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11Il existe cependant une différence importante, qui est parfois peu
visible parce que peu mise en évidence par les associations, mais qui
est la remise en cause du fondement de certains fonctionnements
sociaux. S'il est tout à fait possible, et cela se passe régulièrement, que
des travailleurs des pouvoirs publics remettent en cause des manières
de fonctionner de leurs institutions (les travailleurs sociaux des CP AS
remettent souvent en cause la manière dont l'aide sociale est distribuée
au sein même de leur CP AS), l'institution en elle-même issue des
pouvoirs publics, si elle peut pointer l'un ou l'autre
dysfonctionnement, ne remettra pas en cause fondamentalement ce
fonctionnement. Il revient par contre aux associations de remettre en
cause tout fonctionnement qui ne permet pas d'aboutir à la réalisation
des valeurs associantes sur base desquelles l'association a été créée.
14En juillet 2001, Louis Michel, notre ministre des affaires étrangères
dans une interview au journal « le monde » s'en prenait à la société
civile, et donc aux associations (essentiellement dans son chef, les
ONG) : « c'est un phénomène totalement irresponsable, qui manque
complètement de transparence (…) qui ne représente souvent que lui-
même et à la prétention d'avoir le monopole de la bonne conscience…
Au nom d'une sorte de terrorisme moral, on a pris le poli [7][7]Le
Monde, 21 juillet 2001. tique en otage». Merci Monsieur Michel de si
bien m'aider à illustrer mon propos. Cette interview du ministre est en
effet très significative du rapport que le pouvoir politique entretient
avec les associations.
15Le rôle de l'État est très particulier, du fait de ceux qui le dirigent ;
« L'État est en effet à la fois le résultat, l'outil et le mode de
développement de la domination sociale, ce qui en fait l'instrument de
son implantation. Mais l'État est aussi le résultat et partiellement le
mode de poursuite des luttes du passé, et notamment des victoires du
mouvement ouvrier [8][8]BLAIRON J. et SERV AIS E., Op. cit.
p.101.». L'État défend donc les valeurs qui lui permettent d'organiser
la domination sociale, mais partiellement issu des mouvements de
revendication, il travaille à faire reconnaître les valeurs défendues par
ces mouvements et donc notamment par les associations.
16Dans l'interview, Louis Michel dénie aux associations le droit de
défendre des valeurs qui soient différentes de celles de l'État, ne
reconnaissant comme démocratique que le pouvoir représentatif. Il
« oublie » que les grandes avancées dont l'État (qu'il est censé
représenter) a été porteur, sont issues de mouvements associatifs : si la
sécurité sociale est telle en Belgique aujourd'hui, c'est dû aux grands
mouvements ouvriers. Si le débat récent sur l'euthanasie, quel qu'en
soit le résultat législatif a été unanimement reconnu comme
immensément riche, c'est dû aux associations, même de bords
différents. S'il n'est plus possible aujourd'hui de renvoyer les mineurs
étrangers non accompagnés dans leur pays d'origine, cela n'a été rendu
possible que par l'action soutenue d'associations diverses…
25Enfin voilà, les ayants droit ou les usagers, quel est leur rôle dans
l'association ? Nous y reviendrons plus tard, mais ce qu'il faut déjà
dire, c'est qu'ils seront les bénéficiaires des services qu'on va leur
rendre… pour autant qu'il y ait réellement bénéfice pour eux. Parce
qu'il ne suffit pas de croire qu'on va les aider pour les aider réellement.
Et puis, ce n'est pas parce qu'on veut faire le bien qu'on le fait
réellement. On fait parfois plus de tort que de bien.
26Les usagers ont donc une place particulière dans une association.
Ces gens ont une parole, leur parole est essentielle, et toute association
qui se respecte a à entendre cette parole, et à l'utiliser dans le respect
des personnes qui la disent. Un petit exemple : une association qui
travaille avec des jeunes filles handicapées. Qui dit jeunes filles, dit
sexualité, et donc contraception, et puisqu'il s'agit de personnes
handicapées, on ligature les trompes, comme ça on est tranquille, et
puis, c'est pour leur bien, parce que, vous la voyez avec un enfant? Et
que pense la jeune fille de cette opération ? Qu'en est-il de son désir de
maternité ? Est-ce les responsables ou les travailleurs de l'institution
qui décident ce qu'ils vont faire de son corps ? En a-t-on parlé avec
elle ? Qu'a-t-elle pu en dire ? A-t-on réfléchi aux conséquences
psychologiques de ce qu'on peut appeler « mutilation » dans ce
contexte ?
