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4 2 2 L’expérimentation
en milieu paysan
À partir d’une contribution de H. Hocdé (CIRAD)
et B. Triomphe (CIRAD)
DE QUOI PARLE-T-ON ?
Depuis les années 70, et dans le sillage des approches systèmes de tout genre, l’expé-
rimentation en milieu paysan (EMP) – en anglais on-farm research (OFR) – s’est intro-
duite peu à peu jusqu’à devenir une pratique de routine chez nombre de chercheurs
et agronomes de terrain. De multiples manuels1 ont été publiés pour guider le néo-
phyte dans la mise en place de sa démarche EMP ou pour aider les chercheurs à adap-
ter leur savoir-faire d’expérimentateur en station aux particularités du milieu paysan.
Dans ce chapitre, nous utiliserons la définition suivante de l’expérimentation en
milieu paysan, adaptée de Ponteves et Jouve (1990) : « L’EMP est un processus
d’expéri mentation qui se déroule dans les conditions de la pratique paysanne. Ce processus a pour
objectif d’évaluer les effets techniques, économiques et sociaux provoqués par l’introduction
d’amé liorations des modes et conditions d’exploitation agricole du milieu. Les effets observés
concernent le fonctionnement des écosystèmes cultivés et des unités de production. »
Cette définition assez large met en exergue plusieurs aspects-clés en dehors du fait que
l’expérimentation se fasse en milieu paysan : le fait que l’EMP soit un processus plus
qu’une activité ponctuelle, qu’il y a nécessairement introduction de changement par rap-
port aux pratiques existantes, et que l’évaluation se fait sous plusieurs angles. Elle reste
cependant assez ouverte quant au type de changement introduit2 et quant au mode
de relation entre les paysans et les techniciens ou chercheurs impliqués dans l’expéri-
mentation. Elle concerne avant tout des techniques agricoles au niveau de la parcelle
et de l’exploitation agricole et beaucoup moins des innovations au niveau d’un terri-
toire.
Toutes les démarches EMP partagent un même souci : celui de produire des innova-
tions technologiques adaptées et appropriées qui permettent aux paysans de trouver
des éléments de réponse à leurs propres problèmes, réponses différentes des solutions
génériques proposées par la recherche agronomique classique.
Ce chapitre revisite quelques notions-clés d’une démarche d’« expérimentation en
milieu paysan ». Il prend délibérément le parti d’offrir au lecteur non pas des solutions
clés en main, mais plutôt des bases de réflexion pour l’aider à structurer sa propre
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Tableau 1 : Quelques raisons pour préférer un dispositif EMP à d’autres modalités d’intervention
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Une autre variante consiste à valider une technologie mise au point en station expé-
rimentale ou hors du pays, par le biais d’un réseau d’essais chez les paysans dans le
but de vérifier le caractère approprié de la technologie en question, et de pouvoir cal-
culer sa rentabilité probable.
Dans les deux cas, le paysan chez qui est implanté l’essai est plutôt un collaborateur
qui fournit au chercheur un morceau de terrain, de la main-d’œuvre et une possibi-
lité de faire varier des conditions. Il n’est pas un partenaire qui participe véritable-
ment à la prise de décision. Le chercheur et son institution sont donc les maîtres
d’œuvre de la démarche EMP, ils déterminent les techniques à tester sans concertation
approfondie avec les paysans.
Dans d’autres démarches EMP, le chercheur établit dès les premières étapes un véri-
table dialogue avec les agriculteurs et techniciens sur les problèmes à traiter, les objec-
tifs à atteindre, les méthodes d’expérimentation puis l’évaluation des résultats. On
entre alors dans le cadre de ce qu’on appelle souvent la recherche ou l’expérimentation
participative, où agriculteurs et chercheurs mettent en commun leurs objectifs, leurs
points de vue et définissent la façon de travailler ensemble.
