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CRISTIANE NOVA
L’HISTOIRE EN TRANSE
Le Temps et l’Histoire
dans l’Œuvre de Glauber Rocha
Jury :
M. René Gardies
M. Michel Marie
M. Angel Luis Hueso
À mes deux compagnons de routes, Lynn et Jorge. 2
texte et contexte.
poésies, des pièces de théâtre, des romans, des contes, ainsi que
principe » qui les place en dialogue constant les uns avec les
la réalité et le mythe.
Nouveau Brésilien.
plurielles, qui vont des faits pris dans le jour à jour jusqu’a une
narrative moderne.
MOTS CLES :
Glauber Rocha – Cinéma et Histoire – Temps Historique.
ABSTRACT
Time was the category used as the basis of a study to analyze the
The term is related to temporal and spatial elements within the text, 8
L’HISTOIRE EN TRANSE
the filmmaker. Therefore, this study could not refrain from using
way, bearing in mind the volume and quality of the material. It was
Since his work is very vast, diversified and complex, especially his
writings, the option was to choose one of his films to make an in-
depth analysis.
It was necessary to find, within the universe of his films, a work that
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The analysis of the idea of the story embedded in Terra em Transe
L’HISTOIRE EN TRANSE
the articulation of the narrative with the Brazilian history within the
context of the 60s and its relationship with concepts such as
Some texts written within the same historical context were also the
versions of the script that gave origin to the Terra em Transe film,
Cinema Novo.
conceive both the past and the future. The rhythms of the story are
locus of the narrator is not the one that controls truth, but someone
structure of narrative.
Thus, the belief is that this analysis can bring new elements to the
KEY WORDS :
Glauber Rocha – Cinema and History – Time History.
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L’HISTOIRE EN TRANSE
3ÈME CYCLE D’ÉTUDES CINEMATOGRAPHIQUES ET AUDIOVISUELLES
DOCTORAT
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L’HISTOIRE EN TRANSE
La vie est dialogique par nature.
Vivre signifie participer d’un dialogue :
interroger, écouter, répondre, accorder, etc.
Dans ce dialogue, l’être humain participe
tout entier et avec toute sa vie : avec les yeux,
les lèvres, les mains, l’âme, l’esprit, avec
le corps tout entier, avec ses actions. Il se
pose tout entier dans la parole, et celle-ci entre 14
Sources ........................................................................................................364
Annexes .......................................................................................................398
16
L’HISTOIRE EN TRANSE
Présentation et Méthodologie
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L’HISTOIRE EN TRANSE
Transe !
C´est peut-être cela le concept qui définit le mieux le processus qui m´a
conduite jusqu´ici, jusqu´à l´élaboration de ce texte.
Arriver jusqu´à elle fut difficile, douloureux. Ils furent nombreux les chemins
parcourus. Au début, l´envie de tout cerner, de pénétrer tous les éléments de
la vie et de l´œuvre de Glauber Rocha en les articulant avec l´histoire et sa
théorie. Ensuite, les difficultés, les limites, les indéfinitions, les options, les
deuils. Et, finalement, la coupure finale: l’analyse de la conception de l´histoire
présente dans le film Terra em Transe (Terre en Transe) à partir de l´étude de
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ces éléments temporels et spatiaux, de l´articulation du récit avec l´histoire du
L’HISTOIRE EN TRANSE
Brésil dans le contexte des années 60, et des rapports de concepts comme
l´esthétique, la politique et l´éthique, la fiction, la réalité et le mythe.
1
Dicionário Aurélio Eletrônico – Século XXI. [Version du 3 novembre 1999]. [Cd-rom].
Dans cette étude, on a eu pour but non seulement d´élargir la sphère de
compréhension de l´œuvre de Glauber Rocha, spécialement du film en
question, mais surtout de réfléchir sur les spécificités, les portées et les limites
des discours historiques cinématographiques qui se reportent, directe ou
indirectement, au passé ou à une certaine idée d´histoire. Il est utile de
souligner que la coupure de cette étude est d´abord celle d´une historienne
dont le but majeur est de réfléchir sur des processus historiques dans leurs
dimensions temporelles. Toutefois, il s´agit de processus articulés par des
discours spécifiques, parmi lesquels les discours filmiques, qui, pour être
approchés, ont besoin d´un outil différent de celui de l´historien traditionnel —
qui s´occupait seulement de documents écrits — et doivent, surtout, être
« lus » en préservant ses spécificités.
Si au départ j´avait le projet de travailler sur la totalité des films de Rocha, tout
de suite cette idée, trop étendue, fut mise à l´écart par la constatation de
l´impossibilité d´analyser des films aussi complexes et diversifiés dans un
spectre de recherche de doctorat, avec l´approfondissement exigé. J´ai donc
cherché à trouver, dans l´univers de sa filmographie, une oeuvre qui puisse
représenter les divers moments et aspects de sa pensée, spécialement ceux
que je traiterai directement. Et le film retenu fut Terra en Transe, produit en
1967, dans le contexte de la transition du cinéma glauberéen et de la
trajectoire politico-économique brésilienne. Ce film synthétise, condense une
série d´éléments clés des conceptions du cinéma et de l´histoire présentes
dans la filmographie de Rocha. Néanmoins, d´autres films de Glauber Rocha
seront aussi utilisés comme contrepoint des questions mises en lumière par
Terra en Transe, étant donné que, malgré les ruptures qui marquent son
œuvre, celle-ci présente, si l´on l´analyse en bloc, une cohérence, un sens,
fruit de la synthèse de plusieurs perspectives qu´ils élaborent.
Mais Glauber Rocha ne fut pas seulement un cinéaste. Son œuvre est encore
composée de nombreux écrits — des essais journalistiques, des critiques, des
poésies, des pièces de théâtre, des romans, des contes, ainsi que de diverses
versions de ses scénarios filmés ou inédits — qui, par la richesse du texte et
les différences par rapport au discours filmique, deviennent autonomes et se 20
transforment en un objet per se. Et il s´agit de discours qui, quoique élaborés
L’HISTOIRE EN TRANSE
où on a fait l´option par l´étude détaillée d´un de ses films, Terra en Transe,
comme dit ci-dessus, avec l´utilisation de deux autres œuvres comme
2
Pour des raisons de temps, nous n’avons pas eu la possibilité de faire une étude théorique complète. Ceci nous a
obligé à effectuer des coupures et laisser (volontairement) des lacunes — comme le travail des italiens — qui
pourront être étudiées au sein d’une nouvelle recherche.
contrepoint : Barravento et Deus e o Diabo na Terra do Sol (Le Dieu Noir et le
Diable Blond), films qui partagent d’un projet politique et esthétique que sera
resignifier par Terre en Transe. Pour l´analyse de ces films, on a utilisé les
outils de la sémiologie, de la narratologie filmique et de l´approche dialogique,
d´où on a pu retirer des éléments pour investiguer la conception d´histoire
appartenant à l´œuvre du directeur. Fut construite une méthodologie
d´analyse (détaillée plus loin), orientée par les problèmes spécifiques qui nous
inquiétaient initialement et auxquels on a cherché à répondre tout au long du
processus de recherche. On peut les synthétiser de la façon suivante :
3) Quels rapports sont-ils établis, par les films analysés, entre les
instances du temps, de l´histoire, de la politique et de l´esthétique ?
4) Quels sont les possibles dialogues qui peuvent émerger entre les
constructions du temps et de l´histoire élaborées par les films de Rocha
et les théorisations sur les narrations historiques réalisées par
l´historiographie des trente dernières années ?
Dans ses lignes générales, ceux-ci furent les pas réalisés pour la construction
de cette thèse dont la structure se partage, outre cette introduction et la
conclusion, en quatre autres chapitres.
Transe, Antônio das Mortes, Le Lion a Sept Têtes, Têtes Coupées, Cancer,
Histoire du Brésil, Claro et L’Age de la Terre — en plus les épisodes de
l’émission Abertura (Ouverture). Furent donc écartés de ce processus
seulement les films Cruz na Praça (Croix sur la Place), inachevé, Amazonas,
Amazonas (documentaire, court-métrage – 1968), As Armas do Povo (Les
Armes du Peuple), un documentaire, long-métrage, pas monté ni distribué et
JorjAmado no Cinema (Jorge Amado dans le Cinéma), moyen-métrage, soit
parce que nous les avons considérés secondaires pour la coupure de notre
investigation, soit parce que nous n’y avons pas eu accès pour une analyse
détaillée.
Par manque de temps, nous n’avons pas effectué un découpage détaillé, plan
par plan, de tous les films, ce qui demanderait des centaines d’heures de
travail. Nous avons donc fait l’option d’adopter trois niveaux
d’approfondissement dans le processus d’analyse. Un plus détaillé pour Terre
en Transe, le film central pour toute l’argumentation. Un moins formel pour les
courts-métrages et sept longs. Et un intermédiaire pour ces films qui
serviraient de contrepoint (Barravento et Le Dieu Noir et le Diable Blond)
C’est aussi dans cette phase que nous avons étudié les marques
d’intertextualité qui rendent propices des dialogues entre des composantes
internes du film analysé et autres textes : d’autres films de Rocha; des films
du Cinéma Nouveau; des films de cinéastes brésiliens de périodes plus
éloignées, des films de cinéastes étrangers; des éléments de la culture
populaire et érudite brésilienne; des textes écrits par l’auteur lui-même; des
textes écrits par d’autres; des théories esthétiques, philosophiques ou
politiques; des faits, des événements et des processus sociaux et historiques, 29
ainsi que les interprétations autour de ceux-ci; etc. À ce moment-là, où le
L’HISTOIRE EN TRANSE
Dans le cas des films qui servirent comme contrepoint, nous avons réalisé un
découpage en séquences narratives, parmi lesquelles quelques-unes furent
choisies en vue d’un découpage plan par plan, suivant une suggestion
méthodologique de l’historien Pierre Sorlin, dans son livre Sociologie du
Cinéma. Quant aux autres films, nous avons réalisé seulement une analyse
transversale, en cherchant des réponses à des questions ponctuelles. En
raison de cela, nous n’avons découpé que quelques séquences clé de chaque
film. Même si dans ces cas nous n’avons pas passé par l’analyse de tous les
éléments travaillés dans le film Terre en Transe, nous avons cherché, dans
les limites du type d’analyse réalisée, à étudier les manières dont le temps
était abordé et les marques intertextuelles les plus relevantes, rendant
possible ainsi l’identification des chronotopes.
En règle générale, donc, celle-ci fut la méthodologie que nous avons utilisée
pour le traitement des discours choisis. Toutefois, quoique ayant élaboré un
parcours méthodologique relativement structuré, quand nous sommes passés
à la systématisation des résultats, c’est-à-dire à la rédaction du texte, nous
avons trouvé une certaine difficulté pour synthétiser le nombre d’informations 30
levées. Nous avons donc fait l’option de construire encore un modèle de
L’HISTOIRE EN TRANSE
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L’HISTOIRE EN TRANSE
Histoire, Images et Temps :
Discours et Récits
(Introduction Théorique)
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L’HISTOIRE EN TRANSE
« Chaque grande science eut un modèle de la nature. Pour la
science classique, ce fut l´horloge ; pour la science du XIXe
siècle, ce fut un mécanisme en voie de disparition. Quel
symbole pourrait-il correspondre à notre époque ? Peut être
l´image qu´utilisait Platon : la nature comme œuvre d´art ».
(Ilya Prigogine)
Tout cela fait partie d´un univers plus ample qui est conduit, en grande
mesure, par le développement technologique par rapport auquel l´humanité vit
pendant le déroulement de la modernité et qui s´est intensifié ces derniers
cent ans, surtout dans les domaines de la communication et de l´information.
Ce processus englobe une série de transformations dans divers secteurs de
la vie humaine, de l´économique au politique, du social au symbolique, du
culturel au psychique, qui apportent de profondes implications dans les
domaines de la construction de l´histoire (Sorlin, 1977, Rosenstone, 1995,
Rancière, 1997).
Jusqu´au début du XIXe siècle, l´histoire n´était pas encore une science de 33
même si les premiers pas vers cette réformulation paraissent déjà dans la
décennie de 1930, avec les propositions des pionniers de l´École des
Annales, Lucien Febvre et Marc Bloch, en France. Mais c´est seulement dans
3
Évidemment, on ne peut oublier le développement qu´a eu le marxisme dans quelques universités
après la Révolution de 1917.
le contexte de l´après-guerre que ce mouvement trouve le terrain pour se
développer et surtout pour se diffuser, en pénétrant l´univers académique des
grandes capitales européennes et dans le reste du monde occidental, par la
suite. Peu à peu, l´histoire politique et militaire perd de l´espace en profit de
l´histoire économique, de l´histoire sociale, de l´histoire culturelle, parmi un
grand nombre de domaines surgiront à l´intérieur de ce tournant.
Dans les décennies qui ont suivies, l´horizon de possibilités d´utilisation des
images s´est amplifié progressivement pour les historiens. Cela est dû à une
série d´événements parallèles : la diffusion des circuits télévisuels ; la création
et l´organisation de plusieurs archives de sons et d´images, en rendant facile
l´accès aux sources ; la création et le développement de cours universitaires 35
de cinéma, d´audiovisuel et de communication ; la diffusion de technologies
L’HISTOIRE EN TRANSE
sémiologie, etc.), et qui se trouve lié à une série de discussions qui ont
L’HISTOIRE EN TRANSE
Dans un certain sens, aussi bien les approches de Sorlin que celles de Ferro
finissent par indiquer la perspective la plus usuelle que les historiens font du
cinéma : celle qui conçoit les images et les sons comme des témoins
(documents) du présent et du passé (troisième approche, dans notre
classement). Dans ce point de vue, on cherche dans les images des éléments
qui documentent des aspects divers de la période dans laquelle elles furent
produites. Ainsi, selon la division classique de l´historiographie entre des
sources primaires et secondaires, les images sont utilisées, dans ce cas,
seulement comme des documents primaires de la réalité du présent. Les
limites temporelles de ces investigations sont, logiquement, restreints à la
postérité de l’invention du cinéma. Les manières d’utilisation des films comme
des documents pour l’étude du passé sont diverses et vont de celle qui voit
dans les images un miroir mécanique de la société qui l’a créée jusqu’à
d’autres plus raffinées qui visent à capturer et expliquer les mécanismes de 39
L’HISTOIRE EN TRANSE
4
En Amérique Latine, sont encore assez peu nombreuses les études historiographiques qui travaillent
avec le cinéma. Néanmoins, dans la décennie 1990, il y eut une augmentation de l’intérêt d’historiens
dans l’investigation des images, surtout à partir de l’interlocution avec les textes de Marc Ferro. Cela
de discours sur le passé. À celles-ci n’intéresse pas, directement, ce que les
images peuvent apporter sur la connaissance de l’époque à laquelle elles
furent produites, mais ce qui en elles (son contenu et sa forme) parle sur un
déterminé phénomène historique représenté dans les écrans. Quelques fois,
ces études s’occupent des films historiques comme un genre spécifique de
production cinématographique qui attire beaucoup d’intérêt dans quelques
moments de l’histoire. On ne peut pas ne pas faire non plus référence à la
tendance — croissante dans les années 1980, et encore présente de nos
jours dans plusieurs régions — à chercher dans les films la représentation
qu’une société fait d’elle-même dans une certaine période historique.
Surgissent ainsi des études sur l’image de la femme, du noir, de l’indien, de
l’enfant, des travailleurs, du monde rural, etc., impulsées par les études
historiques, sociologiques et anthropologiques de ce qu’on appelle les
minorités. Dans une autre perspective, nous pouvons citer d´autres
investigations dont le but serait l’analyse des types de récits historiques
construis à travers déterminés discours filmiques. Et cette réflexion, en
invoquant de nouvelles modalités discursives, finit par engendrer un
questionnement sur l’écriture historiographique elle-même, ses limites et ses
possibilités de rénovation. Comme le dit Lagny :
engendre un tableau où pratiquement toutes ces études soient ancrées ou dans la perspective du film
comme document d’une réalité ou comme agent de l’histoire.
production audiovisuelle, opérés d’abord par la vidéo et de nos jours par les
dispositifs digitaux.
Il est évident que tous ces approches ne se manifestent pas de façon pure et
achevée et les limites qui les séparent sont très ténues, outre les
différenciations internes elles-mêmes des travaux réalisés, comme on a vu ci-
dessus, ainsi que les différentes tendances régionales, qui commencèrent à
faire jour, dès les premières études sur le rapport cinéma / histoire, avec le
surgissement de quelques œuvres pionnières en Allemagne, en Angleterre,
aux États-Unis et en France.
C’est dans cette voie plus récente des études du rapport cinéma / histoire,
bien que pas nécessairement à partir des perspectives nord-américaines, que
nous situions notre recherche. L’idée était celle de réaliser un travail qui, à
partir de l’investigation sur la forme par laquelle certains films représentent le
temps et le passé, fasse une réflexion sur les possibilités apportées par ces
films à l’écriture de l’histoire d’une façon plus élargie. Dans ce sens, notre but
dernier est celui de penser l’écriture historiographique elle-même. Cela
généra la nécessité d’approfondir une réflexion qui questionne à la fois les
récits historiques et historiographiques. Ce parcours, dans une certaine
mesure, finit par nous lier aussi à une réflexion autour des récits littéraires
dressés par plusieurs auteurs qui travaillent avec l’histoire et le cinéma.
La transdisciplinarité est comprise ici comme une perspective qui vise à diluer
les frontières entre les domaines de la connaissance (y inclus entre les dites
sciences humaines, exactes et épistémologiques), érigés et cristallisés par la
science depuis le XIXe siècle, en permettant des approches d’un même sujet
à partir de plusieurs points de vue «disciplinaires», dans une logique intégrée.
L’idée clé derrière cette perspective est celle selon laquelle le réel est trop
complexe pour être analysé par le biais étroit d’une aire spécifique de la
connaissance. En quelque sorte, nous nous approchons aussi de la théorie de
la complexité d’Edgar Morin (2000). C’est une tendance, selon l’historien
François Dosse, que l’on peut remarquer dans le panorama des sciences en
France dans les années 1990 où, derrière l’apparent vide pragmatique laissé
par la crise des grandes «idéologies» modernes, on construit d’autres modes
d’élaboration de la connaissance qui privilégient de nouveaux types de
rapports entre les diverses sciences et champs de production de sens (Dosse,
1997). 44
L’HISTOIRE EN TRANSE
Toutefois, il faut dire clairement qu’il ne s’agit pas d’un pari éclectique,
opportuniste et sans paramètres où les diverses perspectives de recherche
sont repris aléatoirement ou seulement pour servir à des intérêts ponctuels. Il
s’agit d’une investigation d’alternatives théoriques à même de nous conduire à
une compréhension plus ouverte de phénomènes et de problématiques
complexes et multidimensionnels qu’un regard purement disciplinaire finirait
par appauvrir. Il s’agit, encore, de faire référence à la perspective même
adoptée par les discours de Glauber Rocha, qui cherchaient des références
dans une infinité d’autres textes et paradigmes théoriques — sans, toutefois,
se perdre dans un chaos inintelligible —, en construisant ainsi des
cohérences et des sens, même si ceux-ci ne se bornaient pas dans les
modèles traditionnels de l´art et de la science en vigueur.
L’histoire naît avec l’écriture. C´est ce que nous apprenons à l’école. Mais, en
vérité, il s’agit d’une conception déterminée de l’histoire, comprise aussi bien
comme un processus de l’action de l’homme à travers le temps, que comme
une réflexion systématique sur ce passé. En effet, c´est à travers le langage
écrit que le discours historique se légitime le long de l’histoire.
Même si l´on ne peut pas nier que les sociétés sans écriture avaient des
conceptions du temps et préservaient une mémoire historique, spécialement à
travers des récits oraux mythiques et de temps circulaires où le présent et le
45
passé ne se trouvent pas séparés, on s´aperçoit que, dans ce cas, il s’agit
L’HISTOIRE EN TRANSE
Pour nous, l’écriture, en tant que langage ou, comme le préfère l’historien et
philosophe Pierre Lévy, en tant que «technologie intellectuelle», fournit les
conditions nécessaires au surgissement d’une pensée rationnelle (Debray,
1993; Goody, 1986; Havelock, 1981; Kerckhove, 1993; Lévy, 1993; Svembro,
1988).
bonne partie des court et long métrages avait inspiration dans des
thématiques historiques. Quelques-unes des œuvres réalisées dans cette
période sont devenues des références et des classiques, comme Cabiria ou
Naissance d'une nation. Ce processus est intensifié part le fait que le cinéma
soit devenu, rapidement, un discours de type narratif. Par conséquent, il n’est
pas absurde de considérer que le cinéaste, en réalisant un film historique,
assume une position, à certains égards, analogue à celle de l’historien, même
s’il ne porte pas sur soi la rigueur méthodologique que le travail
historiographique académique a l’habitude d’exiger. Mais cela ne transforme
pas nécessairement un cinéaste en un historien, étant donné que le celui-ci
possède des limites claires dans la construction de ses discours, dans la
mesure où il a besoin de prouver ses affirmations devant la société et la
communauté de spécialistes de son époque.
D’autre part, il n’est pas nouveau le fait que le grand public, aujourd’hui,
accède plus à l’histoire à travers les écrans que par la voie de la lecture et de
l’enseignement. En effet, le cinéma crée un passé contre lequel les livres et
les écoles ne peuvent pas entrer en compétition, au moins en popularité. On
vit donc le paradoxe d’un monde post-littéraire où la majorité des personnes
sait lire, a accès aux livres, mais ne le fait pas (Jameson, 1996). Le rêve de la
diffusion de l’encyclopédie de l’illuminisme est dilué en 24 photogrammes par
seconde ou, plus récemment, dans une combinaison binaire.
Toutefois, malgré cette importance sociale croissante acquise par les images,
malgré le fait que le cinéma ait trouvé dans la représentation du passé un de
ses principaux créneaux thématiques, la majorité des historiens académiques,
pendant plusieurs décennies, sont restés sceptiques devant la possibilité de
visualiser ces films du point de vue historiographique. Cette prise de position
contrastait avec celle de quelques enthousiastes qui voyaient dans le cinéma
une forme substituée de l’histoire écrite. Sont significatifs, par exemple, les
mots de Griffith : « Il arrivera un moment où, dans les écoles, on enseignera
presque tout aux enfants à travers de pellicules. Ceux-ci ne seront plus jamais
obligés à lire des livres d’Histoire » (apud Paz, Montero, 1995). Ce rejet vient 49
en partie du choc des conceptions théoriques traditionnelles de l’historien
L’HISTOIRE EN TRANSE
Et tout cela en suggérant que «l’histoire est un type d’art.» (White, 2001, p.
39). Dans ce sens, à travers des chemins différents, les deux auteurs (Veyne
et White) finissent par inaugurer, dans le champ de l’épistémologie
historiographique, de nouvelles approches de l’écriture de l’histoire, en
ouvrant un nouveau champ de discussion théorique qui s’élargit le long des
années 1970 et surtout des années 1980 et 90. Ainsi l’histoire, conçue à partir
de la structure narrative, serait semblable aux discours fictionnels.
Et encore que
En enquêtant sur les rapports existants entre le discours narratif et les notions
de temporalité, il conclut que la clé de tout récit c’est sa trame ou intrigue – la 55
médiation entre les événements et certaines expériences humaines
L’HISTOIRE EN TRANSE
Pour l’auteur, ce serait aux œuvres de fiction que nous devons, en grande
partie, l’amplification de notre horizon d’existence. Car la poésie, par son
muthos, aurait le pouvoir de re-décrire le monde. Ces œuvres analysés
seraient la preuve que l’art narratif peut fonctionner comme l’expression
maximale de l’interprétation du vécu, en immortalisant le temps fugitif, en
dépassant le conflit entre temps et éternité.
Mais, du point de vue de l’historien, ce qui intéresse le plus c’est le fait que
Ricœur attribue aux récit historiographiques la même structure qui aux
fictionnels. Dans les premières, la configuration du temps serait réalisée à
travers des connecteurs spécifiques, tels que le calendrier, la notion de
génération, le concept de vestige. Mais histoire et fiction partageraient la
même base, même si elles ne sont pas identiques. Ce que les rendrait
différentes, beaucoup plus que leur topologie, serait le fait que
l’historiographie veuille être surtout un discours sur la vérité, un discours qui 56
représente quelque chose qui a réellement existé. On parle donc d’une
L’HISTOIRE EN TRANSE
espèce de «contrat de vérité» qui uni l’historien à son objet dès les plus
lointains temps de l’historiographie et que fournit une certaine crédibilité au
discours que celle-ci construit. Et qui, comme pointé par Ricœur lui-même, ne
se place pas comme opposé ni contradictoire avec la perspective qui aborde
l’histoire comme une pratique discursive. En abordant le discours donc,
Ricœur n’élimine pas le référent, se renvoyant toujours aussi à ce qui se
trouve en dehors du texte, à l’extérieur de sa référence.
Dans cette ligne de pensée, on peut aussi faire allusion aux réflexions qui
s’occupent de l’art, d’une façon plus générale, et de l’histoire, à partir des
théories « créationnistes .» D’après Lúcia Santaella, il s’agit d’un « tour
copernicien » dans la réalisation de l’historiographie de l’art, dans la mesure
où
Et, en constatant «qu’il existe beaucoup plus d’art dans l’histoire que ce que
L’HISTOIRE EN TRANSE
songe nos vaines méfiances », Santaella pointe le fait que ces considérations
finissent par générer la nécessité d’un « questionnement permanent des
multiples dimensions du temps », en contribuant de cette façon à une
ouverture dans les perspectives historiographiques, en s’approchant des
réflexions de Ricœur.
Néanmoins, on ne peut pas ne pas se référer à une critique que l’on fait sur la
conception historiographique de Ricœur. On s´aperçoit que malgré le fait de
travailler en même temps avec des discordances et concordances (distentio
et intentio) des constructions narratives, l’auteur fini par privilégier les
concordances du discours historique, c’est-à-dire le mécanisme de synthèse
de l’hétérogène promu par la configuration narrative, au détriment des
« discordances », des hasards, des paradoxes, du chaos d’un réel qui
souvent dépasse les limites d’un récit établi (Lagny, 2002). D’où le
commentaire comparatif de Dosse en affirmant qu’alors que Paul Ricœur
insiste sur un retour des grands récit (comprises dans la perspective de
58
L’HISTOIRE EN TRANSE
5
Il est intéressant de remarquer ici que, même dans l’École des Annales, l’idée de récit était presque
automatiquement assimilée au modèle du récit factuel et, par conséquent, vu de façon péjorative, ce qui
a conduit les historiens à nier la narrativité de l’écriture de l’histoire, en cherchant refuge dans ce qu’ils
ont nommé histoire-problème, une histoire où, plus que de chercher à raconter les événements du passé,
l’historien avait le souci de questionner ce processus. Dans d’autres lignes de réflexion, à l’exemple de
la perspective marxiste, la réflexion sur le récit n’était pas réalisée directement. Chez Marx, le récit fut
remplacé par la dialectique de l’exposition comme expression de la synthèse qui répond aux pourquois
et qui trouve les causalités des processus historiques.
l’application du intentio à l’historiographie), Michel de Certeau soutien la
multiplication des récit atomisées (Dosse, 2001).
Mais la réflexion conduite par Ricœur ne s’arrête pas là. Il ne faut pas ne pas
aborder la perspective éthique qui s’ouvre à partir de la pensée de Ricœur,
dans la mesure où son herméneutique, au-delà de la critique, ontologique et
poétique, pointe vers la dimension de l’action. Cela se fera à travers la
6
conception d’un quatrième temps : le temps reconfiguré (Mimesis III),
établi dans l’acte de lecture. Puisque, pour Ricœur suivre une histoire c’est
l’actualiser dans la lecture. Le récit ne devient œuvre que dans l’interaction
entre le texte et le lecteur. Et c’est seulement ici, « quand elle est restituée au
temps de l’agir et du pâtir », que « le récit a son sens plein .» Et en se référant
à la fonction de l’agir, il parle d’une dette éthique que les discours historiques
auraient à l’égard du passé, les remettant donc vers le domaine d’un futur,
toujours incertain. Ainsi, « le régime d’historicité, toujours ouvert vers le futur,
n’est sans doute plus la projection d’un projet pleinement réfléchi, enfermé en
soi. La logique elle-même de l’action maintient ouvert le champ des
possibilités » (Dosse, 2001, p.40), ce qui donne de l’espace pour penser aux
utopies et projets politiques.
Il est intéressant aussi d’évoquer ici les idées du philosophe Walter Benjamin,
qui à certains égards s’approchent de celles de Ricœur. D’après Benjamin,
l’expérience est aussi partagée à travers le récit. De cette façon, dans l’essai
Le Narrateur (1985), Benjamin soutient que la base de quelconque récit,
fictionnel ou pas, c’est le vécu lui-même, l’«art de narrer» étant envisagé
comme la « faculté d’échanger des expériences .»
6
C’est à partir du concept de mimesis chez Aristote, et de ses variantes, que Paul Ricoeur divise les
divers types de temporalités. Le temps préfiguré il identifie comme Mimesis I, le temps configuré
comme Mimesis II et le temps reconfiguré comme Mimesis III.
« L’ennui c’est l’oiseau de rêve qui couve l’œuf de l’expérience. Le
bruit dans les feuillages le fait fuire. Ses nids – ces activités
intimement liées à l’ennui – ont déjà disparus dans les villes, en
province aussi ils s’effondrèrent. De cette façon on perd le don
d’écouter et suit en s’éteignant la communauté de ceux qui
écoutent. Raconter des histoires c’est toujours l’art de les raconter
de nouveau, qui se perd quand les histoires ne sont plus retenues .»
(Benjamin, 1985, p.203).
C’est dans cette proposition que Benjamin allait développer aussi bien une
réflexion sur la littérature, à partir de l’analyse de l’œuvre d’auteurs comme
Proust, Kafka et Baudelaire, qu’une pensée sur l’histoire. Ce n’est pas un
hasard donc que nous rencontrons plusieurs ressemblances dans son soutien
du pouvoir créateur de la mémoire (même involontaire) comme source et
stimulation de l’expérience, dans une œuvre comme À la recherche du temps
perdu, de Proust, et dans l’idée d’une histoire construite à partir de ruines. 61
D’après Benjamin, l’œuvre de Proust ne représenterait pas seulement un coin
L’HISTOIRE EN TRANSE
Les idées de Benjamin, donc, même si elles ont été écrites depuis presque un
siècle, sont en consonance directe avec les réflexions contemporaines autour
des récits et de l’histoire, en plaçant le processus de narrativisation dans un
lieu central de la communication humaine et en questionnant les frontières
entre fiction et réalité dans les diverses possibilités discursives. En fuyant
aussi bien une vision traditionnelle de l’histoire qu’un relativisme nihiliste,
Benjamin nos propose une alternative intéressante pour penser la place de
l’historiographie aujourd’hui, ainsi que celle des autres narratives qui
s’occupent du rapport passé-présent-futur, comme c’est le cas des films de
Glauber Rocha. En outre, en soutenant une appropriation du passé qui
articule politique, étique et esthétique, la réflexion benjaminienne nous offre
une perspective incitante d’étude de l’œuvre de Rocha, qui cherche aussi à
penser ces trois instances. Ne serait-il pas le poète Paulo Martins, le
personnage principal du film Terre en Transe, dans des conditions analogues
à celles du personnage proustien ? C’est une des possibilités de lecture du
film, comme nous soutiendrons ci-après, quand nous serons en train de
l’analyser, aussi quand nous reprendrons encore une autre métaphore
travaillée par Benjamin et utilisable pour les discours glauberéens : celle du
labyrinthe. Car le labyrinthe est, pour Benjamin, dans l’espace, « ce qui est
dans le temps le souvenir (die Erinnerung), qui cherche dans le passé les
signes prémonitoires du futur » (Gagnebin, 1994, p.103).
