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Ismaël Hamet

Notice sur les Arabes hilaliens


In: Revue d'histoire des colonies, tome 20, n°87, Mai-juin 1932. pp. 241-264.

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Hamet Ismaël. Notice sur les Arabes hilaliens. In: Revue d'histoire des colonies, tome 20, n°87, Mai-juin 1932. pp. 241-264.

doi : 10.3406/outre.1932.2836

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/outre_0399-1385_1932_num_20_87_2836
NOTICE SUR LES ARABES HILA LIENS

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s'établirent dans les villes fortes et les châteaux


pour gouverner et administrer le pays berbère. Ils étaient
en petit nombre relativement aux autochtones et leur
influence, par suite, ne s'exerçait que sur ceux d'entre eux
qui, étant devenus leurs alliés et passés à l'Islam, vivaient
à leur contact immédiat. L'élément arabe qui forma
d'abord les cadres du gouvernement, représentait l'élite
des familles ayant vécu dans l'entourage du prophète et
de ses successeurs immédiats ; à part l'orgueil de race qui
les animait et dont les Berbères eurent souvent à se
plaindre, ces Arabes, premiers prosélytes de l'Islamisme,
se montrèrent observateurs assez rigoureux des principes
fondamentaux de la nouvelle religion.
Cette influence, cependant, prit une certaine extension
avec les Ommiades de Gordoue qui firent rayonner la
civilisation arabe d'Orient dans les campagnes de la
Péninsule ibérique peuplées de Musulmans berbères (756)
et avec les Idrissites qui la transportèrent dans le Maghreb
extrême (788), tandis que les Aghlabites retendaient à
l'Ifrikia, Tunisie et région de Constantine, et à la Sicile
REVUE D'HISTOIRE DES COLONIES. l6
(8oo-83/i). Mais en Berbérie même, un petit nombre
seulement étaient touchés ; la masse des Berbères de la
campagne, des montagnes et des régions méridionales,
restait loin du contact et cantonnée dans ses mœurs et ses
dialectes locaux.
Au milieu du xie siècle, les Arabes sont encore des
maîtres étrangers ayant attiré à eux un certain nombre de
familles berbères et exerçant sur elles une influence toute
locale et assez lente. C'est alors que s'ouvre, avec l'invasion
Mialienne, la deuxième phase, qui aura un caractère très
différent de la première.
Il semble que tout a été dit sur ces Arabes qui, venus
en masses compactes, s'implantèrent dans le Nord de
l'Afrique à partir de l'année io53 environ, et sur les suites
de cet événement. Aujourd'hui cependant, depuis
du Maroc, l'observation directe des Hilaliens qui y
ont pris racine, de leurs mouvements en sens divers et des
influences politiques sociales ou économiques qu'ils ont
subies, permet d'apporter à leur histoire certaines

On rappellera brièvement, en vue de l'enchaînement des


faits, les circonstances qui ont porté les tribus hilaliennes
en Afrique. Elles se trouvaient, vers l'an 750, dans la
partie du Hedjaz qui confine au Nedjed. Circulant entre
Médine et la Syrie, elles se livraient dans ce pays, désert
et dénué de ressources, au brigandage qu'elles exerçaient
en particulier sur les caravanes de pèlerins, comme ont
continué de le faire leurs successeurs dans ces régions.
Elles y étaient devenues les alliées politiques des Car-
mathes, sectaires chiites qui prêchaient le massacre des
ennemis de leurs croyances et désolèrent l'Arabie pendant
plus d'un siècle. Elles les suivirent en Syrie et avec eux
combattirent les Fatimites qui en 973 s'étaient établis en
Egypte. Le Khalife El Aziz ayant vaincu les Carmathes
et leurs alliés Béni Hilal, transporta ces derniers en Haute
Egypte où il les installa dans les déserts de la rive droite du
Nil. Ils y poursuivirent leurs habitudes de brigandage et
désolèrent le pays par leurs excès pendant une
d'années. C'est alors que le gouverneur Senhadjien-
Zirite de Medhia [Tunisie] ayant répudié les Chiites-Fati-
mites politiquement et religieusement, le Khalife du Caire
El Moëzz offrit aux Béni Hilal d'aller en Ifrikia occuper
les terres du khalifat, II en débarrassait ainsi l'Egypte et
tirait vengeance de son vassal infidèle. En effet, Mounes
ben Yahyia, des Riah, une des tribus hilaliennes, partait
avec la charge de gouverneur de Kairouan ; Hassan ben
Serhane de la même tribu recevait le gouvernement de
Constantine et aux chefs des Zoghba étaient attribués les
territoires de Tripoli et de Gabès 1.
Ils arrivaient donc avec des droits considérés comme
légitimes, et qu'il leur appartenait de faire valoir avec
l'aide morale du Khalife fatimite ; c'est pourquoi ils
contre les princes Senhadja, Zirites et Hammadites,
qui entendaient faire échec à ces droits, et durent les
défendre par la suite contre les Almohades, les Hafcides et
les Mérinides qui voulaient faire cesser les abus avec
ils les exerçaient.
On a fait le procès des Arabes Hilaliens comme celui des
Vandales ; si le nom de ces derniers est passé dans le lan-
gage sous la forme réprobatrice de « Vandalisme », la
maxime arabe « ida Oribet Khoribet » (ce qui devient
arabe est voué à la ruine) a été inspirée par les excès
sont naturellement portés les Hilaliens 2. L'obser-

i . Voyez : Ibn Khaldoun. Histoire des Berbères. Trad. de Slane.