La participation paysanne peut prendre une importance variable et se fonder sur des
modalités diverses :
> expérimentation consultative : thèmes et protocoles sont définis par les chercheurs ; les
agriculteurs sont consultés, notamment au moment de l’évaluation des résultats des
essais ;
> expérimentation collégiale : thèmes et protocoles sont définis conjointement par les
agriculteurs et les chercheurs. L’évaluation est une évaluation conjointe des
résultats ;
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> expérimentation paysanne (EP) : ce sont les paysans qui fixent les thèmes expérimen-
taux et le type de dispositif qu’ils souhaitent mettre en place, avec un appui
technique de la part des chercheurs. Dans l’évaluation des résultats, les critères
principaux d’évaluation sont ceux définis par les agriculteurs.
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Il faut s’assurer que l’identification des objectifs prioritaires se fait en concertation avec
les principaux partenaires engagés aux côtés de la personne ou de l’équipe en charge
de concevoir et mettre en place la démarche EMP. Il faut toujours envisager la possi-
bilité que, peut-être, la meilleure façon d’aborder le problème à résoudre n’est pas de
se lancer d’emblée dans une démarche EMP (voir paragraphe précédent).
3 Il faut aussi, bien entendu, préciser la composition et le mode de fonctionnement de cette équipe EMP.
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Partenaires et clients
Parmi les partenaires les plus communs, on peut citer les projets et services de recherche et de déve-
loppement, le secteur privé, les groupements de producteurs et les réseaux formels ou informels
d’agriculteurs avec lesquels l’équipe EMP a déjà l’habitude de travailler.
Parmi les clients, il y a bien sûr les paysans eux-mêmes, mais aussi les projets de recherche et de
développement partenaires, qui souvent contribuent au financement du dispositif EMP et récupére-
ront toute innovation intéressante pour la diffuser à travers leurs propres réseaux de clients. À cela
s’ajoutent les bailleurs de fonds et les gouvernements.
Bien souvent certains clients sont aussi des partenaires privilégiés de l’équipe EMP, ce
qui est à la fois une chance et une source potentielle de conflit. C’est d’autant plus pro-
bable que nombre d’institutions impliquées dans la recherche-développement ont
tendance à s’exprimer au nom de leurs clients paysans, encore trop souvent insuffi-
samment organisés et formés pour formuler eux-mêmes leurs demandes ou pour
contribuer au financement de la mise au point d’innovations.
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beaucoup la relation avec l’équipe EMP et minimise les probabilités d’abandon des
essais en cours de cycle. Mais les groupes existants ne sont pas forcément très intéres-
sés par les aspects d’expérimentation et d’innovation technologique, et certains
d’entre eux peuvent avoir tendance à travailler en vase clos, sans ouverture sur le reste
de la communauté. Par ailleurs, vouloir former des groupes nouveaux autour des
seuls aspects d’expérimentation est souvent très coûteux en temps et pas forcément
viable au-delà des premiers essais.
Probablement la meilleure attitude réside dans une approche pragmatique, qui
examine au cas par cas les possibilités concrètes de travail, sans condamner d’avance
toute possibilité de travailler avec des individus, ni voir dans le travail en groupe la
panacée.
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4 Nous n’insisterons pas sur les aspects généralement bien traités dans les manuels sur l’EMP : nombre de traitements,
nombre de répétitions, choix du témoin, choix du dispositif (voir par exemple GUILLONEAU, 1994 ou fiches
pédagogiques : document CADEF).
5 Blocs dispersés, split-plots.
6 Dispositifs avec répétitions pour le seul témoin : CROSSA, 2000.
7 Dispositifs factoriels incomplets, analyse multivariable de l’interaction essai x milieu.
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l’équipe EMP. Et il faut aussi savoir déléguer les responsabilités : pourquoi ne pas confier
la responsabilité du suivi de routine des indicateurs d’enherbement ou d’humidité du
sol au paysan responsable de l’essai ou à un(e) jeune du village plutôt que de vouloir
tout faire soi-même ? Enfin, il faut rapidement planifier dans le temps les activités routi-
nières du programme EMP : les visites périodiques des différents essais, les journées
au champ, les récoltes, en prenant garde à toujours laisser une place suffisante pour
le travail de bureau8 et pour les imprévus : recevoir les visiteurs envoyés par le projet,
réparer le véhicule, aller se démener avec les autorités pour que le budget alloué soit
effectivement débloqué.
