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Poétique figurative de la narration chez Jorge Luis Borges
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DANIEL ATTALA
https://doi.org/10.4000/theoremes.2592
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Cet article propose une périodisation de l’œuvre narrative de Jorge Luis Borges (1899-1986).
Deux notions métalittéraires signalent la première étape, celle d’un texte absolu et celle d’un texte
gouverné par le hasard, liées pour l’une à la Cabbale, pour l’autre au Gnosticisme. L’étape
suivante, objet principal de cette étude, est gouvernée par la notion de figure dans le sens biblique
du terme. Borges présente cette notion dans « Le Miroir des énigmes », essai de 1940 où sont
convoqués des textes de Léon Bloy, Thomas de Quincey et Novalis. À travers ces influences,
Borges ébauche une poétique figurative dont le caractère apocalyptique laisse l’œuvre ainsi
produite dans l’indécision entre l’eschatologie et la scatologie.
This article proposes a periodisation of the narrative work of Jorge Luis Borges (1899-1986). Two
meta-literary notions guide the first period: that of an absolute text and that of a text governed by
chance, in which the former is linked to the Kabbalah and the latter to Gnosticism. The next
period, which is the focal topic of this study, is governed by the notion of figure in the biblical
sense of the term. Borges introduces this notion in his 1949 essay "The Mirror Of Enigmas" that
summons texts by Léon Bloy, Thomas de Quincey and Novalis. Through these influences, Borges
sketches a figurative poetics whose apocalyptic character situates the work thus produced in the
indecision between the eschatology and the scatology.
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Mots-clés : Borges, figure, métalittéraire, narration, Bible, Mille et Une Nuits
Keywords : Borges, figure, meta-literary, narrative, Bible, The Arabian Nights
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Introduction : une invitation
REVUES
à l’exégèse
1 L’œuvre de Borges est perçue par ses lecteurs et par la critique comme un ensemble
discrètement cryptique et d’une grande complexité. Force est pourtant de constater
qu’aucune de ces deux qualités n’a nui à sa lisibilité. L’ésotérisme – si ésotérisme il y a –
n’y est jamais avoué ; il n’est que rarement évident, et les énigmes ne trouvent jamais une
solution unique qui puisse, comme dans les devinettes et les charades, encourager des
lectures déductives. Quant à la volonté d’ordre, de rationalité et de vraisemblance –
variables plus ou moins convenues de la lisibilité –, elle est aussi évidente que l’effort pour
tenir tête à l’allégorie ou à toute autre méthode visant l’inscription cryptographique d’un
message clair et distinct. Le résultat est une œuvre qui, sans être populaire, est loin d’être
réservée aux seuls professionnels de la littérature. Les fictions racontent bel et bien des
histoires, avec des personnages et des trames identifiables qui tiennent debout sans rien
devoir à quelque message codé ou à quelque signification ésotérique, et cela en dépit du
fait qu’un tel message et une telle signification sont immanquablement insinués. Aussi les
essais et les poèmes émerveillent-ils le plus souvent les lecteurs indépendamment du
substrat philosophique que ceux-ci peuvent ou veulent en extraire. Il n’en est pourtant pas
moins vrai qu’une signification spéciale, cachée ici et là dans le texte, guette le lecteur. La
situation, quelque peu paradoxale, rappelle un dicton de Galice, fort répandu dans le
monde hispanique, que l’on pourrait traduire ainsi : Je ne crois pas aux sorcières, mais
elles existent.
