Vous êtes sur la page 1sur 409

Table des Matières

Page de Titre

Table des Matières

Page de Copyright

Dédicace

COLLECTION U • PSYCHOLOGIE

Remerciements

Avant-propos

CHAPITRE I - Fondements de la neuropsychologie


Introduction

Bases neuro-anatomiques

Principales pathologies neurologiques

Fondements historiques

La neuropsychologie cognitive : fondements théoriques

Conclusion

CHAPITRE 2 - Méthodes d'évaluation


Introduction

L'examen neuropsychologique

Objectifs et exigences de l'évaluation neuropsychologique

Les étapes de l'évaluation neuropsychologique

Évaluation neuropsychologique générale

Conclusion

CHAPITRE 3 - La mémoire
Introduction

Le concept multisystème de la mémoire (Tulving, 1972-2005)

La mémoire à court terme

La mémoire à long terme

Les systèmes de mémoire implicite

Examen neuropsychologique de la mémoire

Clinique appliquée. Présentation des deux patients

Conclusion

CHAPITRE 4 - Troubles du langage et du calcul


Introduction

Troubles du langage oral

Troubles du langage écrit. Introduction à l'approche cognitive

Troubles du calcul. Généralités

Clinique appliquée. Présentation de deux patients

Conclusion

CHAPITRE 5 - La reconnaissance visuelle et l'imagerie visuelle


Introduction

La reconnaissance visuelle des objets

Les agnosies visuelles

Troubles de l'imagerie visuelle

Clinique appliquée. Présentation de cas

Conclusion

CHAPITRE 6 - Les capacités visuo-spatiales et visuo-constructives


Troubles des capacités visuo-spatiales

Troubles des capacités visuo-constructives


Clinique appliquée. Présentation de deux patients

Conclusion

CHAPITRE 7 - Les gestes volontaires, les gestes involontaires et les


représentations corporelles
Les troubles du geste volontaire

Troubles de la réalisation des gestes volontaires appropriés

Les gestes involontaires : déficit du contrôle des actions motrices

Les troubles des représentations corporelles

Conclusion

CHAPITRE 8 - Les fonctions des lobes frontaux


Introduction

Notions de neuroanatomie

Les fonctions « clés » des lobes frontaux

L'évaluation des fonctions exécutives

Troubles du comportement et de la personnalité

Clinique appliquée. Présentation de deux patients

Conclusion

CHAPITRE 9 - La maladie d'Alzheimer et autres démences


La maladie d'Alzheimer. Introduction

Autres démences corticales : les démences fronto-temporales

Les démences sous-corticales

La démence à corps de Lewy

Les démences vasculaires (DV)

Conclusion
CHAPITRE 10 - Contributions de la neuroimagerie fonctionnelle à la
neuropsychologie
Introduction

Notions de base de l'imagerie cérébrale

Neuropsychologie et neuroimagerie fonctionnelle

Conclusions

Conclusions générales
BIBLIOGRAPHIE

GLOSSAIRE

INDEX THÉMATIQUE
© Armand Colin, 2007 pour cette 2e édition
© Armand Colin, 2005
978-2-200-25681-4
Illustration de couverture : © Bettmann/CORBIS

Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous


procédés, réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation
intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées
dans le présent ouvrage, faite sans l'autorisation de l'éditeur, est illicite et
constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d'une part, les
reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non
destinées à une utilisation collective et, d'autre part, les courtes citations
justifiées par le caractère scientifique ou d'information de l'œuvre dans
laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code
de la propriété intellectuelle).
ARMAND COLIN ÉDITEUR • 21, RUE DU MONTPARNASSE •
75006 PARIS
Deuxième édition
À mes patients. À Christelle et à Guillaume.
COLLECTION U • PSYCHOLOGIE

dirigée par Claude BONNET et Jean-François RICHARD

Parmi nos parutions en psychologie

Collection U
L. CHANQUOY, A. TRICOT et La charge cognitive, 2007.
J. SWELLER
A. CHALON-BLANC Inventer, compter et classer. De Piaget aux débats actuels, 2005.
J.-F. RICHARD Les activités mentales, 2004, 4e édition.
S. et P. ANGEL Les toxicomanes et leurs familles, 2003.
C. BONNET, F. LESTIENNE Percevoir et produire le mouvement, 2003.
Collection Cursus
V. ROUYER La construction de l'identité sexuée, 2007.
N. FIORI Les neurosciences cognitives, 2006.
J.-F. BRAUNSTEIN, É. Histoire de la psychologie, 2005, 2e édition.
PEWZNER
E. SPINELLI, L. FERRAND Psychologie du langage. L'écrit et le parlé, du signal à la
signification, 2005.
E. SIÉROFF La neuropsychologie. Approche cognitive des syndromes
cliniques, 2004.
S. NICOLAS Mémoire et conscience, 2003.
Collection Sociétales
Y. GINESTE, J. PELLISSIER Humanitude, 2007.
C. GORE L'adoption, 2007.
C. DURIF-BRUCKERT La nourriture et nous, 2007.
M. ANAUT Soigner la famille, 2005.
A. CHANNOUF Les influences inconscientes. De l'effet des émotions et des
croyances sur le jugement, 2004.
Un grand merci à Olivier Després et Anne Emmanuel qui ont pris le
temps de lire le manuscrit, pour leurs commentaires toujours intéressants.
La première édition de cet ouvrage a été écrite au cours d'un semestre
(2005) de l'année de CRCT (CNU 69e section, Neurosciences) accordée par
le ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la
Recherche.
Avant-propos
« Il faut savoir que la source du plaisir, de la joie, du rire, du
divertissement tout comme celle du chagrin, de la douleur, de l'anxiété et
des larmes, n'est nulle part ailleurs que dans le cerveau. C'est cet organe
qui nous permet de penser, d'écouter, de faire la distinction entre la laideur
et la beauté, le mal et le bien, l'agréable et le désagréable... C'est le cerveau
également qui est le siège de la folie et du délire, des peurs et des frayeurs
qui nous assaillent, souvent la nuit, mais aussi le jour; c'est là où se
trouvent les causes de l'insomnie et du somnambulisme, des pensées qui
fuient, des devoirs oubliés et des excentricités. »
La « Collection Hippocratique » (environ 425 av. J.-C., in Marshall, 2003)

La neuropsychologie clinique, née dans la seconde moitié du XIXe siècle,


est devenue 100 ans plus tard une discipline scientifique, grâce à l'approche
cognitive qui consiste en l'application de la théorie du traitement de
l'information aux fonctions cognitives humaines. Ainsi complétée dans les
années 1960, la neuropsychologie scientifique est, dans plusieurs pays
européens, une ressource essentielle des services de neurologie, de
neurochirurgie, de gérontologie, de neuropsychiatrie... Son objectif
fondamental est celui d'évaluer les capacités cognitives endommagées par
une lésion cérébrale, d'établir en détail les fonctions qui sont restées
relativement ou totalement préservées et, le cas échéant, de mettre en place
un programme de rééducation neuropsychologique en s'appuyant sur les
capacités existantes, et d'en assurer l'échange avec les professionnels
(orthophonistes, ergothérapeutes) chargés d'appliquer ces programmes. Par
ailleurs, le neuropsychologue a comme objectif d'interagir avec des
psychologues et des assistants sociaux pour guider, dans la mesure du
possible, la prise en charge du patient cérébro-lésé et ce, en étroite
collaboration avec la famille de celui-ci.
Différentes branches de la neuropsychologie sont en plein essor en
France, comme par exemple, la neuropsychologie cognitive et la
neuropsychologie du développement. Chacune de ces sous-disciplines
requiert une spécialisation, les connaissances dans une matière n'étant pas
totalement généralisables aux autres domaines. Ainsi, la spécificité de la
neuropsychologie du développement est le déficit d'acquisition des
fonctions alors que chez le sujet adulte, une lésion cérébrale va
endommager des fonctions cognitives acquises.
L'approche cognitive de la neuropsychologie clinique s'appuie sur l'étude
des troubles des fonctions supérieures, au moyen d'une méthodologie qui lui
est propre : l'analyse de cas et de groupes sélectionnés de patients. Cette
approche nécessite également l'utilisation pertinente de modèles théoriques
et la maîtrise des outils d'examen que sont les tests. Ce savoir-faire
bénéficie des connaissances de l'organisation cérébrale fonctionnelle et des
antécédents historiques y compris la notion de syndrome, notamment dans
le domaine des troubles du langage (sachant que le terme « syndrome » est
plus utilisé comme un raccourci qui facilite la communication entre
professionnels que comme une réalité clinique). Plus concrètement, les
termes « cognitif » et « clinique » qui figurent dans le titre de cet ouvrage,
indiquent que, dans la mesure du possible, nous appliquons dans la pratique
clinique les modèles cognitifs. Un premier changement visible par rapport à
la neuropsychologie clinique tout court est que le compte rendu
neuropsychologique peut viser des sous-composantes de l'architecture
fonctionnelle. [À titre d'exemple, « Le langage est altéré dans son versant
expressif» devient «L'altération de la dénomination d'exemplaires vivants
(animaux, fruits) est plus importante que celle d'objets manufacturés
(meubles, vêtements) »]. Cette compréhension plus détaillée du
dysfonctionnement cognitif pourra être utilisée, dans certains cas, comme
base d'un programme de rééducation.
Nous abordons, dans le premier chapitre, les fondements neuro-
anatomiques et historiques, les bases conceptuelles de la neuropsychologie
cognitive et le positionnement des principaux représentants du courant
cognitiviste par rapport à la neuroimagerie fonctionnelle. Les méthodes
d'évaluation constituent le chapitre 2. Les différents déficits cognitifs, les
études de cas et l'application des tests, sont abordés dans les 7 chapitres
suivants. Ces chapitres comportent une partie descriptive des
caractéristiques comportementales et neurologiques et une partie appliquée,
où l'on trouve les éléments nécessaires pour réaliser une évaluation
neuropsychologique flexible dans la pratique clinique quotidienne. Pour ce
faire, on utilise des modèles cognitifs de référence, quand ces modèles ont
montré leur utilité, ainsi que l'évaluation et les conclusions des cas
cliniques. L'évaluation dite flexible ou adaptée est issue de l'école
d'Elizabeth K. Warrington, école qui est le résultat de plus de 40 ans de
pratique constamment améliorée et qui représente, par excellence,
l'approche cognitive clinique. Enfin, le dernier chapitre est un aperçu de la
contribution de la neuroimagerie cérébrale, tout particulièrement de
l'imagerie fonctionnelle à la neuropsychologie.
CHAPITRE I

Fondements de la neuropsychologie

Introduction

La neuropsychologie humaine étudie la relation cerveau-comportement


comme bien d'autres branches des neurosciences auxquelles elle appartient.
Le terme « comportement » en neuropsychologie, est pris dans son acception
la plus large pour y inclure l'étude des fonctions mentales supérieures et
l'étude de l'émotion. Le but est ainsi de comprendre comment différents
mécanismes cérébraux sous-tendent des fonctions comme le langage,
l'attention, la mémoire, la résolution de problèmes, etc. Cette approche de la
relation cerveau-comportement rend ainsi nécessaire un travail
interdisciplinaire de la neuropsychologie avec la neurologie, la psychologie
cognitive et la neuropsychiatrie. L'introduction de l'imagerie cérébrale
fonctionnelle dans certains volets de la recherche neuropsychologique ne
diminue pas l'utilité des modèles théoriques issus du courant cognitiviste. Au
contraire, les modèles théoriques bénéficient d'une plus solide assise
scientifique grâce à la convergence de données (voir plus bas). Par ailleurs,
nous savons également que la pertinence des antécédents historiques de la
discipline est considérée comme étant indépendante des progrès
technologiques. Contrairement à d'autres branches scientifiques, la
neuropsychologie bénéficie de l'étude de l'évolution de la pensée qui a conduit
à l'aboutissement actuel du concept d'organisation cérébrale de la fonction
quelle que soit la méthode employée. Ainsi, la description clinique d'un
patient du XIXe siècle, basée sur l'observation pertinente et quelques tests,
garde son à-propos et les enseignements tirés de la description restent valides
(McCarthy et Warrington, 1990). L'élément central, aussi bien il y a 120 ans
qu'aujourd'hui, est la maîtrise avec laquelle les patients sont examinés et la
conséquente clarté des conclusions.

Bases neuro-anatomiques
En raison de son fonctionnement dynamique, de sa connectivité et de ses
relations avec le corps et le monde extérieur, le cerveau humain est un
système unique qui se trouve parmi les objets les plus complexes de l'univers.
Une raison en est, certes, d'ordre quantitatif : plus de 100 milliards de cellules
nerveuses et de 50 classes différentes détectées à ce jour. Ce sont des données
impressionnantes, mais il existe une autre raison. Par-delà la surabondance de
cellules nerveuses et de types de ces cellules, il a été suggéré qu'il n'existe pas
deux neurones identiques. Cette spécialisation au niveau cellulaire, ainsi que
le degré inimaginable de complexité de leurs connexions et de leurs réseaux,
sont les éléments qui confèrent au cerveau sa singularité. On estime que dans
le cortex cérébral, qui possède à lui seul 30 milliards de neurones, ces
connexions s'élèvent à un million de milliards. À partir de ces données, le
nombre de circuits neuronaux possibles serait de 10 suivi d'un million de
zéros. Ce nombre hyperastronomique dépasse largement toute estimation du
nombre de particules dans l'univers connu (Edelman et Tononi, 2000). Ce
système unique et mystérieux, puisque encore largement inconnu, occupe un
petit volume avec un poids d'environ 1,2 kg qui correspond à la masse
encéphalique. Comme le cerveau n'a pas de squelette et que la masse
encéphalique subirait une pression si elle s'appuyait sur la base de la boîte
crânienne, la solution « trouvée » par l'Évolution est que le cerveau flotte dans
le liquide céphalo-rachidien, secrété par les ventricules (latéraux, troisième et
quatrième) et qui, grâce aux villosités arachnoïdiennes, se renouvelle
constamment.

Les explications actuelles sur le cerveau sont fondées sur la théorie de


l'information [de Shannon (1916-2001) qui postule pour la première fois la
communication comme un problème rigoureusement mathématique]. Les
neurones forment un gigantesque réseau qui intègre, traite et transmet
l'information grâce aux signaux électriques et aux messagers chimiques. Les
commentaires, même succincts, sur les fondements neuro-anatomiques de la
neuropsychologie, doivent inclure quelques notions élémentaires des
mécanismes de communication qui sous-tendent les fonctions cérébrales.
Rappelons d'abord que la recherche en neurophysiologie a progressé de
manière extraordinaire depuis les célèbres travaux sur la synapse du lauréat du
Prix Nobel Charles Sherrington, en 1932, mais que malgré ces progrès, les
neurosciences en sont encore aux balbutiements dans pratiquement tous les
domaines qui concernent le cerveau. Un exemple suffit à illustrer l'importance
de la tâche à accomplir dans un domaine de recherche fondamentale :
l'étendue et le chevauchement des arborisations dendritiques sont tellement
intriqués que s'il est possible de tracer l'arborisation d'un neurone, la
microanatomie des arborisations des milliers de cellules nerveuses voisines, à
l'échelle de leurs synapses, est encore mal connue.

Un bref aperçu de la structure cérébrale

Si le fonctionnement général du neurone, d'un point de vue génétique ou du


point de vue de la synthèse de protéines, est bien similaire à celui des autres
cellules de l'organisme animal, le neurone est la seule cellule qui communique
avec d'autres au moyen de synapses. Les neurophysiologistes sont en mesure,
à présent, de détecter des structures synaptiques différentes d'après le type de
communication, excitation ou inhibition, effectué. Les synapses excitatrices
ou inhibitrices se font toujours au moyen de signaux électriques et,
prédominant dans le cerveau humain, chimiques. Le flux de certains ions, en
stimulant une portion déterminée de la membrane cellulaire, provoque une
diminution de la charge négative de l'intérieur du neurone ; cela entraîne la
production d'un signal électrique (le potentiel d'action) qui parcourt l'axone du
neurone et arrive à la zone synaptique. En raison de la fente synaptique qui
sépare deux neurones, il est nécessaire que le message électrique soit
transformé en message chimique pour que l'information soit transmise.
L'arrivée du potentiel d'action à la terminaison synaptique déclenche la
libération de neurotransmetteurs. Il existe des dizaines de ces molécules, les
plus connues étant l'acétylcholine, la sérotonine, les catécholamines qui
regroupent la dopamine, l'adrénaline et la noradrénaline, l'acide gamma-
amino-butyrique (GABA), le glutamate, l'histamine... Lorsque ces messagers
chimiques sont libérés dans le neurone présynaptique et déversés dans la fente
synaptique, ils peuvent activer le neurone postsynaptique et ainsi établir une
interaction avec les récepteurs localisés dans la membrane postsynaptique, ou
bien inhiber leur libération en se fixant sur leurs propres récepteurs (présents
également sur la membrane présynaptique) ou encore, ils peuvent être re-
captés par le neurone présynaptique pour un recyclage et une utilisation
ultérieurs ou, une fois re-captés, être détruits. Les synapses, éléments
fondamentaux des connexions neuronales, sont extrêmement complexes pour
une multiplicité de raisons comme, par exemple, le nombre d'interactions
différentes dans le temps et dans l'espace, « l'identité » chimique des
neurotransmetteurs et de leurs récepteurs, leur quantité et leur fréquence de
décharge, les effets des signaux électriques dont l'apparition provoque des
changements dans la chimie des neurotransmetteurs, etc.

Neuro-anatomie fonctionnelle

Une partie considérable des connaissances en neuropsychologie clinique


prend ses racines dans les principes d'organisation neuro-anatomique. Dans
l'approche cognitive de la neuropsychologie, loin de l'attitude des ultra-
cognitivistes des années 1970-1980, nous adoptons à présent la notion selon
laquelle la morphologie cérébrale constitue une des voies privilégiées vers la
compréhension des fonctions cérébrales. Les neuroanatomistes considèrent le
cerveau comme l'entité biologique possédant la morphologie la plus
particulière. Elle émerge des changements qui ont eu lieu au cours de
l'évolution des vertébrés en relation avec l'augmentation de la taille relative
des hémisphères cérébraux (HC) et celle, plus importante, de la surface du
cortex cérébral, qui représente 80 % du cerveau humain. On en déduit qu'il
existe une relation directe entre le développement du cortex cérébral et les
fonctions cognitives supérieures observées au maximum de leurs potentialités
chez l'Homme, et a fortiori, de celles observées exclusivement chez l'Homme.
Cette relation a été abondamment confirmée dans la clinique
neuropsychologique, notamment en rapport avec les fonctions exécutives
(voir chapitre 8) sous-tendues par les lobes frontaux. Les parties du cerveau
dont la présence est constante depuis les reptiles jusqu'à l'Homme sont le
paléocortex (constitué par des portions délimitées de la base des hémisphères
cérébraux) et l'archicortex (dont l'hippocampe est la structure centrale). Ces
deux cortex contiennent trois couches de neurones et sont parfois désignés
sous le nom d'allocortex (du grec allos : autre - afin de le différencier du
néocortex). Le cortex (mot latin qui signifie écorce) a une surface de 2500
cm2 et une épaisseur de 1,5 à 3 mm (voir la figure A1. Il est composé de 4 à 6
couches de neurones qui ont une émergence uniforme lors du développement
ontogénétique, d'où le nom d'isocortex encore présent dans certains textes (du
grec isos : égal).
L'organisation de la structure corticale prend la forme d'une toile plissée
comprenant des fissures appelées aussi scissures et des saillies, désignées
également avec les termes de gyri (gyrus au singulier) et de circonvolutions.
Les scissures les plus fréquemment commentées en neuropsychologie, ainsi
que les plus facilement repérables, sont la scissure longitudinale ou
interhémisphérique qui sépare les deux hémisphères cérébraux, la scissure de
Sylvius ou scissure latérale, la scissure de Rolando ou scissure centrale et,
d'un côté et de l'autre de cette dernière, les scissures pré et post-centrales.
Quant aux gyri, c'est la désignation en inférieur, moyen et supérieur qui est la
plus utilisée; elle concerne les lobes frontaux et temporaux (voir plus bas).
Dans les portions postérieures du cortex, les gyri angulaire et supramarginal
ont fait l'objet de considérations anatomo-fonctionnelles depuis plus d'un
siècle. Les subdivisions anatomiques du cortex cérébral en quatre lobes (voir
la figure A), obéissent à la présence des scissures qui constituent des repères
physiques assez clairs (la figure B présente une vue ventrale du cerveau).
Enfin, les commissures sont des faisceaux de fibres qui relient différentes
régions du cerveau. Les principales sont les commissures interhémisphériques
(corps calleux, commissures blanches antérieure et postérieure; voir la figure
C qui montre deux de ces trois commissures), les commissures intra-
hémisphériques, qui relient les circonvolutions entre elles et la commissure
mixte (le fornix).
Les paragraphes suivants donnent un aperçu des caractéristiques
élémentaires des lobes cérébraux. Les propriétés fonctionnelles différentes des
régions cérébrales seront abordées, au sein de chaque trouble
neuropsychologique, tout au long du livre.
Les lobes frontaux sont les plus larges, en occupant 1/3 du volume cortical.
Ils comportent 3 parties principales : le cortex frontal moteur, le cortex
prémoteur et le cortex préfrontal. Les structures les plus étudiées en
neuropsychologie sont les gyri précentral, frontal supérieur, moyen et inférieur
(ce dernier intègre le cortex triangulaire, operculaire et orbital), la partie
antérieure (ou rostrale) du gyrus cingulaire, le gyrus orbital, le gyrus rectus et
le bulbe olfactif (voir la figure B). En neuropsychologie, l'étude du cortex
préfrontal prend une place importante en raison de sa complexité
fonctionnelle. Cette zone corticale comprend le cortex préfrontal dorsolatéral,
le cortex orbito-frontal et le cortex fronto-médian ou cingulaire (voir le
chapitre 8).
Les lobes pariétaux possèdent quatre structures-clés : les lobules pariétaux
supérieur et inférieur, l'opercule pariétal, le précuneus ou partie médiane du
lobule pariétal supérieur, et la partie postérieure (caudale) du gyrus cingulaire.
Le lobule pariétal inférieur est composé des gyri angulaire et supramarginal.
Les lobes temporaux reposent dans la fosse moyenne et comprennent le
mésencéphale, les structures de la base de l'hypothalamus et le chiasma
optique. Les structures-clés sont les gyri temporaux supérieur, moyen et
inférieur, l'opercule temporal, le gyrus temporo-occipital, l'uncus qui contient
l'amygdale en profondeur, et le cortex entorhinal. De plus, la cinquième
circonvolution temporale comprend deux parties : en bas, le gyrus
parahippocampique qui est un néocortex formé par six couches et en haut
l'hippocampe, qui est un archicortex à trois couches. La structure située entre
le gyrus parahippocampique et l'hippocampe est le subiculum (voir le chapitre
3).
Les lobes occipitaux comprennent la face latérale, où se trouve le carrefour
temporo-pariéto-occipital, et la face inféro-médiane qui reçoit les radiations
optiques. Deux sillons séparent de haut en bas les cortex occipitaux.
Une manière courante d'étudier la convergence anatomo-fonctionnelle du
cortex cérébral est d'utiliser les subdivisions détectées à partir de son aspect
morphologique et de la disposition des cellules d'une région donnée.
Brodmann a identifié, il y a un siècle (1909), une cinquantaine d'aires
corticales désignées par des numéros correspondant à l'ordre dans lequel il les
a découvertes (voir la figure 1). Elles seront désignées par la suite au moyen
des initiales BA (Brodmann Area) suivies de leur numéro.
L'unité fonctionnelle de base du cortex cérébral est la « colonne corticale ».
Ces colonnes sont parfois considérées comme des unités de calcul très
spécialisées. Cette organisation verticale du cortex traite des informations
sélectionnées, celles qui sont envoyées par un même type de récepteurs situés
dans une même zone corporelle. Ce traitement de l'information permet, à
travers la juxtaposition d'innombrables colonnes, de constituer des cartes
cérébrales d'une modalité donnée. L'homunculus « distribué » dans des
portions spécifiques du lobe pariétal, illustre la carte somesthésique du corps.
On a mis en évidence une plasticité de ces cartes cérébrales à l'information
sensorielle, plasticité qui serait à l'origine de la réorganisation des cartes - et
qui est observée, par exemple, en cas d'interférence sensorielle au cours du
développement.
Un aperçu de l'organisation fonctionnelle du cortex serait très insuffisant
sans dire quelques mots des aires de projection corticale primaires
(unimodales) et des aires associatives (unimodales et hétéromodales). Chaque
modalité sensorielle a des aires de projection qui lui sont spécifiques. Elles
sont situées dans des lobes cérébraux différents. Les aires de projection
somesthésiques sont dans des aires pariétales, les aires visuelles dans des
régions occipitales, les aires auditives dans des zones temporales. Les aires
primaires visuelles et somesthésiques ont une organisation rétinotopique et
somato-topique, respectivement et reçoivent les projections des noyaux
thalamiques. À titre d'exemple, le cortex visuel primaire (BA 17) reçoit les
afférences visuelles relayées par le corps géniculé latéral du thalamus qui, à
son tour, a été activé par les afférences provenant de la rétine.
Les aires sensorielles associatives entourent les aires primaires et traitent
l'information envoyée par les différents cortex primaires. La caractéristique
des aires associatives est leur haut niveau de complexité, nécessaire à
l'élaboration de l'ensemble de l'information.
Figure I
. Localisation des différentes aires de Brodmann sur les faces
hémisphériques externe et médiane

Principales pathologies neurologiques

Notre but dans ce paragraphe est d'esquisser les pathologies du système


nerveux central les plus fréquentes dont souffrent les patients le plus souvent
adressés au neuropsychologue.

Les traumatismes crâniens graves de l'adulte (TC)

Les contusions cérébrales hémorragiques sont des lésions provoquées par


un choc violent contre la boîte crânienne. Elles sont le résultat du mouvement
du cerveau dans le sens linéaire, provoquant un coup et un contrecoup (frontal
et occipital, le plus souvent) ou dans un sens rotatoire, lésant les axones longs.
Lorsque le traumatisme entraîne la rupture des vaisseaux sanguins,
l'hémorragie peut se former dans la zone durale (entre la boîte crânienne et la
dure-mère) ou sous-durale (entre la dure-mère et l'espace arachnoïdien).
L'hématome extra-dural est plus grave en raison du plus gros calibre des
vaisseaux rompus qui détermine la rapidité du progrès du saignement. Les
conséquences des TC sont extrêmement variables : depuis le déficit sensitif ou
l'hémianopsie (que le neuropsychologue doit prendre en compte pour adapter
les tests et nuancer les conclusions, mais qui ne relèvent pas de son domaine
de compétences), jusqu'aux détériorations cognitives générales (voir aussi
chapitre 2, paragraphe consacré aux tests). La plupart du temps, les
conséquences des TC sont des troubles des lobes frontaux, qui peuvent être
très invalidants, mais aussi l'aphasie, l'agnosie, des déficits de la mémoire
(toujours présents, à différents degrés), etc.

Les accidents vasculaires cérébraux (AVC)

Il s'agit, dans 80 % des cas, des accidents par ischémie, due au manque
d'oxygène et de glucose par diminution pathologique du débit sanguin (voir la
figure D). Le reste des cas sont des accidents par hémorragie (rupture des
vaisseaux sanguins pouvant provoquer un hématome et, en conséquence, une
augmentation de la pression intra-crânienne). Dans les pays développés, les
AVC sont la troisième cause de mortalité, mais la première cause de handicap
acquis de l'adulte. Du point de vue des fonctions, une partie importante des
symptômes physiques et cognitifs a été décrite sur la base de la localisation
des AVC. Ainsi, l'artère cérébrale moyenne alimente les lobes temporaux et
pariétaux et certaines aires latérales des lobes occipitaux et frontaux. Dans le
cas d'une ischémie, on observe alors des hémiplégies et des hémianopsies. À
gauche, elle entraîne principalement des aphasies et des apraxies ; à droite,
l'héminégligence attentionnelle, l'anosognosie et l'asomatognosie (voir
glossaire). L'ischémie de l'artère cérébrale antérieure, qui alimente
prioritairement les parties médianes du lobe frontal, provoque des troubles
frontaux et des hémiplégies des membres inférieurs. Finalement, l'artère
cérébrale postérieure, ou plus en arrière, l'artère basilaire, irrigue le tronc
cérébral, le cervelet, les lobes occipitaux et la face interne des lobes
temporaux. Une ischémie peut alors entraîner une grande variété de
symptômes : depuis des paralysies oculomotrices et des hémianopsies
jusqu'aux déficits de l'imagerie mentale, et aussi des agnosies visuelles (voir
chapitre 5). Des tableaux amnésiques sont aussi fréquemment décrits (lobes
temporaux médians; voir chapitre 3).

La sclérose en plaques (SEP)

Cette maladie est la plus fréquente des affections neurologiques non-


traumatiques de l'adulte jeune. La SEP fait partie des maladies provoquées par
des phénomènes inflammatoires sans cause reconnue. Comme d'autres
affections démyélinisantes, elle est probablement due à une réaction
pathologique du système immunitaire du cerveau qui atteint la myéline de
façon sélective. Les lésions prédominent dans la substance blanche et
affectent les régions péri-ventriculaires. L'évolution de la maladie peut
prendre deux modalités principales : soit le début est rémittent, fait de
poussées et rémissions (80 à 90 % de cas) ; soit on observe une forme
d'emblée progressive (10 à 20 %). Les troubles neurologiques fréquents sont
la névrite optique rétrobulbaire et le syndrome cérébelleux. Les altérations
neuropsychologiques montrent une baisse d'efficience intellectuelle non
homogène, qui prédomine dans les tâches non verbales. Les troubles des
fonctions réputées sensibles au dysfonctionnement du lobe frontal sont
fréquents ainsi que l'absence d'implication émotionnelle décrite chez les
malades de longue date. De façon générale, on rapproche les déficits cognitifs
observés dans la SEP, de ceux des maladies sous-corticales.

Les épilepsies

L'origine de cette affection neurologique est une activité électrique


paroxystique anormale qui naît d'une population de neurones. Ainsi, au cours
d'une crise épileptique, la distribution de l'activité électrique au niveau cortical
par les afférences sous-corticales qui empruntent les connexions thalamo-
corticales est fortement altérée. Les crises peuvent se présenter comme étant
généralisées, dans le cas d'une implication de tous les réseaux corticaux, ou
bien partielles, si la population de neurones à l'origine de la décharge
anormale est délimitée et partielle, secondairement généralisée. La technique
princeps de diagnostic est l'électroencéphalogramme (EEG). Le tracé qui
résulte de l'enregistrement de l'électricité corticale au moyen d'électrodes sur
le scalp une fois analysé peut montrer des séquences rythmiques de pointes ou
de pointes-ondes, indicatives de la maladie. Le diagnostic est posé lorsque les
crises sont répétées. L'état de mal épileptique, pouvant provoquer la mort, est
fait des crises (partielles ou généralisées) qui sont prolongées ou répétées sans
intervalle. Le terme grand mal, se réfère aux crises généralisées qui
provoquent une séquence de troubles : perte de connaissance soudaine, phase
tonicomyoclonique et coma. L'absence ou petit mal, est la suspension
momentanée de toute activité en cours et l'apparition de comportements
automatiques et répétitifs avec les mains ou la bouche. Les causes des crises
épileptiques sont multiples, depuis les facteurs génétiques sans trace
lésionnelle cérébrale identifiable ou les troubles in utero jusqu'au traumatisme
crânien de l'adulte. Une des régions cérébrales qui déclenche très
fréquemment des crises épileptiques est l'hippocampe. La présence de petites
lésions hippocampiques détectées chez certains patients pourrait avoir son
origine lors des convulsions fébriles du nourrisson. L'épilepsie partielle du
lobe temporal est la forme la plus fréquente; en France, sur les 350 000
personnes approximativement qui souffrent d'épilepsie, on compte plus de 30
000 cas d'épilepsie du lobe temporal qui ne s'améliorent pas avec des
médicaments anti-épileptiques. Ces crises dites pharmaco-résistantes peuvent
être traitées uniquement par voie chirurgicale. C'est ce groupe de patients qui
est le plus fréquemment étudié et suivi en neuropsychologie, et ce pour
plusieurs raisons : tout d'abord, parce qu'un examen des fonctions supérieures
avant l'intervention est nécessaire; en deuxième lieu, parce que le site
lésionnel impliquant la formation hippocampique, l'amygdale et une partie du
lobe temporal latéral, soubassements de la mémoire et (surtout à gauche) du
langage, rend ces fonctions plus vulnérables chez ces patients. Enfin, il est
particulièrement important en neuropsychologie de tenir compte de ce que, au
vu des deux facteurs, du site lésionnel et, dans beaucoup de cas, de la longue
évolution de la maladie, ces patients pourraient présenter un pattern de
réorganisation cérébrale fonctionnelle pour la mémoire et/ou le langage.
En conclusion, les éléments neuro-anatomiques et les pathologies
neurologiques qui constituent cette première partie des fondements de la
discipline, sont la base sur laquelle se fonde la démarche neuropsychologique.

Fondements historiques

Les rapports entre le cerveau et le comportement ont été le centre d'intérêt


d'études de nombreux philosophes, bien avant la naissance de la
neuropsychologie. Hérité de la philosophie cartésienne, le dualisme rendait
impossible l'étude scientifique de la « Res Cogitans » alors que l'étude du
corps, dont les caractéristiques étaient analogues à celles d'une machine
complexe, pouvait se faire par l'intermédiaire des méthodes rationnelles et
scientifiques. C'est la possibilité d'étudier « l'esprit » de façon scientifique qui
constitue le tournant décisif dans le parcours de l'histoire de la pensée, à
l'origine de la neuropsychologie. John Locke, philosophe anglais empiriste du
XVIIe siècle inaugure, avec le courant sensualiste, l'opposition à la doctrine
dualiste cartésienne. En effet, la publication des Principia Mathematica
Philosophiae Naturalis de Newton, en 1687, est suivie, seulement trois ans
plus tard, de l'œuvre de Locke, Essay concerning Human Understanding. Dans
son Traité, Locke applique à « l'esprit » humain les lois et principes décrits par
Newton pour expliquer l'organisation physique de la matière (dans la lignée de
Galilée).

Principaux repères de l'histoire de la neuropsychologie moderne


Vers la fin du XVIIIe siècle, deux théories, l'associationnisme et le
localisationnisme constituent les fondements de notre conception moderne du
cerveau. La neuropsychologie découle des bases conceptuelles de ces
idéologies qui postulent que les facultés intellectuelles sont produites par le
cerveau. La polémique entre les conceptions localisationniste et anti-
localisationniste débute avec la controverse entre Franz Gall (1758-1828), le
premier à avoir dit que les facultés supérieures devaient avoir des localisations
précises dans le cerveau, et son tenace opposant, Pierre Flourens (1794-1867),
le premier à avoir réalisé une étude systématique des effets des lésions
cérébrales sur le comportement chez l'animal. Dépassant la nature anecdotique
des bosses de la boîte crânienne prises comme indices des fonctions localisées
dans la phrénologie de Gall, de nombreux neurologues du XIXe siècle
favorisent l'approche localisationniste en même temps que l'on voit se profiler
le trait multidisciplinaire de la neuropsychologie et que sa rigueur scientifique
se consolide. Ces neurologues pionniers contribuent à cette conception sur la
base d'observations cliniques qui soulignent la fragmentation impressionnante
de la cognition humaine dans des domaines très divers comme par exemple,
les aphasies avec Broca (1824-1880) et Wernicke (1848-1904), les apraxies
avec Liepmann (1863-1925) ou les alexies avec Déjerine (1849-1917). Ces
chercheurs sont des cliniciens à double appartenance; ils préconisent à la fois,
la localisation des fonctions élémentaires dans des centres spécifiques et
l'association de ces centres qui formeraient des facultés complexes. Ils
utilisent la méthode anatomo-clinique comme principal outil d'étude des
patients cérébro-lésés qui présentent des troubles du fonctionnement
supérieur. Les neurologues cliniciens du XIXe siècle ont fixé, d'une certaine
manière, les fondements de l'étude et du suivi des patients neurologiques,
notamment en terme de description détaillée du comportement altéré par des
lésions cérébrales. Ils ont aussi illustré leur tentative de compréhension du
fonctionnement cognitif à l'aide des diagrammes de flux, avec l'œuvre de
Lichtheim (1845-1928) la plus représentative de ce courant. Les
neuropsychologues du XXe siècle réalisent des tâches très semblables à celles
de leurs prédécesseurs en canalisant leurs efforts pour atteindre deux
objectifs : caractériser le type de trouble (nature de la fonction endommagée,
intensité de l'altération comportementale...) et déduire le site cérébral lésé.
La première moitié du XXe siècle est tragiquement marquée par deux
guerres mondiales, par la guerre d'Indochine et par la guerre de Corée. Les
psychologues doivent, pour la première fois, faire face à des blessés de guerre,
pour la plupart des hommes dans la force de l'âge et, jusqu'au moment de la
blessure, en bonne santé. Ces patients, physiquement récupérés et pouvant
envisager de vivre encore plusieurs décennies, les obligent à réfléchir sur un
nouveau domaine, la rééducation des capacités cognitives. Par ailleurs, au
cours de ces mêmes années, les premiers tests standardisés, empruntés à la
psychométrie, font leur apparition. Binet et Simon publient, en 1905, une
première échelle d'intelligence pour détecter, à la demande du Ministère de
l'Instruction Publique, les enfants souffrant de retard mental. L'échelle devient
mondialement connue lorsque la version Standford-Binet est publiée par
Terman en 1916. Le souci de compter avec des tests et, notamment, des
batteries de tests possédant des normes, est renforcé par le problème de
l'évaluation à grande échelle des victimes de guerre. Les psychologues
commencent à utiliser des tests d'intelligence et d'habiletés spécifiques, ainsi
que des questionnaires de personnalité d'application collective. La
psychométrie devient neuropsychologique en 1940 lorsque Hebb applique,
pour la première fois, des tests d'intelligence à des patients cérébro-lésés et
constate que les patients porteurs de lésions frontales ne présentent pas
systématiquement d'échecs aux tests d'intelligence. Ce résultat avait beaucoup
surpris les neuropsychologues puisque les lobes frontaux étaient considérés
comme le centre par excellence de l'activité intelligente. Cette constatation
marque le début de l'indispensable collaboration entre neurologues et
psychologues et amorce la création des tests proprement
neuropsychologiques. Un exemple choisi illustre ces propos : Goldstein
(1878-1965), mettant en pratique la perspective clairement holistique qui est
la sienne, suivait les blessés de guerre en insistant sur un traitement de « toute
la personne ». Pour ce faire, il travaillait en étroite collaboration avec des
psychologues, par exemple Weigl en Allemagne et Scheerer aux États-Unis.
C'est de cette manière que des tests de raisonnement, langage, lecture, etc.,
spécifiquement neuropsychologiques, ont été conçus et nous sont encore
utiles.
L'année de la mort de Kurt Goldstein, en 1965, Norman Geschwind publie
Dysconnexion syndromes in animals and man, article considéré comme la
contribution qui marque le retour à la méthode anatomo-clinique des cas
uniques et affranchit ainsi la neuropsychologie de la stérilité des études
psychométriques de groupe dont l'approche a-théorique minait
progressivement tout intérêt scientifique (voir Seron, 2002, pour une
excellente analyse sur l'inefficacité de l'approche psychométrique).

La neuropsychologie cognitive : fondements théoriques

La neuropsychologie cognitive (NPC) émerge du programme théorique de


la psychologie cognitive britannique des années 1960-1970, avec pour objectif
de décrire l'architecture fonctionnelle des systèmes de traitement de
l'information (TI) insérés dans le cerveau, et de préciser la nature des
représentations sous-tendant ces traitements ainsi que les processus mentaux
émanant des composantes des systèmes de TI. Depuis, différents auteurs ont
confirmé cet objectif. Seron (1997) résume comme suit, l'hypothèse de base
de la NPC : la manière dont un système fonctionnel se déstructure n'est pas
sans relation avec sa structure et ses lois de fonctionnement normal. Coltheart
(2004) définit son objectif comme « apprendre davantage sur les systèmes
mentaux de TI que les gens utilisent pour mener à bien des activités
cognitives. Certains psychologues cognitivistes atteignent cet objectif en
étudiant la réalisation des tests chez des personnes qui possèdent des systèmes
de traitement cognitif normaux. D'autres, en étudiant des personnes chez qui
un système de traitement cognitif est anormal : ce sont les neuropsychologues
cognitivistes » (p. 21). Ces deux auteurs illustrent clairement la différence
entre la NPC et la neuropsychologie traditionnelle, différence qui se réfère aux
relations entre la pathologie et le fonctionnement normal. La NPC prétend
analyser le déficit (ou la désorganisation cognitive) pour mieux comprendre
l'organisation du comportement normal. Pour cela, elle se donne comme
programme d'expliquer les performances cognitives altérées et intactes, chez
les patients cérébro-lésés et de les interpréter dans le cadre d'une théorie ou
d'un modèle du fonctionnement normal et, parallèlement, de tirer des
conclusions sur le fonctionnement normal, à partir de l'examen des patients
porteurs de lésions cérébrales. Pouvoir ainsi conclure implique nécessairement
que le comportement d'un patient atteint d'une lésion cérébrale soit considéré
comme le résultat du TI normal d'un système, au sein duquel certains sous-
systèmes ou certaines connexions entre sous-systèmes ont été endommagés. Il
s'agit du « postulat de transparence » de Caramazza (1984). La contribution
potentielle de la NPC à la compréhension des processus normaux, serait donc
l'utilisation des performances pathologiques pour désigner le module ou
composant de module lésé, d'où, la plausibilité calculatoire (computational
plausibility) que la performance d'un patient cérébro-lésé reflète la machinerie
cognitive totale, moins le ou les systèmes qui ont été lésés.
Le noyau en même temps que la spécificité de la NPC est cet
enrichissement bidirectionnel du normal par la pathologie et vice-versa. Ceci
rompt la tautologie des « faiseurs de diagrammes » du XIXe siècle qui
expliquaient les troubles de leurs patients à partir de modèles théoriques, eux-
mêmes conçus à partir de l'observation des patients. C'est le mérite de
Geschwind (1965) d'avoir amorcé le retour aux sources du XIXe siècle mais,
en appliquant le TI à l'interprétation des données, le bannissement de la
circularité du raisonnement était garanti. Et c'est cette relation « normal-
pathologique », à la base de la conceptualisation cognitive de la
neuropsychologie actuelle, qui la rend particulièrement utile pour la recherche
et donc pour la clinique.

Bases conceptuelles des modèles de la neuropsychologie cognitive

La conception et la construction des modèles de la NPC ont comme


éléments centraux, le principe d'universalité, essentiel en neurosciences
cognitives, et la prise en compte des déficits cognitifs à la lumière du
paradigme du TI. Le principe d'universalité postule que les règles et les bases
du fonctionnement cognitif sont les mêmes chez tous les membres d'une
espèce. Les différences culturelles, individuelles, celles qui sont dues à l'âge,
etc. sont prises en considération mais ne changent en aucun cas les principes
fondamentaux. D'un point de vue à la fois plus large et appliqué à la clinique,
la transmission génétique de l'organisation du SNC détermine en théorie ce
que l'Homme peut et ne peut pas apprendre, et par-là même, délimite la forme
et la nature des détériorations comportementales dans le cas de lésions
cérébrales.
Sur la base de ces principes généraux, une première source d'inspiration du
courant cognitif se trouve dans l'œuvre célèbre de Craik, The nature of
explanation, qu'il publie en 1943 (alors qu'il était âgé de 29 ans, peu de temps
avant sa mort). Il avait mis en évidence l'importance du déficit en tant que
démarche possible dans la détection d'un processus cognitif donné, en faisant
remarquer que dans « un appareil bien construit », nous ignorons l'existence
des ses composantes tant qu'elles fonctionnent normalement : ce sont leurs
failles qui nous rendent attentifs à leur présence.
Dans les années 1970, la NPC pose les deux postulats qui la fondent : la
modularité et la transparence. L'œuvre de David Marr (1976) constitue un
apport fondamental à la conceptualisation des modèles modulaires de la NPC.
Marr postule, à partir de son travail sur la vision et sur la simulation par
ordinateur des processus de reconnaissance visuelle, que les systèmes
complexes, dont l'exemple le plus notable est le cerveau, évoluent de façon à
s'organiser en modules. Les raisons d'une orientation modulaire seraient la
plus grande facilité à corriger des erreurs et les possibilités d'amélioration de
l'organisation du système. Les termes « module » et « modularité » sont
utilisés dans la NPC suivant le sens donné par Marr (1982), à savoir, le degré
d'interaction qui a lieu entre deux systèmes. Ainsi, dans le concept de
modularité, il y a implicitement celui de processus. On peut donc définir la
modularité en NPC comme un ensemble de processus dont l'activité organisée
rend possible le fonctionnement mental normal.
L'œuvre de Jerry Fodor (1983) est, quant à elle, centrale pour l'étude des
attributs de la modularité mentale, qui sont les suivants : cloisonnement de
l'information, spécificité du domaine, déclenchement obligatoire du processus
et origine génétique.
- Le cloisonnement à un niveau informationnel signifie que chaque
module réalise le traitement de l'information de manière relativement
isolée par rapport aux autres modules. Cependant, la dimension de
modularité d'une fonction donnée, n'implique en aucun cas une
localisation cérébrale invariable et unique.
- Le module est spécifique d'un domaine de la cognition humaine, chaque
module reçoit et traite un type d'information. Néanmoins, il faut
différencier l'indépendance dans le traitement de l'information de
l'indépendance du fonctionnement d'un module vis-à-vis des autres. En
effet, supposons un module A ayant des connexions avec un module B de
sorte que A transmet un flux d'informations à B ; si le module A est
endommagé, le module B, même intact et traitant l'information selon les
règles habituelles, ne pourra aboutir à un résultat normal puisqu'il traitera
l'information dégradée transmise par le module A.
- Le déclenchement du fonctionnement d'un module est obligatoire dans
la mesure où le traitement instauré par le stimulus présenté, se poursuit
jusqu'à la fin. Un exemple de cette propriété est le processus de
reconnaissance visuelle ou auditive : des objets, des visages ou des voix
familiers, seront reconnus sans aucune possibilité d'inhiber le processus
déclenché. Cette caractéristique s'applique à l'input soumis au traitement
sensoriel. Cependant, l'output et le contrôle de l'action ne sont pas sujets
à la loi du déclenchement obligatoire; ainsi par exemple, nous pouvons
être obligés de chercher dans notre mémoire le nom de la personne
instantanément reconnue.
- Le postulat concernant la caractéristique génétique et héréditaire des
modules mentaux est très critiqué, notamment par rapport aux fonctions
apparues bien plus récemment dans l'histoire, telles que la lecture et
l'écriture. Cependant, d'autres auteurs pensent que le postulat de Fodor ne
doit pas être invalidé mais nuancé : les modules cognitifs se développent
grâce à l'interaction des facteurs innés et acquis. Fodor considère que le
système modulaire ne s'applique pas aux processus de haut niveau de la
pensée, tels que le raisonnement ou la prise de décision. Il s'agit, dans ces
exemples, d'opérations non cloisonnées sur le plan informationnel et tant
le déclenchement obligé que la spécificité du domaine sont des
caractéristiques incompatibles avec les traits définitoires des processus
complexes, tels que la flexibilité cognitive, l'ajustement de la réponse ou
encore l'inhibition d'une action.
Alfonso Caramazza (1986) est l'auteur du postulat de transparence,
mentionné plus haut, selon lequel l'ensemble des performances cognitives
préservées et altérées, observé après une lésion cérébrale, « montre » le
système de TI plus les altérations locales survenues à des modules et/ou des
connexions les reliant.
D'un point de vue appliqué, la technique qui est reconnue comme étant
propre et caractéristique de la NPC a été utilisée pour la première fois par
Marshall et Newcombe lorsqu'en 1973 ils étudient dans un cadre de processus
normal, les « paralexies ».
Nous avons vu jusqu'ici les facteurs fondateurs, historiques de la NPC. À la
fin des années 1980, la NPC apparaissait comme la méthode d'étude la plus
efficace des fonctions supérieures. Quel est son statut une quinzaine d'années
après, compte tenu de l'introduction de la neuroimagerie fonctionnelle dans la
recherche de la cognition humaine?
Le rôle de la neuroimagerie fonctionnelle en neuropsychologie cognitive

L'apport des données de la neuroimagerie cérébrale fonctionnelle (NF) aux


conceptions théoriques de la NPC actuelle n'est pas uniformément reconnu.
Alors que certains auteurs partent du principe que la recherche basée sur les
systèmes de TI pourrait bénéficier d'une prise en compte de la structure
cérébrale sous-jacente (e.g. Caplan, 2004), beaucoup sont ouvertement
sceptiques (e.g. Coltheart, 2004; Harley, 2004a ; 2004b) ou ont un avis à peine
plus nuancé (e.g. Lambon Ralph, 2004; Shallice, 2004 ; Vallar, 2004). Ainsi,
Caplan affirme que la recherche en NPC doit inclure, en plus de l'investigation
des déficits dans le cadre de l'architecture fonctionnelle, l'identification des
bases neurales chez le sujet sain et la relation entre la maladie neurologique et
le trouble cognitif. Bien au contraire, Coltheart affirme que les
neuropsychologues cognitivistes ne sont pas censés étudier le cerveau ; la
recherche des structures cérébrales sous-tendant les activités cognitives, dit-il,
appartient à une autre branche, les neurosciences cognitives. Pour sa part,
Harley cite des termes qui ont été forgés par des opposants farouches à la
neuroimagerie tels que « nouvelle phrénologie » ou « chromo-phrénologie ».
Dans la même perspective, il conclut, avec un humour britannique, que dans
20 ans, toutes ces images si brillantes et colorées de coupes de cerveaux que
l'on trouve de plus en plus dans les revues scientifiques de NPC, « pourraient
peut-être finalement devenir utiles. La NPC est morte, vivent les
neurosciences cognitives » (Harley, 2004b, p. 56).
Voyons brièvement les raisons qui sont avancées pour asseoir cette position
si radicale. Le bilan sur les éventuels concepts utiles et nouveaux que les
neuropsychologues cognitivistes auraient pu acquérir à la fin de la « décennie
du cerveau » des années 1990 s'avère négatif. Et ce sur deux plans :
Il n'existerait pas de résultats provenant de la NF qui puissent être utilisés
pour la localisation des processus cognitifs dans le cerveau. À titre d'exemple,
Coltheart (2004) cite les conclusions de deux centres de renommée mondiale,
l'un aux États-Unis et l'autre en Grande-Bretagne, tous deux ayant le même
objectif de recherche, concrètement, de localiser les structures cérébrales
sous-tendant les trois composantes (ou modules) de la lecture :
orthographique, phonologique et sémantique. Les résultats montrent une
absence de cohérence pour chacune des composantes, entre les deux groupes
de chercheurs. Comme bien d'autres exemples semblables le suggèrent, ces
nombreuses différences montrent que le système cognitif opère en cascade,
par opposition aux activations hiérarchiques de type sériel (déclenchement par
dépassement d'un seuil), et en mode interactif, en contraste avec une
rétroaction ou une proaction (feedback ou feedforward). Dans ces conditions,
il apparaît très difficile voire impossible de localiser un module cognitif donné
dans le cerveau. Supposons qu'il existe un système cognitif X formé par trois
composantes, A, B et C et qu'un chercheur souhaite localiser le module A au
moyen de la neuroimagerie, pendant qu'un sujet réalise une tâche qui nécessite
ce module. Dans un système opérant en cascade, l'activation de A entraîne
celle de B et C, même si ces deux derniers ne sont pas concernés par la tâche.
Pareillement, si le système opère en mode interactif, une partie de l'activation
de A sera le résultat de la rétroaction de B et C. Comment dans ces
circonstances pourra-t-il conclure quelle est la part d'activation cérébrale
associée au module A ?
Il n'existe pas de résultats provenant de la NF qui puissent être utilisés dans
l'évaluation d'un modèle cognitif ou dans le choix entre deux modèles rivaux.
La raison avancée est simple et radicale : « Les faits concernant le cerveau ne
contraignent pas la nature des systèmes de TI » (Coltheart, 2004, p. 22).
Finalement, les trois points qui résument la vision générale des opposants à
la NF, sont premièrement, que l'identification des structures neurales distinctes
ne contribue en rien au progrès de la compréhension de la cognition ;
deuxièmement, que faute d'une « colonne vertébrale » propre, la NF va se
nourrir des acquis de la NPC le temps nécessaire pour gagner une certaine
consistance théorique ; et, enfin, que la NF n'ayant strictement aucune utilité
pour la NPC, il est souhaité qu'elle n'y ait aucune place.
Shallice (2004) rectifie un tant soit peu la position cognitiviste à outrance
en constatant que les auteurs précédents (Harley, concrètement) limitent trop
leur champ théorique. Shallice propose, en conséquence, 5 niveaux d'analyse :
1) l'architecture fonctionnelle, niveau pour lequel aussi bien la NPC que
la NF sont utiles.
2) Les outils au moyen desquels les sous-systèmes peuvent être étudiés
dans la pratique ; ce niveau est viable exclusivement à partir de la NPC.
3) L'apprentissage des tâches ; ici, les deux approches semblent utiles.
4) Les tâches qui changent le traitement on-line; ce niveau d'analyse est
exploitable par la NF, et de manière approximative uniquement, puisque
indirecte, par la NPC.
5) Le développement de l'architecture fonctionnelle ; à ce niveau,
naturellement, c'est uniquement la NPC qui est envisageable. La plupart
des critiques, constate Shallice, visent le niveau 2. Cependant, la NF est
utile pour la question du niveau 1 et ce, particulièrement pour les
fonctions cognitives non modulaires comme les fonctions exécutives et la
mémoire épisodique. Par ailleurs, concernant le point 3, les deux
approches ensemble commencent à fournir des résultats solides en raison
de la convergence des données. En effet, lorsque les tests cognitifs
révèlent une double dissociation et que cette dissociation
comportementale se voit renforcée par des bases anatomiques
relativement distinctes, l'interprétation théorique est considérablement
mieux garantie. Par ailleurs, la spécificité au niveau neuro-anatomique
comporte aussi une garantie, quoique indirecte, au sujet de l'existence des
différents sous-systèmes.
Le présent ouvrage s'inscrit dans un courant de la NPC que l'on peut
appeler modéré; en effet, la tendance vers le cognitivisme à outrance qui peut
s'épanouir dans la recherche, se voit modérée par la pratique clinique
soutenue. De manière plus objective, en accord avec Shallice (1988 ; 2004),
l'avis de l'auteur est que la NPC doit modifier sa métathéorie, en changeant sa
position d'isolement, inhérente à l'attitude de certains auteurs mentionnés plus
haut, vers une ouverture qui lui permette de montrer son utilité et ainsi
bénéficier des acquis d'autres branches des neurosciences cognitives. Enfin,
dans la perspective de la clinique appliquée, en accord avec John Marshall
(2003), la position de ce livre est que la neuroimagerie peut être utile mais
qu'elle ne doit en aucun cas être considérée comme un substitut à l'observation
des patients. Elle ne pourra jamais être employée pour remplacer la pratique
clinique, et dans de nombreux cas, c'est le savoir-faire du praticien
neuropsychologue qui pourra être un guide de localisation cérébrale d'une
fonction, meilleur que les données de la neuroimagerie anatomique ou
fonctionnelle.

Conclusion

Les fondements de la neuropsychologie telle qu'elle est étudiée aujourd'hui


par la plupart de chercheurs, reprennent ces racines neuro-anatomiques et les
concepts qui en découlent, notamment un certain « localisationnisme » des
réseaux distribués; ils intègrent le versant cognitiviste et, avec lui, un mode
caractéristique d'envisager l'étude des conséquences de la lésion cérébrale.
L'objectif principal de la neuropsychologie, l'étude de la relation cerveau -
comportement, bénéficie à présent de l'imagerie cérébrale fonctionnelle (voir
chapitre 10). Il s'agit d'une révolution technique dont les précisions
conceptuelles vont enrichir la recherche et ses applications à la clinique
neuropsychologique.
1 Les figures numérotées de A à H sont regroupées dans le cahier hors texte entre les pages 160 et
161.
CHAPITRE 2

Méthodes d'évaluation

Introduction

Les lésions cérébrales provoquent des déficits du comportement qui sont,


dans la plupart des cas, observables et peuvent être, dans beaucoup de cas,
évalués. Deux méthodes d'évaluation sont utilisées : la méthode
psychométrique dans laquelle tous les patients sont examinés au moyen de
batteries de tests et l'approche adaptée qui est essentiellement flexible et
caractérisée par un nombre plus limité de tests visant une évaluation guidée
par des données individuelles cognitives et neuro-anatomiques.
L'approche psychométrique peut être réalisée par des personnes qui n'ont
que des connaissances techniques de la neuropsychologie puisqu'il faut
uniquement maîtriser les tests composant les batteries. Les exemples les
plus extrêmes de l'approche psychométrique sont la batterie de Luria-
Nebraska et la batterie de Halsteas-Reitan. La première est composée de
tests créés par Luria dans une perspective neuropsychologique éminemment
qualitative, caractéristique qui a, naturellement, disparu de la version
psychométrique. La batterie de Halstead-Reitan émerge d'une série d'études
statistiques à grande échelle et est constituée d'une large série de tests
typiquement hétéroclites comme, par exemple, des mesures sensori-
perceptives, des échelles de personnalité et des tests d'intelligence. Bien que
ces batteries aient quelques composantes utiles, elles ne sont pas présentées
isolément et l'application de tout l'ensemble est extrêmement long. En
général, à cause de la très grande variété du contenu, ces grandes batteries
ne fournissent pas de données précises sur le déficit d'intérêt. Un exemple
plus courant est l'échelle clinique de mémoire de Wechsler qui, en cas
d'échec, ne permet au neuropsychologue ni de faire la part entre l'anxiété ou
la fatigue du patient et le véritable symptôme amnésique, ni de distinguer
un déficit non amnésique du lobe frontal d'une altération plus clairement
mnésique des régions temporales. Par ailleurs, sans un examen complet du
patient, on peut imaginer le cas où une apraxie constructive (voir chapitre 7)
passerait inaperçue tandis que l'on aurait posé un diagnostic de mémoire
déficiente pour le matériel non verbal.
L'approche adaptée, que nous développons dans ce livre, exige quant à
elle, une connaissance approfondie de la discipline, étant caractérisée par
une évaluation ajustée à chaque patient et, par conséquent, modulée par le
neuropsychologue. Cette méthode combine les classifications
traditionnelles des symptômes neurologiques avec les principes de la
psychologie cognitive et l'utilisation des tests standardisés qui sont
sélectionnés « à la carte ».
La sélection des tests est guidée par des facteurs généraux et individuels
(ces derniers seront abordés dans les présentations de cas, tout au long de
l'ouvrage). Quant aux facteurs généraux, le choix des tests est guidé par la
connaissance de l'étiologie de la lésion et de l'organisation cérébrale
fonctionnelle. Concernant l'étiologie, certains cas d'accidents vasculaires
cérébraux (AVC) détruisant une zone relativement circonscrite, peuvent
mettre en évidence des troubles remarquablement sélectifs. Ainsi, l'examen
sera plus utile si les tests choisis ciblent des sous-composantes visant à
montrer des préservations subtiles sur lesquelles s'appuyer dans le cas d'une
démarche de revalidation fonctionnelle. Au contraire, après un traumatisme
crânien grave de l'adulte ou au cours de processus neurodégénératifs, les
déficits très diffus seront mieux évalués au moyen des tests plus variés et
moins ciblés. Au sujet de l'organisation cérébrale des fonctions, le
neuropsychologue sera attentif à la latéralisation hémisphérique de la
fonction. Bien que les capacités cognitives observées dans le cerveau sain
activent des réseaux neuronaux distribués et ne se limitent pas à un
hémisphère cérébral, il est utile en clinique de se laisser guider, dans un
premier temps, par des notions de base : l'hémisphère gauche traite
prioritairement le matériel verbal et l'hémisphère droit, le matériel non
verbal. Dans cette première étape de l'évaluation, en plus du langage et des
capacités spatiales, l'examen de la latéralité manuelle peut s'avérer
nécessaire. Les données concernant la main utilisée pour des tâches
motrices fines - obtenues au moyen des échelles standardisées - ont un
intérêt particulier dans les cas où le neuropsychologue obtient un profil
cognitif peu fréquent comme, par exemple, des troubles du langage, chez un
patient qui écrit avec la main droite et présente une lésion de l'hémisphère
droit. L'échelle de latéralité manuelle pourrait montrer une dominance de la
main gauche (contrariée pour l'écriture). Si, au contraire, l'échelle, plus des
données sur les antécédents de latéralité des parents et des enfants du
patient indiquent une dominance droite, il pourrait s'agir d'un cas d'aphasie
croisée (Manning et al., 1992). Le deuxième aspect de l'organisation
cérébrale fonctionnelle dont il faut tenir compte en sélectionnant les tests,
est la localisation des fonctions dans les régions antérieures et/ou
postérieures. L'examen du patient qui présente une lésion frontale
relativement circonscrite et celui du patient porteur d'une lésion dans la
zone temporo-occipitale, posent des questions différentes et seront réalisés
en utilisant des tests différents. En particulier, dans le premier cas, outre
l'évaluation générale (voir les descriptions des cas), il s'agira de présenter au
moins 4 ou 5 tests sensibles aux troubles du lobe frontal, compte tenu que
les scores aux tests des fonctions exécutives sont très fréquemment
hétérogènes ; les résultats obtenus aux différents tests doivent être rapportés
avec des observations qualitatives, très brèves et objectives et un entretien
semi-structuré doit rendre compte du comportement du patient, lors de la
consultation et dans la vie quotidienne. Des tests tels que les séquences
motrices de Luria, les estimations cognitives ou des tâches « go/nogo », par
exemple, auraient une valeur clinique uniquement dans le premier cas (voir
chapitre 8), alors que les tests de reconnaissance des objets et des visages,
par exemple, seraient adaptés en priorité dans le cas d'une lésion postérieure
(voir chapitre 5).

L'examen neuropsychologique

Les déficits cognitifs dont souffre le patient peuvent être cernés


uniquement au moyen d'un examen neuropsychologique bien organisé.
C'est la responsabilité du clinicien neuropsychologue d'établir quelles sont
les capacités altérées, dans quelle mesure elles le sont et quelles sont celles
qui sont préservées. L'examen devra pouvoir répondre à des demandes de
diagnostic tout court mais aussi de diagnostic en vue de la prise en charge
rééducative. Dans les deux cas, ce sont les conséquences cognitives,
émotionnelles et comportementales des lésions cérébrales qui sont étudiées
au moyen de tests.

Les tests

La grande majorité des tests utilisés en clinique neuropsychologique, ont


été spécifiquement élaborés pour mesurer une fonction particulière et sont
standardisés. Il est normalement facile de les utiliser, le mode de passation
et de cotation étant, dans la plupart des cas, publié avec les résultats obtenus
au sein d'un groupe de référence de sujets sains. Les scores de ce groupe de
référence constituent les « normes » qui accompagnent tout test standardisé.
Plus le groupe de référence est représentatif de la population générale quant
aux facteurs susceptibles d'influer sur la performance cognitive (plus
précisément, l'âge, le niveau culturel et le genre), meilleures sont les
normes. Les scores du patient seront comparés à la moyenne des sujets dans
son groupe d'âge etc., compte tenu de la variabilité de performance qui a été
observée dans les limites de la normalité. La plupart des comparaisons en
neuropsychologie clinique se font en terme de score standard, c'est-à-dire de
la distance entre le résultat du patient et la moyenne de référence, et en
terme de percentile ou de pourcentage des sujets du groupe de référence qui
obtient un score égal ou inférieur à celui du patient. Les tests standardisés
constituent la base de toute séance d'évaluation. Concernant la pratique
clinique qui sera prônée dans le présent ouvrage, il faut ajouter des tests
conçus par les neuropsychologues du National Hospital à Londres et de la
Salpêtrière à Paris, qui ont démontré leur valeur clinique mais dont les
normes n'ont pas été publiées. En plus des résultats aux tests, le compte
rendu de l'examen doit aussi intégrer une courte appréciation qualitative. La
situation la plus fréquente, mentionnée plus haut, dans laquelle l'observation
qualitative est indispensable, est celle des capacités altérées du lobe frontal
qui peuvent « échapper » à l'évaluation cognitive. Ainsi, il n'est pas rare
qu'un patient soit incapable de finir une tâche avant d'en commencer une
autre (d'où désorganisation et fatigue), alors que ses résultats aux tests
évaluant les fonctions exécutives sont normaux.
Une considération pratique très importante est le temps dont dispose le
neuropsychologue pour réaliser l'évaluation. Il est fréquent de ne disposer
que d'un temps relativement court pour des raisons liées à des contraintes
d'organisation des autres consultations et/ou au transport des patients, etc.
La réussite de l'approche d'évaluation adaptée dépend donc de l'ensemble
des connaissances cognitives et neuro-anatomiques, permettant au
neuropsychologue de moduler et d'optimiser l'examen en fonction du temps
disponible. Considérons un exemple concret : on dispose d'un temps limité
pour évaluer un patient âgé de 58 ans dont le niveau culturel est bon et dont
l'examen neurologique par imagerie cérébrale anatomique a révélé une
légère atrophie temporale antérieure, plus marquée dans l'hémisphère
gauche. Sur cette première donnée neurologique, on décide d'évaluer sa
capacité sémantique en utilisant des tests non-verbaux (i.e., compréhension
des objets et de leurs relations. Par exemple, indiquer, sur 30 ou 40 triades
présentées sur des cartes, les deux objets qui sont utilisés ensemble :
tasse/bouteille/théière). Le patient obtient un score à la limite inférieure de
la normalité. La question suivante est de savoir s'il s'agit d'un déficit
prioritairement lié au traitement sémantique ou aux capacités intellectuelles
générales. Pour y répondre, on choisit l'échelle supérieure de Matrices
Progressives de Raven qui comporte 12 items et renseigne sur la présence
ou non de troubles du raisonnement non-verbal général et, fait important,
qui ne nécessite pas la participation du système sémantique, s'agissant d'un
test d'abstraction basé sur des figures géométriques sans contenu
sémantique. Le score du patient est satisfaisant (75e centile), ce qui permet
de suggérer, après 15 minutes d'examen, une atteinte du traitement
sémantique à confirmer par une exploration neuropsychologique complète
ultérieure.
Une autre question faisant partie des considérations générales, est de
savoir à quel moment a lieu l'examen. Évaluer un patient un mois ou un an
après une intervention neurochirurgicale implique des objectifs et des tests
différents. À quel moment remonte le début de la lésion ? Ce point est
important, surtout pour l'interprétation des résultats. Ainsi, si dans le cas des
traumatismes crâniens de l'adulte le moment précis de l'altération des
fonctions cognitives normalement acquises est connu, il existe bien d'autres
conditions neurologiques, notamment les démences, où la symptomatologie
est insidieuse, et où le début des troubles reste inconnu.
Objectifs et exigences de l'évaluation neuropsychologique

Tout examen neuropsychologique doit répondre à un nombre de


questions dont l'importance varie selon les cas à évaluer. D'un point de vue
général, les réponses à ces questions deviennent les objectifs de
l'évaluation :
- L'examen neuropsychologique doit permettre de se prononcer sur le
caractère organique de l'altération comportementale. L'importance de
cet objectif est centrale dans les cas où le neuropsychologue est appelé
à examiner des patients pour lesquels, même avec l'apport de
l'imagerie cérébrale, il est difficile de savoir s'il existe une altération de
la structure cérébrale. Les exemples les plus fréquents concernent la
plainte mnésique subjective chez le sujet autour de la soixantaine
(s'agit-il des symptômes prodromiques de la maladie d'Alzheimer ?
voir chapitre 9 ) et des plaintes diverses et importantes chez le patient
ayant subi un traumatisme crânien léger. Dans ce dernier cas de figure,
aucun examen physique ne s'est révélé concluant. Cependant, les
patients se plaignent de manière relativement homogène de maux de
têtes, de manque de concentration, d'irritabilité, de sensations de
vertige avec un repli sur soi entraînant un isolement social. L'avis du
neuropsychologue, comme dans le cas précédent, est indispensable.
- Bien que la préoccupation du neuropsychologue se centre,
essentiellement, sur la sphère cognitive, un deuxième objectif est celui
de se prononcer sur l'impact de la lésion sur l'humeur du patient. À
partir des observations réalisées en cours de séance d'évaluation, le
neuropsychologue sera en mesure soit de conseiller au patient de
consulter un autre professionnel (psychiatre ou psychologue, selon le
cas), soit de suggérer au neurologue de le faire. Plus concrètement,
concernant son évaluation, le neuropsychologue sera en mesure
d'arriver à des conclusions plus complètes, tenant mieux compte des
résultats car l'humeur dépressive peut avoir une influence négative sur
plusieurs tests cognitifs.
- Le troisième objectif de l'examen est en fait une des spécialités de la
neuropsychologie clinique depuis des décennies, il s'agit de
l'appréciation des effets possibles, secondaires à la neurochirurgie sur
les capacités cognitives. Le cas le plus récurrent est celui des patients
souffrant d'une épilepsie pharmaco-résistante du lobe temporal médian
et pour qui le seul traitement viable pour soulager les crises, est la
chirurgie. Étant donné la localisation du foyer épileptogène (lobe
temporal médian), et donc de l'exérèse (qui s'étend sur le néocortex
temporal latéral), il est nécessaire d'évaluer le langage et la mémoire
après l'opération.
- Le dernier but de l'évaluation cognitive que nous mentionnons ici
concerne la rééducation du patient. Il s'agit de dresser un bilan des
conséquences générales des déficits cognitifs, ce qui requiert une
observation clinique dans des contextes divers de la vie quotidienne.
Le bilan inclut une description des effets invalidants de la lésion dans
la vie de tous les jours, aussi bien dans la sphère professionnelle ou de
formation que dans les relations familiales et sociales.

Quant aux exigences de l'examen des fonctions cognitives, nous verrons


d'abord l'attitude du neuropsychologue clinicien et nous aborderons ensuite
les conditions préalables qui doivent être présentes chez le patient.
L'interaction patient-neuropsychologue ne devrait en aucun cas rappeler
celle qui se joue entre l'instituteur et l'enfant. Le professionnel qui exerce la
neuropsychologie clinique a pleine conscience d'interagir avec une
personne adulte qui souffre d'une des affections les plus stressantes
auxquelles l'être humain puisse être confronté, la lésion cérébrale. Le
respect implique, entre autres, un refus d'infantiliser l'adulte malade.
L'attitude doit être suffisamment chaleureuse pour que le patient sente un
climat d'empathie lui permettant de « faire de son mieux ». Si l'examen des
patients cérébro-lésés ne se réalise pas avec ce préalable, le profil
neuropsychologique obtenu n'offrira pas les garanties nécessaires aux
conclusions utiles. Nous sommes, en effet, dans un domaine de l'évaluation
où certaines attitudes du neuropsychologue, telles qu'une distance ou une
froideur ou des signes d'impatience, ont une influence négative sur la
performance cognitive du patient. (Nous avons eu l'occasion de constater
l'anxiété de certains patients à l'idée de « subir » encore une évaluation car
ils avaient été négativement marqués par une séance de tests préalable où la
jeune neuropsychologue s'était montrée excessivement froide et
impatiente).
Par ailleurs, le neuropsychologue doit faire un effort de clarté et de
concision lors de la transmission des consignes de tests. Comparons deux
manières de présenter un même test (Test de mémoire de reconnaissance
des visages de Warrington, 1984) :
- « Nous allons faire un test de mémoire. Regardez attentivement ces
visages, s'il vous plaît, et dites-moi si vous les trouvez sympathiques ou
non. Vous aurez à les reconnaître tout de suite après. On commence ? ». Ces
consignes seront suivies d'indications très précises (à différents moments et
selon le besoin de chaque patient), afin d'assurer un suivi en tout point
correct des consignes.
- Exemple à ne pas suivre : « Ce petit test n'est pas trop difficile, c'est un
test de mémoire de reconnaissance. Je vous demanderai d'aller très vite
parce que je vais vous présenter chaque visage pendant seulement 3
secondes. Il faudra bien les regarder et essayer de vous en souvenir. Dans
un premier temps, je vais vous montrer 50 visages, un par un, et à vous de
me dire pour chacun s'il est sympathique ou antipathique, comme ça vous
ne serez pas distrait. Dans la deuxième partie du test, vous allez voir les
visages que je vous ai déjà montrés avec des distracteurs... ». Des
commentaires superflus dans la transmission des consignes, tels que
l'illustre abondamment le deuxième exemple, n'aident pas le patient, le
fatiguent, génèrent des confusions et ont donc un effet négatif sur sa
performance.

Nous abordons à présent les trois réquisits qui concernent le patient et


dont le neuropsychologue doit vérifier la présence, lors de l'entretien initial
avec le patient et, si nécessaire, avec un de ses proches. Ces trois points sont
suffisamment importants pour que l'absence de l'un ou l'autre empêche la
réalisation de l'examen ou invalide les résultats (par manque de
connaissance ou d'expérience, par inadvertance jusqu'à la fin de la séance,
etc.).
Tout d'abord, il ne suffit pas de s'assurer que le patient ne souffre pas d'un
état confusionnel, il faut qu'il soit en mesure de maintenir un niveau
d'attention suffisant pour comprendre et suivre les consignes ainsi que pour
réaliser les tests. La durée des séances est très variable, pouvant aller de 5 à
10 minutes dans des cas d'extrême fatigue du patient, jusqu'à 3 heures pour
une évaluation complète. Dans tous les cas qui dépassent 30 à 45 minutes, il
est nécessaire d'introduire des pauses. Le nombre de pauses dépend de la
durée de concentration dont le patient est capable. Un neuropsychologue
expérimenté et maîtrisant les tests est en mesure d'observer attentivement
son patient et d'apercevoir ses éventuels changements attentionnels.
Cependant, il est conseillé de proposer des pauses, même en l'absence de
signes de fatigue, en expliquant au patient que ses résultats seront plus
fidèles si sa concentration est bonne. La fatigue est une des raisons
constantes du manque de concentration. Toutefois, il existe bien d'autres
causes à propos desquelles il faut également se poser des questions, dans le
cas où le patient ne les exprimerait pas spontanément. La douleur,
notamment les maux de tête, de fortes préoccupations associées à l'anxiété
et/ou à une humeur dépressive et le manque de sommeil sont les causes les
plus fréquemment évoquées du manque de concentration. Il existe encore
une autre raison, moins évidente mais toute aussi importante, c'est la peur
de constater l'échec. Certains patients ressentent cette crainte plus que
d'autres mais ils sont tous, à un moment ou à un autre, confrontés à ce
sentiment puisque l'examen vise, justement, les faiblesses et les déficits des
fonctions cognitives.
Il est également important de s'assurer que le patient comprend les
consignes et qu'il est physiquement en mesure de réaliser les tests. Les
patients qui ont des difficultés de compréhension verbale peuvent être aidés
par l'utilisation de matériel non-verbal et parfois par le fait d'imiter des
gestes de l'examinateur. Ainsi par exemple, si l'examinateur copie une
figure géométrique et la reproduit sans le modèle, le patient peut souvent
réaliser les mêmes activités dès que l'on place une autre figure géométrique
à reproduire devant lui. Des patients moins atteints peuvent poser,
cependant, autant de problèmes, par le fait qu'il n'existe pas de test « pur »
en neuropsychologie et que la réalisation d'un test s'appuie toujours sur
plusieurs fonctions. Par exemple, un niveau culturel modeste du patient
entrave sa compréhension de certains mots présents dans un test de «
mémoire logique », qu'il doit rappeler le plus fidèlement possible. Le rappel
de toute l'histoire sera compromis et le résultat déficitaire reflétera non pas
un trouble mnésique, mais une compréhension fragile du vocabulaire. Chez
d'autres patients encore, la compréhension sera bonne mais d'autres facteurs
rendront le test inutilisable, c'est le cas, par exemple, du patient qui ayant
bien compris les consignes pour la copie et la reproduction d'une figure
complexe, sera dans l'incapacité de réaliser le test à cause de troubles
visuels non corrigés par ses lunettes.
La troisième exigence concerne la motivation. En dehors des cas où la
lésion provoque directement une perte d'initiation de l'action (voir chapitre
8), le manque de motivation peut s'avérer plus difficile à évaluer puisque
plus « fuyant ». En effet, des performances faibles ou déficitaires peuvent
être imputées, tout naturellement, à la difficulté des tests proposés.
Comment s'aperçoit-on qu'il s'agit d'un manque de motivation ?
L'expérience montre que la prise en compte globale du profil cognitif
recueilli chez un patient démotivé, présente quelques éléments
contradictoires. Un exemple très basique est celui du patient qui obtient un
score faible à l'empan chiffré en ordre direct mais un bon résultat en ordre
inverse. La manipulation mentale de chiffres qui conditionne la réussite de
la tâche en ordre inverse implique obligatoirement une répétition exacte des
chiffres en ordre direct : le résultat montre donc une meilleure motivation
pour la tâche qui est plus difficile. Un autre exemple est constitué par une
distribution hétérogène des scores à l'échelle supérieure de Matrices
Progressives de Raven. Comme son nom l'indique, l'échelle présente une
difficulté de plus en plus élevée. Les résultats d'un patient démotivé peuvent
montrer par exemple des échecs pour les items 2, 4, 5, qui se trouvent parmi
les plus faciles, alors que les items 11 et 12, considérablement plus
difficiles, sont réussis.
Le patient dépressif trouve parfois impossible de fournir l'effort
nécessaire à la réalisation d'une tâche cognitive, surtout si elle demande un
effort attentionnel. Dans ce cas-là, les tests de mémoire basés sur le rappel
libre (voir chapitre 3) sont plus sensibles à l'humeur dépressive que les tests
de mémoire de reconnaissance, souvent seuls à fournir des résultats fiables.
Il existe un problème annexe chez certains patients et souvent dans le
contexte des expertises médico-légales. Ce problème consiste en une
motivation pour l'échec et ce, pour l'obtention d'un gain secondaire,
habituellement économique (attribution d'une pension en fonction d'un taux
d'invalidité par exemple). Il s'agit dans ce cas d'un patient « simulateur»
(malingering en anglais). Nous indiquons quelques indices qui doivent
alerter le neuropsychologue sur une possible simulation. Les tests de
mémoire de reconnaissance verbale et non-verbale (Warrington, 1984)
demandent une réponse en choix forcé. Il est statistiquement très rare de
commettre plus de 50 % d'erreurs et il est statistiquement impossible d'avoir
plus de 60 % d'échecs. Lorsqu'elle est constatée, cette « rupture statistique »
indique que le patient est capable de choisir l'erreur pour dégrader sa
performance. Prenons un autre exemple. Les tests d'amorçage visuel (voir
chapitre 3) sont bien réalisés par des patients non-simulateurs, amnésiques
profonds (qui ne sont plus capables, entre autres, de se rendre seuls à
l'hôpital). Par contre des sujets simulateurs, alors qu'ils se rappellent de leur
rendez-vous à l'hôpital et qu'ils viennent, souvent, seuls à la consultation,
auront aux tests d'amorçage visuel une performance inférieure à celle des
patients réellement amnésiques.

Les réquisits commentés, qui conditionnent la validité de l'examen


neuropsychologique, sont les plus importants mais non pas les seuls,
comme nous le verrons dans l'alinéa suivant.

Les étapes de l'évaluation neuropsychologique

- Le neuropsychologue doit, avant de commencer l'examen, savoir quel


est le contexte de cet examen, c'est-à-dire savoir qui lui adresse le patient et
pour quoi. Normalement, la demande d'examen s'accompagne d'une lettre
ou d'un mot du médecin (neurologue, neurochirurgien...) en indiquant le but
(examen de la mémoire en préopératoire, difficultés du langage, troubles de
l'orientation, appréciation de l'atteinte cognitive, suggestions d'attitudes
thérapeutiques dans tel ou tel autre cas, présence d'une tumeur dans telle ou
telle région, avis général suite à un AVC, à un traumatisme crânien, etc.). Si
le neuropsychologue n'a pas ces indications écrites ou orales, il les demande
avant l'examen.
- Il doit ensuite consulter le dossier médical. Cette lecture qui ne peut
durer que quelques minutes, dans la plupart des cas, a pour but de le
renseigner sur l'étiologie de la lésion, vérifiée ou suspectée. Si elle a été
vérifiée, il faut chercher l'information de l'imagerie cérébrale, très
fréquemment une IRM. Sinon, on doit trouver l'information équivalente
dans les comptes-rendus neurologiques du dossier. De manière générale, on
aura « bien lu » un dossier si l'on peut répondre aux 7 questions suivantes :
quelle est l'étiologie ? La localisation de la lésion ? Le moment de l'accident
ou celui de l'apparition des symptômes ? Des troubles cognitifs sont-ils
signalés ? Lesquels ? Depuis quand ? Prise de médicaments susceptibles
d'interférer avec l'attention/la mémoire ?
- L'étape suivante est l'entretien avec le patient et, dans certains cas, avec
un proche. Lors de ce premier contact, il s'agit d'établir une bonne
interaction (voir plus haut, les réquisits du neuropsychologue) et d'obtenir
une série d'informations complémentaires. Les questions mentionnées dans
ce paragraphe seront modulées et adaptées à chaque patient. Le but
essentiel est d'avoir un bon aperçu des difficultés cognitives du patient,
telles qu'il les ressent et d'obtenir sa propre narration de l'impact que ses
problèmes ont dans sa vie quotidienne. Une dizaine de minutes suffisent à
réussir un entretien utile (à condition de savoir canaliser les réponses qui
sont en dehors des buts utiles à l'examen neuropsychologique comme, par
exemple, une longue explication concernant les troubles digestifs provoqués
par un médicament). Lors de l'entretien, trois groupes de questions sont
normalement posés. Si le patient n'est plus en mesure de répondre à l'une ou
l'autre, on les demande à un proche, mais de préférence après l'entretien
avec le patient et sans qu'il soit présent, de manière à obtenir des réponses
plus objectives de la part de l'accompagnateur. Le premier groupe comprend
des questions factuelles : Date de naissance ? Âge ? (ce n'est pas redondant,
voir chapitre 9). Êtes-vous marié ? Avez-vous des enfants, petits-enfants ?
Jusqu'à quel âge avez-vous fait des études ? Avez-vous (selon les cas) le
niveau du Bac, plus, moins ? Quelle main utilisez-vous pour écrire, couper
une feuille de papier avec des ciseaux, distribuer des cartes de jeu, allumer
une allumette ? (Si nécessaire, il faut, une fois l'entretien fini, présenter
entièrement l'échelle de latéralité d'Oldfield, 1971 « Edinburgh Handedness
Inventory », d'où sont tirés les exemples). Le deuxième groupe de questions
est plus élaboré : Pouvez-vous m'expliquer vos difficultés de tous les jours ?
Le patient qui dit « J'oublie où je pose mes lunettes » et rien d'autre, sera
aidé par des questions plus ciblées (en faisant attention à ne pas suggérer la
réponse). Pouvez-vous me raconter une situation de difficulté récente ?
Qu'est-ce qui vous pose le plus de problèmes dans la vie courante, quand,
où, comment ? (par exemple, un jeune cadre, avec un QI supérieur, après un
traumatisme crânien, avait enfin pu exprimer son problème central : «
Depuis que j'ai recommencé à travailler, je m'aperçois que j'ai du mal à me
concentrer. J'ai des maux de tête surtout en fin de journée... surtout, en fait,
quand ma collègue de bureau fait des enquêtes par téléphone, sa voix est
perçante et elle parle tellement fort... Je n'arrive plus à me concentrer... »)
Avez-vous mal quelque part ? Souvent ? Prenez-vous des médicaments ?
Lesquels ? Bien que dans la lettre envoyée au patient pour la consultation
en neuropsychologie, une note écrite en grands caractères indique que les
lunettes de vue doivent être apportées le jour de l'examen, on lui demande
lors de l'entretien s'il a besoin de lunettes pour lire et s'il les a apportées. Le
dernier groupe de questions est le suivant : Quelles sont vos activités
quotidiennes ? Travaillez-vous ? Quels sont vos loisirs ? Voyez-vous vos
proches, amis, voisins ? Quels événements du monde actuel pouvez-vous
me commenter ? Qu'est-ce qui se passe actuellement en... ?
Les réponses, notées au cours de cet entretien, auront une incidence sur la
suite de l'examen. Ainsi, si le patient presbyte oublie ses lunettes, aucune
tâche visuelle (verbale et non-verbale) n'est demandée. Dans les cas
suivants, aucune exploration cognitive n'est réalisée :
- le patient souffre d'une gêne persistante qui rend son attention très
difficilement « mobilisable » pour les tests;
- il a consommé de l'alcool ou des stupéfiants avant la consultation et
en quantité suffisante pour altérer son efficience aux tests;
- ses réponses suggèrent un tableau psychiatrique (par exemple, il dit :
« Je suis né le 21 juin 1867, pour la première fois, puis en 1900 et
quelque mais cette date-là n'a plus aucune importance ») ;
- sa connaissance de la langue est trop sommaire pour établir une
communication et l'accompagnateur n'est pas plus fluent.

Évaluation neuropsychologique générale


Toute évaluation neuropsychologique devrait pouvoir fournir un tableau
relativement général au moyen des tests mesurant les fonctions cognitives
suivantes : capacités de raisonnement, mémoire, langage, calcul, capacités
visuo-perceptives et spatiales, praxis et fonctions exécutives. Pour évaluer
chacune de ces fonctions, le neuropsychologue sélectionne le type de tests
qui convient au patient, sachant qu'il existe une variété de tâches pour
différents niveaux d'examen de la fonction. Ainsi par exemple, la lecture
d'un bref paragraphe nous renseigne sur la « capacité de lecture » du
patient, alors que sa lecture des substantifs et des mots grammaticaux (voir
chapitre 4) nous renseigne sur les différentes « voies de lecture ». Par
ailleurs, le test est choisi en fonction du temps nécessaire à sa passation et
du niveau de difficulté jugé utile (exemple à ne pas suivre : le clinicien qui,
lors de la présentation du même protocole à tous ses patients, demande aux
patients dont le stade de la maladie d'Alzheimer rend difficile la copie de
losanges ou carrés, de copier et de reproduire la figure complexe de Rey !).

Évaluation de l'efficience cognitive actuelle et son estimation prémorbide

L'évaluation des capacités de raisonnement a pour but de fournir les


éléments nécessaires à une appréciation solide de la détérioration des
capacités intellectuelles. En neuropsychologie, l'expression détérioration
intellectuelle se réfère à un niveau de perte de capacités cognitives
supérieur à la perte normale due à l'âge. Pour cerner une éventuelle
détérioration, l'efficience cognitive actuelle devra donc être comparée à
l'efficience estimée préalable à la maladie (voir le paragraphe suivant). La
WAIS (version R ou version III) est la batterie d'efficience la plus largement
utilisée et l'un des instruments d'évaluation intellectuelle le mieux
standardisé en psychologie. La version réduite utilisée par « l'école de
Warrington » est composée de 4 sous-tests de l'échelle verbale (vocabulaire,
mémoire des chiffres, arithmétique et similitudes) et de 3 sous-tests de
l'échelle de performance (complètement d'images, arrangement d'images et
cubes). Le QI verbal et le QI de performance sont obtenus en extrapolant
les notes standard. Le QI global n'apporte pas d'information dans le
contexte neuropsychologique et même les QI par échelles devront être
détaillés pour être utiles. En effet, la constatation d'une distribution très
inégale des scores ou des déficits importants à un seul des sous-tests peut
s'avérer informative. Sans les résultats à chaque sous-test, les différences de
performance passeraient inaperçues. Il est important de rappeler que la
WAIS n'a pas été conçue pour des patients neurologiques et qu'elle n'a pas
de valeur clinique pour le diagnostic. De manière similaire, le décalage
entre les deux échelles guide la suite de l'examen mais ne permet pas de
conclure, uniquement sur cette base, à un fonctionnement altéré de l'un ou
l'autre hémisphère cérébral. Concernant l'échelle de performance, dont les
scores à tous les sous-tests dépendent du temps de réalisation, il faut
rappeler que les patients neurologiques présentent souvent un
ralentissement mental. Il serait incorrect de conclure que le patient a un QI
de performance déficient s'il est capable de finir les sous-tests de
performance en dépassant le temps alloué. En général, si on observe un
ralentissement, il est plus informatif de tester le raisonnement non-verbal
avec des tests non chronométrés comme, par exemple, une des échelles de
Raven (matrices colorées, version longue ou échelle supérieure; Raven,
1965 ; 1985).
En plus des aspects inhérents au statut cognitif actuel du patient,
engendré par la maladie, il faut tenir compte de son niveau intellectuel
antérieur. Estimer ce niveau n'est pas toujours aisé, notamment pour les
personnes qui ont eu un parcours scolaire atypique; mais, même imprécise,
l'estimation peut être utile pour les conclusions.
Pour estimer l'efficience intellectuelle prémorbide, la manière la plus
courante est de supposer une certaine correspondance entre le niveau
intellectuel et le nombre d'années de scolarité (par exemple, le niveau Bac
suppose un QI = 100 au minimum; une personne ayant un niveau Bac + 4
ou 5 aurait donc un QI dans l'intervalle moyen-fort au minimum). Pour le
patient dont le système de scolarité ne nous est pas connu, nous nous
aidons, le cas échéant, de ses acquis cognitifs de la vie adulte (les langues
sont un bon exemple : si le patient a pu apprendre une deuxième langue à
l'âge adulte nous estimons son QI prémorbide à 100 ; s'il est devenu
polyglotte à l'âge adulte nous l'estimons à l'intervalle supérieur).
Une autre manière d'estimer le niveau cognitif avant la lésion est de
prendre comme indice le meilleur score à l'un des sous-tests de l'échelle
WAIS ou, plus fréquemment, le score à un test de lecture des mots
irréguliers (NART : adaptation française; Mackinnon et al., 1999) ou encore
à un test de vocabulaire (le plus souvent, le sous-test vocabulaire de la
WAIS). Ce choix se base sur des observations qui indiquent que les acquis
verbaux sont moins sensibles aux effets de l'atteinte cérébrale que la
mémoire ou la résolution des problèmes, sauf, naturellement, si le patient
présente des troubles du langage.
Finalement, en France, suivant toujours le même principe d'une plus
longue préservation du vocabulaire, et a fortiori des éléments verbaux sur-
appris, le test d'Automatismes Verbaux (Beauregard, 1971) s'avère utile
pour estimer le niveau prémorbide, surtout chez les patients d'un certain
âge. Le test, très simple, demande de compléter des phrases dont la
fréquence d'utilisation dans la langue française est fonction du niveau
culturel (les exemples suivants correspondent à différents niveaux de
fréquence : « souviens-toi du vase de... » ; « à l'ombre de jeunes filles en...
» ; « nul n'entre ici qui ne soit... »). Le test a 40 phrases et la passation est
interrompue après 4 échecs consécutifs; un QI donné correspond à un
nombre de phrases complétées correctement.

L'attention

Deux dimensions de l'attention déterminent la qualité du traitement de


l'information (TI), la sélectivité et l'intensité. En effet, la perception, le
traitement et le stockage de l'information requièrent, pour être optimaux,
que l'attention soit dirigée (sélective) et que le niveau d'intensité soit adapté
à la tâche en cours. Un point important pour l'évaluation
neuropsychologique est que la sélectivité et l'intensité attentionnelles, chez
le patient, dépendent de la tâche proposée. Un patient peut, de par son
métier par exemple, « recruter » le niveau attentionnel nécessaire pour un
test de calcul mental, ayant au cours de sa vie suffisamment pratiqué pour
automatiser certaines stratégies de calcul, et être incapable de se concentrer
plus de quelques minutes sur un test de figures enchevêtrées, qui s'avère
pour lui plus difficile que le calcul pour d'autres patients. Il n'est donc pas
utile de se prononcer, lors de l'examen, sur un niveau global de l'attention.
Le choix de tests mesurant différents volets de l'attention dépend de la
condition neurologique du patient et de la demande d'examen (l'évaluation
de l'attention secondaire à l'observation d'un ralentissement cognitif chez le
patient épileptique et celle réalisée en vue d'une reprise de travail après un
traumatisme crânien modéré, vont différer notoirement). Indépendamment
des cas à évaluer, l'empan chiffré (qui fait partie de l'évaluation du QI
verbal) est un bon test d'attention. L'empan mnésique nous renseigne sur le
nombre d'items que le patient est capable de traiter durant quelques
secondes. Ce test considéré comme mesurant la mémoire à court terme,
lorsqu'il est évalué en ordre direct, et la mémoire de travail, quand la
réponse doit être fournie en ordre inverse à la présentation des chiffres, est
un bon exemple de la difficulté à séparer attention et mémoire.

Dans la pratique clinique, l'observation attentive du patient est l'outil le


plus efficace et le plus répandu dans l'évaluation de l'attention. Cette
observation a lieu à tout moment : le patient est-il distrait par un bruit de
l'extérieur ou par un crayon qui tombe par terre ? Est-il attentif aux
consignes ? Suit-il un changement de sujet de conversation lors de
l'entretien ? Cette observation est également importante en situation de test.
Voyons un exemple concret. Le test de barrage de chiffres (The National
Hospital, Londres) consiste en 322 chiffres (distribués en 14 colonnes et 23
lignes), parmi lesquels le patient doit barrer les 0 « le plus rapidement qu'il
lui soit possible, en essayant de n'en oublier aucun ». Le temps de
réalisation n'est pas limité d'avance mais il est strictement chronométré, la
réussite ou l'échec au test dépendant du temps employé pour le compléter. Il
est possible que le patient montre une coordination visuo-motrice très
efficace et rapide mais qu'il soit incapable d'utiliser une stratégie cohérente.
Le clinicien observe que le patient commence à barrer les 0 en suivant les
lignes, puis change inopinément de règle pour parcourir une colonne; puis il
revient vers le haut de la page et s'aperçoit qu'il ne sait plus quelle était la
ligne qu'il avait modifiée. Il recommence alors une partie déjà faite et
rallonge ainsi le temps au point d'obtenir un score déficient alors qu'il n'a
aucun signe de ralentissement. Il existe une échelle standardisée
d'observation attentionnelle (Ponsford et Kinsella, 1991). Originellement
conçue pour des patients traumatisés crâniens, elle contient 14 questions et
5 niveaux de fréquence pour chaque item (par exemple : « Le patient se
distrait facilement : très souvent/jamais, etc. »).
Deux processus attentionnels interagissent au cours des tâches de TI, la
vitesse, qui reflète la capacité de traitement, et le contrôle ou mémoire de
travail (Van Zomeren et Spikman, 2003). La vitesse et le contrôle
attentionnels varient d'une tâche à l'autre en fonction du degré de
structuration de la tâche et de la pression imposée par le temps limité. Ces
caractéristiques s'accompagnent d'un niveau de difficulté de réponse
cohérent avec ces facteurs.
- Si nous voulons évaluer la vitesse, la tâche doit être bien structurée, la
réponse très simple et la composante « contrôle » pratiquement absente (par
exemple, mesurer la vitesse du temps de réponse à l'apparition de la lettre «
A » sur un écran d'ordinateur, en appuyant sur une touche du clavier).
- Si nous nous intéressons au contrôle, la tâche est « ouverte », aucune
consigne concernant le contrôle n'est donnée explicitement; elle n'est pas
chronométrée, le temps ayant une importance secondaire, et la réponse a un
niveau élevé de difficulté (par exemple, réaliser la synthèse d'un texte lu).
- L'évaluation de l'attention en clinique est plus fréquemment réalisée en
testant la contribution des deux processus ce qui implique que la réussite à
une tâche donnée dépend de la vitesse, mais aussi d'un certain contrôle de
l'information. Les tâches utilisées sont semi-structurées (le contrôle est
défini dans les consignes) et la réponse a un niveau de difficulté
intermédiaire. Le test de Stroop (Stroop, 1935), conçu pour évaluer la
capacité de contrôle de l'attention sous pression de temps, est un bon
exemple. Ce test comporte 3 parties (chacune a un temps limité de 45 sec.).
Tout d'abord, le patient lit le plus possible de mots (noms de couleurs),
présentés en majuscules sur 10 colonnes et 10 lignes occupant une page
entière. Ensuite le patient nomme le plus grand nombre possible de couleurs
que remplissent des petits rectangles, dont la distribution est identique à
celle de la présentation des mots. La troisième partie constitue le test
proprement dit, il s'agit de mots (noms de couleurs) mais, à la différence de
la première planche, les mots sont ici imprimés en couleur (la couleur des
caractères étant différente de celle que désigne le mot). Ainsi on voit par
exemple, VERT (écrit en bleu), BLEU (écrit en rouge), ROUGE (écrit en
vert), etc. Le patient a pour consigne de donner la couleur de l'encre et de ne
pas lire le mot (bleu, rouge, vert dans l'exemple). La réussite dépend du
niveau d'activation des consignes dans la mémoire de travail.
Il existe des tests de haut niveau de difficulté, qui sont rarement utilisés
en consultation de routine, mais très utiles pour établir un programme de
rééducation (par exemple le PASAT : Paced Auditory Serial Addition Task
de Gronwall, 1977), et des tests spécifiques pour évaluer le syndrome
d'héminégligence visuo-attentionnelle, que nous développons au chapitre 6.

Conclusion

Le présent chapitre est une tentative pour guider l'évaluation


neuropsychologique suivant la méthode adaptée, sans oublier que les
caractéristiques essentielles de l'approche cognitive de recherche guident
également la clinique de routine. L'avantage de l'évaluation adaptée est la
possibilité de choisir les tests en fonction de l'étiologie et l'état du patient
(niveau d'attention, compréhension, motivation). La réussite de ce type
d'examen dépend de nos connaissances neuropsychologiques,
particulièrement celles sur l'organisation cérébrale des fonctions et sur les
modèles cognitifs; de notre maîtrise d'une grande variété de tests ayant des
niveaux de difficulté différents et de la qualité de la relation patient -
clinicien. L'évaluation doit répondre prioritairement mais pas uniquement
aux questions cognitives : le comportement et les observations sur le
retentissement émotionnel de la lésion sont autant de questions pour le
neuropsychologue.
CHAPITRE 3

La mémoire

Introduction

Comment apprenons-nous et comment nous rappelons-nous ? Nous ne


sommes pas encore capables de donner des réponses précises à ces questions,
cependant l'organisation générale de la mémoire commence à être comprise 120
ans après la publication de la première monographie consacrée à la mémoire
(Ebbinghaus, 1885). L'association entre l'approche neurobiologique et celle de la
neuropsychologie s'est avérée décisive dans les progrès de la compréhension de
la mémoire, et c'est Lashley qui, dès 1915, l'applique de façon systématique. Son
travail a pour but l'identification des localisations neuronales mnésiques. Ce
projet qu'il poursuit sa vie durant, se termine en 1950, lorsqu'il conclut que la
démonstration des localisations isolées de la mémoire est vouée à l'échec. Trois
années plus tard, le neurochirurgien Scoville, dans le but de soulager son patient
HM des crises épileptiques rebelles, le soumet à une exérèse bilatérale des
formations hippocampiques et constate que HM devient profondément
amnésique pour tout événement vécu après son intervention chirurgicale. La
description du profil mnésique d'HM réalisée par Scoville et Milner en 1957
constitue ainsi un tournant dans l'étude de la mémoire.
La mémoire est une composante essentielle de presque tous les domaines de la
cognition, il n'est donc pas surprenant que les troubles mnésiques soient présents
dans pratiquement tout type de dysfonctionnement cognitif. Cette simple
observation clinique indique l'impossibilité méthodologique d'aborder la
mémoire comme un tout unitaire, en plus de l'inefficacité théorique qu'une telle
approche engagerait. Les modèles conceptuels de la psychologie cognitive et les
résultats des évaluations neuropsychologiques rigoureuses, ont contribué depuis
une trentaine d'années à concevoir la mémoire comme un ensemble de systèmes.
Les systèmes mnésiques sont des formes d'adaptation spéciale du traitement de
l'information à retenir et à rappeler dans des buts précis et fonctionnellement
incompatibles (Sherry et Schacter, 1987). Il existe plusieurs manières d'aborder
les systèmes de mémoire, l'une fait appel, par exemple, aux processus
mnésiques, une autre au facteur temps, une troisième, au contenu. Au sein de la
mémoire à long terme, on aborde les dimensions explicite et implicite, celles
concernant les troubles antérogrades et rétrogrades, etc. Il n'est pas aisé de
réaliser des classifications « pures », les facteurs qui définissent une classe sont
aussi impliqués dans d'autres classes. Nous allons essayer de décrire les
dimensions essentielles de la mémoire, en ayant présent à l'esprit leur utilité vis-
à-vis de la clinique. Tout d'abord, nous verrons, dans les paragraphes suivants,
quelques notions basiques, et nous développerons, dans le reste du chapitre, les
systèmes de mémoire.

Les processus mnésiques sont des opérations précises qui traitent l'information
à des étapes distinctes. Les trois processus, encodage, stockage et récupération,
interagissent selon certaines règles opératoires fondamentalement différentes en
fonction du système.
- L'encodage est l'identification et l'association de l'information perçue. Ce
processus est intact dans la plupart des cas d'amnésie.
- Le processus de consolidation ou stockage de l'information comprend la
formation d'un « engramme » ou trace mnésique. En termes
neurophysiologiques, il s'agit très vraisemblablement de la formation de
nouvelles configurations neuronales nécessitant la participation de
structures cérébrales variées et intactes. Le déficit de stockage est la cause
la plus fréquente d'amnésie.
- Le processus de récupération consiste en l'interaction d'indices externes
(par exemple un mot, une mélodie) avec l'information stockée. Cette
interaction ou « ecphorie » (mise en résonance), réactive les représentations
mentales telles qu'elles avaient été formées lors de l'encodage. La
récupération d'un souvenir serait ainsi la manifestation de l'ecphorie réussie.
En situation de test, le processus de récupération est évalué en proposant
des tâches de rappel libre (aucune aide externe n'est fournie), de rappel
indicé (en donnant, par exemple, les premières lettres ou la catégorie de
l'item à rappeler) et de mémoire de reconnaissance (les stimuli présentés
faisant partie de l'apprentissage sont présentés une deuxième fois parmi des
distracteurs). Le processus de récupération de l'information peut être
sélectivement endommagé en cas de lésion, suggérant alors plus un
phénomène d'inaccessibilité aux souvenirs que l'effacement des traces
mnésiques, l'effacement étant caractéristique du syndrome amnésique
(trouble antérograde et rétrograde).
La mémoire en fonction du temps, comporte un système d'enregistrement
sensoriel d'une durée de quelques millisecondes (mémoires iconique et
échoique), trop précoce dans le traitement de l'information pour être étudié dans
la clinique neuropsychologique. Il est « suivi » de systèmes de mémoire à court
terme (MCT) et de mémoire de travail (MT). Le système de mémoire à long
terme (MLT) est celui dont le dysfonctionnement est au centre des consultations
neuropsychologiques. Sa fonction normale se caractérise par une rétention d'une
quantité illimitée d'informations pouvant durer toute la vie.
L'étude des systèmes mnésiques d'après le contenu de l'information, prend en
considération uniquement la MLT.

Le concept multisystème de la mémoire (Tulving, 1972-2005)

« Le premier pas dans l'organisation du savoir concernant la nature est d'être


conscient des similitudes et des différences que comportent tant les choses que
les événements » (Tulving, 1972, p. 383). De manière générale, toute définition
gagne en clarté si elle spécifie, en plus de ce que le concept défini est, ce qu'il
n'est pas (e.g., la mémoire verbale n'est pas la mémoire visuo-spatiale; la MCT
n'est pas la MLT...). Au sein de la mémoire à long terme, Tulving distingue pour
la première fois deux systèmes. Son point de départ est le concept de mémoire
sémantique, qui avait été forgé par Quillian en 1966 (in Tulving, 1972). Tulving
se pose la question de savoir ce que la mémoire sémantique n'est pas et se réfère
à cette mémoire qui n'est pas sémantique comme la mémoire qui est « épisodique
». Le terme « épisode » a été choisi car il est synonyme d'occurrence et parce que
sa définition (« les épisodes sont des événements distincts et séparés mais faisant
partie de séries plus larges ») s'applique parfaitement à la notion que Tulving a
de ce système. Les deux mémoires, sémantique et épisodique, reçoivent des
informations perceptives et cognitives, traitent et retiennent différents aspects de
cette information et les transmettent aux systèmes qui les traduisent en réponse
comportementale et conduite consciente. Les deux systèmes diffèrent en termes
de contenu de l'information stockée en raison de leurs connexions différentes,
l'un avec la connaissance et l'autre avec l'autobiographie. En raison de cette
dernière relation, dans le présent chapitre, les termes « épisodique » et «
autobiographique » seront utilisés indistinctement. Les systèmes sémantique et
épisodique diffèrent également dans le degré de vulnérabilité à l'interférence,
cause des transformations et de l'effacement de l'information stockée.
En 1985, la contribution de Tulving se centre sur les niveaux de conscience
qui accompagnent trois systèmes mnésiques : épisodique, sémantique et
procédural. Les trois niveaux de conscience associés sont, respectivement, la
conscience autonoétique, noétique et anoétique. C'est la mémoire épisodique
impliquant le niveau autonoétique que Tulving développe avec un intérêt
particulier dans le travail cité. Les conclusions sur la conscience autonoétique se
basent, d'une part sur un cas clinique étudié auparavant (Tulving, 1983 ; cas que
nous décrirons ultérieurement dans ce chapitre) et, d'autre part sur une série
d'expériences chez le sujet sain. Ces dernières consistent en l'apprentissage de
listes de mots appartenant à différentes catégories. Les résultats aux modalités de
rappel libre et de rappel indicé, soit par la catégorie, soit par la lettre initiale du
mot, permettent à Tulving de se prononcer sur les relations entre les
performances et les conditions régissant la récupération des informations
mnésiques.
Le système de mémoire sémantique, dont le concept est présent depuis les
années 1960 dans la littérature, sera défini de manière de plus en plus précise au
cours du temps, dans différents travaux de Tulving. En 2001, la mémoire
sémantique est conceptualisée comme l'ensemble des connaissances générales du
monde qui nous entoure, avec ses objets, ses événements et tout autre fait
répétitif que les personnes trouvent de manière régulière, ainsi que les acquis
didactiques théoriques de toutes sortes, les règles grammaticales, les symboles et
les mots.
Par ailleurs, le modèle multisystème de mémoire s'enrichit avec l'introduction
de la mémoire procédurale qui inclut l'ensemble des habiletés motrices, des
conditionnements simples et des apprentissages associatifs simples. Plus tard,
c'est le système de représentations perceptives (« perceptual representation
system ») PRS qui sera introduit et défini comme le processus qui améliore la
capacité d'identification perceptive d'un stimulus et sous-tend les effets
d'amorçage perceptif et lexical. Enfin, le modèle de Tulving inclut également la
mémoire primaire ou mémoire de travail (MT), qui rend possible la manipulation
mentale de l'information pendant une à deux minutes. La dimension explicite-
implicite (voir plus bas), est définie pour chaque système. La mémoire
procédurale et le PRS ont un encodage et une récupération implicite, alors que
les mémoires primaire et épisodique réalisent les deux processus de manière
explicite. Enfin, au sein de la mémoire sémantique, l'information est encodée
explicitement mais récupérée implicitement.
En 1993, Tulving (in Tulving et Markowitsch, 1998) propose l'introduction
des modes d'action des trois processus mnésiques. Ainsi, l'information serait
encodée en mode Sériel, elle serait stockée en Parallèle et récupérée de manière
Indépendante, d'où la dénomination « SPI » du modèle. Les relations entre
mémoire épisodique et mémoire sémantique apparaissent plus clairement dans ce
contexte. En effet, il existe une hiérarchie selon un ordre ascendant qui va de la
mémoire sémantique à la mémoire épisodique. Une conséquence de cette
hiérarchie, qui peut sembler contraire au sens commun, est que les souvenirs
épisodiques ne précèdent pas la formation des connaissances sémantiques mais
le contraire : la mémoire épisodique se forme à partir des souvenirs sémantiques.
Un nombre important de souvenirs reste au niveau sémantique uniquement (voir
plus bas les points de vue ontogénétique et phylogénétique de l'apparition de la
mémoire épisodique). Le modèle SPI comporte uniquement les systèmes
épisodique et sémantique (voir la figure 2). En 2001, Tulving complète ce
modèle avec le système des représentations perceptives.
Malgré l'indéniable degré de flexibilité d'un tel modèle, par rapport à un
modèle unisystème, ses caractéristiques lui imposent des limites. En effet,
l'impossibilité pour le modèle de prédire - dans l'amnésie antérograde (voir la
sous partie intitulée « Troubles de la mémoire antérograde et rétrograde ») - une
dissociation entre une mémoire sémantique déficiente et une capacité de stocker
des données épisodiques nouvelles d'une part, et l'observation des patients
atteints de démence sémantique d'autre part (voir chapitre 9), ont conduit à
suggérer une modification au modèle SPI de Tulving, le modèle des inputs
multiples (Simons, 2000) qui remet en question le mode sériel de l'encodage.
À partir des travaux de Tulving, les expériences et tout particulièrement les
explorations neuropsychologiques seront planifiées et conduites en
conséquence ; les résultats jusqu'alors inédits montreront des dissociations
Figure 2
. Organisation du traitement de l'information mnésique selon Tulving et
Markowithch, 1998
sélectives. La notion d'une mémoire humaine comprenant un système unitaire
est définitivement remplacée par un concept multisystème.
Nous allons développer à présent les systèmes de MCT et de MLT.

