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net/publication/331894884
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Cyril Monier
French National Centre for Scientific Research
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High-Resolution retinotopic mapping by Intrinsic Signal Optical imaging in the visual cortex of the cat. View project
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Cyril MONIER✵
RÉSUMÉ. Cette revue de la littérature a pour objet de présenter et discuter la place des
neurosciences au sein des sciences de la cognition. Nous présentons les différents paradigmes
au sein des sciences cognitives et la diversité des approches en neurosciences et analysons les
différentes raisons de l’essor des neurosciences cognitives et de la neurobiologie, en
particulier les évolutions techniques. Afin de clarifier le problème du réductionnisme et du
déterminisme en neurosciences nous présentons en détail l’apport des sciences de la
complexité et en particulier les phénomènes émergents dans les systèmes dynamiques. Les
rapports entre les neurosciences et l’intelligence artificielle ainsi que les neurosciences et les
sciences de l’esprit sont abordés ensuite plus en détail. Une attention particulière est portée
sur les méthodes d’apprentissage profond qui nous apparaissent comme une avancée majeure.
La dernière partie de cette revue est consacrée au tournant neuroscientifique au sein de la
société et les implications et enjeux que celui-ci soulève. Nous passons en revue le
neuroenthousiasme de certains et le neuroscepticisme et l’anti-naturalisme des autres, ce qui
nous conduit à expliciter le programme naturaliste des neurosciences et les conséquences pour
les notions de liberté et de responsabilité. Nous abordons ensuite le naturalisme social et les
neurosciences sociales et présentons le courant spinoziste au sein des sciences sociales. Nous
proposons un cadre naturaliste pour les neurosciences : déterministe mais où la contingence
existe, émergentiste, c’est-à-dire non réductionniste et non holistique et ni matérialiste ni
idéaliste. Nous proposons que le spinozisme est le devenir des neurosciences dans le sens où
celui-ci permet de penser les conséquences des découvertes des neurosciences « en avance »
si l’on peut dire et en particulier la notion de liberté. Nous espérons que cette vision du
naturalisme puisse être à même de réconcilier les neurosciences avec les sciences humaines et
sociales.
Mots-clés : Sciences cognitives, neurosciences, naturalisme, déterminisme, émergence, systèmes
complexes, Spinoza, liberté, responsabilité, système visuel, analyse fonctionnelle, explication
mécanistique neuronale, apprentissage profond, plasticité, sciences de l’esprit, sciences humaines et
sociales.
INTRODUCTION 1
1 J’ai eu de nombreuses et très riches discussions avec Alessandro Sarti pour la préparation de ce volume, qu’il
en soit remercié ici. Je tiens également à remercier chaleureusement Alain Mille et Virginie Beaucousin pour
leurs lectures attentives et enthousiastes de ce manuscrit qui m’ont été d’une grande aide. Merci à Olivier
Gapenne de m’avoir fait confiance et de m’avoir proposé l’organisation de ce numéro. Merci du fond du cœur à
Christine pour sa patience et son soutien indéfectible durant l’écriture de cet article et pour tout le reste…
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !3
sciences de la cognition. Cela nous amènera à discuter plus en détail les révolutions
techniques expérimentales en neurosciences cognitives et en neurobiologie de ces dernières
décennies, les biais méthodologiques et théoriques qui y sont associés et les grands projets qui
les soutiennent. Dans une troisième partie, nous aborderons l’apport des systèmes complexes
dans les neurosciences et la biologie en générale, ce qui nous permettra de clarifier des
notions fondamentales comme le déterminisme et le hasard, le réductionnisme et le holisme et
la notion d’émergence après une présentation de l’étude des systèmes dynamiques. Les
rapports entre les neurosciences et les autres disciplines des sciences de la cognition seront
présentés dans une quatrième partie. Nous discuterons les liens étroits entre les neurosciences
et l’intelligence artificielle et l’importance croissante de la modélisation en neurosciences
avec une attention particulière portée sur les méthodes d’apprentissage profond et les réseaux
de neurones à convolution qui nous apparaissent comme une avancée majeure et un outil
essentiel aujourd’hui. Les rapports entre les sciences de l’esprit dans leur diversité et les
neurosciences seront finalement explorés : la psychologie cognitive, la psychologie de la
forme (Gestalt) et la psychologie écologique et enfin la phénoménologie avec une
présentation de la neuro-phénoménologie et la question de sa naturalisation. La dernière partie
de cette revue sera consacrée au tournant neuroscientifique au sein de la société et les
implications et enjeux que celui-ci soulève et qui a largement était analysé dans la littérature
ces dernières années. Une revue critique sera menée sur le neuroenthousiasme de certains et le
neuroscepticisme et l’anti-naturalisme des autres, ce qui nous conduira à expliciter le
programme naturaliste des neurosciences et les conséquences pour les notions de liberté et de
responsabilité. Nous aborderons ensuite le naturalisme social et les neurosciences sociales et
présenterons le courant spinoziste au sein des sciences sociales.
Les neurosciences ont investi la plupart des domaines des sciences humaines et sociales et il
n’a pas été possible de les traiter tous ici. Cette revue renverra à de nombreux ouvrages pour
le lecteur désireux d’approfondir les sujets traités ici ou ceux justement qui n’ont pas pu être
traités suffisamment. J’ai réservé néanmoins une place importante à certains auteurs qui ont
été pour moi des portes d’entrées dans de nombreux domaines : H. Atlan dans son analyse des
systèmes complexes auto-organisés et son analyse fine de la philosophie de Spinoza dans le
cadre des neurosciences ; F. Varela avec la définition du vivant en tant que processus
autopoïètique (avec H. Maturama), le paradigme de l'énaction et l’approche à la première
personne avec la neuro-phénoménologie ; A. Damasio dans la réconciliation de la « cognition
chaude » (les affects) et « la cognition froide » (la rationalité) et enfin F. Lordon s’inspirant de
la philosophie de Spinoza pour donner un cadre naturaliste aux sciences humaines et sociales.
Ces auteurs partagent un attachement explicite à la philosophie de Spinoza (à part pour F.
Varela, ce que nous discuterons), ils se situent tous dans les sciences de la complexité et ils se
sont tous penchés sur le problème de l’origine du sens, associé à l’autopoïèse et à l’action
chez Varela, à l’homéostasie et les affects chez A. Damasio et à l’auto-organisation chez H.
Atlan. Ainsi dans la lignée de ces auteurs, je montrerai que la philosophie de Spinoza offre un
cadre cohérent facilitant l’articulation de l’ensemble des disciplines des sciences cognitives,
des neurosciences, de la psychologie et de la sociologie. Nous essayerons de le faire dans le
même esprit qu’H. Atlan dans son dernier ouvrage, esprit qui a été très bien décrit par P.
Macherey dans la préface de celui-ci « L’objectif poursuivi dans l’ouvrage [d’Atlan] n’est
donc ni de fonder philosophiquement, au prix d’un vertigineux retour en arrière, les
découvertes scientifiques actuelles, ni de se servir de ces dernières en vue de valider des
raisonnements philosophiques élaborés à une autre époque dans un contexte tout différent et
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !4
dans un langage qui n’est pas le même : mais il est de faire réagir l’un sur l’autre deux types
distincts d’activités intellectuelles, décalés l’un par rapport à l’autre, que leur irréductibilité
n’empêche pas de se rencontrer et de nouer entre elles de surprenantes correspondances. p. 9
(Atlan, 2018) ». Je défendrai ainsi une position naturaliste réfutant le réductionnisme fort car
prenant en compte les causalités ascendantes et descendantes entre les différents niveaux
d’organisation. Cette position est défendue à la fois par des philosophes, par exemple J-M.
Schaeffer (2007) et M. Espinoza (2006, 2014) qui défend un naturalisme « intégral et
repensé », des sociologues (Kaufmann & Cordonier, 2011 ; Panese, 2016) et, à notre avis, par
une majorité de neuroscientifiques de manière plus ou moins implicite (Krakauer, 2017).
Cette attitude naturaliste non réductionniste devrait faciliter la résolution de nombreuses
relations conflictuelles qui se sont établies entre les neurosciences, les sciences humaines et
sociales et la société.
Le point de vue adopté ici est celui d’un neurobiologiste ayant travaillé principalement dans le
domaine de la vision dans la droite lignée des expériences de Hubel & Wiesel (1998), qui a
suivi le cursus des sciences cognitives de Paris et qui y enseigne à présent. C’est donc tout
naturellement que la plupart des exemples présentés ici seront issus des études de la vision
mais ce choix s’explique également par le fait que c’est un domaine très avancé en
neurosciences, en psychologie cognitive et également en intelligence artificielle et par le souci
de donner un fil conducteur et une cohérence à l’ensemble de cette revue. Les aspects
philosophiques discutés ici sont donc celui d’un neurobiologiste et nous sommes totalement
en accord avec Krakauer lorsqu’il considère qu’« il n’y a pas d’échappatoire à la philosophie.
Chaque scientifique adopte une position philosophique, tacite ou explicite, chaque fois qu’il
énonce qu’un résultat est « important », « fondamental » ou « intéressant ». En effet, de telles
assertions constituent toujours un jugement extérieur à la science » (Krakauer et al., 2017,
p. 485). L’idée centrale de cet article est d’expliciter les positions philosophiques des
neurosciences.
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(Andler, 2016). Pour distinguer les approches dans ces différentes disciplines qui se
proclament directement des sciences cognitives, l’adjectif « cognitif » y est souvent ajouté
(psychologie cognitive, linguistique cognitive, neuroscience cognitive…). Ainsi les sciences
cognitives sont par essence pluridisciplinaires (juxtaposition des disciplines), mettent en place
des interdisciplinarités (volonté d’intégrer les disciplines proches entre elles) permettant de
faire émerger de nouvelles problématiques à la frontière de ces disciplines et peuvent être
perçues comme transdisciplinaires quand elles instaurent un paradigme unificateur entre les
disciplines, comme le concept de traitement de l’information.
En parfaite rupture avec le béhaviorisme, les sciences cognitives ont proposé de donner une
théorie de ce qui se passe « à l’intérieur » d’un organisme doté de capacités cognitives quand
il réalise un comportement. Ainsi les sciences cognitives comme le béhaviorisme gardent le
comportement comme objet spécifique d’investigation et partagent de nombreuses
méthodologies expérimentales de ce courant mais « la boîte noire » entre les stimuli et le
comportement, proposé par le béhaviorisme, est remplacée par le concept de représentation.
Ce concept est considéré comme central dans les sciences cognitives et pourtant sa définition,
son utilisation et l’étendu de ce qu’il recouvre exactement sont encore très débattus (Bault et
al. 2011 ; Steiner, 2011). Classiquement on distingue trois paradigmes principaux au sein des
sciences cognitives : l’approche symbolique computationnelle, l’approche connexionniste et
dynamique et l’approche incarnée et énactive. Se rajoutent à celles-ci à présent l’approche
bayésienne (le « cerveau statisticien ») et en extension de l’énaction les approches regroupées
sous le sigle 4EA (pour « Embodied, Embedded, Enacted, Extended & Affective ») que l’on
peut traduire par Incarné, Situé, Énacté, Étendu et Affectif. Bien que l’on puisse considérer
que la plupart de ces courants étaient déjà présents dès les origines des sciences cognitives,
l’approche symbolique computationnelle a été considérée comme l’approche orthodoxe
dominante durant les premières décennies et les autres approches comme hétérodoxes.
Aujourd’hui l’approche symbolique est fortement critiquée et remise en question mais reste
toujours influente que ce soit au niveau théorique ou méthodologique tandis que les courants
hétérodoxes prennent une place de plus en plus importante.
Dans l’approche symbolique computationnelle, l’esprit traite littéralement de l’information
dans le sens où il manipule des symboles discrets selon un ensemble de règles (Fodor, 1986).
Sous sa forme radicale, cette idée conduit à un fonctionnalisme où le substrat biologique perd
toute pertinence en ce sens qu’il ne renseigne en rien sur ce que fait la fonction. Ce niveau
fonctionnel d’explication est assimilé au niveau psychologique et mental et comme ce premier
est considéré comme pouvant être implémenté de différentes façons (hypothèse de la multi-
réalisabilité) nous obtenons une sorte de solution matérialiste au problème du rapport entre
l’esprit et le corps qui est cependant teinté d’un certain dualisme puisque le niveau
fonctionnel et l’implémentation sont radicalement distincts. Ainsi pour ce courant, les états
mentaux existent de manière irréductible et ils sont définis par leur rôle fonctionnel. Ce qui
caractérise le mieux cette approche est l’analogie faite entre le fonctionnement du cerveau et
celui d’un ordinateur. Le traitement de symboles par le cerveau serait similaire à la
manipulation par l’ordinateur des chaînes de bits. Si les règles de manipulations sont
correctes, on peut reformuler la nouvelle chaîne de bits ou de symboles et obtenir ainsi sa
signification.
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2015). Les neurosciences affectives sont devenues dans ces dernières décennies un champ
d’étude extrêmement développé avec de fortes retombées dans les sciences cognitives et ont
fortement contribué à promouvoir les approches 4EA (Damasio,1994, 2017 ; Ledoux, 1999 ;
Panksepp, 2004 ; Feldman-Barrett, 2011).
L’ensemble de ces paradigmes/approches coexistent aujourd’hui au sein de la recherche en
sciences cognitives et évoluent dans leur définition en fonction des usages qui en sont faits ce
qui rend toute description aujourd’hui simplificatrice (Steiner, 2015). De plus, comme le
soulignait Varela (2017 [1992]), ces approches ne sont pas forcément contradictoires et
mutuellement exclusives mais constituent plusieurs niveaux de compréhension de la cognition
et de son origine. Si on considère uniquement le traitement symbolique c’est que l’on met
entre parenthèses la question de l’émergence des symboles et c’est ce qui est fait dans
l’analyse fonctionnelle puisque c’est l’observateur/expérimentateur qui seul connaît la
signification des symboles que sa fonction manipule. Cette fonction est utile en tant que
description du système mais uniquement dans un contexte donné. Cependant si l’on veut
comprendre l’origine de la perception et de la cognition, le niveau d’explication doit prendre
en compte l’origine du sens et donc le cerveau au sein d’un corps produisant des émotions, et
en interaction avec son environnement. « La cheville ouvrière de la cognition est sa capacité
à produire du sens et que l’information n’est pas préétablie comme un ordre donné, mais
qu’elle équivaut à des régularités qui émergent des activités cognitives elles-mêmes » (Varela,
2017). Plutôt que d’opposer ces approches, il est plus intéressant de comprendre comment
elles peuvent être complémentaires et de les articuler entre elles dans une approche globale
prenant en compte les différents contextes de manière graduelle. Chez l’homme se pose
également la question de savoir si ces paradigmes ne s’attachent pas à différentes capacités
cognitives. Le traitement symbolique conscient est une activité mentale bien précise (faire du
calcul mental par exemple) qui nous apparaît évidente et importante mais qui n’est que la
partie « visible » de l’iceberg que constitue notre cognition. Dans l’étude du système visuel
par exemple il est classique de considérer qu’il existe au moins deux voies importantes, l’une
ventrale impliquée dans la reconnaissance des objets conscients, et l’autre dorsale impliquée
dans la gestion des actions sur les objets visuels de manière inconsciente. En caricaturant,
nous pourrions dire que l’approche computationnelle s’intéresse uniquement à la voie ventrale
et à l’étude chez l’adulte de la reconnaissance des objets et que l’approche énactive s’intéresse
plus particulièrement à la voie dorsale et comment le sens, la signification des objets qui est
multi-sensoriel, motrice (affordance) et émotionnelle se met en place au cours du
développement. « [...] voir des objets ne consiste pas à en extraire des traits visuels, mais à
guider visuellement l’action dirigée vers eux. » (Varela et al., 1993, p. 237). Comment ces
deux voies visuelles interagissent entre elles pour former le monde visuel tel que nous le
percevons est une question importante et encore incomprise, en particulier chez les animaux
où la reconnaissance consciente des objets n’est pas liée au langage comme chez l’homme.
Définir la cognition
En fonction du niveau d’explication que l’on choisit nous pouvons donner différentes
définitions à la cognition. Si l’on revient à l’étymologie du terme, « cognition » est
l’association de deux mots latins, con, « avec », et gnosco, « connaître », et le latin médiéval
définissait la cognition comme l’activité de connaître. Nous pouvons alors définir la cognition
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sur plusieurs niveaux qui correspondent plus ou moins à des extensions étape par étape de ce
concept de connaissance :
- Pour reprendre la définition de la cognition telle qu’on la trouve dans l’ouvrage du même
nom, la cognition fait référence directement à l’intelligence humaine : Tout ce qui se
rapporte à l’esprit humain et à son fonctionnement : « l’attention, la mémoire, le
raisonnement, la prise de décision, la compréhension – bref, tout ce qui pourrait
constituer la pensée. » (Collins et al,. 2018).
- Nous pouvons étendre la cognition à l’ensemble des facultés mentales humaines associée à
l’activité du système nerveux et y ajouter donc celles qui sont plus automatiques comme la
perception et les affects, les émotions et les sentiments.
- Nous pouvons bien évidemment étendre la cognition à l’ensemble des processus réalisés
par tous les systèmes nerveux complexes présents dans le règne animal, mettant en avant
la continuité phylogénétique entre l’animal et l’homme. F. De Waal (2016) rappelle que si
aujourd’hui il semble naturel de parler de cognition animale, les résistances ont été très
fortes chez les partisans de l’exception humaine.
- La cognition peut être étendue à tout système, humain, animal ou artificiel capable
d’acquérir, faire émerger du sens, conserver, utiliser et transmettre des connaissances de
manière à satisfaire une contrainte de viabilité de ce système. L’émergence du sens peut se
faire au sein de systèmes complexes agissant sur l’environnement par couplage (énaction)
ou/et en référence à un état interne positif ou négatif (homéostasie) par des apprentissages
supervisés, non supervisés ou par renforcement.
- Il est possible également de considérer que « cognition = vie » et que toute activité au sein
d’un organisme vivant relève d’un phénomène cognitif avec une prise de connaissance et
des boucles de rétroactions soit positives, soit négatives afin de maintenir l’ensemble des
homéostasies et participer aux processus auotopoïétiques (Stewart et al., 2015).
L’acquisition d’un système nerveux par le règne animal ne serait alors qu’une complexité
supplémentaire dans le but de réaliser ces processus dans la continuité des processus du
vivant générant des comportements et un environnement plus complexe. Comprendre la
cognition serait comprendre son rôle fondamental dans le maintien des organismes vivants
et les systèmes nerveux s’inscriraient dans la continuité de ce rôle. En conséquence, pour
comprendre la cognition il faut comprendre les principes fondamentaux qui ont généré la
vie et ensuite reconstruire pas à pas la trajectoire de l’évolution des organismes vivants
conduisant aux organismes hautement complexes que nous sommes. Si la cognition est
restreinte à tout système répondant au critère d’organisme vivant, cela signifie qu’il faudra
faire émerger des systèmes artificiels autopoïétiques si l’on veut obtenir des machines
intelligentes (autres que les machines biologiques). Cette contrainte déplacera les
problématiques actuelles qui émergent autours de l'intelligence artificielle vers des
questions sur la gestion des coûts énergétiques de ces systèmes, centraux pour les vivants
et presque toujours négligés dans les systèmes artificiels. À titre d’exemple le programme
« AlphaGo » consomme dix mille fois plus d’énergie qu’un humain en jouant une partie de
go.
Nous le voyons l’étude de la cognition s’inscrit dans la continuité de l’étude du vivant qui a
profondément évolué ces dernières décennies. Selon H. Atlan (1972) la grande avancée de la
cybernétique est d’avoir statué que la spécificité des organismes vivants est rattachée à des
principes d’organisation et que ces principes une fois découverts, rien ne devrait empêcher de
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les appliquer à la conception d’automates artificiels dont les performances deviendraient alors
comparables à celles des organismes vivants. Nous pouvons donc poursuivre cette
compréhension du vivant par ces principes d’organisation à la compréhension de la cognition
et il est donc nécessaire de bien spécifier ces prinicipes. Nous considérons que l'ensemble des
relations qui définissent une machine vivante comme une unité constitue son organisation
autopoïétique et que l'ensemble des relations effectives entre les composants présents sur une
machine concrète dans un espace donné constitue sa structure. La relation définie par un
observateur entre ce qu'il considère comme une entrée (input) et ce qu'il considère comme une
sortie (output) définit une des fonctions attribuées à cette machine. Théoriquement une unité
vivante générique pourrait-être définie seulement par son organisation, ce qui définit
l’appartenance à son espèce mais elle sera toujours par sa structure un cas particulier,
spécifique de cette organisation, une singularité de cette organisation. Cependant
l’organisation et la structure d’un organisme vivant sont d’une certaine manière indissociables
puisque seule la matière organique constituant les organismes vivant possèdent les propriétés
indispensables à son organisation, du moins dans l’état de nos connaissances. Nous sommes
encore très loin d’avoir des automates artificiels comparables aux organismes vivants, la
difficulté n’étant pas seulement de définir une organisation autopoïétique mais d’être capable
de leur donner une matérialité qui ait les mêmes propriétés que la matière organique pour
qu’il puisse évoluer dans le monde de la même manière et être confronté aux mêmes
préoccupations et contraintes énergétiques. Cela ne signifie pas que l'on ne pourra pas créer a
priori des machines cognitives ayant des propriétés autopoïétiques, ou du moins leur donner
les conditions de leur propre émergence, mais que celles-ci seront une autre forme de « vie »
et qu’elles développeront une cognition, des affects, des significations qui leur seront
spécifiques. Ce que l’on veut souligner ici c’est l’importance de la matérialité du vivant dans
la cognition, à la fois en tant que corps spécifique en action avec ses potentiels et ses limites
(Varela, 2017) et en tant qu’organisme vivant soumis à une régulation stricte (autopoïèse,
homéostasie, homéodynamique…) produisant un système de valeurs associé aux affects
(Damasio, 2017). Cette vision des systèmes vivants comme structure biologique ne
recherchant fondamentalement que leur propre conservation correspond à la vision
protobiologique du conatus de Spinoza (Damasio 2003 ; Jaquet, 2009 ; Kambouchner, 2009 ;
Atlan 2018) et a été défendue également par H. Laborit (1974).
Cette présentation des sciences cognitives et des différentes définitions de la cognition donne
un cadre général pour la présentation des neurosciences. Comme nous allons le voir, la
manière dont les neurosciences s’inscrivent dans ces différents paradigmes est loin d’être
triviale. Les contraintes expérimentales en sont évidemment une des principales raisons :
autant il est simple et satisfaisant de faire une analyse fonctionnelle en neurosciences, autant
mettre en place un protocole permettant de se placer dans le paradigme de l’énaction est plus
compliqué et demande une plus grande maîtrise du contexte dans des conditions les plus
naturelles possibles. Le paradigme de l’énaction est ainsi beaucoup plus exploré pour le
moment en psychologie et en intelligence artificielle et robotique (voir le volume 65
d’Intellectica consacré aux « Nouvelles approches en Robotique Cognitive » dirigé par M.
Khamassi & S. Doncieux, 2015 ; De Loor et al., 2015) qu’en neurosciences et nous pouvons
espérer que la mise en place de méthodes de plus en plus sophistiquées en neurosciences
permettra d’étudier l’activité neuronale chez des animaux ou humains en action pour
développer cette approche.
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La situation française des sciences de la cognition a été discutée par O. Gapenne dans le
numéro 64 d’Intellectica (Gapenne, 2015) et il fait le constat que celles-ci sont en crise en tant
qu’institution et structure encadrant l’ensemble des recherches étudiant la cognition. Ceci
contraste évidemment avec le dynamisme actuel des études sur la cognition qui, comme nous
le verrons, sont omniprésentes aujourd’hui au sein de la société. L’existence de courants
différents et importants et qui parfois se sont fortement opposés, la diversité des disciples qui
y sont attachées et qui défendent chacune une certaine autonomie, la diversité des champs
d’action et d’application au sein de la société (la recherche, l'enseignement, les innovations
technologiques, les usages sociétaux, le mouvement transhumaniste…) ne favorisent
évidemment pas une unification des sciences cognitives. Il est difficile de savoir ce que sera
demain le statut institutionnel des sciences cognitives. Il semble relativement clair cependant
qu’il faille défendre l’approche pluridisciplinaire et interdisciplinaire qui la caractérise afin
que l’ensemble des chercheurs dans les sciences de la cognition puissent interagir, développer
un langage commun afin de débattre et partager, et donc contraindre mutuellement leur objets
d’études2. De plus, il semble nécessaire d’apaiser les conflits entre les différentes disciplines
et les différents courants et de chercher à les articuler les uns avec les autres de manière
complémentaire. Comme nous allons le voir à présent, il est possible que ce soit le
développement de nouvelles techniques qui permette une telle articulation des courants en
s’attaquant aux contraintes expérimentales qui limitent les explorations théoriques.
II – LES NEUROSCIENCES
Durant ces dernières décennies, il semble incontestable que les neurosciences ont pris une
place croissante au sein des sciences cognitives. Quasi inexistantes au début et ne constituant
pas une discipline unifiée, elles semblent devenues quasi incontournables aujourd’hui
lorsqu’il s’agit d’étudier la cognition. Les sciences cognitives ont hérité de la cybernétique, en
particulier de la théorie des systèmes et de la théorie de l’information, l’hypothèse centrale
que la cognition est un traitement de l’information qui peut être implémenté sur des supports
multiples. Cette hypothèse laissait peu de place à l’approche neuronale : les neurones étant
une implémentation parmi d’autres, l’analyse fonctionnelle apparaissait comme l’approche la
plus pertinente pour étudier la cognition. En conséquence l’histoire des neurosciences et celle
des sciences cognitives sont finalement assez parallèles. D’un côté, les sciences cognitives se
sont constituées autour de l’intelligence artificielle, de la psychologie et de la linguistique et
de l’autre côté, les neurosciences se sont constituées en associant tout un ensemble de
disciplines qui étudiaient le cerveau avec des perspectives et des méthodes variées : la neuro-
anatomie, la neuro-histologie, la neuroendocrinologie, la neurophy-siologie, la neurologie, la
neuropsychologie, l’électrophysiologie, la neuro-pharmacologie ou encore l’étude du
comportement (Imbert, 2006 ; Abi-Rached & Rose, 2014 ; Chamak, 2014). Les neurosciences
cognitives se sont ensuite constituées au sein des sciences cognitives en reprenant activement
l’hypothèse de la cognition comme traitement de l’information et étudient les corrélats
neuronaux de la cognition en exploitant et adaptant, à tous les niveaux et à toutes les échelles,
l’analyse fonctionnelle. Les autres neurosciences, que nous nommerons « neurobiologie »
2 À noter que les structures d’enseignement comme le cogmaster de Paris proposant une grande diversité
d’approches et de disciplines autour de thèmes communs et produisant ainsi une unité singulière est un bon
exemple à suivre (Collins et al,. 2018).