Imprimerie du gouvernement. Alger, i85a-56. Vol. I, p. 44- Conf.
E. Mercier. Etablissement des Arabes dans l'Afrique Septentrionale.
Constantine. Marie. 1875. P. i5i.
a. Il faut entendre ici que ces Arabes ont été destructeurs de l'ordre
politique et perturbateurs de la paix publique, par leur inconstance
— 244 —

vation directe permet aujourd'hui de relever quelques


caractères propres à compléter leur portrait.
Les auteurs arabes remontant à l'époque où les Hilaliens
étaient encore en Arabie reconnaissent en particulier leur
nature passionnée et leur propension à la folie
; ils citent à ce propos des anecdotes variées que la
tradition a conservées i. Observés en masse, ils apparaissent
dénués d'esprit national et de sens politique ; la cohésion
relative de leurs tribus est due exclusivement à la solidarité
familiale ; mais encore la discipline qu'exige l'esprit de
de famille a-t-elle soulevé parfois de violentes réactions.
Cette masse d'individus capables d'affronter froidement la
mort, est sujette aux plus folles paniques et fuit le champ
de bataille sans vergogne, quand ses alliés succombent.
L'homme est chez eux d'humeur volage, d'esprit
et railleur, peu religieux et peu spéculatif ; il craint
les hommes vertueux et pieux, mais leur exemple le laisse
froid ; il s'enflamme ou s'esclaffe, selon le cas, si l'on met
en doute sa qualité de bon musulman, mais ne se croit tenu
à rien pour justifier cette opinion qu'il a de lui-même.
Cependant, les qualités qui lui manquent sont celles qu'il
admire le plus chez autrui et qui lui en imposent le plus,
quand le souffle des passions ne l'entraîne pas aux pires
dérèglements. Ces passions se traduisent quelquefois par
un acte de violence, mais toujours par une sorte d'ivresse
qui confine à la folie.
Beau parleur, insinuant et madré, il est lui-même
à l'éloquence et au beau langage ; c'est même la
seule musique qui l'impressionne ; mais son instabilité

et leur avidité et non, comme on l'a répété, qu'ils furent les


systématiques des richesses naturelles d'un pays à eux attribué
par le Khalife qui en était le maître légitime.
i. Voy. Archives marocaines. Paris. Librairie ancienne, Honoré
Champion, 1927. Vol. XXXII. Kitab El Isliqça ; les Almohades, trad.
Ismaël Hamet, p. 124-125.
'" 2a l\ O — —
naturelle requiert des gages sûrs et une extrême vigilance.
Il nourrit une ambition insatiable, et reste, dans ses
entreprises, inconsistant et inconstant ; méprisant le
il est prêt à se lancer dans les plus folles aventures
pour un but illusoire ; incrédule et ironique devant les
vérités les plus graves, il est crédule devant les
les plus fantasques ; enfin, il tourne à tout vent,
oublieux à la fois des injures et des bienfaits.
Ceux d'entre eux qui acceptent d'exercer le
paient très cher cet honneur. A ces chefs
parfaitement ce que rapporte Dozy d'après l'auteur
arabe El Mobarred : « Nous n'accordons cette dignité à
personne, disait un ancien Arabe, à moins qu'il ne nous ait
donné tout ce qu'il possède ; qu'il ne nous ait permis de
fouler aux pieds tout ce qui lui est cher, tout ce qu'il aime à
voir honoré et qu'il ne nous ait rendu des services comme
en rend un esclave ». Il cite, d'après le même auteur arabe,
le fait suivant : « Quelqu'un ayant demandé à Arâba,
contemporain de Mahomet, de quelle manière il était
devenu le chef de sa tribu, Arâba nia d'abord qu'il le fût.
L'autre ayant insisté, Arâba répondit à la fin : Si des
malheurs avaient frappé mes contribules, je leur
de l'argent, si quelqu'un d'entre eux avait fait une
étourderie, je payais pour lui l'amende, et j'ai établi mon
autorité en m'appuyant sur les hommes les plus doux de
la tribu. Celui de mes compagnons qui ne peut en faire
autant, est moins considéré que moi, celui qui le peut
est mon égal et celui que me surpasse est plus estimé que
moi *. »
Les Hilaliens ont eu des individus doués des qualités
propres à tous les types d'humanité supérieure, telles que
l'intelligence, le jugement, la fermeté, la conscience, la
i. Histoire des Musulmans d'Espagne. E. J. Brill. Leyde 1861, tome Ier,
p, 5 et 6.
— 246 —

dignité et la pratique des plus hautes vertus ; mais ce


furent chez eux des êtres d'exception, en proportion trop
infime pour réformer les mœurs, quand ils n'ont pas été
eux-mêmes victimes des passions déchaînées dans leur
entourage.
Ceci jette une certaine lumière sur ces exécutions en
masse et ces exhibitions de têtes coupées aux créneaux
des villes, qui se faisaient naguère encore au Maroc. Et on
comprend mieux pourquoi le sultan Moulay Isrnaël à qui
le ministre de Louis XIV disait que son maître avait pour
lui la plus grande estime, mais ne pouvait excuser la
cruauté de ses exécutions, répondit : « Le roi Louis a
raison, mais dites-lui qu'il commande à des hommes,
que moi je commande à des bêtes fauves. »
C'est ainsi que des Arabes hilaliens, par des attentats
commis jusque sur des hommes sanctifiés par leurs hautes
vertus morales, se sont attiré des châtiments ignominieux
propres à frapper de terreur ceux qui seraient tentés de les
imiter et à calmer en même temps l'indignation publique.
Leurs abus ont été tels que des savants les plus réputés
furent à diverses époques depuis l'invasion, consultés
par les populations amies de l'ordre, tant parmi les
que parmi les Arabes de la Conquête, pour savoir la
conduite à tenir avec les Hilaliens et qu'ils ont répondu
« que la guerre sainte contre eux était plus urgente et plus
nécessaire que contre les Idolâtres ».