La mobilité est une autre contrainte majeure : mieux vaut des sites groupés que des
sites dispersés probablement plus représentatifs mais beaucoup plus difficiles à suivre.
Et que dire des frais d’essence qu’occasionnent le suivi périodique de ces sites, qui
seraient peut-être mieux employés à payer un autre technicien, ou à s’équiper en ordi-
nateurs ou en instruments de mesure.
Finalement, et au risque de s’exposer au paradoxe, il faut autant que possible mini-
miser la probabilité que tout aille mal et prévoir l’imprévisible. D’où la nécessité de
privilégier la robustesse des dispositifs à leur attrait scientifique, ce qui leur permettra
de supporter sans dommages majeurs les changements de dernière minute ou la perte
d’un site. Il faut aussi s’assurer que l’information essentielle sera disponible d’une
manière ou d’une autre : il est donc utile de disposer de plusieurs indicateurs ou variables
qui se confirment l’un l’autre, comme par exemple un suivi des opérations culturales par
l’agriculteur doublé d’une enquête sur les pratiques réalisée par le technicien à la fin
du cycle. Mieux vaut ne pas se fier aux indicateurs uniques qui, s’ils ne sont pas mesu-
rés à temps ou correctement, se transforment en données manquantes ou ambiguës.
En somme, il faut tout faire pour que le dispositif EMP pâtisse le moins possible des
conséquences sur le travail effectué des contraintes de logistique. Mieux vaut donc un
dispositif modeste et bien conduit qu’un dispositif ambitieux mais fragile.
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moments sont dictés par les grandes étapes du cycle agricole et des pratiques cultu-
rales : préparation du terrain, semis, opérations de désherbage, de fertilisation et d’ir-
rigation, initiation de la floraison, maturité physiologique, récolte.
Un suivi sur un pas de temps plus rapproché peut se justifier pour certaines variables
comme l’évolution de l’humidité du sol, ou l’évolution du statut phytosanitaire d’une
culture, mais ce n’est certainement pas une règle générale. Le temps étant souvent un
des principaux facteurs limitants, il faut savoir doser son emploi avec parcimonie.
Tableau 2. Estimation grossière du nombre d’essais que peut suivre un chercheur ou technicien EMP
Enfin il ne faut pas oublier de dimensionner les essais au cours du temps : va-t-il
falloir poursuivre les mesures au cours de plusieurs cycles agricoles parce que l’inno-
vation ne produit pas tous ses effets immédiatement : essais de rotation ou de mode
de préparation du sol, essais à base de plantes pérennes, etc.
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Il faut aussi pouvoir juger de la pertinence d’une dépendance forte vis-à-vis de l’ex-
térieur, comme celle que peut représenter le prêt de certains instruments trop coû-
teux pour que l’équipe EMP puisse les acquérir, ou le passage par un service externe
d’analyse de laboratoire.
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De manière générale, l’évaluation par les paysans doit être préparée avec beaucoup
de soin si on veut pouvoir en tirer un maximum d’informations. Trop souvent, on se
contente de faire une enquête d’opinion superficielle et bâclée, qui n’apporte guère au
processus d’EMP, si ce n’est l’alibi que les paysans ont été consultés.
10 Les manuels existants sur l’EMP couvrent en détail ces aspects, et le lecteur aura l’embarras du choix quant aux
traités de statistiques appliqués à l’expérimentation agronomique (DAGNÉLIE 1998 par exemple).
11 Et non le faire faire à un tiers !
12 Entre 20 000 et 60 000 pieds par ha pour du maïs par exemple.
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pas oublier que les tests non-paramétriques et les analyses multi-variables peuvent
avantageusement les remplacer, notamment pour les échantillons de taille réduite,
lorsque les variables sont très nombreuses ou lorsque l’on doit analyser ensemble
variables quantitatives et qualitatives. À ce stade, le technicien EMP doit souvent faire
appel à un biométricien.
