité que leur
nom, qui est parfois un nom collectif, d ’autre mode d ’existence
que le culte bref qui leur est rendu. E n sorte que, s’interpéné
trant, elles donnent au panthéon romain l ’aspect d ’un monde
d ’ombres presque immobiles, d ’une masse crépusculaire d ’où
peu de divinités, pâles encore, sont parvenues à se détacher,
tandis que les autres, toutes les autres, avortées, arrêtées dans
leur croissance, se bornent et se borneront toujours à de pauvres
et rares m anifestations.
On n ’échappe pas à cette singulière impression. H abitués que
nous sommes aux opulentes m ythologies de la Grèce, de l ’Inde,
de ta n t de peuples dits barbares, nous imaginons m al qu ’une
théologie se sépare à ce point de la fable, que des âmes pieuses
se contentent de ces sèches nom enclatures et d ’un savoir si
court q u ’il ne dit rien aux sens et peu à l ’esprit. Il fau t qu ’il
y ait là-dessous une infirm ité native. E t l ’on est tenté d ’ad
m ettre que la société romaine qui, dans le droit et dans la poli
tique, a très tô t fait m ontre de ta n t d ’ingéniosité, était, en
m atière religieuse, frappée d ’une impuissance quasi totale à
créer, à concevoir, à explorer, à organiser.
Une telle déduction serait paradoxale et ruineuse pour l ’étude.
A van t de s ’y résigner, on doit aller au delà de l ’impression,
exam iner un par un les facteurs qui y contribuent, chercher
les raisons pour lesquelles, en effet, ce peuple par ailleurs normal
et même bien doué, a satisfait ses besoins religieux dans ces
formes austères plutôt que dans des formes riches et brillantes
dont il n ’était certainem ent pas — il l ’a prouvé plus tard —
plus incapable que d ’autres. Nous prendrons, dans l ’ordre
inverse de celui où nous venons de les énoncer, les trois compo
santes du personnel divin, et d ’abord les menus Sondergôtter
dont saint A ugustin s’est si fort amusé \
ï . Sur cette série, v . J. B ay et, « Les Feriae Sem entiuae et les indigi
tations dans le culte de Cérès e t de Tellus », RH R . 137, 1950, pp. 172-206,
notam m ent p. 180, repris dans Croyances et rites dans la Rome antique,
1971, pp. 175-205.
52 LE TYPE DES DIEUX ROMAINS
un jeu habile sur les deux adverbes de lieu illic et hic, « là-bas »
et « ici », l ’É trusque les aurait certainem ent dépossédés, déva
lisés du signe et de ce qu’il signifiait si, par une trahison provi
dentielle, son propre fils n’a va it averti ses hôtes (Dion. 4, 59-61) :
risques, e t d ’abord celui de se trom per d ’adresse. D ans des cas plus
favorables, l ’intervention m erveilleuse étan t en quelque sorte signée,
ils n’hésitaient pas sur le nomen du dieu et, de l ’événem ent, ne tiraient
q u ’un cognomen nouveau. P ar exem ple, dans tous les cas de uota : on
éta it sûr que la puissance qui a v a it arrêté la panique sur certain champ
de bataille, ou achevé la victoire sur un autre, était Jupiter, puisque
c'est à Jupiter que le général ven ait de vouer un tem ple pour obtenir
ce succès ; la piété et la gratitude romaines se sont donc naturellem ent
adressées à Jupiter, Stator ou Victor. D e même sans doute un détail
précis, oublié par la suite, et rem placé par diverses légendes incom
patibles entre elles, a va it garanti que la déesse à laquelle on devait
certain avertissem ent précieux était Junon : aussi n ’adorait-on pas
quelque vague « Nuntia Moneta », mais bien, en toute assurance, Junon
Moneta — celle dont un pittoresque et im prévisible avenir d evait faire
l’éponym e de notre « monnaie ». L es Rom ains auraient pu former aussi
bien l ’hypothèse flatteuse que le dieu qui a va it parlé dans une rue de
Rom e à la veille de l ’invasion gauloise était Jupiter, et l ’appeler Jupi
ter Locutius, comme ils disaient Jupiter Elicius. Mais cela aurait été
dangereux, cela pouvait irriter à la fois Jupiter, si d ’aventure il n’était
pour rien dans l ’afíaire, et le dieu qui, en ce cas, a v a it réellem ent parlé.
Ils on t donc d it simplement, avec une expression double, quelque peu
populaire, à laquelle il y a v a it des précédents, « A ius Locutius ». Non
pas impuissance de sauvage mais, encore et toujours, prudence, réserve
verbale d ’un peuple expert en chicane.
V. L A M Y T H O L O G IE P E R D U E
L ’E X E M P L E D E S M A T R A L I A
492 D = De frai. am. 21, fin). Ces rites sont les suivants : i ° Alors
([tic le tem ple de M atuta est normalement interdit à la gent
servile, les dames réunies pour la fête introduisent exception
nellement dans l ’enceinte une esclave, qu’elles expulsent ensuite
avec gifles et coups de verges ; 2° les dames portent dans leurs
bras, « traiten t avec égards » et recommandent à la déesse non
pas leurs propres enfants, mais ceux de leurs sœurs. Ces scènes,
(pii devaient se succéder dans l ’ordre où, par deux fois, P lu
tarque les présente réunies, mais que les Rom ains n ’ont pas
commentées, ont provoqué les exégètes modernes à beaucoup
de fantaisies. Un coup d ’œil sur la m ythologie de la déesse
Aurore des Indiens védiques, Usas, justifie pourtant l ’inter
prétation que suggèrent les gestes et la date de la fête : une
fois l ’an, à l ’approche du solstice d ’été, pour aider par m agie
sym pathique l ’Aurore que deux saisons vont dorénavant retar
der, les dames romaines font, aux Matralia, ce que chaque
m atin fait Usas, ou ce que font les Aurores, Usâsah, dans une
collectivité qu ’il arrive aux poètes de mobiliser solidairement
pour chaque m atin particulier : à savoir un service négatif,
de nettoyage, et son corollaire positif.
ii. L es deux sœurs jum elles (yamid) ont revêtu des couleurs diffé
rentes, dont l ’une brille, dont l ’autre est noire. L a sombre et la rouge
sont deux sœurs (svdsdrau)...
13. L échan t le veau de l ’autre, elle a mugi (anydsyâ vatsdtfi rihati
tnimdya)...
14. L a multiform e se v ê t de belles couleurs, elle se tien t dressée,
léchant le veau d ’un an et demi...
20 D e l ’autre côté, T itu s Tatius, avec ses riches Sabins. Certes, ils ne
sont ni lâches ni irréligieux, bien au contraire, mais, en ce point de l ’his
toire, ils se définissent comme riches. D e plus, c ’est chez eux que sont
les femmes dont Rom ulus et ses compagnons ont besoin.
A v a n t de s ’affronter, a v a n t même de songer à s'affronter, les deux
partis sont donc complémentaires. E t c’est parce q u ’ils sont com plé
m entaires que Romulus, com prenant que sa société incom plète ne peut
vivre, fa it enlever « les Sabines » au cours de la fête rurale de Consus.
Il agit ainsi et pour avoir des femmes, et pour obliger les riches Sabins,
m algré leurs répugnances, à entrer en relations avec sa bande sau
vage.
Tous les auteurs s’accordent à souligner, à expliciter ce ressort concep
tuel, fonctionnel, des premiers événements. Qu’on relise dans Tite-L ive,
x, 9, 2-4, les instructions que Rom ulus donne à ses am bassadeurs quand,
a va n t de recourir à la violence, il les envoie dans les villes d ’alentour.
Us sont chargés de dire a u x éventuels beaux-pères : « Comme toutes
choses, les villes naissent d'un germe infime ; ensuite, celles que leur propre
courage et les dieux favorisent s'acquièrent grandes ressources et grand
nom. On sait assez qu'aux origines de Rome les dieux ont été présents,
et que le courage n'y manquera pas ; qu'ils n ’aient donc pas de répugnance,
comme il convient à des membres de la même race humaine, à mêler leur
sang et leur lignée. »
D i et uirtus, les dieux et le courage ou l ’énergie virile, définissent fort
bien le ressort des deux premières fonctions ; opes, ressources, puissance
consistant en biens, en m oyens d ’action, et aussi les moyens de la fécon
dité et de la génération que désignent ici sanguis ac genus, caractérisent
non moins bien la troisième. D i, c ’est l ’ascendance divine des deux
frères e t la promesse donnée par les auspices sur le site de la future
Rome, c ’est-à-dire la double com posante surnaturelle q u ’ils apportent
en dot ; la uirtus, ils n’en ont pas encore fa it l ’épreuve guerrière, mais
ils la sentent en eux ; opes, c ’est la seule chose qu’ils n ’aient encore ni
en puissance ni en acte, qui n ’est pas inscrite dans leur n ature : quand
ils l ’auront acquise et mêlé sanguinem, la synthèse des trois principes
d ’abord distribués entre les deux peuples voisins assurera à Rom e sa
place dans l ’histoire, nomen. E t, de fait, la synthèse aura ce résultat.
U n autre historien, Florus, résum ant très schém atiquem ent la guerre
(1, 1), écrit que, après la réconciliation, les Sabins se transportent dans
Rom e et cum generis suis auitas opes pro dote sociant, partageant avec
leurs gendres, en manière de dot, leurs richesses héréditaires.
A u troisième livre des Fastes (v. 178-199), O vide donne la même
substructure conceptuelle à l ’événem ent, mais sous form e dram atique ;
c ’est le dieu Mars lui-même qui raconte comment il inspira à Rom ulus,
son fils, l ’idée d ’enlever les Sabines :
Ici encore, les deux « atouts » de Rom ulus sont, d ’une part sa naissance
divine, le dieu auctor sanguinis ; d ’autre part, grâce à une inspiration
directe de ce dieu, une résolution belliqueuse, patriam mentem, et les
armes, arma. Ses partenaires sont des riches, uicinia diues, qui méprisent
son inopia.
D enys d ’Halicarnasse (2, 30, 2 et 37, 2), verbeux com m e toujours,
et suivant une tradition légèrem ent différente (non pas à deux, mais
à trois races, entre lesquelles sont distribués les trois atouts), exprime
encore pourtant la même structure fondam entale. Pressenties par Rom u
lus pour des alliances matrimoniales, les villes latines refusent de s'unir
à ces nouveaux venus « qui ne sont ni considérables par les richesses ni
célèbres par aucun exploit. » A Rom ulus ainsi réduit à sa qualité de
fils de dieu et au x promesses de Jupiter, il ne reste q u ’à s’appuyer sur
des militaires professionnels, ce q u ’il fait, appelant entre autres renforts
Lucum o de Solonium, « homme d ’action et illustre en m atière de guerre ».
Telle est, partout, la nervure de toute l ’intrigue : le besoin, la tenta
tion, l ’intention, l ’action de Rom ulus tendent à composer une société
com plète en im posant aux « riches » de s ’associer au x « braves » et aux
« divins ».
II. — L a guerre, elle, tien t en deux épisodes. D ans chacun, l ’un des
deux partis est presque vainqueur, mais la situation, chaque fois, se
rétablit et la décision s’éloigne, lui échappe.
Io C ’est d'abord l ’épisode de Tarpeia. R aconté de diverses manières,
parfois (ce sont les formes les plus belles : Properce...) avec la passion
amoureuse pour ressort, il paraît transm is par T ite-L ive sous sa forme
la plus pure (1, 11, 5-9). T itu s Tatius, le chef des riches Sabins, par
l ’attrait de l ’or, des bracelets et des b ijou x qui brillent a u x bras de ses
hommes, séduit la fille du Rom ain chargé de garder la position essen
tielle du Capitole. Traîtreusem ent introduits dans ce point dominant,
les Sabins paraissent devoir être vainqueurs *.
20 Ils le sont presque en effet, quand se produit le second épisode.
C ette fois, c ’est Rom ulus qui prend l ’avantage (Liv., 1, 12, 1-9). Au
cours de la bataille que se livrent, dans la vallée du Forum , les com pa
gnons de Romulus, réduits au Palatin, et les Sabins de Tatius, maîtres
du Capitole, les premiers cèdent et refluent en désordre. Alors Rom ulus
élève ses armes vers le ciel et d it : « J upiter, c ’est sur la foi de tes auspices
que j ’ai jeté ici sur le Palatin les premiers fondements de Rom e. Ote
leur frayeur aux Rom ains et arrête leur fuite honteuse. E n ce lieu, je
promets de t ’élever un tem ple, ô Jupiter Stator, pour rappeler à la
postérité que ton aide tutélaire a sauvé Rome. »
Après avoir fa it cette prière et comme s 'il avait le sentiment qu’elle était
exaucée : « Maintenant, Romains, dit-il, le très bienveillant et très grand
Jupiter vous ordonne de vous arrêter et de recommencer le combat. »... Le
meurt (car, dans l ’ Ynglingasaga, les dieux sont des sortes de surhommes
que guette m algré to u t la mort), c ’est N jõrõr, et après lui F reyr, qui
deviennent roi des Ases. Jam ais plus, en aucune circonstance, il n ’y
aura l ’ombre d ’un conflit entre les Ases et les Vanes et le m ot « Ases »,
à moins de précision contraire, désignera aussi bien N jõrõr, F reyr et
F rey ja q u ’Ô ôinn et Jiórr.
Il n ’est pas besoin de souligner l ’ex a ct parallélisme non pas seulement
des valeurs idéologiques qui sont au point de départ, m ais aussi des
intrigues, depuis le point de départ ju squ ’au résultat final, en passant
par les deux épisodes dans lesquels se résume de façon expressive la
guerre des dieux riches et des dieux magiciens. Il paraît peu pensable,
surtout étan t donné que d ’autres peuples indo-européens connaissent
des récits homologues, que le hasard a it deux fois composé ce vaste
ensemble. L ’explication la plus simple, la plus humble, est d ’adm ettre
que les Romains, au même titre que les Scandinaves, tenaient ce scéna
rio d ’une tradition antérieure commune et q u ’ils se sont contentés d ’en
rajeunir les détails, les adaptan t à leur « géographie », à leur « histoire »
et à leurs modes, y introduisant des noms de pays, de peuples et de héros
suggérés par l'actualité.
I a1 quoiho...
b 2-3 ... sakros : es|edsor¿...
II a4-5 ... ia..ias|recei :lo...
b 6-7 ... euam|quos : re...
III a8-9 ... m : kalato|rem : ha...
b 10-U . .. od : io : uxm en|takapia: dotau.
IV a12 .... m : i : te : r p(?)e(?)...
b 13-14 ... m : quoiha|uelod : nequ...
c15 .. od : iouestodj
V 16 loiwquiod (qo ?)
Io D ans ce passage (2, [36,] 77), après avoir rappelé une pré
caution q u ’a va it adoptée M. Marcellus pour se m ettre à l’abri
des auspices gênants, Cicéron ajoute : huic simile est, quod nos
augures praecipimus, ne iuge(s) auspicium obueniat, ut iumenta
iubeant diiungere, « de la même manière nous autres, les augures,
pour éviter que ne se produise fâcheusement (ob-) ce q u ’on
appelle iuge(s) auspicium, nous prescrivons q u ’ils ordonnent
d ’ôter du joug les bêtes de joug. »
20 « Ils » — qui ? É videm m ent les calatores, que les augures
(Suet. Grammat. 12), comme d ’autres prêtres, ont justem ent
à leur service pour ce genre d ’ordres, pour enjoindre à tem ps
aux profanes d ’éviter ce qui pourrait souiller et annuler l ’opé
ration sacrée (p. ex. Serv. Georg. 1, 268 ; Macr. X, 16, 9).
30 Sous la royauté, même si les augures étaient différenciés
du rex (prim itivem ent rex-augur ?), les auspicia étaient fonda
m entalem ent chose royale : « la divination, comme la sagesse,
était tenue pour régalé », dit Cicéron dans le même traité (1, 89 :
v. tout le passage).
40 Q u’est-ce que le iuge(s) auspicium ? P au l (p. 226 L 2) le
définit : iuge(s) auspicium est, cum iunctum iumentum stercus
fecit, « il y a i. a. quand une bête de joug, sous le joug, a fait
ses excrém ents ». On comprend dès lors le com m andem ent que
l ’augure Cicéron et ses collègues donnent à leurs calatores :
lorsqu’ils cheminent ès qualités, engagés dans une mission sacrée,
c ’est une précaution nécessaire que tout propriétaire d’attelage,
à proxim ité de leur itinéraire, soit averti de dételer, de retirer
du jo u g ses iuncta iumenta.
5° Le heu où l ’inscription a été trouvée est précisém ent im por
tant pour une des missions connues des augures. Varron, L . L . 5,
47, expliquant le nom de la Sacra V ia qui traverse en long le
Forum et aboutit au Capitole, dit que c ’est par cette voie que
capiat), le plus réservé, Michel Lejeune, dont j ’ai exam iné, pour le reste,
les objections et les propositions dans Hommages à Jean Bayet (Coll. Lato
mus, vol. 70), pp. 172-179. U ne nouvelle interprétation, par R obert
E . A. Palm er, « T h e K in g and the Com itium : A S tu d y of R om e’s O ldest
Public Docum ent », Historia, Einzelschriften 11, 1969, rencontre une
série d ’im m édiates et insurm ontables difficultés : dans le principal
fragm ent, 1. 11, kapia serait le pluriel de *cape, varian te supposée de
caput, et iouxmenta kapia vaudrait iümentôrum capita ; le dernier m ot
serait un ad jectif dérivé de louquo-, barbarisme, soi-disant ancienne
forme de lücus « bois sacré » qui, en fait, n’a jam ais existé avec t/u (racine
de lux « lum ière »), etc. J ’ai discuté en détail la thèse de R . E . A. Palm er
dans « A propos de l ’inscription du L apis Niger », Lat. 29, 1970, pp. 1039-
1045. J. L oicq reprendra b ien tôt la q u estion dans son ensemble.
102 CONSERVATISME DE LA RELIGION ROMAINE
la marque d ’hiatus qu’il est, par exem ple, dans ahên(e)us, épigr. huhic
(c.-à-d. huic dissyllabique) ; et je propose (1. 12-16) :
... ne, descensa (ou reddita) tunc iunctorum iumentor]m cui aluo, nequ[ea-
tur (... indication de l’opération religieuse en cours, à l ’infinitif passif...)
auspici]o iusto *liquido (que ??).
E n 13, le h, signalant un hiatus dans un ensemble traité graphique
m ent comme un seul mot, oblige (ce serait sa justification) à lire ce
qui précède, avec finale vocalique, quoii (l’inscription ne répète pas les
lettres semblables), c ’est-à-dire quoiï, d atif de quoi ; si quoiei est le d atif
ancien, et attesté plus tard encore, du relatif accentué, on peut penser
que, dans l ’indéfini enclitique (non encore appuyé sur ali-), le d atif
a va it été précocem ent réduit à quoiï. Q uant à e dans auelod, il peut
être, et son vocalism e (e, non 0) conseille d ’y voir, une voyelle irrationnelle
(cf. numerus, umerus de *nom-zo-, *om-zo-) ; le m ot dont la forme est
le plus proche de *aulo- est le prénom Aulus ; or l ’original étrusque se
trouve écrit A vile et A vie. Enfin, pour loi(u)quiod, v. mon article de 1951.
p. 28, n. 34 ; on pense à une form e archaïque d ’un ty p e dont il y a des ,
exemples : cf. Lücius, prénom, et lücidus, flüuius (subst.) et fluuidus
(Lucrece), L ïu iu s, nom propre, et lïuidus ; il est pensable aussi que le
graveur se soit perdu dans un m ot où tan t de lettres se répétaient deux
à deux, *loiuqui(d)od, — où le vocalism e oi, au lieu de i (d’où liquidus),
pourrait s’expliquer par l ’influence de nqu suivant ; en to u t cas, il faut
expliquer le m ot par le latin. L ’interprétation de quoihauelod nequ[-...'\
en quoi ha(u)* uelod (valant qui hau(d) uoluntate) nequ[e sciens faxit...]
(ou nequ[e dolod faxit]) (M. Lejeune, Coll. Lat. 58, 1962 = Hommages
à A . Grenier, pp. 1030-1039), rencontre des difficultés de forme, de
sens, d ’espace, et, à l’endroit de l ’inscription où sont ces mots, de vrai
semblance.
IX . VALEUR DES T É M O IG N A G E S F O R M U L A IR E S
Les form ules du ius fetiale, de la deuotio sont tout autre chose.
Ce n ’est plus de la littérature. T ite-L ive les cite pour leur p it
toresque, pour leur archaïsm e : dans quelle intention les chan-
gerait-il ? L ’élégance est au contraire ici la stricte fidélité à
des textes étranges, que d ’ailleurs des prêtres connaissaient
sûrement encore à son époque. L a critique interne par laquelle
on essaie de détruire ces tém oignages est abusive, comme il est
aisé de le vérifier dans chaque cas.
Io L e fétial qui v a à l ’étranger demander réparation au nom
des Rom ains se couvre la tête du filum , c ’est-à-dire d ’un voile
de laine, et, s ’arrêtant sur la frontière (fines), prononce (Liv. ï ,
32, 6) : « A u d i, Juppiter, audite fines (en précisant des frontières
de quel peuple il s ’agit), audiat fas. Ego sum. publicus nuntius
populi Rom ani; iuste pieque legatus uenio, uer bisque meis fides
sit. » L e prêtre prend ainsi à témoin de sa qualité et le dieu garant
du droit, et le lieu où il se trouve, et ce qui est le fondem ent,
le principe même de sa mission : la base m ystique (fas) de tous
les rapports et contrats humains (ius). Cette troisième invocation
est particulièrem ent opportune si, comme il est probable, fas
est un dérivé archaïque de la racine *dhë- « poser », d’où est
aussi tiré le nom du fetialis 1 : l ’action de ce prêtre, la *fëti-
(mot qui aurait évolué en *fëtio, -ônis, s’il avait survécu), con
siste à « poser » la base m ystique, fas, pour toute action exté
rieure du peuple romain, guerre ou paix. Mais, quoi q u ’il en soit
de l’étym ologie, c ’est en vertu d’une conception a priori, pri-
m itiviste, infantiliste, de la rehgion et de la pensée romaines
anciennes qu ’on déclare impossible la personnification de ce fas,
qui n ’est d ’ailleurs pas isolable de celle de fines, qui précède 2 :
les premiers Rom ains étaient certainem ent capables de cet effort,
eux qui avaient déjà animé, incarné dans des prêtres le flamen
neutre, Vaugur neutre, et qui n ’allaient pas tarder, à côté de
vieilles entités féminines telles que Ops, à personnifier, de façon
plus stable que fas et en le féminisant, le uenus neutre.
2° Le fétial qui sanctionne un traité en lit les clauses et
prononce (Liv. 1, 24, 7, — car c ’est là, et non en 1, 32, 6, que
se h t le nom inatif populus Albanus) : « A udi, Juppiter ; audi
pater patrate populi A lb a n i; audi tu, populus Albanus. Vt illa
palam prima postrema ex illis tabulis ceraue recitata sunt sine
dolo malo, utique ea hic hodie rectissime intellecta sunt, illis
legibus populus Romanus prior non deficiet. » Cette form ule se
trahirait comme forgerie, dit-on, en deux points.
ï . Ci-dessous, pp. 144 et 579-80.
2. E t qui com porte une nuance : audite fines, mais audiat fas.
VALEUR DES TÉMOIGNAGES FORMULAIRES 107
De ces trois épreuves aussi, T ite-L ive sort donc à son honneur.
« D ie philogische K ritik des M aterials » est chose nécessaire,
certes, m ais il ne fau t pas qu ’elle soit décidée d'avance à détruire.
C ’est que Janus gouverne ce qui est premier (prima), Jupiter ce qui
est le plus hau t (summa). Il est donc ju ste que Jupiter soit estim é roi
universel, car, si l ’accomplissement a la seconde place dans l ’ordre du
temps, il a la première dans l ’ordre de l'im portance a.
1. Ci-dessus, p. 73.
2. St. Augustin, dans sa discussion, s ’empresse de comprendre summa
comme ultima.
LES ÉRUDITS ROMAINS 115
Personne n ’a jam ais soutenu, je crois, que les dieux des trois
flamines m ajeurs et des douze mineurs épuisaient le panthéon
le plus ancien. L e typ e de sacerdoce qu ’était le flamonium ne
convenait sans doute pas à n ’im porte quel ty p e divin. Par
exem ple sont sans flamines les groupes de dieux m al dissociables,
tel que Lares, Pénates ; les dieux multipliés à l ’infini, un par
individu, tels que Genius, ou dont l ’action très précise se répète
à l ’infini par le retour perpétuel d ’une même circonstance, tels
que Janus (deus omnium initiorum) et peut-être Junon (compte
tenu de son caractère de déesse de toutes les naissances), ou
encore C am a (qui préside à l ’assim ilation des aliments) ; Tellus
est inséparable de Cérès, laquelle a un flamine ; V esta possède
ses Vestales, incom patibles avec un sacerdoce m asculin spécial.
D ans chaque cas, il devait y avoir ainsi une raison déterm inant
la présence ou l ’absence d ’un tel prêtre, m ais nous ne la com
prenons pas toujours, fau te d ’une idée assez précise de ce
qu ’était le flamonium a u x débuts de Rom e, ou d ’une connais
sance assez détaillée de la divinité elle-même. P ar la suite, on le
sait, divers flamines spécialisés ont été créés, m ais qui n ’ont
pas à intervenir dans l ’étude des origines.
Rien non plus, dans la docum entation, n ’engage à penser
qu ’une classification, une hiérarchie unitaire a it jam ais embrassé
la totah té des prêtres et, à travers eux, l ’ensemble des dieux.
Nous sommes informés d ’un ordo des cinq plus hauts prêtres
(le rex, les trois flamines maiores, le pontifex maximus : Fest. 299-
300 L 2) et, d ’autre part, de discrimina maiestatis, d ’une hiérar
chie de dignationes entre les quinze flamines, hiérarchie dont le
lexicographe ne donne que les termes extrêm es (1 : D ialis —
certainem ent suivi du M artialis et du Quirinalis ; 15 : Pomo
nalis « quod Pomona leuissimo fructui agrorum praesidet, id est
pomis », ibid., 272), m ais qui est très probablem ent observée
par Ennius (Varro, L .L . 7, 45) dans son énumération des six
derniers (Volt. Pal. Furr. Flor. Fal. Pom.). Il s ’agit de deux
120 LA PRÉTENDUE « RÉVOLUTION PONTIFICALE »
ï. L e praetor maior est Y urbanus, les autres sont minores, F est. p. 277 L ’ .
I l ne fa u t bien entendu considérer que les cas où maior et minor sont
explicitem ent opposés (p. ex. les pontifices minores ne s ’opposent pas
à des *p. maiores).
2. Catalano, D A . pp. 211-220, me paraît étendre trop largem ent
les cas d ’inauguration ; Cic. Leg. 2, 8, 20, n’im plique pas que tous les
prêtres, ni même beaucoup, y soient soumis, et Dion. 2, 22, 3, a été
pertinem m ent critiqué par Mommsen et par d ’autres.
3. V . aussi, p. 409, n. 2, l ’am usante manière dont, retenant l ’abré-
viatcur P aul (p. 330 L s) contre l ’original Festus plus com plet (p. 354 L 1),
L atte estom pe discrètem ent une autre différence entre fi. maiores et
minores (le privilège d ’a voir des calatores).
122 LA PRÉTENDUE « RÉVOLUTION PONTIFICALE ))
I. P rim itivem ent à ciel ouvert, d ’après Fest. p. 413 L a ; Gell. 7, 12, 5,
donne un sens plus général à sacellum : locus paruus deo sacratus cum
ara.