La mémoire à court terme

Elle est transitoire et a une capacité limitée - approximativement 7 chiffres ou


6 lettres ou 5 mots - permettant de conserver l'information pendant une durée de
quelques secondes. C'est sur la base de ces deux paramètres, sa capacité et sa
durée, que l'on étudie la MCT tout en tenant compte de l'exigence d'une
reproduction exacte du matériel proposé sans que le sujet ait pu le répéter
mentalement avant la réponse orale ou écrite. La notion d'empan fait référence à
sa capacité. L'empan est influencé par plusieurs facteurs (Baddeley, 1996) dont
les plus étudiés sont : la familiarité des éléments qui composent les listes, la
longueur des listes, la durée d'articulation verbale des items et le degré de
superposition des sons des items d'une liste (ces points sont développés plus
loin).
Les antécédents historiques de la MCT éclaircissent ce concept, tel que nous
l'utilisons à présent. En 1887, Jacobs rapporte une expérience utilisant l'empan
auditif et rendant compte d'une augmentation de cet empan avec l'âge dans un
groupe d'adolescents. Cette constatation lui permet de suggérer une relation entre
l'empan et la maturation de l'intelligence, suggestion qui est encore d'actualité.
L'exemple le plus connu étant le sous-test mémoire des chiffres de la batterie
WAIS-R qui est utilisé, parmi d'autres sous-tests, dans l'obtention du QI verbal.
William James, pour la première fois en 1890, fait la distinction entre deux
types de mémoire qu'il appelle « primaire » et « secondaire ». Waugh et Norman
(1965) reprennent cette terminologie et lui donnent sa définition actuelle. Hebb
(1949) réalise la première expérience utilisant l'empan chiffré et réussit à mettre
en évidence la séparation des processus de mémoire à court et à long terme. Pour
ce faire, Hebb propose des listes de 24 séries de 9 chiffres chacune, un même
ensemble de 9 chiffres étant répété, à l'insu du sujet, 8 fois dans chaque liste.
Hebb obtient une différence significative dans la reproduction, qui est bonne
uniquement pour la série répétée. Ces résultats s'expliquent par la présence de
deux types d'encodage, l'un à court terme, invariablement limité, l'autre à long
terme, activé grâce à la présentation réitérée d'un même ensemble d'éléments.
La contribution de Warrington et Shallice (1969 ; Shallice et Warrington,
1977) à la compréhension de la MCT émerge de l'étude du patient KF dont la
lésion affectait la partie inférieure du lobe pariétal gauche. Ce patient présentait
une réduction d'empan auditivo-verbal qui atteignait un maximum de 2 chiffres
alors que la production d'un sujet sain est de 6 à 8 chiffres. En revanche, KF était
capable d'apprendre des listes de 10 mots et de réaliser le test de mots couplés
dans les limites de la normalité. L'étude de KF invalide les modèles de mémoire,
très répandus dans les années 1960, selon lesquels la MCT n'était qu'une porte
d'entrée à la MLT (par exemple, Waugh et Norman, 1965, et plus
particulièrement, Atkinson et Shiffrin, 1968). En effet, le taux d'apprentissage de
KF étant normal en l'absence de traitement à court terme, mettait en question la
conception de cette MCT en tant que passage obligatoire de l'information à
apprendre. Warrington et Shallice proposent en conséquence, l'organisation
indépendante et parallèle de la MCT et de la MLT. Ce postulat est à présent plus
nuancé, comme on le verra plus loin. L'étude de Warrington et Shallice
concernant le patient KF montre, par ailleurs, que l'oubli du matériel présenté
oralement est significativement plus rapide que celui du matériel présenté
visuellement. Ces observations ont conduit à des modèles théoriques distinguant
les stockages à court terme selon la modalité sensorielle d'entrée. Des
évaluations encore plus approfondies du patient KF montrent que, dans la
modalité auditive, son stockage à court terme était préservé pour les sons non-
verbaux comme des bruits de train, des miaulements, etc. Les données cliniques
concernant la mémoire de localisation spatiale à court terme, étudiée par De
Renzi et al. (1977) avec les cubes de Corsi, montrent également une dissociation
entre la MCT endommagée et la MLT de localisation spatiale préservée. Les
lésions, comme dans le cas de figure précédent, étaient postérieures gauches.
Dans un contexte anatomoclinique différent, Manning et al. (2000) obtiennent
des résultats similaires : en effet, leur patiente est atteinte de dégénérescence
hippocampique bilatérale et présente un oubli « au fur et à mesure » tout en
restant capable d'apprendre lentement du matériel nouveau comme par exemple
des mots couplés et des récits. Ce cas élargit les résultats de Warrington et
Shallice en montrant que le stockage à long terme est possible même dans un
contexte anatomique d'absence de participation hippocampique et donc
totalement dépendant des changements de la structure corticale des lobes
temporaux.

Les modèles de mémoire à court terme auditivo-verbale

Baddeley et Hitch (1974; Baddeley, 1986) ont proposé un modèle de mémoire


de travail (très répandu en France). Le modèle a trois composantes principales :
l'administrateur central qui est l'élément principal, le calepin visuo-spatial et la
boucle phonologique. L'administrateur central est un système attentionnel qui «
gère » les deux autres composantes et est le seul à être sollicité par des tâches de
niveau cognitif relativement complexe, notamment de traitement et de stockage
de l'information, de régulation du flux de l'information dans la MT et de
récupération de l'information contenue dans d'autres systèmes.
La composante visuo-spatiale est sollicitée lors du stockage à court terme des
informations visuo-spatiales et lors des tâches de génération, de maintien, de
comparaison, de manipulation, etc. d'images mentales. Logie (1986) spécifie que
les composantes du calepin visuo-spatial permettraient de réaliser des tâches
d'imagerie proprement visuelle et d'imagerie spatiale.
La boucle phonologique est formée de deux sous-systèmes, le stockage
phonologique à court terme et le processus de répétition sous-vocale qui sert à
rafraîchir le codage phonologique du stock phonologique qui décline rapidement.
La boucle phonologique a été étudiée au moyen des effets provoqués par
différents facteurs dont les caractéristiques principales sont commentées
brièvement.
- L'effet de longueur du mot peut influencer la capacité de répétition des
séquences d'items verbaux. Ainsi, une liste composée par les mots rue, tasse,
chat, sera mieux rappelée qu'une autre composée par les mots université,
constitution, sensibilité. Cet avantage se vérifie indépendamment de la modalité
sensorielle. Elle a été expliquée en terme de durée d'articulation que les auteurs
postulent comme facteur indépendant du nombre de syllabes qui composent les
mots. L'importance de la durée d'articulation est plus facile à tester en anglais où
l'on trouve des paires de mots qui, ayant le même nombre de syllabes, diffèrent
en durée d'articulation en raison de l'allongement de certaines voyelles (Baddeley
et al., 1975). Malgré l'apparente robustesse de ces résultats, la contribution
exacte de la durée d'articulation et de la quantité d'information phonologique à
l'effet de longueur du mot, n'est pas éclaircie. Par ailleurs, l'effet disparaît lorsque
le nombre de phonèmes et de syllabes est contrôlé. Cet effet est observé aussi
bien pour les mots composés de voyelles longues que de voyelles courtes
(Caplan et Waters, 1994).
L'effet de longueur du mot a été attribué par Baddeley à une articulation sous-
vocale en temps réel. Cependant, des études réalisées avec des patients
présentant une anarthrie congénitale et donc une incapacité de produire les sons
articulés du langage, montrent les mêmes effets que chez les sujets normaux
(Bishop et Robson, 1989). La conclusion est que l'effet de longueur du mot et, en
conséquence, de la répétition sous-vocale, n'est pas issu des processus
d'articulation explicite. Ainsi, l'explication inhérente au modèle de Baddeley a
une explication alternative dans le postulat de Cowan et al. (1992), à savoir que
l'effet de longueur a lieu, au moins partiellement, en raison des conditions plus
favorables à l'évanescence des représentations mnésiques pendant le rappel des
listes confectionnées de mots longs que lorsque celles-ci sont composées de mots
courts.
- L'effet de suppression articulatoire rend compte de la diminution
significative du rappel des listes d'items verbaux lorsque les sujets répètent
continuellement et concurremment des séquences de sons sans rapport avec les
items à rappeler. L'interprétation de ces résultats fait appel, à nouveau, aux
opérations de répétition sous-vocale qui seraient entravées par l'articulation
d'autres sons. Cette explication semblait corroborée par la constatation que, lors
des présentations de listes écrites, l'effet de longueur du mot disparaît.
Cependant, aucune suggestion n'est avancée en tenant compte, dans le contexte
de la suppression articulatoire, des résultats obtenus chez les patients
anarthriques.
- L'effet de similitude phonologique rend compte du fait que le rappel des
items phonologiquement similaires (par exemple, pain, main, sain) est plus
difficile que celui des mots phonologiquement différents (par exemple, homme,
tour, pli). Conrad et Hull (1964) rapportent cette observation pour la première
fois et Baddeley (1966) la complète avec la constatation que la similitude des
éléments orthographiques ou sémantiques n'a qu'un effet marginal.
Ces trois premiers facteurs sont étroitement liés à la composante appelée «
boucle phonologique » du modèle.
- L'effet de lexicalité fait référence à la constatation d'un meilleur rappel sériel
pour des listes contenant des mots face à des listes de non-mots. L'interprétation
de ce résultat met en avant la familiarité phonologique des mots et non le fait de
connaître le sens des mots (Hulme et al., 1991).

Gathercole et Martin (1996) critiquent le modèle de Baddeley pour plusieurs


raisons. Ils considèrent que Baddeley décrit les composantes sans fournir une
explication des processus et des mécanismes. Concernant le fonctionnement de
la boucle phonologique, ces auteurs sont d'avis que ce mécanisme ne suffit pas à
expliquer de quelle façon les informations phonologiques contenues dans le
stock phonologique peuvent devenir des constructions permanentes. La boucle
phonologique, rappellent-ils, maintient les items en mémoire en tenant compte
de leur structure phonologique mais sans tenir compte de la présence ou de
l'absence d'une composante sémantique. Gathercole et Martin (voir aussi
Gathercole, 1999) proposent :
- un concept de MCT médiatisé par des représentations phonologiques
stockées et activées à partir de processus perceptifs du langage parlé. Ils
ont, en effet, démontré que les non-mots sont différemment rappelés en
fonction de leur proximité - meilleur rappel - ou de leur éloignement des
mots réels.
- La notion d'une perception acoustique active, activité rendue possible
grâce à des processus interactifs qui utilisent deux sources d'information :
l'une a trait aux propriétés statistiques concernant la structure phonologique,
notamment la fréquence d'un type de combinaison des phonèmes, l'autre
aux caractéristiques phonologiques des mots que le sujet connaît.
- D'expliquer l'activation des réseaux sous-tendant le traitement
phonologique comme le résultat de trois facteurs : la qualité des signaux
phonologiques du discours, les poids d'associations préexistantes et les
représentations de séquences phonologiques connues et stockées dans la
structure phonologique. Dans cette perspective, la performance aux tests de
MCT auditivo-verbale refléterait, à la fois, la contribution de l'analyse
sensorielle et celle du système lexical.
Deux des trois facteurs liés au concept de boucle phonologique de Baddeley -
les effets de longueur du mot et de suppression articulatoire - sont expliqués par
Gathercole et Martin en s'appuyant sur un modèle mathématique (Brown et
Hulmes, 1995, in Gathecole et Martin, 1996), qui montrent le déclin de la trace
de mémoire qui serait suffisant pour faire émerger une fonction linéaire entre
l'empan de mémoire et la durée articulatoire de la séquence mnésique.
Quant à l'effet de lexicalité, les auteurs l'expliquent comme l'activation des
processus top-down, sachant que le modèle propose un « espace phonologique »
à la base de l'organisation de représentations phonologiques lexicales. Il s'agit
d'un système multidimensionnel dans lequel toutes les combinaisons
phonologiques possibles d'une langue, à condition d'être légales, peuvent être
représentées (une combinaison phonologique illégale en français serait, par
exemple, « vtdes » parce qu'aucun mot de la langue n'a ce type de combinaison
de consonnes). Chaque mot aurait une position unique dans l'espace
phonologique. Lorsqu'une suite phonologique inconnue est présentée, elle va
provoquer une activation à un endroit jusque-là « muet ». Lorsqu'elle est
présentée à nouveau, l'activation dans l'espace phonologique va provoquer une
excitation vers des processus plus précoces, dans l'ordre suivant : espace
phonologique à réseau phonologique à processus perceptifs du discours. De cette
façon, les mots fréquents vont exciter le réseau phonologique avec plus de force
que les mots rarement rencontrés et cette activation plus forte du réseau, à son
tour, va augmenter le niveau d'activation des coordonnées phonologiques dans
l'espace phonologique.
Le rôle de la MCT, c'est-à-dire son influence sur l'apprentissage, est aussi
expliqué par l'interaction des activations bidirectionnelles entre le réseau
phonologique et l'espace phonologique du modèle. Ainsi, l'apprentissage des
mots nouveaux consisterait en l'accumulation des registres d'activation dans un
point unique de l'espace phonologique, celui qui est occupé par le mot à
apprendre. Plus l'activation au niveau du réseau phonologique est forte, plus
l'endroit pertinent au niveau de l'espace phonologique s'active. Lorsqu'il s'agit de
listes de non-mots, les mêmes facteurs qui déterminent leur rétention vont,
inévitablement, contraindre leur apprentissage à long terme. Lorsqu'il est
nécessaire de reconstruire des traces phonologiques incomplètes, le processus de
« redintégration » utilise les connaissances stockées sur les propriétés
sémantiques, lexicales et phonologiques concernant des items spécifiques (ou du
langage plus général).

Considérations neuro-anatomiques

Les régions corticales dont l'activité est associée avec la mémoire à court
terme sont les suivantes (Gathercole, 1999) :
- MCT phonologique. Le stockage active le lobe pariétal postérieur au
niveau de BA 40, dans l'hémisphère gauche. La réitération ou répétition
(rehearsal) est associée à l'aire de Broca et l'AMS (BA 44,6), également à
gauche.
- MCT spatiale. Cette fonction de la mémoire active le lobe préfrontal (BA
47), le stockage spatial associe le lobe occipital antérieur et la jonction
occipito-pariétale (BA 19,40) et la réitération, le lobe pariétal postérieur et
l'AMS (BA 40,6). Toutes ces régions activées lors de tâches de la MCT
spatiale sont localisées dans l'hémisphère droit.
- La mémoire de travail ou fonction frontale. Les aires impliquées sont le
cortex préfrontal dorsolatéral à gauche (BA 9,10,44) et dorsolatéral bilatéral
(BA 45,46).

La mémoire à long terme

La dimension explicite-implicite

La mémoire explicite (Schacter et Church, 1992; également appelée


déclarative par Squire et al., 1993) se réfère aux faits et données
intentionnellement appris et aux expériences vécues, le tout formant des
souvenirs directement accessibles à la récupération consciente (« j'explicite un
événement » ou « je déclare que je sais que... »). La mémoire implicite
(dénommée aussi non-déclarative par Squire) est définie comme l'utilisation
d'une expérience vécue mais jamais consciemment rappelée (Schacter, 1996). Le
mode explicite-implicite est propre à chaque système; ainsi, comme mentionné
plus haut, dans le modèle de Tulving, la mémoire épisodique réalise les
processus d'encodage et de récupération de manière explicite, alors qu'au sein de
la mémoire sémantique, l'information est encodée explicitement mais récupérée
implicitement. Enfin, l'encodage et la récupération propres aux systèmes de la
mémoire procédurale et du PRS sont implicites.

Les systèmes de mémoire explicite

La mémoire épisodique est définie selon deux volets différents (Tulving,


2001). Premièrement, l'apprentissage et la récupération des contenus
propositionnels, étudiés au moyen de la distinction des états de conscience
(paradigme « Remember/Know » ou rappel et familiarité) et de leurs corrélats
neuronaux distincts. Le deuxième volet de la mémoire épisodique concerne les
souvenirs des événements personnellement vécus.
Le paradigme R/K, ultérieurement enrichi par les travaux de Gardiner et al.
(voir Gardiner, 2001 pour une revue), rend opérationnelle la différence entre les
deux systèmes mnésiques. Le rappel précis du moment de l'enregistrement de
l'information, R, contraste avec K, qui indique une simple connaissance par
familiarité, opérant au niveau de la conscience noétique. Nous développons la
mémoire épisodique des souvenirs personnels, dans le paragraphe suivant.

La mémoire autobiographique : fondements conceptuels et neuroanatomiques1

C'est dans son travail de 1985 que Tulving introduit les composantes centrales
du concept de mémoire épisodique autobiographique : « Nous utilisons le terme
de conscience autonoétique (qui se connaît) pour le type de conscience qui
souligne la connaissance de sa propre existence et qui identifie les événements
en fonction d'un temps subjectif, qui court du passé personnel au présent et au
futur personnel » (Tulving, 1985, p. 10 ; italiques ajoutées). En 1983, la mémoire
épisodique est distinguée plus nettement des autres systèmes neurocognitifs
comme l'acte de se rappeler le contenu, le lieu et le moment d'un événement et
d'en être conscient. En 2001, entre autres, Tulving mettra au centre de sa
définition le temps subjectif : « la conscience autonoétique de nos expériences,
vécues dans une continuité temporelle et appréhendée selon notre propre
subjectivité, qui s'étend dans les deux directions, en arrière vers le passé sous
forme de souvenirs et en avant, vers le futur, sous forme de "penser à" ou
imaginer ou planifier l'avenir» (Tulving, 2001, p. 1506).
Voyons un exemple : le souvenir d'un voyage au désert (de cette nuit-là passée
à la belle étoile, du silence, de la lumière et des couleurs au lever du soleil, du
froid intense, de l'étendue à perte de vue du relief sablonneux...) nous ramène au
lieu, nous fait ressentir l'émotion du moment, nous permet de le re-vivre. Cette
capacité, soit d'aller vers le passé, soit de vivre d'avance (si au lieu d'un souvenir
il s'agit d'un projet), nécessite également que la conscience autonoétique et le
sens de soi permettent à l'individu de savoir que c'est lui l'acteur de l'évocation
présente et de l'événement évoqué, de savoir que le contenu du souvenir est réel,
et non un rêve, que le contenu de l'événement projeté est réalisable et non une
fiction.
La perte de la mémoire autobiographique, observée chez un patient
neurologique, est décrite dans le contexte de la neuropsychologie clinique.
Cependant la conceptualisation de la mémoire autobiographique, de par sa
nature, comporte à la base des notions qui n'appartiennent pas uniquement à la
neuropsychologie, mais qui peuvent avoir des connotations philosophiques.
Récemment, ces concepts ont été soumis à l'analyse de la neuroimagerie
fonctionnelle. Nous allons développer dans le présent paragraphe les idées qui
ont façonné la théorisation de la mémoire de soi, en donnant un aperçu des
substrats neuroanatomiques qui la sous-tendent. Ces substrats sont abordés avec
bien plus de détail, au moyen de résultats en neuroimagerie fonctionnelle, dans le
chapitre 10.
D'un point de vue clinique, la mémoire autobiographique a été caractérisée par
Tulving à partir de l'étude approfondie du patient KC (Tulving, 1985 ; Tulving et
al., 1988). À l'âge de 30 ans, ce patient est victime d'un accident de la voie
publique avec comme conséquence un traumatisme crânien grave, qui cause un
hématome sous dural (nécessitant une intervention chirurgicale) et entraîne trois
jours de coma. L'IRM montre une atrophie corticale diffuse, des contusions au
niveau de la matière blanche des régions fronto-pariétales à gauche et pariéto-
occipitales à droite. Par ailleurs, il a un infarctus dans le réseau de l'artère
cérébrale postérieure. Ces lésions bilatérales se traduisent au niveau
comportemental par un déficit massif et sélectif de la mémoire autobiographique.
Ses connaissances sémantiques sont préservées : il sait où il a fait ses études, où
il a travaillé, il sait qu'il avait une moto Honda® noire qui a provoqué son
accident, il sait que son frère est mort et comment il est mort, mais aucune
sensation, aucun détail, aucune émotion n'accompagnent l'évocation de ces faits
qu'il peut décrire mais non pas revivre. Un quart de siècle plus tard, Tulving
écrit : « KC possède un "self" noétique (qui sait, qui connaît), mais il a perdu le
"self" autonoétique (capable de se projeter vers l'avenir, de voyager dans le
temps ou de revivre ses souvenirs) » (Tulving, 2005 ; p. 29).
À partir des multiples observations de KC, des années durant, Tulving décrit
un premier concept définitoire, la chronesthésie (du latin chronos, temps et du
grec aisthésis, sensation) : le temps subjectivement appréhendé comme le temps
d'un événement évoqué, diffère du temps physique et biologique dans lequel la
mémoire épisodique opère. Ce concept inclut le voyage mental vers l'avenir ou «
chronesthésie proscopique » (du latin prospectus, vers l'avenir et du grec
skopein, regarder). Une partie très importante de notre vie mentale quotidienne
dépend de notre capacité de nous projeter dans des actions qui sont à venir, dans
les minutes, les jours, les semaines qui suivent. La clinique montre que les
patients qui ont perdu la capacité de se souvenir des événements personnels sont
également incapables de se projeter vers l'avenir. Les patients décrivent « le
même vide » quand ils cherchent des souvenirs ponctuels que quand ils essaient
de se voir dans l'avenir proche ou lointain. Le temps subjectif, dans les deux
directions temporelles, dit Tulving (2005), est au temps physique ce que l'énergie
contenue dans un stimulus physique est au vécu psychologique.
Un des antécédents de cette notion semble se trouver dans l'œuvre d'Henri
Bergson, qui distingue le temps mesurable de la durée vécue. La durée vécue est
conçue par Bergson comme la réalité de « notre propre personne dans son
écoulement à travers le temps (...) si nous considérons notre durée comme un
simple cheminement vers la vieillesse, elle nous apparaîtra comme le
déroulement d'un rouleau, mais puisque notre passé tout entier nous suit, la durée
peut être comparée à un enroulement continuel comme celui d'un fil sur une
pelote» (Bergson, 1963, p. 1396-1397). C'est cette notion d'accumulation des
expériences formant l'identité de chacun, qui est touchée chez les patients
amnésiques autobiographiques et qui dans certains cas peut provoquer chez le
clinicien, l'impression qu'au-delà de leur mémoire, c'est la continuité de l'identité
des patients qui a été endommagée par la lésion. Ainsi la patiente CH (Manning,
2002) disait « je sais que j'ai fait beaucoup de voyages avant mon accident, j'ai
dû rencontrer beaucoup de monde, faire beaucoup de choses puisque c'est bien
moi sur les photos ».
Un deuxième concept définitoire mentionné précédemment est le niveau de
conscience nécessaire pour revivre des événements passés. Ce niveau
autonoétique diffère fondamentalement du niveau de conscience noétique,
suffisant pour connaître ces événements. Cette différence est au cœur de la
distinction des deux systèmes mnésiques, épisodique - autobiographique et
sémantique. Un antécédent de la conscience autonoétique apparaît dans l'œuvre
de William James : « Revivre un souvenir implique un sentiment direct, son
contenu est immergé dans une chaleur et une intimité qu'aucun contenu
conceptuel ne pourrait atteindre » (James, 1890 ; p. 239, in Wheeler et al., 1997).
À partir d'un cadre théorique différent, les relations entre le soi et la mémoire
ont été étudiées par Conway (surtout dans son travail de 2005) au sein d'un
modèle théorique basé sur une vision dynamique de la cognition humaine, où la
mémoire de soi est considérée comme étant essentiellement une mémoire
motivée. Pour Conway, le soi est la condition du développement de la mémoire
autobiographique et les interactions entre le soi et la mémoire de soi établissent
une influence réciproque : les éléments autobiographiques ont interagi avec le soi
dans le passé; ces éléments façonnent le soi présent et ses possibilités de devenir.
De manière complémentaire, le soi, à son tour, module l'accès aux éléments
autobiographiques. Cette constante interaction donne lieu à deux situations selon
l'ancienneté ou la récence des souvenirs : la cohérence et la correspondance entre
le sens de soi et le vécu autobiographique. Les notions de cohérence et de
correspondance ont été abordées pour la première fois par Bertrand Rusell en
1912 (in Conway, 2005). S'inspirant de cette conceptualisation, Conway voit la
cohérence comme le facteur qui intervient au moment de l'encodage, et du ré-
encodage. L'accès aux souvenirs et aux contenus des souvenirs se réalise de
manière à maintenir la cohérence entre un contenu donné et le soi, l'image de soi,
les motivations en cours et le cadre de références dans lequel l'individu s'est
construit. Cette cohérence est possible, chez le sujet sain, grâce à la nature
dynamique de la mémoire qui construit une partie des événements vécus. Ces
déformations, objectivement étudiées dans des protocoles expérimentaux de
mémoire de reconnaissance ont pour but, selon Conway, le maintien de la
cohérence. Les contradictions franches entre le soi et les événements ont lieu
uniquement chez le patient cérébro-lésé ou le patient atteint d'un déficit
neurodéveloppemental tel que celui de la schizophrénie. Voyons quelques
exemples de cette rupture de cohérence. Le patient cérébro-lésé suivi par
Downes et Mayes (1994) se rappelait de manière répétitive d'une dispute
violente qu'il avait eue avec son père la veille, tout en se rappelant de
l'enterrement de son père trois années auparavant. Dans ce cas de figure, il
semble que la chronesthésie soit éclatée en raison de la perte d'interaction
provoquée par la lésion, entre le soi et les souvenirs de soi.
Toujours dans un cadre de cognition motivée, la notion de correspondance est
considérée par Conway et al. (2004) du point de vue de l'évolution. Pour
survivre, un organisme doit pouvoir stocker tant les processus mis en œuvre pour
l'obtention d'un but que les résultats de la démarche. Dans ce contexte, il existe
une correspondance entre la mémoire et l'expérience vécue. Cependant, si le
système gardait en mémoire le déroulement précis et détaillé de chaque instant
de l'expérience, il arriverait à une situation de saturation du stockage et de la
récupération. La solution consiste en la formation de représentations
conceptuelles des expériences vécues. Dans certaines conditions neurologiques,
cette solution n'est plus disponible. Il s'installe, chez le patient amnésique
antérograde, une répétition des phrases, des actions, des comportements concrets.
Ainsi, un patient suivi par Wilson et al. (1995) notait ses impressions dans
plusieurs cahiers. Il lui arrivait d'écrire à quelques minutes d'intervalle la même
phrase encore et encore, à savoir qu'il venait de se réveiller, qu'il revenait à la
vie, qu'il avait été mort. Cette fixation dans un seul élément de l'expérience
vécue, associée à l'oubli au fur et à mesure, fige sur un seul point dans le temps
et dans l'espace, la correspondance entre la mémoire de soi et le soi.
En résumé, chez le sujet sain, les souvenirs récents se construisent autour de la
correspondance; les souvenirs anciens se reconstruisent en privilégiant la
cohérence. Chez le patient cérébro-lésé, la correspondance est fortement affectée
dans l'amnésie antérograde et la correspondance dans l'amnésie rétrograde.
Une vue d'ensemble de ces concepts indique une complexité des processus
psychologiques et des manifestations de cette complexité dans la clinique. A
savoir, les troubles de la mémoire autobiographique sont les plus fréquents; cette
mémoire est plus vulnérable que tous les autres systèmes mnésiques. Ces
observations renvoient à l'apparition tardive de la mémoire épisodique. En effet,
du point de vue de l'ontogenèse, la mémoire de soi se construit en même temps
que le langage, la narrative et la capacité à résoudre des problèmes. L'ensemble
de ces fonctions se développe chez l'enfant pendant les premières années de la
vie, ce qui expliquerait l'amnésie infantile qui est vue par Tulving comme un
déficit spécifique de la mémoire autobiographique et non de la mémoire
sémantique. L'adulte ne peut pas accéder aux expériences personnelles qui ont eu
lieu dans ses premières années, très probablement parce qu'elles n'ont pas été
enregistrées comme telles.
Du point de vue de la phylogenèse, Tulving, dans un travail récent, assoit la
notion d'une mémoire épisodique autobiographique exclusivement humaine,
intégrant la capacité de projection dans l'avenir : « Anticiper, penser à et préparer
et planifier de manière explicite ou implicite son avenir personnel semble être
une activité humaine par excellence ("thoroughly quintessential human activity",
Tulving, 2005, p. 12, italiques ajoutés) ». L'émergence d'une conscience
autonoétique capable d'envisager l'avenir marque le point tournant le plus
important dans la phylogenèse. Tout d'abord, l'homo sapiens change sa relation
avec la nature. Il passe d'une occupation concrète (i.e., se nourrir, s'abriter, se
protéger des prédateurs) à une anticipation de ses problèmes, anticipation qui
engendre le besoin de prévoir l'avenir, de tenir compte de la durée et de
l'imprédictibilité des événements. Cette anticipation comporte la mise en place
de tentatives qui visent à mitiger l'appréhension de l'inconnu. Se laissant aller à
la spéculation, on peut dire que les fondements de la philosophie sont en
préparation, en définissant la philosophie comme le désir de passer de l'amour
(philos) de la sagesse (sophia) à la possession de la sagesse. Cet élan, à l'origine
des premières expressions philosophiques de la Grèce antique, pourrait être vu,
parmi bien d'autres manifestations humaines, comme une conséquence de ce
dernier acquis phylogénétique qu'est la mémoire autobiographique.
Corballis (2003), pour sa part, considère que le développement de la mémoire
épisodique autobiographique est contemporain à celui de la théorie de l'esprit
(voir chapitre 8) et du développement du langage syntaxique. Le concept qui lie
ces différents acquis est pour Corballis la « fonction récursive ». Issue
directement du modèle mathématique, cette fonction qualifie la génération des
termes dans une séquence, sachant que chaque nouveau terme inclut
impérativement des éléments des termes précédents (e.g de syntaxe : ce vélo a
été réparé par Jacques / Le vélo qui a été réparé par Jacques est dans le jardin /
Le vélo qui a été réparé par Jacques est dans le jardin qui est à gauche de la
maison / Le vélo qui a été réparé par Jacques est dans le jardin qui est à gauche
de la maison qui est près du lac... E.g. de la théorie de l'esprit : Je pense qu'il sait
/ Je pense qu'il sait que je sais / Je pense qu'il sait que je sais qu'il sait / Je pense
qu'il sait que je sais qu'il sait que je suis au courant... E.g. de mémoire
autobiographique : Je me rappelle le jour où je l'ai entendu / Je me rappelle le
jour où je l'ai entendu car il avait éveillé en moi le souvenir de quelqu'un / Je me
rappelle le jour où je l'ai entendu car il avait éveillé en moi le souvenir de
quelqu'un que je n'ai plus revu depuis...). La fonction récursive est ainsi
considérée comme la propriété qui a insufflé le développement des capacités de
base, développement qui a rendu possible la flexibilité mentale et la créativité
qui caractérise notre espèce. Ces processus récursifs appliqués plus directement à
la mémoire épisodique auraient permis de combiner et recombiner les éléments
mnésiques donnant lieu à la génération d'une multiplicité de représentations
potentielles permettant le voyage mental vers le passé et vers le futur.
Corballis (2003) situe l'émergence du voyage mental vers le passé et vers
l'avenir bien avant l'homo sapiens qui apparaît il y a 200 000 années. Selon cet
auteur, le développement du langage syntaxique, de la théorie de l'esprit et de la
mémoire épisodique aurait débuté, il y a environ deux millions d'années, lorsque
l'homo erectus migrait hors du continent africain.
Considérations neuro-anatomiques

Le lobe temporal médian (LTM) contient un groupe de structures


interconnectées, essentiel dans tout traitement mnésique de l'information :
l'hippocampe, le cortex entorhinal (partie médiane du cortex rhinal), le cortex
périrhinal (partie latérale du cortex rhinal ou gyrus parahippocampique
antérieur), le cortex parahippocampique (ou gyrus parahippocampique
postérieur) et les projections nerveuses qui connectent ces structures avec
d'autres zones cérébrales (Amaral, 1999).
L'information que reçoit le sujet à travers les différentes modalités
sensorielles, est traitée, en premier lieu, dans les différentes zones primaires du
néocortex sensoriel, somesthésique et moteur. Elle converge ensuite dans la
partie médiane des lobes temporaux, notamment dans l'hippocampe. Les régions
hippocampiques sont bien placées pour relier (bind) les composantes des
représentations complexes qui pourront ainsi passer à la MLT, d'autant plus que
la formation hippocampique envoie des projections aux régions néocorticales qui
sont à l'origine de l'information. La région médiane des lobes temporaux est ainsi
la structure cérébrale qui rend possible : la consolidation de l'information
encodée, le stockage des associations entre les multiples composantes des
souvenirs et la réactivation des zones néocorticales lorsqu'un indice approprié est
donné. Cette réactivation s'adresse aux régions cérébrales qui ont stocké les
composantes de l'information, avant le liage (binding).
Certaines structures du LTM, en tant que soubassement de la mémoire, ont été
décrites sous différents systèmes anatomiques comme le circuit de Papez et le
système limbique.
- Le circuit de Papez commence dans l'hippocampe, s'achemine à travers le
fornix et arrive aux corps mamillaires (CM) avant de se diriger vers le noyau
antérieur du thalamus, le gyrus cingulaire antérieur, le cortex entorhinal et
retourner à l'hippocampe. Trop simplifié pour être correct, ce circuit a été
néanmoins le point de départ d'un important corpus de recherche.
- Le système limbique est formé par le gyrus parahippocampique, les CM, le
noyau antérieur du thalamus, l'amygdale, le fornix, le cortex cingulaire et le
bulbe olfactif. Identifié d'abord comme la structure sous-tendant l'émotion, le
système limbique est à présent considéré, aussi, comme la base anatomique de la
consolidation mnésique. Sa présence précoce dans la phylogenèse des vertébrés
est ainsi expliquée par le double rôle de ses fonctions liées aux états émotionnels
et à l'apprentissage, centrales pour la survie de l'espèce. Le système limbique est
fortement connecté avec le néocortex et l'hypothalamus (Le circuit de Papez et le
système limbique apparaissent comme synonymes dans certains ouvrages).
L'hippocampe est constitué du tissu cortical incurvé deux fois et replié à
l'intérieur de la corne inférieure des ventricules latéraux. Il est composé de 3
zones bien distinctes : le gyrus denté, l'hippocampe proprement dit (appelé aussi
corne d'Ammon) et le subiculum. L'hippocampe proprement dit et le subiculum
ont la forme de deux lettres C entrelacées. Dans sa portion médiane, vue en
coupe horizontale, l'hippocampe se prolonge par le subiculum et le gyrus
parahippocampique. Son nom évoque sa forme vue dans une coupe coronale.
Le cortex parahippocampique et le cortex périrhinal sont particulièrement
importants pour les processus de mémoire. Ces structures fournissent
approximativement 2/3 des inputs au cortex entorhinal. Il existe des connexions
hippocampiques indirectes aux cortex parahippocampique et périrhinal à travers
le cortex entorhinal mais aussi des connexions directes hippocampe/ cortex
périrhinal. Les données anatomiques et physiologiques actuelles indiquent que
les interconnexions entre le cortex parahippocampique et périrhinal sont
organisées de sorte qu'en cas de lésion, on observe des troubles différents de la
mémoire, selon le site de la blessure. Quant au cortex entorhinal, il est la source
la plus importante d'afférents vers l'hippocampe. Les lésions qui affectent
l'hippocampe tout en épargnant le cortex entorhinal, provoquent, également, des
troubles sélectifs de la mémoire. Le cortex entorhinal reçoit des projections du
cortex cingulaire antérieur (partie supérieure du lobe limbique dont les
connexions très étendues, se situent surtout dans les circuits corticaux qui
conduisent à ou partent de l'hippocampe), du bulbe olfactif, du cortex orbital et
de l'amygdale, ainsi que de différentes aires temporales. C'est à travers les
connexions du cortex entorhinal que l'hippocampe a accès à des connexions avec
pratiquement tous les types d'information sensorielle.

L'amnésie antérograde (voir la sous-partie intitulée « Troubles de la mémoire


antérograde et rétrograde »), dans un cadre théorique classique, peut être le
résultat de lésions hippocampiques ou diencéphaliques. L'amnésie dite
hippocampique est étudiée depuis la description du cas HM, alors que l'amnésie
diencéphalique est décrite à partir de l'observation des patients atteints de
démence de Korsakoff. Plusieurs caractéristiques ont été étudiées en comparant
ces deux groupes de patients. Ainsi, le taux d'oubli accéléré, réputé être une
caractéristique des patients hippocampiques, est à présent mis en question par
des résultats qui ne montrent plus de différence une fois que le niveau de sévérité
de l'amnésie des deux groupes est pris comme variable. Au sein de la mémoire
rétrograde, la gradation temporelle (l'étendue d'oubli vers le passé), qui était
censée différencier les patients de l'un et de l'autre groupe, est également matière
à polémique. Finalement, la valeur clinique de la séparation qualitative de ces
groupes semblait renforcée, d'un point de vue neuro-anatomique, par quelques
patients qui présentaient des lésions du fornix (connexion entre l'hippocampe et
le diencéphale) mais pas d'amnésie. Là encore, il existe des contradictions,
quelques études présentant des cas d'amnésie secondaire à une lésion du fornix.
Aggleton et Saunders (1997) proposent une classification neuropathologique
différente des amnésies antérogrades sur la base des structures hippocampo-
diencéphaliques (SHD). Ce « système hippocampique étendu » regroupe
l'hippocampe (CA1 à CA4, le gyrus denté et le subiculum), le fornix, les corps
mamillaires, les noyaux antérieurs du thalamus et le gyrus cingulaire. Il suffirait
que la lésion affecte l'une de ces structures, pour que l'on observe des déficits de
la mémoire antérograde. Il est alors proposé de grouper les patients selon qu'ils
présentent des lésions circonscrites aux SHD ou bien selon qu'ils présentent ces
lésions, plus d'autres affectant des régions corticales frontales et temporales.
Concernant à présent les lobes frontaux, et plus concrètement, le cortex
préfrontal (CPF), deux corpus d'interprétation ont émergé au sein de la littérature
clinique. Initié par le travail de Milner en 1964, confirmé par celui de Squire
(1987), il est amplement accepté que les lésions limitées aux lobes frontaux ne
provoquent pas de troubles du rappel, ni de la reconnaissance. Cette conclusion
consensuelle s'applique surtout à la mémoire antérograde, mais sur l'ensemble
des différents travaux, on ne distingue pas systématiquement les troubles
antérogrades des troubles rétrogrades. Shimamura et collaborateurs (1991)
détectent des caractéristiques des déficits de la mémoire chez le patient porteur
de lésions restreintes aux lobes frontaux, qu'on ne rencontre pas chez le patient
dont l'hippocampe ou le diencéphale est lésé. Plusieurs auteurs relient le trouble
du rappel libre à un déficit attentionnel auquel peut s'ajouter une difficulté de
mise en place des stratégies de récupération de l'information.
Certains auteurs voient un mode de fonctionnement conjoint entre les
fonctions attribuées aux lobes frontaux et la mémoire. À titre d'exemple,
Moscovitch (1992) propose l'hypothèse de travail-avec-la-mémoire (différente de
la mémoire de travail). Ainsi, entre autres aspects, l'organisation de l'information,
« à la charge » des lobes frontaux, est nécessaire tant au niveau de l'encodage
que de la récupération. Son absence rendrait impossible la poursuite d'un but.
Le dénominateur commun des études qui abordent la mémoire à partir des
lésions frontales est la notion que les lobes frontaux sous-tendent la sélection et
l'instanciation (anglais : implementation) des opérations mentales contrôlables.
Les études qui ont comparé la performance de patients porteurs de lésions
frontales, selon qu'il s'agisse de mémoire de reconnaissance ou de rappel libre,
montrent une plus grande vulnérabilité de ce dernier. Des différentes thèses
avancées pour expliquer cette observation, nous privilégions celle de Wheeler et
al. (1997). Les lésions frontales affectent la mémoire dans la mesure où la
performance mnésique bénéficie de la conscience autonoétique (ou autonoèse).
En effet, le rappel libre est fortement influencé par la récupération du contexte
d'apprentissage (e.g. « ce mot se trouvait sur la liste B »), c'est-à-dire la mémoire
de source. Pour sa part, la reconnaissance est plus souvent influencée par la
mémoire sémantique.
La participation des lobes frontaux dans la mémoire, outre la mémoire de
source, se manifeste dans la métamémoire (i.e., la capacité d'émettre des
jugements et de faire des prédictions sur sa propre mémoire) et dans le processus
de mise en lien d'un élément d'apprentissage avec le vécu personnel (voir
précédemment le paradigme R/K).
Les premiers aperçus de l'implication du lobe frontal dans le traitement de
l'information de soi ont été rapportés par Ackerley et Benton dans les années
1940. Les auteurs notent chez leurs patients une incapacité de pensée
rétrospective et une absence de rêves éveillés. Plus récemment, la notion
d'intégration temporelle du comportement, développée par Fuster (1989) et
centrale dans l'évocation des souvenirs et la planification des projets, se voit
altérée (en plus des difficultés de prise de décision, d'un émoussement
émotionnel et des problèmes d'empathie) chez les patients qui présentent des
lésions du CPF orbitaire.
En relation avec le traitement de l'information émotionnel de soi et d'autrui,
l'anosognosie d'origine frontale, comparativement à celle provoquée par les
lésions cérébrales postérieures, prend volontiers la forme d'une anosodiaphorie
qui signe l'échec de l'implication émotionnelle (l'anosognosie provoquée par des
lésions postérieures refléterait l'atteinte du système sémantique : les
représentations des symptômes ne seraient plus accédées). Dans le cas des
lésions frontales, le patient peut dire lui-même que son comportement a changé
et est source des problèmes, mais ces constats le laissent indifférent. Par ailleurs,
le patient peut avoir un jugement très approprié lorsqu'il s'agit d'autrui mais non
pas quand il s'agit de lui-même (des expériences du jeu de rôle illustrent cette
dissociation).
Enfin, les lésions du CPF ventromédian, comparées aux lésions frontales
latérales provoquent significativement plus de déficits dans la capacité d'évoquer
des événements futurs, comme l'ont montré Fellows et Farah (2005).
Dans le chapitre 10, nous commenterons les travaux en neuroimagerie
cérébrale qui permettent de faire la distinction entre les éléments d'apprentissage
de laboratoire qui sont rappelés (plutôt que familiers) et le souvenir des
événements vécus dans la vie réelle.

Les théories de la consolidation de la trace mnésique

L'étude de la mémoire rétrograde est la clé de la compréhension du processus


de stockage à long et à très long terme de l'information. La recherche de cas
d'amnésie rétrograde (voir la présentation de cas) est essentielle pour comprendre
la durée du processus de consolidation, les régions cérébrales qui y participent et
les caractéristiques de l'information qui y sont traitées. Cette recherche aboutit
actuellement à deux approches : l'une dite « standard », est la théorie de la
consolidation qui s'inscrit dans le courant initié par Brenda Milner (Scoville et
Milner, 1957) et suivi par Squire (Squire et Zola-Morgan, 1991) ; l'autre,
beaucoup plus récente, a été proposée par Nadel et Moscovitch (1997 ; Nadel et
al., 2000) et émerge d'une insatisfaction scientifique grandissante vis-à-vis de la
théorie standard.

- La théorie de la consolidation selon le modèle standard


L'amnésie de HM (voir plus haut) se caractérise par un déficit massif de
mémoire antérograde en présence d'un encodage préservé ; HM retient les
informations, mais seulement quelques minutes. Quant à sa mémoire rétrograde,
il présente une relative épargne de la mémoire sémantique des connaissances
générales acquises avant l'opération, et une amnésie à gradient temporel d'une
quinzaine d'années pour les souvenirs autobiographiques, les faits publics et les
personnages célèbres (Corkin, 1984 ; voir aussi Steinvorth et al., 2005). Cet
ensemble de performances mnésiques a inspiré une importante série
d'expériences chez l'animal et a fourni un cadre théorique de conceptualisation
de la consolidation de la mémoire, du rôle de l'hippocampe et de l'interprétation
de certains types d'amnésies rétrogrades.
Le modèle standard postule que la consolidation de la mémoire commence
lorsque les informations enregistrées au niveau du néocortex sont reliées (initial
binding), sous la forme d'une trace mnésique, par l'hippocampe et d'autres
structures du LTM et du diencéphale. Ce processus de binding a une durée
maximale de quelques minutes, la consolidation à long terme commence
immédiatement après. Sa caractéristique principale est définie en fonction du
temps : au début du processus, l'hippocampe et les structures annexes sont
activées lors de la récupération de l'engramme. Cependant, au fur et à mesure
que le processus de consolidation avance, ces structures du LTM sont de moins
en moins requises lors du processus de rappel, jusqu'à la consolidation complète
de la trace mnésique dans le néocortex temporal exclusivement : l'hippocampe ne
joue alors plus aucun rôle dans le processus de récupération et ce,
indépendamment du type d'information contenu dans le souvenir à rappeler.
L'implication fondamentale, énoncée en premier lieu par Scoville et Milner
(1957) et restée virtuellement inchangée depuis, concerne la conception de
l'hippocampe en terme de structure mnésique temporaire. Squire et Zola-Morgan
(1991) expliquent avec ce modèle la présence d'un gradient temporel dans
quelques cas d'amnésie rétrograde. Le gradient temporel indiquerait qu'après un
certain temps, les lésions du LTM n'ont plus d'effets sur les traces mnésiques
consolidées. Cependant, de nombreux cas d'amnésie rétrograde présentent un
déficit « plat » s'étendant tout au long de la vie des patients (e.g. Warrington et
Duchen, 1992) ou bien un déficit s'étendant à 20, 30 ou même 40 années (e.g.
Kartsounis et al., 1995). Si ces cas devaient être expliqués par le modèle
standard, il serait nécessaire de conclure que le processus de consolidation prend
une partie très importante de la vie d'un individu, voire toute sa vie.
Par ailleurs, Squire et ses collaborateurs postulent que la sévérité de l'amnésie
rétrograde dépend de celle de l'amnésie antérograde. Ainsi, face à une lésion du
LTM, les conséquences prédites par le modèle seraient une amnésie antérograde
et l'effacement des souvenirs qui étaient encore en phase de consolidation,
effacement dont l'étendue pourrait être prédite par la gravité du déficit
antérograde. Une conséquence de ce postulat est l'affirmation très répandue,
représentée par la phrase de Teuber, lorsqu'en 1969 il affirme que l'amnésie
rétrograde isolée n'existe pas. En conséquence, les patients qui présentent cette
condition sont classés comme des cas d'amnésie « fonctionnelle » sans affection
cérébrale et ils sont oubliés des neuroscientifiques. Or des cas étudiés avec une
méthodologie rigoureuse ont montré une amnésie rétrograde isolée et secondaire
à une affection organique (voir Kopelman et Kapur, 2001 ; Manning, 2002a).
Une dernière caractéristique du modèle standard est la non séparation des
mémoires épisodique et sémantique, traitées ensemble sous le nom de mémoire
déclarative et qui seraient, en conséquence, affectées à l'identique en cas
d'amnésie rétrograde. Les patients qui présentent la dissociation épisodique -
sémantique en mémoire rétrograde sont très nombreux et la dissociation est
présente indépendamment de l'état de la mémoire antérograde, qui est dans
certains cas déficiente et dans d'autres, relativement ou totalement préservée
(voir Kapur, 1999 pour une revue).

- La théorie des traces multiples (Multiple Trace Theory, MTT)


Le modèle MTT proposé par Nadel et Moscovitch (1997) a certes plusieurs
points en commun avec la théorie standard de Milner-Squire, mais les
modifications qui y sont introduites sont suffisamment importantes pour
constituer un cadre théorique différent dans la compréhension de l'organisation
de la mémoire. Les points communs de ces deux modèles concernent le rôle des
structures hippocampiques, lors des premiers stades d'encodage de l'information,
en tant que structure qui sous-tend l'opération centrale du binding et de la mise
en relation avec les réseaux neuronaux du néocortex.
Les points suivants sont exclusifs à la MTT :
- Toute réactivation du souvenir épisodique s'accompagne d'une nouvelle
trace mnésique au niveau de l'hippocampe et d'un réseau neuronal distribué.
- Étant donné que l'indiçage, à partir de l'hippocampe, s'adresse à l'ensemble
des circuits neuronaux qui avaient encodé les traits de l'épisode, chaque
trace partage une partie ou toute l'information concernant l'épisode initial.
- L'information spatio-temporelle qui accompagne les souvenirs épisodiques
dépend de la réactivation des structures hippocampiques pour le contexte
spatial et du lobe frontal pour le contexte temporel.
- La mémoire sémantique doit être considérée séparément de la mémoire
épisodique. L'information sémantique finit par être stockée
indépendamment de son contexte d'apprentissage et ainsi, son contenu peut
être rappelé sans le concours de l'hippocampe.
La conséquence la plus immédiate des postulats de la MTT est l'interaction
hippocampo-corticale tant que le souvenir épisodique est rappelé. La
conséquence suivante est que les souvenirs autobiographiques plus anciens
auront formé plus de traces mnésiques que ceux qui sont plus récents. L'accès à
ces souvenirs « âgés » sera facilité par le nombre de traces. Cependant, compte
tenu du fait que les traces sont amplement distribuées dans le cerveau, une lésion
hippocampique même très légère peut altérer la récupération d'une trace
mnésique autobiographique, individuelle, quelle qu'elle soit. Dans ce cas de
figure, ce sont les traces récentes, qui ne sont pas encore représentées de manière
multiple, qui seront les plus vulnérables. Ainsi, en 1997, les auteurs de ce modèle
avancent l'hypothèse suivante : c'est l'étendue de la lésion hippocampique qui
détermine la gradation de l'amnésie rétrograde et non pas l'étendue de l'amnésie
antérograde, comme il est postulé dans la théorie standard. En conséquence, une
lésion complète de la formation hippocampique devrait produire une amnésie
autobiographique rétrograde sans gradient temporel ou s'étendant jusqu'à
l'enfance. Deux travaux publiés plus tard confirment cette hypothèse (Cipolotti et
al., 2001 et Chan et al., 2002). Par ailleurs, plusieurs études en imagerie
cérébrale fonctionnelle chez le sujet sain, ont conclu à une activation du LTM
indépendamment de l'âge du souvenir (Maguire, 2001).

Troubles de la mémoire antérograde et rétrograde

Exclusivement clinique, cette dimension est observée lorsque le pattern des


résultats aux tests de mémoire chez certains patients indique une différence entre
la récupération des apprentissages acquis, avant et après la lésion cérébrale.

L'amnésie antérograde est l'incapacité d'apprendre un matériel nouveau à


partir du moment où la lésion cérébrale a eu lieu. Dans ce cas-là, la mémoire
rétrograde peut être aussi affectée ou bien être dissociée, tout en restant
fonctionnelle (sauf la récupération des souvenirs épisodiques
autobiographiques), même en cas d'amnésie antérograde sévère. L'amnésie
rétrograde ou incapacité de récupérer les souvenirs appartenant à la période
d'avant le début de l'affection cérébrale, est très variable en terme du temps
affecté. L'oubli rétrograde peut être d'à peine quelques minutes avant l'accident,
jusqu'à, pratiquement, toute la vie passée.
La dissociation où l'on constate une amnésie rétrograde avec une mémoire
antérograde préservée, met toujours en évidence un déficit, léger ou modéré, de
la récupération du passé : il n'existe pas d'amnésie rétrograde isolée qui soit
sévère et sans gradation temporelle.
Le concept d'amnésie rétrograde chez les patients qui souffrent de maladies
dégénératives ou d'épilepsies, par exemple, n'a pas de sens étant donné que le
trouble que le clinicien observe, lorsqu'il demande des souvenirs du passé,
pourrait appartenir à une période où la maladie entravait déjà la consolidation
des apprentissages.
Les mémoires antérograde et rétrograde sont évaluées au moyen des deux
types de tâches (mentionnées plus haut), le rappel et la reconnaissance. Les
résultats à ces deux types de tests montrent souvent un rappel effondré mais une
mémoire de reconnaissance préservée. Constater cette dissociation est important
puisqu'elle indique l'étendue des lésions. En faisant référence à l'étude
d'Aggleton et Saunders, commentée plus haut, les structures hippocampo-
diencéphaliques seules seraient affectées dans le cas d'une reconnaissance
préservée. En revanche, pour que la reconnaissance soit déficitaire, la lésion
devrait compromettre d'autres structures comme, par exemple, le cortex rhinal,
les néocortex temporal et/ou frontal ou différents noyaux thalamiques (voir plus
haut l'influence des lobes frontaux).

La mémoire prospective2

Le comportement guidé par une intention implique l'existence d'un but qui
dirige l'intention (purposive goal-directed behaviour) ; l'intention requiert donc la
participation des processus mnésiques prévisionnels. Il s'agit, en effet, de
l'encodage et du maintien ou stockage des traces mnésiques concernant
l'anticipation sous la forme d'intention de réaliser une action. Cette mémoire
prospective nous permet d'accomplir d'innombrables actes et gestes nécessaires
au déroulement normal de notre vie quotidienne.
L'observation clinique des patients qui souffrent de lésions des lobes frontaux
met en évidence un effet délétère sur les activités de la vie quotidienne, alors
même que les fonctions cognitives sont majoritairement ou parfaitement
préservées. Il s'agit donc de troubles qui n'affectent ni le raisonnement général, ni
les systèmes mnésiques autres que la mémoire prospective mais qui sont
suffisamment graves pour l'emporter sur leurs fonctions normales.
Lorsqu'un patient est incapable de réaliser les actions qu'il conçoit et planifie
sans difficulté, deux cas de figure peuvent exister : soit le déficit à l'origine rend
impossible l'exécution de l'action elle-même ; ces cas cliniques ne font pas l'objet
du présent chapitre. Soit le déficit affecte la capacité de passer de l'intention à
l'action. C'est ce type de trouble qui sera abordé dans les paragraphes suivants.
Le cas de Phineas Gage, décrit par Harlow en 1868, constitue le premier
rapport détaillé d'un patient chez qui l'intention dirigée vers un objectif ne se
traduisait plus en action :
« Il conçoit beaucoup de projets pour des actions dans l'avenir qui, aussitôt
planifiées, sont abandonnées et remplacées par d'autres, apparemment plus
facilement réalisables » (in Miller, 1993). Un cas plus récent est le patient EVR
(Eslinger et Damasio, 1985), qui, après l'exérèse d'un méningiome bilatéral
orbitofrontal, présente un QI très supérieur (130). Sa performance s'est avérée
satisfaisante aux nombreux tests neuropsychologiques évaluant, entre autres, les
fonctions attribuées aux lobes frontaux. Cependant, depuis son opération, EVR
présente des troubles du comportement qui se soldent par plusieurs
licenciements, la perte du capital accumulé durant toute sa vie active avant sa
maladie, la perte de l'argent emprunté à sa famille et à ses amis. Il divorce, se
remarie et divorce à nouveau en moins de deux ans.
Plusieurs autres cas s'ajoutent à ces deux patients princeps. Ainsi à titre
d'exemple, Shallice et Burgess (1991) ont étudié 3 patients, AP, DN et FS. Le
patient AP est probablement le plus représentatif de cette série. Il avait souffert
d'un traumatisme crânien avec fracture de la fosse antérieure ; les résultats de la
tomodensitométrie montraient des lésions frontales bilatérales. AP était
incapable de réaliser les activités de la vie quotidienne sans une incitation
externe et il lui était impossible d'exprimer ce qu'il allait ou souhaitait faire dans
les jours ou dans les heures à venir. Von Cramon et von Cramon (1994) ont
étudié un cas similaire, le patient GL ; Duncan et al. (1995), le cas DS ; Manning
et Coin (1996), le patient PB (voir chapitre 8où il est décrit sous le nom de
Monsieur T), et Goel et Grafman (2000), le patient PF.
L'intérêt de considérer un ensemble de cas uniques, repose sur la possibilité de
détecter des fonctions intactes et des troubles qui sont présents dans la plupart
des cas. Pour commencer par les fonctions préservées, aucun de ces patients ne
montre de signes de difficulté aux tests de raisonnement verbal et non-verbal (et
il s'avère que tous ces patients présentent un QI supérieur). La performance aux
tests de mémoire antérograde est intacte, sauf pour les patients DN et FS chez
qui l'on observe un déficit léger. Le langage et les fonctions visuo-perceptives et
spatiales sont normaux et, fait plus important, les fonctions exécutives attribuées
aux lobes frontaux, telles que l'attention, le maintien on-line et la manipulation
de l'information, la génération des stratégies, la flexibilité mentale ou la prise en
compte du feedback, sont largement ou parfaitement préservées dans tous les
cas. A partir de ces constatations, on peut donc affirmer que les déficits
comportementaux ne sont pas le reflet de l'altération de fonctions exécutives.
Quant aux déficits présents chez ces patients, une synthèse basée sur des données
quantitatives se heurte à l'absence quasi totale de tests proposés en séance
d'évaluation tels que ceux utilisés pour les fonctions cognitives, précédemment
commentées. En effet, les déficits dont souffrent ces patients, à savoir une
incapacité d'adaptation à des contraintes temporelles et des troubles de
l'actualisation de la mémoire prospective, sont issus de situations réelles et
complexes. Les difficultés des patients émergent dans des situations qui
nécessitent une structuration d'objectifs, en l'absence de contraintes externes bien
définies. Ces difficultés sont, en conséquence, très rarement mises en évidence
dans les conditions d'examen de la clinique neuropsychologique. Le Six
Elements Test (SET ; Burgess et al., 1996 ; voir chapitre 8) et le Greenwich Test
(Burgess et al., 2000) sont, très probablement, les seules tâches qui visent la
quantification des situations de vie réelle en sollicitant de manière ciblée la
mémoire prospective. Le Greenwich Test a moins de sous-tests et plus de règles
à rappeler que le SET, mais les bases théoriques et pratiques sont similaires.
L'analyse des résultats à ces tests, ainsi que la comparaison avec les scores aux
autres épreuves sensibles aux troubles des lobes frontaux, montrent que ces
derniers sont insensibles aux troubles de la mémoire prospective. Sur cette base,
Burgess et al. (2001) suggèrent que les différentes étapes qui mènent à la
concrétisation de l'action anticipée dépendent d'un ensemble de processus
cognitifs différent de celui mis en œuvre lors des tests des fonctions frontales.
De ces deux fonctions altérées, la capacité d'adaptation à des contraintes
temporelles et la mémoire prospective, toutes deux liées à l'anticipation, seule la
mémoire prospective a fait l'objet d'une recherche sinon abondante, du moins
suffisamment articulée pour tenter une synthèse.
Les conséquences délétères des troubles de la mémoire prospective ont été
étudiées par Damasio et al. (1996), dans le cadre de son modèle des marqueurs
somatiques. Son point de départ est que les systèmes frontaux élaborent et
déclenchent une réponse comportementale en tenant compte des données de
l'environnement et des données cognitives et émotionnelles stockées dans la
mémoire. Notamment, il attire notre attention sur l'inscription végétative qui
accompagne la trace mnésique dans l'organisation neuronale du stockage des
situations vécues. La mémoire du lien entre une catégorie donnée de situations
vécues et un état somatique correspondant, serait, normalement, stockée de
manière permanente. En cas de lésion affectant les zones ventro-médianes des
lobes frontaux, c'est la mémoire de ce lien qui serait endommagée. Le patient se
rappelle les situations vécues sans difficulté et présente des réactions somatiques
(au niveau électrodermal) tout à fait normales, cependant, il lui est très difficile
d'anticiper soit une action, soit les conséquences de ses actions. Pour leur part,
Shallice et Burgess (1991) et Burgess (2000) proposent – dans le cadre du
modèle du système attentionnel de supervision (SAS de Norman et Shallice,
1986) – l'hypothèse des marqueurs intentionnels et des marqueurs temporaux.
Préalablement à la conception de leur hypothèse, les auteurs ont constaté que les
patients présentent un niveau normal de motivation pour la réalisation des tests et
qu'ils comprennent et se rappellent sans difficulté les objectifs proposés. Ils
suggèrent donc que la motivation étant préservée, ce serait le lien entre celle-ci et
le but à réaliser qui serait lésé. Cette suggestion est basée sur l'analyse des
processus d'anticipation chez le sujet sain. En aucun cas, constatent les auteurs,
le sujet intact ne réalise des plans et des projets complets. La planification des
comportements complexes est fortement opportuniste, le sujet s'adapte sur le
coup aux progrès et aux difficultés rencontrés. Cependant, pour réaliser
correctement les actions planifiées, les processus opportunistes d'adaptation
doivent être constamment guidés par l'intention initiale. C'est la présence de
l'intention qui rend possible le passage du plan schématique et potentiel à la
réalisation ultérieure. En cas de lésion, l'activation de l'intention en différé n'a
plus lieu et la mise en place de l'action intentionnelle n'est pas déclenchée, le
moment approprié à la réalisation de l'action nouvelle devient caduc, l'action
elle-même est remplacée par une action de routine, non-planifiée et, par
conséquent, inadéquate par rapport à un contexte donné. Ainsi, par exemple, le
patient qui a une longue habitude de prendre le bus pour ses déplacements,
apprend que les conducteurs de transports en commun sont en grève, se rappelle
sans difficulté cette information, cependant, en s'engageant dans la rue où se
trouve l'arrêt de bus, il s'y dirige et attend.
Le modèle de Shallice et Burgess est plus complet que celui de Damasio, et
donne lieu à une tentative d'explication bien plus ambitieuse. Fondée sur les
structures neuro-anatomiques impliquées en cas de déficit des différentes
composantes de tâches multiples (multitasking), elle a été réalisée par Burgess et
al. (2000). Ces auteurs ont mené une étude de groupe comportant 60 patients
présentant une pathologie soit tumorale, soit vasculaire, soit traumatique. Une
des conclusions de l'analyse neuro-anatomique (conduite chez les 46 patients qui
avaient bénéficié d'un examen en imagerie cérébrale) confirme l'implication des
zones frontales telle qu'elle a été mise en évidence dans les études précédentes.
En effet, les travaux de cas uniques qui rapportent des données en neuroimagerie
(concernant les patients EVR, AP, FS, DN), montrent des lésions dans une ou
plusieurs des zones cérébrales signalées par Burgess et coll. comme cruciales
pour mener à terme des tâches de mémoire prospective. Ces zones sont le cortex
cingulaire antérieur, les portions médianes des aires de Brodmann 10, 9 et 8 et le
cortex préfrontal dorsolatéral à droite. Par ailleurs et de manière plus générale,
ils signalent l'implication des parties médianes de l'hémisphère gauche et
l'interprètent en termes d'atteinte aux processus mnésiques rétrospectifs
nécessaires à l'apprentissage et au rappel des contingences des tâches, règles à
respecter pour la réalisation des tests, etc. ainsi qu'aux processus mnésiques
prospectifs, comme par exemple, le suivi d'un plan conçu.
L'étude de Brunfaut et al. (2000) sur des patients atteints de la démence de
Korsakoff a permis de détecter une double dissociation concernant la mémoire
prospective et les autres systèmes de mémoire. Les patients souffrant de la
démence de Korsakoff présentent des troubles sévères de la mémoire antérograde
dus, notamment, aux lésions diencéphaliques, plus des troubles aux tests
sensibles au dysfonctionnement du lobe frontal, dus aux déconnexions fronto-
limbiques. Dans ce contexte cognitif très altéré, les auteurs ont étudié la mémoire
prospective et ont trouvé une performance étonnement adéquate et, dans la
plupart des cas, non significativement différente des performances obtenues par
un groupe de sujets alcooliques non-amnésiques. Les auteurs expliquent ce
résultat par un processus attentionnel automatisé.
Quant aux soubassements neuro-anatomiques mis en évidence à travers la
recherche sur le cerveau intact, c'est l'étude d'Okuda et al., en 1998, qui a montré
pour la première fois les activations cérébrales lors d'une tâche de mémoire
prospective. Leur étude, réalisée en TEP, rapporte une augmentation significative
du DSCr dans les zones suivantes de l'hémisphère gauche : cortex cingulaire
antérieur, BA 10, gyrus parahippocampique, BA 8,9. Les activations de
l'hémisphère droit ont été détectées au niveau du CPF dorsolatéral et ventral. Les
résultats neuro-anatomiques des études cliniques sont cohérents avec ce premier
travail chez le sujet sain, notamment en ce qui concerne le cortex cingulaire
antérieur et les aires BA 8,10 (voir chapitre 3).
Burgess et al. (2001), lors d'une étude de sujets normaux, se sont penchés sur
la détection des soubassements neuro-anatomiques du maintien et de la
réalisation de l'intention. En accord avec Okuda et al., ils confirment l'activation
cérébrale significative de BA 10 bilatéralement mais plus importante à gauche, et
du CPF dorsolatéral à droite. Par ailleurs, la réponse ou la réalisation de l'action
montre une activation du thalamus.
En résumant ces deux études pionnières, il apparaît que la région ventrale
frontale proche du pôle frontal et qui s'étend 3 à 4 cm vers la zone supérieure,
c'est-à-dire pour une large partie BA 10, a un rôle fondamental dans la mémoire
prospective. Cependant, cette implication de BA 10 pourrait s'expliquer
également par un niveau plus élevé de difficulté, inhérent aux tâches présentées
et indépendant des processus de mémoire prospective.
Le travail de Burgess et al. (2003) tente de répondre à cette question. Les
auteurs ont conçu une étude qui leur a permis de comparer le niveau des
processus cognitifs en fonction de l'effort attentionnel et en fonction de
l'apprentissage. Ils ont examiné des sujets sains en TEP au moyen de tâches
comportant 3 conditions : une ligne de base, une tâche continue (ongoing)
d'attention simple et une tâche de mémoire prospective. Comme nous l'avons
commenté, l'augmentation du DSCr dans une population neuronale donnée,
constitue un indice des opérations de traitement de l'information dans ce groupe
de neurones. Ainsi, si l'activation observée lors de tests de mémoire prospective
était due seulement à l'effort attentionnel, l'ensemble des résultats mettrait en
évidence une gradation du niveau du DSCr, réduit pour la tâche la plus simple
(ligne de base), élevé pour la plus complexe (mémoire prospective) en passant
par un niveau intermédiaire pour la tâche continue. Cependant, les résultats
montrent que le contraste mémoire prospective/tâche continue révèle une
augmentation du DSCr dans le thalamus et une réduction du DSCr en BA 10.
L'implication du thalamus médian-dorsal a été interprétée comme sous-tendant
l'exécution d'une réponse, le fait même de répondre (Scott et al., 2000).
Cependant, les patients qui présentent des lésions dans le noyau dorsomédian du
thalamus échouent aux tests de mémoire prospective (Daum et Ackermann,
1994). L'implication du noyau dorso-médian du thalamus a, probablement, un
rôle non-spécifique mais nécessaire dans la réalisation de tâches de mémoire
prospective.
La réduction du DSCr est analysée suivant la méthode de régions d'intérêt
(ROI regions-of-interest, cette méthode consiste à présélectionner des régions
cérébrales en vue de l'analyse statistique et sur la base des hypothèses établies) :
les régions prises en compte sont les zones latérale et médiane de BA 10. Les
résultats de l'analyse confirment une réduction de DSCr pour la portion antéro-
médiane mais révèlent une augmentation de DSCr pour la portion antéro-latérale.
À la lecture de ces résultats, plus d'une interprétation est possible. Il peut s'agir
d'une conséquence du maintien de l'intention pendant la réalisation de la tâche
continue, ce qui oblige à retirer une partie de l'attention allouée aux stimuli
externes pour traiter les stimuli internes. Il est possible que la région antéro-
médiane ait un rôle dans le contrôle des stimuli externes et dans la suppression
de l'attention dirigée vers les stimuli internes. Par ailleurs, le maintien des stimuli
internes serait sous-tendu par la partie antéro-latérale, compte tenu de
l'augmentation du DSCr.
Une deuxième interprétation considère le transfert (switching) de l'attention
des stimuli internes aux stimuli externes, plutôt qu'un maintien des uns pendant
que les autres sont traités. Cette interprétation a pu être vérifiée puisque, d'un
point de vue comportemental, tout transfert d'attention provoque un
ralentissement en temps de réaction (TR) sur la tâche en cours. Le TR aux items
de la tâche continue a été mesuré dans deux conditions, illustrées par les deux
exemples suivants :
1) Présentation de paires de lettres avec la consigne suivante : « Si la lettre la
plus proche du début de l'alphabet est à droite, appuyez le bouton droit, si elle est
à gauche, appuyez le bouton gauche ».
2) On ajoute à 1) la consigne suivante : « Si la paire de lettres est composée de
deux voyelles appuyez sur les deux boutons ». Le TR aux réponses « droite ou
gauche » est significativement ralenti dans la deuxième condition. Le traitement
de stimuli identiques est donc fortement modulé par l'intention de rappeler une
éventualité annoncée.
Le travail de Burges et al. (2003) a le mérite d'avoir mis en évidence une
dissociation chez le sujet sain. En effet, ces auteurs ont montré que quand, sur un
processus attentionnel en forme de tâche continue, on ajoute une composante
comportant une intention différée, le DSCr du CPF antéro-médian diminue alors
que le DSCr du CPF antéro-latéral augmente. Il est néanmoins important de
signaler que ces résultats semblent être tributaires de la durée de l'intervalle de
rétention.

Les systèmes de mémoire implicite

Henri Bergson semble être le premier philosophe à avoir distingué, en 1869


(publication de 1939), deux mémoires : les habitudes acquises influençant notre
comportement en dehors de notre conscience et le souvenir conscient du passé.
Le système de mémoire implicite comprend la mémoire procédurale et
l'amorçage. Ce dernier peut être perceptif (PRS) ou conceptuel, dépendant alors
de la mémoire sémantique.

La mémoire procédurale

Définie comme la démonstration de l'apprentissage d'habiletés perceptives et


motrices, elle a été étudiée pour la première fois chez le patient HM. Milner et al.
(1968) ont montré que l'apprentissage au sein de cette mémoire était parfaitement
préservé chez ce patient qui, par ailleurs, était totalement incapable de se
rappeler avoir réalisé la tâche. Les premières conclusions s'étaient « limitées » à
indiquer que la mémoire d'habiletés sensori-motrices n'était pas sous-tendue par
les lobes temporaux médians. La véritable portée de cette découverte est mise en
lumière dans l'œuvre de Warrington et Weiskrantz (1968) : l'existence de la
perception et de la mémorisation non-conscientes. Cette formulation surprenante
a nécessité une bonne dose de créativité de la part de chercheurs qui ont mis sur
pied les tâches, totalement nouvelles alors, de mémoire implicite. À partir de
cette découverte, la recherche, concernant le stockage non-conscient de
l'information, se matérialise en un nombre considérable de publications qui, à
l'aide d'une méthodologie rigoureuse, en découvrent les caractéristiques et
avancent des explications sur ce système mnésique. Le point fondamental dans la
plupart de ces études est que les patients amnésiques continuent à bénéficier de
leurs apprentissages procéduraux (et qu'ils améliorent leurs performances après
amorçage ; voir plus bas).
Une contribution décisive dans la compréhension de la mémoire procédurale a
été la découverte, réalisée par Butters et al. (1990), de la dissociation entre
l'apprentissage procédural déficitaire et l'apprentissage des tâches d'amorçage
préservé chez les patients atteints de la maladie de Huntington. Des observations
de ce type ont permis de conclure que l'apprentissage d'habiletés sensorielles et
motrices est sous-tendu par les ganglions de la base. Par ailleurs, dans une série
d'apprentissages d'habiletés motrices – dès lors qu'il est nécessaire de gérer un
ensemble de séquences de mouvements comportant un ordre temporel – le
cervelet est également impliqué.

L'amorçage

Concernant l'amorçage perceptif, c'est à partir des années 1970 que les
neuropsychologues constatent, invariablement, la dissociation entre la
performance déficiente aux tests de rappel libre et de reconnaissance (dits « tests
directs ») d'une part, et la performance préservée aux tests d'amorçage perceptif
et d'amorçage sémantique (« tests indirects ») d'autre part. La différence
fondamentale entre les tests directs et indirects est que le patient est mis dans une
situation intentionnelle et consciente d'apprentissage et de récupération de
l'information dans le premier cas, alors que dans le deuxième, ces deux processus
sont non-conscients. En effet, lors des tests indirects, l'examinateur ne prévient
pas le sujet/patient que la série de mots qu'il lit sera utilisée plus tard pour
amorcer, par exemple, une tâche d'épellation. Ainsi, si dans la liste proposée
figure le mot « ballet », en phase d'apprentissage, et si plus tard, en phase de test,
l'on demande au sujet d'épeler ce mot qui est alors fourni oralement, le sujet
épelle significativement plus souvent « ballet », qui a été amorcé, que son
homophone « balai » qui a pourtant une probabilité plus grande d'être choisi
puisque sa fréquence d'apparition dans la langue est plus élevée. Cet amorçage se
produit de manière indépendante du souvenir conscient. Le clinicien constate
immanquablement, que le patient ne garde aucun souvenir d'avoir lu la liste ou
d'avoir vu ce mot. L'influence de l'amorçage dans la vie quotidienne chez le sujet
sain, chez le nouveau-né (DeCasper et Spence, 1986) et chez les patients
anesthésiés (Andrade, 1996), est également démontrée.
Certains résultats indiquent que l'effet d'amorçage est plus important quand
l'apprentissage et le test sont réalisés dans la même modalité sensorielle et – au
sein de la modalité visuelle – avec le même type de typographie (Kroll et al.,
2002). Cette constatation est à la base de l'hypothèse selon laquelle l'amorçage
dépend de systèmes cérébraux sous-tendant les processus perceptifs. Par ailleurs,
les résultats des expériences utilisant des tests non-verbaux mettent en évidence
que l'amorçage de figures en 3 dimensions est efficace chez les sujets sains et
qu'il est préservé chez les patients amnésiques. Mais aussi ce fait plus
intéressant : les figures impossibles qui transgressent les lois structurales des
objets en 3 dimensions n'ont aucun effet d'amorçage ni chez le sujet sain ni chez
le patient amnésique (pour une interprétation complémentaire, voir Williams et
Tarr, 1997).
L'ensemble de ces expériences conduit les chercheurs à postuler l'existence du
système PRS (défini plus haut) dont le rôle dans les situations « écologiques »,
par opposition aux situations de tests, est de rendre possible la reconnaissance
immédiate des objets du monde qui nous entoure et des mots écrits (la forme des
mots ; voir le chapitre 4) que nous rencontrons régulièrement. Le PRS est pré-
sémantique ; cependant, les deux systèmes, PRS et sémantique, traitent
l'information pratiquement sans solution de continuité dans le cerveau intact.
Nous savons qu'ils sont distincts uniquement par la clinique.
L'amorçage visuel (mots et objets) est sous-tendu par les lobes occipitaux. Les
patients Alzheimer qui sont amnésiques et qui souffrent, en plus, d'une atteinte
des zones cérébrales postérieures comme conséquence de la progression
neurodégénérative, peuvent présenter des déficits aux tâches d'amorçage visuel.
Il est naturellement nécessaire de distinguer le déficit d'amorçage visuel des
déficits de la vision et des agnosies visuelles (voir chapitre 5). Par ailleurs, des
études en tomographie par émission des positons, chez le sujet sain, montrent
une réduction du débit sanguin pour les stimuli amorcés, ce qui suggère que
l'identification de ces stimuli nécessite moins d'activité métabolique.
L'amorçage conceptuel est défini comme l'influence non-consciente des acquis
sémantiques sur le comportement. Il a été mis en évidence pour la première fois
par McAndrews et al. (1987). Ces auteurs ont inventé des phrases ambiguës (e.g.
« Les notes étaient fausses parce que les coutures étaient craquées ») et ils ont
constaté que ni les sujets sains, ni les patients amnésiques ne les comprenaient et
encore moins ne se les rappelaient. Il suffisait, néanmoins, pour réussir la tâche,
de connaître le mot-clé permettant de donner un sens à la phrase (« cornemuse »
dans l'exemple) et de se le rappeler et ce, dans les deux groupes, sujets sains et
patients amnésiques. Il s'agit, selon les auteurs, d'une modification qui a lieu
dans le système sémantique. Cette modification non-consciente permet, grâce à
la compréhension du sens de la phrase, d'utiliser l'expérience pour montrer un
bénéfice mnésique significatif lors de présentations ultérieures de ces mêmes
phrases ambiguës.
En résumé, l'amorçage et la mémoire procédurale apparaissent ainsi comme
des systèmes de mémoire non-conscients, relativement indépendants des autres
systèmes mnésiques, et sous-tendus par des structures cérébrales autres que
celles qui sous-tendent la mémoire explicite (à court et à long terme).

Les amnésies psychogènes

Le monde non-conscient tel qu'il est révélé par le système de mémoire


implicite diffère fortement des « souvenirs inconscients » tels qu'ils sont
conceptualisés dans l'approche psychanalytique. Les tentatives d'explication des
souvenirs non-conscients et des souvenirs inconscients appartiennent à deux
niveaux d'explication distincts : les notions de désir et de conflit, centrales dans
la perspective freudienne sont étrangères à l'approche neuroscientifique. La
démarche anatomo-fonctionnelle des neurosciences constitue également une
différence radicale entre ces deux approches.
Une différence moins nette et des conclusions moins consensuelles
caractérisent les amnésies rétrogrades réversibles. « La dissociation des
processus mentaux due au trauma, empêche le vécu phénoménologique de
certains souvenirs » (Janet, 1904) ; « Les hystériques souffrent de réminiscences
» (Freud, 1899). Le rôle de la conscience dans une mémoire autobiographique
qui apparaît temporellement réduite, voire abolie, a-t-elle une explication
possible à partir d'une approche neuroscientifique ?
La conscience apparaît, dans l'amnésie psychogène, comme étant
provisoirement « suspendue », notamment lorsque le tableau clinique est dense
et que le patient n'a plus d'accès – outre à la mémoire autobiographique – à la
mémoire sémantique.
L'amnésie psychogène, dont les rapports de cas datent de la fin du XIXe siècle,
a été interprétée à partir de deux perspectives « classiques », l'une
psychanalytique, l'autre psychiatrique. Au sein de l'approche freudienne, l'oubli
des événements autobiographiques passés est interprété en terme de «
refoulement » ou d'inhibition de contenus psychologiques générateurs de conflit.
L'amnésie psychogène, dénommée aussi fonctionnelle, dans l'approche
psychiatrique, constitue le centre du « syndrome dissociatif » (Association
Psychiatrique Américaine, 1994) dont les différentes classifications
nosopathologiques impliquent toutes un trouble de la récupération volontaire des
souvenirs. Notamment, et de manière caractéristique, les plus affectés, voire les
seuls, sont les souvenirs autobiographiques. À partir de la description que donne
Pierre Janet (1904) de patients dont le vécu émotionnel leur est tellement
intolérable qu'ils « effacent » leur passé, le stress (dans la terminologie actuelle)
est amplement reconnu comme le facteur déclencheur de l'amnésie psychogène.
La définition générale de l'amnésie fonctionnelle (dissociative, psychogène,
limitée ou pure) au sein de cette approche psychiatrique, est axée sur deux
constats : l'absence de lésion organique et la récupération totale des troubles
mnésiques. Il n'est pas surprenant qu'un déficit à caractère réversible et sans
structures cérébrales visiblement compromises ait été classé d'emblée comme
étant totalement différent des amnésies organiques. Cependant, nous sommes à
présent bien loin d'une distinction si tranchée. Tout d'abord, l'absence de lésion
cérébrale doit être, au minimum, fortement nuancée et ce, au vu de plusieurs
arguments. En effet, on trouve relativement souvent la notion d'un épisode passé
et transitoire d'amnésie organique (Markowitsch, 1996) ; certains patients
montrent, de plus ou parallèlement, un hypométabolisme affectant des zones
cérébrales qui sous-tendent la mémoire (études en TEP ; Markowitsch et al.,
1997). Et, plus simplement, on constate un manque de preuves concernant
l'absence de lésion organique dans les rapports de ces patients (Kihlstrom et
Schacter, 2000). Un argument supplémentaire, bien qu'indirect, en faveur de
cette nuance, est constitué par la possibilité de détection des situations
stressantes qui déclenchent l'amnésie psychogène. On distingue deux types de
déclencheurs émotionnels : les traumas engendrés dans l'enfance (l'abus sexuel,
le vécu d'expériences fortement stressantes) et le stress, d'étiologie diverse, mais
caractérisé par sa durée prolongée, chez l'adulte.
Quant au deuxième facteur définitoire de l'amnésie psychogène, la
récupération totale des troubles mnésiques, il indique une atteinte sélective de
l'accès conscient au souvenir, d'où l'adjectif « dissociatif ». L'étendue du trouble
qui est ultérieurement récupéré peut affecter, dans certains cas, tout le passé de la
personne et c'est dans ces cas sévères qu'ont été observées les « fugues
dissociatives », avec perte de la sémantique personnelle surajoutée à la perte
d'épisodes autobiographiques.
À partir de ces arguments, parmi d'autres, on retient à présent une troisième
interprétation possible de l'amnésie psychogène : située dans le courant des
neurosciences, elle prend un essor considérable grâce aux avancées techniques
dans l'étude in vivo du cerveau au moyen de l'imagerie cérébrale fonctionnelle.
Cette perspective neuroscientifique s'attache à étudier les conséquences
cérébrales du stress aigu et du stress prolongé. Suivant Kihlstrom et Schacter
(2000), nous verrons, en premier lieu, les points faibles des recherches et des
interprétations sur cette question.
En relation avec le stress aigu, l'amnésie fonctionnelle et certains ictus
amnésiques post-émotionnels illustrent les troubles provoqués par une
expérience dont la charge affective est intolérable pour le sujet. Cependant, il
semble erroné d'attribuer au choc émotionnel tout court un rôle causal dans
l'amnésie. L'esprit de cette critique a été formulé il y a très longtemps, comme en
témoigne la citation suivante : « le siècle dernier, certains auteurs considéraient,
par exemple, qu'après une tentative de pendaison, il existe une cause organique
pour l'amnésie rétrograde qui est observée suite à la tentative. (En revanche)
d'autres reliaient l'amnésie aux conditions psychiques – hystérie traumatique et
stress – qui avaient précédé la tentative » (cité par Markovitsch, 1999b, p. 321).
Comme il est mentionné plus haut, la constatation des troubles mnésiques en
association avec des incidents graves, guerres, catastrophes naturelles, tentative
de suicide, viols et crimes, ne fournissent pas dans tous les cas une preuve de
l'absence de lésion organique ; ces victimes pourraient présenter des
traumatismes crâniens, des symptômes d'empoisonnements ou d'intoxications,
d'anoxies, etc. avec des conséquences détectables au niveau du SNC. Si le choc
émotionnel per se est responsable des conséquences comportementales, comment
expliquer que certaines personnes ayant subi des situations semblables, loin de
les oublier, rappellent le trauma de manière réitérative ? Il serait plus conséquent
de suggérer que la présence d'amnésie est provoquée par des changements
neuronaux délétères qui sont soit absents, soit d'une nature différente dans les cas
de rappel réitéré du trauma.
Le manque de données essentielles est également signalé. Kihltrom et
Schacter (2000) remarquent que, dans beaucoup de cas publiés, il n'existe pas de
corroboration indépendante de l'abus sexuel et que dans les études prospectives,
il manque souvent la distinction cruciale pour conclure entre le défaut de
mémoire et le refus de rapporter l'épisode.
De manière générale, selon ces auteurs, l'observation de l'amnésie
fonctionnelle associée à un traumatisme psychique n'implique pas que ce dernier
soit la seule cause ni directement, ni à travers d'autres processus psychologiques
comme la dissociation ou le « refoulement ». L'approche scientifique s'attache
ainsi, à étudier quels sont les effets du choc émotionnel sur le fonctionnement
cérébral.
Afin d'illustrer l'approche neuroscientifique concernant l'interruption ou le
blocage de l'accès conscient aux souvenirs autobiographiques, nous verrons un
aperçu des travaux réalisés au moyen de l'imagerie cérébrale fonctionnelle, chez
deux types de patients amnésiques : ceux qui ont une lésion organique légère
bien reconnue et jugée totalement injustifiée pour produire le déficit mnésique
observé et ceux qui, au moment du choc émotionnel, ne comportaient aucun
risque évident d'encourir une lésion organique. Ces deux groupes se trouvent en
dehors des critiques commentées plus haut, et aident à mieux cerner l'amnésie
psychogène.
Considérant d'abord les lésions cérébrales donnant lieu à une amnésie
disproportionnée, Costello et al. (1998) décrivent un patient victime d'un AVC
affectant la région dorsolatérale frontale gauche. Cet homme de 40 ans est
devenu sévèrement amnésique pour les événements autobiographiques vécus les
19 années précédant l'hémorragie cérébrale. À l'appui de données anatomiques,
Costello et al. concluent que son amnésie est largement disproportionnée vis-à-
vis du trouble organique. Par ailleurs, la « coloration » psychique de son amnésie
est remarquable puisque ces 19 années ont été constellées d'événements fort
négatifs et ont provoqué un état de stress prolongé chez ce patient. L'exploration
en TEP a été réalisée pendant qu'on lui présentait des photos de famille, avec la
consigne de rappeler les épisodes dépeints dans ces photos et ce, selon trois
conditions : des événements pendant lesquels il était présent et qui avaient eu
lieu soit avant, soit après la période amnésique ; des épisodes appartenant à la
période amnésique et des événements familiaux auxquels il n'avait pas participé.
Les résultats comparant ces trois situations ont montré que seules les réponses
aux photos appartenant à la période amnésique s'accompagnaient d'un
hypométabolisme significatif du cortex préfrontal postérieur ventrolatéral droit et
préfrontal médian gauche (cette dernière zone est très proche de la zone lésée par
l'AVC mais elle n'a pas été touchée directement par l'hémorragie). Par ailleurs,
dans la même condition, les auteurs ont observé un hypermétabolisme du
précuneus. Cette dernière donnée reflète, disent-ils, le processus d'ecphorie (voir
plus haut) des souvenirs pour lesquels il existe bel et bien des traces mnésiques.
En ce qui concerne la diminution d'activation cérébrale dans le cortex préfrontal
postérieur ventrolatéral droit (par rapport aux autres conditions et par rapport aux
sujets sains), elle apparaît comme un élément crucial dans l'explication du
tableau, compte tenu du fait que cette zone est fortement associée au contrôle
(déclenchement) de l'évocation des souvenirs autobiographiques.
L'hypométabolisme indiquerait, selon Costello et al., l'échec des processus de
recherche d'indices ou de déclencheurs des souvenirs. Quant à
l'hypométabolisme du cortex préfrontal médian gauche, il s'agit d'une zone
frontale compromise chez les patients souffrant d'un syndrome d'Asperger et
chez les enfants autistes. (Fletcher et al., 1995 postulent que les anomalies de
cette région sont en relation, de manière plus générale, avec les troubles de
l'attribution de l'état mental). Les conclusions de Costello et al. peuvent être
résumées de la manière suivante : bien que l'hypermétabolisme du précuneus
indique la présence de souvenirs autobiographiques au cours de ces 19 années,
les représentations ecphoriques appartenant à cette période amnésique étant
associées à des représentations d'affect négatif, provoqueraient une réduction de
l'activation frontale (similaire à celle qui est observée chez les personnes
dépressives). Il s'ensuit que chez ce patient, le déclenchement d'indices de
recherche des souvenirs autobiographiques (cortex frontal postérieur
ventrolatéral droit) est « bloqué » par la charge affective. Ce patient illustre de ce
fait l'existence de conséquences au niveau cérébral de la sphère affective et
également, la complexité des troubles qui ne sauraient être expliqués par des
facteurs purement organiques, ni purement psychogènes.

La recherche réalisée chez les patients amnésiques psychogènes « purs »


(puisque le risque de lésion cérébrale externe n'apparaît à aucun moment) se
focalise sur la contribution de Markowitsch. Nous donnons ici un aperçu de ses
travaux.

Patient de Markowitsch et al. (1998). AMN, 23 ans, scolarisé durant 11


années, est hospitalisé en psychiatrie pour une détérioration mnésique et plus
généralement une détérioration cognitive, consécutive à un choc émotionnel. Il
n'a pas d'antécédents neurologiques, ni psychiatriques, au contraire, il a réussi à
avoir une bonne situation professionnelle, une vie personnelle tout à fait
normale, il a des amis, une compagne... L'événement déclencheur a consisté en
un épisode en apparence banal, qui prend toute son importance dès lors que
l'influence non-consciente d'un vécu préalable est prise en considération. Un soir
dans sa cave, il découvre un début d'incendie : il sort immédiatement et cherche
de l'aide. Il n'a pas de perte de connaissance, il n'est pas intoxiqué par la fumée,
étant resté à peine quelques secondes dans la cave, il n'est pas amnésique durant
la période aiguë lorsque, pris de panique, il cherche de l'aide. Cependant, le
lendemain de cet incident apparemment peu grave, il est confus, amnésique et se
plaint de maux de tête sévères. Il est hospitalisé quelques semaines plus tard.
AMN, encore à l'hôpital, rappelle un événement de son enfance. À l'âge de 4 ans,
alors qu'il était dans la rue avec sa mère, deux voitures ont eu un accident et l'une
d'elles a pris feu. Le conducteur, incapable de s'en échapper, n'a pu que crier. Le
patient se rappelle l'avoir vu mourir brûlé, la tête écrasée contre la vitre avant.
L'examen médical d'AMN est normal, les résultats de son IRM morphologique
sont également normaux. En revanche, les résultats de la TEP montrent un
hypométabolisme situé dans les lobes temporaux médians de 67 à 90 % (2 à 3
DS au-dessous de la normale pour un groupe de sujets sains de son âge). Le cas
AMN illustre l'influence d'un vécu traumatisant dans l'enfance et son
retentissement au niveau cérébral.
Un deuxième patient suivi par Markowitsch et son équipe (Markowitsch,
1999a ; Markowitsch et al., 1997), NN, fournit l'exemple-type du stress de
longue durée. À la différence du patient de Costello et al., commenté plus haut,
le stress de longue durée commence, dans le cas présent, dans l'enfance. Il s'agit
d'un homme de 37 ans, qui avait quitté son domicile avec l'intention de faire
quelques commissions et s'était retrouvé dans un hôpital psychiatrique 5 jours
plus tard. Il avait parcouru la région à bicyclette, incapable de se rappeler ni de
son nom, ni d'aucune information le concernant. Il présentait un état de fugue et
suite à cet état, une amnésie rétrograde persistante. Les antécédents de NN
révèlent une enfance difficile du point de vue émotionnel. À titre d'exemple, sa
mère l'avait habillé en fille pendant 5 ans pour calmer son propre dépit d'avoir eu
un garçon alors qu'elle souhaitait vivement une fille. NN avait des capacités
intellectuelles et une mémoire antérograde au-dessus de la moyenne. Il
présentait, par ailleurs, une personnalité typiquement labile. L'exploration du
patient en IRM morphologique ainsi que l'examen EEG ne montraient aucune
anomalie, ce qui indique l'absence de traumatisme crânien pendant sa fugue. Ces
examens étant tout à fait normaux, le patient bénéficie d'une tentative de
réhabilitation mnésique au moyen de l'injection d'anobarbytal, qui échoue
totalement. Finalement, NN est examiné en TEP avec l'objectif de mesurer les
réponses à la présentation de phrases décrivant des événements de sa vie et de
phrases décrivant la vie de quelqu'un d'autre. Les résultats montrent des
activations cérébrales non différentiables en fonction des situations, ce qui
implique un traitement mnésique anormal par rapport au type de stimuli (il traite
les deux types d'informations comme étant neutres) et par rapport aux sujets
sains (NN active plus les zones postérieures de l'hémisphère gauche, alors que
les sujets de contrôle activent plus des zones postérieures de l'hémisphère droit
comme cela est rapporté par Fink et al., 1996). NN a récupéré sa mémoire
rétrograde un an plus tard (mais voir chapitre 10pour la latéralisation chez le
sujet sain).
Les troubles mnésiques sévères d'AMN et de NN sont interprétés par
Markowitsch (1997 ; 1999a) comme reflétant l'une des conséquences du stress, à
savoir l'induction d'une altération de glucocorticoïdes à un point tel que le
métabolisme cérébral en est affecté. Le patient AMN, dans une situation de stress
sporadique, a dû produire une quantité anormalement importante de
glucocorticoïdes ; NN, lui, a souffert d'une durée prolongée de production de
glucocorticoïdes, caractéristique des cas de dépression ou de stress chronique.
Compte tenu du fait que les zones cérébrales les plus affectées seraient celles où
la concentration des récepteurs de glucocorticoïdes est élevée (le lobe temporal
antérieur, le noyau amygdalien et la formation hippocampique), l'excès de ces
stéroïdes adrénergiques a pu provoquer le blocage des mécanismes neuronaux
sous-tendant la mémoire.

Kopelman (2000) développe un modèle dans lequel il met en relief les


possibilités d'interaction entre les facteurs psychosociaux et les régions
cérébrales qui sous-tendent des systèmes mnésiques. Le postulat principal du
modèle est que le stress peut affecter l'activité du système frontal des fonctions
exécutives, provoquant une inhibition dans l'évocation des souvenirs
autobiographiques épisodiques, inhibition qui se verra augmentée si le sujet est
fortement déprimé ou très agité ou bien s'il a eu une « expérience d'apprentissage
» d'un épisode passé d'une amnésie transitoire réelle. Dans les cas où le stress est
extrêmement intense, l'inhibition peut même affecter la sémantique personnelle
et engendrer des états de fugue. Lorsque le patient est en phase aiguë de fugue, il
se produit un feedback négatif vers le traitement du contenu émotionnel, de sorte
que le sujet se montre perplexe et sans véritable réaction émotionnelle. Les
stimuli nouveaux sont, en revanche, normalement encodés, stockés et récupérés
par les voies diencéphaliques et les régions du lobe temporal médian qui ne sont
pas affectées par l'inhibition, le blocage de récupération des souvenirs
autobiographiques étant circonscrit au lobe frontal.
L'utilisation de la pathologie, non pas seulement par apprentissage ou
expérience préalable, telle qu'elle est signalée dans le modèle de Kopelman, mais
dans le but d'obtenir un bénéfice par la simulation d'une amnésie, constitue l'une
des questions les plus délicates de l'expertise médico-légale et exige des
neuropsychologues une formation spécifique (voir chapitre 2pour quelques
indications concernant l'évaluation).

Examen neuropsychologique de la mémoire

L'examen neuropsychologique a trois objectifs : la spécification des processus


mnésiques du patient cérébro-lésé ; le développement, le cas échéant, des
programmes de rééducation, sur la base des résultats et l'évaluation des
changements qui ont pu avoir lieu pour diverses raisons (le temps écoulé,
l'exérèse d'une tumeur, l'application d'un traitement pharmacologique ou d'un
programme de rééducation neuropsychologique, etc.).
La spécification des processus mnésiques comprend tant l'évaluation des
capacités mnésiques altérées que celles des capacités préservées. Par ailleurs,
étant donné que les troubles mnésiques peuvent être provoqués par une série de
facteurs allant de la capacité intellectuelle déficitaire au manque de motivation, il
est nécessaire d'évaluer le contexte intellectuel avant de diagnostiquer une
amnésie et de vérifier une série d'exigences préalables à tout examen
neuropsychologique (voir chapitre 2). L'examen est plus utile si le clinicien pose
quelques questions : il est nécessaire de demander à un proche du patient, si les
troubles de la mémoire, objet de la consultation, ont été remarqués aussi par la
famille, les amis, etc. On se renseigne auprès du patient ou de l'accompagnateur
sur les changements (dans la vie quotidienne à la maison, sur le lieu du travail,
dans d'autres situations) provoqués par les troubles de mémoire. Par ailleurs, les
informations suivantes sont aussi utiles : le déficit de mémoire est-il apparu
graduellement ou d'un jour à l'autre ? Est-il constamment présent ou apparaît-il et
disparaît-il au gré des situations ? Est-il de plus en plus marqué ?
Nous allons donner quelques exemples de tests qui peuvent guider l'évaluation
de routine et le suivi des patients. Nous donnons plus de détails sur certains tests,
ceux qui sont moins connus (parce qu'utilisés depuis moins longtemps).
L'évaluation de la MCT/MT est réalisée avec le sous-test de mémoire des
chiffres en ordre direct et inverse, de la WAIS pour la modalité verbale et avec le
test de Corsi pour l'empan non-verbal. La mémoire des chiffres en ordre direct ne
doit pas être déficitaire pour continuer l'évaluation de routine.
La mémoire antérograde

Elle est testée dans les modalités verbale et non-verbale, en rappel et en


reconnaissance, immédiatement après la présentation du test puis en différé.
Suivent quelques exemples des tests fréquemment utilisés (voir Manning 2002a ;
Manning et al. (2006), pour la description de la plupart des tests qui sont
énumérés dans cet alinéa) :

Matériel verbal

- Test de Grober et Buschke (1987). Rappel libre et indicé immédiat et


différé ; reconnaissance. Principal avantage : le contrôle de l'encodage. Si
l'encodage est déficient, poursuivre le test n'aurait aucun sens. Utile pour
différencier la maladie d'Alzheimer d'autres pathologies.
- Test d'apprentissage verbal de California (CVLT de Delis et al., 1987).
Rappel immédiat et différé ; reconnaissance. Principal avantage :
l'évaluation de la stratégie suivie dans l'organisation du matériel. Utile chez
les patients relativement jeunes et avec un bon niveau culturel (au moins 12
années d'études).
- Listes de mots (Rey, 1964). Rappel immédiat et différé d'un matériel sans
lien sémantique et donc avec un haut niveau de difficulté. Principal
avantage : le rappel différé est très sensible aux déficits précoces.
- Histoire logique (Wechsler, 1987 ; version française, 1991). Rappel
immédiat et différé d'un matériel avec lien sémantique. Un désavantage
éventuel est sa sensibilité à l'anxiété et à l'humeur dépressive.
- Mots couplés (Wechsler, 1987 ; version française, 1991). Rappel indicé
immédiat et différé d'un matériel avec et sans lien sémantique. Principal
avantage : gradation du niveau de difficulté.
- Test de mémoire de reconnaissance verbale (Warrington, 1984). Principal
avantage : permet de contrôler l'attention du patient et est relativement
insensible à l'anxiété et à l'humeur dépressive.

Matériel non-verbal

- Test de reproduction de la Figure de Rey (Osterrieth, 1944 ; voir aussi


Lezak, 1995). Rappel immédiat (et différé si l'on compte avec des normes).
Principal avantage : il permet d'évaluer la stratégie dans l'organisation de la
copie qui précède le test. Si la copie est déficiente, demander le test en
rappel n'aurait aucun sens.
- Test de mémoire de reconnaissance des visages (Warrington, 1984).
Principal avantage : il permet de contrôler l'attention du patient et, comme
le test de mots, est relativement insensible à l'anxiété et à l'humeur
dépressive. Ce test et le test verbal ont été conçus pour permettre des
comparaisons chez le même patient.
- Test de mémoire de reconnaissance topographique (Warrington, 1996).
Principal avantage : permet l'évaluation d'un domaine qui peut être déficient
de manière isolée.

La mémoire épisodique du passé : les événements

La mémoire autobiographique

Il s'agit d'évaluer la capacité du patient de rappeler des incidents qui ont eu


lieu une seule fois avec des détails sur le lieu, le moment (l'année, la saison, le
moment de la journée). Est-il en mesure de se revoir à ce moment-là ? Est-ce
plutôt une photo qu'il évoque ? etc. Le questionnaire de mémoire
autobiographique (Autobiographical Memory Inventory, AMI) de Kopelman et
al. (1989) est divisé en deux parties, qui permettent d'évaluer les connaissances
factuelles concernant des informations sémantiques personnelles et la
récupération d'incidents autobiographiques. Il a été conçu pour recueillir des
données concernant la vie entière des sujets : enfance, vie de jeune adulte et vie
récente. La section qui évalue les souvenirs des événements autobiographiques
est relativement courte.
Le test de Crovitz (Crovitz et Schiffman, 1974 ; modifié par Graham et
Hodges, 1997), comprend 20 mots, pour un protocole de recherche, 6 ou 10 mots
pour une évaluation de routine. Chacun des mots est présenté aux 4 ou 5 périodes
de la vie, de manière à évaluer les souvenirs depuis l'enfance jusqu'au moment
du test. La présentation de 20 mots et des périodes de vie est randomisée et
aucune limite de temps n'est imposée ; le patient est encouragé à donner le plus
de détails possibles. Les scores sont obtenus en utilisant une échelle de 0 à 5
points (de « je ne sais pas » à un événement unique spécifique et détaillé). On
pose 3 questions pour guider le patient : Quand ? Où ? Est-ce que vous vous
voyez en train de... ?
Le test TEMPau de Piolino et al. (2000) évalue également la mémoire
autobiographique. Il s'agit d'une épreuve très détaillée qui explore 4 périodes de
vie, plus la période récente : plusieurs thèmes sont proposés pour chacune des
périodes, et après chaque rappel le sujet évalue son propre souvenir en précisant
s'il se situait dans une perspective d'acteur ou de spectateur. Il doit également
préciser s'il se souvient, s'il sait ou s'il suppose (c'est l'indication de son état de
conscience) et chacune de ces précisions sont à fournir pour le contenu factuel, le
contenu spatial et le contenu temporel. Un retest est aussi présenté pour la
vérification. La cotation de chaque événement situé dans le temps et l'espace
tient compte aussi des détails qui concernent l'affect, l'émotion, les pensées, les
images, etc.

La mémoire des événements publics

Lors de l'entretien, on a un aperçu assez fidèle de la capacité du patient à


suivre les événements rapportés dans les médias. Si ses réponses montrent un
déficit et s'il est relativement isolé ou plus important que pour le reste de ses
commentaires (voir la présentation de cas), il est nécessaire de lui proposer un
test formel, comme par exemple, le Test des morts/vivants [construit sur le
modèle décrit par Kapur et al. (1992), le test a été adapté et standardisé pour la
population francophone européenne (Bindschaedler et al., non publié ; voir
Manning, 2002a, pour une description détaillée du test)], qui comprend une liste
écrite de 45 personnes célèbres (distribuées de 1960 à nos jours).
Le test de mémoire événementielle de Saint-Étienne, EVE, (Thomas-Antérion,
1994 ; 1997) est également, très utile. Il comprend 36 événements publics
connus présentés en questions écrites, une par une (e.g. Que vous évoque la
guerre du Golfe ?). Les événements sont présentés dans un ordre randomisé et
chaque question comprend 4 étapes : évocation spontanée de l'événement (coté
de 0 à 2), reconnaissance de l'événement entre 2 distracteurs (0 ou 1), réponses à
2 questions précises concernant l'événement (0 à 2) et datation de l'événement
dans une décennie (0 à 1). Aucune limite de temps n'est imposée.

La mémoire sémantique du passé : les faits


La mémoire sémantique : connaissances générales

Cette mémoire est évaluée, en partie, lors de la passation du sous-test


vocabulaire de la WAIS-R (version écourtée) et le sous-test information (version
longue). Par ailleurs, de manière plus ciblée, le test pyramides et palmiers de
Howard et Orchard-Lisle (1984) est un bon indicateur des troubles sémantiques
même si le patient a des difficultés sensorielles dans une modalité. En effet, ce
test a une version verbale écrite, une autre non-verbale, une troisième
d'appariement mot-image et on peut aussi le présenter en modalité orale.
Finalement, le test des visages célèbres est utile et fréquemment utilisé et le test
des lieux et des scènes très connus (le Parthénon, Yalta, etc.) sont également très
informatifs (ces tests sont fréquemment construits et mis à jour régulièrement par
les équipes de neuropsychologie).

La sémantique personnelle

Elle est testée avec la partie la plus longue de l'AMI qui couvre trois périodes
de vie, comme cela a été mentionné plus haut.

La mémoire implicite

Elle est rarement évaluée en examen de routine. Des exemples de tests ont été
décrits dans la sous partie intitulée « Les systèmes de mémoire implicite ».

Clinique appliquée. Présentation des deux patients

Mémoire du passé. Nous allons illustrer une double dissociation entre les
systèmes de mémoire autobiographique et de mémoire des faits publics en
présentant deux patients atteints d'amnésie sélective.