35- Les liens avec les usagers des services sont les liens les plus
essentiels à établir dans une association qui ambitionne mieux de
démocratie. Et il ne s'agira pas d'établir des liens de service entre le
travailleur et la personne dépendante, mais entre deux citoyens au sein
d'une association, l'un étant professionnel, l'autre peut-être demandeur
d'une aide, mais chacun étant porteur de sa compétence, chacun
pouvant enrichir l'autre de cette compétence, en vue de trouver d'abord
une solution à la problématique individuelle de la personne, mais peut-
être aussi de trouver l'un ou l'autre outil qui pourra être utile à d'autres
personnes. Ce partage de compétence est trop rare, et pourtant,
beaucoup d'usagers sont en demande de cette écoute et de cette
reconnaissance de leur compétence. Et qui oserait dénier cette
compétence, puisqu'elle concerne leur vie ? Écoutez ce témoignage
d'un papa militant de Lutte Solidarité travail : « La violence la plus
atroce que nous vivons au quotidien, c'est d'abord ce fonctionnement
qui nous refuse comme partenaire, qui n'entend pas notre point de vue,
qui nie tout notre être. On en arrive même à nous faire douter, et plus
encore à faire douter nos enfants, de notre capacité d'être maman ou
d'être papa. La plupart du temps, au sortir des rencontres avec les
travailleurs sociaux, nous avons l'impression d'avoir été un peu plus
méprisés dans notre rôle de parents, et rarement perçus comme
quelqu'un qui est l'acteur principal dans un drame dont il est la
première victime et le volontaire le plus engagé dans la lutte. Souvent,
nous avons l'impression que les travailleurs sociaux n'essaient même
pas de comprendre ce qui nous arrive, même s'il est vrai qu'il n'est pas
facile d'entendre ce qu'une famille dit. Trop souvent, les travailleurs
sociaux s'arrêtent sur d'apparentes évidences. Ainsi par exemple, s'ils
ne comprennent pas très bien la situation d'une famille, ils disent :
« c'est normal, ils sont précaires ». Et ils ne mesurent pas ce qui a
généré une situation pareille. De plus, ils se permettent de ne pas s'en
imposer l'analyse » [17][17]Marc et Didier, délégués d'un groupe de
militants de LST, La…. Un objectif fondamental au sein d'une
association, c'est comme le dit ce papa, reconnaître l'usager comme
acteur à part entière, à même hauteur que chaque personne qui franchit
les murs de l'association. Et c'est le pas le plus difficile à franchir dans
les associations. On s'y dit souvent : « c'est déjà pas mal de pouvoir
s'entendre entre conseil d'administration et travailleurs et de pouvoir
collaborer avec le réseau environnant. », ce qui est vrai, mais pas
suffisant pour une association qui n'accepte pas d'être organisme de
reproduction des normes et valeurs dominantes. Et c'est vrai aussi que
ce travail de reconnaissance des compétences des usagers est difficile,
parce qu'il remet en cause souvent notre façon que nous estimions à
priori positive de leur apporter un soutien. Notons encore avec Pierre
Lamarche, que dans le cadre d'une politique de prévention, c'est « la
population-cible » elle-même « qui donnera à la démarche de
prévention sa véritable légitimité… la démarche de prévention
appartient d'abord à ceux qui se trouvent touchés par le problème et à
qui revient en priorité de déterminer les pistes d'action… Cette
conclusion n'est pas motivée que par des considérations éthiques…
mais aussi par des considérations plus bassement techniques : aucun
programme ne saurait avoir d'effets, si ceux à qui il s'adresse… ne
reconnaissent pas sa légitimité [18][18]LAMARCHE P., Éléments
d'une démarche de prévention, in Brisson… ».
