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Le droit anglais à l’époque

du Code Sanglant
CRM1701 – Histoire du savoir criminologique
Alexandre Pelletier-Audet
Automne 2022
Semaine 3
Régime accusatoire vs inquisitoire (Lamoine)
• Pourquoi qualifie-t-on le système judiciaire français
d’inquisitoire?
• Rôle actif du magistrat dans tout le processus d’instruction du procès
(à la fois l’avocat et le juge)
• Présomption de culpabilité de l’accusé dont on cherche à extraire les
aveux
• Secret des procédures: l’accusé ignore la nature des accusations
portées contre lui
• Pour une illustration filmée de cette forme de procédure
• À l’opposé, la procédure du système judiciaire anglais est
qualifiée d’accusatoire:
• Présomption d’innocence de l’accusé, dont on a la charge de
démontrer la culpabilité.
• Transparence des procédures: l’accusé doit être informé des
accusations et des preuves contre lui.
• Présence d’un jury composé de pairs, qui est appelé à rendre verdict.
• Rôle du juge beaucoup plus passif, doit veiller au respect de la
procédure et à l’interprétation du droit
Les origines de la Common Law
• De 43 à 410, la province de Britannia était sous la
domination de l’Empire romain.
• L’arrivée des anglo-saxons (5e-8e s.) introduit de nouvelles
institutions: les hundred courts étaient chargées du
maintien de la paix; les crimes les plus sévères étaient sous
l’autorité du shire et de son principal officier, le sheriff.
• Les invasions et occupations Viking (8e-11e s.) ont laissé
leur marque sur le droit coutumier du nord de l’Angleterre
(Yorkshire, Northumberland).
• La conquête du pays par Guillaume, duc de Normandie
(1066) représente un point tournant de l’histoire anglaise:
• Tous les monarques anglais depuis ce jour sont ses descendants;
• L’ancienne noblesse anglo-saxonne est dépossédée au profit des
vainqueurs;
• Fin des invasions viking, réorientation de la politique du pays
vers le Sud, début de la rivalité avec la couronne de France.
Les origines de la Common
Law
• Le roi Henry II Plantagenet (1154-1189) est souvent considéré comme le fondateur de
la Common Law anglaise:
• Il réorganisa l’appareil judiciaire (curia regis) du royaume en un réseau de cours
de justice permanentes et professionnelles, qui voyagaient à travers le
royaume (circuit).
• Ces cours devaient statuer en fonction de précédents établis par des jugements
antérieurs, plutôt que de s’appuyer sur l’interprétation d’un texte de loi
(principe de stare decisis)
• Les premiers traités de jurisprudence firent leur apparition
• Une révolte des barons contre son fils, le roi Jean, mena à l’établissement de la
Magna Carta (Grande Charte, 1215):
• Apporte aux nobles des garanties juridiques contre l’arrestation ou la saisie
arbitraires;
• Le premier Parlement est convié en 1215 pour ratifier la charte. Uniquement
composé de nobles.
Les origines de la Common Law
• Le Parlement s’établira comme un contre-pouvoir de la monarchie au cours du Moyen-Âge:
• Le Parlement devait donner son accord à toute levée d’impôts demandée par le roi.
• À partir de 1341, le Parlement est divisé en une chambre haute, la House of Lords, et une chambre
basse, la House of Commons (droit de vote accordé en fonction des possessions foncières).
• La Réforme protestante menée par Henry VIII (années 1520) fait du roi le chef de l’Église
anglicane, ce qui confère au roi les pouvoirs séculiers ET spirituels.
• La Guerre civile anglaise (1642-1651) marque l’apogée d’une lutte de pouvoir entre la
monarchie et le Parlement qui dure sur presque tout le 17 e siècle:
• Entre 1629 et 1642, le roi Charles Ier gouverna sans convoquer de Parlement;
• Lorsque Charles Ier tenta de dissoudre le Parlement qu’il venait juste de convoquer, les Parlementaristes
ont pris les armes et entamé une guerre civile qui aboutira en 1649 avec l’exécution du roi.
• De 1649 à 1661 l’Angleterre fut sans roi, mais une brève tentative de régime républicain sous le
Protectorat d’Oliver Cromwell (1653-1659)
Théories du contrat social
• L’Angleterre du 17e siècle a produit deux grands théoriciens du contrat
social, qui avaient des visions diamétralement opposées de la nature
humaine et de la fonction de l’État:
• Selon Thomas HOBBES (Leviathan, 1651), l’humain dans l’état de nature est
soumis à ses passions et se trouve dans une lutte continuelle pour sa survie;
la création d’un État doté des pouvoirs absolus a été nécessaire afin d’établir
l’ordre et la justice.
• D’après John LOCKE (Traité du gouvernement civil, 1690), l’humain dans l’état
de nature est fondamentalement bon et profite de droits naturels (protection
de sa vie, de ses biens, de sa liberté); l’individu a transféré ces droits naturels
l’État a été créé dans le but d’arbitrer les différends entre les individus et
d’assurer les droits de chacun.
Le Bill of Rights de 1689
• La Révolution glorieuse de 1688 marque le point de départ de
la monarchie constitutionnelle britannique, opérant la Pouvoir exécutif
(Roi, PM,
séparation des pouvoirs préconisée par Locke Gouvernement)