QUELQUES CARACTÈRES DE I.A RELIGION ROMAINE I 2Q
ou sacrilège ; les m aximes qui règlent les rapports hum ains sont donc
inchangeables, comme l ’est l ’organisation sociale elle-même, comme l ’est
toute organisation légitime, tou t dharma.
Les Rom ains pensent politiquement, les Indiens pensent moralement.
L a plus auguste réalité accessible a u x sens étan t Rome, la vie de Rome
étan t un problème constam m ent posé, et la religion elle-même n ’étant
q u ’une partie de l ’adm inistration publique, toutes les réflexions des
Romains, tous leurs eflorts s ’ordonnent à la res publica, tous les devoirs,
toutes les règles et par conséquent tous les récits qui form ent le trésor
de la sagesse romaine ont une pointe tournée vers la politique, vers les
institutions, vers les procédures, vers la casuistique du consul, ou du
censeur, ou du tribun. Pour les Indiens, du plus élevé au plus humble,
tou t homme a d ’abord affaire soit au x dieux, soit au x grandes notions
qui valen t des dieux ; l ’ordre social n ’étant pas absolu, ou p lu tô t ne
tiran t sa valeur absolue que de sa conform ité au x lois générales du
monde, to u t ce qui le concerne n ’est qu'une science seconde déduite
de vérités supérieures, et non pas un art directem ent induit de l ’exam en
de sa matière.
E nfin les Rom ains, pensent juridiquement, les Indiens pensent mys
tiquement. L es premiers ont dégagé très tô t la notion de personne et
c'est sur elle, sur l ’autonomie, sur la stabilité, sur la dignité des per
sonnes q u ’ils ont construit leur idéal des rapports hum ains — tus — ,
les dieux n 'y intervenant guère que comme témoins et garants. L ’Inde
s’est au contraire de plus en plus persuadée que les individus ne sont
q u ’apparences trompeuses et que seul existe l ’Un profond ; que par
conséquent les vrais rapports entre les êtres, humains ou autres, sont
plutôt des rapports de participation, d ’interpénétration que des rapports
d ’opposition et de négociation ; que, dans tou te affaire, même la plus
temporelle, le principal partenaire est le grand invisible dans lequel,
à vrai dire, se rejoignent, se fondent les partenaires visibles.
i . Ci-dessus, p. 57.
ÉQUILIBRES DANS LA RELIGION ROMAINE I3 7
vrai, mais sauf pour les formes m ystiques, n ’est-ce pas le cas
ordinaire, dans toutes les religions ? Do ut des se lit, presque
mot pour m ot, dans les livres liturgiques des Indiens et trans
paraît dans la plupart des hym nes védiques où, supprim és les
artifices de la rhétorique et les beautés de la poésie, il ne reste
que le raisonnement élém entaire : « Je te loue, aide-moi », ou
« Je t ’offre, donne-moi. » Il n’est pas contestable que ce ne soit
le même raisonnement qui justifie le cours régulier des sacra
et soutienne aussi les nota, avec la nuance supplém entaire d’une
condition et d ’une échéance : « Si tu me donnes, j ’offrirai »,
les choses à offrir étant soigneusement spécifiées. L a procuratio
prodigiorum revêt d ’autre p art l ’aspect d ’une sorte de chantage
divin : les dieux m enacent, sans qu ’on sache en général pour
quoi ; on consulte les Livres pour apprendre ce qu ’ils exigent,
et l ’on paie. Mais la religion n ’est pas seulement cela, ne se borne
pas à ce qui se passe sur l ’autel. Il y a une attitu d e générale
et constante de respect, une façon sérieuse de prononcer les
noms divins ; il y a, dans les plus vieu x tem ps, cette qualifi
cation de pater, de mater, donnée aux principaux ; heureux
sous-produit de la dém ythisation, et jusqu ’à ce que la Grèce
vienne la com pliquer et la gâter, il y a la pureté, la dignité de
l ’idée presque abstraite qu ’on se fait d ’eux ; il y a enfin le sen
tim ent de leur maiestas, de leur supériorité dans la hiérarchie
des êtres, qui fait que la meilleure transaction à passer avec
eux est encore celle du bon cliens, fidèle, dévoué sans réserve
ni calcul à son puissant patronus (Hor. Carm. 3, 6, 5-6) :
ï . Ci-dessus, p. 100.
2. F est. 4 14 L 2 : Gallus Aelitas ait sacrum esse quodcumque modo
atque instituto duitatis consecratum est, siue aedis siue ara siue signum
siue locus siue pecunia, siue aliud quod dis dedicatum atque consecratum sit ;
quod autem priuati suae religionis causa aliquid earum rerum deo dedicent,
id pontifices Romanos non existimare sacrum. V . D. Sabbatucci, « Sacer »,
S M S R . 23, 1952, pp. 91-101 ; H. Fugier, op. cit., pp. 57-127, 199-247·
3. H . W agenvoort, « Profânus, profanare », Mnem ., 4. S., 2, 1949 .
pp. 319-332 ; E . Benveniste, # Profanus et profanare », Coll. Lat. 45
( = Hommages à G. Dumézil), i960, pp. 46-53 ; R . Schilling, « Sacrum
et profanum, essai d ’interprétation », Lat. 30, 1971, pp. 953 -909 ·
4. L . Gerschel, dans JM Q . IV , pp. 175-176. Sur sanctus, M. Link,
De uocis sanctus usu pagano, 1912, et surtout H. Fugier, op. cit., pp. 179-
197, 249-290. Pour ¡’étym ologie des m ots cités ici, on trou vera les don
nées, sinon toujours des options probables, dans W alde-H ofm ann,
Etym. W b., ss. v v .
5. L a discussion de H . Fugier, op. cit., pp. 290-292, contre L . Gerschel
repose sur un malentendu : Gerschel n ’a pas soutenu que c ’étaient là
144 LE VOCABULAIRE DU SACRÉ
les valeurs anciennes, premières, des trois adjectifs ; il a seulem ent noté
qu'ils ont été, à tort ou à raison, rangés par les docteurs romains selon
le schéma des « trois fonctions ». Sur le troisième terme, v . F . de Visscher,
« Locus religiosus », Atti del Congr. intern, di diritto romano (1948), 3,
195 *. ΡΡ· 181-188.
1. Je ne peux ici que dire mon sentim ent, sans entrer dans cette
immense discussion. J ’ai vu avec plaisir q u ’il est partagé par MUe Fugier,
op. cit., pp. 127-151. Les données sont rassemblées avec des interpréta
tions diverses, notam m ent dans C. A. Peeters, Fas en Nefas, Diss. Utrecht,
i 945 < et dans J. Paoli, « Les définitions varroniennes des jours fastes et
néfastes », Rev. histor. de droit français et étranger, 4e série, 29, 1952,
pp. 293 ~3 2 7 · Linguistiquem ent, v . fas dans les dictionnaires étym olo
giques, dont la préférence pour un rapport fas-fari (sur quoi se fonde la
célèbre définition varronienne des nefasti dies comme ceux où il est nefas
fa ri praetorem ‘ do, dico, addico L .L . 6, 29) n’est pas contraignante.
2. Ci-dessus, p. 96, n. 1.
LE VOCABULAIRE DU SACRÉ I 45
et relations visibles définies par le ius Fas n ’est pas m atière
à analyse, à casuistique comme ius et ne se détaille pas comme
lui : il est ou il n ’est pas, fa s est, fa s non est. U n temps, un lieu
sont fa sti ou nefasti suivant qu ’ils donnent ou ne donnent pas
à l’action hum aine non religieuse cette assise m ystique qui est
sa principale sécurité. D ’après quel critère les plus anciens
Rom ains distinguaient-ils ces qualités, décidaient-ils de la pré
sence ou de l ’absence du « fondem ent » ? Nous n ’avons aucun
m oyen de le savoir. Mais la notion était sûrem ent im portante.
On en a v u plus haut le probable rapport avec la mission des
fetiales.
L e latin n ’a pas de m ot pour désigner la religion. Religio 2,
caerimonia3, ce dernier d ’origine obscure, n ’en couvrent pas
le cham p ; tous deux sont fréquem m ent em ployés au pluriel.
L e term e le plus général est colere deos (le substantif cultus
deorum est plusieurs fois dans Cicéron), avec un usage banal
d ’un verbe qui n ’a rien de technique.
P iu s (p lu s ), pietas, appelés à un grand avenir, ont eu
d’hum bles débuts. L e m ot est connu dans d’autres langues
italiques, m ais on dit trop v ite que le volsque pihom estu va u t
la formule latine fa s est4 et que, en latin même, piare, piaculum,
expiare portent la trace de cette ancienne valeur : piare n ’est
pas « ein nefastum beseitigen », m ais « réparer la violation d ’un
devoir naturel », et pihom estu doit avoir la même résonance,
non pas simplement : « On peut faire, sans risque d ’accident
m ystique », m ais : « On peut faire, sans violer aucun devoir ».
Les deux permissions convergent, mais l ’origine en est différente.
E n somme, la notion s’apparente à ius plu tôt q u ’à fa s, seulement
avec une couleur plus m orale que juridique. L a pietas consiste
LA T R IA D E A R C H A ÏQ U E : LES DONNÉES
Plusieurs fois, dans les pages qui précèdent, il a été fait réfé
rence à l ’une des plus anciennes structures qui se laissent recon
naître dans la religion romaine : l ’association, dans un certain
nombre de circonstances, de Jupiter, de Mars et de Quirinus.
A u x tem ps historiques, cette triade n ’a plus beaucoup de v ita
lité et les témoignages s ’en trouvent dans quelques cérémonies,
rituels, sacerdoces évidem m ent archaïques. E lle n ’en est pas
moins le vestige du premier état de théologie qui nous soit
accessible et, comme telle, requiert notre premier exam en. D e
plus, individuellem ent, Jupiter et Mars ont toujours été les
figures les plus im portantes du panthéon ; quant à Quirinus,
il pose un problème com plexe dont la solution en commande
bien d ’autres : suivant le p arti qu ’on adopte, non seulement
l ’interprétation de la triade, m ais celle de nombreuses divinités
se trouve diversem ent orientée.
Même s’il n ’en a pas ensuite tiré un grand parti, c ’est un des
mérites de Georg W issowa que d ’avoir attiré l ’attention, dès le
début de son livre, sur l’existence de la triade précapitoline.
V oici sa présentation, d ’après la seconde édition (p. 23) :
Les trois flamines maiores assurent le service de Jupiter, de Mars
e t de Quirinus, et cette triade (dieser Dreiverein) de dieux est aussi celle
qui apparaît comme dom inante dans les formules sacrées les plus diverses,
datan t des plus anciens temps. Sur la même conception repose l ’ordre
de préséance des plus hauts prêtres, qui était encore en vigueur à la fin
154 LA TRIADE ARCHAÏQUE : LES DONNÉES
ï . = pp. 299-300 L 2.
2. = p. 302 L a.
LA TRIADE ARCHAÏQUE : LES DONNÉES 155
C ’est le rex qui est regardé com m e le plus grand (de ces prêtres), puis
vient le flamen D ialis, après lui le Martialis, en quatrièm e lieu le Quiri
nalis, en cinquième le pontifex maximus. Aussi, dans un repas, le rex
siège-t-il seul au-dessus de tous les prêtres ; le D ialis au-dessus du M ar
tialis et du Quirinalis ; le Martialis au-dessus de ce dernier ; et tous
ceux-là au-dessus du pontifex : le rex, parce qu’il est le plus puissant ;
le D ialis parce q u ’il est le prêtre de l ’univers, q u ’on appelle dium ; le
Martialis, parce que Mars est le père du fondateur de Rom e ; le Quirinalis
parce que Quirinus a été appelé de Cures pour être associé à l ’empire
romain ; le pontifex maximus parce q u ’il est le juge et l ’arbitre des choses
divines e t humaines.
ï. Ci-dessus, p. 108.
2. Ci-dessous, pp. 178-180.
3. V . m aintenant les articles, en tous points excellents, de P. Boyancé,
«Fides et le serm ent », Coll. Lat. 58 ( — Hommages à A . Grenier), 1962,
pp. 329-341 ; « Fides Rom ana et la vie internationale », Institut de France,
Séance publ. des cinq Académies, 25 oct. 1962, pp. 1-16 ; « Les Romains,
peuple de la fides », L H . 23, 1964, pp. 419-435 (Etudes, pp. 91-152) ; L.
Lom bardi, Dalla fides ' alla ' bona fides ’, 1961 ; V . Bellini, « D editio
in fidem », Revue historique de droit français et étranger 42, 1964, pp. 448-
457 (notamment comme moyen de créer un lien de cliens à patronus).
Bibliographie détaillée dans Catalano, SS R . p. 81, n. 31, et dans J. P.
Boucher, Études sur Properce, 1965, pp. 485-487.
LA TRIADE ARCHAÏQUE : LES DONNÉES 157
5° Servius, Aen. 8, 663, dit que les Salii, les prêtres qui uti
lisent dans leurs cérémonies les ancilia, le bouclier tom bé du
ciel et ses onze indiscernables im itations, sont in tutela Jouis
Martis Quirini.
C ette déclaration ne dépend pas du tex te de Virgile auquel
elle est attachée, n ’est pas suggérée par lui ; Servius a donc placé
ici une fiche indépendante, qui n ’a d'ailleurs rien qui surprenne,
chacun des trois dieux ayan t en effet un rapport personnel avec
les Salii : si c ’est Jupiter qui, suivant la légende de fondation,
a fait tom ber Y ancile du ciel, c ’est Mars et c ’est Quirinus qui
patronnent respectivem ent les deux équipes de prêtres à travers
l ’histoire. L a forme sous laquelle nous connaissons la légende
de fondation est certes récente et m arquée d ’influences grecques,
m ais les ancilia sont anciens, non pas sans doute avec une valeur
de pignora imperii, mais avec celle de talism ans de sécurité
annuelle. Quel autre dieu que le souverain Jupiter était habilité
à donner à la collectivité de tels talism ans ? E t quel autre dieu
pouvait m ieux faire tom ber un objet du ciel ? Q uant à l ’a ttri
bution d ’un des collèges de Salii à Mars et de l ’autre à Quirinus,
quelle q u ’en soit la signification, elle est assurée. Personne ne
rejette la première et la seconde n ’est pas moins bien attestée,
m algré ce qu ’écrit L atte (p. 113, n. 3) : « L ’attestation est
faible : un discours dans T ite-L ive, 5, 52, 7, et une expression
quelque peu contournée de Stace, Silv. 5, 2, 129. » Pour ne
pas parler du te x te du poète, qui n ’est pas négligeable 2, on ne
dernière expression fasse seulem ent allusion au fa it que les armes des
Salii ne servaient q u 'à des rites, non à la guerre. E n tou t cas, ce texte
prouve bien que les Salii Collini étaient de Quirinus.
ï . L a tte refuse aussi d ’adm ettre que les Salii soient des prêtres,
(pp. 115, 120) ; disons, s ’il préfère, des hommes spécialistes de certaines
fonctions religieuses.
2. On aura noté q u ’aucun des tém oignages ne suppose que Quirinus
soit identifié à Romulus, ce qui s’oppose à la thèse de L a tte discutée
ci-dessus, p. 120.
CHAPITRE II
IN T E R P R É T A T IO N : LES T R O IS F O N C T IO N S
1. Serv. A en. 8, 552 : more enim uetere sacrorum ñeque Martialis ñeque
Quirinalis omnibus caerimoniis tenebantur quibus flamen D ialis. Si le
flamen Martialis peut monter à cheval (ibid.), ce n’est pas par un relâ
chement de son statu t, mais parce que le cheval appartient au domaine
de Mars (ci-dessous, p. 226). Que le sta tu t propre au M artialis ait été
assez strict ressort, par exem ple, de V al. M ax, 1, 1, 2, où l ’on vo it un
grand pontife empêcher un consul qui est en même tem ps flamine de
Mars d ’aller faire la guerre en Afrique ne a sacris discederet ; mais on ne
connaît pas les caerimoniae Martiae qui requéraient sa présence. De
même le grand pontife n ’autorisa pas un Q. Fabius Pictor, nommé
préteur, à se rendre dans sa province de Sardaigne, en 189, parce q u ’il
a va it été consacré flamine de Quirinus l ’année précédente (ce person
nage est, en conséquence, figuré à la fois avec ses attribu ts sacerdotaux
et avec des armes sur des monnaies d ’un Fabius, au début du premier
siècle av. J.-C. : H . Grueber, Coins o f the Roman Republic in the British
Museum, I, 1910, pp. 181-182).
2. Ci-dessous, pp. 225-239, et « Q I I 17 (Le « sacrifice hum ain » de 46
av. J.-C.) », R E L . 41, 1963, pp. 87-89. Il n ’est pas douteux que la forme
de l ’exécution ne soit prise au Cheval d ’Octobre (elle a lieu aussi au Champ
de Mars, les têtes sont aussi portées ju squ ’à la Regia) ; D ion Cassius
précise d ’ailleurs q u ’on s’est conform é à un rituel religieux, έν τρόπω
τινί ιερουργίας, C ’est certainem ent à YEquus October, seul sacrifice dé
cheval à Rom e, que se réfère Plin. N .H . 28, 146 : le fiel de cheval, dit-il,
est considéré comme un poison ; ideo flam ini sacrorum equum tangere
non licet, cum Romae publicis sacris equus etiam immolatur ; le flamen
doit être ici le Martialis et le mode de mise à m ort (à coups de javelot)
lui perm ettait de sacrifier l ’animal sans le toucher.
3. Dans sa leçon inaugurale du Collège de France, 4 décem bre 1945,
p. 12 ( = Philologica I, 1946, p. 10), A. E rn out a ingénieusement attribué
au flamen M artialis un second office, nullem ent guerrier : « ... T el ce
distique que prononçait le flamen Martialis, le jour des Meditrinalia,
fête en l ’honneur de M editrina ‘la < déesse > Guérisseuse’ pour écarter
la m aladie : Nouum uetus uinum bibo | nouo ueteri morbo medeor (Var-
INTERPRÉTATION : LES TROIS FONCTIONS
a vait été proposé jusq u'à cette date a été publié sous le titre
L idéologie tripartie des Indo-Européens, Collection Latomus,
vol. X X I V , 1956 1. Mais l ’étude ne cesse de progresser, c ’est-à-
dire à la fois de se compléter et de se corriger, et les discussions
sans cesse renouvelées q u ’il fau t soutenir contribuent utilem ent
à cette mise au point. Parallèlem ent, une enquête plus lente
s ’emploie à déterminer, à travers le monde, quelles sociétés,
rares, en dehors des Indo-Européens, ont réussi à expliciter et
à m ettre au centre de leur réflexion les trois besoins qui sont en
effet partout 1 essentiel, m ais que la plupart des groupes humains
se bornent à satisfaire, sans théorie : le pouvoir et le savoir
sacrés, l ’attaqu e et la défense, le vivre et le bien-être de tous.
D ans toutes les sociétés indo-européennes anciennes où
elle est ainsi le cadre de l'idéologie, c ’est un problème de
savoir si, et jusqu à quel point, la structure des trois fonctions
s exprim e aussi dans la structure réelle de la société. Car c ’est
encore autre chose que de reconnaître explicitem ent ces trois
besoins et de leur faire correspondre, dans la pratique, une
division du travail social, les hommes étant plus ou moins
exhaustivem ent répartis en « classes » fonctionnelles, en Stànde,
L ehrstand, W ehrstand, N àhrstand, a-t-on dit parfois avec
une expression assonante, m ais insuffisante, surtout dans son
premier terme. Il semble certain que, partout, les succès
rapides^ des colonnes de conquérants indo-européens ont été
dus à ¡ existence de spécialistes de la guerre, notam m ent de la
charrerie, tels que les marya indo-iraniens, dont les chroniques
égyptiennes et babyloniennes ont gardé le souvenir apeuré.
Les étonnantes ressemblances qui ont été signalées entre les
druides et les brahmanes comme entre le ri irlandais et le
râjan védique semblent de même indiquer que, sur une par
tie au moins du monde indo-européen, les typ es anciens des
adm inistrateurs du sacré et du dépositaire du pouvoir politico-
religieux ont survécu à de longues m igrations. Ainsi les deux
fonctions supérieures devaient être assurées par des groupes
différenciés de la masse, à laquelle, souvent grossie d ’autoch
tones soumis, incom bait la troisième. Mais il est certain aussi
que, au term e de ces grands voyages, après leur fixation, la
plupart des groupes parlant des langues indo-européennes
ont plus ou moins tôt, parfois très tôt, renoncé dans la pra-
blem ent ailleurs ^ R E L ' 38’ I96° ’ PP' 99‘ 100· J ’? « v ie n d ra i proba-
I. Cf. aussi Les dieux des Germains, essai sur la formation de la relieion
Scandinave, 1959, et M E . I, 1968, notam m ent pp. 46-52.
INTERPRÉTATION : LES TROIS FONCTIONS 175
ï . Peu im portent ici les discussions des anciens sur le titre et le com
m andem ent exacts de Cossus.
2. Comparer l ’emploi du singulier Quiris au sens de « un Rom ain
quelconque, de basse classe » : Juv. 8, 4 7 (ima plebe Quiritem), Ov. Am .
i , 7, 29 (minimum de plebe Quiritem), 3. 14. 9 (ignoto meretrix corpus
iunctura Quiriti).
INTERPRÉTATION : LES TROIS FONCTIONS l8 l
* · G c ll . 4 , 6 , d o n n e u n e i n d i c a t i o n d e m ô m e s e n s , q u ’ il a l u e in antiquis
memoriis. U n jour que les hastae Martis s ’étaient agitées dans la Regia,
un sénatusconsulte prescrivit à l ’un des consuls de sacrifier à Jupiter
e t à Mars hostiis maioribus et, parmi les autres dieux, d ’apaiser ceux
q u ’il estim erait devoir l ’être lactentibus.
CHAPITRE III
J U P IT E R
Rom ain, lui, est com plètem ent descendu d ’un étage : malgré
ses premiers sanctuaires placés sur les bien m odestes hauteurs
de la V ille, il reste, comme elles-mêmes, proche de la plaine.
Un résultat de cette évolution, en Grèce comme à Rom e, a été
de rem ettre à Zeus comme à Jupiter, et cela, semble-t-il, dès
avant l ’histoire, le m aniem ent de l ’accessoire plus atm osphé
rique que céleste qu ’est la foudre. D e fait, dans son aspect n atu
raliste, plutôt que de la lum ière sereine ou de la chaleur, c ’est
de la foudre que Jupiter est le m aître, de la foudre avec son
décor et son accom pagnem ent, l ’orage et la pluie. Même une
épithète comme Lucetius, connue aussi en p ays osque, qui
paraît d ’abord se rapporter directem ent à la lum ière, et que
les Rom ains hellénisés ont ainsi comprise (Serv. Aen. 9, 570 ;
etc.), désigne en réalité le flambloiement de l’éclair ou de la
foudre : le vénérable chant des Salii emploie au vo ca tif la
variante Leucesie dans un contexte où il s ’agit du tonnerre.
E t Jupiter n ’a pas attendu l ’exem ple de Zeus ni la casuistique
minutieuse des L ibri Fulgurales étrusques pour comm uniquer
avec les hommes par ce signe auquel la flam inica D ialis m ani
festait une grande sensibilité religieuse. Si une autre épithete
ancienne, E licius, ne fait pas allusion à la foudre comme le
croyaient certains érudits anciens et comme 1 adm et, dans la
légende des origines, le foudroiem ent du roi T u llus Hostilius
par un Jupiter Elicius m al évoqué, sans doute se rapporte-
t-elle, comm e le pensent plusieurs modernes, à l ’ouverture des
réservoirs de la pluie \ et, s ’ü n ’est pas sûr que Ju piter ait été
le destinataire du rituel, plu tôt magique, du lapis manalis,
de la pierre introduite par la porte Capène et promenée dans la
ville en tem ps de sécheresse (Fest., p. 255 L®, etc. ; L a tte,
p. 78, n. 4), il était si bien compris comme le m aître de la pluie
que des cérémonies relativem ent tardives, comm e les N u d i
pedalia, destinées elles aussi à la faire tomber, se sont rattachées
naturellem ent à lui (Petr. 44, etc.).
E nfin, dieu du ciel proche, il y fait paraître les auspicia,
les signes que, dieu souverain, il donne aux chefs de Rom e
par les oiseaux et que les augures — interpretes Jouis O. M .,
dira Cicéron (Leg. 2, 20) 2 — observent dans une portion de ciel
im aginairem ent découpée.
Les faits q u ’on allègue du côté agraire sont peu nom breux.
On cite d ’abord quelques épithètes, qu ’on n ’ose dire cultuelles,
extraites de la collection des onze que saint A ugustin a accu
mulées dans la Cité de D ieu, 7, 11 et 12. Justem ent Ruminus,
celle dont le polémiste chrétien s’amuse le plus — la m oitié
du chapitre 11 est consacrée à des plaisanteries sur le sexe du
dieu — n ’a probablem ent pas le sens qu ’il lui donne (« celui
qui allaite les anim aux ») ; W issowa, p. 242, que suit L atte
(p. m ) , p araît avoir raison de reconnaître dans la série Rumina,
Ruminalis ficus, Jupiter Rum inus le nom même de Rom e avec
un vocalism e étrusque (cf. Rumay_ « Rom ain ») scrupuleusem ent
conservé par la langue sacrée. D eux autres, Jupiter Alm us,
Jupiter Pecunia (auquel saint A ugustin consacre tou te la dia
tribe du chapitre 12), auraient besoin d ’être précisées quant aux
circonstances de leur emploi, ou même simplement confirmées.
L e Ju piter frugifer d ’Apulée et d ’une inscription tard ive sent
la littératu re et ne prouve rien pour les origines. E n fin Jupiter
Farreus (Wiss., p. 119) n ’est pas ainsi appelé pour un rapport
ordinaire q u ’il aurait avec le from ent, mais concerne uniquem ent
le rituel de la forme la plus auguste du mariage, la confarreatio,
qui doit son nom au gâteau de from ent qu’y tenaient les deux
époux ; dans sa brièveté, l ’épithète signale sim plem ent que le
dieu, avec sa valeur ordinaire de garant des engagem ents, pré
side aux actes sym boliques de cette cérémonie à laquelle doit
participer son flamine et q u ’il peut lui-même interrom pre d ’un
coup de foudre (Serv. Aen. 4, 339).
Quant a u x données rituelles, elles se réduisent à deux. Il y a
d ’abord, dans la rehgion rurale (Cato Agr. 132), le festin, daps
— pratiquem ent de la viande rôtie et une coupe de vin, culigna,
urna u in i — qui est offert à Jupiter avant les semailles d ’hiver
ou de printem ps (Fest. pp. 177-178 L 2) et d’où l ’on tire le vocable
Dapalis. On conçoit que le paysan s’adresse en supphant,
à ce point de son travail, au dieu qui déchaîne ou retient l’orage.
Mais, dans la formule que cite Caton, toute d ’offrande, sans
aucune demande, rien n ’oriente en ce sens et, si le paysan a
cette idée, il la garde pour lui, au fond de sa pensée. Les termes
em ployés, daps, pollucere suggèrent autre chose 1 : Jupiter est
ici q u ’il n ’a pas été écrit pour justifier la fête : et iam maturis
metuendus Juppiter unis.
Plausible pour les Vinalia d ’été, à la veille de la récolte,
cette explication doit, là-même, être strictem ent lim itée.