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !12
dans la suite pour éviter les confusions, regroupent toutes les approches expérimentales,
théoriques et computa-tionnelles qui fondent leurs explications mécanistiques de la cognition
au niveau des neurones et des réseaux de neurones. Ainsi au sein même des neurosciences
nous pouvons, en simplifiant inévitablement, distinguer quatre approches fondamentales :
l’approche top-down, l’approche bottom-up, l’approche corrélation structure-fonction et enfin
l’étude des systèmes auto-organisés. Les deux premières approches sont bien séparées avec
d’un côté l’analyse fonctionnelle faite par une grande partie des neurosciences cognitives et
de l’autre les neurobiologistes qui étudient les propriétés des neurones et des réseaux de
neurones sur des tranches de cerveaux et en font des simulations hautement détaillées
(Markram et al., 2015). Les approches top-down et bottom-up prises séparément ne sont pas
en mesure de faire émerger une organisation fonctionnelle du système nerveux, seule une
approche utilisant les corrélations entre les propriétés fonctionnelles et la structure du système
permet de le faire, correspondant ainsi à la troisième approche. Le point important est qu’une
fois que cette organisation est comprise, elle peut être considérée indépendamment des
structures et des fonctions qui ont permis de l’établir. Le cerveau/l’organisme n’implémente
pas les fonctions qui sont définies par l’observateur/expérimentateur externe, sa seule
« fonction » est de participer à la survie de l’organisme en interaction avec son milieu naturel.
Dans l’étude des systèmes auto-organisés, l’organisation fonctionnelle émerge, quant à elle,
en utilisant des méthodes d’apprentissages (supervisées, non supervisées et/ou par
renforcement) dans des réseaux de neurones possédant des structures plus ou moins élaborées
au sein de robot ou pas. Cette approche est principalement associée à la modélisation des
réseaux de neurones et à l’intelligence artificielle. L’ensemble de ces approches coexistent à
présent et s’alimentent mutuellement dans le meilleur des cas. Les organisations
fonctionnelles obtenues avec les systèmes auto-organisés peuvent-être directement comparées
à celles obtenues par une approche structure-fonction comme cela a été activement fait dans
l’étude du système visuel (voir les modèles d’apprentissages profonds, Yamins & DiCarlo,
2016 et les modèles LISSOM, Miikkulainen et al,. 2005).
Le développement important des neurosciences a ouvert la voie à de nouvelles thématiques
selon deux mouvements, l’un centripète, avec la convergence de nombreuses disciplines des
sciences humaines vers les neurosciences, et l’autre centrifuge, de conquête de phénomènes et
de territoires nouveaux (Panese et al,. 2016). Un exemple symptomatique est l’appropriation
par les neurosciences de l’étude de la conscience (Crick & Koch, 1990 ; Tononi & Koch,
2015 ; Lamme, 2018). Les neurosciences cognitives étudient principalement l’accès à la
conscience (Naccache, 2009, 2010 ; Dehaene, 2014) tandis que la neurobiologie étudie plutôt
les conditions dynamiques (oscillations, synchronisations) rendant possible l’état de
conscience (Tononi, 2012). Nous pouvons citer encore les études en neurosciences sur les
émotions, l’empathie, la cognition sociale avec en particulier la découverte des neurones
miroirs ayant généré de nombreux débats (Rizzolatti & Sinigaglia, 2011 ; Ramachandran,
2011 ; Attigui & Cukier, 2011 ; Berthoz & Jorland, 2004). De nouveaux champs
d’applications ont également été investis avec en particulier les interfaces cerveau-machines
qui ont pour but du point de vue médical d’être un soin palliatif pour les handicaps moteurs
importants. Ces interfaces entre le cerveau via des électrodes d’enregistrement et un
ordinateur permettent à la personne d’envoyer directement des commandes à des systèmes
moteurs artificiels en fonction de l’activité cérébrale enregistrée. Ces interfaces sont
également utilisées de plus en plus chez l’animal comme outils d’investigation pour
comprendre le fonctionnement du cerveau.
- DOSSIER -
Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !13
Les neurosciences cognitives ont directement hérité des concepts et des méthodes des
sciences cognitives, en particulier la pluridisciplinarité et surtout l’interdisciplinarité.
Beaucoup de ces études intègrent des enregistrements de l’activité neuronale non invasifs
directs ou indirects et des méthodes de la psychologie cognitive, de la neuropsychologie ainsi
que de la modélisation. Considérer que le cerveau, en tant que système, fait du traitement de
l’information est une hypothèse avant tout méthodologique et pragmatique qu’il est facile de
mettre en œuvre à travers l’analyse fonctionnelle et qui a été déclinée à tous les niveaux
d’investigation (psychologie, linguistique et neurosciences cognitives). Cependant il est
nécessaire de restreindre cette hypothèse à son application et veiller à ne pas en faire une fin
en soi théorique.
La montée en puissance des neurosciences cognitives au sein des sciences cognitives
s’explique principalement par le développement important des méthodes d’investigation non
invasives comme l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) ou de diffusion
(IRMd) mais aussi les enregistrements électrophysiologiques (EEG, MEG ou ECoG profond
chez l’homme3) permettant d’observer l’activité du cerveau humain durant toutes sortes de
tâches cognitives et de faire ensuite des corrélations entre l’activité cérébrale et l’activité
mentale. C’est cette possibilité technique d’associer des mesures neurophysiologiques non-
invasives à la psychologie cognitive qui a transformé profondément ce domaine (Le Bihan,
2012, ce volume). La neuro-imagerie, en donnant la possibilité de pouvoir identifier quelles
sont les zones du cerveau impliquées dans certaines tâches cognitives permet d’affiner
l’analyse fonctionnelle en validant ou pas les modèles fonctionnels, mais elle ne permet pas
d’avoir une explication à un niveau neuronal mécanistique (Kaplan, 2017). En cela, les
neurosciences cognitives sont plus tributaires au niveau méthodologique de la psychologie
cognitive que des neurosciences proprement dites. Ainsi les neurosciences cognitives
s’inscrivent encore aujourd’hui en grande partie dans le paradigme fonctionnel cognitiviste
qui a été agrémenté ces dernières années par le modèle bayésien du cerveau prédictif
statisticien. L’approche bayésienne est une vraie avancée pour comprendre dans les systèmes
fonctionnels comment les a priori accumulés par le cerveau sont pris en compte dans le
traitement de l’information et donc reste totalement dans le cadre du paradigme fonctionnel
(Wu, 2006).
Un point de vue différent, exprimé par Boone & Piccinini (2016) dans leur article « The
cognitive neuroscience revolution », considère que les neurosciences cognitives sortent du
cadre de la simple étude fonctionnelle et constituent une rupture révolutionnaire par rapport
aux sciences cognitives classiques en ce qu’elles produisent des explications mécanistiques à
tous les niveaux, du neuronal au cognitif en pratiquant des corrélations structures-fonctions à
toutes les échelles. Dit autrement, il n’y a pas de niveau fonctionnel et algorithmique d’un
côté (le cognitif) et l’implémentation neuronale de l’autre mais un continuum d’explications
mécanistiques entre les deux, prenant en compte et s’insérant dans les différents niveaux
d’organisation. Leur idée est que les neurosciences cognitives ont réalisé une véritable
intégration des différents domaines dont elles avaient besoin pour réaliser une investigation
multi-échelle et multi-niveaux de la cognition. Je partage avec ces auteurs que l’approche par
corrélation structure-fonction est essentielle mais moins sur le fait que celle-ci soit généralisée
au sein des neurosciences cognitives. La plupart des études actuelles semblent plutôt valider
ou détailler des algorithmes computationnels au sein d’une analyse fonctionnelle. La grande
question ici est finalement de considérer si une analyse structure-fonction qui ne soit pas à
l’échelle du neurone est une explication mécanistique comme le prétendent Boone & Piccinini
(2016) ou pas. Comme nous le verrons les modèles par apprentissage profond présentent un
exemple qui, d’une certaine manière, peut être considéré comme intermédiaire entre une
implémentation neuronale et un modèle fonctionnel et qui pourrait ainsi correspondre à une
telle explication mécanistique. Nous discuterons plus en détail ces aspects qui sont essentiels
pour articuler les relations entre neurosciences et psychologie.
La neurobiologie a connu, elle aussi, un développement spectaculaire ces dernières années. La
neurobiologie a généré, accompagné ou bénéficié d’un changement de paradigme au sein des
sciences cognitives. Les échecs, prévisibles pour beaucoup de neurobiologistes, de l’approche
symbolique, en particulier au niveau de l’intelligence artificielle qui n’a pas tenu ses
promesses, ont naturellement ouvert la voie aux approches alternatives : le connexionnisme et
les systèmes dynamiques en particulier. Le connexionnisme étant une approche neuro-
mimétique qui s’inspire du fonctionnement complexe du cerveau, c’est donc tout
naturellement que ces disciplines se sont mutuellement renforcées. Ces disciplines étudient
l’organisation des réseaux de neurones, leurs dynamiques (niveau d’oscillation, niveau de
synchronisation), comment ils s’adaptent et apprennent au sein d’un organisme actif en
interaction avec l’environnement et proposent des modèles avec des architectures proches des
réseaux neuronaux biologiques qui s’appuient sur les grands principes de l’auto-organisation
du vivant comme la plasticité et l’homéostasie (Stevens, 2013). Les capacités d’apprentissage
sont des propriétés essentielles de ces systèmes qui ont été largement mis en avant dans le
connexionnisme et une des erreurs du cognitivisme est probablement d’avoir sous-estimé les
importantes capacités d’apprentissage des réseaux de neurones au sein d’un organisme en
action en considérant que les stimuli étaient trop pauvres. Ainsi l’approche expérimentale en
neurobiologie a bénéficié d’un cadre théorique important, le connexionnisme/dynamicisme,
qui est complété aujourd’hui par les approches 4AE présentées précédemment. Les
explications dans ce cadre sont mécanistiques et les « fonctions » émergent des propriétés
dynamiques et des capacités d’apprentissage des réseaux de neurones. La difficulté majeure
de cette approche est qu’il faut prendre en compte l’ensemble : le cerveau à l’échelle
neuronale, l’organisme, l’environnement, le social pour rendre compte des « fonctions » de
haut niveaux et nous sommes encore loin de pouvoir réaliser de tels modèles.
Ce cadre est différent de celui des neurosciences cognitives qui sont plus affiliées au
cognitivisme où les explications sont principalement fonctionnelles, c’est-à-dire que
l’observateur/expérimentateur utilise les informations sur les stimuli pour définir les
fonctions. Ces deux approches, globalement bottom-up et top-down, sont complémentaires et
doivent interagir fortement mais doivent rester dissociées dans les explications qu’elles
donnent de la cognition. Ce sont deux perspectives sur une même réalité qui ne sont pas
réductibles l’une à l’autre. L’essor de la neurobiologie est également dû comme pour les
neurosciences cognitives à un développement technique important, que ce soit au niveau de
l’expérimentation biologique ou des capacités de modélisation. C’est ce que nous allons
analyser plus en détail à présent dans la partie suivante.
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !15
4 TEP : Tomographie par Émission de positrons ; IOi : Imagerie Optique Intrinsèque ; IOf : Imagerie Optique par
fluorescence. (Grinvald, 2004, 2016a, 2016b ; Knöpfel, 2012).
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !16
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !17
Frégnac & Laurent, 2014 ; Frégnac, 2017 ; Krakauer, 2017). Nombre d’articles aujourd’hui en
neurosciences dans les meilleures revues relatent des exploits techniques mais n’apportent
finalement pas d’informations importantes pour notre compréhension de la relation entre le
cerveau et le comportement (Krakauer, 2017). Ce n’est souvent que plus tard que des résultats
importants proviennent d’autres laboratoires qui se sont appropriés ces nouvelles techniques.
Ainsi selon Krakauer (2017) le fait que les neurosciences soient axées sur le développement
de technologies, de systèmes modèles et d’approches nécessaires pour analyser le déluge de
données qu'elles produisent pourrait être considéré comme un exemple de ce que l’on appelle
le biais de substitution : « [...] Face à une question difficile, nous répondons souvent à une
question plus facile, généralement sans remarquer la substitution » (Kahneman, 2011, p. 12).
Ce positionnement par rapport aux techniques est cependant assumé par une large
communauté de neurobiologistes comme en témoigne le projet américain « BRAIN
initiative5 » qui vise à développer et à appliquer de nouveaux outils et technologies, en
particulier dans la cartographie et l'étude des circuits neuronaux pour, dans un futur proche,
« révolutionner notre compréhension du cerveau » (Jorgenson, 2015). Le pari est que le
développement de nouvelles technologies sera le moteur pour de nouvelles théories sur le
fonctionnement du cerveau et non l’inverse et l’histoire récente des neurosciences plaide en
faveur effectivement d’un tel pari (Yuste, 2015).
Le succès de l’approche fonctionnelle tient au fait qu’elle est relativement facile à mettre en
place et qu’elle donne l’impression que la fonction que l’on a caractérisée nous donne
réellement une compréhension de ce qui se passe, comme le dit T. Movshon, important
promoteur de cette approche dans le système visuel : « Je préfère comprendre quelque chose
de simple que de ne pas comprendre quelque chose de complexe6 ». Ainsi les contraintes
techniques génèrent des biais importants dans les concepts qui sont utilisés mais il semble
malheureusement difficile d’imaginer comment faire autrement sauf à développer justement
de nouvelles techniques. Un exemple de ce biais a été explicité récemment par R. Yuste
(2015) concernant la doctrine neuronale. Le neurone a longtemps était considéré comme
l’unité structurelle mais aussi fonctionnelle du système nerveux avec comme exemple
symptomatique le calcul des champs récepteurs spatio-temporelles de ces neurones. L’origine
de ce concept semble principalement due au fait que la plupart des techniques anatomiques et
physiologiques disponibles ne permettaient l’étude que d’un neurone à la fois. Aujourd’hui les
nouvelles méthodes d'enregistrement multi-neuronales (multi-électrode, imagerie bi-photons)
ont révélé que des ensembles de neurones, plutôt que des cellules individuelles, peuvent
former des unités physiologiques et générer des propriétés et des états fonctionnels émergents
produisant le nouveau concept dominant des neurosciences. Cette évolution technique et
conceptuelle est associée à la possibilité de faire des modèles de réseaux de neurones
permettant fort heureusement d’intégrer les connaissances précédemment acquises à l’échelle
d’un neurone et de comparer les états fonctionnels émergents modélisés aux données
récemment acquis par les nouvelles techniques multi-neuronales. Le fait que le codage
fonctionnel soit distribué sur une population de neurones plutôt qu’un neurone unique
5BRAIN initiative for « Research through Advancing Innovative Neurotechnologies », Recherche sur le cerveau
par le développement des neurotechnologies innovantes. http://www.braininitiative.org/
6 T. Movshon communication personnelle, Heidelberg, voir aussi Rust & Movshon, 2010.
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !18
permettrait d’expliquer par exemple la variabilité essai à essai observée dans les réponses
neuronale comme un phénomène de dégénérescence plutôt qu’un bruit. Cela suggère qu'une
compréhension plus claire des représentations sensorielles pourrait être obtenue en appliquant
des décodeurs invariants à de grands ensembles de données simultanément enregistrés plutôt
qu’à un neurone unique (Deneve & Chalk, 2016).
Un autre biais important contraignant les concepts en neurosciences concernent le choix des
modèles animaux utilisés. La possibilité de pouvoir faire des lignées transgéniques a propulsé
la souris comme le modèle dominant même dans les neurosciences de la vision. La souris
cumule l’autre avantage de pouvoir être entraînée à faire des tâches cognitives et d’être fixée
au niveau de la tête tout en étant éveillée et pouvant même courir sur une balle, permettant
ainsi de faire des enregistrements de larges ensembles de neurones dans des conditions
proches des conditions naturelles. Ce modèle est le choix privilégié de l’institut « Allen for
Brain Science » qui a pour projet de caractériser entièrement le système visuel de la souris
avec une approche quasi industrielle (voir Vries, 2018). Il y a de nombreux arguments en
faveur d’une telle démarche et cela permettra probablement de faire des avancées majeures
dans la compréhension du fonctionnement du cerveau. La compréhension de l’impact de la
motricité et des états d’attention sur le fonctionnement du système visuel en font déjà partie
même si ces résultats auront besoin d’être validés sur des modèles animaux plus complexes
comme le primate et l’homme. Ainsi la relativement faible complexité du modèle souris et sa
facilité d’emploi est un avantage aujourd’hui tout en étant un inconvénient à moyen terme. Il
existe des différences anatomiques, physiologiques, cognitives et comportementales
considérables entre la souris et l’humain qui, dans certains domaines d'investigation, limitent
fortement le degré de compréhension comme dans certaines pathologies cérébrales (la
schizophrénie ou la maladie d’Alzheimer). La mise en place de modèles transgéniques sur des
modèles primates comme le marmouset devrait être en mesure de palier en partie les limites
du modèle murin. Le développement du marmouset transgénique est au centre d’un autre
programme majeur des neurosciences, le projet Brain/MINDS au Japon (Okano, 2016) et le
marmouset est promu à devenir le prochain modèle dominant en neurobiologie, répondant à
une logique plus rationnelle par rapport au choix de la souris, le marmouset cumulant des
avantages sur quasi tous les tableaux, facilité d’élevage, faible coût, comportement social très
développé, lissencephale… (Mitchell & Leopold, 2015 ;, Tokuno et al., 2015 ; Takahashi et
al., 2013). Ajoutons que le choix de modéliser de manière extensive le cortex somatosensoriel
chez le rat âgé de 14 jours dans le projet Human Brain Project (HBP) a également été guidé
par tout un ensemble de considérations purement techniques de l’aveu même des concepteurs
de ce projet (Markram, 2006) et il est difficile d’estimer aujourd’hui les conséquences d’un tel
choix compte tenu des investissements majeurs qui ont été réalisés dans ce sens (Frégnac,
2017, ce volume ; Panese 2015).
- DOSSIER -
Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !19
revue les différentes méthodes d’imagerie neuronale et nous focaliserons donc notre attention
sur l’application de cette technique dans la mesure de l’activité au repos qui a modifié la
manière d’appréhender l’étude du cerveau (Raichle, 2015a, 2015b). Nous faisons un point
cependant sur le signal BOLD mesuré en IRMf, mais aussi en imagerie optique intrinsèque.
En tant que signal métabolique lié à l’afflux d’oxygène dans le sang le signal BOLD n’est pas
directement corrélé à l’activité neuronale et a donc été soumis à nombreuses critiques
(Fitzpatrick, 2012 ; Forest, 2014, 2016 ; Chamak, ce volume). En combinant l’IRMf avec des
enregistrements extracellulaires, il a été montré qu’il est possible de faire une inférence
correcte du signal neuronal à partir du signal BOLD dans la grande majorité des cas
(Logothetis et al., 2001 ; Logothetis 2002, 2008). Il existe cependant des cas particuliers où
ces deux signaux ne sont pas corrélés, lorsque l’on stimule par exemple fortement le
thalamus avec une électrode, on obtient un signal BOLD dans V1 alors que le cortex est
inhibé et ne décharge pas (Logothetis, 2010). Il n’est pas sûr cependant que de telles
conditions de stimulation existent naturellement. Il a été montré également que le couplage
entre les signaux BOLD et les signaux électrophysiologiques dans V1 dépendait du contexte,
une dissociation marquée se produisant lors d’une suppression perceptive, le signal BOLD est
mieux associé à celle-ci (il décroît quand il y a suppression) que la décharge neuronale
enregistrée au même endroit (qui reste constante) (Maier, 2008). Ainsi, même quand il n’est
pas directement corrélé à la décharge neuronale, le signal BOLD est néanmoins associé à un
phénomène perceptif et semble refléter un état d’activité qui n’est pas décelable facilement
par une mesure directe mais partielle de l’activité neuronale. L’étude de l’origine du signal
BOLD montre que les cellules gliales, sensibles au glutamate, sont fortement impliquées dans
le mécanisme d’homéostasie produisant l’afflux de sang oxygéné faisant de ce signal un
marqueur différent de l’activité neuronale mais néanmoins très intéressant (Schummers et al.,
2008).
Le deuxième aspect à discuter ici est qu’il ne faut pas cantonner une méthode à une approche
conceptuelle particulière. L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) n’est
pas uniquement utilisée par les neurosciences cognitives dans un paradigme d’analyse
fonctionnelle avec une approche localisationniste souvent décriée (Forest, 2014) mais peut
être combinée avec de l’IRM de diffusion (IRMd) et des modèles dynamiques à grandes
échelles pour étudier par exemple les états de repos. Au cours de la dernière décennie, il y a
eu un intérêt croissant pour la compréhension de l'activité cérébrale en l'absence de tâche ou
de stimulus, capturée par l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle à l'état de repos.
L’activité cérébrale au repos mesurée à l’aide de l’IRMf a été réalisée peu de temps après la
mise an point de cette technique (Biswal et al., 1995) mais a été peu reprise à l’époque.
Aujourd’hui l’étude de l’activité au repos et du réseau du « mode par défaut » (« default mode
network » DMN) est un champ d’investigation important (Raichle, 2015a, 2015b). Le réseau
du mode par défaut est un réseau constitué des régions cérébrales actives lorsqu'un individu
n'est pas focalisé sur le monde extérieur et qu’il est en apparence au repos mais sans sommeil.
Ces régions sont principalement le lobe temporal médian, le cortex préfrontal médian, le
cortex cingulaire postérieur, le précuneus et d’autres régions avoisinantes du cortex pariétal.
L’activation de ce réseau se caractérise par des oscillations cohérentes à très basses fréquences
(0.1 Hz). Durant la réalisation d'une tâche, le DMN est désactivé et un autre réseau est activé,
le réseau exécutif central. À noter que lorsque le réseau du mode par défaut est activé il est
associé à un taux élevé de consommation d’énergie et que la consommation d’énergie
associée aux réponses évoquées par un stimulus externe n’excède pas 5% de cette
- DOSSIER -
Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !20
consommation de base. Ce qui est loin de l’image classique d’un cerveau inactif qui se met à
s’activer fortement lorsqu’il reçoit un stimulus. Ce qui est intéressant ici c’est que l’on sort de
l’analyse fonctionnelle et du simple traitement de l’information, il n’y a plus d’entrée et plus
de sortie, simplement un état de repos. Le cerveau n’est plus perçu comme faisant du
traitement d’information mais possédant sa propre dynamique interne indépendamment de
toute stimulation externe (Havlík 2017). De plus, il y aurait plusieurs réseaux regroupant de
nombreuses régions cérébrales qui s’activeraient à des états de vigilance différents. Ainsi un
réseau dit réseau de saillance serait impliqué dans la détection de stimuli saillants et
permettrait une commutation dynamique entre les deux autres réseaux à grande échelle, le
réseau de mode par défaut et le réseau exécutif central, associé à une activité cérébrale
évoquée par des stimuli externes. Le cerveau n’est ainsi plus associé à un système de
traitement de l’information mais à un système dynamique complexe ayant des états internes
d’activation et il est possible d’observer des transitions entre ces états en fonction soit de
perturbations externes soit de phénomènes internes. Ces études participent ainsi au
changement de paradigme, l’approche connexionniste et dynamique remplaçant l’approche
fonctionnelle classique.
Des projets d’envergures (projet « Human connectome » financé par le National Institute of
Health) ont pour but de combiner deux approches complémentaires, la cartographie des aires
cérébrales et la cartographie des connexions entre ces aires afin de prédire à l’aide de
simulation à grande échelle la dynamique cérébrale. Le « connectome » est l’ensemble des
faisceaux de fibres nerveuses qui connectent les aires cérébrales et forment la majeure partie
de la substance blanche du cerveau. Il est possible avec l'imagerie par spectre de diffusion
(DSI) qui est un raffinement de la technique d’imagerie par tenseur de diffusion, de
reconstruire le connectome d’un cerveau unique. Cette technique exploite la capacité de
l’IRM à détecter la direction dans laquelle les molécules d’eau se déplacent à chaque point du
cerveau. Étant donné que la plupart de ces molécules se déplacent le long des fibres
nerveuses, les données peuvent être utilisées pour reconstruire l’emplacement et la trajectoire
de chaque fibre. La cartographie cérébrale permet d’obtenir la topographie anatomique et
fonctionnelle du cortex cérébral et utilise un ensemble d'outils de plus en plus sensibles et
sophistiqués (histologiques, physiologiques et principalement neuro-imagerie). La
connectomique permet de cartographier les réseaux des connexions structurelles et
fonctionnelles du cerveau, à toutes les échelles, des cellules aux systèmes, et de révéler les
grands principes d’organisation (modules et hubs par exemple) partagés entre les systèmes
nerveux de différentes espèces. Dans le but d’améliorer les prédictions des dynamiques
temporelles de la connectivité cérébrale, il sera nécessaire d’étendre la description de la
connectivité du cerveau complet à l'échelle du neurone et de compléter les études des
relations structure-fonction avec des enregistrements électrophysiologiques en complément de
la neuro-imagerie (Sporns, 2015 ; Bassett & Sporns, 2017). Ces études ne considèrent plus le
cerveau comme un ensemble de systèmes traitant des informations en parallèle mais comme
un large système de réseaux multimodaux complexes avec une structure présentant des
schémas de connectivité particuliers (présence de hubs hautement connectés par exemple) et
produisant des dynamiques complexes (Sporns, 2015 ; Bassett & Sporns, 2017).
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !21
Comme nous venons de le voir dans plusieurs exemples, les neurosciences ont été au-devant
de la scène médiatique ces dernières années par la mise en place de grands projets associés à
des composantes technologiques lancées par de grandes nations. Ces projets concernent pour
la plupart le domaine de la neurobiologie utilisant une approche bottom-up : « The Human
Brain Project (HBP) » pour l’Europe, « BRAIN Initiative » et le « Human Connectome » pour
les USA, le projet Brain/MINDS au Japon, et plus récemment le « China Brain Project ». Des
fondations privées se sont également lancées dans l’étude industrielle du cerveau comme par
exemple l’institut « Allen for Brain Science » et le projet « Brain Activity Map » de la
fondation Kavli. Ainsi d’importantes sommes d’argent (5 milliards d’euros environ sur dix
ans au total) ont été investies dans le but de décrypter les « secrets » du cerveau humain. Pour
l’instant ces grands projets font face à des problèmes d’organisation, choix des formats de
données et du stockage (voir par exemple le projet « International Brain Station »), choix du
modèle animal qui ne fait pour l’instant pas consensus (souris, macaque ou encore
marmouset), choix des questions prioritaires ou encore choix des maladies neurologiques ou
psychiatriques à étudier en premier.