2 Tout en restant donc en deçà du seuil du lisible et du littéraire dans le sens d’un art de
loisir, les textes de Borges semblent bien vouloir insinuer, à travers la matière et la forme
des histoires et des poèmes, des significations qui sont sur le point de se révéler et
cependant demeurent dans cet état d’imminence. Cet effet de mystère, certainement voulu
par l’auteur, qui dit et redit qu’il vise une œuvre qui soit tout à tous, selon les mots de
l’Apôtre (1 Cor 9, 22), explique la prolifération d’études (aussi décevantes que
sophistiquées) qui tentent de découvrir dans l’œuvre un message secret reposant sur une
doctrine ésotérique ou une théorie scientifique. La bibliographie borgésienne est saturée
d’ouvrages ou d’articles intitulés Borges et… l’alchimie, les mathématiques, la logique,
l’astronomie, la cybernétique, la physique quantique, les fractales, la topologie ou la
théorie de nombres transfinis… tous divergeant les uns des autres au point de donner
l’impression de traiter tour à tour de différents auteurs, aucun ne se résignant à n’être
qu’un simple écrivain.
3 Nombreux sont les thèmes qui contribuent à produire ce soupçon d’une réalité cachée.
Ils sont la plupart du temps entourés d’une sorte d’aura qui impose le respect : objets ou
endroits singuliers, abstraits, rares, ou bizarres, rituels et doctrines religieuses
minoritaires, souvent hérétiques et sectaires, philosophies idéalistes ou hétérodoxes,
mondes alternatifs, où l’on croise sorciers, prêtres, criminels et hérésiarques, et de
surcroît tous les problèmes qui hantent les peuples depuis la nuit des temps, tels que le
rêve, l’identité, le double, la mort, le destin, la divinité ou le mal. Ce sont là les objets le
plus traités dans la critique borgésienne. Néanmoins plus que les thèmes eux-mêmes, il
est un facteur qui contribue à produire cet effet de mystère et qui est à la racine de ce que
nous avons nommé complexité. Comme quelques autres écrivains, Borges savait que la
littérature est en grande partie affaire de forme, que quasiment tout en elle dépend de la
manière dont les thèmes sont traités, les histoires racontées, la substance organisée. Bien
entendu les sujets bibliques sont bien présents chez Borges – Adam, Caïn et Abel, Jésus,
Judas, l’Incarnation –, mais plus que cela c’est l’utilisation de la Bible comme modèle
d’organisation formelle qui nous semble prédominer.
4 Comme les Écritures, son œuvre invite, oblige même le lecteur à une démarche
exégétique qui lui permette d’en extraire le sens caché. Et comme les Écritures, elle donne
l’impression d’être inépuisable et même de rester intouchée par les interprétations
multiples. Ce ne sont pas les procédures concrètes qui seront discutées ici, mais quelques
idées métalittéraires ayant secrètement présidé à la production des textes, idées qui
parfois servent aussi d’emblème à l’œuvre dans son ensemble. Certes le rapprochement
entre cet ensemble et la Bible n’est apparu dans l’œuvre que de façon lente, sinueuse,
souvent à travers des modèles intermédiaires, parfois contraires au modèle biblique. C’est
le cas des Mille et Une Nuits, l’autre grand livre oriental selon Borges, synonyme pour lui
de toute littérature profane, comme la Bible peut l’être de la littérature sacrée, modèle
donc qui contrebalance celui du texte biblique dans un sens qu’il s’agira d’établir.
5 Trois moments-clés peuvent être identifiés dans cette évolution. Ils sont signalés par
des idées métalittéraires et par l’éclosion à chaque fois d’une nouvelle étape dans l’art
narratif de l’auteur. Trois dates : 1932, 1940 et 1970. La première précède l’écriture de
l’Histoire universelle de l’infamie et de l’Histoire de l’éternité (1935 et 1936) ; la deuxième
celle de Fictions et de L’Aleph (1944 et 1949) ; la troisième prend place entre Le rapport
de Brodie et le Livre de sable (1970 et 1975). Après une observation sur la première étape,
nous nous occuperons de la deuxième. La troisième ne pourra pas être étudiée dans cet
article.