W. W arde Fow ler écrivait, il y a plus d ’un demi-siècle : « The
gift of wine m ight natu rally be attributed to the great god of
the air, light and heat. » N on : dans les phrases de Pline comme
dans les vers de Virgile, il ne s ’agit que des dégâts (metuebant ;
metuendus ; tempestatibus leniendis) que Jupiter, m aître de la
foudre et de l ’orage, peut infliger aux raisins presque m ûrs et
dont on lui demande de s ’abstenir. Ni chez Pline, ni dans le
peu q u ’on sait des rites (Varr. L .L . 6, 16), il n ’est question d ’une
part positive qu ’il prendrait à la m aturation du fruit, — cela
seul qui l’apparenterait aux divinités dites agraires.
Mais il y a deux difficultés. L e temps, Wetter, la pluie et le
beau tem ps suivant les moments, c ’est-à-dire la machinerie du
Jupiter naturaliste, ne sont pas moins im portants pour les autres
cultures que pour la vigne : soit par la sécheresse, soit par
la tem pête, les champs et les jardins, eux aussi, peuvent être
dévastés. Comment se fait-il que la demande ou la reconnais
sance des hommes ne s ’oriente vers Jupiter q u ’en faveur de
la vigne ? D ’autre part, pour la vigne même, l ’explication est
insuffisante : l ’expression de la reconnaissance des hommes
dépasse la circonstance précise où Jupiter, m aître des orages,
est intervenu, ou plutôt s ’est abstenu ; il n ’y a pas seulement
les Vinalia du temps de la vendange, il y a aussi les autres
fêtes du vin, notam m ent les V inalia du 23 avril, où les prémices
du vin nouveau sont offertes au dieu avant toute consomm ation
profane. Or, dit Pline (18, 287), il ne s ’agit plus ici des raisins,
m ais de leur ju s déjà traité par l’art des hommes : Vinalia priora...
sunt V I I I K a l. M ai. degustandis uinis instituta, n ihil ad fructus
attinent.
P ar conséquent, sans contester que les Rom ains aient aussi
pensé à abriter leurs vignobles des fantaisies tonnantes de Jupi
ter — pourquoi ne pas exploiter toutes les valeurs, toutes les
puissances du dieu auquel on s ’adresse ? — il semble que le
patronage de Jupiter se justifie autrem ent, plus am plem ent.
D e fait, il ne s’intéresse pas à la croissance des grappes, mais
à leur utilisation, à leur produit, au vin ; exactem ent, sa pre
mière m arque d’intérêt commence avec la première grappe mûre,
que, dans l ’intervalle d ’un sacrifice, inter exta caesa et porrecta \
i. V. ci-dessous, p. 436.
196 JUPITER
mus signifierait ici « le plus grand des Jupiter » (par rivalité avec d autres
Jupiter latins) est très peu vraisem blable (Warde Fow ler, Piganiol).
ï . O n observera plus loin, pp. 295-296, le rôle du tem ple capitolin
dans la vie romaine.
2. Ci-dessous, pp. 465-467.
202 JU PITER
On dit que jam ais général ne paru t sur le champ de bataille plus gai
que Papirius, soit que ce fû t sa nature, soit qu’il se sentît assuré du
succès. C ette même ferm eté d ’âm e se m anifesta quand il ne se laissa pas
détourner d ’engager le com bat par un auspice douteux. A u m om ent
décisif, où il est d’usage de vouer des temples au x dieux immortels, il
a vait fait vœ u, s ’il b a tta it les légions de l ’ennemi, d ’ofirir à Jupiter
Victor, a v a n t de boire du vin, une petite coupe de vin miellé. Ce vœ u
fut agréé des dieux et les auspices devinrent favorables.
M ARS
rinus *. Mais, s’il est vrai que la lance est un sym bole de Mars,
c ’est ce dieu qui entre en jeu, et lui seul, au term e de la procé
dure, quand le fétial, sans aucune invocation, ouvre les hostilités
en lançant sur la terre ennemie hastam ferratam aut sanguineam
praeustam (Liv. 1, 32, 12) 2. L a victoire acquise, il est parm i
les dieux quibus spolia hostium dicare ius fasque est (Liv. 45, 33>2)>
mais là-même le général vainqueur garde une grande liberté et
des divinités techniciennes de la destruction, Volcanus, L ua,
se proposent à son choix. Ces remarques ne sont pas contredites
par le fait que, dans le com bat lui-même, le général form ule
souvent, à l ’adresse d’un autre dieu que Mars, et parfois fort
éloigné de son type, le vœ u d'une offrande, d ’un tem ple ou
d’un culte en cas de victoire, et que de tels vœ u x soient rarem ent
adressés à M ars lui-même. Com bat et victoire ne sont pas la
même chose, bien qu ’une bonne direction et une bonne exécu
tion du premier conditionnent la seconde. Mars fait com battre,
se déchaîne, saeuit, dans les bras et dans les arm es des com bat
tan ts ; il est pour Rom e M ars pater certes, mais aussi Mars
caecus, et l ’on conçoit que, pour orienter cette force, au moment
décisif de la mêlée, in ipso discrimine, le général intéresse à
l ’issue encore douteuse une divin ité moins engagée dans le détail
enivrant de l ’action 3. Mais, naturellem ent, cette différence n ’est
pas une opposition, et Mars peut cesser d ’être aveugle et conduire
seul à son term e la vengeance des Romains.
Tel est Mars. Il faut dire que son typ e rappelle plus l’Arès
grec auquel les théologiens l’assim ilent que les dieux com bat
tants des Indo-Iraniens et des Germains. Un changem ent im por
i. On a soutenu aussi que sanguis equi, sans spécification, peu t bien être
le sang du C heval d ’Octobre puisque, sans plus de spécification, uituli
fauilla est sûrem ent la cendre des em bryons de veau x des Fordicidia.
Les deux cas ne sont pourtant pas comparables. O vide n ’a v a it pas à
indiquer ici l ’origine de la cendre puisqu’il l ’a va it fa it quelques vers
plus haut, dans le même quatrièm e livre, à propos des Fordicidia.
Au contraire il savait (dans l ’hypothèse de Rose) q u 'il ne retrouverait
l ’occasion d ’indiquer la destination finale du sang du C heval d ’Octobre
que beaucoup plus loin dans son œ uvre, dans le livre consacré au dixièm e
mois : il est donc étonnant q u ’ici, en avril, au m om ent où cette des
tination finale s'accom plit, il n ’ait pas rappelé l ’origine, rem arquable,
du sang. — On a d it aussi que, la uituli fauilla étan t le reste d ’un sacri
fice antérieur, il est a priori probable q u ’il en est de même du sanguis
equi. C ’est abuser de la sym étrie et oublier le troisièm e ingrédient, le
culmen inane fabae (sur quoi, v. ci-dessous, p. 388) — à moins q u ’on ne
soit prêt à adm ettre que ce dernier est aussi un « reste d ’offrande »,
le résidu des fèves présentées au x Lém ures onze mois plus tô t (9, 11, 13
mai) ou des fèves servies en purée à Carna dix mois plus tô t ( i cr juin),
résidu qui aurait été, comme la cendre et le sang, mis à la disposition
des Vestales. Mais où s’arrêter sur une telle pente ?
M A RS 235
non romaines du voisinage ? L a contentio est donc lim itée à deux quar
tiers dans Rom e, le « quartier ro yal » et un faubourg, et réduite a une
lu tte pour la possession de la tête du cheval mort.
X. Les Mamilii n’étaient pas originairem ent rom ains, m ais tuscu-
lans (Liv. i , 49, 9), et la légende leur attribue un grand rôle, contre la
Rom e républicaine et pour la restauration des Tarquins, dans la. guerre
de Porsenna et par delà : la turris M am ilia, par opposition a la Regia deve
nue le centre religieux de la République, peut donc représenter sym bo
liquem ent dans le décor de ce rituel 1 élém ent étranger.
2 A u total, dans l ’Inde com m e à Rome, il y a deux risques : à Rome,
risques provenant de la nature (dessication trop rapide) ou d ’accidents
de parcours pour la queue, risque résultant de la compétition (enleve-
ment) pour la tête ; dans l ’Inde, maladies variées, m ort accidentelle
ou disparition du cheval pendant l'année de courses libres, mise a m ort
ou enlèvem ent dans les royaum es étrangers q u ’il traverse, Dum ont,
PP· 52-54 (§§ 224-237).
238 MA RS
ï. En dernier lieu, H. J. Rose, op. cit. (ci-dessus p. 227, n. 2), pp. 9-12
(ïCarmen Aruale), 7-9 (Cat. Agr. 141). L a conception « Mars agraire »
dépare l’étude, par ailleurs importante, de F. Castagnoli, « Il campo
marzio nell’antichità », M A L . 8. Ser. 1, 1947, pp. 93 -I 9 3 -
2. A. Alfoldi, « Ager Romanus antiquus », Hermes 90, 1962, pp. 187-
213·
MARS
L ’intention des rites est alors lim itée à un p etit intérêt — non
plus peuple, mais fam ilia ; non plus ager Romanus m ais fundus ;
non plus urbs, mais uilla — et les offrandes sont moins somp
tueuses : la daps rustique de Jupiter se réduit à un rôti et à
une cruche de vin. Il en est ainsi pour le rituel de Mars décrit
au chapitre 141 du même traité de Caton : sa lustratio agri est
une réplique mineure des grands rituels de circum am bulation,
et ses suouetaurilia sont lactentia, c ’est-à-dire associent un por
celet, un agneau et un veau. Mais le texte doit être cité dans
son ensemble, pour que l ’ensemble éclaire certaines expressions
que les tenants du Mars agraire isolent volontiers et dont ils
tirent des conséquences injustifiées.
A près une offrande préliminaire de vin à Janus et à Jupiter,
voici la form ule de prière que Caton propose de faire réciter
au villicus :
ï . Ces formules de Caton ne sont certainem ent pas des form ules tradi-
tionneles, ne varietur, mais plutôt des modèles q u ’il propose, auxquels
il a mis sa marque. Les « trichotom ies », et d ’abord celle du plan, qui
se rem arquent dans ce chapitre sont conformes à ce q u ’Aulu-Gelle, 1*3, 25
(24)» 13» d it de Caton orateur : item M . Cato... cum uellet res nimis pros-
MARS 245
tions : la guerre est de Mars par le com bat, par les m oyens vio
lents de la victoire, mais la préparation juridico-religieuse, les
auspices et to u t l ’arrière-plan providentiel de la victoire sont de
Jupiter, qui, dans tout cela, reste aussi souverain que, dans
les gardes q u ’il m onte pour le paysan contre la horde des fléaux,
Mars reste c o m b a tta n t1.
A dultes ou lactentia, nous avons signalé plusieurs fois le grou
pement de victim es constituant les suouetaurilia, caractéris
tiques de M ars 2. E n particulier, dans la théorie des spolia opima
pée dans le second essai du recueil Turpciu, 1947, pp. 117-158 ; biblio
graphie de la cérémonie indienne, p. 119, notam m ent Λ. W eber’ « Über
den R a jasu y a », A P A W . 1893, 2, pp. 9 1-106; Λ. H illebrandt, Ritual-
Literatur 1897. PP: 159-161 ; v. en dernier lieu P.-E. Dum ont, « The
, i-Sautrâm anï ' ° the T a ittiriy a - B ràhm ana », Proc. o f the Amer
Phtlol. Society, 309, 1965, pp. 309-341.
MA RS 249
i. Tarpeia, p p . 1 2 6 , 1 2 8 , 1 5 4 - 1 5 8 . . .. , . ,
2 Un autre rituel indien prévoit, toujours pris sur la liste déjà indo-
iranienne (Tarpeia, p. 132) des cinq victimes hiérarchisées, un autre
groupement ternaire : l 'asvamedha associe au cheval, au moment du
sacrifice une variété de bœuf et une variété de bouc (Dumont, p. 156
= 5 4 6 4 · p. 175 = §§ 496, 500). L ’A vesta connaît des sacrifices mythiques,
amplification dans doute de sacrifices réels, où sont associés cent che
vaux mâles, mille bœufs, dix mille moutons à Anahita : YaSt 5, 2 1 et
note de Darmesteter, Le Zend Avesta II, P - 37 2 ; a D rv ã sp ã . Y a s tg , 3.
Rien de comparable n’est signalé à Rome à l’occasion du Cheval d Oc
tobre, seule circonstance où le cheval soit victime, mais v. ci-dessous,
p p. 465-467. . _
3· J e ne Parle Pas des divinités mineures, ci-dessous, p. 255, n. 1.
252 MAKS
plus adm et-on généralem ent que, dans les mentions de dépouilles
brûlées sur le cham p de bataille en l’honneur de Mars et de
Minerve (Liv. 45, 32, 2 ; A pp. P un. 133 : armes, machines et
vaisseaux ennemis brûlés en offrande à Arès et à Athéna),
M inerua est un à-peu-près hellénisant pour Nerio. Q uant aux
Moles M artis, la seule trace d ’un acte cultuel date du temps
d ’A uguste, dans une supplicatio commémorant la dédicace du
sanctuaire de Mars Ultor au C apitole (C IL . X , 8375, de Cumes).
Pallor et P av o r (Liv. 1, 27, 7) ne sont sans doute même pas
authentiques (Wiss., p. 149). Parm i les abstractions, V irtus
et Honos ne recevront de sanctuaires qu ’à la fin du 111e siècle,
et V ictoria au début du second ; encore, si les premières, logées
dans le voisinage du temple de la porte Capène, peuvent passer
pour « m artiales », la troisième, par son idéologie, par le lieu
et le natalis de son tem ple, appartient au cercle de Jupiter
Victor. E n fin Bellona, vieille divinité, ne forme pas non plus
structure avec Mars, et son service, son concept étaient distincts
de ceux du dieu *.
ï . Hermansen, pp. 96-97 ; 84. Sur tou t ceci, voir plus de détails à
l ’appendice, pp. 662-665.
254 MAKS
1. N R . pp. 65-66.
2. N R . pp. 66-70. « Q II. 8, Om brien Tursa », Lat. 20, 1961, PP· 253-
257. Sur ces noms de divinités mineures formés par 1 ad jectif tiré du
nom d ’une d ivinité m ajeure (en Ombrie, Çerfus Martius ; dans le Latium
N um isius M artius C I L I 2 32, etc.), à côté des noms formés par le génitif
du nom de la d ivinité m ajeure (Nerio Martis, Moles Martis, etc.), v.
M E . II I , première partie, chap, n i, § 5. Cf. ci-dessous, p. 399· Pour
les divers types de noms doubles de dieux étrusques, v. M. P allottino,
S E . 30, 1962, pp. 303-304.
256 MAKS
Q U IR IN U S
typ e exactem ent complémentaire. Mais ces trois Rom ulus n ’en
font qu ’un et, une fois assimilé à Rom ulus I en vertu des conve
nances qui viennent d ’être dites, Quirinus s ’est naturellem ent
trouvé, du même coup, assimilé à Rom ulus I I et à Rom ulus III.
C ’est le destin de toutes les interpretationes : quand les Rom ains,
vers la fin de la République, à cause d ’un trait de rituel commun
et peut-être de la notion de « blancheur », eurent interprété leur
déesse Aurore, M ater M atuta, en Leucothéa, tou te la légende
de celle-ci se transporta sur celle-là, et, Leucothéa a ya n t pour
fils M élicerte-Palaemon, M atuta se trouva chargée du rôle inat
tendu de mère de Portunus, assimilé lui-même à M élicerte pour
le rapport que l ’un et l ’autre ont avec l ’eau (Ov. F . 6, 545-546).
Une des raisons de la difficulté q u ’on éprouve à voir clair dans
les divinités gallo-romaines vien t de ce que quantité d ’entre
elles ont été nommées « M ars », ou « Mercure », ou « Apollon »
en vertu d ’analogies fragm entaires et variables avec ces dieux
romains alors que, pour l’essentiel, ces divers Mars, ces divers
Mercures, ces divers Apollons étaient fort différents. Parfois
nous saisissons les perplexités que ce genre de problèmes ne
peut m anquer de donner à des théoriciens consciencieux : au
début du x m e siècle, le savan t Saxo Gram m aticus se demande
longuem ent comment faire correspondre à Jupiter et à Mars
l’Othinus et le Thor de la m ythologie Scandinave : Jupiter
est le dieu qui lance la foudre, comme Thor, m ais il est le roi
des dieux, comme Othinus ; d ’autre part, ce roi des dieux est
le dieu de la guerre, comme M ars... Mais, en général, dans l ’an
tiquité, ces scrupules étaient v ite levés : une fois faite à partir
d ’une correspondance partielle, l ’identification déroulait ses
conséquences au prix de corrections et d ’innovations en chaîne.
C ’est certainem ent ce qui s ’est produit pour Quirinus devenu
Romulus. Il s ’est trouvé, dans la légende, fils de Mars, ce qui,
restant littéraire n ’était pas grave ; mais il a aussi volontiers
revêtu l ’uniforme guerrier de Rom ulus II, qui contredisait sa
nature. Ici intervient un second facteur.
D ans l ’Inde védique comm e en Scandinavie, les divinités de
troisième fonction, les A ávin comme les dieux Vanes N jordr
et F reyr, agissent dans la p aix. Des nom breux services q u ’énu-
mèrent complaisamm ent les hym nes aux A ávin, aucun n est
guerrier ; s ’il leur arrive d ’apparaître dans une bataille, ce n ’est
pas pour com battre, c ’est pour tirer du danger un com battant
menacé 1 ; m ais cela même est exceptionnel, et le verbe ksi-,
i. « L es trois fonctions dans le R g V ed a et les dieux indiens de M itani »,
B A B . 5e série, 47, 1961, p. 275, n. 1 (contre P. Thiem e).
q u ik in u s
ï . Ci-dessus, p. 212.
2. Ci-dessus, p. 172.
3. Ainsi Varron, L . L . 5, 73 : Quirinus a Quiritibus.
270 QUIRIN U S
X. Prim itivem ent tou t au moins. Je ne discute pas ici les rapports
des comitia curiata et de la variété dite calata.
272 Q U I K IN U S
ï . Il est d outeux que les Rom ains des siècles classiques aient perçu
le rapport étym ologique entre tranquillus et quies. E n to u t cas, aucun
n ’a expliqué Quirinus par le radical de quies, n ’a rapproché les deux
m ots ; visiblem ent, dans sa glose, Servius ne fa it pas non plus d ’ «etymo-
logisches Spiel » entre le qui- de Quirinus et le -qui- de tranquillus. C ette
hypothèse vicie la discussion de W . B urkert, dans une note de son article,
par ailleurs rempli de bonnes choses, « Caesar und Rom ulus-Quirinus »,
Historia x i , 1962, p. 360, n. 27 ; dans la même discussion, l ’auteur
n ’observe pas non plus la différence de traitem ent, donc de signification,
des « armes de Mars » e t des <t arm es de Quirinus », ci-dessous, p. 273
et n. ï ; pour Quirinus-Enyalios, ci-dessous, p. 274.
QU IRIN U S 2 73
que l ’on figurait une clef à la m ain (Paul. p. 161 L 2), et Quiri
nus, défini custos et tranquillus, n ’auraient-ils pas collaboré ?
Telles sont les deux voies qui ont rapproché Quirinus de la
fonction guerrière : la pesanteur du typ e Rom ulus, à qui de tout
autres raisons l ’avaient fait assimiler ; la forme prise très tôt
par la res militaris romaine, faisant de tout civil un homme
de Mars en sursis d ’appel.
Si la seconde voie n ’a pas abouti à une m ilitarisation totale,
elle n ’en a pas moins contritué à Y interpretatio graeca qui, dès
Polybe, est établie et ne sera jam ais remise en cause : Ένυάλιος.
Ce très vieu x dieu guerrier, dont, récemment, le nom a été
l ’un des premiers lus sur les tablettes écrites en m ycénien
linéaire B , fut très tôt assimilé à Arès, au point qu ’il n ’est, déjà
dans Ylliade, q u ’un nom ou un surnom du grand dieu des
com bats. C ’est sans doute cet emploi subordonné qui l ’aura
recommandé pour exprim er Quirinus : entre Quirinus et Mars,
les transpositeurs auront retenu l ’identification lim itée dont
tém oignent plus tard les heureuses formules de Servius et ils
auront cherché un dieu grec qui fût, lui aussi, plus ou moins
confondu avec A rès : dès lors E nyalios s’imposait. Mais toute
interprétation est trompeuse et déform ante : le rapport d ’E nya-
lios et d ’A rès n ’est nullement fondé sur l’alternance de la guerre
suspendue et de la guerre déchaînée, mais sur cette dernière
seule, dont tous deux sont les anim ateurs ; cette distinction,
l ’essentiel pourtant, s’est donc estom pée pour le dieu romain
et, dans la pensée des auteurs grecs au moins, la dénomination
même d ’E nyalio s a fait de Quirinus un πολεμιστής qu ’il n ’était
pas : du Mars tranquillus, il n ’a subsisté que Mars. E t l ’on a
adm is — ce que font encore quelques auteurs contem porains,
oublieux du parallèle d ’Iguvium et des offices si peu m artiaux
du flamen Quirinalis — q u ’il s ’agissait de deux dieux éq uiva
lents, m ais l ’un proprem ent latin, l ’autre sabin, dieu de « Cures »,
ascitus Curibus, im porté par Titus Tatius lors du synécism e :
Quirinus devin t ainsi, dans une des deux variantes de la légende
des origines, le « Mars sabin » λ. V oici par exemple l ’explication
que donne D enys d ’Halicarnasse (2, 48, 2) : « Les Sabins, et les
Romains d ’après eux, donnent à E nyalios le nom de Quirinus,
sans pouvoir d ’ailleurs dire exactem ent si c ’est Arès. Certains
Tel est, clarifié autant qu ’il est possible, le plus difficile des
grands personnages de la théologie romaine. Si l’on fait abstrac
tion des extensions qui, sous son nom, sont propres à Rom ulus
ou à Mars, le tableau dont nous disposons m aintenant enrichit,
mais ne contredit pas, celui q u ’avaient composé les éléments
sûrement les plus archaïques. A u x notions de masse sociale
organisée, de bon entretien alim entaire de cette masse et géné
ralement de sa prospérité, s’est ajoutée surtout la notion de
paix, d ’une p a ix vigilante certes et form ant structure avec les
ï . Ci-dessus, p. 211.
2. « Q I I . 13, le sacrarium, Opis dans la Regia », R E L . 39, 1961, pp. 257-
261.
3. E n dernier lieu, v. Pestalozza, « Mater Larum e A cca L aren tia »,
R. Inst. Lombardo di Scienze e Lettere, Rendic., 46, 1933, pp. 905-960 ;
A . Momigliano, Tre figure mitiche, Tanaquilla, Gaia Cecilia, Acca Laren-
zia, 1938, repris dans Quinto contributo alla storia degli studi classici
e del mondo antico (Storia e letleratura, 115), 1969. ΡΡ· 4 7 1 ‘ 479 D · Sab-
batucci, « II m ito di A cca L aren tia », S M S R . 29, 1958, pp. 41-76. Mais
v. toujours le bel essai qui ouvre (pp. 1-12) le second volum e des Romische
Forschungen de Th. Mommsen : « D ie echte und die falsche A cca Laren
tia ». Cf. ci-dessous, pp. 346-35°.
4. Certains faisaient de L aren tia la mère des « frères A rvales », proto
types des prêtres chargés de la protection m ystique des cham ps (Gell. 7,
7 . 8 ).
28ο QUIKIN US
décidé de rem placer par un tem ple ; mais, comme pour le Capi
tole, il aurait été pris de vitesse par la République et ce sont
les consuls qui auraient dédié l ’édifice en 497. A près avoir
vieilli sans incident tout au long de la République, il fut rebâti
en 42 a van t notre ère ; brûlé en 283, reconstruit par Dioclétien,
il eut la chance de durer ju sq u ’à la fin de l ’empire. Malheureu
sement, ni l ’ancienneté, ni la vitalité, ni la localisation du culte
n ’enseignent rien, non plus que l ’usage très im portant, mais
secondaire, qui fu t fait du templum Saturni, surtout sous la
Répubhque : le trésor public, 1’aerarium, y était logé sous la
garde des questeurs. On ne sait non plus que faire de l ’associa
tion de Saturne avec L u a M ater : les formules pontificales
(Gell. 13, 23, 2) nommaient une Lua Saturni dans les mêmes
conditions q u ’une Nerio M artis, que des Virites Quirini, etc.,
c ’est-à-dire que l ’abstraction doit, dans ce cas aussi, rendre
exphcite un caractère im portant du dieu ; la seule chose connue
de L u a est q u ’elle constituait avec Mars, M inerve (celle-ci sans
doute pour Nerio) et Volcanus, la liste des divinités quibus spolia
hostium dicare ius fasque est ; d’autre p art son nom est tiré
du verbe luere, sans doute dans la générahté de sens dont l ’a
dépossédé son composé, soluere. Ces deux données suggèrent
que L u a était la « Dissolution », la destruction personnifiée,
force dangereuse donc, mais parfois utile, par exem ple lorsqu’il
s ’agissait de détruire les armes prises à l ’ennemi et d'affaiblir
ainsi, par action sym pathique, celles qui restaient entre ses
mains 1. Mais, dans l ’ignorance où nous sommes de la valeur
propre de son associé Saturne, il est sans profit de faire des
hypothèses sur la p art que cette fonction de dissolution occupait
dans sa définition.
ï . Ci-dessus, p. 178 et n. 1.
2. Sur le bouclier des Salii, sur leur danse guerrière, éclairée par un
vase archaïque (début du v u e siècle) trouvé près du lac de Bolsena,
v. R. Bloch « Sur les danses armées des Saliens », Annales, Economies
Sociétés Civilisations, 13, 1958, pp. 706-715 ; Les origines de Rome, 1959,
pp. 134-137 (Je doute cependant que les figurines du vase se livren t à
une danse de chasseurs.) ; W . H elbig, « Sur les attribu ts des Saliens »,
M A I . 37, 2, 1906, pp. 205-276; P. Boyancé, « Un rite de purification
dans les Argonautiques de Valerius F laccus », Etudes..., pp. 317-345·
3. Ceci résume le quatrièm e essai de R IE R ., « B ellator equos », pp. 73"
9 1·
288 LA TR IA D E ARCH AÏQU E, COMPLÉMENTS
des filles des Sabins : des ch evaux y couraient sans doute, mais
principalem ent des bardeaux ou des m ulets ((βούρδωνες : Mala-
las, Chronographia, Corpus Scriptorum Historiae Byzantinae 1831,
p. 178 ; m uli : Paul, p. 266 L 2).
Ces typ es très différents de rapports sont sûrem ent anciens.
L e cheval aya n t joué le rôle que l ’on sait dans les m igrations
et les conquêtes des bandes indo-européennes, on peut s ’attendre
à ce que d ’autres peuples indo-européens présentent un tableau
semblable. C ’est en effet le cas pour l’Inde védique.
A u premier niveau, deux dieux souverains, le calm e et juri
dique M itra, le redoutable V aruna s ’opposent volontiers comme
le brahman et le ksatrà (ce dernier au sens de puissance royale
temporelle). N i dans les hym nes ni dans aucun rituel, M itra
n ’est m is en rapport avec le cheval et, à l ’époque classique, un
des interdits qui frappent le brahm ane distingué est de lire les
Védas m onté sur un cheval, ou d ’ailleurs sur un autre animal
ou m oyen de transport (M anu 4, 120). A u contraire, répètent
les livres rituels, « le cheval est de Varuna », sa hi vâruno y ad
aévah (Sat. Bràhm. 4, 2, 1, n ; etc.) — sans que cette appar
tenance se traduise jam ais par un sacrifice.
C ’est au contraire au second niveau, dans Yaivamedha, sacri
fice ksatriya (ksatrá au sens de principe de la deuxièm e fonc
tion), que le cheval est victim e, au profit du roi, dans des con
ditions qui en font, comme il a été montré, l’exact parallèle de
YOctober Equus.