Ginzburg (micro histoire) en Italie. Mais le pôle principal (en ce qui concerne
la quantité, du moins) de cette démarche est, sans doute, les États-Unis.
Dans cette ligne, un des principaux courants historiographiques nord-
américains s’est nommé, non par hasard, linguistic turn (expression de
Gustav Berman). Il s’agit d’un mouvement hétérogène qui englobe, à la
rigueur, presque tous les travaux récents autour de l’histoire, qui concèdent
une importance décisive aux questions du langage et du discours. En
critiquant de façon incisive l’ancienne histoire sociale qui croyait naïvement en
l’existence d’un réel en dehors du discours et inspirés dans les travaux de
Clifford Geertz, des auteurs comme Dominick La Capra, Louis Mink, W. B.
Gallie et Hans Kellner, parmi une infinité d’autres, soutiennent que le discours
historique ne fait aucune référence à une réalité qui se trouve en dehors du
texte. Dans ce sens, les formes du langage humain seraient les seules à
définir la réalité. Dans uns ligne un peu différente, il y a aussi l’œuvre du
philosophe pragmatiste Richard Rorty, qui soutient que tout problème
philosophique se résume à un problème de langage (un héritage de la pensé
de Wittgenstein) et que toute épistémologie est imprégnée d’intérêts
pratiques, on n’y trouvant pas par conséquent aucune valeur ontologique. Il y
a encore une série d’autres petites variations de ces mouvements. On peut
citer, parmi d’autres, l’historiographie féministe déconstructionniste, avec des
travaux comme ceux de l’historienne Joan Scott, la science historique
socioculturelle, dont le plus grande représentant c’est Christopher Lloyd, ou
encore la nouvelle histoire culturelle, dont fait partie des auteurs comme
Robert Darnton, Lynn Hunt, Gabrielle Spiegel, etc. Tous ces courants
soutiennent que l’écriture de l’histoire est un discours et que le passé ne peut
être compris qu’à partir des médiations qui s’opèrent à partir du monde des
représentations.
Ces auteurs soutiennent aussi la nécessité des films inventer une grande
partie des éléments qui composent sa diégèse, sans toutefois être a-
historiques. Rosenstone croit que cela est dû à
Ainsi, continue-t-il :
Pour l’auteur, cela ne signifie pas que la vérité historique cesserait pas
d’exister dans les films, mais que, en eux sa place serait disloquée : au lieu
d’être localisé dans « l’exactitude » des faits, elle serait dans son
argumentation globale. On affirme encore que la nature elle-même des
moyens audiovisuels finit par conduire à une redéfinition et amplification du
concept et de l’idée d’histoire, en questionnant des « vérités » jusqu’alors
tenues comme absolues. L’audiovisuel apporterait encore des éléments
67
discursifs, de nouvelles formes de rechercher et de construire l’histoire, que
L’HISTOIRE EN TRANSE
vue ; 3) ils s’éloignent du récit traditionnel, avec son classique « début, milieu
et fin » ; 4) ils renoncent à un développement chronologique de l’histoire ou,
s’ils narrent l’histoire, se refusent de prendre au sérieux la narration ; 5) ils
abordent le passé avec l’humour, la parodie, l’absurde, le surréalisme, le
dadaïsme et autres attitudes irrévérentes ; 6) ils mélangent des éléments
contradictoires — passé et présent, fiction et documentaire — et utilisent
l’anachronisme créatif ; 7) ils acceptent et même révèlent leur partialité, parti
pris et rhétorique ; 8) ils se refusent à analyser le passé d’une façon
totalisatrice ; au contraire, ils préfèrent un sens ouvert et partiel ; 9) ils altèrent
et inventent des personnages et des faits ; 10) ils utilisent une connaissance
fragmentaire et poétique ; 11) ils n’oublient jamais que le présent est le lieu
d’où se représente et connaît le passé.
Enfin, ces idées finissent, d’une certaine manière, par réfléchir un mouvement
croissant d’intérêt et d’enthousiasme par rapport à l’interface image/histoire
aux États-Unis, en englobant le cinéma et plus récemment la télévision et la
vidéo. Même si cette demande se trouve encore loin de toucher la majorité
des historiens, elle se manifeste, progressivement, avec plus d’intensité, à tel
point qu’elle pénètre déjà les principaux véhicules d’expression de l’histoire
académique américaine, à l’exemple de l’American Historical Review et de
l’American Historical Association, l’une des revues et associations
(respectivement) des États-Unis de plus grande tradition historiographique. Le
nombre d’historiens qui s’aventurent dans la production de vidéos et films
indépendants ou dans le conseil aux émissions historiques télévisuelles n´est
pas petit non plus. Dans les principaux véhicules de divulgation de ce
mouvement, on proclame que l’historien du futur sera celui qui saura travailler
avec les images, principalement, s’il le fait à travers ce qu’on appelle la
perspective post-moderne.
Mais ce que l’on peut observer, en première vue, de cet ensemble de travaux,
c’est que — indépendamment du facteur positif de l’introduction du monde
des discours historiques audiovisuels dans la forteresse académique
historiographique et de l’appel à la réflexion des historiens sur les spécificités 69
et potentialités de ces images — leurs réflexions se trouvent encore dans un
L’HISTOIRE EN TRANSE
7
DE BAECQUES, Antoine, DELAGE, Christian (Orgs.). De l'histoire au cinéma. Paris: Editions
Complexe / IHTP / CNRS, 1998 (Collection Histoire du temps ptrésent); DELAGE, Christian (Org.).
Le cinéma face à l'histoire. Paris: Jean Michel Place, 1997. (Vertogo: Esthétique et histoire du cinéma);
En Espagne aussi quelques efforts sont réalisés dernièrement dans ce sens.
Parmi les travaux réalisés, on souligne ceux des chercheurs du noyau de
recherche Film-Histoire (dirigé par Caparrós-Lera), qui publie une revue du
même nom. Dans une même ligne d’intérêt, on relève encore le travail de
l’historien Ángel Luis Hueso qui, depuis trente ans, développe des
investigations théoriques et historiques sur le cinéma mondial et espagnol, en
soutenant l’idée selon laquelle quelconque investigation qui se penche sur le
XXe siècle doit nécessairement passer par le cinéma. On peut encore citer,
dans le cas de l’Espagne, les travaux d’autres deux théoriciens : Monterde et
Montero. Dans d’autres pays, le tableau a l´air d’être semblable, même s’ils
présentent leurs particularités.
73
Par conséquent, nous ne considérerons pas les films de Glauber Rocha
L’HISTOIRE EN TRANSE
Et pour la nature de ce projet, articulé aussi bien dans les films que dans les
autres discours produits par Rocha, nous avons réalisé une analyse de
découpe intertextuelle de quelques-uns de ces discours, sélectionnés par
nous, en cherchant des réponses à partir des diverses références trouvées
dans les textes. Toutefois, cela ne nous empêché pas de partager avec
Sorlin, Ropars et Lagny l’idée selon laquelle les films (et les autres discours)
devraient être analysés en ce qui concerne leur fonctionnement interne. À
cause de cela, les indications méthodologiques de ces auteurs furent aussi
fondamentales, ainsi que l’apport des instruments de la sémiologie et de la
narratologie.
Alors, le cinéma fut ici conçu comme une institution productrice de biens
symboliques, vers laquelle convergent des intérêts économiques et politiques
et des demandes culturelles et esthétiques et dont les produits (les films)
expriment et construisent des visions de monde articulées, objectivement et
subjectivement, avec les processus historiques dont elles font partie. Mais ces
produits, même s’ils ne peuvent pas être pensés en dehors de la logique
industrielle dans laquelle ils ont été engendrés, ils n’ont pas été traités ici
comme des simples résultats d’une production de masse, comme propose
Allen et Gomery (1985). Ils furent abordés comme des discours qui possèdent
des spécificités (techniques, narratives, esthétiques, etc.) et qui fonctionnent
selon des modèles reformulés le long du temps.
Nous avons abordé le récit filmique comme un type d’énoncé qui relate à
travers de procédures et instruments spécifiques, un ou plusieurs
événements, connectés par un quelconque type de logique, enveloppant un
ou plusieurs personnages, localisés dans un espace, qui se succèdent dans
le temps et sont structurés par un thème. Évidemment, même si les récits
filmiques sont considérés dans leurs particularités, néanmoins nous avons
perçu les stricts rapports que ceux-ci entretiennent avec d’autres modèles
narratifs : le mythe, le roman (dans ses diverses conceptions), l’histoire, etc.
Nous avons fait attention, donc, à des éléments comme le point de vue (des
personnages, du narrateur et de l’instance narrative) ; les processus de 75
L’HISTOIRE EN TRANSE
L’art va ainsi être conçu comme un tissu de multiples voix, toujours mesuré
par d’autres discours et par une réalité sociale qui, même inaccessible
76
directement, a un rôle fondamental dans la structure que quelconque objet
L’HISTOIRE EN TRANSE
artistique ou culturel.
Et d’après Bakhtin, le dialogisme est une des principales voies qui permettent
la connexion du texte avec la diversité sociale avec laquelle celui-ci est en
rapport. Le concept suggère que les textes entretiennent des rapports avec
d’autres textes, à travers des « mosaïques de citations », des « palimpsestes
de rues », en formant des « superficies textuelles », structurées à partir de
« formules anonymes insérées dans le langage, des variations sur ces
formules, des citations conscientes ou pas, des confluences et des inversions
d’autres textes .» Autrement dit, il s’agit de
Dans la lignée de Todorov, Michel Riffaterre est un autre auteur qui conçoit
l’intertextualité en soulignant surtout le processus perceptif que le lecteur
développe des connexions qu’un texte réalise avec d’autres qui le
précédèrent ou le succèdent dans le temps (Riffaterre, 1982).
Il faut encore citer Gérard Genette qui, de son côté, allait introduire quelques
modifications aux idées de Bakhtin et Kristeva, en créant une nouvelle
terminologie : la transtextualité, qui se réfère à tout dans un texte qui a un
rapport direct avec un autre discours (Genette, 1982).8 Son concept
présuppose aussi « une corrélation entre le texte et le contexte culturel ample
qui l’entoure dans la contiguïté et dans la diachronie .» (Dosse, 1994, p.494).
Dans la mesure où elle permet la relation d’un film (ainsi que de quelconque
autre discours) avec d’autres systèmes de représentation, l’intertextualité
devient un outil théorique intéressant pour penser le rapport des films
analysés avec d’autres textes (intertextes) et de ceux-ci avec le contexte,
aussi accessible à partir de la médiation discursive ou de ce que Bakhtin
appelle les « courants profonds de la culture .»
Faisons attention encore au fait que Julia Kristeva a défini les discours 79
Et ce sera aussi le défi que nous essayerons de réaliser ici, en prenant les
films de Glauber Rocha comme de réseaux polyphoniques où de multiples
voix se rencontrent et se contredisent, en réalisant des dialogues avec divers
autres textes qui composent le tissu de la culture et de l’histoire du Brésil,
dans les cinq cents ans de l’existence de ce pays, auquel ces discours font
référence directe ou indirectement.
8
Genette subdivise la transtextualité en cinq types: intratextualité, paratextualité, métatextualité,
architextualité et hipertextualité.
Le Temps dans l’Histoire et dans le Cinéma
Mais, quoique avec une vision bien distincte aussi bien de celle d’Aristote que
de Newton, le temps est encore vu comme restreint au monde physique. Il
devient une « mesure relative du mouvement ». C’est à cette limite que
Marcel Conche se réfère en affirmant : « quant à Einstein, je ne crois pas qu’il
aborde le problème du temps, mais seulement de sa mesure » (apud Comte-
Sponville, 2000, p.57).
85
Le Temps Subjectif
L’HISTOIRE EN TRANSE
Les réflexions initiales d’Augustin sur le temps eurent le but de rebattre les
idées diffusées par les philosophes sceptiques, devenus populaires au Moyen
âge, qui soutenaient l’impossibilité de comprendre le phénomène temporel :
« le temps n’existe pas dans la mesure où le passé n’est plus, le futur n’est
pas encore et le présent ne reste pas ».
86
« le passé, en fait, n’est plus ; le futur n’est pas encore. Quant à un
présent toujours présent, qui ne se va pas dans un passé, il
L’HISTOIRE EN TRANSE
9
Il est important ici de souligner qu’Augustin ne fait pas usage de la terminologie temporalité. Il
appelle celle-ci de temps. Au temps physique il se réfère souvent comme l’éternité.
être au temps dans la mesure où il tend à ne pas être .» (Augustin,
1982, p.321).
Cela le fait conclure qu’en fait le passé, le présent et le futur n’existeraient que
comme « le présent des choses passés, le présent des présents, le présent
des futures », où le présent du passé correspondrait à la mémoire, le présent
du présent à l’intuition directe et le présent du futur à l’attente, à l’expectative.
En réfléchissant sur le temps, c’est le langage lui-même qui est pensé comme
activité psychique. L’être du temps augustinien coïncide avec celui du langage
et avec l’être de la conscience :
Dans ce point, Augustin débute une discussion qui, si ce n’est pas lui qui l’a
développée, est fondamentale pour penser le temps de l’histoire ; elle sera
reprise plus tard par d’autres théoriciens. En définissant la mémoire comme
enfermement du présent des choses passées dans l’âme, il suggère que se
rappeler et narrer ce « passé » c’est, d’une certaine façon, le recréer.
87
Puisque, comme affirma Augustin
L’HISTOIRE EN TRANSE
Après Leibniz, d’après lequel le temps n’est qu’un rapport à travers lequel
nous ordonnons nos expériences, Kant fut l’un des premiers philosophes à
s’occuper systématiquement du temps dans la modernité. Sa théorie du
temps est basée dans sa conception de savoir a priori, compris comme « une
connaissance indépendante de l’expérience et même de toutes les
impressions des sens » (Kant, 1996, p.53). Les hommes seraient dotés, de
façon innée, dans leur structure cognitive, d’une capacité (« intuition
sensible ») à mettre en rapport les événements dans une logique temporelle
et spatiale, celles-ci étant, donc, des catégories nécessaires (inhérentes à
l’être humain) pour penser et agir sur la réalité. Et le temps, plus que l’espace,
serait « la condition formelle a priori de tous les phénomènes en général ».
Le temps est donc une donnée a priori. Seulement dans lui la réalité des
phénomènes devient possible. Ceux-ci peuvent disparaître ensemble, mais
lui-même (comme condition générale de leurs possibilités) ne peut pas être
supprimé » (Kant, 1996, p.77). Une position semblable nous pouvons
rencontrer aujourd’hui dans la conception du temps de Norbert Elias, pour qui
Toutefois, nous ne sommes plus ici devant une flèche du temps, étant donné
que la linéarité elle-même est abolie. Entre les trois dimensions (passé-
présent-futur), qui n’ont pas de sens si pensées de façon isolée, sont
évoquées de nouveaux rapports et directions. Il n’existe pas, donc, un rapport
« naturel » qui lie le passé au présent et celui-ci au futur. L’avoir-été devient
intelligible seulement dans la mesure où l’avenir est pris en compte : « un
futur qui rend présent le processus d’avoir-été .» Ce processus est mesuré
par le mécanisme d’anticipation réalisé par l’être : « L’anticipation rend l’être-
là authentiquement l’avenir, de telle façon que l’être-là, comme être depuis
toujours, advient à soi, c’est-à-dire il est dans son être en tant que tel avenir».
Et c’est exactement le phénomène qui offre une telle unité d’un avenir qui
rend présent dans le processus d’avoir-été que Heidegger appelle la
temporalité. L’accent ici, donc, n’est plus sur le présent, comme chez
Augustin, mais sur le futur, dont l’anticipation permet une implication dans le
passé lui-même et donc aussi dans le présent. Par conséquent, on rompt ici
avec une vision schématique du rapport passé-présent-futur et de
l’entendement de l’expérience de la temporalité, si chère à la philosophie et à
l’historiographie elle-même.
Il travaille avec des concepts tels que celui d’«étirement» (de la naissance à la
mort), de «mutabilité» et de «constance à soi» et, surtout, de la «répétition», à
partir duquel il pense les rapports de la temporalité avec l’historicité. La
répétition est, pour lui, «la transmission explicite, c’est-à-dire le retour aux
possibilités de l’être-là ayant-été-là .» C’est donc à partir de la répétition que
l’on peut parler d’héritage, transmission, trace, vestige et, ainsi, d’histoire.
relief. Il s’agit, sans doute, d’une réflexion qui propose des rapports nouveaux
et complexes autour des voies qui lient passé, présent et futur, qui pense
aussi le rapport du temps subjectif avec le temps social. Toutefois, même en
opérant cette ouverture vers le temps social, Heidegger ignore l’existence du
temps physique.
Néanmoins, il faut rappeler que Être et temps est un projet qui resta inachevé,
dans la mesure où il prévoyait une seconde partie, mais l’auteur l’abandonna.
En prenant en compte ce fait, Ricoeur essaya d’établir un lien entre ce texte,
daté de 1927, et l’oeuvre ultérieure de Heidegger, qui finirait par éclaircir
plusieurs lacunes présentes dans Être et temps (Ricoeur, 1997).
expérience : «la Perception Présente n’existe que parce qu’elle sert de pont
aux Expériences Passées » qui existent en nous, même si nous les ignorons.
C’est à partir de cette réflexion sur le temps que Bergson allait théoriser sur
l’actuel et le virtuel. L’actuel se référant à ce qui existe dans le présent et le
virtuel à ce que le philosophe définit comme le temps pur, mais exactement
compris comme ce qui existe en puissance dans le passé vécu. Le virtuel
représente donc une ouverture de l’être sur les multiples possibilités que
celui-ci rencontre dans le futur, qui un jour s’actualisera en devenant présent.
Cette approche génère une compréhension du monde en devenir, un monde
où l’émergence du nouveau est une marque indélébile.
cinéma.
Reprenons donc notre fil d’écheveau, qui essaie d’exploiter les trois
conceptions de base du temps (objectif, subjectif et social), pour définir la
perspective que nous aborderons en analysant la temporalité dans les films
de Glauber Rocha.
Le Temps Social
général, il s’agit d’un approche fait soit par des sociologues, soit par des
historiens, soit par des anthropologues. Toutefois, aussi paradoxale que cela
puisse paraître, il s’agit d’un questionnement qui ne commence à avoir lieu,
de façon systématisée, que bien récemment. Avec l’institutionnalisation aussi
bien de la science sociale que de l’histoire positiviste, au XIXe siècle, et la
conséquente imposition d’une seule conception du temps, conçue comme
donnée, « naturelle » et, donc, impossible à mettre en question, cette réflexion
sur le temps social resterait immobile et ne serait réalisée que dans la
deuxième moitié du XXe siècle, avec l’avancement de la rénovation de ces
disciplines. De ces études, surgissent plusieurs contributions pour la
compréhension du rapport temps et histoire.
10
Ces études, qui sont devenus classiques, peuvent être trouvées systématisées dans les livres suivants:
WHORL, B. L. Language, thought and reality. Cambridge: MIT, 1956; EVANS-PRITCHARD, E.
Witchcraft, oracles and magic among the Azand. Oxflord: Claredon, 1937.
concepts de temps que ces sociétés possédaient. Surgit ainsi tout un champ
d’investigation qui questionne l’apparition du temps social dans les récits,
dans les mœurs et dans les systèmes de mesure et de datation du temps. Le
calendrier et l’horloge, peut-être les deux plus grands représentants de cette
conscience temporelle, sont perçus, de façon croissante, comme des
constructions sociales qui répondent à des nécessités de fonctionnement de
sociétés chaque fois plus complexes et y exercent des fonctions différentes
dans les univers économique, politique et culturel. Cela stimule encore des
investigations dont l’approche se réfère aux conceptions de temps dans les
récits produits par ces sociétés.
À son tour, l’École des Annales aussi allait contester le rapport passé-présent
etabli par l’historiographie officielle du début du siècle, toutefois sans arriver à
un extrême de relativisme qui nie la possibilité de discours scientifique elle-
même aux hIstoriens. À la base du mouvement français, Marc Bloch et Lucien
Febvre donneraient un nouvel habillement temporel à l’Histoire. Tous les deux
ont soutenu l’impossibilité de penser le passé d’un lieu qui ne fût le présent.
Ainsi, d’après Febvre l’histoire était toujours « la fille de son temps .» Dans la
même perspective, Bloch affirmerait l’histoire comme la « science des
hommes dans le temps », en ajoutant être le temps de l’histoire « le plasma
lui-même où se baignent les phénomènes, et comme le lieu de son
intelligibilité ». Mais ces idées étaient toutes connectées à un projet de
rénovation de l’historiographie qui souhaitait réaffirmer la possibilité de
construction d’une histoire à l’existence objective, nonobstant tous les deux
reconnaissaient la relevance de ses aspects subjectifs. Ainsi, entre passé et
présent, on présuppose un dialogue de réciprocité qui n’annule ni l’un ni
l’autre. Philippe Ariès place la question sous le prisme de la comparaison
entre passé et présent de la façon suivante :
particuliers.
102
Tout ce vaste processus de rénovation et d’ouverture de l’historiographie met
L’HISTOIRE EN TRANSE
Dans cette étude, c’est aussi par le biais du récit que nous ferons la
connexion entre les textes filmiques et les historiques. Nous comprenons un
récit comme tout discours qui, en racontant une histoire, qu’elle soit historique
ou fictionnelle, développe des personnages dans une instance spatio-
temporelle. Le temps ici prend une importance fondamentale pour le
développement de la structure narrative et pour l’établissement d’un rapport
entre le monde du texte, le contexte et le monde du lecteur.
Ici il faut aussi faire référence à l’important travail théorique sur l’écriture
filmique et le temps, réalisé par Marie-Claire Ropars, ces trente dernières
années, quelque peu influencé par les théories de Derrida. Elle fut l’une des
premières à « montrer que le cinéma de l’après-guerre n’était plus ‘ l’art du
mouvement ’ pour devenir l’art du temps », en faisant un pont non seulement
avec des auteurs qui travaillaient le temps dans le roman moderne, mais
aussi avec Deleuze lui-même, quoique à partir de perspectives distinctes
(Parente, 2000).
Francesco Casetti est un autre auteur à souligner. Il décrit le temps dans les
narratives (spécialement cinématographiques), en le classant en deux types :
un temps-placement, relatif à la datation des événements diégétiques, qui
peut être perçu dans les jours, les années, les époques et les périodes
représentées par le film ; un temps-devenir, proposé comme un flux qui ne se
réduit à aucune datation ponctuelle. Quant au temps-devenir, le plus
complexe, Casetti le conçoit à partir du classement de Genette, aussi adopté
par des théoriciens tels que Chatman et Bordwell, qui pense le temps en trois
axes d’organisation : ordre, durée et fréquence.
11
Certains auteurs ne font pas de distinction entre le temps circulaire et le temps cyclique.
où la perspective « chrono-logique » du temps est complètement rompue.
Dans ce cas, on aurait une transgression complète de l’ordre temporel.
pellicule paraît être narrée par le spectateur lui-même, qui finit par
devenir, dans son imagination, sa source discursive » (Stam,
Burgoune, Flitterman-Lewis, 1992, p.129).
108
Son approche du cinéma identifierait la présence de deux régimes pour
L’HISTOIRE EN TRANSE
aussi bien du point de vue de leur genèse que comme leur composition »
(Deleuze, 1992, p.62-3).
Le temps va alors être conçu non plus comme une ligne, mais comme un
enchevêtrement :
Ou encore
« Temps-Rhizome » :12
12
Même si Deleuze n’ait pas utilisé la dénomination temps-rhizome, nous percevons plusieurs
ressemblances entre son concept de rhizome et l’architecture de l’image-temps. Rhizome fut un concept
incorporé par Deleuze et Guattari de la botanique (« une tige en forme de racine, généralement
souterrain »), ressignifié dans le livre Mil Platôs et définit comme un système qui permettrait la
« Chez Deleuze, à l’inverse d’une ligne du temps, nous avons un
enchevêtrement de temps, au lieu d’un flux du temps, nous verrons
surgir une masse de temps, à la place d’un fleuve du temps, un
labyrinthe du temps. ... Ce n’est plus un cercle du temps, mais un
tourbillon, non plus un ordre du temps informel, plastique. ... Un
temps de l’hallucination ... un temps sans avant ni après, fluctuant,
non pulsé, Aion. Et s’il y a un horloge quelconque convenable à une
telle multiplicité, c’est une « horloge qui donnerait toute une variété
de vitesses », qui les affirmerait toutes. ... Un horloge comme
Multiplicité. ... C’est la masse du temps, un gigantesque feuilleté
ontologique, un plan des coexistences virtuelles, où le temps ne
« passe » pas, mais se conserve comme une virtualité disponible
dans tous ses points en vue d’actualisations diverses et selon les
plus insolites connexions » (Pelbart, 1998, p.20).
tracé qui allait d’une image-mouvement (tantôt action, tantôt affection, tantôt
perception) à un cinéma dominé presque complètement par des images-
coexistence de diverses connexions, dans plusieurs directions, sans la prédominance d’un centre. Cf.
DELEUZE, G., GUATTARI, F. Mil Platôs : capitalismo e esquizofrenia. Rio de Janeiro : 34, 1995. v.
1.
cristaux, visualisées surtout dans ses derniers films et, spécialement, dans
L’Âge de la Terre —,13 nous avons pris l’option de ne plus marcher dans cette
perspective.
Malgré les différences, toutes ces réflexions sur la nature du temps dans le
cinéma, de Genette à Deleuze, ont une caractéristique en commun : le fait de
ne pas se questionner profondément sur le rapport du temps interne du récit
avec le temps extérieur au texte, que celui-ci soit considéré individuellement,
par l’optique du spectateur, ou collectivement, pensé comme temps
historique. Et, dans le cas spécifique de notre investigation, il s’agissait d’une
réflexion indispensable que nous avions besoin de réaliser.
13
Feijó et Costa sont deux auteurs qui analysent le film L’Âge de la Terre à partir de la perspective
d’image-cristal de Deleuze. Cf. FEIJÓ, Martin Cezar. Anabasis Glauber – Da idade dos homens à idade
dos Deuses. São Paulo: Editora Anabasis, 1996. COSTA, Cláudio. Cinema brasileiro (anos 60-70):
dessimetria, oscilação e simulacro. Rio de Janeiro: 7 Letras, 2000.
fassions la médiation entre texte et contexte. Bakhtin le définit de la façon
suivante :
Même si Bakhtin n’a pas utilisé le concept en vue d’un travail avec des films,
on croit que la transposition est parfaitement possible. Un bon exemple de
cette opération peut être trouvé dans le livre Louge Time : Post-War Crises
and the Chronotope of Film Noir, de Vivian Sobchack, où l’auteur utilise le
concept de chronotope pour étudier, dans les films noirs de l’après-guerre, le
temps, l’espace et leurs rapports avec le processus historique nord-américain.
Bakhtin lui-même affirme que le concept peut être utilisé par-delà la littérature,
puisqu’il existe des chronotopes même dans la vie « réelle » des individus. Et,
dans une certaine mesure, les chronotopes seraient influencés par les
« réels », à l’exemple de ce qu’arrive avec le chronotope qu’il appelle le
« folklorique premier-né », en rapport avec l’organisation sociale des
communautés agricoles qui vivraient sur la base d’un temps :
117
Ses analyses des chronotopes prennent en compte donc aussi bien des
ordonnancements spatiaux et temporels internes à la structuration du texte
qu’externes, tous les deux considérés dans une logique de connexion
dialectique. Dans un sens plus ample, il existe toujours une (ou plusieurs)
instance chronotypique à présider toutes les pratiques symboliques. Ici il inclut
aussi des chronotopes spécifiques pour le lecteur-spectateur qui, en
interagissant avec le texte, crée une dimension spatiale et temporelle propre.
Tout texte, ainsi, serait « inséré dans le temps-espace de la culture .»
aux anciens. Sur ce point, convergent évidemment les critiques qui rendent
négative sa vision dialectique de l’histoire. Cette interprétation est
questionnable, dans la mesure où Bakhtin n’est pas allé jusqu’à la formulation
d’une théorie achevée des chronotopes, comme pour la plupart des questions
qu’il travailla. En général, ses idées furent exposées de façon dispersée,
fragmentée et plusieurs fois incomplète et même imprécise, y inclus en ce qui
concerne une grande variation dans la terminologie qu’il utilisait. Il avait lui-
même une conscience claire des limites de ses apports :
Il faut citer ici le travail développé, dans les années 1970, par Lagny, Ropars
et Sorlin, en rapport à Octobre, d’Eisenstein, en cherchant à investiguer la
structure temporelle construite par le film, à partir d’une lecture en même
temps historique et sémiologique. Ce travail — qui signifia, dans le contexte,
une grande avancée, dans la mesure où il chercha à construire un nouveau
119
modèle d’analyse filmique, à un moment où les alternatives se montraient
L’HISTOIRE EN TRANSE
encore très fragiles — nous a servi comme le fil conducteur, le modèle initial
pour l’approche du temps dans les films de Glauber Rocha, plus tard
retravaillé et ressignifié avec d’autres références et à partir de la logique elle-
même surgie avec l’analyse filmique des films étudiés.
***
C’est donc à partir d’un travail de recherche qui regroupe des réflexions sur
les récits historiographiques et cinématographiques que nous avons étudié les
films de Rocha. À cette fin, il nous a fallu choisir un chemin théorique parmi
quelques possibilités offertes par les chercheurs dans le domaine de l’histoire,
du cinéma et des récits, comme nous l’avons souligné dans ce chapitre initial.
Parmi les perspectives qui portent sur la relation cinéma histoire, notre travail
se rapproche davantage des études qui prennent le cinéma comme un type
de discours historique, sans oublier, toutefois, que les films sont aussi des
documents qui écrivent l’histoire et des agents du processus social. Ceci nous
a mené à discuter également les questions centrales des nouveaux débats de
l’historiographie qui appréhendent les écrits historiques comme des récits et
qui questionnent les frontières entre « fiction » et « réalité » dans l’Histoire.
Notre hypothèse de base était que les films de Glauber Rocha pourraient
apporter des contributions à ce débat, grâce à la façon dont ils traitent les
temps de l’histoire. Cette option d’ approche nous a pratiquement obligé à
étudier les conceptions du temps, que ce soit dans une perspective plus
philosophique,que ce soit dans une perspective narrative.
Comme il s’agit d’un terrain d’étude très difficile, car il met en évidence la
complexité des relations entre le texte et le contexte, nous avons repris le
concept de chronotope, construit par Bakhtin, pour nous aider dans notre
tâche. C’est donc à partir de la recherche sur les chronotopes dans les films
de Rocha que nous avons étudié la conceprtion du temps et, par conséquent,
l’histoire des discours. Ce choix ne nous a pas empêcher d’utiliser, de façon
ponctuelle, la contribution d’autres chercheurs. 120
L’HISTOIRE EN TRANSE
Glauber Rocha entre Labyrinthes
121
L’HISTOIRE EN TRANSE
Traits d’une histoire ...