Ces projets placent la recherche en neurosciences dans des approches quasi industrielles qui
ont soulevé de nombreuses critiques au sein de la communauté neuroscientifique compte tenu
de certains choix méthodologiques qui ont été adoptés et des promesses qui ont été faites
auprès des politiques publiques (Frégnac, 2017, ce volume ; Panese, 2015). En Europe en
particulier de nombreux neuroscientifiques se sont mobilisés contre ces projets industriels en
neuroscience, des pétitions ont circulé et des propositions alternatives ont été proposées
(Mainen, 2016). En particulier le projet HBP a été au centre de nombreuses critiques qui dans
la continuité du projet Blue Brain (Markram et al., 2015) se propose avec une approche
principalement « bottom-up » de simuler, dans un premier temps, un réseau de neurones avec
énormément de détails issue d’enregistrements de neurones dans des tranches de cortex de rat
jeune (Markram et al., 2015) et dans un deuxième temps de simuler le cerveau humain dans la
prochaine décennie et de résoudre ainsi la plupart des pathologies cérébrales (Audétat, 2015).
Les promesses de pouvoir, à partir d’une approche uniquement « bottom-up » reproduire en
seulement une dizaine d’années le cerveau humain avec ses propriétés cognitives, donnent
corps à l’idée réductionniste qu’un simple assemblage de neurones pourrait suffire à expliquer
la cognition. Cependant les réactions importantes face à ce projet montrent que la grande
majorité des neuroscientifiques savent que ces promesses ne seront pas tenues, tout comme
les promesses faites lors du projet sur le séquençage du génome humain qui annonçaient la fin
des maladies génétiques alors qu’il n’en est rien. D’ailleurs notons avec une certaine ironie
que le parallèle entre le programme du séquençage du génome humain et le projet HBP a été
explicitement fait par les défenseurs du projet HBP qui considèrent que le programme du
séquençage est aujourd’hui un grand succès alors qu’il avait été fortement contesté à ses
débuts. Pour eux les critiques actuelles faites au projet HBP seraient du même ordre
(Frackowiak, 2014). Le séquençage du génome a permis néanmoins de passer définitivement
du tout génétique au post-génomique (Atlan, 2014) et le projet HBP invalidera définitivement
la doctrine neuronale dans sa version la plus radicale et démontrera, à grands frais certes,
qu’un réseau de neurones même extrêmement détaillés n’a pas de capacité cognitive s’il n’a
pas une organisation fonctionnelle précise. Néanmoins le projet HBP comporte des projets
s’inscrivant dans d’autres approches, comme la modélisation neuromorphique par exemple,
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !22
Afin de bien introduire l’ensemble des concepts associés aux systèmes complexes et à la
modélisation des réseaux de neurones (Petitot ; Sarti & Barbieri, ce volume), nous allons
présenter le comportement des systèmes dynamiques non linéaires (SDNL) qui ont des
propriétés caractéristiques des systèmes complexes en général et qui ont été bien caractérisés
et étudiés par les mathématiques et la physique. L'étude des systèmes dynamiques, composés
d’entités en interactions et modélisés par des systèmes d'équations différentielles, a pour objet
de décrire les changements dans le temps et l'espace (transformations) de l'état des systèmes
selon les causes de ces changements dans la mesure où ces causes sont justement les
interactions entre les objets du système (causes internes). Le comportement de chaque
variable du système est défini à tout moment par son degré de changement, en fonction de
l'influence des autres variables du système. Il est possible de résoudre mathématiquement un
système dynamique si l'on peut retracer l'évolution de chaque variable en fonction du temps,
ce qui revient à intégrer les équations différentielles du système. Celui-ci évolue au cours du
temps dans la plupart des cas vers un état stable, une solution du système où les variables ne
changent plus. Dans les systèmes dynamiques non linéaires qui caractérisent les systèmes
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !23
complexes, les non linéarités se situent au niveau des interactions entre les entités qui
composent le système ce qui signifie qu’il n’existe ni proportionnalité des effets aux causes
qui les sous-tendent ni additivité des causes sur ces effets. Les systèmes d’équations
différentielles non linéaires sont très difficiles à calculer et c’est grâce à la puissance des
systèmes informatiques actuels que de tels systèmes peuvent être résolus. Le fait que l’on ait
utilisé des systèmes dynamiques linéaires jusqu’ici pour modéliser la plupart des phénomènes
alors que les propriétés de linéarité sont plutôt rares dans la nature est dû principalement à une
difficulté mathématique et à la puissance des systèmes informatiques. Cela a fortement
conditionné notre manière de penser et de poser les problèmes puisque le recours aux
simplifications était inévitable. Nous sommes face à des biais théoriques liés aux contraintes
techniques similaires à ceux que nous avons présentés pour les neurosciences. Dans la plupart
des SDNLs il a plusieurs états stables, nommés attracteurs, le système arrivant dans l'un d'eux
en fonction des conditions initiales. Le bassin d’attraction est l'ensemble des valeurs initiales
des variables qui conduisent inéluctablement vers l’attracteur. Dans le cas de sensibilité aux
conditions initiales, l’état du système se situe à la frontière entre deux bassins d’attraction et
une toute petite fluctuation va faire basculer le système vers l’un ou l’autre des bassins. Si les
fluctuations du système sont aléatoires (ou d’origine non connue) le comportement du
système sera imprévisible et l’on parlera dans ce cas de déterminisme non prédictif. Pour
qu’un SDNL soit multi-stable il est nécessaire qu’il y ait des boucles de rétroaction positives
entre les entités du système produisant des causalités circulaires, chaque entité étant à la fois
cause et effet. Dans certains SDNL, la dynamique ne trouve jamais d’état stable et la solution
est dite périodique, dans d’autres le système oscille de façon irrégulière et ne reprend jamais
deux fois exactement la même oscillation, on parle alors de chaos déterministe si les
déviations sont importantes. Ces systèmes sont très sensibles aux conditions initiales et il
suffira de faibles variations pour que l’évolution du système soit totalement différente. Dans
le cas de la modélisation d’un système réel, il ne sera quasi jamais possible de connaître les
valeurs initiales des variables avec suffisamment de précision et ces systèmes seront donc non
reproductibles et non prédictibles tout en étant déterministes. Le chaos ne signifie donc pas
que le comportement du système est aléatoire. Ajoutons qu’un système peut modifier ses
paramètres, et si un seuil critique est atteint, le système peut changer de type de
comportement (stable, multi-stable, oscillant, chaotique) produisant un phénomène de
bifurcation (ou de changement de phase). Lorsque un système dynamique se déploie dans
l’espace, des bifurcations peuvent donner lieu à des phénomènes d'auto-organisation qui
peuvent émerger à un niveau global sous forme de structures spatio-temporelles qui
dépendent des conditions et de la nature de l'environnent. Un ordre global émerge du désordre
local. Cela permet de définir la notion de niveau où le tout (niveau global) n’est pas égal à la
somme des parties. Un système complexe se caractérise ainsi par l'émergence au niveau
global de propriétés nouvelles, non observables au niveau des éléments constitutifs, et par une
dynamique de fonctionnement global difficilement prédictible à partir de l'observation et de
l'analyse des interactions élémentaires. Ajoutons que les systèmes que nous avons présentés
ici sont composés d’éléments homogènes alors que dans les systèmes comme les réseaux de
neurones, il y a un grand nombre d’entités et une forte hétérogénéité des éléments rendant la
résolution de ces systèmes encore plus difficile.
La plupart des systèmes complexes et les réseaux de neurones biologiques en particulier, ont
un grand nombre d’entités hétérogènes, connectées par des interactions non-linéaires formant
des boucles rétroactives positives ou négatives. Ces réseaux vont générer des comportements
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Déterminisme et hasard
Le concept du déterminisme est un point délicat à manipuler et les débats autour de celui-ci
tournent souvent à la querelle métaphysique. Une raison est que la question du déterminisme
est souvent associée à la question de libre arbitre (Misrahi, 2008). Défendre le libre arbitre
nécessiterait de remettre en question le déterminisme ou tout de moins l’atténuer, comme dans
le compatibilisme (Appourchaux, 2014). Pour notre part, nous considérons que ces deux
notions ne sont pas liées et nous discuterons du libre arbitre dans la partie suivante. La
querelle métaphysique du déterminisme a été particulièrement bien exposée dans le livre édité
par K. Pomian (1990), regroupant les contributions d’éminents chercheurs se déchirant sur le
sujet comme R. Thom, I. Stengers, I. Prigogine, E. Morin, A. Danchin ou encore H Atlan.
J’utiliserai ici principalement la contribution de H. Atlan (1990) qui propose un compromis
intéressant à cette question. Laplace, dans son Essai philosophique sur les probabilités (1814,
p. 2) a donné une définition classique du déterminisme : « Nous devons envisager l'état
présent de l'univers comme l'effet de son état antérieur, et comme la cause de celui qui va
suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la
nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était
assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les
7 Comme par exemple : L’auto-organisation De la physique au politique, Dumouchel & Dupuy (1983). Les
théories de la complexité (autour des travaux d’Henri Atlan), Fogelman-Soulié et al. (1991). Systèmes
complexes en sciences humaines et sociales, Peperkamp & Weisbuch (2007), Weisbuch & Zwirn (2010).
Intelligence de la complexité, épistémologie et pragmatique, Le Moigne & Morin, 2007). De l’auto-organisation
au temps du projet (autour de Jean-Pierre Dupuy), Dumouchel et al. (2007), Anspach (éd.) (2008).
Déterminismes et complexités : du physique à l’éthique, Autour d'Henri Atlan. Bourgine et al. (2008).
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mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait
incertain pour elle, et l'avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux. ». Cela signifie que
le futur de l’univers et de l’ensemble des particules qu’il englobe est déterminé par l’ensemble
du passé et du présent. Nous pouvons adopter l’une ou l’autre de ces positions (Atlan, 1990) :
A - Tout est déterminé. Mais quoique l’on fasse il ne sera de toutes les façons jamais possible
de tout connaître et nous devons donc utiliser les statistiques comme outils de connaissance
approximatif.
B - Il existe de l’indéterminisme. Même si nous étions cette intelligence qui connaîtrait tout
nous ne pourrions pas prédire l’avenir car il existe un hasard essentiel qui échappe
inévitablement au déterminisme.
Ce qui revient à poser la question du hasard : Le hasard existe-t’il dans la nature, est-il
essentiel, ou bien est-il simplement le résultat de notre ignorance des causes ? ou les deux ?
c’est-à-dire que dans certains cas le hasard est inhérent à la nature et dans d’autres cas nous
pourrions trouver une loi déterministe pour le remplacer. Choisir la réponse A ou B est un
choix purement métaphysique car totalement indécidable en l’état. Cependant les
conséquences de ces choix métaphysiques sur la démarche scientifique sont relativement
faibles puisque quel que soit le choix, le scientifique doit utiliser la notion de hasard et les
statistiques comme outils de connaissance. Les seules conséquences sont éventuellement sa
motivation, plus ou moins grande, à rechercher une loi déterministe à la place d’une loi
statistique. Certains auteurs comme R. Thom considèrent que les statistiques sont « une
heuristique du déterminisme », une solution faute de mieux en attentant d’avoir une loi
déterministe et d’autres vont se satisfaire, sous certaines conditions évidemment, de la
description statistique qu’ils ont d’un phénomène. Mais le monde scientifique étant ce qu’il
est, si les seconds, pour un cas donné, ont tort de se satisfaire du hasard, les premiers
viendront trouver une loi déterministe pour le remplacer, ou pas. À l’inverse les premiers
seront peu enclins à utiliser les statistiques comme outils d’investigation au risque de se
heurter à des obstacles trop importants, d’abuser des simplifications et du réductionnisme ou
s’extraire trop rapidement du contexte pour ramener un phénomène à une situation qui aura
l’air d’être déterministe. Comme précédemment le rôle des seconds sera là pour pallier aux
biais des premiers. L’essentiel ici est que la connaissance avance et évidemment un même
scientifique peut (et doit) adopter tour à tour l’attitude des premiers et des seconds en fonction
des difficultés qu’il rencontre et dans tous les cas il est absolument nécessaire de faire la part
entre le hasard réductible et le hasard irréductible (Atlan, 1990). L’attitude de R. Thom
finalement consiste simplement à décréter qu’un scientifique ne doit jamais se satisfaire
définitivement d’une solution statistique, il ne dit pas que cela doit être immédiat ni même
que cela soit possible un jour, c’est une attitude qu’il associe à la possibilité même de faire de
la science.
Néanmoins certains points demandent à être clarifiés quel que soit le choix métaphysique
adopté. Nous avons vu dans les phénomènes chaotiques que même si l’on connaît les lois
déterministes, une imprécision si minime soit-elle sur les conditions initiales suffit à changer
l’évolution du système. Donc dans certaines situations les limitations techniques dans la prise
de mesures des valeurs du système ou même le fait que chaque mesure affectera
inévitablement le système mesuré seront rédhibitoires pour caractériser correctement le
système que l’on étudie surtout quand celui-ci est sensible aux valeurs initiales. De plus, si
l’on connaît les lois déterministes d’un sous-système de l’univers celui-ci finirait
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inévitablement par être influencé par un autre sous-système qui apparaîtra alors comme une
source de bruit pour le premier système même si lui-même serait également totalement
déterministe en tant que sous-système. La rencontre entre ces deux sous-systèmes n’est pas
prévisible dans aucun de ces sous-systèmes pris séparément. Ils doivent donc être regroupés
dans un autre système de plus grande dimension pour éventuellement pouvoir décrire la
rencontre entre ces deux sous-systèmes. Ainsi comme il est impossible de considérer
l’ensemble de l’univers comme système ou d’avoir un système totalement isolé, il existera
toujours une source de hasard, de bruit qui viendra influencer le sous-système que nous
étudions. Cela reprend l’exemple classique de Spinoza d’un homme qui meurt après avoir
reçu sur la tête une tuile détachée d’un toit, cet accident mortel est totalement déterminé en
tant qu’il est rapporté à l’enchaînement indéfini des causes qui l’ont provoqué. Néanmoins si
l’on considère cet accident de manière isolée, il est contingent et hasardeux et n’aurait très
bien pu ne pas avoir lieu si les conditions avaient été très légèrement différentes. Il n’était pas
possible de déterminer cet accident à partir des seules connaissances que nous avions sur cet
homme. « Autrement dit ce sont les mêmes choses qui, sans contradiction aucune, sont à la
fois nécessaires et contingentes, selon le point de vue où on les considère : prises dans leur
réalité particulière, isolées par rapport au contexte global qui les détermine, elles sont
contingentes; replacées dans la suite des conditions dont elles dépendent, elles sont
nécessaires » (Macherey, 1998 p. 242).
Dans les systèmes complexes multi-stables que nous avons décrits précédemment, les
informaticiens se sont rendu compte que s’ils ajoutaient du bruit, c’est-à-dire de petites
fluctuations aléatoires, soit dans des équations différentielles, soit au cours de simulations, les
résultats obtenus étaient souvent plus proches des phénomènes observés. Cet ajout de
stochasticité dans des modèles déterministes (complexes non prédictibles) permet par
exemple au système d’explorer plus largement les solutions stables possibles (et qui
préexistent) et d’être moins sensible en quelque sorte aux conditions initiales. Dans la
modélisation des systèmes biologiques comme les réseaux de neurones, la grande majorité
des simulations utilisent des sources de stochasticité pour reproduire les perturbations que ces
réseaux reçoivent mais qui ne sont pas pris en compte directement dans le système simulé, ce
bruit ajouté est la plupart du temps indispensable pour simuler un comportement observé.
L’idée est de réduire étape après étape ces sources de stochasticités pour les remplacer par une
prise en compte d’un contexte plus large (par exemple des connexions neuronales venant d’un
autre système) ou par la prise en compte d’un niveau de détail plus important (remplacement
de neurones stochastiques par des neurones adaptatifs par exemple). Dans les études sur le
cerveau, le rôle du bruit a été énormément débattu et dans certains cas les fluctuations
stochastiques de l'activité neuronale pourrait jouer un rôle fonctionnel dans la dynamique
cérébrale (Ermentrout, 2008). La prise de décision chez l’homme est également influencée par
des processus stochastiques (Gold & Shadlen, 2007), ce qui peut être vu comme préjudiciable
dans les conditions expérimentales controlées mais peut être vu également comme une source
de créativité dans la vie quotidienne. Ajoutons qu’H. Atlan a théorisé sur l’importance de cette
source de bruit pour créer du nouveau dans un système auto-organisé, en particulier le vivant
(Atlan, 1972) : le principe d'ordre à partir du bruit (voir également Turing, 1952 ; Von
Foerster, 1960 ; Bailly & Longo, 2006). Le hasard dans le vivant est un phénomène essentiel
et si d’un côté un organisme vivant doit résister aux perturbations pour maintenir son
organisation, les perturbations aléatoires vont générer la diversité du vivant et permettre aux
espèces de s’adapter au cours de leur développement et de l’évolution.
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !28
Ainsi pour conclure cette question métaphysique sur la place du déterminisme et du hasard
dans l’organisation des systèmes vivants, citons H. Atlan (1990) : « Cette attitude revient donc
à refuser de choisir aucun de ces postulats en ce qu’ils impliquent de fermeture : pas de
négation du temps et du nouveau comme l’impliquerait le postulat du hasard par ignorance,
et pas de limitation a priori du champ de la connaissance comme l’impliquerait celui du
hasard essentiel. Autrement dit, sachant qu’il est artificiel et trompeur de dissocier le contenu
de la connaissance des méthodes par lesquelles elle se constitue, je refuse l’injonction de
choisir entre deux postulats métaphysiques contradictoires ; ou encore je les accepte tous les
deux à la fois. »
Abordons à présent le concept d’émergence que nous avons déjà évoqué à de nombreuses
reprises mais qui est important pour notre propos ici et qui nous permettra de trouver une voie
intermédiaire entre réductionnisme et holisme. La notion d’émergence est relativement
ancienne est n’est pas apparue avec les systèmes complexes. Dans le contexte de la
complexité et des systèmes dynamiques non-linéaires le concept a été modifié dans la mesure
où un certain nombre de phénomènes qui apparaissent dans ces systèmes, tels l'auto-
organisation ou les bifurcations des systèmes dynamiques non-linéaires, ou encore les
passages entre niveaux d'organisation, sont caractérisés comme émergents. Dans ce contexte,
la notion d’émergence désigne la transition entre la somme des parties et le tout, l’idée du tout
étant qu’il est autre chose que la somme des parties, la formule consacrée est que le tout est
plus que la somme des parties, le plus étant cette identité que le tout acquiert via l’émergence.
Le réductionnisme réfute évidemment la notion d’émergence et le holisme considère à
l’inverse que la compréhension du tout ne dépend en rien de la compréhension des parties.
Ainsi d’un point de vue épistémologique, les sciences de la complexité et donc la biologie et
les neurosciences se placent entre deux attitudes qui semblent s’opposer : le réductionnisme et
le holisme. Il est nécessaire de comprendre comment, d’une part, à partir de la compréhension
des parties, il y a émergence d’une globalité et comment, d’autre part, celle-ci en retour va
produire des conditions particulières qui vont venir modifier les propriétés des parties et leurs
interactions. Donc il faut admettre que l’étude des constituants d’un niveau d’organisation est
nécessaire pour comprendre le niveau supérieur mais pas suffisant et qu’il y a des interactions
allant du niveau supérieur au niveau inférieur (causalités dite descendantes).
L’opposition entre réductionnisme et holisme est associé à tout un ensemble d’oppositions qui
posent tout autant de problèmes et qu’il faut tout autant dépasser : Chose vs Processus, Instant
vs Durée, Statique vs Dynamique, Ordre vs Désordre. Ainsi le réductionnisme semble assez
évident quand on ne s’intéresse qu’à la matière et au statique, une association d’éléments
s’emboîtant les uns dans les autres en différents niveaux d’organisation statiques : les atomes
composent les molécules qui composent les cellules qui composent les organes qui composent
l’organisme qui composent la société qui compose l’écosphère… Ainsi pour le réductionniste,
la matière serait décomposable en éléments plus petits et la réduction serait possible jusqu’à
l’élément ultime insécable qui nous rapprocherait du réel en quelque sorte. Ce réductionnisme
fort est associé au matérialisme et au physicalisme, car le niveau élémentaire est de nature
« physique » et étudié par la science physique. Par contre dès que l’on s’intéresse aux
propriétés de ces éléments et aux interactions dynamiques qu’ils entretiennent, on adhère au
holisme, puisque les propriétés d’un système sont associées à l’intégrité de ce système et ceci
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !29
qui la produit – car rien de sort de rien –, l’émergence, toujours à l’intérieur du naturalisme
repensé, ne peut être l’œuvre d’une entité substantielle extra naturelle qui transmettrait à la
matière inanimée des pouvoirs spéciaux. L’émergence des systèmes vivants et psychiques, le
développement de la strate symbolique et des règles morales de la vie en société, tout cela
reste inexpliqué tant que les seules causes reconnues sont les causes agissantes
physicochimiques telles que la physicochimie les décrit aujourd’hui. (Emplacement Kindle
3490-3491) ».
Il nous reste un dernier point à clarifier concernant la notion d’émergence : il est souvent
considéré que l’esprit est un phénomène émergent du cerveau. Dans le cadre de la philosophie
de Spinoza, où le corps (avec le cerveau) et l’esprit sont deux aspects d’une même entité, il
ne peut pas y avoir de causalité entre le corps et l’esprit, ni même entre l’esprit et le corps :
« L’esprit n’émerge pas de la matière comme s’il était causé par elle, de même qu’il ne cause
pas le corps dont il est l’idée, ni aucun autre. Il y a émergence de la complexité matérielle du
cerveau à partir des éléments plus simples – les neurones et leurs connexions – qui le
constituent. Et il y a émergence de l’esprit, idée du cerveau (ou, plus précisément, du corps) à
partir des idées des neurones, étant entendu […] que l’idée d’un neurone, comme d’un
électron ou d’une pierre, n’est pas autre chose que sa loi d’organisation et de fonctionnement.
Celle-ci est plus simple, bien que relevant aussi de l’attribut Pensée, que l’idée du corps
humain, c’est-à-dire l’esprit humain. Les propriétés de celui-ci émergent de l’ensemble des
interactions entre les idées des constituants du corps. L’esprit et le corps humain ont ainsi
tous les deux des propriétés émergentes de leurs constituants. Mais ils sont tous deux, ainsi
que leurs constituants respectifs, deux aspects de mêmes choses vues sous un attribut ou un
autre. » (Atlan, 2018).
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !32
biologique, le seuil suit plutôt une distribution et varie en fonction de l’histoire récente du
neurone. Pourtant pour un physicien il est « plus simple » de modéliser un neurone avec un
seuil fixe et considérer que c’est une simplification raisonnable.
Nous allons à présent explorer les relations entre les neurosciences et l’intelligence artificielle
(IA), comment l’IA s’inspire des neurosciences et comment les neurosciences utilisent en
retour les avancées en IA pour comprendre le cerveau. Ces deux domaines ont une histoire
longue et entrelacée au sein des sciences cognitives. Au début de l’informatique le travail sur
l'IA était inextricablement lié aux neurosciences et à la psychologie et les collaborations entre
ces disciplines s'avérèrent hautement productives (Churchland & Sejnowski, 1988 ; Hopfield,
1982 ; McCulloch & Pitts, 1943 ; Turing, 1950 ; Minsky, 1967). Au cours des dernières
années, des progrès rapides ont été réalisés dans les domaines connexes des neurosciences et
de l'IA mais les interactions sont devenues plus difficiles car ces deux disciplines se sont
énormément complexifiés et spécialisés et les frontières disciplinaires se sont rigidifiées. Dans
deux domaines particuliers les liens entre neurosciences et IA sont restés forts :
l’apprentissage automatique dans les réseaux de neurones artificiels et l'apprentissage par
renforcement dans les processus discrets markoviens (Hassabis et al., 2017 ; Khamassi et al.,
2015 ; Girard & Khamassi, 2016). À cela s’ajoute que depuis quelques années, les grandes
firmes du numérique américain (« GAFAM », Google, Amazon, Facebook, Apple &
Microsoft) et leurs pendants chinois (« BATX », Baidu, Alibaba, Tencent & Xiaomi) se sont
lancées dans des projets d’envergures en intelligence artificielle remettant au goût du jour les
algorithmes de l’approche connexionniste d’apprentissage automatique. En particulier les
modèles de réseaux de neurones convolutifs dans le cadre de l’apprentissage automatique
profond qui implémentent de nombreuses couches connectées de manière hiérarchique à la
manière des systèmes sensoriels étudiés en neurosciences. Ceci a relancé l’approche neuro-
mimétique en IA et à présent de nombreux chercheurs en IA, en robotique ou en
neurosciences (Hassabis et al., 2017 ; van Gerven, 2017 ; Dehaene et al., 2017 ; Marblestone
et al,. 2016 ; Yamins & DiCarlo, 2016 ; Khamassi et al., 2015 ; Cox & Dean, 2014 ; van
Gerven, 2017) soutiennent qu'une meilleure compréhension du fonctionnement du cerveau
devrait jouer un rôle essentiel dans la construction de machines intelligentes. Cependant il est
clair que les objectifs des neurosciences et de l’IA ne sont pas les mêmes, les neurosciences
veulent comprendre la cognition humaine et animale alors que l’IA veut concevoir des
systèmes intelligents utiles et productifs sur des tâches très spécifiques et pas forcément
reproduire dans un même système l’ensemble des capacités cognitives de l’homme (IA
faible). Mais si la volonté est d’élaborer des systèmes intelligents artificielles comparable à la
cognition humain (IA forte), il semble utile et évident pour éviter une exploration trop
fastidieuse de toutes les possibilités de s’inspirer du fonctionnement du cerveau humain – la
seule preuve existante qu'une telle intelligence est possible. L’étude de la cognition animale,
avec des systèmes nerveux du plus simple au plus complexe a également un rôle essentiel à
jouer, car elle peut fournir une fenêtre sur divers aspects importants de l'intelligence générale
de plus haut niveau et comment celle-ci se met en place au cours de l’évolution. Les
avantages pour l'intelligence artificielle d’examiner de près l'intelligence biologique sont
doubles : d’une part les neurosciences fournissent une source d'inspiration riche pour de
nouveaux types d’algorithmes et d’autre part elles peuvent fournir une validation des
techniques d'IA déjà existantes. Pour l’intelligence artificielle classique, la plausibilité
biologique est un guide, pas une exigence stricte, car elle se réfère toujours principalement
aux deux premiers niveaux de D. Marr (1982) à savoir les objectifs du système (le niveau de
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !33
calcul) et le processus et les calculs qui réalisent cet objectif (le niveau algorithmique). Les
mécanismes précis par lesquels ceux-ci sont physiquement réalisés dans un substrat
biologique sont moins pertinents (le niveau d’implémentation). Certes, les modèles
d’apprentissage profond ont rendu la frontière entre le niveau algorithmique et le niveau
implémentation plus flou mais l’approche de l'IA diffère encore largement des approches de
simulation qui tentent de reproduire avec énormément de détails et de spécificités des réseaux
de neurones biologiquement plausibles afin d’en reproduire la dynamique neuronale de
premier ordre (Markram et al., 2015).
