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Avant de commencer à vous parler du travail social dans l'associatif,


rappelons seulement que la Belgique est une espèce de leader mondial
en ce qui concerne le nombre d'associations par habitant, que le pays a
également mis en place par la loi de 1921 sur les asbl, une structure
qui, si elle n'est plus unique aujourd'hui, a servi de modèle pour bien
d'autres pays. Si le travail social associatif est aussi développé chez
nous, et plus particulièrement en Communauté française, c'est à cette
loi qu'on le doit d'abord.

2Une autre raison qui a permis le développement du travail social dans


les associations, c'est que la crise économique des années 70 a créé
beaucoup de chômage, et que pour résorber ce chômage, les pouvoirs
publics ont décidé de fournir des moyens à des associations pour
développer des services. L'objectif était sans doute prioritairement de
réduire le nombre de chômeurs, en permettant à des gens de travailler
dans ces services en étant mal payés plutôt qu'en touchant des
allocations de chômage, mais cela a permis un essor peut-être
inattendu de beaucoup d'associations.

3Chacun sait que pour créer une association reconnue en Belgique, il


faut être trois : un président, un trésorier et un secrétaire. Cette
simplicité a permis le développement d'associations de pêche à la
ligne, de cruciverbistes, et de bien d'autres encore. Ces associations se
sont créées, parce que plusieurs personnes avaient un intérêt commun,
à savoir par exemple la collection de timbres.

4Les associations qui se sont engagées dans le travail social se sont


créées sur le même principe, à une différence près, c'est que l'intérêt
commun se fondait essentiellement sur des valeurs communes qui
dépassaient simplement la convivialité propre aux associations dont je
viens de parler.

5Avant de vraiment développer une réflexion, encore une chose : le


monde associatif n'est pas merveilleux, sans nuage, sans problèmes.
Parlons aujourd'hui de la face la plus positive. Mais la vie associative
n'est pas toujours très simple, et dans l'associatif, même si parfois on a
l'impression de mieux s'entendre qu'ailleurs, les coups bas, et parfois
très bas existent aussi.

Comment se crée une institution associative qui pourrait


investir dans le travail socialou dans le travail éducatif ?

6Jean Blairon nous explique dans son livre « l'institution


recomposée [4][4]BLAIRON J. et SERV AIS E., L'institution
recomposée. Petites… », qu'il n'y a pas de mouvement instituant en
dehors de la volonté de faire exister collectivement une question au
départ particulière. Une question devient publique lorsqu'un
mouvement de société fait considérer comme communs à tous certains
problèmes ou certains aspects de l'expérience vécue par des individus
ou par un groupe social particulier. Il faut que d'une certaine manière,
les gens qui composent la société disent, « ces problèmes sont aussi
les nôtres ».
7Prenons l'exemple des enfants malades dans les hôpitaux. Il y a
quelques années, un enfant malade était confié à une équipe médicale,
et des médecins spécialistes s'occupaient de sa santé. Puis certains
parents se sont mobilisés avec quelques professionnels, et ont exprimé
que même s'il était malade et que le remettre en bonne santé était
prioritaire, le reste de la vie de l'enfant continuait à être important, et
qu'il fallait développer autour de lui d'autres structures que des
structures médicales. Il y eut d'abord un intérêt poli des responsables
de notre santé, du style « c'est très bien que vous vous préoccupiez de
votre enfant, mais laissez nous faire notre travail ». Puis petit à petit,
par des soutiens d'abord timides, des expériences marginales, ce
mouvement a appris à se faire entendre, et les spécialistes ont été
débordés au sein même de leurs hôpitaux. Et ces associations de
parents ont convaincu suffisamment de professionnels, de politiques,
ont réussi également à mobiliser autour d'eux l'opinion publique, pour
que les problèmes rencontrés par les enfants au niveau de leur santé ne
soient plus uniquement gérés par des thérapies médicamenteuses, mais
qu'il était nécessaire que ces enfants puissent poursuivre leur scolarité.
On a donc créé l'école à l'hôpital. Il fallait aussi que les parents
puissent rester près de leurs enfants pendant leur séjour. On a donc
créé des structures d'habitations provisoires pour les parents. On s'est
rendu compte (on le savait peut-être déjà, mais ça ne passait pas les
murs des hôpitaux) que l'aspect psychologique et humain était
important pour les enfants, et même plus, que c'était important pour
leur santé, et que des enfants gravement malades allaient mieux du fait
de ces structures mises en place autour d'eux. Les clini-clowns par
exemple sont aussi apparus et ont apporté leur pierre à une autre
approche de la maladie et surtout de la bonne santé des enfants.

8Les parents sont arrivés, à partir d'une question relativement privée, à


sensibiliser autour d'eux pour que cette question soit abordée avec des
moyens novateurs, et puissent rivaliser avec les valeurs dominantes,
représentées dans cet exemple par le pouvoir médical.

9Une association se crée et se développe donc à partir de valeurs


associantes qui constituent les références qui décideront des personnes
à y participer, qui définiront le champ d'action, les objectifs et les
modalités de réalisation [5][5]GROSJEAN E.,Vie associative et
développement culturel, in…. Prenons par exemple les initiateurs d'un
projet de maison de jeunes dans une cité. Les valeurs essentielles qui
les réunissent sont l'émancipation des jeunes de la cité au travers de
projets culturels et l'initiation à la citoyenneté par l'investissement
dans les projets de la maison. C'est à partir de ces valeurs qu'ils
décideront de la population prioritaire qu'ils voudront toucher, des
objectifs opérationnels qu'ils voudront mettre en place comme par
exemple une approche théâtrale, musicale ou graphique, et des
moyens qu'ils chercheront pour aller dans ce sens. Il ne s'agira pas par
exemple d'engager un professionnel artistique qui n'accepte de
travailler qu'avec des élites, ni d'engager un animateur capable de
bricolage. Il faudra qu'il ait les compétences de se confronter à une
population parfois exigeante et les compétences de mener à bien un
projet culturel, et cela pour correspondre aux valeurs associantes
proposées par les initiateurs de la maison de jeunes.