Enfin, après les analyses statistiques, le retour à l’analyse agronomique ou économique
ou des risques permet de dégager une interprétation fondée sur des mécanismes bio-
logiques ou sur des comportements humains. À partir de cette interprétation sera
ensuite formulées une recommandation ou une réorientation des essais.
1. Expérimenter sur une parcelle d'un agriculteur
1er cas : un facteur à étudier - exemple : le facteur variétal étudié par la comparaison de 3 variétés A, B et C dans un dispositif à 4 répétitions
schéma possible d'implantation de l'essai si la parcelle est homogène : répartition au hasard des traitements sur les 3X4 = 12 sous-parcelles
C A B A
C B C C
A B B A
schéma possible d'implantation de l'essai si la parcelle est hétérogène, avec par exemple une profondeur du sol qui augmente du haut vers
le bas de la parcelle : constitution de 4 blocs, chaque bloc étant une sous-parcelle homogène du point de vue de la profondeur du sol. Les
différents traitements sont ensuite répartis au hasard dans chaque bloc
C C B A
A B C B
B A A C
2ème cas : 2 facteurs à étudier - exemple : le facteur variétal étudié par la comparaison de 3 variétés (A, B et C) et le facteur préparation du sol
avec 2 variantes (culture à plat / culture sur billons) dans un dispositif à 4 répétitions
schéma possible d'implantation de l'essai si la parcelle est homogène : répartition au hasard des traitements sur les 3X2X4 = 24 sous-
parcelles
schéma possible d'implantation de l'essai si la parcelle est hétérogène, avec par exemple une profondeur du sol qui augmente du haut vers
le bas de la parcelle : on utilise à nouveau 4 blocs
Les deux types de schémas précédents sont compliqués à lire pour celui qui n'a pas mis en place l'essai (on se perd dans l'emplacement des traitements)
et compliqués à mettre en place lorsqu'il faut faire des micro-parcelles billonnées ou réaliser un traitement sur une très petite surface. On préfère souvent
en milieu paysan utiliser un dispositif appelé"split-plot" : dans chaque bloc, on réalise autant de sous-parcelles qu'il y a de variantes du facteur qui se
prête mal à une mise en place sur une surface très petite ; à chaque sous-parcelle est attribuée, au hasard, une variante de ce facteur, puis chaque sous-
parcelle redivisée en autant de micro-parcelles qu'il y a de variantes de l'autre facteur. On affecte ensuite au hasard une variante du deuxième facteur à
chaque microparcelle. En reprenant l'exemple précédent et en considérant qu'il est plus difficile de changer de mode de préparation que de changer de
variété sur des micro-parcelles, on peut aboutir au dispositif suivant :
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Ce type de dispositif est beaucoup plus simple à lire pour celui qui n'a pas mis en place l'essai, notamment si des repères (piquets, sentiers,...) permettent
de bien identifier les blocs. Statistiquement les résultats sont cependant moins précis pour le facteur disposé en sous-blocs (ici le facteur mode de
préparation)
Il est très fréquent que les expérimentations se déroulent sur des parcelles différents appartenant à différents agriculteurs. On parle dans ce cas
d'expérimentation en blocs dispersés, chaque parcelle correspondant à un bloc. Si on ne souhaite pas mesurer les interactions entre les différents facteurs
testés et si on ne souhaite pas vérifier si les facteurs testés ont des effets variables sur les différentes parcelles, il n'est pas nécessaire de faire des
répétitions chez chaque agriculteur. Si par contre on pense que les facteurs testés peuvent interagir ou que les effets peuvent varier entre les différentes
parcelles supports, il faut absolument faire des répétitions
Exemple 1 : dispositif d'essai en blocs dispersés : 3 variétés testées chez 8 agriculteurs, sans répétition
C A B A C
B B B
A C C C
A B A
A C
B C A B
A B C
Ce dispositif permet de dire si globalement une variété se révèle supérieure aux autres ou non ; il ne permet de dire si les variétés se comportent de
manière différente chez les 8 agriculteurs
Exemple 2 : dispositif d'essai en blocs dispersés : 3 variétés testées chez 6 agriculteurs, avec 3 répétitions
A C C
C A B B B A
B A B C C B
C A A
A C C B C C
C B B C A B
B A A B A A
A B C B B C
C A B C A A
A C B B A C
Ce type de dispositif, s'il implique un nombre suffisant d'agriculteurs, permet de repérer par exemple si deux variétés nouvelles sont plus intéressantes que
la variété utilisée couramment dans l'ensemble des situations rencontrées ou si au contraire elles ne sont intéressantes que pour un type de milieu ou un
type d'agriculteur donné
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et surmontées, ou enfin de bien mesurer les facteurs à prendre en compte si l’on veut
amplifier les recherches EMP.