Comme il a été détaillé dans un grand nombre de revues récentes (Kriegeskorte, 2015 ; LeCun
et al., 2015 ; Schmidhuber, 2015), l'IA est revenu au-devant de la scène au cours des dernières
années par des avancées spectaculaires dans les réseaux de neurones artificiels convolutifs à
apprentissage profond, ou « deep learning neural network » (DLNN) (LeCun et al. 2015 ;
Schmidhuber, 2014). Dans les années 1940, les recherches sur le calcul neuronal ont
commencé avec la construction de réseaux neuronaux artificiels capables de calculer des
fonctions logiques (McCulloch & Pitts, 1943) et se sont poursuivies avec le perceptron
introduisant l’apprentissage supervisé par rétropropagation (Rosenblatt, 1958). Peu de temps
après ce travail de pionnier, le développement de l'algorithme de rétropropagation a permis
l'apprentissage dans des réseaux de neurones composés de plusieurs couches (Werbos, 1974 ;
Rumelhart et al., 1986) et à former tout un domaine de recherche associé au connexionnisme.
Néanmoins Minksy & Papert (1969) montrent les limites du perceptron, notamment
l’impossibilité de traiter des problèmes non linéaires ou de connexité, ce qui a eu pour
conséquence de drainer l'essentiel des crédits de recherche vers l'intelligence artificielle
symbolique qui est devenu l’approche dominante de l’époque. L'IA se concentrait sur la
construction de systèmes de traitement logique basés sur le calcul en série, une approche
inspirée en partie par l'idée que l'intelligence humaine implique la manipulation de
représentations symboliques. Mais les approches purement symboliques ont été jugées trop
fragiles et rigides pour résoudre des problèmes complexes et réels du type de ceux que les
humains manipulent couramment. Le mouvement connexionniste a proposé que la cognition
et le comportement humains émergent d'interactions dynamiques distribuées au sein de
réseaux d'unités de traitement neuronaux simples, d'interactions réglées par des procédures
d'apprentissage ajustant les paramètres du système afin de minimiser les erreurs ou maximiser
les récompenses. Aujourd’hui les réseaux de neurones avec apprentissage profond ont
continué de s’inspirer des résultats obtenus principalement en neuroscience de la vision, en
intégrant plusieurs caractéristiques canoniques du calcul neuronal, comme la transduction non
linéaire, la normalisation par division et la mise en commun maximale des entrées (Carandini
et al., 2005 ; Carandini & Heeger, 2012 ; Rust & Movshon, 2010) et en reprenant
l'organisation hiérarchique de la voie ventrale du système visuel des mammifères, avec des
flux d'informations convergents et divergents dans des couches de traitement imbriquées
successives. (Fukushima, 1980 ; Yamins & DiCarlo, 2016). Tout le long de la voie ventrale,
les sélectivités des réponses des neurones vont devenir de plus en plus spécifiques, les
neurones de V1 répondent sélectivement à une barre orientée, les neurones du gyrus temporal
inférieur (GIT) à un visage, et leur tolérance va augmenter, les neurones de V1 répondent à
des barres localisées précisément dans l’espace, les neurones de GIT répondent à des visages
quelle que soit leur position dans l’espace visuel (DiCarlo et al., 2012). Ainsi dans les
systèmes biologiques et artificiels, les calculs non linéaires successifs transforment l'entrée
visuelle brute en un ensemble de caractéristiques de plus en plus complexes, permettant une
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !34
que le temps réel sans être affecté par la taille du réseau (IBM a implémenté un réseau avec 1
million de neurones et 256 millions de synapses, Merolla et al., 2014). Récemment ces
processeurs neuromorphiques ont permis d’implémenter des réseaux de convolution profonds
à la fois performants et avec une grande efficacité énergétique, fusionnant ainsi la puissance
algorithmique de l'apprentissage profond avec l'efficacité des processeurs neuromorphiques
(Merolla et al., 2014 ; Esser et al., 2016) offrant des perspectives prometteuses. L’intérêt
majeur est qu’il va être possible par exemple de réaliser un grand nombre d’apprentissages
avec de tels systèmes embarqués au sein de robots en mouvement et reproduire des
apprentissages multi-modaux.
Les performances des réseaux profonds ont incité les neuroscientifiques à explorer la façon
dont le cerveau pourrait implémenter un équivalent à l’algorithme de rétropropagation
(Roelfsema & Holtmaat, 2018), le mécanisme clé qui permet d'optimiser les poids dans
l’ensemble des couches d'un réseau hiérarchique. La rétropropagation offre une solution
puissante au problème de l'attribution de crédit dans les réseaux profonds, ce qui permet
d'obtenir des représentations efficaces à partir de données de grandes dimensions (LeCun et
al., 2015). Cependant, jusqu'à récemment, plusieurs aspects de l'algorithme de
rétropropagation étaient considérés comme biologiquement impossibles (voir Bengio et al.,
2015). La rétropropagation a généralement été considérée comme nécessitant une rétroaction
parfaitement symétrique à la connectivité feedforward, un aspect qui n'est pas encore bien
connu dans les cerveaux de mammifères où les nombreuses connectivités en retour (feedback)
n’ont pas encore été suffisamment caractérisées. Une deuxième objection majeure à la
plausibilité biologique de la rétropropagation était que les mises à jour des poids synaptiques
dans les réseaux multicouches nécessitaient un accès à des informations non locales (c.-à-d.
des signaux d'erreur générés par plusieurs unités en aval) alors que la plasticité dans les
synapses biologiques dépend principalement de l'information locale, c'est-à-dire le délai entre
les potentiels d’action pré- et post-synaptique (STDP). Une possibilité pour résoudre ce
problème de localité est d’associer un signal de réactivation via les connexions feedback et un
signal de neuromodulation globale, permettant ainsi de modifier uniquement les synapses
réactivées (Roelfsema & Holtmaat, 2018). Une stimulation visuelle ne produit pas forcément
une perception consciente, si par exemple l’attention est portée ailleurs ou si la stimulation est
trop transitoire ou encore masquée par un second stimulus (Naccache, 2004). Dans le cas
contraire il « accède » à la conscience en produisant une activation de « l’espace de travail
neuronal global » (global neuronal workspace ou GNW, Dehaene et al. 1998 ; Dehaene &
Changeux, 2005 ; Dehaene et al., 2006 ; Dehaene, 2014). Cette activation du GNW
correspond à un embrasement (« ignition ») de l’ensemble du cortex cérébral et plus
particulièrement des cortex préfrontaux et pariétaux. Selon cette théorie, durant la perception
consciente, le GNW se stabiliserait dans un état réverbérant métastable ce qui permettrait, au
niveau du mental de conserver l’information un certain temps « à l’esprit », et produirait en
retour une réactivation spécifique descendante du système visuel via les connexions « en
retour » synchronisées avec les neurones du GNW. De nombreuses évidences montrent d’une
part que cette réactivation est nécessaire à la perception consciente du stimulus (Ayzenshtat et
al., 2010) et d’autre part que les neurones du GNW ont une activité intrinsèque permanente
qui est modulée par des signaux ascendants d’éveil et des signaux sélectifs de renforcement.
Ainsi les phénomènes d’apprentissages seraient associés dans ces conditions uniquement aux
stimuli perçus de manière consciente et associé à un renforcement. Cette réactivation est
également utilisée en IA dans les modèles d’apprentissage profonds génératifs, ou à partir
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !36
d’une activation des couches supérieures et un ajout de bruit, les systèmes synthétisent ou
« imaginent » des images imitant la structure des exemples présentés pendant l’apprentissage
(Gatys et al., 2017 ; Karras et al., 2018). Ces synthèses d’image permettent également de
générer des images avec différents niveaux de complexité et d’utiliser celles-ci comme
stimulus pour étudier le système visuel (Cadena et al., 2018).
Il est évidemment impossible d’identifier les connexions de l’ensemble du cerveau mais il est
possible d’avoir une idée de leur organisation globale, ce qu’on appelle le connectome. En
revanche, le poids des synapses et les propriétés de chaque neurone ne seront jamais connus à
un moment donné sur un individu en particulier, sans compter que ceux-ci évoluent sans cesse
avec la plasticité et changent de manière importante sous l’effet des différents neuro-
modulateurs (Noradrénaline, Acéthycholine, Dopamine, Sérotonine, Histamine).
L’organisation globale corticale est relativement bien définie et est présentée comme quasi
« cristalline » par les défenseurs du projet HBP (Markram et al., 2006) ce qui en fait un sujet
d’étude privilégié et aisé. En effet, une colonne corticale avec ses différentes couches et sa
connectivité stéréotypée, au sein et entre ces couches, est une structure qui apparaît modulaire
au premier ordre et qui est répliquée horizontalement au sein des différents aires corticales qui
sont elles-mêmes organisées de manière hiérarchique avec des connectivités feedforward et
feedback similaires le long de cette hiérarchie (Markov et al., 2013) ce qui est proche de
l’organisation d’un modèle par apprentissage profond « avant apprentissage ». Cette
organisation globale en tant que telle avec des poids synaptiques déterminés de manière
statistique n’a aucune capacité de reconnaissance, ce n’est qu’à la suite d’un apprentissage
important que la structure va se différencier localement et acquérir des propriétés cognitives
de reconnaissance et de classification. Plus l’organisation sera complexe et plus les
apprentissages seront riches. Les apprentissages dans les réseaux de neurones profonds et les
réseaux de neurones récurrents ont montré la faisabilité d’une telle approche. D’autre part
dans ces modèles il est aisé de faire la séparation entre l’organisation du modèle d’une part,
par exemple le nombre de couches, les opérations élémentaires dans chaque couche, le
nombre d’unités par couche, les connexions possibles entre l’ensemble des unités et les
propriétés intrinsèques des unités et d’autre part ce qui va être modifié par les apprentissages.
Actuellement les phases d’apprentissage dans ces modèles sont assez laborieuses et un travail
important devra être réalisé pour optimiser celles-ci et prendre exemple là aussi sur ce qui se
passe chez l’homme. Ces apprentissages devront se faire par étapes successives comme pour
le développement d’un enfant et ne pourront évidemment pas être réalisés indépendamment
d’un « corps » permettant de « capter » l’environnement avec différents sens et d’agir sur lui,
permettant par exemple de manipuler un objet et d’en dévoiler tous les points de vue, ainsi
que d’un système de valeur interne équivalente à nos émotions. Ainsi pour qu’un robot soit
capable de reconnaître un verre « à sa manière » il aura besoin de différents systèmes
sensoriels, de capacités d’actions motrices et d’un système de valeurs interne associant une
utilité au verre (ou un danger quand il se casse) afin de développer ses propres affordances sur
cet objet (voir le numéro d’Intellectica 65 ; Vernon et al. 2010 ; Vernon, 2014).
Ainsi en IA, le rythme de la recherche récente a été remarquablement rapide. Les systèmes
artificiels correspondent maintenant aux performances humaines dans des tâches complexes
de reconnaissance d'objets et parfois même les surpassent dans des environnements
dynamiques et conflictuels. Cependant, beaucoup de travail est encore nécessaire en IA pour
s’inspirer de toutes les capacités cognitives humaines qui se distinguent par exemple par leur
capacité à apprendre rapidement de nouveaux concepts à partir d'une poignée d’exemples en
- DOSSIER -
Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !37
tirant parti des connaissances antérieures pour permettre des inférences inductives flexibles et
par leur capacité également à généraliser ou à transférer les connaissances acquises dans un
contexte à des domaines nouveaux. Ce travail de cross-fertilisation ne pourra pas se faire sans
poursuivre une interaction étroite entre la psychologie cognitive, les neurosciences cognitives,
la neurobiologie et l’intelligence artificielle. La cognition humaine est riche et son étude
détaillée ne peut que fournir des éléments de compréhension essentiels à qui veut élaborer une
machine intelligente. Ainsi les interactions entre les neurosciences et l’IA ont été fructueuses
et cela devrait se poursuivre à l’avenir mais cela nécessitera compte tenu de la technicité
toujours plus grande de ces deux domaines le développement de collaborations importantes
entre les chercheurs en neurosciences et IA, et la mise en place d'un langage commun entre
les deux domaines (Marblestone et al., 2016). Pour conclure, l’efficacité des modèles utilisant
les apprentissages profonds montre que l’approche neuro-mimétique est pertinente et doit être
poursuivie et que l’approche connexionniste associée à un apprentissage massif permet de
résoudre des problèmes qui ne sont pas formalisables par une analyse fonctionnelle classique.
Il est important de noter que dans les neurosciences de la vision, ces modèles ont radicalement
changé la manière d’étudier le système visuel, que ce soit en électrophysiologie ou en IRMf
(Hassabis et al., 2017 ; Marblestone et al., 2016 ; Testolin et al., 2013 ; Kriegeskorte et al.,
2015 ; LeCun et al., 2015 ; Kindel et al., 2017 ; Güçlü & van Gerven, 2014 ; Roelfsema &
Holtmaat, 2018 ; Yamins & DiCarlo, 2016 ; Eickenberg et al., 2017 ; Kheradpisheh et al.,
2016 ; Khaligh-Razavi & Kriegeskorte, 2014).
La relation complexe entre les neurosciences et les sciences de l’esprit (ou sciences de la vie
mentale) est au centre de très nombreux débat et la question de l’autonomie ou non de ces
disciplines agite encore de nombreux esprits. L’article de D. Forest dans ce volume étudie
trois positions des neurosciences envers la psychologie qui ont été activement débattues :
l’élimination, la réduction ou l’intégration et nous n’y reviendrons donc que peu. Une vue
d’ensemble de ces problèmes a été récemment édité par D. Kaplan (2017). Il y a plusieurs
décennies, à l'apogée de la psychologie cognitive, le point de vue dominant était que les
sciences de l'esprit et du cerveau jouissaient d'un degré considérable d'indépendance et
d'autonomie les unes par rapport aux autres - en ce qui concerne leurs théories, leurs
méthodes de recherche et les phénomènes qu'elles choisissaient d’étudier. Aujourd’hui le
point de vue dominant semble différent avec l’émergence des neurosciences cognitives qui
prônent une intégration disciplinaire complète ou au moins une interdépendance plutôt que
l’autonomie entre ces deux disciplines (Tiberghien, 2007). Dans tous les cas le caractère
interdisciplinaire est clairement établi avec un intérêt évident pour les deux parties à
interagir : pour comprendre le fonctionnement de l’esprit humain il est essentiel pour le
psychologue de pouvoir évaluer, confirmer en terme de plausibilité neurobiologique les
modèles de processus cognitifs qu’il a établis et pour le neurobiologiste de proposer des
mécanismes cérébraux sous-jacents à des processus psychologiques complexes et non plus
simplistes comme auparavant (Churchland, 1986 ; Gazzaniga et al., 2002 ; Churchland &
Sejnowski, 1988). Certains prônent pour une intégration totale de la psychologie dans les
neurosciences afin d’élucider les mécanismes multi-niveaux et multi-échelles de la cognition
(Piccinini & Craver, 2011 ; Boone & Piccinini, 2015). Selon Piccinini & Craver (2011) repris
également par Kaplan (2017), pour que deux disciplines soient autonomes l’une de l’autre il y
a un certain nombre de conditions à remplir : 1) indépendance dans le choix des phénomènes
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !38
à étudier et dans le choix des concepts et du vocabulaire théorique ; 2) les théories d'une
discipline ne sont pas réductibles aux théories de l'autre discipline ; 3) enfin les preuves d’une
discipline n’exercent aucune contrainte directe sur les explications de l’autre discipline. Bien
évidemment cette caractérisation de l’autonomie est flexible et les disciplines peuvent être
plus ou moins autonomes à différents degrés. La notion de distinction est étroitement liée,
mais logiquement plus faible. Les disciplines font preuve de distinction si elles étudient
différents types de phénomènes, utilisent différents types de méthodes ou construisent
différents types d’explications. La thèse de la distinction explicative des neurosciences et de
la psychologie est un argument clé dans un certain nombre d'arguments récents en faveur de
l'autonomie de la psychologie. Cela sous-entend qu’un domaine particulier se définirait à
travers son mode d’explication et qu’il ne pourrait pas y avoir des explications différentes
dans une même discipline.
Le psychologue Philip Johnson-Laird, se plaçant dans l’analogie entre le cerveau et
l’ordinateur et reprenant les niveaux de D. Marr (1982) proposait clairement que l’esprit
puisse être étudié indépendamment du cerveau, la psychologie serait l'étude des programmes,
les niveaux fonctionnel et algorithmique, et la neurophysiologie l’étude du code machine, le
niveau de l’implémentation (Johnson-Laird, 1983). Cette vision des choses est encore
largement partagée, à la fois par les psychologues et nombreux neuroscientifiques
cognitivistes. Une étude récente (Jonas & Kording, 2017) adresse l’analogie entre cerveau et
l’ordinateur d’une manière originale. Les auteurs posent la question de savoir si un
neuroscientifique pourrait comprendre un microprocesseur. Pour cela ils appliquent de
nombreuses techniques neuroscientifiques à une simulation haute-fidélité d'un
microprocesseur de jeu vidéo classique (le « cerveau ») afin de comprendre comment il
contrôle le lancement de trois jeux vidéo bien connus (qu'ils ont surnommés
« comportements ») initialement programmés pour fonctionner sur ce microprocesseur. Dans
l'étude, les transistors (simulés) ont été lésés, les potentiels de champ locaux enregistrés et une
réduction de la dimensionnalité réalisée sur l'activité de tous les transistors. Le résultat est
qu'aucune de ces techniques n'a été capable de comprendre l'architecture informatique du
microprocesseur et encore moins le fonctionnement du programme informatique. Selon
Krakauer (2017) la meilleure façon de répondre à cette question aurait été d'examiner le jeu
« le comportement » lui-même avec une grande précision et ensuite de faire une analyse de
haut niveau de ce que doit faire le microprocesseur pour réaliser une telle tâche. Ce qui est la
démarche de l’analyse fonctionnelle. Néanmoins le résultat négatif de cette étude n’a de
conséquence que si on adhère à l’analogie cerveau ordinateur ce qui n’est pas le cas pour ce
qui nous concerne. Si l’idée de cette étude est de tester les outils de la neurobiologie sur un
système bien caractérisé, il aurait été beaucoup plus approprié de le faire sur un processeur
neuromorphique (Merolla et al., 2014 ; Esser et al., 2016).
La thèse que nous défendons est que les trois niveaux de D. Marr sont d’une certaine manière
toujours valides pour comprendre les relations entre la psychologie et les neurosciences les
deux premiers niveaux correspondant à l’analyse fonctionnelle et le troisième niveau au
schéma d’organisation du cerveau-organisme dans son ensemble. Mais selon notre point de
vue, il n’est pas possible de considérer que la description du comportement dynamique du
cerveau-organisme à l’échelle cellulaire est une implémentation des fonctions que nous
aurions caractérisées avec l’approche fonctionnelle. Ce sont deux descriptions distinctes d’un
même système qui n’ont pas de correspondance immédiate entre elles. Cela plaide en faveur
d’un certain degré d’autonomie entre les neurosciences et la psychologie et une distinction de
- DOSSIER -
Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !39
leur niveau d’explication mais cette autonomie est différente de celle de Johnson-Laird pour
la psychologie ou de Krakauer pour l’étude du comportement, puisqu’ils considéraient que la
cognition / le comportement sont d’une certaine manière entièrement caractérisés par
l’analyse fonctionnelle / comportementale alors que nous considérons que les deux niveaux de
descriptions fonctionnelle / comportemental et mécanistique neuronale sont complémentaires
et néces-saires pour avoir une compréhension complète de la cognition. Ce sont les
phénomènes de plasticité et d’homéostasie au sein des structures neuronales d’un organisme
en action qui vont lui conférer ses propriétés « fonctionnelles ».
L'analyse fonctionnelle consiste à décomposer une capacité d’un système en un ensemble de
sous-capacités plus simples et à spécifier comment celles-ci sont organisées pour fournir la
capacité à expliquer. Elle est réalisée et définie par un observateur et va dépendre du contexte
de l’étude, c’est-à-dire du stimulus que l’on a utilisé, les paramètres physiques qu’on lui a
associés et du comportement que l’on choisit comme sortie du système. La fonction que l’on
va ainsi obtenir va témoigner du couplage entre certains paramètres du monde extérieur qui
seront associés plus ou moins directement (de manière non triviale) aux paramètres physiques
choisis et l’organisme. Ainsi les analyses fonctionnelles dépendent fortement du contexte
expérimental dans lesquelles elles sont réalisées. Dans le système visuel si l’on se place dans
des conditions expérimentales plus « naturelles », en utilisant des images ou films de scènes
naturelles et non plus des stimuli artificiels (réseau de luminance, bruit éparse ou dense), en
réalisant des études avec des animaux non plus anesthésiés mais éveillés réalisant par
exemple des tâches d’attention, de locomotion ou encore interagissant socialement, les
fonctions définies dans des contextes « artificiels » ne parviennent pas à prédire les réponses
dans les conditions « naturelles » (Carandini et al., 2005 ; Gauthier & Tarr, 2016 ; Turner et
al., 2018). Les contextes spatiaux et temporels vont induire des phénomènes « d’adaptation »
qui vont venir modifier continuellement la fonction « champ récepteur » associé aux neurones
visuels (Rust & Movshon, 2010). De plus les fonctions « champs récepteurs » calculées dans
un contexte artificiel peuvent être très simples en terme d’opération et sans rapport avec la
complexité sous-jacente du système étudié. Un exemple caractéristique sont certains neurones
avec des champs récepteur dits « Simples » du cortex visuel primaire qui montrent une
relation entre leur potentiel de membrane et un réseau de luminance sinusoïdale dérivant dans
l’orientation et la direction optimale totalement linéaire. Cette simple opération linéaire
masque une complexité importante : la lumière qui passe dans l’œil, active la rétine qui à son
tour envoie des potentiels d’action au thalamus qui active le cortex visuel primaire et les aires
supérieures, avec de plus des connectivités récurrentes et des intégrations synaptiques
excitatrices et inhibitrices non-linéaires à chaque étape. Nous comprenons relativement bien
aujourd’hui comment la plasticité et les règles d’homéostasie au cours du développement
ainsi que les contraintes de parcimonie de l’activité produisent la connectivité à l’origine de
cette linéarité (Miller et al. 1994 ; Olshausen & Field, 1996 ; Stevens et al., 2013). Définir
que la relation est linéaire dans ce contexte de stimulation pour ces champs récepteurs
Simples est une information importante et nécessaire d’un point de vue fonctionnel et utile
pour faire une approche structure-fonction. Mais c’est uniquement cette approche structure-
fonction qui permettra de comprendre comment est réalisée concrètement cette opération dans
le système visuel d’un animal. Nous avons bien deux niveaux de descriptions distincts, d’une
part une description fonctionnelle et d’autre part une description mécanistique au niveau
neuronal issue de l’approche structure-fonction permettant de définir une organisation
fonctionnelle. À noter que la plupart des études actuelles en neurosciences sont des modèles
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !40
fonctionnels et que les modèles utilisant uniquement des mécanismes neuronaux permettant
de rendre compte de l’émergence de ces fonctions restent rares. Ces analyses fonctionnelles
peuvent être réalisées à plusieurs niveaux, par exemple dans une étude récente sur une tâche
de discrimination visuelle chez le singe où l’on présente des stimuli de faibles contrastes (Van
Vugt et al., 2018), l’analyse fonctionnelle est soit globale, si on s’intéresse aux performances
de discrimination d’un singe en fonction du contraste du stimulus, soit locale, avec l’analyse
de l’enregistrement des activités de neurones de V1, V4 et du cortex frontal en réponse aux
stimuli à différents contrastes et aux réponses de discrimination du singe. Cette étude propose
un modèle mathématique très simple composé de plusieurs niveaux successifs (LGN, V1 V4,
aire pariétale et frontal) où chaque population de neurones est modélisée par un seul processus
stochastique d'Ornstein-Uhlenbeck avec une connectivité montante, descendante et
récurrente. Ce modèle reproduit une fonction psychométrique réaliste, avec une précision
accrue pour les contrastes plus élevés et les activités des unités modèles sont
remarquablement similaires à celles enregistrées expérimentalement. Il intègre des sources de
bruit qui peuvent avoir des impacts différents et qui explique pourquoi l’animal va donner
parfois des mauvaises réponses, fausses présences ou fausses absences. Ainsi un modèle très
simple et contraint à plusieurs niveaux de la chaîne de décision par des enregistrements
électrophysiologiques capture parfaitement le comportement du singe dans la tâche de
discrimination. Il est clair que ce modèle n’est pas une implémentation neuronale mais
l’algorithme de l’analyse fonctionnelle même si le niveau d’analyse semble mécanistique. Il
ne capture un fonctionnement que dans un contexte bien précis avec un cadre expérimental
bien contraint. L’implémentation neuronale complète reproduisant ce comportement serait
très difficile aujourd’hui à réaliser mais produirait un système qui sortirait de ce cadre
expérimental et de ce contexte pour donner un comportement global. Ce système ne serait pas
« l’implémentation » de cette fonction de discrimination mais celle-ci serait observable dans
un cadre expérimental ce qui sera nécessaire pour valider en quelque sorte le comportement
de ce système.