Par ordre d'importance numérique, ces Hilaliens se


composaient : i9 des Hibal ben Amer, 2° des Soleïm ben
Mansour et 3° des Maldl et Adi, tous issus, à l'origine,
d'une souche commune. Tandis que les Riah, Djochem et
Zoghba occupaient le sud de la Tunisie, les Soleïm s'éta-
— 247 —

blessaient en Tripolitaine et les Makil et Àdï s'avançaient


vers l'Ouest par le sud du Djebel Aurès. Au
du xne siècle, l'élan des Hilaliens étant à son terme,
ils occupent la province de Barka en Cyrénaïque, la
et tout le plat pays tunisien jusqu'à Bizerte, ainsi
que le sud constantinois avec des rameaux atteignant
€onstantine. Plus à l'Ouest, ils tiennent les plaines et les
Hauts Plateaux du Maghreb central jusqu'au mont Racbed,
actuellement appelé Djebel Amour du nom d'une de leurs
tribus, sur le méridien de Cherchel, avec une brancbe
projetée vers le Nord par les Makil Taaleba jusqu'à Médéa
et Alger1.
Ceux qui s'étaient établis dans la région méridionale
des Etats hammadites, dont le centre est aujourd'hui
marqué par Biskra, en avaient refoulé vers l'Ouest les
habitants berbères zénètes dits Ouacine, lesquels, en lutte
entre eux, se divisèrent en Toudjine, Abdelouad, Rached
et Béni Merine qui apparaîtront plus tard sur la scène de
l'histoire. L'élan de la masse hilalienne est dès lors arrêté
tant par la résistance des Berbères zénètes et des princes
hammadites que par le fractionnement des tribus arabes
depuis l'entrée en Ifrikia.
Non seulement le Maghreb central n'est pas entièrement
Occupé par les hordes hiialiennes, mais le Maghreb
extrême, qui ne connaît encore que quelques groupes des
vieux arabes de la conquête, les verra arriver beaucoup
plus tard, à différentes époques et selon trois déplacements
déterminés par des causes diverses. Les premières tribus
hiialiennes qui pénétrèrent dans le Maghreb extrême ou
Maroc actuel, n'y vinrent pas de leur propre mouvement,

i. Le patron d'Alger, Sidi Abderrahmane Taalebi, dont le mausolée


touche au jardin Marengo, est un des leurs, de même que Selim
Ettoumi, cheikh de la ville, que le turc Aroudj étrangla de ses mains
mais y furent systématiquement transportées vers 1188 par
le sultan almohade Abou Youssef Yakoub El Mansour pour
en purger la partie orientale de l'empire où elles s'étaient
jointes aux débris des Almoravides Béni Ghania des
Baléares et y avaient occasionné les troubles les plus
graves. Ce prince se promettait d'utiliser leur activité et de
consacrer leurs aptitudes à la guerre contre les Chrétiens
d'Espagne, selon les recommandations de son aïeul Abdei-
moumen. Il les conduisit par les routes du Sud et plaça
dans le Hebet, au Sud de Tétouane une partie des Riah et
dans le Tamesna, entre Salé et Marrakech, les Djochem et
les Acem.
Au début du xnie siècle les zénètes Béni Abdelouad
amenèrent leurs alliés Zoghba de la vallée du Chélif et les
installèrent sur les territoires à l'Est et au Sud de Tlemccn
que les Béni Merine avaient concédés à ces Zénètes, en
retour de leurs services. Quand un peu plus tard (1286) les
Béni Abdelouad fondèrent leur dynastie à Tlemcen, leurs
alliés Arabes atteignirent les rives de la Moulouia.
Sous le règne du Sultan Moulay Ismaël (1672-1727), les
Arabes Hilaliens Makil, qui avaient atteint, dans leur
vers l'Ouest à travers le désert, le Sahara
et les rives de l'Atlantique, pénétrèrent dans le
Maroc actuel par les contrées méridionales de l'empire à
différentes époques et dans des circonstances diverses. Ce
sultan, qui voulait opposer aux habitants irréductibles des
montagnes du Maghreb des guerriers n'ayant aucune
attache avec ces Berbères, créa d'une part, une armée noire
dite des Abid Bokhari et, de l'autre, des corps ou guichs
composés d'Arabes hilaliens, à l'instar des tribus Makhzen
organisées par les Turcs d'Alger. Il créa d'abord le guich
dit des Oudaya comprenant trois corps : i° celui des gens
du Sous composé des Oulad Djerrar, Oulad Mota, Ziraraet
Chebanat, recrutés précédemment par les Saadiens, qu'il
— 249 —

plaça dans la plaine du Gharb pour les opposer aux Arabe*


Khlot et Sefiane, anciens alliés des Mérinides, 2° celui des
Meghafra et 3° celui des Oudaya proprement dit. Ces
Meghafra et Oudaya, chassés antérieurement du Sahara par
la disette, avaient traversé le Sous et atteint la banlieue dé
Marrakech où Moulay Ismaël les avait recrutés en 1674
après avoir, pour la deuxième fois, enlevé la ville à son
neveu Ben Mahrez. Il les avait ensuite installés à Meknès
et leur avait adjoint les Chebanat et les Zirara.
Au cours d'une expédition menée en 1677 dans le Sous,
ce même sultan avait atteint la ville de Chinguiti dans le
Sahara mauritanien où il avait reçu la soumission des
Makil : Oulad Delim, Berabiche, Meghafra, Oudaya, Mota,
et Djerrar, dont certains éléments avaient déjà pénétré
dans le Maroc méridional, comme il est dit ci-dessus. La
soumission de ces Arabes avait été scellée par le mariage
du sultan avec la fille du Cheikh Bekkar des Meghafra, la
célèbre dame Khenata.
Au début de l'année 1679, Moulay Ismaël, à la suie
d'actes d'indiscipline, transporta à Oudjda des Chebanat et
Zirara cantonnés dans la banlieue de Marrakech et leur donna
un Caïd avec mission de châtier et de tenir en respect les
Béni Iznassen qui étaient partisans des Turcs de Tlemcen.
Dans le cours de la même année, il conduisit en personne
une expédition contre les Béni Iznassen et ramena à Fès,
où il les installa dans une casba, les tribus dites Cheraga
(orientaux) ainsi dénommées d'un terme commun
aucun ancêtre éponyme. En effet, ces tribus étaient
formées d'éléments arabes Sedjaa et Béni Amer et
berbères Houara, Mediouna et Béni Senous dont la
soumission avait été obtenue sur le territoire des Angade,
dans le sud de Tlemcen, par Moulay Rachid. Ce sultan
leur avait ensuite donné en fief les terrains des Berbères
Sadina et Fichtala entre le Sebou et l'Ouergha où ils furent
— 250 —