Si chaque film est le fils de son temps, en paraphrasant Lucien Febvre, dans
des cas particuliers, comme celui de la filmographie brésilienne des
décennies de 1960 et 1970, cette réalité est encore plus évidente, étant
donné que le projet esthétique en jeu avait comme but majeur un engagement
politico-social de l’art, impulsé par un contexte international et brésilien en
effervescence créative. Produire du nouveau, esthétiquement et
politiquement, était le mot d’ordre de ces cinéastes. Et le nouveau s’ouvrait
comme la possibilité de mettre dans les écrans l’image d’un Brésil ignoré
aussi bien par l’historiographie traditionnelle que par la culture officielle. Un
Brésil dont les « vraies » origines, encore inconnues par la plupart de la
population, devaient être cherchées dans la culture populaire et dans l’histoire 122
présentait comme étant le meilleur chemin pour que l’on puisse penser une
société future différente, plus démocratique et moins oppressive.
Pénétrer dans cette culture et dans cet imaginaire, vécu et ressignifié par le
Cinéma Nouveau, fut donc une nécessité pour ceux qui voulaient investiguer
les signes produits par les cinéastes, parmi lesquels Glauber Rocha. Nous
avons réalisé cette immersion tout le long du processus de construction de ce
travail, à travers la lecture de textes d’historiens et sociologues, de documents
écrits, de l’analyse de l’art et de la culture populaire, et de la convivialité
même avec quelques-unes de ces réalités qui, comme elles ne se sont
transformées que très peu, elles présentent encore des traits de persistance
de nos jours. Évidemment, il ne s’est pas agit d’une étape isolée du travail.
Elle ne fut rendue possible que par le croisement parallèle que l’on a fait des
différentes questions apportées par d’autres multiples discours et présentées
dans les films eux-mêmes, le noyau articulateur de cette immense chaîne.
À cela il faut ajouter le fait que cette thèse est en train d’être construite en vue
d’un public français, qui na pas de familiarité avec plusieurs des questions
mises en discussion par les films de l’époque, qui supposent souvent des
spectateurs familiarisés avec une culture et histoire locales.
Ces particularités mettent à jour le besoin d’avoir ici un espace pour apporter
au lecteur un peu de cet univers, dans ce que nous considérons le plus
important pour ce travail. Nous en profiterons donc pour ponctuer rapidement
quelques éléments de la biographie du directeur, qui sont significatifs pour
l’entendement de l’œuvre de Glauber Rocha.
123
L’HISTOIRE EN TRANSE
Le Chronotope de Glauber : du Sertão vers le Monde
vécu par Rocha pendant son enfance et le début de son adolescence, ainsi
L’HISTOIRE EN TRANSE
celui d’un temps circulaire, situé dans une logique fataliste et divine, où il y a
peu de changements au cours d’une vie. C’était comme si tout marchait
toujours dans la même direction, selon le destin que le Seigneur avait tracé,
aidé et protégé par des hommes comme Conselheiro, Padre Cícero et
Lampião. Un temps très éloigné de celui pensé (par la bourgeoisie, par les
gouvernants et par l’intellectualité) pour le projet de modernisation brésilienne.
Ce choc de conceptions de monde et de temporalités serait un des objets
centraux du Cinéma Nouveau et, d’une façon plus profonde, des films de
Glauber Rocha. Nous verrons ci-après comment presque tous les films de
Rocha sont structurellement marqués par la dispute entre l’«archaïque» et le
«moderne», la «tradition» et la «civilisation», entre « mythe » et «histoire»,
entre le São Jorge et le Dragon dont les contradictions, jamais résolues dans
son œuvre, font irruption dans un projet de monde dont l’identité ne peut être
comprise qu’à partir d’un regard non cartésien, qui permette la convivialité de
l’être et du non-être, de l’être en deux espaces en même temps, comme nous
détaillerons dans le chapitre suivant. Étions-nous dans une réalité où le
langage de l’art et des sciences traditionnelles ne seraient plus à même de
formuler des représentations cohérentes? Tel que dans la physique
contemporaine, qui constate que la réalité est beaucoup plus complexe que
les signes qu’elle possède pour se faire représenter? Ou tel que dans la
maxime shakespearienne selon laquelle il y a plus de mystères entre le ciel et
la terre que ne songe notre vaine philosophie? C’est oui, d’après notre
hypothèse. C’est-à-dire que le discours produit par Rocha était au-delà de son
temps, à travers la création d’un art dont la vision du monde ne commence à
être conçue que de nos jours par les théories de l’art, de la connaissance et
de l’histoire.
orateur d’églises, mais cette option fut écartée par l’adoption de ce que nous
pourrions nommer « athéisme crédule .» C’est de ce désir qui s’est
développée une verve d’orateur qui accompagna Rocha jusqu’à ses derniers
jours. Même s’il s’avouait athée, on peut percevoir dans son œuvre et vie la
présence d’un fort esprit religieux, qui mélangeait une base protestante, avec
des racines historiques des religions afro-brésiliennes et catholique, outre un
imaginaire judaïque qu’il avait l’habitude d’incorporer. La Bible fut toujours son
livre de chevet et son icône populaire était saint Georges (ou Ogum, dans la
tradition du candomblé). Sa trajectoire troublée était habituellement vue par
lui-même comme une espèce de pérégrination. Dans certains entretiens,
Glauber faisait référence à ces questions de façon directe :
14
Interview à Lurdes Gonçalves, publiée dans le journal Tribuna da Imprensa,16 juin 1978.
15
Isto É, 11 mai 1977.
d’adhésion qui privilégie », dans les représentations à caractère religieux,
« une positivité quasi absolue, qui les rend ‘intouchables’ car témoin de la
résistance culturelle devant la domination et affirmation essentielle de
l’identité .» De symbole de l’aliénation à icône de résistance, la religiosité
gagne un nouveau visage dans les films brésiliens, y inclus ceux dirigés par
Glauber Rocha à partir d’Antônio das Mortes, où la transformation sociale
serait impulsée par la figure de la Sainte. S’ouvrait donc pour Rocha la
possibilité de réaliser une lecture du monde et de l’histoire marquée de façon
plus directe par la religiosité.
Un autre fait de l’histoire de vie de Rocha, qui eut lieu pendant son enfance et
que nous considérons relevant à être souligné ici, se réfère à une fatalité qui
toucha un membre de sa famille : un de ses cousins fut tué, près de sa
maison, par un tueur à gage (« matador de aluguel ») appelé Antônio
Pernambucano, plus connu comme Mata-Vaca (Tue-Vache). Il s’agissait d’un
« crime sur commande », comme on nommait les assassinats commandés
par des raisons diverses dans le Sertão, comme les disputes politiques,
amoureuses, les dettes financières, le manquement au respect familier, la
violation de la morale, assez courants à cette époque-là, quand la plupart des
problèmes étaient résolus « à la balle » ou « au couteau », avec la protection
ou la bienveillance des autorités locales. Même s’il s’agissait d’un parent pas
très proche, l’événement resta dans la mémoire de Rocha, qui allait
reproduire la figure de l’assassin, des années après, dans la caractérisation
d’un de ses personnages les plus célèbres : Antônio das Mortes, présent de
façon explicite, dans deux de ses films : Le Dieu Noir et le Diable Blond et
Antônio das Mortes. Et aussi dans Antônio das Mortes il donnerait le nom de
l’assassin à un des jagunços (hommes de main) du Colonel Horácio.
128
Émerge ici une autre question clé pour la compréhension des discours de
L’HISTOIRE EN TRANSE
Rocha : la mort comme l’autre moitié de la vie, comme le lien subjectif pour
penser le rapport entre passé, présent et futur, comme indiqué par Heidegger
lui-même. Cette question serait reprise, de manières distinctes, dans tous ses
films et, plus profondément, dans Terre en Transe. La mort ferait encore
partie de l’adolescence de Rocha dans deux événements : l’accident survenu
à son père, quand Glauber avait 9 ans, qui toucha son crâne, en
compromettant son raisonnement, comportement et socialisation pour le reste
de sa vie. Avec les économies laissées par le père, la famille déménage pour
la capitale de Bahia, où madame Lúcia commencera à travailler pour nourrir
les enfants et le mari, presque complètement dépendant. S’il est vrai que l’on
n’est pas devant une mort physique, à ce moment-là meurt la figure active et
présente du père. Une mort peut-être encore plus marquante, dans la mesure
où elle oblige à une ressignification des rôles familiaux, y inclu celle de
Glauber lui-même, comme aîné. Raquel Gerber, en analysant l’œuvre de
Rocha, prend ce fait comme fondamental pour l’entendement de ses films,
dans la mesure où son analyse est basée sur un instrumental
psychanalytique, où la figure du père est extrêmement significative. Son
analyse se concentre dans la présence du complexe d’Œdipe à travers les
rapports manifestes des personnages des films du directeur, spécialement
dans deux d’entre eux : Le Dieu Noir et le Diable Blond et Terre en Transe,
tous les deux, d’après l’auteur, en articulant dans ses récits, la problématique
de la « mort du père » (Gerber, 1982). Sans vouloir approfondir cette
question, nous souhaitons, en apportant le discours de Gerber, seulement
souligner la relevance de la question mort / vie, que de nouveau apparaissait
dans l’enfance de Rocha, avec le décès prématuré de sa sœur, Ana
Marcelina, victime d’un cancer, à l’âge de cinq ans. Ce fait serait fondamental
pour l’affirmation de la mort dans l’imaginaire de Glauber, représentée à
travers ses écrits, ses paroles et, surtout, ses films.
Bahia dans ce contexte-là, accrue par un goût accentué pour la lecture, pour
les arts et pour la philosophie, qui n’était pas ordinaire dans la formation
bahianaise. Une lettre adressée à un de ses oncles, quand il avait 14 ans,
montre un peu la vie intellectuelle de Glauber à ce moment-là. Dans la lettre, il
indique ses préférences littéraires (Dickens et Stevenson, Edgar Allan Poe et
Rudyard Kipling, Jorge Amado et Érico Veríssimo) et philosophiques (en
citant textuellement Schopenhauer et Nietzsche, et en faisant référence à la
philosophie d’Aristote, Platon, Socrate, Bacon, Spinoza et Voltaire). Il fait
aussi référence au cinéma, terrain dans lequel il commence déjà à faire une
distinction entre des films commerciaux et d’art. Sur ces derniers, parmi
lesquels il citait ceux de Chaplin et Jean Cocteau, il affirmait qu’ils laissaient
« une certaine impression dans notre esprit ... chacun cherchant à soutenir
une philosophie à travers le septième art .» Le plus intéressant c’est qu’il
annonce déjà une des caractéristiques les plus marquantes qui sera la sienne
en tant qu’artiste : son indépendance intellectuelle : « je ne suivrai jamais le
point de vue de celui-ci ou de celui-là » ... « j´aurai ma propre philosophie »,
disait le môme Glauber. Un autre point de la lettre aussi intéressant se réfère
à son déclaré et intense « amour pour les choses du Brésil », qui
l’accompagnera et sera incorporé à son projet cinématographique. 16
Son intérêt plus direct pour la poésie, pour le théâtre et ensuite porr le cinéma
apparaissent très tôt, à l’âge de 5 ans, quand il déclamait déjà des vers de
Castro Alves. 17 Il allait chaque semaine au cinéma de Vitória da Conquista,
où il aimait regarder surtout les « films de cowboy .» À « 8 ans ... il utilisait des 130
16
Lettre à l’oncle Wilson Andrade, Salvador, 15 janvier 1953.
17
Renommé poète romantique bahianais, le poète majeur de l’abolition de l’esclavage brésilien.
na Bahia (Far-West à
Bahia). Encore
adolescent, il fréquenta
pendant quelques mois le
Círculo de Estudo,
Pensamento e Ação
(CEPA) — Cercle d’Étude,
Pensée et Action —,
institution anti-
communiste et
intégraliste, alors dirigée
par un intellectuel
conservateur appelé
Germano Machado.18
Plus tard, il commença à
écrire de petits scénarios
et à participer à des
activités culturelles estudiantines. Trois parmi ces activités méritent d’être
soulignées : Glauber Rocha a écrit une pièce de théâtre appelée « Le rêve de
Séfanu », dont l’intrigue se centrait autour des conflits permanents d’un
personnage mystique (Séfanu), troublé par les disputes des forces du Bien X
Mal, le même conflit revécu par plusieurs autres personnages de Glauber; la
création de la revue Mapa, en 1954, et l’activité nommée As Jogralescas,
quand Glauber débute le processus qui le conduira au cinéma. Il s’agissait de
la mise en scène de poèmes lyriques, plusieurs d’entre eux liés au
mouvement moderniste brésilien, réalisée dans le Colégio Estadual da Bahia
(Central) — Lycée de l’État de Bahia —, en 1956, qui attira l’attention de la
131
société bahianaise, à cause de son caractère ironique et sarcastique par
L’HISTOIRE EN TRANSE
18
L’intégralisme fut un mouvement politique brésilien, surgit dans les années 1930/40, aux tendances
fascistes.
quoique avec des orientations distinctes. Reste aussi, de ce moment-là, une
marque propre de la littérature moderniste, spécialement dans son versant
oswaldéenne et anthropofagiste. 19 C’est exactement à partir de la continuité
du travail développé auprès du Colégio Central que Glauber a débuté dans le
monde du cinéma.
19
Oswald de Andrade fut un poète, romancier et dramaturge du modernisme brésilien et le créateur du
mouvement anthropophagique, attaché à la « dégustation » de l’influence étrangère par l’art brésilien
se dissoudre devant l’importation d’habitudes internationales; avec le
processus de décadence de l’économie agraire traditionnelle et une
industrialisation accélérée dans les principaux centres urbains, débute un
mouvement d’exode rural et de gonflement des grandes villes; une classe
ouvrière commence à se former; petit à petit, non sans disputes, les anciens
colonels commencent à perdre leur force politique et économique; etc. C’est
ce processus historique et culturel que les films du cinéma porteraitent aux
écrans, en prenant comme locus exemplaire l’espace du Sertão, une région
qui, selon la sociologie de l’époque, aussi bien dans sa version critique que
nationale-développementiste,20 paraissait comme une synthèse des
contradictions historiques brésiliennes, surtout quand on considère l’espace
rural, placé par l’idéologie gouvernementale comme pôle opposé aux centres
urbains, de vrais noyaux de développement du pays.
l’industrialisation pétrolière.
Getúlio Vargas et au deuxième elle déboucha dans le coup d’état réalisé par
les ailes les plus conservatrices du pays, avec l’appui du capital international
21
NOVA, Cristiane, NÓVOA, Jorge. Carlos Mariguella: o homem por trás do mito. São Paulo:
UNESP. 1999.
et de la bourgeoisie brésilienne elle-même, apeurée avec la possibilité d’une
révolution.
Ce fut dans la chaleur de tous ces événements que le Cinéma Nouveau surgit
et que Glauber Rocha commença à produire. À Bahia, stimulé par le contexte
régional de l’effervescence culturelle, surgirent les premières manifestations
du mouvement, sous le leadership du jeune Rocha.
Tout de suite après son entrée à la faculté de droit, qu’il ne finirait pas,
Glauber Rocha fonda une coopérative de production cinématographique,
appelée « Iemanjá .» Ensuite, il participa à une autre : « Iglu Filmes .»
Parallèlement, il commença à voyager à travers le Brésil en établissant des
contacts avec d’autres jeunes cinéastes et à écrire pour plusieurs journaux. Il
participa des premières productions du cinéma bahianais : Redenção 136
(Redemption), A grande feira (La grande foire), Um dia na rampa (Un jour sur
L’HISTOIRE EN TRANSE
137
L’HISTOIRE EN TRANSE
22
Le Mouvement Concrétiste a surgi au Brésil dans les années 50, mené par les poètes Augusto et
Haroldo de Campos et Décio Pignatari réunis autour de la revue "Noigrandes". Dans la fin des années
50, le mouvement se divise et une nouvelle tendance apparait à Rio de Janeiro, avec la participation de
Ferreira Gullar. Ce Mouvement s’inspirait d’une tradition constructiviste qui avait comme paramètres
l’avant-garde française, le néoplasticisme de Mondrian, les conceptions esthétiques de Theo Van
Doesburg, les propositions de Max Bill et de leur compagnons de l’École d’Ulm. Leur but était de
chercher de nouvelles formes d’expression artistique et de nouveaux langages de communication.
23
À la fin des années 1950, Rocha écrivait pour le Diário de Notícias, Diário da Bahia et Jornal do
Brasil. Dans la revue Ângulos, ses articles se trouvent dans les numéros suivants : 12, 13, 14, 15 et 17.
« la fabulation de Glauber construit des personnages et des
situations qui n’autorisent pas une interprétation linéaire. L’auteur
n’a pas la préoccupation de systématiser un récit. Ses contes,
marqués par un accent surréaliste, autorisent une stylisation
cinématographique, étant donné que la succession d’images ne
crée pas un récit en continuité ... sa tonique c’est montrer les
conflits de l’humain devant des moments-limite » (Ventura, 2000,
p.50).
24
ROCHA, Glauber. O Pátio. Jornal do Brasil, Rio de Janeiro, 29 mars 1959, Suplemento Dominical.
une rencontre sexuelle métaphorique, sublime, entre le « mâle » et la
« femelle », « comme le plaisir de la chasse, sans avant ou après »,25 pour
ainsi rompre avec les schémas traditionnels de perception et proposer une
nouvelle imagétique, où les images et les sons s’inscrivissent dans une
temporalité propre, détachée du monde extérieur, dans un « circuit toujours
virtuel des subjectivités, des temporalités qui constituent la logique
multissensible de l’image » (Costa, 2000, p.44).
Le film n’a pas eu un grand succès, mais il fut important pour que Rocha
puisse se lancer dans le scénario cinématographique brésilien. Peu après, il
débuta un autre projet, en faisant suite à ses réflexions sur un cinéma
concrétiste, à travers le filmage de La Croix sur la Place. Le film se concentre
autour d’un personnage persécuté par le désir homosexuel et tourmenté par
la faute et par des icônes religieuses, qui circulent à l’entour du Crucifix de
saint François, dans un scénario d’architecture assez baroque. L’histoire
commence par une scène où deux personnages sont en train de prier dans
l’église et l’un d’eux s’excite avec l’autre et lui arrache le phallus. Dans ce
sens, à travers la castration, on vit la mort de la virilité et du désir réprimé
d’une sexualité mal résolue, à cause de la culpabilité originaire du moralisme 140
catholique. Toutefois, La Croix sur la Place, qui serait le premier film brésilien
L’HISTOIRE EN TRANSE
25
ROCHA, Glauber. O Pátio. Jornal do Brasil, Rio de Janeiro, 29 mars 1959, Suplemento Dominical.
Glauber fait une critique de Terrasse qui, en se maintenant prisonnier d’un
formalisme strict, se plaçait, dans ce contexte historique-là, comme une
œuvre réactionnaire. La perspective esthétique de Glauber va alors donner un
saut de 180° dans la direction d’art complètement engagé et qui cherche
prioritairement à penser la réalité brésilienne. Dans une première analyse, ce
serait comme si l’on passait d’un art qui subordonne complètement le réel
vers un art entièrement subordonné à lui. Le plus étonnant c’est que ce
déplacement radical de positions se réalise dans un intervalle de temps très
court, quelques mois seulement. Mais une critique plus précise nous montre
qu’il existe des séries de nuances qui changent l’aspect radical de cette
opposition. L’analyse même de films comme Terrasse et Barravento, les plus
grands représentants de cette polarité, nous montrent qu’il existe un dialogue,
dans tous les deux, entre réalité et esthétique, qui serait exploré plus
profondément dans ses autres films.
Nous avions créé, dans nos analyses initiales, un tableau pour représenter le
rapport entre ces deux pôles le long de ses films, étant donné que d’une
conception formaliste, dans Terrasse et La Croix sur la Place, Glauber va vers
une perspective de cinéma engagé dans Barravento, en réalisant, après cela,
un processus qui s’approcherait de plus en plus du formel, sans toutefois
exclure le social. C’était comme si, à partir de Le Dieu Noir et le Diable Blond,
il avait réussit le saut qualitatif, la synthèse dialectique entre deux postures
opposées, rendue chaque fois plus complexe dans la mesure où des
transformations sociales prenaient corps au Brésil et dans le monde. Mais
ensuite j’ai pu percevoir que l’entendement de ce processus devrait être
distinct d’une logique dialectique, dans la mesure où il ne devenait intelligible
que conçu dans la perspective d’une tension permanente entre des éléments
qui sont et ne sont pas dans deux endroits en même temps — comme les 141
L’HISTOIRE EN TRANSE
Et ce serait alors dans la tension permanente entre ces deux pôles — jamais
en fait résolue — qui se concentrerait la richesse de l’œuvre de Glauber
Rocha. Une telle tension dont la métaphore majeure serait l’état de transe lui-
même, présent dans tous ses films et de façon plus aiguë dans Terre en
Transe, qui fonctionne, dans la filmographie de Glauber, comme un nœud,
lieu de transit entre un déplacement qui va du plus formel au plus engagé, à
un déplacement dans le sens inverse. Mais la transe se trouvait déjà présent
dans ses œuvres depuis Terrasse. Dans une des séquences du film, quand le
personnage mâle se lève de l’échiquier, nous avons l’idée qu’il est dans un
état de transe, le montage évoquant tantôt la mer tantôt le ciel. Il met la main
sur la tête comme si quelque chose le tourmentait. Un bruit de coup de
symbale accompagne la scène.
Le Premier Barravento
Mais au-delà des motifs, l’incident avait été créé et un problème était instauré.
Comme producteur, Glauber a même invité d’autres cinéastes pour diriger
Barravento, parmi lesquels José Teles de Magalhães, alors l’assistant de
direction de Luís Paulino, et Roberto Pires, qui avait dirigé un autre long-
métrage à Salvador de Bahia : Bahia de Tous les Saints. Ils ne l’ont pas
accepté et Glauber fut pratiquement obligé de prendre la direction du film,
devant la possibilité d’interruption du travail, à un moment où peu étaient ceux
qui pariaient à la réussite de l’entreprise de faire du cinéma à Bahia. Arrêter le
projet aurait signifié l’attestation de l’échec d’un groupe, ce qui serait très
mauvais pour les rapports futurs avec les financiers qui avaient cru à 143
26
La plupart des propos pointent les raisons d’ordre personnel, mais quelques-uns soulèvent que ce fut
la question idéologique vraiment décisive (Gatti, 1985).
27
ROCHA, Glauber. Lettre à Walmir Ayala, sans date. Disponible sur l’Archive Tempo Glauber.
par Juracy Magalhães.28 Il n’existent pratiquement pas de sources écrites qui
documentent la phase de production du film, sauf un feuillet de divulgation
dont nous analyserons le contenu ci-après. Les faits ne purent être retrouvés
qu’à travers des propos de ceux qui ont vécu le moment (Gatti, 1985).
Ce fut donc dans ce contexte perturbé que Rocha assuma la direction du film.
Avec des ressources très limitées, dans des conditions d’infrastructure très
précaires, les filmages se poursuivirent,
mais le film prit une direction très distincte
du projet originel. Glauber réaliserait une
modification radicale dans le scénario initial,
en introduisant de façon centrale une
approche sociale et politique sur
l’exploitation dans laquelle vivaient les
habitants de la région, en soulignant la
question de la religiosité, vue comme une source d’aliénation et de passivité.
L’équipe était composée par des acteurs et des techniciens locaux, à
l’exception du photographe, Tony Rabatony, qui venait de São Paulo et dont
le salaire était plus élevé que celui de tout le reste de la production. La plupart
des personnages du film n’était pas représentée par des acteurs
professionnels, mais par des individus que composait la population locale elle-
même où le tournage fut réalisé.
28
Juracy Magalhães fut gouverneur de l’État de Bahia au début des années 1960, moment de l’apogée
des contradictions sociales qui conduisirent au coup d’état de 1964. Avant le coup d’état, il était un
homme politique qui présentait un discours de centre-gauche, de soutien au gouvernement fédéral et du
développement autonome de Bahia. Toutefois, quand éclata le coup d’état, il se place aux côtés des
secteurs militaires qui avaient pris le pouvoir et qui débuteraient une persécution politique des résistants
probables : les communistes, les syndicalistes, etc.
29
Buraquinho, bien qu’administrativement localisé dans une ville voisine est aujourd’hui devenu pratiquement um
quartier de Salvador, habité par la classe moyenne qui cherche à s’éloigner du centre urbain.
grande partie de la production.30 Le film présente une structure circulaire,
construite à travers un récit linéaire. D’abord, on a une situation d’équilibre
d’une population qui vit « en harmonie » avec un état de précarité et
d’exploitation, embarrassée dans des pratiques sociales et religieuses
partagées par le groupe. Cet équilibre est rompu par Firmino, un habitant du
village qui avait migré à la ville et qui revenait à ce moment-là, en apportant
avec lui de « nouvelles idées » qui allaient perturber le groupe. Malgré le fait
que Firmino était originaire de la
communauté, on perçoit que le temps de
son absence l’a beaucoup transformé.
Firmino se présente pendant tout le film
comme quelqu’un de différent des autres
et qui, du fait de cette différence, réussit à
percevoir l’exploitation dans laquelle vit la
population du village. Depuis son arrivée,
toutes ses actions sont dirigées de
manière à faire en sorte que les habitants
de Buraquinho acquièrent laconscience de
l’état de misère dans lequel ils vivent, de
l’exploitation qu’ils subissent et prennent
une attitude dans le sens de transformer la situation. Ses actions, au lieu
d’engendrer un processus de conscientisation de l’ensemble de la population,
finissent par transformer seulement Aruã, un des personnages qui pour
devenir différent, finit par être obligé de quitter la communauté, en répétant
l’action passée de Firmino; celui-ci disparaît à la fin du film. C’est ainsi que
dans les derniers moments du récit, on voit la communauté revenir à l’état
d’harmonie où elle se trouvait au début. Non pas par hasard, la scène finale a
145
lieu exactement au même endroit où le film commence : à la plage, sous un
L’HISTOIRE EN TRANSE
phare, qui maintenant acquiert une signification importante, comme l’a bien
indiqué Maria do Socorro Carvalho, qui a étudié le film (Carvalho, 1999). De
30
La communauté de pêcheurs représentée dans Barravento existait en réalité. Elle partageait les
pratiques sociales et symboliques apportées par le film. Plusieurs des adjuvants qui jouèrent dans le
film étaient des habitants du village.
simple composant de paysage, le phare se transforme en un signe
d’espérance, d’illumination d’un avenir encore prometteur, représenté par
Aruã. De là l’idée que, même en faisant un mouvement circulaire, le film ne
proposerait pas à la fin une situation identique à celle du début :
L’heure de la transformation totale n’est pas encore arrivée, mais un pas avait
été donné. Celle-ci c’est la logique montrée par le film, d’après Carvalho, qui
analyse ce final « ouvert » comme une option consciente claire de l’auteur, qui
souhaitait imprimer un « sens éducatif aux événements narrés ».
Dans des lignes générales, c’est cela la base de l’intrigue de Barravento qui,
même s’il apparente une structure simple et linéaire, quand il est analysé plus
profondément, pointe des questions qui rendent le discours beaucoup plus
complexe que ce que l’on imagine. Nous analyserons ensuite quelques
éléments essentiels de la problématique de Barravento.
Commençons par les cartons initiaux du film, qui servent pour situer les
spectateurs quant à l’histoire qui sera racontée. Nous les citons intégralement
car nous les considérons comme importants pour notre argumentation :
C’est-à-dire qu’on affirme de suite l’idée selon laquelle Firmino est vraiment
149
dans la contravention et est cherché par la police. L’usage du terme « came »
L’HISTOIRE EN TRANSE
indique qu’il serait lié à la contrebande de produits illégaux. Mais il dit cela
comme s’il s’agissait de quelque chose de positif, ce qui est confirmé par la
31
Le mot malandrin ou “fainéant” (“malandro”), en portugais du Brésil, se réfère à l’individu qui vie de
petites contraventions, où il cherche toujours à avoir des avantages des situations. Dans le dictionnaire,
parole postérieure d’un des pêcheurs : « Laisse tomber, Firmino ... Tu ne vas
pas raconter tous tes avantages d’une seule fois ». La contravention apparaît
donc, ici, comme un « avantage ».
Son ambiguïté est accentuée par les actions mêmes qu’il développe le long
du film, qui vont du discours verbal jusqu’à des actes de destruction des outils
de travail des pêcheurs (Firmino déchire le filet de pêche du village), ou au
150
recours à des procédés religieux ou mystiques (des prières à des saints,
L’HISTOIRE EN TRANSE
un des signifiés du mot est décrit de la façon suivante: “homme canaille, vaurien, individu sans parole”.
(Dicionário Aurélio Eletrônico)
solutions et non pas dans les instances proprement politiques d’action. En
outre, dans la mesure où le film se déroule, les actions de Firmino deviennent
plus autoritaires, opportunistes et anti-éthiques, ce qui le rend
progressivement antipathique du point de vue du spectateur, même si de
telles actions sont justifiées politiquement dans le discours verbal lui-même de
Firmino. Se développe donc une contradiction entre les buts politiques de
Firmino et les moyens qu’il utilise, ce qui finit par compromettre la crédibilité
elle-même de son « projet ». Sa relation avec Cota, pas bien définie dans le
film, exemplifie cette posture opportuniste. Le film passe l’idée qu’il est avec
elle seulement pour que ses buts soient atteints plus facilement.
C’est autour de ces deux personnages que toute l’intrigue est construite. Au
début, Firmino se trouve au centre de la trame. La perspective et
l’encadrement de la caméra le placent toujours au premier plan. Aruã apparaît
comme son rival. L’encadrement le met en relief dans cette position : le pôle
opposé à Firmino. Déjà dans le plan 31 cela devient apparent, quand Firmino
arrive sans être attendu au village, en sautant dans le cercle de pêcheurs. Il
saute par-dessus un morceau de bois où quelques hommes sont assis, le dos
tourné vers la caméra, fait un saut et se tourne. Il commence à parler et à
gesticuler, en se plaçant dans la portion centre-gauche du cadre. Aruã est
assis sur l’autre bout du bois, tourné vers la caméra. Toujours dans le même
plan, il se lève et, débout, occupe la portion centre-roite du cadre. Tous les
deux se détachent des autres. La symétrie des deux est complète. Aruã tient 151
tête à Firmino et essaie de l’écarter des pêcheurs : « Laissez tomber ce mec,
L’HISTOIRE EN TRANSE
les gars. Firmino a déjà gagné sa vie. Vous ne le voyez pas par ses
vêtements ? ». Firmino rétorque et est momentanément le vainqueur. Aruã
quitte le champ et laisse Firmino au centre, qui domine les prochains plans et
conduira les pêcheurs pour boire de la cachaça et raconter des histoires.
Débute une dispute pour le pouvoir entre les deux qui s’intensifiera le long du
film.