Un cas d'amnésie focale rétrograde (Manning, 2002a)

Madame H a 65 ans au moment de l'évaluation neuropsychologique, elle est


droitière et travaille dans la décoration d'intérieur, elle a une renommée
internationale pour ses compositions florales. Elle a subi (au cours d'une
intervention chirurgicale) un arrêt cardiaque qui a entraîné une hypoxie suivie
d'un coma de 24 heures et d'une activité épileptique enregistrée en EEG. Au
réveil, la patiente présente une amnésie antérograde dense avec oubli au fur et à
mesure qui devient graduellement moins sévère jusqu'à complète disparition une
huitaine de jours après l'accident. Elle regagne son domicile sans aucune séquelle
cognitive apparente. Trois mois après, elle consulte son médecin généraliste qui
l'adresse en neuropsychologie.
Elle exprime sa plainte de la manière suivante : « Je suis allée au marché aux
fleurs de Rungis, deux fois par semaine, pendant des années, avant mon
accident ; je me suis aperçue que je n'arrive plus à retrouver mon chemin, il me
faut une carte ! Mon mari m'a demandé quelque chose qui était arrivé pendant un
des nos voyages, j'ai oublié ce voyage et ce n'est pas le seul, je crois... ».
L'IRM montre de légers changements au niveau des lobes frontaux, associant
surtout la matière blanche. Aucun signe n'est décelé au niveau des lobes
temporaux médians. Une tomographie par émission de positons en état de repos
(18 Fluorodeoxiglucose) est obtenue et révèle un hypométabolisme impliquant le
carrefour temporo-pariéto-occipital de l'hémisphère droit.
L'évaluation neuropsychologique est réalisée à trois reprises au cours d'un
suivi de 2 ans, dans le but d'étudier une éventuelle récupération spontanée. Les
résultats aux tests et les entretiens des premières séances nous avaient conduit à
formuler l'hypothèse d'un trouble mnésique d'accès, susceptible de récupérer.
Les capacités intellectuelles, le langage, les capacités visuo-perceptives et
visuo-spatiales, les fonctions attribuées aux troubles du lobe frontal et les
processus attentionnels sont intacts. La mémoire antérograde verbale et non-
verbale est évaluée avec plusieurs tests de niveau de difficulté élevée (par
exemple, le CVLT). Tous les scores sont normaux ou supérieurs.

La mémoire rétrograde

Test 1. Mémoire autobiographique. Évaluation de base.


- Sa performance au questionnaire AMI montre un score de 88 % de réponses
correctes à la section de sémantique personnelle et 66 % aux événements
autobiographiques. Si le premier pourcentage est largement dans la normale, le
deuxième est dans les limites inférieures de la normalité. Ce questionnaire est,
pour la partie événementielle, moins sensible car les questions sont peu
nombreuses et les réponses se réfèrent, souvent, à certains événements qui n'ont,
certes, eu lieu qu'une seule fois mais que le sujet a relatés de nombreuses fois. En
conséquence, le test de Crovitz-Schiffman (version quantifiée de Graham et
Hodges, 1997) dont le niveau de difficulté est supérieur, est présenté à Madame
H.
- Le test de Crovitz modifié est présenté pour 5 périodes, 4 correspondant à
avant l'accident et la dernière, à après l'accident. On peut voir dans la figure 3que
c'est uniquement la quinzaine d'années, entre 50 et 65 ans, qui est affectée.

Figure 3
. Scores de la patiente CH et des sujets témoins au test de Crovitz modifié
Test 2. Mémoire autobiographique. Évaluation adaptée.
Trois volets, sélectionnés d'après les entretiens avec l'époux de la patiente,
sont testés :
- Le test de photographies. La patiente et son mari ont visité près de 40 pays et
pris des centaines de photos. Cette circonstance a été mise en œuvre pour
construire un test de mémoire rétrograde afin de la comparer avec la mémoire
post-accident. Ainsi, 72 photos correspondant à différentes périodes de vie ont
été sélectionnées grâce à la coopération de Monsieur H, sous deux conditions,
que les personnes et les lieux évoquent des souvenirs saillants et que la patiente
ne les ait pas regardées depuis l'accident cérébral.
Les résultats présentés dans la figure 6montrent une quasi absence de
souvenirs appartenant à la décennie 1980 jusqu'à après l'opération.
Figure 4
. Scores de la patiente CH et des sujets témoins au test des photos
- Souvenirs personnels dans 4 domaines. Toutes les questions portent sur deux
périodes : entre 1970 et 1983 et entre 1984 et 1996.
a) Les postes de travail et les dates sont relativement bien rappelés par la
patiente dans la première période et pour la deuxième, bien que ses
souvenirs soient présents, elle a des difficultés de repérage temporel.
b) Les souvenirs de vacances montrent un clivage beaucoup plus important,
elle se souvient pratiquement comme son époux des voyages de la première
période alors que quasiment rien n'est rappelé pour les voyages entre 1984
et 1996 ; elle commente : « j'ai dû voyager énormément, c'est bien moi sur
les photos ».
c) Hospitalisations. Ce volet est bien rappelé pour les années 1970 (elle a
subi des interventions chirurgicales très importantes pour soigner un cancer
de la face). Elle se rappelle également les séances en neuropsychologie
après son hypoxie. Cependant, aucun souvenir n'est présent pour
l'hospitalisation qu'a provoqué son accident.
d) Orientation et mémoire topographique. Au regard de sa plainte initiale,
ces aspects ont été testés en détail. La patiente a dû ré-apprendre des
parcours qu'elle connaissait bien dans le passé. L'orientation n'est pas
compromise, c'était la situation où elle se plaçait (pensant, naturellement,
qu'elle se rappelait le chemin) qui provoquait ses égarements en voiture,
pendant des heures.
Test 3. Mémoire rétrograde des événements publics.
- Ses scores à un test de visages célèbres, au test du mort/vivant et au test EVE
d'événements publics sont normaux, à l'exception du rappel des dates qui est en
général, et indépendamment de la période testée, déficient (voir cas suivant pour
la description des tests des événements publics).
Commentaires : Nous allons voir les 2 volets qui caractérisent le profil
mnésique de Madame H.
- La dissociation mémoire antérograde/mémoire rétrograde. On note que
l'hypoxie a provoqué un dysfonctionnement initial et transitoire massif de
l'hippocampe. Il est possible que cette altération des lobes temporaux médians,
couplée aux changements au niveau cortical (y compris l'activité épileptique) soit
à l'origine du dysfonctionnement de longue durée qui se traduit par un blocage
d'accès aux souvenirs passés. Notre interprétation du cas présent est en effet que
ces souvenirs ne sont pas effacés mais inaccessibles. Si les lésions cérébrales
avaient été suffisamment importantes pour détériorer la mémoire du passé, elles
auraient endommagé, en même temps, les mécanismes de la mémoire
antérograde. Madame H n'a pas de lésions anatomiques décelées à l'IRM, elle a,
en revanche, un hypométabolisme dans les zones cérébrales rapportées dans la
littérature comme sous-tendant, précisément, les souvenirs autobiographiques.
Nous interprétons la dissociation entre mémoire rétrograde et mémoire
antérograde dans le cadre théorique du modèle de Damasio (1989) : les souvenirs
autobiographiques sont sous-tendus par des réseaux neuronaux qui ont une
configuration donnée au moment de leur formation. Le fonctionnement normal
de l'hippocampe comporte un rôle de liage (binding) qui est comparable à un
code qui relie les différents fragments sensoriels qui composent le souvenir
(cortex visuel, auditif, somesthésique...) en un tout qui a un sens. Si les
caractéristiques des configurations neurales des souvenirs formés quelques
années avant l'accident ont été affectées (même très légèrement) par l'hypoxie, le
coma et l'activité épileptique, la fonction de liage (binding) de l'hippocampe ne
pourra plus activer de manière synchronique tous les composants du souvenir, un
blocage d'accès pour les souvenirs plus vulnérables (puisque multimodaux et
relativement récents) s'ensuit. Il s'agirait ainsi non pas de deux mécanismes
d'encodage et de maintien, l'un voué aux souvenirs du passé, l'autre à la
formation des souvenirs antérogrades, mais d'un seul mécanisme qui serait, d'une
part fonctionnel en antérograde parce que l'encodage et la récupération se font
dans les mêmes conditions, et d'autre part non fonctionnel pour une période du
passé en raison des changements neuraux des sous-systèmes responsables de
l'encodage originel de ces souvenirs.
- Pourquoi chez Madame H, comme chez d'autres patients rapportés dans la
littérature, les dissociations entre mémoire autobiographique d'une part, et deux
autres systèmes de mémoire du passé, sémantique et des faits publics d'autre
part, se font-elles au détriment de la mémoire autobiographique ?
Certaines caractéristiques de la mémoire autobiographique aident à en cerner
les raisons. Premièrement, l'encodage et la récupération des événements
autobiographiques sont réalisés de manière multimodale. Cette particularité rend
la mémoire autobiographique plus vulnérable aux lésions, même très légères, qui
endommageraient les sites -multimodaux - de stockage cérébral. Deuxièmement,
les événements autobiographiques sont les seuls dont le rappel nécessite trois
niveaux d'accès : de larges périodes de vie (« quand j'étais étudiante... ») ; des
événements généraux (« mon premier poste de travail... ») et des événements
spécifiques (« ce jour-là, en sortant de chez moi, j'avais... »). Ces trois niveaux,
entrelacés, permettent la construction et la récupération des souvenirs
autobiographiques (Conway et Pleydell-Pearce, 2000). Finalement, seule la
mémoire autobiographique, selon la TTM, réactive les circuits neuronaux de la
formation hippocampique en plus des néocortex temporal et frontal et ce,
indépendamment de l'ancienneté du souvenir. En revanche, la mémoire
sémantique et la mémoire des faits publics n'étant pas systématiquement
multimodales, et ne nécessitant pas ces trois niveaux de spécificité de
connaissances, seraient plus résistantes à la lésion cérébrale. Par ailleurs, les
traces mnésiques sémantiques ne nécessitent pas un contexte spatio-temporel
pour être évoquées ; une fois consolidées, elles sont indépendantes de la
formation hippocampique.

Troubles sélectifs de la mémoire des faits publics (Manning et al., 2005a ; 2006)

Monsieur R. est droitier, âgé de 50 ans et travaille comme technicien ; il a été


suivi en neuropsychologie de 2002 à 2004. Il souffre d'épilepsie pharmaco-
résistante (antécédents : méningite virale, convulsions fébriles prolongées à l'âge
de 7 mois ; première crise épileptique spontanée à l'âge de 13 ans). L'épilepsie a
été diagnostiquée en 1969 après une crise tonico-clonique secondairement
généralisée. La localisation unilatérale du foyer épileptogène a été déterminée en
combinant des informations diagnostiques issues de l'enregistrement vidéo-EEG,
de l'IRM anatomique et du SPECT. Une lobectomie temporale antéro-médiane
gauche a été réalisée et a inclu la résection complète de l'hippocampe, de
l'amygdale, du gyrus parahippocampique, des 5 cm antérieurs des gyri
temporaux moyen et inférieur, et du gyrus temporo-occipital. L'examen
histologique d'échantillons réséqués a montré une sclérose hippocampique avec
une perte sévère de cellules pyramidales dans les régions CA 1 et CA 2.
La plainte du patient concerne sa mémoire, notamment dans son lieu de
travail. L'évaluation neuropsychologique complète a été réalisée à 3 occasions
différentes (avant l'opération, 4 mois et 25 mois après l'opération). L'ensemble de
résultats permet de formuler les conclusions suivantes :
- Les scores obtenus par le patient lors de ces différents examens ne
diffèrent pas significativement.
- Les capacités cognitives sont entièrement normales (à 25 mois de
l'opération, WAIS-R : QI Verbal = 103 ; QI de Performance = 90).
- Les résultats aux tests de langage (Déno 100 = 96) et aux épreuves
sensibles aux troubles du lobe frontal (voir chapitre 8 pour la description et
références des tests), MCST = 6/6 ; Stroop = + 9 ; fluence littérale = 14
fluence catégorielle = 21). Les résultats aux tests de vitesse (Adult Memory
Information Processing Battery, Coughlan et Hollows, 1985) motrice = 30
et de traitement de l'information = 43) sont également dans la normale.
- La mémoire aatérograde verbale (par exemple au CVLT : – rappel 1 =
9/16 ; - rappel 5 = 15/16 ; – rappel total = 64/80 ; liste B = 9/16 ; rappel
libre différé = 11/16) est très satisfaisante, ainsi que la mémoire de
reconnaissance verbale et non-verbale (mots = 48/50 ; visages = 47/50 ;
lieux = 27/30).
Pourquoi Monsieur R a-t-il été suivi en neuropsychologie ?
Durant l'examen préopératoire, nous avons posé quelques questions au patient
concernant sa vie quotidienne et les événements de l'actualité. Lors de cet
entretien semi-structuré de routine, ses commentaires à propos de l'attaque
terroriste du 11 septembre 2001, 7 mois après, étaient très vagues. Cette
observation, ainsi que son incapacité à évoquer un quelconque événement de
l'actualité, nous a incité à évaluer la mémoire du passé et, très particulièrement,
les faits publics de manière plus approfondie. Nous avons recueilli suffisamment
d'informations pour affirmer que ses difficultés de rappel des événements publics
ne reflétaient pas un manque d'intérêt ou d'exposition pour les faits d'actualité,
puisque le patient a toujours suivi quotidiennement le journal télévisé.
Mémoire du passé

Nous commençons par la mémoire personnelle.


La mémoire autobiographique est évaluée à l'aide de 2 tests standardisés et
d'une série de questions adaptées pour examiner les souvenirs postopératoires du
patient :
- La performance au test AMI montre des scores normaux pour les faits de
sémantique personnelle (87 % et 96 % de réponses correctes, en
préopératoire et à 25 mois en postopératoire, respectivement) et incidents
autobiographiques (81 % et 96 %, mêmes occasions).
- Au test de Crovitz modifié, la liste de 20 mots est donnée à 4 reprises pour
couvrir 4 périodes de vie (voir cas précédent pour la cotation). Nous avons
sollicité la collaboration de son épouse qui a confirmé presque tous les
souvenirs des 35 dernières années. Trois sujets témoins appariés au patient
en âge et niveau d'éducation ont également passé ce test. Les résultats
montrent que les scores du patient et ceux des sujets sains ne diffèrent pas
statistiquement. Nous avons ainsi confirmé la remarquable préservation de
sa mémoire autobiographique.

Évaluation des événements publics

- Test du mort/vivant. Nous avons présenté au patient une liste écrite de 45


personnes célèbres dans un ordre semi-randomisé et lui avons demandé de
spécifier si la personne est vivante ou décédée et, dans ce dernier cas, de donner
une date approximative de sa mort et de préciser les circonstances du décès. Ce
test a été effectué lors de l'examen préopératoire et 25 mois après l'intervention.
Résultats. Les scores du patient sont normaux pour les périodes allant de 1960
à la fin des années 1970. En revanche, sa performance relative aux personnes
célèbres des années 1980 à aujourd'hui est très déficitaire lors de l'évaluation
préopératoire pour tous les blocs de questions (mort/vivant, date, nature de la
mort) et l'est resté 2 ans après l'opération.
- Test d'événements publics EVE. Le test a été standardisé et des normes sont
disponibles pour les événements de la période 1920-1997. Trois sujets témoins,
appariés au patient en âge et en niveau d'éducation, ont passé la partie du test
d'événements publics relatives aux années 1998 à 2002.
Résultats. La performance du patient est clairement altérée pour chaque
mesure et pour toutes les périodes entre les années 1920 et 2002.
(Nous avons conçu et appliqué un programme de rééducation pour les
événements publics postopératoires ; voir Manning et al., 2006.)
- Tests des visages et scènes célèbres. Quarante personnes célèbres (20 des
années 1940 à 1960 et 20 de 1960 à nos jours ; e.g. Greta Garbo, Ariel Sharon) et
30 scènes célèbres du passé et du présent (e.g. le mur de Berlin ; d'après
Thomas-Antérion et al., 1997 ; avec leur autorisation) ont été présentées au
patient pour tester les événements publics du passé dans la modalité non-verbale.
Résultats. La performance du patient était, dans chaque cas, sévèrement
déficiente comparée à celle des sujets témoins. Qualitativement, nous avons
observé que, pour plusieurs items, le prénom d'une personne célèbre, donné par
l'examinateur, a aidé le patient à se rappeler le nom.
Une vue d'ensemble des performances du patient montre une perte sélective de
mémoire pour les événements publics. La question centrale est ainsi la suivante :
Quelle est la relation entre les deux faits constatés, à savoir la plainte mnésique
subjective et le déficit de mémoire d'événements publics ?
Afin de répondre à cette question, il nous faut des données plus objectives
concernant la plainte du patient. Ayant « épuisé » les tests de mémoire
antérograde (dont nous avons seulement donné un aperçu), nous décidons, avec
l'accord du patient, d'avoir un entretien avec deux de ses collègues et leur posons
des questions concernant ses performances de travail quotidien excluant les
périodes post-critiques. Il est manifeste que la plupart du temps, le travail du
patient n'aboutit à rien, car il est incapable d'intégrer les consignes, les nouveaux
concepts et les techniques. Ses difficultés sont essentiellement causées par des
problèmes de mémoire. Une seule explication semble alors possible.

Évaluation du taux d'oubli

Nous avons décidé d'évaluer son taux d'oubli à deux tests de mémoire verbale,
le test de Mémoire de Reconnaissance des Mots (Warrington, 1984) et le sous-
test Mémoire Logique de l'Échelle Clinique pour la Mémoire de Wechsler
(Wechsler, 1987 ; 1991), ainsi qu'à une tâche non verbale, le test de Mémoire de
Reconnaissance des Visages (Warrington, 1984). Les tests comprennent 4
intervalles différents, immédiat, après 2 heures, après 30 heures et après 7 jours.
Six sujets témoins appariés en âge, sexe et niveau d'éducation ont passé ces
mêmes tests aux mêmes intervalles.
Résultats. On a constaté que le taux d'oubli du patient pour un matériel verbal
est modérément accéléré au test de Mémoire de Reconnaissance, mais l'est de
façon plus marquée pour le sous-test Mémoire Logique et pour le matériel non-
verbal.

Commentaires. À notre connaissance, seulement trois études de cas uniques


ont été rapportées concernant une perte sélective de la mémoire des faits
publics : De Renzi et al. (1987) ; Yasuda et al. (1997) et Kapur et al. (1989). La
patiente étudiée par ces derniers auteurs montrait un trouble modéré de mémoire
du passé et un déficit spécifique aux tests de faits publics. Elle avait des scores
de mémoire antérograde aussi bons, voire meilleurs que ceux des sujets témoins
à un délai de 30 minutes mais ils étaient déficients après une période de 6
semaines. De manière similaire, notre patient présentait un déficit de
consolidation à long terme à trois tests de mémoire antérograde comprenant du
matériel verbal et non verbal. La question importante, en tenant compte de la
constatation de l'oubli accéléré, est de savoir pourquoi cette vitesse anormale
d'oubli affecte sélectivement la mémoire des faits publics ?
La mémoire des faits publics est associée à l'exposition aux médias (Kapur et
al., 1999) et fait partie de la vie quotidienne. Bien que la plupart des nouveaux
événements soient rapidement oubliés, les quelques faits importants qui restent
forment notre « mémoire historique ». Ce terme, introduit par Brown (1990), se
réfère aux faits publics stockés dans notre mémoire qui affectent de façon
importante notre conscience du monde environnant et nous permettent de
partager des intérêts culturels communs au sein de la société. Deux
caractéristiques principalement ou exclusivement liées aux événements publics,
et importantes pour l'interprétation de la performance du patient, sont l'âge
d'acquisition et l'improbabilité de se rappeler un événement isolé. En ce qui
concerne l'âge d'acquisition, alors que les faits et les événements personnels, les
connaissances du monde et les apprentissages scolaires doivent former des traces
mnésiques relativement tôt dans l'enfance, la mémoire des faits publics débute
dans l'adolescence. Une étude de Howes et Katz (1988) a montré une courbe
d'acquisition augmentant jusqu'à 20 ans. Il est possible que le début de l'épilepsie
du patient, à l'âge de 13 ans, ait entravé l'initiation du processus d'intégration des
événements de l'actualité. Un autre aspect spécifique concerne le besoin d'une
vue d'ensemble des événements précédents pour être capable de comprendre,
d'encoder et par la suite de récupérer un événement majeur de l'actualité. Ceci est
tout particulièrement le cas pour les événements politiques. Les différents scores
du patient à deux tests de faits publics semblent illustrer la nécessité d'un «
épisode narratif » (Brown, 1990) plus étendu dans l'un d'eux. L'oubli accéléré
affecterait particulièrement le type de matériel qui requiert relativement plus de
temps pour se construire et pour intégrer de nouveaux items dans le stock
mnésique.
Considérons enfin la mémoire autobiographique préservée du patient. Jokeit et
Markowitsch (1999) ont suggéré qu'une pure réorganisation interhémisphérique
de la mémoire épisodique se mettait en place chez ces patients atteints d'épilepsie
du lobe temporal. Viskontas et al. (2000) ont étudié un groupe de patients
épileptiques et ont conclu qu'une mémoire autobiographique préservée
nécessitait l'intégrité des deux lobes temporaux médians, puisque différents
fragments des souvenirs sont distribués bilatéralement dans les formations
hippocampiques. Les données issues des études de cas ne sont pas d'emblée
comparables avec les résultats d'études de groupe ; cependant, elles me
permettent de suggérer qu'au moins pour certains individus, la préservation du
lobe temporal médian de l'un ou l'autre hémisphère pourrait suffire à une
représentation normale des souvenirs autobiographiques. Cette hypothèse est
renforcée par l'évaluation postopératoire de notre patient. De plus, les trois cas
mentionnés précédemment (Kapur et al., 1989 ; De Renzi et al., 1987 ; Yasuda et
al., 1997) avaient des lésions qui épargnaient la formation hippocampique de
l'hémisphère droit et le néocortex temporal (BA 38) de l'un des hémisphères.
Dans ces cas et pour notre patient, la performance préservée en mémoire
autobiographique pourrait ainsi refléter une relative intégrité du fonctionnement
de l'hémisphère droit. Certaines études en neuroimagerie fonctionnelle chez le
sujet sain ont mis en évidence une activation significative de l'hémisphère droit.
Markowitsch et al. (2000) ont comparé la récupération de souvenirs
autobiographiques avec le rappel d'événements fictifs dans une étude en TEP et
ont conclu que l'amygdale, l'uncus et le pôle temporal (BA 38) de l'hémisphère
droit étaient spécifiquement activés durant l'évocation de souvenirs
autobiographiques.

Conclusion

Dans la première partie de ce chapitre, nous avons vu le modèle de MCT de


Gathercole et Martin (1996) et l'analyse que ces auteurs font du modèle de MT
de Baddeley (1986). Nous considérons que les premiers auteurs offrent une
alternative et/ou une approche complémentaire à ce dernier.
En ce qui concerne la MLT, elle a bénéficié d'une approche multidisciplinaire
qui a contribué à donner une direction à la recherche des processus très
complexes impliqués dans les traces mnésiques permanentes. Les différents
types d'amnésie montrent des dissociations qui aident à mieux comprendre
l'organisation de la mémoire humaine. Dans cette même perspective, on intègre à
présent une approche neuroscientifique de l'amnésie dite fonctionnelle, approche
qui favorise les tentatives d'étude conjointe des facteurs psychologiques et
neurologiques.
L'étude de la mémoire du passé, oubliée pendant de longues années est en
plein essor et son utilité dans la compréhension des processus mnésiques semble
très importante. Les cas présentés permettent d'apprécier quelques-uns des
facteurs à l'œuvre dans la mémoire du passé. Parmi ces facteurs, on retient
l'importance du seuil de déficit provoqué par la lésion cérébrale, le niveau de
déficit pouvant moduler un accès différent aux souvenirs selon qu'ils
appartiennent à la période d'avant ou d'après la lésion. Au sein de la mémoire du
passé, il existe une relative indépendance des systèmes de mémoire des
événements publics et des événements personnels, un des facteurs pouvant être
l'oubli accéléré qui altérerait l'apprentissage à très long terme chez les patients
souffrant d'une épilepsie du lobe temporal.
1 Conférence réalisée au Laboratoire de Physiologie de la Perception et de l'Action, Collège de France
(Manning, avril 2007).
2 Ce paragraphe est basé sur un chapitre publié (Manning, 2004).
CHAPITRE 4

Troubles du langage et du calcul

Introduction

L'histoire de la neuropsychologie à partir du XIXe siècle est, en fait,


l'histoire de l'aphasiologie. La célèbre communication de Paul Broca (1861)
où la relation « perte de la fonction – lésion cérébrale localisée » est,
littéralement, montrée pour la première fois, est un cas d'aphasie. Les
conclusions de Broca ouvrent la voie aux recherches de Karl Wernicke (1874)
qui complète l'apport du volet expressif avec des considérations anatomo-
cliniques qui aboutissent à la définition du « pôle postérieur du langage »,
sous-tendant la compréhension de la communication orale. Cette contribution
prépare, à son tour, la théorie de Lichtheim (1858) sur la compétence
linguistique. A partir de cette théorie, les modèles anatomo-cliniques de la
fonction du langage foisonnent. Le plus connu reste celui de Wernicke-
Litchtheim (voir plus bas), qui pose les fondements modernes de cette
méthode dans l'étude des altérations du langage. Pierre Marie, opposant
célèbre de ces modèles et de leur valeur localisationniste (voir chapitre 1),
propose une approche holistique qui finit par s'imposer et par prévaloir durant
les premières décennies du siècle dernier. Cent ans après Broca, la publication
de Geschwind (1965) constitue la redécouverte de la localisation des fonctions
individuelles du langage largement étudiée sur la base du modèle adapté de
Geschwind-Wernicke. Quelques années plus tard, c'est l'introduction de
l'imagerie cérébrale qui rendra possible un diagnostic d'une précision jusque-
là impossible et, par conséquent, l'émergence d'un nouvel essor de la
recherche du langage qui est, probablement, le domaine le plus documenté de
la neuropsychologie.

Troubles du langage oral 1


L'approche anatomo-clinique : les aphasies

L'aphasie est définie comme un trouble acquis du langage dont l'origine est
la survenue d'une lésion cérébrale. Cette définition écarte les déficits
langagiers du développement et ceux d'origine psychiatrique. La pathologie
sous-jacente de l'aphasie affecte les représentations cérébrales des règles
linguistiques et des connaissances spécifiquement langagières.
Les troubles du langage sont, dans la plupart des cas, supra-modaux,
puisque les versants expressif et réceptif, ainsi que la modalité orale et écrite
sont perturbés. Cependant, puisqu'il existe des « voies » différenciées pour le
langage oral et écrit, et que les déficits observés peuvent montrer des troubles
plus importants sur l'un des deux versants, expressif ou réceptif, nous suivrons
des descriptions compartimentées, avec le risque d'une vision scolaire et
parfois artificielle, mais avec plus de garanties de clarté.
La prévalence de l'aphasie est de 2/1000 et la cause la plus fréquente
(approximativement 75 % des cas) sont des accidents vasculaires cérébraux
(AVC), notamment l'ischémie de l'artère cérébrale moyenne gauche (voir
chapitre 1 et la figure D).
L'étude des caractéristiques cliniques se base sur l'analyse linguistique et
les possibilités de communication en langage spontané (conversation) et sur la
comparaison de l'efficience linguistique à travers différentes modalités.

Langage spontané

Dans les cas où le trouble de la communication est sévère, avant de se


prononcer sur une possible aphasie globale (voir « Les syndromes aphasiques
»), le clinicien doit s'assurer qu'il ne s'agit pas de déficits liés aux lésions du
lobe frontal, comme le mutisme akinétique, et chez les patients qui ont un
langage incompréhensible, on doit s'interroger sur la possibilité d'une
dysarthrie ou d'une apraxie du langage. Il est également nécessaire de relever,
le cas échéant, la présence de persévérations, stéréotypies, et/ou d'écholalies.
Dans les cas où la communication est possible et relativement
compréhensible, le clinicien devra évaluer le contenu du discours (est-il
normal ou dépourvu de sens ?), la fluence du discours, la présence d'erreurs
phonologiques ou sémantiques et la construction agrammaticale de phrases.
Efficience linguistique

Nous nous plaçons dans le cas de figure où le neuropsychologue est face à


un patient qui a des troubles du langage et qui n'a pas encore été testé par un
orthophoniste. Il s'agit de réaliser un premier examen du langage, qui permette
d'obtenir un tableau clinique suffisamment clair pour déterminer si le trouble
est aphasique et si le patient a besoin d'une évaluation détaillée en vue de la
prise en charge rééducative.
Un bref résumé des origines de cette manière d'évaluer le langage peut
aider à mieux suivre les objectifs. Le modèle de Wernicke-Litchtheim,
complété dans les années 1960 par Geschwind, est à la base de l'examen du
langage. Les données anatomo-fontionnelles appliquées au modèle de
Geschwind rendent possible une approche plus utile en relation avec les deux
pôles du langage : le versant de l'expression, sous-tendu par les régions
frontales gauches et constituant le pôle antérieur et le versant réceptif, le pôle
postérieur localisé dans le lobe temporal gauche. Le pôle antérieur est
impliqué dans la programmation de la production linguistique, alors que les
interactions entre les informations nouvelles et les informations stockées ont
lieu dans le pôle postérieur. Le modèle de Wernicke-Geschwind montre trois
composantes principales et leurs connexions (voir la figure 5).
Figure 5
. Le modèle de Wernicke-Geschwind présente 3 composantes
principales : (i) le centre des images auditives des mots, (ii) le centre des
concepts et (iii) le centre des images motrices des mots, interconnectés
par les « projections » A, B et C
La connexion A rend possible la répétition de mots sans comprendre leur
signification, alors que pour la connexion B le sens est essentiel. Le lien C
quant à lui permet de dénommer un objet. Nous allons voir à présent
l'efficience linguistique dans ces différentes modalités (nous reviendrons sur
ce schéma simplifié en décrivant les syndromes aphasiques).
Afin de tester la capacité de répétition (la connexion A), le clinicien
prononce d'abord des lettres, puis des mots de haute fréquence comme
maison, table ou porte, puis des phrases simples (« la fille marche »). Les
erreurs de répétition les plus souvent rencontrées lors d'un examen de
débroussaillage des déficits du langage, sont liées à la phonologie du mot. Les
erreurs phonologiques lors de la répétition peuvent être accentuées si le mot à
répéter est polysyllabique. Par ailleurs, la fréquence basse d'apparition des
mots écrits dans la langue peut également augmenter la probabilité d'erreur.
Enfin, bien que plus rarement, les erreurs peuvent être liées à une certaine
catégorie de mots (par exemple des mots abstraits).
L'évaluation de la compréhension (le lien B) se réalise en sollicitant du
patient des réponses non-verbales. Par exemple, le clinicien demande au
patient de fermer les yeux, de montrer le plafond, de poser les mains sur la
table, puis de toucher une ou l'autre épaule avec une main puis avec l'autre (en
tenant compte de l'hémiplégie droite, le cas échéant). Les erreurs de
compréhension sont repérées d'emblée ou bien elles requièrent un examen
plus approfondi pour l'évaluation de la compréhension syntaxique au moyen
de tests comme le Token Test (De Renzi et Vignolo, 1962).
Pour évaluer la dénomination (la connexion C), le neuropsychologue
commence par montrer des objets courants (« dénomination en présentation
visuelle ») comme un crayon, une montre, etc. avant d'utiliser un test de
dénomination (comme, par exemple, le test « Déno 100 » ; voir Kremin,
2002). Par ailleurs, il évalue la dénomination en donnant des indices verbaux
(par exemple, « Pour me dire l'heure, vous regardez quoi ? »). La
dénomination en présentation visuelle permet de mieux analyser les erreurs du
patient parce qu'un objet à dénommer ne présente pas de degrés de liberté
comme c'est le cas du discours spontané. Les erreurs de dénomination les plus
fréquentes sont les circonlocutions, les paraphasies, les persévérations et les
erreurs visuelles. Si le patient est sélectivement incapable de dénommer en
présentation visuelle, il pourrait s'agir de l'aphasie optique (voir chapitre 5).

Il existe plusieurs classifications de l'aphasie, fondées sur des critères


différents. Ainsi, Benson (1967) propose un critère anatomique (aphasies du
pôle antérieur du langage dont le soubassement est la région frontale gauche
et aphasies du pôle postérieur, localisées dans le lobe temporal gauche), et un
critère linguistique (vitesse et richesse de production du langage : aphasie
fluente/non-fluente). Pour leur part, Goodglass et Kaplan (1972), proposent
une classification par rapport aux deux versants du langage, expressif
(moteur)/réceptif (sensoriel).
L'aphasie de Broca

La lésion fonctionnelle dans le modèle de la figure 5correspond au centre


d'images motrices des mots. La lésion cérébrale, localisée dans le gyrus
frontal inférieur gauche, implique la substance blanche et atteint l'insula.
Étudiée à partir de l'observation princeps de Paul Broca, de son patient M.
Leborgne, surnommé Tan en raison de son incapacité à produire toute autre
syllabe que « tan-tan », elle est essentiellement non-fluente. La réduction
d'efficience linguistique est présente dans le traitement phonologique, lexical
(manque du mot précis, souvent compensé par le geste) et grammatical. Le
langage est difficile, laborieux et ralenti à cause du trouble de sélection des
mots précis, et de la difficulté d'enchaînement des phonèmes. La
compréhension chez le patient aphasique de Broca est relativement préservée
dans le contexte de la consultation, cependant, dans des situations moins
prévisibles, elle est affectée. La répétition et la dénomination sont
généralement compromises.
Le déficit de construction des phrases ou agrammatisme, observé dans
l'aphasie de Broca, donne lieu à un discours qu'on qualifie de télégraphique
parce que le patient omet les mots sans contenu sémantique : « Garçon-
tomber-mère-fessée ». L'évaluation de l'agrammatisme est la plupart du temps
réalisée en demandant au patient de décrire une scène. Cependant, ce type de
tâche, utile pour une appréciation qualitative, est difficilement quantifiable si
le clinicien a besoin de réaliser des comparaisons intra-patients d'une séance à
l'autre. À ce sujet, la version « production » du Token Test (mentionné plus
haut dans sa version classique de réception de la grammaire) est la plus
adaptée (De Renzi et Ferrari, 1978). Ainsi, dans la version réception du Token
Test, on demande au patient d'exécuter une série d'actions avec les fiches de 4
couleurs et de 3 formes géométriques différentes qui se trouvent devant lui.
Par exemple, « avant de placer le triangle vert entre le carré jaune et le carré
bleu, prenez le cercle rouge ». Dans la version expression, le clinicien réalise
ces mouvements des fiches et demande au patient de les décrire.

L'aphasie de Wernicke

Comme conclusion de sa thèse doctorale, Karl Wernicke avait proposé


comme soubassement nerveux de l'aphasie qui porte son nom, le gyrus
temporal supérieur gauche. À présent, on considère que la lésion qui provoque
les symptômes de cette aphasie, s'étend vers le planum temporale (qui se
trouve dans la face interne du lobe temporal, entre la scissure de Heschl et la
scissure sylvienne) et/ou vers le lobe pariétal (BA 39,40). La lésion
fonctionnelle correspondant au modèle de Wernicke-Geschwind se situe dans
le centre auditif des mots. Comme pour l'aphasie de Broca, la cause la plus
fréquente est l'ischémie cérébrale et, dans le cas présent, elle affecte des
portions postérieures de l'artère cérébrale moyenne. Il s'agit d'une aphasie
dont la production linguistique est typiquement fluente ou hyper-fluente. Les
symptômes cliniques centraux sont les paraphasies sémantiques, les
paraphasies phonologiques, qui vont devenir des néologismes si le traitement
phonologique est sévèrement altéré pouvant provoquer un tableau de
jargonaphasie dans lequel, la production verbale du patient est totalement
inintelligible. Si le discours est relativement compréhensible (en terme
d'articulation de la parole), il est dépourvu de sens la plupart du temps bien
que les phrases soient généralement construites suivant les règles de base de la
grammaire. La compréhension, la dénomination et la répétition sont altérées
chez le patient qui peut, en plus, présenter une anosognosie. Ce tableau
clinique, bien caractérisé depuis 1874, est rare dans le décours chronique de la
maladie, en revanche, il est fréquent en phase aiguë.

L'aphasie anomique

Le substrat nerveux de cette aphasie se trouve dans la jonction temporo-


pariétale gauche et/ou le gyrus angulaire gauche (BA 39), notamment, dans ce
dernier cas, si les troubles du langage sont accompagnés d'un ou plusieurs
symptômes du syndrome de Gertsmann (très rarement observé dans sa forme
complète, c'est-à-dire avec acalculie, désorientation droite/gauche, agraphie et
agnosie digitale). Le trait définitoire de l'aphasie anomique est le manque du
mot précis (anomie). En langage conversationnel, le déficit est très souvent
contourné par des circonlocutions, parfois très longues et volontiers confuses,
par des pauses ou encore par des mots passe-partout (chose, truc). Cependant,
en situation de dénomination d'un objet donné, le déficit est sévère. Le patient
aphasique anomique est fluent, mais le contenu du discours est pauvre. Par
ailleurs, la compréhension est normale et on n'observe pas de problèmes dans
la répétition.
L'aphasie globale

L'AVC de l'artère cérébrale moyenne est une fois de plus la cause la plus
fréquente de cette aphasie. L'âge joue un rôle important puisque à égalité de
gravité lésionnelle, les patients avant la quarantaine vont présenter une
aphasie de Broca, alors que le patient au-delà de la soixantaine aura un tableau
global. On observe également des lésions de la substance blanche
périventriculaire et des lésions des noyaux gris de la base. L'étendue de la
lésion est variable, cependant, dans pratiquement tous les cas, les aires de
Broca et de Wernicke sont lésées, soit massivement, soit à des endroits
stratégiques. Comme son nom l'indique, le déficit global affecte à différents
degrés tous les aspects du langage, depuis des fragments de langage ou des
mots isolés produits avec difficulté jusqu'à l'absence totale de discours. Dans
les cas sévères, le patient ne parle plus, ne comprend plus, répète à peine
quelques syllabes ou mots isolés ; le langage écrit étant également très atteint
en lecture et en écriture, il devient pratiquement impossible de communiquer
avec le malade. Il existe, cependant, un sous-groupe des patients qui préserve
des mots ou phrases fortement sur-appris, comme par exemple les jurons, les
jours de la semaine ou des chansons.

L'aphasie de conduction

La lésion fonctionnelle correspond, dans le modèle, à la connexion entre le


centre auditif des mots et le centre d'images motrices des mots. Le substrat
nerveux affecté est un sujet de constante polémique entre les aphasiologistes.
La lésion affectant la substance blanche immédiatement sous-jacente au gyrus
supramarginal (BA 40) et qui provoque une séparation entre les aires
sensorielle et motrice, toutes deux préservées, est loin de faire l'unanimité.
Des lésions dans les portions postérieures de la région périsylvienne gauche
seraient les plus fréquentes. Concernant les troubles du langage, Wernicke
avait fait l'hypothèse d'un déficit dans le contrôle de l'expression ou sortie,
sans trouble de l'articulation. Seulement l'un des deux sous-groupes de
patients classés un siècle après Wernicke (Shallice et Warrington, 1977),
montre ce trouble du contrôle phonologique auquel s'ajoutent des tentatives
constantes d'autocorrection ou conduites d'approche. Le deuxième groupe
montre un déficit de répétition caractérisé qui est dû, très probablement, au
trouble de la mémoire phonologique à court terme. Comme dans le cas de
l'aphasie de Wernicke, l'aphasie de conduction est fréquente dans la phase
aiguë mais rare en tant que trouble chronique. Son diagnostic en phase aiguë
a, en général, un bon pronostic. À tout moment le discours est fluent avec des
paraphasies phonologiques, la dénomination est souvent altérée (« parasitée »
par les changements phonologiques) et la compréhension est préservée.

Les aphasies transcorticales

Le terme transcortical se réfère à une localisation de la lésion en dehors de


la région périsylvienne. Cette localisation donne un des traits caractéristiques
aux aphasies transcorticales, qui est la préservation de la répétition. Dans le
modèle de Wernicke-Geschwind, les connexions entre l'aire de Broca et l'aire
de Wernicke sont intactes.
Dans l'aphasie transcorticale motrice, les lésions cérébrales se situent dans
le pôle antérieur, en dehors de l'aire de Broca (généralement antérieures et/ou
supérieures à Broca), notamment dans les portions médianes de l'aire motrice
supplémentaire et/ou dans les noyaux gris de la base à gauche. Les lésions de
l'aire motrice supplémentaire, provoquent une déconnexion entre cette région
et l'aire de Broca. Les symptômes langagiers sont une réduction du langage
parlé alors que la compréhension est préservée. Il est possible qu'il existe, en
plus, un trouble de l'initiation provoquée par des altérations non aphasiques
des fonctions du lobe frontal. L'aphasie transcorticale motrice avait été
originellement appelée « aphasie traumatique » par Litchtheim (1885, cas II),
Wernicke avait accepté cette classe d'aphasie et sa description mais, il l'avait
renommée aphasie transcorticale motrice. En plus de la répétition préservée,
la dénomination peut être pratiquement intacte mais le patient présente
souvent des persévérations qui « parasitent » toute la production verbale et
non-verbale (désignation), d'où la classification de Luria et Hutton (1977) des
aphasies transcorticales motrices en « persévératives » et « dynamiques ».
Dans les deux autres cas de figures, l'aphasie transcorticale sensorielle et
l'aphasie transcorticale mixte, il a été observé une écholalie dans un tableau
volontiers apparenté à un état démentiel. La dénomination, la compréhension
et le langage écrit sont sévèrement déficients dans les deux cas. Les lésions
cérébrales de l'aphasie transcorticale sensorielle affectent les zones temporo-
pariétales postérieures à la région périsylvienne. L'aphasie transcorticale
mixte est similaire, dans ces symptômes, à l'aphasie globale, exception faite
de la répétition qui est possible et ce, en l'absence totale de traitement
sémantique (le patient ne sait pas ce qu'il répète). Les lésions provoquées par
des AVC, notamment l'occlusion aiguë de l'artère carotide, est la cause la plus
fréquente, mais une anoxie (réduction ou privation d'oxygène) prolongée peut
provoquer aussi ce déficit sévère.
Les lésions cérébrales à l'origine des aphasies le sont également à l'origine
de bien d'autres complications qui peuvent entraver l'évaluation et, surtout, la
prise en charge en réhabilitation. Les problèmes les plus courants que
rencontrent le neuropsychologue et l'orthophoniste, sont des déficits moteurs
et sensoriels qui, associés au tableau aphasique, risquent d'introduire des
confusions dans le diagnostic, notamment si le clinicien n'a pas encore une
bonne expérience des déficits complexes dont les troubles du langage
constituent un symptôme supplémentaire.

Les aphasies sous-corticales

L'exploration des troubles du langage, aidée de l'imagerie par résonance


magnétique (IRM), a rendu possible le diagnostic des cas (jugés
précédemment très difficiles), sous une nouvelle classification, celle
d'aphasies sous-corticales. L'atteinte est provoquée par des lésions de la
substance blanche et/ou de lésions des amas de substance grise sous-
corticaux. Les structures affectées, les plus souvent rapportées dans la
clinique, sont le thalamus et les noyaux gris centraux (voir plus bas). Les
symptômes sont très variables, cependant, il existe quelques caractéristiques
qui aident le clinicien à mieux cerner les troubles des patients souffrant de
lésions sous-corticales :
- Avec un début brutal d'aphasie sous-corticale, le patient est, dans la
plupart des cas, mutique. La récupération est lente et elle passe par un langage
hypophonique, dont l'articulation est altérée et le discours est, en
conséquence, très ralenti. Par ailleurs, l'analyse du discours montre une
profusion de paraphasies et une bonne répétition.
- Le tableau clinique peut être transitoire avec une bonne récupération des
capacités langagières. Cette caractéristique constitue de fait, un critère de
diagnostic. Cependant, il n'est pas rare qu'une atteinte sous-corticale provoque
des troubles du langage plus durables. Ces observations indiquent ainsi deux
possibilités d'effets de déconnections sous-cortico-corticales, en dehors de la
participation proprement dite des structures sous-corticales dans le traitement
langagier. Concernant les déconnexions, les lésions thalamiques, par exemple,
peuvent être à l'origine des aphasies de type Broca ou Wernicke, selon l'aire
thalamique et leurs connexions corticales affectées. D'autres données, issues
de l'imagerie cérébrale fonctionnelle, montrent les conséquences au niveau
cortical, des œdèmes et de l'hypométabolisme d'oxygène et de glucose. Dans
les cas d'hypométabolisme, le déficit du langage ne disparaît pas. Concernant
des symptômes proprement thalamiques, ils provoquent une anomie (manque
du mot précis) en discours spontané, une fluence verbale littérale déficitaire
(des mots produits en temps limité commençant par une lettre donnée par
l'examinateur), des déficits de la dénomination en situation de présentation
visuelle de l'objet, et des déficits a minima de compréhension et de répétition.
Malgré les descriptions cliniques détaillées, les mécanismes thalamiques et
leurs dysfonctionnements sont encore mal compris. Très schématiquement, ce
serait des aires du pulvinar (noyau situé dans la portion postérieure du
thalamus) qui auraient un rôle spécifiquement lié au langage. Ce rôle
consisterait en la sélection d'une fonction plutôt que d'une autre, selon les
besoins de communication de chaque moment. Par ailleurs, différents noyaux
thalamiques semblent essentiels pour permettre à d'autres structures
cérébrales, comme certaines aires des noyaux gris centraux et l'aire motrice
supplémentaire (BA 6), la production harmonieuse du discours. La recherche
dans ce domaine a abouti à la proposition de modèles qui postulent une boucle
impliquant des parties des noyaux gris centraux, du thalamus et des zones
antérieures et postérieures du langage. Le rôle des noyaux gris centraux
concernerait principalement la tête du noyau caudé et le pallidum dont la
fonction langagière serait associée au timing des programmes moteurs
internes (Crosson, 1992).

L'évaluation des aphasies corticales et sous-corticales a pour but de


qualifier le degré de difficulté de communication du patient, et d'obtenir des
données sur le type d'aphasie afin de se prononcer sur l'utilité d'un examen
complet du langage, au moyen des tests « traditionnels » tels que la batterie
Boston Diagnostic Aphasia Examination (BDAE) de Goodglass et Kaplan
(1972 ; version française, Mazaux et Orgogozo (1981), visant la rééducation
et donc conduite par un orthophoniste.
L'apport des modèles cognitifs à l'étude de l'anomie

Le manque du mot précis est l'un des symptômes les plus fréquemment
observés dans les troubles acquis du langage, comme le montrent les
descriptions des différents types d'aphasies (voir plus haut) ; le manque du
mot est donc indépendant de la dimension « fluence – non-fluence » du
langage parlé. Tester la dénomination du patient en début de séance facilite
l'organisation du reste de l'évaluation neuropsychologique du langage. La
première question à laquelle le clinicien répond, concerne la sélectivité du
déficit. S'il apparaît au sein d'un « syndrome », l'anomie est un trouble de
plus. S'il s'agit d'un symptôme relativement isolé, sa présence indique que le
traitement cognitif nécessaire à la sélection des mots cibles est altéré de
manière disproportionnée par rapport au reste des processus langagiers. Ce
sont ces derniers cas qui peuvent bénéficier de l'approche cognitive. En effet,
on remarque que la capacité de dénommer chez ces patients est parfois
influencée par deux facteurs :
- La catégorie à laquelle appartiennent les stimuli. Les déficits sélectifs
dans le traitement de certaines catégories de mots ont été rapportés à
plusieurs reprises. Ces études permettent de constater des dissociations,
dans le domaine sémantique, entre les catégories d'objets animés (ou
items vivants, comme les arbres, les fruits, les animaux, les fleurs, etc.)
et inanimés (les objets fabriqués) ; dans le domaine syntaxique, entre les
verbes, les mots grammaticaux et les substantifs.
- Le contexte dans lequel le stimulus est dénommé. Le mot sollicité peut
être placé au sein d'une phrase ou bien être émis isolément.

Compte tenu de ces préliminaires, l'analyse de l'anomie au sein de


l'approche cognitive se fonde sur les modèles de production du mot chez le
sujet intact. Sur la base de ces modèles, le neuropsychologue essaie
d'expliquer le dysfonctionnement des patients anomiques.
La figure 6montre les étapes du traitement visuel, puis lexical, à partir de
l'objet vu jusqu'à sa dénomination. La première partie, visuelle, est
développée dans le chapitre suivant ; nous allons résumer ici les niveaux
lexicaux de traitement.
Une fois que l'objet est reconnu comme étant familier, l'accès au système
sémantique non-verbal (ou aux réseaux non-verbaux au sein d'un unique
système sémantique), permettra de mettre à disposition du sujet les
connaissances des caractéristiques non perçues par l'apparence physique de
l'objet. Ainsi, un tigre (sa photo !) « active » les notions de dangerosité, de
force, de pays lointains, etc. et son nom. Les objets manufacturés ajoutent un
élément aux données sémantiques, leur fonction. La représentation d'un
clavier est totalement liée à la notion : « sert à écrire ». Lorsque la lésion
cérébrale détériore ces représentations, le patient perd la capacité de
comprendre le sens des objets. Si la lésion affecte partiellement l'intégrité de
ces représentations, le patient sera en mesure d'indiquer la catégorie
d'appartenance de l'objet (fleur,
Figure 6
. Modèle cognitif montrant les composantes et leurs relations lors de la
dénomination d'une image
animal, pour s'asseoir...), ou de dénommer certaines catégories mais pas
d'autres, par exemple le patient n'est plus en mesure de dénommer les items
vivants mais il dénomme les objets manufacturés. Ce cas de figure étant
relativement plus fréquent que son contraire dans la littérature des
dissociations catégorielles, il est possible que la préservation soit due à cet
aspect de fonction ajoutée, qui rend plus robustes certains liens avec le geste,
en plus de la vision (De Renzi et Lucchelli, 1994). Par ailleurs, Warrington et
McCarthy (1987) proposent 3 critères pour guider le diagnostic de
détérioration ou de trouble d'accès aux représentations sémantiques :
- l'intervalle temporel de présentation des images à dénommer. Si cette
variable a un effet sur l'efficacité, il indique un trouble d'accès ;
- la variabilité d'occurrence d'erreurs ;
- et le rappel de quelques aspects qui caractérisent l'objet, montreraient
aussi un trouble d'accès. Par contre, dans tous les cas, les effets de la
dégradation du système sont uniformes.
Dans les cas où l'information est traitée dans le système sémantique mais
est transmise de manière inefficace en raison de la localisation de la lésion
fonctionnelle entre le système sémantique et le lexique phonologique de
sortie, le patient aurait recours aux circonlocutions pour exprimer ce qu'il
comprend et ne peut dénommer. La lésion qui affecte le lexique lui-même se
traduit par des erreurs phonologiques. Finalement, si la représentation
phonologique est préservée et le buffer phonologique atteint, le patient aura
une production corrélée à la longueur du nom à prononcer, le buffer étant une
mémoire à court terme.

L'évaluation est réalisée à l'aide de tests de dénomination qui, idéalement,


tiennent compte de la fréquence, de l'âge d'apprentissage du mot, ainsi que des
deux grandes catégories, objets animés/inanimés. C'est le cas du test Déno
100 de Kremin (voir Kremin, 2002). Il est aussi nécessaire de demander au
patient de dénommer en présentation verbale (orale ou écrite ; par exemple «
Quel est le nom de la partie étroite d'une bouteille ou d'un vase ? »). Certains
patients peuvent avoir des difficultés de dénomination en présentation verbale,
dans une catégorie plus que dans une autre, il faut donc prévoir non pas
seulement des noms appartenant aux deux grandes catégories, mais aussi des
définitions formulées en accentuant les attributs visuels (« l'insecte de petite
taille, dont le corps est rayé, jaune et noir, et les ailes sont transparentes ») ou
les caractéristiques de la fonction (« l'insecte qui fait du miel » ; voir Manning
et Campbell, 1992 pour des exemples).

Les troubles du langage non aphasiques

La différence entre les aphasies d'une part, et la dysarthrie et l'apraxie du


langage d'autre part, réside dans le fait que les premières font partie d'un
ensemble de symptômes et ont comme trait définitoire, une altération de
plusieurs aspects de la communication. En revanche, les altérations non
aphasiques affectent une seule modalité, à savoir, le contrôle musculaire
phono-articulatoire ou la coordination de la production de la parole.

La dysarthrie

Il s'agit d'un déficit sensori-moteur qui affecte tous les sons du langage,
sans discrimination des caractéristiques propositionnelles. Le patient n'est plus
en mesure de contrôler le système musculaire phonatoire dont le
fonctionnement est ralenti, parétique, incoordonné et parfois, « parasité » par
des mouvements ajoutés. Cette altération est souvent le résultat de lésions
sous-corticales qui affectent les premier et deuxième motoneurones ou les
noyaux gris centraux. Ainsi, la dysarthrie peut n'être qu'un symptôme moteur
de plus dans une condition neurologique qui affecte le mouvement en général.
Dans ce cas de figure, les lésions qui sont à l'origine de la dysarthrie peuvent
aussi occasionner des troubles des mouvements fins comme l'écriture, ce qui
aggrave la condition du patient vis-à-vis de la communication, alors que les
représentation centrales du langage oral et écrit ne sont pas détériorées.
Cependant, tant la dysarthrie que l'apraxie verbale apparaissent dans la plupart
des cas associées à des aphasies non-fluentes et, notamment en phase aiguë.
Dans la dysarthrie, les systèmes phonatoire, articulatoire et respiratoire sont
compromis et le déficit est variable en terme d'intelligibilité du langage allant
d'une distorsion légère provoquée par une lésion circonscrite, jusqu'à
l'anarthrie, qui comporte une perte sévère du contrôle neuromusculaire.
L'évaluation est, naturellement, centrée sur la capacité de production des
mouvements langagiers, afin de déterminer l'intelligibilité du mot, de la
phrase et du discours spontané, mais on interroge également, la capacité
d'effectuer des mouvements non langagiers, comme par exemple, souffler une
bougie ou bouger la langue d'un côté à l'autre, pour le diagnostic différentiel.
Le pronostic, variable, dépend de l'étiologie du trouble : s'il est secondaire à
un AVC, il est meilleur que s'il s'agit d'un tableau de détérioration progressive.
Les effets de la dysarthrie dans la vie quotidienne du patient, peuvent être
invalidants, rendant la prise en charge rééducative, indispensable. Celle-ci
comprend la sphère psychologique (aider le patient à gérer les conséquences
présentes et le préparer, le cas échéant, à la détérioration progressive), et le
traitement proprement musculaire qui est modulé en fonction de l'étiologie.
Ainsi, s'il s'agit d'une conséquence d'AVC, par exemple, le patient suit des
programmes d'amélioration de certaines fonctions musculaires ; en revanche,
pour les patients souffrant de maladies progressives, maintenir la fonction (si
possible) ou bien la compenser, est au premier plan du programme de
rééducation.

L'apraxie du langage (speech apraxia)

Appelée aussi anarthrie pure ou aphémie, l'apraxie du langage est un déficit


d'articulation du langage secondaire à des lésions cérébrales qui affectent : a)
la capacité de programmation de positionnement des muscles bucco-
phonatoires et b) les séquences de mouvements que ces muscles doivent
assurer pour la mise en place des mouvements articulatoires volontaires,
nécessaires à la production des phonèmes. La représentation des sons du
langage chez ces patients est préservée comme le prouve leur capacité à
réaliser des tâches de décision lexicale.
Le patient présente un langage constellé de substitutions (e.g. papier →
capier) et de distorsions phonémiques (président → poroudent) et une
dysprosodie. Concernant cette dernière, il s'agit du traitement de la prosodie
linguistique altérée par des lésions affectant l'hémisphère gauche et non pas de
la prosodie émotionnelle, prioritairement affectée par des lésions droites.
L'apraxie verbale est différente de la dysarthrie parce qu'elle ne comporte
pas une perte de force musculaire ; c'est uniquement la programmation des
séquences de mouvements liées à la production de la parole qui est atteinte.
Les erreurs phonémiques sont observées, particulièrement, en début du mot,
en raison de la plus grande sélection de phonèmes entre deux mots qu'à
l'intérieur d'un mot ; on observe, également, que le patient a plus de difficultés
avec les consonnes qu'avec les voyelles et avec des mots inconnus. Les
séquences des phonèmes ne sont plus respectées et, comme nous l'avons
mentionné dans la définition, les distorsions, omissions et additions, sont
courantes. Bien que l'occurrence de toutes ces erreurs soit aléatoire (un même
phonème peut être tantôt bien tantôt mal produit à un intervalle relativement
court), deux facteurs influencent leur occurrence, la complexité articulatoire
du mot et la construction grammaticale de la phrase. En effet, le langage
propositionnel entraîne beaucoup plus d'erreurs que les expressions toutes
faites et les interjections.
Lecours et Lhermitte (1979) rapportent le cas d'un patient français bilingue
dont le langage oral apraxique était laborieux, ralenti avec une production
dysprosodique plus marquée en français qu'en anglais. Cette observation
laisse supposer un dysfonctionnement phonémique plus ou moins altéré en
fonction de facteurs plus culturels et/ou individuels. Plus récemment, on a
rapporté le « syndrome de l'accent étranger » qui est considéré comme un
résultat de l'apraxie du langage. L'anomalie consiste, comme son nom
l'indique, en la production de la langue maternelle avec les caractéristiques de
prononciation et la prosodie d'une langue étrangère en raison d'éléments
apraxiques introduits dans le discours. (Par exemple, un patient anglais parlait
sa langue avec un accent du Français méridional ; Kartsounis et McCarthy,
2000).

L'évaluation de l'apraxie du langage, en consultation neuropsychologique,


est en général difficile. Les éléments signalés dans ce paragraphe, ont pour but
d'alerter le clinicien sur la probabilité d'une apraxie du langage plutôt que de
le guider dans le diagnostic : le cas échéant, le neuropsychologue doit
suggérer un examen d'orthophonie en vue d'une réhabilitation. Il est
néanmoins utile de tester en neuropsychologie les déficits de production dans
4 situations : au cours de la conversation, de la dénomination, de la répétition
et de la lecture à haute voix.
Troubles du langage écrit. Introduction à l'approche cognitive

La compréhension des troubles acquis de la lecture chez l'adulte, a


bénéficié des modèles de l'organisation cognitive de la lecture chez le sujet
sain. La publication de Patterns of paralexia : A psycholinguistic approach de
Marshall et Newcombe (1973) constitue le premier article où l'interprétation
clinique des déficits de lecture provoqués par des lésions cérébrales utilise des
modèles de lecture normale. Depuis, les neuropsychologues ont développé des
modèles théoriques pour l'analyse des résultats de la lecture chez le patient
neurologique, analyse leur permettant la détection des composantes atteintes
et épargnées. Récemment, les modèles utilisés en neuropsychologie, ont fait
l'objet de recherches menées en neuroimagerie fonctionnelle. Les résultats
confirment le bien-fondé des principes généraux de « l'architecture
fonctionnelle » dans le traitement du mot écrit.
Les modèles de lecture diffèrent par le nombre de voies postulées pour le
traitement des mots écrits qui appartiennent à des catégories diverses ; le
débat sur l'adéquation de l'un ou l'autre modèle, est, depuis les années 1980,
encore présent (voir plus bas, la conclusion). Nous allons développer quelques
aspects hypothétiques des modèles, de manière succincte mais, nous
l'espérons, suffisante. En effet, l'approche théorique, au sein de laquelle le
neuropsychologue clinicien réalise sa pratique, détermine l'orientation de
l'évaluation des patients, d'où l'importance des modèles.
Max Coltheart (1985), représente le courant de neuropsychologues qui
travaillent sur la base théorique d'un modèle à trois voies (proposé pour la
première fois par Morton et Patterson, 1980). Les fonctions et les
caractéristiques essentielles des niveaux de traitement de l'information et des
voies, sont les suivantes :
Niveaux de traitement (voir la figure 7)
a) L'analyse visuelle est un système pré-lexical dont la fonction est de
traiter les caractéristiques physiques des lettres présentées visuellement,
d'élaborer un niveau d'abstraction et d'obtenir une représentation
graphémique.
b) Le lexique orthographique d'entrée. Ce dictionnaire de combinaisons de
graphèmes, a une fonction de reconnaissance des mots appris auparavant et
stockés. Le système des formes visuelles des mots, exclusif du modèle à 3
voies, a la même fonction de reconnaissance des mots. Le lexique
orthographique contient des informations relatives à la structure des mots, en
terme de caractéristiques des syllabes qui les composent.
c) Le système sémantique ou mémoire sémantique à long terme, qui
contient les connaissances stockées tout au long de la vie, concernant la
signification des mots.
d) Le lexique phonologique de sortie. Dans ce dictionnaire des sons du
langage, sont stockées les formes sonores des mots contenant des
informations sur la nature des phonèmes, la durée phonologique du mot et le
nombre de syllabes qui le composent.
e) Le système de conversion graphème-phonème permet de transcoder le
stimulus écrit en son équivalent sonore, une fois activé par le système
d'analyse visuelle et après l'application des sous-étapes de transcodage.
f) Buffer phonologique. Cette mémoire de travail maintient temporairement
l'information phonologique, ce qui permet la préparation finale de la
production.
Voies de lecture
A : La voie de lecture lexico-sémantique permet l'accès au sens du mot.
B : La voie non-lexicale, permet de lire les non-mots et les mots inconnus
en réalisant des associations lettres-sons.
C : La voie lexicale-directe rend possible la lecture des mots en s'appuyant
sur leur forme. Cette voie contourne le système sémantique.
Figure 7
. Modèle de lecture à 3 voies proposé par Morton et Patterson (1980).
A : voie lexico-sémantique ; B : voie non-lexicale ; C : voie lexicale
directe
Les deux routes lexicales (A et C) ont en commun la fonction d'identifier
les mots familiers, de traiter tant les mots réguliers qu'irréguliers, à la seule
condition qu'ils soient connus. Nous allons brièvement rappeler la dimension
« régularité – irrégularité ».
Les mots réguliers sont lus selon les règles de prononciation les plus
fréquentes. Les mots irréguliers sont prononcés d'une manière qui est propre
au mot en question et, s'il est lu sans tenir compte de son irrégularité, le mot
devient, soit un autre mot, soit un non-mot. (Exemples des mots irréguliers :
estomac, fusil, baptême ; comparer avec échec, profil, abrupte). Il n'est pas
aisé de classer les mots français comme appartenant à l'une ou l'autre
catégorie, leur dimension d'irrégularité pouvant être modulée, entre autres, par
la position du graphème à l'intérieur du mot. Un même graphème, lu de la
même manière, rendra un mot irrégulier ou non, selon sa position.
Indépendamment de la régularité – irrégularité, c'est donc la familiarité du
mot qui est essentielle pour activer les deux voies lexicales du modèle de
Coltheart. Leur différence, énoncée déjà dans leur nom, est l'accès ou non à la
signification du mot. Logiquement, ces deux routes sont muettes pour la
lecture des mots inconnus, comme (probablement pour la plupart des
personnes), « géaster » ou « nomophylaque » et des non-mots (des suites de
lettres qui, respectant les règles de prononciation de la langue, forment un
item qui n'existe pas), comme « lecture » ou « jamilier ». La voie non-lexicale
comporte une procédure de transcodage selon les trois sous-étapes suivantes :
- Segmentation des lettres en unités phonémiques
- Transcodage de chaque segment graphémique dans son équivalent
phonémique
- Assemblage des unités phonémiques, articulation et prononciation.

Nous rappelons à présent, quelques considérations théoriques des modèles,


en tant qu'outils qui permettent de mieux comprendre les déficits de lecture.
Concernant le modèle de Coltheart, il a été suggéré que sa troisième voie, la
voie lexicale-directe est redondante. Les auteurs qui ont formulé cette critique,
suggèrent que les fonctions qui lui sont attribuées peuvent être réalisées par
les deux autres voies. Cette position théorique est celle des
neuropsychologues qui travaillent dans le contexte d'un modèle à deux voies
(la voie sémantique ou directe et la voie phonologique de transcodage
graphème-phonème ou indirecte).
La conception générale des modèles à plus d'une voie a été mise en
question par les travaux d'orientation connexionniste de Plaut et al. (1996) qui
proposent le modèle dit triangulaire, qui écarte la voie non lexicale de
transcodage graphème-phonème. Ce modèle connexionniste postule trois
systèmes : orthographique, phonologique et sémantique et une voie les reliant.
La lecture à haute voix des non-mots et des mots réguliers serait réalisée au
moyen du transfert direct de l'information du dictionnaire orthographique au
phonologique. Les mots irréguliers, quant à eux, seraient lus par la
transmission de l'information orthographique au système sémantique et de ce
système au traitement phonologique (cf. la figure 8).
La conception de trois routes de lecture n'est certes pas parcimonieuse mais
le modèle qui l'intègre répond directement à la question récurrente de savoir
comment expliquer l'observation suivante : certains patients sont capables de
lire des mots irréguliers pour lesquels ils n'ont plus de représentations
sémantiques. Rappelons les éléments à l'origine de cette question :
- Si l'on demande à un patient qui a perdu la capacité de comprendre le sens
des mots, de lire le mot irrégulier « gars », il le lira, très probablement, en
appliquant le transcodage graphème-phonème, le système et/ou la voie
sémantique étant vraisemblablement atteint. L'utilisation de la voie
phonologique de lecture produit, généralement, une régularisation du vocable,
ce qui se traduit par « gare », dans notre exemple, gare étant, premièrement,
régulier, mais aussi plus familier et plus fréquent. Si on demande au patient de
définir le mot et qu'il soit encore capable de comprendre des mots réguliers
qui sont familiers et fréquents, il définira le mot écrit gars comme « pour le
Figure 8
. Modèle dit « triangulaire » de lecture, proposé par Plaut et al. (1996)
train ». Cette simple observation clinique, autorise à suggérer une relation
entre la détérioration de la mémoire sémantique et l'incapacité de lire des mots
irréguliers. Une approche plus élaborée, consiste à fournir au patient des mots
irréguliers écrits avec leur image correspondante. Les résultats montrent
souvent que seuls les mots correctement associés à leur image sont lus, ceux
dont la représentation sémantique est trop altérée pour permettre l'appariement
mot-image, ne le sont plus (voir Graham et al., 1994). Ainsi on pourrait
conclure que les patients qui ont perdu la capacité de comprendre le sens des
mots ont de fortes difficultés à lire des mots irréguliers.
- Cependant, cette relation entre la mémoire sémantique et la lecture des
mots irréguliers, n'est pas toujours vérifiée. Lambon Ralph et al. (1995), entre
autres, rapportent le cas d'un patient dont la lecture des mots irréguliers est
correcte à plus de 90 % alors que la compréhension est normale seulement
pour 57 % de ces mots. Ce patient, et quelques autres cas similaires de la
littérature (publiés depuis 1980), ainsi que des considérations théoriques chez
le sujet sain, sont à l'origine des réflexions qui ont abouti, parmi bien d'autres
points, à l'introduction de la troisième voie lexicale-directe. Cependant, les
défenseurs du modèle à deux voies, considèrent que la lecture d'un mot
irrégulier taxe moins le système sémantique que ne le fait la demande d'une
définition du mot. La lecture des mots irréguliers serait impossible à des
stades avancés de la détérioration sémantique, alors que les définitions
seraient mises en échec plus précocement. L'expérience clinique de l'auteur
s'accorde mieux avec cette explication.

Les dyslexies

Deux grands groupes de dyslexies ont été proposés : les dyslexies


périphériques, ainsi appelées parce que la lésion fonctionnelle se situe à un
niveau précoce – avant la reconnaissance du mot comme étant familier – dans
les modèles théoriques de la lecture. Le deuxième groupe correspond aux
dyslexies centrales dont la lésion est plus tardive : accès au sens et/ou
prononciation du mot. Nous allons décrire les types de dyslexies qui ont été
rapportés de nombreuses fois dans la littérature et ont donc un plus grand
intérêt pour le clinicien que les cas très rares.

Dyslexies périphériques

Alexie pure ou alexie sans agraphie (Déjerine, 1892)


Provoquée dans la plupart des cas par des AVC de l'artère cérébrale
postérieure, ce trouble de la lecture doit son nom à l'étonnant contraste que
l'on observe entre l'incapacité totale de lire et la capacité intacte d'écrire. Le
patient qui vient d'écrire sans aucune difficulté « la maison est belle » regarde
la page, ne pouvant lire un seul mot, il nettoie ses lunettes, passe la main
devant les yeux et parfois finit par dire son nom comme s'il le lisait. Le déficit
est isolé puisque les capacités intellectuelles et mnésiques sont préservées, le
langage oral est intact ainsi que la reconnaissance visuelle d'objets et même la
copie de lettres, qu'il est incapable de nommer, peut être correcte. Cependant,
le déficit n'atteint pas la représentation des lettres, le patient récite l'alphabet
sans erreurs et arrive à épeler un mot sans trop de difficulté.
L'explication classique de ce trouble, telle que postulée par Déjerine, est
qu'il consisterait en une lésion de l'hémisphère gauche, affectant
particulièrement le gyrus angulaire, où il situait les représentations des lettres
et des mots écrits. L'information du lobe occipital droit n'atteint pas la zone «
du langage écrit ». L'explication de Geschwind (1965) est également formulée
en terme de déconnexion des zones cruciales dans le traitement de
l'information écrite. Geschwind postule une lésion au niveau du splenium
(partie postérieure de la commissure calleuse) qui empêche le transfert
d'information inter-hémisphérique à ce niveau très postérieur. La
reconnaissance des objets ne poserait pas de problème, l'information étant
traitée dans des zones plus antérieures du lobe temporal de l'hémisphère droit
et la transmission au « centre du langage » s'effectuerait, également, en
empruntant des fibres calleuses plus antérieures et épargnées par la lésion.
L'apport de la neuroimagerie fonctionnelle, chez le sujet intact, nuance, tout
au moins, ces explications. Le stockage de représentations des mots écrits
semble se situer dans la jonction temporo-occipitale, région qui s'active
également lors du traitement visuel des objets (voir chapitre 10 pour une étude
d'alexie pure en neuroimagerie fonctionnelle).
Une dernière observation concerne le déficit de la dénomination des lettres
et des objets qui est observé dans tous les cas d'aphasie optique (voir chapitre
5). Le trouble de la lecture des lettres, dans l'alexie pure, serait-il
qualitativement le même que celui observé dans l'aphasie optique à un degré
de sévérité différent ?

L'évaluation de l'alexie pure se réalise d'emblée, en ce qui concerne


l'incapacité de lecture. En revanche, il est plus délicat d'évaluer les capacités
préservées en relation avec les mots non lus. Ainsi, Coslett et Saffran (1989)
ont démontré qu'il existe, chez quelques patients alexiques purs, une capacité
relative de traitement sémantique, comme en témoignaient leurs scores aux
tâches de décision lexicale.

Dyslexie de lecture lettre à lettre


Le patient est, dans cette dyslexie, capable de lire des mots mais avec un
allongement anormal du temps en fonction de la longueur du mot :
l'observation de cette relation a une valeur diagnostique. Un nombre important
de travaux rapportent des données dans ce sens : un patient lit des mots de 3
ou 4 lettres en 10 secondes en moyenne et a besoin d'une trentaine de
secondes pour lire des mots de 10 lettres. Les recherches réalisées par
Marlene Behrmann et ses collaborateurs (1998) permettent à présent de savoir
que la lenteur est occasionnée par un déficit lié au traitement défectueux des
lettres. La question concernant l'exclusivité verbale du déficit ou la présence
des troubles subtils du traitement visuel des objets en général, n'a pas encore
de réponse, à notre connaissance.
Les lésions affectent la jonction temporo-occipitale gauche et le splenium
du corps calleux (comme dans la plupart des dyslexies périphériques). Des
lésions plus étendues des portions postérieures de l'hémisphère gauche
provoquent, le plus souvent, une hémianopsie latérale homonyme droite. Dans
ces cas-là, il est important de détecter l'hémianopsie et d'en tenir compte pour
adapter l'évaluation, et éventuellement, diagnostiquer une dyslexie
périphérique.
L'alexie pure et la dyslexie lettre à lettre ont été longtemps considérées
comme deux manifestations du même déficit. Cependant, les données de
travaux récents suggèrent une différence qualitative : l'alexie pure refléterait
l'incapacité à dénommer les lettres en présentation visuelle tandis que la
dyslexie lettre à lettre serait le résultat de troubles de la reconnaissance de
l'identité abstraite des lettres. Ce trouble a été mis en évidence par des tâches
d'appariement des lettres écrites en typographie différente (G = c ou g ?).
Warrington et Shallice (1980) avaient avancé une explication de la dyslexie
lettre à lettre en terme de dysfonctionnement du système de la forme des mots.
Cette explication a été critiquée en raison de la non prise en compte du niveau
de traitement déficitaire des lettres. À présent, on pense que tous les
dyslexiques lettre à lettre présentent une altération des représentations
abstraites des lettres mais qu'il existe des patients qui présentent, en plus, un
déficit dans le traitement de la forme du mot. Ces patients lisent les lettres,
comme l'autre groupe, très lentement mais correctement ; cependant, à la
différence des autres patients, ils font des erreurs en lisant les mots.
L'évaluation de la dyslexie lettre à lettre est basée sur la mesure du temps
nécessaire à la lecture des mots. Les stimuli sont présentés en ordre progressif
du nombre de syllabes. Le traitement des lettres est testé au moyen
d'appariements de la casse majuscules – minuscules.

La dyslexie de négligence
« La jeune fille ouvre son parapluie dès que les premières gouttes de pluie
tombent sur sa belle robe ». Si on demande aux patients dyslexiques de
négligence de lire des phrases similaires (écrites en grands caractères et
occupant toute la largeur de la page, en position horizontale), on observe qu'ils
omettent souvent, la partie gauche du texte (en italiques), à plusieurs reprises
et sans que l'absence de sens de la phrase ainsi coupée, les gêne. Si on leur
demande ensuite de lire « La jeune fille » ils pourraient lire « fille » et si c'est
« parapluie » que le clinicien leur présente, c'est le mot « pluie » qui sera
probablement lu.
En plus de ces omissions de mots, on observe des erreurs à l'intérieur des
mots : des omissions de lettres (livre → « ivre ») des ajouts (bout → « debout
») et des substitutions (maçon → « façon »), avec souvent, des définitions
correspondant aux erreurs.
À propos de la dyslexie de négligence, de même qu'au sujet des deux autres
troubles commentés plus haut, on pose la question de l'origine du déficit :
s'agit-il d'une manifestation de plus dans un tableau d'héminégligence visuo-
spatiale ou d'un trouble spécifique du langage écrit ? Les observations
cliniques et les suivis des études des cas fournissent des résultats qui abondent
dans les deux sens. Ainsi, l'interprétation en termes de déficit plus large serait
confirmée par les patients qui présentent des troubles dyslexiques
conjointement à une héminégligence pour d'autres stimuli (images, lignes,
etc.) et par des patients dont les déficits de lecture sont présents pour les mots
et les non-mots. D'autres données montrent, au contraire, un patron d'erreurs
de lecture qui indique un déficit spécifique du langage. Ainsi, les patients font
significativement plus d'erreurs pour les non-mots que pour les mots, leurs
erreurs d'omission ou de substitution en début de mot, étant présentes
indépendamment de la position du mot, horizontale, verticale ou encore
présentation en miroir. Rappelant le site fonctionnel précoce qui est lésé
(système d'analyse visuelle) et son effet principal (trouble de l'identification
abstraite des lettres), nous allons suivre l'étude de Caramazza et Hillis (1990)
pour éclaircir des données, en apparence, contradictoires. Ces auteurs
postulent trois étapes différemment affectées par la lésion cérébrale et pouvant
provoquer une diversité des troubles, tels qu'ils sont observés chez ces
patients. Les trois niveaux décrits sont les suivants :
- Représentation rétino-centrée. Cette première étape de traitement de
l'information visuelle garantit le codage de la forme et de la localisation des
stimuli. Les patients qui présentent un syndrome de négligence visuo-spatiale
et/ou une dyslexie de négligence gauche, ont des lésions occipito-pariétales
droites. Compte tenu du fait que l'organisation est rétino-topique, si c'est le
traitement de l'information rétino-centrée qui est lésé, et que le test de lecture
se réalise en s'assurant que le patient fixe le centre de son champ visuel, le
déficit de lecture ne sera observé que lorsque les mots sont présentés dans
l'hémi-champ visuel gauche.
- Représentation des lettres. Elle est obtenue par le codage de la position de
chaque lettre par rapport aux autres lettres qui composent le mot. Ce n'est plus
la localisation spatiale absolue qui compte à ce niveau de traitement, mais la
localisation des stimuli à l'intérieur du mot. Le patient dont ce niveau de
représentation est atteint, commettra des erreurs en début du mot
indépendamment du fait que le mot lui soit présenté dans les champs visuels
gauche ou droit, mais sa lecture sera normale en présentation verticale.
- Représentation du mot. Ce dernier niveau est basé sur l'identité abstraite
des lettres, il est donc indépendant des caractéristiques physiques liées aux
lettres qui ont été traitées dans les niveaux précédents. Les patients dont la
représentation du mot est atteinte, commettent des erreurs au début du mot,
indépendamment du fait que le mot soit présenté à droite, à gauche ou en
position verticale.

Dyslexies centrales

Les types de dyslexies décrites dans cet alinéa sont le résultat de lésions qui
affectent le niveau proprement lexical.
- Dyslexie profonde
Depuis la publication du travail de Marshall et Newcombe en 1973, les
descriptions des caractéristiques de la lecture chez ce type de patients,
descriptions publiées par de nombreux auteurs, sont très similaires. Nous
allons énumérer et commenter les erreurs caractéristiques, en guise de
définition de la dyslexie profonde, et nous verrons quels sont les stimuli dont
la lecture est particulièrement difficile pour ces patients.
– Types d'erreurs
- Erreurs sémantiques dans la lecture des substantifs (bateau → « mer » ;
joie → « rire » ; tigre → « lion »). Les erreurs sémantiques ont une valeur
diagnostique.
- Erreurs visuelles (sain → « pain » ; maquette → « mallette ») dans
lesquelles le mot produit par le patient a une fréquence d'apparition dans la
langue plus élevée que le mot présenté.
- Erreurs sémantiques et visuelles (sympathie → « orchestre », rapportée
par Marshall et Newcombe, cette erreur est devenue célèbre. Le patient
introduit d'abord une erreur visuelle en lisant « symphonie » et l'erreur
sémantique s'ensuit).
- Difficulté selon la catégorie. Une plus grande difficulté est observée, de
manière constante, pour la lecture de certains items :
- Mots abstraits relativement aux mots concrets.
- Verbes par rapport aux adjectifs et de ceux-ci par rapport aux substantifs.
- Mots grammaticaux en comparaison avec toute autre catégorie de mots.
Ces difficultés sont probablement dues, au moins en partie, à l'impossibilité
d'évoquer l'image mentale basée sur l'expérience sensorielle (forme, couleur,
texture, etc.) des items abstraits (« confiance »), des verbes (« vivre ») et des
mots grammaticaux (« avec », « le », « alors »).
La cause la plus fréquente est l'AVC qui lèse une partie considérable de
l'hémisphère gauche s'étendant aux lobes frontal, pariétal et temporal. Face à
une pathologie gauche si importante et aux résultats de la neuroimagerie
fonctionnelle, qui indiquent un traitement orthographique et sémantique dans
l'hémisphère droit, il a été suggéré que la production résiduelle des patients
dyslexiques profonds est sous-tendue par l'hémisphère droit.
Du point de vue des modèles à deux voies, les patients ne seraient plus
capables d'utiliser la voie phonologique, c'est-à-dire, la conversion graphème-
phonème (voir plus haut), ce qui empêche la lecture des non-mots et des mots
inconnus (exemples d'erreurs : banula → « balustrade » ; troctel → « T. R., je
ne sais pas »). Par ailleurs, plusieurs auteurs, notamment Plaut et Shallice
(1993) ont suggéré que la voie sémantique est aussi inopérante à cause de la
détérioration des représentations dans la mémoire sémantique. Cependant,
cette explication n'est pas consensuelle au vu de l'absence de preuves directes
de déficit sémantique (le diagnostic de dyslexie profonde étant une preuve
indirecte de la détérioration sémantique). Une deuxième interprétation est que
les erreurs sémantiques sont la conséquence d'un déficit d'accès à la forme
lexicale du mot, à partir de sa signification, plutôt qu'un déficit du système
sémantique (Newton et Barry, 1997).
L'évaluation consiste en la présentation de listes de mots par catégories :
substantifs, adjectifs, verbes, mots grammaticaux et non-mots. La liste des
substantifs comprend deux ou trois sous-listes selon le degré d'imageabilité
des mots. La fréquence et la longueur des mots doivent être contrôlées pour
pouvoir comparer les différents types de vocables.

Dyslexie phonologique
La cause la plus fréquente est l'AVC, qui affecte, dans la plupart des cas,
soit la partie postérieure du gyrus frontal inférieur gauche, soit la jonction
temporo-fontale gauche.
Décrite pour la première fois par Beauvois et Dérouesné (1979), ce type de
dyslexie consiste en la lecture déficiente des non-mots et des mots inconnus
par une lésion fonctionnelle de la voie phonologique. La voie sémantique est
préservée et de ce fait, le déficit pourrait passer inaperçu chez certains
patients. Une analyse plus fine des difficultés des patients met en évidence des
troubles dans le traitement du nombre de phonèmes, une incapacité à donner
le phonème correspondant à un graphème et des troubles dans l'assemblage de
phonèmes. Au vu des déficits qui la caractérisent, la dyslexie phonologique
pose le problème de son appartenance clinique : s'agit-il des troubles qui
affectent le dictionnaire orthographique, ou bien la lecture déficitaire est-elle
un symptôme de plus d'une incapacité phonologique ? (Voir plus bas, la
présentation du deuxième cas).

La dyslexie de surface
Ce déficit est présent dans certaines maladies neurodégénératives (démence
sémantique, maladie d'Alzheimer) et chez des patients ayant subi un
traumatisme crânien ou des AVC. Dans ces derniers cas, les lésions affectent
les régions temporo-frontales de l'hémisphère gauche.
Décrite par Marshall et Newcombe (1973), le trait définitoire de cette
dyslexie est la difficulté de lecture des mots irréguliers. Le patient lit
correctement significativement plus de mots réguliers que de mots irréguliers.
Les erreurs du patient, en lecture des mots irréguliers, sont des régularisations.
Le déficit montre une altération fonctionnelle au niveau de la voie
sémantique, au moins pour la plupart des patients qui lisent en activant la voie
phonologique. Pour le patient dyslexique de surface, la langue est devenue, en
partie, transparente (prononciation de tous les graphèmes, comme en espagnol
ou en italien). Beaucoup de patients sont capables de lire un petit nombre de
mots irréguliers, ceux qui ont une fréquence plus élevée.
L'évaluation de la dyslexie de surface se réalise autour des mots irréguliers.
Il existe au moins deux ensembles de tests des mots réguliers et irréguliers en
français, proposés par Jean-Luc Nespoulous et Helgard Kremin, tests très
appréciés des cliniciens, qui sont ainsi en mesure d'affiner l'évaluation des
voies de lectures en consultation de routine (Centre du langage et de
neuropsychologie de la Salpêtrière).

Les agraphies

Le terme d'agraphie (ou de dysgraphie), se réfère aux déficits de l'écriture.


L'analyse des processus orthographiques et de leurs déficits, secondaires aux
lésions cérébrales, a bénéficié de l'apport de la psychologie cognitive, de
manière similaire aux dyslexies.
La communication écrite est, dans la majorité des cas, réalisée avec
l'objectif de transmettre une information conceptuelle. Pour cela, des pensées
sont formulées en phrases et les phrases sont segmentées et transcodées en
graphèmes. Par ailleurs, l'écriture est utilisée en copie et en dictée. L'acte de
communiquer par écrit et l'acte d'écrire, tout court, peuvent ainsi être altérés
par le dysfonctionnement du traitement du langage ou par des troubles
sensorimoteurs. En conséquence, les agraphies, comme les dyslexies, sont
étudiées selon le niveau de lésion fonctionnelle, compte tenu de la variété des
systèmes qui y intervient. Les troubles primaires de l'écriture affectent la
formation des lettres, et les troubles centraux altèrent les processus
proprement dit d'écriture comme la sélection des lettres et la sélection de leur
séquence.

Les modèles théoriques sont plus compréhensibles si l'on fait référence à


l'écriture sous dictée. Ils comportent le système sémantique qui permet l'accès
aux mots qu'ils soient parlés ou écrits. Les autres systèmes sont :
- Le système d'analyse auditive, qui traite les caractéristiques physiques
des sons, aboutissant à des représentations phonémiques.
- Le lexique phonologique d'entrée dont la fonction est de reconnaître les
mots parlés.
- Le lexique orthographique de sortie, stockage des éléments
graphémiques qui permettent d'épeler les mots.
- Le système de transcodage qui va, dans le cas présent, du phonème au
graphème.
- Le buffer graphémique, ou mémoire de travail, qui maintient les unités
graphémiques durant la préparation finale jusqu'à la production écrite.
Il existe, en plus, des systèmes qui sont postulés en relation avec les
processus périphériques impliqués uniquement dans l'écriture :
- Transcodage allographique. Ce module intervient dans le processus de
conversion des représentations orthographiques abstraites, en traits
physiques qui forment des lettres.
- Programmation motrice des graphèmes. Ce système contient
l'information des mouvements relatifs aux séquences, position, direction
et taille des traits composant les lettres.
- Système neuromusculaire de l'écriture. L'initiation de mouvements des
muscles spécifiquement impliqués dans l'écriture.

Trouves primaires de l'écriture

Effets des troubles de la mémoire à court terme sur l'écriture


Les lésions cérébrales affectent soit le lobe pariétal, soit le lobe frontal dans
l'hémisphère gauche et la lésion fonctionnelle se situe au niveau de la
mémoire tampon ou buffer orthographique. Le patient présente un maintien
anormalement réduit des représentations orthographiques pendant la
préparation ultérieure à l'écriture, provocant la dégradation des informations
concernant l'ordre sériel des graphèmes et leur identité.

Déficit du transcodage allographique


La lésion anatomique est localisée dans l'hémisphère gauche, au niveau de
la jonction pariéto-occipitale. On suggère que le transcodage allographique est
déficitaire dans les cas où le patient n'est plus capable d'activer, ni de
sélectionner les formes des lettres. L'information contenant des
représentations abstraites de mots est transmise par le buffer graphémique.
Ainsi, l'échec de transformation de cette information en traits physiques des
lettres peut provoquer des erreurs sélectives de lettres majuscules ou
minuscules, parfois une production mixte et/ou des erreurs de substitution,
influencées par la ressemblance de la forme (C pour G, M pour N).

Agraphie apraxique
Les lésions affectent le sillon intra-pariétal, l'AMS et le cortex frontal
dorsolatéral de l'hémisphère controlatéral à la dominance manuelle.
Le diagnostic de l'agraphie apraxique implique l'absence des troubles
moteurs (ataxie, rigidité, tremblement, etc.). Le symptôme central est une
grande difficulté ou incapacité à tracer la forme des lettres. Les tentatives
montrent une profusion d'erreurs d'omissions, d'ajouts et des distorsions
spatiales, qui rendent l'écriture illisible. L'épellation orale est intacte dans
beaucoup de cas.

Effets des déficits neuromusculaires sur l'écriture


Les lésions impliquent une, deux ou plusieurs régions cérébrales critiques
pour le contrôle graphomoteur : l'aire motrice supplémentaire, le cortex
frontal dorsolatéral, les noyaux gris centraux et le cervelet, d'où le déficit
important dans la sélection et l'ajustement des mouvements de l'écriture. La
production écrite des patients hémiplégiques illustre les effets des lésions. Un
déficit différent dans cette même catégorie est celui de certains patients
parkinsoniens : chez eux, la réduction de la force du mouvement et la
présence d'une bradykinésie se traduisent en une micrographie.

L'évaluation dans ces trois derniers cas d'agraphie périphérique, doit


commencer avec la dictée de lettres ; les mots, toujours de fréquence élevée et
mono ou bisyllabiques, seront présentés uniquement si les lettres sont
relativement bien formées. Il est nécessaire de tester l'épellation orale qui est
souvent préservée et si c'est le cas, elle peut s'avérer utile pour la rééducation
en orthophonie. Tester toujours la dactylographie, qui peut être bien
préservée.
L'évaluation de l'agraphie par dysfonction du buffer graphémique se sert
des tâches d'évaluation de la MCT (voir chapitre 3) adaptées à l'épellation et à
l'écriture.

Agraphies centrales
L'agraphie phonologique
L'agraphie phonologique est considérée comme l'extrême « léger ou
modéré » d'un continuum qui va vers l'agraphie « profonde » où le déficit de
communication peut être très sévère. Les lésions qui provoquent ces troubles
sont situées dans les régions sylviennes de l'hémisphère gauche. Ces troubles
sont attribués à une lésion fonctionnelle au niveau de la voie phonologique
(non-lexicale). Dans tous les cas, la difficulté majeure est l'épellation des non-
mots. La différence entre les niveaux de sévérité est la production encore
possible des mots réguliers dans la forme modérée, phonologique, alors que le
déficit de l'agraphie appelée profonde (Beeson et Rapcsak, 2003), suggère que
la voie sémantique est, elle aussi, altérée.
Les mêmes variables, qui déterminent les difficultés rencontrées par les
patients dyslexiques, agissent dans les déficits de l'épellation et l'écriture
(mots abstraits, mots grammaticaux et mots de basse fréquence).

Agraphie de surface
Cette agraphie accompagne souvent les symptômes de la maladie
d'Alzheimer et de la démence sémantique. La lésion anatomique est
postérieure à la scissure de Sylvius, dans la jonction temporo-pariétale
gauche. La lésion fonctionnelle est située dans la voie sémantique et les
déficits du patient se traduisent par une détérioration de la connaissance
d'épellation d'un mot donné. Il est donc obligé, pour épeler et/ou écrire le mot
d'utiliser le transcodage phonème-graphème. Cela consiste en une épellation
servile du son (par exemple, le mot entendu choléra sera épelé ou écrit «
coléra » ; monsieur → « mesieur »). En conséquence, les mots réguliers et les
non-mots seront mieux écrits que les mots irréguliers.

L'évaluation des agraphies centrales. Dans une première évaluation, on


utilise les mêmes tâches que pour l'évaluation des dyslexies, en sollicitant
l'écriture, et pour les patients souffrants de déficits moteurs, les troubles
propres à l'agraphie centrale sont testés en épellation orale.

Troubles du calcul. Généralités

Les troubles observés dans la réalisation des opérations arithmétiques, suite


à une lésion cérébrale, sont dénommés acalculie ou dyscalculie. Pendant très
longtemps, ces déficits ont été considérés comme faisant partie des troubles
plus généraux du langage ou du traitement de l'espace (acalculie secondaire).
A présent, les données des recherches, initiées il y a près d'un demi-siècle
(Hécaen et al., 1961), permettent de distinguer une classe d'acalculie dite
primaire dans laquelle les déficits sont spécifiquement liés au traitement des
nombres et du calcul. Ces deux groupes de troubles appartenant à l'acalculie
primaire, seront développés dans les paragraphes qui suivent.
L'apport des modèles cognitifs de la compréhension des déficits du calcul
s'est avéré fondamental en fournissant un cadre théorique dans lequel les
observations cliniques pouvaient, à la fois, être interprétées et suggérer de
nouveaux développements conceptuels. L'orientation cognitive a été initiée
par Warrington (1982), Deloche et Seron (1982) et McCloskey et al. (1985),
principalement. Plus tard, Dehaene (1992) propose un modèle composé par
des représentations analogiques, visuelles, auditivo-verbales et des nombres
arabes. Dans le cadre de ce dernier modèle et d'un point de vue anatomique, il
a été suggéré que les lobes pariétaux, bilatéralement, sous-tendent le
traitement des représentations analogiques des quantités ainsi que la
manipulation de ces représentations. Les représentations des nombres arabes
seraient, quant à elles, traitées grâce à l'activation des régions occipito-
temporales, également dans les deux hémisphères. Ce modèle a le mérite,
entre autres, d'introduire l'interaction entre l'arithmétique symbolique et un
système numérique élémentaire et approximatif, sous-tendu par un mécanisme
biologique inné (voir aussi Pesenti, Seron et Noël, 2000).

Troubles du traitement des nombres

Les patients acalculiques peuvent présenter des troubles de la production


et/ou de la compréhension des numéraux verbaux oraux et arabes, ou d'une
seule catégorie, visuelle (arabe, « 2 ») ou auditive (« deux »), sélectivement.
Le déficit sélectif de la production des nombres arabes pourrait impliquer
les traitements syntaxique et lexical. Le trouble syntaxique entraîne des
erreurs dans la classe d'appartenance du nombre (unité, dizaine, centaine...),
de sorte que le patient (dont la compréhension est adéquate) lirait 3 pour 30 ou
900 pour 90. Le trouble lexical se caractérise par des difficultés à traiter
chaque élément, indépendamment de la classe d'appartenance. Le patient
respecte la classe mais produit des erreurs individuelles : 52 → « 32 » ou « 57
».
Des patients présentant des déficits de la compréhension des nombres ont
perdu la capacité de réaliser des comparaisons de taille entre deux nombres ou
plus. Par exemple si on montre « 322 981 257 1275 » en demandant aux
patients d'indiquer le nombre le plus petit, ou le plus élevé, ou de classer les
chiffres (en présentant des cartes individuelles) du plus petit au plus grand, ils
sont incapables de répondre correctement.

Troubles du calcul

Sur la base de la compréhension normale des nombres, les processus


spécifiques du calcul sont étudiés à travers les sous-composantes suivantes :
- Reconnaissances des opérateurs. Les symboles +, ÷ ×, – peuvent être mal
interprétés ou mal nommés et les opérations se réalisent avec cette erreur.
- La récupération en mémoire à long terme des faits arithmétiques. Les faits
arithmétiques qui sont stockés en mémoire, concernent des problèmes très
simples des 4 opérations (5 + 5 = ? 4 : 2 = ? 3 × 6 = ? etc.). Certains patients
montrent un déficit sélectif dans la récupération de l'un ou l'autre fait
arithmétique.
- Les procédures de calcul sont rarement endommagées, mais dans les cas
où elles le sont, le patient n'a plus d'accès aux algorithmes et peut adopter des
stratégies de simplification, comme soustraire le plus petit du plus grand :

852 + 341 511

L'évaluation peut être réalisée en demandant au patient de lire, d'écrire et de


répéter des nombres présentés – pour la lecture – en nombres arabes et en
lettres ; pour l'écriture – sous dictée et en copie. Pour la compréhension,
demander le plus grand ou le plus petit, en montrant plusieurs nombres en
écriture arabe.
Le sous-test arithmétique de la WAIS permet également d'évaluer la
résolution plus complète du calcul mental. Finalement, Jackson et Warrington
(1986) ont standardisé un test d'arithmétique, comportant des additions et des
soustractions de difficulté progressive, et qui est très sensible aux déficits de
calcul.

Clinique appliquée. Présentation de deux patients

Troubles du langage oral. Un cas d'anomie sélective (Manning et Warrington,


1996)

Le patient KP, droitier, 14 années d'études, est examiné à l'âge de 67 ans


après deux ans de suivi en neurologie pour des symptômes moteurs (ataxie de
type cérébelleuse du côté droit du corps, difficulté d'articulation du langage) et
troubles de la mémoire. L'IRM montre des lésions sous-corticales diffuses,
prédominant autour des ventricules cérébraux. Un diagnostic d'AVC diffus et
provoquant une démence vasculaire, est posé. (Lors de sa première
consultation en neurologie, ses QI verbal et de performance, étaient moyen et
supérieur, respectivement). Lors de sa deuxième consultation, au moment de
cette étude, l'examen neuropsychologique formel n'est plus réalisable à cause
des difficultés de langage. Cependant, les scores à deux sous-tests de la
WAIS-R permettent de continuer l'étude (mémoire des chiffres : moyen-
faible ; cubes : supérieur). Son efficience intellectuelle antérieure est estimée
dans la normale au moyen d'un test de lecture (NART, QI = 90). Sa mémoire
de reconnaissance verbale, version simple et écourtée est déficitaire (< au 5e
centile) ; sa mémoire de reconnaissance non-verbale, version longue (et plus
difficile) est normale.
Évaluation préliminaire du langage. Langage non-fluent, très légère
dysarthrie, absence d'erreur phonémique, KP est incapable de compléter des
phrases.
1) Répétition. Deux listes de mots (1, 2 et 3 syllabes) de haute et de base
fréquence = 140/180 : déficient. Effet significatif de la fréquence.
2) Dénomination. Test d'Oldfield = 19/30 ; aucun item de basse fréquence
n'est nommé.
- 50 images de substantifs de haute fréquence = 45/50
- 30 images de verbes de haute fréquence = 3/30
3) Lecture.
– 40 substantifs : légèrement irréguliers et fortement irréguliers = 16/20,
pour chaque liste
- 50 mots grammaticaux = 43/50
4) Compréhension (du fait de ses difficultés, tous les tests sont présentés en
version écrite).
Mots (substantifs). Test des synonymes : mots concrets = 18/25 ; mots
abstraits = 20/25
Phrases.
- Test de relations locatives = 21/24
- Phrases réversibles = 23/23
- Appariement phrase – image = 16 (contrôles = 15,5)
- Test de compréhension grammaticale (TROG) = 63/80
- Test de compréhension des classes de mots dans un contexte
propositionnel : substantifs (sur 33) = 97 % de réponses correctes ; adjectifs
(15) = 72 % ; verbes (33) = 57 % ; prépositions (24) = 33 %.
L'étude expérimentale du langage est planifiée à partir de ces résultats :

Test 1. Production de phrases


Objectif: Identifier les caractéristiques des difficultés de production non-
fluente au moyen de deux tests de génération des phrases. Le premier test
évalue la capacité de produire une phrase en se servant de la structure
propositionnelle que lui fournit l'examinateur. KP est incapable de construire
une seule phrase grammaticalement correcte sur 80 contextes propositionnels
aidés par des images. Le deuxième test évalue sa capacité de construire des
phrases sans devoir trouver les mots (pour contourner l'anomie). Les mots
formant une phrase étaient placés en désordre ; une image servait de modèle
pour chaque item. Le patient réussit l'arrangement des mots uniquement pour
les phrases très faciles (6/20).
Résultats. La génération de phrases est sévèrement endommagée,
indépendamment de l'anomie.

Test 2. Dénomination, lecture et épellation des substantifs et des verbes


Objectif : Identifier les différences dues aux catégories et/ou au traitement
des stimuli dans des processus différents.
Les deux listes – substantifs et verbes – appariées pour la fréquence avaient
chacune 75 items.
Résultats (% correct) :
- Substantifs : dénommés = 75, lus = 99, épelés = 83.
- Verbes : dénommés = 19, lus = 99, épelés = 83
La dénomination des verbes est sélectivement déficitaire.

Test 3. Appariement mots-images des substantifs et des verbes


Objectif: identifier le niveau de compréhension des verbes au moyen des
tâches non-verbales (et non-propositionnelles) qui testent l'intégrité du
système sémantique.
Deux ensembles de 40 paires d'images montrant des substantifs, dans un
ensemble, et des verbes dans l'autre. Chaque paire d'items a un lien
sémantique (e.g. substantifs : villa/château ; verbes : peindre/dessiner). KP
devait désigner l'item donné par l'examinateur.
Résultats : substantifs = 97 % ; verbes = 90 % correct. La compréhension
des verbes sémantiquement liés est normale. La production déficitaire n'est
donc pas due à une compréhension anormale des verbes isolés.
Test 4. Compréhension des verbes concrets et abstraits
Objectif : La production des substantifs par le patient, n'avait montré aucun
effet de la dimension concret/abstrait. L'objectif ici était d'obtenir ce type de
données pour les verbes. La construction du test est réalisée en 2 étapes :
déterminer quels verbes sont considérés comme concrets et quels autres
comme abstraits [6 sujets sains ont coté 130 verbes sur une échelle de 1 point
(très concret) à 7 points (très abstrait)]. Les 50 verbes les plus extrêmes ont
été présentés à deux autres témoins sous forme d'un verbe accompagné d'un
synonyme de fréquence plus élevée et d'un distracteur (e.g. verbe concret :
circonscrire, est-ce écrire ou limiter ? Verbe abstrait : acquiescer est-ce
consentir ou acquérir ?). Le patient réalise le test des synonymes de verbes, en
désignant sur la liste le verbe équivalent.
Résultats (sur 25) : verbes concrets = 19 (contrôles = 22) ; verbes abstraits
= 20 (20). Encore une fois, la dénomination déficiente des verbes n'est pas due
à une plus grande difficulté de traitement des verbes abstraits.

Test 5. Le temps du verbe


Objectif: identifier le traitement strictement syntaxique des verbes.
Vingt paires d'images (une paire par carte) montrant la même action
réalisée par le même acteur en deux temps clairement différents (e.g. un
garçon tend la main vers un verre d'eau ; le même garçon en train de boire),
appariées à une phrase écrite par carte (« le garçon boit »).
Résultats : le score du patient est de 10/20, ce déficit indique l'origine de
ses difficultés.

Test 6. Contexte propositionnel/dénomination des images


Objectif: Tester le rôle de la phrase dans la dénomination des substantifs,
rappelant que le verbe est crucial dans la construction et compréhension des
phrases, et comparer la performance avec la dénomination des substantifs
trouvés en simple présentation visuelle de l'image.
Préalablement au test, le patient a comme tâche de compléter 30 phrases
auxquelles il manque le dernier mot. Ce dernier mot a, soit une probabilité
moyenne d'apparition (e.g. « Il est allé à la papeterie pour acheter un... »), soit
une probabilité faible (e.g. « Il est allé acheter un... »).
Ses scores sont en fonction de la probabilité d'apparition du mot (moyenne
= 46 % correct ; basse = 13 %), mais, dans les deux cas, les scores sont
déficients par rapport aux sujets normaux.
Des phrases comportant une très haute probabilité d'apparition du dernier
mot sont construites avec les noms des 56 images d'objet que le patient avait
bien dénommé (Test 2). Les noms de ces objets doivent être fournis par lui en
complétant une phrase, puis de nouveau en présentation visuelle. Ainsi la
phrase écrite « L'archer prend son arc et envoie une... ») est accompagnée de
l'image d'une flèche.
Résultats : KP complète 34 % des phrases et il dénomme 89 % des images
(χ2 = 47, p < 0,001)
Commentaires. Cette étude montre deux voies pour la dénomination des
substantifs au moyen des trois points principaux suivants :
- La dénomination des verbes est déficiente, alors que la dénomination des
substantifs est préservée.
- Dans la compréhension des verbes, le traitement sémantique est préservé
alors que la compréhension syntaxique est endommagée.
- La dénomination des substantifs est intacte per se, cependant, le trouble
syntaxique des verbes entraîne une altération dans la production des
substantifs selon le contexte. Chez ce patient non-fluent, les substantifs sont
correctement dénommés en présentation de l'image mais ne le sont pas dans
un contexte propositionnel.

Troubles du langage écrit. La dyslexie phonologique (Manning et Warrington,


1995)

Le patient JW, droitier, chef de section d'une entreprise de construction, a


72 ans au moment de cette étude. Sa plainte concerne une difficulté du
langage de type dysarthrique. L'IRM montre une ischémie de petite taille au
niveau du cervelet, sans signes anormaux au niveau des lobes frontal et
temporal.
Lors de l'entretien, il n'exprime aucune autre gêne que sa légère difficulté
d'articulation.
L'examen neuropsychologique est en général normal (QI verbal = 96 :
vocabulaire, moyen-faible ; arithmétique, moyen-fort, le reste est dans la
moyenne. QI de performance = 105 : complètement d'images, supérieur ;
arrangement d'images, moyen-faible ; cubes, dans la moyenne). Son niveau
d'efficience intellectuelle prémorbide est estimé comme équivalent à un QI de
95 (test de lecture NART) et donc en accord avec son niveau au moment de
l'étude. Les capacités mnésiques, visuo-perceptives et visuo-spatiales sont
préservées.
Évaluation préliminaire du langage oral. Discours spontané légèrement
dysarthrique, avec quelques erreurs phonémiques. La description de la carte 2
de la BDAE est laconique et certaines phrases sont télégraphiques (e.g. «
Garçon sur un tabouret. Tabouret tombe »). La dénomination est normale et la
compréhension conversationnelle totalement préservée. Cependant, au Token
Test et au Test de compréhension grammaticale (TROG), ses scores sont
faibles (67 % et 86 %, respectivement).
Évaluation préliminaire du langage écrit. JW réalise 4 tests de lecture de
mots, un test de lettres et un test de lecture de non-mots :
Mots
– Une liste de 250 mots dont la longueur est contrôlée : 50 mots de 3
syllabes, 50 de 4, etc. jusqu'à 7 syllabes. Pour chaque groupe de 50 mots, 5
catégories (10 mots/catégorie) sont testées : substantifs concrets, abstraits,
adjectifs, verbes et mots fonctionnels. Les 250 mots appartiennent à un niveau
de fréquence très élevé. Score = 245/250.
- La deuxième liste comprend 64 mots – verbes, adjectifs et substantifs –
avec différents niveaux de fréquence appariés par catégorie (fréquence
moyenne de verbes = 18.6 ; d'adjectifs = 18.5 et de substantifs = 18.8). Score
= 62/64.
- Lecture de 72 mots réguliers et 72 irréguliers. Pour chaque catégorie, les
mots sont distribués en haute et basse fréquence. Score = 143/144.
- Le dernier test préliminaire de lecture des mots évalue les mots concrets et
abstraits : 100 items par liste avec une longueur de 3 à 8 syllabes et deux
niveaux de fréquence. Score = 193/200 ; les 7 erreurs correspondent à des
mots abstraits.

Lettres. Le patient lit 15/15 lettres. En revanche il est incapable de donner


leur son, il dénomme la lettre ou bien il dit un mot commençant par la lettre.
Score 9/40.
Non-mots. Les 86 non-mots du test sont obtenus à partir de 86 mots réels,
43 réguliers et 43 irréguliers (fréquence et longueur contrôlées). Score mots =
79/86 ; non-mots = 46/86 (23 erreurs sont des « lexicalisations ». Exemples,
en anglais : nust → must ; bild → blind ; steat → sweet ; pold → polar).
Le déficit de lecture des non-mots est sélectif, JW répète correctement 38
des 40 non-mots lus incorrectement. L'analyse qualitative de la lecture des
non-mots de JW avait montré, préalablement, une certaine influence de la
combinaison des lettres du non-mot de sorte que celles qui respectaient les
règles de l'anglais (e.g. dreed) avait plus de chances d'être lues que celles qui
violaient ces règles (e.g. kipthirm) et dans ces derniers cas, JW avait refusé
d'essayer de les lire.
L'ensemble de ces résultats permet de diagnostiquer une dyslexie
phonologique chez JW et de programmer l'étape suivante.
L'étude expérimentale du langage.