Service public et monde associatif.

10Face à un problème particulier qui serait pointé, il y a d'autres


réponses que les réponses associatives. Les services publics issus des
pouvoirs publics, communaux, provinciaux, régionaux,
communautaires, fédéraux apportent également des réponses à des
problématiques soulevées. Le travail de base, c'est-à-dire le travail de
tous les jours est relativement semblable dans les services publics et
dans les associations. Il s'agit d'un service à une population
particulière, et les moyens méthodologiques, pédagogiques ou
psychologiques diffèrent peu.

11Il existe cependant une différence importante, qui est parfois peu
visible parce que peu mise en évidence par les associations, mais qui
est la remise en cause du fondement de certains fonctionnements
sociaux. S'il est tout à fait possible, et cela se passe régulièrement, que
des travailleurs des pouvoirs publics remettent en cause des manières
de fonctionner de leurs institutions (les travailleurs sociaux des CP AS
remettent souvent en cause la manière dont l'aide sociale est distribuée
au sein même de leur CP AS), l'institution en elle-même issue des
pouvoirs publics, si elle peut pointer l'un ou l'autre
dysfonctionnement, ne remettra pas en cause fondamentalement ce
fonctionnement. Il revient par contre aux associations de remettre en
cause tout fonctionnement qui ne permet pas d'aboutir à la réalisation
des valeurs associantes sur base desquelles l'association a été créée.

12La raison de cette différence me paraît être la suivante : Les


pouvoirs publics, démocratiquement élus, et contrôlés de la même
manière démocratique par la succession des élections, estiment mettre
en place ce qui correspond le plus aux choix de la population qui leur
a demandé de gérer la cité. Ce qui est correct. La valeur fondamentale
qui définit la politique des pouvoirs publics est la valeur démocratique
de représentativité. Et les services publics mis en place le sont en
référence à cette valeur. Ces services « fonctionnent en effet à partir
d'une définition stable, reconnue, des besoins qui sont les organes
d'une société définie comme un organisme [6][6]STENGERS I.,
L'associatif : un collectif qui crée " du "… ».
13Les associations se basent également sur la démocratie, mais
estiment que la démocratie représentative n'est pas suffisante et que la
loi de la majorité oublie le sort de certaines minorités. Si des services
publics sont chargés d'assurer le droit des personnes détenues par
exemple, et que certaines structures sont mises en place pour respecter
ces droits, il est évident que les prisons sont aujourd'hui des lieux où la
démocratie a encore un long chemin à parcourir avant de devenir
acceptable. Et si certains services à l'intérieur des prisons peuvent
pointer des lacunes criantes, ce seront les associations d'aide aux
détenus, les associations de défense des droits de l'homme qui
pointeront avec insistance ce qui caractérise les aspects non
démocratiques de la vie carcérale. Le rôle de l'associatif sera dès lors
de promouvoir toujours plus de démocratie, toujours mieux de
démocratie, et donc de reconnaître la démocratie représentative
comme essentielle, mais certainement non suffisante.

Des relations particulières se développent alors entre les


pouvoirs publics et les associations.

14En juillet 2001, Louis Michel, notre ministre des affaires étrangères
dans une interview au journal « le monde » s'en prenait à la société
civile, et donc aux associations (essentiellement dans son chef, les
ONG) : « c'est un phénomène totalement irresponsable, qui manque
complètement de transparence (…) qui ne représente souvent que lui-
même et à la prétention d'avoir le monopole de la bonne conscience…
Au nom d'une sorte de terrorisme moral, on a pris le poli [7][7]Le
Monde, 21 juillet 2001. tique en otage». Merci Monsieur Michel de si
bien m'aider à illustrer mon propos. Cette interview du ministre est en
effet très significative du rapport que le pouvoir politique entretient
avec les associations.
15Le rôle de l'État est très particulier, du fait de ceux qui le dirigent ;
« L'État est en effet à la fois le résultat, l'outil et le mode de
développement de la domination sociale, ce qui en fait l'instrument de
son implantation. Mais l'État est aussi le résultat et partiellement le
mode de poursuite des luttes du passé, et notamment des victoires du
mouvement ouvrier  [8][8]BLAIRON J. et SERV AIS E., Op. cit.
p.101.». L'État défend donc les valeurs qui lui permettent d'organiser
la domination sociale, mais partiellement issu des mouvements de
revendication, il travaille à faire reconnaître les valeurs défendues par
ces mouvements et donc notamment par les associations.
16Dans l'interview, Louis Michel dénie aux associations le droit de
défendre des valeurs qui soient différentes de celles de l'État, ne
reconnaissant comme démocratique que le pouvoir représentatif. Il
« oublie » que les grandes avancées dont l'État (qu'il est censé
représenter) a été porteur, sont issues de mouvements associatifs : si la
sécurité sociale est telle en Belgique aujourd'hui, c'est dû aux grands
mouvements ouvriers. Si le débat récent sur l'euthanasie, quel qu'en
soit le résultat législatif a été unanimement reconnu comme
immensément riche, c'est dû aux associations, même de bords
différents. S'il n'est plus possible aujourd'hui de renvoyer les mineurs
étrangers non accompagnés dans leur pays d'origine, cela n'a été rendu
possible que par l'action soutenue d'associations diverses…

17Les associations n'ont certainement pas le monopole de la bonne


conscience, elles ne le revendiquent pas. Mais elles estiment de leur
devoir de signaler haut et fort quand la conscience morale de
l'humanité est bafouée. À tort parfois. Les associations n'ont pas
toujours raison, mais c'est un droit et même un devoir qu'elles doivent
garder. Les associations ne pratiquent pas non plus dans leur toute
grande majorité le terrorisme moral. Mais elles rappellent que la
morale existe dans la gestion de la cité, dans la politique, dans les
rapports entre personnes et institutions.

