Exploration électrophysiologique
Stimulation ventriculaire programmée
G Lascault R é s u m é. – Dans le cadre de la prise en charge des troubles du rythme ventriculaires
graves, la stimulation ventriculaire programmée est une technique de diagnostic et
d’évaluation thérapeutique irremplaçable. Les tachycardies ventriculaires monomorphes
soutenues, secondaires à un infarctus du myocarde ancien, sont le domaine de prédilection
de la stimulation ventriculaire. Dans les autres cardiopathies et pour les autres types de
troubles du rythme ventriculaires, tachycardies ventriculaires polymorphes ou fibrillation
ventriculaire, la valeur clinique de la stimulation ventriculaire programmée n’est pas aussi
bien établie. Nous examinerons, dans un premier temps, les modalités techniques de cet
examen et, dans un deuxième temps, les situations cliniques variées dans lesquelles il a un
réel intérêt. Nous verrons également quelles sont les limites et les imperfections de ce test
qui doit être vu comme un examen complétant le bilan non invasif et ne se substituant, en
aucun cas, à l’évaluation clinique initiale et au bilan non invasif.
© 1999, Elsevier, Paris.
Fréquence de stimulation
Toute référence à cet article doit porter la mention : Lascault G. Exploration La plupart des auteurs utilisent deux ou trois fréquences de stimulation (100
électrophysiologique. Stimulation ventriculaire programmée. Encycl Méd Chir (Elsevier,
Paris), Cardiologie, 11-003-L-20, 1999, 4 p.
et 150/min, ou 100, 130 et 150/min) en plus de la délivrance d’extrastimuli en
rythme sinusal.
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STIMULATION VENTRICULAIRE PROGRAMMÉE
Sites de stimulation incertaine dans 30 à 50 % des cas. Une exploration électrophysiologique
endocavitaire est alors indiquée à la recherche d’une dysfonction sinusale,
Les sites de stimulation habituels sont l’apex du ventricule droit puis d’un trouble de conduction auriculoventriculaire ou d’un trouble du rythme.
l’infundibulum. Lorsqu’il n’a pas été possible d’induire une tachycardie On sait, en effet, qu’une tachycardie supraventriculaire et une tachycardie
ventriculaire dans le ventricule droit, une stimulation du ventricule gauche ventriculaire rapides, responsables d’une hypotension artérielle importante
est parfois effectuée. peuvent être responsables de syncope. Une SVP doit donc obligatoirement
faire partie du protocole de l’exploration endocavitaire. Une tachycardie
Tests pharmacologiques ventriculaire monomorphe, soutenue, est rarement induite chez des patients
En l’absence de déclenchement de tachycardie ventriculaire à l’état basal, on n’ayant pas de tachycardie ventriculaire spontanées, mais peut être induite
peut être amené à refaire la stimulation pendant une perfusion d’isoprotérénol. chez environ 20 % des patients ayant une syncope inexpliquée [1, 21] .
Le débit de perfusion est réglé de façon à amener la fréquence sinusale à 130- L’induction d’une tachycardie ventriculaire monomorphe, soutenue, rapide
140/min (ce qui peut suffire à induire une tachycardie ventriculaire en cas de et hémodynamiquement mal tolérée a donc une valeur diagnostique
tachycardies ventriculaires adrénergiques ou tachycardies dépendantes). Le importante. Au contraire, l’induction d’une tachycardie ventriculaire
même protocole de stimulation qu’à l’état basal est alors repris. polymorphe ou d’une fibrillation ventriculaire a une signification clinique
incertaine, surtout si l’induction a été obtenue par un protocole agressif [5, 7, 24].
L’ECG à haute amplification-moyennage peut être utilisé pour sélectionner
Indications les patients candidats à une SVP. C’est chez les patients ayant une
cardiopathie sous-jacente, telle qu’une cardiopathie ischémique, et des
Les indications de SVP sont assez variées et nous envisagerons les plus potentiels tardifs, que la probabilité d’une tachycardie ventriculaire à l’origine
fréquentes (fig 1, 2). de la syncope est grande et que, par conséquent, la probabilité de déclencher
une tachycardie ventriculaire monomorphe est importante.