réunis en une seule tribu et confondus sous le seul vocable


de Cfoeraga.
Tels sont les éléments hilaîiens qui, à la mort du sultan
Moulay Ismaël en 1727, avaient été introduits dans le
Maroc et établis sur des terres appartenant à l'Etat, dont
ils disposaient à titre précaire. Ils s'y maintinrent par la
suite, le gouvernement n'ayant pas cessé de les employer.
Avec ïe temps, beaucoup d'entre eux arrivèrent à la
propriété privée, par décisions spéciales des suif an s ou
acquisitions régulières, mais cela encore les attacha au
sol où ils étaient fixés et maintint une certaine cohésion
de leurs groupes ou tribus. Ainsi s'explique la persistance
chez eux des vieux noms d'origine qui, ailleurs, se sont
perdus parTéparpillement et la désagrégation des groupes
familiaux, ainsi que certaines habitudes arabes
comme celle des surnoms d'origine maternelle. Il
s'ensuit, d'autre part, le fait que ce cantonnement
et persistant des Arabes au Maroc leur a permis
de garder une autonomie ethnique relative, il en a été
de même pour les tribus berbères du pays qui sont
demeurées plus homogènes que dans le reste du Nord de
l'Afrique.
En sorte qu'au Maroc l'arabisation des autochtones,
dans la mesure où elle s'est produite, est due, poui la
plus grosse part, aux dynasties berbères, Almora vides,
Almohades et Mérinides, qui, en recueillant le pouvoir
des mains défaillantes des premiers Arabes, sont entrées
dans leur civilisation en adoptant leurs institutions. Les
Hilaliens n'y ont contribué que pour une petite part, en
raison de leur isolement en des zones déterminées sur les
terres de l'Etat et du rôle exclusivement militaire et
joué par eux auprès des souverains berbères et arabes.
Les fils de Moulay Ismaël, pourvus de commandements
déjà avant la mort de leur père, se jalousaient et
25l —
s'appuyaient dans leurs querelles sur l'armée noire des
Abid Bokhari et sur les Arabes du Guich. Des alliances
matrimoniales contractées par les princes avec ces derniers,
firent des Hilaliens une véritable garde prétorienne qui, en
raison de ses dispositions, fît régner dans le pays dès la
mort du grand sultan, un état anarchique à peu près
à telles enseignes que Moulay Abdallah, l'un des
successeurs de ce souverain, fut appelé six fois au pouvoir
de 1729 à 1757. Sauf quelques accalmies dues à la sagesse
de certains princes, les luttes, les discordes, les pillages,
les représailles se poursuivirent avec plus ou moins de
gravité, jusqu'à l'établissement des Français en Algérie.
Les Hilaliens restèrent puissants au Maroc jusqu'à la
de l'émir Àbdelkader qui avait troublé les
entre la France et le sultan Moulay Abderrahmane
ben Hicham. Mais depuis lors, les Français ayant jeté de
solides racines en Algérie, le Maroc, entouré d'eau au Nord
et à l'Ouest et n'ayant plus de marine, prolongé au Sud
par des solitudes désertiques, se trouva isolé et condamné
à vivre replié sur lui-même, sans autre soin que celui de
veiller à la paix intérieure. Dans ces conditions, le rôle
des Arabes Hilaliens et des Abid Bokhari se trouva
diminué et leur intervention dans la
et les affaires militaires s'effaça progressivement.

Il se pourrait que le sultan Moulay Ismaël se fût inspiré


de l'exemple des Turcs pour la formation militaire des
tribus hilaliennes ; mais alors que ses successeurs n'ont
pas conservé à cette formation toute sa puissance, les
Turcs d'Alger et de Tunis ont su utiliser les Arabes hiia-
liens dont ils ont constitué des forces solides que la
française a trouvées intactes.
202
Les peuples d'origine turque avaient à l'époque de leur
expansion une organisation propre toute militaire dont ils
s'inspirèrent pour fonder dans le Nord de l'Afrique une
oligarchie permettant à un groupe de i5 à 20.000
de gouverner pendant trois siècles plusieurs millions
d'Indigènes. L'esprit militaire est une des caractéristiques
de la race turque ; les maîtres d'Alger l'ont répandu en
Algérie pendant leur occupation et en ont directement
imprégné les tribus qui A^écurent à leur contact, dites tribus
makhzen, et, par influence, celles qui leur étaient soumises
et payaient l'impôt ; les autres, qui étaient vassales ou
indépendantes, étaient alliées aux maîtres du
pays par la nécessité des échanges commerciaux et
n'échappaient pas entièrement à leur influence.
Leur organisation militaire comprenait sur terre la
Milice et sur mer la Taïffe, et le pouvoir était exercé en
permanence par des soldats recrutés en Orient, les métis
de Turcs et de femmes indigènes ou Coulouglis étant
exclus des hautes fonctions de l'Etat.
Le gouvernement recevait d'autre part tous les
sans attache dans le pays qui venaient s'enrôler à
Alger dans la Milice ou la Taïffe ; ce courant qui
ses forces était celui qui depuis les mercenaires de
Carthage a toujours afflué des pays méditerranéens dans
l'Afrique du Nord et se poursuit aujourd'hui avec les
éléments qui forment les régiments de la Légion étrangère.
L'esprit militaire était poussé très loin chez les Turcs ;
l'inscription sur les contrôles de la Milice était une faveur
qui s'obtenait par des présents et « c'était une honte pour
tout homme non lettré de ne pas chercher à s'enrôler
comme soldat » l ; les fils du Bey, par prérogative spéciale,
comptaient dans la Milice dès leur naissance.
1. V. Walsin-Esterhazy. De la domination turque dans l'ancienne
Régence d'Alger. Paris, Charles Gosselin i84o. P. 234-235.
— 253 —