18Avant de définir les différentes missions des associations à partir de


ce qui a été dit jusqu'ici, revenons un instant aux différents acteurs
des associations. Parmi ces acteurs, citons : le pouvoir subsidiant
c'est-à-dire les pouvoirs publics, les bénévoles, souvent
administrateurs et parfois fondateurs de l'association, les travailleurs,
et les usagers des services rendus par l'association.

19Le pouvoir subsidiant,comme son nom l'indique, donne les


moyens, sous forme d'argent ou de mise à disposition de personnel ou
de matériel (la maison qui abrite l'association par exemple). En
échange de cette mise à disposition, il négocie (en position de force)
les missions que devra remplir cette association. Cette négociation se
passe le plus souvent dans un cadre prédéfini par une loi ou un décret.
Un décret de l'aide à la jeunesse définit le cadre des missions dans
lequel devront rentrer les associations qui veulent être subsidiées pour
faire un travail d'aide aux jeunes. D'autres décrets sont spécifiques aux
personnes malades, aux personnes âgées, aux justiciables, aux
personnes handicapées… Le cadre peut aussi être moins défini au
départ. C'est par exemple le cas d'une commune qui mettrait une
maison à disposition d'une association qui voudrait organiser une
bibliothèque de rue et une école de devoir par exemple.

20Notons qu'une association aura des missions désignées qui seront


bien différentes, malgré parfois l'emploi de mêmes termes, selon
l'origine des subsides. Une association qui travaille avec des
consommateurs de drogues, et qui a pour pouvoir subsidiant la
Communauté française qui revendique l'objectif d'émancipation, aura
une mission différente d'une association qui subsidiée par le ministère
de la santé, travaille avec des consommateurs de drogues et a pour
objectif l'abstinence, et une mission encore différente d'une
association subsidiée par le ministère de l'intérieur dans le cadre des
contrats de sécurité, qui travaille avec des consommateurs de drogues,
et dont l'objectif est, comme son nom l'indique, la sécurité de la
société.

21Les bénévoles, les volontaires et les militants.A priori, c'est la


même chose, mais Jacques Zwick [9][9]ZWICK J., Le volontariat,
tendances et limites, in Fondation… propose une différence entre ces
trois mots : le terme bénévole vient de « bien » et à une connotation
caritative de l'ordre des bonnes œuvres. Le volontaire se situe au
niveau de l'engagement à des tâches culturelles, sociales ou civiques et
au service d'un individu, d'une collectivité. Le militant est un
volontaire qui insère son action dans une vision plus globale : une
idéologie, un secteur particulier, une catégorie de population. Ces trois
catégories ont la caractéristique d'être non salariées, et les gens ainsi
classifiés recherchent donc un autre bénéfice au sein de l'association :
un bénéfice de valorisation personnelle, un bénéfice pour un membre
de la famille, un enfant handicapé par exemple, un bénéfice pour une
cause dans laquelle ils se sentent investis. Parmi ces personnes non
salariées, certaines seront les fondatrices de l'association. Ce sont elles
qui définiront les valeurs associantes de l'association, ce qui va donner
sens au travail qui va s'y faire. Par la suite, parce qu'une association
vit, d'autres personnes remplaceront les initiateurs et feront perdurer
les valeurs fondatrices, les oublieront ou les changeront,
consciemment ou inconsciemment.
22De la même manière que pour les pouvoirs subsidiants, la manière
dont les associations envisageront leur mission donnera des sens
différents à l'association. Si des pensionnés belges créent une école de
devoirs dans un quartier immigré parce qu'il faut bien s'occuper, ou
parce qu'il faut faire quelque chose pour les gens de ce quartier en
difficulté ou encore parce que ces petits arabes ont des parents qui
sont incapables de s'occuper d'eux, la mission sera bien différente. Et
si ce sont des jeunes immigrés et belges qui ont terminé leur cycle
secondaire, et qui se disent que le système scolaire est inégalitaire et
qu'il faut mettre des choses en place pour que cela change, et
notamment, mais notamment seulement, une école de devoirs, la
mission de l'association prendra encore d'autres couleurs.

23Les travailleurs.Dans les associations, les formations des


travailleurs sont différentes, et c'est un des aspects passionnant du
travail, pour autant, et cela arrive malheureusement, que ces
travailleurs ne se regardent pas en chiens de faïence, mais cherchent la
collaboration qui sera toujours fructueuse pour eux et plus encore pour
les personnes avec lesquels ils auront à travailler. Il pourrait y avoir
des éducateurs, des assistants sociaux, des psychologues, des
infirmières, des médecins, du personnel administratif, des
criminologues, des enseignants, des artistes, des sportifs… qui tous
auront leur vision du travail à faire et pourront, devront en nourrir les
autres. Nous y reviendrons en fin d'article.

24Et puis, il y a les usagers.C'est un nom générique qu'on n'aime pas


beaucoup, mais les autres mots qu'on trouve ne vont pas beaucoup
mieux. On dit aussi clients…bof ! … Évidemment, quand on travaille
avec des jeunes, on dit les jeunes, quand on travaille avec des
personnes handicapées, on dit les personnes handicapées, quand on
travaille avec des étrangers, on dit… qu'est-ce qu'on dit avec les
étrangers ? Bref, il n'y a pas, enfin, on n'a pas trouvé de mot idéal. Un
aveugle expliquait récemment à des étudiants que le terme qui
convenait le mieux, c'était « ayant droit ». Il y a un service social. J'y
ai droit. C'est peut-être un mot qui convient mieux… ayant droit…

25Enfin voilà, les ayants droit ou les usagers, quel est leur rôle dans
l'association ? Nous y reviendrons plus tard, mais ce qu'il faut déjà
dire, c'est qu'ils seront les bénéficiaires des services qu'on va leur
rendre… pour autant qu'il y ait réellement bénéfice pour eux. Parce
qu'il ne suffit pas de croire qu'on va les aider pour les aider réellement.
Et puis, ce n'est pas parce qu'on veut faire le bien qu'on le fait
réellement. On fait parfois plus de tort que de bien.