Et dans ce duel contre Aruã, Firmino n’a pas hésité à chercher l’aide dans le
mysticisme lui-même que son discours avait condamné. Il est allé à la cour
(terreiro) pour préparer un « travail » pour Aruã, mais il fut éconduit par la
mère-de-saint. Il alla chercher un autre représentant religieux, Père Tião, dont
l’image n’apparaît pas et dont l’origine et affiliation spirituelle ne sont pas
éclairées. Cette recherche de la religion pour la solution des problèmes de
Firmino marque, beaucoup plus qu’une incohérence seulement du 153
L’HISTOIRE EN TRANSE
154
L’HISTOIRE EN TRANSE
Tout cela configure un grand paradoxe. Trois discours réalisent une critique
ouverte et directe à la religiosité populaire, en la caractérisant comme l’opium
du peuple et comme cause de la passivité politique — le texte initial du film,
les paroles de Firmino et la voix de l’intellectuel de gauche. Ces discours
engendrèrent une série de critiques au film, vue comme réductionniste quant
à l’interprétation de la religion par des mouvements religieux et de rachat de la
culture populaire et par certains secteurs des sciences sociales. Néanmoins,
certaines analyses plus détaillées de Barravento, à l’exemple des études
textuelles réalisées par Ismail Xavier et José Gatti, montrent combien cette
interprétation de l’approche religieuse du film est superficielle. Ces analyses
montrent à quel point Barravento, aussi bien dans sa structure narrative que 155
32
ROCHA, Glauber. Luz Atlântica. Manuscrito. Salvador, 1961.
« En analysant avec plus de soin le film Barravento, je me suis
aperçu à quel point la lecture marquée par le contenu « critique à
l’aliénation religieuse » était sélective, pouvant seulement rendre
compte de certains aspects de la trame et d’une partie des
dialogues, en minimisant les problèmes posés par la composition de
l’image. Était claire la présence d’un style de montage qui, associé à
une utilisation particulière de la caméra et à un mouvement
chorégraphique des figures humaines, établit des rapports de telle
nature que cette interprétation est mise en échec. Elle ne rend pas
compte du film dans sa complexité de parcours et écarte des
éléments dont la présence, non seulement épisodique, est
fréquente le long du film. Après cette constatation, il est devenu
difficile d’assumer Barravento comme un discours univoque sur
l’aliénation des pêcheurs dans leur misère ». (Xavier, 1983, p.19).
156
L’HISTOIRE EN TRANSE
Et c’est à partir de cette ligne de pensée que Xavier va définir la fonction de
Firmino dans le film comme celle d’« un authentique Exu », qui serait
descendu à la Terre pour réaliser une mission porteuse de messages. Même
si au début Firmino a une personnalité humaine,
157
Mais l’analyse du film nous
L’HISTOIRE EN TRANSE
Jean-Claude Bernadet projète ses idées dans une autre direction. D’après sa
thèse principale, Barravento, mieux que tout autre film réalisé jusqu’alors,
avait fait émerger un des problèmes centraux de la discussion politique
brésilienne dans ce contexte-là : la supposée nécessité d’un leader politique
pour la résolution des problèmes sociaux et économiques de la nation. Selon
Bernardet, Firmino représenterait ce leader qui, comme un élément extérieur
à la communauté de Buraquinho, envahit le village pour résoudre, « par la
force », les problèmes d’une masse considérée comme incapable d’agir
indépendamment. Dans ce sens, le film indiquait une solution politique
« élitiste » et réactionnaire, caractéristique d’une idéologie populiste et petite-
bourgeoise, dans un traitement qui finit par vider et éclipser le peuple. Ainsi, 158
L’HISTOIRE EN TRANSE
d’après Bernardet,
était encore très timide, ce qui faisait qu’elle maintenait ses racines et
traditions.
Cette perspective documentaire est mise en relief aussi bien par le discours
extra-diégétique inséré dans le texte initial du film, que par les producteurs.
Mais comme presque tout en Barravento, il ne s’agit pas d’une perspective
univoque. La même ambiguïté devant la question de la religiosité est aussi
retrouvée dans la discussion sur les possibilités de réalisation d’une lecture
que le film fait de la réalité, par le biais documentaire ou poétique. Barravento,
comme nous avons déjà esquissé dans l’analyse du texte initial du film, en
même temps où il se place comme un document fidèle de la réalité matérielle
et symbolique du Brésil, de Bahia et de la communauté de pêcheurs de
Buraquinho, réaffirme tout le temps sa condition d’œuvre qui recrée cette
même réalité et qui donc s’éloigne du lieu d’« épreuve » que le « document
fidèle » exigerait.
Mais les traits documentaires ne peuvent pas être niés. Ils ponctuent toute
l’œuvre. Barravento est un des premiers films brésiliens où il n’y a
pratiquement que des noirs à jouer et qui décrivent les coutumes religieuses
afro-brésiliennes. Le film lui-même peut être vu comme le résultat d’une
recherche des traditions religieuses bahianaises et de leurs expressions de
rituels, outre l’exploration quasi anthropologique d’une réalité présente au
Brésil depuis des décennies. Il faut souligner que pendant la production eut
lieu un contact intensif avec la population du village de Buraquinho, qui put
apporter au film plusieurs de ses vraies coutumes et croyances.
spécialement des films Entre la Mer et le Tendal et Xaréu, qui abordent aussi
la vie de communautés de pêcheurs et dont la bande-son est très semblable à
celle de Barravento (Gatti, 1985).
Cette perspective documentaire du film apporte avec soi d’autres
problématiques qui se révèleraient centrales dans les discussions du Cinéma
Nouveau. Devant une réalité aussi complexe et contrastante, à la géographie
aussi ample, quoi rendre prioritaire dans la représentation de la réalité? Et de
quelle façon réaliser cette représentation? Comment montrer la réalité et la
culture d’un « peuple » aussi hétérogène que le brésilien? Quel Brésil
privilégier? L’urbain ou le rural ? Quelle culture privilégier? Celle de la tradition
populaire ou la culture urbaine en développement?
BARRAVENTO!!
Après l’abolition de l’esclavage, les noirs brésiliens continuèrent
d’une certaine façon des esclaves. Principalement ceux qui ont
choisi certains métiers de dépendance économique. Comme les
pêcheurs, par exemple. « BARRAVENTO » traite de ces problèmes,
des problèmes de ces hommes. Il prétend être un récit fidèle du
« modus vivendi », excessivement pauvre il faut-le dire, de ceux qui,
dans le littoral de Bahia, retirent de la mer leur subsistance et sont
exploités de tous les côtés, aussi bien par les intermédiaires que par
la charlatanerie, ainsi que (et ici l’aspect le plus connu) par un
mysticisme inconséquent et apathique, sous la régence du
déterminisme, fruit de l’ignorance et d’une tradition mal dirigée.
Nous savons que beaucoup de gens préfèrent des films montrant 162
des aspects positifs de la ville et du pays. Une partie du public
demande les images de l’Ascenseur Lacerda, des nouveaux
L’HISTOIRE EN TRANSE
Barravento utilise donc le mysticisme lui-même, rendu sensuel par les images
et les sons, pour créer des images qui sont souvent vues à partir de la
perspective de l’exotique, si critiquée. Sa répercussion internationale
apporterait beaucoup ce genre de regard. Ce genre de « valorisation de la
culture populaire », qui ne rompait totalement pas d’aucune manière avec les
modèles du cinéma de l’époque, était justifiée « comme une façon de
s’approcher des couches les plus pauvres de la population ». Ce serait un des
points de base d’éloignement de Barravento avec les autres films de Glauber
et, spécialement, avec sa production ultérieure : Le Dieu Noir et le Diable
Blond, dont le projet politico-esthétique était au-dessus même du
rapprochement avec le grand public, vue dès lors comme colonisé 164
33
ROCHA, Glauber. Processo Cinema. Jornal do Brasil, Rio de Janeiro, 6 mai 1961. Suplemento
Dominical.
Il s’agit d’une problématique complexe que marquerait profondément tout le
débat autour des possibilités d’un cinéma révolutionnaire dans un contexte
culturel d’un pays de l’Amérique Latine, subordonné tant au plan politique
qu’économique au capital étranger et colonisé culturellement par un « goût »
et une « vision de monde » de l’Autre, déjà intériorisés comme siens. Une
question était déjà envisagée comme certaine : il était nécessaire représenter
dans les écrans les problèmes sociaux qui touchaient la société brésilienne.
Mais la façon par laquelle se ferait une telle entreprise n’était pas encore
claire et ne deviendrait jamais un consensus pour les cinéastes du Cinéma
Nouveau ni pour Rocha non plus, dont la perspective changeait le long des
films. Et la production de Barravento signifiait un moment de transition pour
lui, où les questions se posaient encore de manière très confuse. Il venait de
deux expériences récentes de cinéma esthétisant et formaliste, avortées
abruptement, au nom d’une nécessité de montrer « la réalité ».
34
Lettre de Glauber Rocha à Paulo César Saraceni. In SARACENI, Paulo César. Por dentro do Cinema
Novo: minha viagem. Rio de Janeiro: Nova Fronteira, 1993. p.105.
Une analyse plus précise du film montrerait que non. Ainsi, Barravento reflet
cette contradiction qui marquerait toute l’œuvre de Glauber Rocha et qui
serait si profondément posée plus tard par Terre en Transe : « la politique et
l’art c’est trop pour un seul homme ».
Mais les questions n’étaient pas encore claires pour Rocha. C’est peut-être à
cause de ces doutes que la finalisation du film fut ajournée; il ne serait monté
qu’un an après la fin des filmages, par l’insistance de Rex Schindler.
Peut-être à cause de tout cela, Barravento est un film évité par le discours du
Cinéma Nouveau et de Glauber Rocha lui-même, qui le placent en dehors du
mouvement ou le considèrent comme le reflet d’un mouvement encore
immature d’un cinéaste qui ne trouverait son chemin qu’à partir de Le Dieu
Noir et le Diable Blond. Cette tendance serait réaffirmée par les critiques et
chercheurs de Rocha, le long des années 1970, 1980 et 1990, à l’exception
de quelques-uns, comme Xavier et Carvalho.
Tel que dans les mythes, le temps de Barravento est cosmique, cyclique et
L’HISTOIRE EN TRANSE
35
Rappelons-nous ici la référence à un supposé remplaçant de la fonction d’Aruã dans la communauté,
en conformant la situation de nouvel équilibre. C’est le fils de Rosa et Chico. D’après ce que dit Dona
Zezé : « ce gamin est bien joli. Il ressemble à Aruã ».
l’explication se trouve au-delà de la capacité de raisonnement humaine. Il
s’agit d’une structure de temps qui s’articule avec une vie sociale pas encore
marquée par l’émergence du calendrier, de l’horloge, de la flèche linéaire du
temps, où tout est encore mesuré par les cycles naturels de la vie, la marée,
la pluie.
Celle-ci est une interprétation tentante, qui pourrait en même temps expliquer
l’impulsion révolutionnaire de la posture politique soutenue par Glauber Rocha
et l’utilisation de la structure mythique présentée dans Barravento et dans
quelques-uns de ses films ultérieurs. La référence à Marx est en effet
indispensable pour la compréhension de la pensée et de la filmographie de
Rocha, quoique l’influence du premier ne s’est jamais révélée pure. La lecture
que Rocha fait de Marx est traversée par une série d’autres références, qui
font de ses discours des résultats parfois très distincts de ceux
traditionnellement marqués par le marxisme. L’idée même de la synthèse (et
donc de la dialectique), qui configure l’hypothèse de Bentes selon laquelle
nous sommes devant un « marxisme tropicalisé », nous semble équivoque,
dans la mesure où nous ne voyons pas dans le film l’existence d’une unique
lecture du monde qui synthétise la perspective matérialiste et mystique.
Barravento est un terme qui désigne aussi bien la direction d’où souffle le vent
que l’état de transe et de perturbation qui domine la fille-de-saint37 au moment
de la possession. Dans le film, le barravento est le moment de transformation
du temps et de l’irruption de la nature, qui advient, d’après Xavier, comme une
réponse des dieux à la profanation du corps d’Aruã.
36
Cette perspective peut-elle ici être lu à partir de la référence aux idées de Michel Foucault, décrites
dans Archeologie du Savoir (Foucault, 1999).
37
Dans le candomblé existe la mère-de-saint (chef du site) et les filles-de-saint qui assistent à leur mère.
la contrepartie cosmique d’une expérience sociale » (Bentes, 1999,
p.360) .
Amengual lui aussi allait faire une lecture mais globalisante du barravento :
incohérente, incomplète.
Nous avons revu quelques-unes des analyses faites sur Barravento, presque
toutes bornées par un regard univoque du film. Des lectures matérialistes,
exprimées par l’analyse politique du film, aussi bien de la perspective
religieuse que de l’exploitation dans laquelle vivent les pêcheurs de
Buraquinho, en engendrant des interprétations qui voient le film soit comme
révolutionnaire, soit comme politiquement naïf ou réactionnaire (étant donné
qu’il serait héritier d’une prise de position populiste). Un deuxième chemin en
pointant une lecture mystique, qui perçoit le film comme une représentation de
l’idéal des religions afro-brésiliennes ou comme une structure mythique qui
obéit à des lois divines. Il y en a encore quelques-unes qui parient dans la
possibilité d’une synthèse des perspectives matérialiste et religieuse. Mais
presque toutes elles unies et, donc, aveugles pour percevoir que la richesse
du film se trouve dans son ouverture aux différents possibles qui composaient
la réalité sociale bahianaise et brésilienne de ce contexte-là.
En premier lieu, nous soulignons que le film ne présente pas une structure
traditionnelle dans la configuration des personnages. Il n’existe pas ni des
héros ni des vilains dans Barravento. Aussi bien Firmino qu’Aruã sont trop
contradictoires pour assumer cette position. Le peuple n’a pas de voix. Les
propriétaires des filets de pêche sont absents. Cela nous apporte le
questionnement à propos de qui narre l’histoire dans Barravento. À qui
appartient le point de vue dominant du discours? À la parole des producteurs,
insérée dans le sous-titrage initial du film? À Firmino? À Aruã? À la caméra?
À la distance extra-diégétique? Mais celle-ci ne se définit pas. Tantôt elle se
trouve avec Firmino, tantôt avec la caméra, tantôt avec Aruã, tantôt avec le
barravento ... Selon notre hypothèse, nous sommes devant un régime de
narration en transe, polyphonique, construit à partir de points de vue multiples
qui correspondraient à une vision elle aussi polyphonique du temps et de
l’histoire.
Deuxièmement, nous ne sommes pas d’accord que l’axe central de l’intrigue 173
dans Barravento soit la nécessité d’un leader, la famine, l’exploitation
L’HISTOIRE EN TRANSE
Nous esquissons ici une hypothèse différente de celle de Xavier, ancrée dans
certaines évidences. Si au début Firmino se présente comme étant le pôle
opposé d’Aruã, cette réalité se transforme le long du film et les deux rivaux
s’approchent l’un de l’autre chaque fois plus, jusqu’à ce qu’à la fin ils se
transforment dans la même personne. [.1] Comentário: Jorge pontua que a
frase parece incompleta, algo faltando à
frase.
C’est comme si Aruã fut la répétition, dans une autre temporalité, de Firmino
lui-même. Cela nous conduit à l’idée que Firmino fonctionne comme un alter
ego (ou idéal d’ego) d’Aruã, son miroir futur. Celle-ci est peut-être la clé pour
comprendre quelques-unes des contradictions qui marquent le film. Aruã-
Firmino se trouve en plein processus de transformation, en transe, au moment
où passé, présent et futur se fondent, où toutes les contradictions affleurent et
on peut vivre, en même temps, la fonction de dieu, du diable et de l’homme.
Ainsi, la transe apparaît comme le moment clé du processus transformateur
du film. Pourtant, on peut considèrer Firmino un personnage beaucoup plus
symbolique que réel. Ainsi, quelques questions deviendraient plus simples à
comprendre.
174
Cela expliquerait l’arrivée et la sortie inexpliquées de Firmino ainsi que son
L’HISTOIRE EN TRANSE
Aruã-Firmino aura peut-être une continuité, non pas dans la figure de Manuel,
mais dans celle d’Antônio das Mortes, dans Le Dieu Noir et le Diable Blond, et
ensuite de Paulo Martins, de Terre en Transe.
Mais le film ne serait monté que plus d’un an après la fin du tournage, en
1962, à Rio de Janeiro, par Glauber Rocha et Nelson Pereira dos Santos, un
directeur qui a beaucoup influencé les cinéastes du Cinéma Nouveau et a
175
produit un des classiques de ce mouvement : Vidas Secas (Sécheresse). Tout
L’HISTOIRE EN TRANSE
38
ROCHA, Glauber. Lettre à Jorge Amado, 21 mars 1978.
succès commercial, mail il fut important pour projeter Rocha dans le circuit
cinématographique de l’axe Rio de Janeiro – São Paulo, où le Cinéma
Nouveau allait en effet se développer.
Pedro et moi-même (tous âgés d’à peine plus de 20 ans) nous nous
réunissions dans des bistros de Copacabana et du Catete pour
discuter des problèmes du cinéma brésilien » (Rocha, 1981, p.15).
39
ROCHA, Glauber. Cinema Novo. In: ROCHA, Glauber. Revolução no Cinema Novo. Rio de Janeiro:
Embrafilme, Alhambra, 1981. p.15-24. Texte publié originellement dans la revue Ângulos, n. 17, nov.-
déc. 1961.
Il ajoute qu’il s’agissait d’un contexte culturel effervescent :
Il s’agit donc d’essayer de faire un cinéma nouveau. Mais ce projet n’était pas
encore défini : « Mais qu’est-ce que nous voulions? Tout était confusion ... ».
Mais certaines choses étaient déjà placées clairement :
177
Enfin, les lignes de base du Cinéma Nouveau étaient déjà tracées. Il fallait
produire. Et ce fut cela qui firent presque tous les cinéastes liés au projet. Le
contexte s’y prêtait. Politiquement, le Tiers-Monde gagnait chaque fois plus de
force dans la lutte contre les puissances dominatrices, comme le faisait Cuba,
l’Algérie et le Vietnam. Au Brésil, le début des années 1960 marque le
moment de l’agitation politique jusqu’alors vécue. Le président de la
République de droite, Jânio Quadros, avait renoncé et João Goulart était
devenu le président; ce dernier avait des bases populistes et était considéré
par les secteurs de la gauche comme le porte-parole des idéaux
démocratiques et révolutionnaires qui pourraient conduire à des réformes
structurelles de la société brésilienne. Dans les autres arts, l’académisme et le
traditionnellisme étaient durement combattus. Le cinéma, au niveau
international, aussi combattait vivement l’esthétique hollywoodienne. Les
Cinémas Nouveaux paraissaient dans le monde entier : du Japon au
Venezuela.
Son insertion dans le cinéma mondial allait survenir à un rythme rapide. Très
vite, Rocha en vint à être considéré comme un des principaux représentants
178
du cinéma du Tiers Monde, dans une conjoncture où le cinéma de
L’HISTOIRE EN TRANSE
Glauber serait encore celui qui allait théoriser, en mettant sur papier les idées
encore confuses qui prenaient corps. Ces premières théorisations-là se
trouvent dispersées dans les centaines d’articles écrits dans des journaux et
revues brésiliens, dans les présentations de communications aux congrès de
cinéma et dans le livre Revisão Crítica do Cinema Brasileiro, de 1963. Dans le
livre, Rocha interprète l’histoire du cinéma brésilien à partir de la
représentation qu’il fait de l’histoire politique et sociale nationale, ainsi que de
la recherche d’un langage authentique. C’est à cause de cela qu’il visualise
des ressemblances entre le projet du Cinéma Nouveau et de la littérature
nationale des années 1930 et aussi entre le premier et la production du
cinéaste Humberto Mauro.
Toutefois, même s’il existe bien des caractéristiques partagées par les
cinéastes de cette génération, il est difficile de visualiser une ligne esthétique
commune aux films du Cinéma Nouveau. Parmi les films de Rocha, Diegues,
Nelson et Saraceni, par exemple, les différences sont énormes. Peut-être
deux idées peuvent synthétiser ce qui avait de commun dans les œuvres des
cinéastes du Cinéma Nouveau : le désir de représenter la réalité brésilienne
et la contestation d’un cinéma industriel, en rendant possible la liberté de
création des cinéastes. D’où la devise du Cinéma Nouveau, inventée par
Saraceni, mais diffusée par Rocha : « Une idée dans la tête et une caméra
dans la main ». Mais les chemins n’étaient pas prêts, ils devaient être 179
construits. ... Parallèlement, on discutait l’avenir politique du pays. La
L’HISTOIRE EN TRANSE
Révolution était le mot d’ordre, aussi bien dans l’Histoire que dans le Cinéma.
Il était indispensable que le projet esthétique fût imprégné non seulement de
questions esthétiques, mais aussi politiques, hIstoriques et éthiques. Un
extrait du livre de Rocha nous paraît très significatif du processus
d’imbrication entre éthique, esthétique et politique pour le Cinéma Nouveau :
40
ROCHA, Glauber. Lettre à Paulo César Saraceni. SARACENI, Paulo César. Por dentro do cinema
novo: minha viagem. Rio de Janeiro: Nova Fronteira, 1993. p.159.
41
ROCHA, Glauber. Espaço Funeral. Diário de Notícias. Salvador de Bahia, 2 sept. 1962.
comme l’affirme Carvalho. Mais la plupart des critiques situe l’émergence du
Cinéma Nouveau entre les années 1962 et 1963, spécialement avec la
parution de trois œuvres qui deviendraient des marques fondamentales du
mouvement : Le Dieu Noir et le Diable Blond, de Glauber Rocha, Os Fuzis, de
Rui Guerra et Vidas Secas (Sécheresse), de Nelson Pereira dos Santos. Tous
les trois racontent des histoires qui ont lieu dans la même région
géographique du Brésil : le Sertão. Dans le contexte où ils furent produits, on
discutait dans le pays la situation du Nord-est et on considérait que cette
région synthétisait la plupart des problèmes vécus par la population
brésilienne, tout le long de son histoire. C’est pour cela qu’ils sont connus
comme la « Trilogie de la Famine ».
Le Dieu Noir et le Diable Blond est un film difficile à travailler non seulement à
cause de son opacité et son refus explicite à un langage réaliste, mais surtout
par sa capacité de pluri-signifier les questions qu’il suscite. Mais ce sont 182
L’HISTOIRE EN TRANSE
exactement ces éléments qui donnent au film une dimension historique très
significative. Il s’agit, en outre, d’un film très polémique, qui donne origine à
des interprétations conflictuelles et enthousiastes, aussi bien positives que
négatives.
Le film contient une intrigue
apparemment simple: il raconte
l’histoire d’un couple d’habitants du
nord-est (Manuel et Rosa), dont le
mari, après avoir subi l’oppression
du patron pour lequel il travaillait —
qui ne voulait pas respecter un
accord réalisé, aux dépens de
Manuel —, tue le colonel et se joint
aux suiveurs d’un leader
messianique, Santo Sebastião.
Après la révolte de Rosa contre le
leader religieux (à cause de
l’autoritarisme de ses actes) et le
massacre du groupe par un tueur
professionnel, Antônio das Mortes (commandité par l’Église, des hommes
politiques et des colonels), le couple décide se joindre à une bande de
cangaceiros (bandits du nord-est du Brésil), déjà près de son extinction. Le
chef de la bande est Corisco, ex-compagnon de Lampião, qui venait d’être
assassiné. Corisco est lui aussi tué et Manuel et Rosa fuient sans destin. Le
film finit par des images de la mer superposées aux terres arides du Sertão.
science et processus.
Si l’intrigue du film est apparemment linéaire — ce qui, en comparaison aux
futurs films de
Glauber, le rend
plus acceptable
auprès du public
—, la façon dont il
est conçu en sons
et images finit par
rompre avec
plusieurs modèles
de linéarité et, par
conséquent, avec
son aspect
naturaliste.
La narration ne se centre pas dans la figure d’un narrateur central qui se place
extérieurement à la diégèse du film (voix narrative) ou dans celle d’un
quelconque personnage privilégié dans la trame, ce qui rend le film plus
dense et difficile. En vérité, le film est composé par plusieurs narrateurs, avec
des prises de position pas toujours en confluence et souvent contradictoires.
Un de ces narrateurs se place dans les écrans de façon explicite quoique
naïve. Il s’agit du chant populaire en quatrains qui apparaît le long du film,
avec la fonction de narrer certains épisodes. Il est intéressant de remarquer
que même la présence de cette chanson est complexe, étant donné qu’à un
certain moment de la trame elle se lie à l’existence d’un personnage qui surgit
tout d’un coup dans l’intrigue, l’aveugle Júlio, en composant un tissu
d’éléments aux significations symboliques importantes. Dans ce sens, on
conjugue un narrateur intradiégétique (l’aveugle et ses quatrains) et un 184
L’HISTOIRE EN TRANSE
Toutes ces options construisent un style de narration qui laisse apparaître une
certaine conception d’histoire du film, c’est-à-dire une conception de la forme
de traduire le passé en des signes pour le présent. L’idée d’une supposée
objectivité de la narration de l’histoire est mise en question à la faveur d’une
subjectivité explicite, localisée « à l’intérieur » et « en dehors » du
déroulement des faits dressés, marqué profondément par les multiples angles
de vision de celui qui narre et par le rythme lui-même de l’histoire, à travers
lequel la narration se laisse souvent conduire. En outre, la coexistence de
plus d’une source narrative, en marchant souvent par des chemins
indépendants (à l’exemple de certains moments du film où les images
montrées par la caméra contredisent les vers du chanteur) conduit à l’idée
selon laquelle l’histoire doit être vue de plusieurs manières, en rompant avec
la notion de vérité absolue des faits.
Le film n’a pas pour but de réaliser une description minutieuse des
mouvements sociaux du passé dans le Nord-est, mais de réfléchir sur ces
mouvements à la lumière d’un contexte contemporain qui ne cherche pas à se
cacher, en récupérant un passé-présent-futur sous la forme de légende
populaire. Cela autorise le discours à utiliser, de façon beaucoup plus libre,
l’imagination, en mélangeant des faits folkloriques, liés à une riche tradition
orale, à des faits historiques. Dans un témoignage, João Carlos Teixeira, qui
accompagna Glauber pendant un des voyages de recherche qui précédèrent
la réalisation du film, se réfère à cette ouverture du cinéaste à l’imagination,
mais toujours soumise à un dialogue avec la réalité :
42
Propos de João Carlos Teixeira Gomes recueillis par Tereza Ventura, en juillet 1995. In: Ventura,
2000, p. 170.
mouvements sociaux. Et c’est cela qui donne au film la force et profondeur
dans le traitement de questions extrêmement relevantes pour le débat
national enjeu dans ce contexte spécifique-là.
Dans un certain sens, nous sommes devant une structure narrative et d’une
idée d’histoire et de temps très semblables à celle du mythe traditionnel, mais
enrobée d’une culture populaire très particulière du contexte du Sertão
brésilien, ce qui crée certaines particularités enrichissantes. Dans le
générique, cette histoire s’écrit avec un E et non pas avec un H, ce qui dénote
cette perspective. De cette manière, il n’y a pas un sens à chercher dans ses
images la « vraie » histoire du Sertão brésilien. D’après Xavier
Cela, de son côté, ne signifie pas que le film ne réalise pas une représentation
des faits historiques concrets. Au contraire. On voit dans les écrans une
réflexion condensée sur les principales problématiques sociales, politiques,
économiques et culturelles qui marquent l’histoire du Brésil depuis la période
de la colonisation jusqu’aux années 1960. Il existe encore le choix de faits
spécifiques, à l’exemple de l’irruption des mouvements messianiques et du
cangaço, qui sont aussi présents. Toutefois, la forme par laquelle ces
phénomènes sont présentés n’est pas naturaliste. Outre la manière dont le
film conçoit les instances narratives, comme déjà analysée plus haut, on a
une utilisation de certains éléments de la composition stylistique et technique
du film qui aident à composer un chronotope riche et complexe. On pourrait 187
citer comme exemple l’usage d’une photographie spéciale, semblable à celle
L’HISTOIRE EN TRANSE
que l’on trouve dans le film Vidas Secas (Sécheresse), de Nelson Pereira dos
Santos, dont le but était de réfléchir la sécheresse, la brutalité de la
perception de monde de l’aridité du Sertão. Ainsi, on a utilisé une lumière
blanche, aveuglante, sans filtres, en contrastant fortement le blanc et le noir. Il
s’agissait de placer dans les écrans « une lumière qui assassinait trop »,
comme l’a metaphorisé Guimarães Rosa. D’ailleurs, le film fait un dialogue
intéressant avec la littérature brésilienne des années 1930, 40 et 50, qui avait
thématisée la vie dans le Sertão du Nord-est, en cherchant aussi la rencontre
de l’histoire avec les racines populaires.43 Neitzel réalise une analyse
intéressante du film Le Dieu Noir et le Diable Blond, à partir des dialogues
intertextuels que celui-ci réalise avec le livre Grande Sertão : veredas, de
Guimarães Rosa :
Nous ne pouvons pas ne pas souligner encore une fois le travail de caméra
réalisé dans le film, en faisant que celle-ci à plusieurs reprises se détache
comme une des sources de narration du film. Elle a vraiment une fonction de
relief dans la direction du récit. Premièrement, elle n’est pas uniforme. Ce sont
plusieurs formes qui se superposent le long du film. Tantôt elle est présentée
188
statique, comme en se maintenant « neutre » devant les événements qu’elle
L’HISTOIRE EN TRANSE
43
Néanmoins, par rapport au dialogue du film avec la littérature brésilienne des années 1930-50, il faut
souligner que, malgré les approximations, les projets esthétiques des deux mouvements étaient
distincts, du fait non seulement de l’utilisation de langages différents, mais de contextes historiques qui
ne coïncident pas. Les écrivains brésiliens de cette période, tels que Jorge Amado, José Lins de Rego et
Erico Veríssimo, ne démontraient pas de véritable souci de créer un nouveau langage, ils dépégnaient le
Brésil à partir de modèles déjà institués par la littérature de l’époque, ce qui contrastait avec la
perspective de base du Cinema Nouveau.
montre, tantôt elle participe tellement qu’elle finit par choquer le spectateur. À
ces moments-là, en général, elle se trouve dans la main, en se laissant
conduire par le rythme de ce qu’elle filme. Plusieurs fois, elle accompagne de
très près les personnages, en fermant le
cadre dans des détails de son visage,
pendant quelques secondes, ce qui engendre
un sentiment d’angoisse. Tantôt elle fait
montre d’intimité avec les personnages.
Tantôt elle gagne de l’autonomie et s’enfuie
de l’espace scénique. Tantôt elle fait des
mouvements inusités, des cadrages
« irréguliers », elle change l’angle sans coupure, tourne, se perd et se
retrouve. La représentation théâtrale (si comparée au modèle naturaliste) aide
à composer des images maintes fois déconcertantes. Le montage et le rythme
du film sont eux aussi discontinus et transmettent le dialogue avec plusieurs
styles. Ils se structurent en cherchant à rompre avec la linéarité apparente des
événements du film, à travers certaines discontinuités temporelles et
spatiales. La première partie du film, quand Rosa et Manuel sont montrés en
train de travailler, possède un montage de plans longs, accompagné de
mouvements lents, qui transmettent la sensation de presque immobilité de ce
moment-là. Dans la partie qui montre l’assassinat du colonel et la persécution
de Manuel, on voit un mélange de montage eisenstein aux coupures rapides
avec le découpage classique proche de celle des westerns. La partie où
Manuel suit le Santo Sebastião subit plusieurs influences d’Eisenstein,
spécialement d’Ivan, Le terrible et certaines scènes du Cuirassé Potemkine,
comme l’a indiqué à plusieurs reprises Glauber Rocha lui-même. La dernière
partie, presque toute entière nouée dans la relation de Rosa et Manuel avec
189
les cangaceiros, est celle qui réalise le plus de ruptures au niveau du
L’HISTOIRE EN TRANSE
C’est cela qui permet au film de fondre des personnages et d’insérer des
allégories du passé et du futur à l’intérieur de la diégèse filmique. Prenons
deux exemples. Le mouvement religieux conduit par Santo Sebastião, dans le
film, dialogue directement avec deux événements historiques du Nordeste
brésilien (synthétisés dans la représentation), situés temporellement dans la
seconde moitié du XIXe siècle, dénommés Canudos et Pedra Bonita, et
encore, de façon indirecte avec le messianisme persistant dans le Nordeste
des années 1960. L’allégorie est claire et peut être perçue dans la 191
La « peinture » que Glauber fait du cangaço est, dans une certaine mesure,
plus positive que celle en rapport au mouvement de Sebastião, même si l’on
voit aussi transparaître, le long de sa représentation, des éléments négatifs.
