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La remise de Rui Pinto et de ses données au Portugal


menace les enquêtes judiciaires en cours, au sujet
Football Leaks: le lanceur d’alerte Rui
desquelles une procédure de coopération européenne a
Pinto va être extradé vers le Portugal été lancée dans le cadre d’Eurojust. William Bourdon,
PAR YANN PHILIPPIN
ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 15 MARS 2019 l’un des avocats de Rui Pinto, a jugé, dans un entretien
à l’AFP, « inconcevable » que les parquets européens
« soient privés de ses témoignages et de l'accès aux
données considérables saisies à Budapest » lors de son
arrestation.
Nous republions ci-dessous l’article que nous avions
réalisé à la suite du jugement d’extradition prononcé
en première instance.
Rui Pinto, alias « John », le lanceur d’alerte des
---------------------------
Football Leaks. © Yann Philippin / Mediapart
Budapest (Hongrie), envoyé spécial.– Dans la salle
La justice hongroise a confirmé en appel l’extradition d’audience du tribunal de Budapest, Rui Pinto reste
vers le Portugal du lanceur d’alerte Rui Pinto, alias stupéfait, immobile, le regard fixe. Ce n’est qu’au
« John », la principale source des Football Leaks. Il bout de plusieurs minutes que le lanceur d’alerte
devrait être remis au Portugal, ainsi que ses données portugais des Football Leaks remue doucement la
par la même occasion, la semaine prochaine. tête, visiblement sous le choc du verdict. Une juge
Rui Pinto, principal artisan des Football Leaks, hongroise vient de lui signifier, ce mardi matin, qu’elle
a définitivement perdu son premier combat a décidé de son extradition vers le Portugal, ainsi que
judiciaire. La justice hongroise a confirmé jeudi la remise aux autorités portugaises de l’intégralité des
après-midi en appel le jugement d'extradition du 10 téraoctets de données confidentielles saisies à son
lanceur d'alerte vers le Portugal. Rui Pinto devrait domicile de Budapest lors de son arrestation le 16
être physiquement remis au Portugal, ainsi que janvier.
l'intégralité des 10 téraoctets de données saisies par la
police à son domicile de Budapest, d'ici dix jours, et
probablement dès la semaine prochaine, ont indiqué
ses avocats à Mediapart.
Ce Portugais âgé de 30 ans avait été arrêté en vertu d'un Rui Pinto est poursuivi dans son pays natal,
mandat d'arrêt européen émis par son pays, qui l'accuse le Portugal, pour vol de données et tentative
de « tentative d'extorsion aggravée » et de « vol de d’extorsion. Il réfute ces accusations. Ses avocats ont
données ». Il dément ces accusations et revendique immédiatement annoncé leur intention de faire appel,
d’être protégé en tant que lanceur d’alerte. ce qui suspend l’exécution de l’extradition. Etant
À partir du printemps 2016, Rui Pinto, alias « John », donné le jugement d'extradition en première instance,
a remis 70 millions de documents confidentiels au le jeune homme, qui était jusqu'à présent en résidence
magazine allemand Der Spiegel, qui les a partagés surveillée, a été incarcéré dans l'attente du procès en
avec Mediapart et ses partenaires du réseau de appel.
médias EIC, qui ont publié plus de 800 articles Ce verdict de première instance est une défaite pour
fondés sur les Football Leaks et provoqué l’ouverture Rui Pinto et son équipe d’avocats, qui avaient fondé
d’enquêtes judiciaires dans plusieurs pays, dont la leur stratégie sur le fait que la justice hongroise
France. reconnaisse à Rui Pinto le statut de lanceur d’alerte.
Sous le pseudonyme de « John », Pinto a transmis,