D. Kaplan (2017) soutient que la revendication de l’implémentation multiple repose sur des
confusions persistantes concernant l’explication mécanistique. Plus précisément, il s'oppose
aux leçons que Chirimuuta (2014) et d'autres souhaitent tirer des travaux de modélisation
récents impliquant des calculs neuronaux dits canoniques, des modules informatiques
standard, appliquant les mêmes opérations fondamentales dans plusieurs zones du cerveau –
comme par exemple les opérations de normalisation (Carandini & Heeger, 2012). Comme ces
calculs neuronaux peuvent s'appuyer sur divers circuits et mécanismes, la modélisation des
mécanismes sous-jacents est considérée comme ayant une valeur explicative limitée. Là
encore la confusion vient du fait que l’on considère qu’un mécanisme va implémenter une
opération que l’on a définie dans l’algorithme de l’analyse fonctionnelle. Un réseau de
neurones avec des activités excitatrices et inhibitrices qui se contrebalancent et de la
dépression synaptique va avoir des propriétés de normalisation sans qu’il soit possible
d’identifier précisément quel est le mécanisme qui « implémenterait » la fonction de
normalisation. À noter que certains auteurs semblent défendre une relation différente entre
explications fonctionnelles et mécanistiques (Piccinini & Craver, 2011 ; Piccinini & Shagrir,
2014), en soutenant qu’elles ne sont ni distinctes ni autonomes les unes des autres car
l'analyse fonctionnelle, lorsqu'elle est correctement contrainte, fournirait selon eux une sorte
d'explication mécanistique – explication mécanistique partielle ou elliptique. L'idée centrale
est que les analyses fonctionnelles sont des schémas de mécanismes dans lesquels certains
- DOSSIER -
Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !41
aspects structurels d'une explication mécanistique sont omis. Il suffirait de combler les aspects
manquants pour transformer une analyse fonctionnelle en une explication mécanistique
complète. Grâce à ce processus, les analyses fonctionnelles s'intègrent parfaitement aux
explications mécanistiques à plusieurs niveaux et à plusieurs échelles (Piccinini & Craver,
2011). Cette vision des choses reprend la vision classique modulaire du cerveau, il y aurait
des modules faisant des opérations locales et qui assemblés dans un vaste réseau produiraient
l’ensemble des capacités cognitives. Dans ce cas nous aurions bien une relation étroite entre
l’algorithme fonctionnel et l’implémentation neuronale où nous pourrions identifier point à
point quels sont les composantes neuronales qui produisent les opérations fonctionnelles.
Nous ne partageons pas cette vision, l’explication mécanistique nécessite la compréhension
précise de l’organisation d’un système, des propriétés de ses unités et des dynamiques
globales et émergentes qui s’y produisent. Les capacités computationnelles de cette
organisation sont supérieures à l’ensemble des fonctions que l’on peut décrire à partir
d’analyses fonctionnelles sur celle-ci. Il n’y a pas un mécanisme correspondant à une
fonction, les fonctions que nous définissons en tant qu’observateurs sont des projections que
nous réalisons sur les propriétés du système étudié et nous devons nous attacher à comprendre
l’organisation de ce système qui génère l’ensemble de ces fonctions observables mais dont la
principale fonction est de conférer au système son autonomie, son intégrité et sa pérennité au
sein de son environnement.
Concernant l’explication mécanistique neuronale, une hypothèse forte est que le niveau de
description neuronale doit être reproduit à partir des propriétés électrophysiologiques des
neurones (Hodgkin & Huxley, 1952) et les influences « externes » seront vues comme des
modifications de ces propriétés modifiant la dynamique globale. Le neurone est modélisé par
un circuit électrique avec un certain nombre de compartiments iso-électriques (circuit RC)
reliés entre eux par des résistances axiales et des conductances en parallèle variant en
fonction : du potentiel de membrane, des concentrations ioniques des différents ions, des
neurotransmetteurs ou/et des neuro-modulateurs. Les connexions entre les neurones sont
modélisées par des conductances synaptiques excitatrices ou inhibitrices dont les poids
peuvent varier en fonction de différents mécanismes de plasticité (STDP). L’avantage de ce
niveau de modélisation est d’être totalement équivalent aux mesures qui sont réalisées en
électrophysiologie et nous faisons ainsi l’hypothèse qu’il est nécessaire et suffisant pour
reproduire l’ensemble des dynamiques cérébrales observées expérimentalement. Même si les
neurosciences s’intéressent de plus en plus aux cellules gliales (Agid, 2016 ; Agid &
Magistretti, 2018) qui sont des éléments essentiels dans les processus homéostatiques et
énergétiques du tissus cérébral, cela ne remet pas en question ce niveau de modélisation
électrophysiologique qui peut être associé à d’autres mécanismes venant interagir avec celui-
ci comme les problématiques énergétiques. Ce niveau de description peut être déjà
extrêmement détaillé et hétérogène comme nous l’avons vu dans le modèle Blue-Brain où les
neurones sont simulés avec de nombreux compartiments, afin de reproduire les différentes
anatomies dendritiques et axoniques, et avec de nombreuses conductances, afin de reproduire
les différents patterns de décharge (Markram et al., 2015). Comme nous l’avons précisé, un
modèle de réseau de neurones avec une connectivité de premier ordre fondée sur la proximité
des axones et des dendrites va reproduire des dynamiques neuronales intéressantes,
équivalentes à ce qui est observé dans des tranches de cortex, mais il n’aura pas de propriété
fonctionnelle. Pour qu’il acquière des propriétés fonctionnelles il faudra modifier la
connectivité selon l’organisation fonctionnelle observée par des analyses structures-fonctions.
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !42
Cette approche qui a fourni des résultats intéressants dans les systèmes sensoriels pour en
comprendre l’organisation générale possède néanmoins des limites et ne permet pas d’avoir
un schéma de connectivité complet opérationnel. Une autre possibilité est d’implémenter des
règles de plasticité et d’homéostasie et le soumettre à des apprentissages de manière
équivalente à ce qui est fait par exemple avec les apprentissages dans les réseaux de neurones
profonds.
Ainsi l’analyse fonctionnelle et l’explication mécanistique neuronale apportent toutes deux
des informations différentes qui ne sont en aucun cas interchangeables. Ainsi la psychologie
et la neurobiologie peuvent poursuivre deux objectifs distincts pour deux niveaux
d’explications et de descriptions complémentaires et nécessaires avec les neurosciences
cognitives en interface. Notre analyse rejoint en partie celle de D. Forest et son modèle
instrumental qu'il présente dans l’article de ce volume. Dans son modèle les sciences de
l’esprit poursuivent leurs propres buts mais s’autorisent à puiser dans les ressources des
neurosciences pour y parvenir. Ainsi les neurosciences ne seraient pas le niveau d’explication
et de vérité ultime sur les phénomènes mentaux en fournissant les mécanismes neuronaux
mais permettraient simplement de parfaire l’analyse psychologique. Il y aurait donc toujours
autonomie entre ces deux disciplines, ce qui ne les empêchent pas d’être toutes les deux
multi-champs, c’est-à-dire utilisant différents niveaux d’explications en recouvrement l’une
sur l’autre, ni même d’interagir mutuellement pour poursuivre leur propres buts. Ce qui
change c’est le niveau d’explication finale. Les neurosciences et la psychologie poursuivent
ainsi des objectifs distincts : les neurosciences vont essayer de comprendre les grands
principes d’organisation du vivant et des systèmes neuronaux comme la plasticité et
l’homéostasie et explorer comment ces principes vont produire des propriétés cognitives
quand ils sont implémentées dans des organismes capables d’apprentissage et de maintien de
leur intégrité en interaction avec l’environnement. La psychologie avec l’analyse
fonctionnelle, quant à elle, va tenter d’expliciter ce qui est réalisé en terme logique dans un
but de connaissance formelle autant que possible. Cette connaissance est autonome et n’a pas
pour finalité d’être convertie en mécanismes qui doivent être forcément implémentés, la
fonction se suffit à elle-même. Il est bien évidemment aisé de programmer les algorithmes de
ces fonctions sur un ordinateur mais cela ne signifie en rien que cette fonction soit naturalisée
d’une quelconque manière et que l’on ait compris comment celle-ci est implémentée dans les
organismes vivants. Les explications fonctionnelles diffèrent car elles font appel à des notions
de traitement de l’information, de représentation ou de sémantique, ce qui les rend en quelque
sorte incompatibles avec l’explication mécanistique neuronale. Il est important de préciser à
nouveau que l’analyse fonctionnelle d’une propriété fournit des informations indispensables à
la construction d'explications mécanistiques dans la mesure où elle spécifie le phénomène à
expliquer en termes quantitatifs ou mathématiques précis.
Gold & Stoljar (1999) ont tenté de clarifier les liens entre psychologie et neuroscience en
discutant la question de la doctrine neuronale dont la principale source de problèmes selon
eux est qu’elle est très mal définie et mal présentée par les scientifiques qui la soutiennent. La
doctrine neuronale selon eux peut s’exprimer avec différent degrés : « Les neurosciences ont
une portée explicative sur l’esprit » ou encore « Le cadre de compréhension de l’esprit sera
développé par les neurosciences » et finalement « Une théorie de l’esprit sera uniquement
neuroscientifique » (Gold & Stoljar, 1999). Selon eux la version « radicale » de cette doctrine
est finalement peu argumentée et peu défendue par les neuroscientifiques et ne reste qu’une
version « triviale » peu controversée où les neurosciences intègrent les niveaux d’explication
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !43
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !44
étroite, il n’est pas souhaitable qu’il y ait une intégration-fusion de la psychologie et des
neurosciences pour justement conserver ces deux descriptions parfaitement distinctes. Les
neurosciences par exemple ne doivent pas chercher à faire émerger des états mentaux dans
leur réseaux de neurones mais des états dynamiques globaux (Tononi & Koch, 2015 ; Tononi,
2012 ; Lamme, 2018) et la psychologie ne doit pas chercher à implémenter des états mentaux
dans des réseaux de neurones mais à donner une explication la plus précise possible du
mental. Bien clarifier ces objectifs permettrait à notre avis de dissoudre de nombreuses
tensions entre ces deux domaines.
La psychologie de la forme, la Gestalt, est une théorie globaliste qui offre un cadre explicatif
et interprétatif pour différentes connaissances psychologiques et en particulier l’étude de la
perception (Rosenthal & Visetti, 1999 ; Kanizsa, 1979). Durant ces dernières décennies, il y a
eu une reprise des concepts de la Gestalt en neurosciences pour aborder les problèmes de la
perception, en particulier dans le domaine de la vision (Wagemans et al., 2012a, 2012b). Le
projet « Gestalt ReVision8 » est un exemple du dynamisme dans ce domaine et a pour but
d'étudier les phénomènes classiquement étudiés par la psychologie de la Gestalt, tels que le
regroupement perceptif et l'organisation de figures-fond, avec des méthodes et des techniques
modernes en psychologie et en neurosciences. Ce projet a fait l’objet d’un ouvrage collectif
édité par J. Wagemans (2016) qui couvre les problématiques de la Gestalt dans le domaine de
la vision (regroupement perceptif, complétion perceptive et complétion neuronale) mais aussi
d’autres modalités (l’audition et le toucher) de même que l'organisation de la perception entre
les différentes modalités sensorielles. En neurosciences de la vision, depuis les travaux de
Lamme et al. (1998), de plus en plus de protocoles chez le singe éveillé, ont introduit l’étude
de la séparation entre la figure et le fond comme élément essentiel de la perception visuelle et
ces aspects sont très bien présentés dans cet ouvrage avec les revues de Self & Roelfsema
(2016), Zucker (2016) et Kogo & van Ee (2016). Un neurone du cortex visuel primaire du
singe va avoir son activité modulée tardivement en fonction du fait que son champ récepteur
se situe dans le fond ou dans une figure, la stimulation locale étant identique par ailleurs
(« figure-ground modulation »). Le verbe gestalten signifie « mettre en forme, donner une
structure signifiante ». Le résultat, la « Gestalt », est donc une forme structurée, complète,
prenant sens pour le sujet (observateur) et qui se distingue du fond. Selon cette théorie, le
« tout » ne peut se réduire à la simple somme des stimuli élémentaires (« parties ») perçus. De
même, une partie dans un tout est autre chose que cette même partie isolée ou incluse dans un
autre tout - puisqu’elle hérite des propriétés particulières en fonction de sa place et son
implication relationnelle dans le percept global. Un point important est que pour les
gestaltistes, le « tout » est perçu avant les « parties » le formant. La structuration des formes
ne se fait pas au hasard, mais selon certaines lois d’association dites « naturelles » et qui
s'imposent au sujet lorsqu'il perçoit. Par exemple, d’un point de vue statique, des points
rapprochés ou à proximité seront groupés dans une continuité spatiale. Si la distance entre
éléments ne permet pas un regroupement par proximité, les plus similaires d’entre eux seront
associés. De même, une forme fermée est plus facilement identifiée comme une figure qu'une
forme ouverte. D’un point de vue dynamique, des parties en mouvement ayant la même
trajectoire seront perçues comme faisant partie de la même forme. Le mouvement apparent
8 http://www.gestaltrevision.be/en/
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !45
(« Phi ») est un exemple de liage perceptif illustratif : pour des espacements spatiaux et
temporels et des formes spécifiques, des points lumineux présentés pendant quelques dizaines
de millisecondes en des positions successives régulièrement espacées selon un axe rigide sont
« perçus » comme animés d’un mouvement continu. Ainsi, il en ressort que les principes de
bases de la Gestalt dans l’élaboration de la forme et du mouvement s’appuient sur les
corrélations (similitudes) spatio-temporelles entre les différents éléments d’une scène visuelle,
produisant ainsi un liage perceptif dans l’espace et le temps.
Notons que la psychologie de J.J. Gibson (1979) fait preuve également d’un intérêt de plus en
plus marqué dans le domaine de la vision. La théorie dite « écologique » de J.J. Gibson est
encore plus globalisante que la théorie de la Gestalt. Pour J.J. Gibson, ce n’est pas simplement
la forme, mais c’est le flux optique définissant la stimulation fournie par l’espace ambiant qui
est considéré comme une donnée visuelle globale. Gibson étudie en particulier les structures
dynamiques, notamment celles dont le mouvement est occasionné par les déplacements du
sujet ou le mouvement des yeux. Ces mouvements ne sont pas considérés comme des causes
d’interférence dans la prise d’information mais comme des sources d’information sur
l’invariance. Gibson a développé considérablement la notion d’invariance et l’on peut
considérer à cet égard que sa position se trouve en continuité avec celle du gestaltisme.
Considérant les mouvements visuels occasionnés par les mouvements des yeux et du corps,
une question fondamentale est de savoir comment parvient-on à une perception unifiée et
cohérente de la scène visuelle ? Dans la perspective gibsonienne, ces mouvements associés à
celui du sujet ne créent pas de confusion dans les données perceptives, ils favorisent au
contraire la détection des invariants de l’image changeante et en révèlent ainsi la structure.
Cette conception redéfinit le concept de stimulus, nous avons des « stimuli d’information »
par opposition aux stimuli classiques définis par leur « énergie ».
Un des principaux reproches des globalistes aux élémentaristes (réductionnistes) est que ces
derniers effectuent une segmentation arbitraire dans l’intégration perceptive, pour s’attacher
aux composantes fictives plutôt qu’aux composantes signifiantes de la perception globale.
C’est ce même reproche que nous formulons envers l’approche fonctionnelle classique du
cortex visuel, centrée sur la caractérisation de champs récepteurs locaux avec des stimuli
simples mais artificiels, et donc des composantes fictives, et non à l’extraction des
composantes globales dans laquelle la perception prend acte. À noter que pour les gestaltistes,
la forme perçue directement n’est pas la forme objective du stimulus, ni non plus sa projection
telle qu’elle est enregistrée par le système récepteur, mais elle correspond plutôt à la forme
physiologique déterminée par l’organisation corticale. Ainsi, le monde, le processus perceptif
et les processus neurophysiologiques sont isomorphes ; c'est-à-dire structurés de la même
façon, ils se ressemblent dans leurs structures et dans leurs principes (d'une certaine façon).
Par analogie, chaque neurone du cortex visuel va constituer une unité dynamique qui va
participer à l’extraction d’une partie mais dont l’activité sera déterminée par l’ensemble des
interactions avec les autres unités. Chaque unité aura donc son activité déterminée à la fois
par la partie et la composante globale à laquelle cette partie appartient. C’est donc la
dynamique globale du réseau neuronal (dans le sens large) qui va définir l’activité de chaque
unité. Le percept global qui en résulte peut être considéré comme un invariant étant donné que
la forme sera conservée même si l’on fait varier un de ces éléments (principe de
transposition). Cette notion recoupe la notion d’attracteur dans les systèmes dynamiques, qui
peut être considérée comme l’isomorphe physiologique d’un invariant ou de la Gestalt.
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !46
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !47
car leur champ récepteur se situent dans la forme globale, mais qui ne sont pas activés par les
entrées thalamiques directes à cause d’une occlusion ou d’une forme incomplète (contour
amodal et contour illusoire).
La relation entre la complétion neuronale et la complétion perceptive a été très bien discutée
par Pessoa et al. (1998) et Thompson et al. (2002). L’idée d’une complétion neuronale a été
fortement critiquée par Dennett (1992) qui rejette l’isomorphisme analytique trop proche du
matérialisme cartésien. Selon l’isomorphisme analytique, le caractère approprié d’une
explication a pour condition qu’il y ait un lieu de jonction (« Bridge Locus ») où l’on dispose
d’un isomorphisme entre l’activité neurale et l’expérience du sujet (Teller, 1984 ; Kiorpes et
al., 2013 ; Gillot, 2016). Le principe avait été proposé par Kölher à partir des formulations de
Müller et Werthemer. Dans son livre Gestalt Psychology, il écrit : « le principe
d’isomorphisme requiert, pour un cas donné, que l’organisation perceptive et les faits
physiologiques sous-jacents aient la même structure » (Köhler 1947, p. 301, cité par Pessoa et
al., 1998). Kölher avait à l’esprit des propriétés structurelles de nature topologique et non
géométrique correspondant à des relations fonctionnelles au sein des processus cérébraux.
L’isomorphisme au sens de la Gestalt peut être considéré comme un cas particulier de l’idée
d’Analogie proposé par Teller (1984) qui stipule que si les processus physiologiques
« ressemblent » aux processus perceptifs alors les premiers « expliquent » les seconds. Dans
le cas de la Gestalt « ressemble à » est compris au sens d’une correspondance structurale et
dans le domaine de la vison celle-ci est comprise comme une correspondance spatiale
induisant l’idée de complétion neuronale : un contour « illusoire » correspondra à une activité
dans le cortex visuel primaire par exemple. Le fait est qu’aujourd’hui une somme importante
de travaux dans le système visuel plaide en faveur de mécanismes de complétions neuronales
associés à des complétions perceptives et donc argumente dans le sens d’un isomorphisme
neuro-perceptif. Ces complétions neuronales sont observées dans une multitude de
phénomènes et vont dans le sens de la théorie de Lee & Muford (Lee et al., 1998) réactualisée
récemment par Roelfsema & de Lange (2016) qui propose que le cortex visuel primaire,
activé dans un premier temps par les afférents feedforward du thalamus (informations
locales), est activé dans un second temps en retour par les afférents feedback des aires
supérieures (informations globales) afin de former un processus global neuronal qui serait
l’analogue du processus de perception. La perception d’une scène visuelle signifie que
l’ensemble des objects sont dissociés d’un fond et sont appréhendés dans les trois dimensions
avec une complétion des parties non visibles formant un espace d’actions possibles.
Pessoa et al. (1998) et Thompson et al. (2002) rejettent l’isomorphisme analytique et le
matérialisme cartésien tout comme Dennett (1992) mais acceptent l’idée d’une complétion
neuronale devant les évidences expérimentales et ainsi l’idée d’un isomorphisme topologique
à la Gestalt. Néanmoins l’isomorphisme neuro-perceptif topologique proposé par la Gestalt
demande une analyse plus précise de l’expérience perceptive à la première personne car c’est
cette expérience et son caractère incarné qui aura des analogues neuronaux (Lehar, 2003).
Une description inexacte de cette expérience perceptive conduira à ne pas comprendre ces
analogies. La tradition phénoménologique présente des méthodes d’investigation de
l’expérience vécue, perceptuelle, du monde et semble ainsi l’approche privilégiée à utiliser
ici.
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !48
Les sciences de l’esprit ne peuvent pas faire l’économie de prendre en compte la façon dont
les êtres humains font l’expérience du monde. L’approche de la psychologie cognitive que
nous avons présentée jusqu’ici consiste à décrire l’expérience humaine « en troisième
personne », c’est-à-dire du point de vue de l’observateur/expérimentateur, puis de l’évaluer et
de l’interpréter en fonction des connaissances neuroscientifiques ce que Dennett (1993)
appelle « l’hétéro-phénoménologie ». L’expérience subjective a longtemps été exclue du
champ d’étude scientifique qui réclame des données recueillies par un observateur/
expérimentateur extérieur à l’étude et donc sur des faits observables (comportement
principalement) et reproductibles autant que possible. Cependant de plus en plus de
chercheurs au sein des sciences cognitives ont réalisé qu’il est essentiel de mettre au point des
méthodes rigoureuses permettant d’étudier l’expérience subjective de manière très précise
(Petitmengin et al., 2015). L’approche proposée par F. Varela, la neurophénoménologie,
adopte comme hypothèse de travail que les données phénoménologiques de l’expérience en
première personne et les données issues des neurosciences peuvent être utilisées comme
contraintes réciproques dans une science de la conscience. Cette approche comprend trois
aspects complémentaires : 1) les données phénoménologiques et les invariants a priori de
l’expérience ; 2) les substrats neuronaux et 3) le formalisme des modèles dynamiques.
(Varela, 2017) : « L’approche neurophénoménologique tente de traverser le fossé explicatif en
utilisant des outils conceptuels 1- issus d’une approche à grande échelle du processus de
synchronisation des activités cérébrales en motifs transitoires globaux, 2- de la théorie des
systèmes dynamiques pour comprendre, dans le contexte de l’auto-organisation, l’émergence
comme une forme de causalité réciproque et 3- des neurosciences cognitives énactives pour
comprendre la nature incarnée et située de la dynamique cérébrale sous-jacente à l’unité de
la conscience. L’une des originalités de cette approche neurophénoménologique est qu’elle
permet de concevoir l’activité consciente comme causalement efficace au sein des cycles
d’opérations constitutifs de la vie du sujet. En faisant de la notion non dualiste de corps
vivant (Leib) sa clé de voûte conceptuelle, et en expliquant la dynamique du corps vivant en
termes d’émergence considérée comme causalité réciproque, la neurophénoménoogie propose
une alternative méthodologique claire au neuroréductionnisme, à l’épiphénoménisme et au
dualisme des substances, qui présupposent tout un dualisme conceptuel, inopérant, entre
l’esprit et le corps. » (Varela, 2017, p. 265).
La neurophénoménologie est une approche essentielle mais exigeante quant à sa
méthodologie et un travail ambitieux de formation à la phénoménologie serait nécessaire
auprès des neuroscientifiques pour que celle-ci se développe de manière importante à l’avenir.
Toute une série d’ouvrages couvre ce domaine, les œuvres classiques sont celles de Varela et
de Thompson (Varela et al. 1993 ; Depraz et al. 2011 ; Varela 2017 ; Thompson, 2007), les
livres collectifs sur la naturalisation de la phénoménologie (Petitot et al. 2002, J-L Petit, 2015)
et les ouvrages de Gallagher (Gallagher, 2008, 2012 ; Gallagher & Schmicking, 2010) et plus
récemment l’article dans Intellectica de Petitmengin et al. (2015). Pour un point de vue
historique sur le courant neuro-phénoménologique nous renvoyons à l’article de W.
Feuerhahn (2011c) qui replace le projet neuro-phénoménologique au sein des dernières
décennies de la vie philosophique française.
La phénoménologie et sa naturalisation dans le contexte de la philosophie de Spinoza prônant
l’unité du corps et de l’esprit mériterait une analyse approfondie. Il y a de nombreux points
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !49
V – LE TOURNANT NEUROCIENTIFIQUE
Au niveau de la société et des sciences en générale, le tournant neuroscientifique a été
accompagné soit par un enthousiasme certain, soit par un scepticisme et une attitude critique
voire une opposition marquée. Nous commencerons par présenter l’enthousiasme portée aux
neurosciences et nous aborderons ensuite les différentes critiques qui lui ont été adressées.
Le neuroenthousiasme
Pour ce qui est de l’enthousiasme, il suffit de voir la profusion des ouvrages écrits ces 30
dernières années par les neuroscientifiques, neurologues, psychologues à l’adresse du grand
public et l’emballement médiatique dans les magazines et l’audiovisuel sur la thématique du
cerveau pour s’en convaincre (Lemerle 2011, 2014 ; Gonon & Konsman, 2011 ; Gonon et al.,
2014). En France c’est J.-P. Changeux qui a lancé cette vague avec « l’homme neuronal » en
1981 (Changeux, 1981) et un ouvrage, acte d’un colloque « l’homme neuronal 30 ans après.
Dialogue avec Jean-Pierre Changeux». (Morange, Wolff & Worms (éds,) 2016) a analysé
l’importance de cette publication dans l’histoire des idées et l’essor des neurosciences. Depuis
de nombreux scientifiques comme O. Sacks, A. Damasio, M.S. Gazzaniga, G. Tononi,
W. Singer, C. Koch, V. Ramachandran, B. Libet, G. Rizzolatti, F. de Waal, G. Edelman, E.
Kandel, F. Varela, H. Atlan, H. Laborit, M. Jeannerod, P. Buser, S. Dehaene, L. Naccache, A.
Berthoz, R. Jouvent, D. Le Bihan, M. Ansermet, P. Magistretti, J. Decety, J.P. Lachaux, M. Le
9 Damasio raconte qu’il a lu Spinoza à l'adolescence, l'a trouvé fascinant mais rébarbatif et l’a oublié. Longtemps
après en cherchant une phrase qu’il avait notée afin de faire un épigraphe pour une des ses livres, il s’est
replongé dans la lecture de Spinoza et s’est rendu compte à quel point ses découvertes sur l’homéostasie et les
affects étaient en concordance avec la philosophie de Spinoza, la phrase était : « Le fondement de la vertu est
l'effort même pour conserver son être propre […] et le bonheur consiste pour l'homme à vouloir conserver son
être. » (Damasio, 2003). Atlan raconte lui que c’est au cours d’une conférence que quelqu’un lui a suggéré que
ses travaux sur l’auto-organisation pouvaient être rapprochés de la pensée de Spinoza (Atlan, 2018).
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !50
Van Quyen et J.C. Ameisen10 ont participé activement à diffuser auprès du grand public les
grandes découvertes des sciences du cerveau, dont ils sont pour la plupart les artisans.