En outre, elle se différencie de la représentation du messianisme dans la
mesure où elle met en action des personnages « réels », c’est-à-dire qui ont
eus une expérience concrète dans le passé du Nordeste : Corisco, Dadá,
outre la référence faite à Lampion, à travers le recours à la double 192
L’HISTOIRE EN TRANSE
193
L’HISTOIRE EN TRANSE
Certaines critiques de Le Dieu Noir et le Diable Blond se réfèrent à cette
représentation que le film fait de l’homme du Sertão comme sujet historique
incapable de dépasser la situation de misère et d’aliénation dans laquelle il vit.
194
Pourtant, d’après nous le film réalise une réflexion sur une réalité qui
L’HISTOIRE EN TRANSE
44
En plus, du point de vue sociologique, c’est très compliqué de se référer à la « classe moyenne »
comme un groupe social univoque.
aussi prophétisée par les paroles de Sebastião et des cangaceiros (« Le
Sertão va devenir Mer »), qui apparaît comme horizon à être conquis, n’a pas
de rapport à l’action d’Antônio, aussi limitée que les autres. En outre, le
personnage qui court ver la mer c’est Manuel, un authentique représentant du
peuple. Et, comme l’affirme le directeur lui-même :
« Celui qui arrive à la mer n’est pas le personnage : celui qui arrive
à la mer c’est moi, avec la caméra, en montrant la mer comme une
ouverture de tout ce que cela peut signifier »(Rocha, 1965, p.115).
Peut-être cela à un
rapport au fait qu’en Le
Dieu Noir et le Diable Blond la transe soit très connectée à la foi religieuse,
dont les limites politiques sont clairement pointées. Quant à cet aspect, il faut
percevoir comment la logique de la narrative de Le Dieu Noir et le Diable
Blond est beaucoup plus subordonnée à la volonté divine que celle de 197
L’HISTOIRE EN TRANSE
Mais cela ne veut pas dire que la religiosité ne soit pas une donnée culturelle
relevante. En réalité, elle est fondamentale dans la mesure où structure
l’imaginaire de presque tous les personnages et imprègne sa culture. Et,
intégré à un projet commun au Cinéma Nouveau, le film chercherait à
racheter l’importance de cette culture, en la montrant comme une force
sociale vivante, d’identité et de résistance. Il s’agissait de montrer le visage
d’un Brésil caché par la face de la misère, en découvrant sa beauté occulte.
film, est fournie par les images et non pas par l’intégrité des faits narrés.
45
Une des principales références à cette pensée c’est le livre Os Sertões (Les Sertãos), d’Euclides da
Cunha, qui narre la lutte contre la bourgade de Canudos, à Bahia, à la fin du XIXe siècle. CUNHA, E.
Os Sertões. São Paulo: Ática, 1995.
un niveau déterminé), entièrement ouverte à des interrogations. La
représentation que le film fait de l’histoire n’est pas du tout fermée et laisse de
l’espace pour que le spectateur agisse non seulement comme un simple
interprète, mais comme celui qui concrétise sa propre idée des multiples
histoires qui défilent dans l’écran.
200
L’HISTOIRE EN TRANSE
Le Cinéma en Transe
201
L’HISTOIRE EN TRANSE
L’Année 1964 et le Deuxième “Barravento”
La bourgeoisie nationale, fragile aussi bien par son caractère subordonné que
par sa constitution tardive, pendant cette période-là, oscilla entre le soutien
d’une politique qui garantisse les intérêts nationaux et l’ouverture de
l’économie au capital international, sans posséder de force politique à même
de soutenir, en des moments de crise, une des deux alternatives.
Cela montre que le manque d’une résistance au coup d’état ne fut pas un fait
du hasard. Il eut lieu car la politique populiste a eu l’hégémonie des secteurs
les plus mobilisés et les plus combatifs des travailleurs urbains et elle
pratiquement abandonna les secteurs ruraux, ce qui faisait qu’il n’existait pas,
dans le discours ni dans l’action des gauches, une proposition
204
d’indépendance de classe articulée aux luttes et intérêts des masses.
L’HISTOIRE EN TRANSE
Comme pièce clé pour le déchiffrement des labyrinthes constitués par les
discours de Rocha, moment de plus grande tension de son œuvre, Terre en
Transe ne pourrait pas se trouver isolé des autres textes produits par le
directeur. Le film se trouve entortillé par l’articulation avec une série d’autres
discours, depuis les plusieurs scénarios écrits pour lui, en passant par les
lettres, les témoignages et essais théoriques, jusqu’au tissu filmique lui-
même.
trajectoire de Rocha à partir de 1965. Il est le résultat, comme nous l’avons dit
plus haut, du dialogue de plusieurs textes. Les principales caractéristiques de
ces discours sont l’inachèvement, la confusion, la perplexité, la transe. Ces
textes, apparemment chaotiques, mais qui, une fois analysés
diachroniquement, possèdent une logique propre, absorbent et ressignifient la
nouvelle dynamique imposée par les évènements politiques et sociaux vécus
au Brésil et dans le monde.
Et le texte, influencié par Fanon, apporte l’idée que cette rupture ne peut se
207
faire qu’à travers la violence :
L’HISTOIRE EN TRANSE
Et encore:
Il est vrai que Esthétique de la Famine réfléchit sur une réalité à laquelle
avaient touché les principaux films du Cinéma Nouveau — Rio, 40 degrés,
Barravento, Aruanda, Cinq fois favela, Ganga Zumba, Les fusis, Vidas Secas
(Sécheresse), Le Dieu Noir et le Diable Blond. C’était la réalité brésilienne
elle-même — en tant que pays sous-développé et « colonisé », qui se
manifeste à travers un état d’exploitation qui avait son expression maximale
dans la FAMINE — l’objet de ces films. Dévoiler cette réalité-là occulte des
écrans du cinéma national c’était tracer l’histoire de la famine et rendre
possible, donc, à l’homme brésilien, un regard différent sur soi-même, à 209
même de viabiliser une action transformatrice. Aucun texte n’avait révélé cela
L’HISTOIRE EN TRANSE
En même temps, le texte centrait son attention aussi sur un autre point
fondamental pour la proposition du Cinéma Nouveau : la nécessité du Cinéma
Nouveau, comme un mouvement inséré dans un contexte de sous-
développement et de dépendance, de trouver des alternatives au modèle
industriel, en vue de faire survivre son projet politique et esthétique et garantir
sa liberté de création. On discutait, ainsi, la « tentative de fonder un cinéma
qui soit la conscience des pays sous-développés et qui narre, décrit, poétise,
analyse, agite les thèmes de la famine » (Esteve).
Cette réponse, dans le cas du cinéma, se devait d’être réalisé par une rupture
encore plus radicale avec les modèles cinématographiques bourgeois.
L’homme politisé, rationnel, conscient des problèmes sociaux, habitant un
monde divisé entre exploités et exploiteurs, donnerait lieu à des personnages
scindés, ambigus, contradictoires, à des espaces fragmentés, à des
temporalités multiples et non linéaires, à des points de vue discordants. Dans
les mondes diégétiques créés par Rocha après la crise de 1964, à l’intérieur
de l’espace théâtral du colonisateur, on ne pourrait plus distinguer le bien du
mal, le bon garçon du bandit. Les figures oscilleraient devant les
contradictions propres d’un monde incertain. Personne ne pourrait échapper à
sa complexité, pas même ceux dotés des meilleures intentions. La seule 211
L’HISTOIRE EN TRANSE
Et, au lieu que cette nouvelle vision de monde engendre des discours
nihilistes et sceptiques, comme l’ont cru certains critiques, elle faisait que la
perspective éthique contenue dans les textes esthétiques et politiques de
Rocha gagnait une nouvelle forme. Conscient que n’importe quel projet
authentiquement révolutionnaire avait besoin de rompre complètement avec
l’espace du colonisateur, et comme cela se plaçait comme une perspective,
du point de vue pratique, impossible à réaliser dans ce contexte politique-là
(du fait de la dictature militaire), la révolution ne paraissait plus comme une
possibilité concrète des actions politiques, sociales et économiques et venait
à être conçue comme un idéal éthique du monde qu’on ne peut rendre
concret qu’en dehors de l’histoire : ou à travers le mythe, comme serait
proposé dans O Dragão da Maldade contra o Santo Guerreiro (Antônio das
Mortes), ou à travers la mort, comme c’est le cas en Terre en Transe.
Entre Textes
fin de sa vie.
Nous sommes d’accord avec Avellar, dans la mesure où cette pratique, qui
s’accentue avec le temps, est cohérente avec la forma par laquelle Rocha
conçoit le monde : à partir d’une perspective toujours mutante, en processus,
comme son idée de l’histoire. Toutefois, nous trouvons nécessaire souligner 213
et esthétique qui organise l’apparente chaos dans une logique qui lui est
propre. Et si celle-ci était déjà une caractéristique intrinsèque à la création de
Rocha dans les premières années de sa carrière, elle n’a fait que s’intensifier
dans un contexte où la transe tient les rênes de l’histoire.
C’est en adoptant cet point de vue que nous chercherons à réaliser une
lecture qui coud les diverses phases de la création, depuis le surgissement de
l’idée jusqu’au moment de dialogue autour du film en circulation, qui acquiert
petit à petit de nouveaux contours dans la mesure où il est digéré, soit par
l’auteur lui-même, soit par les cinéastes contemporains, soit par les acteurs
de l’histoire brésilienne en cours. À ces textes nous ajoutons les essais et
manifestes théoriques, dont la relevance nous avons déjà signalé. Avellar lui
aussi pense dans cette ligne :
Dans ce sens, des théories, des scénarios et des films fonctionnent, ici,
comme des fragments d’un grand texte, seulement perçu à partir d’une lecture
plus ouverte, dont le point de départ est, comme nous l’avons déjà indiqué,
l’histoire du Brésil.
214
Entre Scénarios
L’HISTOIRE EN TRANSE
46
ROCHA, G. Lettre à Alfredo Guevara, 21 nov. 1962. (ROCHA, 1997 :174-6)
l’annonce du coup d’état. Un sous-titre annonce : « APRÈS LA DERNIÈRE
RÉVOLUTION, MANUEL DÍAZ, LEADER CIVIL, ASSUME LA
PRÉSIDENCE .» Les séquences décrivent des scènes qui devraient montrer
l’agitation de l’armée, parallèlement à des images de rituels festifs du peuple.
Le président de la république, homme politique de nature démocratique et
populiste, est déposé. Le leader du mouvement du coup d’état c’est Manuel
Díaz. Celui-ci est décrit par Juan Morales comme un homme politique sans
scrupules et assoiffé de pouvoir. Juan Morales est le poète révolutionnaire
dont le passé était lié à celui de Díaz, à travers de forts liens d’amitié, même
si, dans ce contexte-là, ils se retrouvaient comme des ennemis politiques.
Avec Díaz au pouvoir, Juan Morales décide de s’exiler dans l’île où il est né,
en s’isolant de la barbarie. Le retour au lieu d’origine représente le désir de
rencontrer la beauté volée par la civilisation urbaine, de vivre à nouveau les
coutumes et les pratiques symboliques traditionnelles. On lit dans le sous-
titrage : « LE POÈTE PART POUR LA MONTAGNE ET LA MER AFIN
D’AIMER ET DE MÉDITER .» Parallèlement à la fuite de Juan, quelques
groupes politiques commencent à articuler une opposition au gouvernement 216
putschiste. On voit trois tendances en action : une gauche radicale,
L’HISTOIRE EN TRANSE
Pendant son séjour dans l’île, Juan rencontre un garçon et un aveugle, qui lui
annoncent la lutte entreprise par Bolívar et par les guérilleros. On lui révèle le
chemin révolutionnaire. Le garçon lui dit : — « Bolívar, le loup des
montagnes, mitraillette à la main, annonce à nous tous le jour du salut .» Et
ensuite, l’aveugle : - « Il est né des étoiles ... le sang vient du Soleil ... Bolívar
dans le champ ... Aurore, flamboiement .»
47
Ici aussi le poète se retrouve partagé entre deux femmes, mais dont les caractéristiques sont un peu
distinctes : Amor, ancienne bonne amie de l’île, qui se joint aux guérilleros, et Silvia, bonne amie
appartenant à la vie urbaine, qui finirait par avoir une liaison amoureuse avec Díaz.
« Juan — J’ai besoin de résister, j’ai besoin de vaincre Alto, vaincre
l’intolérance, vaincre la méchanceté humaine, vaincre l’égoïsme,
vaincre la mort, ne serait-ce qu’au prix de ma vie.
Silvia — Qu’est-ce que ta mort prouvera-t-elle?
Juan — Le triomphe de la beauté et de la justice! ».
Après le discours, Juan est fusillé. Le scénario prévoit la fin du film avec des
images du peuple en fête et un discours plein d’espérance de Bolívar.
récit avec une structure de temps diégétique linéaire vectoriel, orientée vers
L’HISTOIRE EN TRANSE
Le texte révèle aussi une réflexion autour de la figure du poète, qu’en réalité
représentait la couche sociale de Glauber Rocha lui-même, qui agit de façon
assez contradictoire, du fait de la scission qu’il établit à partir d’un projet qui
essaie de concilier la politique et l’art. Le scénario montre l’impossibilité de
fondre ces deux tendances dans un seul projet, à l’intérieur du temps de
l’histoire, même devant un contexte où les forces révolutionnaires avaient pris
le pouvoir. La seule sortie ici ébauchée c’est le recours à la mort. Elle
seulement pourrait garantir la maintenance de l’élément éthique, rendu
possible par l’articulation entre l’art et la politique, impraticable du point de vue
de la vie concrète. Le dialogue entre Juan et Silvia, quand celle-ci demande
« Qu’est-ce que ta mort prouvera-t-elle? » et qu’il répond « Le triomphe de la
beauté et de la justice! », qui serait repris dans le film (entre Paulo et Sara),
est bien significatif de cette perspective. S’ébauche déjà aussi l’idée qu’il
serait nécessaire une rénovation de l’espace symbolique de ce monde-là,
pour que la révolution puisse se concrétiser, étant donné que la simple prise
du pouvoir n’était pas à même de résoudre les contradictions dans lesquelles
cette société-là était insérée, vue que les agents et les problématiques
sociales restaient encore les mêmes. Quelques éléments qui s’y trouvaient
devaient être détruits, morts, pour que quelque chose de nouveau puisse
bourgeonner. Et la mort de Juan représente métaphoriquement la mort de [.2] Comentário: ?
Mais la mort n’est pas une solution univoque. Elle comporte des
contradictions qui doivent être prises en compte. Quand Juan, dans son
discours final, dit : « Ne tuez pas en public un poète, car moi, poète de cette
révolution, je ferais le peuple pleurer ma mort », le scénario fait une allusion
allégorique aux actes d’autoritarisme déjà réalisés au nom de la révolution,
dans le passé, dont la radicalisation peut engendrer des situations qui 220
L’HISTOIRE EN TRANSE
presque tous les films de Rocha ultérieurs à Terre en Transe, mais avec un
biais interprétatif complètement distinct. À partir de O Dragão da Maldade
contra o Santo Guerreiro (Antônio das mortes), la culture populaire deviendra
un élément révolutionnaire, porteur de l’authenticité d’une culture pas encore
colonisée. Dans un certain sens, cela serait déjà ébauché indirectement dans
Esthétique de la famine, quand le texte affirme que la famine est la plus
grande originalité de la culture tiers-mondiste, dans la mesure où, en général,
cette famine est pénétrée par la présence de la culture populaire.
De toute façon, il s’agit d’un discours complexe, qui essaie de réfléchir à des
alternatives pour l’avenir d’un pays en crise et sous la domination de forces
conservatrices. Rocha lui-même décrit le scénario d’América Nuestra comme
un « Poème Épique, Représentation Théâtrale, Commentaire, Polémique et
Politique de l’Amérique Latine .» [.3] Comentário: ver ref ventura
Le texte, composé par vingt séquences, construit un récit qui se passe entre
L’HISTOIRE EN TRANSE
Fini le dialogue, on passe à une séquence composée par des scènes d’un bal
de carnaval, où se trouvent Paulo et deux autres personnages : Marina, avec
laquelle Paulo apparemment a déjà eu un certain rapport affectif, et Álvaro,
ancien ami de ce dernier, maintenant marié à Marina. Les trois bavardent sur
leur passé et errances. Ensuite, on a une séquence en style très anti-
naturaliste, presque surréaliste : une fête dans un appartement, où se
trouvent ensemble des hommes et des femmes de la haute classe
brésilienne, des mères de saint, « des lesbiennes et des pédérastes .» Ils
dansent tous frénétiquement au son d’une musique de candomblé. Tout à
coup, le saint descend48 dans une des femmes, présentée par Marina comme
Betty. Pendant ce temps, Paulo et Marina conversent sur le soutien de Paulo
à Silvino.
Ici, on a un des rares moments, dans toutes les versions du projet, où Paulo
se réfère au sentiment qui le lie à Silvino, et qui pourrait s’étendre au
sentiment de Juan et Paulo par rapport à Díaz, dans les autres textes. Il s’agit,
sans doute, d’une relation de désir et de répulsion, inexplicable du point de
vue rationnel. Raquel Gerber interpréterait cette relation à partir de la
perspective œdipienne, où Díaz apparaît comme le père symbolique du poète 227
(Gerber, 1982). Mais les textes, ne seraient-ils pas en train de placer Díaz
L’HISTOIRE EN TRANSE
48
Moment du rituel du Candomblé ou se passe une espèce du vertige, de transe, comme si le participant
soit possédé par des forces des saints ou divinités du Candomblé.
Après avoir parlé sur plusieurs autres choses, Billy demande à Paulo si
Silvino sera candidat et s’il serait capable de le trahir :
corrompu. ...
— Je fais une société avec toi, je te donne la moitié du journal pour
cinq cents millions ... C’est gratuit, Billy Menezes sait que c’est
gratuit, car mon journal est un des plus forts. ... Avec de
l’independance, tu combat Silvino, tu fais le jeu de la bourgeoisie
nationale, ouvre un front populaire unique ... La seule sortie c’est
faire de la politique, la politique toujours ... Mais pas cette politique
politicienne vide et démagogique des vieux partis ... une politique
nouvelle, vitale ... Nous n’avons pas des leaders, du courage, de la
vision, de La culture ... Sans intellectuels, on ne fait aucune
révolution en profondeur. Depuis Dom Pedro nous avons une
histoire écrite par des aventuriers. Le seul parti organisé c’est
l’armée. Le seul qui a de la discipline et la mystique du patriotisme.
Nous sommes un pays de mystiques : le football, le carnaval, la
macumba, le spiritisme. Mais l’armée a une mystique
fondamentale : le drapeau brésilien, la gloire du Duque de Caxias
dans la bataille d’Itororó : « Celui qui est brésilien, suivez-moi! ».
Il est intéressant de penser que, malgré le fait que le Brésil vive dans un
contexte d’une dictature militaire et de prises de position de plus en plus
réactionnaires adoptées par les forces militaires brésiliennes, les textes de
Rocha ne réalisent jamais une critique négative de son rôle dans le processus
historique national. Au contraire, les militaires paraissent toujours, et cela se
maintiendra une constante jusqu’à l’Âge de la terre, comme des agents
conciliateurs, raisonnables ou comme une alternative politique de salut d’une
société civile corrompue et dégénérée. C’était comme si l’armée représentait
le seul secteur social qui se trouvait au-dessus des disputes de classe et des
querelles entre partisans de la droite et de la gauche, qui finissaient par se
rencontrer par rapport à leurs véritables intérêts. Cette perspective peut aussi
être trouvée dans les innombrables interviews concédées par l’auteur à partir
de 1970.
Quant à Silveira, même s’il est déjà cité quelques fois dans les paroles
d’autres personnages, il n’apparaît dans le texte que dans la 14e séquence. Il
surgit déjà inséré dans un contexte où le populisme est mis en échec. Il s’agit
d’une scène où Silveira essaie de convaincre certains paysans à reprendre le
travail et à respecter la loi.
Paulo ouvre alors le jeu à Silveira et dit qu’il n’était pas venu seulement avec
le but de réaliser une interview et lui fait une proposition d’accord politique
avec Billy. Silveira lui demande quels compromis cet accord engendrerait. Ici,
231
il devient évident que la politique nationale est le résultat d’un jeu d’accords et
L’HISTOIRE EN TRANSE
regard vers les problèmes sociaux vécus dans le pays, attaqué d’un sentiment
de culpabilité pour être resté pendant si longtemps indifférent à ces questions.
Toutefois, dans le scénario, cette conversion apparaît de façon forcée, étant
donné qu’il n’existe pas des événements suffisamment forts pour l’entraîner.
Paulo embrasse Sarah et ils vont au lit :
Cette séquence est assez intéressante, car elle insère une logique allégorique
et de rituel qui serait reprise très fortement dans le film Terre en Transe. Les
alliances sociales et les possibilités de ruptures sont placées dans le texte
sous la forme d’un rituel dont l’espace et le temps ne sont effectivement pas
ceux de la narrative. C’est comme si, pour que la rébellion du peuple ait lieu,
233
se faisait nécessaire une fuite de l’histoire. Le peuple, qui avait paru très
L’HISTOIRE EN TRANSE
Toutefois, le scénario laisse une série d’interrogations autour des faits qui
auraient eu lieu à ce rituel (de prise de possession de La droite et de révolte
du peuple), lesquels ne sont pas éclairés. On reste, par exemple, avec une
234
grande interrogation sur ce qui serait arrivé au personnage Silveira. Une autre
L’HISTOIRE EN TRANSE
Un Film en Transe
Entre mars 1965 et 1967, le contexte politique brésilien ne s’est pas beaucoup
modifié. Le gouvernement militaire se stabilisait petit à petit, en acquérant plus
de force et en organisant de plus en plus le système répressif, même si le
président Castello Branco n’appartenait pas à l’aile la plus autoritaire et rigide
des forces officielles brésiliennes. À ce moment-là, on voit encore une lente
réorganisation des mouvements sociaux — spécialement ceux sous le
leadership des étudiants, artistes et militants dissidents d’organismes plus
traditionnels —, qui débutent un graduel processus de contestation du
système, qui se radicaliserait en 1968, à travers une vague de manifestations
de rue et de l’irruption d’organisation de lutte armée. En novembre 1965,
pendant une manifestation contre la réunion qui aurait lieu entre le
gouvernement brésilien et l’Organisation des États Américains, Rocha fut
emprisonné, avec d’autres intellectuels, et resta en prison pendant quinze
jours. Sa libération fut obtenue par la pression exercée sur le gouvernement, 235
L’HISTOIRE EN TRANSE
49
La signature du pape fut obtenue avec l’intervention du prêtre Arpa, de Rome, à la demande du
cinéaste brésilien Paulo Saraceni.
institutionnel commandé par le gouvernement, réalisé dans la région
amazonienne, au style assez traditionnel, où il montre les beautés et la réalité
de la région amazonienne brésilienne. Le film parut en 1966, quand le
directeur réalisa un autre court-métrage, aussi sous commande, mais cette
fois-ci du candidat à gouverneur de l’État du Maranhão, José Sarney (qui
deviendrait le président du Brésil en 1985). Le film, Maranhão 66, outre le fait
d’avoir été l’instrument de captation d’argent pour la production de Terre en
Transe, servit comme un espace d’apprentissage pour Rocha, dans la mesure
où il put se trouver très près des coulisses électorales d’un État brésilien dont
les caractéristiques seraient reproduites dans la façon dont Vieira conduirait
ses deux campagnes, dans le film. Grâce à des emprunts concédés par José
Sarney (un homme politique allié au gouvernement militaire et appartenant
aux ailes conservatrices de la droite civile) que Rocha réussit à obtenir une
partie du financement pour la réalisation de Terre en Transe, ce qui, en
principe, peut paraître un paradoxe, dans la mesure où le film réalise une dure
critique de tout le processus politique brésilien. Tout de suite après, Rocha
débute la production de Terre en Transe.
Il convient de reprendre l’idée que notre objectif final dans l’analyse du film
Terre en Transe est réfléchir sur les spécificités, les portées et les limites des
discours historiques cinématographiques de Glauber Rocha qui se reportent,
directe ou indirectement, au passé ou à une certaine idée d´histoire, à partir
de l´étude des éléments temporels et spatiaux du film, de l´articulation du récit
avec l´histoire du Brésil dans le contexte des années 60, et des rapports de
concepts comme l´esthétique, la politique et l´éthique, la fiction, la réalité et le
mythe. Terre en Transe est pris ici comme un réseau polyphonique où de
multiples voix se rencontrent et se contredisent, en réalisant des dialogues
avec divers autres textes qui composent le tissu de la culture et de l’histoire
du Brésil.
Terre en Transe est un film tourné en noir et blanc, de 110 minutes de durée
avec approximativement 320 plans, distribués dans 55 séquences. Il faut
indiquer que le film possède au moins trois
versions différentes, en circulation dans le marché
brésilien et international. La version
supposée originale serait celle qui correspond
à la transcription des dialogues, publiés en
forme de livre — Roteiros do Terceyro
Mundo — sous l’organisation du cinéaste 238
L’HISTOIRE EN TRANSE
50
Dans le dvd-rom, on trouve le découpage plus détaillé.
présentés, en commençant par la direction. Après le crédit avec le titre du
film, c’est la lumière intense du Soleil qui va marquer l’entrée de la mer et de
la musique. S’instaure immédiatement un climat un peu mystique, donné par
le contraste obscur / clair et par la présence du chant noir « Aluê », du
Candomblé de Bahia. Il n’y a pas de présence humaine dans cette séquence
initiale.
Il est intéressant de réfléchir ici sur la signification que la mer et la terre ont
dans Terre en Transe et dans les films de Rocha en général, en tant que des
espaces dotés de grand symbole. Dans la mythologie, la mer et la terre sont
liés aux origines de l’homme et de l’histoire. Cette idée serait entérinée par les
présocratiques. Empédocle croyait que la nature possédait en tout quatre
éléments de base, qu’il appelait les « racines ». Ces quatre éléments étaient
la terre, l’air, le feu et l’eau. Aujourd’hui, ce signifié subsiste encore à cause
de la ressignification mythologique réalisée par l’astrologie. La terre serait un
élément féminin lié à tout ce qui est matériel et soutenu en des bases réalistes
de monde. La mer, étant liée à l’eau, est un élément en rapport à tout ce qui
est émotionnel. La mer est vue aussi par certaines mythologies indigènes
comme un symbole d’origines, en rapport à l’utérus, à la fertilité. Un espace
où la temporalité est indéfinie, où le passé et le futur se rencontrent. Tous les
deux participent comme des éléments symboliques actifs dans pratIquement
tous les films de Rocha. Ce n’est pas un hasard que trois de ses films ont le
mot terre dans ses titres originels. En outre, il existe une constante polarité
entre la terre et la mer insérée dans les discours de certains films, à l’exemple
de ce qui arrive à Le Dieu Noir et le Diable Blonde, qui se termine avec une
image de Manuel en train de courir de la terre vers la mer. On est peut-être
devant deux pôles (la terre et la mer) qui symbolisent une vision de monde
plus réaliste et l’autre imaginaire. En tout le cas, la mer est vue comme uns 240
L’HISTOIRE EN TRANSE
Lúcia Nagib, comprenant lui aussi la relevance de la mer pour les discours de
Rocha, indiqua encore la fonction symbolique de la mer en tant qu’espace de
synthèse du paradis et de l’enfer :
Dans le cas de Terre en Transe, elle ajoute encore l’idée que la mer
synthétiserait « un processus historique de presque 500 ans, en utilisant le
paradis perdu et redécouvert par les Portugais comme la scène d’un récit
contemporain » (Nagib, 2001, p.3). Cette allégorie serait utilisée dans cette
241
séquence initiale, mais tout de suite complété dans une séquence ultérieure,
L’HISTOIRE EN TRANSE
51
Entretien de Glauber Rocha à Michel Ciment, publié dans le nº 67 de Positif. Publié dans ROCHA,
1981, p. 87.
52
ROCHA, G. Uma aventura perigosa. Fatos e Fotos, Rio de Janeiro, avril 1967.
Quand nous comparons le début de Barravento avec celui de Terre en
Transe, nous percevons facilement une certaine proximité, instaurée surtout
par la présence de la musique d’origine afro-brésilienne. Toutefois, alors que
le premier cherchait à souligner la proximité de l’homme avec la nature, ce
dernier cherchait à marquer la rupture entre ces deux univers. Nous pouvons
ici essayer de faire un parallèle avec le début du film L’Âge de la Terre, un
long plan du Soleil, à la naissance du jour, devant des amas de terre et d’eau,
sous le fond sonore d’une multiplicité de voix, de bruits de bêtes, une musique
de rituel indigène, dans une situation qui pourrait aussi bien indiquer la
proximité que la rupture. Dans ce cas, les paramètres entre ce qui est et ce
qui ne l’est pas avaient déjà été perdus.
Le gouverneur Filipe Vieira marche pressé par les couloirs du palais, suivi par
Sara, par le prêtre et par le militant politique Aldo, qui porte une mitrailleuse.
Ils arrivent à la terrasse, où se trouvent d’autres personnages, parmi lesquels
le Capitaine, l’étudiant, le militant politique Marinho, le leader syndical
Jerônimo et les hommes de sécurité du gouverneur. Tous parlent en même
temps, des reporters et des photographes entourent Vieira. La caméra,
nerveuse, circule entre les personnages. Vieira regarde étonné tous ceux qui
parlent, et crie en exigeant du calme.
Par la suite, on voit un plan qui recule dans le temps diégétique, en montrant
à nouveau l’arrivée de Vieira à la terrasse. Ici on perçoit déjà les signes d’un
243
montage discontinu et non linéaire, où l’ordre chronologique des événements
L’HISTOIRE EN TRANSE
n’est pas respecté. Une nouvelle Coupure sur un plan avec un nouveau
personnage (Paulo Martins) qui conduit une voiture. La caméra semble
trembler suivant le mouvement de la voiture. Le son des tambours augmente.