En se fondant sur les objectifs assignés au départ, il faut pouvoir évaluer formellement
les conditions dans lesquelles s’est déroulé le processus. La division des responsabili-
tés a-t-elle eu lieu comme prévu initialement ? Qu’ont appris les techniciens sur la
façon de travailler avec les paysans ? Et qu’ont appris les agriculteurs participants ? Le
degré de motivation, la confiance en soi ont-ils augmenté ? Les voisins ont-ils visité
l’essai ? Certains d’entre eux se sont-ils proposés pour monter des parcelles d’essais
chez eux lors du prochain cycle agricole ? Ou le font-ils déjà, à leur manière ? Sont-ils
en train de copier tout ou partie de la technologie testée ? Ou au contraire leur scep-
ticisme face aux interventions techniques du projet s’est-il renforcé ?
On pourrait décliner à l’infini les questions sur le processus. Cependant, si ces aspects
n’ont pas été pris en compte au cours du suivi du dispositif EMP, il est souvent diffi-
cile d’aller au delà des simples impressions, ce qui réduit d’autant la capitalisation
effective de l’apprentissage des processus.
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Quelle doit être la part des supports écrits et audio-visuels ? Quels supports vidéos
faut-il prévoir ? Cet outil de plus en plus répandu et d’un faible coût16 permet d’at-
teindre un large public pas forcément alphabétisé et se prête parfaitement à la resti-
tution des apprentissages sur les processus. Il faut évidemment donner une large
place aux échanges directs, aux restitutions et autres rencontres et communications
orales qui ont le grand intérêt de permettre une rétroalimentation immédiate.
Dans chaque cas, il est impératif de garder en tête le public visé, et d’adapter
soi gneusement l’information et la stratégie de communication en fonction du but
recherché. Ainsi, il faut éviter les excès de technicisme dans une présentation pour des
agriculteurs, mais on ne peut oublier de donner les détails sur la méthodologie
lorsqu’on s’adresse à des chercheurs ! On inclut des dessins, photos et témoignages
pour les uns, et des graphiques et tableaux croisés pour les autres. On se reportera
utilement pour cela au chapitre 33.
16 Pour peu que l’on dispose d’une caméra vidéo et qu’on ait pensé à filmer les principales étapes de l’essai.
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PPB Participatory Réseau CGIAR Généticiens et améliorateurs s’alliant avec Un peu partout
Plant Breeding les paysans pour la sélection variétale et
l’amélioration génétique.
FFS Farmer Field School FAO Renforcement des capacités d’observation, Asie du Sud-est
de compréhension et de recherche des
agriculteursà partir de leur formation à la lutte
phytosanitaire intégrée.
PTD Participatory ETC Pays Bas Intervention centrée sur les communautés des Afrique, Asie
Development Technology zones marginales dans laquelle des facilitateurs et Amérique latine
externes aident les agriculteurs à développer des
alternatives agroécologiques à faible niveaux
d’intrants externes.
«Producteur à Producteur» Divers Promoteurs paysans qui suscitent par l’exemple Méso-Amérique, Brésil
l’innovation technologique et souvent
organisationnelle. En règle générale appuyée par
des ONG.