Enfin, au troisième niveau, si les jum eaux N â saty a s ’appellent,
de leur autre nom, Aévin, m ot dérivé de a h a « cheval », si l ’un
de leurs offices était certainem ent d ’entretenir et de guérir les
chevaux, si enfin le char sur lequel ils viennent au sacrifice
est parfois dit attelé de ch evaux (R V . 1, 117, 2, etc.), il est aussi
— et lui seul, dans le monde divin — tiré par des ânes (1, 34, 9 ;
8, 85, 7). L ’hym ne 1, 116, 2, dans l’énumération de leurs hauts
faits, proclam e : « L ’âne, ô N âsatya, dans la course, dans le
concours de Y am a, a gagné par victoire un m illier... » et, dans
Aitar. Bràhm., 17, X, 4 - 3 , 4, une course et une victoire de ce
genre sont mentionnées, et là, « les Aávin gagnèrent avec des
ânes. »
L a correspondance est donc complète, et particulièrem ent
remarquable au troisième niveau.
THÉOLOGIE ANCIENNE
CH APITRE PREMIER
LA T R IA D E C A P IT O L IN E
ï . J u p it e r C a p it o l in .
terre, du grand égout qui devait collecter toutes les ordures de la ville :
deux ouvrages que la m agnificence de notre temps eut de la peine à
égaler...
i . Des tem ples contemporains, à trois cellae, ont été dégagés dans
d ’autres lieux du Latium , ainsi sur l ’acropole d ’Ardée, en 1930, E . Ste-
fani, N S . 1944-45, pp. 91-94 ; D . S. Robertson, A Handbook o f Greek and
Roman Architecture, 1954, p. 200 et Append. I (liste des tem ples étrusco-
italiques). Très bonne étude de U . Bianchi, « Disegno storico del culto
Capitolino nell’ Italia rom ana e nelle provincie d ell’ Im pero », M A L . 8.
Ser. 2, 7, 1949, pp. 347-415 ! du même auteur, « Questions sur les ori
gines du culte capitolin », Lat. 10, 1951. PP· 341-366. Antérieurem ent,
A. Kirshop L ake, « T he archaeological evidence for the ‘Tuscan T em ple’ »,
M A A R . 12, 1935, pp. 89-149.
LA TRIADE CAPITOLINE
i. Cf. Serv. Ecl. 10, 27 : unde etiam triumphantes habent omnia insi
gnia Jouis, sceptrum palmatam togam. L . Deubner, « Die T rach t des
rõmischen Trium phators », Hermes 69, 1934, P· 3 2°. pensait que 1’appa-
reil du triom phateur était moins celui du dieu que celui de l ’ancien rex ;
L atte, p. 152, n. 3, objecte justem ent que cela ne peut être vrai du
badigeonnage au minium. M me Larissa Bonfante-W arren a proposé,
de façon convaincante, une interprétation du vêtem ent triom phal
et du Triom phe, fondée sur des docum ents étrusques, « Rom an Trium phs
and E truscan Kings, the Changing Face of the Trium ph », J R S . 60,
197 °· PP· 49-66 et pl. I-V II. Des vues moins convaincantes sont dévelop
pées dans H. S. Versnel, Triumphus, an inquiry into the Origin, Deve
lopment and M eaning of the Roman Triumph, 1970 (en dernier ressort
le triom phe dériverait, par l ’intermédiaire de l’Étrurie, d ’une fête orien
tale de N ouvel An).
LA TRIADE CAPITOLINE 2(_)7
Le prem ier suffit à peine à faire défiler devant les spectateurs les
statues, les tableaux, les colosses du butin, placés sur deux cen t cinquante
chars à deux chevaux. L e lendemain, sur un grand nombre de voitures,
ce furent les plus belles et les plus m agnifiques des armes macédoniennes,
dont l ’airain et le fer étincelaient, fraîchem ent fourbis. On a v a it eu l ’art
de les disposer de façon q u ’elles parussent jetées au hasard, par mon
ceaux ; c ’étaient, pêle-mêle, des casques et des écus, des cuirasses et des
chaussures, des boucliers échancrés de Crète et des boucliers ronds de
Thrace, des carquois parm i des mors, des épées nues à la pointe m ena
çante et de longues lances macédoniennes. A ttachées les unes aux autres
par des liens assez lâches, toutes ces armes s ’entrechoquaient a u x cahots
des voitures et rendaient un son aigu e t terrible que l ’on ne pouvait,
tout vaincu q u ’était l ’ennemi, entendre sans effroi. P uis venaient sept
cent cinquante vases remplis d ’argent monnayé, portés par trois mille
hommes ; chaque vase contenait trois talents et reposait sur quatre
hommes. D ’autres faisaient admirer des cratères d ’argent, des cornes,
des coupes de diverses formes aussi remarquables par leur grandeur
que par la beauté de leur ciselure.
L e troisièm e jour, dès l ’aube, les trom pettes ouvrirent la marche,
et ce n ’étaient pas de ces airs comme on en joue dans les processions
et dans les pompes religieuses, m ais bien ceux par lesquels les Rom ains
s’exciten t au com bat. Venaient ensuite cent vin gt bœ ufs gras, les cornes
dorées, couverts de bandelettes e t de guirlandes. Ils étaient conduits
par des jeunes gens portant des ceintures richement bordées, accom pa
gnés eux-mêmes de plus jeunes garçons qui tenaient des vases d ’or et
d ’argent pour les sacrifices. Derrière eu x s’avançaient les porteurs d ’or
monnayé, avec soixante dix-sept vases contenant chacun trois talents,
comme la veille pour l ’argent ; puis les porteurs de la phiale sacrée, d ’or
massif, pesant d ix talents, incrustée de pierres précieuses, que Paul-
Ém ile a v a it fa it fondre ; puis ceux qui présentaient au x spectateurs
les antigonides, les séleucides, les thériclées et toute la vaisselle dont
usait Persée dans ses repas. Derrière était le char de Persée, avec ses
armes, surmontées de son diadème. A peu de distance m archaient, désor
mais esclaves, les enfants du roi, avec le groupe de leurs gouverneurs,
de leurs maîtres, de leurs pédagogues qui, to u t en larmes, tendaient les
mains aux spectateurs et enseignaient à ces enfants com m ent supplier
et demander grâce. Il y a v a it deux garçons et une fille, trop jeunes pour
mesurer leur malheur, et cette inconscience même les rendait plus tou
chants. Peu s’en fallut que Persée ne passât sans être remarqué, ta n t la
pitié fix ait les yeu x des Rom ains sur ces petits êtres et leur arrachait
de larmes. Ce spectacle m êlait ainsi au plaisir un sentim ent de peine
qui ne cessa que lorsque cette troupe fu t hors de vue. D errière les enfants
et leur suite m archait Persée, vêtu d ’un vêtem ent sombre, chaussé à
la macédonienne ; il était hébété par la grandeur de ses m aux e t parais
sait avoir perdu l ’esprit. L a foule de ses amis et de ses courtisans le sui
vaient, accablés de douleur. Leurs regards constam m ent fixés sur lui
au milieu de leurs larmes m ontraient a u x spectateurs q u ’ils oubliaient
leur propre sort pour ne déplorer que le sien. Persée a va it envoyé^prier
Paul-Ém ile de ne pas l ’obliger à défiler dans son triom phe : Paul-Em ile
a v a it ri de cette faiblesse et de cet attachem ent à la vie. « C ’est une
chose, avait-il répondu, qui a toujours été et qui est encore en son pou
voir, s’il le veut. » Il lui suggérait ainsi de prévenir sa honte par une
298 LA TRIADE CAPITOLINE
m ort volontaire. Mais le roi n ’a v a it pas assez d ’énergie et, séduit par
je ne sais quel espoir, il n ’était plus q u ’une des pièces du butin conquis
sur lui. A près ce groupe, on po rtait quatre cents couronnes d ’or que
toutes les villes de Grèce et d ’Asie avaien t envoyées à Paul-Ém ile par
des ambassades pour le féliciter de sa victoire.
Enfin paraissait Paul-Ém ile lui-même, m onté sur un char m agnifi
quem ent paré. C et homme, qui n ’a v a it pas besoin de tou t cet éclat pour
captiver les regards, était vêtu de pourpre brodée d ’or et tenait un
rameau de laurier. Toute l ’armée, couronnée aussi de lauriers, su ivait
le char de son général, par centuries et par manipules. L es soldats chan
taien t des chansons traditionnelles, mélées de plaisanteries, et aussi
des chants de victoire pour célébrer les exploits de P aul Ém ile.
Jupiter était seul m aître dans son tem ple : c ’est à lui qu ’avaient
été adressés le vœ u et la dédicace. Les deux déesses qui logeaient
sous son to it n ’étaient que ses hôtes. Aucune cérémonie n ’avait
pour objet d ’honorer, de rappeler même la triade en tan t que
telle et les form ules cultuelles qui associent expressém ent les
trois noms à époque ancienne ne sont pas nombreuses. Saisi
par le viator, conduit en prison, le Manlius de T ite-L ive s ’écrie :
« Jupiter Très B on Très Grand, et Junon Reine, et M inerve,
et vous tous, les autres dieux et déesses qui habitez le Capi
tole et la citadelle, est-ce ainsi que vous abandonnez aux vio
lences de ses ennemis votre soldat, votre défenseur ? » (6, 16, 2).
Cité en justice par les tribuns, le Scipion du même historien
refuse de répondre et, suivi par la foule et même par les greffiers
et les huissiers du tribunal, m onte rendre grâce aux divinités
qui lui ont donné de vaincre H annibal : « Je vais de ce pas au
Capitole, saluer Jupiter Très B on Très Grand, et Junon, et
Minerve, et les autres dieux qui trônent sur le Capitole et sur
la citadelle.. » (38, 51, 9). Mais to u t cela est de bon sty le augus-
téen. On a l’impression que c ’est au cours de l’histoire que
les deux déesses ont pris quelque consistance aux côtés du
dieu ; longtem ps, elles s’étaient bornées à regarder son commerce
avec les hommes.
Cependant elles sont là, et l ’origine, le sens de la triade cons
tituent des problèmes auxquels, dans l’état de la science, il
n ’est pas possible de donner de solution certaine. A v a n t de les
LA TRIADE CAPITOLINE 299
2. J u n o n .
une « res deiuina » est prévue à la fois pour ce dieu et pour son
Genius, Genius Jouis Liberi. D es cas de ce genre ont pu, en
effet, servir de modèle m asculin à une retouche, à un complé
ment, lors de la réfection du rituel des A rvales. Mais on omet
de remarquer que, dans la seconde inscription, postérieure, où
il est question du Genius Jouis, et aussi du Genius Martis
(C IL . II, 2407), une divinité féminine, Victoria, est également
pourvue d ’un tel double : or il est appelé Genius Victoriae,
et non * Juno Victoriae x. Les autres arguments ne sont pas
meilleurs. L e serment des femmes, eiuno, qui serait parallèle
au vieu x serment des hommes par leur Genius, est ignoré de
Plau te et de toute la littérature et n ’est m entionné que chez
un gram m airien du IVe siècle : il ne prouve rien pour les tem ps
républicains. L ’attribution que, d ’après Varron (L.L. 5, 69), les
femmes faisaient de leurs sourcils à la déesse Junon (et non à
« leur » Junon), ou, d ’après P au l D iacre (p. 403 L 2), la tutela
que Junon a sur les sourcils (sans distinction de sexe) n ’est pas
de même nature que le rapport du Genius de chaque homme
avec son front (Serv. Aen. 3, 607 ; Ecl. 6, 3) 2.
L ’inventaire objectif des fonctions de Junon reste donc la
plus sûre approche. V oici celles qui paraissent, à Rom e, indi
gènes et prélittéraires.
ï . Je résume ici mon article « Juno S.M .R. », Eranos 52, 1954, ΡΡ· I0 5 "
119. Autres vues dans J. C. H ofkcs-Brukker, « lu n o Sospita », Herme-
neus 27, 1956, pp. 161-169.
2. L a Juno Martialis qui apparaît sur des monnaies im périales du
111e siècle est-elle l ’affleurement officiel tardif d ’un culte local (Ombrie,
Étrurie) ? V . J. Heurgon, S E . 24, 1955-1956, p. 93, et J. Gagé, Matro
nalia, 1963, p. 55, n. 2 et 275-276.
D u m é z il. — L a religion romaine archaïque. 20
3 o6 LA TRIADE CAPITOLINE
3. M i n e r v e .
Garçons, fillettes, priez Pallas ! Celui qui aura été pieux envers Pallas
sera savan t ! Après avoir rendu un culte à Pallas, que les jeunes filles
apprennent à amollir la laine, à dévider les quenouilles garnies. C ’est
cette déesse encore qui instruit à faire courir la n avette au travers des
fils tendus sur le m étier et à resserrer avec un peigne la tram e qui se
relâche. Honore-la, toi qui ôtes les taches des vêtem ents salis ; honore-la,
toi qui prépares les vases de m étal pour faire bouillir les toisons. Sans
le bon vouloir de Pallas, nul ne saura bien emprisonner un pied dans
une chaussure, fût-il plus savan t que T ych ius : fût-il plus adroit de ses
mains que l'antiqu e Epeus, si Pallas lui est hostile, il est m anchot. Vous
aussi qui chassez les maladies par l ’art de Phcebus, p a yez à la déesse
un peu de ce que vous recevez. E t vous, les enseignants, même si l'on
omet de rétribuer vos services, ne méprisez pas la déesse : c ’est elle qui
attire de nouveaux élèves. T oi qui manies le burin, toi qui étends sur
les tablettes les couleurs brûlantes, toi qui, d ’une m ain savante, donnes
à la pierre des formes harmonieuses : de mille métiers elle est la déesse...
4. L a t r ia d e C a p it o l in e .
... P our ne pas énumérer tous les cultes et tous les dieux, est-ce que le
■pulmnar, pour le festin servi à Jupiter, peut être posé ailleurs qu'au
Capitole . Parlerai-je des feu x éternels de V esta et de la statue gage
de notre puissance, qui est gardée à l'abri dans son tem ple ? Que dire
e vos boucliers, Mars Gradivus, et toi, Quirinus P ater ? Allez-vous déci-
,er d e ,er’ df Proianer toutes ces choses sacrées, contemporaines
de la Ville, e t quelques-unes plus vieilles que sa fondation ?
ï. R éédité Le club du meilleur livre. Historia 17, avec une utile préface
de W. Seston.
2. L . Renou, « É tudes védiques, 5 », J A . 243, 1955, pp. 426-427.
3. Ce qui suit résume le second essai de R IE R . (« Aedes rotunda Ves
tae »), pp. 27-43 °ù l ’on trouvera les références au x traités rituels de
l ’Inde.
320 LES F E U X DU C U L T E P U B L I C
1. R IE R . p. 31.
2. Ce qui suit résume « Q II. 7 (« Trois règles de Yaedes Vestae ») »,
R E L . 37, 1959, pp. 94-102 ; erratum ibid. 38, i960, p. 98.
J.ES l ' E U X DU C U E T E PU U L IC 3 *5
Si l ’on doit penser que déjà les villages du P alatin avaien t leur
feu perpétuel, le seul em placem ent d’une aedes Vestae que con
naisse l ’histoire est celui du Forum . D étruit lors de la catastrophe
gauloise au début du iv e siècle, reconstruit ensuite, le bâtim ent
circulaire ne fut pas épargné par le feu dévorant : incendié
en 241, il échappa de justesse à de nouvelles flamm es en 210.
Em belli par A uguste, il brûla encore sous Néron en 64, en 191
sous Commode. Septim e Sévère et Caracalla le relevèvent et
ce fut Théodose qui le ferm a en 394 après la défaite d ’Eugène.
Il subsista néanmoins, presque intact, jusqu’au x v i e siècle, et
il en reste d ’utiles dessins faits à cette époque.
L ’incendie de 241 a donné lieu à une légende dont M. Angelo
Brelich a fourni une interprétation très intéressante pour la
m ythographie, car il doit s ’agir d ’un vieux m yth e, rajeuni en
plein 111e siècle et appliqué alors à un personnage historique
c o n n u 1. L . Caecilius M etellus fu t consul en 251 et en 247,
dictateur en 224, et, jusqu’à sa m ort, c'est-à-dire fort longtemps,
grand pontife. Comme général, il s’illustra en Sicile dans la
première affaire carthaginoise et son triom phe resta fam eux :
des éléphants y défilèrent, une centaine, prétendait-on, après
une audacieuse traversée. Il eut aussi un grand role religieux,
signalant son pontificat par une rigueur accrue de la discipline.
B ref, un de ces caractères qui m arquent, dans l ’histoire et dans
la chronique. Mais c ’est en 241 qu ’il vécut son heure la plus
glorieuse. L ’incendie s’était allum é dans le sanctuaire de V esta
et allait dévorer le Palladium et tous les objets sacrés que nul
homme, même lui, grand pontife, n ’a va it le droit de regarder.
Il n’hésita pas. Il se je ta dans la flamme, sauva les talism ans
de Rom e et ressortit aveugle.
L ’invraisem blance du dernier trait a été souvent soulignée :
si Caecilius Metellus est devenu aveugle en 241, com m ent a-t-il
pu être créé dictateur dix-sept ans plus tard, com m ent même
a-t-il conservé le pontificat ? D e telles fonctions excluent de
CADRES
im m édiatem ent de son patronage sur les prima, ou, comme dit
ailleurs saint Augustin, de son pouvoir sur tous les commence
ments (omnium initiorum potestatem, ibid., 7, 3, i ; potestatem
primordiorum, ibid. 7, 10).
Il est de mode, depuis quelque temps, de contester aux bar
bares romains des premiers siècles la faculté d'abstraction, à
laquelle pourtant leur langue fournit tant de moyens, et que
leurs cousins de l ’Inde et de l ’Iran les plus anciens comme ceux
de la Grece, de la Scandinavie ou de l ’Irlande, ont si géné
reusement exercée dans leurs théologies. Cette m ode passera
mais, depuis une trentaine d ’années, elle a eu, entre autres
fâcheux résultats, celui de compliquer et de brouiller le dossier
de Janus, un des plus clairs et des mieux équilibrés qui soient.
Si 1on ne sacrifie pas les faits à cette doctrine a priori, voici
comm ent se présente le dieu.
Son nom, thème en -0 ou, archaïquement, thème en -u-
(d’où les dérivés ianua, Januarius, ce dernier, à vrai dire, peut-
être analogique de Februarius), le désigne proprem ent comme
« passage » : il est formé sur la base *y-â-, élargissement de *ei-
qui, dans l ’autre langue indo-européenne occidentale où il pro
duit un dérivé, m arque aussi un passage : l ’irlandais âth (qui
figure, dans le nom officiel de Dublin, Baile A th a Cliath), de
*yâ-tu-, signifie « gué ». Cicéron (loc. cit.) a vait raison de rap
peler à propos du dieu que les transitiones peruiae sont dites
iani et que les fores in lim inibus profanarum aedium sont dites
ianuae. Il y a deux manières en effet de concevoir les commen
cements . ou bien ils sont « naissance », et alors ils appartiennent
à Junon, ou ils sont « passage » d ’un état à un autre, et ils relèvent
de Janus ; de là viennent les rapports, les confluences, dont
plusieurs ont été déjà signalés, entre Junon et Janus. Mais,
tandis que la première conception n ’est applicable q u ’à quelques
commencements, la seconde va u t facilem ent pour tous, même
les plus ab straits : d où la généralité plus grande de Janus dans
la fonction. Janus patronne les commencements, ainsi compris,
non seulement dans l ’action religieuse, mais dans l ’espace dans
le temps, dans l ’être.
Io Spatialem ent, il est sur les seuils des maisons, il est aux
portes, ianitor, présidant à ces deux débuts que sont l’entrée et
la sortie, et à ces deux autres que constituent l ’ouverture et la
fermeture de la porte : il est Patulcius et Clusius, deux épithètes
qui parlent d ’elles-mêmes (Ov. F . 1, 128-129). On sait le rôle
im portant que joue cette notion dans le cas particulier de la
CADKES 335
1. Latte, p. 54, n. 4.
CADRES 337
* / · , " Rem arques com paratives sur le dieu Scandinave H eim dallr »
ntua.es Celtiques, 1959, pp. 263-283.
? Hyndluljóõ stT. 37 et 40 ; formules iraniennes analogues dans une
thâ avestique (Yasna 45, premier vers des str. 2, 4, 6) : Tarpeia, pp. 86-
CADRES 339
2. L e s tem ps.
lique que celle de ces jours les plus courts de 1 année, une crise
de la nature, qui s ’achève heureusement avec la bruma. Mais
si bruma, « breuissima (dies) », désigne objectivem ent le solstice,
considéré comme un point singulier de la courbe du temps, la
gêne, l’inquiétude, éprouvée ou stylisée, que cause la dim inu
tion continue de la durée de la lumière s’exprim e m ieux par
une autre racine, celle qui a aussi donné angor. Il est de bon
latin, à toute époque, de noter par angustiae un espace de tem ps
ressenti comme trop bref, fâcheusem ent ou douloureusem ent
bref, et M acrobe ne m anque pas de l ’em ployer et de le répéter
quand il dram atise ce tournant de l’année (ï, 21, 15) : « le temps
où la lum ière est angusta... ; le solstice, jour où le soleil émerge
enfin ex latebris angustiisque... » A pres trois ans de son exil
thrace, l ’infortuné Ovide gém it. Son malheur, dit-il, le rend
insensible a u x plaisirs comme aux ennuis des saisons (T r . 5,
10, 7-8) : « L e solstice d ’été n ’abrège pas mes nuits, et le solstice
d ’hiver ne me rend pas les jours angustos ».
L a religion ressentait ces angustos dies : une déesse et un
culte en assuraient donc le franchissement. D e même q u ’une
déesse Bellona faisait traverser au m ieux la crise de la guerre \
de même que, dans la m ythologie mineure, une Orbona paraît
avoir pris soin des parents qui perdaient leurs enfants (Cic.
Nat. d. 3, 63 ; A m . Gent. 4, 7), qu ’une Pellonia repoussait les
ennemis (Am . ibid. 4. 4) q u ’une Fesson(i)a perm ettait aux
voyageurs de dominer leur fatigue (Aug. Ciu. D . 4. 2 I)> de
même une Diua Angerona perm ettait de passer cette variété
à’angustiae. Sa fête, les D iualia ou Angeronalia, occupe le
21 décembre, notre solstice. Ce jour-là, les pontifes lui offrent
un sacrifice in curia Acculeia (Varro L .L . 6, 23) ou in sacello
Volupiae, proche de la porte Rom anula, une des portes inté
rieures de Rom e, sur le front nord du P alatin (Macr. 1, 10, 7)·
D ans cette chapelle, in ara Volupiae (Macr. ibid. 8), se trouvait
une statue de la déesse, avec la bouche bandée et scellée et
aussi, d ’après un tém oignage (Solin. 1, 6), un doigt sur les lèvres
dans le geste qui commande le silence ; ce dernier trait avait
ï . D L . pp. 55-64.
3. Ci-de?sus, pp. 66-70. L a méthode avec laquelle M ater M atuta est
traitée dans L atte, p. 97 . 11· 3 - sera examinée ailleurs.
CADRES
3. L e s l ie u x .
i . V . ci-dessous, p. 582.
D u m é z il. — L a religion romaine archaïque. 23
354 CADRES
i. C ’est certainem ent cette scène, sous une forme au contraire aggra
vée, qui illustre le mois de février sur un calendrier en mosaïque trouvé
en Tunisie (première m oitié du 111e siècle ap. J.-C., ci-dessus, p. 224,
n. 2), v. H . S tem , « Un calendrier illustré de Thysdrus », Acc. Naz. de'i
L incei, ann. 365, 1968, quad. 105, p. 181 et pl. III, fig. 2 : « Ce rite est
représenté ici a vec un parfait réalisme : les deux aides [du Luperque]
ont saisi la jeune femme sous les aisselles et aux jam bes pour la soulever ;
le bas du corps est dénudé, le L uperque lève le fouet pour frapper. »
L ’accoutrem ent du Luperque est le même que sur une stèle du V atican
(époque d ’Hadrien) publiée par P. V eyne, « L ’iconographie de la tran-
suectio equitum et des Lupercales », R E A . 62, i960, pp. 160-161 et pi IX
(cf. p. 105 et pl. V I I I , 3). v '
CADRES 355
Telle est la valeur qui ressort des rites. Mais il semble que
prim itivem ent, les Luperques intervenaient, non moins bru
talem ent, dans un autre ordre de réalités sociales : en ces semaines
où tout doit être confirmé, le pouvoir royal bénéficiait des
rites x. On ne comprend pas bien, autrem ent, que César, déve
loppant le plan qui devait le mener au regnum, a it ajou té mie
troisième équipe aux deux traditionnelles, composée d ’hommes
dévoués, les Luperci J u lii, première ébauche du culte im périal
(Suet. Caes. 76 ; Cass. D io 44, 6, 2 ; 45, 30, 2), ni que l’expérience
q u ’il organisa avec Marc A ntoine pour savoir com m ent le peuple
réagirait à son couronnement comme roi ait été faite à l ’occasion
des Lupercalia, pendant la course même (Plut. Caes. 61, 2-3).
Que signifierait cet étrange tableau du consul-Luperque, tou t
nu, sortant du peloton des coureurs et bondissant à la tribune
pour couronner César, si ce n ’était la reconstitution d ’une vieille
scène susceptible de frapper l ’im agination du peuple et de
l ’em porter sur la m ystique répubhcaine ? E t, s ’il n ’en a va it pas
été ainsi, les spectateurs auraient-ils si rapidem ent compris l ’in
tention politique du geste ? 2 Mais notre inform ation date d ’une
époque où l’on ne peut plus espérer recueillir une vue com plète
et systém atique de rites qui avaient cessé de correspondre à
l ’actualité religieuse et sociale.
L e groupe de ces divinités sauvages com portait-il, ancienne
ment, un élément féminin ? F auna n ’est guère q u ’un nom, qui
ne prend consistance que dans des légendes où, femme, fille
ou sœ ur de Faunus, elle est passée dans le roman, et dans le
roman hellénisant. Sous le vocable de B ona dea, elle reçoit en
décembre un culte d ’É ta t, mais secret — strictem ent de femmes
— h au t en couleur, mais grec : elle n ’est qu ’une D am ia, im portée
sans doute de Tarente, et peut-être par un contresens, quand
cette ville eut été conquise en 272. Q uant à des femm es L uper
ques, on ne sait que faire de la V aleria Luperca de Faléries dont
le 35e des Parallela M inora parle « d’après A ristide, dans le
Cirque, n’eu est pas un 1 ; s ’il est enfoncé sous terre, c ’est parce
([ue le dieu préside à la conservation des grains dans des gre
niers qui sont eux-mêmes sous la terre, mais en fait, il appar
tient toujours à la couche superficielle, qui est à la disposition
des hommes.