20 Outre l’épisode repéré ou fantasmé par De Quincey dans l’histoire d’Aladin, la parabole
condense plusieurs autres textes. Aussi Novalis, avec au moins deux textes, est-il à
l’origine de celle-ci, bien que l’influence ait pu aussi se produire dès les premiers maillons
de la chaîne, c’est-à-dire chez De Quincey lui-même qui aurait pu lire, tout comme Borges
plus tard, le début des Disciples à Saïs du malheureux poète allemand, et cela soit dans sa
langue originale, soit dans la version anglaise proposée par Carlyle dans son article
pionnier de 1829. Voici les premières lignes des Disciples à Saïs :
Les hommes marchent par des chemins divers. Qui les suit et les compare verra
naître d’étranges figures ; figures qui semblent appartenir à cette grande écriture
chiffrée qu’on rencontre partout : sur les ailes, sur la coque des œufs, dans les
nuages, dans la neige, dans les cristaux, dans les formes de rocs, sur les eaux
congelées, à l’intérieur et à l’extérieur des montagnes, des plantes, des animaux,
des hommes, dans les clartés du ciel, sur les disques de verre et de poix lorsqu’on
les frotte et lorsqu’on les attouche : dans les limailles qui entourent l’aimant, et
dans les étranges conjonctures du hasard… On y pressent la clef de cette écriture
singulière et sa grammaire ; mais ce pressentiment ne veut pas se fixer dans une
forme et semble se refuser à devenir la clef suprême.17
21 Le deuxième texte de Novalis à la source de la parabole des pas que fait l’homme le long
du temps, notamment de l’inconcevabilité de la figure ainsi tracée, est évoqué par Borges
dans « Le miroir des énigmes ». Il s’agit de l’« hypothèse » selon laquelle « le monde
extérieur – les formes, les températures, la lune – c’est un langage que nous autres
hommes avons oublié, que nous épelons à peine… » [Borges 1993, p. 761]. La phrase
associe le début des Disciples à Saïs, que l’on vient de citer, et l’un des fragments classés
comme psychologiques dans l’édition de 1929 utilisée par Borges :
Tout ce que nous apprenons est une communication. Ainsi le monde est par le fait
une communication – une manifestation de l’esprit. Le temps n’est plus, où l’esprit
de Dieu était intelligible ; le sens du monde est allé en se perdant et s’est perdu ;
voici que nous sommes restés fixement à la lettre ; derrière l’apparence, nous
avons perdu l’apparition. [Novalis 1975, fg. 198, p. 109]18
22 Enfin une variation de la parabole apparaît chez Borges vingt ans plus tard. Dans
l’épilogue de L’Auteur (El hacedor), le lecteur trouvera ceci :
23 Dans les deux versions, celle de février 1940 et celle de 1960, tous les éléments de la
double poétique, figurative et énigmatique, sont présents : une série, successive et
labyrinthique, de tous les avatars d’une vie, trace, malgré le non-sens de chacun de ces
avatars pris de façon isolée, un dessein qui dans sa perfection ne se révèle qu’à la fin ; d’où
la nature eschatologique ou apocalyptique de l’image ainsi parachevée. Quel en est le
sens ? En dépit des insinuations, personne ne le connaît, d’autant moins qu’ici ou là
quelques signes laissent penser qu’on peut s’attendre à une frustration, à une chute du
même genre que celle d’une bonne… ou d’une mauvaise plaisanterie : l’eschatologie
devient purement et simplement scatologie, concepts très différents et même opposés,
signalés pourtant par deux mots qui se ressemblent au point de se confondre parfaitement
en espagnol19.
Bibliographie
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Notes
1 D’autres oppositions pourraient être évoquées, comme celle qui touche deux genres narratifs ou
pratiques littéraires différents dans le domaine de la prose de fiction : le conte, surtout le policier,
avec sa structure rigoureuse (où chaque élément doit prophétiser le dénouement [Borges 2002,
p. 111]), et le roman réaliste avec sa mollesse structurelle ; le sublime et l’abjecte ; l’identité et la
différence ; l’unité et l’infini ; la raison et la folie ; le sens et le non-sens.