26Les usagers ont donc une place particulière dans une association.
Ces gens ont une parole, leur parole est essentielle, et toute association
qui se respecte a à entendre cette parole, et à l'utiliser dans le respect
des personnes qui la disent. Un petit exemple : une association qui
travaille avec des jeunes filles handicapées. Qui dit jeunes filles, dit
sexualité, et donc contraception, et puisqu'il s'agit de personnes
handicapées, on ligature les trompes, comme ça on est tranquille, et
puis, c'est pour leur bien, parce que, vous la voyez avec un enfant? Et
que pense la jeune fille de cette opération ? Qu'en est-il de son désir de
maternité ? Est-ce les responsables ou les travailleurs de l'institution
qui décident ce qu'ils vont faire de son corps ? En a-t-on parlé avec
elle ? Qu'a-t-elle pu en dire ? A-t-on réfléchi aux conséquences
psychologiques de ce qu'on peut appeler « mutilation » dans ce
contexte ?

Les missions des associations de travail social.

27C'est Isabelle Stengers qui nous explique l'histoire du gentil et du


méchant bourreau. Il y a le méchant bourreau, celui qui stigmatise, qui
produit les logiques d'exclusion, qui légitime l'idée qu'il n'y a que
l'assistance qui soit possible. Et puis, il y a le gentil bourreau, celui qui
ne se distingue du reste de la société que par la bonne volonté, le
projet d'aider, l'ouverture, la disponibilité et la sensibilité. Il plaint et
met en garde contre la méchanceté de l'autre, contre laquelle ni lui ni
la victime ne peuvent rien. En fait, et c'est cela qu'il faut retenir, le
gentil bourreau partage consciemment ou inconsciemment les
catégories du méchant bourreau quant à la situation de la victime.

28Le méchant bourreau et le gentil bourreau admettent le


fonctionnement social et ne tentent pas de le remettre en cause.
L'essence même de l'associatif c'est d'éviter d'être bourreau.
29P. Bourdieu, dans son livre « Méditations pascaliennes » [10]
[10]BOURDIEU P., Méditations pascaliennes, Paris, Seuil,
Collection…, présente une loi de conservation de la violence. Cette loi
indique que les personnes qui s'expriment par de la violence visible
(vols, agressions, trafic, émeutes…) ont subi des violences invisibles
(les conditions matérielles d'existence, les expériences de vie sur les
lieux de travail, dans les écoles, dans l'accessibilité aux biens et
services…), et des violences inertes (qui apparaissent au travers des
structures économiques et sociales et des mécanismes à travers
lesquelles elles se reproduisent). Pierre Bourdieu explique qu'il est
nécessaire de se pencher sur ces violences invisibles et inertes pour
comprendre les violences visibles, voire pour les contrer. Les
bourreaux s'intéresseront à la violence visible pour tenter de la
supprimer, parfois gentiment, mais avec cet objectif. Ceux qui
refuseront d'être bourreau axeront en priorité leur travail sur la
diminution des violences visibles et inertes. Ce devra être le travail
prioritaire des associations.
30« Le tissu associatif est un lieu où se réalise une authentique prise
de risque au sein d'un environnement peu complaisant [11]
[11]DESCHAMPS I., Société civile, société si vile ?, in la Revue…» .
Il s'agit d'une prise de risque en vue de mettre en place une résistance
« au sentiment d'impuissance et de fatalité qui est l'un des produits
directs de la définition capitaliste des humains comme travailleurs
(avec ou sans travail) et consommateurs [12][12]STENGERS I., op.
cit., p.44. » . Des associations d'aide aux jeunes ont refusé de
transmettre les noms de jeunes à la police, et leur matériel
informatique a été saisi. Suite à des mouvements sans gravité dans le
métro à Bruxelles, des jeunes sont emmenés au commissariat, le
travailleur de rue qui les accompagnait, en désaccord avec les
méthodes policières, se laisse arrêter sans divulguer son identité, parce
qu'il n'apprécie pas la méthode. Il passe plusieurs heures en cellule
avec les jeunes. Ce rôle de résistance est un rôle essentiel pour
l'associatif. Il ne doit pas s'agir là de pratiques souterraines. Le tissu
associatif doit revendiquer le droit et le devoir de pratiquer cette
résistance et obtenir les moyens de jeter le trouble dans le
fonctionnement habituel de la cité, acquérir « la pratique de création
de problèmes au lieu d'en accepter la formulation usuelle, celle de
savoir confronter ce qu'on a créé avec la réalité que la création
concerne, celle de savoir transmettre ce que l'on a appris à d'autres et
de savoir apprendre des autres ce qu'ils ont appris [13][13]Ibid.
p.42. ».
31C'est le tissu associatif qui invente la démocratie et qui permet la
citoyenneté. Isabelle Stengers nous dit encore que la démocratie
« n'existe qu'à s'inventer, à inventer ce que peuvent être les relations
entre les humains, ce qui a le droit d'exister, d'être défendu, d'être
entendu, de faire une différence pour les autres… les associations sont
la tête chercheuse, la vie d'une démocratie [14][14]Ibid. p.43. » .
Claude Julien [15][15]JULIEN C., Citoyens et pouvoir en Europe, éd .
Labor,… ajoute que la formation à la citoyenneté passe par
l'associatif, une association devant être une invitation à la réflexion
permanente. La vie associative, c'est permettre à chacun de s'organiser
autour de valeurs morales, philosophiques, politiques, de mouvements
sociaux, de problématiques qui marquent les préoccupations d'une
société.
32L'associatif est porteur de démocratie, parce qu'il est un lieu
fondamental de socialisation : c'est un espace qui « permet
l'apprentissage et le développement de la solidarité avec d'autres et
une connaissance non formelle des questions et problèmes qui
traversent la société » [16][16]de WASSEIGE A., Vie associative et
démocratie, in Le Ligueur…. La connaissance non formelle des
problèmes sociaux est fondamentale dans le travail social. C'est une
connaissance qui remet sans cesse en question ce que les livres ou
l'école m'ont appris. Je ne peux pas prétendre connaître la vie des
usagers de drogues, sans en avoir rencontré beaucoup, sans avoir
acquis la confiance qui fera qu'ils me diront ce qu'est réellement leur
vie, sans me rendre compte que la trajectoire d'un usager de drogues
sera toujours différente de la trajectoire d'un autre usager, et que la
51ème personne que je rencontrerai me forcera à remettre en question
les connaissances que j'ai acquises en rencontrant les 50 premières. La
solidarité que je pourrai développer est à ce prix, parce qu'il n'existe
pas hors du caritatif ou de la pseudo-connaissance, une solidarité qui
soit scientifiquement définie. Une maman sentira que je suis solidaire
avec elle parce que je lui parle de son enfant, une autre me sentira
dans le contrôle et la violence parce que je lui parle de son enfant.
33Pour qu'une association s'inscrive dans la construction de la
démocratie, il faudra qu'elle établisse les liens nécessaires avec le reste
de la société. Une association ne peut vivre repliée sur elle-même. Des
relations se développent d'une part avec la société de manière
générale, d'autre part avec les usagers de ses services et enfin, avec le
monde politique, partie prenante de la société puisque c'est à lui que
revient de prendre les décisions qui concernent le fonctionnement de
la cité.

