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HAYATOU DJOULDÉ
Département de Français
Université de Ngaoundéré – Cameroun
hayatou.djoulde15@yahoo.fr
Résumé : Le présent article se donne pour objectif d’analyser les ressources langagières dans
« Boko Haram ! Tu ne nous peux pas », chanson exécutée par One Love, jeune rappeur
camerounais. Présentée comme un hymne en l’honneur des soldats au front et un message de
ralliement pour la lutte contre Boko Haram, cette pièce est passée en boucle sur les chaînes
radio et télé entre janvier et février deux mille quinze. Posté sur You Tube, ce clip a enregistré
plus de cent mille vues de janvier à octobre de cette année-là. Ecrite en français et en
camfranglais, cette chanson se caractérise par une richesse stylistique aussi bien dans le fond
que dans la forme du texte. Cette réflexion tente de montrer le fonctionnement et les effets du
choix des divers paliers langagiers sur lesquels l’artiste s’appuie pour mettre en exergue un
message d’espoir et d’espérance vis-à-vis de Boko Haram. Nous inscrivant dans une
perspective stylistique, nous étudions les composantes énonciative, lexicale et rhétorique de
cette chanson.
Mots-clés : analyse stylistique, Boko Haram, chanson, hymne.
Abstract : The present paper aims to analyse linguistic resources in "Boko Haram ! Tu ne
nous peux pas", song performed by One Love, young Cameroonian singer. Presented as an
hymn in honour of soldiers in front and as a message of union in order to fight Boko Haram,
this song was over listened on radio and TV between January and February two thousand and
fifteen. Posted on You Tube, this clip has been recorded more than a hundred thousand of
views from January to October the same year. Written in French and in Camfranglais, this
song is characterised by a stylistic richness both in the substance that in the form of the text.
This reflexion tries to show the functioning and the effects in the choice of various linguistic
pillars on which the artist leans to develop a message of hope and expectancy towards Boko
Haram. Inscribing this reflexion in a stylistic approach, we study enunciative, lexical and
rhetoric components of this song.
Keywords : Boko Haram, hymn, song, stylistic analysis.
Introduction
Depuis que le Cameroun combat Boko Haram, plusieurs voix se sont levées, soit pour
dénoncer ses exactions, soit pour appeler à l’union de ses populations afin d’en venir à bout.
Si le politique a privilégié d’abord la diplomatie, puis a envoyé les soldats au front, les
populations, quant à elles, ont organisé des marches patriotiques de soutien à ces soldats et ont
collecté de l’argent et des denrées alimentaires dans ce qu’on a appelé « effort de guerre ». Si
les hommes de medias ont opté pour une communication opérante en contexte de guerre, les
artistes, pour leur part, entrent en scène pour apporter un nouvel air afin de booster le moral
des alliés engagés dans la riposte contre Boko Haram.
Le travail qui nous incombe tente d’analyser les ressources langagières mobilisées dans la
chanson intitulée « Boko Haram ! Tu ne nous peux pas » écrite par One Love le caïd, jeune
1
chanteur de rap Camerounais. La question centrale de notre réflexion est la suivante :
comment fonctionnent les divers paliers langagiers dans cette chanson et quels en sont les
effets dans la construction d’un message de solidarité et d’espérance dans la lutte engagée
contre Boko Haram ? Nous inscrivant dans une approche stylistique du discours, il importe
d’étudier les composantes énonciative, lexicale et rhétorique de cette chanson. Sont alors
examinées la situation d’énonciation, la qualité du vocabulaire utilisé pour désigner le
phénomène et traduire les espérances de l’artiste, partant celles de tous les citoyens
camerounais pour en arriver à bout ainsi que les figures rhétoriques qui sous-tendent le
discours social dérivé de ce texte.
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D’après les récentes statistiques présentées par le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
(UNHCR), le nombre total des réfugiés au 31 janvier 2016 s’élève à 54.806 personnes réparties dans 15.075
ménages.
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rattachent au premier refrain sont développés respectivement par sept et dix-sept vers tandis
que les deux autres, qui suivent le second refrain, sont composés chacun de seize et dix-sept
vers. La chanson entière tient sur soixante-treize vers. Nous pouvons aussi remarquer que les
deux derniers couplets de chaque partie comptent dix-sept vers. Ce qui réduit le déséquilibre
entre les deux parties de la chanson.