2 Le brouillon montre aussi que Borges a projeté de placer comme pièce « métaphysique » de cet
ensemble un texte alternatif intitulé « Boletín de una noche » [García 2018, p. 295 ; Borges 2018,
p. 53-58]. L’un et l’autre textes veulent développer l’expérience liminaire du désarçonnement du
moi, ce chevalier de l’histoire, dissous soit au contact mystique de l’éternité (« Sentirse en
muerte »), soit au contact quotidien de la nuit du sommeil (« Boletín de una noche »).
3 Par avant-garde nous comprenons ici celle de l’ultraïsme du jeune Borges, dont l’idéal de la
métaphore et l’anathème de la narration renvoient au cubisme de Pierre Reverdy, Paul Dermée et
d’autres collaborateurs de la revue Nord-Sud ainsi qu’au créationnisme de Vicente Huidobro
[Attala 2014, p. 198-232].
4 Cette idée, qui est aussi une idée du destin, paraît à un moment, février 1940, fort significatif de
l’histoire mondiale, l’humanité y étant secouée par des forces très supérieures à celles de
l’individu et même souvent à celles de nations. Aussi du point de vue des événements
biographiques, l’expérience de la mort de son père en 1938 et de son propre échec comme écrivain
a mis Borges à l’épreuve de forces insurmontables.
5 Cet article fut d’abord présenté sous la forme d’une communication à Metz.
6 Ainsi s’écrit le narrateur : « Mais quel accablant, quel formidable sujet ! Le Symbolisme de
l’histoire, c’est-à-dire, l’hiérographie providentielle, enfin déchiffrée dans le plus intérieur arcane
des faits et dans la kabale des dates, le sens absolu de signes chroniques, tels que Pharsale,
Théodoric, Cromwell ou l’insurrection du 18 mars, par exemple, et l’orthographe conditionnelle
de leurs infinies combinaisons ! En d’autres termes, le calque linéaire du plan divin rendu aussi
sensible que les délimitations géographiques d’un planisphère, avec tout un système corollaire de
conjecturales aperceptions dans l’avenir !!... » [Bloy 1887, p. 121].
7 Sur cette partie moins connue de la production borgésienne, voir Parodi [2018].
8 La phrase figure dans un article de janvier 1937 (« La dynastie des Huxley » : « Il n’y a pas de
livre qui ne renferme son contre-livre, lequel est son envers » [Borges 1993, p. 1030]), dans un
compte rendu de novembre de 1938 (sur Of Course, Vitelli ! d’Alan Griffiths : « ‘Chaque livre
contient son contre-livre’, a dit Novalis » [Borges 1993, p. 1190]), et dans « Tlön, Uqbar, Orbis
Tertius », mai 1940 (« Un livre qui ne contient pas son contre-livre est considéré comme
incomplet » [Borges 1993, p. 462]). Dans le troisième de ces textes, l’on trouve une variation : les
livres « qui sont de nature philosophique contiennent invariablement la thèse et l’antithèse, le
pour et le contre rigoureux d’une doctrine » [Borges 1993, p. 462].
9 Voir également fg. 497 et 504, ainsi que, pour une présentation succincte, [Masson et Schefer
2016].
10 « Santificado por el Espíritu, cualquier libro puede ser una Biblia » [Novalis 1934]. Le choix et
la traduction de 1934 ont dû être faits par Borges lui-même ; on trouve de traces de ces fragments
par exemple dans sa biographie synthétique de Gustave Meyrink d’avril de 1938 [Borges 1993,
p. 1145].
11 « Wenn der Geist heiligt, so ist jedes echte Buch Bibel. Aber nur selten wird ein Buch um des
Buches willen geschrieben, und wenn Geist gleich edlem Metall ist, so sind die meisten Bücher
Ephraimiten. Freilich muß jedes nützliche Buch wenigstens stark legiert sein. Rein ist das edle
Metall in Handel und Wandel nicht zu gebrauchen. Vielen wahren Büchern geht es wie den
Goldklumpen in Irland. Sie dienen lange Jahre nur als Gewichte » [Novalis 1929, vol. I, chap. 23].