Diagnostic d’une syncope
Diagnostic d’une tachycardie à QRS larges, avec origine
Malgré un interrogatoire et un examen clinique cardiologique et neurologique ventriculaire ou supraventriculaire incertaine
soigneux, ainsi qu’un bilan non invasif complet comportant notamment
Holter, électrocardiogramme (ECG) à haute amplification, Le diagnostic d’une tachycardie à QRS larges sur un ECG 12 dérivations est
électroencéphalogramme (EEG), tilt-test, la cause des syncopes reste parfois difficile. Certains critères ECG, tels les critères de Brugada, peuvent
aider [6], mais ils sont parfois pris en défaut. On ne parvient donc pas toujours
à affirmer l’origine supraventriculaire ou ventriculaire de la tachycardie. Le
déclenchement par SVP de la même tachycardie que la tachycardie spontanée
permet alors d’affirmer son origine ventriculaire. Dans quelques cas,
l’enregistrement simultané d’un électrogramme auriculaire ou hisien pourra
permettre de trancher définitivement.
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STIMULATION VENTRICULAIRE PROGRAMMÉE
ventriculaire gauche est altérée et qui présentent au Holter des tachycardies (CMNO). La sélection des candidats à l’exploration électrophysiologique sur
ventriculaires non soutenues (dont on sait qu’elles sont un marqueur de haut la présence de tachycardie ventriculaire non soutenue au Holter n’améliore
risque de mort subite) et qui sont inductibles par stimulation [22]. Pour pas les scores de sensibilité et de valeur prédictive positive. Par conséquent,
l’instant, en France, ces patients ne bénéficient généralement pas de la présence de tachycardie ventriculaire non soutenue au Holter n’est pas une
l’implantation prophylactique d’un défibrillateur. indication de SVP.
Chez les patients ayant eu une tachycardie ventriculaire spontanée, une
Arrêt cardiaque/mort subite tachycardie ventriculaire monomorphe, soutenue, peut être induite chez 80 %
d’entre eux. En revanche, la SVP semble avoir relativement peu d’intérêt pour
Les patients ayant survécu à un arrêt cardiaque sont à très haut risque de guider la thérapeutique ultérieure : l’inductibilité sous traitement est certes
récidive d’arrêt cardiaque (20-30 % et 40-50 % de récidives à 1 et 2 ans). synonyme de risque élevé de récidives mais la non-inductibilité ne semble
Dans plus de deux tiers des cas, la cause de l’arrêt cardiaque est une pas conférer de protection satisfaisante. Il faut toutefois garder à l’esprit que
fibrillation ventriculaire ou une tachycardie ventriculaire très rapide ayant ou ces notions sont tirées d’études à faibles effectifs et qu’elles restent donc
non dégénéré secondairement en fibrillation ventriculaire. En l’absence de fragiles.
traitement antiarythmique, les chances d’induire une tachycardie
ventriculaire chez ces patients sont de l’ordre de 70-80 %. L’attitude classique Cardiomyopathies hypertrophiques
consistait à identifier une drogue capable de prévenir l’induction par
stimulation de tachycardie ventriculaire. Les études les plus anciennes ont Contrairement à ce que l’on observe dans les cardiomyopathies dilatées, on
montré que, chez les patients répondeurs au traitement (c’est-à-dire ceux chez réussit à déclencher des tachycardies ventriculaires ou fibrillations
lesquels le traitement empêche l’induction de tachycardie ventriculaire), le ventriculaires chez un fort pourcentage de patients atteints de
risque de récidive d’arrêt cardiaque est nettement plus faible que chez les non- cardiomyopathie hypertrophique [10]. Toutefois, dans beaucoup de cas, les
répondeurs [12, 20]. Des études un peu plus récentes ne donnent pas les mêmes troubles du rythme induits ne sont pas des tachycardies ventriculaires
conclusions [9, 11, 23] et montrent un taux de récidive de mort subite élevé, y monomorphes mais des tachycardies ventriculaires polymorphes ou des
compris chez les non-inductibles. Un élément prédictif important est la fibrillations ventriculaires dont la signification reste controversée [10].