Sur le plan de la langue, la chanson se caractérise par l’usage d’un code particulier, le
camfranglais. Parler des jeunes par excellence, le camfranglais est une langue hybride qui
mêle le français, l’anglais et les langues camerounaises. En plus des emprunts qui constituent
son lexique, cette langue se caractérise davantage par la créativité lexico-sémantique et la
simplification des règles de sa grammaire. Prenons en guise d’illustrations, les relevés
suivants extraits de la chanson :
- les emprunts : à l’anglais (speak, man, kill, call-box), au pidgin-english (ya, nièè,
mbout-man), au duala (bolè), au fulfulde (bili-bili) ;
- la créativité lexico-sémantique par le procédé de resémantisation de l’expression « on
va vous malaxer » ;
- la simplification des constructions phrastiques à travers les calques syntaxiques « tu ne
nous peux pas » et la réduplication des termes « tu vas boum-boum » ; « on va te
toum-toum ».
Dans les cultures urbaines, le chant-rap est un style privilégié utilisé par les artistes afin de
fustiger les mauvais comportements dans la société. C’est dans ce sens que One Love utilise
ce créneau pour dévoiler les mauvais desseins de Boko Haram et dénoncer par-là même ses
exactions. Nous jetons notre dévolu sur Boko Haram… puisqu’au-delà du fait que cette
chanson intègre l’actualité socio-politique du Cameroun, elle constitue en plus un corpus
intéressant dans lequel des faits de langue se prêtent à une analyse rigoureuse et scientifique.
En un mot, ce corpus se construit sur une énonciation familière, avec des mots simples mais
évocateurs et provocateurs ainsi que des figures.
2.1. Le jeu déictique : l’identification des forces impliquées dans la lutte contre Boko
Haram
Encore appelés embrayeurs, les déictiques sont les éléments qui marquent l’ensemble des
opérations par lesquels un énoncé s’ancre dans sa situation d’énonciation. Pour Maingueneau
(2002 : 158), qu’il soit « employé comme adjectif (« valeur déictique », élément déictique)
que comme nom (« un déictique »), ce terme désigne un des grands types de référence d’une
expression, celle où le référent est identifié à travers l’énonciation même de cette
expression ». D’après cet auteur, un déictique permet de reconnaitre et caractériser ce dont on
parle dans un énoncé ou dans une énonciation. S’il est simpliste de dire que la chanson que
nous analysons est de One Love, il n’est cependant pas aisé de décrire comment il se présente
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dans son texte, comment il présente son thème et comment se développe sa pensée. Très
souvent, les éléments déictiques qui se rapportent aux personnes de l’interlocution sont les
pronoms personnels et les adjectifs et pronoms possessifs.
Les déictiques de personne qui servent à présenter les énonciateurs dans Boko Haram… sont
ceux du singulier et du pluriel. Au singulier, nous avons trois occurrences du pronom
personnel « je » et l’adjectif possessif « mon » utilisé en deux occurrences dans « mon pays »
et « mon doigt d’honneur ». Le marquage déictique par le pluriel est abondant à travers le
pronom personnel « nous » réutilisé quatorze fois. Ces occurrences d’éléments déictiques
soulignent la présence explicite du sujet énonçant dans cette pièce de musique. L’emploi du
pronom « on » renforce cette présence de l’instance énonciative dans le discours musical.
Sujet polyvalent, le pronom on peut remplacer une personne ou un ensemble de personnes à
l’exemple d’un corps, d’un collectif, etc. Employé en onze occurrences, le pronom « on »
renchérit la présence du locuteur-artiste, en tant qu’il équivaut à « je » et surtout à « nous ».
Qu’il se (re)présente sous la forme individuelle ou collective, le sujet énonçant marque si
fortement sa présence dans son discours. Il se fait le représentant ou le porte-parole de tous les
Camerounais. Donc, ce n’est pas un seul Camerounais qui lance le défi à Boko Haram, mais
plutôt, toute une nation qui se tient comme un seul homme devant Boko Haram.
L’interlocuteur, quant à lui, est nommé onze fois grâce à l’apostrophe « Boko Haram ». Des
substituts nominaux comme « voyous », « leader », « bande de mboutman » et ceux
pronominaux (« tu » et « vous ») représentent densément le référent du discours. Une lecture
axiologique de certaines désignations sera faite dans la suite de cette réflexion. Revenant aux
déictiques spécifiquement, nous avons dénombré quatre-vingt et une occurrence des
déictiques personnels de la deuxième personne du singulier dont soixante-deux pronoms en
fonction sujet et douze en fonction complément. Sept fois les adjectifs possessifs « ta » et
« tes » ont été distribués pour faire référence à Boko Haram. Au pluriel, le pronom « vous »
est utilisé neuf fois et l’adjectif possessif « vos » trois fois pour représenter l’interlocuteur
dans le discours.