36- Le lien avec le politique sera lui aussi essentiel. Alain Touraine
indique que « c'est le renforcement des associations et des
mouvements culturels… qui permettent le mieux de faire pénétrer les
demandes sociales dans le champ politique, et donc de reconstruire la
démocratie » [19][19]TOURAINE A., Pourrons-nous vivre
ensemble ?, Éd. du Seuil,…. La ténacité des mouvements de soutien
aux sans-papiers empêche qu'on oublie le bourbier de la régularisation
et les rapatriements par charters. Cela se passe clairement mal aux
niveaux politique et de l'administration ; la bataille que ce mouvement
mène depuis plusieurs années n'est pas encore gagnée, et la presse
nous rappelle régulièrement qu'il ne baisse pas les bras, et que les
avancées que le gouvernement propose et qu'on ne peut nier,
paraissent insuffisantes. Le mouvement ne se prive pas de le faire
savoir. Dans le même ordre d'idées, le décret de l'aide à la jeunesse de
1991, ou le décret concernant les maisons de jeunes de juillet 2000 ont
été mis en place suite à de longues luttes des associations du secteur. Il
a fallu un gros travail de ces associations, elles même se faisant
parfois (trop peu ?) le relais des personnes les premières concernées
pour que ces décrets aboutissent. Et la lutte continue. Au niveau de
l'aide à la jeunesse, certains estiment que les avancées ne sont pas
suffisamment progressistes, d'autres apprécient le décret mais estiment
la vigilance toujours nécessaire, et pointent l'un ou l'autre aspect
encore boiteux.
37- De plus, l'associatif s'intéressant au fonctionnement social et à sa
gestion, mais restant à taille humaine, permet aux gens qui s'y
impliquent de se familiariser avec les aspects du fonctionnement
social qui les concerne, de poser des questions de plus en plus
pertinentes, et de construire avec d'autres une analyse dans laquelle ils
se retrouvent impliqués. L'associatif est dès lors une porte d'entrée
du citoyen vers la politiquedans son sens noble. L'association devant
également être gérée dans des formes démocratiques, ses membres
peuvent s'essayer à cette forme de micro-gouvernement en prenant
une part active à la vie de l'association.
42Être travailleur social dans un service public exige aussi d'avoir une
philosophie, et loin de moi l'idée de dire qu'elle ne sera pas
respectable. Nous vivons dans un pays démocratique, et les services
mis en place par les pouvoirs publics méritent le plus souvent le
respect.
Notes
2Le travail social, comme son nom même le signale qui revendique
son appartenance au monde laborieux, s’est constitué contre le
bénévolat. Lorsqu’il acquiert reconnaissance publique, au début des
années 1960, les nouveaux salariés n’ont d’ailleurs de cesse de se
démarquer des origines.
C – Le renouveau associatif
Conclusion
22Au terme de ce très bref parcours, il convient de relever que, de
façon générale, l’intervention massive, depuis plus d’un demi-siècle,
de l’État, puis des collectivités locales, n’a pas du tout tari la source
associative qui fut massivement aux commencements du travail social.
Le couple travail social-bénévolat, dont les acteurs ne cessent pourtant
de se disputer y compris sur le plan des compétences, s’alimente des
évolutions de l’un et l’autre. « Je t’aime moi non plus » pourrait être la
formule consacrant ce concubinage forcé.
24On est très loin en tout cas des rapports qui étaient ceux des
années 1970, lorsque l’appellation « travailleur social » s’est imposée
contre les visées des mondes militant et charitable. Le succès d’une
nouvelle appellation, celle d’« intervenant social », reprise aussi bien
par les pouvoirs publics que par une partie de la profession ne doit-elle
d’ailleurs pas être à son tour pris au sérieux. Elle signale
explicitement, à la différence de celle de « travailleur », combien à la
fois la pratique est devenue affaire d’urgence plus que de long terme
et surtout combien secondaire serait devenue la distinction entre
salarié et bénévole.
Notes
[2]
Le présent article de synthèse ne prétend pas à l’originalité. Il
s’appuie sur des travaux menés depuis plus d’une décennie dont
il ne reprend pas ici le détail documentaire et argumentatif.
Cf. notamment J. Ion, Le travail social à l’épreuve du territoire,
Paris, Privat, 1990, réédité chez Dunod ; J. Ion, Le travail social
au singulier, Paris, Dunod, 1998 ; J. Ion et al., Travail social et
souffrance psychique, Paris, Dunod, 2005.
[3]