Coupure sur un plan en contre-lumière où Paulo ouvre les portes du palais et
entre. Le son des tambours commence à diminuer. Coupure sur un plan
américain où dialoguent le Capitaine et Vieira sur la situation politique du
moment. Paulo monte sur la terrasse, prend la mitrailleuse à Aldo et
s’approche de Vieira. Au moment où il arrive à la terrasse, une musique de
fond lente commence à jouer (Villa-Lobos). Le rythme de la séquence, très
agité jusqu’alors, se modifie et devient lent. Débute une discussion entre
Paulo et Vieira sur quoi faire devant le coup d’état que les adversaires
politiques venaient de perpétrer. Au moment de la discussion, Paulo donne la
mitrailleuse à Vieira, qui la rend. Paulo veut une réaction et Vieira un retrait
pacifique. Tous les deux crient. Le Capitaine se trouve à leurs côtés, comme
pour garantir le pouvoir de Vieira, qui avait ordonné l’accomplissement des
ses ordres. Close sur les visages des personnages, qui démontrent un air
inconsolé et de frustration et baissent les yeux. Vieira commence à dicter le
discours de renonciation à Sara, qui écrit de façon obéissante. Absence de
musique de fond. Alors que Vieira dicte son discours, Paulo marche autour de
lui de façon circulaire, en entrant et sortant du cadre avec une marche et
rythme nerveux. Paulo débute un monologue intérieur, en soulignant sa
révolte, en même temps où Vieira finit de dicter son discours. Vieira reste
arrêté, immobile, alors que Paulo invoque Sara, lui demandant qui était le
grand leader sur lequel ils avaient parié : « — Tu vois, Sara, qui était notre
leader? Notre grand leader .» On saute vers un rapide plan d’ensemble en
focalisant sur le devant de la terrasse du palais du gouvernement où, de loin,
au milieu, on voit Vieira entre deux personnes, au garde-fou de la façade de
l’immeuble. Ce plan d’ensemble, très rapide, paraît à un moment inhabituel
pour une séquence cinématographique — à la fin — et ainsi, au lieu de situer
le spectateur par rapport à l’espace filmique où la trame se déroule, finit par le
confondre encore plus.
244
L’HISTOIRE EN TRANSE
La voiture roule avec des mouvements de déséquilibre, accentués par les 245
mouvements de la caméra. La voiture ralentit. On ne voit pas des signes de
L’HISTOIRE EN TRANSE
sang sur le corps de Paulo. Après que son discours arrive à un point où il
affirme que la « naïveté de la foi n’est pas possible », on entre dans la
quatrième séquence de cette première partie du film, où l’on voit l’image de
Paulo presque arrêté, dans des dunes, un jour nuageux, une mitrailleuse à la
main. En off, on continue à écouter ses paroles, qui donnent suite à ce qu’il
disait à Sara, dans la voiture. La séquence présente aussi le début d’une
musique de Villa-Lobos, jouée au piano. Le plan est lent, les mouvements de
Paulo aussi. L’image paraît très claire, avec la lumière presque éclatée, en
contraste avec le reste des images, foncées dans la plupart (une constante
dans tout le film). Tout à coup, paraît la légende avec un extrait d’un poème
de Mário Faustino : « Il n’a pas réussit à affermir le noble pacte ... Entre le
cosmos sanglant et l’âme pure ... Gladiateur défunt mais intact ... (tellement
de violence mais tellement de tendresse). Mário Faustino ».
sanglant? Et l’âme pure? Jusqu’à alors, le film n’avait pas donné des
éléments suffisants pour répondre à ces questions, qui seraient exploitées
dans d’autres moments de l’histoire. Les dialogues entre Paulo et Sara
seraient une source où l’on pourrait chercher ces réponses, à l’exemple de ce
que l’on trouve dans la séquence 27, où Sara lui dit : « Tu ne comprends pas
... Un homme ne peut pas se diviser ainsi ... La police et la poésie c’en est
trop pour un seul homme ... ». En réalité, c’est à cette dualité que le poème de
Faustino se réfère et que le film fera allusion à plusieurs moments : la
politique, qui jusqu’à Le Dieu Noir et le Diable Blond occupait le lieu de
discours rédempteur, ici acquiert des contours « sales », « pourris »,
hypocrites (le cosmos sanglant); et la poésie, qui finit par fonctionner comme
l’autre moitié (l’âme pure) de cette réalité, agit comme le pôle qui réussit à
préserver la pureté des idéaux.
vraiment cela que le film montrerait? Ou est-ce que le personnage Paulo avait
besoin de croire à cela pour mourir en paix, mourir en croyant être un héros,
comme le signalait encore une fois la parole de Sara? — Arrête-toi, Paulo!
Arrête cette folie, Paulo! ... Nous n’avons pas besoin de héros. ... Que prouve-
t-elle ta mort? Quoi? », à laquelle Paulo répond : « Le triomphe de la beauté
et de la justice! ». Cette liaison entre Paulo et le héros peut encore être
complétée par le contenu du poème lui-même, quand celui-ci fait référence à
la concomitance de la violence et de la tendresse, une polarité présente dans
les instances héroïques romantiques occidentales. Par rapport à cela, on 247
L’HISTOIRE EN TRANSE
pourrait encore faire une allusion à une phrase très connue de Che Guevara
(et diffusée dans le contexte) : « hay que endurecer, pero sin perder la ternura
jamás! ». Le film, serait-il en train de vouloir établir une relation entre Paulo et
Che Guevara, dont la mort tragique serait ici annoncée? Ou d’autres
guerrilleros comme s’était le cas du bahianais Carlos Mariguella?53
C’est à partir de cette séquence des dunes que Paulo débute la narration qui
le mène à un flash-back d’une durée de plus de cinquante minutes. Le
passage de ce moment à celui du flash-back se fait par l’intermédiaire du
début de la narration d’un texte over, où Paulo dialogue de façon imaginaire
avec Sara :
Ce texte sert donc comme le pont entre ce temps présent où Paulo est en
248
train de mourir, et le passé qu’il commencera à narrer.
L’HISTOIRE EN TRANSE
53
La problématique discutée par Paulo et par Sara est aussi bien une métaphore des clivages qui
séparaient les partisans de la gauche populiste et dite réformiste (PC, par exemple) et de ceux qui
La Rupture avec le Père
s’engage dans « la critique des armes » qui était critique a son tour. Enfin, Paulo peut être bien le
dilemme de vouloir être autrement sans savoir exactement comment.
Continuité dans l’audio, changement
complet d’espace. On entre dans la
séquence suivante, où au début on
voit des images de la mer près de la
côte, dans un plan aérien, mais pas
trop éloigné. Le mouvement de la
caméra cadre petit à petit certains
personnages en train de marcher sur la plage. Du côté gauche, un homme
grand, vêtu de façon carnavalesque, aux manières des colonisateurs
ibériques des XVe-XVe siècles. Au milieu, Díaz, avec le même costume et
tenant le drapeau levé avec la main droite. Sur sa droite, l’image du prêtre, qui
était déjà apparu dans la séquence de la terrasse du gouverneur Vieira. Tous
les trois marchent vers une croix, où Indien, lui aussi stylisé et avec des
vêtements carnavalesques, les attend. L’image s’éloigne avec un zoom
encore dans le même plan. Coupure sur un autre plan où la caméra se meut
en prenant le visage et le corps (en plan américain) de l’Indien. Coupure sur
un nouveau plan d’ensemble, cette fois-ci frontal, en prenant les quatre
personnages déjà cités, et quelqu’un en plus (qui semble regarder la
cérémonie), bien éloigné, que l’on ne réussit pas à identifier. Díaz secoue son
drapeau et puis il l’enfonce dans le sol du sable de la plage. Le prêtre ouvre
les bras. Coupure sur un plan américain en cadrant le conquérant, qui a un
grand chapeau dans les mains. Suit un zoom dans l’image, jusqu’à ce que
l’on ait un premier plan de son visage, à l’aspect sérieux. Coupure sur un plan
moyen, où Díaz, devant le conquérant, prend une boisson dans un calice, à
côté du drapeau, avec des gestes qui donnent la connotation d’un rituel.
Derrière, le conquérant se trouve immobile. Toute la séquence est réalisée
sur un rythme lent. Après avoir pris le calice, Díaz regarde le ciel, comme s’il
250
était en état de transe.
L’HISTOIRE EN TRANSE
Les trois séquences se réalisent en des espaces distinctes (la rue d’une ville,
la plage et le palais de Díaz), et ont comme élément d’union la présence du
personnage Díaz, vêtu de son costume noir, en tenant un drapeau noir et un
crucifix.
figure de l’action toujours pareille, comme celle du ‘possédé’ par une idée ou
valeur, dont la tendance est s’identifier avec une position hiérarchique, puis
avec le nom correspondant à cette position et qui, à la limite, tend à composer
avec ce nom une entité unique » (Xavier, 1993, p.51). C’est dans cette
condition donc qu’ il
54
Il est également intéressant de porter son attention sur la représentation de la scène faite dans le film Découverte
leader populiste; Fuentes, la bourgeoisie nationale; le prêtre, les
représentants de l’Église Catholique; Sara, l’aile consciente, pondérée de la
militantisme féminine; Silvia, la parcelle aliénée (au point de vue sexuel,
politique et financier) des femmes des hautes couches au Brésil; Aldo, le
« téléguidé » du Parti, bouc émissaire pour les discours radicaux, mais dont le
discours et l’action ne présentent pas de consistance; Jerônimo, le
syndicaliste pro gouvernement. De cette façon, est tracée une allégorie
historique didactique et schématique, dont la fonction est de remettre le
spectateur, à travers la représentation d’éléments plus palpables, vers un
entendement plus générique des forces sociales et politiques qui
composèrent l’histoire du Brésil et, spécialement, des événements qui avaient
engendré le coup d’état de 1964. Toutefois, ces caractéristiques ne rendent
pas le discours du film simpliste, dans la mesure où les personnages, même
en exerçant la fonction de types, ne se manifestent pas de façon
manichéenne et présentent une série de contradictions qui empêchent de les
classer clairement entre les « bons » et les « mauvais », comme on ferait
dans une fable didactique traditionnelle. Parallèlement à cela, le film permet
d’autres lectures, de même que la présence de l’allégorie, qui le rend plus
riche et complexe. Car, avec ses figures allégoriques, Rocha pointe aussi vers
une dimension située au-delà de l’aspect immédiat des faits qu’il présente
(dans la fable d’Eldorado).
Outre ces aspects plus liés à une conception structurelle du temps, cette
proximité de Terre en Transe avec l’allégorie baroque pourrait aider encore à
comprendre la vision fataliste et catastrophique du monde, la sensation de
douleur et de souffrance avec laquelle les faits sont narrés et vécus. Ainsi
256
donc, plus qu’un artifice esthétique, à la manière de symbole, l’allégorie
L’HISTOIRE EN TRANSE
Paulo est le « prince baroque » par excellence, celui qui se trouve entre le
dictateur (avec la même soif de pouvoir) et le martyr (avec son ambition
révolutionnaire). D’où l’oscillation de son comportement, d’où sa relation
d’amour et de haine, admiration et mépris par rapport à Díaz. Cette
perspective d’analyse peut aider à expliquer, par exemple, le comportement
que Paulo aura dans la séquence 54, quand il essaiera de tenir la couronne.
déjà Paulo, assis, en train d’écrire sur une machine, un crayon dans la
bouche, qui l’aide à faire des retouches sur ce qu’il écrit. Il dactylographie, à
côté d’un autre reporter, à un rythme rapide.
La succession d’événements qui marquent le passage de la séquence 10 à
12 exemplifie une des caractéristiques de base du montage de Terre en
Transe et de la façon dont le film réalise le déplacement dans le temps
chronologique : son pouvoir de condensation.
À la séquence 15, on est déjà conduit vers un autre moment, construit par les
images de la campagne de Vieira pour être gouverneur — pour laquelle le
soutien de Paulo avait été décidé dans les scènes de la terrasse. Les images
et les sons de la campagne suggèrent, de manière très caricaturale, quelques
caractéristiques du populisme dont Vieira est représentant et leader. Vieira,
en plongée, se trouve au milieu de la foule qui l’applaudit et crie son nom. Il
répond avec des mots clés et ouvre les bras. Coupure sur un plan américain
de Vieira en train de marcher dans la rue, le dos tourné vers le peuple. Il
bavarde avec une dame, noire, petite, la complimente en promettant des
faveurs. Sa voix à elle est recouverte par le bruit intense des voix distantes,
les cloches d’une église et une musique (une petite marche qui ridiculise et
théâtralise la séquence). À côté de lui, le prêtre marche. Derrière, Marinho,
Aldo et le peuple. Coupure sur plan américain en ambiant fermé. En donnant
suite à la campagne, Vieira fait l’accolade à des personnes et rit. Coupure sur
l’espace de la séquence antérieure, où Vieira bavarde avec Felício, homme
du peuple, qui se trouve à côté de son épouse. Il demande du silence et
demande à Felício de parler. Coupure et retour vers l’autre espace intérieur, 264
L’HISTOIRE EN TRANSE
où le peuple continue à faire l’accolade à Vieira, qui démontre déjà des signes
de fatigue, qu’il essaie de dissimuler.
Une curiosité intéressante sur cette séquence : pour filmer les images, Rocha
plaça l’acteur José Lewgoy au milieu du peuple pour que ce dernier pense
qu’il s’agissait vraiment d’un meeting politique et que Vieira était réellement un
candidat : « La police voulut interrompre le filmage car il y avait de l’agitation,
les gens voulaient voter pour cet homme-là » (Rocha, 1981, p.90).
Les deux les yeux fermés, comme s’ils voulaient fuir vers un endroit tranquille.
Il embrasse son visage. Progressivement, le volume du son diminue. Après,
on a une situation de silence complet qui contraste avec la pollution sonore
antérieure. Une nouvelle coupure est faite. Plan d’ensemble sur Paulo et
Sara, assis à la même table où ils s’étaient réunis avec Vieira. La caméra
s’approche des deux et Paulo, dans une parole en over, se questionne sur
comment Vieira et les autres allaient se comporter devant les événements
futurs, après avoir gagné les élections :
« Paulo — Et nous avons vaincu! Les choses que j’ai vues dans
cette campagne-là! Une tragédie plus grande que nos forces elles-
mêmes. Dans le calme même du balcon où nous avions planifié en
fête la lutte, moi, maintenant à tes côtés, je pensais aux problèmes
qui surgiraient et je me demandais comment le gouverneur élu
répondrait aux promesses du candidat. Surtout, je me demandait à
moi-même et aux autres, comment nous réagirions? ».
La symétrie des plans semble faire une citation de la séquence des escaliers
d’Odessa, dans le Cuirassé Potemkine. Coupure sur Vieira, qui fait un
nouveau signe aux policiers, qui descendent pour tenir le peuple. Felício reste
à côté de Vieira, dans une position d’infériorité accentuée par la caméra en
contre-plongée. Marinho marche proche des deux, pour tout enregistrer avec
son magnétophone. Coupure sur un plan américain surtout sur Felício, qui
commence à parler, en faisant ses doléances et demandes contre ceux qui
veulent expulser son peuple de ces terres-là. La caméra se déplace vers le
visage de Vieira, qui regarde avec du cynisme. À nouveau la caméra se
déplace vers Felício. Coupure sur un plan moyen, en contre-plongée, avec
Paulo au-dessus de Felício, en position de supériorité, en ayant Vieira à côté,
Aldo un peu derrière, puis Marinho. Paulo demande du calme et commence
une discussion avec Felício. Il descend et oblige Felício à descendre aussi, en
s’approchant de la caméra, qui finit par focaliser Vieira en train de regarder
vers le bas, comme en étant sûr de quelque chose. La discussion continue, 267
L’HISTOIRE EN TRANSE
Paulo, nerveux, tourne d’un côté à l’autre, soutenant que Vieira devrait rompre
ses compromis et assumer la situation du côté du peuple. Coupure sur plan
américain latéral de Vieira en marchant. Coupure sur plan américain de
Paulo, en soulignant les expressions d’indignation sur son visage.
champ/contre-champ des deux encadrés en situation de plan américain, dans
un montage au rythme accéléré. Paulo recommence à marcher. Il gesticule
beaucoup. Coupure sur un plan qui détonne par rapport aux autres : Vieira, en
plan américain, arrêté, les bras semi-ouverts. La caméra ferme sur son
visage, qui démontre un ton de cynisme, corsé par un rire sans grâce. Au
fond, un morceau d’un poème de Castro Alves, chanté en rythme de
carnaval : « La place appartient au peuple, comme le ciel au condor. Disait
déjà le poète des esclaves lutteur ».
qui reproduit un morceau d’un poème (très connu au Brésil) qui fait référence
à la liberté du peuple, dans un contexte où Vieira avait décidé de réprimer les
manifestations populaires, le narrateur ironise la condition de leader populaire
assumée par Vieira le long du film et montre sa face autoritaire. Outre la
musique, le commentaire utilise le travail de la caméra et de la représentation
du personnage, qui se soumettent à une logique de construction narrative non
transparente.
Dans cette dernière séquence, on a été devant une autre stratégie narrative
du film. À certains moments de l’histoire, troubles en général, s’ouvre un
espace et un temps d’action séparés du reste du contexte, où Paulo fait une
réflexion sur les événements, avec la médiation de l’interlocution avec Sara.
Cela avait déjà eu lieu au moment de la victoire de la première candidature de
Vieira et allait se répéter, de façon plus accentuée et directe, dans la
Rencontre du Leader avec le Peuple, comme on verra ci-après.
Quant à cette séquence, il faut souligner que le baiser sert comme pont de
passage à la partie suivante du film. Il est intéressant de remarquer que
jusqu’ici tous les passages d’une partie du film à l’autre ont été ponctués par
la présence d’une des deux femmes avec lesquelles Paulo à des rapports
dans le film : Silvia ou Sara.
La Vengeance du Fils
272
On perçoit ici une symétrie entre le début de ce bloc et la séquence 11, qui
avait été marquée par des images de la rue d’Alecrim. C’est comme si Alecrim
et Eldorado étaient des espaces symboliques équivalents. À l’évidence, ces
deux espaces signifient ici les secteurs de la société que le film tient à
délimiter. Alecrim, située à l’intérieur, est l’espace d’action de Vieira, du
populisme. Eldorado, la capitale du pays du même nom, est le territoire des
disputes entre les secteurs représentés par Díaz et encore par les forces de la
bourgeoisie nationale et internationale, qui seront présentées dans les
événements suivants. Et, en fin de compte, Paulo s’aperçoit progressivement
que les deux territoires se trouvent contaminés.
Ces séquences expriment l’idée que ces fêtes sont des portraits caricaturaux
de la vie de la bourgeoisie nationale, qui s’exprime à travers le gaspillage, les
exagérations, la luxure. En fait, on a un regard moraliste et chrétien sur cette
allégorie, où le sexe et le plaisir sont perçus comme négatifs, ce qui était, en
vérité, une prise de position assez commune dans une parcelle de la gauche
brésilienne dans ce contexte-là.
Dans la séquence 33, Paulo reçoit Sara, Aldo et Marinho dans la véranda de
L’HISTOIRE EN TRANSE
À l’intérieur d’un dialogue basé sur des présupposés réalistes, cette réponse
n’aurait pas de sens. Toutefois, dans le contexte imagétique et narratif dans
lequel elle s’insère, on peut la comprendre comme une manifestation de son
mépris vis-à-vis de Fuentes et en même temps de sadisme devant la peur de
perte imaginée par Júlio à ce moment-là. En fait, toute la séquence semble
étrange, pointant aussi vers quelques ruptures dans la ligne diégétique du
temps, dans la mesure où il n’existe pas une coherence entre la
représentation logique et linéaire de ce qui vient avant et après. Cela peut être
mis en évidence aussi bien dans les scènes de la fête que dans les plans se
référant aux rencontres de Paulo.
Par exemple, les images de la même fête, paraissent dans trois contextes
temporels différents. Outre la séquence 29, décrite plus haut, on a la
séquence 31 et la 38. Non seulement ces plans sont insérés en des moments
distincts de la ligne chronologique de la narration, mais ils présentent des
différences par rapport à la bande sonore. Dans la séquence 29, on écoute
plusieurs voix, des rires. Au début, le son de la musique (jazz) est bas,
presque imperceptible, ce qui rend la séquence étrange. Puis, le volume de la 277
musique augmente progressivement, mais toujours juxtaposé aux bruits qui
L’HISTOIRE EN TRANSE
Selon Xavier, ces deux femmes seraient en train de représenter les figures
d’Álvaro et de Paulo (Xavier, 1993). Il nous semble toutefois qu’il s’agit d’une
allégorie qui symbolise davantage les figures de Díaz et de Vieira,
représentant les deux secteurs politiques entre lesquels Fuentes oscille, étant
donné qu’entre Paulo et Álvaro il n’existe pas d’antagonismes concrets, tous
deux se situant du même bord et représentant les mêmes forces sociales.
Dans l’extrait cité, la voix over de Paulo se réfère à l’amour qu’il avait pour
Sara et à la haine d’Eldorado. Et aussi à la possibilité de détruire Díaz et
revenir aux promesses de Vieira. Il fait allusion aussi au fait de pouvoir arriver
à quelque part. On le voit en train de se traîner, l’arme à la main, comme s’il
allait vraiment dans une direction précise. Mais quel serait ce destin? Et quelle
serait le rapport entre cette « marche » avec les événements qu’il narrait dans
le flash-back, à ce point-là de l’histoire? Pourquoi ce retour a lieu exactement
à ce moment-là?
La séquence 40, comme signalé plus haut, se compose d’un dialogue entre
Paulo et les militants de Vieira. Paulo est assis dans une véranda. Autour de
lui, marchent agités Marinho, Aldo et Sara, qui lui disent des choses de façon
imposée, comme en lui donnant des leçons de morale et lui dictant des
ordres. Au milieu de la conversation, Sara commence à faire des massages
sur les épaules de Paulo et l’embrasse. Les deux autres continuent à parler.
par l’émission que l’on voit surgir. En d’autres, il semble que l’on est devant le
personnage qui réagit devant l’émission (donc dans une temporalité future),
manifestant, à travers des gestes et visages, toute sa haine engendrée par la
trahison de Paulo.
Tout cela crée une incertitude sur la source de narration des événements de
la séquence. À certains moments, on ne sait pas lequel des Paulo parle, à
quel Díaz la narration se réfère-t-elle et lequel des temps prévaut. Serait-ce le
Paulo-narrateur du flash-back? Serait-ce le Paulo-narré? Ou serait-ce le
Paulo « fictif », qui narre l’émission de TV? Et quelle est la signification de la
référence au temps allégorique, apportée par la présence des images initiales
de Díaz défilant en voiture ouverte?
Coupure sur un plan moyen qui focalise les deux presque tête-à-tête, le lustre
derrière. L’ambiance est très sombre. Díaz se lève et s’éloigne, en parlant
nerveusement. Un sourire sur le visage, alors qu’il parle avec un air
hallucinatoire, il prend un revolver avec la main droite. Sa parole révèle aussi
sa mégalomanie et, ainsi, son proximité avec la figure du « prince tyran » des
drames baroques : « Tu ne m’embrasses pas les pieds? Qui, à part moi, peut
sauver Eldorado? ». Et encore « La politique est une arme pour les élus! Pour
les dieux! ». À ce moment-là, il relate encore sa conception de Peuple et
appelle la conscience de Paulo : « Les extrémistes ont créé la mystique du
peuple, mais le peuple ne vaut rien. Le peuple est aveugle et vindicatif! Si l’on
donne attention au peuple, que fera-t-il? Où se trouve sa conscience? ».
Dans un certain sens, celle-ci serait aussi la vision de Paulo par rapport au
peuple, déjà manifestée dans quelques séquences, à l’exemple de celle en
rapport à la confrontation de Felício, qui, plus tard, dans la séquence 44, sera
mieux éclairée. Pendant sa parole, débute le son d’un opéra qui donne un ton
majestueux à son discours. Paulo est déjà pratiquement sorti de
l’encadrement. Díaz lève l’arme, alors que débute le son d’une cornette.
Coupure sur un plan moyen de Díaz revenant vers Paulo, l’arme encore vers
le haut, en continuant à parler furieusement. Coupure sur un premier plan où
la main de Díaz place le revolver contre la tête de Paulo. Il continue à parler.
Paulo reste immobile et, tout à coup, se lève, enlève brusquement la main de
Díaz de sa tête et crie ... La caméra fait un tour. Paulo va vers l’autre côté,
marche le dos tourné et ouvre les bras. Coupure sur premier plan latéral de 285
Díaz, qui regarde et marche vers Paulo.
L’HISTOIRE EN TRANSE
Coupure sur plan moyen, avec Paulo au fond, en face de la caméra, et Díaz,
du côté droit de l’encadrement, s’approche de lui, le dos vers la caméra, avec
son revolver à la main. La caméra l’accompagne. Il pointe l’arme vers Paulo,
qui commence à aller d’un côté vers l’autre en se cachant, de façon très
théâtrale, de l’arme. Le volume de l’opéra augmente de nouveau et le bruit
d’un tir revient. La caméra le focalise. Il regarde Díaz et marche vers lui.
Coupure sur image de Díaz, avec l’arme pointée vers le haut, en regardant le
sol. La caméra s’approche et focalise son visage en premier plan. Il
recommence à parler. La caméra se déplace vers Paulo, qui répond. Coupure
sur image du bras de Díaz qui descend. La caméra focalise son visage,
encadré avec de la lumière et de l’ombre. Il parle théâtralement. Coupure sur
Paulo, en face, en plan américain, qui parle à Díaz. Coupure sur Díaz, en
premier plan latéral, le visage presque tout entier dans l’ombre. Il continue à
parler. Il regarde droit devant et vers le haut.
Zoom out focalisant tout le groupe et une foule en bas qui fait signe et agite
des affiches blanches. Dans le fond musical, des cris, une musique au rythme
de la samba et des sifflements qui, ensemble, engendrent une sensation de
pollution sonore. Le plan suivant met en relief la foule en train de danser, avec
Vieira, le prêtre et le sénateur. La caméra à la main semble se promener à
côté du peuple, tel un personnage qui regarde ce qui se passe. Vieira semble
perdu devant la foule. Les deux plans suivants encadrent le sénateur, qui fait
un discours assez révélateur sur la nature du leadership de Vieira et sur
l’idéologie modernisatrice qui était derrière le discours populiste dans ce
contexte-là. Sa parole est assez théâtralisée (soulignée par la lecture d’un
texte), et même caricatural. Dans ce plan encore, le prêtre demande la parole
et parle des rôles de Pierre et Judas devant Jésus.
288
Dans le plan suivant, après la continuation de la parole du sénateur, le prêtre
L’HISTOIRE EN TRANSE
Premier plan de Jerônimo, Sara et Paulo, qui regardent étonnés. Silence. Vue
panoramique sur les personnes arrêtées. Tous regardent étonnés. Vieira se
courbe et tourne les yeux, comme s’il ne voulait ou ne pouvait pas voir. La
femme de Felício s’approche, comme s’il y avait un parallèle entre ce qui
représentait cet homme et ce q’avait représenté son mari (avant la mort).
L’homme du peuple regarde la caméra et fait son discours :
Aussitôt qu’il commence à parler, on voit derrière lui Paulo et Sara qui partent.
Premier plan d’un homme qui attaque Jerônimo par le cou. Les battements de
samba reviennent. Tous regardent alors que l’homme de main de Vieira
frappe l’homme et puis l’étouffe. Dans l’audio, on écoute des cris de
personnes qui appellent l’homme qui était en train de se faire assassiner
« extrémiste ». Des images de personnes en passant devant la caméra.
Premier plan de l’image du sénateur qui commence à lire un discours
affirmant qu’il n’y a pas de famine à Eldorado et que cela est une création des
discours extrémistes et communistes. Parallèlement, les cris continuent à
brouuiller la clarté de ses paroles. Zoom dans l’image de l’homme mort, à
genou par terre, tenu par la femme de Felício. Le prêtre pose la main sur la
tête de l’homme mort, comme s’il voulait l’exorciser. Bruits de mitrailleuse
suivis de silence.
291
L’HISTOIRE EN TRANSE
Premier plan de l’homme mort par terre, appuyé sur le corps de la femme de
Felício. Mouvement de caméra pour encadrer le sénateur qui observe le corps
avec un pince-nez (citation de la scène du Cuirassé Potemkine, où le médecin
examine la chair pourrie de la cuisine des marins). Celui-ci se lève. La caméra
s’éloigne, cadrant maintenant l’ensemble de personnes à alentour. Parmi
celles-ci, se détache le prêtre et un cameraman qui filme le mort, focalisant
l’image qui avait probablement été montrée dans le plan antérieur (encore un
faux raccord, donc).
caméra, sur le bord droit du cadre, se trouve Paulo. Sur le bord gauche, Aldo.
Tous regardent Paulo, qui a la tête basse. Vieira s’approche de lui et
commence à parler. Son discours est démagogique et ambigu. Il parle sur
l’extrémisme et dit qu’il n’est pas là pour servir de clown pour les hommes
politiques. Paulo se tourne vers la caméra et dit que si Vieira veut le pouvoir, il
doit lutter. À ce moment-là, il fait encore un commentaire sur le peuple : « À
l’intérieur de la masse, il y a l’homme, et il est difficile de dominer l’homme ...
plus difficile que la masse ... ».
Ce commentaire, un peu hors contexte dans celui des événements barrés par
le film, à ce moment-là, essaie de faire une critique à tout débat sur le peuple
que les intellectuels, les partis politiques de gauche et le Cinéma Nouveau lui-
même avaient réalisé, de façon très simpliste et schématique.
Dans un certain sens, le film affirme cette perspective et s’y oppose à la fois..
Cela parce que, dans plusieurs moments, à l’exemple des campagnes et de
cette séquence que l’on vient d’analyser, le peuple est montré de façon
aliénée, soit comme influençable par les promesses du populisme, soit par la
plongée dans la samba, dans le carnaval, dans le rituel, comme les pêcheurs
de Buraquinho qui s’aliénaient dans le Candomblé et les sertanejos dans les
croyances de São Sebastião. Toutefois, le film critique cette vision simpliste et
montre l’existence d’une autre partie du peuple qui, même dans un contexte
adverse, a le courage de se positionner et de revendiquer ses droits, à
l’exemple de ce qui se passe avec Felício et avec l’homme qui prend la parole
ici. Même si cela lui coûte la vie. Ils sont les seuls qui réussissent à le faire.
Celle-ci est une lutte du peuple et non pas de Paulo, trop contaminé par le
système colonisateur. Néanmoins, ce peuple ne possède pas encore des
forces pour combattre le système de domination en vigueur depuis des
siècles, dès l’arrivée de l’Européen colonisateur. Seulement la destruction
totale de cet espace rongé d’Eldorado et la construction d’un monde nouveau
— la révolution totale — pourrait donner des conditions au peuple de prendre
sa place. Et cette lutte ne peut s’établir qu’à partir de la violence, étant donné 293
que c’est sur la base de la violence que le système colonisateur se perpétue.
L’HISTOIRE EN TRANSE
C’est cela qui nous dit la mort de Felício, la mort de l’homme du peuple et
même la mort de Paulo Martins.
Tout cela engendre l’impression que l’on est devant un grand rituel, où
prévaut l’état de transe. Cet espace, où les événements prennent corps, se
trouve en transe. Les personnages se trouvent en transe. L’histoire se trouve
en transe. Cette transe absorbée et incorporée ici, plus que jamais, par la tex
Dans un certain sens, le film, au même temps, afirm et réagit contre cette ture
discursive elle-même.