Une autre caractéristique de cet enthousiasme envers les neurosciences est la création ces
dernières années de nombreuses disciplines transversales avec les sciences humaines et
sociales avec la tendance pour montrer ce « tournant neuronale » de faire précéder le nom de
ces disciplines par le terme « neuro ». La liste ne cesse de s’allonger : nous avons par exemple
la neuro-économie (Glimcher & Fehr, 2013), le neuro-marketing, la neuro-anthropologie, la
neuro-éducation, la neuro-pédagogie, la neuro-éthique ou encore le neuro-droit. Le « neuro »
dont il est question dans ces nouvelles disciplines sont les neurosciences cognitives et la
psychologie cognitives et la plupart du temps les explications au niveau neuronal sont rares et
les explications restent principalement au niveau de l’explication fonctionnelle, ainsi
l’occultation de la psychologie dans les appellations « neuro » est problématique (Ramus, ce
volume). Pour les partisans de la neuro-éthique fondamentale (Evers, 2009 ; Farah, 2012 ;
Decety & Wheatley, 2015), notre compréhension du cerveau conduit à un renouvellement de
la philosophie morale et interroge les fondements du sujet humain : qu’est-ce qu’avoir une
conscience, être une personne ? Est-ce que nous sommes libres ? Qu’en est-il de notre
responsabilité ? Comment naissent les normes et les valeurs ? Selon la neuro-éthique ces
questions fondamentales ne peuvent plus se poser en dehors des sciences du cerveau. À notre
avis un positionnement naturaliste tel que l’a proposé Spinoza permet de répondre à ces
questions sans que les neurosciences cognitives apportent d’arguments fondamentalement
nouveaux.
Les neurosciences ne se sont pas seulement associées aux sciences humaines et sociales mais
aussi à quasiment toutes les autres activités humaines, l’art et la littérature, la psychanalyse et
de nombreuses autres approches thérapeutiques comme les approches systémiques, la thérapie
brève de l’école de Palo Alto utilisant beaucoup la distinction entre le cerveau droit et le
cerveau gauche (Watzlawick & Nardonne, 2000) mais aussi la phénoménologie et les sciences
méditatives. Pour la littérature nous avons déjà cité précédemment le neurologue O. Sacks
qui, en faisant des descriptions à la fois rigoureuses et pleine d’empathie des histoires de ses
patients atteints de déficits neurologiques (et même de sa propre histoire), a produit des
œuvres littéraires poignantes qui ont été reprises au théâtre (L’homme qui de P. Brook) ou au
cinéma (L’éveil). Les exposés des symptômes tout à fait spectaculaires et surprenants de
certains déficits neurologiques ont largement contribué auprès du grand public a expliciter le
lien fort entre le cerveau et la pensée et ont produit une sorte de genre littéraire. H.P. Lambert
(2013) montre que la neuro-littérature a pris les différents syndromes de la neurologie pour en
faire des thèmes de fiction mêlés le plus souvent à des trames traditionnelles. Il y a également
toute une littérature d’auteurs qui racontent de l’intérieur leur vécu face à ces troubles
neurologiques (J.D. Bauby atteint du locked-in syndrome, Le scaphandre et le papillon,
1997). De manière plus anecdotique, mais significative, de grands écrivains et peintres se sont
retrouvés associés au tournant neuroscientifique de manière rétrospective, M. Proust bien
évidemment, pour son analyse des mécanismes de la mémoire mais aussi parce qu’il est un
grand phénoménologue grâce à sa capacité d’arrêter le flux du temps, d’observer et de
retranscrire avec précision et exigence ses expériences subjectives dans lesquelles la plupart
des lecteurs se retrouvent (Proust était un neuroscientifique, Lehrer,2011). Ainsi la littérature
offre par rapport à l’approche classique scientifique une investigation des vécus et des
10 Cette liste n’est évidemment pas exhaustive et reflète mes affinités avec ces auteurs.
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !51
expériences personnelles, « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par
conséquent réellement vécue, c'est la littérature. Cette vie qui en un sens, habite à chaque
instant chez tous les hommes aussi bien que chez l’artiste. » (Le Temps Retrouvé, Proust,
1927. p. 891). C’est cette même préoccupation de faire une place à l’expérience subjective
humaine au sein des sciences cognitives qui a conduit F. Varela à se tourner vers la
phénoménologie et la méditation bouddhiste (Varela et al., 1993). À la fin des années 1980, F.
Varela et A. Engle ont amorcé des dialogues fructueux entre les neurosciences et les sciences
méditatives avec la création du « Mind and Life Institute » dans le but de parrainer une série
d’échanges entre scientifiques et le Dalaï Lama à propos de la relation entre la science
moderne et le bouddhisme (Varela et al., 1995). Ces échanges se sont poursuivis avec des
livres comme L'inscription corporelle de l’esprit de F. Varela et al. (1993), La conscience a-t-
elle une origine ? Bitbol (2014) et plus récemment Cerveau et méditation de Ricard & Singer
(2017). Aujourd’hui la méditation pleine conscience est un courant important en thérapie et
est fortement promu en France par le psychiatre C. André. De plus de nombreuses études sont
réalisées à présent pour comprendre à l’aide de l’imagerie cérébrale (l’EEG, la MEG, l’EEG
intra-cortical et l’IRMf) les bases cérébrales de la pratique méditative chez des experts
méditants de la tradition bouddhiste et chez des novices formés au programme MBSR11 par
des chercheurs comme R. Davidson aux Etats-Unis et A. Lutz en France (Lutz et
al., 2004, 2008a, 2008b). Ces travaux visent à étudier les bases neurophysiologiques des états
de méditations de pleine conscience et de compassion et l’impact de ces pratiques sur la
conscience, l’attention, la régulation des émotions et la perception de la douleur. Dans la
même lignée de plus en plus d’études en neurosciences se penchent sur les mécanisme de
l’hypnose et en particulier les oscillations misent en jeu dans ces états modifiés de conscience
(Dumas et al., 2017).
Le courant neuro-psychanalyse est un autre exemple, d’une certaine manière, du côté
incontournable des neurosciences aujourd’hui. Cependant comme nous l’avons rappelé dans
l’introduction, l’intérêt des psychanalystes vis à vis des neurosciences ne représente qu’une
partie des psychanalystes et ils sont tout autant critiqués par leur confrères d’un côté que par
les neuroscientifiques de l’autre (Vercueil, 2010). Les motivations qui ont conduit à la
création de ce courant sont bien décrites dans L. Ouss (2009) et elles sont relativement
diverses pour ce qu’on peut en juger. L’émergence de la neuropsychanalyse a débuté à partir
des années 1980 aux Etats-Unis en réponse à une crise majeure de la psychanalyse due à un
ensemble de critiques qui ont été adressées à la psychanalyse de l’extérieur mais aussi de
l’intérieur avec des conflits au sein des différents courants. Il y a eu également et surtout une
refonte du système de remboursement des soins médicaux avec par exemple l’élimination du
diagnostic de la névrose (DMS III) conduisant à un non remboursement des séances de
psychanalyse par les assurances et par conséquent une réduction importante du nombre de
personnes en analyse. Et pour finir, l’apparition de nouveaux psychotropes en psychiatrie et
l’apparition d’autres thérapies concurrentes plus proches des neurosciences (comme la TCC12
et la systémique…) est venue réduire encore un peu plus l’emprise de la psychanalyse. En
France, la crise est moins présente et la psychanalyse a encore beaucoup d’influence mais les
critiques sont nombreuses que ce soit de manière externe (Le Livre noir de la psychanalyse,
11MBSR pour « Mindfulness Based Stress Reduction Program » est un programme de réduction du stress basé
sur la pleine conscience qui est une méthode de méditation laïque de plus en plus utilisée dans le milieu médical.
12 Thérapie Cognitivo-Comportementale.
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !52
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !53
sociaux, et le fait que les neurosciences elles-mêmes ont mises en évidence des capacités
d’apprentissage très importantes chez l’enfant, en viennent à sous-estimer les déterminismes
génétiques. On ne peut pas opposer inné et acquis (Ramus, 2012). Dans certains cas, le fait de
prendre en compte les facteurs neuro-développementaux explicitement permet de faire une
plus grande place à la diversité et à la singularité de chacun qui ne sont pas uniquement
associées aux facteurs sociaux : « Le concept de « neurodiversité » « [Celui-ci] est utilisé par
les associations de personnes autistes, qui redéfinissent l’autisme comme un autre mode de
fonctionnement cognitif, et non comme une maladie. L’emploi de ce terme a été généralisé
pour désigner toute personne présentant un mode de pensée différent (hyperactivité,
syndrome bipolaire, etc.) » (Chamak, 2012, p. 211). Ce concept, d’un autre mode de
fonctionnement cognitif, introduit par J. Singer, est très développé dans les pays anglo-saxons
où, par exemple, les universités font une place importante à des chercheurs « Aspies » (ceux
qui présentent un syndrome d’Asperger) dans une relation au bénéfice de chacun. Ce
mouvement commence à apparaître en France13. La notion de neurodiversité met en avant la
singularité de chaque individu dans ce qu’il hérite dans sa manière de fonctionner mais aussi
dans le parcours de sa vie et en particulier la stigmatisation de la société face à sa différence
(Davis & Braun, 2012 ; Aron, 1996).
La découverte des neurones miroirs a généré de très nombreux débats au niveau
neuroscientifique, psychologique, sociale et philosophique (Rizzolatti & Sinigaglia, 2011 ;
Ramachandran, 2011 ; Andler 2016) soulevant également de nombreuses critiques et
controverses (Hickok, 2009, 2014 ; Morin & Grèzes, 2008). Cette découverte, fortement
associée aux neurosciences sociales, a remis en avant l’étude de l’empathie (Berthoz &
Jorland, 2004 ; Iacoboni, 2009 ; Attigui & Cukier, 2011 ; Decety & Christen, 2012 ; Antoine
et al., 2014 ; Besse et al., 2014) et l’importance du mimétisme (Spinoza, (1677) ; Tarde,
1890 ; Girard, 1978 ; Decety & Nadel, 2002 ; Lebreton 2012). Les liens entre les neurones
miroirs et l’énaction et l’incarnation ont été également très débattus (Caramazza, 2014 ; Cook
et al,. 2014) et l’implication de la découverte des neurones miroirs a également été discutée
au niveau de la psychothérapie (Stern & Gallese, 2015 ; Oughourlian, 2016). Il est intéressant
de noter que le désir mimétique tel que théorisé par R. Girard avait été défini auparavant par
Spinoza et ensuite par G.Tarde. Ce sont E. Debray et C. Lazzeri (2007, 2011), Y. Citton & F.
Lordon (2008) et J.M. Oughourlian (2013) qui ont relevé ce rapprochement entre Spinoza et
R. Girard. Nous reprenons ici les citations faites par Oughourlian14 (2013) sur la manière
explicite dont Spinoza présente le désir mimétique : « Dans la proposition XXXI : « Si nous
imaginons qu’un autre aime ou désire ou hait ce que nous-mêmes aimons, désirons ou
haïssons, par là même nous aimerons, désirerons ou haïrons l’objet avec plus de constance »
et dans la démonstration de cette même proposition : « Du seul fait que nous imaginons que
quelqu’un aime quelque objet, nous aimons cet objet. » […] Puis proposition XXXV : « […]
cet appétit est d’ailleurs stimulé si l’on imagine qu’un autre désire pour lui-même le même
objet. » Enfin, la scolie de la proposition XXXIX : « Nous ne désirons rien parce que nous
aurions jugé que cela est un bien, mais qu’au contraire nous l’appelons bien parce que nous
le désirons. ». Spinoza avait donc déjà vu la réalité mimétique et les deux façons dont peut
évoluer la rivalité mimétique : arracher à l’autre l’objet de son désir, le lui prendre et se
aussi d’apprendre à réfléchir et à mémoriser. Il est important pour l’adulte de comprendre que
l’âge de l’enfant est un paramètre essentiel à prendre en compte et qu’il ne faut donc pas lui
attribuer des intentions d’adulte. Jusqu’à l’âge de 5 ans, un enfant n’a pas la même capacité de
gérer ses émotions qu’un adulte. Il va donc agir sans recul en proie à l’angoisse ou à
l’inquiétude et il aura besoin d’un adulte qui le comprenne pour s’apaiser et mettre des mots
sur ses émotions.
Ainsi une éducation bienveillante semble essentielle au bon développement du cerveau, aussi
bien dans le domaine cognitif qu’affectif. Connaître le fonctionnement et les étapes de
développement du cerveau peut donc aider les adultes dans leurs relations avec leurs enfants
pour leur offrir la chance de devenir un jour des adultes épanouis qui auront à leur tour un
comportement bienveillant vis-à-vis de leurs enfants. Ainsi les menaces ou les cris, les
humiliations verbales et les punitions corporelles conduisent par la suite à des adultes
anxieux, dépressifs ou au contraire violents ou entraine chez eux des perturbations
physiologiques qui, installées, sont souvent à la base de difficultés affectives et
comportementales. Tout cela ayant bien évidemment un impact globale sur la société. Que les
sciences cognitives dans son ensemble et bien évidemment pas uniquement les neurosciences
alimentent un discours permettant de réduire la violence éducative ordinaire semble salutaire.
Le neuroscepticisme
Comme nous l’avons déjà noté l’enthousiasme suscité par les neurosciences a été au moins
proportionnel aux critiques qui lui ont été adressées. Ainsi l’envie de passer au crible les
prétentions des neurosciences dans leur projet d’expliquer l’esprit et le social a été partagée
par un grand nombre de chercheurs, en épistémologie, en psychologie et en sociologie
principalement mais également au sein des neurosciences elle-même. Toute une littérature et
un champ disciplinaire se sont construits autour de cette critique des neurosciences et de son
impact dans la société, avec de nombreux ouvrages et articles qui témoignent de
l’engouement et de la nécessité d’une telle analyse critique. Le but des neurosciences critiques
est de créer un espace dans et autour du domaine des neurosciences pour analyser les fins et
les coûts de l'utilisation de plus en plus important du cerveau pour expliquer et intervenir dans
les comportements individuels et collectifs. Cet objectif encourage une approche empirique
qui cherche à aller au-delà de la rhétorique de l'adhésion ou du rejet non critique des
neurosciences. Ce qui réunit cet ensemble d’outils et de concepts, c’est d’une part le rejet du
scientisme réductionniste et individualiste qui se différencie de la culture du savoir et de la
société et qui imprègne une grande partie de la littérature et de son « neuro-battage »
environnant. D'autre part, l'objectif est de travailler à une approche intégrée du comportement
qui situe le cerveau et la cognition dans le corps, le milieu social et le monde politique. Les
titres de ces ouvrages parlent d’eux même et afin de bien réaliser l’ampleur de ce mouvement
nous en citons quelques-uns ici par ordre de parution :
- Neuromania: On the Limits of Brain Science. Legrenzi & Umilta, 2011.
- Neurocultures: Glimpses into an Expanding Universe. Ortega & Vidal, 2011.
- The Neuroscientific Turn. Transdisciplinarity in the Age of the Brain. Littlefield &
Johnson, 2012.
- Critical Neuroscience. A Handbook of the Social and Cultural Contexts of Neuroscience.
Choudhury & Slaby, 2012.
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !56
- Neuro: The New Brain Sciences and the Management of the Mind. Rose & Abi-Rached,
2013.
- Le cerveau n'est pas ce que vous pensez. Images et mirages du cerveau. Guillaume et. al.,
2013.
- Neuroscepticisme : les sciences du cerveau sous le scalpel de l’épistémologue. Forest,
2014.
- Neurosciences et société : enjeux des savoirs et pratiques sur le cerveau. Chamak &
Moutaud, 2014.
- Sciences et technologies émergentes : pourquoi tant de promesses ? Audétat, 2014.
- Neuroscience and Critique: Exploring the Limits of the Neurological Turn. De Vos &
Pluth, 2015
- La silhouette de l'humain : Quelle place pour le naturalisme dans le monde
d'aujourd'hui ? Andler, 2016.
- Being Brains: Making the Cerebral Subject. Vidal & Ortega, 2017.
- La mécanique des passions : cerveau, comportement, société. Ehrenberg, 2018.
Ces ouvrages sont pour la moitié environ des recueils d’articles regroupant ainsi toute une
communauté d’épistémologues décortiquant le « tournant neuronal » ou/et la montée du
naturalisme portée par les neurosciences. La plupart des critiques adressées aux neurosciences
par ces ouvrages sont bien résumées par les questions posées par D. Forest (2014) : 1) Quelle
confiance accorder aux méthodes utilisées par les neurosciences et en particulier l'imagerie
fonctionnelle cérébrale ? 2) Les neurosciences contribuent-elles réellement à la connaissance
de l'esprit ou ces deux aspects sont-ils définitivement distincts ? 3) L’étude du cerveau sans la
prise en compte du corps dans son ensemble n’est-elle pas vouée à l’échec ? 4) et enfin
l’étude de la cognition peut-elle se passer de la dimension sociale ? Ces questions
s’intéressent toutes au problème du niveau de complexité nécessaire à prendre en compte pour
aborder le problème de la cognition comme nous l’avons vu précédemment. Il est indéniable
que pour comprendre la cognition il faille prendre en compte l’organisme dans son ensemble
et l’interaction qu’il a avec son environnement et en particulier avec ses congénères et que
donc les réponses aux questions 3 et 4 sont forcément « oui ». Est-ce que cela signifie pour
autant que toutes les approches qui ne prennent pas ces paramètres en compte en créant des
conditions expérimentales où ils sont considérés comme contrôlés et stables sont invalides ?
Certes non et l’histoire des neurosciences montre qu’il est souvent contre-productif de vouloir
complexifier trop rapidement les protocoles expérimentaux avec le risque de ne pas
comprendre les résultats que l’on obtient (Hubel & Wiesel, 1998). Il faut de plus comme nous
l’avons vu tenir compte des contraintes expérimentales qui sont importantes et qui limitent la
prise en compte des différents contextes. Il n’est pas possible dans tous les cas d’étudier le
système nerveux dans toute sa complexité sans réduire celle-ci expérimentalement, pour un
temps au moins. Le plus important est de ne pas transformer une contrainte expérimentale en
justification théorique comme cela a été trop souvent fait. Tous les niveaux d’investigations
sont importants en neurosciences et chaque étude apporte une pierre à l’édifice globale. Il
manque cependant un véritable champ de neurosciences intégratives qui auraient pour but
d’articuler l’ensemble de ces niveaux d’intégration entre eux. Même si le projet HBP s’est
souvent présenté comme voulant remplir ce rôle, ce n’est pour l’instant pas le cas.
Globalement cette littérature finit par converger vers les paradigmes 4EA et incite les
neurosciences à prendre toujours plus en compte de contexte. Elle reste dans une approche
naturaliste mais globalement conteste l’approche réductionniste. Les critiques et analyses
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !57
réalisées par ces ouvrages sont toutes à fait pertinentes et faites dans un esprit constructif vis à
vis des neurosciences. Nous les partageons pour la plupart et en particulier la nécessité de
faire un énorme effort dans la communication autour des neurosciences afin d’éviter les
raccourcis qui véhiculent un réductionnisme inutile, comme par exemple : « tomber
amoureux, c’est chimique » (Vincent, 2004).
L’accueil des neurosciences par les chercheurs en sciences humaines et sociales (SHS) a été
double, soit un accueil favorable, soit un rejet total. Cette scission au sein des sciences
sociales semble cependant refléter principalement les positions naturalistes versus anti-
naturalistes qui pré-existaient avant l’essor des neurosciences. L’association avec les
neurosciences a souvent été perçue comme une quête de légitimité pour les disciplines
impliquées et critiquée comme telle (Panese et al., 2016). Le fait que les sciences de l’homme
et de la société soient considérées ou non comme une science a animé beaucoup de débats.
Leur immaturité scientifique d’un point de vue méthodologique a été tout à la fois pointée du
doigt par les naturalistes et assumée par les anti-naturalistes et les défenseurs de la spécificité
de leur discipline. De nombreux philosophes, psychanalystes, sociologues se sont exprimés
pris par un sentiment d’urgence face à la menace montante que semblait constituer les
neurosciences et la montée du naturalisme. Ils dénoncent tout un ensemble de craintes : le
neurocentrisme, qui consisterait à réduire l’homme à son cerveau, le déterminisme de nos
comportements rendant impossible toute connaissance de soi et décision de soi, le
réductionnisme transformant l’homme social en homme neuronal, l’atteinte à la liberté de
l’esprit humain et en particulier le sacro-saint libre arbitre et enfin un naturalisme forcené qui
déstabiliserait l’homme de son piédestal (Benasayag, 2016 ; Gabriel, 2017 ; Zarka, 2013,
2014). Selon M. Benasayag (2016), le fait que les mécanismes du fonctionnement du cerveau
puissent être modélisés serait la quatrième blessure narcissique infligée à l’homme par la
science après celles infligées par Galilée et Copernic, Darwin et Freud. Dans l’ouvrage de M.
Gabriel (2017), la perspective adoptée par l’auteur dans l’introduction est clairement
annoncée comme anti-naturaliste et il se présente comme un fervent défenseur de « notre
liberté (de notre libre-arbitre) contre cette idée largement répandue que quelqu’un, ou
quelque chose, pourrait nous la confisquer à notre insu –que ce soit Dieu, l’Univers, la
Nature, le cerveau ou la société ». De plus le « bon sens » est sollicité comme une évidence
pour appuyer la thèse du dualisme : « Je soutiens qu’il existe des réalités non matérielles et
considère que cette idée relève du simple bon sens, qu’elle est parfaitement compréhensible »
ou encore « Pour comprendre la signification de notions comme Moi, conscience, soi,
volonté, liberté ou esprit, il ne faudrait donc pas questionner la philosophie, la religion ou le
simple bon sens, mais étudier le cerveau, l’analyser avec les méthodes des neurosciences […]
Je conteste cette opinion et j’en viens ainsi à la thèse critique essentielle de cet ouvrage : Le
Moi n’est pas le cerveau ! ». Ce qui est toujours étonnant avec ce genre d’argumentation c’est
qu’effectivement il y a une évidence dans l’existence de l’esprit, de la conscience, du soi, de
la volonté ou encore de la liberté, ce sont des sentiments, sensations qui sont bien
expérimentés pour chacun d’entre nous (bien que certaines pathologies vont venir affecter
certains de ces phénomènes) et les neurosciences cognitives n’ont jamais prétendu éliminer
ceux-ci mais bien au contraire en faire l’émanation « du bon sens » par excellence et en
donner une explication à un niveau psychologique à travers par exemple le sentiment
d’agentivité (Haggard, 2008).
- DOSSIER -
Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !58
Pour M. Benasayag (2016) les critiques sont d’un autre ordre mais il a et donne une image des
neuroscientifiques dans laquelle peu se reconnaîtront (p. 9) : « Pour la technoscience
contemporaine, connaître exige dans une certaine mesure que l’on divise en éléments
distincts le système étudié et […] ce réductionnisme physicaliste (tout doit être compris selon
les lois de la physique) ignore toute existence d’un niveau ou d’une dimension d’organisation
qui dépasserait les parties élémentaires constituant l’organe. La plupart des études
scientifiques actuelles suivent ainsi une approche Bottom up, c’est dire du bas – les parties –
vers le haut – le tout. Pour la tendance aujourd’hui dominante dans la recherche, ce « tout »
ne serait rien de plus qu’une somme des parties. » Comme nous l’avons vu, l’approche
« bottom-up » n’est pas l’approche dominante en neurosciences si l’on considère l’ensemble
de ses disciplines et, quand elle est associée à une approche de corrélation structure-fonction,
elle reste indispensable pour avoir une explication mécanistique au niveau neuronal. De plus
une grande majorité des neuroscientifiques aujourd’hui se situent dans le paradigme des
systèmes émergents et défendent un réductionnisme faible inhérent à toute démarche
scientifique (Gold & Stoljar, 1999). Les citations provocatrices et absurdes, malheureusement
célèbres de F. Crick : « Vous, vos joies et vos peines, vos souvenirs et vos ambitions, votre
perception de l'identité personnelle et du libre arbitre, ne sont, en fait, rien de plus que le
fonctionnement d'un vaste assemblage de cellules nerveuses et de leurs molécules associées.
Vous n'êtes rien d'autre qu'un paquet de neurones. » (Crick, 1994) ne représente en aucun cas
le point de vue dominant, ni même le sien d’ailleurs si on compare l’ensemble de ses écrits
(Gold & Stoljar, 1999). Les neurosciences pour reprendre le titre de F. Ramus (2014) seraient
« un épouvantail bien commode » et il considère également que les neuroscientifiques ne sont
pas réductionnistes et la crainte du réductionnisme « est tout à fait infondée et ne peut résulter
que d’une mauvaise appréciation de l’évolution générale des sciences » (Ramus, 2014).
Comme nous l’avons vu précédemment, l’analyse de Gold & Stoljar (1999) montre que la
doctrine neuronale radicale est finalement peu défendue et repose principalement sur un
malentendu et des abus de langage.
Pour les anti-naturalistes, le danger produit par les neurosciences semble néanmoins
immense : « La connaissance du cerveau par les cerveaux eux-mêmes n’est pas seulement
une grande avancée pour le savoir de l’humanité : la mise à jour des mécanismes cérébraux
est au centre de ce qu’on peut considérer comme la dislocation de toute une culture, des
croyances et des principes qui fondaient notre civilisation (Benasayag, 2016, p. 18) » ou
encore « L’étude du cerveau interroge les bases mêmes de ce que l’on considère
culturellement comme le sujet humain. Car si l’amour, la quête de liberté, nos tropismes et
notre mémoire sont des effets plus ou moins illusoires de processus physiologique cérébraux,
c’est l’unité même de l’homme, son « moi » qui semble se disperser, se disloquer dans un
mouvement centrifuge. Or pour nombre de chercheurs en neurosciences, le sentiment même
d’« être soi » est une illusion crée par le cerveau pour servir à certaines fins, mais qui n’a
pas de réalités en soi… » (Benasayag, 2016. p. 29). Ainsi les découvertes en neurosciences
rendraient « illusoire » l’homme à lui-même, le positionnement philosophique naturaliste
viendrait donc modifier fondamentalement le rapport à notre sentiment même de liberté ou
encore le sentiment que nous avons un esprit, comme si l’homme en adoptant le point de vue
naturaliste était pris soudain du sentiment de n’être qu’une machine, et même pas « un
automate intelligent ».
Dans le livre de Benasayag, les craintes à l’encontre des neurosciences sont associées à celles
du courant trans-humaniste dont les liens avec les neurosciences et les sciences cognitives
- DOSSIER -
Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !59
semblent évidents vu de l’extérieur avec notamment le rapport NBIC15 (Roco & Bainbridge,
2002) mais beaucoup moins vu de l’intérieur, c’est-à-dire pour les chercheurs en sciences
cognitives qui ne se reconnaissent pas, pour la plupart, dans cette ambition d’augmenter les
capacités intellectuelles de l’homme par la technologie. D’ailleurs la notion de trans-
humanisme est un paradoxe en soi, pour pouvoir éventuellement augmenter l’intelligence
humaine avec la technologie il faudra comprendre l’humain et le vivant et cette
compréhension ne peut que passer par un projet de naturalisation étendue permettant de
replacer l’humain à sa juste place au sein de la nature alors que le projet trans-humanisme est
profondément anti-naturaliste dans la place qu’il donne à l’homme au-dessus de la nature.