Le term e mundus, appelé à une si ample destinée, était réservé
à deux choses, ou types de choses. D ’une part la fosse, à jam ais
fermée, où Rom ulus, lors de la fondation de la ville, suivant
un rituel q u ’on disait étrusque, a vait jeté les prémices « de
tout ce qui est bon de par la coutum e et nécessaire de par la
nature », et en outre un peu de la terre du p ays d ’où venait
chacun de ses compagnons (Plut. Rom. n , 1-4 ; O v. F . 4, 821-
824). D ’autre part une fosse (ou plusieurs ?) qui donnait accès
à ce monde souterrain dont les anciens Romains ne paraissent
pas s’être fait des représentations cohérentes. L a principale,
peut-être la seule, était, dit Festus, « ce qu ’on appelle le Cereris
mundus » (p. 261 L 2) ; cette dénomination, que confirm e l ’exis
tence, à Capoue, d ’un sacerdos Cerialis mundalis (C IL . X 3926),
correspond à une localisation : le mundus était in sacro Cereris,
c ’est-à-dire sans doute dans une dépendance du tem ple de la
déesse. C’est lui qui, norm alement fermé, ne s ’ou vrait que trois
jours par an. Un autre passage de Festus (p. 273 L 2) le présente
en ces term es 2 :
... Caton, dans ses Commentaires sur le droit civil, explique ainsi ce
nom : le mundus doit son nom au mundus (voûte du ciel) qui est au-dessus
de nous ; en effet, comme j ’ai pu l ’apprendre de ceux qui y sont entrés,
il a une forme sem blable à celle de l ’autre mundus. Q uant à sa partie
inférieure, qui est pour ainsi dire consacrée aux dieux Manes, nos ancêtres
ont décidé q u ’elle d evait rester fermée en tou t temps, sau f au x jours
indiqués ci-dessus. Ces jours-là, ils les ont considérés comme religiosi
pour la raison suivante : au m om ent où les secrets de la religion des
dieux Manes étaient pour ainsi dire amenés au jour et découverts, ils
ont voulu q u ’alors ne s ’accom plît aucun acte officiel. Aussi, ces jours-là,
n ’engageaient-ils pas le com bat avec l ’ennemi, on ne lev ait pas de
troupes, on ne tenait pas de comices, on ne se livrait à aucune activ ité
officielle, sauf en cas d ’extrêm e nécessité.
1. V . ci-dessous, p. 647, n. 1.
2. Trad. L e Bonniec, p. 176.
J 58 CADRES
ils sont « ceux du penus » comme les Arpinates sont les citoyens
d ’Arpinum . Les Rom ains se sont longtemps contentés de ce
signalement, puis ils comprirent comme Pénates tous les dieux,
masculins ou féminins, honorés dans la maison pour quelque
raison que ce fû t ; penates sunt, dit Servius (Aen. 2, 514), omnes
dei qui domi coluntur ; et l ’on arriva ainsi à la conception dont
tém oignent des peintures célèbres de Pom péï : chaque m aître
de maison se sentit libre de choisir dans le panthéon les divi
nités qu ’il souhaitait pour di penates, le titre ne désignant plus
q u ’une fonction ouverte aux candidats les plus divers, — y
compris les plus distingués, Jupiter, Vénus, Fortuna. E t sans
lim ite : W issow a a mis en valeur le fait que le serment rituel des
m agistrats, qui devait être prêté par Jupiter et par les dieux
Pénates (et, sous l ’Em pire, en outre par le Genius de l ’empereur
régnant ainsi que par ses prédécesseurs déjà diui), se trouve
une fois, en Lusitanie, transform é comme suit : Juppiter Ο. M .
ac diuus Augustus ceterique omnes di immortales (C IL . I I 172).
D ’autre p art, et peut-être cela dérive-t-il d ’un tra it non attesté
de la conception ancienne, la form e « couple » apparaît dans ces
diverses extensions. Les peintures de Pompéi distribuent le plus
souvent par groupes de deux les dieux si divers q u ’elles « péna-
tisent » 1. Q uant aux Penates publici, lorsque pour la première
fois, au i i i c siècle, l ’É ta t romain leur éleva un tem ple spécial
sur une pente de la Velia, ils y furent figurés par deux jeunes
gens du ty p e des Dioscures ; D enys d ’Halicarnasse les a vus
de ses yeu x (1, 68, 1) : « ... D ans ce tem ple sont placées des
images des dieux troyens que to u t le monde a le droit de voir,
avec une inscription qui les désigne comme les Pénates. Ce sont
deux jeunes gens assis, tenant des lances, oeuvre d ’un travail
archaïque ». Plusieurs monnaies du premier siècle portèrent ainsi
des têtes de Dioscures avec l’inscription D(i) P(enates) P(ublici).
Il ne fau t pas conclure que les Pénates publics sont les Dios
cures : ils ont sans doute simplement em prunté à ces dieux leur
figuration ; mais pour que ce fût possible, il fallait que quelque
chose en eux orientât vers les jum eaux grecs ; peut-être était-ce
simplement leur association en couple 2. Il est vrai que Varron
(L.L. 5, 59) n ’adm ettait pas que les dieux de la V elia fussent
vraim ent les Pénates ; il réservait ce nom à de m ystérieux objets
conservés dans le penus Vestae — si m ystérieux et inaccessibles
L ’H OM M E
ï . L e v iv a n t .
les deux cas, quel est le sujet, qui engendre, ou qui naît ? Une
autre discussion, dont il a été parlé plus haut, interfère avec
celle-ci : aux origines, le Genius était-il dans les femmes aussi
bien que dans les hommes, ou était-il réservé aux hommes, les
femmes aya n t leur Junon ? L a m ajorité des auteurs récents,
m algré l’excellente critique de W alter F . O tto (RE. V II, 1912,
1157-1158), adm ettent que la mise en couple de Genius et de
Junon est ancienne et concluent (Latte ne change rien sur ce
point a u x vues de Wissowa) que, prim itivem ent, Genius dési
gnait « die spezifische M anneskraft », « la puissance spécifique
du mâle », la faculté d ’engendrer, en face de la nature fém i
nine et de l ’accouchem ent que patronnait Junon Lucina. Genius
est alors « qui gignit », et l ’on pense trouver une confirm ation
dans le nom du lit conjugal, lectus genialis.
On a v u ci-dessus les raisons qui engagent au contraire à
considérer comme récente, sensiblement postérieure à Plaute,
l ’introduction de Junon dans cette affaire, celles aussi qui
déconseillent de réduire la plus ancienne Junon à ne patronner
que les fonctions physiologiques de la femme 1. Q uant au sens
même de Genius, substantif archaïque et d ’un typ e rare, il n ’est
pas si sûr q u ’il soit actif ; le composé ingenium, qui est d ’un typ e
plus courant m ais sûrement ancien lui aussi, n ’a qu ’un sens
passif, à côté du verbe actif ingignere « faire naître dans » :
parlant de l ’instinct de conservation, Cicéron dit (Nat. d. 2, 124)
tantam ingenuit animantibus conseruandi sui natura custodiam
et, parlant d ’un autre instinct réputé plus noble (Fin. 2, 46),
natura cupiditatem homini ingenuit ueri uidendi. P lu s m até
riellement, Lucain devait écrire (6, 439) : herbasque nocentes
rupibus ingenuit tellus. E t pourtant ingenium n ’est pas « ce
qui fait naître dans, ce qui inculque, quod ingignit », mais
« propriété, qualité innée (ou : caractère, tem péram ent), quod
ingenitum est ». * Genium, s ’il existait à l’inanimé, serait de
même, sans la nuance que com porte in-, « quod genitum est,
la somme physique et morale de ce qui vient de naître » ; Genius,
au genre animé, est cela même, personnalisé et, dans une large
mesure, divinisé.
Ainsi séparé de celui de Junon et corrigé dans son étym ologie,
ce nom du Genius correspond bien à ce qu ’il est en réalité.
Genius est deus, dit Censorinus (3, i), cuius in tutela ut quisque
natus est uiuit. E t O tto (1159, 1. 45 - 1160, 1. 23) a justem ent
remarqué que, si Genius était « qui gignit », on devrait s ’attendre
i. Cf. prim igenius, qui ne signifie pas le premier-né parm i des frères,
mais le premier absolu de toutes les générations, le t prim ordial ».
l ’homm e 367
2. L es m orts.
ï . L e rapprochem ent avec gr. δρκος n ’est q u ’un jeu de mots. Sur
Orcus, parm i les dernières études : H. W agenvoort, « Orcus », S M S R .
14, 1938, pp. 32-64, repris dans Studies in Roman Literature, Culture
and Religion, 1956, pp. 102-131 ; J. Heurgon, « Le lemme de Festus
sur Orcus (p. 222 L) », Coll. Lat. 23 ( = Hommages à M . Niedermann), 1956,
pp. 168-173 (dérivation étrusque).
C H A P IT R E V
FORCES ET É LÉ M E N TS
i. T r o is iè m e f o n c t io n .
i. Outre les articles tous im portants sur Tellus dans D A . (J. A. Hild),
dans R L . (Wissowa), sur Terra M ater dans R E . (S. W einstock), et le
livre très personnel de F . Altheim , Terra Mater, R V V . 22, 2, 1931
(pp. 108-129 « Ceres und Tellus »), v. surtout J. B ay et, « L es feriae semen-
tiuae et les indigitations dans le culte de Cérès et de Tellus » (v. ci-dessus,
p. 51, n. 1), et H. L e Bonniec, Le culte de Cérès à Rome des origines à la
fin de la République, 1958 (cf. P. B oyancé, R E A . 61, 1959, pp. 111-120 =
Etudes..., pp. 53-63). On sait le relief, parfois étonnant, donné à la Terre
Mère depuis A. Dieterich, Mutter Erde, 1905. Sur l ’ensemble des fêtes
agricoles à Rome, voir aussi le chapitre de ce nom dans A. J. Festu-
gière, L ’enfant d'Agrigente, 1941, PP· 56-87. Rapports étroits de Cérès
et de Tellus dans l ’affaire de Sentinum (vœu à l ’une, intervention de
l ’autre, ci-dessus, pp. 260-261), dans les deux versions du châtim ent
de Sp. Cassius (Liv. 2, 41, 10-11).
FORCES E T ÉLÉM EN TS
dans le chant consacré aux tra va u x des cham ps, Cérès n ’est
mentionnée q u ’au début, de même que Bacchus dans celui qui
11 aite des jardins et de la vigne. E lle s ’appuie enfin sur la dualité
«les fêtes, 2 i avril et 7 juillet. Si en effet aucune précision n ’est
donnée sur la fête d ’été, la longue description que fait Ovide
(/·'. 4, 721-786) des P arilia de printem ps ne concerne que le
petit bétail et les traités d ’économie rurale perm ettent de com
prendre pourquoi. Ces deux dates étaient celles de la saillie
îles anim aux. Pour les brebis, Columelle (De re rustica, 7, 3)
écrit : « L ’avis presque unanime est que la première saison pour
les faire couvrir est le printem ps, aux Parilia (tempus uernum
/’milibus), pour celles qui sont alors à point ; pour celles qui
ont agnelé à ce moment, ce sera le mois de juillet (circa Ju lium
mensem) », m ais il recommande la première saison, « l ’agneau
d ’autom ne valan t m ieux que celui de printemps ». Quant aux
vaches, au contraire, une seule saison est prescrite (6, 2) : il
faut les faire saillir mense J u lio ; entre autres raisons, c ’est,
dit-il, l ’époque de leur rut, naturalia desideria, quoniam satietate
uerni pabuli pecudes (c.-à-d. ici boues) exhilaratae lasciuiunt in
ucnerem. Les rites suivent ces convenances : à ceux du 21 avril,
où il n ’est question que de brebis, une seule Palès est intéressée ;
aux nones de juillet, où d ’autres brebis, mais surtout les vaches,
sont en ligne, on s ’adresse P alibus I I . Comme O vide n ’a pas
inis en vers les fêtes de juillet, nous ne savons pas ce qu ’on
dem andait alors aux deux déesses, mais ce d evait être, adapté
à l’ensemble du bétail, sensiblem ent la même chose que ce que
demandent à l ’une d ’elles, pour les greges, ses distiques d ’a v r i ll .
Il n ’y a donc pas lieu d ’enlever à Palès la fête des Parilia
(de *P alilia : cf. caeruleus de *caeluleus « couleur de ciel, bleu »)
et d ’en faire, par une étym ologie en soi im probable pour laquelle
les modernes ont moins d ’excuses que les anciens (Paul. p. 328 L 2),
une déesse des naissances (parere, et aussi pariré chez Caton
et Plaute) : les rites et prières décrits par O vide m ontrent assez
que l ’intention ne se lim ite pas au partus ; c ’est la protection
totale et perm anente des troupeaux et de l ’élevage qui est
demandée, la salacité des béliers certes, avec sa conséquence,
la m ultiplication des petits, m ais aussi la santé des bêtes, des
bergers et de leurs chiens ; l’éloignement des loups comme des
démons de m idi ; l ’abondance d ’herbe et d’eau ; de bons pro
duits, la laine comme les laitages ; et d ’abord, car les Parilia
2. S e c o n d e et p r e m iè r e f o n c t io n s .
s ’entendant pas, l ’un d ’eux s ’est révélé médiocre, les soldats sont inter
venus dans le commandement, les moitiés de l ’armée ont été engagées
sans liaison. B ref, sans que la situation soit vraim ent critique, la « machine
de guerre » romaine fonctionne mal. L e consul m édiocre fa it le vœ u
à B ellona : lui-même et tous les autres se m ontrent dès lors égaux à
leur tâche.
ï . Ci-dessus, p. 341.
2. L e m ot est soit, féminisé, un *carmentum doublet de carmen (cf.
J. Perrot, Les dérivés latins en -men et -mentum, 1961 ; le signalem ent de
Carmentis p. 297, n. 1, n'est pas ex a ct ; et pourquoi supposer une é ty
mologie populaire ?), soit une form ation en -tis, -ta sur carmen, Carmen-tis
(cf. Juven-ta). L e seul m ot exactem ent com parable est sementis « action
de semer ; semences » (d’où feriae sementiuae). Sur Carmentis, v. L . L . Tels-
de Jong, Sur quelques divinités romaines de la naissance et de la prophétie,
1959 .(cf. mon com pte rendu, Lat. 20, 1961, pp. 614-616). L es autres
divinités étudiées dans ce livre, notam m ent Parca (Parcaé), restent entiè
rem ent m ystérieuses, en dehors de leurs interpretationes graecae. R . Schil
ling, Gnomon, 32 (i960), rendant com pte du livre de Mme Tels-de Jong,
traduit Carmenta (-ta valan t -trix) « celle qui fournit le carmen ».
FORCES E T ÉLÉM ENTS 397
EXTENSIONS E T MUTATIONS
CH APITRE PREMIER
A B S T R A C T IO N S P E R S O N N IF IÉ E S
ï. Ci-dessus, p. 256, n. 1.
4ο υ A B S T R A C T IO N S P E R S O N N IF IÉ E S
i. L ’incertitude est grande pour tou t ce qui touche Cam ille (v. toute
la seconde partie de M E . I I I et le second chapitre de la troisième).
Il paraît cependant difficile que la fondation d ’ un tem ple aussi en vue
lui a it été attribuée sans raison. Cf. A . Momigliano, « Camillus and
Concord », CQ. 1942, pp. 111-120, repris dans Seconde contributo alla
storia degli studi classici, i960, pp. 89-108.
A B S T R A C T IO N S P E R S O N N IF IÉ E S 405
C ’est ainsi que les hommes ont maintes fois honoré la Liberté
en em prisonnant leurs ennemis, la Fraternité en les m assacrant 2.
On adm et généralem ent que ce troisième sanctuaire de Con
cordia n ’était qu ’une réfection du premier.
Il est rem arquable que ces divers lieux de culte, comme celui
qui, sous A uguste, les rem plaça, aient été élevés tout près du
Comitium où la légende situait, dans la m ystique du foedus et
de la Fides, la première grande réconciliation, celle de Rom ulus
et de T itu s Tatius, des L atin s et des Sabins, c ’est-à-dire, dans
l ’affabulation historicisante, des composantes romaines « de
première et de troisième fonctions » (Verg. Aen. 8, 639-641) :
Les deux rois, arrêtant leur com bat, se m ontrent debout d evan t l ’autel
de Jupiter, encore en armes et ten an t des coupes, et concluent leur
alliance sur une truie sacrifiée.
fam ille : on d it que c'est ce jour-là surtout que la douce Concordia nous
est présente ; offrez un festin au x Lares...
LES D IE U X DES V O IS IN S
Diane, avec son beau nom latin, n ’est pas romaine, mais a
été donnée à Rom e par ses voisins du Latium . A quel moment,
dans quelles circonstances, on ne peut le préciser, bien que la
chronique des origines ne soit pas avare de détails et même
d ’anecdotes. E n tout cas, l ’introduction de ce culte a été liée
à l ’un des m ouvem ents guerriers et politiques qui ont mis
Rome à la tête de la confédération latine : parm i les sanctuaires
de D iane, le plus im portant, celui d ’Aricie dans les m onts
Albains, a v a it en effet servi de centre à cette confédération,
et il est certain que le culte de Diane étabh sur l ’A ven tin a
été comme la réplique rom aine de celui-là 1.
Le dossier de Diane contient des éléments divers, dont il
ne fau t pas a priori affirmer que tel est prim itif et tel autre
secondaire. Son nom, scandé autrefois Diana, est form é sur
l’adjectif dïus, qui est incorporé à plusieurs noms divins de
Rome, D ius F id iu s, Dea D ia, et qui au neutre, dium, signifie
« l ’espace céleste » (sub dio). L e sanctuaire d ’A ricie se trouvait
au bord d ’un lac de m ontagne, dans un bois auquel la déesse
pales ont été signalées plus haut, à propos de la déesse qui aide
échapper aux angusti dies du solstice d ’hiver, Anger-ôn(i)a J.
Tout ce qui vient d ’être dit du comportem ent de Feronia con
duit à dériver son nom du m ot qui, en latin, est férus, avec
1111 S bref, mais qui, dans toutes les autres langues indo-euro
péennes qui le connaissent, présente un é long générahsé, gr.
Οήρ, Οηρίον, v.-sl. zvëri, ht. ïvèris : le è de F eronia est long,
lui aussi (les variantes grecques avec ε, o, sont visiblem ent sug
gérées par de m auvaises étymologies) et l ’on p eut penser que,
à la différence du latin, le parler italique, sabin sans doute, où
s'est formé le nom a vait, comme le grec et le balto-slave, géné
ralisé le vocalism e long 2. L e sens premier de férus est « non
cultus, non dom itus » (Thesaurus), « agrestis, siluester, indo
mitus, nullo cultu m itigatus » (Forcellini), et P au l Diacre
(p. 203 L 2) glose ferus ager par « incultus » : ne sommes-nous
dans le décor même où se complaisent les Feroniae de Terra-
cine et de Capène et dont la seconde oriente les puissances selon
l ’intérêt des hommes ? T ou t près aussi de ce latin rudis, dont
la racine p araît avoir fourni le nom du védique Rudrd ?
Quoi qu ’il en soit, le destin historique et archéologique du
lucus de Capène m érite d ’être rapporté. L ors de la seconde
guerre punique, le tem ple était dans toute sa splendeur, enrichi
par des siècles d’offrandes. E n 2 11, H annibal passa l ’A nio et,
par deux fois, au moment où il allait engager contre l ’armée
qui couvrait Rom e une bataille décisive, un terrible ouragan
em pêcha le com bat. P eu après, il apprit d’un prisonnier que le
cham p où il était cam pé ven ait d ’être vendu a u x enchères
dans Rom e, sans que cette occupation en eût fait baisser le
prix. Furieux de la m alveillance des dieux et de l ’insolence
des hommes, voici comme il se vengea (Liv. 26, 1 1 , 8-10) :
Il ram ena son camp sur les bords de la rivière T u tia, à six milles
de Rome, et, de là, se dirigea vers le bois sacré de Feronia, dont le tem ple
était alors célèbre par ses richesses. L es Capénates et les autres peuples
voisins y portaient les prém ices des moissons et d'autres oSrandes en
reconnaissance de l ’abondance, et y avaient ainsi accum ulé beaucoup
d ’or et d ’argent. H annibal dépouilla le tem ple de tous ces dons. Après
son départ, on trou va des m onceaux de m étal (aeris acerui), les soldats,
pris d ’un scrupule religieux, a y a n t abondonné des lingots non monnayés
LES D IE U X DE L ’E N N E M I
ï. L e livre fondam ental reste celui de J. B ayet, Les origines de l'H er
cule romain, 1926. Sur H éraklès dans la Grande Grèce, v. M. Detienne,
« Héraclès, héros pythagoricien », R H R . 158, i960, pp. 19-53.
2. B ay et, op. cit., pp. 154-182.
D u m é z il. — La religion romaine archaïque. 28
434 LKS D IE U X D ES MARCHANDS
Même O vide qui, dans les Fastes (5, 663-692), invoque d ’abord
un Mercure qui est Hermès dans toute sa généralité, le ramène
aussitôt à ses dimensions romaines pour décrire les rites de
sa fête des Ides de mai. « Tous ceux, dit-il qui font profession
de vendre des marchandises t ’offrent de l’encens et te prient
de leur assurer des profits. » L e m archand va donc, ce jour-là,
remplir une urne à la « fontaine de Mercure », près de la porte
Capène ; il trem pe dans cette eau une branche de laurier, asperge
ses denrées, hum ecte ses cheveux et, « d ’une vo ix habituée à
trom per », demande pardon au dieu de ses parjures passés
comme de ses fraudes à venir : « F ais seulement que les gains
m ’arrivent et, par le gain, les joies ! F ais que je me félicite d ’en
avoir conté à l ’acheteur ! »
CH APITRE V
LES P R E M IE R S D IE U X GRECS
ï. Sur les inscriptions, cette Salus garde souvent son nom grec, Hygia,
Hygeia : C I L . X 1546, 1571 ; X I 2092...
2. R é cit to u t différent dans V al. M ax. 2, 4, 5.
3. Sur le Tarentum, P. B oyancé, « N ote sur le Tarentum », M E F R . 42,
1925, pp. 135-146 ; J. Gagé, Recherches sur les J eu x Séculaires, 1934, 1
(0 L e site du Tarentum »), pp. 7-23 ; L atte, p. 246, n. 6. U n rapport ono
mastique reste probable avec la ville de Tarente, sur laquelle v . P. W uil-
leumier, Tarente des origines à la conquête romaine, 1939.
4. On n’abordera pas ici la question difficile du saeculum, ni celle
des plus anciens Jeux Séculaires ; v. H. W agenvoort, « T h e origin of
LES PR E M IE R S D IE U X GRECS 445
E SSAI D E C H R O N O LO G IE
ï . A . Alfoldi, Early Rome and the Latins, Jerome Lectures, 7th. Series,
1964, résume clairement les conceptions personnelles de l ’auteur (dans
S S R ., P. Catalano présente des vues fort différentes). P. 18, n. 2, Alfoldi
a bien défini quelques-unes des divergences qui séparent nos méthodes et
nos résultats. E n fait, notre opposition est bien plus ample. E n parti
culier ce que je comprends par « l ’idéologie tripartie » des Indo-Européens
n ’a rien de commun avec ce q u ’il appelle leur « tripartite social system »,
et mon travail est sans relation avec les thèses qu’il a développées en
1936 dans Nyelvtudomânyi Kôzlemények, 50 (n B ear C ult and M atriarchal
Form of Organization in Eurasia »). A la fin de la note, il écrit : « Jupi
ter Mars Quirinus represent, in m y opinion a t least, the supreme god
w ith the tw o divine protectors of a bip artite system , or in other words :
Jupiter presiding over both the P alatin and the Quirinal communities. »
L e lecteur a vu plus haut (pp. 76-93, notam m ent pp. 91-93, 160-161)
les raisons qui me font rejeter cette doctrine avec toutes les conséquences
q u ’Alfoldi en tire pour la reconstitution de l ’histoire, de la religion, de
la m entalité de la Rom e prim itive. V . en outre ma réponse à la même
thèse formulée par J. Paoli : R E L . 33, 1955, pp. 105-108.
E S S A I D E C H R O N O L O G IE 447
ï. Ci-dessus, p. 383.
2. Principalem ent Juno S. M. R . de Lanuvium , Curitis de Faléries,
Regina de Véies ; Vénus ; des variétés de Fortuna.
3. F . Altheim reporte extrêm em ent hau t l ’influence grecque, Grie-
chische Gôtter im alten Rom, R V V . 22, 1, 1930; W . H oSm ann donne
de bonnes raisons d ’en abaisser la date, Rom und die griechische Welt
im 4. Jahrhundert, Philol., Supp.-Bd. 27. 1, 1934.
4. Sur la localisation de ces chapelles, v. Plainer, ID . pp. 51-53.
E S S A I D E C H R O N O L O G IE 449
Argei, ce nom, qui est clairem ent celui des « Argiens », des
Grecs, couvrait, le 14 mai, une cérémonie m acabre : il désignait
alors des mannequins en forme d ’hommes liés a u x m ains et
aux pieds, que les pontifes et les m agistrats portaient solennelle
m ent sur le pont Sublicius, d ’où les Vestales les jetaien t dans le
Tibre 1 ; la flam inica D ialis assistait aux rites dans l ’appareil
du deuil. L e sens, l ’origine de cette pratique, à laquelle p arti
cipaient, laïcs et prêtres, les plus hauts personnages de l ’É ta t,
n ’étaient plus clairs aux érudits qui nous en ont informés, mais
il est probable qu ’il s ’agit d ’une purification, de boucs émis
saires représentant peut-être chacun un quartier de Rom e. Les
mannequins étaient-ils des substituts de victim es humaines,
comme le pensaient, avan t W issowa, certains anciens ? Ou le
rite s ’était-il toujours borné à un simulacre (W. W arde Fowler,
Latte) ? Rien ne perm et de décider, encore que la seconde
hypothèse paraisse plus probable. Mais il est rem arquable que
les figurines jetées au Tibre aient reçu le nom des Argiens.
On ne peut que rapprocher les cas, malheureusem ent cer
tains, de m eurtres rituels, sinon proprement de sacrifices
humains, qui sont attestés dans les tem ps historiques 2. Ils ont
été faits généralem ent par couples jumelés, deux hommes et
deux femmes, enterrés viv an ts sur le Forum boarium 3. E n 228
sans doute (Cichorius), les Insubres, alliés à d ’autres peuples
gaulois, m enacèrent l ’Italie. L'effroi fut grand, et P lutarque
(Marc. 3, 4) pense que ce fut la première fois q u ’on recourut
à cette procédure barbare : d ’après l ’indication des Livres, les
Rom ains exécutèrent non seulement un Gaulois et une G au
loise, mais encore un Grec et une Grecque, — « auxquels,
ajoute le biographe de M arcellus, ils font encore aujourd’hui,
au mois de novem bre, des sacrifices secrets, que nul ne vo it ».
Passe pour les Gaulois, l ’ennemi du moment, m ais pourquoi
les Grecs ? A ucune explication évidente n ’a été a v a n c é e 4.
Peut-être n ’était-ce pas le commencement que croit Plutarque,
mais la reprise d ’une pratique ancienne tom bée en désuétude,
et où les « Argiens » étaient les victim es désignées ? L e même
1. L atte, Anhang I I I , « die Argeerfrage », pp. 412-414. Cf. L . Clerici,
« D ie A rgei », Hermes 77, 1942, pp. 89-100.
2. F . Schwenn, D ie Menschenopfer bei den Griechen und Romern,
R V V . 15, 3, 19x5, pp. 148-152 ; C. Cichorius, « Staatliche Menschenop
fer », Romische Studien, 1922, pp. 7-21.
3. C. Bém ont, « L es enterrés vivan ts du Forum Boarium », M E F R . 72,
i960, pp. 133-136· -
4. D 'après la meilleure, le rite serait étrusque et les Etrusques auraient
sacrifié des exemplaires de leurs ennemis du nord (Gaulois cisalpins)
et du sud (Grecs campaniens), L atte, pp. 256-257.
D u m é z il . — La religion romaine archaïque. 29
450 E S S A I D E C H R O N O LO G IE
ï . Cichorius, art. c., pp. 7-12, suivi par L atte, p. 256, n. 4, et 284,
a pensé q u ’il s’agit d ’un m eurtre rituel tardif, en 114-113, mais ses
arguments sont fragiles.