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à partir de 2016, plus de 70 millions de documents Il est vrai que nous venons de révéler que le
Football Leaks au magazine allemand Der Spiegel, magistrat représentant le Portugal à Eurojust a omis
qui les a partagés avec Mediapart et ses partenaires de de déclarer que son fils travaillait dans un cabinet
l’EIC. d’avocats représentant Cristiano Ronaldo et plusieurs
autres personnalités mises en cause par les Football
Leaks(lire notre enquête ici).
Rui Pinto a conclu sa déclaration en indiquant que « la
décision de l’extrader est aussi une question de vie ou
de mort ». Il redoute d’être agressé par des fans du
Benfica de Lisbonne s’il est incarcéré dans une prison
portugaise. Ces derniers mois, il a reçu de nombreuses
Rui Pinto, alias « John », le lanceur d’alerte des
menaces de mort par courriel.
Football Leaks. © Yann Philippin / Mediapart
La presse portugaise a en effet écrit qu’il serait
Nos révélations fondées sur ces documents ont donné l’homme ayant piraté des mails confidentiels du
lieu à la publication de plus de 800 articles et Benfica – ce qu’il dément. L’affaire a fait scandale au
ont provoqué l’ouverture d’enquêtes judiciaires dans Portugal et a provoqué plusieurs procédures judiciaires
plusieurs pays, dont la France, la Belgique, l’Espagne, visant le club.
la Suisse et les États-Unis. Nos documents ont Dans la petite salle d’audience, remplie de journalistes
notamment joué un rôle clé dans les condamnations et de caméras, son avocat hongrois, David Deak, a
pour fraude fiscale en Espagne de plusieurs stars du ensuite développé dans sa plaidoirie plusieurs points
ballon rond comme Cristiano Ronaldo, José Mourinho allant à l’encontre de l’extradition, dont une possible
et Ángel Di María, ce qui a rapporté des dizaines de erreur de procédure qui pourrait être exploitée en
millions d’euros à l’État espagnol (lire ici). appel. Selon lui, les autorités portugaises n’auraient
Deux mois avant son arrestation, Rui Pinto avait pas émis de mandat d’arrêt national avant d’émettre
également commencé à collaborer avec la justice le mandat d’arrêt européen. En tout cas, ce mandat
française. Il a remis un vaste échantillon de national n’apparaît pas à ce stade dans la procédure.
12 millions de fichiers informatiques au Parquet Si ce fait était confirmé, ce serait contraire aux règles
national financier, qui a lancé une procédure de applicables.
coopérationvia Eurojust afin de partager les données. La juge hongroise s’est ensuite retirée pendant 45
Huit autres pays se sont déclarés intéressés, lors d’une minutes avant d’annoncer son délibéré. Son jugement
première réunion de travail qui s’est tenue le 19 en faveur de l’extradition semble s’appuyer sur un
février. argument simple : puisque les délits présumés qui
Cette coopération avec les procureurs français était au sont reprochés à Pinto datent de 2015, et sont donc
cœur de la stratégie de Rui Pinto. À l’audience, il a antérieurs de quelques mois au partage de ses données
indiqué avoir lancé le projet Football Leaks pour servir avec les médias membres de l’EIC, elle ne peut pas
l’intérêt général, précisant qu’il voulait dévoiler les juger si Rui Pinto peut bénéficier de la protection
nombreuses pratiques illégales du foot business. accordée aux lanceurs d’alerte pendant cette période.
Il a demandé à la juge hongroise de ne pas l’extrader Si le jugement était confirmé, ce serait une très
vers le Portugal, car il est persuadé qu’il ne bénéficiera mauvaise nouvelle pour les pays européens, dont la
pas « d’un procès équitable » dans son pays. Il estime France, qui veulent enquêter sur les dérives du foot
qu’il y a trop de liens d’intérêt entre le football et les business. La justice hongroise a saisi à son domicile
instances politiques et judiciaires portugaises. des disques durs contenant 10 téraoctets de données

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(dont 6 téraoctets inédits qui n’ont pas été transmis à des Football Leaks, la plus grande fuite de l’histoire du
l’EIC). Or Rui Pinto n’a eu le temps d’en transmettre journalisme. Plus de 70 millions de documents obtenus
qu’environ 10 % aux procureurs français du PNF. par Der Spiegel, soit 3,4 téraoctets de données, ont été
La juge a ordonné que l’intégralité des données analysés pendant huit mois par près de 80 journalistes,
soit remise au Portugal. Or selon plusieurs experts infographistes et informaticiens. Corruption, fraude,
interrogés par l’EIC, le droit portugais interdit, dopage, transferts, agents, évasion fiscale, exploitation
contrairement au droit français ou allemand, l’usage des mineurs, achats de matchs, influence politique : les
de données obtenues illégalement pour engager des Football Leaks documentent de manière inédite la face
poursuites judiciaires. Il est même probable que la noire du football.
loi empêche les magistrats portugais de partager ces Le lanceur d’alerte Rui Pinto, principale source des
données avec d’autres pays européens. Football Leaks, a été arrêté mi-janvier en Hongrie et
Bref, il y a un risque élevé que les autorités portugaises se bat pour éviter une extradition vers le Portugal,
ne détruisent les données, ce qui paralyserait les son pays, qui le soupçonne de vol de données et de
enquêtes en cours sur les Football Leaks dans « tentative d’extorsion »(lire son interview ici). Deux
plusieurs pays. mois avant son arrestation, Rui Pinto avait commencé
à collaborer avec le Parquet national financier (PNF),
Boite noire à qui il a remis 12 millions de fichiers informatiques
issus des Football Leaks. Le PNF a lancé le 19 février
une procédure de coopération judiciaire européenne
pour partager ces documents, lors d’une réunion
d’Eurojust qui a rassemblé neuf pays.
Après une première saison en 2016, Mediapart Cet article a été mis à jour le 8 mars, lorsque nous
et quatorze médias européens regroupés au sein avons appris que Rui Pinto a été placé en détention
du réseau European Investigative Collaborations dans l'attente de son procès en appel.
(EIC) ont publié en novembre 2018 la deuxième saison

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