Une fois finie la séquence 44, on voit débuter la suivante, avec un plan
d’ensemble de Vieira à la porte de sa maison, en cravate, sans veste, en
fumant un cigare. Zoom jusqu’à ce que l’image reste dans l’encadrement d’un
plan américain. On écoute une parole en over de Vieira : « Toutes les fois où
j’ai lutté en faveur des minorités nécessiteuses, je fut menacé des manières
les plus stupides! J’ai reculé plusieurs fois ». Dans la séquence suivante, on a
une nouvelle réunion entre Paulo, Sara et Vieira, dans le même espace où les
trois se sont retrouvés pour la première fois. Plan américain centré sur Vieira,
au milieu des deux autres, suivi d’un zoom ouvrant l’image pour encadrer
aussi Paulo et Sara, qui sont à côté de lui. Vieira parle (en donnant suite au
plan antérieur). La caméra se déplace lentement vers le visage de Paulo, puis
elle revient sur celui de Vieira, va jusqu’à Sara, revient et focalise Paulo à
nouveau, qui sort en marchant. La caméra l’accompagne. Initialement, on
avait seulement la musique de Villa-Lobos. Puis, on a de nouveau, pour la
troisième fois dans le film, la parution de la musique afro, d’abord très basse,
puis en augmentant le volume jusqu’à ce que les deux se superposent.
Personne ne parle plus. Les visages sont tristes.
Coupure sur un plan moyen où l’on voit l’image de Díaz et Júlio debout,
devant, et derrière celle de Silvia et Álvaro assis sur un canapé. La musique
est l’élément de continuité de la séquence, outre la parole de Díaz, mais
maintenant présentée en in. À ce moment-là, on perçoit le combien Díaz
ridiculise Fuentes et ses certitudes politiques qui deviennent manipulables à
partir de quelques menaces. On perçoit cela clairement encore dans ce plan,
quand Fuentes affirme qu’il est un homme de gauche et Díaz, en riant,
l’appelle imbécile, en venant ensuite devant la caméra et disant : « La lutte de
classes existe. Quelle est ta classe? Allons, dis-le! ». Au lieu de poser la
question en regardant vers Fuentes, il se trouve derrière, il la pose à la
caméra. À ce moment-là, alors que Fuentes s’approche de Díaz et continue la
conversation, on voit derrière Álvaro qui se lève, reste un peu immobile,
regarde Silvia. Parallèlement, la caméra focalise sur le visage de Díaz qui,
même en causant avec Fuentes, continue à regarder la caméra, qui fait un
zoom approchant davantage l’image sur son visage. Là derrière, Álvaro pose
la main sur la tête.
299
Coupure sur un autre plan où Díaz, d’un autre angle, encadré de profil, se
L’HISTOIRE EN TRANSE
Toutefois, Álvaro questionne cette libération et Paulo alors dit que ce fut Díaz
qui s’est libéré. Paulo aurait-il fait tout ce qu’il a fait par amour pour Díaz?
Pour que ce dernier soit libéré? Ou est-ce que Paulo serait en train de
reconnaître qu’il était, en quelque sorte, le reflet de Díaz?
Sa réponse provoque la réplique d’Álvaro avec une phrase très lucide : « Tu
es une sale copie de Díaz ». À ce moment-là on s’aperçoit clairement
l’approximation que la narration fait entre Paulo et Díaz, ponctuée aussi par
Álvaro, mais par avance révélée par le discours confus de Paulo.
Dans l’avant dernière scène, on a un plan d’Álvaro, dans lequel il est focalisé
sur le côté droit de l’écran, partiellement en dehors du cadrage, devant le mur.
Il dit : « Je ne peux rien faire en face à des jours sombres qui viendront, voilà
pourquoi je me suis désisté, voilà pourquoi je suis mort ». Il met la main dans
ses vêtements et prend un revolver. Il le pointe vers le côté gauche, où Paulo
se trouvait. Par la suite, on voit la fermeture de la séquence avec un premier
plan du visage de Silvia et le bruit d’un coup de feu.
301
qu’il aurait tiré pour tuer Paulo? Ou Paulo aurait-il désiré la mort devant tout
ce qu’il vivait à ce moment-là et imaginé l’action réalisée par Álvaro? Il se peut
que la mort supposée d’Álvaro anticipe dans l’imaginaire la mort de Paulo
elle-même, lui qui, en se désistant de la lutte, se laissait mourir là, peut-être
conduit par l’impuissance de ne pouvoir rien faire « en face des jours sombres
qui viendront ». Toutes ces lectures sont possibles, dans la mesure où le film
laisse ouvertes les questions posées par le coup de feu, étant donné que
Álvaro disparaît simplement de l’histoire, et le récit continue sans aucune
référence à l’épisode.
hasard que dans le scénario et dans les legendes les deux sont nommés par
le titre Dom D om P orfírio D íaz et D om F elipe V ieira. Le titre D om , dont
l’acception est en rapport au terme donu (latin), qui désigne pouvoir, vertu, est
un traitement donné à des rois, des princes, des nobles et à des dignitaires de
l’Église Catholique, toujours suivi du nom de baptême, très utilisé par la
royauté ibérique, dans la période colonisatrice. Reste donc l’idée que le
populisme et la tyrannie de la droite conservatrice sont des faces de la même
monnaie, des pratiques d’une classe dominante dont l’action vise à garantir le
maintien du pouvoir. Mais dans le contexte d’Eldorado cet acheminement se
donne à travers un processus contaminé par la transe. Cela devient évident
dans l’expression de leurs visages : on est devant un rituel de transe
collective.
Le plan initial montre déjà Paulo et Sara devant la barrière policière. Les deux
sont encadrés de dos. Pendant ce temps, on écoute encore les paroles de
Vieira demandant que l’on accomplisse les ordres. Dans le plan suivant, on
voit déjà les policiers qui restent derrière, à partir d’une prise faite du fond de
la voiture. Plan américain rapide du policier, le bruit d’un coup de feu, suivi
d’un premier plan de Paulo, avec la gestualité de quelqu’un qui avait été
touché par balle. À partir d’alors on a des images alternées de Paulo blessé et
du rituel de couronnement de Díaz auquel on a fait référence plus haut.
Ismail Xavier, qui considère la séquence une pièce clé pour l’entendement du
film, la divise en quatre mouvements. Dans le premier, on a 8 plans alternés
entre les images de Paulo en train de se tordre et celles du rituel, dans des
flashes très rapides, presque imperceptibles. Dans la bande-son, on écoute
des coups de feu de mitrailleuse, des explosions et une sirène de police, alors
que Paulo réalise son monologue en over.
55
D’après Xavier, il s’agit de l’homme du peuple, qui avait été tué dans la séquence de “La rencontre
du leader du peuple”, mais nous n’avons pas réussi à le confirmer (Xavier, 1993).
fixement. 7) Continuité de Paulo et Sara dans la route. 8) Paulo lève la
couronne dans une position au-dessus de sa tête et la regarde fixement. 9)
Continuité de Paulo et Sara dans la route. 10) Plan américain de Paulo tenant
la tête de l’homme qui avait tiré contre Díaz. Ce dernier tient encore la
mitrailleuse à la main. La chemise de Paulo est complètement trempée de
sueur. 11) Continuité de Paulo et Sara dans la route. 12) Premier plan des
bras de Paulo, qui laisse la couronne tomber de ses mains. 13) Continuité de
Paulo et Sara dans la route. 14) Premier plan du visage de Paulo, qui tombe
lentement par terre et tourne le visage. 15) Continuité de Paulo et Sara dans
la route. Paulo crie désespérément. Tous ses plans ont lieu très rapidement
(en moins de sept secondes), ce qui rend plus difficile le travail d’interprétation
du spectateur.
Tout de suite après, le film réalise un retour dans le temps, éliminant l’action
du coup de feu contre Díaz et tous les moments de tumulte qui ont suivi. Les
images reviennent, alors, vers le point où Díaz avait la couronne sur sa tête.
d’un jeu de relations personnelles. Mais ce que les images révèlent est
quelque chose de beaucoup plus significatif et ample. Derrière la dispute
entre Paulo et Díaz il y a une grande soif de pouvoir, manifestée
symboliquement à travers le désir de la couronne. Toutefois, au moment de la
consommation de l’acte de prise de pouvoir, on voit que le personnage, dans
un nouveau geste d’ambiguïté, recule, ne réussissant pas à concrétiser
l’action. Cela eut lieu peut-être à cause de sa faiblesse, originaire de la
scission vécue entre les instances de la poésie et celles de la politique. Ou à
cause de sa condition de classe elle-même. Ou, peut-être, par le sentiment de
culpabilité que la mort de Díaz créerait, étant donné que le sentiment de
Paulo par rapport à lui oscillait entre un amour et une haine presque maladive.
Dans ce sens, la mort de Díaz, quoique imaginaire, pourrait engendrer chez
Paulo une souffrance telle qu’il pourrait ne pas la supporter. Ce sont ses [.12] Comentário: et [TER QUE
ATRÁS !! Trecho truncado ! Conferir com
limites de classe d’un intellectuel petit- bourgeois qui empêchent Paulo d’agir, o original e corrigir! ].
Il est révélateur encore de percevoir que, pendant la mort de Díaz, dans les
images qui montrent Sara et Paulo dans la route, le film apporte un dialogue
sur la mort de Paulo lui-même, ce qui pourrait signifier placer les deux dans le
même lieu symbolique. Sara parle donc de la mort de Paulo, mais les images
qui sont montrées en parallèle sont celles de la mort de Díaz. C’est comme si
les deux étaient la même personne à cet instant imaginaire. L’intellectuel petit-
bourgeois apparaît, ainsi, comme un miroir du colonisateur. 308
L’HISTOIRE EN TRANSE
Avec le recul de Paulo, ce qu’on voit donc dans les images suivantes est une
continuation de la cérémonie de couronnement de Díaz, comme si ces 17
plans qui marquèrent le coup de feu et l’agitation des autres personnages
56
Lettre de Jean-Claude Bernardet adressée à Glauber Rocha le 21 juillet 1967. (Rocha: 1997: 285).
simplement n’avaient pas eu lieu. Un nouveau mouvement rapide en
panoramique fait le retour vers la continuation de la cérémonie. Tous les
bruits arrêtent. Long plan américain de Díaz, qui est en train d’être couronné,
derrière, par le conquérant ibérique, qui tient la couronne bien près de sa tête.
Díaz débute un discours enflammé, au ton et à la gestualité théâtraux. À ce
moment-là, les images du dernier plan du troisième mouvement sont
répétées, sous un encadrement distinct et maintenant accompagnées du son
de la voix de Díaz (in) :
Fini le discours, l’image, pendant quelques secondes, fait un close-up sur son
visage, qui acquiert un ton possédé et diabolique. Xavier décrit bien son
expression :
Xavier conclut que, dans cette séquence, on a la preuve d’un désir de pouvoir
refoulé du personnage Paulo. Ses demandes dans le film seraient les
suivantes : l’amour de Sara, la révolution (qu’il proclame) et le pouvoir (qu’il
sublime). C’est à partir de cela qu’il va conclure que le film propose,
implicitement, une identité entre Paulo et Díaz. Il faut y ajouter sa franchise,
peut-être caractéristique de la couche sociale qu’il représente (l’intellectualité
petite-bourgeoise), d’affronter directement Díaz et de l’éliminer, quand il a
l’opportunité de le faire, indépendamment du fait que cela se fait dans un
temps allégorique.
C’est ainsi qu’il voit la mort comme unique alternative pour mener à bien la
possibilité de concilier ce qui était inconciliable à ce moment-là, en adoptant
donc, comme bien le dit Rocha, une position fantasque. C’est vrai qu’il existe
ici une critique sévère à cette prise de position de Paulo et des secteurs qu’il
représente. Toutefois, le discours du film est trop complexe pour s’arrêter là.
Si d’un côté le film critique la prise de position de Paulo, d’un autre il ouvre
une brèche pour qu’il soit perçu à partir d’une optique positive et libératrice.
Premièrement, par le fait que quoique structuré par sa condition de classe,
Paulo réussi à prendre conscience de ses limites — et c’est cela qui engendre
chez lui tant de douleur et de désespoir. Et cette conscientisation le fait
visualiser sa mort comme une nécessité historique. Et en assumant ce
« destin » nécessaire, en donnant sa vie au profit de la révolution, il devient
un héros de fait et construit, dans l’espace-temps de la mort, une instance
mythique à même de synthétiser la poésie et la politique. La mort fonctionne
ici, encore une fois (comme s’était arrivé à Paulo et Juan, dans les versions
des scénarios de Terre en Transe et América Nuestra), comme une possibilité
de fuite de l’histoire et de rédemption.
Sara, en agissant comme quelqu’un conduit par la rationalité, essaie, une 311
dernière fois, de l’en dissuader, en montrant que cette fuite était inutile et ne
L’HISTOIRE EN TRANSE
servait qu’à la satisfaction d’un désir narcissique. Mais, en percevant qu’il n’y
avait plus rien à faire, elle décide de suivre son histoire, et laisse donc tomber,
encore une fois, « les ambitions normales d’une femme normale »,
conformément à ce qu’elle avait déjà annoncé, dans la séquence 27, à propos
de sa trajectoire de vie, dont les aspects personnels restaient toujours
dominés par les nécessités politiques.
Ici, outre la caractérisation d’une mort un peu romantique, entouré dans une
ambiance de rêve, on perçoit, à travers toute la structure de la séquence
construite autour de la mitrailleuse, qui fonctionne aussi comme un symbole
allégorique. Un signe qui pointait la nécessité de la violence comme 312
alternative politique, tel que le texte Esthétique de la Famine avait soutenu et
L’HISTOIRE EN TRANSE
Toutes ces lectures sont convenables ici. Toutefois, soit comme possibilité
concrète ou comme mythe rédempteur, c’est avec la révérence à la violence
armée que Terre en Transe s’achève. Ce n’est pas par hasard que Rocha
commente : « Au moment de sa mort, Paulo sait que la violence est le chemin
de la révolution » (Rocha, 1981, p.89).
Premièrement, on reprend l’idée que l’on est devant une allégorie de l’histoire
du Brésil, mais aussi d’un film qui réfléchit sur le processus narratif lui-même
de l’histoire et surtout sur la fonction politique de l’art, en redéfinissant
complètement les rôles que le Cinéma Nouveau avait érigés pour soi.
313
En comprenant le film comme une allégorie du Brésil, on perçoit comme
L’HISTOIRE EN TRANSE
l’histoire, plus que jamais, fut le point de départ pour la production de Rocha
dans ce contexte de crise et de confusion. Il était nécessaire de comprendre
ce qui n’avait pas marché dans la politique nationale, pourquoi la révolution
57
Lettre de Jean-Claude Bernadet adressée à Glauber Rocha, le 21 juillet 1967 (Rocha, 1997:286)
avait succombé aussi facilement et, surtout, réfléchir sur les possibilités
d’avenir pour l’homme brésilien et, de façon plus ample, pour le Latino-
Américain, pour l’habitant du Tiers Monde. Pour cela, il était nécessaire de
« revivre » les événements qui ont conduit au coup d’état. Il fallait reprendre
l’histoire qui était restée suspendue avec le départ d’Aruan-Firmino et de
Manuel et Rosa vers une terre et une mer qui semblaient libérateurs.
C’est dans ce sens que tous les secteurs sociaux de la politique brésilienne
sont revisités et mis en échec, y inclus ici l’intellectuel et l’artiste, représentés
par la figure de Paulo Martins. Sont évaluées de près les prises de positions
de la petite bourgeoisie (avec son discours nationaliste), des leaders
populistes (héritiers d’une politique de Vargas) et des organismes de gauche
et centre-gauche (y inclus le Parti Communiste), qui ont totalement soutenu
ces deux secteurs de la société et étaient contraires à quelconque type de
révolution violente.
Glauber Rocha avait perçu qu’il y avait un décalage entre le projet esthétique
du Cinéma Nouveau, pensé pour le Brésil dans le contexte antérieur (1960-
1964) et les faits qui conduisirent au coup d’état et aux événements qui
suivirent l’instauration du gouvernement militaire. Comme on a vu plus haut,
Terre en Transe, à côté d’autres productions de l’époque, fut créée dans la
tentative de repenser ce projet:
À partir de ce bilan critique réalisé par des oeuvres comme Terre en Transe,
quelques nouvelles questions ont pu être insérées dans le débat politique et
esthétique d’alors. Premièrement, la conjoncture ne permettait plus le climat
optimiste antérieur, qui envisageait une révolution à court ou moyen délai,
comme on pourrait conclure à partir de films comme Barravento ou Le Dieu
Noir et le Diable Blond. Cela explique, dans un certain sens, le ton acide avec
lequel les événements historiques sont abordés par Terre en Transe. Cela se
voit dans la plastique, dans les dialogues, dans l’illumination, dans la
représentation des acteurs et serait encore confirmé dans les propos mêmes
du directeur, qui se réfère au film comme une espèce de « vomissement »
historique :
Et pour lui cette pourriture était vraiment un portrait allégorique d’un monde
vraiment dégradé, lequel devait être détruit pour qu’une nouvelle société
puisse naître:
Mais on doit faire une distinction entre la forme d’exaltation de la violence faite
par Rocha, à travers des films comme Terre en Transe, et celle qui se fait
aujourd’hui, la rendant spectaculaire. La violence, dans les discours de
Rocha, est toujours révélée à partir d’une perspective critique, orientée vers
un processus de conscientisation (quoique à travers le choc), mais jamais
montrée à partir de symboles destitués de signification politique, comme on
peut voir de nos jours souvent dans le cinéma et dans la TV.
Fabio Iorio signale la proximité de Terre en Transe avec les thèses de Fanon
et considère la lutte pour l’émancipation nationale comme le thème central du
film :
Mais cette influence ne peut être absolutisée dans la mesure où les sources
de référence du film sont très amples. Parmi celles qui ne furent pas encore
mentionnées, il faut souligner celle du théâtre d’agression de Bertold Brecht, à
travers les processus d’éloignement, de l’interprétation théâtrale des acteurs,
de l’Interprétation directe des spectateurs. Cela fait qu’il n’existe pas des
personnages avec une densité psychologique, mais seulement des figures qui
synthétisent allégoriquement des types politiques et culturels.
plupart des cas, ces musiques fonctionnent aussi comme des sources
allégoriques. La segmentation du film a laissé percevoir que la parution
répétée de certaines musiques dans certains extraits du film était toujours en
train de désirer suggérer une signification importante à être soulignée.
La présence la plus marquante est, sans doute, la musicographie de Villa-
Lobos, compositeur brésilien qui mélange le classique avec des éléments des
racines populaires du Brésil, produisant des résultats très intéressants. On
perçoit aussi la parution, à certains moments, de la chanson afro-brésilienne
« Aluê », qui évoque bien la présence de la culture noire dans l’histoire du
Brésil, mais suggère aussi l’état de transe, dans la mesure où il s’agit d’une
musique de candomblé. Toutefois, Rocha affirme que cette présence a lieu
encore avec le but d’« évoquer un certain endroit, une certaine atmosphère
des mers tropicales, des palais baroques » (Rocha, 1981, p.88). Quant à la
musique de Carlos Gomes, elle est jouée quand il existe « une intention de
parodie » dans les événements relatés. L’insertion de « Othelo », de Verdi,
par sa majesté, est justifié par le directeur pour se situer dans un contexte
d’« une discussion sur les jalousies et l’amitié et parce que cela voulait
sublimer aussi le côté homosexuel et solitaire de Díaz » (Rocha, 1981, p.94-
5).
Outre les musiques, les divers types de bruits (présents presque tout le
temps) — frappes de tambours, assiettes, coups de feu, sirènes, des voix de
personnes —, ainsi que le silence total — qui, devant une saturation sonore si
grande finit par avoir un impact très fort — agissent aussi dans le sens de
créer ou de renforcer des espaces de signification allégoriques ou qui
suggèrent l’état de transe. L’usage sémantique des bruits et de la musique a
toujours été une réalité dans les films de Rocha, depuis Terrasse, mais c’est à
partir de Terre en Transe qu’il s’intensifie et devient complexe, aidant à
composer un discours plus riche et polyphonique.
Celui qui m’appelle chaotique est fou. Celui qui peut LIRE un film
peut voir que Terre en Transe est frontal dans les cadrages et
direct, elliptique dans le montage. Les répétitions sont une
redondance nécessaire, la réflexion dialectique sur la scène. Le film
est SIMULTANÉ et non pas PARALLÈLE. Toute simultanéité est
complexe. ... Dans Terre en Transe il y a du sarcasme, de l’ironie et
de la virulence. Terre en Transe n’est pas métaphorique. C’est un
film réaliste. C’est comme si c’était un documentaire de TV sur un
opéra. Ce « document » en soi, sonne comme MÉTAPHORE, mais
59
dans la mesure où toute oeuvre d’art est une métaphore.
58
Lettre de Glauber Rocha adressée à Jean-Claude Bernadet, s.d. (Rocha, 1997 : 302).
59
Lettre de Glauber Rocha adressée à Jean-Claude Bernadet, s.d. (Rocha, 1997 : 302).
Ce sont tous ces éléments, alliés à la multiplicité de focalisations narratives,
qui finissent par définir la structure du film à partir de la logique de la transe,
dans la mesure où la transe de Paulo contamine tous les personnages,
l’espace et le temps de la narrative, ainsi que les autres éléments filmiques La
transe est ici perçue comme un état mental du narrateur, lequel, n’établissant
pas de frontières nettes entre « réel »et « imaginaire », entre passé, présent
et futur, permet la construction d’un discours beaucoup plus riche. Cet état ne
se configure cependant pas à peine comme caractéristique de la condition
physique de Paulo (blessé et à l’article de la mort), il est également incorporé
dans la logique narrative du film, dans ses éléments constitutifs.C’est cette
logique qui permet, dans le film, l’épanouissement d’un défilé de textures
distinctes, une orchestration entre des voix qui ne coïncident pas, qui font de
Terre en Transe un discours très dialogique et polyphonique, donnant lieu,
ainsi, à une infinité de lectures possibles de celui-ci.
Le Temps Chronologique
Terre en Transe est un film qui utilise très peu de références chronologiques.
Dans un certain sens, la structure chronologique du film est incertaine et
ambiguë, laissant plusieurs fois le spectateur perdu. Au début du film, une
légende initiale donne une indication spatiale, mais pas temporelle :
« ELDORADO, PAYS INTÉRIEUR, ATLANTIQUE ».
Pratiquement toute la structure du film travaille avec une idée de temps très
321
vague. Le flash-back de Paulo lui-même s’insère dans une temporalité
L’HISTOIRE EN TRANSE
confuse, déjà par les références incertaines données par le narrateur. Aussitôt
qu’il débute le retour dans le temps, il parle en voix over : « Où étais-je il y a
deux, trois, quatre ans? Où? Avec Porfírio Díaz, en train de naviguer dans les
matins ». Il se situe donc au début du flash-back entre deux et quatre ans
avant ce moment-là. Et pendant les quatre-vingt-dix minutes de
développement du flash-back on reste confus par rapport à cette localisation
chronologique. Outre le fait que le film ne fournit pas de données, le montage
elliptique amplifie la sensation de confusion. On ne sait pas combien de temps
se passe entre les événements relatés, dont la caractéristique est d’être très
condensés. Dans quelques secondes, quelques longs processus sont
représentés et, sans une quelconque ponctuation ou élément de transition, on
est transporté vers des événements localisés devant dans le temps. La tâche
de se situer appartient donc au spectateur, à partir de la restructuration des
événements, qui n’est pas toujours évidente.
opaque qui ne désire pas se cacher. Mais, d’un autre point de vue, on entend
ces répétitions (jamais en réalité semblables) en tant que la révélation du
désir de souligner que la narration réalisée en ce moment (que l’on pourrait
amplifier pour tout acte narratif) n’est rien d’autre que l’exposition d’un point
de vue (devant d’autres possibles), plongé de la subjectivité de celui qui narre
et du contexte dans lequel est réalisé cette narration. Ceci car, dans ces
« répétitions », ponctuées de petites différences, ces faits finissent par être
relatés de deux manières distinctes (bien que ressemblantes), ce qui suscite
directement l’idée d’au moins deux lectures possibles.
Cela fait conclure que l’on est en train de travailler avec une structure de
temps a-chronique où, à partir d’un jeu de renvois, d’anticipations et de
récupérations, on perd complètement le fil conducteur du temps et les
événements s’organisent sans relations « chrono-logiques » définies.
Toutefois, quoique qu’il s’agit d’un temps a-chronique, il faut souligner que l’on
n’est pas devant une structure temporelle chaotique, dans la mesure où il
existe une logique qui préside à ce temps, même si elle ne prend pas comme
base les mêmes références que temps chronologique linéaire. 325
L’HISTOIRE EN TRANSE
La façon dont flash-back est construit aussi pose une série de questions. Il
faut penser qu’il a lieu à partir de l’état d’un personnage qui se trouve blessé
par balle, agonisant et proche de la mort. Dans le film, tout suggère
l’existence d’un état qui s’approche de la transe, un moment où les frontières
entre la conscience et l’inconscience ne sont pas définies de façon claire, un
moment où les notions de l’avant et de l’après deviennent confuses. Et dans
le film, c’est ce Personnage, Paulo, qui assume la fonction de narrer les
événements situés dans les dernières années de sa vie, qui auraient conduit
à la situation-limite qu’il vient de vivre : l’irruption du coup d’état, la posture de
Vieira de ne pas résister et sa décision de « faire face » à la situation tout
seul, révélant une pratique suicidaire qui le conduirait tout près de la mort.
Il est vrai que, du point de vue logique, le fait que le narrateur intradiégétique60
se trouve en état de transe autoriserait un récit non objectif et confus,
tumultueux, indéfini chronologiquement, contenant des faits vrais et
imaginaires. Toutefois, pour que cette logique puisse être soutenue, il aurait
fallut quelque modification dans la structure narrative à même de distinguer la
manière par laquelle la narration (encore sans l’interférence de Paulo) était
faite jusqu’au moment où ce dernier arrive aux dunes et la manière par
laquelle elle serait conduite à partir d’alors. Toutefois, l’analyse du film montre
que cette rupture n’existe pas. La manière dont les composantes filmiques
sont construites (agissements des personnages, mouvements et angularité de
caméra, montage, sources sonores) se présente déjà de façon inquiète,
inconstante, fragmentée, ambiguë depuis le début du film, même avant que
Paulo soit blessé par balle. Cela suggère la transe comme une marque
structurelle de la narration (de la manière de construire le récit),
indépendamment de l’état agonisant de Paulo, qui ne ferait qu’accentuer un
processus déjà instauré. Ce ne serait pas seulement Paulo Martins qui vivrait
un état de transe, le fruit d’une situation physique, mais tout l’espace
symbolique d’Eldorado, dans ce contexte-là où les instances de « réalité » et
« imagination » se montraient très proches, où les contradictions des jeux et
intérêts politiques et personnels se manifestaient de manière confuse. Dans
ce sens, on peut penser la structure du temps dans le film comme 326
L’HISTOIRE EN TRANSE
La question qui se pose ici est la suivante : puisque le film assume la transe
comme base de sa narration, pourquoi la nécessité de donner la narration
60
Narrateur qui est aussi un personnage de l’histoire narrée.
intradiégétique à un personnage en état agonisant? Quelques réponses
peuvent être pensées sous la base de nouvelles questions. Serait-on devant
un recours d’amplification des ambiguïtés et de questionnement des frontières
entre « réel » et « imaginaire », conscience et imagination dans la
représentation diégétique? Serait-on devant un discours qui se manifeste de
façon ambiguë par le fait de se situer dans une phase intermédiaire de la
production cinématographique de Glauber Rocha, ce qui faisait que ni un
discours rationnel ni toutefois un discours de rupture complète avec cette
rationalité puisse être soutenu? Serait-on devant un discours qui perçoit un
monde (avec ses respectifs temps et espaces) en état de transe, mais qui n’a
pas encore la possibilité concrète de s’exposer complètement (par l’incertitude
elle-même que cela engendrait) et qui, de ce fait, réalise un récit en forme de
flash-back comme une stratégie pour relativiser sa posture? On fait
l’hypothèse que toutes les questions-réponses qu’on vient de marquer
possèdent du sens, dans les possibilités d’entendement de Terre en Transe.
Le recours au flash-back fonctionne, de cette manière, comme une stratégie
d’affirmation de la transe d’Eldorado, de la transe du Brésil, de la transe de
l’Amérique Latine, de la transe du Tiers-Monde, de la transe de Paulo Martins,
de la transe de Glauber Rocha et de tous les personnages mêlés à ce jeu. On
peut ajouter encore le fait que l’amplification de la structure de transe à tout le
film finit par fonctionner, aussi, dans le sens de donner une plus grande
autorité et crédibilité à la narration de Paulo.
On entend encore que l’agonie de Paulo finit par fonctionner comme une
stratégie intermédiaire pour que Rocha puisse passer d’un cinéma basé sur
un projet esthétique-politique rationnel, quoique téléologique, à un cinéma
presque onirique, caractéristique de son oeuvre après 1967.
327
Attelé à cela, on ajoute aussi l’idée que le flash-back rend possible la
L’HISTOIRE EN TRANSE
Il s’agit d’un récit qui ne se veut pas objective. Au contraire, elle revendique la
subjectivité de celui qui narre, ainsi que du contexte de narration. Et cette
subjectivité est démarquée par la forme par laquelle le flash-back est conduit.
Il est évident que cela renvoi à une réflexion sur le rôle du Paulo qui narre
l’histoire, ainsi que sur le temps où il narre, en intersection avec les actions et
le temps du Paulo qui est narré. Premièrement, comme on a déjà dit, il est
intéressant de souligner le fait que, à aucun moment il n’existe une posture
objective de la part de ce narrateur. Au contraire, il « réinvente »
progressivement ces événements, dans une régie complexe de relations entre
les éléments objectifs et sa subjectivité. Et dans cette remémoration, une
nouvelle histoire surgit des ruines du passé aux yeux du spectateur.
Une donnée intéressante encore à remarquer est le fait que Paulo se trouve
pendant tout le film habillé avec les mêmes vêtements, soit alors qu’il narre
les événements du présent, soit quand il assume la fonction du personnage
narré par le flash-back. C’est avec les mêmes vêtements qu’il est blessé par
balle qu’on le voit dans tous les événements narrés dans les quatre années
condensées dans le flash-back. C’est encore une donnée de la manière dont
le passé se trouve immiscé dans le contexte du présent (du Paulo qui se
trouve blessé dans les dunes). C’est un indice de plus de ce processus de
contamination des faits par la subjectivité du narrateur.
61
Il faut souligner que ce ne sont pas tous les théoriciens et analystes qui conçoivent cette instance de
narration comme existante (ou nécessaire d’être ponctuée), dans la mesure où elle englobe toute la
traversant um contexte perturbé d’urbanisation et d’industrialisation
engendrant l’accroissement d’une série de problèmatiques sociales et
économiques. C’est cette authenticité – de par son caractère cru qui a si
souvent choqué le public- qui a constitué à la fois la force et la fragilité de la
carrière de Rocha, dans la mesure où elle l’a aidé à se révéler comme grand
artiste (au Brésil, em Amérique Latine et en Europe), mais elle l’a aussitôt
éloigné des principaux cinéastes brésiliens et internationaux, du fait de la
violence et de la radicalité des idées que ses films traduisaient, dans un
contexte de moins em moins propice à un art contestataire.
cette brèche que Rocha peut incorporer dans son film les éléments
irrationnels qui accompagnent tout le processus complexe par lequel passe le
personnage de Paulo.