• Le Bill of Rights voté par le Parlement en 1689 a été imposé


aux nouveaux monarques, Marie II et Guillaume III, comme
condition à leur accession au trône:
• La taxation n’est légale qu’avec l’accord du Parlement
• La possession d’armes est permise pour les sujets Protestants Pouvoir législatif
Pouvoir judiciaire
• Interdiction des peines cruelles et inusitées. (Tribunaux)
(House of Commons,
House of Lords)
• Accorde aux sujets le droit de pétitionner le Roi
• Réaffirme le principe d’Habeas Corpus (1679)
• La liberté de culte était permise, mais les Catholiques et autres
minorités religieuses devaient se soumettre au Serment du Test
(Test Act) afin d’exercer une fonction gouvernementale.
L’établissement d’un gouvernement responsable
• Au commencement du 18e siècle, la scène politique commence à
ressembler à celle que l’on connaît de nos jours:
• Act of Union (1714) réunit formellement les royaumes d’Angleterre (+ Pays de
Galles) et d’Écosse, ce qui donne naissance au Royaume-Uni de Grande-
Bretagne;
• Le roi joue un rôle de plus en plus cérémonial et désintéressé de
l’administration publique;
• Deux partis s’affrontent, les Whigs et Tories, qui sont les ancêtres directs des
Libéraux et Conservateurs;
• Bien que le titre n’existait pas encore à l’époque, Robert Walpole fut le
premier à occuper la fonction de premier ministre (1721-1742)
Typologie des délits criminalisés (Lamoine)
1) Délits contre Dieu et l’Église (anglicane!)
2) Les délits contre le Roi ou le gouvernement (haute trahison, faux
monnayage, sédition, pression illégale sur Roi ou Parlement)
3) Délits contre les sujets
1) Les crimes de sang (meurtre, petite trahison, viol, enlèvement,
sodomy/buggery, incendie volontaire, falsification de documents)
2) Les vols (de jour ou de nuit, avec ou sans effraction, purse-cutting, highway
robbery)
3) Délits mineurs (voies de fait, langage inapproprié, ivresse publique,
falsification de balances, parjure ou intimidation de témoins, etc.)
La procédure pénale au 18e siècle (Lamoine)
1) La plainte, d’un individu ou d’un groupe victime de méfait (ou la
dénonciation d’un malfaiteur)
• Les plaignants et témoins se présentent devant un Justice of the Peace (J.P.),
qui prend leurs dépositions sous serment et qui sont transcrites par le greffier.
• Les circonstances qui motivent la plainte sont enregistrées: lieu et heure,
nature du méfait, évaluation des effets sur la victime (dol), description du
suspect arrêté.
• Dans le cas d’une accusation formelle, l’accusateur doit s’engager à être
présent à l’audience, ce qui comprenait un gage financier (cela menait
souvent à l’abandon des procédures)
La procédure pénale au 18e siècle (Lamoine)
2) L’instruction
• Deux institutions étaient chargées des procédures menant à
l’inculpation:
• Cour du Coroner est chargée d’enquêter sur toutes les morts violentes ou
non-naturelles, elles sont établies par la loi depuis 1194. Le coroner mène
enquête en présence du cadavre en vue d’établir la cause du décès, et dans le
cas d’un homicide, inculper la personne considérée responsable.
• Grand Jury (aboli, sauf aux USA): Assemblée (12 à 23 personnes) ayant le
pouvoir de subpoena, chargée d’entendre les preuves contre un suspect et de
l’inculper si les preuves réunies sont jugées insuffisantes (remplacé
aujourd’hui au Canada par l’enquête préliminaire, devant juge)
La procédure pénale au 18e siècle (Lamoine)
3) Arrestation
• Un mandat d’arrestation (warrant) était émis contre le prévenu (l’accusé), qui pouvait être
arrêté:
• Par un représentant de la loi: sheriff de comté, bailiff, high-constable, constable (connétable), watchmen
• N’importe quel citoyen ordinaire dans les circonstances suivantes:
• Lorsqu’une personne était témoin direct du délit commis (toute personne avait également l’obligation de
prêter main forte aux forces de la loi, si nécessaire)
• Lorsqu’un shérif ou constable du hundred lançait un appel public, le haro (hue and cry)
• L’accusé comparaissait devant le J.P., qui procédait à l’interrogatoire de l’accusé, du
plaignant, des témoins, l’examen des pièces à convictions, et déterminait s’il y avait lieu de
porter des accusations formelles.
• Si tel était le cas, l’accusé prenait le chemin de la prison, mais le J.P. avait la discrétion d’ordonner une
libération sous caution (bail) pour les cas mineurs ou les crimes contre la propriété (pas pour les crimes
de sang, ou les offenses contre le Roi ou l’Église)
L’amateurisme des acteurs du système pénal
• Toutes ces fonctions gouvernementales (Sheriff, Constable, Justice of the
Peace, Coroner, etc.) étaient attribuées par patronage politique
• Les critères qui servaient à la nomination d’un Justice of the Peace
(Lamoine, p. 65):
• Capacité de dévouement à la vie publique
• Niveau de fortune
• Situation sociale et réseau d’influences et d’alliances
• Appartenance politique
• Similairement, ce n’est qu’à partir du milieu du 18e siècle que la charge de
coroner commença à être attribuée (occasionnellement) à des médecins
La procédure pénale au 18e siècle (Lamoine)
• Il y avait deux niveaux de courts of record, dont les compétences
étaient fixées en fonction de la gravité des crimes et des
sentences