34- Avec la société, il s'agira d'organiser un travail de sensibilisation


de l'opinion publique aux valeurs défendues et au travail mené, aux
objectifs à atteindre au sein de l'association, et à la nécessité que cette
opinion publique soit d'une certaine manière partie prenante de ce que
veut l'association. On revient à la question publique. Une association
pour exister démocratiquement se doit de défendre des valeurs
soutenues par le plus grand nombre, ce qui ne sera pas nécessairement
le cas. Il faudra alors convaincre que ces valeurs se doivent d'être
défendues par le plus grand nombre. On a parlé tout à l'heure des
associations qui travaillent avec les personnes incarcérées ; pour de
telles associations, ce travail de sensibilisation sera un travail plus
complexe et de plus longue haleine qu'un travail de sensibilisation au
sort des enfants cancéreux par exemple. Mais plus essentiel encore.

35- Les liens avec les usagers des services sont les liens les plus
essentiels à établir dans une association qui ambitionne mieux de
démocratie. Et il ne s'agira pas d'établir des liens de service entre le
travailleur et la personne dépendante, mais entre deux citoyens au sein
d'une association, l'un étant professionnel, l'autre peut-être demandeur
d'une aide, mais chacun étant porteur de sa compétence, chacun
pouvant enrichir l'autre de cette compétence, en vue de trouver d'abord
une solution à la problématique individuelle de la personne, mais peut-
être aussi de trouver l'un ou l'autre outil qui pourra être utile à d'autres
personnes. Ce partage de compétence est trop rare, et pourtant,
beaucoup d'usagers sont en demande de cette écoute et de cette
reconnaissance de leur compétence. Et qui oserait dénier cette
compétence, puisqu'elle concerne leur vie ? Écoutez ce témoignage
d'un papa militant de Lutte Solidarité travail : « La violence la plus
atroce que nous vivons au quotidien, c'est d'abord ce fonctionnement
qui nous refuse comme partenaire, qui n'entend pas notre point de vue,
qui nie tout notre être. On en arrive même à nous faire douter, et plus
encore à faire douter nos enfants, de notre capacité d'être maman ou
d'être papa. La plupart du temps, au sortir des rencontres avec les
travailleurs sociaux, nous avons l'impression d'avoir été un peu plus
méprisés dans notre rôle de parents, et rarement perçus comme
quelqu'un qui est l'acteur principal dans un drame dont il est la
première victime et le volontaire le plus engagé dans la lutte. Souvent,
nous avons l'impression que les travailleurs sociaux n'essaient même
pas de comprendre ce qui nous arrive, même s'il est vrai qu'il n'est pas
facile d'entendre ce qu'une famille dit. Trop souvent, les travailleurs
sociaux s'arrêtent sur d'apparentes évidences. Ainsi par exemple, s'ils
ne comprennent pas très bien la situation d'une famille, ils disent :
« c'est normal, ils sont précaires ». Et ils ne mesurent pas ce qui a
généré une situation pareille. De plus, ils se permettent de ne pas s'en
imposer l'analyse » [17][17]Marc et Didier, délégués d'un groupe de
militants de LST, La…. Un objectif fondamental au sein d'une
association, c'est comme le dit ce papa, reconnaître l'usager comme
acteur à part entière, à même hauteur que chaque personne qui franchit
les murs de l'association. Et c'est le pas le plus difficile à franchir dans
les associations. On s'y dit souvent : « c'est déjà pas mal de pouvoir
s'entendre entre conseil d'administration et travailleurs et de pouvoir
collaborer avec le réseau environnant. », ce qui est vrai, mais pas
suffisant pour une association qui n'accepte pas d'être organisme de
reproduction des normes et valeurs dominantes. Et c'est vrai aussi que
ce travail de reconnaissance des compétences des usagers est difficile,
parce qu'il remet en cause souvent notre façon que nous estimions à
priori positive de leur apporter un soutien. Notons encore avec Pierre
Lamarche, que dans le cadre d'une politique de prévention, c'est « la
population-cible » elle-même « qui donnera à la démarche de
prévention sa véritable légitimité… la démarche de prévention
appartient d'abord à ceux qui se trouvent touchés par le problème et à
qui revient en priorité de déterminer les pistes d'action… Cette
conclusion n'est pas motivée que par des considérations éthiques…
mais aussi par des considérations plus bassement techniques : aucun
programme ne saurait avoir d'effets, si ceux à qui il s'adresse… ne
reconnaissent pas sa légitimité [18][18]LAMARCHE P., Éléments
d'une démarche de prévention, in Brisson… ».
36- Le lien avec le politique sera lui aussi essentiel. Alain Touraine
indique que « c'est le renforcement des associations et des
mouvements culturels… qui permettent le mieux de faire pénétrer les
demandes sociales dans le champ politique, et donc de reconstruire la
démocratie » [19][19]TOURAINE A., Pourrons-nous vivre