Modèle Agriculteur Coopératives agricoles, Renforcement des capacités d’innovation Amérique latine, Europe
Expérimentateur CGIAR technologique de groupes de paysans en (CETA, GDA, CIVAM)
recherchant une interaction et intégration
étroites entre les différents acteurs.
Cette définition souligne bien que l’EP est un processus formel d’expérimentation,
même si la façon empirique de le conduire masque parfois cette formalisation pour
l’observateur non averti. L’individu ou le groupe a une idée concrète sur le facteur qui
peut être à l’origine de son problème, il invente un dispositif pour trouver des
éléments de solution et vérifie si son idée était valable. C’est donc bien lui qui décide :
« j’ai observé … je me suis rendu compte … je pense que … donc je vais faire ». Ce n’est
pas un événement fortuit qui provoque sa décision. Il ne se laisse pas guider par l’ob-
servation mais engage volontairement et consciemment l’obtention de réponses à son
questionnement.
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19 Dans un groupe, il y a un souvent un paysan qui ne respectera pas le protocole de départ. Que faire ? Le
réprimander ou détecter dans la «déviance» une source d’inspiration ? L’erreur est source de progrès, disait Lao-Tseu !
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● Pendant l’échange
Une rencontre fructueuse se déroule en trois étapes. La première, la plus longue, est
celle qui d’emblée, passionne le plus les participants. Les visiteurs écoutent, regardent,
observent, sentent, s’imprègnent des nouveautés techniques qu’ils découvrent. Ils
questionnent et veulent toujours en savoir plus. Ils décortiquent les essais paysans et
s’intéressent à toute innovation mise en place par celui qui les accueille ou à toute tech-
nique qui leur est nouvelle.
La seconde étape est plus difficile à mettre en place. Il s’agit de réserver un moment
en fin de visite pour que les visiteurs analysent, systématisent entre eux leurs obser-
vations, leurs remarques, leurs doutes voire les recommandations qu’ils peuvent for-
muler à leurs hôtes.
Dans la troisième étape, les visiteurs restituent aux accueillants le fruit de leurs com-
mentaires, ce qui donne lieu à un débat entre les deux parties. Cette confrontation
d’idées, de savoirs, de raisonnements se révèle en général particulièrement riche et
utile. Elle touche plus des questions liées aux processus et au moyen terme. Mais elle
est aussi la plus difficile à mettre en route, pour des limitations de temps et de fatigue
des participants. Savoir les bousculer pour arriver à cette troisième étape est souvent
laborieux mais toujours payant.
La richesse et donc l’efficacité de l’échange s’étoffe s’il sort du champ technique pour
entrer dans l’univers culturel. Dans certains échanges, les accueillants font découvrir
leurs plats typiques, leurs répertoires musicaux, leurs contes, danses, leur patrimoine
architectural, touristique ou historique. Les horizons s’ouvrent et s’élargissent.
● Après l’échange
Au retour, le visiteur communique avec sa famille et ses voisins. En l’absence de stra-
tégie de restitution, les choses en restent là. Mais les visiteurs peuvent aussi organiser
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des sessions de restitution dans leur village, leur communauté, leurs groupements ou
plus simplement alimenter leurs réseaux traditionnels de communication : conversa-
tions sur la place du village, au marché... Dans le meilleur des cas, ils intégrent les
résultats dans leur plan de travail : idées de choses à essayer dans les parcelles, formes
d’organisation.
● Repères historiques
> 1991 : les autorités du Guatémala choisissent la région administrative de Baja
Verapaz comme terrain d’intervention d’un projet de coopération externe pour
appliquer un programme de recherche-développement qui associe chercheurs et
vulgarisateurs. Le projet finance des sessions traditionnelles de formation de
l’équipe vulgarisateurs-techniciens à l’approche système, ainsi que des activités
d’expérimentation en milieu paysan et de vulgarisation.
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> 1992 : les vulgarisateurs formés partent à la recherche de paysans producteurs d’in-
formations technologiques. Paysans et techniciens s’accordent sur le mot agriculteur-
expérimentateur (A/E). Ils organisent des rencontres d’échanges de trois jours regrou-
pant une soixantaine d’A/E. Au préalable, les techniciens ont procédé à un
processus de sélection minutieuse des A/E, ont documenté les tests paysans et ont
aidé les agriculteurs à présenter leurs travaux en public sous une forme où ils se
sentent à l’aise et qui permet néanmoins la comparaison des expériences.