• Les Courts of Quarter-Sessions of the Peace, cours locales où


siégeaint les J.P. et qui étaient chargées des crimes qui
n’étaient pas passibles de la peine de mort: la sentence la
plus sévère qu’elle pouvait prononcer était le bannissement.

• Les Courts of Oyer and Terminer (les Assises), qui étaient


assumées par des juges professionnels, qui suivait un
itinéraire annuel de province en province pour entendre les
cas passibles de la peine de mort.
Prison de Newgate
• Principale prison (gaol) de
Londres, de 1188 à 1902.
• Située juste à côté d’Old Bailey,
cette prison hébergeait des
criminels en attente de leur
procès, ou de leur sentence.
• Après l’abolition des exécutions
publiques, elle sera le principal
lieu d’exécution à Londres, de
1869 à sa fermeture.
La procédure pénale au 18e siècle (Lamoine)
4) La comparution
• Lecture de l’acte d’accusation (Bill of Arraignment) par le Greffier
• L’accusé devait enregistrer un plaidoyer (plea: coupable ou non-coupable) et
décider s’il voulait un procès avec ou sans jury
• Lamoine, p. 70: « Des formules rituelles sont présentes dans tout Bill [of
Arraingmnent] : le prévenu est accusé d’avoir agi à l’instigation du diable, sans
craindre la colère divine, en commettant volontairement, méchamment, de
manière préméditée et criminelle, le dit forfait »
• Le Counsel for the King agissait pour la partie publique. Dans sa plaidoierie
initiale, il rappelle les faits reprochés à l’accusé, résume les circonstances, etc.
La procédure pénale au 18e siècle (Lamoine)
4) La comparution
• L’accusé n’était pas toujours autorisé à bénéficier des services d’un avocat,
dépendamment de la nature du crime, de la discrétion du juge, et/ou des
ressources à la disposition de l’accusé (pas de droit d’office à un avocat avant le
19e siècle). Sinon, « the judge shall be counsel for the prisoner » (Lamoine, p. 72)
• L’accusé n’avait pas le droit de témoigner en sa faveur, ou de prendre parole pendant les
procédures.
• Les témoins sont interrogés et contre-interrogés à tour de rôle, à l’issue de la
preuve les avocats font leur plaidoyer final
• S’il avait droit de siéger, l’avocat de la défense devait tout de même demander au juge la
permission d’interroger les témoins à la place de l’accusé.
• Le juge fait alors une charge au jury, où il livre une interprétation des textes de loi
et des témoignages du procès.
La procédure pénale au 18e siècle (Lamoine)
5) Le verdict
• À l’issue de leur délibération, les jurés ramenaient leur verdict. Si l’accusé
était coupable, il était retourné en cellule pour comparaître à la fin de la
session pour recevoir son verdict.
• Avant le prononcé de la sentence, on demandait à l’accusé s’il avait quelque
chose à déclarer avant que sentence soit rendue.
• Dans les cas de peine capitale, le juge enfilait son chapeau tricorne et une
paire de gants noirs, et annonçait que « l’accusé sera pendu par le cou jusqu’à
ce que mort s’ensuive. Que Dieu ait pitié de son âme ».
Le Code sanglant
• C’est le surnom que l’on donne de nos
jours aux statuts pénaux de
l’Angleterre du 18e siècle;
• En réalité le droit criminel britannique
n’a jamais été codifié, la définition et
sanction des actes criminels était
établie par la Common Law;
• Environ 225 crimes étaient passibles
de la peine de mort en Angleterre
(1815).
Crimes passibles de la mort à l’époque du Code sanglant