Plus on deviendra « intelligent » et vertueux, dans le sens de l’éthique de Spinoza, et moins
nous aurons envie de devenir trans-humaniste.
Pour H. Atlan (2018) reprenant C.P. Snow, le fossé entre les sciences de la nature et les
humanités « les deux cultures » ne fait que s’amplifier face à la peur devant « la fin de
l’humanisme » ou comme on l’a vue, la fin du sujet (humain). C’est le préjugé finaliste, la
projection de causes finales dans les représentations, bien identifié par Spinoza qui serait à
l’origine de cette scission encore bien présente aujourd’hui. L’héritage philosophique
défendant le finalisme est certes assez conséquent et pesant (Leibnitz, Kant, Bergson…) et
l’intuition et le bon sens ne font qu’alimenter ce sentiment. Se défaire de ce préjugé finaliste
permet d’être dans l’ordre du philosopher selon Spinoza mais il n’est pas simple de s’en
défaire aussi facilement. Dans les explications fonctionnelles par exemple, les effets et les
causes sont inversées, on utilise les effets pour définir les causes, comme par exemple dans
l’image que l’on a d’un champ récepteur visuel que l’on définit à travers l’image du stimulus
que l’on a utilisé pour le définir. Ainsi l’explication fonctionnelle nous apparaît riche de sens
mais ne donne aucune explication sur l’origine de ce sens. Se défaire du préjugé finaliste est
encore un enjeu et une nécessité pour le naturalisme et les sciences cognitives aujourd’hui,
même si des progrès certains ont été fait : « Il a fallu attendre les deux révolutions, de la
biologie moléculaire dans la seconde moitié du XXe siècle et de la biologie post-génomique
ou systémique de la fin du siècle, faisant suite à la théorie néodarwnienne de l’évolution par
mutations aléatoires et sélection, pour que l’on puisse commencer à concevoir des
mécanismes par lesquels en effet des choses aussi « stupéfiantes » que les organismes aient
pu se faire elles-mêmes » (Atlan, 2018 p. 46.). Nous retrouvons également ici une
préoccupation centrale de F. Varela quand il proposa l’approche enactive pour comprendre la
cognition et l’origine du sens et aujourd’hui de la biologie évolutionniste qui s’intéresse aux
origines des différentes formes du vivant.
les neurosciences. Être naturaliste c’est considérer que « la nature embrasse tout ce qui
existe » et il existe bien évidemment de multiples variantes du naturalisme « Mais ce qui unit
toutes ces variétés de naturalismes, c’est la visée – […] la « pulsion naturalisante » : être
naturaliste, c’est se donner pour objectif de dissiper une illusion, celle d’un statut spécial,
séparé, de certaines entités, phénomènes, connaissances ; c’est vouloir unifier, ou réunifier le
réel. » (Andler, ce volume). Dans le naturalisme il y a une recherche de cohérence face à
l’ensemble des connaissances dont nous disposons. La pulsion naturaliste c’est vouloir
comprendre et se donner les moyens de comprendre et d’agir sur le cours des événements, que
ce soit pour sa propre vie ou pour l’évolution de notre société. Nous retrouvons la même
volonté d’unité et d’étendue dans le naturalisme « intégral et repensé » de Espinoza (2014) :
« D’après le naturalisme qui anime cette réflexion – que je propose d’appeler « intégral et
repensé » –, rien n’existe en dehors de la nature ; tout ce qui existe est naturel, produit d’une
série de causes naturelles, y compris, bien entendu, l’homme et les faits qui le touchent de
près : son existence, l’histoire et sa connaissance, les valeurs éthiques et esthétiques ».
Mais le naturalisme rencontre aussi, comme nous l’avons vu, beaucoup de résistances,
suscitant la plupart du temps des débats passionnés principalement au sein des sciences
humaines et sociales et des philosophes non naturalistes. Les enjeux et les conséquences
pratiques d’une attitude naturaliste vs anti-naturaliste pour la science et la société humaine
sont nombreux et déterminants pour l’avenir, ce que chaque partie va revendiquer dans ce
débat. Le naturalisme étant un concept large nous reprenons ici la définition qu’en donne D.
Andler (2011) car elle est relativement complète et ouverte et présente le naturalisme
épistémique : « Nous entendrons par naturalisme, de manière restrictive, la thèse
philosophique selon laquelle toutes les sciences doivent et peuvent viser à traiter de leurs
objets respectifs à la manière des sciences de la nature, car ces objets appartiennent
nécessairement à l’ordre de la nature ; et par naturalisation les programmes de recherche en
cours visant à rendre compte du mental et du social en les considérant uniquement sous leurs
aspects naturels, ou encore en les traitant comme des objets naturels. Ces programmes sont
largement inclus dans les sciences cognitives et dans la biologie évolutionniste, ou en
dérivent directement. Un corollaire du naturalisme ainsi conçu, qu’on peut aussi prendre
comme sa thèse centrale, est que les sciences sont appelées à une unification, par-delà la
division traditionnelle entre sciences de la nature et sciences de l’esprit (de l’homme et de la
société) » (p. 16). La référence ici au « sciences de la nature » est suffisamment vague pour y
inclure les sciences de la matière et les sciences du vivant et tous les courants qui les
composent et qui ne sont pas tous forcément réductionnistes. Une idée forte et simple du
naturalisme est que la démarche scientifique (au sens large) est préférable à toutes les autres
pour acquérir des connaissances sur tous les sujets et même ceux (et surtout ceux) qui
touchent à l’humain, le mental et le social.16
La relation entre la montée du naturalisme et l’essor des neurosciences est complexe et il est
difficile de savoir si c’est l’essor des neurosciences qui alimente la thèse naturaliste ou si c’est
la thèse naturaliste qui fait son chemin au sein de la société, indépendamment des
neurosciences, et l’intérêt pour les neurosciences serait le reflet et non le moteur du
16 Nous ne retiendrons donc pas les définitions du naturalisme qui l’associent uniquement à un physicalisme
comme Husserl qui définit le tenant du naturalisme comme celui qui « ne voit rien qui ne soit à ses yeux nature
et avant tout nature physique. Tout ce qui est, ou bien est de l’ordre proprement physique et fait partie de
l’ensemble homogène de la nature physique, ou bien peut être d’ordre psychique, mais n’est alors qu’une simple
variable dépendante de l’ordre physique, au mieux un « épiphénomène » de second rang » (conférence « la
philosophie comme science rigoureuse », cité par Moinat, 2012).
- DOSSIER -
Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !61
naturalisme (Lemerle, 2011). Le fait est que l'expansion des sciences du cerveau semble se
produire dans le contexte de changements tangibles au sein de la société notamment dans la
place croissante donnée à la science dans la manière de gérer nos vies. L’intégration des
sciences, leurs applications et leur financement semblent se dérouler de concert avec les
tendances qui impliquent les neurosciences, les discours revivifiés sur la nature humaine,
l'évolution, la résilience, l'intelligence émotionnelle, les ressources humaines ou encore le
« capital mental ». Ces aspects ont tous fleuri autour de l'idée que de nouvelles preuves issues
des neurosciences transforment les notions de la nature humaine. Une analyse approfondie et
critique des programmes naturalistes des sciences cognitives, des neurosciences et des
approches évolutionnaires a été réalisée par D. Andler (2016). Si l’on considère le naturalisme
comme une thèse métaphysique (et non comme une thèse empirique), il ne peut être ni rejeté
ni validé de manière définitive et ceci quelle que soit la pertinence de la démarche
scientifique, ses avancées et ses succès importants dans d’innombrables domaines car ceux-ci
ne seront jamais suffisants aux yeux des anti-naturalistes, il y aura toujours pour eux des
domaines qui résisteront à l’approche scientifique (et ce se sera probablement le cas
effectivement). Ainsi tout comme D. Andler (2016) je préfère considérer le naturalisme
comme une attitude et un parti pris qui s’impose à ceux qui l’adoptent et qui le mettent en
pratique à travers les différents programmes de recherche scientifique, au sein des sciences
humaines et sociales et en philosophie. Le naturalisme est selon lui « une attitude combinant
la méfiance à l’égard de toute hypothèse divisant le réel en deux régions et la confiance dans
la capacité humaine à le connaître » (p. 13). Et les divisions du réel sont nombreuses : Nature
vs Culture, Individu vs Personne, Inné vs Acquis, Corps vs Esprit, Action vs Pensée, Animal
vs Humain, Affect vs Intellect, Matériel vs Spirituel, Déterminé vs Non Déterminé, Nécessité
vs Liberté, Instinct vs Moralité… Le naturaliste va considérer qu’il n’est pas possible de
formuler de telles divisions et que le faire ne peut que générer des obstacles importants à la
compréhension de l’humain. D’ailleurs, Il faut relever une confusion concernant le
naturalisme quand il est renvoyé dos à dos avec l’anti-naturalisme (Heinich, 2012) alors que
ces deux positionnements ne sont pas du tout symétriques. Le naturaliste ne prétend nullement
que la culture n’existe pas ou même qu’elle est moins importante que le côté « naturel » de
l’homme mais que la culture est un phénomène naturel et que l’on peut en étudier les origines
(chez l’homme et l’animal) et ses manifestations avec une approche scientifique à plusieurs
niveaux d’analyse.
Si le naturalisme part du principe que tout est naturel, il s’ensuit que toute science sera une
science de la nature puisque l’objet de son étude est naturel, cela ne signifie pas, comme nous
l’avons déjà précisé, que toute science devra être construite sur le modèle des sciences de la
nature actuelles (physique, chimie, biologique). Nous retombons sur le débat de comment
imaginer les relations (élimination, intégration, fusion ou encore autonomie) entre la
psychologie, les sciences humaines et sociales et les neurosciences. Le naturalisme est
souvent associé à une démarche réductionniste où les sciences humaines et sociales devrait
être absorbées par les sciences de la nature, tandis que l’anti-naturalisme soutiendrait que les
deux types de sciences pourraient cohabiter sans réduction de l’une à l’autre (Andler, 2016).
Je partage l’analyse de Cova (2016) que le débat actuel en science est différent : le naturaliste
plaide la plupart du temps pour une intégration sans réduction des différentes sciences
(naturelles, psychologiques et sociales) tandis que l’anti-naturaliste rejettent obstinément toute
continuité entre ces sciences. La confusion vient de ce que les anti-naturalistes ne peuvent pas
concevoir une approche naturaliste sans réductionnisme alors que pour de nombreux
- DOSSIER -
Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !62
défenseurs du naturalisme c’est tout à fait possible (Espinoza, 2006, 2014 ; Schaeffer, 2007 ;
Kaufmann & Cordonier, 2011 ; Morin, 2012) : « La naturalisation réductionnisme actuelle se
sert tout simplement de la stratégie réductionniste que Descartes avait employée pour le
monde non humain en l’étendant au dualisme interne. Or, une telle stratégie n’a de sens que
dans un cadre dualiste : pour pouvoir réduire un pôle à un autre il faut en amont avoir posé
un cadre composé de deux pôles, dont ensuite on va considérer un comme étant vide. Les
réductionnistes se présentent parfois comme des monistes, mais à tort, car un véritable
monisme, tel celui de Spinoza, n’a que faire d’une démarche réductionniste. La
« naturalisation » réductionniste n’est que du cartésianisme retourné contre lui-
même. » (Schaeffer, 2007, p. 209). Nous retrouvons les mêmes types de débat, transposés
quasi à l’identique, entre anti-naturaliste et naturaliste en psychologie, en sociologie et en
psychanalyse : les anti-naturalistes défendent l’autonomie et l’intégrité de leur discipline bec
et ongle avec comme principale (et parfois unique) argument l’opposition à tout
réductionnisme. Les naturalistes répondent alors en expliquant qu’ils ne sont pas
réductionnistes et la réponse qui est faite est qu’ils le sont « forcément ». Nous illustrerons un
exemple d’un tel débat dans les sciences sociales.
affichant une flèche sur un écran, tellement rapidement que la personne ne peut la voir
consciemment, on arrive à influencer fortement la décision en faveur du côté désigné par la
flèche. Ainsi, comme on pouvait s’y attendre, toute prise de décision est influencée par ce qui
se passe dans notre environnement proche dont nous pouvons avoir conscience ou non. Ici
seul l’expérimentateur est conscient de la présence du stimulus subliminal que lui-même ne
voit pas mais il sait qu’il l’a programmé dans son protocole. La suite de l’expérience est
encore plus intéressante, après que les participants aient poussé le bouton, une couleur
apparaît et il leur est demandé d’évaluer leur responsabilité dans le choix de cette couleur. Si
on précède l’action de flèches subliminales et que la personne suit cette indication (de
manière inconsciente), elle a l’impression d’avoir eu plus de contrôle sur le résultat en
évaluant plus fortement sa responsabilité. Dans le choix totalement libre sans influence, le
sentiment de responsabilité est faible, la personne prend une décision mais sait qu’elle aurait
très bien pu en prendre une autre. Haggard (2008) présente ce résultat comme paradoxal, en
lien avec la notion d’illusion. Le paradoxe ici n’est apparent que si nous avons une
perspective objective de la réalité du monde. L’information subliminale, même si elle n’est
pas perçue de manière consciente, va être intégrée et participer à la prise de décision, celle-ci
sera donc plus contrainte par rapport à une prise de décision totalement libre et d’une certaine
manière aléatoire. L’information importante ici est que la prise de décision n’est pas une
délibération consciente. Nous sommes exactement dans la même situation que les expériences
de psychologie sociale de Joules & Beauvois et de la théorie de l’engagement dans leur
« Petit traité de manipulation à l’usage des honnête gens » (Joules & Beauvois, 1987, 1998).
Si une influence extérieure (ou une manipulation), non perçue comme telle par le sujet, le
conduit à faire une action, cette action est interprétée par celui-ci comme libre et émanant de
lui et l’engagement dans cette action sera important. Comme précédemment dans l’expérience
de Haggard, le choix et l’action sont fortement déterminés. Si le sujet a conscience de ce qui
le détermine, ce qui le force à agir (contrainte externe), son sentiment de responsabilité et
d’engagement dans l’action est réduit. Ainsi dans les travaux de Joules et Beauvois sur les
techniques de manipulation ils comparent un changement de condition sur une population
contrôle et une population test. S’ils obtiennent un changement radical de comportement entre
les deux populations, ils attribuent ce changement au seul changement de la condition testée.
Ils rapportent que d’expliquer aux personnes testées qu’elles ont été « manipulées » et que
leur comportement a été déterminé par les conditions qu’ils ont mis en place les a exposés au
mécontentement et au déni de ces personnes. Ceux-ci revendiquaient que les décisions qu’ils
avaient prises étaient totalement libres et ils n’acceptaient pas les conclusions de nos deux
chercheurs. Ainsi refuser la remise en question du libre arbitre en déclarant l’individu libre de
ses choix, quelles que soient les conditions, autorisent les formes de manipulations les plus
efficaces. Il suffit pour cela de masquer simplement les contraintes conduisant un individu à
agir pour qu’il se considère à l’origine de l’action et qu’il soit engagé dans cette action. De
plus, plus les contraintes seront importantes et masquées et plus son sentiment de liberté et de
responsabilité sera renforcé. Sa croyance dans son libre arbitre ne lui permet pas de remettre
en question sa prise de décision et d’essayer de comprendre les contraintes, non conscientes,
qui l’ont poussé à agir. Il fait confiance à son processus de délibération consciente fictionnelle
fonctionnant a posteriori. Depuis les fameuses expériences de B. Libet (Libet et al. 1983), la
question du libre arbitre en neurosciences et dans les sciences cognitives a été largement
discutée (Dennett, 2004 ; Libet, 2012 ; Gazzaniga, 2013 ; Appourchaux, 2014 ; Blitman,
2012, 2013 ; Cova, 2015 ; Boudesseul, 2015 ; Loth, 2017 ; Roskies, 2006, 2010 ; Wegner,
- DOSSIER -
Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !64
17Spinoza n’est cependant pas cité de manière explicite dans le livre de K. Appourchaux mais selon l’auteur :
« Spinoza est présent en filigrane tout au long de mon livre » (communication personnelle).
18La conférence « Moving Naturalism Forward » s’est déroulée en 2012 à Berkshire (USA) et avait pour objectif
de réunir des scientifiques et des philosophes de renom pour discuter les nombreuses facettes du naturalisme.
- DOSSIER -
Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !65
manière spéciale », ce qui veut dire, en fin de compte, pas du tout. » (Pigliucci, 2013) Ainsi le
problème principal concernant le libre arbitre est la difficulté pour certains de repenser la
notion de responsabilité indépendamment de la question du libre arbitre. Cette difficulté
provient d’une vision dualiste du corps et de l’esprit même chez les philosophes qui
prétendent la rejeter par ailleurs (Atlan, 2018). Le monisme de Spinoza propose une
philosophie émancipatrice où l’individu à travers sa compréhension des contingences
augmente son autonomie d’action et finit ainsi par réconcilier son sentiment de liberté
immédiat associé à son autonomie. « Je suis sujet non pas comme un empire dans un empire,
échappant au déterminisme, mais en comprenant et en connaissant les déterminismes de la
nature qui agissent en moi et me font agir. Et c’est dans cette activité que je me constitue
comme sujet. » (Atlan, 2002, p. 40). Le sentiment de liberté de Spinoza au final n’est pas
différent du sentiment du libre arbitre où l’individu se voit agir mais ne connaît pas les causes
de ses actions (et donc se les attribue), ici l’individu agit et parce qu’il a développé son
autonomie et son intuition, il s’associe pleinement à son action, il a donc un sentiment
d’agentivité, un sentiment de liberté et de responsabilité important. C’est ici un point essentiel
qui permet de réconcilier deux aspects de la liberté qui sont souvent mis en opposition : « Il
semblerait que quelque chose échappe au déterminisme de la chaîne infinie des causes et ce
serait justement la façon de le comprendre et de l’utiliser, l’adhésion consciente au
questionnement qu’il met en branle, son approfondissement comme commencement de
sagesse, et finalement la joie que procure ce processus lui-même. En fait, un déterminisme
externe – par des causes extérieures – est remplacé par un déterminisme interne, la « vertu »
au sens spinoziste, que définit le déterminisme des idées adéquates. » (Atlan, 2002, p. 50).
Ainsi adoptée une attitude naturaliste ne doit être considérée en aucun cas comme un
renoncement à la notion de liberté, de responsabilité et d’éthique. La philosophie de Spinoza
permet de donner un cadre au naturalisme de la science et aux sciences cognitives en
particulier pour construire cette éthique et réconcilier la science et les humanités : « […] La
progression des démonstrations « géométriques » de l’éthique nous permet non seulement de
souhaiter mais surtout de comprendre comment il est possible d’associer à un mécanisme
total de la nature, y compris celle de l’homme comme de l’animal, une nouvelle sorte de
liberté. Comprendre aussi comment, contrairement aux idées reçues, une éthique est possible
dans un monde où nos choix sont déterminés, avec une forme de responsabilité plus élevée, où
nous pouvons être amenés à répondre de ce que nous n’avons pas choisi. Cette liberté par la
connaissance est alors d’autant plus réelle qu’elle ne repose pas sur une croyance au libre
arbitre de plus en plus problématique au fur et à mesure que sont découverts des mécanismes
déterminant nos comportements, mais sur une connaissance elle-même libérée, par l’usage
raisonné de la pensée et la joie qu’elle procure au sujet qui s’y adonne, et en retire de ce fait
un souci effectif de l’autre homme. Les deux cultures ne sont alors pas condamnées à se
séparer et à ne plus se comprendre au fur et à mesure des progrès des connaissances
scientifiques. Bien au contraire, c’est par là qu’elles peuvent se rejoindre » (Atlan, 2018
p. 51).
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !66
Les relations entre neurosciences et les sciences sociales ont été particulièrement bien
explorées et la littérature souligne que les sciences humaines et sociales à travers les neuro-
disciplines semblent entrer dans « l’âge du neurone ». (Ehrenberg, 2008 ; Feuerhahn, 2011a,
2011b ; Panese et al., 2016). Les « neurosciences sociales » sont activement promues par une
communauté de sociologues qui souhaitent s’approprier les acquis des neurosciences et des
sciences cognitives afin de développer une nouvelle interdisciplinarité capable en étudiant le
fonctionnement social du cerveaux expliquer les mécanismes qui sous-tendent le
fonctionnement de la société et de la culture (Cacioppo et al., 2002)19 .
Bronner & Sauvayre (2011) dans un ouvrage collectif explorent les deux manières de
concevoir le naturalisme dans les sciences sociales : soit une conception méthodologique, en
utilisant les méthodes des sciences de la nature, soit une conception plus fondamentale ou les
découvertes dans le domaine des sciences cognitives permettent d’expliquer des aspects des
sciences sociales. Dans cet ouvrage de nombreux auteurs plaident en faveur du naturalisme et
dessinent une approche « continuiste » entre nature et culture. Sur le sujet qui nous intéresse
ici, Bronner (2011) traite directement des apports des sciences du cerveau à la connaissance
de l’esprit humain au sein de la société et en relation avec les sciences sociales. Le débat entre
naturalistes et anti-naturalistes en sociologie est intéressant et illustre comment les sciences
cognitives et les neurosciences peuvent alimenter notre compréhension dans le domaine social
(SociologieS, 2011)20. Force est de constater que la sociologie utilise, de manière plus ou
moins implicite, des modèles cognitifs de l’homme et que, dans tous les cas, ces modèles
doivent être réévalués à la lumière des découvertes empiriques des sciences cognitives. Ce
travail pourrait conduire du coup à réévaluer les modèles sociologiques précédents. C’est la
position de Kaufmann & Cordonier (2011) qui proposent une intégration naturaliste sans
réduction entre sociologie et sciences cognitives : « Même les paradigmes sociologiques les
plus opposés s’accordent pour traiter le social et le culturel comme le résultat d’un patient
travail de dénaturalisation qui creuse un fossé incompressible entre l’ordre réducteur des
causes naturelles et l’ordre respectable, de facture mentale ou sociale, des raisons, entre les
instincts de base de l’organisme et la logique de haut-niveau des significations partagées et
des normes culturelles. Or, l’objectif du naturalisme est précisément le dépassement de la
rupture interne entre l’humain et l’animal, entre l’histoire culturelle et l’histoire biologique. Il
vise à harmoniser, dans le sens de « rendre compatible », les hypothèses et les résultats des
sciences sociales avec ceux des sciences naturelles, entreprise qui incite la sociologie à
expliciter et à réviser les modèles cognitifs et anthropologiques auxquels elle fait
implicitement appel. Un des apports potentiels des sciences cognitives et, plus généralement,
du naturalisme est donc d’améliorer, de remplacer ou de falsifier, au sens poppérien du terme,
les modèles cognitifs et les conceptions anthropologiques sur lesquels se basent les sciences
de la société. » (Kaufmann & Cordonier, 2011, § 1). Ces auteurs tentent d’opérer un double
19L’article de Cacioppo (2002) est considéré comme un manifeste de ce courant qui a également une revue
(« Social Neuroscience ») et une association internationale (« The Society for Social Neuroscience », fondée en
2010) et de nombreux ouvrages collectifs couvrent à présent ce domaine (Cacioppo et al. 2002 ; Cacioppo &
Berntson, 2002, 2004 ; Decety & Cacioppo 2011 ; Decety & Christen, 2014). Nature Neurosciences a consacré
un ensemble de revues sur les neurosciences sociales « focus on social neuroscience » (Editorial Nature
Neuroscience, 2012 ; McCall & Singer, 2012 ; Zaki & Ochsner, 2012).
20 Un ensemble d’articles de la revue SociologieS est consacré au « naturalisme social » (https://
journals.openedition.org/sociologies/3594) et nous présentons ici plusieurs de ces articles.
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !67
mouvement, importer le « social » des sociologues dans les sciences cognitives et importer, en
retour, dans les sciences sociales les visions actuelles des sciences cognitives. Ils s’attaquent
pour cela aux présupposés implicites des sciences sociales qui sont remis en cause par les
sciences cognitives et les neurosciences. Le premier présupposé est que l’esprit humain serait
comme une page blanche que les arbitraires culturels et les morales sociales seraient à même
de remplir à leur guise. « l’esprit humain constituerait a priori une matière informe et
désorganisée, en attente de l’architecture que la société voudra bien lui conférer via le
processus de socialisation. » (Kaufmann & Cordonier, 2011, § 3). Cette vision est d’ailleurs
souvent appuyée par une argumentation utilisant les découvertes des neurosciences sur la
plasticité cérébrale, cette dernière étant considérée sans limite (Malabou, 2017). Les
neurosciences ne valident pas cette interprétation, il y a effectivement une forte plasticité
cérébrale, et qui est essentielle à la cognition, mais elle est contrainte à des domaines
d’expression particulier, nous apprenons à bouger, à voir, à parler, à interagir socialement…
La plasticité opère dans une structure pré-donnée qui lui donne son potentiel d’expression. De
plus les phénomènes de plasticité ne peuvent pas être dissociés des mécanismes
d’homéostasie (homéodynamique) en charge de maintenir l’intégrité de l’organisme puisque
ce sont ces mécanismes qui produisent du sens lors des apprentissages (A. Damasio, 2017).
Le second présupposé est « celui qui veut que les êtres humains, loin de naître sociaux, le
deviennent grâce à la force socialisante des systèmes culturels contingents et arbitraires dans
lesquels ils sont immergés. » (Kaufmann & Cordonier, 2011, § 7). Ainsi selon ce présupposé,
les humains seraient avant tout individualistes poursuivant des intérêts propres et seules les
contraintes sociales viendraient développer en eux l’intérêt commun. L’ensemble des travaux
sur l’empathie, la sympathie, le mimétisme, les affects, que ce soit en sciences cognitives, en
psychologie évolutive, en primatologie ou même en psychologie sociale21 montrent à quel
point l’homme est une espèce naturellement sociale : « L’être humain ne considère ni ses
pairs, ni la société comme une option facultative ou un choix stratégique ; il est une créature
premièrement et nécessairement pro-sociale dont le cerveau a été « pré-câblé » pour la vie en
société. » (Kaufmann & Cordonier, 2011, § 8). Ils citent également G. Tarde qui faisait de
l’imitation des individus par les individus et des dynamiques grégaires qu’elle entraîne, le
ciment de la société (Tarde, 1890 ; Citton, 2008).