ensemble ?, Éd. du Seuil,…. La ténacité des mouvements de soutien
aux sans-papiers empêche qu'on oublie le bourbier de la régularisation
et les rapatriements par charters. Cela se passe clairement mal aux
niveaux politique et de l'administration ; la bataille que ce mouvement
mène depuis plusieurs années n'est pas encore gagnée, et la presse
nous rappelle régulièrement qu'il ne baisse pas les bras, et que les
avancées que le gouvernement propose et qu'on ne peut nier,
paraissent insuffisantes. Le mouvement ne se prive pas de le faire
savoir. Dans le même ordre d'idées, le décret de l'aide à la jeunesse de
1991, ou le décret concernant les maisons de jeunes de juillet 2000 ont
été mis en place suite à de longues luttes des associations du secteur. Il
a fallu un gros travail de ces associations, elles même se faisant
parfois (trop peu ?) le relais des personnes les premières concernées
pour que ces décrets aboutissent. Et la lutte continue. Au niveau de
l'aide à la jeunesse, certains estiment que les avancées ne sont pas
suffisamment progressistes, d'autres apprécient le décret mais estiment
la vigilance toujours nécessaire, et pointent l'un ou l'autre aspect
encore boiteux.
37- De plus, l'associatif s'intéressant au fonctionnement social et à sa
gestion, mais restant à taille humaine, permet aux gens qui s'y
impliquent de se familiariser avec les aspects du fonctionnement
social qui les concerne, de poser des questions de plus en plus
pertinentes, et de construire avec d'autres une analyse dans laquelle ils
se retrouvent impliqués. L'associatif est dès lors une porte d'entrée
du citoyen vers la politiquedans son sens noble. L'association devant
également être gérée dans des formes démocratiques, ses membres
peuvent s'essayer à cette forme de micro-gouvernement en prenant
une part active à la vie de l'association.

38N'en déplaise à M. Michel, les associations sont garantes d'un


certain contrôle démocratique. Il est évident que ce rôle est aussi
dévolu au parlement, et que de nombreux parlementaires exercent ce
contrôle avec compétence. Mais justement, cette compétence, les
informations nécessaires pour contrôler le bon fonctionnement de ce
qui est mis en place, la confrontation des décisions législatives aux
réalités de terrain, où peuvent-ils les obtenir, si ce n'est chez les
citoyens confrontés à ces réalités, et plus précisément, dans les
associations qui regroupent une diversité de personnes vivant ou
observant elles-mêmes des réalités différentes, mais qui, combinées,
apportent un regard original sur une problématique traitée par le
politique. Les associations sont parfois de véritables laboratoires
sociaux. Les parlementaires utilisent donc les capacités de l'associatif
pour porter leur jugement. Mais l'associatif est lui aussi capable seul,
de marquer le coup, quand des décisions politiques se prennent ou
quand des responsabilités sont à pointer. Faut-il rappeler la part qu'on
prise les plannings familiaux à propos de la dépénalisation de
l'avortement, le rôle que viennent de jouer récemment des associations
de malades, de médecins, d'infirmières dans le débat autour de
l'euthanasie ? N'est-ce pas parce qu'il y a eu une volonté citoyenne de
membres d'associations diverses de défense des droits de l'homme que
la mort de Sémira n'est pas passée inaperçue et qu'un ministre a dû
démissionner? Ce rôle des associations dans le contrôle de la réalité
démocratique est donc un rôle primordial.

Le travailleur social et l'associatif.

39Voilà brossé un certain portrait de l'associatif. Reste maintenant à


comprendre et à savoirce qu'un travailleur social peut y faire.

40D'abord, si la volonté du travailleur social est de travailler avec des


enfants dans une maison d'accueil, des jeunes dans la rue, des
personnes handicapées, dans une association… Cela n'est pas remis en
cause, ça risque bien d'être l'essentiel de son travail.

41« Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'un véritable travail social, ce


n'est pas seulement passer ses journées avec des enfants. Derrière tout
travail, il y a une philosophie. D'autant plus quand il s'agit d'un travail
social…

42Être travailleur social dans un service public exige aussi d'avoir une
philosophie, et loin de moi l'idée de dire qu'elle ne sera pas
respectable. Nous vivons dans un pays démocratique, et les services
mis en place par les pouvoirs publics méritent le plus souvent le
respect.

43Une position personnelle, mais certainement partagée par une série


de personnes, c'est que la démocratie d'aujourd'hui, pour être déjà
formidable (les droits de l'homme sont bien plus respectés en Belgique
que dans la plupart des pays du monde), n'en est pas moins trop
timide. Et je pense avec d'autres qu'un investissement dans l'associatif
permet de construire chaque jour un peu plus de démocratie.