E S S A I D E C H R O N O L O G IE 4SI
ï. Schilling, op. cit., pp. 234-242. Il est très probable, m algré des
discussions, que la légende troyenne des E lym es était constituée dès
ce tem ps ; contra : J. Perret, op. cit., pp. 300-301 et, moins absolu,
453 -458 .
2. R . van Compernolle, « Ségeste et l’hellénisme », Phoibos, 5, 1950-
95
* }. ΡΡ· 183-228 (jusqu'à l ’entrée de Ségeste dans l’alliance romaine),
a bien m ontré la com plexité des données. Une origine anatolienne (hit
tite) de la langue des Elym es a été proposée par R . Ambrosini, « Italica
o anatolica la lingua dei graffiti di Segesta ? » Studi e saggi linguistici
8, 1968 [suppl. à V it a lia dialettale 21 = N. S. 8], pp. 160-172. Sur la
déesse de l’E ry x , v. en dernier lieu A.-M. Bisi, « L a religione púnica in
Sicilia alla luce delle nuove scoperte archeologiche », S M S R . 39, 1968,
PP· 36-39, 57 , avec bibliographie.
ESSAI DE CHRONOLOGIE 455
... stimmi
deum regis fratrem, Neptunum regnatorem
marum...
L A R E L IG IO N
PENDANT LA SECOND E G U E R R E P U N IQ U E
i. V. ci-dessus, p. 283, n. 3.
460 LA RELIGION PENDANT LA SECONDE GUERRE PUNIQUE
sont les trois premiers qui ont fourni leurs têtes à la légende du
temple de Ju piter Capitolin et à celle, complémentaire et « made
in Rom e », du tem ple de la Junon carthaginoise.
P etit fait sans doute, mais qui confirm e le souci q u ’a donné
aux Rom ains, entre le désastre de la Trébie et la revanche de
Zam a, la « Junon » de Didon et de sa ville.
Dans ces conditions, peut-être a-t-on tort de suspecter Yexo
ratio qui aurait été faite de cette Junon au cours, ou plutôt
sans doute à la fin de la seconde guerre punique. Comm entant
les vers du douzième chant de Y Enéide où Junon se résigne enfin,
et joyeusem ent, à adopter Enée et sa descendance après la pro
messe que lui a faite Jupiter d ’un culte exceptionnellem ent
brillant à Rom e (nec gens ulla tuos aeque celebrabit honores),
Servius enseigne brièvem ent que cet incident divin de la pré
histoire légendaire est la transposition d ’un fait historique :
sed constat bello Punico secundo exoratam Junonem, tertio uero
bello a Scipione sacris quibusdam etiam Romam esse translatam.
Il se peut bien en effet, étant donné l ’im portance de l ’enjeu,
et aussi le précédent véien, que des rites archaïques de captatio
beneuolentiae aient été appliqués par exception à une déesse
exotique dont un artifice de traduction a va it fait la puissante
déesse gréco-latine ennemie de Troie et d ’Enée. Pour la même
raison, il ne fau t peut-être pas rejeter l ’idée que, au siècle sui
vant, dans la troisième guerre punique, avan t la destruction
de Carthage, Scipion Em ilien et ses prêtres aient évoqué les
dieux et spécialem ent, sans la nommer, la Junon de cette ville
par le carmen dont M acrobe (3, 9, 7-8), d ’après un contem po
rain de Scipion, Furius, a conservé le tex te : S i deus si dea est
cui populus ciuitasque Carthaginiensis est in tutela 1, teque maxime,
ille qui urbis huius populique tutelam recepisti, precor ueneror
ueniamque a uobis peto ut uos populum ciuitatemque Carthagi
niensem deseratis... S i ita feceritis, uoueo uobis templa ludosque
facturum.
On ne sait où fu t déposée la statue ainsi transférée à Rome,
avec ou sans euocatio : aucun tem ple ne fut élevé pour elle et
F. Cumont, V . Basanoff ont pensé qu’elle fut hébergée dans
celui de Junon Moneta de 146 à 122, jusqu ’au jour où, la Colo
nia Junonia de C. Gracchus aya n t ressuscité Carthage pour le
ï . Ci-dessus, p. 454.
2. Sur V énus E rycin e et la rom anisation du culte, v. Schilling, La reli
gion romaine de Vénus, pp. 242-266.
LA RELIGION PENDANT LA SECONDE GUERRE PUNIQUE 47I
Grands Jeux qui avaient été promis en même temps à Jupiter, 33, 44,
1-2. Ce uer sacrum ne concerne que le pecus et non, comme ceux d ’autre
fois, les hommes. A vrai dire, il est le seul connu à l ’époque historique
(cf. ci-dessus, p. 247, n. 1) ; il a été très bien étudié (difficultés du texte
de T ite-L ive ; interprétation) par E . Eisenhut dans R E . V I I I A, 1955.
col. 912-915.
LA RELIGION PENDANT LA SECONDE GUERRE PUNIQUE 475
elle écarte la nuée obscure qui la vo ila it et se m ontre à lui sous ses traits
véritables. « Non, ce n'est ni avec le Phrygien, ni avec le Laurentin que
tu as à com battre. Avance, regarde, car j'écarte un instant la nuée ;
regarde du côté où la cime de ce m ont s’élève, m ajestueuse : c ’est là
q u ’est le P alais de l ’Arcadien (Evandre), séjour d ’Apollon ; ce dieu tient
son carquois, to u t résonnant de flèches, tend son arc et se prépare au
com bat. Sur ces collines voisines où, massif, se dresse l ’A ven tin, vois-tu
comme D iane secoue ses torches flam boyantes, allum ées dans les flots
du Phlégéthon ? D éjà, les bras nus, elle ne respire que le com bat. De
ce côté, vois comme Mars G radivus, sous ses armes terribles, occupe le
Champ qui tire de lui son nom. L à c ’est Janus, ici c ’est Quirinus qui agite
ses armes. Chacun des dieux est sur sa colline... Ose donc regarder Jupi
ter Tonnant, vois les tem pêtes, les foudres que déchaîne un m ouve
m ent de sa tête... »
Toute la cité, d it T ite-L ive (29, 14), était accourue à leur rencontre.
D evan t les portes des maisons, sur le chemin de la procession, l ’encens
brûlait dans les turibules. On priait la déesse d ’entrer avec de bonnes
dispositions dans la ville et de lui être propice. On la po rta au tem ple
de la V ictoire, sur le Palatin, la veille des Ides d ’avril, e t cette date
fu t désormais un jour de fête. L e peuple se rendit en foule au Palatin
avec des offrandes. Il y eut un lectistem e et des jeu x, que l ’on appela
Megalensia.
P R E M IE R S TÉM O IG NAG E S L IT T É R A IR E S
NOUVEAUTÉS ID É O L O G IQ U E S
Cela, qui est aussi du grec, atteste que, sur ce point encore,
la légende d ’Enée est intervenue pour acclim ater à Rom e un
concept de l ’épopée grecque. Plus tard, dans la seconde partie
de l ’Enéide, Virgile m ontrera que l’installation des Troyens en
Italie s ’est faite par la conjonction de trois fata : celui de sa
propre vocation, découverte progressivem ent et douloureuse
ment par le pieux Enée, fils de Vénus et souverain désigné ;
celui des m ilitaires étrusques auxquels a été annoncé un com
m andem ent étranger ; celui du riche Latinus, à qui il a été prescrit
de ne faire épouser à sa fille qu ’un étranger. Si l ’on peut penser
que c ’est là une adaptation transparente de la légende romu-
léenne elle-même, qui donnait à Rom e trois composantes, les
compagnons du rex-augur, la troupe m ilitaire de l ’É trusque
Lucum on et, par la grâce de leurs filles, les riches Sabins 2,
dès le début cependant, la carrière d ’Enée était, ne pouvait
être qu’une épopée du destin et de la providence : échappé
m iraculeusem ent du sac de Troie, porteur des traditions et
des talism ans de sa patrie, n’était-ce pas pour une véritable
renaissance que les dieux l ’avaient conduit au L atiu m ? Quel
autre sens, au spectacle de la croissance de Rom e, pouvait
recevoir cette colonisation ? D e fait, on l’a vu , N aevius déjà,
au début de son Bellum Poenicum, préparant une noble scène
de l ’Enéide, m ontrait Vénus suppliante aux pieds de Jupiter
et Jupiter la rassurant par l’annonce de la future grandeur de
Rom e : et sequuntur, dit Macrobe qui résume le tex te (6, 2, 31),
uerba Jouis filiam consolantis spe futurorum. Ces uerba Jouis,
Virgile les notera en clair (1, 257-258) :
Parce metu, Cytherea, manent immota tuorum
fa ta tibi...
... fabor enim, quando haec te cura remordet
longius et uoluens fatorum arcana mouebo...
paraît avoir trouvée chez les historiens antérieurs, c'est que 1'omen des
douze vautours v a la it non seulem ent pour le fondateur, mais pour la
ville q u ’il fondait. Le rapport ainsi établi entre les vautours et la ville
était un rapport de durée et, dès lors, le nombre douze d even ait l ’élément
capital de Yomen. I l signifiait que R om e d evait durer douze fois telle
ou telle unité de temps.
Puisque le ciel s ’en était mêlé, il ne d evait pas être question de douze
mois, ou de douze fois un an... Le docte V ettiu s paraît avoir adm is q u ’en
octroyan t à R om e une existence de douze fois une dizaine d ’années,
le destin se serait déjà suffisamment acquitté de l ’engagem ent pris envers
le fondateur. Mais, grâce a u x dieux, ce délai était depuis longtem ps
dépassé ; dès lors l ’inconnue du problème posé par les vautours n’était
pas la dizaine : c ’était le siècle. Rom e d evait vivre douze siècles, et c ’était
là une perspective fort rassurante ou, au contraire, presque inquiétante,
selon les différences de tem péram ent.
le bonheur ils jouissent d ’une vie éternelle. Car de tou t ce qui se fait
sur terre, il n ’y a rien de plus agréable à ce Dieu souverain qui gouverne
l ’univers que ces réunions et ces sociétés des hommes unis par le droit,
ce q u ’on appelle des cités ; ceux qui de ces cités assum ent la direction
et le salut, viennent de ces lieux et y retournent.
PO U SSÉES ET R É S IS T A N C E S
firent d ’autant plus nom breux que la plèbe des cam pagnes, à qui la
disette et la peur avaient fait abandonner ses cham ps incultes et ravagés
par plusieurs années de guerre, affluait dans la ville et fournissait une
proie facile à ceux qui exploitaient la superstition aussi librem ent que si
c’eût été un m étier autorisé. D ’abord les gens de bien s ’en indignèrent
privém ent, puis le Sénat s’em para officiellement de l ’affaire. Les édiles
et les triumuiri capitales furent sévèrem ent blâm és de leur passivité,
mais, quand ils essayaient d ’expulser du Forum cette m ultitude et de
disperser l ’appareil des sacrifices, peu s ’en fallait q u ’ils ne fussent pris
à partie, et il d evint évident que le fléau s ’é tait déjà trop développé
pour pouvoir être réduit par l ’intervention de m agistrats mineurs. L e
Sénat donna alors mission au préteur urbain, M. A tilius, de délivrer
Rom e de ces superstitions. Celui-ci, d evan t le peuple assemblé, lu t le
sénatus-consulte et publia un édit : quiconque détenait chez lui des
livres de divination, des formules de prière ou des manuels de sacrifice,
d evait lui rem ettre tous ces livres, tous ces écrits a v a n t les Calendes
d ’avril, et personne ne d evait plus, dans aucun lieu public ou consacré,
sacrifier d ’après des rites soit nouveaux, soit étrangers.
et pour qui très tôt les Rom ains un peu inform és ont nourri
des sentim ents de cousinage. « Lorsqu’il y eut une conscience
italique, dit Jérôm e Carcopino \ elle pythagorisa. A ussitôt que
le pythagorism e se constitue, il est italien. H éritiers de cette
solidarité, les Rom ains de l ’époque classique s ’en glorifiaient
à l’occasion, et Cicéron la revendique fièrement pour l ’honneur
de ses com patriotes (Amie. 13 ; Sen. 78 : Pythagoram Pytha-
goreosque incolas paene nostros) ». C ’est ainsi que Caton le Cen
seur, Rom ain entre les Rom ains, contemporain de l ’affaire des
Bacchanales et de la fraude de L. Petilius, n ’aura pas de scru
pules vers la fin de sa vie à s ’y convertir : « Que Caton lui-même,
dit le même auteur 2, ait cédé à la contagion ne doit pas nous
étonner : entre la rude discipline dont s ’enorgueillissait sa géné
ration et l ’ascétisme des pythagoriciens, existe une indéniable
affinité... G râce à elle, ils furent les bienvenus dans la cité robuste
et saine dont la concorde et l ’énergie venaient de préserver
l ’indépendance de l ’Italie et s’apprêtaient à lui donner le monde. »
L e jugem ent est pénétrant et juste, mais il fau t certainem ent
rapporter plus haut ce m ouvem ent des esprits. Comme le rap
pelle Carcopino lui-même 3, Cicéron n ’a pas inventé non plus
qu ’A ppius Claudius Caecus, le censeur fam eux de 312, autre
incarnation de l ’idéal du patriciat romain, composa un poème
d ’inspiration pythagoricienne. Vers la même époque, les Aem ilii
(Mamercini, puis Mamerci), se rattachent fièrement à un ancêtre
« Mamercos » identifié pour les besoins de la cause à M armakos,
fils de Pythagore. Lors des guerres sam nites du début du
111e siècle, la statue du philosophe fu t dressée sur le Forum
en tant que sapientissimus de la nation grecque (à côté de celle
d’Alcibiale, qualifié de fortissimus). E nfin les Annales d’Ennius
comm ençaient par le récit d’un songe où triom phait la m étem-
psychose. On ne doit donc pas ranger parmi les nouveautés du
111e siècle finissant cette « naturalisation » du pythagorism e,
cette sym pathie naturelle des intellectuels rom ains pour la
philosophie qui se réclam ait du nom de Pythagore.
Il fau t bien préciser : intellectuels, philosophie. C ’est en effet
en se bornant à cette aire sociale et à ce domaine élevé que le
m ariage a va it été possible, et l ’événem ent de 181 le prouve bien.
T an t que le pythagorism e suggère un typ e de vie, conseille des
pratiques aussi inoffensives que l ’alim entation végétarienne ou
offre des consolations pour un autre monde que Rom e, laissée
520 POUSSÉES ET RÉSISTANCES
LES GUERRES C IV IL E S ET LA R E L IG IO N
classes. Mais les temps n ’étaient pas mûrs et ce n’est pas par
la révolte que devait disparaître cette forme archaïque de
l’exploitation de l ’homme par l ’homme.
L a guerre sociale (91-88), c ’est-à-dire celle que huit peuples
de l’Italie méridionale coalisés autour des Marses m enèrent pour
obtenir le titre de citoyens romains, ne portait pas davantage
en elle les germes d ’une nouveauté religieuse. On n ’entend même
plus parler, bien que des Sam nites fussent dans l ’aventure, des
fam eux cultes m ilitaires du tem ps des Fourches Caudines, de
la legio linteata et des terribles cérémonies initiatiques qui fai
saient son prestige : aux Rom ains, les Italiques opposèrent une
armée et des usages tout romains. Ce n ’était déjà plus q u ’une
lutte fratricide. D ans l ’ardeur des combats, on prétendait bien
détruire Rom e et se substituer à elle en l ’im itant et l ’on figura
sur une monnaie le taureau sabellien écrasant la louve, m ais
au début, avan t le premier sang versé, les deux consuls « ita
liens » n ’avaient pas m anqué de faire une suprême et vaine
dém arche auprès du Sénat rom ain et, à la fin, quand, par les
lois Ju lia et Plautia-Papiria, Rom e à peu près victorieuse eut
la sagesse de céder sans perdre la face, les m auvais souvenirs
furent vite oubliés : devenus citoyens, les Italiques furent prêts
à prendre p art à ce qui allait être le destin de Rom e, la guerre
civile.
Après les Gracques, avec Marius, commence le tem ps de ces
grands troubles : des personnalités s’imposent, dès leur jeunesse
en général, et régnent, puis succom bent tôt ou tard sous les
coups d ’un rival. Ces querelles, auxquelles l ’Italie et parfois le
monde entier sont mêlés bon gré m al gré, préfigurent les plus
m auvais m om ents de l ’Em pire. E lles coûtent terriblem ent cher
à la substance de Rom e, de l'Italie, des provinces 1. Florus
note (2, 9, 22) que les partisans de Marius ont dévasté la Cam-
panie et l ’É tru rie de manière beaucoup plus affreuse qu ’H anni-
bal et Pyrrhus. Selon D ion Cassius (frag. 105, 8), le carnage
ordonné par S ylla en 82 fu t bien plus m eurtrier et plus cruel
que le m assacre des Rom ains par M ithridate en Asie-Mineure,
et déjà T ite-L ive, à en juger par le sommaire du 88e livre, avait
Mais S y lla visait plus haut. A v e c lucidité, il com prit quel parti
le pouvoir personnel pouvait tirer soit de la plus ancienne tra
dition religieuse, soit de nouveautés qui sem blaient riches
d ’avenir. Carcopino a m ontré 1 par quelle politique continue
il s’appliqua à devenir l ’exclusif possesseur des auspices, non
pas des auspices ordinaires, propres aux consuls ou a u x tribuns,
que des politiques avertis pouvaient opposer les uns aux autres,
mais, en quelque sorte, des auspices absolus : dès 86, ses aurei,
portant l ’im age du bâton crochu, le désignent com m e un chef-
\
LES GUERRES CIVILES ET LA RELIGION
Comme cette guerre coûtait très cher, d it Plutarque (12, 4-7), il s’en
prit aux trésors inviolables des tem ples et fit venir d ’Ê pidaure et d ’Olym -
pie les plus belles et les plus riches offrandes. Il écrivit a u x am phictyons,
à Delphes, q u ’ils feraient m ieux de lui envoyer les richesses du dieu,
qui seraient plus en sûreté entre ses mains, ajou tan t que, s ’il était forcé
de s'en servir, il leur en rendrait la valeur exacte après la guerre. Il leur
envoya un Phocéen de ses amis, nommé Caphys, avec ordre de peser
chaque objet. Arrivé à Delphes, C aphys n ’osait toucher à ces dépôts
sacrés et, fondant en larmes en présence des am phictyons, déplora la
nécessité où il était. Quelques-uns de ceux qui étaient présents lui ayan t
dit q u ’ils entendaient au fond du sanctuaire la lyre d ’Apollon, Caphy9,
LES GUERRES CIVILES ET LA RELIGION 533
l ’Em pire, ville libre et exem pte d ’im pôts x. A près s ’être servi
de ce culte pour son renforcem ent personnel, le dictateur légua
à ses héritiers inconnus une chance qu ’ils ne négligèrent pas 2.
LE CULTE
CH APITRE PREMIER
SACR A P U B L IC A
ï . Ci-dessus, p. 388, n. 3.
2. Dans to u t ce qui suit, je m ’en tiens, sauf indication contraire, à la
doctrine de W issowa, pp. 380-479.
« SACRA PUBLICA 547
1. Ci-dessus, p. 325.
2. C ’est ainsi que l’on comprend généralem ent ce texte peu clair ;
mais il se peut q u ’il s’agisse du cœur dans les exta non pas en ta n t q u ’ofïerts
en sacrifice, mais en tan t que consultés par les haruspices ; v. ci-dessous,
p. 595, n. 2.
3. V arr. L . L . 5, 112.
4. G. Capdeville, « Substitution de victim es dans les sacrifices d ’ani
m aux à Rom e », M E F R (Antiquité), 83, 1971, pp. 283-323 ; la portée
de cette étude dépasse ce q u ’annonce le titre.
5. E . Benveniste, « Profanus et profanare », Coll. Lat., 45 ( = Hommages
à G. Dumézil), 1960, pp. 46-53.
« SACRA PUBLICA )) 551
1. Mais une autre règle peut interférer : celle qui attribu e au x femelles
une valeur supérieure, Serv. Aen. 8, 64.
2. « Q H ■xi (« Jou i tauro uerre ariete immolari non licet ») », R E L . 39,
1961, pp. 241-250. Ainsi rapproché de uerre ariete, tauro ne peut dési
gner q u ’un taureau non châtré ; même si, dans des circonstances parti
culières, la règle n ’est pas respectée.
3. Sur ces spécifications, v. l’article de G. Capdeville cité ci-dessus,
p. 550, n. 4.
4. Wiss. pp. 432-445. Sur les calendriers, il faut toujours se reporter
aux pages que Th. Mommsen leur a consacrées dans C IL . I 2, 1893,
pp. 203-339, notamm ent pp. 283-304. Mais, depuis Mommsen, le nombre
des inscriptions où interviennent des calendriers a doublé e t l’on dis
pose du corpus com plet des Fastes dans A. Degrassi, Inscriptiones Ita
liae, X III , 2, 1963, avec d ’im portants commentaires. Sur le calendrier
préjulien d ’Antium , publié (C. Mancini) dans les N S . 1921, pp. 73-141,
v. G. V accai, Le feste di Roma antica con aggiunte sul Calendario anziano,
precesariano, 1927 ; M. P. Nilsson, « Zur F rage nach dem A lter des vor-
casarischen Kalenders », 1922, repris dans Opuscula Selecta II, 1952,
avec, pp. 985-987, une discussion contre A. K . Michels, « The Calendar
of N um a and the Pre-Julian Calendar », T A P h A . 50, 1949, pp. 320-345.
Ce dernier auteur a ensuite publié une très utile étude d ’ensemble.
The Calendar o f the Roman Republic, 1967. V . en outre E . Gjerstad,
. « Notes on the E arly Rom an Calendar », Acta archaeologica, 32, 1961,
pp. 193-214. L es calendriers en images sont aussi à considérer. H. Stern
« SACHA PUBLICA »
T.e classement des jours est fait dans deux cadres, dies festi
et profesti, dies fasti et nefasti, où sont respectivem ent mises
«•n œ uvre les notions de feriae et de fa s x. L a seconde, m étaphy
sique, et qui a donné lieu à bien des controverses, a été définie
dès le début de ce livre : les dies fasti sont ceux qui donnent à
l ’action profane de l ’homme une base m ystique, fas, qui lui
assure des chances de bien se faire ; les dies nefasti sont ceux
qui ne lui donnent pas une telle base 2. L e m ot feriae n ’est que
descriptif et négatif. A u sens large, ce sont les tem ps où l ’homme
renonce à ses activités profanes et qu’il réserve aux dieux, avec
ou sans acte cultuel caractérisé ; en conséquence les dies festi
sont attribués aux dieux, les profesti abandonnés aux hommes
pour la conduite des affaires privées et publiques (Macr. ï , 16, 2).
T el est le plus vieil enseignement, qui s ’est altéré plus tard,
et diversem ent, feriae recevant souvent un contenu positif, du
genre « fête », dont dies festus restait exem pt, ou parfois à l ’in
verse ; m ais cela ne concernait que les théoriciens : pratiquem ent,
la quasi totalité des feriae et, avec elles, des dies festi, avaient
un contenu religieux, des cérémonies. Les deux cadres sont donc
bien différents dans leur principe : l ’un (fasti-nef asti) définit
les jours du point de vue de l ’action humaine, le concept direct
étant favorable à cette action ; l ’autre (festi-profesti) les définit
du point de vue de la propriété divine, le concept direct affir
m ant cette propriété. Si donc — à quelques exceptions près
qui doivent expliquées, justifiées, comme exceptions —
tous les dies festi sont nefasti, la réciproque n ’est pas vraie :
d ’autres raisons m ystiques que le respect de la propriété divine
peuvent déconseiller à l ’homme d ’agir à certains jo u r s 3.
π'ρηι tition des dies Justi (et comitiales) et des nefasti sur l ’année
est extrêm em ent inégale, sans raison apparente : septembre
et novembre sont presque totalem ent fasti x, alors que la moitié
de juillet, les deux tiers de février et d ’avril sont nefasti.
Une catégorie toute différente est celle des dies religiosi. Sauf
cas d ’absolue nécessité, y était réputée m auvaise toute action
publique, laïque et religieuse (et ce dernier point les distingue
bien des dies nefasti) ; ils étaient neque praeliares neque puri
neque comitiales (Macr. ï , 16, 24), impropres au m ariage (ibid.)
et généralem ent au comm encem ent de toute entreprise (Gell.
4» 9. 5)· C ’était là une notion expérim entale : les jours ainsi
marqués d ’une sorte de nota infamiae par décision du Sénat
avaient prouvé dans l ’histoire qu ’ils étaient dangereux, hostiles,
tels les anniversaires de graves défaites, la Crém èreet l ’A llia (tous
deux le 18 juillet) ; la généralisation de fâcheux souvenirs avait
fait ranger dans ce groupe tous les lendemains (dies atri) de
Calendes, de Nones et d ’id es ; pour les dangers m ystiques
q u ’ils com portaient par nature, y figuraient aussi les jours où
notre terre et son sous-sol, le monde des vivan ts et celui des
m orts entraient en com m unication (Parentalia, Lemuria, les
trois jours où mundus patet), de même que ceux où les talism ans
de Rom e, si l ’on peut dire, prenaient l ’air (du 7 au 15 juin,
ouverture de Yaedes Vestae ; en m ars et en octobre, les jours
où les Salii utilisaient publiquem ent les ancilia). Ce n ’était là
q u ’une officialisation de la notion de « m auvais jour » (on disait
aussi dies uitiosus) dont les superstitions modernes sur le « ven
dredi 13 » donnent une idée et que le paysan romain connaissait
bien. Mais, comme c ’est généralem ent le cas pour ce que les
Rom ains qualifiaient de religiosus, il ne s ’agissait pas d ’une
interdiction proprem ent dite : le Sénat enregistrait, signalait
seulement que ces jours avaient fait leurs m auvaises preuves,
mais sans effet sur la doctrine pontificale existante. Ainsi
s ’explique que les trois jours où mundus patet (24 août, 5 octobre,
8 novembre), ainsi que le dies Alliensis, soient m arqués C,
comitiales, dans les calendriers et que la plupart des dies atri
soient m arqués F , fasti.
I. Il se peut que le « blanc » que constitue septem bre soit une consé
quence de la disparition de la royauté et, naturellement, d ’ une partie
considérable des fêtes liées personnellement au rex. Il est rem arquable
que le seul jour nefastus y soit les Ides, dies natalis du tem ple de Jupiter
O. M., rex sur le Capitole, et que les Calendes du mois soient le dies
natalis des temples de Juno Regina (392) et de deux variétés de Jupiter
(Liber, ancien ; Tonans, sous Auguste). Pour novembre, on ne vo it
aucune explication.
SACRA PUBLICA » 557
ï . Pour les tem ps plus récents, cf. A. Bruhl, « Les influences hellé
nistiques dans le triom phe romain », M E F R . 46, 1929, pp. 77-95.
2. M me L . Bonfante-W arren, art. cité ci-dessus, p. 296, n. 1, donne
des raisons de penser que cette divinisation du triom phateur résulte
d ’une réinterprétation romaine de l ’original étrusque.
3. O. Hofler, «Gotterkom ik, zur Selbstrelativierung des M ythos », Zeitsch.
f . deutsches Altertum und deutsche Literalur 100, 1971, pp. 371-389, a
cependant replacé cette « liberté » dans un ensemble de faits indo-européens
(poèmes satiriques sur les dieux guerriers, Indra et jDÔrr notamment).
4. D éjà C. Pascal, « D e lectisterniis apud Romanos », jRF. 22, 1894,
pp. 272-279, a v a it rappelé, après des parallèles iraniens et grecs, les
tom beaux étrusques où « m ortui utpote dii coenantes pictura efficti
reperiuntur » ; v. J. Gagé, Apollon Romain, 1955, pp. 168-179 : « Les
lectisternes, théoxénies grecques et modèles étrusques ? ».