12 Pour l’original allemand [Novalis 1929, vol. I, chap. 23].
13 C’est le titre donné à l’histoire raconté la nuit 596 de l’édition la plus utilisée par Borges : « The
three wishes, or the man who longed to see the Night of Power » [Burton 1881, p 180]. Une Nuits
des Nuits, un mari formule – poussé par la voracité de sa femme – le vœu d’être mieux doué pour
l’amour. L’exaucement trop généreux de son désir lui rendant l’acte en question impossible, il
demande le rapetissement du premier don. Sa disparition presque complète l’oblige à demander,
en dernier vœu, celui de revenir au statu quo ante. L’histoire est qualifiée de pornographique
dans la préface de l’Antología de la literatra fantástica publiée par Borges, Bioy Casares et
Silvina Ocampo la même année que « Tlön », 1940, et où, de surcroît, « Tlön » paraissait, comme
nous l’avons dit, pour la deuxième fois. L’abondante et souvent très intéressante littérature
critique sur Les Mille et Une Nuits chez Borges que nous avons pu consulter n’a pas pris note de
cette référence, aussi discrète que significative.
14 Le même jeu est proposé plus d’une vingtaine d’années plus tard dans « Le livre du sable »,
nouvelle du recueil éponyme publié en 1975 [Attala 216, p. 491-494].
15 L’épisode commence par cette phrase : « Ciego a las culpas, el destino puede ser despiadado
con las mínimas distracciones » [Borges 1989, p. 525] (« Aveugle pour les fautes, le destin peut
être implacable pour les moindres distractions » [Borges 1993, p. 553 ; Attala 2016, p. 492]). Dans
un article sur l’Orient dans l’œuvre de Borges, Karim Benmiloud attire à juste titre l’attention sur
le rapport entre la façon dont Borges traite la matière arabe et la « la question de la
représentation » et « de la figuration par l’image » dans la tradition musulmane (Benmiloud
2016, p. 89).
16 « Even the articulate or brutal sounds of the globe must be all so many languages and ciphers
that somewhere have their corresponding keys – have their own grammar and syntax; and thus
the least things in the universe must be secret mirrors to the greatest » [De Quincey 1896, p. 129].
17 Novalis [1992, p. 69.] De Quincey, tout comme Borges, a aussi pu lire ce texte de Novalis dans
l’article de Thomas Carlyle sur l’auteur allemand dont l’anthologie commence précisément par ces
premières lignes des Disciples à Saïs : « Men travel in manifold paths : whose traces and
compares these, will find strange Figures come to light ; Figures which seem as if they belonged to
the great Cipher-writing which one meets with every-where » [Carlyle 1852, p. 175]. Borges citait
l’article de Carlyle dans le sien sur le Gnosticisme de 1932 « Une défense du fallacieux Basilide » ;
il le présente comme le « fameux article de la Foreign Review, 1829 » [Borges 1993, p. 223].
18 « Alles, was wir erfahren, ist eine Mitteilung. So ist die Welt in der Tat eine Mitteilung,
Offenbarung des Geistes. Die Zeit ist nicht mehr, wo der Geist Gottes verständlich war. Der Sinn
der Welt ist verloren gegangen. Wir sind beim Buchstaben stehngeblieben. Wir haben das
Erscheinende über der Erscheinung verloren » [Novalis 1919, vol. I, chap. 13].
19 En espagnol, escatología est un homographe. Dérivé du grec skatos, se rapporte aux
excréments comme scatologie ; dérivé du grec eschatos, se rapporte à l’au-delà comme
eschatologie.
Auteur
Daniel Attala
Université de Bretagne-Sud – ERIMIT
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