Test 1. Les trigrammes d'Archer


Objectif: Tester l'implication du lexique orthographique d'entrée dans le
traitement des non-mots dans le cas d'un déficit important de la voie
phonologique.
Archer (1960) avait obtenu 2480 trigrammes – consonne/voyelle/consonne
(CVC) - des non-mots ayant un pouvoir d'évocation des mots réels de niveau
différent (par exemple, GEX n'évoque aucun mot en anglais alors que DOM,
même étant un non-mot, est très « familier » puisque proche d'un mot réel. (Il
existe une version française de ces trigrammes obtenue par Sabbah et al., non
publiée).
JW lit 100 trigrammes, sélectionnés en fonction de leur distance des mots
réels. Cinq groupes de 20 items ont été formés pour étudier l'influence de la
combinaison des lettres composant les non-mots sur la lecture du patient.
Résultats : il lit seulement 4/20 des non-mots appartenant au groupe le plus
éloigné des mots réels tandis que 12/20 des non-mots sont lus dans le groupe
le plus rapproché. Cet effet est significatif et en accord avec le nombre de
mots voisins qui peuvent être dérivés de chaque trigramme. Ainsi, la moyenne
des mots voisins du groupe très éloigné est de 4,50, alors que celle du groupe
le plus rapproché est de 11,55.

Test 2. Noms propres


Un pourcentage considérable des noms est inconnu mais le lecteur moyen
les lit correctement. On peut assimiler les noms inconnus à des non-mots qui
respectent les règles de la langue.
Objectif: Obtenir des données sur le traitement de ces items très courants,
dans le cas où la voie phonologique est altérée.
JW lit les noms distribués selon 3 niveaux de fréquence (définie d'après le
nombre d'apparitions dans l'annuaire téléphonique). Chaque niveau a 34
noms. Les 102 noms ont été lus par 5 sujets témoins.
Résultats : JW montre une tendance à lire correctement plus de noms
fréquents et connus (91 %) qu'inconnus (88 %).

Test 3. Suffixes d'inflexion et de dérivation

Objectif: Tester les limites du déficit de lecture en proposant de vrais mots


pour lesquels certains patients rapportés dans la littérature ont des déficits
marqués.
Le patient lit une liste de 120 items (40 mots différents, leurs dérivés et
leurs inflexions : par exemple, la forme simple « nature » et ses différents
suffixes : « naturellement » et « naturalisé »).
Résultats : JW lit correctement 113/120 mots. Ces erreurs sporadiques
montrent qu'il existe une légère fragilité mais sa lecture des suffixes est
préservée.
Commentaires. L'analyse de la dyslexie phonologique de JW permet de
conclure les points suivants :
- La dyslexie phonologique peut se présenter sous une forme « pure », le
patient étant capable de lire correctement une grande variété de mots réels.
- Le déficit phonologique dans le cas présent pourrait être localisé dans le
deuxième des 3 processus qui caractérisent la voie phonologique. En effet, en
ce qui concerne le premier niveau, JW semble segmenter correctement les
graphèmes en phonèmes puisqu'il est capable de lire des lettres ; en revanche,
son incapacité à donner le son d'une lettre, indique un dysfonctionnement de
deuxième niveau.
- Dans le cas d'une atteinte de la voie phonologique où la lecture résiduelle
de non-mots est influencée par la familiarité de la combinaison de lettres,
cette lecture est réalisée par la voie sémantique et non pas par la voie
phonologique résiduelle. Manning et Warrington fondent cette conclusion sur
les arguments suivants :
- Une lecture par la voie phonologique résiduelle ne montrerait pas
d'effets de familiarité.
- Il est démontré que la lecture de non-mots chez les sujets sains est
influencée par des facteurs lexicaux (Kay et Marcel, 1981).
- Il a été également démontré que les patients qui ont la maladie
d'Alzheimer lisent significativement mieux des non-mots proches de
mots réels que les non-mots qui ont des combinaisons de lettres
impossibles dans la langue donnée (Friedman et al., 1992).

Conclusion

Le présent chapitre a essayé de montrer la complexité des troubles de


traitement du langage et du calcul. Le neuropsychologue doit donc s'interroger
sur ces composantes et relever aussi celles qui sont préservées. Les suivis de
cas, mais aussi les évaluations de routine nécessitent une approche très
rigoureuse et une quantité considérable de matériel pour que les conclusions
soient solides. Cependant, comme exigence préalable ou point de départ, le
clinicien compte sur un cadre théorique qui guide sa pratique. Un exemple
très clair de l'influence bidirectionnelle des modèles théoriques et de la
clinique, dans le domaine de la dyslexie et en relation avec le modèle
connexionniste triangulaire de Plaute et al. (1996), est le suivant : le patient
WB (Funnell, 1983), dyslexique phonologique, présente une lecture des mots
exceptionnellement préservée alors qu'il est incapable de lire un seul non-mot.
Par ailleurs, le patient MP (Behrmann et Bub, 1992), dyslexique de surface,
est capable de lire remarquablement bien des mots réguliers et des non-mots
alors que, non seulement la lecture mais aussi la compréhension des mots
irréguliers sont sévèrement altérées. Ces deux patients constituent une double
dissociation des voies de lecture phonologique et sémantique. Comment le
modèle connexionniste qui écarte la voie phonologique (non-lexicale)
pourrait-il l'expliquer ? En effet, une détérioration du côté b) ou du côté c) du
triangle (voir la figure 8) suffisamment importante pour produire le déficit de
MP, impliquerait, nécessairement, un déficit du côté a) et alors, ni les mots
réguliers, ni les non-mots ne seraient lus.
1 Voir le glossaire pour les termes qui ne sont pas définis dans le texte.
CHAPITRE 5

La reconnaissance visuelle et l'imagerie visuelle

Introduction

L'étude des processus qui sous-tendent la reconnaissance des objets est abordée à
partir de trois approches complémentaires.
- La plus récente est issue de la neuroimagerie fonctionnelle et sa contribution
la plus remarquable consiste en l'éclaircissement de l'organisation et de la
distribution des réseaux neuronaux qui stockent les codes ou représentations
des différentes catégories d'objets.
- Une approche plus ancienne est née, comme toutes les branches de la
neuropsychologie, de la clinique neurologique. Cette approche
anatomoclinique intègre une grande variété de domaines étudiés : les déficits
de traitements dits primaires ou périphériques qui ont un retentissement sur la
perception, les troubles perceptifs proprement dits épargnant les fonctions
visuelles élémentaires, et les troubles centraux ou de la reconnaissance lorsque
la perception est relativement préservée.
- Enfin, l'approche de la psychologie cognitive qui a été essentielle pour la
compréhension des données cliniques et pour le passage de la description à la
théorisation de la neuropsychologie cognitive. Il existe de nombreux exemples
de l'interaction entre des psychologues cognitivistes et des neuropsychologues
cliniciens, l'un des plus utiles dans le domaine du traitement visuel étant
l'influence réciproque entre le modèle cognitif de David Marr et les études
cliniques d'Elizabeth Warrington : « Ma manière d'aborder ces problèmes (i.e.,
quel type d'information est délivré par la vision) a été très influencée par la
conférence d'Elizabeth Warrington (...) décrivant les capacités et limitations des
patients qui avaient des lésions pariétales à droite ou à gauche (...). Sa
conférence suggérait deux points. Premièrement, que la représentation de la
forme d'un objet est stockée dans un endroit différent et appartient donc à une
classe différente de la représentation de son utilisation et de sa fonction.
Deuxièmement, que la vision peut délivrer une description interne de la forme
d'un objet vu, même si l'objet n'est pas reconnu dans le sens consensuel de
comprendre son utilisation et sa fonction » (Marr, 1987, p. 122-123).
La contribution de Marr (1982) constitue un tournant dans la compréhension du
traitement de l'information visuelle menant à la reconnaissance des objets : l'auteur
propose d'analyser ce traitement chez le sujet sain et, dans un deuxième temps,
d'essayer d'expliquer, sur la base de ce modèle, les observations cliniques. Le
postulat initial de Marr pour expliquer la facilité extraordinaire avec laquelle nous
reconnaissons les objets – même visuellement dégradés – est qu'il existe une forme
codifiée, une sorte de description symbolique stockée ou « représentation ». Il
postule trois types de représentations qui constituent trois étapes menant à la
reconnaissance des stimuli visuels :
- la représentation initiale qui calcule les changements d'intensité de luminance
du champ visuel et aboutit à la caractérisation de la forme de l'image en deux
dimensions.
- L'étape 2½-D représente les localisations spatiales des surfaces visibles à
partir du point de vue de la personne (point de vue égocentrique), cette étape
est ainsi centrée sur l'observateur et le résultat est tributaire de l'angle à partir
duquel il observe l'objet.
- L'étape 3-D qui représente la configuration des composantes de l'objet
(surfaces, traits, formes) sur la base de leurs relations au sein de l'objet. Ce
niveau de représentation, indépendant du point de vue de l'observateur, permet
de reconnaître les objets quelle que soit leur position dans l'espace.

La reconnaissance visuelle des objets

Le modèle d'Ellis et Young (1996) a bénéficié de l'apport de Marr, comme on


peut le constater (figure 9) dans les trois composantes qui précèdent les unités de
reconnaissance des objets. Ellis et Young considèrent que le processus de
reconnaissance commence par les comparaisons entre 2½-D et 3-D, et les unités de
reconnaissance des objets. Ces unités correspondent aux descriptions structurelles
des objets familiers, stockées à long terme, et elles ont un rôle d'interface entre les
représentations visuelles 2½-D et 3-D, qui renseignent sur l'aspect des objets, et le
système sémantique, qui décrit leurs propriétés fonctionnelles et leurs attributs. Une
fois que l'information est traitée au niveau de 2½- D et 3-D, elle est transmise
indépendamment, à partir de chacun de ces modules de représentation visuelle, aux
unités de reconnaissance. À ce niveau de traitement, c'est la familiarité de l'objet qui
est analysée et qui donne lieu, si l'objet est connu, au niveau suivant qui permet
d'accéder aux informations sémantiques concernant l'objet. Le nom de l'objet (voir
le chapitre 4 pour le traitement langagier de la dénomination), d'après le modèle
d'Ellis et Young, est un résultat des données sémantiques ; si le traitement
sémantique est altéré, le nom n'est pas accessible (mais voir Kremin et al., 1994,
pour quelques cas exceptionnels qui suggèrent qu'il est possible de dénommer sans
traitement sémantique).
Sur la base de ce modèle conçu pour rendre compte des étapes de traitement
visuel chez le sujet intact, nous allons commenter les troubles visuels de la fonction
élémentaire, qui est le traitement de la forme, avant de développer les troubles de la
reconnaissance visuelle ou agnosie. Le traitement de la
Figure 9
. Modèle de la reconnaissance et de la dénomination d'un objet présenté
visuellement (Ellis et Young, 1996)
forme pourrait se situer, dans le modèle de la figure 9, dans la représentation
initiale, les déficits perceptifs, dans les étapes qui précèdent les unités de
reconnaissance, et les troubles centraux, à partir de ces dernières.

Déficits du traitement de la forme

Les suivis de cas ainsi que la recherche en psychophysique chez le sujet intact et
chez l'animal, montrent que le traitement des niveaux précoces de la vision a un
mode d'opérations parallèles plutôt qu'un enchaînement sériel au moyen duquel se
construirait hiérarchiquement l'image perçue. Ces processus parallèles, sous-tendus
par des sous-systèmes spécialisés, peuvent ainsi être lésés de manière relativement
sélective.

Les lésions du cortex visuel primaire (lobes occipitaux, BA 17 ou V1) provoquent


des déficits rétinotopiques de la discrimination de la forme. Dans le cas d'une lésion
unilatérale, les troubles seront limités à la moitié controlatérale du champ visuel.
Le patient étudié par Effron (1968) présentait des lésions cérébrales causées par
un empoisonnement au monoxyde de carbone, qui avaient provoqué des troubles
sévères de la discrimination de la forme. Ce patient ne détectait plus, par exemple,
des changements graduels de la forme carrée qui s'allongeait pour devenir un
rectangle (à surface constante), jusqu'à ce que le taux de différence devienne
suffisamment extrême pour que le rectangle prenne la forme d'une ligne. En
revanche, son jugement des différences de couleur et de texture était normal, ainsi
que la localisation des objets dans l'espace.
Dans certains cas, le déficit de la discrimination de la forme peut être secondaire
à un trouble dans l'intégration des parties d'un objet dans un tout. Les patients
échouent alors dans les tests de figures avec une forme illusoire (voir Humphreys et
Riddoch, 1987), de discrimination figure-fond (Warrington et James, 1991), et de
figures enchevêtrées (par exemple le sous-test de la batterie de Montréal-Toulouse,
Agniel et al., 1986). Ces deux derniers tests ne doivent pas être considérés comme
appartenant à une seule catégorie de test visuel. Les tâches dites de figure-fond se
réfèrent à une figure superposée à un fond qui comporte « un bruit visuel », tandis
que les figures enchevêtrées, comme leur nom l'indique, n'ont pas un fond de bruit
visuel. La distinction est importante parce que ces tâches sont fréquemment
dissociées. Les patients qui ont un score normal au test de figure-fond, peuvent se
montrer incapables de résoudre le test de figures enchevêtrées. On observe aussi des
patients qui discriminent le rectangle du carré au test d'Effron mais échouent aux
autres tests mentionnés (Davidoff et Warrington, 1993). Finalement, des données
très intéressantes ont été publiées par Goodale et al. (1991) à propos d'une patiente
qui présentait un déficit sévère de la discrimination de la forme mais qui était
capable d'effectuer une bonne calibration gestuelle – position manuelle en pince
digitale plus ou mois ouverte – en fonction de la forme qu'elle ne voyait pas ! Du
point de vue clinique, cette observation éclaircit une apparente contradiction
observée chez des patients qui présentent une altération sévère du traitement de la
forme tout en retrouvant leur chemin dans des lieux qu'ils ne connaissaient pas avant
la lésion : l'action exige, probablement, beaucoup moins des capacités visuelles
résiduelles que ne le fait la reconnaissance passive.
L'examen de ces patients doit tenir compte de l'acuité visuelle. D'une part, les
lésions qui affectent l'œil ou le nerf optique et altèrent l'acuité, peuvent avoir des
effets semblables à ceux décrits après des lésions de l'aire 17 (V1). D'autre part,
plusieurs études ont montré que les patients dont l'acuité est normale, peuvent
présenter des troubles sévères de la forme.

L'évaluation des déficits des fonctions visuelles élémentaires est limitée en


neuropsychologie. Le sous-test figure–fond de la batterie Visual Object Space and
Perception (VOSP) de Warrington et James (1991) est très utile pour fournir au
clinicien un premier élément d'orientation de l'examen. Si le score à ce test est
déficient, on arrête la passation de la VOSP et on demande au patient des tâches de
discrimination de la forme carré-rectangle, en présentant d'abord les deux figures
avec une différence qui peut être perçue avec une vision normale, et en augmentant
graduellement la différence jusqu'à ce que le patient la discrimine. Quant aux
figures enchevêtrées, on présente les formes simples d'abord et on propose des items
de niveau plus difficile, en fonction des réponses du patient (voir McCarthy et
Warrington, 1990, pour le test de Ghent des figures enchevêtrées voir également le
sous-test de la batterie de Montréal-Toulouse, déjà cité).

Les agnosies visuelles

Lissauer décrit pour la première fois le déficit de la reconnaissance visuelle


d'objets en 1890 et utilise, pour le désigner, le terme (forgé par Munk en 1881, après
ses expériences chez le chien) de « cécité mentale pour les images »
(Seelenblindheit). Dans sa communication princeps, Lissauer décrit le cas du patient
Gottlieb L., qui ne distinguait plus une cuillère d'une fourchette et avait des
difficultés pour s'habiller parce qu'il ne reconnaissait plus ses vêtements. Lissauer
propose la qualification d'associative pour cette forme de « cécité mentale » et il
déduit des performances visuelles préservées de son patient l'existence d'une cécité
mentale aperceptive : Gottlieb L. est, en effet, capable de copier des dessins sans
difficulté. Une année plus tard, Freud (1891) propose le terme d'agnosie (du mot
grec gnôsis : connaissance ; privé de connaissance) pour remplacer celui de cécité
mentale. Le premier cas d'agnosie aperceptive a été étudié par Goldstein et Gelb en
1918. Leur patient Schn avait, disaient les auteurs, perdu toute expérience visuelle
de la forme alors que son acuité visuelle était intacte ainsi que sa vision de la
couleur ce qui lui permettait d'indiquer la taille de la fiche colorée et sa position
dans l'espace mais non pas de l'intégrer dans un tout. Ce cas est historique peut-être
aussi sur un autre registre moins respectable : Schn semble avoir exagéré, voire
simulé une partie du déficit observé [« Goldstein et Gelb recherchaient
passionnément des théories globales pour expliquer le fonctionnement mental
humain et sa réaction à la lésion cérébrale. Schn était devenu une illustration valide
et complète de leurs idées sur la perception et le raisonnement. Goldenberg (2003b)
conclut que Goldstein et Gelb avaient inventé des embellissements fantastiques sur
Schn, et Schn avait appris comment être le cas idéal » (Marotta et Behrmann, 2004,
p.635)].
Pour Freud, l'agnosie visuelle associative dénote une détérioration des acquis
concernant les connaissances liées aux objets et non une simple altération
perceptive. Cette question de la nature de l'agnosie associative a été débattue tout au
long du siècle : est-elle perceptive ou mnésique ? Pour Teuber (1968), l'agnosie
visuelle est un déficit d'accès à la mémoire : « ... il s'agit d'une perception normale
dépossédée, d'une certaine manière, de sa signification ». Un point de vue différent,
et probablement plus à même d'expliquer l'agnosie, est postulé par Damasio (1989)
au sein de son modèle des co-activations multirégionales qui ont lieu dans des temps
non arbitraires. Son hypothèse considère un stockage des connaissances relatives
aux objets familiers, non pas sous forme de représentations localisées, mais comme
des configurations de la co-activité des réseaux neuronaux distribués. Cette
caractéristique déterminerait le fait que tout déficit de reconnaissance s'accompagne
d'un trouble perceptif.

Les agnosies aperceptives

La définition de l'agnosie aperceptive selon Farah (1990) est « le déficit dans


pratiquement toutes les fonctions visuelles qui impliquent la perception de la forme ;
(les patients) sont incapables d'apparier des formes, de les reconnaître, de les
dénommer, de changer leur attention vers une forme indiquée... malgré leur capacité
de percevoir le contour local de manière relativement correcte » (p. 35).
Le diagnostic d'agnosie aperceptive a comme critère, pour la plupart des auteurs,
la présence de déficits de la perception et la préservation des fonctions sensorielles
élémentaires.
L'étiologie de l'agnosie aperceptive est variée : comme Effron, d'autres auteurs
ont rapporté des cas dont les lésions avaient été provoquées par le monoxyde de
carbone, d'autres études indiquent des intoxications au mercure, d'autres encore, une
origine vasculaire comme des ischémies bilatérales, des occlusions de l'artère
basilaire ou des arrêts cardiaques qui provoquent des hypoxies. Enfin, il existe des
cas d'atrophie corticale postérieure qui présentent, au premier plan, des troubles
perceptifs visuels. La localisation des lésions donne lieu aux différents types
d'agnosie aperceptive (voir plus bas).
Sous le terme d'agnosie aperceptive, on regroupe des troubles assez hétérogènes,
comme les 4 types d'agnosies commentés plus bas, le montrent. Cette diversité est
probablement une des raisons du désaccord entre les auteurs. Cependant, la vue
d'ensemble qui permet cette classification proposée par Farah, éclaircit les concepts
fondamentaux et est donc utile pour le clinicien.

- L'agnosie aperceptive (sens restreint), regroupe des patients chez qui le déficit
sévère de la perception est présent dans le contexte d'une relative épargne de
l'acuité, de la discrimination de luminance et des champs visuels ainsi que de la
perception de la profondeur, du mouvement et de la couleur. Il s'agit souvent de
patients qui sont en phase de récupération d'une cécité corticale et qui sont
incapables de réaliser des tâches de traçage, d'appariement perceptif ou de
discrimination des formes, en raison de la fragmentation des contours qui est à la
base de leur déficit.
Qualitativement, on observe que le patient réalise des tentatives de
reconnaissance sur la base des paramètres visuels qu'il est encore capable de
reconnaître, comme par exemple la couleur (un patient avait appris à reconnaître sa
brosse à dents par sa couleur rouge, ce qui s'était avéré peu efficace puisque sa
nouvelle brosse à dents verte n'était plus reconnue et que des confusions avec un
crayon rouge s'étaient ensuivies).
Si le patient présente un champ visuel relativement préservé et large, la
reconnaissance peut être un peu facilitée en bougeant doucement l'objet devant ses
yeux.

- La simultagnosie dorsale (pariétale). Le terme de simultagnosie, forgé par


Wolpert dans les années 1920, dénotait un déficit d'intégration des parties dans un
tout. Cependant, chez les patients qui ont une atteinte sévère de la perception, il n'est
pas garanti que les parties soient vues et/ou que leur attention consciente ait été «
recrutée » pour traiter ces parties. Luria, 30 ans plus tard, utilise le terme
simultagnosie dans son acception littérale, à savoir l'incapacité de voir ou de prêter
attention à plus d'un objet à la fois.
Les symptômes de la simultagnosie dorsale sont de nature visuo-attentionnelle et
provoqués par des lésions bilatérales des zones pariétales postérieures et/ou pariéto-
occipitales.
Les deux déficits qui définissent la simultagnosie dorsale sont : l'incapacité de
traiter plus d'un objet à la fois (il est impossible pour le patient de compter des
points ou de nommer un rond et un carré présentés ensemble, par exemple) et de
percevoir un ensemble, une scène ou un objet. Le déficit à l'origine de ces troubles,
selon Luria, est la désintégration des mécanismes visuels qui traitent de manière
sérielle les éléments des configurations visuelles : la configuration est fragmentée.
Ainsi, la patiente de Tyler (1968) n'a pas de difficultés à percevoir un cercle ou un
carré mais devant un drapeau américain elle répond « Je vois des tas de lignes,
maintenant je vois des étoiles ». La question est alors de savoir si le déficit est la
conséquence de la limitation de la zone sur laquelle le patient porte son attention ou
bien s'il s'agit du nombre d'objets sur lesquels il porte son attention. Concernant le
premier cas de figure, il ne semble pas avoir d'études chez les patients souffrant
d'une agnosie dorsale (à notre connaissance) pour départager le déficit lié à l'espace
per se, du déficit de l'angle où il se situe. Prenons un exemple bien connu de la
littérature (Girotti et al., 1982). Le patient qui ne voit pas clairement les personnes
qui sont dans une salle mais perçoit l'interrupteur de lumière à quelques mètres de
lui. Cette observation pourrait s'expliquer de deux manières : par une limitation de
l'espace de son attention ou par le fait que le patient porte celle-ci sur l'interrupteur,
parce qu'il se trouve exactement en face de lui, sollicitant sa vision fovéale.
L'attention portée en fonction du nombre des objets a été, en revanche, illustrée par
Luria (1959) dans une expérience simple où il montre, une fois de plus, l'ingéniosité
de son talent clinique. Le patient voit deux versions de l'Étoile de David : l'une
montre le contour d'une même couleur, le patient voit et dénomme l'étoile. L'autre
présente les triangles qui la composent, l'un en rouge, l'autre en bleu. Dans cette
version, le patient est incapable de voir l'étoile, il voit un triangle, soit rouge, soit
bleu. Cette observation est intéressante d'autant plus que l'allocation de l'attention
est étudiée dans un contexte où les aires spatiales et la complexité structurelle sont
pratiquement identiques. Dans cette expérience, le patient pouvait « passer » d'un
triangle à l'autre. Cette capacité de moduler l'attention d'un objet à un autre a été
également analysée par Luria dans une autre expérience. Le stimulus consiste en 6
points qui forment un rectangle. Le patient voit le rectangle, le reconnaît et le
dénomme. Cependant, lorsque il essaie de compter les points, il ne voit plus le
rectangle : il voit un seul point à la fois. Luria note que son patient peut revenir « au
mode » rectangle à volonté. À partir des résultats de ce type, on peut se demander
avec Martha Farah, ce qu'est un objet pour un patient simultagnosique dorsal.
Une autre caractéristique de ces patients est qu'ils sont incapables de localiser
dans l'espace le stimulus vu. Il s'agit là du syndrome de désorientation visuelle
(développé dans le chapitre 6).
- La simultagnosie ventrale (temporale). Cette agnosie est appelée aussi
simultagnosie de la perception de la forme d'un ensemble. Le patient est moins
sévèrement atteint que dans la simultagnosie dorsale puisqu'il arrive, par exemple, à
compter des points sur une page. Le trait essentiel est l'incapacité de reconnaître
plus d'un objet à la fois : l'exemple le plus frappant est qu'un mot n'est pas vu
comme un mot mais comme un groupe de lettres : le patient réussit à nommer une
lettre après l'autre mais le mot n'est pas lu (dyslexie lettre à lettre, voir chapitre 4).
Dans la simultagnosie ventrale, les lésions affectent uniquement les portions
inférieures des régions temporo-occipitales de l'hémisphère gauche. Les
simultagnosies dorsale et ventrale ne semblent pas former un continuum où les
différences seraient quantitatives. La localisation des lésions cérébrales distinctes
dans les deux types d'agnosie, suggère plutôt une différence qualitative.

Une vision d'ensemble de ces trois types d'agnosie aperceptive permettra


d'appréhender les ressemblances des symptômes cliniques. Les patients qui
souffrent d'agnosie aperceptive et ceux qui ont une simultagnosie dorsale se
comportent comme s'ils étaient devenus des personnes aveugles, leur parcours dans
des endroits connus ou nouveaux devient quasiment impossible. Leur perception est
fragmentée et circonscrite à une petite partie du champ visuel, leur reconnaissance
des objets est déficiente et ils font des tentatives de reconnaissance sur la base d'un
fragment reconnu. Dans le cas de l'agnosie aperceptive, les tentatives se basent sur
la couleur, la taille et la texture, tandis que, dans les cas de simultagnosie dorsale,
c'est la forme qui sert de base aux tentatives de reconnaissance. Les deux groupes
présentent ces déficits dans le contexte d'une préservation des champs visuels, de la
perception de la couleur et de l'acuité visuelle. Les lésions dans les deux pathologies
sont pariéto-occipitales bilatérales avec épargne relative du cortex strié.
Les patients avec simultagnosie ventrale ont, comme les patients « dorsaux », un
déficit déterminé par le nombre d'objets (et non pas par la taille ou la localisation
spatiale).
Dans l'agnosie aperceptive, la forme est fragmentée ; dans la simultagnosie
dorsale, les formes sont entières mais la gestalt (d'une scène, par exemple) est
fragmentée ; dans la simultagnosie ventrale, la gestalt est perçue mais l'attention est
portée sur un seul des objets vus et c'est donc la reconnaissance qui est fragmentée.
- L'agnosie aperceptive par sollicitation expérimentale.
De Renzi et al. (1969) et Warrington et collaborateurs (Warrington et Taylor,
1973 ; McCarthy et Warrington, 1990) ne considèrent pas les troubles de la
perception comme un type d'agnosie. L'agnosie aperceptive est, pour ces auteurs, un
échec de la catégorisation perceptive et elle est diagnostiquée si le patient échoue à
une série de tests conçus pour évaluer le point de vue centré sur l'objet (3-D) et plus
concrètement, le fonctionnement du système de descriptions structurelles.
Le fonctionnement normal du processus de catégorisation perceptive permet au
sujet de recomposer des stimuli visuels qui lui sont présentés sous forme dégradée
ou incomplète (e.g. le sous-test de la batterie VOSP de Warrington et James, 1991,
lettres fragmentées), privés de leurs détails (e.g. sous-test silhouettes, VOSP) et/ou
en fonction de l'angle de la prise de vue (e.g. silhouettes progressives, VOSP ; Test
de vues inhabituelles, Manning, non publié, voir la figure G.).
Les patients qui présentent un déficit de catégorisation perceptive échouent à ces
tâches ; en revanche, ils n'ont aucune difficulté dans la reconnaissance et la
dénomination des objets qui sont montrés sous leur angle le plus fréquent, ou « vue
canonique », et sans dégradation d'aucune sorte. Ainsi, le patient qui présente une
lésion cérébrale du lobe pariétal droit, si la lésion a endommagé sa capacité de
recomposer des images ambiguës, dégradées ou, comme dans l'exemple, montrées
selon un angle inhabituel, ne reconnaît pas la figure GA, mais reconnaît la figure
GB. Cette constatation conduit Warrington et ses collaborateurs à postuler deux
voies pour accéder à la signification d'un objet. L'une traite l'objet directement à
partir de l'information sensorielle visuelle, tandis que la deuxième est optionnelle et
devient fonctionnelle uniquement si le résultat de l'analyse de la structure de l'objet
est ambigu ou impossible.
La conception d'une voie alternative s'avère très utile dans la pratique clinique :
elle permet de tester systématiquement la catégorisation perceptive chez les patients
qui ont des lésions postérieures droites, et d'identifier des troubles qui seraient
autrement ignorés.

Les agnosies associatives

Le patient qui souffre d'agnosie associative se comporte, par exemple, devant une
pince à linge ou un peigne, comme une personne qui voit une pièce mécanique pour
la première fois de sa vie. Cette perte de capacité à reconnaître les objets qui sont
relativement bien perçus, est provoquée par des lésions temporo-occipitales
gauches, bien que des lésions bilatérales aient été aussi rapportées, et dans un cas au
moins, chez un patient ayant une lésion postérieure droite (Levine et al., 1978, in
Farah, 1990). La variabilité de la localisation lésionnelle est mieux comprise à la
lumière des études en neuroimagerie fonctionnelle et, à son tour, cette variabilité de
la localisation des lésions aide à comprendre la différence entre deux patients au
sein d'une nosologie plutôt artificielle mais dont la valeur heuristique reste actuelle.
L'agnosie associative est définie comme l'échec de la reconnaissance visuelle en
l'absence de déficits sensoriels élémentaires, de détérioration mentale, d'altération
des processus attentionnels, de troubles aphasiques de la dénomination et de
méconnaissance de l'objet présenté, mais en présence d'une reconnaissance intacte
dans d'autres modalités sensorielles et d'un traitement perceptif qui est compromis
mais pas détérioré.
Nous allons commenter d'abord les caractéristiques du déficit de la
reconnaissance des objets, afin de bien montrer la séparation entre l'agnosie visuelle
et les troubles du langage, avant de développer le volet de la reconnaissance dans
d'autres modalités sensorielles et celui du traitement perceptif chez le patient
agnosique associatif : maîtriser ces concepts évite des erreurs cliniques de
diagnostic.
Le déficit de reconnaissance est inféré, dans un premier temps, à partir de l'échec
en dénomination. Le fait que l'échec de la reconnaissance visuelle soit constaté dans
le domaine du langage, exige une séparation rigoureuse de ces deux fonctions afin
d'éviter des confusions. On dénombre 4 critères :
- La richesse des attributs visuels de l'objet à dénommer a une influence sur la
réponse du patient agnosique visuel, elle est absente des cas d'anomie (cet
aspect est développé plus bas).
- Les difficultés de reconnaissance visuelle du patient sont toujours présentes,
lorsqu'on lui demande de désigner l'objet nommé par l'examinateur. En
revanche, le patient aphasique obtient un score normal en tâche de désignation.
Si le score du patient agnosique montre une amélioration a minima en tâche de
désignation, ce léger avantage tient, probablement, au nombre limité des choix
face au nombre quasi infini de noms potentiels que suppose toute tâche de
dénomination, et non pas à une suppression de la difficulté à dénommer.
- Les tentatives de dénomination en présentation visuelle ont souvent un effet
délétère sur la performance du patient agnosique. Les persévérations, les
erreurs dues à une morphologie similaire (clé → une sorte d'outil ; asperge →
cigarette) « contaminent » sa production même après un intervalle de temps
entre deux tests. Si l'on demande au patient à quoi sert l'objet, il pourrait dire «
à bricoler » ou « on fume » dans les exemples donnés. Au contraire, le patient
aphasique (qui dit « cadenas » pour clé et « je ne sais pas » pour asperge)
donne l'utilisation correcte de l'objet qu'il ne dénomme pas correctement («
pour ouvrir une porte » et « pour manger », dans l'exemple ci-dessus).
- Les erreurs que commet le patient agnosique, sont des erreurs
morphologiques, visuelles, des confusions de caractéristiques de la forme des
stimuli. Le patient ne commet pratiquement pas d'erreurs sémantiques « pures
». Si le clinicien observe que son patient dit « couteau » pour fourchette, il
existe une plus grande probabilité qu'il s'agisse d'une erreur visuelle, les deux
objets étant allongés, lisses et brillants, qui a abouti à une erreur sémantique,
plutôt que d'une erreur sémantique tout court. Par contre, il est extrêmement
peu probable qu'un patient agnosique visuel confonde, par exemple, une
assiette avec un couteau. La difficulté du patient agnosique est, par définition,
l'incapacité d'accéder au système sémantique par la vision. Si le patient
dénommait le couteau comme étant une assiette, il fournirait au clinicien un
élément diagnostique d'aphasie (ou aphasie en plus d'agnosie). En effet, ce type
d'erreur sémantique sans aucune proximité morphologique, indique que le
patient est capable de reconnaître l'objet, d'accéder aux données sémantiques,
d'activer le champ correspondant aux « ustensiles de cuisine » mais qu'il est
incapable
- à cause de son anomie – de produire le nom précis. Lorsque le patient
agnosique (et sans troubles du langage) reconnaît un objet, il le dénomme
correctement. À titre d'exemple, le patient de Rubens et Benson (1971, in
Farah, 1990) ne dénomme correctement qu'un objet sur neuf et toutes ses
erreurs sont morphologiques.

– La préservation de la reconnaissance dans d'autres modalités sensorielles est


constatée de manière consensuelle : « Malgré les problèmes associés avec l'agnosie,
la reconnaissance des objets est normale dans toute autre modalité que la vision
(toucher, audition, définition verbale ou description de la fonction), ce qui indique
qu'il ne s'agit pas simplement d'un déficit de dénomination ou d'accès à
l'information sémantique. En résumé, le problème est ici l'accès à la signification à
travers la vision », Marotta et Behrmann, 2004, p. 633).
Il est important de tenir compte des résultats des études qui montrent que : dans le
cas où une autre modalité sensorielle, par exemple l'exploration tactile de l'objet, est
examinée par le patient en même temps que l'exploration visuelle, attribuer la
performance du patient uniquement à la reconnaissance tactile serait une erreur de
diagnostic. En effet, il existe en clinique un phénomène très connu de «
contamination » visuelle de la performance tactile. Ainsi par exemple, un patient en
présentation visuelle seule avait un pourcentage d'erreurs de dénomination de 60 %,
tandis qu'en reconnaissance tactile de l'objet (caché visuellement par un écran), le
taux d'erreur avait pratiquement disparu et finalement, si les deux modalités,
visuelle et tactile étaient à l'œuvre, le score du patient reflétait la « contamination »
visuelle et était à nouveau déficient (Bauer, 1993). Un des exemples les plus connus
de performance contrastée entre vision et toucher est le cas du médecin agnosique
(déjà cité) qui décrit l'objet qu'on lui montre comme « un long tube avec une chose
ronde au bout » et qui répond dès qu'il le touche « c'est un stéthoscope ! » (Rubens
et Benson, 1971, in Farah, 1990). Un stéthoscope est un objet qu'un médecin voit
tous les jours, cependant, si l'examinateur présente un stéthoscope, ou tout autre
objet rarement rencontré dans la vie quotidienne à un patient, il faut s'assurer qu'il le
connaît. Les patients hospitalisés sont normalement familiarisés avec les objets
utilisés tous les jours à l'hôpital, cependant, ils seront en mesure – s'ils ne sont pas
agnosiques – de décrire leur utilisation plutôt que de les nommer. Si l'on présente un
objet inconnu ou très peu familier, comme par exemple un pied à coulisse, le patient
sera incapable de le « re-connaître » dans une quelconque modalité sensorielle, ne
pouvant répondre autrement que par la description physique vue et palpée de l'objet
et, probablement, en disant « je ne sais pas », après avoir entendu ou lu sa définition.
Cette remarque caricaturale sert à souligner l'importance de la prise en compte de la
familiarité du stimulus dans toute tâche de reconnaissance, dans tous les domaines
de la neuropsychologie et quel que soit le niveau culturel du patient. Revenant sur
les « contaminations » visuelles sur la reconnaissance dans d'autres modalités,
l'examinateur ne peut formuler aucune conclusion si les explorations tactiles ou les
descriptions verbales ont eu lieu alors que l'objet était exposé à la vue du patient.
– Le traitement perceptif dans l'agnosie visuelle, comme l'a démontré la recherche
depuis une vingtaine d'années, est défectueux. En effet, à la lumière des données
publiées à partir des années 1980 (Humphreys et Riddoch, 1987, Farah, 1990, entre
autres), il existe au moins 7 arguments à l'encontre des affirmations des années 1960
(Teuber, 1968) relatives à une préservation quantitative et qualitative du traitement
perceptif. La confusion peut résulter du fait que quelques patients ont une capacité
perceptive qui semble, à première vue, préservée, comme le montrent les scores
normaux obtenus par ces patients quand ils réalisent des tâches de jugement
perceptif (« identique ou différent ? ») et des copies d'objets. Leurs dessins ont
parfois une précision de détails surprenante, compte tenu du fait que les patients ne
sont pas capables de reconnaître ce qu'ils ont dessiné. Cependant, les analyses
qualitatives détaillées de la production des patients sont très claires :
- Les stratégies utilisées pour la copie, montrent un effort disproportionné qui
se traduit par l'allongement considérable du temps à cause d'une reproduction
servile (copie au trait par trait). Ainsi ce n'est pas un modèle global qui est
copié mais des fragments qui sont plus ou moins fidèlement (et très
laborieusement) rassemblés.
- Cette influence se traduit par une sensibilité à la qualité et à la richesse
visuelle présentes dans le stimulus : le score en reconnaissance est plus
déficitaire pour les dessins en noir et blanc, il est souvent amélioré pour les
photos en couleur d'objets et encore meilleur pour les objets réels.
- La constatation des erreurs morphologiques et la quasi absence des erreurs
sémantiques, est aussi un argument fort du traitement perceptif compromis
comme il a été commenté plus haut, à propos des critères de séparation des
troubles agnosiques et aphasiques. Levine (1978, in Farah, 1990) analyse les
réponses de son patient FZ à 300 objets et images d'objet (le nombre élevé de
stimuli est nécessaire, une conclusion sur un nombre réduit de réponses serait
méthodologiquement inacceptable), en les classant en plusieurs catégories. Les
résultats montrent : 80 réponses correctes, 51 erreurs visuelles globales, 33
erreurs visuelles dues à un élément partagé, 39 absences de réponse et pour le
reste, les réponses étaient soit des persévérations, soit n'avaient aucune relation
avec le stimulus. Farah, pour sa part, donne un exemple que l'on trouve très
souvent dans la clinique, il s'agit des erreurs différentes mais toutes visuelles
portant sur un même objet (le dessin d'une batte de baseball est identifié
comme un couteau, un thermomètre et une rame).
- D'autres recherches indiquent que les variables physiques du stimulus
influencent les probabilités d'erreurs. Ces variables tiennent principalement à la
complexité de la configuration qui inclut la ressemblance morphologique entre
deux items (Bauer, 1993).
- Les patients sont incapables de différencier les figures possibles des figures
impossibles. Ratcliffe et Newcombe (1982) ont demandé à leur patient et à des
sujets sains de copier des figures possibles et impossibles en mesurant le temps
nécessaire pour chaque type de stimulus. En comparant ces temps, ils ont
conclu que les copies de leur patient étaient réalisées en employant des temps
similaires qu'il s'agisse des figures possibles ou des figures impossibles. En
revanche, les sujets sains avaient besoin de beaucoup plus de temps pour les
figures impossibles. Cette observation montre que la production du patient ne
bénéficiait pas de la structure globale du modèle qui, dans la perception
normale, guide la copie.
- Humpreys et Riddoch (1987) ont étudié le patient HJA avec une précision de
détails exceptionnelle. Ce cas nous sert à double titre : pour illustrer un aspect
de plus du traitement perceptif compromis, et pour montrer la difficulté de
l'étude clinique de l'agnosie visuelle. En effet, concernant ce dernier point,
Humpreys et Riddoch, après 11 pages de description du patient, concluent qu'«
il est clair qu'il souffre d'une agnosie visuelle. Cependant, la classification de
John (HJA) comme un patient agnosique n'est que le début de notre tentative
de comprendre pourquoi il trouve la reconnaissance visuelle si difficile » (p.
36, italiques ajoutées). Concernant le traitement perceptif touché, ce patient,
alors qu'il remplit les conditions définitoires de l'agnosie associative, a des
déficits perceptifs variés : il a besoin de 6 heures pour copier une esquisse de la
cathédrale Saint-Paul de Londres, à partir d'une lithographie qu'il a dans son
salon. HJA montre une grande difficulté d'intégration des traits dans le dessin
(Humphreys et Riddoch ont proposé, à partir de cette étude la nouvelle
classification d'agnosie intégrative). La forme cohérente (ou la bonne forme
des gestaltistes) n'a pas d'influence sur son temps de réaction comme c'est le
cas pour les sujets normaux. Ainsi, dans un exemple où un ensemble composé
de la lettre T est présenté avec la consigne de détecter la présence ou absence
de ┴, ils obtiennent les résultats suivants : les sujets sains ont des temps de
réaction (TR) extrêmement rapides lorsqu'ils détectent son absence (la
détection de sa présence prend plus de temps) dans des configurations « bonnes
» (un cercle) mais ils n'ont pas de différence en TR pour détecter l'absence ou
la présence du ┴ si la configuration est aléatoire. Quant au patient, ses TR ne
montrent pas de changement quelle que soit la configuration dans le sens de la
gestalt, et quelle que soit la consigne.
- Enfin, un critère éminemment clinique qui va à l'encontre de la préservation
quantitative et qualitative du traitement perceptif est l'introspection spontanée
du patient. Nous constatons des phrases comme par exemple, « J'ai comme
l'impression que mes lunettes ne sont plus bonnes mais pas toujours... parfois
vos dessins sont clairs, parfois je ne sais plus » (observations personnelles). «
Je dois utiliser ma tête pour interpréter ce que je vois. Mes yeux faisaient ça
avant » (le patient de Rubens et Benson, 1971, cité par Farah, 1990).

L'évaluation des agnosies aperceptives telles qu'elles sont décrites par Farah
(1990) est réalisée au moyen de tâches qui testent la perception de la forme (Test de
figure–fond de la VOSP, Test d'Effron), selon les cas, au moyen de tests de contours
illusoires, de figures enchevêtrées, etc. (voir plus haut). L'ensemble des différents
éléments est testé à l'aide d'images de scènes mais il est utile de commencer par
deux ou trois figures simples présentées sur une feuille. Le nombre d'objets qui sont
perçus et le nombre de ceux qui sont reconnus peuvent être évalués avec différentes
images composées (comme les exemples donnés de l'évaluation de Luria et de
Tyler). L'agnosie aperceptive dans la classification de Warrington est
remarquablement bien testée avec la section visuo-perceptive de la batterie VOSP.
Dans le cadre de l'agnosie associative, les troubles de la reconnaissance visuelle
sont testés à l'aide des mêmes objets en 3 versions : des dessins, des photographies
en couleur et des objets réels. Une grande variété d'autres tâches sont aussi utilisées
(voir la présentation des cas).
Les difficultés d'accès sémantique à partir de la vision sont évaluées chez le
patient agnosique en faisant varier la forme d'exemplaires de la même catégorie
(e.g. un glaïeul et une marguerite) au moyen de tâches d'appariement dans l'exemple
des mêmes catégories, de groupement des différents membres d'une même catégorie
(par exemple, des cartes contenant des dessins de 10 animaux, 10 meubles, 10
vêtements, etc.) et de jugement du poids ou de la taille des objets (par exemple, on
demande quel est l'objet le plus lourd en montrant des images d'objets qui ont la
même taille sur les photos, comme celles d'un timbre poste, d'une pince à linge et
d'une épingle de nourrice).

Troubles de la reconnaissance des visages

Pour le sujet qui a une reconnaissance normale des visages, ceux-ci constituent
une source d'information instantanée et incomparablement plus riche que toute autre
catégorie d'objets. Un coup d'œil suffit pour « lire » l'âge, le sexe, la direction dans
laquelle la personne regarde, l'expression neutre ou émotionnelle, la familiarité d'un
visage connu, et dans ce cas, de son identité. Cette richesse d'informations à partir
des visages, va de pair avec l'importance que nous leur accordons dans notre
comportement et nos interactions avec les autres. Le statut des visages est unique
pour l'intérêt qu'ils suscitent, pour le niveau extraordinaire d'expertise de
mécanismes de reconnaissance dont ils sont l'objet et pour leur importance au sein
de la biologie théorique. Ces caractéristiques sont à l'origine d'une série de questions
concernant l'organisation cérébrale qui sous-tend leur traitement visuel.

Les antécédents historiques des observations cliniques, contrairement à d'autres


branches de la neuropsychologie, datent seulement du siècle dernier ; bien qu'il
existe quelques observations dans la neurologie du XIXe siècle à propos de patients
souffrant d'une incapacité de reconnaître des visages, il s'agissait de malades qui
présentaient un contexte d'agnosie plus large et sévère. Par ailleurs, des troubles de
l'analyse visuelle des visages ont été décrits chez les patients atteints d'un déficit de
la discrimination de la forme et d'un phénomène d'illusion optique sous forme de
sensations de déformation des objets (les métamorphopsies). Ces dernières sont
observées au cours de certains tableaux neurologiques, qui semblent affecter
particulièrement la perception des visages (voir Labrecque, 1996). Il est possible
que les troubles de la perception visuelle, dans un tableau de déficit général, soient
plus accentués pour la perception faciale, en raison de la plus grande complexité
visuelle que comportent les visages.
Le premier auteur qui décrit un trouble de la reconnaissance des visages connus
dans un contexte relativement sélectif, est Bodamer en 1947, à qui l'on doit aussi
l'utilisation ciblée du terme prosopagnosie (du mot grec prosopôn : visage, sans
connaissance du visage). L'expérience clinique indique que, dans certains cas, il est
nécessaire aussi d'évaluer la perception de visages inconnus, bien que « par
définition », les patients prosopagnosiques réalisent ces tests normalement. Le
trouble de la reconnaissance des visages familiers peut passer inaperçu lors d'une
évaluation de routine, mais il peut arriver qu'en raccompagnant le patient à la salle
d'attente, son comportement hésitant, sa manière de regarder les chaussures des
gens, par exemple ou son changement d'expression en entendant la voix de la
personne qu'il cherche, etc. éveillent l'attention du clinicien. Une fois le trouble
détecté, on constate que les réponses des patients sont parfois très caractéristiques :
un des patients d'Hécaen et Angelergues (1962), en regardant la photo de son
mariage, disait qu'il voyait 2 personnes, que l'une d'elles était peut-être sa femme
puisqu'elle avait sa silhouette et, si c'était sa femme, alors l'autre personne devait
être lui-même.
Les lésions qui provoquent ces déficits ont été localisées dans les régions
temporo-occipitales, sachant que certains cas de la littérature présentent des lésions
bilatérales (Damasio et al., 1982), d'autres des lésions dans l'hémisphère droit
uniquement (Benton, 1990). D'après Moscovitch et al., (1997) les propriétés
structurelles des visages impliqueraient le gyrus fusiforme latéral droit, alors que le
traitement sémantique et celui des attributs caractéristiques des visages, seraient
sous-tendus par les gyri fusiforme et parahippocampique droits. Il a été suggéré que
le soubassement neural est bilatéral mais qu'une lésion à droite peut s'avérer cruciale
pour l'apparition du déficit alors qu'une lésion uniquement dans l'hémisphère gauche
ne serait pas suffisante. Les études chez le sujet sain, en neuroimagerie fonctionnelle
(Haxby et al., 2001) montrent des activations amplement distribuées au sein du lobe
temporal ventral avec un chevauchement important entre visages et objets. Ces
études confirment la localisation au sens large et donne un aperçu totalement
nouveau de l'organisation neurale de la reconnaissance mais elles ne peuvent se
prononcer sur des zones éventuellement critiques pour lesquelles il faut continuer à
compter sur les données issues de la clinique.
L'étiologie de la prosopagnosie est souvent celle des AVC bilatéraux, de l'artère
communicante postérieure, mais aussi de l'encéphalite herpétique, de l'hypoxie et
des processus neurodégénératifs de la maladie d'Alzheimer.
Indépendamment de la sévérité du trouble, les patients qui ne souffrent pas de
déficits de la discrimination de la forme, reconnaissent les visages comme tels,
l'échec se situant au niveau de la reconnaissance d'un visage en particulier. Compte
tenu du fait que ces patients ont des performances relativement préservées aux
tâches des visages inconnus, une des interprétations de la prosopagnosie postule un
déficit mnésique. Bien que l'impossibilité d'apprentissage de visages nouveaux,
amplement montrée par les patients prosopagnosiques, accorde plus de poids à
l'interprétation en relation avec l'amnésie, elle est contestée sur la base de plusieurs
autres observations cliniques. Les patients prosopagnosiques, à la différence des
patients amnésiques, montrent des difficultés à traiter les configurations visuelles.
Par ailleurs, les patients sévèrement amnésiques ne sont pas toujours
prosopagnosiques pour les visages devenus familiers avant la maladie. Enfin, ni
l'amnésie rétrograde, ni l'amnésie antérograde n'effacent tous les souvenirs et toute
possibilité d'apprentissage ; en revanche, la prosopagnosie, chez certains patients,
est absolue et ce, indépendamment de la période de vie, de la dimension
émotionnelle et du lien avec les personnes qu'ils ne reconnaissent plus.
En 1986, Bruce et Young proposent un modèle cognitif qui intègre une série de
données de la psychologie cognitive et de la clinique neuropsychologique.
Ce modèle permet de situer différentes étapes de traitement de l'information des
visages en parallèle, une fois que l'analyse structurale est complétée. Ces processus
comprennent : a) les unités de reconnaissance des visages, b) des codes d'identité
des personnes individuelles, c) l'analyse des expressions faciales, importante dans la
communication et qui peut être endommagée de manière relativement isolée, sans
que la reconnaissance des visages soit altérée, d) l'analyse des mouvements faciaux
de la parole ou de la lecture labiale et e) le traitement de la direction du regard. Les
unités de reconnaissance des visages comparent les produits de l'analyse structurale
(un code abstrait) avec les visages stockés dans ces unités (voir la figure 10).
Au cours des vingt dernières années, des données d'origine différente ont enrichi
le modèle de Bruce et Young. Des études au moyen des potentiels évoqués (PE) ont
détecté un marqueur spécifique des visages à N170 (réponse évoquée sous forme
d'une onde négative, donc vers le haut, observée 170 ms après la présentation du
visage). N170 est trop précoce dans le traitement de l'information pour être
influencée par la familiarité du visage, dont la réponse a été située entre 250 et 500
ms. N170 doit correspondre, dans le modèle, aux codifications structurales
abstraites et dans les réseaux neuronaux au niveau des régions occipito-temporales
ventrales. N170 apparaît dans l'hémisphère gauche si le visage présenté a la bouche
ouverte comparativement à une bouche fermée. Ce résultat est interprété en terme
de préparation à la lecture labiale liée à la communication verbale. Par ailleurs,
N170 est détectée dans l'hémisphère droit dans le cas où le regard de l'observateur
bouge par rapport au regard fixe du stimulus, mettant en évidence les mécanismes
qui traitent la direction du regard d'autrui dans une configuration globale (Puce et
al., 2000). Ce traitement des mouvements spécifiques du visage (représentés par
deux modules dans le modèle) doit correspondre aux réseaux neuronaux qui sous-
tendent les mouvements biologiques, dans les régions temporales supérieures.
Des suivis de cas en neuropsychologie cognitive ont mis en évidence une
dissociation entre, d'une part, la capacité de reconnaître un visage connu avant la
lésion, et l'incapacité d'apprendre à reconnaître des visages nouveaux, d'autre part.
Une deuxième dissociation a lieu entre la production et la reconnaissance des
expressions faciales. Par ailleurs, certains auteurs ont suggéré une double voie des
tracts nerveux temporaux ventraux d'accès au traitement des visages, l'une
spécialisée dans l'obtention des données sémantiques, l'autre orientée vers la
production des réponses affectives appropriées. Cette conclusion émerge de la
double analyse des patients cérébro-lésés et des patients psychiatriques qui souffrent
du syndrome de Capgras (le délire qui affecte le patient est de croire que ses proches
sont remplacés par des imposteurs ; Breen et al., 2000).
Enfin, Barton et collaborateurs (2004) étudient les capacités résiduelles, non
conscientes, de reconnaissance des visages dans des cas de prosopagnosies
aperceptive et associative. Les auteurs utilisent deux méthodes d'amorçage, l'une
directe (par exemple, le classement de visages selon deux métiers, le monde du
spectacle et celui de la politique) et l'autre indirecte (par
Figure 10
. Modèle cognitif du traitement des visages proposé par Bruce et Young
(1986)
exemple, décider si un nom célèbre est celui d'un acteur ou d'un politicien). Le
temps de réaction est modulé par la présentation préalable soit du visage cible, soit
d'un visage distracteur ayant des caractéristiques proches ou éloignées de celles du
visage cible. Leurs résultats montrent que seule une patiente prosopagnosique
associative présente une nette dissociation dans sa performance, à savoir un score
excellent pour les tests d'approche directe et aucun bénéfice de la présentation
préalable d'un visage cible sur la tâche de classement des noms célèbres (i.e.,
méthode indirecte). Ce résultat suggère que la méthode directe, par la présentation
des visages, active l'information sémantique qui est préservée et permet par la suite
de classer la personne selon son métier sans difficulté. Par contre, si le stockage
mnésique des visages est dégradé, le classement des noms selon un métier ne
bénéficie pas de la présentation préalable du visage cible, car la direction du
traitement de l'information (opposée à celle de la condition directe) suppose ici un
accès à un lieu de stockage très affaibli. Contrairement au cas de la patiente
prosopagnosique associative, les six patients prosopagnosiques aperceptifs
présentent des résultats aux deux méthodes proposées corrélés positivement. Ceci
indique que chez les patients prosopagnosiques aperceptifs, les effets d'amorçages
concernant les visages dépendent, de manière générale, de patrons similaires
d'activité neurale résiduelle.

L'évaluation du traitement perceptif des visages inconnus, est réalisée avec le test
de Benton et Van Allen (1968) qui comprend des tâches d'appariement du même
visage vu sous différents angles et qui, par ailleurs, permet de présenter des tâches
de jugement de l'âge approximatif des visages photographiés de manière à masquer
tout autre indice comme les cheveux, les vêtements, etc.
L'évaluation de patients souffrant de prosopagnosie est réalisée à l'aide de
photographies de personnages célèbres : en fonction de la gravité du cas, on
demande au patient de les dénommer (un patient sévèrement prosopagnosique,
examiné dans l'équipe de Freda Newcomb, à la Radcliffe Infirmary, Oxford, avait
reconnu un seul visage sur une cinquantaine, celui de Margaret Thatcher !). Plus
souvent, on demande au patient de classer les personnages par profession ou en
termes de célébrité passée et actuelle. Si possible, on teste aussi sa reconnaissance
des visages de ses proches.

L'aphasie optique

Nous avons vu que l'agnosie associative est une incapacité à reconnaître les objets
vus en présence d'une bonne reconnaissance dans les autres modalités sensorielles.
Dans ce cadre général, la définition de l'aphasie optique est la difficulté à dénommer
l'objet relativement bien reconnu et ce, malgré la dénomination intacte lors de la
présentation de l'objet dans d'autres modalités. Nous savons que le patient aphasique
optique reconnaît visuellement l'objet qu'il ne dénomme pas, parce qu'il décrit les
caractéristiques sémantiques absentes de l'information visuelle. Ainsi, si l'on
présente une cuillère, le patient agnosique la décrit comme « c'est brillant, il y a une
partie allongée et l'autre arrondie » ; le patient aphasique optique la décrit comme «
c'est pour manger la soupe » (cependant, il n'est pas aphasique tout court, puisque, à
la différence d'un patient aphasique, il dénomme l'objet s'il le touche ou si on lui en
fournit une description verbale).
Le terme d'aphasie optique a été introduit par Freund en 1889 pour décrire l'un de
ses patients qui présentait une hémianopsie latérale homonyme droite et des troubles
aphasiques comme conséquence d'une tumeur dans la région pariéto-occipitale
gauche. Plusieurs patients rapportés dans la littérature souffraient d'AVC affectant
l'artère cérébrale postérieure à gauche. La revue de la littérature réalisée par Iorio et
al., (1992) aide à clarifier la question de la différence anatomique entre l'agnosie
visuelle associative et l'aphasie optique. En effet, les auteurs rapportent que 59 % de
patients agnosiques présentaient une lésion temporo-occipitale bilatérale alors que
41 % avaient une lésion unilatérale. En revanche, tous les patients aphasiques
optiques présentaient une lésion uniquement gauche. Le diagnostic différentiel entre
ces deux syndromes est difficile uniquement dans les cas de lésions unilatérales et il
peut s'avérer d'autant plus délicat que les patients présentent souvent,
indépendamment du syndrome, une hémianopsie latérale homonyme droite, une
hémiplégie ou hémianesthésie droite et des troubles du langage, notamment
immédiatement après l'accident vasculaire cérébral.
D'un point de vue théorique, l'agnosie visuelle associative implique, comme nous
l'avons décrit plus haut, un déficit d'accès au système sémantique unique par la
vision ou bien, d'après la théorie des systèmes sémantiques séparés, il s'agirait d'une
détérioration du système sémantique visuel. Dans l'aphasie optique, nous sommes
loin d'une position théorique consensuelle :
- Une série d'auteurs ont considéré l'aphasie optique comme une forme légère
d'agnosie associative. Dans ce courant, Riddoch et Humphreys (1987)
s'accordent à dire qu'il s'agit d'une forme d'agnosie associative, définie comme
un déficit d'accès sémantique (la différence entre cette forme et l'agnosie
associative n'est donc pas très claire). Il est intéressant de noter que pour
Geschwind (1965), l'agnosie visuelle n'est rien d'autre qu'une aphasie optique.
- Une deuxième interprétation théorique de l'aphasie optique est celle de
Larrabee et al. (1985) qui situent le déficit fonctionnel entre le système
sémantique et le lexique phonologique de sortie.
- Pour leur part, Farah (1990), et Manning et Campbell (1992) ont interprété
l'aphasie optique comme l'effet sur-additif de deux lésions fonctionnelles
légères, l'une dans l'entrée de l'information visuelle au système sémantique,
l'autre, à la sortie de ce système vers le lexique. L'information visuelle
légèrement altérée au sein du système sémantique devient déficitaire si une
nouvelle lésion s'y ajoute.
- Dans le cadre des deux systèmes sémantiques, Beauvois (1982) a interprété
l'aphasie optique comme une déconnexion du lien de la sémantique visuelle à
la sémantique verbale (le lien reste fonctionnel dans le sens verbal/visuel, faute
de quoi il serait impossible que les patients puissent effectuer des tâches de
désignation sous consigne verbale).
- Coslett et Saffran (1989) dans un des articles les plus intéressants sur
l'aphasie optique, l'interprètent en termes de déconnexion fonctionnelle des
systèmes sémantiques des hémisphères cérébraux. Les objets non dénommés et
les mots non lus seraient traités par la sémantique de l'hémisphère droit,
traitement qui n'a pas d'accès à l'hémisphère gauche en raison des lésions
affectant les réseaux nerveux qui rendent possible la transmission
interhémisphérique. Cette interprétation se situe dans la conception du
syndrome de déconnexion de Déjerine (1892) et Geschwind (1965, voir
chapitre 4).
- Finalement, Davidoff et De Blesser (1993) proposent un modèle dans lequel
l'information analysée dans le système de descriptions visuelles structurales va
directement au lexique phonologique de sortie, en utilisant les données qui
concernent la couleur. La lésion fonctionnelle située dans cette voie directe
permet d'expliquer les caractéristiques de l'aphasie optique et de séparer les
patients qui sont sensibles à la qualité visuelle de l'objet de ceux qui ne le sont
pas. Il faut dire, cependant, que la qualité visuelle des objets n'a pratiquement
pas d'influence dans l'aphasie optique.
Une différence importante entre l'aphasie optique et l'agnosie visuelle est que les
erreurs du patient aphasique optique sont, pour la plupart, des erreurs sémantiques,
indicatives de la reconnaissance visuelle correcte de l'objet. Cependant, ces patients
ne sont pas aphasiques anomiques puisque (comme cela a été déjà indiqué), les
objets sont immédiatement et sans hésitation dénommés dans les autres modalités.
Ceci dit, ces patients ont parfois « des symptômes agnosiques », ils ont alors l'air
perplexe, et il leur arrive de prendre la carte où se trouve le dessin non reconnu et de
la tourner d'un côté et de l'autre. Il est donc nécessaire de s'assurer, pour chaque
erreur de dénomination, que le traitement perceptif est ou non la cause de l'erreur.
L'expérience clinique montre la possibilité de trouver les deux syndromes – aphasie
optique et agnosie visuelle – chez le même patient (voir la présentation de cas).
Une dernière observation concerne le déficit de la dénomination des lettres qui est
observé dans tous les cas publiés (à notre connaissance) d'aphasie optique. Il semble
possible que le trouble de la lecture des lettres, dans l'alexie pure (chapitre 4), soit
qualitativement le même que celui observé dans l'aphasie optique à un degré de
sévérité différent.

Troubles de la reconnaissance de la couleur

Les deux types de déficits de reconnaissance de la couleur, relativement plus


fréquents (tout en restant très rares), sont l'achromatopsie et l'anomie de la couleur.
Le premier est un trouble primaire que le clinicien constate mais n'évalue qu'au
moyen de tests formels non cognitifs, le deuxième, en revanche, peut être bien
caractérisé par des tâches neuropsychologiques variées.

L'achromatopsie est la perte de vision de la couleur due à des lésions situées dans
n'importe quel point du parcours nerveux entre l'œil et le cortex visuel. Dans ce
dernier cas, elles affectent le lobe temporal, concrètement le gyrus fusiforme, et le
lobe occipital, au niveau du gyrus lingual. La grande majorité des patients
achromatopsiques rapportés dans la littérature présentent des lésions bilatérales.
Dans les cas sévères, le patient voit le monde en noir, blanc et certains tons de gris.
Il échoue aux tests formels comme les Planches d'Ishihara et le test de Munsell-
Farnsworth (Munsell-Farnsworth 100 hue test), qui évaluent le niveau perceptif, en
revanche ils peuvent répondre aux questions sur la couleur (Quelle est la couleur de
la neige ?).
Anomie de la couleur. Le patient qui souffre de ce type de trouble est incapable
de dénommer les couleurs qui lui sont montrées sans pour autant être ni aphasique,
ni dyschromatopsique. Ce trouble peut être observé comme étant spécifique à la
modalité visuelle ou spécifique à la catégorie couleur.
Les données des 10 patients de la littérature (Manning et Campbell, 1993)
montrent que les lésions affectent dans tous les cas le lobe occipital gauche, que
tous les patients présentent une hémianopsie latérale homonyme droite
accompagnée d'une alexie pure et, dans quelques cas rares, d'une alexie avec
agraphie. Concernant les tests, la performance au test d'Ishihara de ces 10 patients
est normale, alors que la dénomination des couleurs est déficitaire (c'est la raison
des rapports) et les tâches où le patient doit compléter des phrases en donnant le
nom d'une couleur, sont réussies sans exception.

L'évaluation neuropsychologique de la couleur physiquement présente est


uniquement visuelle puisque, à la différence des objets, les couleurs ne sont pas
manipulables, elles n'ont ni forme, ni sons caractéristiques. Il est cependant possible
de tester les représentations des couleurs stockées en mémoire à long terme, et de
tester l'imagerie visuelle de la couleur et dans ces cas-là, l'évaluation peut être aussi
auditivo-verbale. Les noms de couleurs sont fréquents dans des expressions (e.g.
voir la vie en rose) et des symboles qui n'ont pas d'ambiguïté au sein d'une
communauté culturelle (e.g. rouge : chaleur ; bleu : froid ; vert : écologie ; noir :
deuil, etc.).
Pour évaluer les déficits liés à la couleur, il est conseillé de présenter des tâches
qui intègrent des combinaisons verbales et visuelles :
- Présentation visuelle – réponse non-verbale (appariement des fiches colorées ;
désignation des objets colorés correctement parmi des objets dont les couleurs
sont aberrantes, comme un soleil bleu ou un pneu rose),
- Présentation verbale – réponse non-verbale (désignation des couleurs
nommées par l'examinateur),
- Présentation visuelle – réponse verbale (test classique de dénomination),
- Présentation verbale – réponse verbale (compléter des phrases non ambiguës
comme par exemple, « le ciel est... ; le sang est... » ou des expressions
connues).

Troubles de l'imagerie visuelle 1

La perte d'imagerie visuelle est définie soit comme l'incapacité de reproduction


mentale consciente des événements vécus auparavant, soit comme l'incapacité de
former des représentations visuelles similaires aux percepts. Les termes imagerie
visuelle/mentale sont utilisés indifféremment, bien que « mental » soit plus ample et
comprenne aussi d'autres modalités.
Le même site lésionnel unilatéral, dans l'hémisphère gauche, est rapporté dans le
cas d'aphasie optique et dans celui de perte d'imagerie visuelle (Manning, 2000 ;
Riddoch, 1990).
La perte d'imagerie visuelle, d'un point de vue cognitif, est considérée comme la
conséquence soit d'un déficit du stockage de mémoire visuelle à long terme
(MVLT), structure à partir de laquelle on obtient l'information visuelle nécessaire
lors du processus d'imagerie visuelle, soit comme le résultat d'un trouble du
processus de génération d'images reliant la MVLT avec le buffer visuel (Farah,
1984).
L'une des questions les plus débattues au sein des théories de l'imagerie visuelle
est de savoir si elle implique nécessairement des représentations visuelles similaires
aux représentations rétinotopiques du cortex occipital ou bien s'il s'agit de
représentations plus abstraites (verbales/propositionnelles) plus proches du
fonctionnement du cortex temporal ventral. Les résultats sont loin d'être univoques.
Ainsi D'Esposito et al. (1997) observent surtout une activation du cortex temporal
inférieur gauche (BA 37) et du cortex visuel associatif (BA 19) chez 7 sujets sains
lors de tâches d'imagerie visuelle en imagerie par résonance magnétique
fonctionnelle. Dans aucun cas, ces chercheurs ne détectent des activations du cortex
visuel primaire. Au contraire, les résultats de Kosslyn et al. (1999) font état d'une
activation du cortex visuel primaire (BA 17 ; VI), lors de tâches d'imagerie mentale
dans une expérience réalisée en tomographie par émission de positons et lors de la
stimulation magnétique trans-crânienne. L'activation observée semblait
superposable à celle produite par la reconnaissance visuelle. Dans une série de
travaux, l'équipe de Kosslyn conclut qu'il existe un gradient postéro-antérieur
d'activation occipitale en fonction de la taille du stimulus à imaginer ; ce gradient
respecterait les règles de l'organisation rétinotopique du cortex visuel primaire.
Les observations cliniques aident à éclaircir le débat. La plupart des patients
agnosiques visuels présentent aussi une perte d'imagerie mentale. C'est cette
association des déficits qui guide les conclusions de Farah (1984) concernant la
lésion fonctionnelle des représentations visuelles stockées en mémoire à long terme.
L'implication est que les mêmes représentations visuelles sont recrutées pour
reconnaître un objet et pour l'imaginer : la reconnaissance visuelle et l'imagerie
mentale partageraient, dans cette perspective, les mêmes sous-composantes
cognitives et les mêmes substrats anatomiques. Cette suggestion s'est trouvée
fortement confortée par des cas qui présentaient des troubles du même paramètre
visuel dans les deux fonctions ; par exemple, les patients qui présentent une
dissociation entre le traitement de la couleur, altéré, et celui de la forme, préservé,
aux tests de reconnaissance et d'imagerie visuelles (De Vreese, 1991). Par ailleurs,
l'examen d'un patient ayant subi une lobectomie occipitale unilatérale, a mis en
évidence la même réduction de l'angle visuel en perception et en imagerie mentale
(Farah et al., 1992).
Cependant, malgré les données en faveur de composantes communes, l'approche
de Kosslyn et Farah est nuancée, voire contestée par d'autres observations cliniques.
En effet, il existe des patients qui présentent un déficit isolé de l'imagerie mentale et,
fait plus surprenant, d'autres qui présentent un déficit isolé de la reconnaissance
visuelle. Les patients qui présentent une perte sélective d'imagerie visuelle indiquent
une séparation des deux fonctions mais n'invalident pas le modèle proposé par Farah
(1984) puisque la composante – processus de génération d'images qui est lésé chez
ces patients – est exclusivement reliée à l'imagerie mentale dans le modèle.
L'interprétation cognitive de ces patients suggère ainsi (en même temps qu'une
atteinte de ce processus), la préservation de la MVLT et du buffer visuel, ces deux
structures étant nécessaires aux deux fonctions.
Cependant, Riddoch (1990) rapporte un cas de déficit sélectif d'imagerie mentale
qui était, de surcroît, limité à l'imagerie spatiale (rotation de l'image), alors que
l'assemblage mental des items présentés visuellement était normal. Riddoch propose
de redéfinir le modèle de Farah puisque la dissociation observée ne peut être
expliquée sans introduire des modifications pour différencier, par exemple, le buffer
visuel d'un buffer d'images mentales.
Autrement importante dans la validation du modèle de composantes partagées est
l'existence du tableau clinique inverse, à savoir une agnosie visuelle avec
préservation de l'imagerie visuelle. Les patients ayant ce profil constituent, en effet,
la démonstration de la séparation des mécanismes cérébraux, et donc cognitifs, de la
reconnaissance et de l'imagerie visuelles. L'étude approfondie de deux patients a été
rapportée dans la littérature : le cas de Madame D, étudié par Bartolomeo et al.
(1998) et l'étude de Behrmann et al. (1994). La patiente de Bartolomeo et al.,
présentait une lésion bilatérale du cortex extrastrié. Son imagerie visuelle était
intacte et vivace pour une variété importante de stimuli (objets, visages, lettres), les
mêmes qu'elle était incapable de reconnaître en présentation visuelle. Sur cette
observation les auteurs concluent que la reconnaissance et l'imagerie visuelles
fonctionnent de façon indépendante et sont indépendantes du point de vue
anatomique.
Pour leur part, Behrmann et al. (1992 ; 1994) ont étudié le patient CK, victime
d'un traumatisme crânien. L'IRM du patient ne montrait pas de lésion focale mais un
amincissement du cortex occipital bilatéral. CK ne pouvait reconnaître les objets
qu'il voyait alors qu'il était fort capable de définir les objets à partir de leur nom et
de les dénommer en présentation tactile. De façon plus pertinente pour la critique du
modèle, il était capable de dessiner spontanément et ses dessins étaient
remarquablement bien réalisés. Cependant, tout comme pour les autres objets, il
était incapable de reconnaître ses propres dessins (condition qui fait penser à la
version non-verbale de l'alexie pure). Behrmann et al. (1994) concluent que les
représentations visuelles à long terme doivent être conceptualisées en tant qu'un
ensemble qui possède deux accès séparés selon deux fonctions, un accès en relation
avec la génération des images et l'autre avec la reconnaissance des objets. D'un
point de vue plus général, ces auteurs interprètent la dissociation agnosie
visuelle/imagerie mentale, en terme de distinction entre les étapes de la
reconnaissance visuelle et de l'imagerie mentale. La première est fortement
influencée par des étapes précoces (encodage, détection des limites, orientation) et
intermédiaires (séparation figure/fond, assemblage) tandis que la seconde,
indépendante des stades précoces, moins dépendante des stades intermédiaires, et
plus centrée sur l'étape tardive qui implique l'activation des connaissances
sémantiques stockées à long terme. Le postulat d'un système partagé sous-tendant la
reconnaissance et l'imagerie visuelles devrait donc incorporer des sous-composantes
spécialisées pour ces deux différentes fonctions sur la base des données qui
indiquent leur séparation anatomique et fonctionnelle.

Clinique appliquée. Présentation de cas

Aphasie optique avec une agnosie visuelle pour les parties détachées d'un tout et
troubles de l'imagerie visuelle (Manning, 2000)

Monsieur G, né en 1931, droitier, a suivi jusqu'au bout l'école primaire ; il a


travaillé depuis son adolescence dans sa ferme, jusqu'en 1996 où il a souffert d'un
AVC. L'IRM montre une lésion ischémique occipito-temporale gauche, thalamique
gauche et des pédoncules cérébelleux droits. L'examen neurologique indique une
hémianopsie latérale homonyme droite, une hypoesthésie des membres supérieur et
inférieur droits. Des troubles du langage dans les volets expressif et réceptif signalés
immédiatement après son AVC, disparaissent quelques jours après, laissant
cependant des troubles durables de la lecture. Il est transféré deux mois après son
hospitalisation, au centre de rééducation de Soisy-sur-Seine (Île-de-France) où il est
suivi en neuropsychologie.
Les tests généraux montrent un QI verbal de 80 et un QI de performance de 63.
Le décalage des échelles est modéré en raison de la contrainte du temps limité
imposé par les sous-tests de la WAIS-R. La mémoire de reconnaissance verbale
(testée en modalité orale, à cause des problèmes de lecture du patient) est déficiente
à la version facile du test. Sa mémoire de reconnaissance pour la version écourtée
des visages est dans les limites de la normalité. Monsieur G ne présente pas de
troubles praxiques, ni de l'orientation (espace, temps, personne).
Évaluation préliminaire du langage. Son langage spontané est normal quant au
contenu, à la syntaxe et à l'articulation. Monsieur G est très loquace, sa
compréhension est bonne et le dialogue bien suivi. La dénomination en présentation
visuelle est massivement déficiente (1/30). La batterie BDAE montre des scores
normaux aux épreuves verbales qui demandent une réponse verbale (compréhension
auditive = 81/84 et répétition = 28/28). Les tâches de dénomination en présentation
visuelle sont toutes déficientes. L'écriture est préservée, il présente une alexie lettre-
à-lettre.
Évaluation préliminaire de la vision. Ses scores au sous-test figure-fond de la
VOSP et au test d'Effron sont sans faille (20/20 dans les deux cas) et celui au sous-
test de discrimination des figures géométriques (Agniel et al., 1986) est de 8/10, les
deux points perdus venant du ralentissement.
Évaluation préliminaire de l'espace. Les résultats aux 3 sous-tests de la VOSP de
traitement spatial sont normaux (comptage des points = 9/10 ; discrimination de la
position = 20/20 ; analyse des cubes = 10/10).

L'évaluation préliminaire montre que Monsieur G a une compréhension auditive


normale, en revanche sa dénomination en présentation visuelle est déficiente. Par
ailleurs, le fonctionnement visuel élémentaire est normal. La partie expérimentale se
construit sur ces bases et deux questions guident l'évaluation : quelles sont les
relations entre l'aphasie optique et l'agnosie visuelle associative ? Quelle est la
contribution de la reconnaissance des fragments dans la compréhension de l'aphasie
optique ?

Test 1. Évaluation du traitement visuel

Évaluation du système des descriptions structurales

a) Copie de dessins : elle est très fidèle et très laborieuse, elle met en évidence un
accès normal aux parties qui composent le stimulus (voir figure E), à partir d'un
tout.
b) Son score au sous-test Décision d'objet (VOSP) de 17/20 est normal. Ce test
est choisi parce qu'il est le seul de la VOSP qui demande une réponse de désignation
et non pas de dénomination. Ce résultat montre que la vision centrée sur l'objet
(niveau 3-D de Marr) n'a pas été atteinte par la lésion.
c) Le test des vues inhabituelles est présenté en contournant la réponse de
dénomination, il doit apparier la vue inhabituelle avec la vue canonique parmi trois
autres distracteurs. Son score de 19/20 confirme le précédent.
d) Appariement image-mot avec des distracteurs perceptifs. L'objectif de cette
tâche est d'évaluer l'accès au système de descriptions structurales à partir du mot
parlé et dans un contexte de conflit perceptif. (Chacune des 10 planches contient 4
images d'objets qui n'ont pas de lien sémantique et qui ont une grande ressemblance
perceptive.) Son résultat à cette tâche est faible (16/20).
e) Dessin de mémoire. Le but ici est de lui demander la même tâche que
précédemment, à savoir l'accès au système de descriptions structurales des objets à
partir du nom d'un objet nommé par l'examinateur mais, dans ce test-ci, il doit
obtenir l'information visuelle correspondante, dans sa propre sémantique visuelle
(ou mémoire visuelle à long terme). La figure F montre l'impossibilité du patient à
réaliser ce test.
f) Classement d'images. Le patient doit classer, en formant 5 groupes de
catégories différentes, 50 images présentées en vrac (animaux, fruits et légumes,
vêtements, actions et parties du corps). Son résultat est satisfaisant pour 4
catégories, il a des difficultés uniquement pour 4 images des parties du corps (nez,
menton, cheveux et coude), qui sont placées sous d'autres catégories. Quelles
raisons pourraient être à l'origine de cet échec sélectif ? Bien qu'il soit difficile de se
prononcer sur la familiarité subjective des parties d'un objet, en général, nous
savons que les parties du corps et du visage ont une fréquence élevée et qu'elles ne
comportent pas de configuration visuelle complexe.
g) Parties du corps, intégrées au corps. L'image d'un garçon est présentée au
patient avec la consigne de désigner les parties nommées par l'examinateur (son nez,
son coude, etc.), il réalise la tâche sans erreur et sans hésitation tout comme le sous-
test similaire du BDAE.

Commentaire. Monsieur G, d'après ses résultats, ne présente pas de lésion


fonctionnelle dans le système de descriptions structurales puisqu'il est capable de
répondre correctement alors qu'il ne voit que des silhouettes tournées de 45°,
d'apparier des photographies montrant des angles très inusuels par rapport à leurs
vues canoniques, de copier au trait par trait mais fidèlement des dessins, etc. En
revanche, il montre une grande difficulté à « comprendre » certaines parties du
visage ou du corps présentées isolément. Il a également une légère difficulté à
décider, à partir du nom, lequel des objets visuellement proches correspond au nom
et une difficulté sévère à obtenir l'information visuelle à partir de sa mémoire à long
terme.
Sur la base de ces résultats, il est nécessaire de tester sa mémoire visuelle à long
terme, c'est-à-dire sa capacité à traiter sémantiquement les stimuli visuels.

Évaluation du système sémantique

a) Appariement mot-image avec des distracteurs sémantiques. On présente 20


cartes montrant chacune 4 membres d'une même catégorie, visuellement très
différents (e.g. cravate, manteau, gant, chapeau). Le patient désigne correctement
19/20 objets.
b) Test d'accès sémantique à partir de la vision et de l'audition. Ce test utilise soit
des relations catégorielles (e.g. une scie, un marteau et une tasse) soit des relations
fonctionnelles (e.g. un tournevis, une vis et une scie) entre 2 de 3 objets. Lors d'une
première séance des triplets d'objets réels sont présentés, puis dans une seconde
séance les noms de ces 3 objets. Dans les deux séances, le patient doit désigner les
deux objets appartenant à la même catégorie ou ayant la même fonction. Les 60
items présentés dans chacune des modalités visuelle et verbale sont tirés du test de
Riddoch et Humphreys (1987). Les scores du patient montrent un traitement
sémantique préservé qu'il soit en entrée visuelle (53/60) ou verbale (57/60) et
indépendamment des relations catégorielles ou fonctionnelles.
c) Reconnaissance de visages célèbres. Monsieur G suivait les événements
publics uniquement à travers son poste de radio. Dans ce contexte, la tâche
demandée est très simple : former deux groupes (politiciens et acteurs) à partir des
photographies de 10 personnages du passé dont la célébrité est garantie ; son score
est normal. Il est aussi capable de reconnaître 6 personnes avec qui il a un contact
suivi à l'hôpital (kinésithérapeute, ergothérapeute, infirmière, etc.) parmi 14
personnes. Sa reconnaissance est immédiate et correcte.

Commentaire. Les représentations visuelles stockées en mémoire à long terme


sont largement préservées.

Test 2. Évaluation de la dénomination


a) Modalité visuelle uniquement: Test de dénomination de Boston = 18/60 ;
déficient.
b) Comparaison entre les résultats de la présentation visuelle et ceux d'autres
modalités. Dans tous les cas, les items à dénommer sont présentés dans une seule
modalité afin d'éviter des confusions dites « contaminations visuelles ».
Les résultats présentent des pourcentages de réponses correctes sur un nombre de
stimuli variable (entre 21 et 30) :

c) Description libre. Les images que le patient n'a pas dénommées ont été
correctement décrites dans 81 % des cas (exemples : panier → « quand on achète au
marché, on met les courses là-dedans » ; fer à cheval → « je travaillais avec ça
quand j'étais jeune, on chausse le cheval, puis on les fixe... »
Commentaire. Le déficit de dénomination est limité à l'entrée visuelle, cependant,
les descriptions et les réponses correctes écartent le diagnostic d'agnosie visuelle
associative et suggèrent l'aphasie optique. Il reste un doute : les erreurs pour la
catégorie des parties du corps, volet qui doit être testé en détail.

Test 3. Évaluation du traitement visuel des parties d'un objet


a) Appariement parties-catégorie. Les images de sept catégories d'objets sont
présentées en deux séances de la manière suivante : le patient a devant lui un
exemplaire « entier » d'une catégorie donnée (un bus pour la catégorie transports ;
un chemisier pour les vêtements, etc.) et 7 images des parties d'objets appartenant à
l'une ou l'autre des 7 catégories (par exemple, les ailes d'un avion, la partie
supérieure d'un chapeau, etc.). Sa tâche est de placer les images de parties sous
l'exemplaire catégoriel correspondant. Ces images de parties d'objets sont le résultat
de tests chez les sujets témoins et elles ne comportent pas d'ambiguïté, leur clarté
étant essentielle pour la conclusion. Ainsi, 49 items sont présentés dans chacune des
séances et le patient réalise 62/98 appariements corrects face à une moyenne de
88/98 pour un groupe de 12 sujets témoins, la différence étant statistiquement
significative.
Les images que Monsieur G n'a pas réussi à classer, sont montrées sous la forme
normale d'objets entiers à la fin de ce test, où il lui est demandé de désigner les
parties qu'il n'a pas reconnues lorsqu'elles n'étaient pas insérées dans un tout. Son
score est de 68/70.
b) Test des moitiés. On a construit un test de 70 images, 35 présentant les deux
moitiés du même objet et 35 présentant deux moitiés de deux objets différents. La
consigne est d'indiquer si ces parties forment un tout ou non. Le score du patient est
significativement inférieur (55/70), à la moyenne des sujets sains (64,5/70).
Qualitativement, la performance du patient est plus efficace pour les moitiés d'objets
différents que pour celles d'un même objet.

Commentaire. Le traitement visuel des parties est déficient. Monsieur G présente


une agnosie visuelle associative pour les stimuli ne faisant pas partie d'un tout.
Test 4. L'imagerie visuelle
Deux résultats ont provoqué la question d'une possible altération de l'imagerie
visuelle : lors de l'évaluation de routine et afin d'obtenir des données sur la
dénomination auditive (pour confirmer ou infirmer une éventuelle anomie), nous
avons présenté le test de Beauvois (non publié, hôpital de la Salpêtrière). Ce test a
une partie « verbale » que le patient complète sans difficulté, et une partie où les
questions évoquent des attributs visuels et où il semble avoir besoin de réfléchir, de
reposer la question et où il hésite. Le deuxième test suggérant un trouble de
l'imagerie visuelle, le dessin de mémoire, est décrit dans le Test 1 e). À partir de ces
premiers indices, les tests suivants ont été construits et proposés à Monsieur G :
a) Descriptions fonctionnelles versus descriptions visuelles. Une série de 14
images d'objets et 12 images d'animaux (familiers) sont présentées au patient en
deux séances à plus d'un mois d'intervalle. Chaque item est défini en soulignant la
dimension visuelle (e.g. le nom de l'insecte de petite taille, dont le corps est rouge
avec des points noirs ?) ou les caractéristiques de la fonction (Quel est le nom de
l'outil qui sert à clouer ?). Les résultats à ce test confirment la difficulté sélective de
dénomination auditive lorsqu'elle est basée sur l'imagerie visuelle (21 % vs 87 % ;
χ2 = 21.4 ; p < 0.01 ; les sujets normaux ont 100 % des réponses correctes aux deux
tests).
b) Le test des queues d'animaux, adapté de Farah et al., 1988 (voir Manning et
Campbell, 1992). Ce test comporte trois conditions, pour chacune d'elles on
présente les 17 mêmes animaux, soit leur image, soit leur nom. Le patient doit dire
si pour chaque animal sa queue est longue (par exemple, l'écureuil) ou courte (le
lièvre) par rapport à son corps. Lors de la première condition de test en présentation
visuelle, la question est posée devant des images où la queue de l'animal est
masquée. Le patient devait ainsi « compléter » le corps de chaque exemplaire en
utilisant son imagerie visuelle. Dans la deuxième condition, la même tâche est
demandée pour la présentation auditive du nom des animaux. Dans la dernière
condition, dite de contrôle perceptif, la tâche est réalisée pour des images présentant
une vue canonique de l'animal entier. Cinq à six semaines après le test, la condition
en présentation auditive est répétée.
Les résultats montrent que la condition perceptive est la seule où le score est de
17/17. La condition de test visuel est de 8/17 et la condition auditive, un peu plus
efficace, à 12/17, reste significativement différente des scores moyens des sujets de
contrôle (16/17). Le re-test auditif ne diffère pas significativement du précédant.
c) Les tests d'imagerie des couleurs. Le patient a réalisé un test de choix de
couleurs comportant trois types de réponses : désignation, dénomination et
coloriage. Les tâches de désignation visaient surtout l'évaluation d'une éventuelle
achromatopsie ou agnosie de la couleur. Les tâches de dénomination ont permis de
différencier l'accès aux noms de couleurs « visuelles » et « verbales » (voir plus
haut). Finalement, la tâche de coloriage a permis de constater que lorsqu'il existe des
erreurs dans le choix verbal des couleurs pour des objets déterminés, le patient est
incapable de corriger ces erreurs même au vu d'une production colorée.
Commentaire général. Les erreurs du patient lors d'une simple tâche de
catégorisation nous renseignent sur la possibilité d'un déficit de type agnosique lié à
la difficulté d'intégrer les parties dans un tout. À partir de là, une série de tests
démontrent que le stockage de la forme dans le système des descriptions structurales
et dans le système sémantique est pratiquement intact. Cependant, le patient
présente trois types différents de déficits : une aphasie optique pour la plupart des
objets présentés, une agnosie visuelle pour les parties des objets et une perte
d'imagerie visuelle. La présence de l'aphasie optique est inférée à partir de la double
constatation de sa dénomination intacte dans les modalités auditive et tactile d'une
part, et d'autre part de ses descriptions correctes des liens sémantiques associés aux
objets présentés visuellement (ce qu'un patient agnosique est incapable de réaliser).
L'agnosie visuelle, limitée aux parties des objets, est inférée à partir de
l'impossibilité de Monsieur G de grouper par catégories les parties des objets, de
rassembler les deux moitiés formant un objet ou de déduire qu'il s'agissait de 2
objets différents. L'étude approfondie de chaque étape de traitement de l'information
visuelle, rendue possible grâce à la coopération excellente de Monsieur G, nous a
permis de caractériser ces déficits qui sont proches et de mieux cerner leurs limites.
La dénomination des objets décrits sur la base des caractéristiques
sémantiques/fonctionnelles est préservée ainsi que le traitement visuel de la couleur
et la dénomination des couleurs à forte connotation verbale. En revanche, la
dénomination des couleurs « visuelles » est très déficitaire. Ces performances sont
compatibles avec l'interprétation cognitive d'affaiblissement, voire de lésion
fonctionnelle dans les processus ascendants (bottom-up) après les descriptions
structurales et sans affecter le système sémantique lui-même. Par ailleurs, le patient
échoue à la dénomination de l'objet oralement décrit avec profusion d'attributs
physiques et à l'imagerie des couleurs. Ces résultats montrent une incapacité à
utiliser une étape d'imagerie mentale située entre une sollicitation verbale et une
réponse également verbale, et impliquent une lésion supplémentaire des processus
descendants (top-down). Dans certains cas, lorsque les stimuli visuels ne comportent
pas suffisamment d'éléments pour être reconnus d'emblée par le système de
descriptions structurelles, il se met en place une interaction entre le traitement
perceptif et les processus ascendants et/ou descendants. Ainsi, pour reconnaître des
stimuli dégradés, masqués, incomplets, etc., le sujet, très vraisemblablement, doit
avoir recours à la génération d'images, afin de compenser les manques perceptifs
(Farah, 1995). [Processus qu'il ne faut pas confondre avec le recours aux
mécanismes de catégorisation perceptive (sous-tendus par le lobe pariétal droit) qui
sont activés lorsque les stimuli dégradés ou incomplets ont une représentation
visuelle stockée correspondant à leur vue canonique]. Cette double lésion
fonctionnelle chez Monsieur G serait responsable de son échec en reconnaissance
des parties d'un tout. Il existe plusieurs arguments en faveur de cette hypothèse.
Tout d'abord, plusieurs recherches ont montré que le système de descriptions
structurales n'est pas spécialisé dans la reconnaissance des parties du corps (voir
Goldenberg, 1998 pour une excellente revue). Par ailleurs, la double constatation de
notre capacité à reconnaître, par exemple, une oreille comme faisant partie d'un
visage et de notre incapacité à reconnaître cette oreille comme appartenant à une
personne que nous connaissons, indique une absence de représentations visuelles
des parties isolées du visage et tout au moins de certaines parties du corps (Farah,
1990). Étant donné l'importance, dans l'évolution, de la reconnaissance du visage
(Breen et al., 2000) et du corps (Shelton et al., 1998), il est très probable que nos
représentations des parties isolées d'objets, sont a fortiori absentes.

Conclusion

Le présent chapitre décrit différents types d'agnosie visuelle et des troubles de


l'imagerie visuelle. L'agnosie visuelle est, avec ses variantes, la pathologie qui a
reçu le plus d'attention de la part des cliniciens et des chercheurs, par rapport aux
cas d'agnosie auditive et tactile. La validité du concept d'agnosie visuelle est plus ou
moins consensuelle selon la variante étudiée. L'agnosie visuelle associative des
objets est, probablement, la moins controversée et l'aphasie optique la moins
consensuelle. Indépendamment des polémiques d'école, les patients qui présentent
des troubles de la reconnaissance nous aident à comprendre l'organisation
fonctionnelle cérébrale et cette compréhension devrait nous aider à mettre sur pied
des programmes de réhabilitation. Pour cela, il est fondamental que l'évaluation soit
bien réalisée. C'est un truisme de dire que l'examen des domaines complexes et
subtils de la neuropsychologie requiert une solide expérience clinique ; il est peut-
être moins banal de rappeler le besoin d'un constant questionnement vis-à-vis de
chacun des cas cliniques. La cohérence entre les modèles théoriques issus du sujet
sain et les résultats de la neuropsychologie clinique est un point de départ et
d'arrivée qui aide le clinicien à augmenter les chances de validité de ses conclusions.
Nous avons insisté dans le présent chapitre sur les troubles discrets certes, mais
présents, du traitement perceptif chez le patient agnosique associatif. Cette
insistance a pour but de montrer au clinicien une interprétation plus adéquate de
cette condition clinique. En effet, l'étude et l'évaluation des patients agnosiques
bénéficient de la prise en compte des niveaux de déficit perceptif (plutôt que la
présence du déficit tout court ; encore moins, l'absence du déficit perceptif,
considération qui serait erronée). Finalement, nous avons essayé de montrer que
l'imagerie visuelle peut avoir une influence importante dans les processus de
reconnaissance visuelle, influence qui n'est pas toujours prise en considération lors
de déficits gnosiques. En ce sens, le cas présenté a été choisi pour illustrer comment
dans un système perceptif fragilisé par la lésion, le niveau de difficulté perceptive
des tâches proposées et le rôle de l'imagerie visuelle déterminent un tableau
d'agnosie visuelle sélective.
1 Une partie de ce paragraphe a fait l'objet d'une publication (Manning, 2002b).
CHAPITRE 6

Les capacités visuo-spatiales et visuo-constructives

Troubles des capacités visuo-spatiales

Le traitement visuo-spatial normal permet de localiser les objets dans l'espace,


les uns par rapport aux autres et de connaître la position qu'ils occupent,
relativement à nous-mêmes. La lésion cérébrale altère différemment ces
capacités et peut provoquer des conditions cliniques diverses : la désorientation
visuelle, le déficit de l'analyse visuo-spatiale, le syndrome de Balint ou la
négligence unilatérale ; cette dernière avec une série de variantes dont la
négligence spatiale unilatérale est la mieux caractérisée.
Hughlings Jackson propose pour la première fois en 1874 (« On the nature of
the duality of the brain » publié dans la revue Brain, en 1915), l'existence dans
l'hémisphère droit, des fonctions complémentaires de la fonction du langage dans
l'hémisphère gauche. Ces fonctions complémentaires sont spécifiquement
perceptives, dit Hughlings Jackson, et des lésions dans les portions postérieures
de l'hémisphère droit, devraient provoquer un syndrome différent des conditions
observées en cas de lésion dans d'autres zones cérébrales. Son intuition géniale a
dû attendre, pour être confirmée, deux autres pionniers de la neuropsychologie
moderne, Oliver Zangwill en Grande-Bretagne dans les années 1940 et Henri
Hécaen en France dans les années 1950. Ces chercheurs examinent les troubles
du traitement de l'information spatiale dans le cadre théorique du fonctionnement
spécifique de l'hémisphère droit. Avec leurs analyses, le rôle des zones
temporoparieto-occipitales droites est de mieux en mieux étudié et présent dans
la littérature spécialisée. Ces nouvelles perspectives de compréhension de
l'organisation fonctionnelle, aboutissent au concept d'espace cognitif et à la
caractérisation des différentes manières dont la lésion cérébrale peut affecter les
actions : dans l'espace réel et dans l'utilisation de représentations spatiales.

La désorientation visuelle
Le symptôme central qui caractérise ce syndrome de désorientation visuelle,
est l'incapacité de localiser un point dans l'espace. Le trouble de la localisation
est ici isolé puisque ni la détection des stimuli (leur présence) ni la perception du
mouvement ne sont altérées. Les conséquences pour le patient qui en souffre
sont graves : la localisation des points dans l'espace est à la perception spatiale,
ce que la discrimination de la forme est à la reconnaissance des objets. Ainsi, le
patient se trouve face à plus de difficultés que s'il était devenu aveugle puisqu'il
est souvent incapable d'éviter les obstacles sur son chemin. De même, d'autres
activités quotidiennes comme trouver la sortie, sa porte d'entrée ou prendre un
repas, deviennent sinon impossibles, du moins extrêmement difficiles.
Les descriptions faites par Holmes en 1918, de patients qui souffraient de
désorientation visuelle, sont riches d'observations cliniques : ses patients
n'étaient plus capables, en utilisant uniquement la vue, de localiser la position
d'un objet dans l'espace, ni d'estimer la distance entre deux points, ou la taille des
objets. Dans tous les cas, l'information somesthésique était normalement traitée,
comme le montraient leurs réponses rapides et correctes dès qu'ils touchaient les
objets pour juger leur localisation, leur distance et leur taille. Par ailleurs, ils
localisaient correctement des stimulations tactiles sur leur corps et des sources
sonores dans l'espace. À partir de ces descriptions et d'autres qui ont suivi
depuis, on sait que le déficit implique exclusivement l'orientation visuelle. En
effet l'acuité visuelle, la perception des couleurs et même, sous certaines
conditions, l'identification des visages, des lettres ou des dessins superposés,
sont normales.
On constate une préservation dans la modalité tactile, semblable aux cas
d'agnosie associative, qui disparaît lorsque le déficit affecte des niveaux plus
élaborés du traitement spatial à cause du rôle multimodal du lobe pariétal (voir la
sous partie intitulée « Les troubles de l'ananlyse de l'espace »).
Les critères de diagnostic de la désorientation visuelle incluent des déficits de
la discrimination de la profondeur (stéréopsie), de la fixation du regard sur un
objet isolé et de la poursuite visuelle d'un objet. Ces altérations apparaissent dans
le contexte d'une acuité visuelle normale, d'une bonne localisation des sons dans
l'espace et des fonctions somesthésiques et motrices intactes.
Les lésions à l'origine de la désorientation visuelle affectent bilatéralement le
carrefour occipito-pariétal (impliquant surtout les BA 18 et 19, notamment pour
le traitement de la profondeur), localisation lésionnelle qui provoque aussi une
incidence élevée d'hémianopsie bilatérale inférieure. Cependant, les systèmes de
localisation visuelle étant distribués dans les deux hémisphères, il existe des cas
où, secondairement à une lésion unilatérale, les déficits de localisation d'un objet
se limitent à une moitié ou à un quadrant du champ visuel controlatéral. Dans ce
cas de figure, le patient compense le déficit en se positionnant de manière à
réaliser les opérations de localisation spatiale dans les portions intactes de son
champ visuel. Les troubles de la localisation dans l'espace sont quantifiés à l'aide
d'appareils qui mesurent l'écart entre la localisation des points lumineux qui
apparaissent à différents endroits des champs visuels et la désignation de ces
points par les patients.
Cette affection est rare et les cas sévères s'accompagnent d'autres symptômes,
dans l'ensemble connu sous le nom de syndrome de Balint (voir plus bas).

L'évaluation en neuropsychologie est réalisée uniquement avec les patients qui


présentent des résultats normaux à l'examen ophtalmologique. Afin de tester la
localisation simple, le clinicien demande de désigner un objet sur la table ou un
rond coloré sur une feuille blanche. Pour tester la discrimination de la
profondeur, on place deux objets à la même distance et à distances différentes du
patient en lui demandant d'indiquer s'ils sont alignés ou non. En cas d'échec, on
place sa main sur un objet puis sur le deuxième, cette tâche tactile doit être
réussie pour poser le diagnostic. La discrimination de la taille des objets est
testée de manière semblable, en variant la différence de taille entre deux objets,
selon les difficultés du patient.

Les troubles de l'analyse de l'espace

Le déficit de l'analyse de l'espace se manifeste comme l'incapacité d'utiliser


correctement les informations des positions relatives des objets dans l'espace,
alors que le patient ne souffre pas d'une désorientation visuelle comme le montre
sa capacité de localiser des objets isolés. Paterson et Zangwill, en 1944, sont les
premiers à avoir décrit un cas de trouble de l'analyse de l'espace distinct des
troubles de la localisation des objets. Les principales difficultés impliquent les
opérations de comptage, indépendamment du positionnement relatif des items :
qu'il s'agisse de points éparpillés sur une feuille ou qu'il s'agisse de cubes
formant un ensemble. La discrimination de la position d'un élément par rapport à
un point de référence est également difficile, ce qui entrave, chez les patients les
plus affectés, le dessin, la copie et la construction de figures simples. Les
troubles de l'analyse de l'espace peuvent aussi avoir des conséquences dans la
lecture, l'écriture et le calcul posé par écrit.
Les lésions situées dans le lobe pariétal droit, sont le plus fréquemment
rapportées en relation avec l'altération de l'analyse spatiale. Lorsque le patient est
incapable de situer les objets les uns par rapport aux autres, en modalité visuelle,
il en est également incapable par voie tactile. La raison en est, probablement, que
le lobe pariétal postérieur n'est pas seulement impliqué dans l'analyse spatiale
mais qu'il sous-tend un fonctionnement associatif multimodal par excellence et
permet la « fusion » des différentes coordonnées en une représentation unifiée de
l'espace. On en reçoit une confirmation indirecte dans l'agnosie visuelle
associative où c'est le lobe temporal ventral qui est impliqué – et où la
reconnaissance tactile est préservée – et dans la désorientation visuelle, qui
associe prioritairement le cortex occipital associatif unimodal et où le patient est
aidé par le toucher.

L'évaluation de l'analyse de l'espace comprend des tests qui ciblent la


perception des positions relatives des objets. Les trois premiers tests qui sont
mentionnés ici appartiennent à la batterie VOSP de Warrington et James (1991) :
- Le sous-test de discrimination de la position, permet de tester le traitement
de la position des objets dans une situation structurée et de niveau de difficulté
minime. Si le patient réussit cette tâche, le test suivant est présenté.
- Localisation des chiffres. Cette tâche évalue le même type d'analyse que la
précédente, mais au lieu de demander la comparaison entre deux points, celle-ci
propose une opération entre une cible et plusieurs points de référence, l'ensemble
étant composé de chiffres. Le niveau de difficulté étant ainsi plus élevé, le
fonctionnement fragile du patient, peut être détecté, le cas échéant.
- Le sous-test d'analyse des cubes, est le plus difficile de la série spatiale de la
batterie VOSP. Le patient doit inférer un espace tridimensionnel à partir d'une
représentation bidimensionnelle de cubes. Ce test comporte un niveau progressif
de difficulté, ce qui en fonction des cas, peut s'avérer utile pour un suivi.
- Le test d'orientation des lignes de Benton et al. (1983). Ce test, comme le
précédent, comporte un niveau progressif de difficultés. La relation spatiale entre
deux lignes différemment orientées, est évaluée ici très finement. De Renzi et al.
(1971) ont conçu la version tactile du test d'orientation des lignes.

La désorientation topographique

Ce type de désorientation désigne la perte de la capacité de se représenter une


carte spatiale alors que les fonctions visuelles sont intactes. Dans les cas sévères,
le patient a des difficultés à positionner des villes sur une carte, les rues sur un
plan mais aussi avec les parcours qui lui étaient familiers ou même l'arrangement
des meubles dans sa chambre à coucher. Ce déficit a des conséquences
importantes qui entravent la vie quotidienne. Hughlings Jackson, en 1876
(réédité en 1932 par Taylor), décrit le cas d'une patiente qui n'arrivait pas à
retrouver son chemin dans un parc qui lui était pourtant familier, près de chez
elle ; cette patiente avait une tumeur dans le lobe temporal droit.
Le terme de carte cognitive a été proposé pour la première fois par Tolman
(1948). Cette carte est censée être une représentation flexible de l'environnement
qui permet au sujet sain de trouver son chemin entre deux points,
indépendamment de la distance qui les sépare. À la lumière de la clinique, il est
utile d'appréhender le concept d'orientation topographique chez le sujet sain,
comme étant la capacité d'apprendre des parcours nouveaux et, plus
généralement, d'intégrer des ensembles nouveaux de relations spatiales.
Le diagnostic se base premièrement, sur les résultats aux tests cognitifs
(évaluation neuropsychologique étendue) et sur des entretiens avec le patient et
l'un de ses proches. Il s'agit dans les deux démarches d'éliminer un tableau plus
général (début de démence) avant de diagnostiquer une désorientation
topographique.
Plusieurs cas dans la littérature rapportent chez ces patients une
héminégligence visuo-spatiale qui s'ajoute à la désorientation topographique et
explique une partie des difficultés rencontrées dans leurs tentatives de trouver
leur chemin. Cependant, des observations cliniques montrent que les patients qui
présentent un déficit topographique en l'absence d'héminégligence peuvent avoir
également des déficits sévères.
Paterson et Zangwill, dans les années 1940, proposent une division de ce
déficit en agnosie topographique et amnésie topographique. La première se
réfère au patient qui est incapable d'identifier les caractéristiques individuelles
des lieux, immeubles, monuments, etc. tout en étant capable d'identifier et de
reconnaître des catégories d'objets telles que des immeubles, des églises, etc. et
de décrire des parcours familiers. L'amnésie topographique, quant à elle, décrit
les patients qui ont perdu la capacité de reconnaître et d'apprendre des relations
spatiales entre différents repères qui sont, eux, bien identifiés.
Les premiers auteurs à avoir étudié la désorientation topographique de
manière systématique sont, à notre connaissance, Hécaen et Angelergues (1963 ;
les questions qu'ils posaient à leurs patients sont utilisées encore aujourd'hui).
La lésion implique, chez la plupart des patients, le lobe pariétal droit (l'étude
citée d'Hécaen et Angelergues) ou les lobes pariétaux bilatéralement (Ratclif et
Newcombe, 1973). Ce déficit est rare, sa forme sévère se présente plus
fréquemment dans un contexte démentiel.

L'évaluation de la désorientation topographique comprend des tâches de


localisation des villes et des pays sur des cartes et des questionnaires qui sont
préparés au cas par cas. Il est donc nécessaire d'examiner le patient au moins
deux fois. Les questions posées concernent les lieux où il a des difficultés (son
armoire ou le buffet autant que le parcours pour se rendre à l'école de ses petits-
enfants), ses capacités d'orientation avant sa maladie, sa capacité à décrire le
parcours de chez lui à l'hôpital/à la maison de ses amis, etc., à décrire sa chambre
à l'hôpital ou chez lui (voir Manning, 2003).

Le syndrome de Balint

Décrit pour la première fois par Balint en 1909, ce syndrome est défini comme
l'incapacité d'orienter le regard volontairement dans le champ visuel
périphérique, la présence d'une ataxie optique et d'un trouble sévère de l'attention
visuo-spatiale. Les lésions des régions pariéto-occipitales sont bilatérales et
associées à une dysfonction frontale probable (voir plus bas).
Nous allons voir les trois caractéristiques qui ont une valeur diagnostique :
- La paralysie psychique du regard se manifeste par l'incapacité du patient
de diriger volontairement son regard. Lorsqu'il doit chercher un objet avec
le regard, il commence à bouger la tête et ces mouvements, qui semblent ne
pas avoir un but, donnent l'impression au clinicien que le patient n'a pas
compris, alors qu'en réalité, il s'aide de ces mouvements de la tête. Il semble
que les troubles de la paralysie psychique du regard impliquent, en plus du
dysfonctionnement de zones occipitales, les lobes pariétal et frontal ainsi
que des voies cortico-sous-corticales nécessaires au maintien des afférences
visuelles avec les afférences visuo-motrices.
- L'ataxie optique est l'incapacité de saisir ou de pointer un objet sous
guidage visuel, en raison des erreurs de localisation spatiale. Lorsque le
patient essaie de saisir un objet, il positionne le bras/main à une distance
erronée, s'écartant parfois de 50 cm par rapport à l'objet, qui est comme on
l'a dit, vu et reconnu normalement. Plus rarement, l'absence d'une autre
composante du geste de saisie, la préconfiguration de la main, peut être la
cause du déficit, alors que le patient présente un geste du bras normal, avec
une bonne direction et une bonne distance (Jeannerod et al., 1994). Les
patients, rares, qui présentent une atteinte très sévère, ont des difficultés de
saisie et de désignation d'un objet, même si celui-ci se trouve dans leur
vision centrale. En revanche, le patient est capable de désigner, sur lui-
même, les parties du corps mentionnées par l'examinateur puisque le
traitement de l'information proprioceptive est normal. Une autre manière
d'utiliser l'information proprioceptive qui constitue en même temps une
évaluation simple est de tester la saisie manuelle en « boucle ouverte » ce
qui veut dire que le patient ne reçoit pas de feedback visuel. Concrètement,
dans un premier temps (« boucle fermée »), on demande au patient de
prendre un objet placé à la portée de sa main, en périphérie de son champ
visuel. Sans bouger l'objet, dans un deuxième temps (« boucle ouverte »),
on lui demande à nouveau de le prendre mais en plaçant un écran entre sa
vue et son bras de manière à empêcher le guidage visuel. Le patient
ataxique optique réussit uniquement la deuxième tâche.
- Le trouble visuo-attentionnel ou simultagnosie dorsale (voir chapitre 5 ),
affecte principalement les parties périphériques du champ visuel et
provoque un rétrécissement du champ utilisé (l'examen périmétrique est
normal).