Il faut donc changer d’échelle temporelle et se placer au niveau de l’évolution des primates
non humains et humain si l’on veut comprendre comment la vie sociale a contribué de
manière causale à la formation du cerveau social de l’humain. Le développement du cerveau
des primates jusqu’à l’humain serait le fruit de leur adaptation à la vie en groupe. Les études
sur les primates sont d’une grande richesse pour comprendre les origines de la culture
humaine et il existe dans la littérature de nombreux exemples pertinents par rapport à la
sociologie (de Waal, 2010, 2013, 2016 ; Chapais, 2017 ; Kaufmann & Cordonier, 2011). La
vie sociale des primates interroge les fondements même du social humain : « [L]e fait que les
primates non-humains mènent une vie sociale extrêmement complexe, alors même qu’ils ne
disposent pas d’une véritable théorie de l’esprit, plaide pour une autre forme de cognition
sociale : une cognition sociale primitive, qui n’est pas nécessairement reconfigurée de part en
part par la culture et qui permet aux humains d’intégrer le monde qui est le leur – un monde
« peuplé » de relations et de règles sociales et donc tout à fait compatible avec celui des
sociologues savants, qui peuvent ainsi importer, au sein des sciences cognitives, une autre
21 Nous renvoyons pour les citations à la partie sur les neurones miroirs dans la section neuroenthousisame.
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !68
définition de ce que « social veut dire. » (Clément & Kaufmann, 2011). On le voit, si l’on
souscrit au modèle continuiste et cumulatif de l’esprit en forme de « poupées russes », les
fortes similarités comportementales et cognitives entre différents types d’animaux sociaux, y
compris les êtres humains, deviennent instructives : elles révèlent les capacités de bas-niveau
qui sont nécessaires à la vie sociale et qui ont été longtemps enfouies dans la boîte noire de la
socialisation. » (Kaufmann & Cordonier, 2012, § 28).
La gestion des interactions sociales au cours de l’évolution permet aussi de comprendre
l’évolution rapide de la cognition humaine puisque par définition celle-ci devient de plus en
plus complexe et plus la cognition se complexifie et plus les interactions sociales se
complexifient aussi, produisant probablement l’émergence de la conscience humaine telle que
nous la connaissons aujourd’hui (Jaynes, 1994). Ainsi les arguments considérant que
l’environnement n’est pas suffisamment complexe pour expliquer l’émergence de la
conscience ne prennent pas en compte l’enrichissement progressif des interactions sociales.
Ainsi : « On le voit, l’hypothèse naturaliste d’un couplage évolutionnaire entre d’une part, la
société, qui est, en tant que système complexe de relations sociales, un produit naturel et
archaïque de l’évolution et, d’autre part, la sociologie naïve, qui est l’équipement cognitif
permettant aux animaux sociaux évolués de saisir, traiter et prédire les relations sociales, ne
discrédite en rien la sociologie. » (Kaufmann & Cordonier, 2011, § 10).
Ainsi on ne peut plus concevoir l’humain comme un individu primitivement isolé qui devrait
ensuite s’intégrer à un groupe social, que ce soit au niveau de l’évolution ou au niveau du
développement de l’enfant, le groupe social est omniprésent et constitutif de l’individu. Il
s’opère du coup, un véritable retournement de situation, le problème n’est plus dans la
constitution d’un individu social puisque celui-ci profondément mimétique et conformiste
l’est profondément (Citton, 2008) mais plutôt dans la constitution d’un sujet autonome et
singulier : « À l’échelle phylogénétique comme à l’échelle ontogénétique, le processus qui
permet aux individus de « faire sujet » est une conquête plus récente et certainement bien plus
artificielle que le processus qui permet aux êtres sociaux évolués de « faire société ». » et
aussi « Le naturalisme, en faisant de l’individu la résultante d’un processus
d’institutionnalisation et de la société un fait de nature, renverse ainsi l’énigme coutumière
des sciences sociales. » (Kaufmann & Cordonier, 2011, § 12) Ils précisent dans l’article
suivant : « Dans notre hypothèse, les interactions constantes avec l’environnement jouent un
rôle clé, que ce soit dans le long cours de l’évolution, dans le temps moyen de l’ontogenèse
ou dans le court terme de l’action située. L’idée même d’un couplage entre un ensemble de
capacités perceptuelles, inférentielles et catégorielles et l’environnement social confère une
place essentielle à l’épigenèse : le cerveau est le produit phénotypique des interactions du
génotype de l’organisme avec l’environnement physique et social dans lequel celui-ci se
meut. » (Kaufmann & Cordonier, 2012, § 24). Nous voyons que les auteurs même s’ils ne
citent pas explicitement le paradigme de l’enaction se situe directement dans cette lignée, ils
étendent le couplage avec l’environnement au physique et au social. Notons que la quête de
son autonomie, de sa singularité et de sa créativité se retrouve dans la démarche de la
philosophie de Spinoza qui l’associe à la quête de la vertu.
Ainsi le naturalisme qui tente de rendre compte des ressorts de l’adaptation comportementale
et cognitive à la vie sociale n’est pas un réductionnisme épistémologique puisqu’il ne favorise
pas un niveau d’explication par rapport à un autre. Le naturalisme social à la différence de la
sociologie va centrer ses études sur les invariants cognitifs et les formes sociales universelles
afin de rechercher le dénominateur commun cognitif des sociétés humaines. La recherche
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !69
d’invariant est inhérente à toute démarche scientifique qui cherche à comprendre dans un
premier temps les grands principes d’organisation avant de s’attaquer à l’étude des variations
de ses principes, ainsi pour le moment les neurosciences étudient le cerveau
« moyen » (Chamak, ce volume), les psychologues cognitifs l’homme « moyen » et les
naturalistes sociaux la société « moyenne ». Ainsi l’approche naturaliste, pour le moment,
focalise plus sur nos similitudes, ce qui nous rend semblables que sur nos différences bien que
l’un ne puisse pas être étudié sans l’autre. Ce changement d’attitude est important et est
souvent perçu comme une régression de la part des sociologues mettant en avant la richesse
de la diversité des sociétés humaines. Il semblerait néanmoins possible et souhaitable de
combiner ces deux approches, tout en extrayant les invariants, de ne pas masquer les
variations, témoignages des potentiels des différentes organisations, que ce soit en
neuroscience, psychologie ou sociologie. « La mise en évidence des universaux cognitifs n’est
d’ailleurs en rien incompatible avec une démarche soucieuse de la différenciation et de la
distribution sociale de la cognition – logiquement, en effet, il n’y a pas de différenciation sans
un principe d’unité » (Kaufmann & Cordonier, 2011, § 25). Ce problème d’invariants et de
variabilités dans les sciences cognitives a été discuté dans ouvrage collectif (Lautrey et al.,
2002) qui note qu’il y a une évolution importante dans ce domaine et que le regard porté sur
la variabilité évolue, due en particulier au fait que dans beaucoup de disciplines concernées
par la cognition, le rôle reconnu à la variabilité dans les mécanismes adaptatifs et les
processus d’auto-organisation a conduit à reconsidérer son statut (voir la partie sur le
déterminisme). Cette évolution s'applique aux différentes formes de variabilité que l’on peut
rencontrer dans les sciences cognitives : intra-individuelle, interindividuelle, intergroupes,
inter-langues, interculturelles, etc. Pour conclure sur la position du naturalisme en sociologie :
« Il apparaît clairement que le naturalisme ne menace aucunement la sociologie et qu’il est
bel et bien apte à amener, contrairement à ce que suggère Albert Ogien (2010), un nouvel
éclairage sur « la fluidité des échanges entre individus ». En effet, ce que le naturalisme met
en évidence, tout au moins dans sa version sociale, c’est précisément que le cerveau est par
excellence un organe adaptatif : il génère des hypothèses, anticipe en situation les actions
d’autrui, bref il se caractérise précisément par les facultés d’anticipation et d’ajustements
mutuels que requièrent la synchronisation et la coordination partiellement indéterminées des
activités sociales (Humphrey, 1976). Une telle capacité d’adaptation cognitive, que nous
avons désignée sous le terme de sociologie naïve, se développe aussi bien à l’échelle
ontogénétique du développement du petit d’homme qu’à l’échelle phylogénétique de
l’évolution des primates humains et non humains. » (Kaufmann & Cordonier, 2011, § 44).
La position anti-naturaliste peut être résumé par la réponse d’Ogien (2011). Selon lui 1) la
description scientifique des mécanismes cognitifs élémentaires ne fournit pas une explication
causale des conduites sociales qui pourrait se substituer à celles des sciences humaines et
sociales. 2) Le recours au naturalisme ne permet pas de remettre en cause les préconceptions
que ces dernières continuent à entretenir sur le fonctionnement cognitif de l’humain, et enfin
3) le programme de naturalisation de l’esprit implique forcément une forme de
réductionnisme. De plus selon lui, le social, de par la singularité de ces attributs ne peut en
aucun cas être soumis à une démarche scientifique équivalente à celle des sciences de la
nature. Nous pouvons répondre que la seule manière de le savoir est justement de le soumettre
à une telle démarche et de voir ce qui en ressort et tout a priori sur l’issue de cette démarche
s’apparente à du dogmatisme. Nous voyons bien ici la différence entre une démarche
naturaliste tentant d’unifier le réel et la démarche anti-naturaliste mettant en avant la
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !70
singularité de certains objets du réel imperméable à toute étude scientifique. Nous pouvons
bien évidemment considérer que certains objets de par leur complexité seront difficiles à
investir avec une démarche scientifique classique et nécessiteront le développement de
nouvelles approches permettant d’aborder cette complexité mais cela ne justifie pas une
position a priori sur cette démarche.
Néanmoins Ogien (2011) montre par ailleurs que de nombreux courants en sociologie sont
déjà arrivés aux mêmes conclusions que le naturalisme social défendu par Kaufmann &
Cordonier (2011). L’argument définitif porte évidemment sur le réductionnisme et le désir
« d’hégémonie » des sciences cognitives : « […] ce à quoi de nombreux chercheurs en
sciences humaines et sociales s’opposent n’est pas la recherche sur le fonctionnement
biochimique du cerveau et les découvertes qu’elle ne cesse de produire, mais l’hégémonie que
le « cognitivisme » tend à imposer à leurs domaines respectifs en avançant des arguments
fondés sur un réductionnisme fervent, même s’il se présente sous des traits plus amènes
aujourd’hui » (Ogien, 2011, § 10). Selon Ogien le discours de Kaufmann & Cordonier (2011)
est au final trop sociologique et pas assez réductionniste et serait rejeté par la grande majorité
des chercheurs en sciences cognitives qui excluent par principe dans leur démarche toute
allusion au « social ». Il lui suffit de citer l’avis d’un neuroscientifique réductionniste pour
affirmer que la grande majorité le sont. Nous avons déjà vu en étudiant le rapport en
psychologie et neurosciences que ce n’était pas le cas et ça l’est encore moins par les
neuroscientifiques s’intéressant au social. Ogien (2011) reprend la distinction classique, entre
des mécanismes cognitifs élémentaires, ceux décrits par les sciences cognitives, encapsulés
dans notre cerveau, et des capacités « épistémiques », décrites pas la sociologie, caractérisées
par leur autonomie, inventivité et réflexivité et produites spécifiquement par les êtres humains
pris dans le flux incessant de l’action en commun et donc irréductibles au cognitif. Cette
position correspond à un dualisme fort (Kaufmann & Cordonier 2012 ; Morin, 2012) et
reprend les oppositions classiques entre Inné vs Acquis que nous avons déjà discutées. Nous
le voyons, une difficulté dans la remise en question de ces divisions et qu’elles recoupent des
champs disciplinaires distincts. Il est classique de considérer que l’opposition entre nature et
culture constitue un acte fondateur de la sociologie moderne (Schaeffer, 2007). Selon Émile
Durkheim (1894), les institutions, comme faits de culture, se « surajoutent » à notre nature :
« Les sociétés humaines présentent un phénomène nouveau, qui consiste en ce que certaines
manières d’agir sont imposées ou du moins proposées du dehors à l’individu et se surajoutent
à sa nature propre, tel est le caractère des institutions. ». Ainsi la sociologie distingue
l’« individu humain » en tant que membre d’une espèce naturelle, biologiquement déterminé
et la « personne humaine » en tant qu‘être social, historiquement situé. Pour le naturalisme
social et les neurosciences sociales, cette distinction est un obstacle à la compréhension de
l’humain dans toutes ces dimensions et il est nécessaire de promouvoir l’interdisciplinarité
entre les sciences humaines et sociales et les neurosciences.
Une vision classique est que les neurosciences cognitives et la psychologie sociale sont
globalement en accord avec les courants sociologiques ou philosophiques se réclamant de
l’individualisme méthodologique. Selon cette approche, les phénomènes collectifs sociaux
peuvent et doivent être décrits et expliqués à partir des propriétés et des actions des individus
et de leurs interactions mutuelles en opposition au holisme qui considère que les propriétés
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !71
des individus ne se comprennent pas sans faire appel aux propriétés de l'ensemble auquel ils
appartiennent. Une approche ascendante s’opposerait à une approche descendante. Comme
nous l’avons vu pour les systèmes complexes, il n’est pas possible de prendre en compte
uniquement l’une ou l’autre de ces causalités ascendante et descendante mais nous devons
comprendre comment elles interagissent dans la compréhension des phénomènes sociaux en
considérant éventuellement différentes temporalités. Dans la mesure où les actions des agents
sont fonction de leurs croyances, dispositions et ressources, il est nécessaire de s'interroger sur
les origines de celles-ci de manière extérieure à l'individu puisqu'elles résultent du système
social. En effet, il est clair que chaque individu naît et vit au sein de structures sociales et
culturelles qui vont impacter son comportement, mais ces structures résultent des actions des
individus qui l'ont précédé et coexistent avec lui. Ses propres actions contribuent à façonner
les structures au sein desquelles vivent ses contemporains et vivront ses successeurs. Ainsi
nous avons une difficulté ici uniquement si l’on ne prend pas en compte la dimension
temporelle et que l’on considère « l’individu » comme d'une essence abstraite au lieu de
parler d'une multitude d'individus qui interagissent les uns avec les autres : ce qui constitue
une double erreur de raisonnement. J-P Dupuy a proposé la notion « d’individualisme
méthodologique complexe » pour rendre compte de ces doubles interactions et des propriétés
émergentes qui en résultent, les actions individuelles, guidées par les structures sociales,
s'agrègent et produisent des résultats non attendus qui modifient les structures sociales ; en
retour les structures sociales produisent des effets cognitifs sur les individus et déterminent en
partie leurs actions et ainsi de suite (Chavalarias, 2006). L'évolution sociale est donc le
résultat de cette dialectique entre action et structure, l'idée étant qu'il est impossible de réduire
l'un à l'autre, même si elles sont fortement interdépendantes.
F. Lordon (2010, 2011, 2013, 2017) avec sa lecture de la philosophie de Spinoza a une
analyse très proche : « D’où viendra alors le complément de détermination qui permettra de
rendre intelligible l’action humaine ? Du dehors de l’individu humain, mais du dedans du
monde humain – c’est-à-dire du monde social. Voilà pourquoi le naturalisme spinoziste
n’empêche en rien qu’il y ait quelque chose comme des sciences sociales : car ce sont les
collectivités humaines dans leur ensemble – et dans leur ensemble non seulement
synchronique mais diachronique – qui déterminent leurs membres à se mouvoir de telles ou
telles façons. Voilà donc aussi pourquoi le principe ontologique du conatus, dès lors qu’il se
projette dans la déterminité historique et sociale, est susceptible d’engendrer les formes
individuelles et collectives d’agir les plus variées : à la mesure de la productivité infinie de la
Nature quand celle-ci se manifeste comme auto-affections des corps sociaux. Ainsi, pour
donner à sa vision de l’action humaine le caractère très particulier du conatus comme effort
d’effectuer ses puissances, une anthropologie spinoziste : a) accueille toute la diversité des
ethoï individuels ou collectifs ; b) dénie toute autonomie, tout autofondement à l’action
individuelle – puisque le conatus est en attente de l’exodétermination qui, de force désirante
intransitive, va le faire se mouvoir transitivement, c’est-à-dire vers des objets déterminés ;
c) rapporte cette exodétermination à l’effet sur soi des « autres hommes », à la fois comme
autres individus et comme corps ; d) en appelle nécessairement à toutes les autres spécialités
des sciences sociales pour éclairer dans leur complexité les forces à l’œuvre dans ce procès
d’exo-détermination sociale. » (Lordon, 2017).
Ainsi les neurosciences sociales sont sans équivoques une manière de naturaliser les sciences
sociales mais il existe d’autres courants de naturalisation au sein des sciences sociales qui ne
se réfèrent pas directement aux neurosciences (Andler, 2011 ; Quéré, 2013). Bien que les
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !72
neurosciences et les sciences cognitives alimentent la thèse naturaliste (Andler, 2017) il n’est
pas nécessaire d’attendre une accumulation d’évidences de leur côté pour adopter une attitude
naturaliste et l’ordre du philosopher cher à Spinoza (Atlan 2018). F. Lordon & Y. Citton
(2008) dans l’ouvrage collectif « Spinoza et les sciences sociales » propose un naturalisme
social autour de la philosophie de Spinoza qui ne fait pas référence aux neurosciences.
L’article d’introduction, « Un devenir spinoziste des sciences sociales » (Lordon & Citton,
2008), montre que Spinoza a pensé des thèmes-clés pour les sciences sociales comme
l’économie des affects ou la constitution des corps politiques. Selon eux « la philosophie de
Spinoza pourrait bien non seulement avoir été décisive pour la constitution des sciences
sociales, mais fournir aujourd’hui encore un cadre de référence capable de redynamiser la
réflexion actuelle ». Ainsi si l’on suit les auteurs, le rapport entre la philosophie de Spinoza et
le développement des sciences sociales relève d’une évidence à condition de prendre un parti
pris au sein des sciences sociales relativement radical par rapport aux thèses dominantes et
aux principes mêmes sur lesquels elles se sont constituées. Les auteurs commencent par
définir un socle commun de ce que serait le spinozisme comportant cinq « thèses-positions »
que nous présentons en citant largement nos deux auteurs afin d’en révéler l’analogie avec le
débat des neurosciences au sein des sciences humaines que nous avons présenté
précédemment :
1. « Le spinozisme est un naturalisme intégral. » Son projet consiste à défaire l’homme de
tout statut d’exception dans l’ordre de la nature et à récuser strictement qu’il puisse être
conçu « comme un empire dans un empire » (Éthique, III, Préface).
2. « Le spinozisme est un déterminisme intégral » Ainsi rien ne saurait échapper à
l’enchaînement des causes et des effets, pas même les agissements des hommes.
3. « Le spinozisme est un anti-humanisme théorique. » Si Spinoza remet en question le libre
arbitre, toute sa philosophie s’attache à comprendre et à accroître la puissance d’agir de
l’homme et à considérer la liberté éthique comme le plus haut point du cheminement
personnel et la liberté politique comme le plus haut bien que puisse viser une société
humaine.
4. « Le spinozisme dénonce par avance les illusions de l’individualisme méthodologique ».
« Faire des sciences sociales dans une perspective spinoziste n’implique nullement de
renoncer à décrire des formes d’actions individuées – le conatus, cet effort que déploie
chaque chose pour persévérer dans son être (Éthique, III, 6), n’est-il pas l’indice même
d’un pôle individuel d’activité ? Cela exige toutefois d’abandonner l’idée de les rapporter
au travail de consciences autonomes et libres » « Spinoza offre aux sciences sociales une
approche qui ne fétichise ni « l’individu » ni « la communauté » mais qui permet de rendre
compte de façon souple – parfois contre-intuitive, mais d’autant plus éclairante – des
questions d’indivi-duation, à tous les niveaux, en termes de processus constituants.
5. « Le spinozisme propose une approche purement relationnelle des réalités humaines. ».
« D’une part, notre individu n’est composé que du rapport (interne) de ses composants
(lequel rapport est bien entendu davantage que la simple juxtaposition de ses parties) ;
d’autre part, nous ne sommes ce que nous sommes que par les rapports (externes) que
nous entretenons avec l’ensemble des autres objets qui composent notre « milieu ». Ici
encore, on voit en quoi cette approche résonne profondément avec celle qui caractérise –
ou du moins qui devrait caractériser – les problématiques posées par les sciences sociales,
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Revue – Pour un devenir spinoziste des neurosciences !73
CONCLUSION
Cette revue, bien que déjà longue ne couvre qu’une petite partie du champ des neurosciences
au sein des sciences de la cognition et de nombreux aspects auraient nécessité d’être mieux
explorés. Nous n’avons probablement pas abordé suffisamment dans le détail les critiques qui
ont été adressées aux neurosciences et qui sont importantes et utiles. Il est nécessaire que les
neuroscientifiques se mobilisent pour apporter des réponses à celles-ci, et j’espère que cette
revue y aura en partie contribué.
Nous avons jalonné cet article de revue sur les neurosciences au sein des sciences de la
cognition de citations de l’éthique de Spinoza et du livre d’Atlan (2018) afin de faire ressortir,
du moins nous l’espérons, l’éclairage qu’apporte la philosophie de Spinoza dans les sciences
cognitives et les neurosciences aujourd’hui. Tout comme Lordon & Citton, qui
s’interrogeaient sur « un devenir spinoziste des sciences sociales ? » (2008) nous plaidons
pour un devenir spinoziste des neurosciences. Expliquons si nécessaire à présent pourquoi.
Afin de bien respecter l’ordre du philosopher, Spinoza considère qu’il n’y a pas de finalité
dans la nature et la notion de causes finales dans la nature est la source de nombreuses
confusions qui par exemple conduit aux erreurs méréologiques (projection anthropo-
morphiques sur des constituants biologiques). Spinoza peut être considéré comme le premier
des philosophes naturalistes modernes (Guillemeau, 2011) dans la mesure où il est le premier
à définir clairement la nature en tant que somme de tout ce qui existe et à refuser
explicitement tout recours à des causes extérieures dans l'explication du monde22 . D’une
certaine manière, l’adhésion ou le rejet des causes finales au sein de la nature peuvent être
considérés comme une ligne de séparation entre anti-naturaliste et naturaliste. Pour Spinoza
l’ensemble du vivant, y compris l'humain, se situe dans la nature et il n’ignore pas pour autant
les différences de degrés d'aptitudes entre des espèces d'individus faits de corps plus ou moins
composés, et plus ou moins complexes. Cette unité de la nature le conduit à formuler un
monisme clair, avec une seule substance exprimée de deux manières différentes sous les
attributs de la matière et de la pensée. Cette unité du corps et de l’esprit qui a été largement
commentée permet à notre avis de bien positionner les neurosciences et les sciences de
l’esprit de manière autonome l’une par rapport à l’autre, l’une étant l’expression de la matière
et l’autre de l’esprit, sans qu’il y ait de confusions possibles. À noter que la position des
neurosciences cognitives qui sont, d’une certaine manière, partagées entre les neurosciences
et la psychologie et la nature des explications fonctionnelle ou mécanistique qu’elles
fournissent, fait encore largement débat chez les philosophes des neurosciences (voir Piccinini
& Craver, 2011 ; Boone & Piccinini, 2016 ; Kaplan, 2017). Pour notre part nous considérons
qu’une explication mécanistique doit être réalisée au niveau neuronal uniquement et respecter
la clôture opérationnelle du système même si évidemment certains niveaux d’abstraction
semblent possibles. Les explications faisant intervenir une projection fonctionnelle dans le
modèle n’en font pas partie mais ces explications fonctionnelles sont tout autant nécessaires
pour une compréhension complète de la cognition. Ainsi, nous nous distinguons de la vision
intégrative des neurosciences cognitives qui considère que les mécanismes neuronaux
viennent expliquer les différentes composantes d’un schéma fonctionnel plus globale et de
l’approche fonctionnelle qui considère que le niveau de description fonctionnelle est suffisant
pour comprendre la cognition.
Une conséquence importante de l’unité du corps et de l’esprit dans la philosophie de Spinoza
est que puisque c’est la même entité, il ne peut pas y avoir de relation de cause à effet entre le
corps et l’esprit, ni entre l’esprit et le corps. Ainsi l’esprit n’est pas quelque chose qui
émergerait du corps et l’esprit n’a pas le pouvoir de « changer le cerveau » (Le Van Quyen,
2016). De plus les causalités croisées entre le corps et l’esprit sont la plupart du temps des
corrélations décalées dans le temps (Atlan, 2003). L’intérêt pour les neurosciences et la
psychologie d’adopter clairement deux explications distinctes d’une substance unique est que
chacun développera un mode explicatif sans « contamination » de l’autre. Cela incitera par
exemple beaucoup plus les neurosciences à identifier l’origine du sens, sujet cher à F. Varela,
plutôt que de s’accommoder trop rapidement du sens fourni par l’analyse fonctionnelle. Nous
avons également présenté en détail les systèmes complexes et les modèles d’auto-organisation
et en particulier l’émergence, à un niveau global d'organisation, de propriétés qualitativement
différentes de celles des constituants pris individuellement, ce qui nous a permis de rejeter de
manière claire le réductionnisme et le holisme qui ne permettent pas d’appréhender l’étude du
vivant et de la cognition. La philosophie de Spinoza est également riche pour sa théorie des
affects (Damasio, 2003) et sa théorie, entre autre, du mimétisme (Citton, 2008). Un autre
positionnement important chez Spinoza est sa remise en question de la nature du libre arbitre
tout en fondant une philosophie de la liberté basée sur la compréhension de nos
déterminismes. Ceci fait largement écho aux découvertes des neurosciences et de la
psychologie sociale qui vont dans le même sens à ce sujet. Nous avons discuté la nécessité de
dissocier le libre arbitre de la notion de responsabilité, qui est au cœur de la plupart des
résistances aujourd’hui et des crispations sur ce sujet.
Ce qui nous amène à notre conclusion : le spinozisme est le devenir des neurosciences dans le
sens où celui-ci permet de penser les conséquences des découvertes des neurosciences « en
avance » si l’on peut dire, en particulier, et c’est là un point essentiel, la notion de liberté. Le
cadre naturaliste des neurosciences, déterministe mais où la contingence existe, émergentiste,
c’est-à-dire non réductionniste et non holistique, ni matérialiste ni idéalistes, que j’ai essayé
d’esquisser ici devrait permettre de réconcilier les neurosciences et les humanités. Cette
posture, j’en ai bien conscience, n’est pas forcément partagée par l’ensemble des
neuroscientifiques et le débat ne fait sans doute que commencer. Redonnons la parole pour
finir à H. Atlan qui résume bien ici le devenir spinoziste des neurosciences : « C’est donc déjà
à un niveau conceptuel fondamental que la philosophie spinoziste peut nous aider à aborder
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