> 1993 : les A/E volontaires se mobilisent dans leur communauté et réalisent leur dia-
gnostic participatif ; à la suite de quoi ils décident de mener individuellement ou en
groupe des essais avec l’appui d’un projet de coopération externe.
● Le cas de Chixolop
Chixolop est une de ces communautés. En 1994, un noyau d’A/E décide de former,
avec l’aide du vulgarisateur du ministère de la zone, un comité de chercheurs paysans
et le baptise Superacion20. Ils sont cinq21 ; leurs fermes varient entre un et deux ha. Le
comité loue une parcelle d’un demi hectare à un tarif relativement modeste dans le
centre du village pour installer leurs essais alors que tous vivent et ont leurs propres
parcelles dans les collines environnantes. C’est leur centre expérimental paysan (CEC).
Suite à leur diagnostic et pour attaquer les problèmes identifiés, ils retiennent un cer-
tain nombre d’essais que le groupe s’estime en mesure de conduire et chacun se porte
responsable d’un thème :
> densité de peuplement de deux variétés de sorgho, Mitlan et ICTA (variétés amé-
liorées produites par la recherche nationale) ;
> détermination de la hauteur de coupe (à la machette) du sorgho en fin de première
saison des pluies pour assurer une bonne repousse et un bon rendement à la fin du
second cycle ;
> comparaison de doses d’urée appliquée au moment de la repousse du sorgho ;
> association Canavalia (Canavalia ensiformis) et sorgho pendant le premier cycle agri-
cole pour favoriser un bonne repousse du sorgho de second cycle : essai sur trois ans;
> comparaison de cinq variétés d’arachide.
Dans le CEC, chacun des cinq A/E est responsable de la conduite de son essai (une par-
celle de 20 x 5 m), sur un ou même trois ans. Certaines tâches sont assurées
individuellement ou avec l’aide des quatre autres. En outre, chaque A/E cherche
autour de chez lui trois ou quatre collaborateurs pour conduire dans leurs collines le
même type d’expérimentation dans leur propre parcelle. Elle fonctionne comme une
répétition.
Tout l’espace du CEC n’est pas occupé par les parcelles expérimentales paysannes. La
partie restante est prêtée à un chercheur de la station de recherche voisine. Il y ins-
talle un essai de comparaison des densités de peuplement du sorgho Mitlan et de fer-
tilisation azotée, avec un dispositif ad hoc fournissant des données complètes et
détaillées.
20 Dépassement.
21 Dont deux analphabètes.
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22 Lorsque le responsable le décide car il considère ce moment comme particulièrement propice à l’échange.
23 Dans une partie de sa parcelle d’essai « arachide », l’agriculteur avait appliqué une dose élevée de fumier.
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Il faut aussi garder à l’esprit les limites inhérentes à ce type de démarche : elles sont
loin de pouvoir tout résoudre. Les faiblesses liées au manque de rigueur et de savoir-
faire, aux possibilités de confusions d’effets et à la difficulté de systématiser les diffé-
rentes dimensions de ces démarches sont autant de pierres d’achoppement auxquelles
peu d’équipes échappent et qui peuvent faire échouer même les meilleures intentions.
Pourtant, chaque jour, de nouvelles expériences et de nouvelles avancées prouvent
que ce ne sont pas là des vices rédhibitoires. La réflexion honnête sur son expérience,
les échanges sans concession entre équipes et projets, et surtout la motivation pour
améliorer chaque fois un peu plus les démarches et les méthodes utilisées sont peut-
être le meilleur antidote contre l’inertie et le manque d’imagination de ceux qui vou-
draient s’en tenir aux routines établies et devant le scepticisme têtu des tenants de
l’orthodoxie scientifique technique ou sociale qu’effraie tout changement radical de
paradigme.
Bibliographie
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