La négligence unilatérale

Le syndrome de la négligence unilatérale se manifeste par l'absence de


réponse de la part du patient aux stimuli qui se trouvent dans l'espace
controlatéral à la lésion cérébrale. Heilman et al. (1993), qui décrivent les
différentes manifestations comportementales du syndrome, signalent que
plusieurs types peuvent être présents chez le même patient. Nous allons
développer la négligence unilatérale suivant ces auteurs dont l'œuvre est
considérée comme référentielle dans ce domaine.

1) Le patient qui souffre d'une négligence attentionnelle (appelée aussi


négligence sensorielle) n'a plus conscience des stimuli qui se trouvent dans
l'hémi-espace controlatéral à la lésion sachant qu'il ne présente de lésions ni dans
les cortex sensoriels primaires, ni dans les systèmes de projections sensorielles.
Les lésions provoquent également un trouble de changement de direction de
l'attention. Les travaux de Posner et ses collaborateurs, dans les années 1980, ont
établi l'existence de trois étapes de modulations de l'attention normale, à savoir :
désengagement, changement et engagement. Ils ont démontré que la difficulté
des patients est dans le désengagement attentionnel du côté ipsilatéral, vers
l'espace controlatéral à la lésion. Pour sa part, Kinsbourne (1977) suggère un
biais attentionnel ipsilatéral à la lésion à l'origine de l'héminégligence plutôt
qu'une difficulté dans l'hémi-espace opposé.

2) Une des manifestations comportementales due aux lésions pariétales, est le


phénomène d'extinction, qui est observé chez les patients qui récupèrent d'une
héminégligence sévère. Alors qu'ils ont suffisamment récupéré pour localiser des
stimuli présentés dans l'espace controlatéral à la lésion, ils sont encore
incapables de les localiser si ces stimuli sont présentés simultanément dans les 2
champs visuels. Cette « extinction à la double stimulation simultanée » est
observée, outre dans la modalité visuelle, dans les modalités auditive et tactile.

3) Le déficit de l'intention liée à l'action (préparation à l'action ou négligence


motrice) se réfère au patient qui est incapable de répondre aux stimuli qui sont
dans l'hémi-espace controlatéral à la lésion, alors qu'il est conscient de leur
présence. Le déficit de préparation à l'action peut être fonction du type de
mouvement : l'héminégligence sera plus ou moins sévère si le patient a pour
consigne soit de saisir un objet, soit de désigner un objet.

Les troubles de l'initiation motrice prennent diverses formes cliniques que


nous allons résumer : les troubles liés à l'akinésie ont comme origine le
dysfonctionnement des systèmes nécessaires à l'activation des neurones moteurs.
Les composants moteurs eux-mêmes (motoneurone, jonction neuromusculaire et
muscle) sont intacts. Chez certains patients, ce trouble est très léger, le système
n'est pas endommagé mais il n'est pas intact non plus, l' initiation à l'action est
alors très ralentie et, en conséquence, le temps de latence est très prolongé, ce
qui indique la présence d'une hypokinésie. L'extinction motrice est une autre
manifestation de la négligence liée à l'action. Elle est observée chez le patient
qui est en mesure de bouger isolément le bras controlatéral à la lésion mais est
incapable de le faire sous la sollicitation des mouvements simultanés des deux
membres supérieurs. Enfin, l'échec de persistance motrice (« motor
impersistence ») est l'équivalent – dans la sphère de l'intention – à la distraction
anormale dans le domaine attentionnel.
4) L'allesthésie et l'allokinésie désignent l'attribution erronée des stimulations
tactiles, dans le premier cas, et motrices dans le cas de l'allokinésie par rapport à
son propre hémicorps. Ainsi, si l'on touche le bras gauche, par exemple, d'un
patient qui souffre d'une héminégligence gauche, il rapporte la sensation tactile
en la situant sur son bras droit et pareillement pour les mouvements (la racine
grecque allos indique « l'autre » côté).

5) La négligence spatiale unilatérale (NSU) ou agnosie visuo-spatiale. Cette


forme clinique de négligence est l'une des plus étudiées et l'une de celles qui a
reçu le plus d'attention de la part des chercheurs et cliniciens engagés dans la
réhabilitation de la fonction, par exemple, dans l'œuvre de Philippe Azouvi en
France (Azouvi, 1997 ; Azouvi et al., 2000) et de Peter Halligan et Ian Robertson
en Grande-Bretagne (Robertson et Halligan, 1999).
Décrite pour la première fois en 1935, par Riddoch, la NSU est définie comme
la difficulté à détecter, à répondre à, à s'orienter vers, et même à penser à
l'information présente dans l'hémi-espace controlatéral à la lésion (Manly et
Robertson, 2003). Si le patient atteint de NSU est incapable d'agir dans l'espace
controlatéral à la lésion, le déficit peut se centrer sur la moitié gauche de l'objet
ou sur l'espace gauche du corps, ou, souvent, sur les deux. Ces troubles se
traduisent dans tous les cas, par des manifestations comportementales très
impressionnantes. En effet, concernant les objets (voir la figure Ha), le patient «
néglige » de copier la moitié d'une maison ou reproduit un seul élément d'une
série, celui qui est à droite (figure Hb). La dyslexie attentionnelle est encore un
autre symptôme de la NSU, tout comme l'utilisation spatiale anormale que l'on
voit dans la figure (Hc), lors de l'écriture. Par ailleurs, dans la vie quotidienne,
devant un plateau de déjeuner par exemple, le patient peut se plaindre d'avoir
encore faim alors qu'il a un bifteck entier placé sur la moitié de son assiette, sur
laquelle il ne porte pas spontanément son attention (voir Botez, 1996).
La relation action – attention spatiale a été étudiée au moyen de paradigmes
différents qui ont abouti à la conclusion que l'action du membre supérieur ou
inférieur controlatéral, dans l'hémi-espace controlatéral, diminue l'inattention
vis-à-vis de cet espace négligé. Ainsi, Halligan et al. (1991) ont montré que les
mouvements croisés (main droite, espace gauche) ne comportaient pas une
diminution d'erreurs dans l'espace gauche, alors que la main gauche agissant
dans son espace gauche, était plus efficace. Les mouvements évalués, dans cette
expérience, se rapportent à une tâche de bissection de lignes (voir Manning et
al., 1990). Ce résultat n'est pas dû à l'activation de l'hémisphère droit mais au fait
que le patient a un rappel moteur qui l'aide à diriger son attention vers l'hémi-
espace controlatéral à la lésion droite. Plus récemment, Manly et Robertson
(2003) ont confirmé que l'une ou l'autre main bougeant dans l'espace
controlatéral à la lésion a une influence sur l'héminégligence : la main gauche
dans l'espace gauche produit le taux d'erreurs le plus réduit (comparativement à
la main droite dans l'espace droit et à la main gauche dans l'espace droit). La
cotation dans cette étude est basée sur les mouvements que le patient doit réaliser
avec l'une ou l'autre main, sans participation visuelle.

6) Dans les cas où la négligence est centrée sur la personne, il arrive que le
patient s'habille de manière incomplète (il n'enfile pas une manche de sa chemise
ou de sa veste) et qu'il se lave ou se rase seulement la moitié du visage.
Fait plus impressionnant encore, chez quelques patients hémiplégiques, les
troubles du comportement vis-à-vis de leur maladie se manifestent comme un
refus de reconnaître leur paralysie (l'anosognosie). On observe aussi un autre
type de trouble qualitativement différent, c'est le cas du patient qui refuse
d'accepter que le membre paralysé lui appartienne (l'asomatognosie). Dans ce
dernier cas, si le déficit est sévère, il peut se sentir contrarié « d'avoir le bras ou
la jambe de quelqu'un d'autre dans son lit ». Les démonstrations d'objectivité le
laissent généralement indifférent et, si le degré moindre de sévérité de la maladie
lui permet d'accepter ces membres comme faisant partie de son corps, il les traite
comme s'il s'agissait d'objets. Enfin, chez les patients dont l'atteinte est légère,
bien qu'ils reconnaissent leurs membres paralysés, ils présentent parfois une
absence d'implication émotionnelle (l'anosodiaphorie).

7) La négligence des représentations mnésiques a été identifiée dans une


expérience célèbre, réalisée par Bisiach et Luzzatti (1978). Ces auteurs ont
demandé à deux patients d'imaginer qu'ils se trouvaient à une extrémité de la
piazza del Duomo à Milan, face à la cathédrale, et de décrire ce qu'ils « voyaient
». Les patients ne mentionnaient ni les bâtiments, ni les magasins, etc. qui se
trouvent sur la partie gauche de la piazza. Lorsqu'ils se positionnaient en
tournant le dos à la cathédrale, c'est l'autre côté, en l'occurrence à leur gauche,
qui « disparaissait », puisqu'ils décrivaient uniquement les endroits qu'ils
n'avaient pas mentionnés auparavant.

Si on considère l'ensemble de ces manifestations, on constate que la fréquence


d'apparition à droite et à gauche, d'un syndrome d'héminégligence, est
relativement la même immédiatement après la survenue de la lésion cérébrale.
Ces symptômes disparaissent assez rapidement (selon la gravité, en quelques
semaines ou quelques mois) chez la plupart des patients. Pour une minorité de
patients chez qui le déficit persiste, il apparaît une asymétrie très nette de
négligence gauche provoquée par des lésions droites. Les lésions « classiques » à
l'origine de l'héminégligence impliquent les portions inférieures postérieures du
lobe pariétal droit. Cependant, quelques cas ont été décrits chez des patients qui
présentaient des lésions dans les régions préfrontales dorsolatérales de
l'hémisphère droit ou des lésions dans des régions sous-corticales comme le
thalamus et les noyaux gris centraux. La sévérité du déficit est très variable,
depuis des degrés légers dans lesquels le syndrome se manifeste uniquement en
condition de stimulation bilatérale (décrite dans le paragraphe de l'extinction),
jusqu'à « l'oubli » total de la moitié gauche, comme nous l'avons vu. Par ailleurs,
on a observé des dissociations du contenu affecté par ce syndrome : un patient
qui souffrait de lésions bilatérales, présentait une héminégligence gauche pour la
lecture et droite pour le dessin et pour les tâches de bissection de lignes
(Kartsounis et McCarthy, 2000). Chez un autre patient, la gravité du syndrome
était modulée par l'indépendance des items présentés. Ainsi, les points ou les
lignes qui formaient des configurations aléatoires provoquaient un
comportement de négligence sévère pour les items dans l'espace gauche. En
revanche, deux personnages étaient vus comme un tout s'ils se serraient la main.

Quel est le déficit fondamental dans le syndrome d'héminégligence ? Les


paragraphes précédents montrent que les mécanismes sont d'ordre attentionnel,
intentionnel et représentationnel. Cependant, les résultats récents, rapportés dans
le domaine de la réhabilitation, indiquent une disparition transitoire des
symptômes après l'application de diverses techniques comme, par exemple, la
stimulation électrique des muscles du cou, la stimulation du système vestibulaire
avec de l'eau chaude ou froide, ce qui suggère aussi des mécanismes au niveau
de l'éveil et de la vigilance (arousal) et de l'orientation. La recherche actuelle met
en évidence l'hétérogénéité du déficit d'héminégligence, ce qui suggère qu'une
théorie cognitive unitaire ne serait pas appropriée. Halligan et al. (2003)
concluent qu'après 30 ans de recherche, l'héminégligence apparaît comme étant
un trouble éminemment variable dont les symptômes peuvent être observés dans
des modalités sensorielles différentes, avec des processus cognitifs divers, des
domaines liés à l'espace et des systèmes de coordination également différents.
L'évaluation des déficits de l'attention et de l'espace est la plus développée, le
clinicien a un choix de tests qui ont été construits en fonction de différents buts.
Les tests de barrage sont les plus rapides et ils offrent une double utilité : les
versions chronométrées renseignent sur l'attention en général. Ces tests peuvent
également détecter la présence d'un déficit unilatéral. Pour cela, en plus du fait
d'être chronométré, le test est présenté sur une feuille de papier en position
horizontale, parfaitement centrée et fixée, afin d'empêcher le patient de changer
la position de la page. Dans les cas d'héminégligence « évidente » (le patient
tend à regarder à droite et le dialogue s'améliore nettement si le clinicien se place
dans son espace droit), l' évaluation au moyen des copies des dessins est très
efficace. En revanche, les tests de bissection de lignes permettent une bonne
appréciation dans les cas de déficit léger. On présente au moins 20 lignes, une à
une, bien centrées sur une feuille de papier en position horizontale et comportant
des longueurs variables (entre 2 et 20 cm).
Pour l'évaluation des aspects plus subtils, il existe une échelle standardisée,
l'échelle Catherine Bergego (communication personnelle du docteur F.
Robineau ; voir Azouvi, 1997) qui est très appréciée pour les possibilités
d'évaluation dans la vie quotidienne. L'échelle se base sur l'observation
(écologique) des patients et l'obtention de données sur la conscience du déficit
qu'a le patient, ce qui permet d'obtenir aussi un score d'anosognosie.

Troubles des capacités visuo-constructives

Les capacités visuo-constructives comprennent tout type de tâche dans


lesquelles des parties sont rassemblées pour former un objet unitaire. Lorsque
ces capacités sont affectées par les lésions cérébrales, ce sont les composantes
essentielles, l'espace d'une part, l'organisation des gestes d'autre part, qui sont
déficitaires. En ce sens, rassembler trois traits pour les intégrer dans une seule
forme triangulaire peut devenir une tâche très difficile pour les patients qui
présentent des troubles visuo-constructifs.
Kleist décrit ce déficit en 1912, chez un patient qui, indique-t-il, souffrait
d'une désorganisation des mouvements sous contrôle visuel. Ce cas princeps
n'est donc pas un trouble spatial de l'hémisphère droit, mais une altération
secondaire à une lésion de l'hémisphère gauche et c'est bien pour cela que Kleist
l'appelle apraxie constructive.
Les difficultés d'interprétation des troubles visuo-constructifs sont diverses :
tout d'abord, l'étiologie. Les conditions neurologiques à l'origine des difficultés
dans les dessins et les constructions, sont multiples. Il est donc nécessaire de les
écarter avant de diagnostiquer une perte de capacités visuo-constructives (par
exemple, les déficits de la visuo-perception, la planification, le feedback des
différentes étapes à suivre dans la construction, etc.)
Une deuxième difficulté d'interprétation concerne les différences individuelles
dans la population normale et l'influence du niveau culturel sur la reproduction
de modèles, en dessin et en construction. Ces facteurs peuvent rendre délicate la
tâche du clinicien lorsqu'il doit décider si un dessin est « normal » ou non ; dans
ce contexte, il n'est pas surprenant de constater l'absence de critères objectifs de
cotation. Quelques auteurs ont recueilli des données sur des échantillons de
sujets sains, et sur cette base, ils n'ont attribué la qualification de pathologique
qu'aux productions des patients qui se situaient en deçà du dessin du pire des
sujets témoins.
Le troisième facteur à considérer dans l'interprétation des erreurs de
production des patients, est la latéralisation de la lésion à l'origine du déficit
constructif. Des observations quantitatives et qualitatives montrent des
différences importantes : les lésions de l'hémisphère droit provoquent 2 à 3 fois
plus fréquemment que les lésions gauches, la perte d'habileté visuo-constructive,
notamment si les lésions droites sont postérieures, comme le signalent plusieurs
revues de cas. À titre d'exemple, l'étude pionnière d'Hécaen (Piercy et al., 1960)
indique une incidence de 38 % de patients lésés à droite contre 17 % à gauche ;
20 ans plus tard, Mack et Levine (1981) signalent 95 % de cas secondaires à des
lésions droites et 36 % à des lésions gauches.
Concernant les différences qualitatives, les lésions droites sont à l'origine de
troubles plus sévères que les lésions gauches. Il existe de nombreuses études,
plus en relation avec l'interprétation des déficits, qui rapportent le fait que les
lésions provoquent des déficits constructifs différents en fonction de leur
latéralisation ; ces différences, observées de manière stable, constituent des
repères pour le clinicien. Les patients qui présentent une lésion droite, ont une
production excessivement élaborée avec des fragments redondants qui
témoignent d'une désorganisation spatiale. Les erreurs dans ces cas-là viennent à
l'origine d'un déficit primaire du traitement des relations spatiales. Qui plus est,
les lésions du lobe pariétal droit ne semblent pas provoquer de troubles de
l'organisation du mouvement, ce qui impliquerait que les altérations observées
dans les constructions ne seraient pas imputables aux mouvements inhérents aux
tâches visuo-constructives. Les patients lésés à gauche, montrent, au contraire,
une simplification par rapport au modèle alors que l'organisation spatiale est
relativement préservée. Ces patients semblent « ignorer » des parties du modèle ;
un exemple fréquent en est la copie d'un cube qui est dessiné comme un simple
carré. Les troubles constructifs sont dus, dans les cas de lésion gauche, à un
échec de l'organisation des actions nécessaire à la production (comme chez le
patient rapporté par Kleist et mentionné plus haut).
L'importance de ces différences justifierait la séparation des déficits
constructifs en troubles spatio-constructifs et apraxie constructive : se référer à
ces troubles comme s'il s'agissait d'un seul type de déficit et ce faisant, englober
le traitement déficitaire de l'espace dans les apraxies constructives, est une
source de confusions tant en évaluation clinique qu'en suivi des cas.

L'évaluation commence en demandant au patient de faire un dessin de


mémoire. Si le patient est incapable de le réaliser, il pourrait s'agir de troubles du
lobe frontal qui rendent les tâches où l'initiation est décidée par le patient lui-
même, très difficiles, sans qu'il puisse verbaliser la difficulté. Si c'est le cas, il
faut lui suggérer un objet pour le dessin, comme par exemple une bicyclette (voir
Lezak, 1995 ; pp. 74-81) qui présente l'avantage d'être un objet familier, de
posséder de nombreuses parties et des relations spatiales bien précises.
La copie de figures géométriques complexes ou simples, selon les cas, est
indispensable. La figure complexe de Rey est le test le plus largement utilisé, à
tel point que les patients le connaissent même s'ils n'ont pas encore été évalués
en neuropsychologie ! Les patients, à qui on a fait « travailler » avec la figure de
Rey dans d'autres consultations que celles de la neurologie ou la
neuropsychologie, doivent copier une autre figure complexe pour que le clinicien
puisse détecter, le cas échéant, un trouble visuo-constructif (par exemple, les
figures de l'Adult Memory and Information Processing Battery, AMIPB de
Coughlan et Hollows, 1985 ; la figure de Taylor, in Lezak, 1995). Le problème
avec ces instruments est que, tant que la standardisation française n'est pas
disponible (AMIPB, Manning et al., en préparation), ils ne sont utiles que si l'on
dispose d'un échantillon de sujets sains. Le test de Benton (1962 : test de
rétention visuelle) a une section de copie et ce test est standardisé (mais il est,
comme la figure de Rey, amplement utilisé par des personnes autres que des
psychologues et des médecins, ce qui pose des problèmes pour l'évaluation).
Il est utile, lors de copies, de mesurer le temps que met le patient, cela est
essentiel pour des analyses qualitatives.
Un volet important de l'évaluation de ces capacités, est la construction à l'aide
de cubes, de bâtonnets, etc. Le sous-test cubes de la WAIS est l'une des tâches
les plus utilisées en neuropsychologie et l'une des plus sensibles aux troubles
visuo-constructifs, qu'il s'agisse des lésions droites ou des lésions gauches. Dans
le premier cas, les erreurs montrent un échec d'organisation, et dans le cas des
lésions gauches, les modèles de cubes ne sont pas réussis en raison du déficit
d'analyse des différentes parties qui les composent. Si le sous-test cubes est
utilisé comme tâche diagnostique des troubles visuo-constructifs, il est important
de ne pas limiter le temps (alors que c'est le cas pour l'obtention du QI).
L'évaluation est particulièrement délicate chez les patients qui ont un niveau
de scolarisation très modeste. Il existe une manière simple de séparer le niveau
culturel d'une éventuelle altération des capacités visuo-constructives, il s'agit de
comparer la copie utilisant papier et crayon, d'une figure géométrique, avec la
copie de la même figure faite avec des allumettes. Un échec dans les deux tâches
peut suggérer un trouble visuo-constructif indépendant du niveau culturel.
Comme règle générale, il est conseillé de tester les troubles visuo-constructifs
au moyen d'au moins, deux épreuves, en raison de la variabilité des tâches en
terme de sensibilité, d'une part, et de la quasi absence de corrélation entre tests,
d'autre part.

Clinique appliquée. Présentation de deux patients

Traitement implicite de l'espace dans l'héminégligence spatiale (Manning et


Kartsounis, 1993)

Le patient AL, âgé de 64 ans au moment de l'évaluation neuropsychologique,


subit une intervention neurochirurgicale pour évacuer un empyème sous-dural
qui s'étendait sur les lobes frontal, pariétal et occipital de l'hémisphère droit, avec
une localisation pariétale pour la partie la plus épaisse de l'empyème. Un effet de
masse important avait provoqué une compression du ventricule latéral droit. À
l'examen postopératoire, le patient présentait, comme en préopératoire, une
hémianopsie latérale homonyme gauche.
À l'examen neuropsychologique, AL présente un niveau de déficit cognitif
général qui rend impossible l'évaluation formelle. On note que la mémoire de
reconnaissance, verbale et non-verbale, est endommagée, en revanche, le
langage est préservé. Sa performance aux tests des fonctions attribuées au lobe
frontal, de niveau de difficulté très faible, est variable.
L'évaluation de la négligence spatiale unilatérale est réalisée avec les tâches
suivantes :
- le test de bissection de lignes où il obtient un score déficient avec une
déviation importante vers l'extrême ipsilatéral à la lésion.
- Le test de barrage d'Albert se solde par 18/25 traits barrés sur la moitié droite
et 0/25 à gauche.
- Le test de barrage des formes simples montre 11/15 cercles détectés sur la
moitié droite, et, à nouveau, 0/15 sur la partie gauche.
- La production du patient à un test de copie du dessin d'une fleur avec deux
branches, est incomplète, il omet la partie supérieure de la branche gauche.
- Enfin, deux tâches de localisation d'une cible à droite et à gauche sur des
cartes (de 20 cm) mettent en évidence des temps pour trouver les cibles plus
longues à gauche (24 sec pour un objet et 16 sec pour un chiffre) qu'à droite (1,5
et 2,5 sec, respectivement).
À partir de ces résultats, on présente au patient le test de la maison en feu
(Marshall et Halligan, 1988 ; dans une version adaptée ; voir la figure 11) en
trois occasions différentes, en deux jours.

Test de la maison en feu.


Première présentation :
Q : Est-ce que ces maisons sont identiques ?
R : Oui, identiques.
Q : Sont-elles vraiment identiques ?
R : Oui.
Q : Dans laquelle de ces maisons aimeriez-vous habiter ?
R : (désigne, en silence, la maison qui ne brûle pas).
Figure II
Le test de la maison en feu (modifié)
Q : Pourquoi ?
R : Parce qu'elle a un foyer de plus, c'est le chauffage, elle est plus chaude et comme ça je n'aurais
pas à acheter un four à bois.
Deuxième présentation :
Q : Sont-elles identiques, ces maisons ?
R : Non, pas identiques.
Q : Quelle est la différence ?
R : Il y a d'autres foyers (en montrant la maison qui ne brûle pas) et deux cheminées... ça comme
grosse différence.
Q : Dans laquelle aimeriez-vous habiter ?
R : Habiter celle-là (la maison qui ne brûle pas).
Q : Pourquoi ?
R : Parce que je dépenserais moins pour le chauffage.
Troisième présentation :
Q : Ces maisons, sont-elles pareilles ?
R : Non, je ne crois pas.
Q : Quelle est la différence ?
R : C'est la quantité, le nombre de fenêtres...
Q : Quelque chose d'autre ?
R : Une d'elles est en feu, pas l'autre.
Q : Dans laquelle aimeriez-vous habiter ?
R : (montre la maison qui ne brûle pas)
Q : Pourquoi ?
R : Parce qu'elle n'est pas en feu.

Commentaires. AL montre une conscience implicite dès la première


présentation du test de la maison en feu, comme en témoignent ses réponses au
sujet des foyers, des cheminées, etc. Cependant, ces éléments sont placés dans
l'autre maison, celle qui n'a pas de flammes. Cette transposition est intéressante
parce qu'elle rappelle celle que l'on observe chez certains patients
héminégligents qui, en copiant un modèle, placent des fragments qui sont à la
gauche du modèle, à la droite de leur copie.
Si l'on compare AL avec d'autres patients de la littérature, on perçoit différents
degrés de la conscience implicite du feu à gauche de la maison. Ainsi, Marshall
et Halligan (1988), dans leur recherche pionnière avec leur test, rapportent que
leur patiente désigne systématiquement la maison intacte mais qu'ils n'obtiennent
pas de réponse à leurs questions. Cette patiente ne réussit à devenir consciente
des flammes qu'à la vingtième présentation et ce, après avoir vu une maison avec
le feu sortant d'une fenêtre à droite. Par ailleurs, le patient de Bisiach et Rusconi
(1990) répond en confabulant sur la maison intacte (par exemple, « elle a un toit
particulièrement adapté pour les jours de pluie »), ce patient reste dans la
frontière, entre la pré-conscience et l'explicite, puisqu'il commente que « peut-
être il y a quelque chose là, mais quoi ? ». Finalement notre patient AL, dont les
réponses sont différentes de celles des deux autres patients dès la première
question, n'a besoin que de trois présentations pour « voir » explicitement les
flammes. Il est possible que les confabulations que produisent les patients
concernant les éléments qui sont à gauche des images, soient des indicateurs d'un
état proche de la conscience explicite lorsque ces confabulations ont une relation
avec l'élément « négligé ».

Étude préliminaire de l'environnement naturel dans un cas de désorientation


topographique (Manning et Leuthner, non publié)

Le patient, Monsieur P est droitier, il a 55 ans au moment de l'étude et il est


titulaire d'un CAP en photographie. Il a consulté en neurologie 3 ans auparavant
quand une IRM montre la présence d'un kyste intraventriculaire à droite et une
réduction de l'hippocampe droit. Le kyste est réséqué peu avant notre étude qui
se centre sur le fait que le patient se plaint de souffrir d'épisodes de
désorientation spatiale qu'il n'avait pas avant sa maladie.
Nous allons résumer l'évaluation. L'examen neuropsychologique général met
en évidence des scores qui se situent dans les limites de la normalité concernant
ses capacités intellectuelles et mnésiques (mémoire de reconnaissance verbale et
non-verbale, Warrington, 1984). En revanche, on trouve une altération des
fonctions attentionnelles et exécutives. Cependant, celles-ci étant variables, elles
sont interprétées comme associées avec les signes de dépression que le patient
présente. L'attention est évaluée au moyen d'une épreuve de haut niveau de
difficulté (le sous-test d'attention soutenue de la batterie AMIPB : Adult Memory
and Information Processing Battery de Coughman et Hollows, 1985). Les
fonctions sensibles aux troubles des lobes frontaux sont, quant à elles, testées
avec la tâche d'estimations cognitives de Shallice (1988), le test de Stroop, de
Wisconsin (version écourtée de Nelson) et de la tour de Londres de Shallice
(1982).
Plus en relation avec la désorientation topographique, on évalue :
– les capacités visuo-perceptives avec les sous-tests de la batterie VOSP
(Warrington, et James, 1991) : lettres incomplètes, test des silhouettes,
silhouettes progressives, et décision d'objet ;
- les capacités visuo-spatiales, au moyen de la section spatiale de la VOSP :
comptage de points, discrimination de position, analyse des cubes ;
Monsieur P obtient un score supérieur à la moyenne dans les deux types de
tâches de la VOSP.
- le test de mémoire de reconnaissance topographique (Warrington, 1996) est
également réussi ;
- son score au test de bissection de lignes écarte tout soupçon
d'héminégligence ;
-l'orientation droite/gauche est également réalisée sans erreurs par le patient.
La tâche comprend une exécution de consignes (touchez votre oreille droite avec
la main gauche) et une verbalisation des positions de l'examinateur ;
– finalement, un questionnaire d'orientation spatiale a été proposé au patient
afin d'obtenir des éléments qualitatifs pour mieux comprendre sa plainte. Ce
questionnaire comporte 12 situations différentes sur lesquelles le patient doit se
prononcer. Les résultats ont révélé une vulnérabilité d'orientation dans des
endroits peu familiers, un échec à retrouver son chemin dans des endroits
inconnus, mais pas de difficultés chez lui, ni dans des lieux qu'il connaissait bien
avant la maladie.

À partir de ces résultats, nous avons construit des tests d'orientation


topographique dans un environnement naturel et nous avons comparé les
performances du patient à celles de deux sujets de contrôle appariés en âge, sexe
et niveau culturel.

Test 1. Apprentissage et orientation topographiques


a) Parcours avec une carte détaillée. Le patient a un plan d'un endroit qui ne
lui est pas connu. Le point de départ et le point d'arrivée sont marqués sur la
carte et sa tâche consiste à suivre le parcours en commentant à voix haute les
décisions et les doutes qui émergent lors de son parcours. La carte qu'il a est
riche en repères, les noms des immeubles sont écrits et les allées bien signalées.
L'examinatrice accompagne le patient, enregistre ou note les commentaires ainsi
que le temps nécessaire pour le parcours, le nombre d'hésitations et,
naturellement, d'erreurs. Deux parcours différents sont ainsi étudiés, tous deux
sont cotés en fonction du temps et du nombre d'erreurs.
b) Parcours avec une carte non détaillée. Dans cette expérience, la carte ne
comporte aucune indication de repères, mais les points de départ, d'arrivée ainsi
que le parcours à suivre, sont surlignés en couleur. L'examinatrice situe le patient
au point de départ qu'elle indique aussi sur la carte. La consigne est de suivre le
chemin surligné sur la carte.
Les résultats montrent pour le test a (carte détaillée) une erreur d'orientation
au début du test où le patient se dirige à l'opposé et doit faire un détour pour
récupérer le chemin. Il est aidé par les détails (noms d'immeubles et d'allées) de
sa carte, qu'il compare aux noms qu'il lit dans l'environnement réel. En revanche,
au test b (carte non détaillée), Monsieur P est désorienté, commet 10 erreurs et
ne réussit pas à retrouver son chemin, il est aidé au bout de 13 minutes. Les
sujets témoins arrivent à suivre la carte en utilisant un peu plus de 3 minutes et
sans erreur.
Ces résultats suggèrent que les épisodes de désorientation, signalés par
Monsieur P, sont fonction de la disponibilité des repères. L'expérience suivante,
conduite également en environnement naturel, est conçue pour tester cette
hypothèse.

Test 2. Apprentissage topographique


a) Apprentissage avec repères. Ce test ne comporte pas de carte :
l'examinatrice accompagne le patient lors d'un parcours que Monsieur P ne
connaît pas. Il s'agit d'un parcours riche en repères. La consigne est de
commenter à voix haute ces points afin de faciliter la rétention en mémoire
d'éléments susceptibles de l'aider ultérieurement. Après six nœuds décisionnels,
c'est l'arrivée, qui est montrée par l'examinatrice qui indique clairement ce point
comme fin du parcours. Elle reconduit le patient au point de départ en
empruntant un chemin complètement différent. Arrivés au point de départ, que le
patient reconnaît sans difficulté, il est invité à retrouver « l'arrivée » en suivant
exactement le même parcours qu'auparavant. Cette phase de test est
chronométrée et les erreurs sont comptabilisées. Par ailleurs, le patient et les
sujets témoins rendent compte verbalement du parcours.
b) Apprentissage sans repères. Lors de cette tâche, on suit exactement les
mêmes étapes que dans le test précédent. La différence est que l'endroit présent
n'offre pas de repères distincts. Il s'agit d'un parc que Monsieur P, qui habite loin
de la ville, ne connaît pas. Le patient est invité à verbaliser les éléments du
paysage, lorsque lui et l'examinatrice tournent à droite ou à gauche, et tout autre
détail qu'il souhaite exprimer en relation avec le parcours, de manière (comme
précédemment) à être aidé, si possible, lors de la phase de test.
Les résultats au test a) indiquent un apprentissage relativement efficace avec 4
erreurs en tout. Le patient « sent qu'il s'est trompé » mais ne peut détecter à quel
endroit. Son apprentissage est possible mais relève plus de l'intuition que d'une
démarche d'orientation comparable à celle des sujets témoins qui réalisent le
parcours sans erreurs. Les temps pour le patient et les sujets sains ne sont pas
significativement différents. Le compte-rendu verbal montre que le patient est
capable de restituer 2/6 points de repères face aux 6/6 réponses correctes des
sujets de contrôle.
Les résultats du test b) sont, en revanche, déficients, le patient réalise 3
rebroussements au point de départ. L'examinatrice rectifie ses erreurs ; Monsieur
P est incapable de restituer verbalement plus de 4/10 nœuds décisionnels.
Naturellement, le temps entre la phase d'apprentissage et celle de restitution ainsi
que le temps employé par le patient, comparé à celui des sujets de contrôle, sont
très différents.

Commentaires. Le patient présente un trouble d'orientation topographique des


lieux nouveaux tandis que les endroits connus avant la survenue de sa lésion
cérébrale sont épargnés. Ce cas nous a permis de cibler l'utilisation de repères, ce
qui peut être utile dans des cas de réhabilitation en environnements naturels. Il
nous a permis aussi de constater, une fois de plus, que les tests en bureau peuvent
ne rien révéler des déficits réels dans le domaine de l'orientation.
La poursuite de la présente étude préliminaire n'a pas pu avoir lieu, mais
malgré son caractère incomplet, cette expérience apparaît intéressante au regard
de sa nature « écologique ».

Conclusion

Dans la première partie de ce chapitre, nous avons abordé une série de


fonctions endommagées comme conséquence des lésions de l'hémisphère droit,
dysfonctionnement qui apparaît dans certains cas après des lésions bilatérales.
Les troubles qui consistent en l'incapacité du patient à « fonctionner » dans
l'espace ainsi que ceux qui montrent une négligence d'une partie de l'espace,
constituent les sources principales des tentatives de compréhension des
représentations spatiales chez l'Homme. Les limites de l'approche
anatomoclinique sont la variété des types de lésion, de l'étendue des lésions et de
l'implication de connexions endommagées avec des effets à distance. Ces
facteurs sont reflétés, au moins en partie, dans la diversité des troubles et les
différents degrés de difficulté que les patients manifestent. Les tests
neuropsychologiques, de plus en plus fins, devraient s'adapter, dans une certaine
mesure, à ces variations individuelles. La prise en charge en réhabilitation des
patients est avancée dans le déficit de la négligence spatiale unilatérale et elle
constitue le modèle à suivre, dans les autres domaines où les déficits du
traitement spatial peuvent être très invalidants.
CHAPITRE 7

Les gestes volontaires, les gestes involontaires et les


représentations corporelles

Les troubles du geste volontaire

Le déficit de la motricité volontaire ou du geste volontaire correspond au


terme d'apraxie (sans action) du XIXe siècle. Forgé en 1871 par Steinhal1
pour décrire le déficit de l'utilisation volontaire des objets, il est complété
en 1890 par Meynert1, qui fait état de deux pathologies distinctes en
introduisant les termes d'asymbolie sensorielle et d'asymbolie motrice. La
première indique les troubles liés à la reconnaissance visuelle tandis que
l'asymbolie motrice désigne la perte des représentations des mouvements.
Dix années plus tard, Liepmann (1900) décrit le célèbre cas du « conseiller
impérial, syphilitique et ambidextre », qui était incapable d'imiter des
postures ou de mimer des actions simples. Ce patient avait une difficulté
sévère avec la main droite et modérée avec la main gauche ; cette différence
avait écarté le diagnostic de démence posé en premier, en raison de la
gravité de son déficit. Ses lésions étaient situées dans le corps calleux et
dans le gyrus supramarginal gauche (d'où la différence au détriment de la
main droite). C'est également Liepmann qui, quelques années plus tard
(1908), rapporte les résultats d'un groupe de patients apraxiques (par
ailleurs le premier groupe de patients cérébro-lésés de la littérature
neuropsychologique), ce qui lui permet de décrire les conséquences des
lésions unilatérales (chez 42 patients lésés à droite et 47 à gauche) et de
distinguer définitivement, l'apraxie de la paralysie et de l'aphasie.
La neuropsychologie s'intéresse aux troubles des gestes en tant que
mouvements volontaires, élaborés ou de « haut niveau », qui se
différencient des troubles des mouvements élémentaires ou primaires en
terme de variabilité d'exécution. Alors que les mouvements élémentaires
sont uniformément endommagés, la réalisation des mouvements de haut
niveau dépend d'une série de facteurs (voir plus bas), qui rendent ces
mouvements possibles dans certaines circonstances et pas dans d'autres,
indépendamment des aspects moteurs.

L'apraxie est définie comme un trouble du geste intentionnel, empêchant


la réalisation volontaire de certaines actions, alors que les fonctions
motrices et somesthésiques, ainsi que la coordination motrice et la
compréhension sont préservées.
Dans la plupart des cas, les lésions qui provoquent des apraxies
impliquent le lobe pariétal gauche, ce qui a pour conséquence des troubles
praxiques uni-ou bilatéraux. Des recherches récentes, utilisant le débit
sanguin comme mesure d'activation neuronale, montrent une implication
frontale bilatérale de BA 6, sous-tendant les gestes complexes ainsi qu'une
augmentation au niveau des lobes pariétaux si le geste associe le traitement
spatial.

Les classifications de l'apraxie

Il existe une dizaine de classifications des apraxies, les unes contredisant


parfois les autres (l'exemple historique étant l'opposition de Von Monakov à
la classification de Liepmann), et souvent les différentes nuances créent des
confusions : « La terminologie employée pour décrire les troubles de la
motricité volontaire est confuse et pétrie de contradictions. Les
neuropsychologues ne sont pas parvenus à s'accorder sur une classification
précise (McCarthy et Warrington, 1994, p. 116). Dans le présent chapitre,
nous allons voir la classification originelle de Liepmann et la contribution
récente de Goldenberg (2003a), qui permettront d'aborder les observations
cliniques à l'origine des définitions et de la terminologie, ainsi que d'avoir
une vision actuelle des troubles praxiques et de leur évaluation.

La classification de Liepmann (1920)

- L'apraxie idéatoire dont le déficit affecte la représentation de


l'organisation séquentielle de l'action (« l'idée » ou concept de l'action),
se traduit par des difficultés dans l'utilisation appropriée des objets qui
sont manipulés de façon erronée. Liepmann avait ainsi introduit dans
sa classification la description de Pick (1905), concernant un patient
sévèrement apraxique, au point d'essayer d'écrire avec une paire de
ciseaux. Heilman et Rothi (1993) constatant la confusion provoquée
par différents déficits et concepts qui ont reçu le nom d'apraxie
idéatoire, distinguent l'incapacité de séquençage des actions de la perte
du concept des actions qu'ils dénomment apraxie conceptuelle. Les
lésions dans ce cas affectent la jonction temporo-pariétale gauche.
- L'apraxie idéomotrice est l'échec de la transmission, de l'ordre à
réaliser un geste familier à partir des représentations conceptuelles
jusqu'aux représentations motrices stockées en mémoire à long terme.
Ainsi, le patient est incapable, par exemple, de dire « au revoir » ou
d'indiquer « silence » avec la main, lorsque ces gestes doivent être
produits en réponse à la demande de l'examinateur, alors qu'en
situation spontanée, il les réalise correctement, sans difficulté.
L'apraxie idéomotrice, provoquée par des lésions soit pariétales, soit
calleuses, est fréquemment observée en conjonction avec l'aphasie. Il
est possible, d'un point de vue cognitif, que les lésions pariétales
affectent le stockage des représentations praxiques stockées à long
terme tandis que les lésions calleuses pourraient perturber l'accès à ces
représentations. Il existe une gradation du déficit idéomoteur : dans les
cas légers, on observe une difficulté isolée à exécuter des gestes sur
commande alors que dans les cas sévères, le déficit provoque, de
surcroît, une incapacité à imiter des gestes familiers ou arbitraires
(comme, par exemple, entrelacer des anneaux formés avec le pouce et
l'index de chaque main). Cependant, le patient est capable d'utiliser les
objets dans la vie quotidienne, quel que soit le degré du déficit
idéomoteur.
- L'apraxie motrice (ou mélo-kinétique) est la perte des « engrammes
moteurs » (Heilman et Rothi, 1993) qui sont stockés dans chaque
hémisphère cérébral pour diriger les actions devenues automatiques, de
la main controlatérale. Le déficit est plus sévère lorsque les
mouvements sont réalisés avec la main par rapport au bras et avec les
doigts relativement à la main. En effet, ce type d'apraxie altère la
mélodie des mouvements fins sous contrôle proprioceptif et ce sont les
parties distales qui les exécutent. Les lésions impliquent des régions
motrices du lobe frontal ce qui provoque, en plus de troubles
praxiques, des dystonies, lesquelles rendent l'examen
neuropsychologique très délicat.
Cette classification en trois types d'apraxies selon la conception, la
transmission et l'exécution du geste, est basée sur la conception
hiérarchique du contrôle moteur de Liepmann et, bien qu'encore présente
dans nos concepts et dans l'évaluation de l'apraxie, elle apparaît insuffisante
dans la pratique clinique. Sa limitation principale est en relation avec le
manque de distinction des déficits au sein de chaque type d'apraxie d'où le
risque, dans certains cas, d'imprécision des critères cliniques définitoires.

La contribution de Goldenberg

Les troubles du mouvement volontaire, en l'absence des troubles moteurs


primaires, sont classés par Goldenberg (1996 ; 2003a) selon qu'il s'agisse
d'un geste inapproprié ou inadapté par rapport à un but précis ou d'un geste
correctement réalisé mais non voulu par le patient. Dans le premier groupe,
les déficits sont provoqués, dans la plupart des cas, par des lésions uni – ou
bilatérales du lobe pariétal et, dans le deuxième groupe, ce sont des lésions
du corps calleux et des lésions uni – ou bilatérales du lobe frontal qui sont à
l'origine des déficits. Nous allons voir dans cette section du chapitre, les
troubles qui se manifestent comme des gestes inappropriés et, dans la
section suivante, nous aborderons une série de déficits correspondant aux
gestes involontaires.

Troubles de la réalisation des gestes volontaires appropriés

Il existe une variété de déficits provoqués par les lésions cérébrales qui
entravent la réalisation d'un geste à but précis. Les troubles conséquents à
des lésions unilatérales ou bilatérales prédominant à gauche sont l'ataxie
kinesthésique, l'ataxie optique, l'apraxie buccofaciale, l'apraxie des gestes et
d'utilisation des objets.
1) L'ataxie kinesthésique est l'incapacité de positionner la main
relativement à un objet à saisir ou d'une action à réaliser si l'attention
visuelle pour guider les mouvements est absente. Wolpert et al. (1998)
rapportent le cas d'une patiente qui avait un kyste dans le lobe pariétal
gauche et dont la présence et l'information sur la position de ses membres
droits « disparaissaient » en quelques secondes s'ils étaient en dehors de son
attention visuelle. Les données visuelles étaient les seules à lui fournir
l'information nécessaire pour effectuer des mouvements, comme le montrait
le fait qu'une stimulation tactile ou un poids mis sur le membre affecté ne
lui était d'aucune aide après une courte période. Les patients qui souffrent
d'ataxie kinesthésique sont capables de détecter des changements de
sensations provoqués par d'autres modalités sensorielles (l'information
somesthésique primaire est préservée), mais les changements liés aux
mouvements ont besoin de la vision qui fournit le feedback nécessaire au
guidage de l'action en absence des données proprioceptives et
kinesthésiques.
Pour évaluer cette apraxie, le clinicien fait en sorte que le membre
supérieur affecté soit en dehors de la vue du patient et le positionne selon un
geste donné. Il lui demande ensuite de prendre la même position gestuelle
avec le membre supérieur non affecté. Le patient échoue à cette tâche faute
d'information kinesthésique.
2) L'ataxie optique est le trouble lié à l'espace controlatéral à la lésion où
le guidage visuel perturbe la tâche de saisie des objets (elle est décrite en
tant que composante du syndrome de Balint dans le chapitre 6).
3) L'apraxie buccofaciale est la difficulté à réaliser des mouvements
buccofaciaux autres que l'articulation du langage alors que les mouvements
automatiques sont préservés. Essentiellement observée après une lésion
gauche, la présentation de cette apraxie peut ne pas impliquer le cortex
pariétal et être due à des lésions sous-corticales. Elle est parfois observée
chez des patients qui souffrent d'apraxie du langage (chapitre 4) et
constitue, dans ce cas-là, une difficulté pour l'application des programmes
de réhabilitation. Cette situation mise à part, l'activité quotidienne du
patient n'est pas affectée par l'apraxie buccofaciale car elle est présente
uniquement lorsqu'en réponse à une consigne, il essaie de mettre en place
une série de mouvements volontaires. L'évaluation est réalisée en donnant
au patient une consigne orale et en lui demandant d'imiter : souffler,
montrer les dents, bouger la langue d'une commissure labiale à l'autre
plusieurs fois, placer le bout de la langue entre les dents et la lèvre en haut,
puis en bas, froncer les sourcils, gonfler une seule joue (difficultés avec la
droite), cligner un œil (idem).
4) L'apraxie des gestes et d'utilisation d'objets se caractérise par des
erreurs dans la réalisation de certains gestes, même avec la main ipsilatérale
à la lésion et en contraste avec d'autres actions qui sont, elles, bien réalisées.
Elle est observée dans trois conditions, l'imitation des gestes dépourvus de
sens, la pantomime des gestes familiers et l'utilisation des objets.

- Les troubles de l'imitation des gestes arbitraires peuvent être provoqués soit par des
lésions droites qui vont affecter surtout la position digitale, avec épargne de positions
manuelles, soit par des lésions gauches où l'on observe le tableau opposé. Le site lésionnel par
excellence est la partie inférieure du lobe pariétal gauche qui entraîne, dans certains cas, une
incapacité à imiter des gestes sans autres déficits. Ainsi, si le patient doit imiter une action
ayant un sens (par exemple « au revoir »), il pourra le faire sur la base de ses propres
représentations mais en évitant d'imiter l'examinateur. Ce trouble ne comporte donc pas
d'entrave dans la vie quotidienne, sauf dans des situations où l'imitation d'une action s'avère
nécessaire (certains apprentissages en ergothérapie, par exemple). Une dizaine de tests, au
moins, ont été conçus et standardisés pour évaluer ce déficit. L'épreuve issue de la découverte
même des difficultés praxiques plus importantes pour les gestes arbitraires et qui a servi de
base à toutes les autres, est celle de Pieczuro et Vignolo (1967). Elle consiste à faire prendre
10 positions des doigts (e.g. prendre avec le pouce l'annulaire et l'auriculaire ou le majeur et
l'annulaire ou l'index et le majeur). Un test plus complet est celui de Goldenberg (1996) qui
comporte 20 positions, 10 pour la main et 10 pour les doigts.
- La pantomime des gestes familiers pose des difficultés au patient lésé à gauche et qui
présente, dans pratiquement tous les cas, une aphasie. Hécaen (1978) a étudié avec beaucoup
de détail les troubles des gestes familiers en les divisant en deux catégories : les gestes
essentiellement symboliques (e.g. les doigts croisés pour souhaiter bonne chance) et les gestes
expressifs (e.g. l'index touchant le front « il est fou »). D'autres auteurs ont comparé des gestes
qui miment l'usage d'un objet (e.g. boire, clouer) avec des gestes familiers (e.g. salut militaire).
Il ne semble pas exister de différence significative dans la difficulté que présentent les patients
selon ces diverses divisions des gestes familiers.
Il est dans tous les cas conseillé d'évaluer le patient en imitation plutôt qu'en consigne orale
(en raison de la présence de l'aphasie) et de lui proposer des gestes symboliques, expressifs et
des gestes d'utilisation d'objet en pantomime ; dans ce dernier cas, on montrera l'objet réel
(sans permettre au patient de l'utiliser). Il n'est pas rare d'observer que le patient utilise une
partie de sa propre main comme objet (par exemple, l'index frotte les dents si on a montré une
brosse à dents), cependant, cette observation n'autorise pas à elle seule le diagnostic d'apraxie,
l'erreur pouvant être due à un QI limite ou déficient.
- L'utilisation des objets peut être affectée suite à des lésions gauches étendues, impliquant
le lobe pariétal et débordant vers les autres lobes cérébraux ; cette pathologie est observée
même dans des lésions diffuses. La description de Pick de 1905 garde toute sa signification et
sa clarté : il avait observé que son patient, voulant allumer une bougie, frottait l'allumette
contre la bougie ou oubliait d'éteindre l'allumette après avoir allumé la bougie. L'évaluation
comporte plusieurs niveaux de difficulté : plusieurs actions dans l'exemple présenté, comme
visser une vis ou couper du pain, appartiennent au niveau élaboré car l'action comporte deux
objets et différentes étapes. Encore plus élaborée est la tâche de plier une lettre, de la mettre
dans l'enveloppe, d'écrire l'adresse et de coller un timbre. Les erreurs praxiques
caractéristiques dans deux de ces exemples consistent en la production de mouvements
inappropriés comme, par exemple, le mouvement du bras (depuis l'articulation de l'épaule)
pour l'action de visser, l'impossibilité de suivre un mouvement de scie, ou bien encore se
limiter à appuyer le couteau sur le pain, pour l'action de couper.

5) L'apraxie calleuse. Rappelons brièvement que le corps calleux est la


commissure cérébrale la plus importante en terme de communication
interhémisphérique ; on se réfère à trois parties sur l'axe antéro-postérieur :
une partie antérieure (le genou et le bec), une partie moyenne et une partie
postérieure (l'isthme et le splénium). Les zones préfrontales des deux
hémisphères sont reliées grâce aux fibres de la partie antérieure, les zones
frontales plus postérieures (prémotrices) ainsi que les régions
sensorimotrices et, plus en arrière, les zones temporales supérieures de deux
hémisphères communiquent par des fibres calleuses distribuées tout au long
des trois divisions. Finalement, la partie postérieure de la commissure relie
les aires pariétales et temporales, au niveau de l'isthme, et les aires
occipitales, au niveau du splénium.
Dans l'apraxie calleuse, on observe une déconnexion interhémisphérique
par destruction de la partie moyenne du corps calleux, laissant la main
gauche apraxique, car les représentations des séquences des mouvements ne
sont pas transmises à l'hémisphère droit. Le symptôme clinique par
excellence est l'asymétrie dans la performance manuelle au détriment de la
main gauche, et les troubles sont observés dans l'imitation de gestes
arbitraires, de gestes familiers et de l'utilisation d'objets. En raison du site
lésionnel, certains patients peuvent aussi souffrir de lésions de la partie
médiane du lobe frontal et présenter, en conséquence, des déficits du
contrôle des mouvements. Si la lésion calleuse ne compromet pas le cortex
frontal médian, le patient a plus de chances de récupérer grâce aux fibres
calleuses non lésées dont l'activation est renforcée pour compenser les
fibres endommagées. Cependant, même après une bonne récupération, il est
possible que les scores aux tâches qui demandent la coordination
bimanuelle restent déficients.
L'évaluation consiste à toucher différents points de la main gauche : le
patient est incapable de les indiquer verbalement ou de les désigner avec sa
main droite ; il peut, cependant, les désigner avec le pouce gauche. On
demande au patient de dénommer des objets qu'il explore avec la main
gauche (les yeux bandés). On lui demande de bouger des doigts de la main
gauche et d'imiter les postures des doigts : il réussit cette dernière tâche
(rappelons que l'imitation de la position des doigts relève moins du contrôle
de l'hémisphère gauche que de l'hémisphère droit).

Les modèles cognitifs de l'apraxie

Les bases théoriques du modèle du langage, conçu par Lichtheim et


complété par Wernicke (voir chapitre 4), sont présentes dans l'œuvre de
Liepmann et guident sa conceptualisation des troubles praxiques. Il propose
un modèle des composantes et des processus de l'action, parallèle à celui du
traitement langagier. Le modèle des praxis comprend trois étapes dans la
production des gestes volontaires que Liepmann identifie à travers l'analyse
des déficits observés chez ses patients. La lésion fonctionnelle affectant la
première étape concerne « l'idée » du mouvement nécessaire pour réaliser
l'action, provoque l'apraxie idéatoire (voir plus haut). La deuxième étape est
la transmission de l'information de « l'idée » du mouvement aux systèmes
moteurs de sortie ; en cas de lésion, il s'ensuit une déconnexion entre ces
deux modules. Le patient est alors incapable de réaliser des gestes familiers
sur commande orale tandis que l'utilisation des objets reste possible, l'objet
lui-même agissant comme une contrainte des mouvements à réaliser et
suppléant le déficit de transmission de l'information ; c'est l'apraxie
idéomotrice. Finalement, si le déficit fonctionnel est situé au niveau des
séquences motrices elles-mêmes, les gestes sur-appris perdent leur «
mélodie cinétique ».
Le modèle de Liepmann, tout comme celui de Wernicke, a fait l'objet
d'une reconsidération de la part de Norman Geschwind (1965 ; 1975) pour
qui, la constatation de la fréquence plus élevée de cas d'apraxie après une
lésion gauche, serait due à une déconnexion entre les systèmes de
traitement du langage et les systèmes moteurs qui permettent de réaliser
l'action. Cependant, le cas de figure des patients qui sont incapables de
mimer l'utilisation d'un objet présenté visuellement n'est pas expliqué par la
déconnexion verbo-motrice.
Les modèles plus récents (depuis les années 1980 avec l'œuvre de
Heilman et Rothi jusqu'au modèle mis à jour en 1997 de Rothi et al.) ont
comme élément central l'existence d'un système spécialisé de stockage des
séquences d'actions parfaitement apprises. Les observations cliniques
concernant le site lésionnel sont suffisamment solides pour que les
théoriciens situent ce système dans l'hémisphère gauche.
Le système de stockage est le résultat d'un long cheminement
conceptuel : une première étape comprend les « formules du mouvement »
qui seraient situées dans la portion inférieure du lobe pariétal. Celles-ci sont
proposées par Rothi et Heilman (1985). L'origine de ce concept est une
version praxique du test de mémoire verbale de Buschke (1973 ; cité par
Heilman et Rothi, 1993), qui avait permis de constater un déficit de
consolidation de la mémoire des gestes significativement plus important
chez les patients présentant des lésions du lobe pariétal inférieur. Plus tard,
Rothi et al. (1991) suggèrent deux systèmes indépendants des
représentations ou formules motrices (ou praxicons), l'un comme une
information d'entrée (input praxicon), et l'autre de sortie (output praxicon).
Cette suggestion a son origine dans une étude de cas unique : un patient qui
avait une performance plus basse quand il imitait des gestes familiers que
lorsqu'il mimait les mêmes gestes sur commande orale.
Les représentations motrices stockées dans le lobe pariétal inférieur
gauche (les praxicons) doivent être transcodées en un plan moteur qui
précède le mouvement à réaliser. Les soubassements neuro-anatomiques du
lieu de ce transcodage seraient l'aire motrice supplémentaire et les noyaux
gris de la base (Heilman et Rothi, 1993). Le transcodage de l'information
conceptuelle en programme moteur se voit perturbé par des lésions qui
affectent le lobe pariétal inférieur gauche, l'aire motrice supplémentaire, les
noyaux gris de la base, ou encore par des lésions qui déconnectent une de
ces structures des autres et/ou du cortex moteur primaire.
Les troubles praxiques, variés et très complexes, rendent compte des
voies parallèles dans le traitement de gestes volontaires. En plus des
troubles décrits dans cette section, il existe d'autres formes d'apraxie,
comme l'apraxie du langage (chapitre 4), l'apraxie constructive (chapitre 6)
et l'apraxie de l'habillage et de la marche. L'apraxie de l'habillage fait partie
des troubles de l'orientation et se caractérise par la difficulté qu'a le patient à
placer ses vêtements dans l'orientation voulue pour s'habiller. Les données
neuro-anatomiques (depuis l'œuvre de Brain dans les années 1940)
suggèrent que des lésions de l'hémisphère droit provoquent ces troubles, ce
qui est confirmé par certains cas de patients héminégligents qui présentent
l'apraxie de l'habillage. L'observation clinique peut produire l'impression
d'une grande maladresse car le patient recommence un même geste
inapproprié à plusieurs reprises sans réussir à enfiler une manche par
exemple. Si l'observation n'est pas assez attentive, les troubles peuvent
passer inaperçus (l'apraxie de l'habillage peut se présenter de manière
relativement isolée) ; alors que le patient se prépare à partir,
l'accompagnateur ou l'examinateur non averti, l'aident tout naturellement
sans remarquer qu'il ne s'agit pas que d'une simple maladresse du
mouvement ! Il est donc nécessaire d'observer le patient avant de l'aider et
de demander à l'accompagnateur si les mêmes difficultés sont observées
chez lui. Il existe des formes légères de l'apraxie de l'habillage dans
lesquelles on observe des boutons non boutonnés, un gilet de travers, etc.
En ce qui concerne l'apraxie de la marche, les symptômes sont provoqués
par des lésions frontales bilatérales et consistent en la perte de la capacité
d'utiliser les membres inférieurs pour la marche et ce, sans troubles
sensorimoteurs majeurs justifiants ces incapacités. Par ailleurs, l'apparition
des troubles doit être indépendante de difficultés liées à l'ataxie et à
l'apraxie idéomotrice pour poser le diagnostic d'apraxie de la marche.

Les gestes involontaires : déficit du contrôle des actions motrices

Les études cliniques montrent que le déficit du contrôle de certaines


actions motrices survient comme conséquence des lésions de la commissure
calleuse, du cortex frontal médian ou des deux. La destruction des fibres
calleuses provoque deux types de symptômes : des troubles du geste
volontaire (l'apraxie calleuse, décrite plus haut) et l'apparition des gestes
involontaires. Dans ce dernier cas, il peut s'agir de lésions calleuses qui sont
relativement circonscrites et qui épargnent le fonctionnement des
hémisphères cérébraux, produisant ainsi un phénomène de dissociation
intra-sujet. Le patient qui n'est plus capable de contrôler certaines actions
motrices est, dans quelques types de pathologie, conscient de son trouble et
se voit contraint d'« observer » qu'une de ses mains, par exemple, exécute
des gestes qu'il n'a pas programmés et qui ont lieu en dehors de sa volonté.
Dans d'autres troubles du comportement dit frontaux, le patient ne « devient
» conscient de son geste qu'après avoir réalisé une action. Dans le cas de
figure, où il existe un désaccord entre l'intention et l'action, les réactions
diffèrent d'un patient à l'autre ainsi que la complexité du tableau
neurologique. Dans le deuxième type de pathologie, n'ayant pas de
désaccord intention/action, les différences de réaction sont beaucoup moins
informatives.

Le syndrome de la main étrangère et le comportement conflictuel


intermanuel

Le syndrome de la main étrangère a été observé et décrit (peut-être pour


la première fois) dans le contexte des lésions calleuses, par Brion et
Jedynack (1972) qui sont les premiers à l'avoir ainsi nommé.
Le syndrome est défini comme le mouvement involontaire d'exploration
de l'environnement par manipulation (que le patient est incapable de cesser
malgré sa volonté de le faire) et au regard duquel il éprouve à la fois un
sentiment d'étrangeté et de « personnification ». Les mouvements de la
main (appelée par certains auteurs « main anarchique ») sont des
mouvements élaborés, bien exécutés et ayant un but précis. Le patient ne
nie pas que sa main lui appartient (contrairement aux cas d'asomatognosie,
voir chapitre 6), mais il se réfère à elle comme à un être indépendant. Ce
trait dit « de personnification » est suffisamment uniforme pour être,
comme on l'a vu, un des critères définitoires du syndrome. Goldberg et al.
(1981) rapportent le cas d'une patiente qui prend un crayon de la main
droite (qui était la main étrangère) et commence à gribouiller sur une
feuille ; or la patiente ne souhaitait pas écrire, elle éprouve alors un
sentiment de dissociation qu'elle exprime en disant « elle ne fait pas ce que
je veux qu'elle fasse ».
Très rarement observé, ce syndrome qui impressionne fortement, est la
conséquence de lésions frontales unilatérales qui impliquent le cortex
médian supérieur et, souvent, une partie du corps calleux. Dans ce dernier
cas, l'apraxie calleuse de la main gauche est associée au syndrome.
Cependant, il existe des cas où la main droite est affectée, comme il existe
par ailleurs, des cas de membres inférieurs affectés. Le syndrome de la main
étrangère tend à disparaître dans la plupart des cas avec le temps ; il existe
néanmoins, une forme persistante qui est interprétée comme le résultat d'un
manque d'inhibition de l'action, provoqué par des lésions frontales
médianes.

Le comportement conflictuel intermanuel, résultat également d'une


destruction partielle des fibres calleuses, avait été appelé « dyspraxie
diagnostique » par Akelaitis dans les années 1940. Ce conflit intermanuel
est caractérisé par des mouvements d'une main qui dérangent les
mouvements, contrôlés et voulus, effectués par l'autre main et qui consistent
la plupart du temps à saisir et enlever des objets. Par exemple, le patient qui
vient d'enfiler une manche voit l'autre main tirer la manche l'empêchant de
s'habiller ; la cuillère que tient une main pour commencer un repas, est prise
par l'autre main, même si le patient est affamé. Le célèbre patient LB après
son intervention chirurgicale comprenant une commissurotomie calleuse,
alors qu'il réalisait le sous-test cubes de la WAIS avec la main droite, voit sa
main gauche, jusque-là cachée par la table, apparaître et interrompre le test
en prenant les cubes ; LB lui donne une tape vigoureuse avec sa main droite
en disant « ça va la tenir tranquille pendant un moment » (Bogen, 1993).
La différence entre ce trouble et le syndrome de la main étrangère est que
le comportement conflictuel est observé immédiatement après la
commissurotomie calleuse et disparaît après un certain temps. Néanmoins,
séparer ces deux comportements pathologiques paraît artificiel en terme de
clinique appliquée. Plusieurs auteurs, par ailleurs, se réfèrent aux deux
types de troubles comme à une seule pathologie, les désignant comme le
syndrome de la main étrangère (e.g. Blakemore et al., 2002 ; Goldenberg,
2003a). Finalement, il faut tenir compte du fait que les patients peuvent
présenter des comportements appartenant aux deux syndromes à différents
moments de l'évolution de la pathologie. Ainsi, le patient RY de Bogen
(1993) présentait un comportement de conflit entre ses deux mains après la
commissurotomie et des déficits « plus indépendants » quelque temps après.

Ni le syndrome de la main étrangère, ni le comportement conflictuel


intermanuel ne sont observés systématiquement comme conséquence de la
destruction partielle du corps calleux et d'une lésion frontale ; il est possible
que ces manifestations cliniques soient le résultat de certains facteurs
(caractéristiques neuro-anatomiques fines ?) qui, à notre connaissance, n'ont
encore jamais été étudiés. Les comptes-rendus cliniques font état de
réactions différentes en relation avec le phénomène de personnification,
mentionné plus haut ; mais, probablement dues à la rareté de ces
phénomènes et à la complexité du sujet, ces observations cliniques restent
descriptives. Par la nature de leurs caractéristiques, ces types de
comportements ont été interprétés comme des cas d'« hystérie de
conversion ». Cependant, les symptômes surprenants de la déconnexion
calleuse ont, en général, été observés chez l'animal (Bogen, 1993).
L'interprétation de ces troubles est devenue de moins en moins «
psychologisante » et a donné lieu à des réflexions neurocognitivistes. Ainsi,
concernant des explications possibles des mouvements involontaires de la
main étrangère et du conflit intermanuel, Blakemore et al. (2002) proposent
le modèle présenté dans la figure 12. Les auteurs se réfèrent, premièrement,
aux représentations intactes des patients qui leur permettent de former des
plans moteurs de saisie et de manipulations des objets qui sont présents
dans leur environnement immédiat. Le déficit ne concerne donc pas les
représentations, mais leurs activations erronées. Si ces représentations sont
activées indûment, c'est parce que la vue de l'objet suffit à déclencher une
action et, dans ce contexte, le but de l'action (besoin, volonté de la réaliser,
etc.) n'est plus prioritaire. Blakemore et al. voient dans les actions «
indépendantes » de la main anarchique, le résultat des effets d'affordance
qui s'imposent au patient, parce que les mécanismes d'inhibition
controlatéraux ne sont plus fonctionnels. Cependant, les représentations de
l'action proposée et de l'action réelle étant intactes, le patient est conscient
de ne pas être l'auteur des actions qu'il se voit réaliser.
Les comportements d'utilisation et d'imitation

Lhermitte (1983) a décrit les comportements involontaires d'utilisation et


d'imitation. Le comportement d'utilisation est présent chez le patient qui,
sans avoir reçu les consignes pour le faire, utilise les objets qui sont placés
devant lui. Pareillement, le comportement d'imitation est présent chez le
patient qui, avec la consigne explicite de ne pas le faire, imite les actions
que réalise l'examinateur devant lui.
Bien que l'évaluation de ces comportements soit entrée dans la pratique
courante de l'examen de la symptomatologie clinique de l'atteinte frontale,
elle pose bien des problèmes en terme de la validité des tests utilisés : les
Figure 12
. Adaptation du modèle proposé par Blakemore et al. (2002)
expliquant le phénomène de la main anarchique
tâches mesurent-elles vraiment ce qu'elles sont censées mesurer ? En
effet, ces comportements sont évalués par des situations mises en place par
l'examinateur. Ainsi, la manière d'évaluer le comportement d'utilisation est
d'arrêter l'examen à un certain moment, de placer des objets comme, par
exemple, une feuille blanche et un crayon devant le patient et, sans rien
dire, d'attendre sa réaction. Pour évaluer l'imitation, l'examinateur se place
en face du patient et réalise des actions motrices arbitraires comme, par
exemple, taper des mains, croiser ses bras sur sa poitrine puis taper des
mains à nouveau. Si le patient commence à l'imiter, l'examinateur dit
explicitement de ne pas le faire et continue à taper des mains ou toute autre
série d'actions répétitives.
Les questions suivantes doivent être posées :
- Ces comportements sont-ils observés uniquement en consultation et lors
de situations créées par l'examinateur ?
En cas de réponse affirmative, il est nécessaire de tenir compte du fait
qu'un patient cérébro-lésé est fortement sensible aux expectatives et aux
attentes de l'examinateur. Puisqu'on lui présente un crayon et une feuille
blanche, le patient peut se décider à utiliser ces objets, non pas parce qu'il
ne contrôle pas l'action mais pour que le clinicien sache qu'il comprend ! Le
sujet témoin qui ne réagit pas devant les objets posés à portée de sa main ne
ressent pas le besoin de montrer qu'il comprend.
Il n'est donc pas étonnant, si l'on demande au patient pourquoi il a pris le
crayon ou les clés, qu'il réponde invariablement qu'il croyait que c'était ce
que le clinicien voulait qu'il fasse.
Le problème que pose l'évaluation du comportement d'imitation est que
l'action réalisée par l'examinateur, de manière répétitive, l'emporte sur la
consigne verbale, l'action étant plus présente et nouvelle.
- Ces comportements sont-ils observés sans sollicitation, spontanément et
à plusieurs reprises ?
Si la réponse est oui, le diagnostic pourra être posé. Il est très rare, mais
cela est possible, d'observer ces comportements sans aucune sollicitation.
Le patient qui prend la feuille sur laquelle le clinicien est en train d'écrire en
disant « c'est pour moi que vous écrivez ? » ou la patiente qui se lève et met
une écharpe qui est sur la chaise à côté d'elle, ont un comportement
d'utilisation qui a plus de valeur clinique.
De même, le patient qui enlève ses lunettes lorsqu'il voit l'examinateur le
faire, les remet en même temps et donne d'autres signes d'imitation
spontanée durant la séance malgré la demande faite par le clinicien de ne
pas le faire, a un comportement involontaire d'imitation.

Les tentatives d'explication proposées concernent uniquement les cas où


le comportement peut être qualifié d'involontaire et elles se réfèrent
seulement au comportement d'utilisation.
L'utilisation inappropriée déclenchée par la vue de l'objet n'éveille pas
chez le patient le sentiment d'un désaccord entre son intention et son action.
Ainsi, dans l'exemple commenté plus haut, à la question de la clinicienne, la
patiente qui avait mis son écharpe, répond «puisqu'elle était là... ». Selon
Blakemore et al. (2002), les actions sollicitées à l'insu des patients par la
simple présence d'objets autour d'eux, sont jugées erronément comme des
actions qui étaient attendues. Dans le modèle de la figure 12, c'est le « but »
et « l'état souhaité » qui dysfonctionnent. Cette lésion fonctionnelle, très
précoce dans le traitement de l'information, entraînerait une double
difficulté : une absence de but qui se traduit par le fait que le patient n'a
conscience d'avoir agit qu'après l'action uniquement et un manque
d'inhibition lorsqu'il répond aux sollicitations des objets.

En conclusion, les actions motrices involontaires peuvent apparaître


comme des troubles difficilement explicables par une approche
neurologique ou neuropsychiatrique. Cependant, comme nous l'avons vu,
ces actions qui échappent à la volonté sont la conséquence des lésions
cérébrales et nous avons commenté un des modèles neuropsychologiques
pour les étudier. Les données obtenues chez le sujet intact montrent que
l'organisation des structures nerveuses sous-tendant le traitement de
l'information des actions motrices permet une conscience très limitée des
mouvements impliqués. Goodale et al. (1994), entre autres, rapportent une
expérience qui montre cette limitation. Les sujets devaient désigner des
stimuli visuels qui étaient déplacés, de manière aléatoire, de plusieurs
degrés pendant le temps d'une saccade. La main du sujet s'ajustait à chaque
nouvelle position de la cible et la désignait, sans erreur. L'intérêt de ce type
d'expérience est que les sujets ne sont absolument pas conscients des
déplacements de la cible, ils ne perçoivent pas l'élément sensoriel qui
commande le changement du programme moteur pour réussir l'ajustement
de l'action motrice. Une série d'expériences montre que nous devenons
conscients des actions motrices uniquement dans les cas où l'intention de
l'action et le résultat réel diffèrent ouvertement. Le fait que notre système
moteur fonctionne normalement en dehors de notre conscience et que nous
ne soyons pas en mesure de nous apercevoir des erreurs jusqu'à ce qu'elles
dépassent un certain seuil, est probablement dû à des raisons de parcimonie
du système : si nous étions conscients de chaque mouvement, de toute
erreur même peu signifiante et de chaque changement pour obtenir un
ajustement plus ou moins subtil, nous serions submergés d'informations et,
probablement, ralentis.

Les troubles des représentations corporelles

Les observations du début du XXe siècle (e.g. Pick, 1908, in Benton et


Sivan, 1993) aboutissent au postulat de l'existence d'un modèle,
spatialement organisé, qui fournirait le cadre dans lequel sont traitées des
données perceptivomotrices concernant son propre corps (Head, 1920). À
partir de ce modèle général, Head forge le terme de « schéma corporel » qui
est adopté et utilisé durant de nombreuses décennies. Or, ce concept est jugé
vague, regroupant des troubles largement différents et comportant une
démarche tautologique (car la validation du modèle se réalise par
l'observation des déficits divers et ces derniers, par le modèle). Ce domaine
de la neuropsychologie a particulièrement besoin d'une conceptualisation
cohérente ; mais les difficultés pour y arriver sont dues à la rareté des
déficits de représentations corporelles et à l'absence de plaintes de la part
des patients qui en souffrent.

L'autotopoagnosie
Comme l'indique l'étymologie du terme autotopoagnosie, les patients qui
en souffrent ont perdu la capacité de localiser, de désigner et de nommer les
différentes parties de leur propre corps. Cependant, leur incapacité va au-
delà de l'autotopoagnosie puisque qu'ils montrent le même déficit lorsqu'il
s'agit des parties du corps d'autrui, de dessins, de modèles en bois, etc.
Le déficit ne concerne pas la reconnaissance mais les processus de
transcodage de l'information orale ou tactile (voir évaluation), en
désignation d'une partie du corps. Les patients autotopoagnosiques ont des
lésions du lobe pariétal gauche qui affecte l'espace bilatéral de leur propre
corps mais non l'espace extracorporel. Un des cas le mieux étudié dans la
littérature est celui d'Odgen (1985, in Semenza, 2003) concernant un patient
non-aphasique qui présentait une tumeur du lobe pariétal gauche. Le patient
était fort capable de désigner des parties d'objets, comme les portières, le
volant, etc. d'une voiture et il n'avait pas de difficultés pour nommer les
parties du corps ou décrire leur fonction ; cependant, dès lors qu'il devait les
désigner sur commande verbale, sa performance était déficiente.
Les déficits cognitifs à la base des troubles des représentations
corporelles sont peu et mal connus. La localisation des parties du corps
requiert la normalité des traces mnésiques comportant toute l'information
sémantique et fonctionnelle des parties du corps (en plus des aspects
somesthésiques, proprioceptifs et moteurs). Par ailleurs, elle nécessite aussi
que les fonctions verbale, tactile et visuelle soient normales. Il n'est pas
étonnant, après cette énumération que les critères neurologiques pour
considérer l'autotopoagnosie comme un syndrome à part entière soient tous
des critères d'exclusion. Ainsi, le diagnostic s'attache-t-il à vérifier que le
patient ne souffre ni d'agnosie visuelle, ni d'agnosie tactile, ni d'apraxie,
qu'il n'est pas aphasique et qu'il n'a pas de déficits spatio-attentionnels ou
sensorimoteurs pouvant expliquer son incapacité.
L'évaluation est, en conséquence, réalisée dans les modalités verbale et
non-verbale : on demande au patient de fermer les yeux et on touche, par
exemple, la joue droite puis le coude gauche et on lui demande ensuite de
les désigner sur une image ou sur l'examinateur. On continue le test en
observant si la stimulation des points voisins (joue/nez ou coude/avant-bras,
etc.) provoque plus d'erreurs ; puis on demande la même tâche, sur
commande orale, chez les patients chez qui il n'existe pas de signes
aphasiques.

Les membres fantômes

Dans les années 1960, on groupait différents types de pathologies, dont le


phénomène des membres fantômes, dans les classifications d'hallucinations
(somesthésiques, gustatives, olfactives, etc.) sans différencier l'origine
psychiatrique ou clairement neurologique. Cette manière d'étudier les
troubles du comportement s'avérait peu efficace puisque, devant
l'importante hétérogénéité, on ne réalisait qu'une énumération des troubles.
Le retard dans les tentatives de compréhension du phénomène du membre
fantôme vient, par ailleurs, du fait qu'au sein même du phénomène, il existe
une confusion des descriptions. Ces difficultés relèvent de la nature du
trouble étudié dont les paramètres très variés, se réfèrent aux perceptions
des parties du corps qui n'ont plus d'existence physique autre que celle des
traces mnésiques.
Les manifestations de membres fantômes provoquent chez l'observateur
une certaine fascination et un sentiment d'incrédulité : en 1552, Amboise
Paré intitule son œuvre Chose digne d'admiration et quasi incredible :
douleur es parties mortes et amputées (In Flor, 2002) et décrit pour la
première fois la douleur des membres fantômes.

Le phénomène du membre fantôme peut être défini comme le ressenti de


perceptions de normalité, d'anormalité et/ou de douleur d'une partie de son
corps qui a été amputée. Nous allons voir ces trois cas de figures en donnant
plus de place à la douleur du membre fantôme qui est présente chez un très
grand nombre de patients amputés.
- La perception de la partie amputée renvoie au patient la sensation d'un
membre normal mais particulièrement présent, comme si sa conscience se
focalisait de manière soutenue sur cette partie, « laissant dans l'ombre » le
reste de son corps. Ce membre est perçu comme changeant de position, il
peut apparaître et disparaître, il bouge avec le reste du corps ; le patient peut
le décrire en détail, estimer correctement son poids, sa taille et son volume.
Des sensations de chaleur, froid, ainsi que des sensations électriques sont
aussi rapportées.
- Les perceptions d'un membre anormal sont décrites comme si ce
membre était devenu difforme, avec une taille, une position spatiale et/ou
des mouvements bizarres, incorrects ou impossibles. Le patient peut aussi
percevoir des fragments des parties amputées suspendues dans l'espace ou
encore, au cours du temps, des télescopages des segments corporels comme
s'ils résultaient de rétractions de plus en plus importantes des parties
absentes au point de les percevoir à la place d'un autre segment corporel.
Les perceptions des membres fantômes normaux ou déformés sont
décrites de manière spontanée ou en réponse aux stimulations et dans ce
cas-là, il peut s'agir de stimulations des segments du corps éloignés du site
d'amputation. Les différentes stimulations (vibrations, chaleur, massage,
etc.) appliquées sur une joue, par exemple, sont senties comme telles et
dans des points précis du bras amputé, ce qui permet de suggérer une
organisation topographique des sensations somesthésiques (Halligan et al.,
1999 ; Ramachandran et Hirstein, 1998).

Les membres fantômes sont fréquemment les membres supérieurs et


inférieurs mais d'autres parties du corps comme, par exemple, les organes
génitaux externes chez l'homme, les seins chez la femme, la joue, la langue,
etc. continuent à être perçues après l'amputation. On a rapporté aussi la
présence de membres fantômes chez des patients qui sont nés sans un
membre (Semenza, 2003).
- Avec une fréquence estimée entre 50 et 80 % (Flor, 2002), la perception
de la douleur dans le membre amputé est la plus difficile à supporter pour le
patient qui devient fortement focalisé sur le moment d'apparition de ces
sensations. La comparaison des pourcentages entre les études récentes et
celles des décennies passées, peut conduire à croire qu'il existe une
augmentation de la douleur ; cependant, la différence indique que le patient
parle plus facilement de sa perception de douleur une fois écartée son
appréhension d'être jugé mentalement déséquilibré : il est conscient qu'il
ressent une douleur dans une partie amputée. Un autre facteur qui explique
les différences de pourcentages est la meilleure connaissance actuelle de la
réorganisation neurale et de la plasticité cérébrale qui jouent un rôle
fondamental. Dans le passé, les douleurs des membres fantômes étaient
jugées de nature psychologique, puisque « dans la tête du patient », la
raison invoquée étant un conflit non résolu vis-à-vis de la perte d'un
membre. Ce contexte explique que les pourcentages semblent plus faibles
que ceux d'aujourd'hui.
Nous savons à présent que les facteurs psychologiques – notamment en
terme de conflits non résolus et de personnalité prémorbide – ne sont pas à
l'origine de la douleur du membre fantôme (Hill, 1999 ; Flor, 2002, entre
autres). En revanche, plusieurs études montrent que certains facteurs
psychologiques comme le stress et l'anxiété ont une influence sur
l'évolution de la douleur et sur son intensité (idem). Par ailleurs,
Ramachandran et Hirstein (1998) signalent que le phénomène persiste plus
longtemps et est plus marqué pour une amputation suite à un accident ou à
une pathologie douloureuse du membre que si la pathologie conduisant à
l'amputation n'était pas douloureuse.

La présence de sensations liées aux membres fantômes et


particulièrement la douleur ont une corrélation positive avec la magnitude
des changements qui ont lieu dans l'organisation de l'homunculus au niveau
du cortex somato-sensoriel primaire. Grüsser et al. (2001) ont étudié la
réorganisation corticale avant et après amputation d'un membre supérieur ce
qui leur a permis de conclure que l'immobilité due à la douleur en
préopératoire, se manifestait au niveau cérébral sous forme d'une
importante réorganisation corticale. Par ailleurs, ils montrent que, dans ce
cas-là, la douleur avant l'opération et la douleur du membre fantôme ont une
intensité et une nature similaires.
Plus concrètement, la réorganisation cérébrale observée chez des patients
qui ont subi une amputation du membre supérieur et qui présentent une
sensation de douleur du membre fantôme, montre que l'aire somato-
sensorielle de la bouche envahit complètement la région de la main (Flor,
2002).
Une étude plus générale des changements des substrats nerveux qui ont
lieu chez le patient amputé postule qu'ils sont en relation avec le réseau
neuronal dont l'activation résulte d'une « neurosignature » (Melzack, 1990).
Le concept de neurosignature se réfère à l'information sur notre propre
corps et ses sensations, ce qui entraîne que ce réseau soit unique pour
chaque individu. Il comprend le cortex pariétal postérieur, le thalamus, le
cortex somesthésique, la formation réticulée et le système limbique.
Difficile à tester en raison de l'extension du réseau, ce postulat reste
néanmoins une sorte de guide pour mieux comprendre les changements qui
ont lieu chez ces patients.
Finalement un modèle de la douleur du membre fantôme est proposé par
Flor (2002) à partir des facteurs rapportés dans la littérature et considérés
comme déterminants dans l'apparition de ce phénomène. La mémoire de la
douleur est centrale dans le modèle, elle est formée avant l'amputation et
agit comme un facteur déclenchant très puissant. Il s'agirait d'une mémoire
implicite et comme telle, elle est indépendante des changements conscients
liés à la douleur du membre fantôme. Le cortex somato-sensoriel est
impliqué dans le ressenti de la douleur : le processus de déafférentation et
de colonisation des aires des zones amputées par les représentations
somato-sensorielles d'autres parties du corps, pourrait activer des neurones
spécialisés dans la discrimination sensorielle des caractéristiques de la
douleur. Il est suggéré également, que ces processus activent des zones
cérébrales qui sous-tendent les médiations affectives et motivationnelles de
la douleur, à savoir l'insula et le cortex cingulaire antérieur qui montrent des
changements dans leur organisation. En résumé, le modèle postule :
- une douleur de longue durée en préopératoire ;
- la formation conséquente d'une mémoire de la douleur au niveau
cortical et une augmentation de la sensibilité ;
- l'influence des deux premiers points sur l'amputation ;
- la réorganisation de la zone du cortex somato-sensoriel correspondante
au membre amputé ;
- une série de facteurs neuro-anatomiques (e.g. changements au niveau de
l'épine dorsale) agissant sur la réorganisation.
Les progrès réalisés dans les domaines abordés dans ce paragraphe,
notamment en ce qui concerne la douleur du membre fantôme, ont une
incidence directe et bienvenue sur le développement des traitements
appropriés et efficaces. Ainsi, outre les traitements pharmacologiques,
chirurgicaux et anesthésiques, les traitements psychologiques scientifiques
ont une place importante. La méthode « du miroir », conçue par
Ramachandran (Ramachandran et Hirstein, 1998) est la plus connue. Le
contexte de cette invention est important : chez certains patients, la douleur
provoquée par des sensations de spasmes est ressentie dans un membre
fantôme paralysé. Il leur est donc impossible d'agir sur la contraction
douloureuse. Le point de départ de Ramachandran était de faire en sorte que
le patient puisse générer des mouvements volontaires, d'où son idée de
produire une situation d'illusion de récupération du membre fantôme. Pour
cela il a placé un miroir à la verticale, au centre d'une boîte qui a les parties
frontale et supérieure ouvertes. La main du patient est à l'intérieur et,
reflétée dans le miroir, produit l'illusion d'avoir à nouveau le membre
amputé. La vue des mouvements de la main dans le miroir fait qu'ils sont
ressentis comme appartenant au membre fantôme. Plus de 50 % des patients
traités avec le miroir ont été soulagés de la douleur des sensations de
contractions. Qui plus est, un des patients a été « guéri » après une
vingtaine de séances de 10 minutes ce qui, suivant Ramachandran, constitue
la première amputation réussie d'un membre fantôme !
D'autres exemples de techniques moins connues sont la méthode du
biofeedback ou la thérapie cognitivo-comportementale de contrôle de la
douleur. Similairement, l'entraînement de la discrimination sensorielle
montre des résultats extrêmement prometteurs pour les patients qui ne
peuvent pas bénéficier de prothèses (dont le port soulage la douleur du
membre fantôme). On entraîne la discrimination sensorielle pendant des
périodes courtes (deux semaines, deux heures par jour) au moyen des
stimulations électriques de la surface après l'amputation. La douleur
régresse significativement et les résultats au niveau cortical sont également
significatifs : les auteurs ont mis en évidence une inversion de la
réorganisation corticale, observée en imagerie cérébrale avec une
diminution de la place corticale prise par l'aire de la bouche. Ce retour à
l'organisation précédant l'amputation et la douleur est, selon Flor et al.
(2001), durable.

Conclusion
Nous avons abordé dans la première partie de ce chapitre une série des
fonctions liées au mouvement, surtout (mais pas uniquement) des membres
supérieurs, mouvements qui ont pour point commun le niveau « élevé »
d'élaboration. En effet, le déficit de ces gestes est indépendant des processus
de plus bas niveau du contrôle des mouvements. Une deuxième dimension,
« volontaire / non volontaire », s'est avérée essentielle dans la
compréhension des troubles gestuels et, plus simplement, dans la
praticabilité des classifications de ces troubles. Le déficit de l'intention ou
de la volonté de réaliser un geste – les apraxies – reflète des altérations à un
des trois niveaux généraux de traitement de l'information des gestes
volontaires : l'idée du geste, sa transmission ou son exécution. Par ailleurs,
les gestes non souhaités, non contrôlés et réalisés ainsi à l'insu du patient,
sont considérablement plus rares et plus impressionnants. Ils sont également
plus difficilement étudiés de par leur nature, mais leur appartenance aux
troubles neurologiques et neuropsychologiques est à présent largement
acceptée.
Dans la deuxième partie du chapitre, nous avons illustré deux types de
troubles des représentations corporelles, l'autotopoagnosie et les membres
fantômes. L'autotopoagnosie pose le problème délicat de son diagnostic
correct, alors que celui des membres fantômes se fait d'emblée, en même
temps que la constatation des troubles. Les progrès dans la compréhension
de ces derniers ont conduit à une variété de techniques visant à soulager la
douleur qui suit l'amputation d'un membre chez la plupart de ces patients.
Une étape fondamentale dans l'avancée des progrès thérapeutiques a été
franchie grâce à la démarche qui consiste à donner au patient la garantie du
caractère organique de son trouble.
1 Cité par McCarthy et Warrington, 1990.
CHAPITRE 8

Les fonctions des lobes frontaux

Introduction

Les lobes frontaux (LF) ont été décrits comme les régions du « cortex cérébral
qui constituent la plus grande des énigmes » (Nauta, 1971). Trente-cinq années
plus tard, des progrès considérables ont été réalisés par les chercheurs
spécialistes des LF qui ont montré qu'une part du mystère était due à l'importante
complexité neuro-anatomique qui est le soubassement d'une complexité
fonctionnelle tout aussi impressionnante. Cependant, des volets entiers restent à
explorer et à comprendre avant que l'énigme soit résolue. Voyons deux
exemples : certains patients montrent une récupération spontanée de symptômes
sévères, comme la production des confabulations (voir plus bas), alors que
d'autres signes, en apparence plus « légers », comme la difficulté dans la
planification des tâches, perdurent et altèrent l'activité générale du patient. Une
autre constatation non expliquée est la performance satisfaisante de quelques
patients « frontaux » non seulement aux tests de QI mais aussi aux tests sensibles
aux troubles des LF (voir plus bas).
Une des caractéristiques centrales des LF est leur cytoarchitecture dont
l'organisation reflète l'évolution phylogénétique vers des processus et des
comportements du plus haut niveau d'élaboration, comme la participation au
stockage et à la récupération des traces mnésiques, l'association de différents
mécanismes qui aboutissent à la prise de décision, à l'expression du langage, à la
résolution des problèmes, aux traitements émotionnel, affectif, motivationnel,
etc. Cette multiplicité de composantes se traduit, dans le contexte clinique, en un
éclatement des scores aux épreuves dites frontales. Une première conséquence
de l'hétérogénéité des fonctions frontales nous conduit à adopter une perspective
théorique qui réfute la notion de syndrome frontal (Shallice, 1988), réservant
l'utilisation de ce terme aux échanges entre professionnels concernant les
patients qui présentent des échecs aux tests frontaux, des changements de la
personnalité, des comportements altérés, etc.
Les auteurs s'accordent à dire que l'ensemble des fonctions cognitives,
comportementales et affectives sous-tendues par les LF est à la base des
représentations internes du monde environnant. A leur tour, ces représentations
permettent la comparaison entre les informations présentes et passées et c'est à
partir de cette confrontation que le sujet est en mesure de sélectionner une
réponse adaptée à un environnement toujours changeant. Dans le contexte
clinique, la prise en compte de cette caractéristique nous conduit à donner une
place importante aux observations de la vie quotidienne, aux tests à vocation
écologique et aux rapports des personnes proches du patient.

Notions de neuroanatomie

La connaissance de l'anatomie frontale précède la recherche des fonctions : il


existe plusieurs manières de définir et de décrire les différentes zones des lobes
frontaux et de fixer leurs limites. La méthode la plus utilisée se base sur les
variations néocorticales existantes (différences microscopiques de l'architecture
corticale). Brodmann avait publié en 1909 la première étude cytoarchitectonique
qui est encore utilisée de nos jours. Basée sur des critères de descriptions
morphologiques, elle sert surtout de grille de référence. En effet, aucune fonction
ne se limitant à ce type de critères, la carte de Brodmann ne permet pas d'établir
des relations anatomo-fonctionnelles de manière directe. Son rôle de référent est
manifeste dans la lecture des données obtenues au moyen de la neuroimagerie
fonctionnelle, où les activations observées lors d'une tâche cognitive sont «
rattachées » aux sites correspondants aux aires de Brodmann ; ce qui n'est pas
exempt d'erreur car les contours des aires sont mal définis.
La connaissance de la neuroanatomie des LF est d'autant plus nécessaire à
l'étude des fonctions cognitives et du comportement que c'est le cortex qui
montre le plus d'expansion chez l'homme par rapport aux primates non humains.
Rappelons que les régions associatives polymodales occupent 2/3 des LF et que
ceux-ci forment le tiers de la masse cérébrale.
Les principales sous-divisions comprennent :
- le cortex précentral, l'aire 4 ou cortex moteur primaire (circonvolution
frontale ascendante ou gyrus précentral),
- Le cortex prémoteur, l'aire 6 ou aire motrice supplémentaire (AMS). Le tiers
inférieur du cortex prémoteur est formé, à gauche, par l'aire 44 de Broca et l'aire
45. Ces 2 aires sont proches histologiquement et fonctionnellement,
- Le cortex préfrontal, où se trouvent des portions des BA 8 et 9 (appartenant
au cortex oculogyre). Le cortex dorsolatéral (BA 9,10,44,45,46), le cortex
orbitofrontal (BA 11,13,47) et le cortex médian ou parties limbiques du lobe
frontal (BA 24,25,32). (Le cortex préfrontal étant la région la plus importante
d'un point de vue neuropsychologique, est développé de manière plus détaillée
plus loin).
Une manière alternative de diviser les régions des LF prend en considération
les trois surfaces, latérale, médiane et ventrale, comportant chacune des
subdivisions, au sein desquelles différentes études ont tenté de localiser
différentes fonctions.
Ainsi, dans la surface latérale, qui correspond dans sa plus grande partie au
cortex dorsolatéral, se situent le gyrus précentral qui contrôle la réalisation des
mouvements volontaires et le gyrus frontal supérieur, souvent activé lors des
tâches cognitives. Cette région latérale comprend aussi le gyrus frontal inférieur
avec, à gauche l'aire de Broca, qui intervient dans l'expression et dans l'initiation
du langage. Enfin, la surface latérale comprend le gyrus frontal moyen qui est
impliqué dans plusieurs fonctions cognitives de la résolution des problèmes (voir
plus bas).
La surface ventrale, quant à elle, comprend le gyrus rectus, qui pourrait être
associé à certains aspects de la récupération de souvenirs autobiographiques et le
cortex orbitofrontal impliqué dans des fonctions complexes comme la prise de
décision et dans l'intégration du contenu émotionnel à la trace mnésique.
Finalement, la surface médiane intègre la partie antérieure du système
limbique, à savoir le gyrus cingulaire antérieur avec ses nombreuses connexions
anatomiques avec le cortex préfrontal et le cortex temporal ainsi que les
afférences des parties ventrales du mésencéphale. Le gyrus cingulaire antérieur
est impliqué dans des fonctions psychologiques « générales » comme l'attention
ou la motivation mais aussi dans des fonctions plus ciblées comme l'initiation de
la réponse verbale et la suppression d'une réponse verbale. Le gyrus cingulaire
supérieur est probablement associé aux fonctions cognitives impliquant le
traitement émotionnel de l'information. Par ailleurs, la surface médiane est
impliquée dans la résolution des tâches cognitives comme la fluence verbale et le
test de classement de cartes de Wisconsin (Stuss et al., 2001b) que l'on croyait
domaine du cortex préfrontal dorsolatéral. Enfin, cette surface comprend l'AMS
qui pourrait jouer un rôle dans la représentation subjective du temps, la sélection
interne des réponses et la sélection interne des mouvements.
Quelques-unes des connexions cortico-corticales bidirectionnelles (celles qui
semblent être les mieux comprises) impliquent le faisceau unciné qui relie le
cortex préfrontal au pôle temporal, le faisceau de fibres qui relie le lobe pariétal
(site par excellence d'intégration perceptive polymodale) et une partie du lobe
occipital avec le cortex frontal et le faisceau longitudinal supérieur qui relie le
cortex frontal avec d'une part, le gyrus temporal moyen et d'autre part, les
régions temporo-occipitales.
Les connexions cortico-sous-corticales bidirectionnelles impliquent le système
limbique et incluent notamment les gyri cingulaire et parahippocampique et les
connexions fronto-amygdaliennes ont lieu via le fascicule unciné. Par ailleurs, le
cortex préfrontal, le cortex orbitofrontal et le champ oculogyre ont des
connexions bidirectionnelles avec le noyau dorsomédian du thalamus. Par
ailleurs, les connexions fronto-septales, fronto-hypothalamiques et fronto-
mésencéphaliques empruntent des voies directes.

Les boucles fronto-sous-corticales sont au nombre de 5. Elles constituent des


circuits distincts et parallèles qui connectent des régions bien délimitées des LF
avec des sous-régions des ganglions de la base, du pallidum et du thalamus. Les
connexions des LF vont vers les ganglions de la base (le noyau caudé ou le
putamen) ou vers le noyau accumbens. Il existe des projections directes des
ganglions de la base vers la face interne du pallidum et la substance noire, et des
projections indirectes des ganglions de la base vers la face externe du pallidum
et, de là, vers le noyau sous-thalamique.
Le noyau sous-thalamique a des projections en remontant en boucle vers le
pallidum face interne et la substance noire. Le pallidum, face interne, et la
substance noire ont des projections vers le noyau dorsomédian du thalamus. Les
noyaux thalamiques complètent la boucle avec des projections vers le cortex
préfrontal (voir la figure 13).
Figure 13
. Schématisation des boucles fronto-sous-corticales. Le cortex préfrontal
est relié par des voies excitatrices (+) et inhibitrices (–) à de nombreuses
structures sous-corticales : le striatum, le globus pallidus, la substance noire
et le thalamus
Les 5 boucles fronto-sous-corticales sont listées dans le tableau 1, sans autres
données que leur point de départ et le parcours schématisé ; les trois boucles qui
intéressent le plus les neuropsychologues sont commentées a minima, plus bas.
Le rôle fonctionnel de ces circuits est assez bien décrit pour les boucles
motrice et oculomotrice. Le rôle des autres boucles reste en partie indéterminé et
elles sont désignées uniquement par leurs projections frontales. Cependant, étant
donné le rôle fonctionnel de ces aires de projection frontale, on postule que ces
boucles interviennent dans des processus cognitifs, comportementaux et

Tableau 1
. Les cinq boucles fronto-sous-corticales
motivationnels de haut niveau de complexité. L'atteinte des ganglions de la
base participant à une de ces boucles produit, en effet, des déficits proches de
ceux que l'on observe dans une lésion de la région corticale participant à cette
boucle.
Le circuit dorsolatéral a été impliqué dans la planification et dans les fonctions
exécutives ; son dysfonctionnement perturbe la flexibilité cognitive. Quant au
circuit frontomédian ou cingulaire antérieur, il intervient, probablement, dans la
sélection de la réponse et l'initiation du comportement. Son dysfonctionnement
peut provoquer la perte d'autoactivation psychique (observée par exemple après
lésions bipallidales), qui se traduit par une diminution sévère de l'activité
spontanée. Enfin, le circuit orbitofrontal, il semble avoir un rôle dans l'inhibition
de l'interférence et les aspects affectifs ainsi que dans l'autonomie personnelle.
Son dysfonctionnement aurait des répercussions sur la flexibilité affective.

Neuro-anatomie fonctionnelle clinique

Eslinger et Geder (2000) ont associé des aires de Brodmann lésées aux déficits
observés (voir le glossaire pour la définition des termes).
- Les lésions qui affectent les régions motrice et latérale prémotrice (BA 4,6)
provoquent une hémiparésie, une apraxie, une dysarthrie, une aphasie motrice
non fluente si la lésion est unilatérale à gauche et une aprosodie, si la lésion est à
droite.
- Les lésions impliquant la zone médiane supérieure (BA 24,6), peuvent être à
l'origine des tableaux d'akinésie, de mutisme, du syndrome de la main étrangère,
de « grasping » et de perte de motivation, de troubles de l'intention et de
l'autorégulation.
- Les patients qui présentent des lésions au niveau de la région médiane
inférieure (BA 25,32,14), ont des déficits de la fonction inhibitrice des LF sur les
lobes pariétaux ce qui se traduit par une dépendance des lobes pariétaux aux
stimuli visuels et tactiles, sans la fonction d'inhibition qui permet de sélectionner
les stimuli qui sont nécessaires, à un moment donné, pour un but donné. Les
déficits observés sont, en plus des signes de désinhibition, un manque de
motivation et un affect altéré.
- Dans les cas de lésions impliquant le cerveau antérieur de la base, le patient
peut présenter une amnésie, des confabulations et un manque de motivation. Les
confabulations se caractérisent par la production spontanée de faux souvenirs
(qui peuvent être très détaillés) et qui concernent, soit des événements qui n'ont
jamais eu lieu, soit des événements réels qui sont déplacés dans le temps et dans
l'espace. Les patients qui confabulent ne sont pas conscients de l'inexactitude de
leurs souvenirs, ils n'ont aucunement l'intention de tromper autrui : les
confabulations ne sont pas des mensonges.
- L'atteinte du cortex orbitofrontal (BA 10,11,12,13,14) se caractérise par des
changements de la personnalité, une impulsivité, un jugement social altéré, un
manque d'empathie, une absence de but et une dépendance externe (voir la sous
partie intitulée « Troubles du comportement et de la personnalité »).
- Dans les cas où les lésions affectent la région dorsolatérale (BA
8,9,10,11,45,46,47), ce sont les fonctions cognitives qui risquent le plus d'être
touchées, soit par une désorganisation de la pensée et de l'action, soit par une
atteinte de la mémoire active à court terme (voir plus bas). On observe, par
ailleurs, des comportements de persévération, une rigidité cognitive, un échec de
la planification, de l'intention et de l'attention, une impulsivité, un
asservissement au stimulus, un manque d'empathie, un phénomène
d'héminégligence attentionnelle, notamment si la lésion est à droite et une
aphasie transcorticale motrice, si la lésion est à gauche.
En raison du vaste réseau neuronal cortico-sous-cortical qui est le support des
LF, on observe des dysfonctionnements de type frontal, suite à des sites
lésionnels multiples, dans le cadre de différentes démences sous-corticales
comme la maladie de Parkinson, la paralysie supranucléaire progressive et la
démence de Huntington (voir chapitre 9pour la description de chacun de ces
syndromes). Toutes ces maladies comportent des signes de dysfonctionnement
frontal, y compris un échec aux tests sensibles aux troubles des lobes frontaux.

Les fonctions « clés » des lobes frontaux

Les spécialistes des LF s'attachent depuis quelques années à faire émerger une
vue d'ensemble de l'énigmatique fonctionnement du cortex préfrontal. Parmi
plusieurs travaux fascinants, deux nous semblent illustrer cet effort d'intégration
des données. La recherche de Joaquín Fuster, qui étaye sa contribution théorique
avec des résultats neurophysiologiques au niveau cellulaire chez le singe et des
données issues des modèles connexionnistes et les travaux d'Adrian Owen qui
utilise les données de la neuroimagerie et de la neuropsychologie chez l'homme.
Ces deux approches et les interprétations théoriques qui en découlent, résumées
dans les paragraphes suivants, suggèrent deux fonctions fondamentales : la
gestion temporelle du transcodage perception-action et le rôle d'intégration du
cortex préfrontal antérieur, dans toutes les situations qui comportent au moins
deux opérations cognitives séparées et qui ont différentes facettes d'un même
objectif.

L'organisation temporelle

Fuster (2000) propose une interprétation du rôle du cortex préfrontal


dorsolatéral en terme d'organisation temporelle de l'action. Il base son postulat
sur la distribution de réseaux de mémoire et l'organisation hiérarchique de ces
réseaux.
L'activation et le traitement de l'information, hautement spécifiques, tant à
l'intérieur de chaque réseau de représentations (ou réseaux mémoire) qu'entre ces
réseaux, sont largement distribués, caractérisés par une structure synaptique
donnée et définis par leurs connectivités : toute représentation mnésique est
associative.
En ce qui concerne le deuxième point : l'organisation hiérarchique de la
mémoire motrice ou exécutive comprend les motoneurones, les noyaux moteurs
du mésencéphale, le cervelet, les structures motrices du diencéphale, les
ganglions de la base, le cortex moteur primaire, le cortex prémoteur et le cortex
préfrontal.
La première conséquence théorique de cette vue d'ensemble est de poser des
questions sur le bien-fondé de certains modèles qui localisent certaines fonctions
dans le cortex frontal : « En cherchant la clarté méthodologique, nous avons
souvent commis l'erreur de localiser des fonctions qui ne sont pas localisables.
Selon mon opinion, ceci est vrai pour la soi-disant mémoire de travail, pour le
soi-disant "administrateur central", pour la mémoire spatiale et pour une variété
de formes ou d'aspects de l'attention » (Fuster, 2000, pp. 331-332). En revanche,
localiser les réseaux de mémoire exécutive (substrat représentationnel ou
contenu des fonctions non-localisables) pourrait être une démarche efficace dans
le but de mieux comprendre comment les structures frontales organisent un ordre
temporel dans l'action, qu'elle se réfère au raisonnement, au comportement ou au
langage. Une telle organisation ne pourrait être conçue sans un échange entre
réseaux très largement distribués dans différents sites du cortex et sans une série
d'opérations cognitives qui rendent possibles deux principes essentiels qui
guident l'action. Ces principes correspondent à la mémoire rétrospective « si X
auparavant, alors l'action Y maintenant » et à la mémoire prospective « si X à
présent, alors l'action Y plus tard ». La traduction de la perception en action
dépend ainsi de la mémoire active sensorielle ou rétrospective et de la mémoire
active motrice ou prospective dont le travail d'intégration met en jeu des
ensembles importants d'aires corticales distantes.
Le trait définitoire de la mémoire active est sa qualité téléologique (du mot
grec telos : final), il s'agit d'une mémoire mobilisée pour la construction d'une
action dans l'instant futur. Les structures frontales, et particulièrement le cortex
préfrontal dorsolatéral (BA 9,46), sont essentiellement impliquées dans la qualité
téléologique de toute forme de mémoire active à court terme qui vise un but.
D'un point de vue physiologique, certaines études chez le singe (Quintana et
Fuster, 1992, in Fuster, 2000) permettent d'explorer le cortex préfrontal lors
d'une tâche dont la contingence est double (la résolution dépend de deux
éléments ou groupes d'éléments dont certains attributs comme l'apparition, la
fréquence, etc. sont aléatoires). Ce type de tâches implique par excellence le
fonctionnement frontal ; l'analyse de l'intensité et du déclin de la décharge
neuronale lors de l'expérience a montré deux catégories de neurones-mémoire,
ceux qui déchargent en fonction d'un premier indice sensoriel et ceux qui
préparent l'action dans l'éventualité de l'apparition d'un deuxième indice. Fuster
donne une description très imagée : dans le premier groupe, les neurones «
regardent en arrière » pendant le délai alors que dans le deuxième groupe, ils «
regardent vers l'avant ». Les auteurs ont pu conclure qu'au niveau cellulaire, les
neurones appartenant aux deux mémoires actives ne présentent aucune
séparation topographique dans le cortex préfrontal ce qui suggère un transfert
temporel d'un réseau à l'autre, tous deux ayant des échanges avec les zones
postérieures (visuelles, par exemple, si l'indice est visuel) et sont en lien avec les
réseaux moteurs, suivant les étapes hiérarchiques (voir plus haut), vers la
réalisation de l'action.
Sur ces bases, la question centrale est posée : comment se réalise le transfert
de l'information du passé au futur, de la perception à l'action ? Fuster postule,
d'abord, l'implication des mécanismes locaux (cortex préfrontal) et
transcorticaux et, en deuxième lieu, un type de fonctionnement réverbérant ou en
réentrée des circuits itératifs. Cette suggestion a été confirmée dans un travail en
modèle connexionniste (Fuster, 2000).