Les chefs de l'armée avançaient à l'ancienneté et


une pension de retraite. Ils formaient, dans leur
garnison, un Divan ou tribunal qui rendait la justice aux
Turcs et aux Goulouglis de leur résidence. Chaque Bey,
dans son gouvernement, avait les mêmes prérogatives
que le Pacha d'Alger sur une moindre échelle, c'est-
à-dire qu'il avait toute autorité, disposait d'une maison
militaire, d'une musique, de porte-étendards et de
porte-parasols. Il possédait un corps d'élite composé de
célibataires qui étaient placés en avant dans toute
militaire et étaient portés à mulet sur le lieu de
l'action. Quant aux artilleurs et bombardiers, ils étaient
attachés à une place qu'ils ne quittaient pas comme les
autres troupes ; tous étaient Turcs ou Coulouglis. Le Bey
avait encore un service d'émissaires et de guides qui lui
signalaient tous les mouvements des tribus nomades et
leurs faits et gestes ; en cas d'attaques dirigées contre ces
tribus, ils le guidaient à travers le pays.
Les garnisons turques occupaient les points stratégiques
et leur poste extrême dans le Sud, était Biskra. La sécurité
des voies de communication reliant ces postes entre eux et
à la capitale était assurée au moyen de bivouacs et de
gîtes d'étapes appelés Konaks, commandés par des chefs
responsables des voyageurs et des caravanes ; ces chefs
étaient des Arabes exemptés d'impôts et les tribus dites
Makhzen contribuaient à entretenir la sécurité.
Les Turcs avaient aussi des escadrons de cavalerie
appelés Spahis1, qui comprenaient des volontaires
et des bataillons d'infanterie composés de berbères
du Djurdjura, dont ils avaient transformé le nom en
Zouava d'où l'on a tiré le nom des régiments français de

i. Terme emprunté au persan dont les Anglais aux Indes ont fait
Cipayes.
— 25/| —

Zouaves1. Aux uns et aux autres ils avaient imposé leur


organisation militaire, leur armement et leur discipline.
Cette organisation judicieusement comprise témoigne
d'une certaine méthode ; en effet les Français lors de la
prise d'Alger y ont trouvé des magasins où figuraient des
collections d'uniformes des Zouaves et des Spahis conçus
selon des modèles apportés d'Asie, comprenant culottes
bouffantes, vestes en forme de boléro, avec ornements
appliqués et soutachés, fez et turbans, dont les tenues de
Zouaves, tirailleurs indigènes (que l'on appela Turcos
1870) et spahis, furent l'exacte reproduction, à telles
enseignes que le turban des Zouava resta vert, de la couleur
du prophète, jusqu'en 187 1, alors que depuis longtemps
ces régiments ne comprenaient plus que des Français 2.
Les uniformes-types de ces collections furent trouvés
avec des étiquettes donnant le nom de chaque partie et de
chaque ornement du costume et il en était de même pour
les armes 3.
Quant aux tribus indigènes, elles se divisaient :
i° en tribus Makhzen,
20 en tribus rayas ou soumises et payant l'impôt,
3° en tribus alliées,

1. Les Turcs, gens de langue indo-européenne, prononcent l'arabe


selon leur phonétique propre. En particulier, le son ou initial ou
intérieur est rendu par v et le son terminal a du féminin par e ouvert.
C'est ainsi que de Zouaoua ils ont fait zouava, de derouiche, derviche,
de sultane Oualida, sultane Validé, de Diouane, Divan, de cahoua,
cave, d'où le français café, de Aïcha Aïché. (Gonf. Mademoiselle
Aïssé).
2. Une ordonnance du 7 décembre i84i avait prescrit la formation
de bataillons de Tirailleurs Indigènes qui portaient avec des couleurs
différentes le même uniforme que les Zouaves. Trois corps de Spahis
ont été formés en i834, i835 et i836. Ces tirailleurs et Spahis
un certain nombre de Français et des cadres mixtes.
3. L'ornement en fausse poche placé sur les deux côtés avant de la
veste, dont l'étiquette portait le nom de toumbou d'origine turque ou
orientale, est devenu dans la nomenclature française et par simple
homonymie « tombeau » et aussi «tambour ».
4° en tribus politiquement indépendantes, mais sous la
dépendance économique des Turcs qui tenaient la mer et
les marchés du Nord.
Quelques principautés de sédentaires sahariens, comme
Ouargla, étaient vassales des Turcs.
Les tribus makhzen nommaient leurs caïds et ne payaient
pas d'impôts, sauf une légère redevance annuelle, et leurs
chefs ou aglias étaient chargés de la perception des impôts
chez les tribus rayas. Toutes ces tribus des trois premiers
groupes étaient façonnées à la soumission par les Turcs
qui savaient se faire craindre et obéir et n'hésitaient pas à
emprisonner ou mettre à mort les marabouts remuants qui
faisaient de la politique d'opposition.
Les Turcs avaient relativement peu de soldats inscrits
sur les contrôles et recevant une solde régulière, mais ils
demandaient à des forces non payées, c'est-à-dire aux
arabes makhzen une énorme contribution comme
force militaire. Il faut croire, comme dit Walsin Ester-
hazy, que cette organisation était d'une solidité
puisque le gouvernement d'Alger donnait « à une
poignée d'hommes assez de force, non seulement pour
maîtriser un peuple entier, mais encore pour faire régner
par ses corsaires l'épouvante et la terreur sur toute la
Méditerranée ».
Leur succès et leur prestige étaient dus à leurs armées
et principalement à cette cavalerie qu'ils avaient su tirer
du pays même, c'est à dire des tribus arabes constituées
en Makhzen, et qui leur permettait de transporter
à une époque donnée et sur un point quelconque des
provinces, une masse supérieure de forces. Et encore
faut-il ajouter que pour conserver intacte la puissance que
leur donnaient ces tribus, ils eurent la sagesse politique de
ne jamais s'allier par le mariage aux grandes familles
arabes. Enfin, ces tribus Makhzen furent investies, durant
— 256 —