fonction ventriculaire gauche [9, 11, 23]. Poole a montré que chez les patients non Lorsqu’une tachycardie ventriculaire monomorphe soutenue spontanée a été
inductibles sous traitement, à fraction d’éjection supérieure à 30 %, le documentée et est redéclenchable par stimulation, la SVP peut permettre de
pronostic est bon, mais qu’il est mauvais chez les patients non inductibles à guider le traitement et d’en vérifier l’efficacité.
fraction d’éjection inférieure à 30 % et très voisin de celui des patients restant En cas d’arrêt cardiaque, tous les auteurs s’accordent pour ne pas faire de SVP
inductibles sous traitement [23]. et proposent d’emblée l’implantation d’un défibrillateur.
Par conséquent, alors qu’il y a quelques années (avant l’ère du défibrillateur),
une SVP se devait d’être réalisée avant et après la mise sous traitement, afin Dysplasie ventriculaire droite arythmogène
d’en vérifier l’efficacité et de guider le traitement, cette attitude semble de plus
en plus contestable actuellement. L’indication d’un défibrillateur, chez les Chez les patients atteints de dysplasie ventriculaire droite arythmogène
patients ayant survécu à un arrêt cardiaque, étant devenue quasi (DVDA) ayant présenté une tachycardie ventriculaire spontanée, les chances
systématique [25], il apparaît inutile de réaliser une SVP pour des patients chez d’induire une tachycardie ventriculaire monomorphe soutenue sont très
lesquels un défibrillateur sera de toutes façons implanté. élevées. La SVP est un outil irremplaçable, sensible et spécifique de
diagnostic et de contrôle de l’efficacité des traitements. La non-inductibilité
sous traitement est considérée comme garante d’un bon pronostic à moyen et
Valeur de la stimulation dans les cardiopathies long terme.
autres que les cardiopathies ischémiques
Il est couramment admis que la valeur de la SVP dans l’évaluation des Syndrome de Brugada
cardiomyopathies dilatées et hypertrophiques est moindre que dans les
cardiopathies ischémiques. Le syndrome bloc de branche droit, sus-décalage du segment ST en V1-V2 et
mort subite, dit syndrome de Brugada, est caractérisé par un haut risque de
Cardiomyopathies dilatées tachycardies ventriculaires polymorphes ou de fibrillations ventriculaires,
aussi bien chez les sujets asymptomatiques que chez ceux qui ont déjà
Chez les patients n’ayant pas présenté de tachycardie ventriculaire spontanée, présenté une complication rythmique. L’exploration électrophysiologique
la valeur prédictive de la SVP est médiocre [3, 26]. Beaucoup d’événements tient une place fondamentale dans l’évaluation pronostique et le choix des
rythmiques ultérieurs graves surviennent chez des patients non inductibles. indications thérapeutiques. L’induction par un, deux ou trois extrastimuli
La SVP a une sensibilité faible de l’ordre de 30 %, une spécificité très bonne d’une tachycardie ventriculaire polymorphe ou d’une fibrillation ventriculaire
de l’ordre de 90 %, une valeur prédictive positive d’environ 30 % et une chez un sujet atteint de syndrome de Brugada symptomatique ou
valeur prédictive négative d’environ 90 %, chez les patients sans antécédents asymptomatique est considérée comme un marqueur de haut risque et conduit
de tachycardie ventriculaire et atteints de cardiomyopathie non obstructive en principe à l’implantation d’un défibrillateur automatique [4].
Références ➤
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STIMULATION VENTRICULAIRE PROGRAMMÉE
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