5. L a tte , p. 243. Cf. déjà, en m ycénien (Pylos. F r. 343) re-ke-lo-ro-
te-ri-jo (gén. pl.) : λεχε(ε)-στρωτηρίων, Palmer) ; v. L . A . Stella, La civiltà
Micenea nei documenti contemporanei, 1965, p. 237, qui rapproche le
lectisternium.
SACRA PUBLICA » 559
ï. L atte, p. 157.
2. Sur la pompa Circensis et ses rapports avec le triom phe, v. la thèse
de Piganiol, op. cit., pp. 15-31.
« SACRA PUBLICA »
et, sur un char conduit par un puer patrimus, séparés des dieux
si l ’on comprend bien des textes obscurs, leurs attribu ts dis
tinctifs. L a tte (p. 249, n. 2) interprète cette séparation, s ’il
faut la retenir, en disant que prim itivem ent les dieux ne devaient
être représentés que par ces attribu ts et que, lorsque l’usage
des statues s ’étendit, celles-ci furent simplement ajoutées, sans
changem ent, à l’appareil rituel existant. Les jeu x proprem ent
dits m ettaien t en ligne des quadrigae (et non plus des bigae,
comme dans les archaïques Ecurria), des desultores, qui sautaient
d ’un cheval sur l ’autre, des lutteurs, des pugilistes ; les gladia
teurs, d ’origine étrusque, qui depuis longtemps (264) figuraient
dans des fêtes funéraires privées, ne furent jam ais introduits
dans les grands jeu x publics.
On adm et généralem ent avec Mommsen que les ludi appelés
magni, puis Romani, sont devenus annuels et ont reçu forme
régulière en 367, quand furent créés les édiles curules, qualifiés
de curatores ludorum solemnium (Cic. Leg. 3, 7)*. Sans doute
étaient-ils dès l ’origine ce q u ’ils sont restés toujours : la plus
grande fête en l ’honneur de Jupiter O.M. Les jours de jeux,
dont le nom bre fut porté progressivement à quatre, suivirent,
du 15 au 18 septembre, le natalis dies du temple, les Ides de
ce mois, après l’intervalle du 14, dies ater. Quand, un peu plus
tard, une journée, puis plusieurs, finalement neuf, de jeux
théâtrau x (ludi scaenici) furent ajoutés avan t le natalis dies,
celui-ci, avec la cérémonie de 1’epulum Jouis qui le m arquait,
se trou va bien en évidence à la charnière, sinon au milieu des
réjouissances. B ien entendu, cette nouvelle utilisation du Cirque
n ’a va it plus de rapport avec les anciens cultes du lieu, dont
le moins m al connu est celui de Consus, m ais qui groupaient
d ’autres divinités dont nous ne savons que les noms (Seia,
Segetia...), lesquels sont tous relatifs à l ’activité du paysan :
on se contenta d ’utiliser le heu que les courses de m ulets des
Consualia avaient fait am énager en hippodrome.
D e m ême que le tem ple de la triade Cérès-Liber-Libera avait
été la réplique plébéienne du temple de la triade capitoline,
des ludi Plebei vinrent doubler, avec un retard qu ’on ne peut
mesurer, ceux du Capitole. Ils devinrent réguliers soit en 216
(Liv. 23, 30, 17), une des plus m auvaises années de la guerre
contre H annibal, soit un peu plus tôt, à la veille de cette guerre,
quand fut bâti le Circus Flam inius qui leur servit de cadre
comme le Circus M axim us aux jeu x prototypes. E n tre les deux
SACERD O TES
ï. Sur les grandes sodalités, v . Wiss. pp. 550-564. Sur le ius fetiale,
v. m aintenant le livre fondam ental de P. Catalano, Linee del sistema
sovrannazionale romano, 1965.
SACERDOTES
ï . « Rem arques sur le ius fetiale », ïiJLL·. 34, 1956, pp. 93-108 ; repris
dans IR . pp. 63-78.
SACERDOTES 581
1. Ci-dessus, p. 106.
2. Mais v . ci-dessus, p. 276, n. 1.
3. Ils continuèrent à être les experts du Sénat : ainsi L iv . 36, 3, 7.
4. Ci-dessus, p. 395.
5. Ci-dessus, pp. 285-287.
6. Ci-dessus, pp. 158-159·
5«2 SACERDOTES
S IG N A ET PO RTEN TA
a va it pris les augures pour devenir roi et fonder la ville, il ordonna que,
à son su jet aussi, les dieux fussent consultés. Alors il fu t conduit par
l ’augure à la citadelle. L à, il s’ assit sur une pierre, face au midi. L ’augure,
la tête voilée, s ’assit à sa gauche, tenant dans sa m ain droite un bâton
recourbé et sans nœud q u ’on appela lituus. D e là, a y a n t embrassé du
regard la ville et le territoire, il adressa une prière a u x dieux et délim ita
des zones (des directions, regiones) dans le ciel en traçan t une ligne
d ’est en ouest, et déclara que les régions de droite (dextrae partes) étaient
au midi, les régions de gauche (laeuae partes) au septentrion ; d evan t
lui, aussi loin que portait sa vue, il se fixa un repère. Alors, faisant passer
le lituus dans sa main gauche et posant la droite sur la tête de Num a,
il fit cette prière : « Jupiter pater, s ’il est fas que [c’est-à-dire : s ’il y a
un fondem ent m ystique pour que] N um a Pom pilius ici présent, dont je
tiens la tête, soit roi de Rome, fais-nous apparaître des signes évidents
et précis (uti tu signa nobis certa adclarassis) entre les lim ites que j ’ai
faites. » Il énuméra ensuite les auspicia qu’il voulait voir envoyer. Quand
ils eurent été envoyés, N um a fu t proclam é roi et descendit du templum.
i. V. ci-dessous, p. 646, n. 1.
« SIGNA » ET « PORTENTA » 599
ï. C i-d e s su s, p. 524, n. 1.
2. C i-d e s su s, p. 582, n. 4 ; m a is v . M E I I I , p p . 29 4 -29 7.
3. C i-d e s su s, p. 434.
4. C i-d e s su s, p. 66, n . 1.
Dumézil. — La religion romaine archaïque. 39
NOTliS SUK LES CULTES PRIVÉS
R em arques p r é l im in a ir e s .
ï . P a r m i le s n o m b r e u x liv r e s t r a i t a n t d e s É t r u s q u e s , e t q u i c o n s a c r e n t
t o u s u n o u p lu s ie u r s c h a p itr e s à la re lig io n , je n e p u is c it e r q u e q u e l
q u e s -u n s :
P . D u c a t i, Etruria antica, 2 v o l., 19 2 7 , e t Le problème étrusque, 193 8 ;
M . P a llo t t in o , Etruscologia, m a in te s fo is r e m a n ié e ; la s ix iè m e é d itio n ,
196 8, a 4 7 6 p a g e s c o n tr e 298 d a n s l a p re m iè re , 1942 ; u n t e x t e a m é lio r é
d e la p r e m iè r e a é té t r a d u it e n f r a n ç a is p a r R . B lo c h s o u s le t it r e La
civilisation étrusque, 1949 ;
• M . R e n a r d , Initiation à l ’étruscologie, 19 4 3 ;
R . B lo c h , Les Étrusques, 19 5 4 ;
A . H u s , Les Étrusques, 1 9 6 1 ;
C f. J . H e u r g o n , L a vie quotidienne chez les Étrusques, 1 9 6 1.
P a r m i le s v i e u x liv r e s , K . O . M ü lle r e t W . D e e c k e , D ie Etrusker, 2 v o l.,
18 7 7 , r e s te p r é c ie u x .
S u r la re lig io n :
C . C le m e n , D ie Religion der Etrusker, 19 3 6 ;
G . Q . G ig lio li, L a religione degli Etruschi, d a n s Storia delle religioni
d e P . T a c c h i V e n tu r i, 1947, p p . 769-849 !
A . G re n ie r, La religion étrusque, d a n s Mana, 2, I I I , 19 4 8 , p p . 3-79.
R . H e r b ig , « Z u r R e lig io n u n d R e lig io s it â t d e r E t r u s k e r », Historia,
6, 19 5 7 , p p . 12 3 -13 2 .
L a r e v u e fo n d a m e n ta le , Studi Etruschi (pu is St. Etr. ed Italici) se p u b lie
à F lo r e n c e d e p u is 19 2 7, en v o lu m e s a n n u e ls (sa u f d a n s le s te m p s d iffi
c iles). L e s a r tic le s d e la R E r e la t if s a u x É t r u s q u e s s o n t d e h a u te q u a lit é
(G . K o r t e , F . S k u ts c h , C . T h u lin ...) .
P a r m i le s s o u r c e s litt é r a ir e s g r e c q u e s e t la tin e s , le s p a s s a g e s o ù les
m o ts Tuscus, Etruscus, e tc . s o n t e x p lic ite m e n t é c r its se t r o u v e n t r a s
se m b lé s d a n s C . C le m e n , Fontes historiae religionum, V I , 19 3 6 , p p . 2 7 -5 7 .
L e Corpus Inscriptionum Etruscarum (I ; I I i , 2, 3 ; S u p p i. : b a n d e -
Ù \2 LA RELIGION DES ÉTRUSQUES
D epuis plus d’un siècle, soit dans une analyse interne des
formes (ce qu ’on appelle la m éthode combinatoire), qui tourne
inévitablem ent à l ’arbitraire dès qu ’elle passe de la statistique
à l ’interprétation, soit dans la comparaison, vite délirante, de
langues anciennes ou modernes supposées à la légère parentes
de l’étrusque, que d’ingéniosité et de patience, parfois de vraie
science, ont été dépensées pour résoudre un problème inso
luble 1 ! Il est navrant que les grammairiens romains, au lieu
de gloses isolées, ne nous aient pas laissé au moins l’équivalent
de ces vocabulaires bilingues qui sont l ’honneur de la science
babylonienne ; navrant aussi que les inscriptions bilingues, en
latin et en étrusque, réduites à des noms propres et à des noms de
i. V . l ’e x a m e n d e s m é th o d e s e t u n b ila n o p t im is te d e s r é s u lt a t s d a n s
le liv r e d e M . P a llo t t in o , Elementi di lingua etrusca, 19 3 6 , e t d a n s le s
d e rn ie rs c h a p itr e s , lin g u is tiq u e s , d ’Etruscologia. L ’a r t ic le - t e s t a m e n t d e
F . R ib e z z o , « A c h e p u n t o s ia m o c o n l ’in te r p r e ta z io n e d e l e tr u s c o ? »
S E . 22, 19 5 2 -5 3 , p p . 1 0 1-12 8 , e s t u n e x e m p le t y p iq u e d e s illu s io n s
a u x q u e lle s s 'a b a n d o n n e n t t a n t d e c h e rc h e u r s. L a p o s itio n d e G . D e v o t o
e s t r é s u m é e d a n s « E t r u s c o e p e r i-in d o e u r o p e o », S E . 18, 19 4 4 , p p . 1 8 4 -19 7 ,
e t 3 1, 196 2, p p . 93-98 ; « U m b r i e d E t r u s c h i », ibid. 28, i9 6 0 , p p . 2 6 3 -2 7 6 .
ί)Ι.| I.Λ KKLIGION DES ÉTRUSQUES
1. M . P a llo t t in o , a v e c le c o n c o u r s d e G . C o lo n n a , L . V . B o r r e lli, e t
G . G a r b in i, « S c a v i n e l s a n tu a r io e tr u s c o d i P y r g i, r e la z io n e p re lim in a re
d é lia s e t t im a c a m p a g n a , 196 4, e s c o p e r ta d i t r e la m in e d ’o ro in s c r it te
in e tr u s c o e p ú n ic o », Archeologia classica 16, 1964, p p . 4 9 - 1 x 7 ( ta v . X X V -
X X X I X ) ; v . le s r a p p o r ts a n n u e ls d e s fo u ille s d e P y r g i d a n s le s v o lu m e s
p r é c é d e n ts d e l a m ê m e r e v u e . L e s t r a v a u x s u r le te r r a in se p o u r s u iv e n t ,
a in s i q u e le s e ss a is d ’in t e r p r é t a t io n d e s la m e lle s e t d e s é v é n e m e n ts
le s c o n c e r n a n t.
2. Op. cit., p p . 6 6 -76 .
3. « L ’ in s c r ip tio n p u n iq u e r é c e m m e n t d é c o u v e r t e à P y r g i (Ita lie ) »,
J A . 252, 19 6 4 , p p . 289-302. V . la b ib lio g r a p h ie u lté r ie u r e d a n s le s n o te s
d e J. H e u r g o n , « T h e I n s c r ip tio n s o f P y r g i », J R S . 56, 19 6 6 , p p . 1 -14 .
A v e c le s tr o is la m e lle s d ’o r a é t é tr o u v é e , e n fr a g m e n ts , u n e la m e lle
d e b r o n z e in s c r it e o ù o n l i t lina (« J u p it e r » ? ) e t uniiaQi (cf. Uni « J u n o n »),
e t s u r t o u t Qesan q u ’o n s a it, p a r d e s v a s e s , ê tr e le n o m d e l ’ A u r o r e ;
o r il e x i s t a i t e n c e lie u u n te m p le o ù é t a it h o n o ré e u n e d é e sse q u e ses
é q u iv a le n ts g r e c s e t la tin p e r m e tt e n t d ’ id e n tifie r à l ’ A u r o r e : R . B lo c h ,
« I li t h y e , L e u c o t h é e e t T h e s a n », C R A I . 1968, p p . 366 -375 , e t m o n M E .
I I I , pp . 16 4 -171.
LA RELIGION DES ÉTRUSQUES 615
pour rester et donna celui du groupe qui d evait émigrer à son propre
fils, nommé Tyrsénos. Ceux que le sort a va it ainsi frappés d 'exil des
cendirent à Sm yrne, construisirent des vaisseaux, y chargèrent tous
les biens meubles qui pouvaient leur servir et partirent pour aller chercher
ailleurs terres et subsistance. Après avoir côtoyé les terres de nom breux
peuples, ils abordèrent au pays des Ombriens, où ils bâtirent des villes
qu'ils habitent encore. Mais ils changèrent leur nom de L ydien s et s’appe
lèrent Tyrséniens, d'après le fils de leur roi, qui les a va it conduits.
les premiers textes de Sardes, E nno Littm ann signalait les plus
fra p p an te s1 : dans le systèm e des sons, dans l ’accent (fort
accent initial, défigurant les noms grecs : lyd. JW í-Έφεσος,
peut-être Timle-T\.\x6\oLoç, ou Τιμέλης ; étr. A yle Άχιλλεύς,
Lamtun Λαομέδων, Clut(u)msta Κλυταιμήστρα... ) et dans la m or
phologie (adjectifs d ’appartenance lydiens en l et s (s), génitif
étrusque en /, s ; absence de genres ; terminaison des gentilices :
lydien Sfardak « de Sardes », étrusque Rumay^ « de Rom e »).
Mais, le lydien n e ta n t guère interprétable m algré une belle
bilingue lydienne-araméenne, et l ’obscur n ’éclairant pas l ’obscur,
la connaissance de l ’étrusque ne profita guère de cette consta
tation. Cependant elle confirm ait, et c ’est cap ital pour les
enquêtes relatives à la civilisation, que les É trusques d’Italie,
le groupe d’hommes du moins qui avait donné sa langue au
pays, était bien venu d ’Asie-Mineure.
L a découverte, la lecture du h ittite et des langues apparen
tées, louvite, palaïte ; puis la reconnaissance par H . Pedersen,
q u ’une des langues parlées beaucoup plus tard en Asie-Mineure,
le lycien, était une forme évoluée du louvite 2, ont donné aux
linguistes des m oyens nouveaux d ’investigation. Ces dernières
années, on a produit de sérieuses raisons de penser que le lydien,
dont le vocabulaire vient justem ent d’être publié 3, est lui aussi
une forme évoluée d ’une des vieilles langues connues par les
inscriptions cunéiformes, d ’un dialecte hittite 4. Nous allons donc,
dans les années qui viennent, assister à l ’opération inverse, mais
non moins passionnante, de celle qui a permis à Cham pollion
d ’interpréter l ’ancien égyptien par son dérivé le copte, et l’on
U n des traits les plus frappants de l’image que les Rom ains
de la fin de la R épublique se faisaient de la religion étrusque,
c ’est qu ’elle était une religion de « livres », dont les responsables,
bien que m ythiques, n ’en étaient pas moins des « auteurs ».
On comprend que les Rom ains aient mis ce caractère en valeur :
à une époque où Rom e écrivait à peine — l ’inscription du
Forum , au term e des tem ps royaux, m ontre quelle gaucherie
d ’écriture était admise dans les m onuments les plus officiels — ,
l ’Étrurie, en possession d ’un alphabet pris aux Grecs et intelli
gemm ent retouché, ne se contentait certainem ent pas d ’écrire
des noms propres au dos de ses miroirs ou sur les cippes de ses
tombes. Mais, à époque ancienne, q u ’étaient ces libri ? Certes,
les É trusques, s’ils sont venus d ’Asie-Mineure, ont pu apporter
avec eux, sinon des exemplaires de ces recueils de règles juri
diques ou religieuses dont le Proche Orient, depuis longtemps
écrivassier en images, en clous ou en lettres, a laissé beaucoup
d ’exemples, du moins le souvenir, l ’idée que la religion d’un
peuple civilisé doit s ’appuyer sur des écrits, et des écrits presti
gieux : en ce cas, ils n ’ont pas dû rester longtemps, à Caeré,
à Tarquinies, à Chiusi, sans m ettre leur écriture au service de
ce besoin traditionnel, Sous quelle forme ? Nous l ’ignorons.
Les libri dont les écrivains de Rom e ont traduit ou para
phrasé des fragm ents sont d ’un autre âge, datent d ’une sorte
de Renaissance étrusque, m ais d’une Renaissance sans espoir,
testam entaire : dans les derniers siècles avant notre ère, l ’E tru-
rie, bien rattachée à Rom e, eut surtout pour souci, et un
souci parfois entretenu par les Rom ains eux-mêmes, de contri
buer à la civilisation et à la vie communes en com pilant ce qui
LA RELIGION DES ÉTRUSQUES 621
ï. L ’exposé fondam ental sur les divers « libri » et leur contenu est
toujours le véritable corpus com m enté en trois parties (citées ici : T h u
lin I, II, III), de C. O. Thulin, Die Etruskische D isziplin, I D ie Blitzlehre,
Gôteborgs Hôgskolas Ârsskrift, n , 1905, pp. i-x v , 1-128 ; I I Die Harus-
picin, ibid., 12, 1906, pp. 1-54 (et 3 planches) ; I I I D ie Ritualbücher et
L A R E L IG IO N DES ÉTRU SQU ES
L ib r i fu lg u rales .
1. Servius II, A en. 1, 42, ne peut être allégué comme tém oignage
de la triade Jupiter Junon M inerve : ... antiqui Jou is solius putauerunt
esse fulmen, nec id, unum esse, ut testantur Etrusci libri de fulguratura,
in quibus duodecim genera fulm inum scripta sunt, ita ut est Jouis, Junonis,
Mineruae, sic quoque aliorum. L ’auteur fait évidem m ent allusion à la
théorie des neuf dieux fulgurants et, s’il ne détache nommément que
Jupiter, Junon et Minerve en tête des « alii », c ’est parce q u ’il s ’adresse
à un public romain.
2. Hercule est incertain : Thulin le déduit de quelques vers de Sénèque,
Here. Oet., 1991-1996.
3. Servius, Aen. i r , 259, attribue les tem pêtes de l’équinoxe de prin
temps aux manubiae mineruales ; Pline, loc. cit., d it : a Saturni ea sidere
proficisci subtilius ista consectati putant, sicut cremantia a Martis, qualiter
cum Volsinii oppidum Tuscorum... concrematum est fulm ine.
630 LA R E LIG IO N D ES ÉTRUSQUES
1. Thulin, I p. 69.
2. Ibid., pp. 78-80.
3. Ibid., p. 81.
4. Thulin a voulu distinguer puteal et bidental ; notre inform ation
est trop courte pour de telles discussions.
LA RELIGION DES ÉTRUSQUES
L ib r i h a r u s p ic in i.
i. V. ci-dessus, p. 595.
LA RELIGION DES ÉTRUSQUES 637
une découverte comme on aim erait en com pter beaucoup :
l ’objet déterré était la reproduction en bronze d ’un foie de m ou
ton, couverte de lignes et de noms de divinités 1. Il s ’agissait
apparem m ent d ’un modèle, d ’un guide pour l ’exploration des
foies, et c ’est toute la doctrine des haruspices qui s ’y trouvait
condensée. L e principe n ’est pas douteux : c ’est bien le m acro-
cosme qui se reproduit en p etit, de plusieurs manières, sur les
deux faces de l ’organe. L ’âge du foie de Plaisance est encore
discuté ; l ’estim ation la plus probable (Korte) le date du 111e
ou du 11e siècle avant notre ère, au moment de la « Renaissance
étrusque » dont il a été question plus haut, m ais il se peut qu ’il
soit plus récent (Deecke : fin de la République).
L e sym bolism e de la face convexe est simple. E lle est divisée
par une ligne en relief, entre les deux lobes (fibrae). Sur chacune
de ces deux aires est inscrit un seul m ot, usils à droite, tivr à
gauche, où l ’on s’accorde à reconnaître les noms du soleil et
de la lune. Il faut donc penser que chacun des lobes correspon
dait à une m oitié de l ’espace ou du tem ps et que ces deux
m oitiés étaient considérées respectivem ent comme solaire, lum i
neuse, et comm e lunaire, nocturne. Il est probable, m ais non
dém ontrable, que cette structure coïncide avec celle qui préside
à l ’art fulgurai et où les seize régions du ciel sont réparties en
deux m oitiés, de part et d ’autre de l’axe Nord-Sud, la « gauche »
(vers l ’E st) favorable, la « droite » défavorable. Correspond-elle
en outre à la division du foie en pars fam iliaris et pars hostilis
(inimica), dont parle Cicéron (Diu. 2, 28 ; cf. L iv . 8, 9, 1 ; Luc.
Phars. 1, 621) ? C ’est l ’opinion commune. Mais on ignore à
quel ordre de responsa servait la division sommaire de cette face.
L a face concave est beaucoup plus travaillée. E lle porte
quarante noms de dieux, inscrits la plupart dans des cases fer
mées. D ’abord, tout le pourtour est divisé en seize cases qui,
bout à bout, form ent une bordure continue. L e nom bre seize
n’est certainem ent pas fortu it : ces petits rectangles irréguliers
sont la projection des seize régions du ciel. A bstraction faite
de la bordure, deux structures différentes recouvrent les lobes ;
Le f o ie de P l a is a n c e
on ne voit dans les cases un simple nom divin : ce qui est écrit
sur les diverses parties de l ’organe, ce sont de courtes phrases
annonçant une action précise d ’un dieu ou même un événem ent
qui n ’est couvert par aucun nom divin Les quelques concor
dances de détail qu ’on a cru reconnaître entre les localisations,
sur la surface, d ’un dieu étrusque et d ’une prophétie babylo
nienne se rapportant à la province supposée de ce dieu, sont
bien in certain es2. Ainsi, d ’après A lfred Boissier, Thulin n o t a it 3
que, sur le foie chaldéen q u ’il utilisait, la vésicule biliaire por
ta it cinq lignes d ’inscriptions dont la quatrièm e paraissait signi
fier « et la pluie dans (le pays) ennemi (?) » ; or d ’après Pline
(N.H . i l , 195), les haruspices attribuaient la vésicule à « N ep
tunus », et celle du foie de Plaisance a aussi cinq divisions ins
crites, dont la seconde porte la lettre N, qu ’on peut considérer
comme l ’initiale de N eptunus... L a plus intéressante entre les
précisions proposées, est celle-ci, que je reproduis dans l ’énoncé
de M. N o u g a y ro l4 :
Les dieux tutélaires de l ’haruspicine assyrienne sont Sham ash (dieu-
soleil) et A d ad (dieu de l ’orage). Sham ash v a de soi : comme il lit les
tablettes à travers leurs enveloppes, il inscrit son message dans le ventre
même de l ’agneau. Mais la présence d ’Adad, dieu suprême des régions
montagneuses du Nord, Assyrie, U rartu, Hurri, H a tti, Syrie septen
trionale, sous des noms divers qui ne m asquent pas son identité foncière,
Mais cela même n ’est pas dém onstratif : il est naturel que
des peuples chez qui la divination est im portante établissent
des liaisons entre les diverses techniques des devins et entre
les supports m ythiques de ces techniques.
Ceux qui ne désespèrent pas de lire, dans les données étrusques
des derniers siècles avan t notre ère, des doctrines apportées en
Italie sept ou huit cents ans plus tôt par les ém igrés d ’Asie
Mineure ont attendu beaucoup de l ’haruspicine hittite, repré
sentée par d ’abondants docum ents : n ’allait-on pas y trouver
la source directe, ou la parente la plus proche, de celle des
Tyrrhéniens ? A près les premiers enthousiasmes, il a fallu recon
naître un fait c a p ita l1 : l ’haruspicine hittite, dans la mesure
où elle dérive de la babylonienne, a été d ’abord repensée par
les H ourrites auxquels les H ittite s doivent tant, et ces H our-
rites lui ont imposé, avec un nouveau vocabulaire, des altéra
tions profondes (par exem ple à propos de la vésicule biliaire).
M. E m m anuel Laroche, au term e d’un article qu ’on ne saurait
trop m éditer 2, a conclu :
L ’hypothèse d ’une transmission de l’haruspicine au x peuples occi
dentaux (Lydiens, Étrusco-Rom ains) par les H ittites se pose en termes
plus compliqués q u ’on ne l ’im agine ordinairem ent (A. Boissier, G. Con-
tenau, A . Grenier). Si l ’on reconnaît une parenté plus étroite entre les
m antiques babylonienne et étrusque qu’entre celles des Babyloniens et
des H ittites, le problème de l ’haruspicine étrusque ne saurait être résolu
par la voie an atolien n e3.
L ib r i r it u a l e s .
ï. Sur les plans orthogonaux à diverses époques dans les pays médi
terranéens (et voisins), v. F . Castagnoli, Ipodamo di M ileto e I’urba
nística a pianta ortogonale, 1951 ; R . Martin, L ’urbanisme dans la Grèce
antique, 1956 ; A. Boethius, The Golden House o f Nero, i960 ; R . Bloch,
« A propos de l’E néide de V irgile, réflexions et perspectives », R E L .
46, 1968, pp. 325-342.
2. V . ci-dessus, pp. 314-315.
(>5<> 1.Λ KELIGtON DES ÉTRUSQUES
ï. Ci-dessous, p. 670, n. 1.
LA RELIGION DES ÉTRUSQUES
1. V . M E . I, pp. 404-405.
2. Pour justifier que V irgile appelle Enée profugus : il est le petit-fils
du parjure Laomédon.
652 LA KliLIGION DES ÉTKUSQUES
Les libri fatales, à supposer que ce fussent vraim ent des livres,
contenaient une m atière plus plausiblem ent étrusque : à en
juger par les plus vieu x Rom ains, les Italiques n ’avaient pas
développé de théorie du destin et c ’est sous l ’influence des
Grecs, à p artir d ’obscures divinités mineures comme les Parcae,
q u ’ils en ont constitué une 1. D e plus, ce q u ’on entrevoit à la fois
à la tête et à l’arrière-plan du panthéon d ’Étrurie, ces d ii supe
riores et inuoluti rencontrés dans la théorie des foudres, n ’ont
pas plus d ’équivalents à Rom e qu ’en Grèce. Mais, des libri
fatales, en dehors de leur existence, nous connaissons peu de
choses, en sorte que nous sommes très libres pour y chercher,
si telle est notre fantaisie, un prototype aux libri S iby llini de
Rom e.