• Trahison • Sacrilège
• Meurtre • Sodomie (Buggery)
• Tentative de meurtre • Participation à une émeute
• Banditisme (Highway Robbery) • Faux monnayage
• Viol • Être rentré au pays après bannissement
• Incendie • Coupe de bois illégale
• Fraude / Production de faux documents • Braconnage
• Vol d’une valeur de plus de 12p • Destruction de panneaux de circulation
• Vol de bétail/chevaux • Vol de courrier
• Vol à l’étalage • Se promener déguisé en forêt
• Entrée par effraction • Avoir été en compagnie de gitans
pendant plus d’un mois
La Prérogative Royale de clémence
• En l’absence de tribunaux d’appel en matière criminelle, la clémence
du Roi était la seule manière d’échapper au châtiment de la Loi (peine
de mort ou autre).
• Les condamnés avaient le droit de pétitionner pour la clémence, leur cause
était entendue par le Roi
• Le pouvoir de gracier les condamnés à mort fait partie des pouvoirs
« régaliens » conférés à l’exécutif; ce pouvoir a été préservé même
dans les pays où la monarchie a été abolie.
Le gibet de Tyburn

•Situé près de Newgate, sur la route menant


vers le Nord, Tyburn fut le principal lieu
d’éxécution dans la région de Londres, du 15e
siècle jusqu’à 1783.
•Le célèbre “Triple Tree” fut érigé en 1571, il
permettait d’executer 24 prisonniers
simultanément.
•Certaines exécutions à Tyburn ont attiré plus
de 100,000 curieux.
Le gibet
d’Halifax
• La coutume médiévale de cette
ville du Yorkshire autorisait le
Lord of the Manor à décapiter
sommairement tout criminel
capturé avec des biens volés
d’une valeur de plus de 13 sous;
• Construit au 16e siècle, cet
ancêtre de la guillotine a été
employé pendant environ un
siècle
La Tour de Londres
• Érigée par Guillaume le Conquérant en
1078, cette place forte servira de
résidence aux premiers rois normands
d’Angleterre.
• La « White Tower » deviendra ensuite une
prison célèbre pour les ennemis du roi…
et également pour sa ménagerie.
• « Tower Hill », situé en face de la Tour, fut
le principal lieu d’exécution pour les
membres de la noblesse, du 14e au 18e
siècle.
• « Tower Green », dans l’enceinte de la
Tour, fut employée pour quelques
exécutions de membres de la famille
royale.
La peine suprême du
droit anglais

« Hanging, drawing and quartering »

• Réservé pour la haute trahison

• Sentence exécutée une seule fois au


Canada (Québec, 1797)
Les peines
corporelles
• Le Cat’O’Nine Tails (Le Chat à neuf queues) a été la
principale forme de châtiment corporel imposé
dans l’Empire britannique (interdit au Canada par
le Bill Omnibus de 1969)
• Usage frequent comme méthode disciplinaire dans
la marine, ainsi qu’en milieu carcéral
La déportation judiciaire
La Corriveau
• Jugée à Québec pour le meurtre de son mari par un tribunal militaire
en avril 1763, alors que la Nouvelle-France est sous occupation
anglaise, Marie-Josephte Corriveau sera l’une des premières
canadiennes à goûter à la justice anglaise:
• https://www.lafabriqueculturelle.tv/capsules/6120/la-cage-de-la-corriveau-re
tour-a-la-lumiere

• Si vous aviez vécu au 18e siècle, auriez-vous préféré un procès des


autorités anglaises ou françaises?
• Pour un crime passible de la peine de mort?
• Pour un crime mineur?
La semaine prochaine
• Les rationalités pénales et les attitudes face à la justice sous l’Ancien
Régime

• À lire:
• Alvaro PIRES (1998). « La doctrine de la sévérité maximale au siècle des
Lumières », p. 5 à 35 du document PDF.

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