une longue période d'années et à l'exclusion de toutes


autres, du commandement, de l'administration et de la
police du pays sur tous les territoires, sous le contrôle
turc. D'ailleurs, quelques représentants qualifiés de ces
tribus Makhzen figuraient honorablement dans la maison
militaire des Beys ; quelques-uns d'entre eux recevaient
des emplois d'agha et de secrétaire> et prenaient rang après
le Bey.
D'autre part, les Turcs ont joui à Alger d'un grand
prestige auprès d'une partie de la population, celle qui
d'Espagne, fut transportée par les galères d'Aroudj *.
Le principal organisme gouvernemental des Turcs était
le prélèvement des impôts établi sur une base fixe ; c'était
l'objectif essentiel de l'Etat, qui lui consacrait tous ses
moyens en vue de faire rendre le maximum au pays sans
l'épuiser, avec le minimum de sacrifices. L'économie du
système était de réserver à l'Etat certains monopoles,
par exemple celui des grains que le gouvernement
achetait aux producteurs indigènes et revendait aux
nations européennes. C'est ainsi que le Dey Hosseïne avait
une part dans les créances Busnach et Bacri dont le
long et difficile occasionna le fameux coup d'éventail
en 1827.
Les Turcs ont eu l'habileté d'inculquer aux Arabes hila-
liens, turbulents, inconstants, individualistes, leur fidélité
au drapeau, leur obéissance au chef, leur respect de la
hiérarchie et leur culte pour le métier des armes. En
même temps, ils leur ont donné le goût des riches
costumes orientaux en draps garnis de passementeries,
de broderies de soie, des chaussures et bottes
d'équitation, des harnachements rehaussés de
broderies d'or et d'argent et des armes de luxe. Ils leur
1. Walsin-Esterhazy. De la domination turque dans l'ancienne Régence
d'Alger. Paris, Charles Gosselin, i84o, page 126.
ont apporté le goût du tabac, du café et de la musique
orientale, l'amour du faste et le sens de la mise en scène,
de la parade militaire et des jeux équestres où
et Algériens tiennent la première place dans
du Nord.
Ces faits expliquent pourquoi les Français de la
ont trouvé en Algérie des Arabes d'origne hilalienne
et des Berbères d'origine Zouaoua ayant l'esprit militaire
invétéré, le prestige du grade, de l'uniforme, du courage
militaire et pourquoi les troupes indigènes issues de ces
éléments ont fait l'admiration des premiers généraux et
officiers d'Afrique dont quelques-uns avaient servi dans
les armées du premier Empire et en gardaient la tradition.
Cette organisation turque, qui a si remarquablement
les Arabes hilaliens, a eu la même influence en
Tunisie jusqu'à l'occupation française qui, en 1881, a
trouvé le pays vivant sous le régime d'une loi militaire
«crite, datant de 1860.
Cet assouplissement et ce dressage par les vertus
ont été une préparation utile au système simple et
bien adapté de l'administration militaire française qui
a pu progressivement ouvrir aux institutions civiles des
territoires dont les habitants étaient mûrs pour une
administration plus minutieuse, plus complète et plus
moderne.
Selon le Colonel Walsin-Esterhazy, « la coopération des
tribus makhzen des Turcs a énergiquement contribué au
triomphe des armes françaises et à donner aux Européens
sur la terre algérienne, la paix et la sécurité1 ». 11
cette collaboration du point de vue militaire qui
était de son temps le point capital ; aujourd'hui, il faut
voir cette collaboration et son importance dans l'exploi-

1. Nolice historique sur le Makhzen d'Oran, Oran, Perrier, 1849,


spagè 10.
REVUE D'HISTOIRE DES COLONIES. 17
talion du sol et les industries importées d'Europe,
dit, dans la colonisation et le rapprochement, dans
toutes les branches de l'activité, des races en présence,
dont les intérêts sont désormais conjugués et
L'expérience nous apprend, en effet, aujourd'hui
que la colonisation française de l'Algérie et de la Tunisie
doit beaucoup à la collaboration indigène de tous les
quand bien même il ne s'agirait que de là main-
d'œuvre agricole ; mais encore, faut il ajouter que cette
main-d'œuvre façonnée à la culture et à l'élevage dans les
régions variées de l'Afrique du Nord n'a jamais cessé d'être
indispensable à l'Européen.
L'Emir Abdelkader, élevé dans le voisinage des Turcs de
Mascara, leur a emprunté, non seulement leur
militaire, mais encore leurs méthodes de guerre et de
diplomatie et c'est ainsi qu'il put lutter avec des moyens
réduits contre les armées marocaines et acquérir dans la
province d'Oudjda et le Rif un prestige qui fat la source
des plus graves soucis pour le sultan Moulay Abderrahmane
ben Hicham. Et pourtant, le rôle considérable des tribus
makhzen dans la pacification de l'Algérie, leur valeur
militaire et leur intelligence de la guerre d'Afrique
acquises avec les Turcs, dont il avait conscience, avaient
causé à l'Emir Abdelkader des inquiétudes assez graves
pour qu'il fît, dès le début de sa carrière et en possession de
tous ses moyens, les plus grands efforts pour priver les
Français de leur concours.