L’analyse de certains des textes créés par Rocha dans la période 1965 –
1967, de l’Esthétique de la Famine au film Terre en Transe, permet de
percevoir qu’il s’agit d’un moment de rupture du cinéma de Rocha par rapport
à un projet politique et esthétique, identifié comme Cinéma Nouveau. Cela fait
qu’il y ait une certaine syntonie et une continuité entre ces textes, dans un
processus de radicalisation qui s’exprime à partir d’une perspective tragique
333
dans Terre en Transe.
L’HISTOIRE EN TRANSE
Toutefois, ce n’est pas de cette façon linéaire que Rocha nous propose sa 334
version de l’histoire (ou des histoires). Il crée un réseau d’événements, à
L’HISTOIRE EN TRANSE
travers une multiplicité de temps, qui engendre un récit beaucoup plus riche et
complexe que semble projeter l’histoire du Brésil-Eldorado.
Cela contribue à la création d’un chronotope très riche, qui ne peut être
interprété qu’à partir de cette multiplicité de nœuds, où les histoires, les temps
et les espaces se trouvent tramés et ne s’excluent pas, même quand ils
entrent en contradiction.
C’est encore à l’intérieur de cette logique que les discours construisent aussi
L’HISTOIRE EN TRANSE
62
http://www.amazonmyths.com.br/lendas/retrospect.htm
63
Dans les années 1940, O Capitão de Castela, de Henry King. Dans les années 60, A Real Caçada do
Sol, de Irving Lerner. Dans les années 70, Aguirre, a Ira dos Deuses, de Werner Hersog. Dans les
années 90, Eldorado, de Carlos Saura.
L’analyse des deux textes qui se réfèrent à l’endroit montra que le choix du
nom ne s’est pas fait par hasard. Premièrement, il situe l’espace où les
histoires se sont développées à l’intérieur d’une culture et d’un passé latino-
américain et lie temporellement l’histoire racontée à toute la période de
colonisation hispanique et portugaise. L’espace d’Eldorado dans la période
narrée par le film apparaît comme une continuité du processus colonisateur,
marqué par la pratique (violente) exploiteuse des colonisateurs. Eldorado
surgit donc comme une importante allégorie des deux discours, agissant aussi
bien dans l’aspect spatial que temporel. Les noms de certains personnages
du film, d’origine espagnole, agirent dans le sens de renforcer la métaphore.
Porfírio Díaz, par exemple, est le nom d’un dictateur mexicain qui prit le
pouvoir en 1876 et appliqua, avec des méthodes autoritaires, la politique dite
du « pain ou fer », basée sur une stratégie d’assistance d’un côté et
dictatoriale de l’autre. Fuentes et Fernandez sont aussi des noms espagnols.
Basés sur tous les éléments évoqués, nous pouvons conclure que les
discours qui composent le PROJET TERRE EN TRANSE finissent par créer
un réseau de chronotopes interdépendants, qui font de celui-ci une oeuvre
extrèmement riche.
Tous ces éléments font que les textes produits par le PROJET TERRE EN
TRANSE deviennent des documents importants, mais de façon encore plus
profonde, de riches et complexes représentations de cette tragique histoire
d’un Eldorado jamais conquis.
J’ai fait Terre en Transe avec l’aspiration que ce fût une bombe.
Lancée tout exprès. Attaquant les préjugés d’une gauche
académique, conservatrice, celle qui réagit contre le film d’une
façon névrosée, et cela fut positif. Au Brésil, le film fut lancé au
milieu d’une grande polémique, fut interdit par la censure sous
l’accusation d’être un film hautement subversif et immoral,
l’attaquant du point de vue politique, moral, sexuel, etc. Malgré cela,
le film fut invité à Cannes et, du fait d’une protestation internationale
et brésilienne à travers la presse, le Ministre de la Justice a réouvert
le procès et libéré le film sans coupure. Mais aussitôt qu’il fut
exhibé, la plupart de la gauche « officielle » l’attaqua l’accusant
d’être fasciste. Ce fut une énorme polémique sociale, culturelle et
64
politique (Rocha, 1981 : 139).
Ce rejet, dont les traces peuvent être trouvées dans les journaux et autres
textes de l’époque, fut une réaction à la critique que le film faisait de l’action la
gauche dans le processus qui précéda le coup d’état militaire. Il s’agissait d’un
bilan que, jusqu’alors personne n’avait osé faire publiquement. Pratiquement
tous les discours du contexte tournaient son attention vers la critique de la
dictature et non pas aux factions de la gauche elle-même, qui se trouvait
encore perdue devant la situation. En face d’un contexte comme celui-ci, le
film vraiment tomba comme une bombe (engendrant innombrables
polémiques), spécialement sur la tête de la centre-gauche et chez les
membres du Parti Communiste Brésilien, qui soutenaient alors une politique
d’affrontement légal et pacifique de la dictature militaire. D’un autre côté, le
film présentait un discours très fragmenté, non linéaire et hermétique, ce qui
rendait sa compréhension un peu difficile pour la plupart de la population
brésilienne, qui se trouvait incertaine par rapport aux processus politiques et
sociaux en cours et n’avait pas un niveau de culture qui permettait
l’entendement des signes proposés par le cinéma de Rocha. Ce manque de
338
dialogue avec le peuple, allié à la non acceptation par une partie de la gauche
L’HISTOIRE EN TRANSE
64
Le texte original est une interview de Rocha, accordé à Federico de Cárdenas et René Capriles,
intitulé « La transe en Amérique Latine », réalisée en 1969 (Rocha, 1981, p.138-62).
plus en plus grand entre lui et les anciens participants du Cinéma Nouveau,
qui chercheraient, à leur tour, d’autres chemins politiques/esthétiques à
suivre.
Toutefois, cela n’a pas empêché le film d’exercer une influence considérable
dans le scénario culturel/artistique brésilien d’alors. En général, on attribue à
Terre en Transe le rôle d’avoir inauguré un important, quoique éphémère,
mouvement esthétique au Brésil, intitulé Tropicalisme, qui s’est manifesté
aussi bien au cinéma qu’au théâtre, dans la musique, la poésie et les arts
plastiques. Son moment de plus grand relief fut l’année 1968, non pas par
hasard, une année qui vu l’explosion d’une série de mouvements politiques et
culturels de contestation, au Brésil et dans le monde, sous le leadership des
jeunes, avec le but de contester le status quo en vigueur. Il faut y ajouter le
fait que le Brésil vivait à ce moment-là une intensification du processus
d’urbanisation et le développement accéléré d’un marché culturel et de
télécommunications. Tout cela entraîne le besoin de créer de nouvelles
visions sur l’art, la communication et la culture. Le Tropicalisme répond donc à
cette nécessité. Mais le mouvement durerait peu, étant donné qu’il serait,
avec presque toutes les manifestations culturelles de la période, suffoqué par
le durcissement du régime militaire, après le décret de l’Acte Institutionnel n°
5, qui révoquait presque tous les droits civils caractéristiques d’une
démocratie, donnant les pleins pouvoirs à la répression policière. Cela a fait
que cette production fût censurée et une bonne partie des artistes s’est vue
obligée de s’exiler à l’étranger, comme ce fut le cas de Glauber Rocha.
dans quelques oeuvres du contexte. Parmi les artistes qu’y ont eus le plus de
relief, il faut citer Caetano Veloso et Gilberto Gil et les poètes et artistes
plastiques Hélio Oiticica et Lígia Clark. Dans le théâtre, on ne peut pas oublier
de citer la mise en scène de la pièce O rei da vela (Le roi de la bougie), du
théâtre Oficina et, dans le cinéma, la réalisation de films comme Macunaíma,
Brasil, ano 2000 et, bien sûr, Terre en Transe.
C’est dans cette logique qu’il débute la production de Antônio das Mortes, qui
peut être considéré comme « une révision de Le Dieu Noir et le Diable Blond
traversée par Terre en Transe et le contexte tropicaliste » (Xavier, 1993).
Dans ce film (son premier long-métrage en couleurs), le directeur réalise un
opéra populaire dans lequel il ressignifie toute sa perspective sur la culture et
religiosité populaire qui maintenant en viennent à être perçues non plus
comme des éléments d’aliénation, mais, au contraire, comme de foyers de
résistance politique. En reprenant le personnage Antônio das Mortes, qui se
convertit et passe à l’action du côté des opprimés, Rocha revisite l’espace du
Sertan, accentuant sa réflexion autour de l’opposition entre le Moderne et 342
l’Archaïque — ce dernier vu avec un accent positif. Dans cette logique, un
L’HISTOIRE EN TRANSE
Mais cela est réalisé à partir d’instruments esthétiques très distincts de ceux
utilisés dans Terre en Transe. À l’inverse du climat sombre de l’espace
d’Eldorado, on a un spectacle aux couleurs fortes qui accentue l’artificialité (et
le kitsch), renforcée par une structuration théâtrale de l’espace, créée à partir
de plans-séquences réalisés dans des cadres délimités, par une
représentation exagérée et solennelle de plusieurs scènes — certaines
d’entre elles ponctuées par la logique des musiques chantées, comme
appartenant à un théâtre populaire. Cette artificialité, souvent exagérée, finit
par engendrer chez le spectateur une méfiance par rapport aux faits narrés,
en connotant ainsi l’idée que l’on est devant un simulacre de l’histoire. Malgré
ces caractéristiques assez théâtrales, le film fait beaucoup de succès,
spécialement en Europe. Il remporte, en 1969, le prix de meilleure direction à
Cannes et est exhibé à la télévision, est vu par plus de deux millions de
spectateurs, amplifiant la proJection internationale de Rocha. Au Brésil,
comme presque tous les autres films de Rocha, il resta restreint à un très petit
groupe d’admirateurs du cinéma de Rocha.
pendant une décennie. Dans cette période, sa production ferait suite aux
perspectives politiques/esthétiques ouvertes par Terre en Transe. Ce film finit
par fonctionner dans sa vie comme le lien entre deux chronotopes, deux
projets esthétiques, politiques et éthiques assez différents : celui du Cinéma
Nouveau et celui du Cinéma en Transe. C’est pour cela que Rocha n’a pas
réussi à s’en échapper avec le temps. La transe d’Eldorado et la possibilité de
construction d’un nouveau monde resteront comme des stratégies virtuelles
qui, même si elles ne s’actualisent jamais, elles propulsent les projets en
exécution. Voilà pourquoi Rocha n’a jamais abandonné le but de réaliser le
film América Nuestra, le frère du sang de Terre en Transe.
Dans une de ces lettres à Alfredo Guevara, Rocha dit sur América Nuestra :
Dans la même lettre il parle sur le style qu’il voudrait imprimer au film:
Ainsi,
345
J’ai peur de ne pas pouvoir faire ce film, mais je vais au moins
L’HISTOIRE EN TRANSE
65
Lettre à Alfredo Guevara, Paris, le 3 novembre 1967. Cine Cubano, n. 101.
66
Rocha, G. América Nuestra (ROCHA, 1981: 130).
67
Cité par Avellar, 1995: 11.
América Nuestra fonctionne donc comme l’acte lui-même de penser le
cinéma, toujours actualisé à partir de perspectives distinctes, mais en
corrélation, dans une logique loin d’être linéaire. Voilà pourquoi il avait besoin
d’être si ample, grandiose. Pour cela, il devait contenir
L’innocence de Lumière
La scénographie de Meliès
La grandeur de Griffith
La dialectique d’Eisenstein
La poésie de Renoir
La force de Welles
L’invention de Godard
L’irrévérence de Buñuel (plus le romantisme)
Le sentiment de Visconti de Bernardo, l’amour
L’intuition de Rosselini de Gianni, la rigueur de
Quelque chose de Straub, le mysticisme de Kazan + Cinéma
Américain Bresson
Et le porralouquismo68 du cinéma et de la passion de Glauber
69
Rocha.
Ces mots révèlent des visions de cinéma et de monde, dont les germes se
trouvaient déjà dans les premières productions de Rocha, qui se
développèrent à partir du projet du Cinéma Nouveau et se sont révélés,
quoique de façon encore indécise, à partir de 1965, à l’intérieur d’une phase
intermédiaire, extrêmement riche, dont la plus grande construction fut, sans
doute, le concept de Cinéma-Transe. Un concept qui serait radicalisé, après
la sortie de ce moment de passage, à travers les films et les textes écrits
après 1970. Esthétique du Rêve,70 Le Lion à Sept Têtes, Têtes Coupées,
Riverão Sussuarana, Di Cavalcanti, les émissions Abertura (Ouverture) et
surtout L’Âge de la Terre, des exemples « vivants » de la continuité virtuelle
d’un projet politique/esthétique qui n’a plus besoin des frontières entre le rêve
et la réalité. 346
L’HISTOIRE EN TRANSE
68
Expression désignant le caractère délirant, fou.
69
ROCHA, G. América Nuestra (ROCHA, 1981: 131).
puisque cela demanderait une autre investigation, aux proportions peut-être
semblables à celle qu’on construit ici.
On laisse donc ouvert, tel que Glauber Rocha a fait avec América Nuestra, un
projet de réalisation future, dont les possibilités virtuelles seront, on l’espère,
très fructueuses.
347
L’HISTOIRE EN TRANSE
70
Un texte écrit par Rocha en 1971, où il défendait un cinéma en plus étroite connexion avec la
perspective inconsciente des processus sociaux.
Est-il Possible d’Affirmer
une Quelconque Conclusion?
348
L’HISTOIRE EN TRANSE
Seulement celui qui construit l’avenir a le droit de juger le passé.
(Nietzsche)
Conclure c’est l’acte de finir une action ou une manière de voir et d’interpréter
le monde. Un acte qui, en choisissant un chemin, ferme tous les autres
possibles virtualisés dans le labyrinthe de nous-mêmes qui construit la vie
humaine. Dans ce sens, la conclusion c’est quelque chose qui ne peut pas
s’appliquer aux textes de Rocha, structurés par la nécessité de se maintenir
toujours vivants et, donc, ouverts à de nouvelles significations.
Mais toute cette multiplicité vie, dans un certain sens, avec un certain refus de
l’histoire académique, manifestée par la tendance de ses films de ne pas faire
de références précises à la chronologie des événements narrés. Les horloges
semblent ne pas faire partie de la révolution soutenue par Rocha. Le temps
semble, alors, être encore mesuré à travers le Soleil ou par les cycles
sociaux. Toutefois, cela ne veut pas dire une prise de position a-historique. Au
contraire. En vérité, ses textes et films revendiquent l’historicité comme un
élément de base pour penser la politique et l’esthétique. Mais qu’est-ce que
cela pourrait être en train de signifier?
Il s’agit, en vérité, du refus d’un type spécifique d’histoire, bornée par des
présupposés rationalistes, caractéristique aussi bien de la cinématographie
350
classique que d’une conception d’historiographie traditionnelle, héritière du
L’HISTOIRE EN TRANSE
D’où l’immersion dans un autre univers : celui d’Aion, le Temps Total qui, tel
que le vide, est infini dans ses deux extrémités : le passé et le futur. Un lieu
Intemporel. L’éternité elle-même. Un temps qui repose dans l’idée même du
paradoxe.
351
passé, prête et achevée, vers une idée d’histoire où les discours s’inscrivent
dans le présent lui-même. Le passé et le futur, de cette façon, ne vont plus
71
Nom de la ville où se réalise l’histoire racontée dans Antônio das Mortes.
72
Di Cavalcanti est un renommé peintre Brésilien et aussi le nom du documentaire réalisé par Glauber
Rocha sur la mort de l’artiste. Ce documentaire est aussi connu comme Di Glauber.
désigner l’avant et l’après, mais deviennent des dimensions du présent lui-
même, dans la mesure où celui-ci contracte les instants, révèle des
possibilités.
Dans un certain sens, ces conceptions de temps finissent par nous conduire à
Deleuze et sa conception de Temps-Rizhome. Un temps qui mélange d’autres
temps, en forme de spirale, décentré, non rencontré. Le temps comme
multiplicité :
Les textes de Rocha ne vont pas au-delà, car ses structures les ouvrent vers
plusieurs horizons, en même temps. Dans un de ces horizons, se situe
l’éthique, présente dans toute la pensée politique et esthétique élaborée par
l’auteur. Écrire l’histoire c’est aussi assumer qu’elle pourrait avoir été réalisée
d’une autre manière. C’est penser donc non pas à transformer le présent, qui
est posé, mais à investir dans la multiplicité de virtualités que le futur, pensé
maintenant, peut ouvrir. L’éthique, dans ce sens, en posant la nécessité
d’action sur le mOnde, engendre, chez le cinéaste, une réflexion et une
ressignification sur la condition elle-même de narrateur de l’histoire.
En analysant les films de Rocha, on perçoit que ce fut à partir de la réflexion 352
l’histoire. Il s’agissait d’une discussion clé dans le contexte des années 1950-
70 au Brésil. Le pays vivait un processus de développement industriel
accéléré et subordonné à des intérêts économiques internationaux, mêlé à
une série de contradictions politiques et sociales, qui émergeaient
intensément, générant des situations limites où la radicalisation des
processus historiques devenait imminente. RÉVOLUTION OU DICTATURE,
voilà les alternatives posées, à première vue. Il fallait que le pays se
développe. Soit pour accompagner un marché international ou pour remédier
les contradictions sociales existantes, selon le projet politique à soutenir. Mais
ce développement ne pourrait être effectué de façon isolée dans un monde où
le capitalisme devenait de plus en plus mondialisé. D’un autre côté, ce
développement était, dans la plupart des cas, accompagné d’un processus
d’urbanisation et d’industrialisation, dont les résultats généraient une
graduelle désintégration de la culture locale et nationale, des coutumes, de la
tradition, de la religiosité populaire, des foyers en même temps d’aliénation,
dans la mesure où souvent ils représentaient des valvules d’échappement
pour une situation de misère et de souffrance, de transgression et de lutte
contre un capitalisme sauvage qui voulait tout mâcher. Cette racine, cette
culture est en même temps la faiblesse et la force du sertanejo, du brésilien et
du citoyen du tiers-monde. C’est celle-ci la contradiction dans laquelle vivait
l’homme représenté dans les films de Rocha, depuis Terrasse et Barravento,
jusqu’à L’Âge de la Terre. Une contradiction qui ne saurait être « résolue »
qu’avec la RÉVOLUTION, conçue par Rocha non pas comme la prise de
pouvoir par un groupe ou classe sociale, mais comme un mouvement
d’exacerbation et d’implosion des contradictions sociales, d’irruption d’un
système a-centrique, où éthique, politique et esthétique soient une seule
chose. Un mouvement qui n’engendrerait pas une société « parfaite », mais
conduirait l’imparfait et l’inachevé à la condition d’avant-garde d’un état de
transformation permanente de la société. Un état lequel ne comporterait pas
la logique d’un système comme le capitalisme en vigueur. Dans ce sens,
quoique l’on ne puisse pas se référer à Rocha comme un socialiste, on peut le
353
caractériser comme un anticapitaliste, dont le drapeau révolutionnaire était la
L’HISTOIRE EN TRANSE
On peut dire, de façon approximative, que, dans son oeuvre, Proust n’a pas
décrit une vie telle quelle a été, mais une vie telle quelle s’est conservée dans
la mémoire de celui qui l’a vécu. Ce qui accomplit ici le rôle essentiel, pour
l’auteur qui évoque les souvenirs, n’est pas ce qu’il a vécu, mais le tissu de
ses souvenirs, le travail de mémorisation. Puisque, comme l’affirmait
Benjamin,
C’est dans ce sens que, devant les discours de Rocha, on ne peut pas
séparer les instances de la poésie et de la science, de la fiction et de la
supposée réalité, tel que l’a admis Freud, en se référant au
« Phantasierendes Denken », c’est-à-dire, à la Pensée Fantasmagorique,
soutenant que la fantaisie peut conduire à une conception authentique de la
réalité : « sans spéculation et théorisation métapsychologique on ne fera pas
des pas en avant ».73
Premièrement, il faut souligner que Glauber Rocha ne s’est pas penché sur
une vision du mythe contaminée par la critique logocentrique rationaliste dont
la perspective mythologique fut la cible à partir de la philosophie grecque,
depuis Xénophane (vers ~565-470), un des premiers philosophes à opposer
le logos aux expressions « légendaires » grecques. À partir de ce moment-là,
le mythe passa à signifier une source de non vérités, mensonges et illusions,
s’opposant à la science rationnelle, porteuse de la vérité. Même Hérodote, en
créant l’histoire-vérité, construisit une bonne partie de son argumentation en 355
73
FREUD, Sigmund. Análise terminável et interminável. Obras Completas. [cd-rom].
« Le génie grec aurait été probablement incapable d’exorciser, par
ses propres moyens, la pensée mythique, même si le dernier des
dieux était détrôné et ses mythes relégués au niveau des contes
enfantins » (Eliade, 2000, p.101).
La mythologie dans laquelle Glauber Rocha fut boire se réfère à celle des
civilisations anciennes, où le mythe dénotait une histoire qui était considérée
comme vraie, sacrée, et qui, de par sa valeur, servait de modèle pour la
convivialité humaine. Il s’agissait d’une structure discursive très riche et
complexe, qui pouvait se manifester de multiples perspectives. Sa structure
temporelle était marquée par le temps cosmique, cyclique et non pas
démarqué rigidement. Dans sa logique narrative, quelque chose avait eu lieu
dans un temps lointain — le début d’une Ère — et le mythe avait le but de
narrer la saga d’une réalité qui circulait devant un point, souvent traumatique.
Cette structure s’articulait avec une vie sociale pas encore marquée par
l’émergence des calendriers, de la flèche linéaire du temps. Tout était mesuré
par les cycles naturels de la vie, par les saisons, par les récoltes. Il n’avait pas
un but final à chercher. Le paradis et l’enfer étaient la réalité elle-même, avec
laquelle on apprenait à vivre, avec l’aide des dieux et des êtres surnaturels,
auxquels on avait recours quand un phénomène ne pouvait pas être expliqué
d’autre manière. Ainsi, les mythes servaient comme des ponts de connexion
du présent avec le passé, à travers la recherche des origines, de l’arché :
D’après Malinowski,
Ce fut à cette perspective que Rocha a eu recours. Dans une société où la foi
en la science et au progrès avait prouvé ne pas être la meilleure option d’un
projet politique, dans la mesure où elle avait conduit le monde occidental aux
pires tragédies déjà vues dans l’histoire, d’autres alternatives devaient être
recherchées par ceux qui envisageaient un avenir différent de celui indiqué
par le capitalisme cruel dans ce contexte-là. Selon Rocha, les dictatures des
partis communistes elles non plus ne semblaient pas être la solution, dans la
mesure où elles restreignaient l’élément de base de n’importe quelle société
saine : la liberté. Le nihilisme ou l’omission eux non plus ne lui semblaient pas
les voies à être suivies, étant donné que tout son art était imprégné d’une
perspective politique et éthique de laquelle il ne pouvait pas échapper. Le
recours au mythe et à sa ressignification passait donc à constituer une
alternative de connexion entre passé, présent et futur.
Une lecture semblable peut être trouvée au XXe siècle, dans les théories de
Benjamin, déjà discutées : 357
L’HISTOIRE EN TRANSE
Dans ce sens, on peut interpréter l’oeuvre de Rocha aussi comme celle d’un
historien matérialiste. Toutefois, comme ce salut se montrait impossible d’être
réalisé dans la vie concrète, dans les contextes où Rocha vécu à partir de
1965 — marqué par l’émergence de dictatures politiques, par la perte
d’espace de plus en plus grande de la lutte révolutionnaire dans tout le monde
et par la gestation d’un néolibéralisme qui placerait la culture complètement
au service du marché — , la mort lui surgissait comme unique alternative
viable de salut. Telle qu’elle était conçue par Platon et par le christianisme, la
mort pour Rocha en vient à signifier le passage vers un stage de salut — qui
l’approchait d’un état primordial mythique. C’est peut-être ce qu’a cherché
Rocha lui-même, en 1981, dans un contexte où son projet semblait être
complètement contraire aux idées dominantes dans le monde où il vivait,
quand il se livre à la mort,74 remettant en scène en vie la trajectoire de ses
personnages Juan et Paulo : 358
L’HISTOIRE EN TRANSE
74
Quelques évidences suggèrent que Rocha se soit préparé pour la mort. Avant de voyager au Portugal,
dans plusieurs témoignages il avait dit qu’il ne retournerait au Brésil que pour mourir. En outre, il
demande à sa mère de recueillir toutes les copies des ses films, éparpillées par le monde, pour que sa
mémoire puisse être rachetée. C’est avec le même but qu’il demande à Orlando Senna de publier ses
scénarii. C’est symptomatique aussi le fait que Rocha ait cherché comme refuge, dans ses derniers mois
de vie, exactement le lieu d’où partirent les portugais vers la rencontre du Brésil.
« Alias, ce n’est que par la mort que Paulo Martins pourrait se
sauver : s’il choisit la révolution, c’est-à-dire s’il devient un
révolutionnaire, il aura aussi choisi la mort, et c’est ce choix qui
donne la possibilité de victoire. Il doit donc se préparer pour la mort.
Il s’agit d’une décision pour laquelle nous devons rompre toutes les
75
amarres ».
Mais en face des récits créées par Rocha, on perçoit qu’on n’est pas devant
un monde qui puisse être expliqué et vécu seulement avec le recours au
mythe, pour « archaïques » qui fussent encore les pratiques sociales d’une
population sertaneja et dédiée à la pêche, laquelle racontaient des films
comme Barravento et Le Dieu Noir et le Diable Blond. Le « moderne » était,
parfois, lentement et parfois rapidement en train de s’imposer et de
transformer une réalité qui semblait non touchée depuis des siècles. Dans la
terre du Soleil, outre des dévots, vachers, vaches et cactus, figuraient aussi
des voitures, le poste à essence Shell, l’industrie et surtout l’exploitation d’un
monde de plus en plus subordonné à un capital vassalisant : l’ESPRINT. Il
fallait dépasser les limites du mythe.
Et Rocha, dans cette entreprise, compta sur l’aide de trois grandes sources
inspiratrices : la Bible, aussi bien le Vieux que le Nouveau Testament, Marx et
Freud. Mais comment concilier des pensées aussi diverses?
C’est dans ce sens que nous soutenons l’hypothèse que le cinéma de Rocha
réalise une synthèse-collage du Capital avec l’Interprétation des Rêves et la
75
Hojas de cine: testemonios y documentos del Nuevo cine latinoamericano. Universidad Autónoma,
Fundación Mexicana de Cineastas: Mexico, 1988. v.3.
Bible, c’est-à-dire des idées de Marx, Freud et de la religiosité (juive et
chrétienne), aussi que celles des afro-brésilliens.
« Nous avons déjà observé que Marx reprit un des grands mythes
eschatologiques du monde asiatique-méditerranéen : le rôle
rédempteur du Juste (aujourd’hui, le prolétariat), dont les
souffrances sont invoquées pour modifier le statut ontologique du
monde ... Marx a enrichi ce mythe vénérable de toute une idéologie
messianique judéo-chrétienne : d’un côté, le rôle prophétique et la
fonction sotériologique qu’il attribue au prolétariat; de l’autre, la lutte
finale entre le Bien et le Mal, qui peut être facilement comparée au
conflit apocalyptique entre le Christ et l’Antéchrist, suivi de la victoire
définitive du premier » (Eliade, 2000, p.158).
de ce parcours, ainsi que la relecture que Freud fait des mythes comme celui
d’Œdipe pour expliquer le fonctionnement de nos relations sociales dans
l’enfance. On peut aussi faire une lecture de la méthode thérapeutique elle-
même utilisée par la psychanalyse comme structurée par la logique du mythe,
dans la mesure où c’est à partir de la remémoration d’un passé « primordial »,
lui aussi sans une localisation factuelle dans le temps, qu’on réalise une
―
ressignification du présent-futur. Même la structure de l’inconscient
―
atemporel, si l’on conçoit le temps dans une perspective chronologique
peut elle aussi être évoquée comme analogue de la logique de l’Aion. Il ne
faut pas oublier que Rocha était un admirateur profond du cinéma et de la
théorie de Buñuel (qui essayait de créer un cinéma de l’inconscient), de
laquelle il s’est beaucoup approché, spécialement à partir de l’écriture du
manifeste Esthétique du Rêve et de la réalisation du film Le Lion a Sept
Têtes.
Devant toute cette multiplicité, nous entendons que seulement un concept peu
rendre compte de son idée d’histoire : celui de la TRANSE. Transe en tant
qu’état mental altéré, à la frontière entre la conscience et l’inconscience. Un
état pas tout à fait conscient ni, autrement, totalement inconscient, qui transite
entre les deux côtés. État d’instabilité, qui engendre des transformations. État
où le temps chronologique perd sa logique, sa concrétion. Tantôt s’accélère
rapidement, tantôt semble traîner. Temps des révolutions ou de rumination de
la tradition.
cette espérance dorée dans les plateaux .» Mais les HOMMES, des hommes
appartenant à une TERRE, à une HISTOIRE, dont ils font partie et dont le
destin leur appartient dans la même mesure où leur échappe. Des hommes
plongés dans toute confusion, dispersion, aveuglement, contradiction et
injustice propres d’un monde humain. Le transcendent est maintenant ici. LE
DIEU et le DIABLE, le DRAGON et le SAINT GUÉRRIER sont alors les
hommes eux-mêmes dont l’histoire définit leur propre futur.
***
Devant tous ces éléments apportés ici, nous pensons que les discours
produits par Glauber Rocha constituent, en première instance, de relevants
documents pour l’étude de l’histoire du Brésil, dans sa longue durée, ainsi que
des moments ponctuels de son processus politique et social, à l’exemple des
événements qui précédèrent le coup d’état de 1964.
Et, plus que cela, ce sont des sources importantes pour réfléchir sur le rôle de
celui qui narre les processus historiques, apportant pour le débat des
discussions actuelles qui sont de nos jours réalisées en théorie de l’histoire et
en théorie littéraire.
Ses films font surgir des débats sur des problématiques telles que « réalité »et
« fiction » dans les discours sur l’histoire, les possibilités de travailler avec
différentes temporalités au sein d’un même texte (il réussit à articuler le temps
vécu, le temps cosmique et le temps narratif), la perspective polyphonique,
permettant que différentes voix et points de vue racontent le même
évènement, la question de la relation entre éthique, politique et esthétique, la
discussion sur « rationalité » et « irrationalité , « conscience » et
« inconscience » , ainsi que toute une discussion sur le rôle même du
narrateur de l’histoire, sous une perspective du plus grand intêrèt pour le
débat historiographique actuel. .
S’il est vrai que la plupart des questions abordées par Rocha ont déjà été
soulevées, d’une forme ou d’une autre, par quelque philosophe ou théoricien
de l’histoire, il est également vrai que personne n’est parvenu à les articuler
toutes en des discours « cohérents » (à l’intérieur de leur proposition) qui
accomplissent l’office qui est exactement celui de l’historien : raconter des
histoires reliant le passé au présent, même si c’est à partir d’un contrat social
distinct, dans la mesure où, en tant qu’artiste, le cinéaste jouit d’une liberté
dont l’historien est privé. Ses films peuvent donc constituer non pas des
modèles, mais des leit-motiv menant l’historiographie à repenser sa place et
363
les historiens brésiliens à réfléchir sur l’histoire du Brésil.
L’HISTOIRE EN TRANSE
364
L’HISTOIRE EN TRANSE
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