44Pour devenir professionnel salarié dans une association, il semble


nécessaire de se poser la question de la philosophie de l'association. Il
faut se rendre compte, que jouer au foot avec des jeunes avec l'objectif
que pendant ce temps-là, ils ne font pas de conneries, ce n'est pas la
même chose que de jouer au foot pour tenter de sortir un Zidane du
lot, et ce n'est pas la même chose que de jouer au foot pour essayer
que chaque joueur prenne son pied et soit lessivé mais heureux à la fin
du match. Ça paraît sans doute évident, mais selon le lieu où l'on va
travailler, (et peut-être qu'on trouvera 3 associations qui viseront
chacune un de ses objectifs), et bien, mon métier de travailleur social
ne sera pas le même.

45Il paraît indispensable à un travailleur qui fait le choix de


l'associatif de poser la question de la philosophie de base de
l'association, La question publique qui fonde cette association.

46Une fois dans l'association, cette question publique, cette


philosophie de travail, auxquelles on aurait décidé d'adhérer, doivent
rester présentes comme un phare. Et il paraît important de revenir
régulièrement à elles. Pour questionner le travail sous leur lumière.
Son propre travail, et le travail de l'équipe. Pour questionner sa
pertinence aussi. Il peut arriver qu'une question publique perde de son
sens au fur et à mesure des années qui passent. Il faudra peut-être la
modifier pour lui rendre de l'actualité. Il faudra cependant être vigilant
à ne pas la modifier parce que ça arrange, parce que c'est plus facile. Il
faut rester d'une intransigeance certaine par rapport à cela.

47La question publique doit aussi questionner la capacité à ne pas être


un bourreau. Ni un gentil bourreau, ni un méchant bourreau. Et donc
se poser la question : quand je pense que je fais le bien, qu'en pense
vraiment la personne qui reçoit mon aide, et qu'est-ce que je produis
en travaillant de cette manière ? ne reproduction des normes
dominantes, ou une résistance à ces normes instituées et tellement
ancrées. Et que produit habituellement mon association ?

48L'associatif, quand on y travaille un certain temps, permet


d'acquérir connaissances et compétences. Et un travailleur qui a acquis
de l'expérience dans son domaine peut faire usage de l'expertise qu'il a
acquise. Cette expertise est importante et elle peut être utilisée à bon
escient. Tout en se souvenant que la parole des usagers est aussi
importante. Il ne s'agit donc pas que les professionnels fassent subir
une métamorphose à leur parole, métamorphose que l'on nommera
pudiquement et techniquement, une reformulation socialement
intelligible des attentes du public [20][20]DURANT I., Associations,
du bon et du moins bon, in «Revue…. Mais une expertise faite
d'humilité paraît raisonnable.
49À propos de cette parole des usagers, et dans le cadre de ces
objectifs primordiaux de démocratie et de citoyenneté, le travail du
travailleur social dans l'associatif sera de trouver les moyens de
favoriser cette parole, de la prendre au sérieux, et de la faire prendre
au sérieux par l'ensemble de l'association, puis par tout autre
interlocuteur qui pourrait en faire un usage pertinent (le politique, les
médias, les gens…). Dans son travail de tous les jours, c'est aussi une
lumière qui doit interpeller régulièrement.

50Cette manière de voir les choses ne doit pas noyer l'esprit du


travailleur social bien sûr. Le travail social est généralement pertinent,
et il est important dans son travail de se faire confiance, et de faire
confiance aux collègues. Cependant, de temps en temps, il est bon
d'allumer la petite lumière qui permet de se situer, et le cas échéant de
recadrer le travail. Et puis, quand une nouvelle initiative est prise par
l'association, un nouveau projet, une nouvelle technique d'animation,
la possibilité d'obtenir un nouveau subside, et bien, alors, on repose les
questions. Cela correspond-il à la philosophie de base qui régit notre
travail?

51Et puis, il arrive qu'on soit confronté à des impossibilités. Travailler


en respectant la philosophie de travail devient difficile voire
impossible. La prise de risque existe. Il est donc parfois nécessaire de
risquer son boulot pour garder sa dignité de travailleur. Mais d'autres
possibilités peuvent être trouvées. Changer les choses en restant à
l'intérieur. Pour cela, des collectifs de professionnels se mettent en
place. Pourquoi ne pas imaginer des collectifs qui intègrent les usagers
également ? Un collectif permet de poser les questions de manière
collective, sans se mettre de manière trop évidente en danger
individuel. Le travailleur social doit savoir qu'il sera peut-être
nécessaire de prendre des risques, individuellement ou collectivement.

52Haute École Charleroi-Europe


Institut Cardijn
Rue de l'Hocaille, 10 B-1348 Louvain-la-Neuve
Tél : 0032(10) 48.29.99 Fax : 0032 (10) 48.29.98
Courriel : mchambeau. cardijn@ skynet. be

Notes

l y a deux ou trois décennies, en France tout au moins, la cause était


entendue. Le processus de professionnalisation du travail social
apparaissait inéluctable ; ce qui semblait impliquer d’un côté une
moindre part des activités bénévoles dans le secteur, de l’autre une
qualification accrue des salariés. Depuis la crise sociale s’est
développée et de nouvelles modalités d’action publique sont
apparues : c’est dans ce contexte que le bénévolat opère un
imprévisible retour en force tandis que le salariat du secteur social
tend à considérablement se diversifier au détriment des métiers les
plus qualifiés. Ce sont ces deux points qui seront très sommairement
examinés dans le court article qui suit [2][2]Le présent article de
synthèse ne prétend pas à l’originalité.…, écrit sous forme de
chronique, où nous voudrions montrer que, depuis près d’un demi-
siècle, cet improbable couple ne cesse en fait de perdurer, en dépit des
transformations de l’un et l’autre et des ruptures successives
annoncées.