#
* #

Gomme on l'a vu par les faits exposés ci-dessus,


des Arabes hilaliens. n'a pas atteint le Maghreb
extrême. Leur mode d'installation au Maroc sur des terres
domaniales où ils étaient tenus de résider et qu'ils pou-
— 259 —

vaient cultiver, sauf à payer un loyer là où la propriété


privée formait des îlots ou des enclaves, avec exemption
de certaines redevances et l'obligation du service de guerre,
à première réquisition du gouvernement, les a fixés au sol
et a supprimé chez eux le véritable nomadisme. Là où les
terres étaient fertiles, l'agriculture est devenue leur
industrie et l'abondance des eaux courantes ou de
source les a conduits à bâtir des villages fixes et à devenir
sédentaires. C'est le cas à peu près partout en Chaouia, où
les fermes isolées avec maison, puits et jardins, ne sont
pas rares, dans les régions de Mazagan, Marrakech, Fès
et Meknès, ainsi que dans les vallées qui au Nord de la
capitale atteignent la zone espagnole, le Loukkos et toute
la plaine du Gharb jusqu'à l'Océan. C'est là une évolution
capitale qui les différencie nettement des Hilaliens de
et de la Tunisie.
Ces tribus, dites guich, sont constituées comme l'étaient
les tribus Makhzen des Turcs d'Algérie ; mais, dans ce
dernier pays, les tribus makhzen ont été employées sur
des territoires qu'elles détenaient depuis l'invasion et par
droit de conquête. Tout en se tenant à la disposition du
gouvernement turc, elles continuaient à vivre comme elles
l'avaient fait jusqu'alors. La vie sédentaire des Hilaliens
du Maroc a eu pour autre conséquence de faciliter chez
eux la culture intellectuelle et les lettrés et demi-lettrés ne
sont pas rares dans leurs agglomérations. C'est ainsi que
les Caïds, notaires, juristes, instituteurs, secrétaires, sont
généralement de la tribu où ils exercent et que l'on trouve
une certaine proportion de simples cultivateurs sachant
signer et tenir leurs comptes par écrit. Ces faits conduisent
à penser qu'au Maroc, en général et à des époques
favorables, l'instruction a pu être développée
dans l'ensemble du pays où le nomadisme n'a jamais eu
la même importance que dans l'Algérie et la Tunisie.
— 2Ô0 —

Dans la plupart des régions du Maroc Atlantique, les


Arabes Hilaliens ont été cantonnés dans des pays d'eaux et
de pâturages, de collines, de vallées et de plaines bien
arrosées, où ils cultivent un sol varié et riche
toutes cultures et où ils élèvent du bétail, des
bœufs en particulier dont la race est belle et
d'être améliorée. On y trouve relativement peu de
moutons, de chameaux et de chevaux de selle ; en
revanche, mulets et ânes y sont nombreux. Ces Arabes
habitent des villages en pisé couvert de chaume et avec
la sécurité nouvelle s'établissent dans des fermes plus ou
moins séparées ou isolées, comme dans l'arrière-pays de
Casablanca.
La misère est rare mais la crainte d'être dépouillé, chez
les cultivateurs du peuple, les maintient encore sous des
dehors minables, cette crainte ayant effacé toute recherche
d'élégance vestimentaire et de luxe extérieur. Parmi les
hommes riches ceux qui comprennent le nouvel état de
choses et jouissent de garanties par leurs relations avec des
Européens, osent afficher un certain luxe des vêtements,
ont des automobiles, descendent dans les bons hôtels,
traitent de grosses affaires avec des Européens, s'associent
avec eux, acquièrent des immeubles urbains, se fixent
dans les villes, mais ne se lancent encore que fort peu dans
les dépôts en Banque. Ils recherchent par dessus tout
l'Européen de confiance avec qui l'on noue des intérêts,
ainsi le système de la protection consulaire dont
l'usage est ancien et les avantages éprouvés de longue date.
La fixation au sol des Arabes hilaliens du Maroc
s'il en était encore besoin, cette vérité trop
méconnue que le nomadisme n'est pas une vocation chez
un peuple, mais une nécessité économique née de la
nature du sol habité et que la volonté de l'homme ne peut
éluder.
■— 2ÔI

Le maintien des Hilaliens sur des territoires déterminés


et la politique suivie par les sultans de les opposer aux
Berbères insoumis, ont eu pour conséquence, d'autre part,
de conserver l'autonomie des tribus qui ont par suite gardé
les vieux noms que l'on ne retrouve plus aujourd'hui que
chez les historiens ; tels sont ceux des Sefiane, Khlot, Che-
banat, Zirara, Haret, etc.. De même ils ont gardé l'antique
usage de porter dans certains cas le nom de la mère et non
celui du père ; on le rencontre rarement chez les Berbères,
mais il est très fréquent parmi les Arabes. Sans remonter au
matriarcat, on doit l'attribuer à la nécessité dans la famille
polygame de distinguer deux consanguins ayant le même
prénom, un fils issu d'une mère étrangère à la tribu, le fils
unique d'une mère restée veuve ou d'une femme portant
un caractère très personnel.
Ils ont également gardé le vieux costume arabe
: vêtements amples jusqu'aux pieds, sans
de soie ou d'or, véritable uniforme ne comportant
pas d'habits façonnés, les pieds nus dans des sandales
à contrefort rabattu, et sans talons, le seul luxe se
par la qualité des tissus et la propreté des vêtements.
Le transfert systématique des Arabes hilaliens au Maroc
par les sultans et leur cantonnement sur des terres
les tenant à la disposition exclusive des souverains
du pays placent ces Hilaliens dans des conditions de vie
sociale très différentes de celles qu'ont connues leurs frères
demeurés en Tunisie et en Algérie. Les premiers transferts
par le sultan almohade en 1188 avaient pour but de leur
faire rompre toute attache avec les restes des Almora-
vides qui troublaient la partie orientale de l'empire et de
les employer à la guerre contre les Chrétiens d'Espagne.
Les princes mérinides ont fait de même, mais ils se sont
alliés à eux par le mariage et leur ont ainsi ouvert une
porte d'accès à là direction des affaires.
— 2Ô2