Parm i les fragm ents de doctrine conservés, un des plus inté
ressants, parallèle à un fragm ent de la théorie des foudres, con
cerne la prorogatio, qui adoucit quelque peu le fatalism e : fata
differuntur tantum, nunquam penitus immutantur, dit Servius
(Aen. 8, 398) 2. Ce sursis, ou le m axim um de ce sursis, est de
dix ans pour les individus, de trente pour les É tats. L ’interpo-
lateur de Servius ajoute une indication précieuse, m algré sa
brièveté : cet ajournement des m alheurs qui m enacent, les
Etrusci libri disent qu’il peut être obtenu en premier heu de
Jupiter, ensuite des Destins, primo loco a Joue dicunt posse
impetrari, post a fatis. On voudrait savoir comm ent la prière
s ’adressait a u x Destins, c ’est-à-dire certainem ent aux « dieux
Supérieurs et Voilés ». On voudrait aussi savoir ce q u ’il faut
entendre par primo loco et par post : fractions successives et
complémentaires d ’une même procédure ? Ou première instance
et appel ? L ’essentiel des rapports entre Jupiter et les dit
Superiores se cache dans cette incertitude.
1. V . c i- d e s s u s , p p . 4 9 6 -4 9 8 .
2. Bouché-Leclercq, op. cit., p. 89.
LA RELIGION DES ÉTRUSQUES 653
ï . L e parallèle que Thulin III, 59, étab lit entre Tagès et Orphée est
artificiel. Significativem ent, deux études sur cette m atière on t des titres
en forme de question : H. Bulle, « Orphisch-pythagorâischer Glaube bei
den E truskem ? » P h il. Wochenschrift, 42, 1922, col. 692-694 (brève
mais excellente discussion de la thèse de F. Weege, dans Etruskische
Malerei, 1921) ; C. C. van Essen, D id Orphic Influence on Etruscan Tomb
Painting exist ? (thèse d ’U trecht), 1927.
2. Suidas, Lexikon, s. v. Τυρρηνία, d ’après « un homme com pétent qui
a va it écrit l ’histoire chez les Etrusques », reproduit une cosmogonie où
l ’on s’accorde à voir un mélange d’astrologie et de conceptions bibliques
e t q u ’on ne peut attribuer au x Étrusques : « L e dieu artisan de toutes
LA RELIGION DES ÉTRUSQUES 655
L e s d ie u x .
1. V . ci-dessus, p. 593.
2. Thulin, D ie Gôtter des Martianus Capella..., p. 23.
3. Siluanus et Sancus sont peut-être, réunis dans un Selvans Sanxu-
neta : G. Colonna, SE. 34, 1966, pp. 165-172. Sur Fufluns et *Populo-
nius, V . G. D evoto, SE . 6, 1932, pp. 243-260.
LA RELIGION DES ÉTRUSQUES 659
tem ple et son haut-lieu, ep a rceq u ’A starté a favorisé son fidèle : ’ en l ’an 3
de son règne, au mois de *K R R , au jou r de la Sépulture “de la déesse.
E t puissent les années où la statue de la Déesse résidera 10dans son
tem ple être des années aussi nombreuses que ces étoiles- u là !
Hta tmia icac he2ramaava [.] vatiexe 3unialastres %emiaisa me/ Quta
Qefa*riei velianas sal cluvenias turuce...
tel est ce que nous apprend, ou du moins nous perm et d ’im aginer le
te x te de l ’inscription punique *.
R ix...) donnent une instructive im age des efforts et des illusions qui
remplissent les dossiers des dieux étrusques : v. l ’article posthume de
K . Olzscha, « D as aisera-Problem », S E . 39, 1971, pp. 96-105.
t. « Nom et origine de la déesse étrusque Acaviser », S E . 3, 1929,
pp. 249-258.
2. Sans rapprochem ent grec, M. Benveniste a étudié une autre figure
féminine, A lsir sur une ciste de Préneste, et aussi Altria sur un miroir
(< *Alsr-ia, par adjonction de -ta, suffixe secondaire de féminin), qui
tient le rôle d ’Aphrodite dans des scènes déformées du J ugem ent de Pâris :
S E . 7, 1933, p p . 249-252.
L A R E L IG IO N D ES ÉTRU SQU ES 669
G r o u pe m e n ts d e d ie u x .
ï . Gerhard, op. cit., II, p. 153, pl. 166, et p. 135, pl. 141.
2. S. Ferri, « L a Juno R egina di V ei », S E . 24, 1955-56, pp. 106-114.
3. R. Pettazzoni, « L a d ivin ità suprema degli E truschi », S M S R . 4,
1928, pp. 207-234, à propos de V ortum nus « deus E tru riae princeps »
de Varro, L .L . 5, 46 (sur lequel v . ci-dessus, p. 345).
4. L . B an ti, « Il culto del cosidetto « tempio dell’ Apollo » a V eii e il
problem a delle triadi etrusco-italiche », S E . 17, 1943, PP· i 87_224 :
v. ci-dessus, p. 290, n. 1.
5. K y le Meredith Phillips Jr. a cru reconnaître Jupiter, Junon et
670 L A R E L IG IO N D E S É T R U S Q U E S
M inerve sur une terre cuite du v i e siècle av. J.-C. trouvée par lui en 1967
dans les fouilles de Poggio C ivitate : « B ryn Mawr College E xcavation s
in Tuscany, 1967 », A J A . 72, 1968, pp. 120-124; “ Poggio C ivitate »,
Archaeology 21, 1968, pp. 252-261 (notam m ent pp. 255-256, 259). C ’est
certainem ent une illusion. Il ne s’a g it sans doute même pas de dieux,
et il y a quatre personnages, un m asculin avec un serviteur, un féminin
avec une servante. L es autres figures de la même terre cuite ne sont pas
davantage une varian te étrusque de la « triade infernale », préfiguration
supposée de la triade Cérès, Liber, Libera. T im othy N . G antz, « D ivine
triads on an ‘ Archaic ’ Etruscan Frieze Plaque from Poggio C ivitate »,
S E . 39, 1971, pp. 3-24, n’est pas parvenu à rendre plausible cette double
construction.
ï . « Contributo alio studio dell’arce etrusca di M arzabotto » dans Atti
e Memorie délia R . Deputazione di Storia Patria per la Romagna, 1923,
p. 6 9 ; Etruria antica i , 1927, pp. 97-101 (p. ι ο ί , sur les sanctuaires
crétois à trois chambres) ; Le problème étrusque, 1938, pp. 150-151 (dans
le monde grec : le tem ple triple d ’Aphrodite à Paphos, Chypre ; celui
de Perachora, dans l ’isthme de Corinthe, v i e-ve siècles ; e t naturelle
m ent le tem ple du Phokikon dont il a été parlé ci-dessus, p. 314) ; cf.
ci-dessus, p. 293, n. 1.
L A R E L IG IO N D ES ÉTRU SQU ES 671
Jouialis, « bien qu ’il ne q uitte jam ais son séjour céleste » ; 2° onze
divinités, nommées, qui, jointes à Jupiter, form ent les « D ouze
grands dieux », réunis selon le modèle grec ; 30 les sept residui,
non nommés ; 40 des dieux répartis, avec beaucoup de doubles
domiciles, entre les seize régions ; 50 les dit A zoni, c ’est-à-dire
apparem m ent ceux qui n ’ont pas de domicile dans ces seize
régions 1.
L e prem ier groupe rappelle les deux conseils qui assistent
Ju piter dans la théorie des foudres, et W einstock a expliqué
le rang donné ici à Vulcanus par l ’assim ilation de ce dieu au
Soleil dans certaines spéculations connues. On peut penser
que les D ouze et les Sept doivent au moins leur nom bre à des
représentations astrologiques (zodiaque, planètes). M ais ce sont
les dieux des seize régions qui ont le plus de chances de conserver
quelque chose d ’une tradition proprem ent étrusque. E n voici
le détail (45-60) :
çantes, sur les monum ents où le rictus cruel de ses lèvres les
découvre, évoquent l ’im age d ’un carnassier, p rêt à dévorer
ses victim es. » A lors que les autres démons sont peints en brun,
comme les hommes, la chair de celui-là est bleu sombre, ou
v e r d â t r e S ’il est rare qu ’il conserve la ram e de Charon, il a
constam m ent comme attrib u t un m a ille t2, et souvent des ser
pents ornent sa tête, ses épaules ou sa ceinture 3. U n tel signa
lem ent annonce suffisamment sa fonction : il surgit auprès de
ceux — les prisonniers troyens, Troïlos, Oinom aos... — dont
la m ort, dont le m eurtre est im m in en t4 ; le m aillet ne peut avoir
qu ’un sens, et c ’est bien celui que m anifestent quelques monu
ments, à vrai dire tardifs : Charun assomme le m ortel dont l ’heure
est venue 5. Puis, sorte de psychopom pe, il l’accom pagne dans
le voyage, à pied ou à cheval, qui l ’éloigne de son m onde fam i
lier 6 ; l ’opération n ’est pas de tout repos : une figuration célèbre
m ontre un dense cortège de démons et de musiciens entourant
le défunt, qu’un énorme Charun tient sous ses g riffe s7.
Charun n ’est pas, en cette m atière, la seule création du génie
étrusque : des Furies se déchaînent, dont l’une est comme sa
réplique féminine, et qui portent des noms inexpliqués, C uliu,
V a n d 8 ; un dém on m asculin aux traits réguliers, anonyme,
« plus jeune et plus aimable, assiste dans son office le démon
de la m ort, auquel il sert, en quelque sorte, de repoussoir » 9 ;
inversem ent, un autre dém on réussit à être plus m onstrueux,
plus anim al que lui ; son nom est ΤηχηΙχα ; « il a un long bec
d ’oiseau de proie planté au m ilieu du visage, de longues oreilles,
pas de lèvres, une langue énorme et deux gros serpents dressés
sur la tête. » 10
M. F ran z de R u y t a souligné11, contre d ’autres interprétations,
que ces figures horrifiques n ’interviennent pas dans la vie de
l ’au-delà, ne sont pas des bourreaux acharnés pour l ’éternité
sur leur victim e, ne vaquent pas à des œ uvres infernales : « le
r. Ibid., p . 1 4 7 o ù l ’on t r o u v e r a le s ré fé r e n c e s a u x p e in tu r e s .
2. Ibid., p . 14 2 .
3. Ibid., p . 1 5 2 .
4. Ibid., p . 19 5 .
5 . Ibid., p . 202.
6. Ibid., p . 198 .
7 . Ibid., p . 19 8 .
8. Ibid., p p . 2 0 4 -2 15 ; R . E n k in g , « C u lé u u n d V an Q », R M . 58 (19 4 3 ),
p p . 48-69.
9 . F . d e R u y t , p p . 2 1 7 -2 1 8 .
10. Ibid., p p . 218 -2 2 0 ; c f. p p . 1 1 - 1 2 (dan s la se c o n d e c h a m b r e d e la
to m b e d i t e « d e ll' O r c o » à T a r q u in ie s ) .
1 1 . Ibid., p p . 224-229.
LA RELIGION DES ÉTRUSQUES 679
ï . S u r le s r e p r é s e n ta tio n s d e j e u x , s u r le p e r s o n n a g e d u cpersu, v .
c i-d e s su s, p p . 5 6 5 -56 6 .
2. Ibid., p . 15 3 ; la t r a d it io n s ’e s t m a in te n u e , d i t F . d e R u y t , « a u
p o in t q u e D a n te , Inferno, V II, 8, a p p e lle P lu t o n « m a le d e tto lu p o »
e t q u ’ u n d e ssin d e M ic h e l-A n g e r e p r é s e n te P lu t o n a v e c la t ê t e d e lo u p . »
Cf. J. G a g é , « L e s É t r u s q u e s d a n s l ’E n é id e », M E F R . 46, 19 2 9 , p p . 13 5 -
13 6 ( e x p liq u a n t Aen. n , 6 7 6 -6 8 2 , caput ingens oris hiatus j et malae
texere lupi cum dentibus altis, p a r u n d é m o n d ’ u n e fr e s q u e d e C o r n e to
d o n t la tê te e s t e n se rré e e n t r e le s m â c h o ir e s d ’ u n lo u p ), e t, d e m o i-
m ê m e , « P r o p e r t ia n a 3 (« L y c o m e d iu s » e t « g a le r itu s L y g m o n », Prop.,
4, 2, 5 1 e t ï , 34) », Lat. 10, 1 9 5 1 , p p . 296-299.
3. F . d e R u y t , p p . 15 4 -16 2 .
4. Ibid., p . 160. S u r ces uolumina, v . F . M e s s e r s c h m id t, « D ie sc h re i-
b e n d c n G o tt h e ite n in d e r e tr u s k is c h e n R e lig io n », A R W . 29, 1 9 3 1 ,
p p . 60-69 ; C . K e r é n y i, n S u i s ig n ific a t o d e i lib r i n e i m o n u m e n ti se p o l-
c r a li e tru s c h i », S E . 9, 19 3 5 , p p . 4 2 1-4 2 2 (c o n tre l ’in t e r p r é t a t io n d e
G . H e r b ig , « p r o p in q u i s u p e r s tite s c u m lib e llis »).
5. Ibid., p . 2 17 .
6. Ibid., p . 254.
68 ο LA RELIGION DES ÉTRUSQUES
A t t u s N a u iu s 14 0 -1 ( v o c a tio n ) ,
19 9 (et T a r q u in ) .
i . Rom e. A v e n tin 26 (p e u p le m e n t), 3 0 1, 426
(Ju n o R e g in a ) , 345 ( V o r tu m n u s ),
A d o le n d a 52. 409 e t η . i ( D ia n a ), 383-4 (Cé-
a e d itu u s 73, 583 η . 3. rès), 479-80 (p ro c e ss io n d e 207).
affranchis 418 (Feronia), 502 (in A u e rr u n c u s 243.
flu e n ce ). a u g m e n ta 550.
agneau 1 6 1 (à Q u irin us), agnelle a u g u re s 106, 18 9 , 19 9 , 204, 4 5 1 ,
18 4, 302 (à Junon). 5 3 1 ,5 8 4 - 7 , 589 ; v . A t t u s N a u iu s .
A g o n e n s e s (Sain) 159. a u g u riu m 5 8 5-6 (a. S a lu tis , a . c a
a g o n iu m d u 9 ja n v ie r 184, 336 ; n a riu m ; a . e t a u s p ic iu m ) , 607-8
a . d u 1 7 mars 2 2 3 ; a . d u 1 1 d é (a. p riv é s),
c e m b r e 555. a u g u stu s 1 3 1 -2 , 14 2 -3 , 507.
A iu s L o c u tiu s 56, 61-2. A u r e lii 432, 609 ( e t S o l),
a lite s 588. a u sp iciu m 13 2 -5 (d é fe n se e t ru se s
A llia 58 (site), 556 (jour), co n tre le s a .) , 202 ( c o n s u la t
a lt a r ia 3 2 1. p lé b é ien ), 207 ( P a p ir iu s C u r
a m b a r u a lia 239-241. sor), 5 3 1-2 ( S y lla ), 585 (a. p r o
a m b u r b iu m 241. p re s à G a b ie s ), 58 5 -6 (a. e t a u
a m ic u lu m Junonis 302. gu riu m ), 587-9 ; v . iu g e s a .
a n c ilia 158 , 224 e t η. 2 ; v . M a m u
r iu s V etu riu s, Salii. B a c ch a s , B a c c h a n a lia 5 1 1 - 6 ; sé n .-
ânes 288 (Consualia), 229 n . 2, 3 3 1 co n su lte d e B a c c h . 10 5, 395,
(V e s ta lia ). 515-6.
A n g e r o n a (Diua), -a lia 3 4 1-3 . B a ta c è s 529-30.
A n n a P e re n n a 222-3, 3 r 3 > 340 · bélier 184 (à J u p it e r a u x n u n d i
A n t e u o r t a (Carmentis) 397. nae) ; v . s u o u e ta u r ilia .
A n t is t iu s Labeo 1 1 5 , 654. B e llo n a 108 (fo r m u le d e l a d e u o tio ),
A p o llo n 441-3,479 (m ed icu s), 532-3 252 (et M ars) 394 -6 .
(e t S y lla ) ; Apollinar(e) 442, 448; bœuf 161 (à J u p ite r , s p o lia o p .),
v . A p o llo n , D elp h es à l ’in d e x 245-6 ( u o tu m p r o b u b u s ) , 435
grec. (ou g é n isse , à H e r c u le ), 5 46
a q u a e lic iu m 189 n. 1. (bovin s p a r m i le s v ic t im e s o r d i
a r a 3 2 1 -2 , 569; A. M a x im a 433-8 ; n aires), 5 5 1 ( h é c a to m b e s).
a. M a r tis in Cam po 2 1 5 ; a . V o B o n a D e a 355 .
lu p ia e 341 ; a. F o n tis 392. bouc 353-4 ( L u p e r c a lia ) .
a r c u lu m , inarculum 164 n . 1.
A r g e i, - a 448-9. C a c a 60 n . 1.
A r u a le (carmen) 240, 583 n . 1. C a c u s 60 n . 1 , 4 33 .
A r u a le s (fratres) 52 (A d o le n d a , C ae cu lu s 263-6, 3 3 1 -2 ( e t L . C a e
e tc .) , 240 (carmen A m a le ) , 279 cilius M e te llu s ).
η . ï (fils de L a re n tia ), 582-3 C ae sar 3 55 ( L u p e r c a lia ) , 536-42.
(F lo ra ), 582-3. c a la to re s 100-3, 5 § 4 (d es a u g u re s ),
A t e iu s C a p ito 115. 121 e t n . 3 (d es fla m in e s m a
A th e n io n 524. jeurs), 5 78 (d es p o n tife s e t d e s
A t t a l e 481-2. flam ines m a je u r s ).
682 INDEX
Lym phae, N ym phae 393 ; v. Car- Minerve 252 (pour Nerio ?) 253-5
mentis, E geria ; lym phatus 373. (ciste de Préneste, miroirs), 310 -
313 , 310-1 e t 311 n. 1 (et Quin
m agm enta 550. quatrus), 311-2 et 427-8 (Capta),
Magna M ater 481-2, 483-4 (trans- 312 (et Athéna), 313 (et Anna
uectio), 486 (culte), 529-30 (Ba- Perenna),
tacès), 593 (castration) ; v. ludi m ola salsa, im m olare 324-5, 550,
Megalenses. 577 ·
Maia Volcani 399. monnaies 192 η. i (Janus, Saturne),
maiesta 37 n. 2, 137, 504. 198 η. 2 (Jupiter e t Mars), 210
maior-minor 121 et n. 1. n. 3 (Nerio e t Mars), 219 n. 1
Mamers 222. (les divinités de la série librale),
Mamurius Veturius 224-5 (anci 328 n. ï (Volcanus), 330 n. 1
lia), 340 ; 345 (Vortumnus), 582 (Vesta absente de la série li
carmen Saliare). brale), 337 (Janus sur l ’as), 368
Mamilia (tour) 226, 237 e t n. 1 n. 2 (Genius populi Rom ani),
(Mamilii). 400 n. ï et 2 (Libertas, Victoria,
Manes 108 (formule de la deuotio), Salus, Pietas), 390 n. 1 (Honos
370 -1 , 373-4 (et Genius), 445 et Virtus), 394 n. 3 (Concordia),
(et D is). 504 n. i (Roma).
maniae 349. Moles M artis 217-8, 252, 399.
M arciana (camina) 478, 510, 594. mouton 169 (à Robigus), 386-7 (et
mariage 603-4. les deux Palès), 546 (dans la
Marius 528-30 et 530 n. 2. liste des victim es usuelles) ; v.
Marmar 222, 240 (carmen Aruale). agneau, bélier. Idus.
Mars 40-5, 185 et 186 n. 1 (has mulets 289.
tae), 108 (formule de la deuotio), mundus 356-8.
165-7 0 e p lus vieu x M.), 185 muries 325, 577.
et 217 (sacrarium de la Rogia), m utitationes 486 e t n. 1.
215 -56 , 216 (hors les murs), Mutunus Tutunus 604 n. 1.
215-224 (et la guerre, l ’aristo mythologie romaine 63-75, 1x3-114 ;
cratie militaire), 218 (et uer et histoire 76-93.
sacrum), 220 (caecus), 222-3
(nom ; et Marut), 223-49 et 247 N aevius 455-6.
n. i (M. agraire), 236 n. 3 (Bu- Neptune 393-4, 394 e t n. 1 ; N.
betis), 251-2 (solitaire), 251 (et Equestris (Consus) 278.
Arès), 251 (et Vénus), 252-6 Nerio 217-8, 252, 399 ; 282 e t 313
(M. italique ; 254 Marès), 288 (et Minerve ?).
(et le cheval), 269-70 (après Nigidius Figulus 543-4 e t 544 n. 1,
Trasimène), 275-6 (M. et Vénus 622.
au lectisterne de 217), 540 Nona, Neuna (fata) 497 n. 2.
(Ultor), 601 (dans le culte privé); Nonae 292 (Junon Couella), 554 ;
v. Campus Martius, E quus N. Caprotinae 72, 176 n. x,
October, loup, lustratio agri, 301-2.
Mamers, Mamurius Veturius, nouendiale sacrificium 458 e t n. 1,
Marmar, Mauors, pic, Quirinus, 460 et 592 (après pluie de pierres),
Siluanus, suouetaurilia. 606 (après la mort).
M artha 529-30. Nouensides 109-110, v . Indigetes.
M atronalia 302 ; 606-7 (et esclaves). Nudipedalia 189.
M atuta (Mater), M atralia 66-71, N um a 57 et 136 (et Jupiter), 156
267, 343 -4 · (fondation des sacerdoces), 164
Mauors 222. (et les flamines m ajeurs), 178-9
Meditrinalia 166 n. 3, 194. (loi sur les spolia opima), 90 et
Mefitis 240 n. 3. 208-9 (et Romulus), 209 (et
Mens 469, 472-3. Fides), 212-3 (et Term inus), 224
1
Mercurius 439-40 ; 490 (de 'Am - (et ancilia), 376-7 (et les For
phitruo). dicidia), 412 (et Egérie), 516-20
milites 269-274 (articulé à Q ui (et Pythagore ; livres de Num a),
rites). 551 (calendrier), 586-7 (inau-
088 IN D E X
vin 196 (valeur du vin), 207 (vœu lins »), 447-8 (influence sur la
de Papirius Cursor) ; v. Vinalia. religion romaine), 449 et n. 4
Vinalia (rustica, priora) 194-6 (et (Argei), 472 (Mars, Vénus, V ol
Jupiter), 196 (m ythe des V . p.), canus hors les murs), 496-7
471 (Vénus a u x V.). (théorie du destin), 512 (et
Virites Quirini 172, 399. dionysisme), 558 (triomphe), 558
Virtus v. Honos. et n. 4 (lectisterne), 563 (ludi
Taur(e)i), 565-6 (<persu), 591
vocabulaire du sacré, conservé 95-7 ;
(Livres), 595-9 (haruspices).
v. m ilitaire, renouvelé 221.
Volcanus i8 r (dieux de T. Tatius),
219 (destruction des armes de Faléries 30 (échanges com m erciaux
l ’ennemi), 3 26 -8 , 596 ; Volca- précoces), 42 e t 253 (les sortes,
nal, area Volcani, V olcanalia Mars), 249 n. 1 et 442 n. 2
(Juno Curitis), 310 e t 427-8
3 2 7 . 596.
(Minerve), 382 (Cérès, Loufir)
Volturnus, V olturn alia 393.
439 (Mercure).
Volupia 341, 343. Feronia v. index romain.
Vortum nus 181 (dieux de T . T a Fluusa- (osq.) 280 n. 2 ; ? Floso-
tius), 345 -6 , 616 n. 2. (osq.) 60 n. ï , 280 n. 2.
uotum 96 (étymologie de uoueo),
245-6 (pro bubus), 401-2 (Mar Grabouio- (ombr.) 154, 161-2.
cellus, uoti reus), 473-4 (seconde
guerre punique), 5 4 7 -8 , 547 (uota Hercule 433.
quinquennalia). H erentas (osq.) 423.
Herulus (prén.) 254, 418.
H irpi Sorani 418.
2. I t a l ie .
Albe 30, 412 (destruction) ; 105-7 Iguvium 109, 154, 161-2, 300,
(dans une formule du fétial), 315 η. i , 399, 426 ; v. Çerfo-,
361 (Pénates). Grabouio-, Prestota, Tursa.
Antium 424 et 429 (les deux F or
tunae), 430 (sort en 338). Junon 303-7.
Ardée 293 n. 1 (temple à trois Jupiter 213-4 (Indiges, Latiaris,
cellae), 453 (Vénus), 462 (pro Arcanus, Anxurus, Liber).
dige).
Aricie 2 5 2 (Mars), 304 (un mois Lacinium (Junon Lacinia) 464-5.
de Junon), 409-11 (Diane). L anuvium 42 et 253 (lance de
Junon) ; 304 (un mois de Junon),
Caeré 30 (échanges com m erciaux 305, 430-1, 448 n. i et 463
précoces), 344 (Matuta), 459-61 (Junon), 431 (sacerdotes Laniui-
(prodiges), 558-9 (lectisterne). ni), 432 (Thorii).
Capène 4 1 7 - 2 2 e t 4 6 1 (lucus F e Lavinium 361 (Pénates), 382-3 (Li
roniae). ber), 392 e t 415 (Juturna), 415
Capoue 429 (dépouillée). Castor, Dioscures), 416 et 446
Çerfo-, Çerfio- (ombrien) 60 n. 1, relations particulières avec R o
222, 2 55 -6 . me), 452-3 et 497 n. 2 (Enée
K eri (osq.) 379· « Lare »).
Cures 2 3 - 4 , 8 2 , 1 7 2 n. 2. legio linteata sam nite 206, 221,
52 5 -
Depidii, D igidii (prén.) 263-4. Loufir (fal.) 383.
Diumpa- (osq.) 393.
Mars (etr. Mará-, Marès) 252-6 ;
É trurie 29 (période é. de Rome),
58 (Olenus), 60 (Palés masculin), 418 (Trebula Mutuesca).
M irikui (osq.) 439.
299 et 306 (Junon), 314-7 (et la
Triade Capitoline), 317 n. 1 et
453 e t n. 2 (égende d ’Enée), 402 Ostie 25, 30.
(Dioscures), 441 (Livres « S ib yl çersu (étr.) 565-6.
IN D E X 693
5. I r a n . 7. C e l t e s .
P r é f a c e ........................................................................................................ 7
L is t e d e s a b r é v ia t io n s ........................................................................ 13
REM ARQUES P R É L IM IN A IR E S
PREMIÈRE PARTIE
L E S G RAN D S D IE U X DE L A T R IA D E A R C H A ÏQ U E
SECONDE PARTIE
T H É O L O G IE A N C IE N N E
3. M inerve............................................................................................ 310
4. L a triade cap itoline.................................................................... 313
Chapitre II. — Les feu x du culte p u b lic ............................................ 318
Chapitre III. — C adres.......................................................................... 333
ï . Les com m encem ents.................................................................... 333
2. Les tem p s....................................................................................... 339
3. Les lie u x ......................................................................................... 346
Chapitre IV . — L 'hom m e....................................................................... 362
ï. L e v iv a n t....................................................................................... 362
2. Les m o rts....................................................................................... 369
Chapitre V . — Forces et élém ents........................·................................. 375
ï . Troisième fonction...................................................................... 375
2. Seconde et première fonctions................................................ 394
TROISIÈME PARTIE
E X T E N S IO N S ET M U T A T IO N S
QUATRIÈME PARTIE
LE CU LTE