Ce relevé exhaustif d’indices de la présence de l’allocutaire permet de souligner sa forte
présence dans le texte. Il est désigné et représenté en une centaine d’occurrences au total. Cela
prouve combien l’artiste cherche à le montrer du doigt et à l’exposer au grand jour. Nous
pouvons également faire remarquer que l’emploi de la deuxième du singulier (« tu » et ses
variantes) relève d’un désir de tutoyer l’ennemi en s’adressant directement au meneur ou à
toute la bande. Cette situation énonciative permet de comprendre que le contexte de
communication qui se présente ici est tendu ; il est guerrier à en croire aussi les modalités
énonciatives mises en jeu.
2.2. Le jeu des modalités d’énonciation : les intentions des forces alliées
La modalité est l’attitude prise par l'énonciateur à l'égard de ce qu'il énonce, c’est-à-dire la
mise en rapport de ce qu’il dit avec un prédicat. Selon Fromilhague et Sancier-Château
(1996 : 56), « le jeu des modalités traduit l’attitude de la conscience locutrice en face du
monde », c’est-à-dire qu’elles trahissent les intentions du sujet énonçant dans la réalisation de
son discours. Il existe plusieurs modalités d’énonciation : assertive, quand le locuteur pose la
valeur de vérité dans son propos ; jussive, lorsque l’intention de parole relève d’un ordre ou
d’un conseil ; exclamative, lorsque le locuteur marque une réaction affective ; interrogative
quand le sujet veut instaurer un débat, assertive quand l’expression de la vérité est l’intention
de communication. L’observation du discours musical que nous nous proposons d’étudier
montre une interaction entre une triple modalité assertive, interrogative et jussive.
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Tout d’abord la modalité assertive. Elle pose la valeur de vérité dans la chanson. Dans son
discours, One Love cherche à s’affirmer en affichant son statut, sa détermination et son
caractère. Pour nous en convaincre, observons les énoncés assertifs suivants : « La devise de
mon pays c'est PAIX-TRAVAIL-PATRIE » / « Tu ne nous peux pas » / « On va vous malaxer
et vous décapiter » / « On va vous cribler de balles pour vous paralyser » / « Je lève mon doigt
d'honneur aux puissances qui vous arment » / « Le linge sale se lave en famille » « Même là-
bas au front, nous sommes indomptables ». Cet extrait renseigne sur le statut du « pays »
officiellement reconnu par l’histoire et par sa devise, dans lequel l’artiste est citoyen.
L’affirmation de soi est d’autant plus rendu visible à travers l’assertion négative « … tu ne
nous peux », qui revient comme un refrain dans la chanson. La détermination du locuteur,
quant à elle, est démontrée par l’usage du futur proche « On va vous malaxer, …décapiter,
…cribler de balles, …paralyser, … ». Ce procès est déterminant pour l’artiste et fait ainsi
l’objet d’un programme social qui se met déjà en action : « Je lève mon doigt d’honneur… ».
En plus, la modalité assertive permet de caractériser les Camerounais qui vivent en « famille »
et qui sur le terrain de bataille sont « indomptables ». Voilà autant de propos présentés comme
étant vrais dans le discours et dans la réalité de l’énonciateur. Cette présentation de soi donne
une image positive et influente de l’énonciateur et partant celle de tous ceux qu’il représente.
Les rhétoriciens parlent ici du processus de construction de l’ethos. L’objectif est d’intimider
l’adversaire et de le contraindre à plier l’échine.
Ensuite la modalité interrogative. Elle consiste en la mise en débat dans le discours. Dans
Boko Haram… cette modalité vise à questionner l’allocutaire. En larguant quarante-deux
interrogations qui visent directement Boko Haram, l’artiste veut savoir ce qui se cache
derrière l’individu, « Tu t'adresses à qui? » (27 occurrences) ; le phénomène, « Tu es même
quoi? » (8 occurrences) ; sans oublier d’interroger l’origine de Boko Haram : « Tu sors même
d'où? » (7 occurrences). C’est ainsi que Boko Haram est accablé de questions, ce qui
ressemble à une confrontation ou un interrogatoire pendant lequel il est sommé de répondre.