La fonction d'intégration du cortex préfrontal

Le cortex préfrontal (CPF) est le moins bien compris des cortex frontaux.
Malgré les avancées sans précédent des dernières années, les spécialistes des
fonctions frontales ne sont pas encore parvenus à se prononcer sur la manière
dont les fonctions cognitives sont représentées dans ces zones. Ramnani et Owen
(2004) ont fait une analyse de la littérature dans le but de proposer une
explication du CPF. Les auteurs analysent certaines contributions (celles qui
comportent des expériences en neuroimagerie), d'abord en termes de leur
potentiel pour générer des hypothèses pouvant être testées, ensuite de la nature
de l'information traitée par une structure donnée : d'où vient l'information et
comment est-elle utilisée ? et enfin du niveau de spécificité anatomique et
fonctionnelle. Ils concluent que la plupart des travaux ont un bon potentiel
d'hypothèses testables mais restent en deçà d'une explication sur la nature de
l'information traitée et ne remplissent pas des critères exploitables de spécificité.
Avant de commenter le modèle de ces auteurs, nous allons donner un rapide
aperçu de leur revue dans les domaines de la mémoire, de l'information sur « soi
» et de l'attention.
- La mémoire. Tulving (1983) est le premier à avoir postulé que la
récupération d'un souvenir épisodique nécessite un « état cognitif de
récupération » (retrieval mode) qui fait que l'information concernant un
événement est traitée comme un indice épisodique. Des études en neuroimagerie
(TEP) ont, par la suite, suggéré que le site cérébral sous-tendant le retrieval
mode était BA 10, dans l'hémisphère droit. Cette hypothèse a été confirmée par
différents auteurs qui voient l'activation du CPF antérieur comme le résultat de la
formation et du maintien d'un état attentionnel présent pendant les tentatives de
récupération de l'information épisodique. Quant à la nature de l'information
traitée, elle est décrite mais, d'après Ramnani et Owen, reste non expliquée et les
conclusions s'avèrent souvent trop spécifiques au niveau fonctionnel puisqu'il
existe plusieurs autres études qui montrent une activation du CPF dans des
tâches diverses sans implication du retrieval mode, ni même de la mémoire
épisodique (e.g. MacLeod et al., 1998). Les résultats de l'analyse de la spécificité
anatomique, limitée à la partie antérieure du CPF (BA 10), sont insuffisants
puisque les processus de récupération épisodique, et particulièrement de retrieval
mode, activent des zones cérébrales en dehors de BA 10, notamment les cortex
cingulaire antérieur, frontal ventrolatéral et frontal dorsolatéral à droite.
Un deuxième paradigme de mémoire, qui a été étudié en relation avec le pôle
préfrontal, est la mémoire de source ou mémoire du contexte d'encodage. La
capacité du paradigme à générer des hypothèses est incontestable ; un grand
nombre d'études ont été menées chez le sujet sain et chez le patient cérébro-lésé
pour tester diverses hypothèses. Cependant, les résultats sont contradictoires d'un
auteur à l'autre et les aspects concernant la spécificité fonctionnelle et
anatomique se sont vus adresser les mêmes critiques que le mode de
récupération épisodique commenté plus haut.
La mémoire prospective a montré, dans les nombreux travaux conduits par
Burgess (voir chapitre 3), une association avec BA 10 tant chez les sujets sains
que chez les patients neurologiques. La réponse à la première question
concernant la génération d'hypothèses est, ici aussi, satisfaisante. Quant à la
deuxième question, les analyses réalisées sur la mémoire prospective sont plus
précises et donc plus à même de proposer une explication de la nature de
l'information traitée : BA 10 est associé au maintien de l'intention pendant que
d'autres processus nécessaires à la réalisation du but se déroulent dans d'autres
régions cérébrales. Cependant, la spécificité fonctionnelle est, à nouveau, trop
centrée sur un type de tâche et, au niveau anatomique, les activations observées
en dehors de l'aire étudiée, ne sont pas expliquées. La critique récurrente de
Ramnani et Owen, des trois types de mémoire commentés, est le fait de limiter
l'explication de l'activation de BA 10 à l'attribution des processus mis en œuvre
par des tâches déterminées.
- L'information sur soi. Les soubassements neuraux de l'évaluation
introspective de nos propres pensées et sentiments ou encore, le traitement
explicite de nos processus mentaux ont été attribués à BA 10. L'activité mentale
spontanée, qui est indépendante de tâches en cours, a surtout lieu quand les
demandes de l'environnement sont faibles et que le sujet peut « partir en voyage
mental ». Christoff et Gabrieli (2000 ; cités par Ramnani et Owen, 2004)
suggèrent que l'activation de BA 10 observée lors de certaines expériences de
laboratoire, pourrait s'expliquer par le fait que ces expériences n'exigent pas
suffisamment de concentration pour éviter le vagabondage mental. Ce postulat a
généré des hypothèses testables chaque fois que l'état interne du sujet a pu être
évalué. Ainsi, par exemple, lors de la résolution du test de la Tour de Londres
(décrit plus bas), les différentes possibilités de manipulation sont considérées
mentalement et une décision non verbalisée est formulée avant de procéder à la
manipulation elle-même. Comparé au processus de résolution explicite d'autres
tâches, le processus de résolution interne du test de la Tour de Londres, active
significativement le CPF antérieur. De manière complémentaire, les patients qui
présentent des lésions préfrontales ont des difficultés dans ce type de
planification mentale. Quant à l'information qui rend explicite un état mental, il
ne semble pas y avoir d'explication et, pour ce qui est des spécificités
fonctionnelle et anatomique, elles seraient dans le cas présent en deçà des
critères par manque de spécificité dans les deux cas.
- Les processus d'allocation attentionnelle. Le pôle frontal est censé maintenir
l'attention sur un objectif donné pendant que d'autres opérations mentales ont
lieu, guidées par cet objectif. Il s'agit donc d'une fonction constamment sollicitée
dans la résolution de pratiquement toutes les tâches cognitives : depuis des
actions très élaborées, comme écrire un article, jusqu'à des processus en
apparence très simples, comme se souvenir du petit-déjeuner du matin, en
passant par les tests neuropsychologiques et les actions de la vie courante (celles
qui ne sont pas résolues grâce à des routines surapprises). Cette grande diversité
pose des problèmes aux chercheurs en particulier sur la nature des processus mis
en œuvre. Il ne peut s'agir « uniquement » de l'intégration d'une mémoire active
et de la capacité de flexibilité qui permet au sujet de changer de point de vue lors
de la réalisation des tâches cognitives ; il faut tenir compte également du fait que
le maintien d'une tâche en mémoire pendant que des sous-étapes sont finalisées
comporte nécessairement un stockage mnésique. Comment est utilisée
l'information qui conduit à l'objectif et d'où vient-elle ? Une partie de la réponse
est en relation avec les études sur la mémoire prospective et un autre aspect de
cette question est en relation avec la constatation que lors de la résolution de
problèmes (au sens large), les stimuli qui sont les plus saillants sont rarement les
plus pertinents vis-à-vis du but poursuivi. L'opération cognitive consisterait ainsi
en l'allocation de l'attention après un changement du poids attentionnel,
changement qui relève d'un choix intentionnel (Pollmann, 2001). Un autre aspect
de la question concerne les rapports cliniques des patients qui ont perdu la
capacité d'opérer les changements attentionnels après une lésion frontale (Owen
et al., 1993). Ces différents aspects n'expliquent pas la nature de la fonction qui
reste sans réponse tant que c'est la diversité des tâches qui est visée.

La suggestion de Ramnani et Owen (2004) est de séparer l'attribution du


processus qui a lieu lors d'une tâche spécifique à une zone corticale donnée, du
traitement de l'information qui est propre à une région corticale. Ce manque de
distinction entre ces deux processus serait à l'origine d'une centration sur la tâche
elle-même au détriment d'une possible explication de la nature de l'information
traitée par le CPF. Leur analyse de la littérature aboutit à la proposition d'un
processus qui serait le dénominateur commun de la plupart des résultats. Leur
postulat est que le CPF est activé chaque fois que plusieurs processus cognitifs
sont nécessaires pour arriver à un but. Le recrutement d'opérations cognitives
multiples doit être coordonné et c'est précisément la coordination du traitement
de l'information et du transfert de l'information entre une multitude d'opérations
cognitives à travers les zones d'associations polymodales qui constitue, par
excellence, le rôle du CPF. Les connexions du CPF avec les zones corticales
d'association polymodales ainsi que les propriétés de ses neurones (d'une part,
supériorité du nombre d'épines dendritiques par cellule et de leur densité et,
d'autre part, réduction de la densité du corps cellulaire), sont en faveur de son
rôle de structure d'intégration multi-processus.

L'évaluation des fonctions exécutives


La dénomination de « fonctions exécutives » a son origine dans le travail de
Pribram, qui en 1973, attribue aux LF une capacité exécutive (plus proche, en
français, de la gestion que de l'exécution). Les fonctions exécutives sont les
capacités qui permettent d'établir des patrons nouveaux de comportements et des
manières nouvelles de raisonnement et d'avoir sur eux, un regard introspectif
(Burgess, 2003). Ces capacités sont sollicitées dans des situations inconnues et
dans des situations pour lesquelles les répertoires de comportements ou de
raisonnements que possède la personne, ne sont plus utiles ou sont inappropriés.
Les fonctions exécutives sont, en ce sens, des capacités adaptatives par
excellence, comme le sont la créativité, la pensée abstraite, l'introspection et
toute autre habileté qui répond aux questions concernant « quel est mon
objectif ? » et « comment puis-je l'atteindre ? ».
La situation type est celle où la personne doit résoudre un problème et a
besoin d'utiliser des capacités qui ne sont pas celles surapprises ou des routines
et d'aborder le problème en modulant constamment son approche. Cette capacité
de modulation est faite de flexibilité mentale, qui permet de changer de stratégie,
de critère ou de point de vue, d'habileté à bénéficier du feedback, de mettre en
place des stratégies nouvelles et de réorganiser celles qui existent, etc. Chacune
de ces capacités est sous-tendue par les LF et, dans le cas où elles sont affectées
par une lésion cérébrale, le comportement du patient subi une altération sévère
qui limite ses actions dans tous les domaines... sauf, parfois, dans celui des tests
neuropsychologiques ! Il s'agit, en effet, de capacités qui sont sollicitées par des
situations de la vie réelle où l'imprévu et la nouveauté ont lieu constamment. Par
ailleurs, même dans les cas où les lésions frontales sont étendues, le patient est
souvent fort capable de réaliser correctement des tests de QI.
L'étude des fonctions exécutives comporte une série de difficultés, à
commencer par les différents déficits qui sont présents à un même moment, à
cause du très grand nombre de connexions frontales avec d'autres zones
cérébrales. Sur un autre registre, la recherche des fonctions frontales a été
retardée par rapport à celle menée dans d'autres fonctions, en partie en raison de
l'impossibilité d'étudier une série de ces capacités chez l'animal (e.g. toutes les
fonctions attribuées à BA 10, les troubles du langage, de la mémoire
autobiographique, le manque d'empathie, le mutisme, la présence des
confabulations...). Un autre volet de difficultés se réfère au fait qu'à la différence
de toutes les autres fonctions cognitives, on constate ici une tentative de
théorisation sans une terminologie propre. Les termes utilisés pour expliquer les
fonctions frontales sont communs aux descriptions non scientifiques et employés
en dehors du cadre clinique ; leur utilisation dans des paradigmes expérimentaux
peut prêter à confusion. Par ailleurs, les corrélations entre différents tests censés
mesurer les capacités des LF sont, dans le meilleur des cas, faibles. Les raisons
sont multiples : la mise en place d'un apprentissage, qui peut avoir lieu même au
cours d'une seule épreuve, la variabilité de la performance due, fréquemment, à
l'utilisation aléatoire d'une stratégie donnée, sans qu'il soit possible de contrôler
sa présence ou son absence d'une séance à l'autre. Les tests dits frontaux sont
composés de multiples facteurs qui ne mesurent pas un processus spécifique et
leur variance peut être expliquée par des variables « non-frontales », variables
qui ne sont pas partagées par les différents tests mis à l'étude. Finalement, les
tests doivent activer dans bien des cas, des structures anatomiquement
différentes dont les fonctions sont aussi différentes.

L'évaluation

Contrairement à ce qui a été conseillé pour évaluer les fonctions « non-


frontales », à savoir sélectionner les tests en fonction du patient, ici la règle pour
le clinicien est de présenter plusieurs tests « frontaux ». Cette mesure se justifie
par notre ignorance de ce que mesurent les tests et, au niveau empirique, par la
constatation qu'il existe un éclatement des scores dans la performance des
patients. Il est en conséquence nécessaire d'obtenir une vision assez large de la
performance du patient avant de suggérer un trouble des fonctions exécutives.
Il ne faut pas confondre, cependant, la difficulté de savoir ce que mesurent les
tests (domaine qui relève des facteurs psychométriques comme la validité, la
consistance inter-items, la fiabilité inter-évaluateurs, etc.) avec la connaissance
des bases théoriques indispensables. Parmi ces dernières se trouvent les modèles
commentés plus haut, qui attribuent aux lobes frontaux des fonctions
prioritairement de mémoire active et d'intégration. Les tests qui introduisent un
délai et ceux qui incluent plusieurs opérations cognitives seront sélectionnés en
priorité. Les tests de Hayling, Stroop, Brixton, de classement de cartes de
Wisconsin, entre autres, remplissent ces critères. Dans le cadre théorique du SAS
de Shallice (1988 ; voir chapitre 2), la génération de schémas non routiniers,
l'explicitation d'un objectif et la sélection d'un mode d'opération (en plus de la
mémoire active) du processus préalable d'inhibition des schémas routiniers et de
la mise en place des souvenirs épisodiques seraient prioritaires. Des situations
réelles ou quelques tests écologiques pourraient répondre à cette perspective
théorique.
Un aperçu général des déficits les plus souvent rencontrés dans la clinique
montre des troubles attentionnels manifestés par une grande distractibilité, une
incapacité d'inhibition, d'initiation, d'organisation, de conclusion d'une tâche
commencée, de planification, de jugement, de résolution de problèmes,
d'anticipation, d'apprentissage du feedback, d'introspection, d'empathie, de
ressenti et d'expression des émotions.
D'un point de vue théorique, ces observations, parmi d'autres, sont groupées
en quelques catégories fonctionnelles et commentées avec l'énumération des
tests les plus appropriés pour chacune d'elles (ces tests sont décrits plus bas).
- Mémoire active. L'enregistrement en ligne de l'action qui vient d'avoir lieu,
traite l'information au-delà des données strictement sensorielles puisqu'il prépare
à l'action. Le patient chez qui la lésion frontale provoque un enregistrement
faible, souffre d'une dépendance exagérée à l'égard des stimuli externes. Tests :
le test de Brixton, les tâches de classement de cartes.
- Inhibition et initiation. L'inhibition est une fonction « frontale » par
excellence, en interaction avec la mémoire active ; elle contrôle des fonctions
cognitives en plus des fonctions motrices et de l'émotion car la sélection d'une
réponse adéquate nécessite l'inhibition de toutes celles qui sont présentes par le
contexte et les schémas de routines. L'initiation est l'habileté à répondre sans
délai soit au cours de la conversation, en utilisant des phrases plutôt que des
monosyllabes, soit en réalisant la tâche demandée et, dans tous les cas, sans
avoir besoin de sollicitations répétées de la part de l'examinateur. L'initiation va
de pair avec le maintien de l'action. Tests : la tâche de fluence verbale littérale,
les tests de Hayling, de Stroop, Trail Making (partie B), la tâche go no-go.
- Flexibilité mentale et raisonnement abstrait. La flexibilité est la
manifestation de l'adaptation aux changements extérieurs requis pour un objectif.
Une partie de la fonction s'explique par la mise en place de l'inhibition et de
l'initiation. Cependant, la flexibilité dans son versant de changement d'une
opération cognitive à une autre peut être endommagée alors que l'on ne trouve
pas de déficit dans les tâches plus « simples » d'inhibition et d'initiation. Le
raisonnement abstrait est la capacité d'aller au-delà des éléments immédiatement
perceptibles afin d'extraire des informations susceptibles d'être conceptualisées.
Tests : le test de Weigl, le classement de cartes de Wisconsin, la tâche de
proverbes.
- Intégration et génération de stratégies. Ces fonctions nécessitent que la
flexibilité mentale soit intacte en plus des capacités de planification et
d'organisation. Les données sont intégrées de manière efficace en sélectionnant
des actions qui restent en attente pendant que d'autres sont réalisées. La
génération de stratégies évalue la réponse à la nouveauté. La mise en place de
ces deux fonctions permet de combiner de manière originale et créative des
connaissances diverses stockées et accessibles. L'adoption d'une stratégie
implique la réalisation d'une série d'étapes pertinentes en vue d'arriver à un but.
Le patient qui a des difficultés à générer spontanément des stratégies est
incapable d'organiser des séries d'actions dans un laps de temps donné et de
planifier dans l'avenir, qu'il soit immédiat ou non, en lien avec un test ou avec sa
propre activité. Tests : le test de six éléments, le test des emplettes, la tâche
d'estimations cognitives, le test de la tour de Londres.

Description de quelques tests

Les épreuves les plus souvent utilisées dans la pratique clinique sont
énumérées ci-après. Ce paragraphe a pour but de fournir une notion globale des
tests, sans détailler ni leur histoire (pour des raisons d'espace), ni leur mode de
passation et de cotation dont la description relève des manuels de tests. Enfin,
rappelons que les tests censés évaluer les fonctions frontales ne sont pas exempts
de problèmes méthodologiques (voir plus haut) et de résultats contre-intuitifs
(voir Manning et al., 2005b).
- Le test de Stroop (Stroop, 1935 ; Perret, 1974). Largement utilisé pour
évaluer des troubles frontaux, ce test n'a pourtant pas été construit pour des
patients neurologiques. C'est à partir du travail de Perret qu'il est devenu un des
instruments de base du neuropsychologue. Cependant, MacLeod (1991), entre
autres, met en question la relation entre ce test et les troubles proprement
frontaux. Le test est décrit dans le chapitre 2(paragraphe sur l'attention).

- Les tests de fluence verbale (Thurstone, 1938), comprennent, à présent, une


partie littérale ou phonologique et une partie catégorielle. Conçu pour mesurer la
performance des sujets sains, le test de fluence littérale s'est avéré sensible aux
troubles frontaux (Milner, 1964). Le patient doit produire le plus possible de
mots commençant par une lettre indiquée par l'examinateur, dans un temps
donné qui est d'une ou deux minutes selon les versions. Dans la fluence
catégorielle, la demande est de produire des catégories sémantiques (animaux,
etc.). Cette fluence « sollicite » aussi la participation du lobe temporal.
Version française : Cardebat et al. (1990)
- Trail Making Test (TMT). Initialement construit et utilisé par l'armée des
États-Unis pendant la deuxième guerre mondiale, c'est Armitage qui le propose
aux patients neurologiques, en 1946. Le TMT, dans sa partie A, contient des
cercles distribués de façon aléatoire sur une page et numérotés de 1 à 25, chiffres
que le patient doit relier en ordre croissant, en traçant des lignes entre les cercles.
La partie B introduit des lettres, en plus des chiffres de sorte que le patient relie
chiffres et lettres en les alternant et par ordre croissant et alphabétique, dans un
temps limité. L'objectif de ce test est de mesurer la capacité d'inhibition.

- Le test de classement de cartes de Wisconsin. Berg l'a construit en 1948 mais


il n'était pas conçu pour l'évaluation des patients cérébro-lésés. Il devient
cependant un des tests les plus connus et utilisés chez les patients frontaux, grâce
à Milner, à partir de 1963 dans sa version complète (cette version n'est pas
décrite ici, le lecteur peut consulter Lezak, 1995). En 1976, Nelson publie la
version écourtée qu'elle modifie avec le but d'ôter les ambiguïtés de la version
longue et de réduire, en conséquence, la perplexité et la frustration des patients.
Le « Modified card sorting test » (MCST) de Nelson a comme objectif
l'évaluation de la flexibilité mentale et, notamment dans le MCST, la capacité de
bénéficier du feedback. Le test utilise 48 cartes (2 fois 24) qui peuvent être
classées suivant trois critères, nombre, couleur et forme. Le patient doit classer
un critère après l'autre et c'est l'examinateur qui indique le moment du
changement : « choisissez un autre critère » après six réussites consécutives. Il
arrive que les patients soient incapables de changer de critère et lorsque le
clinicien dit « non, c'est faux », certains répondent « oui, je sais bien » ou, en
plaçant une carte, ils disent spontanément « c'est faux, ce n'est pas là », montrant
ainsi une persévération motrice qui se dissocie de la persévération conceptuelle
et qui l'emporte dans la réalisation de la tâche.
Version française : à notre connaissance, seule existe la version longue de
Milner au Centre de Psychologie Appliquée.

- Le test des proverbes (Gorham, 1956 ; Benton, 1968). La conception de ce


test a été réalisée dans le contexte clinique avec l'objectif d'évaluer la capacité
d'abstraction. Le clinicien doit, avant de demander au patient d'interpréter un
proverbe, s'assurer qu'il le connaît, en le laissant, par exemple, compléter le
dicton (e.g. « Une hirondelle... »). Si son interprétation est au pied de la lettre («
ça veut dire que ce n'est pas parce qu'on voit une hirondelle que c'est le
printemps »), on propose une tâche de reconnaissance, en présentant 4
interprétations sous forme de phrases écrites, relativement courtes, et dont une
seule est juste.

- La tâche d'estimations cognitives (Shallice et Evans, 1978). Le test originel


consiste en 15 questions (10 pour les versions adaptées dans différents pays)
concernant des magnitudes pour lesquelles, n'ayant pas une réponse connue, le
patient doit utiliser une nouvelle combinaison de données qu'il possède en
mémoire à long terme. Cette tâche doit être présentée uniquement si les patients
n'ont pas de signes de dyscalculie car les estimations sont basées sur des chiffres
(e.g. « quelle est la longueur de la colonne vertébrale d'un homme de taille
moyenne ? »). Il est très informatif, en revanche, dans les cas où le clinicien
hésite sur la présence ou non de signes frontaux. Par exemple, le patient qui a
une personnalité exubérante, se lève à plusieurs reprises, rit bruyamment,
propose à l'examinateur de chanter une aria d'opéra, etc., mais il a, par ailleurs,
des scores aux tests frontaux qui sont normaux et son épouse affirme qu'il a
toujours été « fantasque ». Si ce patient répond 1,50 m à la question de notre
exemple, et estime de manière également erronée d'autres questions, le clinicien
est en mesure de s'orienter vers la présence des signes frontaux.

- Le test de la Tour de Londres (Shallice, 1982) a été conçu spécialement dans


le but d'évaluer la capacité de planification. Le patient doit résoudre 12
problèmes de difficulté croissante en suivant une série de règles précises et sous
contrainte de temps. Le test est composé d'un support et trois tiges dans
lesquelles s'insèrent des anneaux de couleurs différentes. Les problèmes
consistent à déplacer ces anneaux pour passer d'une configuration à une autre
selon un modèle présenté, en respectant le nombre de mouvements indiqué par
l'examinateur.
Version française : Coyette et Van der Linden (non publié). Elle comporte
quelques différences par rapport au test de Shallice, par exemple, le nombre
d'items.

- La batterie BADS (The Behavioural Assessment of the Dysexecutive


Syndrome ; Wilson et al., 1996 ; 1998). L'objectif de la batterie est d'évaluer les
difficultés occasionnées par la lésion frontale dans la vie quotidienne du malade.
Les tests sont utilisés séparément, cependant un score global est prévu. Il s'agit
d'un ensemble de 6 tests et d'un questionnaire, conçus et construits pour les
patients présentant des troubles frontaux. Des six tests, nous allons décrire plus
bas, le test des six éléments.
Quant au questionnaire DEX (dysexecutive questionnaire), il a été pensé pour
obtenir l'information donnée par le patient et par un proche. Il comporte 4 volets
d'évaluation : changements de la personnalité, du comportement, de la
motivation et de la cognition.
Version française : Van der Linden et al. (2000) : en préparation aux services
de neuropsychologie de Liège et d'Angers.

-Le test des six éléments (Shallice et Burgess, 1991 ; Wilson et al., 1998). Dès
son origine, il y a une quinzaine d'années, ce test a été conçu expressément pour
les patients présentant des symptômes frontaux avec l'objectif de mettre le
patient dans une situation proche de la vie réelle, dans laquelle il doit planifier et
organiser diverses tâches. Le patient a 10 minutes pour réaliser une dictée
(enregistré dans un magnétophone en deux parties), une tâche de dénomination
d'objets (deux cahiers) et des opérations arithmétiques (également deux cahiers).
Il doit respecter la consigne de ne pas entamer la partie B (ou A) appartenant à la
même tâche dont l'autre moitié vient d'être finie.
- Le test des emplettes multiples (Shallice et Burgess, 1991). Ce test a une très
bonne validité écologique : on demande au patient de faire de courses. Une série
d'éléments permettent de formaliser cette activité de la vie courante et de coter la
performance du patient. Ainsi, l'endroit (rue piétonne) doit être inconnu du
patient, il doit réaliser 8 tâches variées en respectant des contraintes de temps,
etc. Ce test peut s'avérer déficitaire dans un contexte de scores normaux à
d'autres tâches frontales.

- Le test de Brixton (Burgess et Shallice, 1996). Conçu pour la clinique, il a


comme objectif de contraindre le patient à déduire des règles. On présente une à
une 56 pages qui contiennent toutes, dix cercles disposés toujours de la même
manière. Un seul de ces cercles est rempli, occupant une localisation différente
dans chaque page et la tâche du patient est de prédire sa position dans la page
suivante. L'épreuve a été conçue de manière à ne pas donner d'indice perceptif de
façon à réserver la réussite à la formation d'une règle.

- Le test de Hayling (Burgess et Shallice, 1996) conçu pour les patients «


frontaux », il a comme objectif d'évaluer l'inhibition, l'initiation et la génération
de stratégies sous contrainte de temps. Il est composé de 30 phrases
incomplètes : pour les 15 premières, le patient doit donner un mot en accord avec
le sens de la phrase (« trois personnes sont mortes dans un grave... ») alors que
pour les 15 phrases suivantes (partie B), le sens doit être expressément rompu («
Le soir ils faisaient une courte... : mésange, par exemple). C'est la partie B qui
constitue le test proprement dit, bien que l'on mesure le temps de latence pour les
deux formes ce qui permet de mieux interpréter le ralentissement à la partie B.
On cote, par ailleurs, les réponses selon le degré de rupture sémantique de la
phrase. Dans notre expérience, il s'agit d'un des tests les plus sensibles aux
troubles frontaux. Il faut, cependant, tenir compte que si les tests frontaux, en
général, sont proposés uniquement aux patients dont les QI verbal et de
performance sont au minimum dans l'intervalle limite, le test de Hayling, doit,
pour avoir une valeur diagnostique, être présenté aux patients dont les QI sont au
moins dans la moyenne.
Version française : Meulemans et al., 1999 (en préparation in Van der Linden
et al., 2000).

- La tâche go no-go (Luria, 1973). Il s'agit de mettre en évidence le suivi des


consignes dans un contexte qui invite à ne pas les respecter. Dans une des
versions, le patient doit, entre autres tâches similaires, frapper une fois sur la
table avec un crayon, lorsqu'il entend l'examinateur frapper deux fois, et ne rien
faire si l'examinateur frappe un seul coup.

Troubles du comportement et de la personnalité

Les patients qui souffrent de lésions des régions ventromédianes ou


orbitofrontales peuvent présenter des troubles du comportement et des
changements de la personnalité (voir plus bas). Plus en relation avec les régions
médianes, on observe les déficits de l'initiation de l'action et la présence de
persévérations, quand l'action peut être initiée. Ces patients, dans les cas sévères,
sont incapables de commencer des actions de routine, comme se laver les dents
ou s'habiller, sans une sollicitation externe.
En cas de lésions au niveau des zones orbitaires des LF, certains patients
souffrent de troubles de la sphère émotionnelle (en raison, entre autres, des
connexions qui relient ces régions à l'amygdale et à l'hypothalamus). Le patient
montre une attitude moriatique, caractérisée par une euphorie pathologique avec
des signes d'hypomanie, accompagnée d'insouciance, de désinhibition et de
manque d'autocritique. Il montre aussi une labilité marquée, passant d'une
attitude passionnée à des moments d'indifférence, d'un comportement de
séduction à des phases d'agressivité. Le manque d'autocritique est constant et,
questionné, le patient tend à répondre de manière relativement stéréotypée quel
que soit le comportement qui motive la question. Dans certains cas, le patient
peut rire ou pleurer dans des situations où ces expressions sont déplacées, sans
être capable de s'en rendre compte. Parallèlement, le comportement langagier
dans le contexte des changements de la personnalité dus aux lésions
orbitofrontales, donne lieu à une loquacité, volubilité, ironie, facétie et
persévération verbales. Certains patients, dans ce contexte, cherchent à
impressionner autrui par le récit de faits particulièrement violents et/ou à
connotation fortement sexuelle : l'obscénité verbale semble être une
caractéristique souvent observée et accompagnée, parfois, de comportements
sexuels qui étaient absents avant la lésion (Walker et Blumer, 1975).
La « mentalisation », processus à la base de la formation de nos repères
sociaux (Stuss et al., 2001a), comprend la capacité d'empathie, de
compréhension des subtilités du langage comme la captation de l'humour, la
métaphore, l'ironie et l'ensemble des fonctions étudiées qui contribuent à la
construction d'une théorie de l'esprit (« theory of mind », Stone et al., 1998),
peuvent être altérés par des lésions frontales. La présence de ces déficits, à
différents degrés de sévérité, a été démontrée chez les patients autistes, il y a 20
ans par Baron-Cohen et al. (1985) qui, les premiers, ont posé les fondements de
l'étude scientifique de ces troubles en suggérant leur ancrage neurologique. Leurs
observations ont été depuis largement confirmées et élargies (e.g. Frith et Frith,
1999). Ce qui nous intéresse ici est précisément la dimension cérébrale dans la
mesure où ces troubles sont la conséquence de dysfonctionnements du CPF.
La théorie de l'esprit est la capacité qui permet d'inférer l'état mental d'autrui
et, ce faisant, d'interagir socialement à des niveaux très élaborés. Stone et al.
(1998) ont montré que les patients présentant des lésions bilatérales des zones
orbitaires du CPF ont le même profil de performances que les patients qui
souffrent du syndrome d'Asperger (forme légère de l'autisme). Alors qu'une série
de tests est réalisée normalement, il existe un test auquel les patients échouent,
c'est celui de « détecter la gaffe » (Recognition of faux pas task) dans lequel les
patients écoutent des histoires très brèves et sans ambiguïté (une version écrite
devant eux évite des oublis). Les histoires sont bien comprises comme le
montrent des questions de contrôle, cependant, les deux groupes de patients
(présentant des lésions du CPF orbitaire et des patients Asperger en contraste
avec les patients dorso-latéraux et les sujets normaux) ne reconnaissent pas
spontanément la gaffe et répondent négativement aux questions très ciblées.
Détecter une gaffe implique d'abord le fait de comprendre qu'une personne sait
certaines choses que l'autre ignore et ensuite une « compréhension empathique »
(empathic understanding) permettant d'appréhender quelles attitudes, paroles,
etc. peuvent vexer ou blesser une personne. Les deux groupes de patients
répondent correctement aux questions qui visent la compréhension empathique
(e.g. « comment pensez-vous que X s'est senti quand Y a dit que... ? »). Ces
données montrent qu'il ne s'agit donc pas d'un manque d'intégration entre
l'empathie et l'attribution d'un état mental (manque observé chez le patient
autiste). Chez les patients avec des lésions du CPF orbitaire (et les patients qui
souffrent du syndrome d'Asperger), il s'agit d'un défaut d'un type d'intégration
plus subtile ; c'est une rupture du lien fonctionnel entre leurs propres repères
d'inférence de l'état mental d'autrui et la capacité de comprendre l'émotion. La
valeur de cette découverte est corroborée sur deux plans, le premier est
l'observation du comportement spontané, qui est constante : « Leur
performance... est en accord avec leur comportement dans la vie courante où ils
disent des choses inappropriées et analysent de façon erronée les situations
sociales » (Stone et al., 1998, p. 648) et ils sont incapables de les corriger, même
s'ils obtiennent un feedback. Il est probable que le feedback agisse sur l'empathie
cognitive qui est intacte. Le deuxième niveau sur lequel s'appuie ce postulat est
neuro-anatomique, à savoir les réseaux de connexions du CPF orbitaire avec
l'amygdale (déjà commenté).
En 2003, Stone et al. présentent une recherche novatrice en relation avec les
conséquences des déficits bilatéraux des noyaux amygdaliens sur la théorie de
l'esprit chez l'adulte. Le rôle de l'amygdale dans le traitement de l'information
sociale avait été démontré pour les sujets qui souffraient de lésions
amygdaliennes depuis l'enfance. Stone et al. ont constaté que deux patients ayant
un déficit acquis à l'âge adulte, échouaient au test de détection de la gaffe et à
d'autres tâches similaires. Les auteurs n'obtiennent aucune corrélation entre les
items de difficulté élevée et les échecs des patients. Ils montrent ainsi que (a)
l'échec n'est pas dû uniquement aux variables purement cognitives et (b) que le
rôle crucial de l'amygdale dans la théorie de l'esprit ne se limite pas à la période
de développement mais existe également dans le traitement des informations
sociales du cerveau adulte. Chez le sujet intact, Baron-Cohen et al. (1999 in
Stone, 2007) ont également observé une activation de l'amygdale et du gyrus
temporal supérieur lors d'un test d'interprétation du regard (regard anxieux
versus calme ; « Reading the Mind in the Eyes Test »). Adolphs et al. (2002 ; in
Stone, 2007) ont proposé le test du regard à des sujets sains, à des patients
présentant des lésions bilatérales de l'amygdale et à des patients porteurs de
lésions unilatérales. Le test comportait trois types de stimuli : des émotions
sociales (par exemple, arrogant, mal à l'aise), des émotions de base (par exemple,
tristesse, colère) et des états mentaux complexes (par exemple, intérêt, ennui,
perplexité). Les résultats ont mis en évidence que le rôle de l'amygdale est
uniquement déterminant pour les émotions sociales. En effet, les patients
porteurs de lésions bilatérales réalisaient correctement les interprétations du
regard dans les cas d'émotions de base et des états mentaux complexes, alors que
leurs interprétations pour les émotions sociales étaient erronées. Par contre, le
traitement de l'information, tant des émotions, en général, que des états mentaux
complexes, est déficient chez des patients présentant des lésions du CPF
orbitaire comme l'ont montré Gregory et al. (2002 ; in Stone, 2007). Par ailleurs,
le jugement du regard vers un objet et qui comporte une intention ou un désir
d'agir sur l'objet, a été testé chez deux groupes de patients par Snowden et al.
(2003 ; in Stone, 2007). Dans un groupe, les patients présentaient une lésion du
CPF orbitaire dont l'origine était la démence fronto-temporale (DFT), dans
l'autre les patients souffraient de la maladie de Huntington. Seuls les patients
DFT ont montré un déficit spécifique dans l'interprétation du regard, alors que
leurs réponses concernant la direction du regard étaient correctes. À partir de ces
résultats, nous pouvons conclure, en faisant écho à Stone (2003), que c'est le
CPF orbitaire et non l'amygdale qui sous-tend l'inférence des états mentaux, et
plus particulièrement l'interprétation de ces états à partir du regard d'autrui.

Clinique appliquée. Présentation de deux patients

Troubles des fonctions exécutives et changement de la personnalité dans un cas


d'histiocytose de Langerhans hypothalamique (Manning et Sellal, 2003)

Madame J est née en 1931 (examinée en 2001). Elle a poursuivi ses études
jusqu'à l'âge de 14 ans et a travaillé jusqu'au moment de son hospitalisation dans
la conception de vêtements en fourrure.
En 1992, la patiente présente une histiocytose de Langerhans (HL) hépatique
(confirmée par biopsie) et hypothalamique (inférée par son diabète insipide).
L'IRM cérébrale montre, en 2000, une tumeur hypothalamique bilobée s'étendant
du chiasme optique à la partie postérieure du troisième ventricule, déplaçant le
thalamus vers la gauche et comprimant fortement les corps mamillaires. Le
thalamus lui-même et le lobe temporal médian sont intacts. La TEP de repos (18
Fluorodeoxiglucose) en 2001, montre des régions de petite taille
d'hypométabolisme situées dans le CPF médian, bilatéralement ; dans le gyrus
frontal supérieur à droite ; dans le noyau caudé et dans le lobe pariétal à droite ;
et un hypermétabolisme très marqué dans l'hypothalamus.

Examen neuropsychologique
La patiente obtient des QI verbal et de performance dans l'intervalle moyen
(90 et 96, respectivement) avec une distribution homogène des sous-tests. Ces
scores sont en accord avec son niveau estimé de fonctionnement antérieur à sa
maladie (sur la base de sa scolarisation). Le langage à une épreuve de
dénomination de niveau de difficulté élevé est limite (Déno 100 = 93/100) ;
cependant, ce score doit être nuancé en tenant compte que la patiente parle
l'alsacien chez elle. Les praxies de construction (figure complexe de Rey, copie =
36/36) ainsi que les capacités visuo-perceptives et visuo-spatiales sont
parfaitement préservées (test de décision d'objet = 19/20 et test d'analyse de
cubes = 9/10, respectivement).
Ses capacités mnésiques au test de Grober et Buschke montrent un score
d'encodage préservé (12/16) mais un rappel libre sévèrement déficitaire (9/48)
qui est peu aidé par l'indiçage et le score total reste très déficient (rappel total =
26/48) ainsi que le score différé (2 et 7/16 en rappel libre et total,
respectivement). Sa performance aux tests de mémoire de reconnaissance
verbale et des visages est aussi déficiente (33 et 29/50, respectivement ; les deux
scores sont inférieurs au 5e centile).
Sa mémoire rétrograde est pareillement atteinte et ce, sur le versant de la
sémantique personnelle du questionnaire AMI (52 %) et des incidents
autobiographiques du même test (3,7 %).
Les capacités exécutives sont évaluées au moyen des tests suivants :
- le MCST : un critère sur 6 est retrouvé. On note 22 persévérations,
- le test de Weigl = 1/2. Ce test est composé de fiches de différentes formes et
couleurs (Weigl, 1927 ; Lezak, 1995), la tâche étant de trouver ces deux
catégories. Madame J est incapable de passer de la forme à la couleur,
- le test de la Tour de Londres = 5/12 (limite = 8), avec un indice de temps de
13 (limite = 25),
- la tâche de séquences motrices de Luria = 0/10,
- la tâche de séries graphiques de Luria = 10/10,
- le test de Stroop = - 26 (limite = - 9),
- la fluence verbale littérale avec les lettres P et M en une minute chacune :
moyenne = 11 (faible).

Changement de la personnalité : comportement et affect


Le mari de la patiente nous renseigne sur un changement de comportement qui
l'inquiète : elle s'est montrée « hostile et agressive, comme elle n'a jamais été ».
Nous lui avons, en conséquence, présenté l'échelle d'Iowa (version française de
Juillerat et Peter-Favre, non publiée, à notre connaissance).
L'échelle est composée de 30 caractéristiques de personnalité (stabilité de
l'humeur, apathie, manque de contrôle, indifférence, etc.). Chaque item est coté
sur une échelle de 7 points par un proche du patient et en faisant référence à
deux moments : avant et après la maladie ; l'augmentation du score d'avant à
après dénote un changement négatif dans le sens d'une atteinte de
fonctionnement frontal. Le mari de la patiente a accepté de remplir le
questionnaire, qui montre une différence de 47 points du passé (63 points) au
présent (110 points) (e.g. « avant la maladie, Madame J n'avait pas de difficulté à
finir une tâche commencée ; après la maladie on remarque qu'elle ne finit plus
les tâches qu'elle commence ». Elle est devenue irritable, impatiente, incapable
de se concentrer, indifférente alors qu'elle était pondérée, très responsable,
jamais expansive mais pas indifférente, etc.
Commentaire. Deux points sont fondamentaux dans l'interprétation des petites
zones d'hypométabolisme mises en évidence par la TEP. Premièrement, elles ne
sont pas provoquées directement par la HL, puisque la tumeur n'est pas
infiltrante mais encapsulée. Deuxièmement, des connexions entre le CPF médian
et les portions antérieures et ventromédianes de l'hypothalamus, ainsi qu'entre le
CPF orbitaire et l'hypothalamus latéral ont été démontrées par Ongur et al.
(2003). Nous proposons donc que ces zones d'hypométabolisme reflètent des
déconnexions fronto-hypothalamiques.
Une tentative d'explication de l'amnésie de notre patiente, en relation avec les
données neuro-anatomiques, nous renvoie aux connexions entre la formation
hippocampique et le thalamus, connexions qui passent par l'hypothalamus et
impliquent les corps mamillaires. Nous pensons que ce réseau altéré par la
tumeur, doit être à l'origine des troubles mnésiques sévères que nous avons
constatés chez Madame J. Nous avions trouvé, au moment de la publication du
cas présent, un seul antécédent dans la littérature : il s'agit du travail de Ptack et
al. (2001). Ces auteurs décrivent un cas de sarcoïdose, n'excluant pas la
possibilité d'HL, qui affecte uniquement l'hypothalamus et provoque une
amnésie sévère et des troubles frontaux étendus.

Changement de la personnalité dans un cas d'hydrocéphalie provoquée par un


kyste pinéal et aggravée par un traumatisme crânien. Manning et Coin (1996,
non publié)

Le travail d'observation que nous présentons ici, s'inscrit dans un programme


de rééducation « écologique » réalisée durant une année (mémoire de DESS). Il
semble peu utile de synthétiser un programme qui est cohérent seulement si
l'articulation de ses différentes sous-étapes est transmise en détail. Pour des
raisons d'espace, nous allons donc commenter uniquement les observations qui
ont précédé la mise en place de la rééducation et qui sont susceptibles de garder
leur intérêt, même sous forme résumée.
Le patient, Monsieur T, a 43 ans quand il est examiné par nous. Il est droitier
et son niveau culturel est remarquable, il a obtenu des diplômes de 3e cycle en
France et aux États-Unis, il parle 5 langues couramment et possède une culture
générale très étendue et solide. Avant son traumatisme crânien (TC), il était
directeur d'une entreprise d'informatique. Il avait des activités nombreuses et très
variées en dehors de son travail, comme par exemple, la musique et le dessin
mais aussi la construction d'une partie de sa villa et des responsabilités de haut
niveau au sein d'un comité national ayant trait à un sport et appartenant à une
fédération mondiale. Cette activité de gestion, qui occupait avant l'accident une
partie de son temps libre, est la seule activité suivie qu'il garde après : il est
président de la section nationale, secrétaire général de la fédération européenne
et membre de la fédération internationale.
Il se plaint de l'effort important qu'il doit fournir pour réaliser ces activités en
un temps qu'il estime dix fois plus long qu'avant son accident. Il se plaint aussi
d'une difficulté à organiser son travail et d'une fatigabilité importante qui l'oblige
à de nombreux temps de repos et de sommeil. Il souhaite, malgré tout, continuer
ces tâches, car son travail est utile à la fédération et cette occupation lui confère
un rôle social reconnu, seule manière de progresser dans sa réinsertion
professionnelle. Le programme de rééducation écologique avait ainsi été
développé en relation avec ce souhait précis, exprimé par le patient, et il avait
comme but d'instaurer des schémas d'organisation adaptés afin d'améliorer cette
activité qu'il exerçait en bénévolat, à son domicile. Pour conduire ce programme,
il fallait être in situ et travailler le manque d'organisation « à chaud » (voir plus
haut, les difficultés des patients frontaux à planifier et à appliquer des consignes
pour le futur). C'est dans ce but que nous avons dû réaliser une première partie
d'observation détaillée.

Anamnèse. Notre patient a été victime d'une chute, trois années auparavant,
qui a provoqué un traumatisme crânien (TC) temporo-pariétal droit suivi de
confusion. Le scanner cérébral révèle une importante atrophie sous-corticale et
un élargissement du système ventriculaire. Après la chute, le patient ne reconnaît
pas sa famille, présente des troubles de la marche, avec ataxie et rétropulsion.
Aucune amélioration ne se produisant à un mois du TC, une nouvelle
hospitalisation est décidée. On constate alors, une amnésie, une aphasie et une
apraxie. Le diagnostic de « décompensation intellectuelle » étant posé, le patient
est adressé à un psychanalyste privé, chez qui il se rend accompagné de sa
femme en raison de ses troubles du langage. Les séances consistent en l'analyse
des dessins du patient et des éléments biographiques du patient, fournis par son
épouse.
Plus de deux mois plus tard, il consulte un nouveau neurologue qui prescrit
une IRM. Les résultats de l'examen, 4 mois après l'accident, objectivent un kyste
pinéal qui comprime la cavité de Sylvius et provoque une hydrocéphalie
modérée puis ventriculaire d'amont. Le patient est hospitalisé et une dérivation
ventriculaire par la mise en place d'une valve de Pudenz est pratiquée.
L'amélioration est spectaculaire, au bout d'une semaine il regagne son domicile
avec seulement quelques troubles mnésiques et langagiers qui disparaissent
rapidement. Il souffre peu de temps après d'une dépression qui dure environ 6
mois. Son épouse signale que c'est à partir de sa sortie de l'état dépressif que son
comportement devient progressivement euphorique.

Trois ans plus tard, les déficits comportementaux, comme nous l'avons
mentionné et le verrons avec plus de détails, sont importants et interfèrent avec
une vie normale. Quelle est la part de l'hydrocéphalie non traitée pendant 4 mois,
la part du kyste et celle du TC ? La constatation d'un des médecins qui a suivi le
patient à partir du diagnostic en IRM, est que la tumeur pinéale et son
retentissement avec une hydrocéphalie, qui pré-existaient au traumatisme,
n'empêchaient pas le patient de mener des activités tout à fait adaptées aux
exigences de son poste et qu'après le TC il était incapable d'avoir une activité
normale.
Le diagnostic issu de la troisième hospitalisation du patient est celui d'une
désafférentation frontale consécutive à une lésion thalamique, elle-même en lien
avec le kyste et l'hydrocéphalie.

Capacités cognitives
L'examen neuropsychologique met en évidence des QI verbal et de
performance très supérieurs (136 et 150, respectivement). Sa performance aux
tests de mémoire antérograde, visuo-perception et langage, est également
supérieure, indépendamment du niveau de difficulté des tâches proposées. Non
testée formellement, la mémoire rétrograde autobiographique est très altérée,
comme nous l'avons constaté au cours de nombreux entretiens avec sa famille.
Les capacités exécutives sont évaluées au moyen des tests suivants :
- MCST : les 6 critères sont trouvés en moins de 42 réponses,
- le test de la Tour de Londres = 12/12, avec un excellent indice de temps
(moins de 30 secondes par item),
- la tâche de coordination bimanuelle de Luria : sans erreur,
- la tâche de séries graphiques de Luria : sans erreur,
- le TMT : score dans la moyenne,
- la tâche d'estimations cognitives, dans la moyenne,
- la fluence verbale littérale avec les lettres P et M en une minute chacune =
moyenne = 20,
- la fluence catégorielle (animaux) = 36 en une minute,
-le test de vitesse d'attention soutenue (Coughlins et Hollows, 1985) = 75e
centile.
Deux ans après cette évaluation (à 5 ans de l'accident), nous ré-examinons
Monsieur T au service de neuropsychologie de l'hôpital Foch (Suresnes, Île-de-
France). Les capacités cognitives ne sont pas significativement différentes à cette
occasion. Un test très sensible aux troubles frontaux est présenté, le test de
Hayling, qui est réussi.

Changement de la personnalité : comportement et affect


La présente étude a été possible grâce à la coopération extraordinaire du
patient et de son épouse.
Afin d'objectiver les changements comportementaux de la façon la plus
complète possible, l'une de nous (VC) a réalisé une trentaine d'heures
d'observation directe du comportement du patient, chez lui, dans son bureau,
pendant ses séances de travail de bénévolat. Par ailleurs, VC a visionné des
cassettes de la famille (réunions d'anniversaires et autres événements comportant
d'autres membres de la famille et des amis), filmées avant l'accident et les a
comparées avec celles filmées par son épouse, à notre demande. Ces dernières,
ont eu lieu pendant les périodes de la journée où le patient travaillait pour
l'association sportive, communicant avec ses homologues européens par
téléphone et par fax.
Nous avons pu établir une série de changements comportementaux objectifs :
- La tenue vestimentaire stricte, les cheveux courts de l'homme à l'apparence
plutôt austère des premières cassettes ont laissé la place à quelqu'un à la
démarche un peu traînante, aux vêtements sportifs décontractés et aux cheveux
longs retenus par un catogan.
- Le directeur d'entreprise plutôt réservé, peu expressif, même vis-à-vis de sa
famille montre, après son accident, une gestualité abondante, des rires bruyants,
une grande jovialité et une interaction chaleureuse d'emblée.
En observation directe, on constate :
- Un langage qui tend à l'hyperfluence et l'utilisation des onomatopées et des
pantomimes pour ponctuer son discours. L'analyse pointue, très rapide et souvent
mordante de l'entourage et de lui-même, est exprimée avec génie : « Je suis une
Ferrari coincée en première », par exemple.
- Des accès de violence, le plus souvent verbale, sans que la présence des
observateurs le gêne. Ses colères sont déclenchées lorsqu'il juge le
comportement de l'autre inexplicable par le raisonnement ; aucun élément
affectif n'est pris en compte. N'étant pas capable d'appréhender l'émotion de
l'autre, selon sa propre affirmation, il réagit à des comportements qui
apparaissent à son jugement « simplement stupides ». Cette attitude est illustrée
par son emportement verbal et physique lorsque sa fille de 12 ans, figée par la
peur d'une araignée posée sur l'outil que son père attendait, n'arrivait pas à le
prendre. Le patient exprime, à plusieurs reprises de manière très factuelle son
indifférence affective à l'égard de sa famille.
- L'impossibilité de contrôler ces accès dont la disproportion est reconnue
après coup mais se limite à une constatation sans aucun ressenti, selon sa
description. En revanche, il fait des remarques à son épouse lorsqu'elle montre
de l'impatience envers ses enfants, devant les autres.
- Les problèmes économiques et de réinsertion professionnelle sont clairement
évoqués par le patient, cependant, il se sent incapable de se projeter dans l'avenir
et n'entreprend aucune démarche.
Lors de l'examen à l'hôpital Foch, en 1998, on constate que les troubles du
comportement se sont accentués ; son épouse est suivie pour une dépression.
Commentaire. Les résultats excellents du patient aux tests
neuropsychologiques contrastent avec les troubles comportementaux qui se
traduisent par une extrême difficulté à organiser et à réaliser des activités qui
l'occupaient quelques heures par semaine avant le TC. On constate des
modifications des réponses émotionnelles et motivationnelles par rapport à avant
son accident, modifications qui sont permanentes et attribuées aux troubles
organiques.

En résumé, les deux cas présentés dans cette section partagent des
caractéristiques neuro-anatomiques, à savoir la HL du premier cas et le kyste du
deuxième sont situés dans le diencéphale, l'hypothalamus et l'épithalamus
respectivement. Il est intéressant de noter que ces deux cas ont en commun les
changements de la personnalité et la préservation du QI. Ce profil cognitif a été
décrit dans la littérature chez des patients présentant des lésions du CPF orbitaire
(par exemple EVR étudié par Eslinger et Damasio, 1985, avait subi une exérèse
d'un méningiome bilatéral). Aucun de nos deux patients ne présente des lésions
dans les structures frontales, leurs troubles semblent illustrer les effets à distance
provenant de connexions lésées.
Nos patients diffèrent entre eux, dans leur performance aux tests de mémoire
antérograde et aux tests sensibles aux troubles frontaux, l'une des nombreuses
raisons de cette différence pourrait être en relation avec une compression sévère
des corps mamillaires dans le premier cas.

Conclusion

Les facteurs postulés comme étant à l'origine de l'énigme des lobes frontaux
font référence, parmi d'autres, aux contrastes qui sont observés chez certains
patients, entre une performance normale aux tests de QI et un effondrement des
scores aux tests frontaux ou bien des scores normaux à tous les tests et un
ensemble de troubles du comportement qui entraîne un bouleversement dans la
vie du patient et de sa famille. Nous avons illustré ces cas de figure dans la
présentation des patients. L'adoption d'une perspective intégrative pour
interpréter le fonctionnement frontal à l'instar d'Owen, par exemple, pourrait
aider à éclaircir certains points. Dans ce contexte, l'intégration, qui implique une
organisation et un contrôle de deux ou plusieurs opérations cognitives, peut
s'appliquer à différents niveaux. Deuxièmement, il s'agit de structures qui ne sont
pas seulement affectées par des lésions directes ; les nombreuses connexions
anatomiques entre les LF et toutes les autres régions cérébrales provoquent des
troubles frontaux en l'absence de lésions frontales. Le nombre de combinaisons
possibles des lésions doit être considérable et le retentissement sur le plan
comportemental également. Ne possédant pas les instruments nécessaires pour
explorer la variabilité des troubles, nous ne pouvons que constater que très
souvent, ces déficits ne sont discernables que dans la vie quotidienne.
CHAPITRE 9

La maladie d'Alzheimer et autres démences

La maladie d'Alzheimer. Introduction

Ayant ses racines dans le mot latin demens (sans esprit), le terme dementia
apparaît pour la première fois dans le « Dictionnaire Physique » de Blancard en
1726 (in Berrios, 1994) où il est défini comme « l'extinction de l'imagination et du
jugement ». Au sein de la culture française, c'est dans L'Encyclopédie (1754) que
l'on trouve une distinction entre la démence d'une part, et la manie et le délire,
d'autre part. Au cours du XIXe siècle, le terme démence acquiert sa connotation
propre de perte des capacités cognitives.
L'émergence de l'intérêt à l'égard des syndromes démentiels et l'éclosion de la
recherche des affections dégénératives, particulièrement de la maladie d'Alzheimer,
ont commencé il y a une trentaine d'années. La raison a été tout d'abord socio-
économique : les pouvoirs publics, et de manière générale la communauté
scientifique, se sont exprimés pour la première fois, à la fin des années 1970, au
sujet des problèmes que la prévalence des démences allait poser dans le troisième
millénaire. Aujourd'hui, la même raison est plus que jamais présente : on estime que
la maladie d'Alzheimer possède tous les critères requis pour être considérée comme
une affection qui pose un problème de santé publique. Quant aux programmes de
recherches, ce sont les neurosciences qui ont permis des avancées importantes
concernant la physiopathologie de la démence d'Alzheimer, notamment par le biais
de l'étude de la localisation des lésions histologiques ou la purification de la
protéine β-4 amyloïde, ou encore la démonstration de l'altération des systèmes
cholinergiques centraux. Un volet complémentaire des préoccupations économiques
et de la recherche est en relation avec les données épidémiologiques. Il s'agit de la
mise en œuvre des réflexions de vulgarisation et d'amélioration de la prise en charge
et du bien-être des patients et de leur famille. Ces efforts sont le résultat d'un
changement qualitatif dans le concept de cette maladie, considérée comme telle et
non plus comme une simple exagération du vieillissement et dont le coût financier
annuel actuel est estimé, pour les malades des États-Unis uniquement, à 100
milliards d'euros (Petrella et al., 2003).
Les points centraux des critères diagnostiques des démences définis, en général, à
partir du DSM IV (Diagnostic and Statistical Manual ; American Psychiatric
Association, 1996), se réfèrent à l'apparition de déficits cognitifs multiples avec une
notion d'altération significative du fonctionnement social ou professionnel,
provoquée directement par les altérations cognitives. Par ailleurs, le diagnostic de la
démence ne peut se faire sans la connaissance des facteurs qui l'ont déclenchée.
Outre les processus dégénératifs d'origine multiple et encore mal connus qui signent
la maladie d'Alzheimer, les démences peuvent être provoquées par une diversité de
causes. Ainsi, et sans autre propos que d'énumérer les principales, ces causes se
rattachent aux accidents cérébro-vasculaires, aux troubles liés à la neurochirurgie,
notamment tumorale mais aussi par hydrocéphalie à pression normale, aux
substances toxiques, principalement l'alcool et certains médicaments, aux infections
comme celles provoquées par le virus du SIDA ou le prion de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob, aux carences nutritionnelles et métaboliques, aux processus
inflammatoires et démyélinisants ou encore aux séquelles de traumatismes crâniens
graves ou modérés à répétition.

Dans la première partie du présent chapitre, sont décrites les caractéristiques et


conséquences des processus neurodégénératifs qui constituent la maladie
d'Alzheimer. Il s'agit du syndrome démentiel le plus étudié et pour lequel l'effort
diagnostique est le plus développé. Dans la mesure du possible, nous allons aborder
les résultats des efforts multidisciplinaires qui visent le diagnostic de la maladie
d'Alzheimer. Dans la deuxième partie, nous décrirons d'autres syndromes
démentiels sélectionnés en raison de la demande d'examen neuropsychologique.

Bref rappel historique

Aloïs Alzheimer, élève de Kraepelin, à Munich, décrit pour la première fois en


1906 les symptômes et la neuropathologie d'une patiente âgée de 51 ans, Madame
Augusta D., atteinte de démence. Dénommé plus tard (1912) par Kraepelin «
maladie d'Alzheimer », le syndrome décrit chez cette patiente le conduit à
individualiser cette maladie comme une démence du sujet jeune, rare et
dégénérative, laissant la dénomination de « démences séniles » aux démences
vasculaires du sujet âgé. En effet, Augusta D., de par son âge, constitue un cas
moins représentatif de la maladie d'Alzheimer (MA) - fréquente surtout à partir de
65 ans - que les cas étudiés par Fischer en 1907. Ce dernier était disciple de Pick à
l'école de Prague, où il avait étudié et décrit douze cas de « presbyophrénie » qui
comportaient les mêmes observations histologiques rapportées par Alzheimer mais
chez des sujets âgés. Dès le début du XXe siècle, les constatations cliniques qui
caractérisent la MA ont été établies :
- un décours progressif avec une durée de 8 à 10 ans avant la mort qui survient
pour d'autres causes, la MA étant d'autant plus tragique qu'elle n'est pas
mortelle ;
- l'absence de troubles majeurs de la vigilance
- et la mise en évidence, lors de l'examen post-mortem, de marqueurs
caractéristiques.

Données démographiques

Afin de situer la MA dans son contexte démographique, quelques indications


concernant les démences en général seront utiles. La prévalence des états
démentiels, étudiée de 1994 à 2000 (Lopes et Bottino, 2002) dans des régions
diverses du monde entier, est de 1,17 % pour le groupe d'âge de 65-69 ans et de
54,83 % pour les personnes de plus de 95 ans. En France, l'étude de Dartigues
(2000) fait état de 6,4 % après 65 ans. Quant à la MA, le recensement des cas ne
reflète que 30 à 50 % des patients de ceux qui arrivent dans les consultations de
mémoire et reçoivent un diagnostic. En 2003 on estime à plus de 30 millions le
nombre de patients Alzheimer dans le monde (Petrella et al. 2003) et en France,
Dartigues et al. (2002) estiment à 400 000 le nombre de cas de MA.
L'incidence annuelle des états démentiels est estimée à 19,4 pour 1000 personnes.
La MA représente approximativement 68 % des cas, avec un net accroissement de
l'incidence en fonction de l'âge, qui va de 1,2 pour 1000, pour la tranche de 65-69
ans, à 53,5 pour 1000 à partir de 90 ans (Dartigues, 2000).
Le genre a un effet sur la prévalence et sur l'incidence de la MA, les deux étant
plus élevées chez la femme. Cette prépondérance est constatée en comparant des
échantillons d'hommes et de femmes à longévité égale : le risque relatif des femmes
est de 1,5 à 2 fois celui des hommes (Hauw et al., 1997). Au vu de l'augmentation
de l'espérance de vie, l'incidence de la MA triplera dans les 50 prochaines années,
ce qui aboutit au chiffre impressionnant de 100 millions ou plus, de patients atteints
de la MA dans le monde.

Rappel des principales approches à l'étude de la MA

Neuropathologie, étiologie et stades d'évolution

Sur un plan macroscopique, l'atrophie du néocortex suit des étapes relativement


caractéristiques en commençant par le cortex limbique, notamment au niveau du
cortex entorhinal, puis par le cortex temporal, au niveau du pôle temporal. Le rôle
du cortex entorhinal en tant que relais important de transmission bidirectionnelle de
l'information néocortex/hippocampe, explique amplement les pertes de mémoire qui
signent le début de la MA. Dans certains cas de troubles encore isolés de la
mémoire, les analyses font état d'un important niveau de dégénérescence
hippocampique en plus du cortex entorhinal qui est systématiquement atteint. Les
cortex sensoriel et moteur primaires peuvent être épargnés jusqu'aux stades avancés
de la maladie.
Au niveau microscopique, on observe :
- les plaques séniles (PS) qui se trouvent surtout dans le néocortex. Une
concentration élevée de PS est corrélée positivement à l'importance de la
détérioration cognitive. Les PS sont constituées d'un noyau central ou « cœur » de
protéine amyloïde, entouré de prolongements nerveux dégénérés qui forment la «
couronne », et présentent une accumulation de la protéine tau (τ). Dans la substance
amyloïde de la MA, c'est le peptide β amyloïde (Aβ) qui précipite. Le peptide lui-
même provient du clivage enzymatique de la protéine précurseur de l'amyloïde
(APP, Amyloide Precursor Proteine). Des anticorps dont l'utilité consistait en
premier lieu au marquage du cœur des PS, c'est-à-dire, les dépôts ou accumulations
extracellulaires de protéines à type dit focal d'Aβ, ont permis de détecter la présence
de dépôts diffus d'Aβ qui sont de taille plus importante que celle des PS et se
présentent comme ayant des contours moins délimités, étant dépourvus de la
couronne de dégénérescences neurofibrillaires. Une donnée qui nous concerne de
plus près est la constatation selon laquelle, les dépôts diffus d'Aβ seuls ne sont pas
corrélés à la détérioration intellectuelle. Sur cette base, Hauw et coll. (1997)
proposent que le terme de PS ne soit pas utilisé pour décrire toutes les lésions
marquées par l'anticorps anti-Aβ, mais seulement celles qui correspondent à un
dépôt focal. Ces auteurs précisent que les dépôts focaux sont amyloïdes pour la
majorité d'entre eux (i.e. ils réunissent une série de caractéristiques
histopathologiques), par opposition aux dépôts diffus qui ne le sont pas et qui donc
ne constituent pas de PS.
La présence des PS n'est pas un phénomène spécifique de la MA, puisqu'elle est
observée également chez les patients atteints du syndrome de Down et chez les
sujets qui ont subi des traumatismes crâniens à répétition, comme c'est le cas des
boxeurs qui souffrent de démence pugilistique. Cette constatation est à la base de la
définition de la MA en termes d'une réponse du SNC aux agressions internes
(mutations génétiques) et externes (traumas répétés).
L'étude de Bussière et al. (2002) a entrepris l'évaluation stéréologique du volume
occupé par les dépôts amyloïdes dans des régions délimitées du cortex préfrontal et
de la formation hippocampique. Les auteurs concluent que les meilleurs indices de
la sévérité de la MA sont les dépôts amyloïdes du cortex entorhinal et du subiculum.
- Les dégénérescences neurofibrillaires (DNF), constituées de la protéine T, se
trouvent surtout dans le cortex entorhinal et dans l'hippocampe, notamment dans sa
portion postérieure. La corrélation entre la densité des DNF et la détérioration
cognitive est invariablement positive. La présence de DNF dans le SNC n'est pas
exclusive à la MA, elle se trouve également dans les cas d'encéphalite sclérosante
subaiguë, dans la maladie de Parkinson à forme démentielle et dans la démence
pugilistique. Ainsi, ni les PS, ni les DNF ne sont exclusives de la MA, ce qui
conduit les chercheurs à nuancer l'entité de la MA en tant que maladie singulière et
à accentuer la dimension syndromique qui serait le résultat de différents facteurs
génétiques conduisant à un phénotype commun, avec la présence caractéristique
d'accumulation d'amyloïde et de dégénérescences neurofibrillaires dans des zones
distinctes et invariables du cerveau.
- La mort neuronale. Il est difficile pour les chercheurs de conclure sur
l'importance de la perte neuronale dans le tableau de la MA. En effet, certains
travaux des années 1990 avaient constitué une véritable remise en question de la
mort neuronale en tant qu'indice central de la démence. La difficulté à se prononcer
sur ce point est due à la méconnaissance du mécanisme qui en est à l'origine : on
avance l'hypothèse que les DNF provoquent la perte neuronale selon un processus
évoquant l'apoptose, mais cette suggestion pourrait masquer un niveau de
complexité encore non élucidé. Des études plus récentes constatent que la perte des
neurones cholinergiques n'est pas associée aux déficits cognitifs constatés chez les
patients présentant la MA au stade précoce, ce qui indique l'occurrence d'autres
changements cérébraux, précédant l'altération des neurones cholinergiques. En tout
état de cause, la diminution de grands neurones frontaux et temporaux est
considérée comme un élément de diagnostic, de pair avec la présence des PS et
DNF.
Pour conclure ce paragraphe sur la neuropathologie et l'étiologie de la MA, un
résumé des données commentées sera réalisé dans le contexte de deux explications
théoriques basées sur les deux types de lésions qui caractérisent la MA. La première
se réfère à une agression qui débute à l'extérieur du neurone, consistant en
l'accumulation du peptide β amyloïde qui remplit peu à peu les espaces
intercellulaires en formant des fibrilles amyloïdes qui, une fois « rassemblées » sous
la forme de plaques, lèsent les cellules nerveuses et attirent des cellules dites
réactives, microglies et astrocytes, qui accroissent les lésions des neurones. La
deuxième théorie situe l'origine des lésions à l'intérieur de la cellule nerveuse en
postulant l'occurrence de changements neurochimiques des protéines τ qui
provoquent un assemblage, en forme de spirale, composée de paires de filaments
disposés en hélice. Ces derniers sont à l'origine des DNF qui altèrent le
fonctionnement et provoquent la mort du neurone.

Concernant les stades de la maladie, trois étapes sont décrites en relation avec les
PS :
- dépôts amyloïdes dans le cortex entorhinal,
- extension des dépôts vers les autres structures de la formation
hippocampique,
- généralisation des dépôts à toutes les autres régions corticales.
L'évolution de la MA en relation avec les DNF a été caractérisée selon 6 étapes :
les stades I et II, dits « présymptomatiques », correspondent à l'apparition des DNF
dans le cortex entorhinal et la formation hippocampique. Aux phases III et IV, «
prodromiques », on associe, d'une part la déconnection de la boucle limbique due
aux lésions du cortex entorhinal, du complexe amygdalien et de la formation
hippocampique et, d'autre part l'atteinte des noyaux sous-corticaux, notamment le
noyau basal de Meynert et ses conséquences sur le système cholinergique. Les
stades V et VI, « démence sévère », comportent l'accroissement des DNF qui
s'étendent des zones corticales d'association aux cortex primaires.

Études génétiques

Plus que les caractéristiques cliniques, qui restent aussi hétérogènes que dans les
cas sporadiques, les études génétiques montrent un début précoce de la maladie par
rapport aux cas sporadiques (tranche d'âge entre 48 et 56 ans chez les patients
porteurs de mutations impliquant des gènes des chromosomes 1 ou 21 ; la
quarantaine chez les patients porteurs des mutations génétiques du chromosome 14).
Un bref résumé des découvertes des dernières années (Forman et al., 2000 ;
Shoulson, 1998 ; Sloane et al., 2002) montre les mutations génétiques qui ont été
identifiées sur cinq chromosomes en relation avec des formes familiales de la MA :
- le chromosome 21, locus de la protéine APP, précurseur du peptide Aβ,
- le chromosome 14, codant la préséniline 1, supposée avoir un rôle inhibiteur
dans la formation d'amyloïde,
- le chromosome 1, codant la préséniline 2, dont le rôle est identique au
précédent,
- le chromosome 12, qui comporte des mutations sur le gène codant α2-
macroglobuline, supposé avoir un rôle dans la dégradation d'Aβ,
- le chromosome 19, locus de l'apolipoprotéine E, dont les découvertes
génétiques en relation avec la MA sont les seules reconnues de manière
consensuelle ; diverses études concernant ce chromosome sont développées
dans le paragraphe suivant.

L'apolipoprotéine E. La meilleure compréhension du rôle du génotype pour


l'apolipoprotéine E (apo-E) dans la MA est au centre de la recherche depuis une
dizaine d'années. L'apo-E est un transporteur plasmatique de lipides qui se présente
sous trois formes différentes chez l'Homme (apo-E2, 3 et 4). Les allèles codant ces
formes d'apo-E se trouvent dans un même gène porté par le chromosome 19. On sait
depuis quelques années que l'allèle ε4 (codant l'apo-E4) constitue un facteur de
risque important pour la MA, notamment chez le sujet homozygote. Les sujets apo-
E4 étant nettement plus à risque que les sujets porteurs d'apo-E3, on a attribué ce
résultat à un facteur protecteur présent dans l'apo-E3 mais absent de l'apo-E4. Les
modèles animaux ont une importance reconnue dans la compréhension de la MA de
manière générale, et très particulièrement dans le domaine de la génétique. Le
travail de Levi et al. (2003), utilisant des souris transgéniques, met en évidence que
les stimulations neuronales et cognitives, provoquées par un environnement enrichi
et mis en place très tôt, se voient fortement influencées par le génotype apo-E.
Ainsi, les animaux transgéniques pour l'apo-E3 humaine montrent un bénéfice en
mémoire et apprentissage, alors que les souris transgéniques pour l'apo-E4 humaine,
soumises au même environnement enrichi et précoce, n'en bénéficient aucunement.
Les auteurs concluent que l'apoE-4 altère la plasticité hippocampique et bloque la
stimulation environnementale de la mémoire et de la synaptogenèse.

Pharmacochimie

La dégénérescence des neurotransmetteurs cholinergiques est observée dans


différents types de démence, tout d'abord la MA, puis la démence vasculaire, la
démence à corps de Lewy et la maladie de Parkinson. Au cours de la MA, la
dégénérescence des réseaux neuronaux cruciaux s'accompagne d'une série
d'altérations des systèmes neurochimiques parmi lesquels le système cholinergique
nicotinique est particulièrement affecté. L'analyse post-mortem des patients révèle
une réduction importante de l'activité de l'acétylcholine transférase (substance qui
synthétise l'acétylcholine) et, depuis plus de 20 ans, on sait qu'il existe une
diminution du nombre des neurones cholinergiques ainsi que des récepteurs
nicotiniques (médiateurs cholinergiques) dans le cerveau antérieur de la base. Par
ailleurs, l'administration des antagonistes muscariniques et nicotiniques montre une
aggravation des troubles mnésiques chez les patients MA. De façon
complémentaire, on a trouvé que l'apport d'agonistes muscariniques et nicotiniques
chez l'animal (après déficit cognitif induit), améliore la mémoire et l'apprentissage.
On sait depuis les années 1980 que la sévérité du déficit cognitif dans la MA est
corrélée à l'importance de la réduction du nombre de neurones cholinergiques et les
résultats des recherches plus récentes montrent que - comme pour la perte de ces
neurones - la diminution des récepteurs d'acétylcholine nicotiniques est observée
surtout dans des zones cérébrales considérées comme fondamentales pour le
traitement mnésique de l'information : l'hippocampe et le cortex temporal. Ainsi, à
partir de cette « tradition » de l'hypothèse cholinergique, la recherche actuelle a fait
des progrès importants concernant la production d'anticholinestérasiques. En effet,
les inhibiteurs de la cholinestérase agissent sur la fonction cholinergique centrale en
inhibant les enzymes qui dégradent l'acétylcholine. Les produits pharmaceutiques :
Donepezil, Rivastigmine et Galantamine ciblent tous un de ces enzymes,
l'acétylcholinestérase (AchE), tandis que l'autre enzyme, le butyrylcholinestérase
(BuChE) serait inhibé surtout (ou seulement) par la Rivastigmine (Grossberg,
2003).
Le traitement des patients aux stades précoces de la MA ne doit pas se limiter à
augmenter les niveaux d'acétylcholine, il est également nécessaire de réduire les
réactions inflammatoires du cerveau avec des agents non-stéroïdes, d'aider les
facteurs dits protecteurs au moyen de cures de vitamine E et traiter l'hypertension et
d'autres risques vasculaires qui aggravent le tableau de détérioration (Sloane et al.,
2002).

Diagnostic

En 1984, McKhann et al. proposent les premiers critères diagnostiques : le


NINCDS-ADRDA (National Institut of Neurological and Communication Disorders
and Stroke-Alzheimer and Related Disorders Association). À partir de cette
publication, on assiste à l'élaboration de tests à visée intégrative autour de troubles
de la cognition, du comportement, de l'activité quotidienne et de la sévérité des
déficits. Par ailleurs, différentes versions du DSM se succèdent et spécifient de
mieux en mieux les critères diagnostiques.
Résumé des principaux éléments de la dernière version (française), DSM IV,
1996 :
- Apparition de déficits cognitifs multiples comme en témoignent à la fois une
altération de la mémoire et une ou plusieurs perturbations cognitives
suivantes : aphasie, apraxie, agnosie, perturbation des fonctions exécutives.
- Ces déficits cognitifs sont à l'origine d'une altération significative du
fonctionnement social ou professionnel et représentent un déclin significatif
par rapport au niveau de fonctionnement antérieur.
- L'évolution est caractérisée par un début progressif et un déclin cognitif
continu.
- Les déficits cognitifs ne sont pas dus à d'autres affections du SNC, ni à des
affections générales pouvant entraîner une démence ni à des affections induites
par une substance.
- Les déficits ne surviennent pas de façon exclusive au cours de l'évolution
d'une confusion mentale.
- La perturbation n'est pas mieux expliquée par un trouble de l'axe I
(psychiatrie, par exemple schizophrénie).
Savoir détecter les altérations démentielles le plus tôt possible est une priorité.
Cependant, il n'existe pas encore de marqueur biologique qui permette de
diagnostiquer la MA, ni d'autres démences bien que des avancées aient été réalisées
dans la détection de la protéine τ et du peptide Aβ dans le liquide céphalorachidien
chez des patients montrant des déficits mnésiques légers.
Le diagnostic de démence est avant tout un diagnostic clinique et par conséquent
les marqueurs neuropsychologiques ont une importance centrale, ce qui implique la
conception d'instruments de diagnostic toujours plus performants. Dans cet ordre
d'idées, depuis les années 1970, nous constatons une évolution dans la conception
des tests qui, après avoir privilégié la rapidité et la simplicité, est actuellement
guidée par le souci de la précocité de la détection de la maladie, seule approche
pragmatique face aux conditions neurologiques incurables. Issues de la tradition
quantitative de la psychométrie, les échelles de Blessed et al. (1968) et le célèbre
Mini Mental State Examination (MMSE) de Folstein et al. (1975), constituent
l'exemple par excellence de la démarche des cliniciens dans leur recherche du test
capable de détecter en moins d'une heure la présence et la sévérité de la démence.
Un volet très important de la clinique quotidienne concerne le diagnostic
différentiel de la MA. Pour arriver à distinguer le diagnostic de démence vasculaire
(DV) de celui de la MA, le premier critère utilisé est le mode d'initiation, qui est
plus rapide dans le cas de DV. Par ailleurs, cette dernière se caractérise par des
intervalles de stabilité suivis de chutes des fonctions cognitives qui s'installent au
cours de brèves périodes. Ce tableau est ainsi marqué par une détérioration par à-
coups, bien distinct de l'installation progressive de la MA. Concernant la démence
frontotemporale, le facteur qui aide au diagnostic différentiel est le type de déficit
qui apparaît en premier. En effet, les troubles du comportement et/ou du langage y
sont présents avant les troubles mnésiques. L'état démentiel observé dans
l'hydrocéphalie à pression normale sera diagnostiqué en tant que tel sur la base des
autres symptômes qui signent ce tableau clinique, à savoir, les troubles de la marche
et l'incontinence, deux signes neurologiques normalement absents de la MA
jusqu'aux stades très avancés. Plus difficile dans la pratique clinique est le
diagnostic différentiel de la MA vis-à-vis de la démence à corps de Lewy, le patient
atteint de cette démence pouvant avoir des manifestations cliniques similaires à
celles qui sont observées chez le patient Alzheimer (voir plus bas).
Le diagnostic différentiel à l'aide de la TEP s'avère très utile. Dans l'étude de
Petrella et al. (2003), les patients atteints de démence frontotemporale montraient un
hypométabolisme situé dans les lobes frontaux et les régions antérieures et
médianes des lobes temporaux ; les patients dont le déficit cognitif était dû à la
dépression n'avaient aucun signe d'altération du métabolisme cérébral. Quant aux
patients souffrant de DV, leurs clichés TEP montraient des zones éparpillées
d'hypométabolisme dans la matière blanche et au niveau du cortex cérébral. Les
patients atteints de démence à corps de Lewy présentaient des zones
d'hypométabolisme frontotemporal bilatéral, tout comme les patients MA,
cependant, la démence à corps de Lewy faisait apparaître aussi des anomalies
métaboliques au niveau du lobe occipital et du cervelet, régions plus longtemps
préservées chez le patient MA (voir chapitre 10pour plus de données sur la
contribution de l'imagerie cérébrale fonctionnelle à l'étude de la mémoire chez les
patients MA).

Déficits cognitifs légers (Mild Cognitive Impairment, MCI)

Les efforts réalisés pour détecter les symptômes précliniques de la démence ont
pris une dimension centrale dans la recherche internationale, suite aux rapports
scientifiques qui considèrent l'existence d'une étape de transition entre les
changements cognitifs du vieillissement normal et la MA. Cette étape correspond
aux déficits cognitifs légers (MCI) définis comme la condition clinique dans
laquelle la personne a des troubles mnésiques plus importants que ceux qui sont
attendus pour son âge, mais chez qui les critères de diagnostic clinique de MA
probable sont absents. Certains auteurs signalent également une réduction des
activités quotidiennes complexes et une certaine diminution de la qualité de vie. Le
résumé des caractéristiques, notamment cognitives, est le suivant :
- des troubles en rappel libre différé de la mémoire verbale (typiquement le
rappel d'une liste de mots, 30 à 60 min. après l'apprentissage).
- Une chute récente des capacités mnésiques, corroborée par un proche.
- Des scores des capacités intellectuelles générales préservés (MMS > 24),
ainsi que des résultats normaux aux échelles d'activités quotidiennes.
- Une absence des facteurs pouvant justifier le déclin mnésique.
- La présence de facteurs à risque d'ordre génétique.
Quant à l'évolution, il a été observé, au cours d'études longitudinales, que les
personnes présentant la condition MCI, comparées aux sujets sains du même âge,
développent les critères cliniques de MA probable à un rythme considérablement
plus accéléré que les sujets ne présentant pas cette étape intermédiaire. Le MCI
étant aujourd'hui reconnu comme une phase prodromique de la MA, les efforts
d'intervention potentiellement thérapeutique au moyen d'essais cliniques, dépendent
d'un diagnostic correct du MCI. Les données obtenues en IRM morphologique
montrent des différences significatives dans les mesures volumétriques des régions
du lobe temporal interne gauche (amygdale, hippocampe et gyrus
parahippocampique) effectuées chez des personnes MCI comparativement aux
sujets sains.
La condition MCI étant hétérogène, plusieurs chercheurs tentent de trouver le
meilleur indice pour détecter le pourcentage de sujets dits « MCI progressifs » qui
vont évoluer vers des états démentiels de type Alzheimer ou autres (on estime à 12
% le passage des patients MCI à la catégorie MA légère). Dans cette perspective, on
a proposé l'indice de liquide céphalo-rachidien - flux sanguin cérébral (LCR-FSC).
A partir de l'étude de personnes présentant la MA probable, des patients MCI ayant
développé la MA, des patients MCI sans l'avoir développée et des sujets âgés
normaux, certaines études concluent qu'il est envisageable de discriminer les
personnes « MCI progressifs » de celles qui n'ont pas de risque de développer la
MA. Les conclusions sont basées sur des données concernant l'analyse du niveau la
protéine τ dans le LCR d'une part, et sur la détection en TEP de l'hypométabolisme
du cortex cingulaire postérieur d'autre part. Des travaux récents, partant de la même
constatation concernant l'hétérogénéité du MCI, préconisent un suivi à long terme
(2 ans) afin d'obtenir des données sur les caractéristiques et les pourcentages de
sujets qui vont évoluer vers la MA.

Évaluation neuropsychologique

Les marqueurs neuropsychologiques de la MA sont prioritairement mnésiques, à


commencer par des constatations de la vie quotidienne, comme les oublis fréquents,
des difficultés à savoir quelles ont été les dépenses réalisées dans le passé immédiat
et à gérer l'argent, de manière générale. On note également une incapacité à réaliser
des nouveaux apprentissages, qu'il s'agisse d'utiliser des outils ménagers ou
d'emprunter des chemins nouveaux. L'orientation dans les lieux peu fréquentés est
aussi troublée. Toute activité qui demande de la concentration est altérée très tôt et
se traduit par des difficultés à suivre des films, des conversations, etc.
En situation d'examen neuropsychologique on constate qu'un des marqueurs le
plus fiable est le rappel différé en mémoire verbale et non verbale et le rappel
immédiat ainsi qu'en reconnaissance du matériel visuospatial (Nestor et al., 2004).

L'examen général de routine du patient MA comprend tout d'abord l'anamnèse


détaillée, ce qui rend nécessaire la collaboration d'un proche du patient, une
exploration physique et neurologique et la passation du MMS. Les analyses de
laboratoire sont réalisées afin d'écarter d'autres maladies pouvant se manifester sous
des formes démentielles.
L'évaluation neuropsychologique des patients déments comporte un double
objectif : contribuer à l'établissement du diagnostic probable et suivre la
détérioration cognitive du patient, à partir de comparaisons avec les données d'une «
ligne de base ». Les conclusions ainsi obtenues seront communiquées à la famille du
patient. Cette communication comporte l'appréciation du neuropsychologue (sur la
base des performances aux tests) et du neurologue (à partir des résultats des
éventuels traitements, entre autres) du moment où la démence atteint un niveau
justifiant des aménagements dans la vie quotidienne. Finalement, neurologues et
neuropsychologues devront prévoir des entretiens avec les personnes les plus
proches du patient, au regard de l'impact émotionnel que le diagnostic de démence
risque de provoquer chez elles et, le cas échéant, orienter le conjoint, par exemple,
vers une aide psychologique.
L'évaluation neurophysiologique des patients Alzheimer est particulièrement
délicate et demande une approche spéciale, tant du point de vue de la condition
physique du patient que de l'attitude psychologique. Les aspects physiques les plus
évidents (et qui doivent être pris en compte systématiquement, au même titre que la
latéralité manuelle, par exemple), sont les difficultés sensorielles liées à l'âge,
concernant la vue et l'ouïe. Avant tout examen des fonctions cognitives, il faut
s'assurer que le patient a les corrections nécessaires, à défaut de quoi, les résultats
aux tests seront obscurcis, voire invalidés. Par ailleurs, une certaine confusion et/ou
désorientation, accentuées par le stress que risque d'entraîner la séance des tests,
peuvent également abaisser de manière artificielle (artefact) les performances
cognitives. Moins évidente est l'attitude psychologique des patients devant faire face
au quotidien à de nombreuses situations qui les obligent à constater des erreurs,
admettre des échecs, accepter qu'ils aient fait « encore une bêtise », comme certains
patients le commentent spontanément. L'évaluation neuropsychologique peut ainsi
être vécue comme une situation comportant une multitude d'occasions d'échecs. Si
le neuropsychologue n'est pas sensibilisé à l'attitude psychologique du patient, celui-
ci pourrait réaliser les tests sans aucune motivation, étant dominé par un sentiment
d'échec. Ainsi, face aux changements de coopération, souvent indicatifs de
découragement chez le patient, mieux vaut proposer une tâche qui lui soit moins
désagréable plutôt que d'obtenir « un score » qui sera abaissé par sa disposition
psychologique. Il est important d'avoir présent à l'esprit que les patients Alzheimer
oublieront très certainement les tâches demandées lors de l'examen mais ils
conserveront la valence affective occasionnée par la séance de tests ; cette
coloration affective influence souvent leur comportement lors de l'examen suivant.
Le choix des tests neuropsychologiques est réalisé de manière à obtenir des
informations sur des fonctions cognitives variées, en fatiguant le moins possible le
patient. On trouve souvent des « batteries », ou compositions de tests, mises en
place par les professionnels des centres hospitaliers. Ces échelles sont le résultat
d'une longue expérience, qui permet de juger les tests qui les composent comme
étant les plus adéquats (e.g. The Cambridge Cognitive Examination, Roth et al.,
1986 ; The National Hospital Systematic Approach, Warrington, non publié). En
France, pour citer le plus connu, l'équipe du Centre de Neuropsychologie et du
Langage de la Salpêtrière (Dubois et ses collaborateurs, non publié) a mis au point
un ensemble de tâches qui s'est avéré très efficace dans la détection des aires
cognitives déficitaires chez des patients atteints de la MA, à divers degrés de
sévérité.
Dans la catégorie des instruments de dépistage général, le MMS (MMSE)
continue à être amplement utilisé. Ainsi, lorsque les capacités cognitives du patient
sont trop détériorées pour réaliser des tests standardisés, on obtient une
approximation du degré de sévérité au moyen du MMSE (mais voir Manning, 2001,
pour d'autres alternatives). En plus, le déclin mnésique qui marque l'évolution de la
maladie est corrélatif aux scores au MMS. Ainsi, le patient MCI, dont les pertes
mnésiques sont isolées, a un MMS entre 24 et 30 alors que le patient qui est décrit
par ses proches comme quelqu'un qui pose des questions de manière réitérative et
manifeste des troubles de l'orientation spatio-temporelle obtient des scores entre 20
et 23. Ce stade de la MA est dit léger ; il devient modéré quand le fonctionnement
déficient est présent au quotidien. Le passage de léger à modéré est indiqué par les
difficultés importantes à se rappeler les conversations et les faits très récents : le
score du patient au MMS se situe alors entre 10 et 19. Finalement, un score en deçà
de 10 points correspond au stade sévère de la maladie, qui s'accompagne d'une
totale dépendance.

Clinique appliquée. Présentation de cas

Les troubles mnésiques et les altérations qui affectent d'autres fonctions


cognitives sont illustrés au moyen d'une description clinique. Il s'agit d'un suivi de
deux ans à partir d'une première consultation neurologique en vue d'un avis sur des
oublis relativement isolés.
Madame T est adressée par le neurologue en consultation neuropsychologique
pour des troubles de la mémoire. Dans les premières minutes de l'entretien, la
patiente s'empresse de minimiser l'importance de ses oublis qu'elle qualifie d'«
étourderies ». Cependant, sa belle-fille, qui l'accompagne, exprime son inquiétude.
Mme T est née en 1933, a un niveau culturel comparable au Bac professionnel et a
travaillé comme infirmière jusqu'à l'âge de 55 ans. Elle est droitière, porte des
lunettes et a une presbyacousie a minima qui n'entrave pas la conversation. La
conversation spontanée est très facile, la patiente relate les nombreuses activités
qu'elle réalise dans son quartier. Elle habite seule depuis la mort de son mari il y a 8
ans. Elle voit assez souvent son fils unique et sa belle-fille et « de moins en moins »
une voisine qu'elle connaît de longue date.
L'anamnèse ne montre pas de maladies du SNC, elle n'a aucun antécédent
psychiatrique. Ses parents sont morts relativement jeunes, son père dans un accident
de la voie publique et sa mère d'un cancer, et nous n'avons d'information concernant
d'autres membres de sa famille contemporains de ses parents. Elle n'a pas de signes
de dépression et répond négativement aux questions concernant d'éventuels
changements de comportement. Sa belle-fille, qui la connaît depuis plus de 20 ans, a
remarqué que Mme T devenait de plus en plus distraite. Elle a persuadé sa belle-
mère de venir en consultation après la répétition de certains oublis qui l'ont
particulièrement alertée et qu'elle situe au cours de la dernière année. Ainsi, par
exemple, Mme T a oublié deux fois un rendez-vous avec son agent bancaire, elle
s'est trompée à plusieurs reprises en écrivant des chèques, elle s'est trompée de rue
dans le centre-ville, qu'elle connaît pourtant très bien, elle ne se rappelait pas avoir
vu un film, une dizaine de jours après : lorsque sa belle-fille a remis la cassette-
vidéo, Mme T a cru regarder le film pour la première fois.
L'examen neuropsychologique a été réalisé à trois reprises ; à chacune des
occasions la patiente a été examinée en deux séances à 3-5 jours d'intervalle. Le
tableau 2 montre les scores aux différents tests et l'évolution globale.
Les capacités cognitives générales de la patiente testées d'abord au moyen du
MMS, mettent en évidence une perte de 7 points en deux ans. Ceci est en accord
avec des études de groupe qui constatent une diminution de 3,2 points par an en
moyenne (Stem et al., 1994). Ses capacités intellectuelles à la batterie WAIS-R
montrent une diminution non significative des capacités verbales au cours de la
première année et une chute modérée entre la deuxième et la troisième évaluation.
Quant aux capacités non verbales, la détérioration est nette et présente dès la
deuxième évaluation. Johnston et al. (2002) ont réalisé une étude pour analyser les
profils neuropsychologiques des malades d'Alzheimer. Ils trouvent que les capacités
intellectuelles générales sont moins affectées que d'autres fonctions, dans les stades
initiaux de la maladie et que l'attention apparaît moins affectée que la mémoire (le
déclin moyen aux tests de mémoire de l'Échelle Clinique de Mémoire-révisée de
Wechsler est de 31 à 37 points comparé au déclin moyen de 17 points aux tests de
processus attentionnels de la même Échelle). Ce résultat est plutôt surprenant au vu
de plusieurs travaux qui identifient les troubles attentionnels comme étant des
signes précoces de la maladie (e.g. Foldi et al., 2002 ; Solfrizzi et al., 2002). Il est
possible que cette apparente contradiction soit due aux types de processus
attentionnels qui sont pris en compte par les différentes études ; et, de manière
générale, les conclusions concernant les domaines cognitifs
étudiés à travers des batteries standardisées, comme l'Échelle Clinique de
Mémoire-révisée de Wechsler, peuvent masquer certains résultats aux tests
individuels. Quant à notre patiente, ses processus attentionnels, évalués au moyen
d'une tâche très simple, sont altérés dès la première consultation.

Tableau 2. Examen neuropsychologique d'une patiente présentant une évolution des troubles
mnésiques vers la maladie d'Alzheimer, au cours d'un suivi de deux ans

Mme T présente une performance aux tests de mémoire épisodique antérograde


(verbale et non verbale), épisodique rétrograde (autobiographique), inférieure à la
normale dès la première consultation. Cette perte de sa mémoire épisodique est
constatée alors que son score au MMS est encore à 24 points. En revanche, les
scores aux tests de mémoire sémantique générale, évaluée par certains sous-tests
verbaux de la WAIS-R, et la sémantique personnelle, tels que les faits
autobiographiques de l'AMI (Kopelman et al., 1989), sont relativement mieux
préservés et leur détérioration suit un certain parallèle avec l'atteinte des capacités
de langage. Ceci est en accord avec les rapports concernant les déficits corticaux
diffus, notamment dans l'hémisphère gauche, présents en imagerie fonctionnelle
conjointement aux scores déficitaires de la mémoire sémantique. L'apparition de
signes d'aphasie, d'agnosie et d'apraxie, est considérée dans le diagnostic même de
la MA. Par ailleurs, il est possible que les fonctions sensibles aux troubles du lobe
frontal constituent un domaine qui mériterait d'être étudié plus systématiquement
chez ces patients. Le travail déjà cité de Johnston et al. (2002) conclut que les
fonctions les plus affectées sont la vitesse de traitement de l'information et la
flexibilité cognitive, éminemment « frontales ». Mme T montre une perturbation
très nette des fonctions exécutives avec une seule exception, le test modifié de
classement de cartes de Wisconsin (Nelson, 1976) et ce, uniquement lors de la
première évaluation. Les fonctions exécutives ont été étudiées, parmi d'autres, par
Laflèche et Albert (1995), qui pour la première fois, à notre connaissance, ont ciblé
le dysfonctionnement du lobe frontal dans la MA. Cette étude montre une différence
entre les sujets âgés et les patients aux stades précoces de la maladie pour une série
de fonctions sensibles aux troubles « frontaux ». Plus intéressant, les patients ont
des profils hétérogènes, ce qui suggère qu'il existe des tâches dites frontales dont le
soubassement neurologique est plus vulnérable aux premiers signes pathologiques
de la MA. Quelques-unes des tâches particulièrement déficitaires sont la fluence
verbale littérale, la partie B du Trail Making Test (voir chapitre 8). Étant donné que
dans ce travail les processus attentionnels de base étaient contrôlés, les résultats
rapportés sont spécifiquement liés au fonctionnement frontal. Par ailleurs, dans
l'étude de Laflèche et Albert ainsi que dans le cas présenté dans ce chapitre, les tests
utilisés (à l'exception du test de classement de cartes) peuvent être réalisés sans
pratiquement aucune intervention des processus mnésiques.
De manière générale, les techniques d'imagerie cérébrale utilisées dans l'étude de
la démence aident très efficacement à faire le diagnostic des changements
structuraux qui ont eu lieu dans le cerveau et contribuent de plus en plus à la
localisation fonctionnelle des troubles infra-lésionnels et au repérage temporel de
leur apparition. L'imagerie cérébrale fonctionnelle, couplée à la neuropsychologie
clinique, pourrait détecter les stades précoces de la maladie.
- L'imagerie cérébrale morphologique n'est pas suffisamment sensible pour
conduire au diagnostic de démence. En revanche, son emploi dans l'examen de
routine des patients atteints de démence s'avère utile dans l'évaluation du niveau
d'atrophie cérébrale, ainsi que dans les cas où il est nécessaire d'écarter d'autres
causes de démence comme l'hydrocéphalie à pression normale ou la démence
vasculaire. L'évaluation quantitative de l'atrophie du tissu cérébral, qui était censée
servir au diagnostic de démence, a rapidement mis en évidence la difficulté de
différencier l'atrophie provoquée par la MA de celle observée lors du vieillissement
normal. Une autre tentative d'utilisation à visée diagnostique a consisté en
l'approche stéréologique de la formation hippocampique. Cependant, parmi d'autres
difficultés méthodologiques, la taille et la forme de l'hippocampe, ses frontières
anatomiques difficiles à établir chez tous les sujets composant un groupe, ont rendu
la tâche impossible pour la tomodensitométrie, et difficile et risquée en termes
d'énoncés des conclusions pour l'IRM. Les efforts investis par les chercheurs en
imagerie morphologique par rapport à la MA ont donné des résultats surtout dans
l'approche génétique. Ainsi, Fox et al. (2001) ont étudié en IRM l'atrophie
progressive dans les cortex temporopariétal, temporal médian et cingulaire
postérieur chez 4 patients porteurs de mutations autosomiques dominantes de MA
familiale et qui ont développé la maladie dans les 5 à 8 années qui ont suivi ces
constatations anatomiques.
- Les techniques d'imagerie fouctionnelle ont un avantage considérable sur les
travaux réalisés en imagerie cérébrale morphologique, à savoir la possibilité de
détection des changements infra-lésionnels. En effet, il est possible d'avoir comme
objectif l'établissement des corrélations entre une variété de déficits cognitifs et des
valeurs métaboliques. Comme nous l'avons vu plus haut, la TEP est utilisée pour
mesurer le métabolisme cérébral du glucose au cours de différents états cognitifs et
pouvoir ainsi obtenir des comparaisons entre ces états et entre différents groupes de
sujets.
L'évaluation par imagerie fonctionnelle des tâches mnésiques chez des groupes de
sujets sains, jeunes et âgés, permet de détecter des différences du métabolisme des
structures cérébrales selon leur groupe d'appartenance : on constate qu'avec l'âge, la
consommation de glucose diminue dans le cortex orbitofrontal, le cortex cingulaire
antérieur et la jonction temporo-occipitale, bilatéralement.
Sur ces bases, un premier type d'étude clinique rendu possible grâce à la TEP, est
le contraste entre vieillissement normal et vieillissement pathologique. Bien que l'on
constate une diminution du métabolisme cérébral de base tant dans la condition
normale que dans les maladies neurodégénératives, la mise en relation de l'état de
repos avec l'état cérébral lors de la réalisation d'une tâche, permet de distinguer les
différences entre ces deux groupes. Les premiers résultats en TEP chez les patients
MA montraient déjà dans les années 1980, une réduction métabolique initiale dans
les zones hippocampiques, ainsi qu'une asymétrie hémisphérique, l'hémisphère
gauche étant le plus fréquemment affecté et certaines zones comme les noyaux gris
et la scissure calcarine étant épargnés.
Quelques auteurs trouvent cependant des résultats différents : au cours de tâches
de mémoire épisodique, Backman et al. (1999) constatent qu'on observe seulement
dans le vieillissement normal des changements métaboliques dans le cortex pariétal
gauche et dans la formation hippocampique gauche. Les patients qui montrent des
signes neuropsychologiques de la MA débutante, présentent des changements dans
le cortex orbitofrontal et le cervelet, tous deux à gauche. D'autres travaux ont
montré que l'évolution de la démence se manifeste en TEP, par une baisse
corrélative du métabolisme glucidique. Par ailleurs, l'étude de Silverman et al.
(2001) constitue un tournant dans la démonstration de la valeur de la TEP dans le
pronostic de la MA. Les 284 patients de leur étude ont été suivis pendant une
période allant de 2 à 9 ans. Chez les 138 patients diagnostiqués comme porteurs de
pathologie dégénérative, les auteurs ont atteint un niveau très élevé (94 %)
d'identification de la MA.
D'autres études encore ont comme objectif la détection des indices de prédiction
les plus efficaces dans l'évaluation des différents types de mémoire à partir d'un
ensemble de tests neuropsychologiques. Ainsi, Perani et al. (1993), en utilisant la
TEP, montrent que le déficit de mémoire épisodique est corrélé avec
l'hypométabolisme des structures médianes du lobe temporal, notamment de
l'hippocampe, du cortex rhinal, du cortex cingulaire et des aires du cerveau antérieur
de la base.
Desgranges et al. (1998), pour leur part, étudient des patients malades
d'Alzheimer à un stade léger et modéré de la maladie, utilisant la technique TEP
dans le but de comparer les résultats des corrélations des patients et des sujets de
contrôle. Les corrélations comprennent les données du métabolisme du glucose (état
de repos) d'une part, et la performance aux tests de mémoire appartenant aux 5
systèmes décrits par Tulving (1985) d'autre part. Ces corrélations ont été conduites
en utilisant la méthode ROI et SPM95 (Statistical Parametric Mapping est un outil
statistique présenté sous forme d'un logiciel et qui sert à la construction et à
l'évaluation des processus statistiques qui ont une étendue dans l'espace,
caractéristique nécessaire dans le contexte de la neuroimagerie fonctionnelle). Les
résultats montrent que les patients MA présentent une corrélation positive entre le
déficit de la mémoire verbale épisodique et l'hypométabolisme du cortex temporal,
du thalamus et du gyrus cingulaire prédominant à gauche, ainsi que du cortex
temporo-pariétal et du CPF, à droite. Perani et al. et Desgranges et al. rapportent des
déficits de mémoire sémantique associés à un hypométabolisme des zones corticales
plus diffusément distribuées dans l'hémisphère gauche, notamment les régions
temporo-pariétales. Les difficultés d'apprentissage, quant à elles, se voient associées
avec l'hypométabolisme du cortex frontal, du cervelet et des ganglions de la base,
dans le rapport de Perani et al. Les déficits de la MCT corrèlent positivement avec
l'hypométabolisme du CPF gauche et du cortex postérieur bilatéral, dans la
recherche de Desgranges et al. Ces derniers auteurs observent aussi des corrélations
négatives entre l'hypométabolisme du gyrus temporal supérieur à droite et la
performance aux tests du système de représentations perceptives d'une part, et du
cortex cingulaire gauche avec les tests de mémoire procédurale d'autre part.
Chételat et al. (2003) ont conduit une étude conjointe d'analyse volumétrique
morphologique des données de l'IRM et des données métaboliques de la TEP. Les
auteurs avaient le double objectif d'identifier le substrat neural, chez des sujets MCI,
sous-jacent aux processus d'encodage par opposition aux processus de récupération
du matériel à mémoriser et d'étudier l'impact que l'atrophie cérébrale et
l'hypométabolisme du débit sanguin cérébral ont sur ces deux processus mnésiques.
Les auteurs concluent que tant l'encodage que la récupération sont affectés et que
ces déficits sont corrélés avec une diminution de la densité neuronale
hippocampique. Par ailleurs, le déficit d'encodage corrèle avec une mesure de
contrôle de la variation individuelle de la prise globale de la substance radioactive
(18F) dans la région hippocampique et le déficit de récupération corrèle avec cette
même mesure dans le cortex cingulaire postérieur.
Le travail de Huang et al. (2003) est réalisé au moyen du SPECT (Single-Photon
Emission Computed Tomography, technique fonctionnelle qui permet d'observer
des processus biochimiques et physiologiques ainsi que la taille et le volume des
structures. Pour des raisons physiques comme l'exigence que les photons soient
alignés pour détecter l'image, le SPECT est sujet à une perte d'information et à une
dégradation de l'image plus importantes que celles observées en TEP). L'étude de
Huang et al. a comme objectif la détection des changements spécifiques liant DSCr
et mémoire. Les auteurs rapportent une diminution relative du DSCr au niveau des
lobes pariétaux et une augmentation au niveau du CPF dans le groupe MCI
progressif comparé aux sujets de contrôle et aux personnes MCI stables. Quant aux
troubles cognitifs, ce sont les performances aux tâches de mémoire épisodique, les
capacités visuospatiales et les capacités intellectuelles générales qui sont
significativement déficitaires, toujours par rapport aux deux autres groupes étudiés.

L'utilité de l'IRMf dans la détection de changements cérébraux liés aux signes


précoces de la MA, est amplifiée par la possibilité de répéter les séances, sans aucun
risque pour le patient, étant donné que l'IRMf ne comporte pas de radiations d'ions.
La plupart des études qui ont utilisé cette technique, ont été conduites avec des
patients à risque, détectés notamment sur la base des antécédents familiaux et des
analyses génétiques. Ces études ont montré, de manière générale, que dès le stade
prodromique, on constate soit une augmentation, soit une diminution de l'activation
cérébrale, tant en intensité qu'en étendue, par rapport aux sujets normaux.
L'observation répétée d'une activité accrue est interprétée en termes d'effort cognitif
plus important que celui qui est fourni par des sujets sains pour réaliser la même
tâche.
Lorsque cette observation concerne des zones cérébrales autres que celles qui
sont activées chez les sujets de contrôle, elle constitue « l'hypothèse de
compensation par recrutement », alors que si l'augmentation de l'activation apparaît
dans les mêmes zones que celles qui sont activées chez les sujets de contrôle, on
parle d'une « compensation par la réserve » cognitive du patient. Quant à
l'observation de la désactivation des zones cérébrales, l'interprétation se base sur la
notion d'un excès de difficulté de la tâche, qui rend impossible toute tentative de
mise en place de stratégies de compensation.
Autres démences corticales : les démences fronto-temporales

Le terme générique de démence fronto-temporale englobe différents tableaux


cliniques caractérisés par la présentation, au premier plan, des altérations
comportementales. De ce fait, les patients qui souffrent de dégénérescences fronto-
temporales ont besoin, de par leurs symptômes, de l'intervention du psychiatre en
plus du neurologue et du neuropsychologue. Elles représentent 10 % des maladies
neurodégénératives.
Des chercheurs suédois, britanniques (« Critères de Lund-Manchester » ; Brun et
al., 1994) et français (Robert et al., 1999) ont décrit trois tableaux principaux : la
démence fronto-temporale proprement dite qui inclut la maladie de Pick, l'aphasie
non-fluente progressive (appelée aussi aphasie progressive primaire) et la démence
sémantique. Nous allons voir un résumé des caractéristiques de chacune de ces
conditions neurologiques dont la classification obéit à la distribution des lésions
affectant les lobes frontal et temporal.

La démence fronto-temporale (DFT)

Ce type de démence correspond au tableau le plus connu des démences lobaires,


avec une fréquence qui la place immédiatement après la MA et la démence à corps
de Lewy. Dans la DFT, l'atteinte prédominante est bilatérale et habituellement
symétrique. Elle affecte les lobes frontaux et les régions temporales antérieures.
Les critères diagnostiques sont :
- un début insidieux et une évolution progressive,
- un déclin dans les conduites sociales et interpersonnelles,
- une altération de l'autorégulation des conduites personnelles,
- un émoussement émotionnel,
- une perte de conscience des symptômes mentaux.
Il existe en plus quelques critères diagnostiques complémentaires qui sont en
relation avec les troubles du comportement :
- un déclin de l'hygiène corporelle et de la tenue vestimentaire,
- une rigidité mentale et une difficulté à s'adapter,
- une distractibilité et un manque de ténacité,
- une hyperoralité et un changement d'habitudes alimentaires,
- des persévérations et des stéréotypies comportementales,
- un comportement d'utilisation.
Déficits neuropsychologiques. Les patients présentent une altération significative
aux tests frontaux, en absence d'une amnésie sévère, d'une aphasie ou de troubles
perceptifs et spatiaux. Le discours et le langage montrent une altération de
l'expression orale, faite d'une aspontanéité ; soit une réduction du discours, soit une
logorrhée ; d'un discours stéréotypé avec, parfois de l'écholalie (voir glossaire), des
persévérations et un mutisme.
Une étude comparative de la perception émotionnelle à partir des visages, entre la
MA et la DFT permet de mieux cerner les déficits de patients DFT (voir Lavenu et
Pasquier, 2005).
L'imagerie cérébrale montre des anomalies prédominant dans les régions
antérieures frontales et/ou temporales.

L'aphasie non-fluente progressive (AP)

L'atteinte cérébrale est ici asymétrique avec une nette prédominance au niveau du
lobe temporal gauche. Le trouble central concerne le langage. Les critères
diagnostiques incluent :
- un début insidieux et une évolution progressive,
- un discours spontané non-fluent avec, au moins, une des caractéristiques
suivantes : un agrammatisme, des paraphasies phonémiques ou une anomie.
Les critères diagnostiques complémentaires concernent le langage :
- un bégaiement ou apraxie bucco-faciale,
- une répétition altérée,
- une alexie et/ou agraphie.
Ces troubles s'accompagnent en début de maladie, d'une préservation du sens des
mots. Tardivement le patient est mutique.
Déficits neuropsychologiques et neurologiques. Le patient est aphasique non-
fluent en l'absence d'amnésie sévère ou de désordres perceptifs et spatiaux.
Tardivement on observe des changements comportementaux similaires à ceux de la
DFT et une atteinte des réflexes archaïques controlatéraux, une akinésie, une
rigidité et des tremblements.

