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La Polyphonie Dans Belle Du Seigneur. Pour Une Approche Semiostylistique
La Polyphonie Dans Belle Du Seigneur. Pour Une Approche Semiostylistique
de Claire Stolz
Alain SCHAFFNER
Nos lecteurs habitués à voir fleurir dans les pages des Cahiers Albert Cohen
les jolis schémas de Claire Stolz, en forme de potences ou de marches
d’escalier, et tout zébrés de flèches jupitériennes (nos seules illustrations,
hélas !) seront aux anges : son livre, nourri des analyses sémiostylistiques de
G. Molinié, en fait un large usage ... Plaisanterie mise à part, ce remarquable
travail, réécriture d’une thèse de doctorat qui fait autorité depuis 1994, comble
un double vide éditorial : celui des études stylistiques consacrées à l’œuvre
d’Albert Cohen — dont Claire Stolz ainsi que Bertrand Goergen sont les
pionniers — mais aussi celui des livres exclusivement consacrés à Belle du
Seigneur. Il n’y en avait tout simplement aucun.
Malgré la multiplicité des voix, un très fort sentiment d’unité se fait cependant
jour à la lecture du texte. Claire Stolz l’attribue, on s’en souvient, à l’existence
d’un archinarrateur "instance narrative qui chapeaute les autres" (p. 321). Il y
a en effet dans le roman "beaucoup de polyphonie, beaucoup de voix souvent
divergentes, mais pas de cacophonie" (p. 323). La présence de
l’archinarrateur peut être repérée dans le texte par "la récurrence de traits
stylistiques dans toutes les parties du livre, quelles que soient les instances
narratives" (p. 325), par une insistance particulière sur l’altérité et l’étrangeté,
par l’abondance de l’intertextualité et finalement par la construction, à laquelle
il contribue, d’une signification globale du roman. "Le roman apparaît tel un
diamant comme un objet aux reflets multiples et variés, mais ayant une unité
très forte ; les facettes, bien que dirigées dans des directions opposées,
s’organisent dans une construction géométrique harmonieuse, mais toujours
ouverte, toujours en devenir" (p. 341). La littérarité générique de l’œuvre
apparaît alors dans le cadre des processus de mise en abyme, des jeux de
miroir et de la polyphonie générique. Belle du Seigneur fait en effet
constamment référence à d’autres arts que la littérature : musique, cinéma
(avec l’emploi de techniques de montage cinématographique) et recourt au
procédé d’enchâssement de l’ekphrasis.
L’écrivain qui (par l’intermédiaire de son personnage Solal) dit tant de mal de
ces "poux du génie", interprètes de la musique des autres, aurait sans doute
été bien étonné qu’on puisse se demander à propos de son grand roman :
"Qui est le chef d’orchestre ?" (p. 316). Il aurait été encore plus surpris
d’apprendre l’existence de l’archinarrateur, instance invisible mais partout
présente (une sorte d’Éternel, finalement...). Cela l’aurait sans doute amusé,
mais pas vraiment inquiété, parce qu’il aurait bien compris que dans ce cas
l’exécutant ne se différencie pas (ou si peu) de l’auteur de la partition.