Boko Haram est considéré comme un phénomène possédant une nature, une essence, un ou
des principe(s) de fonctionnement, une constitution… C’est, en effet, ce que veut savoir
l’artiste en posant la question « Tu es même quoi ? ». Si, d’une part, cette interrogation traduit
la difficulté du locuteur à identifier ou à définir clairement l’objet de son discours, elle montre
d’autre part la détermination et même l’acharnement du chanteur à comprendre coûte que
coûte le phénomène en question. Cette question semble expliquer certaines métaphores que la
presse camerounaise utilise pour désigner ce phénomène comme une « nébuleuse » ou une
« hydre ».
Boko Haram est également considéré comme une personne faite de chair et d’os. Cette
identification est contenue dans les sèmes /humain/ que nous pouvons retrouver dans les
verbes noyaux de ces questions tels que « adresses », « menacer », « crois », « connais » et
bien d’autres encore. En tant que tel, One Love ne ménage pas ses expressions ; il est direct et
semble même s’attaquer de manière frontale à Boko Haram. C’est ce que laissent entendre
davantage les questions directes « Tu t’adresses à qui ? » ; « Tu oses même menacer le
président de qui ? » ; « Tu crois que notre armée a peur de tes voyous ? » ; « Tu connais
même le pays où tu viens mettre tes pieds ? ». Mais, à y voir de près, nous nous rendons
finalement compte que ces questions ne présupposent pas forcément des réponses de la part
de l’allocutaire Boko Haram ; elles sont plutôt des questions ouvertes auxquelles l’artiste, le
président camerounais, l’armée camerounaise et tous les Camerounais sont invités à apporter
des réponses ontologiques ; ce qui leur permettra de se sentir invincibles, car unis pour une
même cause. Boko Haram est enfin questionné sur ses origines. Telle apparait la raison d’être
de la phrase « Tu sors d’où ? ». C’est l’origine, la provenance et les liens de Boko Haram qui
sont ainsi mis en cause. L’artiste cherche à connaitre les sources qui ont fait naitre Boko
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Haram, qu’il soit vu comme un phénomène ou comme une personne. La suite du texte tente
d’apporter un élément de réponses à cette question : ses relations avec les « puissances ».
Enfin la modalité jussive où la présence du locuteur du discours est de plus en plus ressentie à
travers l’impératif. L’artiste s’en sert à neuf reprises pour intimer des ordres, lancer des
ultimatums ou donner des prescriptions. Dans les impératifs « Laissez-nous tranquille » ;
« Allez faire vos choses ailleurs » ; « ferme ta bouche man » ; « Rentrez chez vous et déposez
vos armes », nous retrouvons une série d’ultimatums lancés à l’endroit des membres du
groupe Boko Haram. L’artiste, porte-parole de la nation camerounaise, exige aux terroristes
de cesser leurs exactions. D’autres impératifs pour leur part formulent des recommandations
pour une bonne communication sociale (« dites aux soldats…, dites à la population… ») et
pour un acte de solidarité (« donnez-leur du pain…, donnez-leur de l’eau… »). Pour ce
dernier cas de figure, l’artiste rapporte au style direct les propos du Chef de l’Etat à la nation.
Autrement dit, le président de la République maitrise la situation qui prévaut et formule à cet
effet des règles de conduite aux soldats et aux populations. Ceci fait que tout le monde est
impliqué et engagé dans ce programme. Au demeurant, l’analyse de la composante
énonciative permet d’identifier les forces engagées dans la lutte contre le terrorisme, de
connaitre leurs différents rôles et intentions et de comprendre le rapport de force qui s’établit
entre un groupe d’individus et tout un pays agressé mais déterminé à le combattre.
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Nous allons vous massacrer.
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Nous allons vous écraser ; l’onomatopée toum-toum fait allusion au bruit du pilon dans le mortier.
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« tu vas boum-boum4 », « Boko Haram risque de les bolè-bolè5 », « puissances qui vous
arment ».
Les différents composants de ce champ lexical permettent d’appréhender l’objet du message
de l’artiste. Toutefois, à l’intérieur de ce large éventail, l’énonciateur parvient à faire des
rapprochements, mais de fois des oppositions qui montrent ses prises de position, sa vision du
phénomène et son cri de guerre.