La démence sémantique

L'atteinte est typiquement bilatérale et prédomine dans le cortex temporal


antérieur. Les critères diagnostiques incluent :
- un début insidieux et une évolution progressive,
- des troubles du langage caractérisés par un discours fluent mais peu
informatif, des troubles sémantiques se manifestant par une altération de
l'évocation et de la compréhension des mots ou des paraphasies sémantiques.
- et/ou des troubles de la perception, caractérisés par : une prosopagnosie, et/ou
une agnosie associative ;
- une préservation des capacités perceptives d'appariement et de reproduction
de dessins, de la répétition de mots isolés, de la lecture à haute voix et de
l'écriture, sous dictée, de mots réguliers.
Les critères complémentaires concernent aussi le langage :
- une logorrhée,
- un usage idiosyncratique des mots,
- une absence de paraphasies phonémiques,
- une dyslexie/dysorthographie de surface (voir chapitre 4 ),
- une préservation des capacités de calcul.
Déficits neuropsychologiques. Les tests de mémoire montrent une performance
systématiquement déficiente. Cependant, étant donné que c'est l'atteinte sémantique
qui est présente au premier plan et que le patient ne comprend plus les éléments des
tests, il est délicat de conclure sur la présence des déficits mnésiques. L'atteinte
sémantique se caractérise, en effet, par l'impossibilité de compréhension et
d'évocation de mots et/ou d'identification d'objets et de visages connus.
Les événements ponctuels qui impliquent le quotidien du patient sont rappelés
(par exemple, le menu du déjeuner, un changement de médication). Une des patients
du Dr. Julie Snowden était incapable de « comprendre » une pince à linge, elle ne
pouvait que la définir comme « pour fermer le sachet de céréales », ce qui était
l'usage quotidien qu'elle faisait de cet objet. Plusieurs études ont montré un
apprentissage chez les patients déments sémantiques (DS) mais pour le matériel non
verbal uniquement. Ainsi par exemple on constate une performance normale à un
test de mémoire de reconnaissance des animaux réels et irréels. En revanche, leur
performance est déficitaire si, en présentant les mêmes items, on demande
d'indiquer si l'animal est réel ou non. Ce résultat montre que la capacité d'un
apprentissage non verbal nouveau est indépendante de la compréhension (i.e., de la
sémantique) des éléments à apprendre. Par ailleurs, on constate à nouveau une
performance normale en mémoire de reconnaissance quand l'item à reconnaître est
physiquement identique à l'item cible ; s'il s'agit du même objet présenté sous un
autre angle, le patient échoue : le trouble sémantique est suffisamment important
pour ne pas compenser un changement de point de vue de l'objet.
La préservation des souvenirs récents des patients DS, en présence des troubles
sémantiques, pourrait être expliquée en termes d'une meilleure préservation des
structures hippocampiques face à la détérioration du cortex temporal (voir chapitre
3, la théorie « classique » de la consolidation mnésique). Ce tableau neurologique
provoquerait la perte de signification du monde externe et des souvenirs
autobiographiques stockés au cours du temps dans le néocortex temporal,
permettant de se souvenir uniquement des informations contenues dans
l'hippocampe. Cependant, des analyses neuroanatomiques plus détaillées, en
comparant les patients DS et les patients MA, font ressortir un tableau plus
complexe. Par exemple, la mesure du volume de l'hippocampe, de la région
parahippocampique et de différentes régions du lobe temporal chez les patients DS,
MA (appariés en sévérité de la maladie) et des sujets de contrôle, montre que
l'hippocampe gauche présente une atteinte volumétrique similaire chez les patients
DS et MA, les deux groupes étant significativement différents des sujets témoins.
Par contre, le volume de l'hippocampe droit, chez les patients DS, n'est pas
significativement différent des sujets sains. Il est possible que la préservation des
souvenirs ponctuels quotidiens chez ces patients soit aidée par l'hippocampe droit. Il
existe, néanmoins, une autre possibilité, à savoir que la perte de volume
hippocampique chez ces deux groupes de patients ne sous-tende pas une pathologie
équivalente. Les processus pathologiques qui provoquent ces démences affecteraient
différentes populations de neurones dans l'hippocampe (Hodges et Graham, 2001).

Les démences sous-corticales

La maladie de Parkinson (MP)

Décrite par James Parkinson, en 1817, comme une forme « agitante de la


paralysie », l'affection qui porte son nom est une maladie neuro-dégénérative
chronique, irréversible, évolutive et pour le moment incurable. Elle se manifeste
généralement chez la personne entre 40 et 70 ans, l'âge moyen étant de 60 ans (avec
de 5 à 10 % des patients atteints entre 40 et 55 ans). Au début du XXe siècle, a lieu
la découverte de la dépigmentation de la substance noire et la présence de corps de
Lewy dans le noyau basal de Meynert : la maladie de Parkinson est provoquée par
une insuffisance du neurotransmetteur dopamine.
Ses manifestations cliniques sont un tremblement de repos, des troubles du tonus,
notamment une hypertonie et une rigidité musculaires, ainsi qu'une akinésie et/ou
bradykinésie (voir glossaire). Chez certains patients, on observe des troubles de la
mémoire, entre autres (voir plus bas) et des altérations comportementales (30 % des
malades présentent une dépression). À des stades plus avancés, la maladie peut
s'accompagner de démence.
Les causes exactes du déficit en dopamine chez les parkinsoniens demeurent
inconnues (provoqué par une toxine ? Lié à des troubles neurologiques ?). Environ
20 % des malades de Parkinson ont un proche qui présente des symptômes de la
maladie, ce qui évoque un volet génétique, encore insuffisamment recherché.
Elle touche une personne sur cent parmi les plus de 50 ans sans différences dues
au sexe. Il existe en France, environ 8 000 nouveaux cas par an et environ 100 000
malades diagnostiqués de MP. En Europe, la prévalence globale de la maladie est
estimée à 1,6 % chez les personnes âgées de plus de 65 ans.
Trois critères ont valeur diagnostique : le tremblement, l'asymétrie des
symptômes et, à un moindre degré, l'akinésie. Au décours de la maladie, après 3 à 5
ans, c'est l'amélioration des symptômes supérieure à 50 %, comme réponse au
traitement, qui constitue le critère diagnostique.
Les ganglions de la base sont impliqués dans le contrôle de la motricité, des
processus de planification et de mémorisation ainsi que de régulation de l'humeur.
Les neurones dopaminergiques de la substance noire projettent sur le striatum
(noyau caudé et putamen). La dénervation dopaminergique striatale entraîne une
modification du fonctionnement des neurones du striatum avec la voie striato-
pallido-nigrique hypoactive et la voie striato-pallidale (pallidum, face externe)
hyperactive. La dégénérescence de la voie dopaminergique bloque le système
d'activation de l'aire motrice supplémentaire à partir des ganglions de la base et du
thalamus.

Déficits neuropsychologiques

La destruction de la voie dopaminergique est massive (70 à 90 %) et rend compte,


pour l'essentiel, des symptômes moteurs. En revanche, le rôle de la dégénérescence
dopaminergique striato-pallido-nigrique dans les troubles cognitifs n'est pas éclairci.
Un affaiblissement des capacités intellectuelles peut s'observer au cours de
l'évolution de la MP, cependant, les troubles intellectuels sont rapportés surtout chez
les patients qui débutent la maladie tardivement. Le langage est généralement
préservé, bien que quelques auteurs décrivent des troubles discrets du discours
spontané qui serait un peu moins informatif que celui des sujets de contrôle du
même âge. Les difficultés, que ces patients ont dans le domaine linguistique,
concernent surtout l'articulation qui est imprécise, avec une voix monotone et de
brusques variations du débit. Dans un autre registre, la plupart des tests des
capacités visuo-spatiales et toutes les épreuves qui évaluent les habiletés visuo-
constructives sollicitent des activités motrices, ce qui pénalise d'emblée les patients
parkinsoniens et empêche de conclure, de façon fiable, sur ces fonctions. À notre
connaissance, seuls les sous-tests de capacités visuo-spatiales de la VOSP
(Warrington et James, 1991, voir chapitre 6) seraient à même de permettre une
conclusion puisque aucune activité motrice (autre qu'articuler la réponse orale) n'est
demandée pour les réaliser.
La performance des patients MP aux tests sensibles aux troubles des lobes
frontaux montre des déficits qui ont les mêmes caractéristiques de variabilité de
scores que chez les patients présentant des lésions frontales. Ces troubles
apparaissent précocement et affectent le maintien du programme de réponse
empêchant la réalisation de la tâche et perturbant la planification, la flexibilité
mentale et l'inhibition des réponses non pertinentes liées aux distracteurs. Un
facteur confondant dans l'évaluation générale et plus particulièrement dans l'examen
des troubles de type frontal, est la dépression, qui est présente dans 30 à 50 % des
cas.
Les troubles de la mémoire sont secondaires aux troubles frontaux, ils se
caractérisent par un échec de mise en œuvre de stratégies de récupération
appropriées, avec un niveau d'encodage préservé et un bénéfice en situation
d'indiçage. La mémoire de reconnaissance est normalement préservée ainsi que la
MCT, lorsqu'il s'agit de la répétition passive des chiffres. Par contre, la mémoire de
travail, sollicitée dans les tâches où il est nécessaire de réaliser une manipulation du
matériel présenté, est perturbée. La MLT est altérée mais, là aussi, dans les tâches
qui demandent une organisation active du matériel à mémoriser comme
l'apprentissage des listes de mots ou l'apprentissage de mots couplés sans lien
sémantique. Enfin, la mémoire du passé est relativement préservée mais la datation
des souvenirs est, comme toutes les tâches où il faut établir des liens
chronologiques, altérée (voir chapitre 8).
Les troubles d'apprentissage chez ces patients concernent prioritairement la
mémoire implicite ou procédurale dans la sphère motrice (par exemple, poursuite
des stimuli en mouvement, adaptation prismatique, le test de la Tour de Londres), de
par la nature même des lésions cérébrales. En revanche, les procédures linguistiques
(la lecture en miroir, par exemple) semblent préservées.
En résumé, les troubles cognitifs sont une conséquence du dysfonctionnement
frontal et en ce qui concerne le comportement, on constate également des points
communs avec les patients frontaux. En effet, en plus de la dépression (endogène
puisqu'elle apparaît avant les troubles), on observe une modification de la
personnalité avec apathie et inertie. (On postule que la personnalité prémorbide des
MP montrerait chez certains patients une attitude rigide liée à un dysfonctionnement
dopaminergique sous-clinique).
Traitement

La MP est une des rares conditions neurodégénératives d'étiologie inconnue pour


laquelle il existe un traitement mais pas de cure. La dégénérescence de la voie
nigro-striatale dopaminergique a été traitée en pharmacologie par la L-Dopa qui est
transformée en dopamine par les cellules dopaminergiques résiduelles et ses
agonistes (par exemple, la bromocriptine). La première période de la MP, qui a une
durée de 3 à 8 ans, se caractérise par une vie pratiquement normale et correspond à
la période de meilleure efficacité du traitement. La période qui suit, s'étendant
approximativement sur 6 ans, voit apparaître des dyskinésies comme effets
secondaires de la L-Dopa chez 60 % des patients. Enfin, lors de la troisième
période, on observe une perte d'efficacité de la L-Dopa. Le patient passe de l'état «
ON » de relative normalité, à l'état « OFF » d'immobilité.
Ces constatations ont favorisé le développement des alternatives chirurgicales qui
consistent à léser des endroits stratégiques sélectionnés en fonction de leur
hyperactivité au cours de la MP. La pallidotomie, la sousthalamotomie et la
thalamotomie devraient, théoriquement, relâcher le thalamus du niveau d'inhibition
imposé par les ganglions de la base. Une alternative à la chirurgie est le traitement
par stimulation électrique au cours duquel les mêmes zones (pallidum, noyau
sousthalamique) sont stimulées au moyen de l'implantation d'électrodes. On ne
connaît pas encore de manière précise le mécanisme de la stimulation, qui est
supposée inhiber le noyau stimulé dans la mesure où elle reproduit l'effet d'une
lésion. En France, le groupe de chercheurs de la Pitié-Salpêtrière contribue depuis
1994 aux progrès solides dans la thérapie par stimulation électrique (voir par
exemple, Welter et al., 2002 ; Czernecki et al., 2005).

L'approche thérapeutique des greffes est la seule qui ait pour but la restauration
des cellules perdues. La revue de la littérature chirurgicale fait état de plusieurs
centaines de greffes chez des patients parkinsoniens au cours des 15 dernières
années. Plusieurs facteurs sont nécessaires pour réussir une greffe, le plus important
étant l'origine de la greffe : plus la population cellulaire est sélectionnée et le stade
de développement est adéquat, plus les chances de réussite sont assurées. Ceci
implique l'utilisation de cellules nigrostriatales du système dopaminergique au
moment de leur développement initial chez le fœtus, ce qui entraîne des problèmes
éthiques importants (Le programme NECTAR : The Network for European Central
nervous system Transplantation and Restoration a établi les clauses pour la
régulation de l'utilisation de cellules nerveuses).
Un aperçu des résultats permet de voir que sur 126 patients ayant reçu une greffe
entre 1989 et 1997, principalement en Suède, aux États-Unis et en Grande-Bretagne,
un total de 107 patients a montré une amélioration. Le site de la greffe est dans tous
les cas, le noyau caudé, le putamen ou les deux. L'efficacité du traitement se mesure
par la meilleure réponse du patient au traitement de la L-Dopa (rappelons que les
patients sélectionnés pour bénéficier d'une greffe sont ceux qui ont de longues
périodes « OFF » et lorsqu'ils sont en période « ON », ils ont une dyskinésie
invalidante). La vitesse de réalisation de certains mouvements simples des membres
supérieurs (par exemple, le temps de pronation-supination) qui sont testés avant et
jusqu'à 3 ans après la greffe, montre une amélioration spectaculaire.
Les greffes de substance noire ont montré leur efficacité surtout à travers l'étude
de la TEP-fluorodopa. Cette technique permet de visualiser l'innervation de la
dopamine dans le striatum in vivo : le putamen qui a été greffé montre une
consommation de dopamine comparable à celle des contrôles du même âge, non-
parkinsoniens, le putamen non greffé continue à se détériorer.
Les tissus riches en dopamine greffés dans le striatum restaurent beaucoup de
symptômes provoqués par la perte du neurotransmetteur, mais ne guérissent pas la
MP.

La maladie de Huntington (MH)

La MH est une affection neurodégénérative de transmission autosomique


dominante à pénétrance complète et caractérisée par des troubles moteurs le plus
souvent choréiques (secousses involontaires et constantes), des manifestations
psychiatriques et une démence progressive. Elle est considérée comme le paradigme
des démences génétiques. En 1993, le gène dont le dysfonctionnement provoque la
MH, le huntingtin, a été découvert et isolé sur le chromosome 4.
La MH ou chorée de Huntington est une affection rare, son incidence étant de
1/10000.

Les premiers symptômes surviennent vers l'âge de 30 à 40 ans et évoluent sur une
quinzaine d'années, mais il ne semble pas y avoir une relation entre la durée et la
sévérité des troubles moteurs et le degré de la démence.
La MH est provoquée par une perte neuronale prématurée qui est corrélée avec la
sévérité et la chronicité de la maladie. Cette perte se situe, au stade initial de la
maladie, dans le noyau caudé et le putamen ; plus tard, elle s'étend à d'autres noyaux
des ganglions de la base et gagne le néocortex.

Déficits neuropsychologiques
Les troubles moteurs constituent le déficit central de la MH : les dyskinésies et
les mouvements choréiques incontrôlables sont présents dès le début de la maladie.
Plus tard, il s'ajoute une incapacité d'initiation des mouvements. Les mouvements
choréiques représentent le trait le plus visible, mais la détérioration mentale est
aussi très invalidante.
La démence peut être modérée et stationnaire pendant des années et s'aggraver en
quelques mois, mais la détérioration cognitive est présente dès le début, même si
quelques fois elle peut passer inaperçue en raison du niveau socioculturel modeste
du patient. Cependant, même dans les cas où la détérioration cognitive constitue le
premier symptôme, il est rare que la démence soit globale : le patient retient
quelques capacités comme, par exemple un certain niveau de compréhension,
jusqu'au stade terminal de la maladie.
Les troubles cognitifs que l'on observe au premier plan sont similaires aux
troubles frontaux : une incapacité de générer des stratégies, de planifier, etc. De
même, les troubles psychiques rappellent ceux des patients frontaux puisqu'il s'agit
dans la plupart des cas d'une altération émotionnelle influençant la personnalité.
Les fonctions les plus affectées sont l'attention et la mémoire ; les troubles
mnésiques précèdent en fait les autres troubles cognitifs. La détérioration mnésique
reste stationnaire pendant des années alors que les autres fonctions peuvent se
détériorer sévèrement dans une période de 5 à 10 ans. Les troubles de mémoire se
caractérisent par l'absence de gradient temporel de l'amnésie rétrograde. La
mémoire de reconnaissance est mieux préservée que le rappel, ce qui indique une
difficulté d'accès plutôt qu'un effacement de la trace mnésique. La mémoire
implicite des procédures perceptives et motrices est atteinte en début de maladie,
contrairement à la mémoire implicite d'apprentissage des règles pour la résolution
des problèmes.
En raison des perturbations motrices qui gênent la communication aussi bien pour
l'articulation de la parole que pour l'écriture et même pour la mimique, les patients
MH ont des difficultés à se faire comprendre même en début de maladie. On
observe une dissociation automatico-volontaire pour les mouvements de la langue et
de la bouche qui sont relativement adaptés pour l'ingestion de nourriture.
Le comportement se caractérise par une irritabilité et une impulsivité ou au
contraire, une indifférence, une apathie et une absence d'initiative. Les troubles
comportementaux peuvent constituer les signes précurseurs de la maladie.
L'examen neuropsychologique est au mieux difficile en raison des troubles
physiques et comportementaux.

Traitement
Aucun traitement n'existait pour la MH jusqu'aux tentatives de thérapie par greffe
des dernières années qui occupent, à présent, la deuxième place en fréquence après
la MP. En France, Peschanski et ses collaborateurs sont activement engagés dans le
traitement de la MH par greffes (voir pour une vue d'ensemble, Peschanski et al.,
2004). Ces chercheurs pourront répondre à des questions concernant les symptômes
observés : sont-ils secondaires aux lésions striatales seulement ou la perte neuronale
au niveau cortical est-elle une conséquence des troubles du striatum ou bien est-elle
indépendante ? Sur un niveau plus méthodologique, c'est la pertinence des modèles
animaux pour l'explication de la maladie chez l'homme qui est mise en question : la
technique lésionnelle chez l'animal est-elle comparable au dysfonctionnement du
gène ?

La paralysie supranucléaire progressive (PSP)

Appelée aussi maladie de Steele-Richardson-Olszewski, la paralysie


supranucléaire progressive est un syndrome de paralysie à prédominance axiale, et
dans laquelle on observe des troubles oculo-palpébraux et de dystonie dus à
l'atteinte de la substance noire.
C'est après avoir étudié cette maladie que Milberg and Albert (1989) proposent
l'existence des « démences sous-corticales ». Il s'agit d'une maladie rare qui se
déclare chez la personne dans la soixantaine et se caractérise par une évolution
rapide qui atteint le tableau clinique complet 2 à 3 ans après le début de la maladie
et la mort survient après 6 ans en moyenne.
Le malade présente 4 symptômes cardinaux : la rigidité axiale, l'instabilité
posturale avec tendance à la chute en arrière, le syndrome pseudobulbaire
(dysphonie, dysarthrie et dysphagie) et la perte de contrôle des mouvements
oculaires volontaires, avec préservation des mouvements oculaires réflexes. À ces
signes cliniques s'ajoutent la perturbation de sommeil et la démence.
La caractéristique neuropathologique la plus marquante de la PSP est la présence
des dégénérescences neurofibrillaires qui se distinguent des DNF observées dans la
MA, par leur localisation sous-corticale, et par leur morphologie. Certaines
structures cérébrales comme le cortex cérébral, le cortex cérébelleux et l'amygdale,
ne sont classiquement jamais atteintes.
Les formations sous-corticales les plus fréquemment lésées sont le pallidum, les
colliculi supérieurs, la substance noire, le striatum, le noyau basal de Meynert, les
noyaux sous-thalamiques, entre autres.
Les problèmes majeurs que pose la PSP concernent le diagnostic précoce et la
thérapie. Le diagnostic s'est amélioré par les tests neuropsychologiques fins qui
détectent des troubles frontaux débutants et par l'imagerie cérébrale morphologique,
utilisée ici d'un point de vue d'élimination d'autres syndromes (hydrocéphalie,
tumeurs, AVC).

Dé ficits neuropsychologiques

Dans la PSP, les déficits neuropsychologiques observés sont de type frontal.


Ainsi, concernant le langage, on observe une diminution de la fluence verbale et une
perte des aspects élaborés (par exemple, expliquer la signification figurée des
proverbes). L'apraxie constructive et l'incapacité d'organiser des percepts visuels
dont ces patients souffrent pourraient également refléter une désorganisation
d'éléments à caractère frontal. Les patients ont également une difficulté du
raisonnement qui augmente avec la complexité de la tâche, une altération mnésique
modérée, verbale et visuelle et un déficit attentionnel. De même, les comportements
pathologiques qui sont typiquement observés dans les troubles frontaux sont
présents dans la PSP : persévérations, préhension, imitation et utilisation.
La comparaison des troubles cognitifs des patients MA et PSP ayant le même
niveau de détérioration globale intellectuelle, montre que la PSP se distingue de la
MA par la modicité des troubles mnésiques, l'absence de troubles focaux (aphasie,
agnosie, apraxie) et la présence d'un dysfonctionnement frontal, d'emblée.

Traitement

La mise en place d'un traitement pour la PSP est pour le moment impossible, à tel
point que l'échec thérapeutique constitue un signe important pour le diagnostic.
Malgré les similitudes avec la MP, la médication dopaminergique n'a aucun effet.

Nous allons conclure ce chapitre en décrivant deux autres démences qui se


caractérisent par une atteinte corticale et sous-corticale, la démence à corps de Lewy
et la démence vasculaire.

La démence à corps de Lewy

Cette démence est caractérisée par la présence des corps de Lewy (des
corpuscules sphériques constitués de plusieurs protéines dont l'ubiquitine et
l'alphasynucléine), dans différentes structures corticales, notamment dans les
régions limbiques, et dans le sous-cortex. On constate la présence des corps de
Lewy chez 15 à 25 % des patients âgés déments (examen post-mortem), dans une
proportion plus importante chez les hommes que chez les femmes, avec l'âge moyen
d'apparition des symptômes entre 50 et 70 ans.
On n'a pas encore élucidé le mécanisme qui mène à la formation des corps de
Lewy. Cette démence peut se développer seule ou conjointement avec la MA ou la
maladie de Parkinson. Elle peut se manifester par un tableau très proche de la MA, à
savoir un déficit mnésique accompagné des troubles de l'attention, des fonctions
frontales et des capacités visuo-spaûales. La démence à corps de Lewy qui présente
une symptomatologie de ce type rend particulièrement difficile la distinction entre
celle-ci et la MA. Son évolution est différente de celle de la MA : les déficits
semblent plus légers au cours des deux premières années mais par la suite, durant
une période de 5 à 7 ans, l'évolution se fait vers une démence sévère.
Les critères diagnostiques de la démence à corps de Lewy comprennent :
- un déclin cognitif,
- des fluctuations importantes dans l'expression des symptômes,
- des états de confusion,
- des illusions et des hallucinations auditives et visuelles répétitives. Ces
manifestations psychiatriques peuvent constituer les signes précurseurs et
s'installer. Elles se présentent souvent avec une dépression, des troubles du
sommeil, et des idées délirantes de type paranoïde : en général, chez un tiers
des patients, on constate des troubles psycho-comportementaux.
Par ailleurs, certains symptômes parkinsoniens de la démence à corps de Lewy
font aussi partie des critères diagnostiques : l'akinésie, la bradykinésie, la rigidité,
les tremblements, etc.
McKeith et al. (1996) indiquent des signes dont la présence renforce le
diagnostic :
- des chutes répétées,
- des syncopes et des pertes de conscience transitoires,
- une sensibilité aux neuroleptiques même à faible dose.
Neuropsychologie. L'exploration de la démence à corps de Lewy se réalise de
manière similaire à l'examen chez les patients MA (voir la présentation de cas, plus
haut). Le diagnostic différentiel entre la démence à corps de Lewy et la MA est aidé,
outre les critères indiqués plus haut, par quelques caractéristiques présentes chez les
patients déments à corps de Lewy :
- les troubles visuo-spatiaux et de praxies constructives, dès le début de la
maladie,
- une meilleure performance mnésique en situation d'indiçage,
- des troubles attentionnels sont typiquement fluctuants et ponctués par des
somnolences diurnes.

Les démences vasculaires (DV)

Le concept de démence vasculaire réunit des pathologies très différentes : en


1974, Hachinski forge le terme de démence par infarctus multiples (voir Hachinski,
1975), une dizaine d'années plus tard, Loeb propose le terme de démences
vasculaires qui implique une nosopathologie plus large. À présent, en plus de ce
terme, on se réfère aussi au « déficit vasculaire cognitif ».
Les démences vasculaires ont une importance accrue par le nombre de cas
(seconde cause de démence). Les DV représentent 10 à 20 % des démences
(examen post-mortem) ; elles débutent à partir de la cinquantaine et l'incidence
augmente avec l'âge ; le pourcentage d'hommes affectés est plus élevé par rapport
aux femmes. La DV comporte un indice plus important de mortalité que la MA.
Il ne s'agit pas d'une maladie mais d'un ensemble de syndromes qui ont une
relation avec des mécanismes vasculaires différents. La caractéristique la plus
spécifique est la possibilité de prévention à condition de détecter les symptômes au
début.
Les cas les plus fréquents sont :
- Un syndrome démentiel comme résultat de l'accumulation de lésions
vasculaires ischémiques ou hémorragiques (multi-infarctus). Le début peut être
typiquement abrupte et suivre une évolution par paliers.
- Une démence après un seul accident vasculaire cérébral s'il provoque la
nécrose des structures du cerveau qui ont une fonction de relais, comme le
thalamus ou la tête du noyau caudé.
- La démence vasculaire provoquée par des infarctus sur des vaisseaux de petit
calibre dans tout le cerveau, caractérisée par un état lacunaire ou par une
leucoencéphalopathie (par exemple, la maladie de Binswanger dont l'identité
est controversée, mais qui apparaît encore dans certains textes, est une forme
de démence lacunaire).
- Le syndrome se présente sous une forme génétique, la maladie de CADISIL
(Cerebral Autosomal Dominant Arteriopathy with Subcortical Infarcts and
Leukoencephalopathy).
L'hypertension artérielle est le facteur causal dans 50 % des cas.
Dans tous les cas, le déclin cognitif est présent mais les déficits
neuropsychologiques correspondent aux structures cérébrales qui ont été affectées
par l'accident. Une forme relativement fréquente est la démence mixte, MA et DV,
ce qui doit être pris en considération lors de l'évaluation neuropsychologique.

Conclusion

Les différents types de démence, que nous avons brièvement parcourus dans ce
chapitre, constituent un des volets de la neurologie où l'intervention du
neuropsychologue est nécessaire et où l'approche multidisciplinaire est la condition
de réussite. Concernant la MA, nous avons vu que seul le marqueur
neuropsychologique semble relativement bien établi, néanmoins, sa véritable utilité
consistera à faire converger les données cognitives avec celles de l'imagerie
cérébrale fonctionnelle, de la génétique et de la pharmacologie. Les études dans
cette dernière branche ont montré que les traitements pharmaco-chimiques,
notamment les inhibiteurs d'AChE et dans une moindre mesure les inhibiteurs de
BuChE, bien que loin de faire l'unanimité, sont capables de retarder la
symptomatologie lourde, à condition qu'ils soient prescrits dans les premiers stades
(MCI et MA légère), cependant, les effets secondaires peuvent poser des problèmes.
Par ailleurs, juste mentionné dans ce chapitre, un des domaines où tous les
progrès sont encore à faire est la prise en charge du patient, depuis un élargissement
des données médicales, comme le suivi systématique de possibles troubles
circulatoires se superposant à la MA, jusqu'aux considérations de type conseils
psychologiques à la famille du patient et mise en place des structures d'aide et
d'accueil des patients. En amont, le rôle des neuropsychologues est essentiel surtout
concernant la MA, aussi bien pour mettre en place des séances de stimulation
cognitive notamment pour le maintien de la mémoire (dans les maisons de retraite,
les associations du troisième âge, etc.) que pour animer les « consultations mémoire
» dont l'utilité est de mieux en mieux reconnue en France. Si aucun changement
important n'a lieu dans le diagnostic précoce et le traitement, on assistera à une
multiplication par 3 des cas de malades dans les décennies à venir.
CHAPITRE 10

Contributions de la neuroimagerie fonctionnelle à la


neuropsychologie

Introduction

La première tentative d'étude conjointe du soubassement cérébral et du


comportement a été réalisée par les neurologues du XIXe siècle, dans un
contexte statique des « accidents de la nature » où la lésion cérébrale altère
la fonction cognitive. La tentative suivante se situe dans une perspective
active de techniques d'observation qui débute dans les années 1920, avec la
mise au point de l'électroencéphalographie (EEG), première expérience
d'identification contrôlée de l'activité cérébrale. Les progrès réalisés depuis
dans les techniques d'observation sont extraordinaires ; l'exemple le plus
illustratif est le développement et l'utilisation dans la recherche
neuropsychologique de l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle
(IRMf).
Préalablement à la contribution de la neuroimagerie fonctionnelle à la
neuropsychologie, nous commenterons succinctement les techniques
d'imagerie cérébrale morphologiques et les concepts de base de l'imagerie
fonctionnelle. Dans la deuxième partie, nous résumerons quelques études
réalisées au moyen de deux techniques fonctionnelles, la tomographie par
émission de positons (TEP) et l'IRMf.

Notions de base de l'imagerie cérébrale

L'imagerie cérébrale morphologique

La tomodensitométrie ou scanner à rayons X, est la première technique


qui a permis de voir le cerveau in vivo. Le scanner présente deux avantages
importants par rapport aux techniques qui l'ont précédé : la passation est
moins lourde pour le patient et il est plus informatif parce qu'il montre la
matière cérébrale elle-même et donc les lésions. Les techniques précédentes
montraient soit les cavités, soit les vaisseaux sanguins, et suggéraient
seulement les lésions.
Schématiquement, le point de départ de la technique est l'émission de
rayons X qui traversent le crâne du sujet et sont recueillis par les récepteurs
d'une batterie de détecteurs. La prise d'information se fait à partir de coupes
cérébrales de quelques mm d'épaisseur. Pour l'obtention des données
exploitables, il faut qu'en couplage avec l'ordinateur, les données
numériques de chaque point ou pixel soient transcodées en tons de gris
allant du noir au blanc. Le scanner est une des techniques morphologiques
la plus utilisée en exploration de routine des patients cérébro-lésés, une des
raisons étant le temps court de l'examen. Parmi ses nombreuses utilisations,
on note son application aux patients qui ont souffert d'un traumatisme
crânien et chez qui il est nécessaire de détecter des hématomes
intracrâniens, des abcès de la matière encéphalique, une dilatation
ventriculaire, des zones importantes de contusion et l'atrophie corticale. Le
scanner n'est utile, par contre, ni pour la détection de petites zones de
contusion, ni pour celle de lésions diffuses de la matière blanche.

La découverte de la résonance magnétique nucléaire (RMN),


récompensée en 1952 par le prix Nobel décerné à Bloch et Purcell,
révolutionne le monde médical dans les années 1970. Damidian exploite la
structure et l'abondance d'eau dans l'organisme humain comme bases de
l'utilisation de la RMN et Lauterbur développe le concept de gradients tri-
planaires qui permet la sélection des aires corporelles. La RMN devient
IRM, à partir des premières images de résonance magnétique du corps
humain (« nucléaire » ne figurera plus dans le sigle). Au début des années
1980, l'IRM est utilisée en milieu hospitalier et est d'emblée appréciée dans
les services de neurologie par sa plus grande précision anatomique, en
particulier, concernant la détection de traumatismes non-hémorragiques du
cortex et de la matière blanche et par le fait qu'elle montre, par rapport au
scanner, cinq fois plus de lésions chez le même patient. Il est également
possible d'obtenir des images tridimensionnelles submillimétriques des
noyaux gris et du liquide céphalo-rachidien. Il s'agit d'un instrument de
diagnostic clinique et de recherche, extrêmement puissant, dont les images
sont utilisées, entre autres, par les neurochirurgiens en situation pré-
opératoire pour définir la trajectoire des sondes chirurgicales ; par les
neurologues et les radiologues pour diagnostiquer leurs patients et suivre
l'évolution des troubles dégénératifs, comme la sclérose en plaques, par
exemple. Les chercheurs tentent, quant à eux, de dresser un atlas universel
du cerveau grâce aux clichés IRM de centaines de cerveaux humains.
La RMN emploie le magnétisme pour agir sur les atomes de l'organisme.
Le noyau des atomes est composé, parmi d'autres particules, de protons qui
sont chargés positivement et qui ont leur propre champ magnétique avec un
pôle nord et un pôle sud. Ils tournent autour de leur axe comme la terre.
Lorsqu'un patient est introduit dans l'appareil de RMN, les protons de son
organisme s'alignent dans le même sens que le champ magnétique de
l'appareil. Sous contrôle technique, la bobine haute fréquence du scanner
émet des ondes radio qui amènent les protons à se réaligner. Lorsque les
ondes radio et les protons vibrent à la même fréquence, les protons
absorbent une partie de l'énergie des ondes radio. C'est ce que l'on appelle la
résonance et c'est de ce phénomène que dérive la résonance magnétique.
Quand la bobine haute fréquence est neutralisée, les protons reprennent leur
orientation initiale, après un temps qui va de la milliseconde à la seconde,
selon les tissus. Ce retour à l'orientation initiale est la relaxation,
phénomène qui libère de l'énergie qui, à son tour, génère un voltage qui,
détecté par un résonateur-récepteur, est converti en signaux numériques qui
forment la base des clichés RM.
L'identification des sites lésionnels avec l'IRM a confirmé dans certains
cas, les grandes conceptions de la neuropsychologie anatomo-clinique
classique, a enrichi, comme on s'y attendait, nos connaissances dans bien
des domaines, notamment celui du langage, et a rectifié certains résultats «
obscurcis » dans l'approche anatomo-clinique, en raison de facteurs
inhérents à la méthode (par exemple, la longue durée d'une affection
neurologique et/ou la médication qui entraînent une détérioration
additionnelle à celle provoquée par la lésion censée avoir perturbé une
fonction donnée).
La neuroimagerie fonctionnelle

Les auteurs s'accordent à faire une distinction entre les techniques


fonctionnelles électromagnétiques comme l'EEG, y compris les potentiels
évoqués et la magnétoencéphalographie (MEG) d'une part, et les techniques
fonctionnelles hémodynamiques comme la TEP et l'IRMf, d'autre part. Le
fondement même de ces dernières techniques est que les fonctions
supérieures ont une équivalence hémodynamique au niveau local : on peut
ainsi affirmer que la TEP et l'IRMf sont des techniques corrélatives, dans le
sens où elles utilisent la relation entre certains patrons d'activité cérébrale et
certains processus cognitifs.
De manière générale, l'imagerie fonctionnelle peut être définie comme le
type de technique qui fournit des données volumétriques de l'activité
neurale, sur la base des dimensions spatiale et temporelle : c'est la vision
cinétique en 3-D de l'activité cérébrale. Les manipulations expérimentales
se font dans un ordre temporel qui doit être strictement pris en compte lors
des analyses de données.
L'origine de la technique de la TEP s'inspire de la tomodensitométrie,
cependant, dans la TEP, la source d'énergie radioactive qui permet la
reconstruction volumétrique de l'image n'est plus dirigée de l'extérieur vers
le corps (rayons X), mais elle est injectée dans le corps au moyen d'un
isotope qui produit des positons dans sa phase de déclin d'énergie
radioactive. Les positons sont immédiatement annihilés avec les électrons,
ce qui produit deux photons qui se déplacent dans deux directions opposées.
Il s'agit alors de détecter la source du déclin radioactif dans l'espace,
opération qui reçoit le nom de « détection de coïncidence » et qui est
réalisée par un ensemble de détecteurs, placé autour de la tête du sujet. La
résolution des images se fait à près d' 1 mm, mais elle a une faible
résolution temporelle. L'enregistrement dure une minute approximativement
par coupe de 2 mm. L'avantage principal est qu'elle est la seule technique
pour laquelle l'origine physiologique du signal est parfaitement connue, le
débit sanguin. Son principal inconvénient est lié au rayonnement gamma :
au cours d'une séance, le sujet reçoit de 6 à 12 injections du produit marqué.
Dans les années 1980, la TEP commence à être utilisée dans l'étude des
changements du débit sanguin cérébral régional (DSCr) au moyen des
comparaisons de la distribution de la perfusion cérébrale dans deux états
cognitifs différents. La TEP dans le domaine de la neuropsychologie
clinique est utilisée dans l'étude des modifications cognitives liées au
vieillissement et dans la recherche de maladies dégénératives.

En 1991, l'IRM fonctionnelle fait son apparition dans la version qui


utilisait encore un traceur non radioactif (le gadolinium), puis en 1992
apparaît la première publication « BOLD » (Blood Oxygen Level
Dependent) qui implique l'observation en temps réel, de manière toujours
indirecte, des changements de l'activité neuronale au moyen des mesures
des réponses qui sont dépendantes du niveau d'oxygène dans le sang.
L'activité cognitive est sous-tendue par l'activité synaptique ; une des
conséquences neurophysiologiques de l'activité synaptique étant l'activité
hémodynamique, celle-ci peut être étudiée en relation avec l'activité
cognitive.
L'activité hémodynamique qui nous intéresse « commence » au moment
où l'activité synaptique entraîne une augmentation de consommation
d'oxygène au niveau local. Cette consommation d'oxygène entraîne, à son
tour, une augmentation de désoxyhémoglobine (dHb ou hémoglobine
désoxygénée), qui provoque un afflux très important et disproportionné
d'oxygène. Ces changements du DSCr, en dépassant de loin le besoin
d'oxygène, provoquent une certaine diminution de la concentration veineuse
de dHb, c'est le signal BOLD. Le traceur de l'IRMf est ainsi un traceur
endogène, la dHb, qui se trouve dans des vaisseaux veineux (le sang artériel
est riche en oxygène).
On observe ainsi un phénomène dit de découplage : l'activité synaptique -
consommatrice d'oxygène - résulte d'une augmentation d'oxygène. Une fois
que l'afflux des globules rouges oxygénés s'arrête, la consommation au
niveau local d'oxygène continue. Ce phénomène se traduit par une chute du
signal au dessous de son niveau de base (connu sous le terme anglais
d'undershoot).
L'hémoglobine oxygénée est composée d'un atome de fer et d'un atome
d'oxygène. Cette combinaison lui confère des propriétés « diamagnétiques »
(comme la plupart des matières biochimiques du cerveau). L'hémoglobine
désoxygénée a un atome de fer isolé et elle est « paramagnétique » (placée
dans un champ magnétique, les éléments paramagnétiques modifient les
caractéristiques du champ propre et du champ proche). Ainsi, un aspect
fondamental de la dHb est le fait qu'étant paramagnétique, elle modifie le
temps de relaxation (voir IRM, plus haut) réduisant le signal IRM (le
voltage de l'énergie libérée) ; l'afflux du DSCr riche en oxygène va
augmenter ce signal.
Quelques-uns des problèmes que pose cette technique sont :
- l'augmentation du DSCr, déclenchée par l'activité synaptique, est en
retard de plusieurs centaines de millisecondes par rapport aux
synapses.
- Quant à la relation activité cognitive/augmentation d'oxygène, cette
dernière se fait par paliers et arrive à sa valeur maximale plusieurs
secondes après le début de l'activité cognitive et à la condition que
celle-ci soit soutenue.
- Le signal BOLD de l'IRMf n'a pas d'interprétation simple car la
valeur du signal obtenu n'est pas une mesure de concentration de dHb
proprement dite mais plutôt une mesure pondérée par cette
concentration (T2 * weighted : pondérée).
- Le signal est susceptible de varier aussi d'un sujet à l'autre, en
conséquence, les expériences testent normalement les différences de
magnitude du signal entre deux conditions dans un scan donné.
- La dHb étant paramagnétique, le signal obtenu des structures qui se
trouvent très près des os de la boîte crânienne peut subir une
déformation.

Neuropsychologie et neuroimagerie fonctionnelle

En plus du progrès indiscutable que l'imagerie cérébrale fonctionnelle


apporte au domaine de la neuropsychologie chez le sujet sain, la valeur de
la clinique neuropsychologique peut être renforcée par cette approche, à
condition de sélectionner les cas à étudier de manière à respecter une série
d'exigences méthodologiques (voir plus bas).
L'étude du traitement de l'information, dans l'approche de la
neuropsychologie cognitive des années 1960, « ne prenait pas en compte »
le cerveau. La conception modulaire n'impliquait donc pas une localisation
modulaire au niveau cérébral. Les chercheurs qui, à présent, ne conçoivent
plus l'étude du fonctionnement cognitif sans les corrélats anatomiques,
considèrent que les soubassements des modules conceptuels forment des
réseaux neuronaux distribués. Rappelons aussi que certaines fonctions sont
non modulaires et dans ces cas-là, la neuroimagerie peut être
particulièrement utile.
Dans les paragraphes suivants, nous allons illustrer la relation
neuropsychologie-neuroimagerie fonctionnelle avec des études qui ont été
réalisées dans trois domaines : le langage, la reconnaissance des objets et la
mémoire épisodique.

Le langage

Langage oral

Les études en imagerie cérébrale fonctionnelle montrent combien le rôle


des différentes aires du langage est plus étendu et complexe que celui que
l'on peut déduire à partir des études lésionnelles. Nous verrons très
brièvement ces constatations dans le contexte clinique.
- Commençant par l'aire de Broca, les études de neuroimagerie
fonctionnelle mettent en évidence que cette zone cérébrale n'est pas
exclusivement associée à la programmation de séquences nécessaires à la
production du langage oral. On sait à présent que son fonctionnement
implique des opérations cognitives parfaitement cohérentes avec le rôle plus
général d'exécution et de contrôle, attribué au lobe frontal. Rappelons que
les zones du gyrus frontal inférieur gauche, que l'on regroupe sous le nom
d'aire de Broca, impliquent sa portion trifoliée, qui correspond aux cortex
operculaire (BA 44), triangulaire (BA 45) et orbitaire (BA 47). Une
séparation des fonctions dévolues à ces sous-parties anatomiques est
désormais établie. L'aire BA 44 sous-tend le traitement phonologique de
l'information verbale, l'aire BA 45 est fortement impliquée dans le
traitement des phrases grammaticalement complexes et, ensemble, les aires
BA 45,47 sous-tendent le traitement sémantique, mis en évidence, par
exemple, lors de tâches de décision des mots concrets et abstraits. Le rôle
de l'aire de Broca n'est donc pas limité à la stricte préparation et production
du langage, ce qui explique plusieurs observations cliniques. Ainsi, par
exemple, les troubles de la compréhension, chez les patients Broca,
apparents dès qu'on les examine avec plus de détail, seraient cohérents avec
la découverte du traitement sémantique dans cette aire. Également,
l'agrammatisme qui est associé à l'aphasie de Broca, est mieux compris
actuellement. On pensait que l'agrammatisme pouvait refléter une «
économie d'effort » de production du langage ; les travaux récents montrent
un dysfonctionnement par réduction de la capacité de la mémoire
immédiate, puisque le trouble est présent en fonction du niveau de la
complexité de la phrase. Cette réduction affecte le maintien des éléments
tels que l'ordre des mots dans la phrase ou la signification des mots
grammaticaux, notamment les prépositions qui déterminent l'ordre d'action,
qui n'a pas de contenu sémantique.
- L'imagerie cérébrale fonctionnelle, appliquée à l'étude des zones
postérieures du langage ou aire de Wernicke a eu un double rôle de
délimitation des aspects anatomiques et de découverte des fonctions sous-
tendues par les zones ainsi délimitées. Il a été montré que les régions
postérieures, supposées être impliquées exclusivement dans la
compréhension du langage (contenu lexico-sémantique) apparaissent
également activées dans le traitement de l'information phonologique. Dans
ce cas de figure, c'est le planum temporale qui est activé ainsi que le gyrus
temporal supérieur. Ce même gyrus est activé lors du traitement sémantique
de l'information verbale avec toutefois un patron d'activations plus étendu,
notamment vers les zones associatives du lobe pariétal gauche. Cependant,
il est plus correct d'étudier les soubassements anatomiques du traitement
sémantique, en prenant en considération la catégorie sémantique des items.
Depuis une dizaine d'années, l'équipe de Damasio a mis en évidence, au
moyen de la TEP, une ségrégation anatomo-fonctionnelle : pour les visages,
BA 38 ; pour les animaux, BA 20,21,37 et pour les outils, le carrefour
temporo-occipito-pariétal. Ces résultats détaillés de la neuroimagerie
fonctionnelle montrent la justesse des observations anatomo-cliniques, mais
aussi leurs limites dans les généralisations à partir de ces données. Ainsi, au
regard de la justesse, le patient souffrant d'une aphasie fluente, dont le
discours est dépourvu de sens, est cohérent avec une perte de la
signification des catégories des mots. En revanche, même si le pôle
postérieur est intact, le patient peut présenter un déficit de la compréhension
verbale dans le cas où la lésion isole ce pôle des autres aires associatives.
La constatation, grâce à la neuroimagerie fonctionnelle, du rôle
fondamental du pôle postérieur dans le traitement de l'information qui est
prioritairement multimodal, s'accorde avec la nature même du langage qui,
en raison de son caractère symbolique et arbitraire, requiert la participation
de différentes modalités au cours de l'apprentissage chez l'enfant. À l'appui
de cette notion, se constitue l'observation de l'activation en imagerie
fonctionnelle des portions ventrales du lobe temporal, si les tâches de
langage ont besoin d'un niveau élevé d'élaboration ; or cette région est aussi
essentielle pour la reconnaissance d'objets (chapitre 5).

Langage écrit

Le problème posé par la présence concomitante de deux déficits, par


rapport au diagnostic et à la décision de la prise en charge est étudié par
Leff et al. (2001) dans le domaine du langage écrit et au moyen de la TEP.
Étant donné que l'alexie lettre à lettre (souvent appelée aussi alexie pure
comme c'est le cas pour les auteurs cités; voir chapitre 4) et l'hémianopsie
se présentent de façon conjointe dans la plupart des cas, les auteurs ont
étudié la lecture des mots isolés chez les groupes suivants : des sujets sains,
des patients alexiques hémianopsiques (hémianopsie latérale homonyme
droite), des patients normo-lecteurs porteurs d'une hémianopsie latérale
homonyme droite épargnant la vision maculaire, et chez un patient qui
présente une alexie lettre à lettre sans hémianopsie. L'objectif prioritaire de
la recherche en neuroimagerie fonctionnelle est de tester le site cérébral, à
savoir la jonction occipito-temporale gauche comme soubassement du
traitement de la forme des mots.
Les résultats de la TEP montrent chez les sujets sains une activation
bilatérale du cortex visuel primaire (ou strié) lors de la présentation des
mots monosyllabiques composés de 4 ou 5 lettres, et une activation du
cortex visuel associatif ventral (ou préstrié ventral) lorsque la proportion de
stimuli présentés augmente. Les patients hémianopsiques avec une épargne
parafovéale à droite ont des activations très similaires. Les patients
alexiques hémianopsiques, quant à eux, ne présentent pas d'activation du
cortex strié gauche comme conséquence soit de l'ischémie de cette structure
ou de ses connexions géniculostriées lésées, mais les activations préstriées
ventrales sont présentes. Le cas unique présente une activation bilatérale
striée (inférence réalisée en relation avec son IRM puisque pour des raisons
méthodologiques la comparaison avec les autres groupes n'est pas valide).
Leff et al. ont fait une analyse de conjonction (cette analyse permet
d'obtenir l'effet commun à plusieurs contrastes) entre le groupe des sujets
sains et les patients hémianopsiques (avec et sans alexie). Les résultats
mettent en évidence une asymétrie à gauche qui, une fois surimposée aux
clichés de l'IRM, montre la conjonction temporo-occipitale. Concernant
l'activation des patients alexiques hémianopsiques (l'activation du cortex
préstrié gauche, en l'absence d'information du cortex strié gauche),
rappelons que l'information est transmise de façon bidirectionnelle entre le
strié et le préstrié ; dans les cas où le cortex préstrié est activé en l'absence
d'input du cortex strié, l'information qui déclenche l'activation captée par la
TEP, a lieu via le corps calleux ou provient du cortex préstrié droit.
En résumé, les auteurs confirment la région temporo-occipitale comme
étant le soubassement du traitement des mots écrits. Ils montrent que les
connexions afférentes du cortex occipital droit à la jonction temporo-
occipitale gauche, qui empruntent le splenium du corps calleux et le forceps
majeur gauche, sont suffisantes pour sous-tendre la reconnaissance des mots
chez les patients qui présentent une hémianopsie droite qui s'étend jusqu'à
la ligne centrale.

La reconnaissance visuelle

L'apport de la neuroimagerie fonctionnelle à l'étude du traitement de


l'information visuelle est complexe et varié. Dans ce paragraphe nous
verrons cette contribution dans le domaine de la reconnaissance des visages
et des objets au moyen d'études qui analysent divers aspects du traitement
de l'information visuelle.
Nous commençons par l'étude de Hayworth et Biederman (2006), qui
abordent la détection des éléments physiques susceptibles d'activer le cortex
occipital latéral (COL) menant à la reconnaissance visuelle. Les auteurs
partent des résultats obtenus par Biederman et Cooper (1991), qui avaient
observé une amélioration lors de la deuxième présentation d'un même objet
présenté alors que la moitié, soit des traits, soit des parties, ont été effacés.
Cet avantage lors de la deuxième présentation était dû à l'amorçage visuel et
non à la signification de l'objet ou au nom de l'objet. Ce constat conduit les
auteurs à varier les éléments sélectionnés, dans la première et dans la
deuxième présentation, afin de déceler quelles sont les caractéristiques
physiques qui mènent à l'amorçage. L'importance de cette détection est
qu'une fois réalisée, il devient possible de tester, soit les représentations
internes, soit les bases neuronales qui sous-tendent la reconnaissance
visuelle. La sélection de traits, réalisée toujours au moyen du masquage,
donne lieu à deux conditions : la condition des traits locaux masqués (TL),
qui comporte l'effacement des lignes, des angles, etc., et la condition des
parties d'objet masquées (PO). Dans les deux conditions les sujets doivent
indiquer si un item modèle est identique à l'un des trois items présentés
simultanément. Ces trois alternatives, montrées dans une orientation en
miroir du modèle, consistent en un exemplaire identique, un exemplaire en
tout point complémentaire de l'item modèle (il montre tous les éléments ou
parties effacés dans le modèle) et un exemplaire différent mais appartenant
à la même catégorie (par exemple, si le modèle est un avion de ligne,
l'exemplaire différent est un hélicoptère). Ce protocole, dans le volet en
neuroimagerie, utilise un dessin expérimental en IRMf - adaptation (IRMf-
A)1.
Les résultats dans la condition TL, qu'il s'agisse de l'expérience
comportementale ou de l'étude en IRMf-A, montrent des réponses
similaires vis-à-vis de l'exemplaire identique et de l'exemplaire
complémentaire. Par ailleurs, les réponses à ces deux exemplaires diffèrent
de celles données à l'exemplaire différent. L'expérience complémentaire, à
savoir présentation de la condition PO, leur permet d'affirmer que ces
résultats ne sont pas dus à une facilitation lexicale (nom de l'objet), ni aux
variables associées aux concepts de base. Hayworth et Biederman concluent
ainsi que les traits locaux ne comportent pas des informations visuelles
menant à l'amorçage. En effet, l'adaptation de l'activation cérébrale dans le
COL à la vue tant de l'exemplaire identique que de son complément montre
que le cerveau ne distingue pas les traits locaux, les uns des autres. En
revanche, la représentation de la forme dans le COL peut être décrite en
terme des parties d'objets.
L'intérêt du travail de Carlson et al. (2006) est en relation avec le
développement d'un paradigme nouveau adaptant la rapidité du processus
cognitif à la lenteur de l'IRMf. Leur étude souligne le contraste entre notre
capacité de reconnaître un objet en une fraction de seconde et l'énorme
complexité du traitement hiérarchique de l'information visuelle. Ce
processus commence au moment où la lumière est captée par les millions
des photorécepteurs de l'œil qui vont la transformer en signaux nerveux et
finit quand le sujet est conscient de reconnaître un objet. Entre ces deux
extrêmes, il existe des étapes de transformation de l'énergie physique en
représentation cognitive qui ne sont pas encore bien comprises. Les
spécialistes sont toutefois d'accord à admettre trois étapes nécessaires (voir
la contribution de Marr, chapitre 5) et à situer la reconnaissance au niveau
de la représentation sémantique résultant de la transformation de l'énergie
physique.
En raison de la vitesse à laquelle le cerveau traite les informations
visuelles, les études de reconnaissance des objets en neuroimagerie
fonctionnelle posent un énorme défi. En effet, il a été démontré que les
informations visuelles atteignent le cortex frontal en 150 millisec. Alors que
la résolution temporelle de l'IRMf, par exemple, est, au mieux, de l'ordre du
dixième de sec. Pour contourner ce problème, Carlson et al. (2006) ont
présenté un paradigme très ingénieux pour ralentir le processus général et
pouvoir capter le moment où a lieu la reconnaissance visuelle. Dans leur
étude, les auteurs ont utilisé des visages connus et des mots, chaque
stimulus individuel ayant été présenté de manière à fournir des informations
visuelles progressivement. Ainsi, les premières images contiennent trop peu
d'informations pour être reconnues, les images suivantes sont présentées
avec des informations de plus en plus complètes. Il existe un point dans le
temps où la reconnaissance se produit, c'est-à-dire où la représentation
sémantique de l'objet est accédée car la quantité d'informations a atteint un
seuil. Les auteurs étudient trois catégories de réponses : (a) La réponse «
information-dépendante » : l'activité cérébrale est corrélée avec la quantité
d'information fournie au sujet. (b) La réponse soutenue qui est générée par
la tâche générale indépendamment de l'information disponible à chaque
moment. (c) La réponse « reconnaissance-dépendante », il s'agit de l'activité
liée à un événement cognitif, en l'occurrence, la reconnaissance visuelle de
l'objet présenté.
Carlson et al. (2006) ont présenté 48 visages célèbres et 90 mots de 8
lettres à 8 sujets sains (moyenne d'âge = 26 ans). Depuis la présentation de
la première image entièrement masquée par une matrice des carrés gris de 8
x 8, jusque celle de l'image totalement dégagée des carrés, il s'écoulait 32
sec. À partir du moment où le sujet reconnaissait l'image, le programme
générait un bruit visuel qui rendait impossible une deuxième reconnaissance
en cas d'erreur.
Les résultats ont montré que la reconnaissance avait lieu une fois que (en
moyenne) 40 % du visage et 4,5 lettres d'un mot étaient dégagés du
masquage. Deux régions d'intérêt ont été sélectionnées sur la base d'une
étude préliminaire, le cortex latéral occipital (COL) et l'aire faciale du gyrus
fusiforme (connue par le sigle FFA : fusiform face area, Kanwisher et al.,
1997).
Les résultats des analyses des données obtenues en IRMF,
indépendamment des stimuli présentés, montrent des patrons neuraux
distincts selon la catégorie de réponse étudiée. La réponse « information-
dépendante » active le cortex cingulaire, le gyrus frontal inférieur à droite et
le cortex occipital, surtout l'aire visuelle. La réponse soutenue recrute le
cortex cingulaire, la scissure centrale, la scissure intrapariétale, l'insula à
gauche, le noyau caudé, le thalamus, le gyrus fusiforme bilatéralement et le
COL. Enfin, la troisième catégorie de réponse, à savoir la reconnaissance
visuelle, était sous-tendue par le thalamus, le gyrus fusiforme
bilatéralement, l'aire motrice supplémentaire, le cortex cingulaire antérieur,
la scissure frontal supérieure à droite et la scissure précentrale à gauche.
Cette troisième catégorie de réponse était décrite par les sujets comme
une occurrence soudaine, un passage instantané de l'inconnu au connu et
donc à la reconnaissance. Cette transition rapide vers la reconnaissance est
associée à des aires cérébrales uniques pour les visages et pour les mots.
L'aire exclusivement impliquée dans la reconnaissance des visages est, sans
surprise, le gyrus fusiforme ; celle recrutée uniquement par la présentation
des mots est pariétale latérale.
En conclusion, ce travail a permis de dégager différentes étapes dans le
processus de reconnaissance visuelle et de les associer à des configurations
d'activations cérébrales distinctes.

La mémoire de soi

Nous avons commenté, dans le chapitre 3, les arguments théoriques sous-


tendant une apparition tardive de la mémoire de soi ou mémoire épisodique
autobiographique (MAb) tant du point de vue ontogénétique que
phylogénétique. Quelle est l'inscription cérébrale de cette fonction qui
semble être exclusivement humaine ? Les soubassements nerveux de la
MAb comprennent des réseaux corticaux et sous-corticaux très étendus. Ces
réseaux neuraux chevauchent et s'étendent au-delà des soubassements
neuroanatomiques des autres systèmes mnésiques.
La contribution de la neuroimagerie fonctionnelle à la compréhension des
soubassements de la MAb s'est construite, comme dans la clinique, sur des
régions du CPF et du LTM mais, à la différence de la plupart des études
cliniques, les résultats des sujets sains montrent également l'activation des
zones postérieures, notamment le cortex cingulaire postérieur et le cortex
rétrosplénial.
Pratiquement toutes les études publiées montrent des activations
significatives dans le CPF prédominant à gauche (Maguire, 2001 ; Gilboa,
2004 ; Svoboda et al., 2006). Les régions les plus importantes sont : le CPF
ventrolatéral, qui agirait comme un mécanisme d'entrée qui achemine les
processus de récupération vers le stockage mnésique des cortex postérieurs,
via le LTM. Le CPF médian qui est considéré comme étant la structure qui
sous-tend les processus centrés sur soi-même et, plus concrètement, le sens
de soi suivant la notion développée dans la théorie de Conway (2005, pour
citer le travail le plus récent). Les activations du CPF médian sont plus
importantes lors des tâches de MAb par rapport à celles qui impliquent la
sémantique personnelle et celles-ci sont plus importantes comparativement
aux tâches de contrôle. Par ailleurs, on n'observe pas d'activations dans le
CPF médian lors de la récupération des stimuli de laboratoire. Pratiquement
les seules études qui n'ont pas trouvé une activation significative du CPF
médian lors des tâches de MAb sont celles où la tâche expérimentale était
contrastée avec une condition de repos. La raison étant que le « repos » est
souvent rempli d'une activité centrée sur des remémorations ou des projets
autour de soi. Ainsi, Mason et al. (2007) rapportent des activations
similaires à celles observées lors des tâches en mémoire autobiographique,
chez des sujets à qui on a demandé de laisser flâner leurs pensées, de ne
penser à rien en particulier.
Concernant l'activation du LTM, plus de 50 % des publications, d'après
Svoboda et al. (2006), rapportent des activations des régions temporales
médianes comme l'hippocampe, le gyrus parahippocampique, le cortex
périrhinal et le cortex entorhinal. Une synthèse très brève fait ressortir les
aspects suivants : (a) la latéralisation est gauche dans la plupart des études
et l'activation est associée à la récupération des détails contextuels. (b) Les
activations à gauche sont observées tant pour les souvenirs anciens que
récents, mais l'activation du LTM droit apparaît pour les souvenirs récents.
Cependant si la vivacité du souvenir et/ou l'importance de l'événement pour
la personne sont contrôlées, l'âge du souvenir ne module plus l'activation
hippocampique, la vivacité et le retentissement personnels « l'emportent »
sur l'âge. (c) Tout au moins un travail, celui de Gilboa et al. (2004) montre
que les souvenirs récents activent les zones antérieures de l'hippocampe
alors que les souvenirs anciens activent l'axe antéro-postérieur de
l'hippocampe et ce, indépendamment de la latéralisation. (d) Les études de
Maguire et al. (1999 ; 2001 ; Maguire et Frith, 2003a et 2003b) représentent
une contribution fondamentale du rôle de l'hippocampe indépendamment de
l'âge du souvenir. Par ailleurs, l'implication du LTM est également
rapportée pour les réponses R et non pour les réponses K, ni pour les échecs
(Eldridge et al., 2000), dans le cadre du paradigme R/K appliqué à une liste
de mots à mémoriser.
Dans les paragraphes suivants nous synthétisons trois travaux réalisés
dans le domaine de la mémoire autobiographique chez le sujet sain. Ils
seront suivis d'une étude plus détaillée, présentée dans la section « Clinique
appliquée » (cf. p. 254). Il s'agit de la mise en évidence, chez le sujet sain et
chez le patient cérébro-lésé, des zones cérébrales recrutées lors de certains
souvenirs sémantiques qui ont une « signification autobiographique ». Ces
quatre études ont été choisies sur la base de leur contribution à la
compréhension de la mémoire de soi à partir des aspects divers qui sont,
dans tous les cas, novateurs.
Les études décrites ici-bas ont été approuvées par les comités d'éthique
CNRS et régional. Nous utilisons dans tous les cas un appareil Brucker 2 T
(Karlsruhe, Allemagne) ; notre dessin expérimental est réalisé en IRMf
événementielle comportant une possibilité de réponse auto-rythmée. Pour la
génération des stimuli et l'enregistrement des réponses nous utilisons le
logiciel Inquisit et pour le traitement et l'analyse des données, le logiciel
SPM (Friston et al., 1995 : Wellcome Department of Imaging
Neurosciences, London, UK), dans sa version SPM99 dans la deuxième
étude et SPM2 dans les trois autres travaux.

L'évocation des souvenirs à partir des photos des proches (Denkova,


Botzung, Scheiber et Manning, 2006a)

La recherche de la MAb en neuroimagerie fonctionnelle a été réalisée,


dans la quasi-totalité des cas, au moyen des stimuli verbaux, recueillis, dans
la plupart des travaux, préalablement à l'expérience dans le scanner. Ces
circonstances ont influencé l'interprétation de la prédominance d'activation
dans l'hémisphère gauche (voir plus haut) comme étant due, au moins en
partie, au matériel verbal. Quant aux résultats des rares études qui ont
abordé l'émotion et la mémoire autobiographique, ils sont discordants, sans
doute en raison de la diversité de buts choisis et des méthodes utilisées. En
effet, alors que certains auteurs ont comparé la valence positive et négative
des émotions associées aux souvenirs recueillis avant l'examen en
neuroimagerie fonctionnelle, d'autres se sont penchés sur l'influence de la
valence sans recueil préalable des souvenirs et d'autres encore ont étudié
l'influence de l'intensité des émotions sur les activations cérébrales.

Malgré ces difficultés méthodologiques, la plupart des auteurs rapportent


le CPF médian (par exemple, Maguire et Frith, 2003b) alors que l'amygdale
dont le rôle dans l'émotion est par ailleurs très important, ne semble pas
impliquée directement dans ce type d'informations (Phan et al., 2002, entre
autres). Il a été suggéré que la spontanéité de la réponse intervient dans
l'activation des régions cérébrales sous-tendant le traitement de
l'information émotionnelle des souvenirs épisodiques. Si le sujet « s'attend »
à voir des stimuli qu'il connaît et qui comportent une charge émotionnelle,
l'intensité de la réponse risque d'être diminuée. Le maintien de la
spontanéité de réponse dans le contexte des expériences en neuroimagerie
fonctionnelle suppose la présentation des stimuli directement dans le
scanner.

Concernant le type de stimuli, le travail de Gobbini et al. (2004), entre


autres, avait montré que lors d'une tâche de « simple » reconnaissance
faciale, les visages des proches du participant déclenchaient des activations
plus robustes que la reconnaissance des personnages célèbres.
L'interprétation de cette différence évoquait des informations stockées plus
abondantes concernant les personnes proches et les liens personnels
remémorés d'emblée lors de la reconnaissance de ces visages-là par rapport
aux personnes célèbres (mais voir plus bas le concept de signification
autobiographique dans la reconnaissance de célébrités ; voir également les
travaux de Bartels et Zeki, 2000 ; 2004 pour les corrélats neuroanatomiques
de l'état amoureux et de l'amour maternel).
À partir de ces observations, notre objectif dans cette étude était
d'analyser l'émotion associée à la MAb dans une situation expérimentale ne
comportant pas d'exposition préalable de stimuli non verbaux.
Les dix sujets sains étudiés avaient un âge moyen de 40 ans et une
moyenne de 18 années d'études. En plus du consentement éclairé, de la
visite médicale et de l'assurance du respect de toute contre-indication dans
ce type d'expérience, les sujets ont donné leur accord pour que
l'examinatrice (ED) travaille avec un membre de leur famille. Le recueil des
stimuli avait donc pu être réalisé avec le consentement des sujets mais sans
leur participation et sans leur connaissance des stimuli. Ces derniers
consistaient en 50 photos de proches par sujet (plus 50 photos de personnes
célèbres, et 40 des gens inconnus). Le dessin expérimental comportait deux
conditions : expérimentale, à savoir l'évocation des souvenirs
autobiographiques à partir de photos des proches, et de contrôle, c'est-à-dire
la reconnaissance des personnes célèbres qui est une tâche fréquemment
utilisée pour évaluer la mémoire sémantique. Les deux conditions incluaient
des distracteurs, concrètement, des visages inconnus. Les photos ont été
présentées directement dans le scanner après avoir entraîné les sujets à
évoquer des souvenirs (et à reconnaître des célébrités) à la vue des visages.
Lors de l'entretien post-scanner, chaque sujet était invité à verbaliser (face
aux mêmes photos) les souvenirs évoqués dans l'appareil et, pour chaque
souvenir, à coter le niveau d'émotion ressenti. Cette dernière demande
s'accompagnait d'une échelle de 0 (pas du tout) à 4 (émotion intense) points.
Les résultats du contraste des deux conditions (mémoire
autobiographique > mémoire sémantique) ont montré des activations
bilatérales prédominant à gauche des zones antérieures (dorsolatérales,
ventrolatérales et médianes du CPF, et cortex cingulaire antérieur) et
postérieures (cortex cingulaire postérieur, jonction temporo-pariéto-
occipitale, precunéus et gyrus fusiforme). Des activations bilatérales
prédominant à droite des zones postérieures (gyrus cingulaire postérieur
comprenant le cortex rétrosplénial) et du lobe temporal médian (gyrus
parahippocampique). Enfin, des activations sous-corticales (tête du noyau
caudé, putamen et thalamus) et de la région qui chevauche la substance
grise périaqueducale du mésencéphale et du cervelet. Par ailleurs, les
résultats du débriefing concernant l'échelle du ressenti émotionnel ont
montré une moyenne autour de 2 (légèrement émotionnel).
L'interprétation de nos résultats, sur la base des activations qui
prédominent dans l'hémisphère droit et gauche fait ressortir les points
principaux suivants. Commençant par le résultat central de cette étude, les
activations dans le lobe temporal médian droit, quatre études en tout, à
notre connaissance, ont rapporté cette même observation. Ces travaux
partagent une même caractéristique méthodologique, à savoir la
présentation de stimuli verbaux et non verbaux directement dans le scanner
[Gilboa et al. (2004) : visages des proches, Levine et al. (2004), Piolino et
al. (2004) et Tsukiura et al. (2002) : stimuli verbaux]. Ces résultats ont été
interprétés en termes du temps alloué aux sujets pour évoquer un souvenir
(45 sec dans l'étude de Piolino et al., par exemple). Nous ne partageons pas
cette interprétation car dans notre dessin expérimental nous avons une
possibilité de réponse auto-rythmée qui a montré un temps moyen
nécessaire d'approximativement 5 sec. Notre interprétation des activations
du LTM droit privilégie le traitement des aspects émotionnels liés aux
souvenirs personnels. Ces activations ont été interprétées dans ce sens par
Fink et al. (1996), par exemple. En plus de l'activation du CPF médian,
d'autres structures cérébrales connues pour sous-tendre le traitement
émotionnel sont le cortex cingulaire antérieur, le CPF ventral et les régions
sous-corticales ainsi que la substance grise périaqueducale. Étant donné que
ces régions ont été activées lors de la tâche présentée à nos sujets, notre
interprétation s'est vue confortée. Comment alors expliquer le résultat du
débriefing qui met en évidence un niveau bas d'intensité émotionnelle
explicite (verbalisée) ? Tout d'abord, l'émotion ressentie peut rester en deçà
de la conscience (Davidson, 2003) d'où sa trace cérébrale en absence de la
verbalisation consciente. De plus, il existe un aspect plus « terre à terre »
qu'il faut prendre en considération : lors de l'expérience en IRMf, le sujet
est dans un environnement bruyant, confiné, sans possibilité de
mouvements autre que celui d'appuyer sur un bouton de souris. Il est très
possible que dans ces conditions, le vécu de l'émotion passe inaperçu (Raz
et al., 2005, considèrent le stress de l'environnement IRMf).
Nous discutons à présent les activations prédominant dans l'hémisphère
gauche. Les zones activées du CPF sont en accord avec la grande majorité
de travaux : le CPF dorsolatéral serait à la base de l'effort attentionnel qui
suppose la récupération des souvenirs (nous le verrons plus en détail dans
l'alinéa suivant). Les activations du CPF médian, également prédominantes
à gauche, indiqueraient le traitement de l'information de soi-même
(Northoff et Bermpohl, 2004, entre autres). L'activation conjointe du CPF
médian et du cortex cingulaire postérieur est fréquemment rapportée tant
dans la littérature de la mémoire autobiographique que dans celle de la
théorie de l'esprit. Le point commun étant la référence à soi, ces données «
inter-domaine » confirment la suggestion de Northoff et al. (2006) qui
voient ces régions comme les bases neurales de l'implication de soi,
interprétation que nous adoptons dans ce travail.
En résumé, cette étude présente un triple intérêt: les stimuli utilisés sont
des stimuli non verbaux, le moment de leur présentation a évité toute
possibilité de rafraîchissement de la trace mnésique et elle a permis la
découverte de l'émotion implicite lors de la tâche de mémoire
autobiographique.
Étude de la distribution temporelle des activations cérébrales lors de
l'évocationdes souvenirs personnels (Botzung et al., en révision)

L'idée de cette expérience prend racine dans les travaux de Conway et


collaborateurs concernant le parcours spatial (Conway et al., 1999) et le
flux temporel (Conway, 2001) de l'activité cérébrale lors de la récupération
des souvenirs autobiographiques. Les données spatiales (largement plus
connues) ont été recueillies au moyen d'une expérience en TEP. Les
données temporelles, pratiquement uniques, ont fait l'objet d'une étude en
EEG. Utilisant des potentiels corticaux lents lors de l'évocation des
souvenirs personnels, les auteurs obtiennent des résultats qui leur
permettent de conclure que le CPF dorsolatéral gauche constitue l'endroit
d'initiation de la reconstruction des souvenirs qui sont stockés dans les
zones postérieures du cortex.
Nous présentons un travail qui réunit dans la même expérience d'IRMf,
l'analyse spatiale et temporelle des réponses cérébrales lors de la
remémoration des événements personnels. Dix sujets sains, ayant un âge
moyen de 42 ans et 18 années d'études, ont participé à cette expérience. Les
souvenirs autobiographiques ont été recueillis quelques jours avant
l'examen en IRMf au moyen du test de Crovitz (voir chapitre 3). A la
différence de l'application clinique, le test de Crovitz dans le contexte de
l'expérience présente, a donné lieu à la sélection des paires de mots
résumant chaque souvenir en guise de codes pour l'IRMf. Ainsi, par
exemple, l'évocation détaillée de la réussite d'un concours de ski allait être
remémorée dans le scanner en lisant les mots indices « vitesse - fête ». De
l'ensemble de 800 souvenirs, les 500 (50/sujet) les plus vivaces, riches en
détail (ayant un score de 5 à l'échelle de Graham et Hodges, 1997), déclarés
par le sujet comme ayant été revécus et étant distribués tout au long de la
vie, ont été choisis pour l'expérience en IRMf. La condition d'intérêt ou
expérimentale consistait ainsi en l'évocation des souvenirs personnels à la
vue des paires des mots et la condition de contrôle était construite sur une
tâche de mémoire sémantique. Il s'agissait des paires de mots qui pouvaient
ou non avoir un lien sémantique. Le sujet devait répondre en appuyant un
des boutons de la souris une fois que le souvenir était entièrement évoqué,
dans une des conditions et une fois qu'il décidait que le lien sémantique était
présent, dans l'autre. Toutes les réponses étaient vérifiées lors de l'entretien
post-scanner.
L'analyse de la fonction de réponse hémodynamique de la distribution
temporelle des activations a été réalisée suivant différentes étapes que nous
décrivons brièvement. Premièrement, les résultats des contrastes (tâche
expérimentale > tâche de contrôle) pour chacun des sujets ont permis de
définir une région d'intérêt (ROI, region of interest). Cette opération est
réalisée avec l'aide des outils mis à disposition dans le réseau informatique
en association avec le logiciel SPM (voir plus haut). Cette ROI est le gyrus
parahippocampique gauche. Par ailleurs, les analyses de groupe ont permis
la définition des deux autres ROI, le CPF dorsolatéral et le précuneus,
également à gauche. Des méthodes statistiques bayésiennes pouvant fournir
des estimations non paramétriques ont été développées spécialement pour
cette étude (Ciuciu, Ph. Service Hospitalier Frederic Joliot
SHFJ/CEA/INSERM, Orsay). Elles avaient pour but l'analyse comparative
des réponses à une même condition dans deux régions cérébrales
différentes. Tout d'abord, une estimation des courbes de la fonction de
réponse hémodynamique individuelle est estimée, puis ces données ont été
introduites dans une analyse au niveau du groupe.
Les principaux résultats de la « cartographie » fonctionnelle montrent des
activations issues du contraste tâche expérimentale > tâche de contrôle,
dans le CPF dorsolatéral gauche, le CPF médian, la jonction fronto-
temporale gauche et la région frontale inférieure droite. Plus en arrière, on
observe les activations des cortex temporal inférieur, rétrosplénial et
cingulaire postérieur ainsi que du cunéus, précunéus et du carrefour
temporo-pariéto-occipital à gauche. Par ailleurs, diminuant la valeur de k à
une étendue de 10 voxels, on constate l'implication du gyrus
parahippocampique gauche.
Les résultats de l'analyse de la fonction de réponse hémodynamique
détectent des activations dans les trois ROI. Plus important pour cette étude,
la comparaison d'activations sur la base du temps, entre ces régions
cérébrales, indique bel et bien une distribution avec des zones antérieures
précocement activées. Plus précisément, la courbe de réponse du CPF
dorsolatéral atteint son maximum 7,5 sec après la vue des mots indices alors
que les courbes correspondant aux activations du LTM et du précuneus
montrent un pic à 10 sec.
L'interprétation de ce travail est d'emblée en accord avec le modèle de
Conway et Pleydell-Pearce (2000) et les résultats obtenus par Conway et al.
(1999) et Conway (2001). La contribution originale est la simultanéité des
données spatiales et temporelles des souvenirs autobiographiques.
Le rôle du CPF dorsolatéral apparaît central dans le processus de
recherche des souvenirs ou processus génératif des souvenirs. Ce mode de
récupération se distingue de la récupération directe telle qu'elle peut être
déclenchée par un stimulus en particulier. Dans À la recherche du temps
perdu, Marcel Proust illustre à plusieurs reprises une récupération directe
des souvenirs autobiographiques. Ainsi, par exemple, le Narrateur récupère
d'emblée le souvenir d'un voyage en train, à Venise à partir du tintement
d'une cuillère contre la soucoupe. Ce bruit évoque instantanément celui
qu'un engin heurtant les rails faisait de temps en temps tout au long du
voyage remémoré. Cette situation est différente de celle qui impose une
mise en place des stratégies de recherche préalablement à l'évocation du
souvenir. En accord avec Conway, nous suggérons que c'est cette
caractéristique connue pour être consommatrice d'énergie (effortful) qui
montre « une avance » dans le temps de 2,5 sec et se situe dans le CPF
dorsolatéral gauche. Levine et al. (2004) ont étudié l'évocation des
souvenirs personnels dans des conditions expérimentales qui rendaient la
récupération du souvenir moins coûteuse en terme d'effort attentionnel (un
endroit concret et une action concrète étaient donnés dans les consignes) :
ces auteurs n'ont pas observé des activations du CPF dorsolatéral.
Concernant les régions corticales postérieures, l'interprétation
consensuelle est que ces activations cérébrales indiquent l'accès aux sites de
stockages mnésiques à long terme et recrutent des zones corticales qui sous-
tendent les représentations en imagerie visuelle sollicitées en premier lieu
au moment de l'encodage des événements personnels. Les comparaisons
point par point avec les résultats de Conway et al. sont moins informatives
car la méthode varie d'une étude à l'autre. Ces auteurs ont donné la consigne
de maintenir le souvenir une fois évoqué (dans l'expérience en EEG ;
Conway, 2001) et ont observé une activation corrélative dans les zones
postérieures de l'hémisphère droit. Par contre, sans la consigne du maintien
du souvenir, ils ont observé dans leur étude en TEP, des activations dans le
carrefour temporo-pariéto-occipital gauche : nos résultats se rapprochent
plus de ceux-là.
En résumé, ce deuxième travail contribue à éclaircir le temps nécessaire à
l'évocation d'un souvenir autobiographique en présentant pour la première
fois, une analyse spatiale et temporelle en IRMf.

Les soubassements neuroanatomiques du passé et du futur : sous-tendent-ils


le voyage mental dans le temps ? (Botzung, Denkova et Manning, 2007)

Cette troisième étude aide à mieux comprendre les bases


neuroanatomiques de la mémoire autobiographique considérée comme un
système neurocognitif qui s'étend vers le passé et vers l'avenir. Si bien de
nombreuses études en neuroimagerie fonctionnelle ont abordé les souvenirs
du passé, quatre études en tout ont été réalisées à ce jour, à notre
connaissance, en prenant en compte le passé et l'avenir. Trois travaux ont
été réalisés en IRMf (Botzung et al., 2007 ; Addis et al., 2007, et Szpunar et
al., 2007) et un en TEP (Okuda et al., 2003).
Divers points ont contribué à la mise en place de l'expérience que nous
présentons ici et qui a été réalisée en 2004. Tout d'abord (et simplement), la
définition de Tulving (2001, par exemple) de la mémoire autobiographique
(voir chapitre 3; p. 47). En deuxième lieu, l'observation clinique constante
d'un déficit de projection future accompagnant le déficit de récupération de
souvenirs du passé. Cette contribution de la neuropsychologie clinique à la
théorie du voyage mental dans le temps avait été analysée en détail par
Tulving (1985 ; 1988 ; voir aussi Klein, 2002) auprès du patient KC. En
troisième lieu, la proposition de Suddendorf et Corballis (1997) concernant
l'émergence des souvenirs passés et des projets futurs à partir des mêmes
mécanismes dépendent du développement du même ensemble des capacités
de base. Ces dernières étant la fonction récursive, l'autonoèse, la
métareprésentation et la capacité de distinguer des états mentaux réels de
ceux imaginés (Busby et Suddendorf, 2005).
Nous avons ainsi mis ces observations et contributions théoriques au test
de la neuroimagerie fonctionnelle pour essayer de répondre aux questions
suivantes : quelles sont les régions cérébrales qui sous-tendent la mémoire
épisodique du passé et la pensée épisodique de futur ? Quelles sont les
similitudes et quelles sont les différences des patrons d'activations
cérébrales sous-tendant l'épisode passé et l'épisode projeté, chez le même
sujet et lors de la même séance d'examen en IRMf ?
Nous avons travaillé avec une analyse classique des données en SPM2 et
aussi avec une analyse de la fonction de réponse hémodynamique sur
l'hypothèse a priori de l'implication du CPF médian antérieur et de
l'hippocampe, structures qui ont constitué nos régions d'intérêt (ROI).
Les dix sujets sains qui ont été examinés pour cette expérience avaient un
âge moyen de 34 ans et 19 années d'études. Les données, recueillies la
veille de la séance en IRMf, consistaient en 20 souvenirs appartenant à la
semaine précédant le jour du test et 20 projets planifiés pour la semaine
suivant le test. Un système de paires de mots servant de codes a été utilisé
(voir l'étude 2, plus haut) ; ces mêmes mots ont été montrés à nouveau lors
de la séance de débriefing afin de vérifier les souvenirs et les projets que les
sujets avaient évoqués (et où ils avaient répondu « oui ») dans l'appareil.
Les résultats ont mis en évidence un patron commun d'activations
bilatérale un peu plus étendu à gauche et ce, pour les deux conditions passé
et futur. Les régions cérébrales activées sont le CPF médian antérieur et
dorsolatéral à gauche, le carrefour temporo-pariéto-occipital, le cuneus, le
précuneus, et les cortex postérieur cingulaire et rétrosplénial. Aucune zone
cérébrale montrant une activation significativement plus élevée dans une
seule condition, n'a été observée.
L'analyse de la fonction de réponse hémodynamique concernant les trois
régions cérébrales d'intérêt ont montré une activation significative : les
hippocampes sont activés tant lors de l'évocation des souvenirs que des
projets. Le CPF médian antérieur est également activé dans les deux
conditions. Concernant l'amplitude de la courbe de réponse
hémodynamique, elle est plus importante dans la condition mémoire du
passé par rapport aux projets, dans les trois ROI. Cette différence
d'amplitude suggère une plus grande vivacité et richesse de détails liée aux
traces mnésiques du souvenir par rapport aux projets, naturellement moins
vivaces et comportant moins de détails. Les souvenirs impliqueraient ainsi
plus fortement les processus de référence de soi et nécessiteraient
également, un processus de binding plus complexe que la construction d'un
projet futur.
Une « lecture directe » de la ressemblance des patrons d'activité cérébrale
indique une similitude dans la demande du traitement de l'information des
deux conditions. De plus, elle permet d'inférer que les projets sont faits des
mêmes représentations, du même contenu, que les souvenirs. Dans ce sens-
là, la similitude des deux patrons d'activations cérébrales pourrait indiquer
la référence de soi, notamment concernant les activations du CPF médian
antérieur. L'association de cette structure préfrontale avec ce système est
bien établie par des nombreux auteurs ; en revanche, l'activation des zones
cérébrales postérieures semble indépendante de ce type de processus et pose
des problèmes pour l'adoption de cette explication. Une autre interprétation
fait appel au concept de Tulving (2002 ; 2005 ; Wheeler et al., 1997), à
savoir la conscience autonoétique qui rend possible le voyage mental dans
le temps. L'ensemble d'activations cérébrales antéro-postérieures serait
nécessaire pour sous-tendre cette capacité unique car intégrant les deux
directions du temps. Enfin, nous suggérons l'ancrage des deux conditions
dans un même ensemble des capacités cognitives. La différence entre la
notion du voyage mental dans le temps et un ensemble de capacités
cognitives reste théorique. La conscience autonoétique, centrale dans le
concept de voyage mental dans le temps, « utilise » les capacités cognitives
qui chapeautent l'évocation passée et future : imagerie visuelle, récupération
des informations sémantiques et la mise en relation des fragments pour
former une évocation et une structure narrative. De plus, la construction des
projets futurs se réalise, comme nous l'avons déjà mentionné, sur des
canevas spatio-temporels existants dans les représentations passées.
Szpunar et al. (2007) ont observé certaines courbes de réponses
hémodynamiques parfaitement superposables dans les deux conditions,
passé et avenir. Les régions impliquées sont le CPF médian à gauche, le
cortex cingulaire postérieur et le gyrus parahippocampique, bilatéralement
et le cortex occipital à gauche. Les auteurs évoquent également la mise en
relation des données neuroanatomiques avec le concept de conscience
autonoétique et donc avec le voyage mental dans le temps. Cette
interprétation est cependant, nuancée dans le travail de Szpunar et al. en
raison d'une deuxième partie de leurs données, absente dans notre
expérience. En effet, ils rapportent un deuxième patron d'activations
cérébrales plus important pour la condition de projets futurs, relativement à
l'évocation des souvenirs passés et ce, dans les zones cérébrales suivantes :
cortex frontal prémoteur et précuneus à gauche et cervelet postérieur à
droite. Ils signalent que ce dernier profil d'activation est retrouvé également
lorsque le sujet imagine des mouvements corporels. Pourquoi l'imagerie
mentale de soi dans l'avenir recruterait ces zones cérébrales de manière plus
importante que l'évocation de soi dans le passé ? Probablement, disent les
auteurs cités, parce qu'imaginer des mouvements dans l'avenir implique la
simulation des nouvelles séquences de mouvements stockées, i.e.,
l'anticipation d'actions, qui est différente des souvenirs d'actions. Les
représentations concernant ces derniers seraient amorcées et nécessiteraient
un degré moindre d'activation neuronale. L'activation cérébrale plus
importante associée aux projets dans l'avenir refléterait l'effort de
l'anticipation des séquences de mouvement. En résumé, pour Szpunar et al.
(2007), les différences entre la remémoration du passé et l'anticipation des
projets sont dues à la nécessité de cette dernière de recruter des régions
cérébrales qui sous-tendent l'imagerie des mouvements corporels.

Clinique appliquée : étude en IRMf des sujets sains et des patients


épileptiques du lobe temporal (Denkova, Botzung et Manning, 2006b ;
Manning et Denkova, 2007)

Étroitement relié aux différents systèmes mnésiques, Tulving (1983 ;


1985) a mis sur pied le paradigme « Remember / Know » R/K (voir
chapitre 3: Le rappel précis du moment de l'enregistrement de l'information,
R, contraste avec K, qui indique une simple connaissance par familiarité,
opérant au niveau de la conscience noétique).
Westmacott et al. (2001 ; 2004 ; Westmacott et Moscovitch, 2003) ont
mis au point et développé le concept de signification autobiographique
(SA), au carrefour de la mémoire sémantique et de la mémoire épisodique,
en utilisant le paradigme R/K. Les auteurs définissent la SA comme « des
souvenirs spécifiquement personnels comportant des détails épisodiques et
un contexte que l'on associe à des concepts sémantiques non personnels »
(Westmacott et al., 2004 ; p. 25). Leur point de départ est la constatation de
la capacité relativement préservée (et abondamment illustrée), des certains
patients déments sémantiques pour le traitement des informations de nature
idiosyncrasique ayant un contexte fortement personnalisé. Westmacott et al.
(2001) rapportent, chez un patient dément sémantique, une meilleure
performance pour les noms célèbres qui sont jugés comme étant les plus
mémorables, de par leurs connotations personnelles, par le groupe témoin
apparié au patient (et donc - déduisent-ils - par le patient lui-même).
Westmacott et Moscovitch (2003) ont étudié l'influence de la SA dans la
représentation et l'organisation sémantique. Ils ont à cette fin, demandé à un
groupe des sujets sains d'appliquer le paradigme R/K à une liste de noms
célèbres. Westmacott et Moscovitch constatent que la SA est associée à
l'émotion, qu'elle est distincte de la familiarité et qu'elle semble,
effectivement, déterminer une meilleure organisation de la mémoire à long
terme. Ces conclusions se basent sur des résultats qui montrent un rappel et
une reconnaissance plus performants, une lecture plus rapide, et de
meilleures réponses de jugement de la célébrité, pour les noms comportant
une SA comparés aux noms qui ne comportaient pas de « coloration »
autobiographique.
Il existe, à notre connaissance, une seule étude clinique comportementale
expressément conçue pour supputer le rôle du lobe temporal médian (LTM)
lors de l'évocation des concepts sémantiques pourvus de SA. Westmacott et
al. (2004) ont comparé la performance des malades Alzheimer, déments
sémantiques et patients amnésiques du LTM. Les auteurs postulent, dans le
cadre de la théorie des traces multiples (Nadel et Moscovitch, 1997), que
l'avantage que montrent les sujets sains dans les concepts qui ont une SA,
serait présent et, peut-être augmenté, chez les déments sémantiques, et
réduit ou absent chez les malades d'Alzheimer et les patients amnésiques.
Leurs résultats confirment leur hypothèse et, compte tenu des
caractéristiques anatomo-cliniques des trois conditions neurologiques
étudiées, indiquent que l'accès aux connaissances sémantiques à partir du
système épisodique est sous-tendu par le LTM.
Le débat clinique sur le rôle du LTM dans la récupération des souvenirs
anciens n'est pas totalement éclairci par l'approche de la neuroimagerie
fonctionnelle. En effet, bien qu'une majorité d'études montre des résultats
en faveur de l'implication du LTM, quelques travaux ne trouvent pas les
mêmes résultats (erg Maddock et al., 2001). Deux raisons, au moins, ont été
suggérées pour expliquer cette contradiction. Premièrement, les résultats
dépendent de la tâche de contrôle. Les études qui utilisent la condition «
repos » comme contraste ne trouvent pas d'activation du LTM parce que
cette condition active elle-même le LTM d'où la forte probabilité de
masquage lors des tâches de mémoire autobiographique (voir Svoboda et
al., 2006). Corroborant ce point, certains travaux, comme par exemple celui
de Maguire et Frith (2003b), utilisent une condition de contrôle qui
n'implique pas de processus mnésiques (dans le travail cité, les sujets
écoutaient une liste des mots grammaticaux et devaient indiquer si le
dernier mot avait une ou deux syllabes). L'activation du LTM dans ce cas de
figure est alors, clairement établie. Deuxièmement, les analyses
hémodynamiques, qui sont majoritaires, se trouvent face à une limite
d'ordre technique dans les expériences qui pourraient impliquer le LTM,
notamment, l'hippocampe, (voir, par exemple, Grecius et al, 2003), limite
qui est à l'origine de certaines différences dans la littérature. A ce propos,
Brewer et Moghekar (2002), soulignent l'importance d'utiliser l'information
des différentes sources, comme plusieurs techniques de neuroimagerie
(IRMf, PE) et de l'approche anatomo-clinique, afin d'éclaircir la
contribution des différentes sous régions du LTM dans la mémoire.
L'activation du LTM a été observée également lors des tâches, en
principe, sémantiques. Bien qu'ils ne soient pas les seuls auteurs à rapporter
ces résultats, nous avons choisi de commenter ici le travail de Bernard et al.
(2004). Ces auteurs analysent les réponses aux visages célèbres et inconnus
chez un groupe des sujets sains, dans le cadre d'une étude hémodynamique.
Les résultats montrent des activations cérébrales communes aux traitements
des deux types de visages, localisées dans la région temporo-occipitale y
compris le gyrus fusiforme (FFA, Kanwisher et al., 1997). L'activation
associée uniquement aux visages célèbres s'étend à la tête du noyau caudé
(probablement comme résultat d'un processus de compensation dû à l'âge
des sujets qui étaient sexagénaires, mais voir Elfgren et al., 2006 pour un
autre point de vue), au thalamus, au cortex frontal, à la jonction temporo-
pariétale à gauche, au précuneus, au cortex cingulaire postérieur et au LTM.
Or, ce patron d'activation est rapporté par la plupart d'études qui explorent
la mémoire autobiographique (Maguire, 2001 ; Gilboa, 2004 ; Svoboda et
al., 2006). En conséquence, Bernard et al. évoquent, entre autres options, le
besoin de « prendre en compte la possible signification autobiographique
que certains personnages célèbres peuvent avoir (...) et vérifier si ce facteur
a un effet sur l'activation de l'hippocampe associée à la reconnaissance des
visages célèbres de différentes périodes » (Bernard et al., 2004 ; p. 1712).
En accord avec les auteurs, nous suggérons qu'il est ainsi possible que la
tâche de reconnaissance des visages célèbres donne suite à une tâche de
remémoration de ces visages, notamment au vu du temps (4 sec.)
suffisamment long pour permettre la mise en place des processus qui
comprennent la SA. Cette suggestion s'appuie sur deux travaux, Denkova et
al. (2006a) et Ida Gobbini et al. (2004), qui ont présenté également une
tâche de reconnaissance des personnes célèbres mais qui, à la différence de
Bernard et al., avaient des temps de présentation très brefs (de 1,35 et de 1
seconde, respectivement) et n'ont pas observé d'activations du LTM.
Au vu de l'ensemble des données que nous venons de résumer, il semblait
utile d'analyser, en IRMf, le rôle du LTM dans la signification
autobiographique des souvenirs sémantiques. Nous avons donc étudié
l'influence des souvenirs personnels dans la mémoire des personnages
célèbres chez 12 sujets sains, adultes (Denkova et al., 2006b). Nous avons
eu également l'occasion d'étudier cette influence dans le cadre d'une
dissociation double entre la mémoire autobiographique d'une part et celle
des faits publics et des personnages célèbres, d'autre part, chez deux
patients présentant une épüepsie du LTM gauche (Denkova, 2006 ;
Manning et al., 2005 ; 2006 ; Manning et al., en préparation). L'intérêt de
cet ensemble de travaux est celui de fournir un aperçu « à double entrée »
de l'organisation de la mémoire du passé en terme d'interactions. Partant de
l'organisation normale chez le sujet intact, nous nous intéressons aux
soubassements neuronaux des souvenirs qui comportent des processus
mnésiques appartenant aux deux systèmes de mémoire. Et, partant des
études neuropsychologiques qui caractérisent la double dissociation des
systèmes mnésiques du passé, nous nous demandons (a) quels sont les effets
du déficit de l'un ou l'autre système, sur les souvenirs R et K des personnes
célèbres et (b) quels sont les corrélats neuro-anatomiques qui sous-tendent
la performance qui est observée dans le contexte de la lésion qui affecte le
LTM.
Avant de tracer les grandes lignes de l'étude hémodynamique, nous
présentons un résumé de l'étude neuropsychologique des patients :
- Patient JR : voir la présentation de cas « Troubles sélectifs de la
mémoire des faits publics », chapitre 3 ).
- Patient RF (né en 1944, 19 années d'études, droitier) : à la différence
de JR, RF n'a pas d'antécédents médicaux avant l' âge de 35 ans, quand
il présente des phénomènes paroxystiques de courte durée et plus tard,
des crises nocturnes secondairement généralisées. Le tracé EEG
détecte une . activité épileptique temporale, antérieure à gauche. Un
examen IRM montre par ailleurs, des lésions de la substance blanche
qui ont une origine vasculaire et se situent au niveau du cortex
préfrontal orbitaire et, postérieurement, une déformation de l'artère
basilaire qui provoque une compression des corps mamillaires. Les
résultats de l'examen neuropsychologique général et de la mémoire
antérograde sont normaux ; les scores à cette dernière le sont à moyen
terme ; RF a également un oubli accéléré.
La mémoire autobiographique a été évaluée à l'aide du test de Crovitz
modifié (voir plus haut). Cependant, dans le cas présent, le test est écourté à
10 souvenirs au vu du déficit très sévère du patient qui obtient un score de
22/50 (basé sur une échelle de 0 à 5 pour chaque souvenir). La mémoire
sémantique non personnelle, évaluée à l'aide de plusieurs tests, montre des
scores tout à fait normaux, indépendamment du matériel présenté et de la
période testée.
Nous décrivons à présent l'étude en IRMf, en commençant par le recueil
des données. Quelques jours avant l'examen en IRMf, les 12 sujets sains ont
eu une liste de 116 noms et les deux patients une liste de 130 noms de
personnages connus ayant tous eu une célébrité reconnue entre 1970 et
2006. Chaque nom célèbre devait être qualifié suivant le paradigme R/K,
par les participants (la procédure est analogue à celle de Westmacott et
Moscovitch, 2003). Une réponse R comportait un souvenir
autobiographique associé au nom célèbre tandis qu'une réponse K indiquait
une absence de contenu personnel. Des exemples des deux types de
réponses garantissaient la bonne compréhension de la tâche. Par ailleurs, les
sujets et les patients indiquaient sur une échelle de 0 (pas du tout) à 4 points
(très intensément) la vivacité des souvenirs R. Le jugement de familiarité et
le vécu émotionnel ont été également quantifiés par une note de 0 à 4 et ce,
pour chacun des noms (réponses R et K).
Une liste individualisée des personnes célèbres a été ainsi construite pour
chaque participant et présentée lors de l'examen en IRMf. Pour les sujets
sains, les listes sont construites sur la base des 30 souvenirs R les plus
vivaces et des 30 souvenirs K qui étaient le mieux appariés aux souvenirs R
pour la variable familiarité. Pour le patient JR, la liste est construite sur les
11 réponses R et les 28 réponses K qu'il a fournies (30 % des noms
présentés ; le 70 % restant n'a pas été reconnu). La liste de RF comprenait
les 14 réponses R (10,5 %) et les 94 réponses K (70,7 %), qu'il a données
sur la liste de 130 noms célèbres. Ses réponses R ne dénotent pas un niveau
de détail spatio-temporel précis mais privilégient l'émotion. Par exemple,
pour la chanteuse Barbara, il dit « je me rappelle la première fois que je l'ai
entendue chanter, c'était sa première chanson, je suis tombé amoureux d'elle
». Cependant, aussi imprécises soient-elles, ses réponses ont été clairement
intégrées à son vécu personnel et c'est pour cette raison que nous les avons
considérées comme des réponses R.
Les 14 participants ont été examinés en IRMf suivant 3 conditions : (a)
condition R, mémoire autobiographique, où le participant devait évoquer
des épisodes spécifiques et détaillés pour chaque stimulus présenté. (b)
Dans la condition K, mémoire sémantique, la tâche consistait à indiquer si
le visage ou le nom présentés étaient célèbres ou non. (c) Enfin, la condition
B, ligne de base, permettait de « contrôler » les aspects moteurs, perceptuels
et décisionnels au moyen d'une tâche de décision de genre. Toutes les
expériences ont été réalisées en mode événementiel auto rythmé.
Les 12 sujets ont été examinés en IRMf deux fois : une séance « verbale
» utilisant les noms des gens célèbres et une séance « non verbale » avec les
photos des visages connus. Concernant les patients, les études en
neuroimagerie fonctionnelle des cas uniques en mémoire du passé sont très
rares ; un des cas les plus connus, le patient Jon, atteint d'amnésie du
développement (Vargha-Khadem et al., 1997) a été étudié en neuroimagerie
fonctionnelle (Maguire et al., 2001). Sa performance a pu être interprétée en
la comparant à celle d'un groupe de sujets sains. De plus, l'examen IRMf
chez le patient cérébro-lésé exige que la fonction que l'on souhaite mesurer
soit encore présente. Dans les cas que nous étudions, les patients ont fourni
respectivement 11 et 14 réponses R ; il est donc possible de réaliser
l'examen hémodynamique mais dans une modalité uniquement. Nous avons
choisi de leur présenter les noms célèbres car ils comportent plus de détails
sur la personne que les visages et aussi parce que nous n'avons pas trouvé,
chez le sujet sain, d'influence du matériel présenté ni sur les réponses R des
connaissances sémantique, ni sur la mémoire autobiographique (Denkova et
al., 2006c). Il est important de rappeler que l'épilepsie latéralisée à gauche
chez nos deux patients, n'a pas eu d'effet délétère sur la fonction langagière,
à juger par leurs scores tout à fait normaux aux tests de langage. Les
patients ont ainsi pu effectuer les 3 conditions de l'expérience verbale en
adaptant la condition R, qui a été présentée deux fois afin d'augmenter la
puissance statistique (Greenberg et al., 2005).
Les paramètres et les analyses des données IRMf ainsi que l'entretien
post IRMf sont similaires pour tous les participants (cf. Denkova et al.,
2006b). En revanche, quelques adaptations se sont avérées nécessaires pour
les patients. Ainsi, les images fonctionnelles de JR ont été normalisées sur
la base de son image anatomique en raison de la lobectomie temporale
gauche (voir Manning et al., 2006). Par ailleurs, compte tenu que la
neuroimagerie fonctionnelle des patients peut varier individuellement
(Powell et Duncan, 2005), nous n'avons pas fixé de seuil statistique a priori.
Enfin, nous avons vérifié, au moyen d'une analyse additionnelle prenant en
compte uniquement la première présentation, que la répétition des réponses
R n'influençait pas le patron d'activation cérébrale.

Principales données en IRMf


- Sujets sains. Indépendamment du matériel présenté, le contraste R>K
montre une latéralisation à gauche de l'activation du CPF dorsolatéral et
ventrolatéral, du cortex cingulaire antérieur et postérieur, du précunéus, du
carrefour temporo-pariéto-occipital, des gyri fusiforme, lingual et
parahippocampique. Le contraste R>B montre une activation plus étendue
qui inclut le CPF médian et le contraste K>B met en évidence des
activations bilatérales prédominant à gauche des gyri préfrontaux latéral et
moyen, du précunéus et de la jonction temporo-pariétale gauche, du gyrus
temporal inférieur et des portions postérieurs du cortex cingulaire. Le
contraste K>R ne montre pas d'activations cérébrales spécifiquement
significatives.
Dans la condition R, les visages activent significativement, par rapport
aux noms, le gyrus frontal supérieur à droite, alors que les noms des
personnages activent, plus que les visages, le gyrus parahippocampique à
gauche. Dans la condition K, les visages activent plus que les noms, le
gyrus fusiforme à gauche, tandis que l'insula, également à gauche, est plus
activée lors de la présentation des noms.
-Patient JR. Le contraste R>B (p < 0,001 non corrigé; cluster de 10
voxels ou plus) met en évidence un patron d'activation bilatéral postérieur,
soit prédominant, soit uniquement à droite et comprenant la jonction
temporo-occipitale, le cortex cingulaire postérieur, le précunéus, le gyrus
fusiforme, le gyrus parahippocampique, le thalamus et les gyri préfrontaux
supérieur et moyen. Le contraste K>B ne montre pas d'activations
spécifiques. Au vu de ce dernier constat, le contraste R>K n'a pas été
analysé.
- Patient RF. Après avoir constaté une absence d'activations cérébrales
dans les différents contrastes, le seuil statistique est ramené à un niveau
moins exigent (p<0,01 non corrigé). À ce niveau, nous observons des
activations très réduites en taille, quel que soit le contraste. Tous ces
résultats mais plus particulièrement ceux issus du contraste K>B, nous
mettent face à une contradiction entre la conclusion en neuropsychologie, à
savoir la préservation de la mémoire sémantique chez RF, et la quasi-
absence d'activations cérébrales spécifiques à la condition K. Plusieurs
raisons (voir plus bas) nous ont décidées à réaliser un nouvel examen
hémodynamique en proposant le matériel non verbal.
Un mois après l'obtention des données en IRMf, RF se souvenait très
vaguement de l'examen (il souffre d'oubli accéléré) : les conditions, les
stimuli et autres détails n'étaient plus rappelés. Pour le deuxième examen,
les tâches et la procédure sont identiques à celles du premier examen à
l'exception du matériel.
Les données issues des différents contrastes sont les suivantes : l'analyse
du contraste R>K n'a montré aucune activation significative. La
comparaison R>B, en revanche, met en évidence une activation bilatérale
prédominant à droite du cortex préfrontal moyen, du cortex cingulaire
antérieur, des gyri frontaux supérieur et inférieur, du cortex temporal, du
gyri fusiforme et lingual et du striatum. Comme lors du premier examen de
RF, le contraste R>B ne montre aucune activation du LTM. Enfin, le
contraste K>B met en évidence une activation bilatérale impliquant des
zones de taille importante des gyri préfrontaux moyen et latéral ainsi que
des régions temporales et occipitales, du cortex cingulaire postérieur, et du
précunéus. (Le seuil statistique était fixé à p<0,01.).

Commentaires

L'ensemble de ces expériences nous a permis de documenter l'influence


de la signification autobiographique dans le traitement des contenus
sémantiques de la mémoire du passé. Notre contribution est la double
analyse neuropsychologique et hémodynamique de la SA, ainsi que les
retombées théoriques concernant quelques aspects de l'organisation (ainsi
qu'un aperçu de la réorganisation) de la mémoire du passé. Concernant
l'implication du LTM, nos sujets sains présentent une activation du LTM
gauche, uniquement lorsque les visages et les noms célèbres sont « enrichis
» des souvenirs d'épisodes personnellement vécus. Ce résultat est retrouvé
chez le patient JR, amnésique pour les faits publics, qui présente une
activation du LTM droit, ainsi que chez le patient RF, amnésique pour la
mémoire autobiographique, qui ne présente pas d'activation du LTM.
- Sujets sains. Nous avons constaté l'activation de plusieurs zones
cérébrales appartenant au « réseau essentiel » (core autobiographical
network) recensées dans la méta-analyse de Svoboda et al. (2006) : les
cortex préfrontal et cingulaire antérieur et postérieur, et le carrefour
temporo-pariéto-occipital. Nous avons détecté l'activation du CPF médian
uniquement en comparant la condition R avec la condition B, mais non dans
le contraste R>K. Le CPF médian est fortement impliqué dans la mémoire
autobiographique car il sous-tend le système de mémoire de soi (Conway,
2005 ; Conway et Pleydell-Pearce, 2000) qui rend possible la formation des
souvenirs autobiographiques. Le CPF médian est également impliqué dans
les processus de mémoire sémantique personnelle, probablement aussi en
relation avec les processus de référence de soi (erg Levine et al., 2004 ;
Maguire et Frith, 2003b). Nos résultats mettent en évidence une activation
du CPFM durant la condition K, d'où l'absence d'activation du contraste
R>K. À partir de nos commentaires précédents, nous suggérons que la tâche
sémantique, prenant en compte le contexte total de l'expérience, a impliqué
l'évaluation automatique d'une éventuelle implication personnelle du sujet
(système de mémoire ou de référence de soi) face aux personnes célèbres,
préalablement à la réponse de jugement impersonnel, sur leur célébrité.
Les résultats concernant l'analyse de l'influence du matériel utilisé,
mettent en évidence une activation du gyrus fusiforme (GF) à gauche pour
les visages familiers (K). Il est suggéré que le GF à droite sous-tend le
traitement perceptif des visages tandis que le GF gauche sous-tend
l'identification des visages ; nos résultats refléteraient l'accès aux
informations sémantiques. Par ailleurs, l'insula activée à gauche pour le
matériel verbal, indiquerait l'accès aux informations spécifiques sur une
personne (Paller et al., 2003), plutôt qu'une latéralisation due au matériel
per se.
- Chez JR, qui a eu une lobectomie temporale gauche, l'examen en IRMf
montre des activations du LTM droit sous-tendant les seuls souvenirs des
personnes célèbres qu'il rapporte et qui sont tous intégrés dans sa mémoire
autobiographique, latéralisée du même côté. On peut considérer que, par
rapport à la plupart des études chez le sujet sain, JR montre une
réorganisation de la mémoire autobiographique. Cette réorganisation a une
influence sur la formation des souvenirs des personnages célèbres comme
l'indiquent tant ses scores en neuropsychologie que les activations du LTM
droit dans ses réponses R.
- Chez RF aucune activation du LTM n'est observée. Ces données nous
semblent d'autant plus importantes que l'aspect des lobes temporaux y
compris des hippocampes, semble normal. (Le diagnostic de l'épilepsie est
basé sur l'hypersignal détecté au niveau temporal en séquence FLAIR et sur
une crise épileptique secondairement généralisée provoquée par un arrêt des
médicaments antiépileptiques.). Ce tableau suggère un dysfonctionnement
du LTM secondaire aux lésions des connexions neuronales. Compte tenu de
l'effet que les troubles vasculaires du patient ont eu sur les corps
mamillaires (voir plus haut), on peut supposer qu'il s'agit des altérations
situées entre le LTM et le thalamus, connexions qui passent par
l'hypothalamus et impliquent les corps mamillaires (voir Aggleton et
Brown, 1999 pour la neuro-anatomie et Manning et Sellal, 2003 ; Ptack et
al., 2001 pour des études des cas d'amnésie hypothalamique). De plus, la
sévérité du déficit de sa mémoire autobiographique pourrait être le reflet
des effets combinés de la dysfonction que nous venons de commenter, et de
la lésion du cortex préfrontal orbitaire détectée en IRM (voir plus haut).
La performance du patient RF doit être discutée, également, pour une
autre raison : la quasi-absence d'activation lors de la présentation des noms
d'une part et l'activation cérébrale observée lors de la présentation des
visages d'autre part, notamment dans le contraste K>B. Pour essayer
d'expliquer ces résultats, nous commentons d'abord, la distinction qui existe
entre un stade initial de reconnaissance de familiarité des noms et des
visages, et le stade d'obtention de l'information sémantique proprement dite.
Les modèles de Bruce et Young (1986) et de Valentine et al. (1991, in
Valentine et al., 1996) postulent, en effet, que la présentation, soit du nom,
soit du visage, soit de la voix de quelqu'un, active la voie « d'identité de
personnes » (PIN : person identity node) qui résulte en un sentiment de
familiarité. Ces PINs, cependant, ne comportent pas d'informations
proprement sémantiques ; leur activation mène, normalement, à l'accès des
unités d'information sémantiques qui, elles, comprennent des données
biographiques sur la personne en question.
L'accès au système sémantique à partir des modalités différentes est au
cœur de la controverse sur l'unicité ou la multiplicité de ce système, depuis
les années 1980. D'un côté, on postule l'accès aux mêmes représentations
conceptuelles à partir des diverses modalités sensorielles et, de l'autre, on
propose que les modalités verbale et non verbale donnent accès à deux
systèmes de représentations sémantiques qui seraient, au moins
partiellement, indépendants. Caramazza et al., dans le premier cas de figure,
construisent leur théorie en relation avec l'hypothèse du contenu unitaire
organisé (Organized unitary content hypothesis, OUCH: Rapp et al., 1993),
qui présuppose que les représentations sémantiques sont amodales.
Caramazza et al. (1990) se basent principalement sur des travaux
connexionnistes de ce modèle pour conclure sur l'unicité du système
sémantique.
D'autre part, les chercheurs qui ont rapporté les cas les plus solidement
argumentés en faveur de l'existence des systèmes sémantiques spécifiques
aux modalités verbale et non verbale sont, entre autres, Warrington (e.g.
Warrington et Crutch, 2004) et Shallice (par exemple, Shallice, 1993). Leur
perspective est principalement clinique. Il existe des cas qui montrent, en
plus de la distinction de modalité sensorielle, celle des déficits dus à deux
causes fonctionnelles : (a) la détérioration du stockage sémantique qui
provoque, en conséquence, un déficit permanent et uniforme ; (b) le trouble
d'accès à l'information qui se manifeste par des déficits variables et
influençables par des facteurs externes. Dans ces derniers, on situe les
troubles d'accès dits réfractaires dont la sévérité augmente ou diminue en
fonction du temps d'intervalle de présentation des stimuli. Il a été montré
que les troubles d'accès réfractaires mettent en évidence un biais pour le
matériel verbal (Warrington et Crutch, 2004) et plus concrètement, pour les
noms (Crutch et Warrington, 2004).
Nous proposons l'explication de la performance de RF en prenant ces
deux arguments ensemble, à savoir les deux stades que comporte le
traitement de l'information sémantique des personnes connues
(reconnaissance de la familiarité et accès aux informations proprement
sémantiques) et les déficits sélectifs d'accès au système sémantique verbal.
Il est concevable que RF, qui présente un dysfonctionnement du lobe
temporal gauche, soit, non pas déficitaire (on l'a vu aux tests
comportementaux), mais ralenti dans le passage d'un stade à l'autre lorsqu'il
s'agit de stimuli verbaux et dans des conditions de réponse
considérablement plus exigeantes. En effet, la différence entre le test
comportemental et le test en IRMf est due, principalement, à la contrainte
de temps de réponse et à l'absence d'échanges oraux qui rendent plus facile
l'accès sémantique à un domaine d'information donné. RF a répondu « oui »
en voyant les noms célèbres sans avoir accédé à l'information sémantique :
on peut suggérer qu'il est resté au premier stade pour le matériel verbal. Il a,
en revanche, pu accéder à cette information, avec les mêmes contraintes de
temps, mais à partir des visages : ces résultats corroborent ainsi, le postulat
des systèmes sémantiques verbal et non verbal.