Les sultans saadiens ont pris sur eux un appui encore


plus grand, leur permettant une participation au pouvoir
plus importante. Et la dynastie alaouite a été très loin dans
cette voie car, dans son programine de politique intérieure,
le sultan Moulay Ismaël, en constituant ses tribus guichsur
un pied qui rappelait l'organisation turque des tribus
makhzen, s'est allié par le mariage avec plusieurs de leurs
grandes familles, si bien que la plupart de ses descendants
étaient apparentés aux Hilaliens. Tant que la main ferme
de ce sultan avisé et énergique put les contenir, les Hila-
Mens restèrent inoffensifs, mais dès la mort du grand
toute l'armature solidement organisée par lui, l'armée
noire des Abid Bokhari et les tribus guich se livrèrent
aux débordements et aux excès propres à toutes les armées
prétoriennes. Or quand des hommes tels que les Hilaliens
sont agités par des passions comme l'orgueil, l'amour de la
vengeance, la cupidité, rien ne les arrête et aucun danger
ne les fait reculer.
On ne saurait excuser aucun crime contre les personnes,
mais ces particularités expliquent à la fois l'extraordinaire
mansuétude de certains princes du Maghreb et les cruels
supplices qui eurent pour raison plus souvent peut-être de
soulager le peuple d'abus excessifs que de défendre leur
souveraineté. Or les Hilaliens pour de minces services se
montraient arrogants et exigeants, sans que leur fidélité en
fût mieux assurée et leurs appétits jamais rassasiés. Leur
participation aux actes du gouvernement ne pouvait
de leur donner de la richesse et de l'autorité ; aussi
leurs abus, leur duplicité et leur insolence prirent-ils parfois
une telle gravité que le seul moyen de les empêcher de
mordre fut de leur arracher les dents. Tel est le cas, en
particulier, des Oudayade la banlieue de Rabat, qui ont été
déportés de Fès il y a un siècle, après confiscation de leurs
armes et de leurs chevaux.
— 263 —

Ce sont les masses inconsistantes, désordonnées et


des tribus guich que le Maréchal Bugeaud
comme un vol de sauterelles en i844 à l'Oued Isly.
Leur rôle se termina au Maroc avec cet échec retentissant,
car les Français occupant dès lors l'Algérie, les Hilaliens
n'eurent plus qu'un rôle effacé à jouer dans un Maroc
séparé du reste du monde. Leurs désordres n'en
pas moins et en 1 848-49. ceux du Gharb eurent
l'audace d'assiéger Salé et Rabat où ils commirent toutes
sortes d'excès, si bien que le gouverneur de Fès envoyé
contre eux par le sultan Moulay Abderrahmane leur
une sanglante défaite et les mit hors d'état de nuire
pour longtemps.
Après la guerre de i85g-6o avec l'Espagne, le sultan
Sidi Mohammed, renonçant à une force armée uniquement
constituée par les tribus arabes du guich, s'occupa de créer
une infanterie régulière. Au cours de cette guerre, ceux de
Marrakech s'étaient mis en révolte et assiégèrent la ville,
après avoir détruit les récoltes et les vergers des
et réduit les habitants à la famine. Ils furent battus
par les troupes du sultan qui leur enleva leurs meilleures
terres.
Moulay El Hassan poursuivit l'œuvre entreprise par son
père pour donner au Maroc une armée de métier solide,
principalement une infanterie nombreuse et forte et de
l'artillerie. A cet effet, en 1877, il obtint du gouvernement
français une mission militaire chargée d'organiser son
artillerie. C'est grâce à cette armée que ce dernier des
grands sultans du Maroc maintint Tordre dans le pays, les
tribus arabes du guich et les noirs ou Abid Bokhari ne
jouant plus qu'un rôle effacé.
Aujourd'hui, les Hilaliens du Maroc et ceux de l'Algérie
et de la Tunisie, issus des mêmes ancêtres, mais ayant
subi des influences de milieu géographique et de régime
— 264 —

politique différents, ont perdu beaucoup de leurs traits de


ressemblance. Tous vivent sous le régime de l'ordre et
de la paix, mais ceux d'Algérie et de Tunisie, ayant subi
depuis le régime turc l'influence des institutions
ont pris une avance qui contribue à accentuer les
dissemblances.
Au Maroc, la transformation par le contact avec les
Français et les autres Européens, sans l'étape préalable de
l'éducation militaire turque, est déjà commencée, mais
comme les Arabes hilaliens sont devenus par la nature
même des lieux sédentaires et agriculteurs, comme les
avantages de leur situation sont garantis tant par la
générale que par des instruments de paix et de
rapide tels que les voies ierrées, l'automobi-
lisme, l'aviation, leurs progrès paraissent devoir être
rapides. Car ici la période de guerre en pays arabe est
close et ce ne sont pas les institutions militaires qui
agissent profondément, mais plutôt les institutions civiles.
Enfin, le monde agricole, celui du commerce et celui de
l'industrie, exercent simultanément leur attraction sur
les individus et les entraînent irrésistiblement par

Ismaël

i. Communication faite au Congrès International d'Histoire


de septembre 1931.

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