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Tu vas bombarder.
5
Boko Haram risque de les anéantir.
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une « bande » – mot tout aussi insultant que le premier – d’individus dont l’inconscience se
mesure aux actes odieux et lâches qu’ils font perpétrer.
À tout prendre, nous pouvons dire, après cette brève présentation du vocabulaire dépréciatif,
que l’énonciateur désavoue les crimes des membres de la secte islamique en insistant sur le
caractère inconscient – non pas pour déculpabiliser Boko Haram – mais pour marquer
l’inhumain et l’irrationnel qui dictent l’accomplissement de ses forfaits. C’est un groupe de
personnes dont les actes ne peuvent être justifiés que par un manque de conscience et de
lucidité notoire. Donc, Boko Haram est sans excuse ; il doit être combattu avec la dernière
énergie par la coalition chef de la République-soldats-populations camerounais.
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L’autre détail qui décrit l’atmosphère euphorique de la vie des Camerounais se trouve dans la
description suivante : « Chez nous, on joue au pari foot en buvant nos bières/
Tu crois que quoi? Qu'on n'est pas à l'aise?/ Quand on fait le call-box ou la moto c'est
balèze!/ ». One Love présente une tranche de vie des Camerounais animée par le jeu de
hasard, l’activité de call-box et de taxi moto. Ces différentes activités de débrouillardise
rendent la vie toute aise sinon supportable, car arrosée par la bière et les loisirs. Cette
description permet de comprendre que le Camerounais, parce qu’aimant le travail, se
préoccupe plus de ce qu’il peut faire en vue de gagner sa subsistance que de s’attarder sur ce
qu’une autre personne pourrait accomplir à sa place.
En filigrane, le discours épidictique que construit le jeune rappeur Camerounais part de la
considération positive de la devise à la description du quotidien de ses concitoyens. Les
valeurs contenues dans la devise sont traduites au quotidien par les Camerounais à travers leur
recherche permanente de la paix, leur patriotisme, leur action pour le développement, leur
maturité, … Il va sans dire que l’opposition entre ces deux réalités Boko Haram et le
Cameroun a pour objectif de souligner le contraste entre les idéaux et les politiques poursuivis
par chacune de ses entités, ceux de Boko Haram jugés illégitimes par rapport à ceux du peuple
camerounais légitimés par sa devise, sa constitution et sa philosophie de vie.
Une répétition est la reprise d’un même mot ou groupe de mots. Les répétitions portent
différents noms selon la place qu’occupe cette reprise dans le discours : répétition simple
(ou épanalepse) ; anaphore et épiphore (épistrophe) ; anadiplose et épanadiplose ; enfin
concaténation.
La répétition est au service de l’emphase, d’une forte expressivité. Dans le discours que
propose One Love, certains mots et expressions reviennent comme un leitmotiv tout au long
de sa chanson. Nous pouvons y identifier :
- des anaphores interpellatrices « Boko Haram » reprises onze fois dans la chanson
mettent l’accent sur le groupe incriminé. Boko Haram est interpellé chaque fois pour répondre
de ses agissements.
- des répétitions intensives et accusatrices dans « Tu t'adresses à qui ? » ; « Tu es même
quoi ? » ; « Tu sors même d'où ? ». Sans vouloir nous répéter, ces phrases interrogatives
insistent sur la mise en cause de Boko Haram. Phénomène obscur, personnage abscons,
origines imprécises, voilà toute la rhétorique de ce questionnement.
À travers la répétition de certains énoncés, l’artiste interpelle sans cesse le groupe terroriste et
l’accule avec une série de questions dont l’objectif principal est de lui rappeler son incapacité
à vaincre et à assujettir toute une nation.
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4.2. La métonymie : le rapprochement entre les alliés
La métonymie est une figure de sens qui substitue une lexie par une autre qui lui est rattachée
par un lien logique suffisamment net. Pour Cressot et James (1988 : 74), la métonymie est
« un changement sémantique par lequel un signifiant abandonne le signifié auquel il est
habituellement lié pour un autre, avec lequel il se trouve dans un rapport de contiguïté
spatiale, temporelle, ou logique, rapport arbitrairement privilégié ». D’après ces auteurs, la
métonymie transforme carrément le sens d’un mot en lui attribuant un nouveau qui ne lui
ressemble point. Le rapprochement du signifié métonymique avec le mot peut se situer au
niveau spatial, temporel, logique, etc. Dans ce cas, la métonymie établit un rapport de
contiguïté ou de voisinage.