Conclusions

L'avenir de la neuropsychologie clinique commence à s'ouvrir à


l'application des méthodes d'imagerie cérébrale fonctionnelle. Le clinicien
neuropsychologue élargit son champ d'intérêt et participe au suivi de
certains patients au moyen de ces techniques. Pour être efficaces, les
relations entre la neuropsychologie clinique et la neuroimagerie
fonctionnelle doivent être guidées par la première. Comme nous l'avons
déjà commenté au début de cet ouvrage, les données de l'imagerie
fonctionnelle ne pourraient ni se substituer à la clinique, ni se voir attribuer
le rôle décisif dans le travail multi-approche.
Notre contribution générale dans l'étude présentée a porté sur
l'éclaircissement concernant les régions cérébrales recrutées lors d'une tâche
sémantique réalisée avec un niveau de conscience noétique et les structures
recrutées lors de la même tâche « enrichie » par la signification
autobiographique. Et, plus concrètement, notre patient RF, en raison des
caractéristiques qu'il présente, nous a permis de rassembler dans ce dernier
cas du dernier chapitre, les concepts fondamentaux qui constituent
l'armature de tout l'ouvrage, à savoir l'approche cognitive appliquée à la
clinique neuropsychologique au moyen d'une étude en neuroimagerie
fonctionnelle.
1 Cette technique a comme principale caractéristique l'utilisation d'un des phénomènes les plus
robustes que l'on observe lors des réponses cérébrales aux stimuli visuels. Il s'agit du phénomène de
répétition / suppression, appelé également répétition / amorçage ou adaptation, dans lequel la
présentation réitérée du même stimulus visuel conduit à une réduction progressive de l'activation
cérébrale après quelques secondes de la première présentation du stimulus.
Conclusions générales
La définition et l'objectif mêmes de la neuropsychologie la situent au
carrefour de plusieurs disciplines scientifiques. Son objectif et sa situation
lui confèrent un programme ambitieux, fondé sur le savoir-faire clinique et
sur des connaissances solides des modèles cognitifs et de l'organisation
fonctionnelle cérébrale. Le temps des neuropsychologues amateurs est
révolu : la neuropsychologie existe comme branche scientifique ou elle
n'existe pas.
Une des caractéristiques essentielles de la neuropsychologie est que la
recherche se construit à partir d'abord de l'observation des patients porteurs
de lésions cérébrales et seulement ensuite de la formulation d'hypothèses.
Ce type de recherche concerne éminemment celle du cas unique et c'est
cette démarche qui a été développée de manière privilégiée dans cet
ouvrage car elle n'est qu'en phase d'éclosion en France. Le contraste est en
effet important entre cette perspective cognitive et d'autres branches de la
neuropsychologie française qui ont atteint un niveau d'excellence, comme la
recherche de groupes de patients et de sujets sains, au moyen de la
neuroimagerie fonctionnelle. Les travaux des équipes de recherche comme
celle de la Salpêtrière brièvement mentionnée dans le livre ou encore celles
directement concernées par les fonctions neuropsychologiques comme
l'équipe d'Eustache qui travaille sur la mémoire humaine, de Dehaene et
Cohen ou encore Démonet et Habib, sur le langage et le calcul, de Mellet
sur l'imagerie visuelle, parmi bien d'autres, témoignent de ce contraste.
L'approche cognitive de la neuropsychologie clinique a des
caractéristiques uniques :
- son application dans une grande diversité de cas, diversité que l'on
rencontre dans la pratique clinique quotidienne. Le clinicien ne
pourrait pas aborder de manière scientifique une telle variété de
déficits sans le cadre du traitement de l'information qui guide sa
démarche. Nous espérons que les chapitres de ce livre montrent, ne
serait-ce que sommairement, la manière dont ce cadre peut être
appliqué dans des cas aussi différents que l'incapacité de lire de non
mots et celle de se rappeler du 11 septembre 2001 !
- La recherche cognitive s'appuie, en premier lieu, sur une base
clinique empirique : ces données empiriques restent valides
indépendamment du temps et des « modes » de recherche. Dans ce
sens-là, la neuropsychologie cognitive clinique est un puissant
instrument d'observation objective et d'analyse des fonctions
supérieures. La méthode des dissociations et des doubles dissociations
fournit le moyen de faire aboutir ces observations à des
communications scientifiques. Le revers de la médaille est que le
fractionnement des fonctions peut nous conduire à des propositions qui
ont une certaine coloration phrénologique : la convergence des
données constitue un palliatif efficace.
La contribution de la neuropsychologie à la compréhension de
l'organisation fonctionnelle a montré qu'elle était extrêmement féconde ;
elle l'est encore plus avec l'apport de la neuroimagerie fonctionnelle et, ainsi
parée, elle est entièrement tournée vers l'avenir : à nous de lui donner son
impulsion.
BIBLIOGRAPHIE
ADDIS D., WONG A., SCHACTER D., Remembering the past and
imagining the future : Common and distinct neural substrates during event
construction and élaboration. Neuropsychologia, 2007 ; 1363-77.
AGGLETON J., SAUNDERS R., The relationships between temporal
lobe and diencephalic structures implicated in anterograde amnesia, In A.
Mayes & J. Downes (eds), Theories of organic amnesia (pp. 49-71), East
Sussex, Psychology Press, 1997.

AGGLETON J., BROWN M., Episodic memory, amnesia, and the


hippocampal-anterior thalamic axis. Behav Brain Sci., 1999 ; 22 (3) : 425-
44.
AGNIEL A., JOANETTE Y., DOYON B., DUCHAINE C., Protocole
Montréal-Toulouse d'évaluation des agnosies visuelles, Toulouse, L'Ortho
édition, 1986.
AMARAL D., Introduction : what is where in the medial temporal lobe ?
Hippocampus, 1999 ; 9 : 1-6.
ANDRADE J., Investigations of hypesthesia : using anaesthetics to
explore relationships between consciousness, learning and memory,
Consciousness and Cognition, 1996 ; 4562-80.
ARCHER J., A reevaluation of the meaninfulness of all possible CVC
trigrams, Psychological Monographs : General and applied, 1960; 74 : 1-23.
ARMITAGE S., An analysis of certain neuropsychological tests used for
the evaluation of brain injury, Psychological Monographs, 1946 ; 60 : 91-6.
ATKINSON R., SHIFFRIN R. Human memory : a proposed system and
its control processes, in G. Bower (ed.), Human memory : Basic processes,
New York, Academie Press, 1968.
AZOUVI P., Les syndromes d'héminégligence : évaluation et
rééducation, in F. Eustache, J. Lambert, F. Viader (eds), Rééducations
neuropsychologiques. Bruxelles : De Boeck Université, 1997.
AZOUVI P., L'évaluation de négligence unilatérale. In X. Seron et M.
Van der Linden (eds), Traité de Neuropsychologie clinique, tome I.
Marseille : Solal, 2000.

BACKMAN L., ANDERSSON J.L., NYBERG L., WINBLAD B.,


NORDBERG A., ALMKVIST O., Brain régions associated with episodic
retrieval in normal aging and Alzheimer's disease, Neurology, 1999 ; 10 ;
52 : 1861-70.
BADDELEY A., Short term memory for word séquences as a function of
acoustic, semantic and formal similarity, Quarterly Journal of Experimental
Psychology, 1966 ; 18 : 362-65.
BADDELEY A., Working memory, Oxford, Oxford University Press,
1986.
BADDELEY A., Exploring the central executive, Quarterly Journal of
Experimental Psychology, 1996 ; 49A : 5-28.
BADDELEY A, HITCH G., Working memory, in G. Bower (ed), The
psychology of learning and motivation (Vol. 8), New York, Academic
Press, 1974.
BADDELEY A., THOMPSON N, BUCHANAN M., Word length and
the structure of short-term memory, Journal of Verbal Learning and Verbal
Behaviour, 1975 ; 14 : 575-89.

BALINT R., Seelenlahmung des 'Schauens', optische Ataxie, räumliche


Störung der Aufmerksamkeit, Monatschrift Psychiatrie und Neurologie,
1909 ; 25 : 5-81.
BARON-COHEN S., LESLIE A., FRITH U., Does the autistic child
have a "theory of mind" ?, Cognition, 1985 ; 21 : 37-46.
BARTELS A., ZEKI S., The neural basis of romantic love. NeuroReport,
2000 ; 11 : 3829-34.

BARTELS A., ZEKI S., The neural correlates of maternal and romantic
love. NeuroImage, 2004 ; 21 : 1155-1166.
BARTOLOMEO P., BACHOUD-LÉVY A.C., GELDER B., et al.
Multiple domain dissociation between impaired visual perception and
preserved mental imagery in a patient with bilatéral extrastriate lésions,
Neuropsychologia, 1998 ; 36 : 239-49.
BARTON J., CHERKASOVA M., HEFTER H., The covert priming
effects of faces in prosopagnosia. Neurology, 2004 ; 63 : 2062-68.
BAUER R., Agnosia. In K. Heilman, K. Valenstein (eds), Clinical
Neuropsychology, Oxford, Oxford University Press, 1993 (3d edition).
BEAUREGARD A., Le test des automatismes verbaux. Issy-les-
Moulineaux : Éditions scientifiques et psychotechniques, 1971.
BEAUVOIS M.-F., DÉROUESNÉ J., Phonological alexia : three
dissociations. Journal of Neurology, Neurosurgery and Psychiatry, 1979 ;
42 : 1115-24.
BEAUVOIS M.-F., Optic aphasia : A process of interaction between
vision and language, Philosophical Transactions of the Royal Society of
London, 1982 ; 298 : 35-47.

BEESON P., RAPCSAK S., Neuropsychological assessment and


rehabilitation of writing disorders. In P. Halligan, U. Kischka and J.
Marshall (eds), Handbook of clinical Neuropsychology, Oxford, Oxford
University Press, 2003.
BEHRMANN M., BUB D., Surface dyslexia and dysgraphia : dual
routes, single lexicon, Cognitive Neuropsychology, 1992 ; 9 : 209-51.
BEHRMANN M., MOSCOVITCH M., WINOCUR G., Intact visual
imagery and impaired visual perception in a patient with visual agnosia,
Journal of experimental Psychology : Human Perception and Performance,
1994; 20: 1066-87.
BEHRMANN M., WINOCUR G., MOSCOVITCH M., Dissociation
between mental imagery and object recognition in a brain damaged patient,
Nature, 1992 ; 359 : 636-37.

BEHRMANN M., PLAUT D., NELSON J., A literature review and new
data supporting an interactive view of letter by letter reading, Cognitive
Neuropsychology, 1998 ; 15 : 7-51.

BENSON D., Fluency in aphasia : corrélation with radio isotope scan


localisation, Cortex, 1967 ; 3 : 373-94.
BENSON D., Aphasia. In K. Heilman and E. Valenstein (eds), Clinical
Neuropsychology, Oxford, Oxford University Press, 1993, (3d edition).
BENTON A., The visual rétention test as a constructional praxis task,
Confinia Neurologica, 1962 ; 22 : 141-55.
BENTON A., Differential behavioural effects in frontal lobe disease,
Neuropsychologia, 1968 ; 6 : 53-60.
BENTON A., Facial récognition, Cortex, 1990 ; 26 : 491-99.
BENTON A., HAMSHER K, VARNEY N, SPREEN O. Contributions to
neuropsychological assessment, New York, Oxford University Press, 1983.
BENTON A., SIVAN A., Disturbances of body schéma. In K. Heilman,
K. Valenstein (eds), Clinical Neuropsychology, Oxford, Oxford University
Press, 1993, (3d edition).
BENTON A., VAN ALLEN M., Impairments in facial recognition in
patients with cerebral disease, Cortex, 1968 ; 4 : 344-58.
BERG E., A simple objective technique for measuring flexibility in
thinking, Journal of General Psychology, 1948 ; 39 : 15-22.
BERRIOS G., Dementia and aging since the nineteen century. In F.
Huppert et D. O'Connor (eds), Dementia and normal aging, Cambridge,
Cambridge University Press, 1994.
BERGSON H., Matière et mémoire : essai sur la relation du corps à
l'esprit, Bibliothèque de Philosophie, 1939.
BERGSON H., Œuvres, Éditions du Centenaire (2e édition). Paris : PUF,
1963.
BERNARD F., BULLMORE E., GRAHAM K., THOMPSON S.,
HODGES J., FLETCHER C.,
The hippocampal region is involved in successful recognition of both
remote and recent famous faces. Neurolmage, 2004 ; 22 : 1704-1714.
BIEDERMAN I, COOPER E., Priming contour-deleted images :
évidence for intermediate representations in visual object recognition.
Cognitive Psychology, 1991 ; 23 : 393-419.
BISHOP D., ROBSON J., Unimpaired short-term memory and rhyme
judgement in congenitally speechless individuals : implications for the
notion of "articulatory coding", Quarterly Journal of Experimental
Psychology, 1989 ; 41A : 123-40.
BISIACH E., LUZZATTI C., Unilateral neglect of representational
space, Cortex, 1978 ; 14 : 129-33.
BISIACH E., RUSCONI M., Breakdown of perceptual awareness in
unilatéral neglect, Cortex, 1990 ; 26 : 643-49.
BLAKEMORE S.-J., WOLPERT D., FRITH C., Abnormalities in the
awareness of action, Trends in Cognitive Science, 2002 ; 6 : 237-42.
BLESSED G., TOMLINSON B., ROTH M., The association between
quantitative measures of dementia and senile change in the cérébral grey
matter of elderly, British Journal of Psychiatry, 1968 ; 114 : 797-811.
BODAMER J., Die Prosopagnosie, Archiv für Psychiatrie und
Nevenkrankheiten, 1947 ; 179 : 6-54.
BOGEN J., The callosal syndrome. In K. Heilman, K. Valenstein (eds),
Clinical Neuropsychology, Oxford, Oxford University Press, 1993 (3d
édition).
BOTEZ L, Le syndrome pariétal, in I. Botez, Neuropsychologie clinique
et neurologie du comportement (p. 198-217), Paris, Masson, 1996.
BOTZUNG A., CIUCIU P., DENKOVA E., SCHEIBER C., MANNING
L. The neural bases of the constructive nature of autobiographical memory
studied with a self-paced fMRI design (à paraître, sous réserve de
modifications).
BOTZUNG A., DENKOVA E., MANNING L., Experiencing past and
future personal events : functional neuroimaging évidence on the neural
bases of mental time travel. Brain Research, 2007 (sous presse).
BREEN N., CAINE D., COLTHEART M., Models of face recognition
and delusional misidentification : A critical review, Cognitive
Neuropsychology, 2000 ; 17 : 55-71.

BREWER J., MOGHEKAR A., Imaging the medial temporal lobe :


exploratory new dimensions. Trends in Cognitive Sciences, 2002 ; 6 : 217-
23.
BRION S., JEDYNACK C., Troubles du transfert inter-hémisphérique. À
propos de trois observations de tumeurs du corps calleux. Le signe de la
main étrangère, Revue Neurologique, 1972 ; 4 : 473-90.
BROCA P., Remarques sur le siège de la faculté du langage articulé,
suivies d'une observation d'aphémie (perte de la parole), Bulletin de la
Société d'Anatomie de Paris, 1861 ; 6 : 330-357.
BROWN R., Organisation of public events in long-term memory, Journal
of Experimental Psychology, 1990 ; 119-297-304.
BRUCE V., YOUNG A., Understanding face recognition. British Journal
of Psychology, 1986 ; 77 : 305-327.
BRUNFAUT E., VANOVERBERGHE V. D'YDEWALLE G.,
Prospective remembering of Korsakoffs and alcoholics as a function of the
prospective memory and on going tasks, Neuropsychologia, 2000 ; 38 ;
975-84.
BRUN A., ENGLUND B., GUSTAFSON L. et al., Consensus statement.
Clinical and neuropathological criteria for frontotemporal dementia. Lund
and Manchester Groups, Journal of Neurology, Neurosurgery and
Psychiatry, 1994 ; 57 : 416-18.
BURGESS P., Strategy application disorder : the rôle of the frontal lobes
in human multitasking, Psychological Research, 2000 ; 63 ; 279-88.
BURGESS P., Assessment of executive function. In P. Halligan, U.
Kischka and J. Marshall (eds), Oxford handbook of clinical
neuropsychology, Oxford, Oxford University Press, 2003.
BURGESS P., ALDERMAN N., WILSON B., EVANS J., EMSLIE H.,
The dysexecutive questionnaire. Behavioural Assessment of the
Dysexecutive Syndrome, Bury St Edmunds, Suffolk, UK, Thames Valley
Test Company, 1996.
BURGESS P., SCOTT S., FRITH C., The rôle of frontal cortex area 10 in
prospective memory : a latéral versus medial dissociation,
Neuropsychologia, 2003 ; 41 : 906-18.

BURGESS P., QUAYLE A. FRITH C., Brain régions involved in


prospective memory as determined by positron émission tomography,
Neuropsychologia, 2001 ; 39 ; 545-55.

BURGESS P., SHALLICE T., Response suppression, initiation and


strategy use following frontal lésions, Neuropsychologia, 1996 ; 34 : 263-
76.
BURGESS P., VEITCH E., COSTELLO A., SHALLICE T., The
cognitive and neuroanatomical correlates of multitasking,
Neuropsychologia, 2000 ; 38, 848-63.
BUSBY J., SUDDENDORF T., Recalling yesterday and predicting
tomorrow, Cognitive Development, 2005 ; 20 : 362-72.
BUSSIÈRE T., FRIEND P., SADEGHI N. et al., Stereologic assessment
of the total cortical volume occupied by amyloid deeposits and its
relatinship with cognitive status in aging and Alzheimer disease,
Neuroscience 2002 ; 112 ; 75-91.
BUTTERS N., HEINDER W., SALMON D., Dissociations of implicit
memory in dementia : neurological implications, Bulletin of the
Psychonomics Society, 1990 ; 28 : 359-66.
CAPLAN D., The neuro in cognitive neuropsychology, Cognitive
Neuropsychology, 2004 ; 21 : 17-20.
CAPLAN D., WATERS G., Articulatory length and phonological
similarity in span tasks : a reply to Baddeley and Andrade, Quarterly
Journal of Experimental Psychology, 1994 ; 47A : 1055-62.
CARAMAZZA A., The logic of the neuropsychological research and the
problem of patient classification in aphasia, Brain and Language, 1984 ;
21 : 9-21.
CARAMAZZA A., On drawing inferences about the structure of the
normal cognitive systems from the analysis of pattern of impaired
performance : the case for single-patients studies, Brain and Cognition,
1986 ; 5 : 41-66.
CARANIAZZA A., HILLIS A., RAPP B., ROMANI C., Multiple
semantics or multiple confusions ? Cognitive Neuropsychology, 1990 ; 7 :
161-168.
CARAMAZZA A., HILLIS A., Levels of représentation, coordinate
frames and unilateral neglect, Cognitive Neuropsychology, 1990 ; 7 : 391-
445.
CARDEBAT, DOYON, PUEL et al., Évocation lexicale formelle et
sémantique chez des sujets normaux : Performances et dynamiques de
production en fonction du sexe, de l'âge et du niveau d'étude, Acta
Neurologica Belgica, 1990 ; 90, 207-17.
CARLSON T., GROL M., VERSTRATErr F., Dynamics o visual
recognition revealed by FMRI. Neurolmage, 2006 ; 32 : 892-905.
CHAN D., REVESZ T., RUDGE P., Hippocampal, but not
parahippocampal, damage in a case of dense retrograde amnesia : a
pathological study, Neurosciences Letters, 2002 ; 329 : 61-64.
CHÉTELAT G., DESGRANGES B., SAYETTE V. et al., Dissociating
atrophy and hypometabolism impact on episodic memory in mild cognitive
impairment, Brain 2003 ; 126 : 1-13.
CIPOLOTTI L., SHALLICE T., CHAN D., Fox N., SCAHILL R. et al.,
Long-term retrograde amnesia... the crucial role of the hippocampus,
Neuropsychologia, 2001 ; 39 : 151-72.

COLTHEART M., Cognitive neurospychology and the study of reading.


In I. Posner and O. Marin (eds), Attention and performance, Vol 11, New
Jersey, Erlbaum and Hillsdale, 1985.
COLTHEART M., Brain imaging, connectionism, and cognitive
neuropsychology, Cognitive Neuropsychology, 2004 ; 21 : 21-25.
CONRAD R., HULL A., Information, acoustic confusion and memory
span, British Journal of Psychology, 1964 ; 55 ; 75-84.
CONWAY M., The neuroanatomy of autobiographical memory : a slow
cortical potential study of autobiographical memory retrieval. Journal of
Memory and Language, 2001 ; 45 : 493-524.
CONWAY M., Memory and the self. Journal of Memory and Language,
2005 ; 53 : 594-628.

CONWAY M., PLEYDELL-PEARCE C., The construction of


autobiographical memories in the self-memory system, Psychological
Review, 2000 ; 107 : 261-288.
CONWAY M., SINGER J., TAGINI A., The self and autobiographical
memory : correspondence and coherence. Social Cognition, 2004 ; 22 : 495-
537.
CONWAY M.A., TURK J., MILLER S., LOGAN J., NEBES R.,
MELTZER C. & BECKER J., The neuroanatomical basis of
autobiographical memory. Memory, 1999 ; 5 : 1-25.
CORBALLIS M., Recursion as the key of human mind. In K. Sterelny et
J. Fitness (eds), From mating to mentality : Evaluating evolutionary
psychology (pp. 155-171). N.Y. Psychology Press, 2003.
CORKIN S., Lasting consequences of bilateral medial temporal
lobectomy : clinical course and experimental findings in HM, Seminars in
Neurology, 1984 ; 4 : 249-259.

COSLETT H., SAFFRAN E., Preserved object recognition and reading


comprehension in optic aphasia, Brain, 1989 ; 112 : 1091-110.
COSTELLO A., FLETCHER R., FRITH C., SHALLICE T., The origins
of forgetting in a case of isolated retrograde amnesia following
haemorrhage : evidence from functional imaging, Neurocase, 1998 ; 4 :
437-46.
COUGHLAN A., HOLLOWS S., The Adult Memory and Information
Processing Battery, Leeds, Saint James Hospital, 1985.
COWAN N., DAY S., SAULTS T. et al., The role of verbal output time in
the effects of word length on immediate memory, Journal of Memory and
Language, 1992 31 : 1-17.

COYETTE F., VAN DER LINDEN M., Adaptation de l'épreuve de la


Tour de Londres. Centres de revalidation neuropsychologique des cliniques
Saint-Luc et des services de neuropsychologie de l'université de Liège.
Document non publié.
CROSSON B., Subcortical functions in language and memory, Londres,
Guilford Press, 1992.
CROVITZ H., SCHIFFMAN H., Frequency of episodic memories as a
function of their age, Bulletin of the Psychonomic Society, 1974 ; 4 : 517-
518.
CZERNECKI V., PILLON B., HOUETO J.L. et al., Does bilateral
stimulation of the subthalamic nucleus aggravate apathy in Parkinson's
disease ?, Journal of Neurology, Neurosurgery and Psychiatry, 2005 ; 76 :
775-9.
DAMASIO A., Time-locked multiregional retroactivation : a systems-
level proposal for the neural substrates of recall and recognition, Cognition,
1989 ; 33 : 25-62.

DAMASIO A., The somatic marker hypothesis and the possible


functions of the prefrontal cortex, Philosophical Transactions of the Royal
Society of London B, 1996 ; 351 ; 1413-20.
DAMASIO A., DAMASIO H., VAN HOESEN G., Prosopagnosia :
Anatomical basis and behavioural mechanisms, Neurology, 1982 ; 32 : 331-
41.
DAMASIO H., GRABOWSKI T., TRANEL D. et al., A neural basis for
lexical retrieval, Nature, 1996 ; 380 : 499-505.
DARTIGUES J.-F., Épidémiologie de la maladie d'Alzheimer.
Symposium sur « Alzheimer 2000 : recherches récentes » à Bordeaux,
Octobre 2000.
DARTIGUES J.-F., HELMER C., DUBOIS B., DUYCKAERTS C.,
LAURENT B., PASQUIER F., TOUCHON J., La maladie d'Alzheimer, un
problème de santé publique : oui. Une priorité ?, Revue neurologique,
2002 ; 158 : 311-15.
DAUM L, ACKERMANN H., Frontal type memory impairments
associated with thalamic damage, International Journal of Neurosciences,
1994 ; 77 : 187-98.
DAVIDOFF J., DE BLESSER R., Optic aphasia : A review of past
studies and reappraisal, Aphasiology, 1993 ; 7 : 135-54.
DAVIDOEF J., WARRINGTON E., A dissociation of shape
discrimination and figure-ground perception in a patient with normal acuity,
Neuropsychologia, 1993 ; 31 : 83-93.
DECASPER A., SPENCE M. (1986), Prenatal maternal speech
influences newborns perception of speech sounds, Infant Behaviour and
Development, 9, 133-50.
DEHAENE S., Varieties of numerical abilities, Cognition, 1992 ; 44 : 1-
42.
DÉJERINE J., Contribution à l'étude anatomoclinique et clinique des
dffférentes variétés de cécité verbale, CR Hebdomadaire des Séances et
Mémoires de la Société de Biologie, 1892 ; 4 : 61-90.
DELIS D., KRAMER J., KAPLAN E., OBER B., California verbal
learning test, Research edition, NY Psychological Corporation, 1987.
DELOCHE G., SERON X., From one to 1 : An analysis of a transcoding
process by means of neuropsychological data, Cognition, 1982 ; 12 : 119-
49.
DENKOVA E., BOTZUNG A., SCHEIBER C., MANNING L., Implicit
émotion during recollection of past events : A nonverbal fMRI study. Brain
Research, 2006a ; 1078 : 143-150.

DENKOVA E., BOTZUNG, A., MANNING L., Neural correlates of


remembering/ knowing famous people : an event-related fMRI study.
Neuropsychologia, 2006b ; 44 : 2783-2791.
DENKOVA E., BOTZUNG A., SCHEIBER C., MANNING L.,
Material-independent cerebral network of re-experiencing personal events :
Evidence from two parallel fMRI experiments. Neuroscience Letters,
2006c ; 407 : 32-36.
DE RENZI E., FAGLIONI P., SCOTTI G., Judgement of spatial
orientation in patients with focal brain damage, Journal of Neurology,
Neurosurgery and Psychiatry, 1971 ; 34 : 489-95.
DE RENZI E., FAGLIONI P., PREVIDI P., Spatial memory and
hemispheric locus of lesion, Cortex, 1977 ; 13 : 424-33.
DE RENZI E., FERRARI C., The reporters test : a sensitive test to detect
expressive disturbances in aphasia, Cortex, 1978 ; 14 : 279-93.
DE RENZI E., LIOTTI M., NICHELLI P., Semantic amnesia with
preservation of autobiographie memory. A case report, Cortex 1987 ; 23 :
575-597.
DE RENZI E., LUCCHELLI F., Are semantic systems separately
represented in the brain ? The case of living category impairment, Cortex,
1994 ; 30 : 3-25.
DE RENZI E., SCOTTI E., SPINNLER H., Perceptual and associative
disorders of visual recognition : Relationship to the site of lesion,
Neurology, 1969 ; 19 : 634-42.

DE RENZI E., VIGNOLO A., The Token Test : a sensitive test to detect
receptive disturbances in aphasia, Brain, 1962 ; 85 : 665-78.
DESGRANGES B., BARON J., SAYETTE V. et al., The neural
substrates of memory systems impairment in Alzheimer's disease. A PET
study of resting brain glucose utilisation, Brain, 1998 ; 121 : 611-31.
D'ESPOSITO M., DETRE J., AGUIRRE G., STALLCUP M. et al. A
functional MRI study of mental image generation, Neuropsychologia,
1997 ; 35 : 725-30.
DE VREESE L., Two systems for colour naming déficit : verbal
disconnection vs the colour imagery disorder, Neuropsychologia, 1991 ; 9 :
1-18.
DOWES J, MAYES A., How bad memories may sometimes lead to
fantastic beliefs and strange visions. In R. Campbell and M. Conway (eds),
Broken memories : case studies in psychology of memory. Oxford:
Blackwell, 1994.
DUNCAN J., BURGESS P., EMSLIE H., Fluid intelligence after frontal
lobe lesions, Neuropsychologia, 1995 ; 33 ; 261-68.
EBBINGHAUS H., Memory : a contribution to experimental psychology,
New York, Columbia University, 1885. (Translated by Henry A. Ruger &
Clara E. Bussenius, 1913).
EDELMAN G., TONIONI G., Consciousness. How matter becomes
imagination, Londres, Penguin, 2000.
EFFRON R., What is perception ? In R. Cohen, M. Wartofsky (eds),
Boston studies in the philosophy of sciences (Vol. 4), New York,
Humanities Press, 1968.
ELDRIDGE L., KNOWLTON B., FURMANSKI C., BOOKHEIMER S.,
ENGEL S., Remembering episodes : A selective role for the hippocampus
during retrieval. Nature Neuroscience, 2000 ; 3 : 1149-1152.
ELFGREN C., VAN WESTEN D., PASSANT U., LARSSON E.,
MANNFOLK P., FRANSSON P., fMRI activity in the medial temporal lobe
during famous face processing ? NeuroImage, 2006 ; 1 ; 30 (2) : 609-16.
ELLIS A., YOUNG A., Object recognition. In Ellis A., Young A.,
Human cognitive neuropsychology, Hove East Sussex, Psychology Press,
1996.
ESLINGER P., DAMASIO A., Severe disturbance of higher cognition
after bilateral frontal lobe ablation : patient EVR, Neurology, 1985 ; 35 ;
1731-41.
ESLINGER P., GEDER L., Behavioral and emotional changes after focal
frontal lobe damage. In Bogousslavsky J., Cummings J. (eds), Behavior and
mood disorders in focal brain lesions, Cambridge, England University
Press, 2000.
FARAH M., The neurological bases of mental imagery : a componential
analysis, Cognition, 1984 ; 18 : 245-72.
FARAH M., Is visual imagery really visual ? Overlooked evidence from
neuropsychology. Psychological Review, 1988 ; 95 : 307-317.
FARAH M., Visual agnosia. Disorders of visual recognition and what
they tell us about normal vision, Londres, The MIT Press, 1990.
FARAH M., Current issues in the neuropsychology of image generation,
Neuropsychologia, 1995 ; 33 : 1455-72.
FARAH M., Soso M., DASHEIFF R., Visual angle of the mind's eye
before and after unilateral occipital lobectomy, Journal of Experimental
Psychology : Human Perception and Performance, 1992 ; 18 : 241-46.
FINK G., MARKOWITSCH H., RENKEMEIER M., BRUCKBAUER
T., KESSLER J., HEISS W., Cerebral representations of one's own past :
neural networks involved in autobiographical memory, The Journal of
Neurosciences, 1996 ; 16 : 4275-82
FLETCHER P., HAPPE F., FRITH C., FRACKOWIAK R. et al., Other
minds in the brain a functional imaging study of "theory of mind" in story
comprehension, Cognition, 1995 ; 57 : 109-28.
FLOR H., Phanton-limb pain : characteristics, causes and treatment, The
Lancet, 2002 ; 1 : 182-89.
FLOR H., DENCKE C., SCHAEFER M., GRUSSER M., Sensory
discrimination training alters both cortical reorganisation and phantom limb
pain, The Lancet, 2001 ; 357-1763-64.

FODOR J., The modularity of mind, Cambridge, MIT Press, 1983.


FOLDI N., LOBOSCO J., SCHAEFER L., The effects of attentional
dysfunction in Alzheimer's disease : Theoretical and practical implications,
Seminars in Speech and Language, 2002 ; 23 : 139-50.
FOLSTEIN M., FOLSTEIN S., MCHUGH P., "Mini Mental State" : A
practical method for grading the cognitive state of patients for clinicians,
Journal of Psychiatric Research, 1975 ; 12 : 189-98.
FORMAN M., LEE V., TROJANOWSKI J., New insights into genetic
and molecular mechanisms of brain degeneration in tauopathies, Journal of
Chemistry and Neuroanatomy, 2000 ; 20 : 225-44.
Fox N., CRUN W., SCAHILL R., STEVENS J. et al., Imaging of onset
and progression of Alzheimer's disease with voxel-compression mapping of
serial magnetic resonance images, Lancet, 2001 ; 358 : 201-5.
FREUD S., Zur Aufassung der Aphasien, Wien, Deuticke, 1891.
FREUD S., Screen memories, In J. Strachey (Ed), The complete works of
Sigmund Freud, Londres, Hogarth, 1899.
FREUND D., Über Optische Aphasie und Seelenblindheit, Archiv für
Psychiatrie und Nevenkrankheiten, 1889 ; 20 : 276-97.
FRIEDMAN R., FERGUSON S., ROBINSON S., SUDERLAND T.,
Dissociation Of mechanisms of recoding in Alzheimer disease, Brain and
Language, 1992 ; 43 : 400-13.
FRISTON K.J., HOLMES A.P., WORSLEY K.J., POLINE J.B., FRITH
C.D., FRACKOWIAK R.S.J., Statistical parametric maps in functional
imaging : a general linear approach. Human Brain Mapping, 1995 ; 2 : 189-
210.
FRITH C.D., FRITH U., Interacting minds - biological basis [Review],
Science 1999 ; 286 : 1692-5.
FUNNELL E., Phonological process in reading. New évidence from
acquired dyslexia, British Journal of Psychology, 1983 ; 74 : 159-80.
FUSTER J., The prefrontal cortex. Anatomy, Physiology and
neuropsychology of the frontal lobe. N.Y. : Raven Press, 1989.
FUSTER J., Prefrontal neurons in networks of executive memory, Brain
Research Bulletin, 2000 ; 52 : 331-6.
GATHERCOLE S., Cognitive approaches to the development of short-
term memory, Trends in Cognitive Science, 1999 ; 11 : 410-19.
GATHERCOLE S., MARTIN A., Interactive processes in phonological
memory. In S. Gathercole (ed), Models of short-term memory, Hove UK,
Lawrence and Erlbaum Associates Publishers, 1996.
GESCHWIND N., Dysconnection syndromes in animals and man, Brain,
1965 ; 88 : 237-294/585-644.

GESCHWIND N., The apraxias. Neural mechanisms of disorder of


learned movement, American Scientist, 1975 ; 63 : 188-95.
GILBOA A., Autobiographical and episodic memory -one and the
same ? Evidence from prefrontal activation in neuroimaging studies,
Neuropsychologia, 2004 ; 42 : 1336-49.
GILBOA A., WINOCUR G., GRADY C.L., HEVENOR S.J.,
MOSCOVITCH M., Remembering our past : functional neuroanatomy of
recollection of récent and very remote personal events. Cerebral Cortex,
2006 ; 14 : 1214-25.
GIROTTI F., MILANESE C., CASAZZA M. et al., Oculomotor
disturbances in Balint's s syndrome : anatomoclical findings and
electrooculographic analysis in a case, Cortex, 1982 ; 18 : 603-14.
GOBBlNl M., LEIBENLUFF E., SANTIAGO N., HAXBY J., Social and
emotional attachment in the neural representation of faces. Neurolmage,
2004 ; 22 : 1628-1635.
GOEL V., GRAFMAN J., Role of the right prefrontal cortex in ill-
structured planning, Cognitive Neuropsychology, 2000 ; 17 ; 415-36.
GOLDBERG G., MAYER N., TOGLIA J., Medial frontal cortex
infarction and the alien hand sign, Archives of Neurology, 1981 ; 38 : 683-
86.
GOLDENGERG G., Defective imitation of gestures in patients with
damage in the left or right hemisphere, Journal of Neurology, Neurosurgery
and Psychiatry, 1996 ; 61 : 176-80.
GOLDENGERG G., Is there a common substrate for visual recognition
and visual imagery ?, Neurocase, 1998 ; 4 : 141-47.
GOLDENBERG G., Neuropsychological assessment and treatment of
disorders of voluntary action, in P. Halligan, U. Kischka and J. Marshall
(eds), Oxford handbook of clinical neuropsychology, Oxford, Oxford
University Press, 2003a.
GOLDENBERG G., Goldstein and Gelb's case Schn : a classic case in
neuropsychology ?, in C. Code, C. Wallesch, Y. Joanette, A. Lecours (eds),
Classic cases in neuropsychology (Vol. 2), Hove, Psychology Press, 2003b.
GOLDSTEIN K., GELB A., Psychologische Analysen
hirnpathologischer Falle auf Grund von Untersuchungen Hirnverletzer,
Zeitschrift für die gesamte Neurologie und Psychiatrie, 1918 ; 1 : 1-142.
GOODALE M., JAKOBSON L., KEILLOR J., Differences in the visual
control of pantomimed and natural grasping movements, Neuropsychologia,
1994 ; 32 : 1159-78.

GOODALE M., MILNER A., JAKOBSON L. and CAREY D., A


neurological dissociation between perceiving objects and grasping them,
Nature, 1991 ; 349 : 154-56. GOODGLAss H., KAPLAN E., The
assessment of aphasia and related disorders, Philadelphia PA, Lea &
Febiger, 1972.
GORHAM R., A proverbs test for clinical and experimental use,
Psychological Report, 1956 ; 1 : 1-12.
GRAHAM K., HODGES J., Differentiating the role of the hippocampus
complex and neocortex in long-term memory storage : evidence from the
study of semantic dementia and Alzheimer disease, Neuropsychology,
1997 ; 3 : 13-36.
GRAHAM K., HODGES J., PATTERSON K., The relationship between
comprehension and oral reading in progressive fluent aphasia,
Neuropsychologia, 1994 ; 32 : 1165-216.

GREENBERG D., RICE H., COOPER J., CABEZA R., RUBIN D.,
LABAR K., Co-activation of the amygdala, hippocampus and inferior
frontal gyrus during autobiographical memory retrieval. Neuropsychologia,
2005 ; 43 : 659-674.
GREICIUS M., KRASNOW B., BOYETT-ANDERSON J., ELIEZ S. et
al., Regional analysis of hippocampal activation during memory encoding
and retrieval : fMRI study. Hippocampus, 2003 ; 13 : 164-74.
GROBER E., BUSCHKE H., Genuine memory deficits in dementia,
Developmental Neuropsychology, 1987 ; 3 : 13-36.
GROSSBERG G., Cholinesterase inhibitors for the treatment of
Alzheimer's disease : Getting on and staying on, Current Therapeutic
Research, 2003 ; 64 : 216-235.

GRONWALL D., Paced auditory serial addition task : a measure of


recovery from concussion, Perceptual and Motor Skills, 1977 ; 44 : 367-73.
GRUSSER S., WINTER C., MÜHLNICKEL W. et al., The relationship
of perceptual phenomena and cortical reorganisation in upper extremity
amputees, Neuroscience, 2001 ; 102 : 263-72.
HACHINSKI V., ILIFF L., ZILHKA E. et al., Cerebral blood flow in
dementia, Archives of Neurology, 1975 ; 32 : 632-7.
HALLIGAN P., FINK G., MARSHALL J., VALLAR G., Spatial
cognition, evidence from visual neglect, Trends in Cognitive Science, 2003,
7, 125-33.
HALLIGAN P., MANNING L., MARSIIALL J., Hemispheric activation
vs. spatio-motor cueing in visual neglect ; a case study, Neuropsychologia,
1991 ; 29 : 165-76.
HALLIGAN P., ZEAMAN A., BERGER A., Phantoms in the brain,
British Medical Journal, 1999 ; 319 : 587-88.
HARLEY T., Does cognitive neuropsychology have a future ?, Cognitive
Neuropsychology, 2004a ; 21 : 3-16.
HARLEY T., Promises, promises. Cognitive Neuropsychology, 2004b ;
21 : 51-56.
HAUW J., DUBOIS B., VERNY M., DUYCKAERTS C., La Maladie
d'Alzheimer, Paris, John Libbey Eurotext, 1997.
HAXBY J., GOBBINI L, FUREY M. et al., Distributed and overlapping
représentations of faces and objects in ventral temporal cortex, Science,
2001 ; 239 : 2425-30.

HAYWORTH K., BIEDERUIAN L, Neural evidence for intermediate


representations in object recognition. Vision Research, 2006 ; 46 : 4024-31.
HEAD H., Studies in neurology, Londres, Oxford University Press, 1920.
HEBB D., Organisation of behaviour, New York, Wiley, 1949.
HÉCAEN H., Les apraxies idéomotrices, essai de dissociation, in H.
Hécaen, M. Jeannerod (eds), Du contrôle moteur à l'organisation du geste,
Paris, Masson, 1978.

HÉCAEN H., ANGELERGUES R., Agnosia for faces, Archives of


Neurology, 1962 ; 7 : 92-100.
HÉCAEN H., ANGELERGUES R., La Cécité psychique, Paris, Masson,
1963.
HÉCAEN H., ANGELERGUES R., HOUILLIER S., Les variétés
cliniques des acalculies au cours des lésions rétrorolandiques. Approche
statistique du problème, Revue neurologique, 1961 ; 2 : 85-103.
HEILMAN K., ROTHI L., Apraxia. In K. Heilman, K. Valenstein (eds),
Clinical Neuropsychology, Oxford, Oxford University Press, 1993 (3d
edition).
HEILUIAN K., WATSON R., VALENSTEIN E., Neglect and related
disorders, in K. Heilman, K. Valenstein (eds), Clinical Neuropsychology,
Oxford, Oxford University Press, 1993 (3d édition).
HILL A., Phantom limb pain : a review of the literature on attributes and
potential mechanisms, Journal of Pain Symptom Manage, 1999 ; 17 : 125-
42.
HODGES J., GRAHAM K., Episodic memory : insights from semantic
dementia, Philosophical Transactions of the Royal Society, 2001 ; 356 :
1423-35.
HOLMES G., Disturbances of visual orientation, British Journal of
Ophthalmology, 1918 ; 2 : 449-68.
HOWARD D., ORCHARD-LISLE V., On the origin of semantic errors in
naming : evidence from the case of a global aphasic, Cognitive
Neuropsychology, 1984,1 : 163-90.
HOWES J., KATZ A., Assessing remote memory with improved public
events questionnaire, Psychological Aging, 1988 ; 3 : 142-50.
HUANG C., WAHLUND L., ALMKVIST O., ELEHU D.,
STEVENSON L. et al., Voxel and VOI-based analysis of SPECT CBF in
relation to clinical and psychological heterogeneity of mild cognitive
impairment, Neurolmage, 2003.
HULME C., MAUGHAM S., BROWN G., Memory for familiar and
unfamiliar words : evidence for a long-term memory contribution to short-
term memory span, Journal of Memory and Language, 1991 ; 30 : 685-701.
HUMPHREYS G., RIDDOCH J., To see but not see. A case study of
visual agnosia, Londres, Lawrence Erlbaum Associates, Publishers, 1987.
IORIO L., FALANGA A., FRAGASSI N., GROSSI D., Visual
associative agnosia and optic aphasia. A single case study and a review of
the syndromes, Cortex, 1992 ; 28 : 23-37.

ISHIHARA S., Ishihara's test for color blindness, Tokyo, Kanehara,


1983.
JACKSON M., WARRINGTON E., Arithmetic skills in patients with
unilateral cerebral lesions, Cortex, 1986 ; 22 : 610-620.
JACOBS J., Experiments on « prehension », Mind, 1887 ; 12 : 75-9.
JAMES W., The principles of psychology, New York, Holt Rinehart &
Winston, 1890.

JANET P., L'amnésie et la dissociation des souvenirs par l'émotion,


Journal de Psychologie Normale et Pathologique, 1904 ; 1 : 417-53.
JEANNEROD M., DECETY J., MICHEL F., Impairment of grasping
movements, Neuropsychologia, 1994 ; 32 : 369-80.
JOHNSTON B., HOGG J., SCHOPP L., KAPILA C., EDWARDS S.,
Neuropsychological deficit profiles in senile dementia of the Alzheimer's
type, Archives of Clinical Neuropsychology, 2002 ; 17 : 273-81.
JOKEIT H., MARKOWITSCH H.J., Aging limits plasticity of episodic
memory functions in response to left temporal lobe damage in patients with
epilepsy, Advances in Neurology, 1999 ; 81 : 251-258.
KANWISHER N., McDERMOTT J., CHUN M., The fusiform face
area : a module in human extrastriate cortex speciazed for ace perception.
Journal of Neuroscience, 1997; 17 : 4302-11.
KAPUR N., Syndromes of retrograde amnesia : a conceptual and
empirical synthesis, Psychological Bulletin, 1999 ; 6 : 800-25.
KAPUR N., ELLISON D., SMITH M., MCLELLAN D., BURROWS E.,
Focal retrograde amnesia following bilateral temporal lobe pathology,
Brain, 1992 ; 115 : 73-85.
KAPUR N., THOMPSON P., KARTSOUNIS L., ABBOTT P.,
Retrograde amnesia : clinical and methodological caveats,
Neuropsychologia, 1999 ; 37 : 27-30.
KAPUR N., YOUNG A., BATEMAN D., KENNEDY P., Focal
retrograde amnesia : a long term clinical and neuropsychological follow-up,
Cortex, 1989 ; 25 : 387-402.

KARTSOUNIS L., McCARTHY R., Neuropsychology, in W. Bradley, R.


Darof, G. Fenichel, C. Mardsen (eds), Neurology in clinical practice.
Butterworth Heinemann Chapter 39, pp. 677-97. 2000 (3d edition).
KARTSOUNIS L., RUDGE P., STEVENS J., Bilateral lesions of CA1
and CA2 fields of the hippocampus are sufficient to cause a severe amnesic
syndrome in humans, JNNP, 1995 ; 59 : 95-8.
KAY J., MARCEL T., One process not two in reading aloud : lexical
analogies do the work of non-lexical rules, Quarterly Journal of
Experimental Psychology, 1981 ; 40 : 397-413.
KIHLSTROM J., SCHACTER D., Functional amnesia, in F. Boller and
J. Grafman (Eds), Handbook of Neuropsychology, 2d edition (pp. 409-27),
Elsevier Science, 2000.

KINSBOURG M., Hemineglect and hemisphere rivalry. In E. Weinstein,


R. Friedland (eds), Advances in neurology, New York, Raven Press, 1977.
KLEIN S., LOFfUS J., KIHLSTROM J., Memory and temporal
experience : the effects of episodic memory loss on an amnesic's patient
ability to remember the past and imagine the future. Social Cognition,
2002 ; 20 : 353-79.
KLEIST K., Der Gang und der gegenwärtige Stand der Apraxie-
forschung, Ergebnisse der Neurologie und Psychiatrie, 1912 ; 1 : 342-452.
KOPELMAN M., Focal retrograde amnesia and the attribution of
causality -an exceptionally critical review, Cognitive Neuropsychology,
2000 ; 17 : 585-621.
KOPELMAN M., KAPUR N., The loss of episodic memories in
retrograde amnesia : single-case and group studies, Phil Trans. of the Royal
Soc. London. B, 2001 ; 356 : 1409-22.

KOPELMANN M., WILSON B., BADDELEY A., The


Autobiographical Memory Interview : a new assessment of
autobiographical and personal semantic memory in amnesic patients, J Clin
Exp Neuropsychol, 1989 ; 11 : 724-44.
KOSSLYN S., PASCUAL-LEONE A., FELICIAN O. et al., The role of
area 17 in visual imagery : convergent evidence from PET and rTMS,
Science, 1999 ; 284 : 167-70.

KREMIN H., Selective impairment of action naming : arguments and


case study. In D. Hillert (ed), Linguistic and cognitive neurosciences.
Theoretical and empirical studies in language disorders (pp. 62-82),
Opladen, Westdeutscher Verlag, 1994.

KREMIN H., L'accès au lexique en dénomination d'images : problèmes


actuels. In L. Manning (ed), Neuropsychologie cognitive clinique. Revue
Française de Psychologie, 2002, 47,77-91.
KREIVIIN H., BEAUCHAMPS D., PERRIER D., Naming without
picture comprehension ? A propos the oral naming and semantic
comprehension of pictures by patients with Alzheimer disease,
Aphasiology, 1994 ; 8 : 291-94.
KROLL N., ROCHA D., YONELINAS A., BAYNES K., FREDERICK
C., Form-specific visual priming in the left and right hemispheres, Brain
and Cognition, 2002 ; 3 : 564-69.

LABRECQUE R., Le syndrome occipital, in M. Botez (ed),


Neuropsychologie clinique et neurologie du comportement, Paris, Masson,
1996.
LAFLÈCHE G., ALBERT M., Executive function deficits in mild
Alzheimer's disease, Neuropsychology 1995 ; 9 : 313-20.
LAMBON RALPH M., Reconnection cognitive neuropsychology :
commentary on Harley's Does cognitive neuropsychology have a future ?
Cognitive Neuropsychology, 2004 ; 21 : 31-35.
LAMBON RALPH M., ELLIS A., FRANKLIN S., Semantic loss
without surface dyslexia, Neurocase, 1995 ; 1 : 363-69.
LARRABEE G., LEVIN H., GUINTO F., Visual agnosia contrasted with
visual-verbal disconnetion, Neuropsychologia, 1985 ; 23 : 1-12.
LAVENU L, PASQuIER F., Perception of émotion on faces in
frontotemporal dementia and Alzheimer's disease : a longitudinal study,
Dement Geriatr Cogn Disord., 2005 ; 19 : 37-41.
LECOURS A., LHERMITTE F., L'Aphasie, Paris, Flammarion, 1979.
LEFF A., CREWES G., PLANT S. et al., The functional anatomy of
single-word reading in patients with hemianopic and pure alexia, Brain,
2001 ; 124 : 510-21.
LEVI O., JONGEN-RELO A., FELDON J., ROSES A., MICHAELSON
D., ApoE4 impairs hippocampal plasticity isoform-specifically and blocks
the environmental stimulation of synaptogenesis and memory,
Neurobiology of Disease 2003,13 : 273-83.
LEVINE B., TURNER G., TISSERAND D., HEVENOR S., GRAHAM
J., MCINTOSH A., The functional neuroanatomy of episodic and semantic
autobiographical remembering : A prospective functional MRI study.
Journal of Cognitive Neuroscience, 2004 ; 16 : 1633-1646.
LEZAK M., Neuropsychological assessment, Oxford, Oxford University
Press, 1995 (3d edition).
LHERMITE F., « Utilisation behaviour » and its relation to lesions of the
frontal lobes, Brain, 1983 ; 106 : 237-55.
LICHTHEIM L., On aphasia, Brain, 1885 ; 7 : 433-84.
LIEPMANN H., 1900, in D. Rottenberg et F. Hochberg (eds),
Neurological classics in modern translation, New York, Hafner, 1977.
LIEPMANN H., 1908. Agnosic disorders (clasical article), Cortex,
2001 ; 37 : 547-53.

LIEPMANN H., Apraxia, Ergebnisse der Gesamten Medizin, 1920 ; 1 :


516-43.
LISSAUER H., Ein Fall von Seelenblindheit nebst einem Beitrag zur
Theorie derselben, Archiv für Psychiatrie und Nevenkrankheiten, 1890 ;
21 : 222-70. Traduit de l'anglais par Marianne Jackson ; « Lissauer on
agnosia », Cognitive Neuropsychology, 1988, 5 : 155-92.
LOGIE R., Visuo-spatial processing in working memory. Quartely
Journal of Experimental Psychology, 1986, 38A : 229-47.
LOPES M., BOTTINO C., Prevalence of dementia in several regions of
the world : analysis of epidemiologic studies from 1994 to 2000, Arquivos
de Neuropsyquiatria, 2002 ; 60 : 61-9.
LURIA A., Disorders of "simultaneous perception" in a case of bilateral
occipito-parietal brain injury, Brain, 1959 ; 83 : 437-49.
LURIA A., The Working Brain, Londres, Penguin, 1973.
LURIA A., HUTTON J., A modern assessment of the basic forms of
aphasia, Brain and Language, 1977 ; 4 : 129-51.
MACK J., LEVINE R., The basis of visual constructional disability in
patients with unilatéral cerebral lesion, Cortex, 1981 ; 17 : 515-32.
MACKINNON A., RITCHIE K., MULLIGAN R., The measurement
properties of a French language adaptation of the National Adult Reading
Test, International Journals of Methos in Psychiatry, 1999 ; 8 : 27-38.
MACLEOD C., Half a century of research on the Stroop effect : an
integrative review, Psychological Bulletin, 1991 ; 109 : 163-203.
MACLEOD A., BUCKNER R., MIEZIN F., PETERSEN S., RAICHLE
E., Right anterior prefrontal cortex activation during semantic monitoring
and working memory, Neuroimage, 1998 ; 7 : 41-8.
MADOCK R., GARRETT A., BUONOCUORE M., Remembering
familiar people : the posterior cingulate cortex and autobiographical
memory retrieval. Neuroscience, 2001 ; 104 : 667-76.
MAGUIRE E., Neuroimaging, memory and the human hippocampus,
Rev Neurol, 2001 ; 157 : 791-94.
MAGUIRE E., Neuroimaging studies of autobiographical event memory.
Phil Trans. Of the Royal Soc. London. B. 2001b, 356 : 1441-53.
MAGUIRE E., VARGHA-KAHADEM F., MISHKIN M., The effects of
bilatéral hippocampal damage on fMRI regional activations and interactions
during memory retrieval, Brain, 2001 ; 124 : 1156-70.
MAGUIRE E., FRITH C., Aging affects the engagement of the
hippocampus during autobiographical memory retrieval. Brain, 2003a; 126,
1511-23.
MAGUIRE E., FRITH C., Lateral asymmetry in the hippocampal
response to the remoteness of autobiographical memories. Journal of
Neuroscience, 2003b ; 23 : 5302-07.
MAGUIRE R., HENSON R., MUMMERY C., FRITH C., Activity in
prefrontal cortex, not hippocampus, varies parametrically with the
increasing remotness of memory. NeuroReport, 2001 ; 12 : 441-44.
MAGUIRE E., MUMMERY C., Differential modulation of a common
memory retrieval network revealed by positron emission tomography.
Hippocampus, 1999 ; 9 : 54-61.
MANLY T., ROBERTSON I., The rehabilitation of attentional deficits.
In P. Halligan, U. Kischka and J. Marshall (eds), Oxford handbook of
clinical neuropsychology, Oxford, Oxford University Press, 2003.
MANNING L., Loss of visual imagery and defective recognition of parts
of wholes in optic aphasia, Neurocase. 2000 ; 6, 111-28.
MANNING L., Neuropsychological assessment of selected clinical
disorders, European Journal of Psychological Assessment, 2001 ; 17 : 79-
86.
MANNING L., Focal retrograde amnesia documented with matching
anterograde and retrograde procedures, Neuropsychologia, 2002a ; 40,28-
38.
MANNING L., Reconnaître et imaginer : un nouveau regard sur une
vision ancienne, in L. Manning (ed.), Neuropsychologie cognitive et
clinique. Numéro spécial de la Revue de psychologie française, 2002b ; 47 :
67-76.
MANNING L., The assessment and treatment of visuospatial, imaginal,
and constructional processes, in P. Halligan, U. Kischka and J. Marshall
(eds), Oxford handbook of clinical neuropsychology, Oxford, Oxford
University Press, 2003.
MANNING L., Anticipation et mémoire prospective : l'approche de la
neuropsychologie cognitive, in (eds), L'anticipation à l'horizon du présent,
Liège, Mardaga, 2004.
MANNING L., BERALDI A., SELLAL F. (Communication), Episodic
autobiographical memory in a case of bilateral hippocampal atrophie, The
nature of hippocampal-cortical interaction, Dublin, 2000.
MANNING L., CAMPBELL R., Optic aphasia with sparing action
naming : a description and possible loci of impairment, Neuropsychologia,
1992 ; 30 : 587-92.
MANNING L., CAMPBELL R., Perception et imagerie mentale des
couleurs chez un patient atteint d'aphasie optique, Revue de
neuropsychologie, 1993 ; 4 : 419-34.
MANNING L., CHASSAGNON S., HIRSCH E. et al., Selective
memory impairment for public events in a patient with left temporal
epilepsy, Epilepsy Research, 2005a ; 64 : 45-7.
MANNING L., COIN V., Une approche écologique de la rééducation des
signes frontaux, Mémoire de DESS, Université de Savoie, 1996.
MANNING L., DENKOVA E., Neuroimagerie fonctionnelle de
l'interaction des systèmes mnésiques sémantique et autobiographique. In B.
Michel et A-M Ergis (eds), Âge et mémoire : langage et sens. Marseille :
Solal, 2007.
MANNING L., HALLIGAN P., MARSHALL J., Individual variations in
line bisection : a study of normal subjects with the application to the
interpretation of visual neglect, Neuropsychologia, 1990; 28 : 647-55.
MANNING L., KARTSOUNIS L., Confabulations related to tacit
awareness in visual neglect, Behavioural Neurology, 1993 ; 6 : 211-13.
MANNING L., MARTIN P., MUNOZ P., Patron inverso de asimetria
funcional cerebral en un caso de afasia cruzada, Revista de Psicologia
General y Aplicada, 1992 ; 45 : 169-76.
MANNING L., PIEROT L., DUFOUR A., Anterior and nonanterior-
ruptured aneurysms : memory and frontal function performance following
coiling, European Journal of Neurology, 2005b ; 12 : 66-74.
MANNING L., SELLAL F., Hypothalamic amnesia and frontal lobe
function disorders after Langerhans cell histiocytosis, Journal of Neurology,
Neurosurgery and Psychiatry, 2003 ; 74 : 1348.
MANNING L., VOLTZENLOGEL V., CHASSAGNON S. et al., Déficit
sélectif de la mémoire des faits publics associés à un oubli accéléré chez un
patient atteint d'épilepsie du lobe temporal gauche, Revue neurologique,
2006.
MANNING L., WARRINGTON E., The role of familiar letter
combination in phonological dyslexia, Neurocase, 1995 ; 1 : 239-49.
MANNING L., WARRINGTON E., Two routes to naming : a case study,
Neuropsychologia, 1996 ; 34 : 809-17.
MARKOWITSCH H., Organic and psychogenic retrograde amnesia :
two sides of the same coin ?, Neurocase, 1996 ; 2 : 357-71.
MARKOWITSCH H., Varieties of memory : systems, structures,
mechanisms of disturbance, Neurology, Psychiatry and Brain Sciences,
1997 ; 5 : 37-56.
MARKOSITSCH H., Functional neuroimaging correlates of functional
amnesia Memory, 1999a ; 7 : 561-83.
MARKOWITSCH H., Repressed memories, in E. Tulving (ed), Memory,
consciousness and the brain. (pp. 319-330), Londres, Psychology Press,
1999b.
MARKOWITSCH H., FINK G., THONE A., KESSLER J., HEISS W.,
Persistent psychogenic amnesia with a PET proven organic bases, Cognitive
Neuropsychiatry, 1997 ; 2 : 135-58.
MARKOWITCH H., KESSLER J., VAN DERT VEN C., WEBER G.,
HEISS W., Psychic trauma causing grossly reduced brain metabolism and
cognitive deterioration, Neuropsychologia, 1998 ; 36 : 77-82.
MARKOWITCH H., THIEL A., REINKEIVIEIER M. et al., Right
amygdalar and temporofrontal activation during autobiographic, but not
during fictitious memory retrieval, Behavioural Neurology, 2000 ; 12 : 181-
90.
MAROTTA J., BEHRNIANN M., Patient Schn : has Goldtein and Gelb's
case withstood the test of time ?, Neuropsychologia, 2004 ; 42 : 633-38.
MARR D., Early processing of visual information, Philosophical
Transactions of the Royal Society of London. B, 1976 ; 275 : 483-524.
MARR D., Vision, San Francisco, CA, Freeman, 1982.
MARR D., Vision : the philosophy and the approach., in A. Aitkenhead,
J. Slack, Issues in cognitive modeling, New Jersey, Lawrence Erlbaum
Associates Publishers, 1987.
MARSHALL J., Neuropsychology, past, présent and future. In P.
Halligan, U. Kischka and J. Marshall (eds), Handbook of clinical
Neuropsychology, Oxford, Oxford University Press, 2003.
MARSHALL J., HALLIGAN P., Blindsight and insight in visuo-spatial
neglect, Nature (Londres), 1988 : 336 : 766-67.
MARSHALL J., NEWCOMBE F., Patterns of paralexia : a
psycholinguistic approach, Journal of Psycholinguistic Research, 1973 ; 2 :
175-99.
MASON M., NORTON M., VAN HORN J., WEGNER D. et al.
Wanering minds : the default network and stimulus-independent thought.
Science, 2007 ; 315 : 393-5.
MAYES A., MONTALDI D., Exploring the neural bases of episodic and
semantic memory : the role of structural and functional neuroimaging,
Neurosciences and Behavioural Reviews, 2001 ; 25 : 555-75.
MAZAUX J.M., ORGOGOZO J.M., BDAE-F. Boston Diagnostic
Aphasia Examination. Issy-les-Moulineaux : Éditions Scientifiques et
Psychologiques ; 1981.
McANDREWS M., GLISKY E., SCHACTER D., When priming
persists : long-lasting implicit memory for a single episode in amnesic
patients, Neuropsychologia, 1987 ; 25 : 497-506.
McCARTHY R., WARRINGTON E., Cognitive neuropsychology : a
clinical introduction, San Diego, Academic Press, 1990. (Traduction
française : Stanislas Dehaene ; Neuropsychologie cognitive. Une
introduction clinique, Paris, PUF, 1994).
MCCLOSKEY M., CARAMAZZA A., BASILI A., Cognitive
mechanisms in number processing and calculation : evidence from
dyscalculia, Brain and Cognition, 1985 ; 4 : 171-96.
McKAHANN G., DRACHMAN D., FOLSTEIN M., KATZMAN R.,
PRICE D., STADLAN E., Clinical diagnosis of Alzheimer's disease,
Repport of the NINCDS-ADRD work group under the auspices of the
Department of Health and Human Services Task Force on Alzheimer's
disease, Neurology, 1984 ; 34 : 939-44.
McKElTH I., GALASKO D., KOSAKA K. et al., Consensus guidelines
for the clinical and pathologic diagnosis of dementia with Lewy bodies
(DLB) : report of the consortium on DLB international workshop,
Neurology, 1996 ; 47 : 1113-24.
MELZACK R., Phantom limb and the concept of a neuromatrix, Trends
in Neurosciences, 1990 ; 13 : 88-92.
MILBERG W., ALBERT M., Cognitive differences between patients
with progressive supranuclear palsy and Alzheimer's disease, J Clin Exp
Neuropsychol., 1989 Oct; 11 (5): 605-14.
MILLER E., History of psychiatry, 1993 ; 4 : 271-74 (Reprint : Harlow J.
Recovery from the passage of an iron bar through the head, 1868.).
MILNER B., Effects of different lesions on card sorting, Archives of
Neurology, 1963 ; 9 : 100-10.
MILNER B., Some effects of frontal lobectomy in man, in J. Warren, K.
Akerk (eds), The frontal granular cortex and behaviour, New York,
McGraw Hill, 1964.
MILNER B., CORKIN S., TEUBER H., Further analysis of the
hippocampal amnesic syndrome : fourteen years follow-up study of HM,
Neuropsychologia, 1968 ; 6 : 215-34.

MORTON J., PATTERSON K., A new attempt at an interpretation or an


attempt at a new interpretation. In M. Coltheart, K. Patterson et J. Marshall
(eds), Deep dyslexia, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1980.
MOSCOVITCH M., Memory and working-with-memory : a component
process model based on modules and central system. Journal of Cognitive
Neuroscience, 1992 ; 4 : 257-67.
MOSCOVITCH M., WINOCUR G., BEHRMAN M., What is special
about face recognition ? Nineteen experiments on a person with visual
object agnosia and dyslexia but normal face recognition, Journal of
Cognitive Neuroscience, 1997 ; 9 : 555-604.

MUNK H., Über die funktionen der Grosshirnrinde, Berlin, Hirschwald,


1881.
NADEL L., MOSCOVITCH M., Memory consolidation, retrograde
amnesia and the hippocampal complex, Current Opinion in Neurobiology,
1997 ; 7,217-227.
NADEL L., SAMSONOViCH A., RYAN L., MOSCOVITCH M.,
Multiple trace theory of human memory : computation, neuroimaging, and
neuropsychological results, Hippocampus, 2000 ; 10 : 352-68.
NAUTA W., The proble of the frontal lobes : a reinterpretation, Journal
of Psychiatric Research, 1971 ; 8 : 167-87.
NELSON H., A modified card sorting test sensitive to frontal lobe
defects, Cortex, 1976 ; 12 : 313-24.
NESTOR P., SCHEMTENS P., HODGES J., Advances in early détection
of Alzheimer disease, Nature Review Neurosciences, juillet 2004
(http://www.nature.com/naturemedecine ).
NORMAN D., SHALLICE T., Attention to action : willed and automatic
control of behaviour. Centre for human information processing.
Consciousness and Self-Regulation, Vol. 4, N.Y., Plenum Press, 1986.
NORTHOFF G, BERMPOHL F. Cortical middle structures and the self.
Trends in Cognitive Sciences, 2004 ; 8 : 102-7.
NORTHOFF G., HEINZEL A., DE GRECK M., BERMPOHL F.,
DOBROWOLNY H., PANKSEPP J., Self-referential processing in our
brain. A meta-analysis of imaging studies on the self. Neuroimage, 2006 ;
31 : 440-457.
NEWTON P., BARRY C., Concreteness effects in word production but
not word comprehension in deep dyslexia, Cognitive Neuropsychology,
1997 ; 14 : 481-509.

OKUDA J., FUJII T., OHTAKE H., TSUKIURA T. et al., Thinking of


the future and past : the roles of the frontal pole and the medial temporal
lobes. Neurolmage, 2003 ; 19 : 1369-80.
OKUDA J., TOSHIKATSU F., ATSUSHI Y. et al., Participation of the
prefrontal cortices in prospective memory : évidence from a PET study in
humans, Neuroscience Letters, 1998 ; 253, 127-30.
OLDFIELD R., The assessment and analysis of handedness : the
Edinburgh Inventory, Neuropsycnologia, 1971 ; 9 : 97-113.
ONGUR D., FERRY A.T., PRICE J.L., Architectonic subdivision of the
human orbital and medial prefrontal cortex., J. Comp. Neurol., 2003 ;
460,425-49.
OSTERRIETH P.A., Le test de copie d'une figure complexe, Archives de
Psychologie, 1944 ; 30 : 206-356.
OWEN A. et al., Contrasting mechanisms of impaired attentional set-
shifting in patients with frontal lobe damage or Parkinson's disease, Brain,
1993 ; 116 : 1159-75.

OWEN A., HERA today, gone tomorrow ? Trends in Cognitive Sciences,


2003 vol.7, No.9, 383-4.
PALLER K., RANGANATH C., GONSALVES B., LABAR K.,
PARRISH T., GITELMAN D., MESULAM M., REBER P., Neural
correlates of person récognition. Learning and Memory, 2003 ; 10 : 253-
260.
PATERSON A., ZANGWILL O., Disorders of visual space perception
associated with lesions of right cerebral hemisphere, Brain, 1944 ; 67 : 331-
58.
PERANI D., BRESI S., CAPPA S., VALLAR G., ALBERONI M.,
GRASSI F. et al., Evidence of multiple memory systems in the human
brain : a [18] FDG PET metabolic study, Brain, 1993 ; 116 : 1637-41.
PERRET E., The left frontal lobe in man and the suppression of habitual
responses in verbal categorical behaviour, Neuropsychologia, 1974 ; 12 :
323-30.
PESCHANSKI M., BACHOUD-LÉVI A.C., HANTRAYE P., Integrating
foetal neural transplants into a therapeutic strategy : the example of
Huntington's disease, Brain, 2004 ; 127 : 1219-28.
PESENTI M., SERON X., NOËL M.P., Les troubles du calcul et du
traitement des nombres. In X. Seron et M. Van der Linden (eds), Traité de
Neuropsychologie clinique, tome I., Marseille, Solal, 2000.
PETRELLA J., COLEMAN E., DORAISWAMY M., Neuroimaging and
early diagnosis of Alzheimer disease : a look to the future, Radiology,
2003 ; 226 : 315-36.
PHAN K., WAGER T., TAYLOR S.F., LIBERZON I., Functional
neuroanatomy of emotion : a meta-analysis of emotion activation studies in
PET and fMRI. Neurolmage, 2002 ; 16 : 331-48.
PICK A., Studien über motorische Apraxie und ihr nahestehende
Eirscheinungen, Leipzig, Deuticke, 1905.
PIECZURO A., VIGNOLO L., Studio sperimentale sulla aprassia
ideomotoria, Sistema Nervoso, 1967 ; 19 : 131-43.
PIERCY M., HÉCAEN H., AJURIAGUERRA J., Constructional apraxia
associated with unilateral cerebral lesion, left and right sided cases
compared, Brain, 1960 ; 83 : 225-42.

PIOLINO P., DES GRANGES B., EUSTACHE F., La mémoire


autobiographique : théorie et pratique, Marseille, Solal, 2000.
PIOLONO P., GIFFARD-QUILLON G., DESGRANGES B.,
CHETELAT G., BARON J., EUSTACHE F., Re-experiencing old
memories via hippocampus : a PET study of autobiographical memory.
Neurolmage, 2004 ; 22 : 1371-83.
PLAUT D., MCCLELLAND J., SEIDENBERG M., PATTERSON K.,
Understanding normal and impaired word reading : computational
principles in quasi regular domains, Psychological Review, 1996 ; 103 : 56-
115.
PLAUT D., SHALLICE T., Deep dyslexia, a case study of connectionist
neuropsychology, Cognitive Neuropsychology, 1993 ; 10 : 377-500.
POLLMANN S., Switching between dimensions, locations, and
responses : the role of the left frontopolar cortex, Neuroimage 2001 ; 14,
S118-24.
PONSFORD J., KINSELLA G., The use of a rating scale of attentional
behaviour, Neuropsychological Rehabilitation, 1991 ; 1 : 241-57.
POSNER M., WALKER J., FRIEDRICH F., RAFAL R., Effects of
parietal injury on covert orienting of attention, Journal of Neuroscience,
1984 ; 4 : 1863-74.
POWELL H., DUNCAN J., Functional magnetic resonance imaging for
assessment of language and memory in clinical practice. Current Opinion in
Neurology, 2005 ; 18 : 161-166.
PRIBRAM K., The primate frontal cortex - executive of the brain. In K.
Pribram, A. Luria (eds), Psychology of the frontal lobes, New York,
Academic Press, 1973.
PTACK R., BIRTOLI B., IMBODEN H. et al., Hypothalamic amnesia
with spontaneous confabulations : a clinicopathological study, Neurology,
2001 ; 56 : 1597-600.
PUCE A., SMITH A., ALLISON T., ERP's evoked by viewing facial
movements, Cognitive Neuropsychology, 2000 ; 17 : 221-40.
RAMACHANDRAN V., HIRSTEIN W., The perception of phantom
limbs. The D Hebb Lectures, Brain, 1998 ; 121 : 1603-30.
RAMNANI N., OWEN A., Anterior prefrontal cortex : insights into
function from anatomy and neuroimaging, Nature Reviews, 2004 ; 5 : 184-
94.
RAPP B., HILLIS A., CARAMAZZA A., The role of representations in
cognitive theory : more on the multiple semantics and agnosias. Cognitive
Neuropsychology, 1993 ; 10 : 235-249.
RATCLIFFE G., NEWCOMBE F. Spatial orientation in man. Effects of
left, right and bilateral posterior cerebral lesions, Journal of Neurology,
Neurosurgery and Psychiatry, 1973 ; 36 : 448-54.
RATCLIFFE G., NEWCOMBE F., Object recognition : some deductions
from the clinical evidence. In A. Willis (ed), Normality and pathology in
cognitive functions, New York, Academic Press, 1982.
RAVEN J., Guide to using the coloured progressive matrices, Londres,
HK Lewis, 1965.

RAVEN J., Advanced progressive matrices, Windsor, NFER-Nelson,


1985.
REY A., L'Examen clinique en Neuropsychologie, Paris, PUF, 1964.
RIDDOCH G., Visual disorientation in homonymous half-field, Brain,
1935 ; 58 : 376-82.

RIDDOCH J., Loss of visual imagery : a generation deficit, Cognitive


Neuropsychology, 1990 ; 7 : 249-76.
RIDDOCH J., HUMPHREYS G., Visual object processing in optic
aphasia : A case of semantic access agnosia, Cognitive Neuropsychology,
1987 ; 4 : 131-85.
ROBERT P., LAFONT V., SNOWDEN J., LEBERT F. Traduction
française des critères "Frontotemporal lobar degenerartion", 1999.
ROBERTSON L, HALLIGAN P., Spatial neglect: a clinical handbook
for diagnosis and treatment, Hove, East Sussex, Lawrence Earlbaum
Associates Publishers, 1999.
ROTH M., TYM E., MOUNTJOY C., HUPPERT F., HENDRIE H.,
VERMA S. et al., A standardised instrument for the diagnosis of mental
disorder in the elderly with special reference to the early detection of
dementia, British Journal of Psychiatry, 1986; 149: 698-709.
ROTHI L., HEILMAN K., Ideomotor apraxia : gestural learning and
memory. In E. Roy (ed), Neuropsychological studies in apraxia and related
disorders, New York, Oxford University Press, 1985.
ROTHI L., OCHIPA C., HEILMAN K., A cognitive neuropsychological
model of limb praxis, Cognitive Neuropsychology, 1991 ; 8 : 443-58.
ROTHI L., OCHIPA C., HEILNIAN K., A cognitive neuropsychological
model of limb praxis. In L. Rothi, K. Heilman (eds.), Apraxia. The
neuropsychology of action, Hove East Sussex, Taylor et Francis, 1997.
SBBAH C., CHABERT C., MANNING L., BAKCHINE S. (1997),
L'effet du type de logatome sur la lecture. Mémoire pour le certificat de
capacité d'orthophoniste, Université de Paris 6, EFR Pitié-Salpêtrière (non
publié).
SCHACTER D., Searching for memory. The brain, the mind and the
past, N.Y. : Harper Collins Publishers, 1996. Traduction française : B.
Desgranges et F. Eustache ; À la recherche de la memoire, Bruxelles, De
Boeck, 1999.
SCHACTER D., CHURCH B., Auditory priming : implicit and explicit
memory for words and voices, Journal of Experimental Psychology :
Learning, Memory and Cognition, 1992 ; 18 : 915-36.
SCOTT S., HOLMES A., FRISTON K., WISE R., A thalamo-prefrontal
system for représentation in executive response choice, Neuroreport, 2000 ;
11 : 1523-27.
SCOVILLE W.B., MILNER B., Loss of recent memory after bilateral
hippocampal lesions, Journal of Neurology, Neurosurgery and Psychiatry,
1957 ; 20 : 11-21.
SEMENZA C., Assessing disorders of awareness and representations of
body parts. In P. Halligan, U. Kischka and J. Marshall (eds), Oxford
handbook of clinical neuropsychology, Oxford, Oxford University Press,
2003.
SERON X., La Neuropsychologie cognitive. Paris, PUF, « Que Sais-je ?
», 3e éd. 1997.
SERON X., L'examen clinique en neuropsychologie de Geschwind à nos
jours, in L. Manning (ed.), Neuropsychologie cognitive et clinique,
Psychologie française, 2002 ; 47 : 7-22.
SHALLICE T., Specific impairments of planning, Philosophical
Transactions of the Royal Society of London B., 1982 ; 298 : 199-209.
SHALLICE T., From neuropsychology to neural structures, New York,
Cambridge, University Press, 1988.
SHALLICE T., Multiple semantics : whose confusions ? Cognitive
Neuropsychology, 1993 ; 10 : 251-261.
SHALLICE T., On Harley on Rapp, Cognitive Neuropsychology, 2004 ;
21 : 41-43.
SHALLICE T., BURGESS P., Deficits in strategy application following
frontal lobe damage in man, Brain, 1991 ; 114 ; 727-41.
SHALLICE T., EVANS M., The involvement of the frontal lobes in
cognitive estimation, Cortex, 1978 ; 14 : 294-303.
SHALLICE T., WARRINGTON E., Auditory-verbal short term memory
and spontaneous speech, Brain and Language, 1977 ; 4 : 479-91.
SHELTON J., FOUCH E., CARAMAZZA A., The selective sparing of
body parts knowledge : a case study, Neurocase, 1998 ; 4 : 339-51.
SHERRY D., SCHACTER D., The evolution of multiple memory
systems, Psychological Review, 1987 ; 94 : 439-454.
SHIMAMURA A., JANOWSKY J., SQUIRE L., What is the role of
frontal lobe damage in memory disorders ? In H. Levine, H. Eisenberg et A.
Benton (eds), Frontal lobe function and dysfunction (pp. 173-198). Oxford :
Oxford University Press, 1991.
SHOULSON I., Experimental therapeutics of neurodegenerative
disorders : unmet needs, Science 1998 ; 282 : 1072-83.
SILVERMAN D., SMALL G., CHANG C., Positon emission
tomography in evaluation of dementia : regional brain metabolism and
long-term outcome, JAMA, 2001 ; 286 : 2120-27.
SIMONS J., Episodic learning in semantic dementia, University of
Cambridge, UK, 2000.
SLOAN P., ZIMMERMAN S., SUCHINDRAN C., REED P., WANG L.,
BOUSTANI M.,
SUDHA S., The public health impact of Alzheimer disease, 2000-2050,
Annual Revue of Public Health, 2002 ; 23 : 213-31.
SOLFRIZZI V., PANZA F., TORRES F., CAPURSO C., D'INTRONTO
A. et al., Selective attention skills in differentiating between Alzheimer
disease and normal aging, Journal of Geriatric Psychiatry and Neurology,
2002 ; 15 : 99-109.
SQUIRE L., Memory and brain. NY : Oxord University Press, 1987.
SQUIRE L., KNOWLTON B., MUSEN G., The structure and
organization of memory, Annual Review of Psychology, 1993 ; 44 : 453-95.
SQUIRE L., ZOLA-MORGAN M., The medial temporal lobe memory
system, Science, 1991 ; 253 : 1380-86.
STEINVORTH S., LEVINE B., CORKIN S., Medial temporal lobe
structures are needed to reexperience remote autobiographical memories :
evidence from H. M. and W. R., Neuropsychologia, 2005 ; 43 : 479-96.
STERN R., MOHS R., DAVIDSON M., SCHMEIDLER J.,
SILVERMAN J. et al., A longitudinal study of Alzheimer's disease :
Measurement, rate and predictors of cognitive deterioration, American
Journal of Psychiatry 1994 ; 151 : 390-96.
STONE V., An evolutionary perspective on Domain-Specificity in social
intelligence. In P. Winkielman et E. Harmon-Jones (eds.), Social cognitive
Neurosciences. N.Y. : Guilford, 2007.
STONE V., BARON-COHEN S., KNIGHT R.T., Frontal lobe
contributions to theory of mind, Journal of Cognitive Neuroscience, 1998 ;
10 : 640-56.
STONE V., BARON-COHEN S., CALDER A., YOUNG A., Acquired
theory of mind impairments in individuals with bilateral amygdala lesions.
Neuropsychologia, 2003 ; 41 : 209-22.
STROOP J., Studies of interference in serial verbal reactions, Journal of
Experimental Psychology, 1935 ; 18: 643-62.
STUSS D., GALLUP G., ALEXANDER P., The frontal lobes are
necessary for "theory of mind", Brain, 2001a ; 124.
STUSS D., LEVINE B., ALEXANDER M. et al., Wisconsin Card
Sorting Test performance in patients with focal frontal and posterior brain
damage : effects of lesion location and test structure on separable cognitive
processes, Neuropsychologia, 2001b ; 38 : 388-402.
SUDDENDORF T. & CORBALLIS M. C., Mental time travel and the
evolution of the human mind. Genetic Social and General Psychology
Monographs, 1997 ; 123 : 133-67.

SVOBODA E., McKINNON M., LEVINE B., The functional


neuroanatomy of autobiographical memory : a meta-analysis.
Neuropsychologia, 2006 ; 44 : 2189-2208.

SZPUNAR K., WATSON J., McDERMOTT K., Neural substrates of


envisioning the future. PNAS 2007 ; 104 : 642-47.
TAYLOR J. (ed.), Selected writings of John Hughlings Jackson, Londres,
Hodder & Stoughton, 1932.
TEUBER H., Alterations of perception and memory in man. In L.
Weiskrantz (ed.), Analysis of behavioural change, New York, Harper and
Row, 1968.
TEUBER H., Neglected aspects of the post-traumatic syndrome. In A.
Walker, W. Caveness & M. Critchley (eds), The late effects of head injury,
Springfield, Illinois, Thomas, 1969.
THOMAS-ANTÉRION C., GUINVARCH S., RODE G., Mémoires
antérogrades et rétrogrades après un traumatisme crânien : recherche de
corrélations chez neuf patients, Annuaire de Réadaptation Médicale et
Physique, 1997 ; 40 : 519-26.
THOMAS-ANTÉRION C., LAURENT B., LEMESLE B., LAPORTE
S., MICHEL D., Étude de la mémoire rétrograde événementielle chez les
traumatisés crâniens, Annuaire de Réadaptation Médicale et Physique,
1994 ; 37 : 381-88.
THURSTONE L., Primary mental abilities, Chicago, Chicago University
Press, 1938.
TOLMAN E., Cognitive maps in rats and men, The Psychological
Review, 1948 ; 55 : 189-208.

TSUKIURA T., FUJII T., OKUDA J., OHTAKE H., KAWASHIMA R. et


al., Time-dependent contribution of the hippocampal complex when
remembering the past : a PET study. NeuroReport, 2002 ; 13 : 2319-23.
TULVING E., Episodic & semantic memory. In Organisation of memory,
ed. E. Tulving, W. Donaldson, pp. 381-403, NY, Academic Press, 1972.
TULVING E., Elements of Episodic Memory, Oxford, Clarendon, 1983.
TULVING E., Memory and consciousness, Canadian Psychologist, 1985 ;
26 : 1-12.

TULVING E., Episodic memory and common sense : how far apart ?,
Phil Trans. of the Royal Soc. Londres. B, 2001 ; 56 : 1505-15.
TULVING E., Episodic memory and autonoesis : uniquely human ? In H.
Terrace and J. Metcalfe (eds), The missing link in cognition : self-knowing
consciousness in animal and man. NY : Oxford University Press, 2005.
TULVING E., KAPUR S., CRAIK F. et al., Hemispheric
encoding/retrieval asymmetry in episodic memory : positron emission
tomography findings, Proceedings of the National Academy of Sciences,
1994 ; 91 : 2016-20.
TULVING E, SCHACTER D., McLACHLAN R., MOSCOVITCH M.,
Priming of semantic autobiographical knowledge : a case study o retrograde
amnesia. Brain and Cognition, 1988 ; 8 : 3-20.
TYLER H., Abnormalities of perception with defective eye mouvements
(Balint's syndrome), Cortex, 1968 ; 3 : 154-71.
VALDOIS S., DE PARTZ M.P., Approche cognitive des dyslexies et
dysorthographies. In X. Seron et M. Van der Linden (eds), Traité de
Neuropsychologie clinique, tome I, Marseille, Solal, 2000.
VALENTINE T., BRENNAN T., BREDART S., The cognitive
psychology of proper nazmes : on the importance of being ernest. London:
Rutledge, 1991.
VALLAR G., The 2003 status of cognitive neuropsychology, Cognitive
Neuropsychology, 2004 ; 21 : 45-9.
VAN DER LINDEN M., MEULEMANS T., SERON X. et al.,
L'évaluation des fonctions exécutives. In X. Seron et M. Van der Linden
(eds), Traité de Neuropsychologie clinique, tome I, Marseille, Solal, 2000.
VAN ZOMEREN E., SIKMAN J., Assessment of attention. In P.
Halligan, U. Kischka et J. Marshall (eds), Handbook of clinical
neuropsychology, Oxford, Oxford University Press, 2003.
VISKONTAS I., MCANDREWS M., MOSCOVITCH M., Remote
episodic memory deficit in patients with unilateral temporal lobe epilepsy
and excisions, Journal of Neuroscience, 2000 ; 20 : 5853-557.
VON CRAMON C., VON CRAMON G., Back to work with a chronic
dysexecutive syndrome ? A case repport, Neuropsychological
Rehabilitation, 1994 ; 4 ; 399-417.

WALKER E., BLUMER D., The localization of sex in the brain. In K.


Zulch, O. Creutzfeldt, G. Galbraith (eds), Cerebral Localization, Berlin and
New York, Springer Verlag, 1975.
WALLESCH C.-W., JOHANNSEN-HORBACH H., BLANKEN G.,
Assessment of acquired spoken language disorders, in P. Halligan, U.
Kischka, J. Marshall (eds), Handbook of clinical neuropsychology, Oxford,
Oxford University Press, 2003.
WARRINGTON E., The fractionation of arithmetic skills. A single case
study, Quarterly Journal of Experimental Psychology, 1982 ; 34A : 31-51.
WARRINGTON E., Recognition memory test, Windsor, NFER-Nelson,
1984.
WARRINGTON E., Topographical Recognition Memory Test, Hove,
Sussex, Psychology Press, 1996.
WARRINGTON E., CRUTCH S., A circumscribed refractory access
disorder : a verbal semantic impairment spairing visual semantics.
Cognitive Neuropsychology, 2004 ; 21 : 299-315.
WARRINGTON E., DUCHEN L., A re-appraisal of a case of persistent
global amnesia following right temporal lobectomy : a clinicopathological
study, Neuropsychologia, 1992 ; 30 : 437-50.
WARRINGTON E., JAMES M., The Visual Object and Space Perception
Battery (VOSP), Suffolk UK Thames Valley Test Company, 1991.
WARRINGTON E., MCCARTHY R., Categories of knowledge : further
fractionations and an attempted integration, Brain, 1987 ; 110 : 1273-96.
WARRINGTON E., SHALLICE T., The selective impairment of
auditory-verbal short term memory, Brain, 1969 ; 82 : 885-96.
WARRINGTON E., SHALLICE T., Word-form dyslexia, Brain, 1980 ;
103 : 99-112.
WARRINGTON E., TAYLOR A., Contributions of the right parietal lobe
to object recognition, Cortex, 1973 ; 152-64.
WARRINGTON E., WEISKRANTZ L., New method of testing long-
term retention with special reference to amnesic patients, Nature, 1968 ;
217 : 972-74.
WAUCH N., NORMAN D., Primary memory. Psychological Review,
1965 ; 72 : 89-104.
WECHSLER D., Wechsler Memory scale-revised manual, Cleveland,
OH : Psychological Corporaion/Harcourt Brace Jovanovich, 1987. Version
française : échelle clinique de mémoire de Wechsler-revisée. Manuel. Paris,
CPA, 1991.
WELTER M.L., HOUETO J.L., TEZENAS S. et al., Clinical predictive
factors of subthalamic stimulation in Parkinson's disease, Brain, 2002 Mar ;
125 : 575-83.
WERNICKE K., Der aphasische Symptomencomplex. Eine
Psychologische Studie auf anatomischer Basis, Breslau, Cohn und Weigert,
1874.
WESTMACOTT R., MOSCOVITCH M., The contribution of
autobiographical significance to semantic memory. Memory and Cognition,
2003 ; 31 : 761-774.
WESTMACOTT R., BLACK S., FREEDMAN M., MOSCOVITCH M.,
The contribution of autobiographical significance to semantic memory :
Evidence from Alzheimer's disease, semantic dementia, and amnesia.
Neuropsychologia, 2004 ; 42 : 25-48.
WESTMACOTT R., LEACH L., FREEDMAN M., MOSCOVITCH M.,
Différent patterns of autobiographical memory loss in semantic dementia
and medial temporal lobe amnesia : A challenge to consolidation theory.
Neurocase, 2001 ; 7 : 37-55. WHEELER M., STUSS D., TULVING E.,
Towards a theory of episodic memory. The frontal lobes and autonoetic
consciousness. Psychological Bulletin, 1997 ; 121 : 331-54.

WILLIAMS P., TARR M., Structural processing and implicit memory for
possible and impossible figures, Journal of Experimental Psychology :
Learning, memory and cognition, 1997 ; 6 : 1344-61.
WILSON B., ALDERMAN N., BURGESS P. et al., Behavioural
assessment of the dysexecutive syndrome (BADS), Bury St. Edmunds :
Thames Valley Test Company, 1996.
WILSON B., BADDELEY A., KAPUR N., Dense amnesia in
professional musician following herpes simplex virus encephalitis. Journal
of Clinical and Experimental Neuropsychology, 1995 ; 17 : 668-681.
WILSON B., EVANS M., EMSLIE H. et al., The development of an
ecologically valid test for assessing patients with a dysexecutive syndrome,
Neuropsychological Rehabilitation, 1998 ; 8 : 213-28.
WOLPERT L, Die simultagnosie : Storung der Gesamtauffassung,
Zeitschrift für die gesamte Neurologie und Psychiatrie, 1924 ; 93 : 397-415.
WOLPERT M., GOODBODY S., HUSAIN M., Maintaining internal
representations : the role of the human superior parietal lobe, Nature
Neurosciences, 1998 ; 1; 529-33.
YASUDA K., WATANABE O., ONO Y., Dissociation between semantic
and autobiographical memory : a case report, Cortex 1997 ; 33 : 623-38.
GLOSSAIRE
Il s'agit des termes utilisés en neuropsychologie clinique (non définis
dans le texte).

Agrammatisme : troubles de la syntaxe par lésions des zones antérieures


du langage.
Akinésie : absence ou pauvreté de mouvements.
Anosognosie : troubles de la conscience de la maladie.
Aphasie motrice non fluente : déficit ou perte de la capacité d'expression
soit au moyen du langage oral, écrit ou du langage de signes.
Apraxie : incapacité de réaliser des mouvements volontaires sans notion
de paralysie ou de parésie.
Aprosodie (si la lésion est à droite) : perte de la compréhension et de l'
expression de la signification des différents tons de la voix.
Asomatognosie : troubles de la conscience de son propre corps.
Asservissement au stimulus : incapacité de choix de réponse.
Astérognosie : trouble de la reconnaissance des objets par voie tactile.
Circonlocutions : détours langagiers pour contourner la difficulté de
trouver le mot cible.

Dysarthrie : difficulté d'élocution due à un déficit de coordination de


l'appareil phonatoire.
Dystonie : trouble moteur caractérisé par la contraction tonique,
involontaire et soutenue d'un ou plusieurs groupes musculaires.
Écholalie : répétition involontaire d'un mot ou d'une phrase prononcés
par une autre personne.
Grasping : réflexe de préhension qui consiste en une flexion digitale
incontrôlable et donc pathologique, déclenché par la stimulation de la
paume de la main.

Héminégligence attentionnelle, notamment si la lésion est à droite :


déficit sévère de l'attention vis-à-vis de la moitié du champ visuel opposé à
la lésion.

Hémiparésie : faiblesse musculaire d'une moitié du corps.


Impulsivité : incapacité de différer la réponse.
Jargonaphasie : discours du patient aphasique caractérisé par une
abondante production de paraphasies phonologiques et sémantiques dans un
contexte d'articulation ayant une fluence soit normale, soit augmentée.
Mutisme : absence de l'expression du langage ou autre type de
communication dans un contexte de préservation du langage et d'autres
types de communication.

Névrite optique rétrobulbaire : inflammation du nerf optique le plus


souvent provoqué par la SEP.
Paraphasies phonologiques : utilisation erronée des phonèmes à
l'intérieur d'un mot.

Paraphasies sémantiques : utilisation erronée d'un mot du même champ


sémantique.
Persévération : tendance à émettre la même réponse verbale ou motrice à
une variété de stimuli.

Rigidité cognitive : incapacité ou difficulté de changer un type de


stratégie ou de concept.
Signe de la main étrangère : absence de reconnaissance de la main
gauche (généralement) et/ou déficit de contrôle volontaire de ses
mouvements.
Stéréotypie : tendance à répéter le même mouvement ou les mêmes
paroles ou à conserver la même attitude.
INDEX THÉMATIQUE

Acalculie 87, 107


- primaire 107
- secondaire 107
Accident vasculaire cérébral 13
Achromatopsie 135
Administrateur central 43
Adult Memory and Information Processing Battery 157
Agnosie 13, 120, 129, 220
- aperceptive 120-121, 123, 128
- aperceptive par sollicitation expérimentale 124
- associative 121, 124, 129, 133
- digitale 87
- intégrative 128
- visuelle 64, 121, 127-128, 138-139, 144
- visuelle associative 121, 134, 142
- visuelle sélective 145
Agrammatisme 86, 225, 241
Agraphie 105, 225
- apraxique 106
- centrale 106
- de surface 107
- phonologique 106
Aire
- corticale 11
- de Broca 89
- de Brodmann 11-12
- de Wernicke 89, 241
- primaire 11
- sensorielle associative 11
Akinésie 152
Alexie 225
- pure 100
Allesthésie 152
Allocation attentionnelle 191
Allokinésie 152
Alzheimer (maladie d') 208-209
Amnésie
- antérograde 53, 56-57
- diencéphalique 53
- focale rétrograde 74
- fonctionnelle 56, 66-67
- hippocampique 53
- organique 66
- psychogène 65-66
- rétrograde 56-57, 231
Amorçage 63-64
- conceptuel 65
- perceptif 64
- sémantique 64
- visuel 64
Anamnèse 216
Anomie 91
- de la couleur 135
Anosodiaphorie 153
Anosognosie 13, 153
Anti-localisationnisme 16
Apathie 229, 231
Aphasie 13, 16, 83, 213, 220
- anomique 87
- de Broca 86
- de conduction 88
- de Wernicke 87
- fluente/non-fluente 86
- globale 88
- non-fluente progressive 224-225
- optique 133-135, 139, 142, 144
- sous-corticale 89
- transcorticale 89
- transcorticale mixte 89
- transcorticale motrice 89
- transcorticale sensorielle 89
Apolipoprotéine 212
Appariement
- mot-image 110, 140-141
- parties-catégorie 142
Approche adaptée 23
Apraxie 13, 16, 164, 220
- bucco-faciale 167, 225
- calleuse 169
- constructive 155, 232
- des gestes et d'utilisation d'objets 167
- du langage 94
- idéatoire 165
- idéomotrice 165
- motrice 166
Architecture fonctionnelle 17, 20-21
Asomatognosie 13, 153
Assemblage 98
Associationnisme 15
Ataxie
- kinesthésique 167
- optique 150, 167
Attention 28, 34, 59
- en clinique 35
Autotopoagnosie 176

Batterie
- BADS 196
BDAE 90
BOLD 239
Boucle
- fronto-sous-corticale 184
- phonologique 43
Bruce et Young (modèle de) 131

Capacité de répétition 85
Carte cognitive 149
Catégorisation perceptive 124
Cerveau antérieur de la base 187
Changement de personnalité 202-203
Classement d'images 140
Classification
- de l'aphasie 86
- de l'apraxie 165
- de Liepmann 165
Comportement 7
- conflictuel intermanuel 172
- d'utilisation et d'imitation 173
- et affect 205
Composante visuo-spatiale 43
Connexion
- cortico-corticale 184
- sous-cortico-corticale 184
Consigne de tests 28
Consolidation selon le modèle standard 55
Contexte 30
Contribution de Goldenberg 166
Cortex
- dorsolatéral 183
- médian 183
- oculogyre 183
- orbitofrontal 187
- précentral 183
- préfrontal 183
- prémoteur 183
Critère diagnostique 233

Décision d'objet 140


Déficit
- cognitif léger 215
- cognitif multiple 213
- de l'intention 152
- de la reconnaissance des objets 125
- du transcodage allographique 106
- neuropsychologique 228, 231-232
Dégénérescence neurofibrillaire 210
Démence
- à corps de Lewy 233
- fronto-temporale 224
- sémantique 225
Dénomination 110
Description
- fonctionnelle 143
- visuelle 143
Désorientation
- topographique 149, 160
- visuelle 147
Dessin de mémoire 140
Diagnostic 213
- différentiel de la MA 214
Discrimination
- de la forme 119
- de la profondeur 148
- de la taille 148
- figure-fond 119
Donnée démographique 209
Dossier médical 30
DSCr 61
DSM IV 207
Dysarthrie 93
Dyslexie 100
- centrale 103
- de lecture lettre à lettre 101
- de négligence 101
- de surface 104
-périphérique 100
- phonologique 104, 112
- profonde 103

E
Échec de persistance motrice 152
Échelle
- Catherine Bergego 155
- d'Iowa 202
EEG 238
Effet
- de lexicalité 44
- de longueur du mot 43
- de similitude phonologique 44
- de suppression articulatoire 44
- des déficits neuromusculaires sur l'écriture 106
Efficience
- cognitive 32
- estimée 32
- intellectuelle prémorbide 33
- linguistique 84
Entretien 31 1
Épilepsie 14
Erreur morphologique 125
Espace phonologique 45
Étape
- 2½ D 117
- 3-D 117
État cognitif de récupération 189
Étiologie 209
Étude génétique 211
Évaluation neuropsychologique 94-95, 100-101, 104, 106-107, 120, 128,
133, 136, 148, 150, 154, 156, 168-169, 177, 193, 216
- de l'agrammatisme 85
- de la compréhension 86
- de la dénomination 86, 141
- de la répétition 85
- des aphasies 90
- des événements publics 79
- du taux d'oubli 80
- étapes 31-32
- objectifs et exigences 26
Examen 27, 30
- neuropsychologique 70
Expressif/réceptif 86
Extinction 151

Figure
- de Rey 72
- enchevêtrée 120
Flexibilité mentale 194
Fonction
- d'intégration du cortex préfrontal 189
- exécutive 192
Forme dégradée 124

Glucocorticoïdes 70

Hémisphère cérébral (HC) 9


Histoire logique 71
Humeur 27
Huntington (maladie) 230
Hypokinésie 152
I

Imagerie
- cérébrale morphologique 236
- visuelle 139
Imagerie visuelle 136
Imitation des gestes 167
Information sur soi 190
Inhibition 194
Initiation motrice 152
Intégration et génération de stratégies 194
IRM 237
IRMf 238-239

Langage spontané 84
Lecture 110
Liste des mots 71
Lobe
- frontal 10
- occipital 11
-pariétal 10
- temporal 10
- temporal médian 51 1
Localisation
- des chiffres 149
- simple 148
Localisationnisme 16

M
MCT
- phonologique 46
- spatiale 46
MEG 238
Membre fantôme 177
Mémoire
-active 194
- autobiographique 75
- de travail ou fonction frontale 46
- des événements publics 73
- épisodique 46
- explicite 46
- procédurale 63
- prospective 58
- rétrograde 75
- sémantique 50, 73
Méthode adaptée 35
Méthode psychométrique 23
Modèle
- à deux voies 98
- à trois voies 96
- cognitif de l'apraxie 169
- d'Ellis et Young 117
- de mémoire à court terme 43
- de Wernicke-Geschwind 87, 89
- dit triangulaire 98
Modularité 18-19
Module 19
Mort neuronale 210
Mot
- couplé 71
- irrégulier 97
- régulier 97
Motivation 29

Négligence
- attentionnelle 151
- centrée sur la personne 153
- des représentations mnésiques 153
- spatiale unilatérale 152
- unilatérale 151
Neuro-anatomie fonctionnelle clinique 186
Neurochirurgie 27
Neuroimagerie fonctionnelle 238
Neuropathologie 209
Neuropsychologie 7
- cognitive 17-18, 20
- et neuroimagerie 20
Niveau
- cognitif 33
-d'analyse 21
- de traitement 96
- microscopique 209
Nom propre 113

Observation attentionnelle 34
Orbitofrontal 183
Organique 26
Organisation
-hiérarchique 188
- neuro-anatomique 9
- temporelle 188

Paralysie
- psychique du regard 150
- supranucléaire progressive 232
Parkinson (maladie) 227
Pathologie neurologique 13
Patients : études des cas 109-114
Peptide bêta amyloïde 209
Perception acoustique active 44
Pharmacochimie 212
Plan
- macroscopique 209
Planche d'Ishihara 135
Planum temporale 87
Plaque sénile 209
Postulat de transparence 20
Potentiel évoqué 238
Préservation de la reconnaissance 126
Processus mnésique 38
Production de phrases 110
Prosopagnosie 129-130
Protéine tau 209
Psychologie cognitive 116
Psychométrie 16-17

QI 32-33
Questionnaire de mémoire autobiographique 72

Raisonnement abstrait 194


Reconnaissance
- de la couleur 135
- de visages célèbres 141
- des visages 129
Rééducation 27
Région
- dorsolatérale 187
- médiane inférieure 187
Régularisation 98
Remember/know 46
Répétition 85
Représentation
- des lettres 102
- du mot 102
-initiale 117
- rétino-centrée 102
Résonance magnétique nucléaire 237
Rôle de la MCT 45

Scanner à rayons X 236


Sclérose en plaques 14
Segmentation 98
Sélection des tests 24
Sensation liée aux membres fantômes 179
Simulation (malingering) 29-30
Simultagnosie
- dorsale 122
- ventrale 123
Stade d'évolution 209
Structure
- cérébrale 8
- hippocampo-diencéphalique 53
Suffixe d'inflexion et de dérivation 114
Surface
-latérale 183
- médiane 184
- ventrale 184
Symptôme 91
Syndrome 91
- Asperger 199
- d'héminégligence 154
- de Balint 150
- de la main étrangère 172
- de la négligence unilatérale 151
- frontal 182
Système
- attentionnel 43
- attentionnel de supervision 60
- de mémoire explicite à long terme 46
- de mémoire implicite 63
- de TI 20-21
- mnésique 37

Tâche
- d'appariement 129
- d'estimations cognitives 196
- go no-go 198
Temps du verbe 111
TEP 238
Test 25
- d'accès sémantique 141
- d'analyse des cubes 149
- d'apprentissage verbal de California 71
- d' Effron 119
- d'événements publics EVE 79
- d'imagerie des couleurs 143
- d'orientation des lignes 149
- de barrage 154
- de Beauregard 33
- de Benton et Van Allen 133
- de bissection de lignes 155
- de Brixton 197
- de classement de cartes de Wisconsin 195
- de Crovitz 72
- de dénomination 93
- de détecter la gaffe 199
- de fluence verbale 195
- de Ghent 120
- de Grober et Buschque 71
- de Hayling 197
- de la discrimination de la position 149
- de la tour de Londres 196
- de mémoire de reconnaissance des visages 72
- de mémoire de reconnaissance topographique 72
- de mémoire de reconnaissance verbale 72
- de Munsell-Farnsworth 135
- de Stroop 195
- des emplettes multiples 197
- des proverbes 196
- des queues d'animaux 143
- des six éléments 197
- des visages et scènes célèbres 80
- des vues inhabituelles 140
- du mort/vivant 79
- TEMPau 72
Théorie
- de l'esprit 199
- de la consolidation de la trace mnésique 55
- des traces multiples 56
Tomodensitométrie 236
Trail making test 195
Traitement 229, 231, 233
- de l'information 188
- de l'information (TI) 17
-de la forme 119
- implicite de l'espace 158
- perceptif 127
- phonologique 45
Transcodage 98
Transparence 18
Traumatisme crânien 13
Trigramme d'Archer 113
Trouble
- de l'analyse de l'espace 148
- du langage écrit 95
- du langage non aphasique 93
- primaire de l'écriture 105
- visuo-attentionnel 151
V

Verbe concret et abstrait 111


Visage inconnu 133
Voie de lecture 96
VOSP 120
Vue canonique 124

Zone médiane supérieure 187

Vous aimerez peut-être aussi