La frappante métonymie qu’emploie One Love se trouve dans le premier vers du premier
couplet de la seconde partie de la chanson : « Allo! Allo! Yaoundé appelle Extrême-Nord ».
La métonymie sur laquelle est bâtie cet énoncé établit un rapport logique de contiguïté
spatiale. Autrement dit, l’artiste substitue les habitants par le nom de l’espace géographique
qu’ils occupent. Si « Yaoundé » sert de substitut au Président de la République du Cameroun,
« Extrême-Nord », pour sa part, désigne les populations de cette région qui vivent les attaques
de Boko Haram. Cette référenciation spatiale instaure une relation de rapprochement entre les
deux lieux, et par substitution entre la Présidence et les populations de l’Extrême-Nord. Ce
rapprochement marque l’attention que porte le Chef de l’Etat à la situation que vivent les
habitants de la région de l’Extrême-Nord. Cette lecture est d’autant plus plausible lorsque
nous considérons le sens du verbe « appelle » noyau de la phrase. Le discours qui s’en suit
développe si bien cette relation : le Président exhorte les soldats à plus d’ardeur au front ; il
appelle les citoyens Camerounais vivant dans cette région à être les premiers secours aux
soldats. Finalement, cette métonymie permet de souligner la symbiose qui existe entre le
Président de la République, les soldats et les populations de la région de l’Extrême-Nord.
Cette solidarité est également exprimée dans le chiasme « UN POUR TOUS! TOUS POUR
UN! ».
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L’analyse des figures de style dans l’élaboration du discours de One Love permet de mettre en
valeur la détermination d’un Chef suprême des armées, d’une armée républicaine ou d’un
peuple à traquer un ennemi commun, le rapprochement entre le sommet et la base et le chant
de ralliement et de solidarité de toute une Nation dans la lutte contre Boko Haram.
En guise de conclusion
Il s’agissait de faire une lecture attentive de « Boko Haram ! Tu ne nous peux pas », chanson
de One Love le caïd, jeune rappeur Camerounais, dont l’objectif est de sensibiliser ses
concitoyens à rester solidaires derrière l’armée, engagée dans la lutte contre le groupe
terroriste Boko Haram. Le présent travail a permis de montrer, à partir d’une approche
stylistique d’analyse du discours, les forces en présence, leurs intentions, leurs paroles, leurs
attitudes sur ce champ de bataille. Propice à l’expression d’une contestation du désordre et de
la violence, la chanson-rap de One Love intègre, eu égard à l’analyse des déictiques, des mots
et expressions et des figures de style, toutes les qualités d’un hymne de guerre. En scandant
« Boko Haram ! Tu ne nous peux pas », One Love parvient à sublimer la personnalité et les
actions de la « Triple Entente » Chef de l’Etat, Armée républicaine et Populations
camerounaises tout en présentant sa culture de la bravoure et du savoir vivre et en les appelant
à l’union nationale à l’effet de mettre hors d’état de nuire le groupe terroriste, indésirable,
donc à traquer.
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Ghettomania
[REFRAIN] :
Tu voulais voir, tu vas nièè
Tu voulais parler, tu vas speak
Tu voulais entendre, tu vas ya
Boko Haram! On va te montrer que tu ne nous peux pas
Tu voulais voir, tu vas nièè
Tu voulais parler, tu vas speak
Tu voulais entendre, tu vas ya
Boko Haram! on va te montrer que tu ne nous peux pas
REFRAIN
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Boko haram! (ram!) Tu t'adresses à qui? (qui?)
Tu oses même menacer le président de qui? (qui?)
Tu es même quoi? (quoi?) Tu sors même d'où? (d'où?)
Tu crois que notre armée a peur de quel voyou?
Soutien à l'armée camerounaise. Gars battez-vous èh. De la part de One Love le caïd. Yes
Notice biographique
Hayatou Djouldé est Assistant au Département de Français de la Faculté des Arts, Lettres et
Sciences Humaines de l’Université de Ngaoundéré. Il finalise une thèse de Doctorat Ph.D en
Sciences du langage. Son thème porte sur « La communication en santé publique : analyse du
discours de presse sur le sida, une aperception à partir de "100% Jeune" de l’ACMS.
Approche argumentative, énonciative, pragmatique et rhétorique ».
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