1 – Les Trente Glorieuses : une professionnalisation


croissante dans un cadre resté principalement associatif

A – Une autonomie professionnelle conquise contre le


bénévolat

2Le travail social, comme son nom même le signale qui revendique
son appartenance au monde laborieux, s’est constitué contre le
bénévolat. Lorsqu’il acquiert reconnaissance publique, au début des
années 1960, les nouveaux salariés n’ont d’ailleurs de cesse de se
démarquer des origines.

3On connaît ces origines. Sur le terrain, le traitement de la misère et


de l’insécurité sociales ont d’abord été assurées, dans le fil de
l’Ancien Régime, par les œuvres de bienfaisance, par les Églises, mais
aussi par les premières structures nées du mouvement ouvrier
(mutuelles de secours, coopératives, puis syndicats). Philanthropes,
penseurs sociaux, syndicalistes et hommes politiques se préoccupent
concurremment du travail des enfants, des conditions d’hygiène dans
les agglomérations industrielles, des accidents du travail comme de
l’éducation des populations ouvrières. Les systèmes d’assurance
sociale se développent contradictoirement entre syndicats, patronat et
puissance publique, le mouvement ouvrier s’avérant d’abord
fortement réticent à laisser l’État intervenir dans ce secteur. Ce n’est
finalement dans notre pays, à la différence des pays anglo-saxons
européens où l’intervention de la puissance publique se fait plus tôt
(dès la fin du XIXe siècle en Allemagne par exemple), qu’aux
lendemains de la Seconde Guerre mondiale que l’État interviendra
massivement dans les processus de redistribution sociale et
d’assurance vieillesse et maladie, comme il interviendra alors
spécifiquement dans les secteurs des loisirs et de la culture.

4Dans toute cette phase antérieure à une intervention publique


d’envergure, l’action sociale comme le traitement des handicaps n’est
guère séparable de processus beaucoup plus globaux où les visées
sociales ont partie liée, de près ou de loin, avec les combats politiques
qui se nouent autour de l’idée républicaine et de la concurrence
scolaire. C’est ainsi qu’amicales laïques et patronages, mouvements
de jeunes se disputent, sous le contrôle des adultes, l’éducation et la
gestion des populations et notamment celle des enfants. Le
mouvement familialiste lui-même, qui est alors au cœur de l’action
sociale, n’est pas sans rapport ni avec les enjeux natalistes ni avec les
concurrences idéologiques et politiques. Le social est donc d’abord
militant et l’historiographie ne manque d’ailleurs pas de figures
héroïques et de géniaux précurseurs.

5Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, durant les Trente


Glorieuses, que l’action sociale s’autonomise comme secteur
spécifique d’intervention de la puissance publique, même si c’est
seulement en 1970 qu’est créée, au sein du ministère de la Santé, une
direction à l’Action sociale. Des professionnels sont recrutés en
masse, notamment des assistantes sociales, mais aussi des animateurs
socio-culturels (diplôme national créé en 1970), des éducateurs
spécialisés (diplôme national créé en 1967), des conseillères en
économie sociale et familiale, etc. S’amorce ainsi un vaste mouvement
de professionnalisation du secteur de l’action sociale, qui tend à
effacer le rôle des anciens bénévoles, mouvement structuré autour des
professionnels de niveau bac plus deux, dont les recrutements vont
aller s’homogénéisant et qui font valoir sur la place publique la
nouvelle appellation de travailleur social. Et de fait, en même temps
que le nombre de salariés ne va cesser d’augmenter, s’établit
progressivement l’image d’un monde professionnel de plus en plus
qualifié et détaché de ses origines charitables ou militantes

B – Mais des structures associatives toujours très vivaces

6Pourtant, les associations restent les premières bénéficiaires de cette


montée en puissance du travail social parce que ce sont elles qui
continuent à encadrer les formations dans des écoles relevant
massivement du secteur privé et que ce sont elles, loin devant les
collectivités locales et l’État, qui restent les principaux employeurs.
Les associations fédérées, notamment celles de l’enfance dite
inadaptée et de l’éducation populaire ne cessent de voir leur influence
croître au fur et à mesure qu’augmente la population des travailleurs
sociaux. Bien sûr, ce développement ne va pas sans poser problème.
Dans les années 1960 et le début des années 1970, sont alors
nombreux les conflits parfois spectaculaires quand il s’agit de faire
cohabiter administrateurs bénévoles ou permanents, forts de leur rôle
de précurseur, et une masse de plus en plus nombreuse de salariés. Les
militants devenus employeurs, et qui souvent furent eux-mêmes des
leaders syndicaux, voient se dresser en face d’eux les nouveaux
salariés dont les taux de syndicalisation et la force revendicative sont
alors très élevés, à la mesure d’une profession qui cherche à
s’autonomiser et à conquérir une reconnaissance sociale.

7Cependant, entre associations et salariés, les liens restent très forts,


sur le plan institutionnel comme sur le terrain des pratiques.
Institutionnellement, les grandes fédérations employeuses poursuivent
leur rôle de lobbying au sommet de l’État, d’autant plus aisément que
dans ces nouveaux secteurs l’administration publique n’a pas cherché
à constituer un corps de fonctionnaires spécialisés. Ainsi, de congrès
en congrès, de commission du Plan en groupe technique, les grandes
fédérations ont continué à peser auprès des ministères quand elles ne
leur fournissaient pas leurs conseillers. En tout cas, dans un jeu à trois
bandes, elles ont représenté une instance d’appel potentielle pour les
professionnels quand les pouvoirs locaux leur disputaient leur
autonomie.

8Pratiquement, c’est l’ensemble des réseaux associatifs qui a continué


à constituer l’environnement immédiat et disponible des travailleurs
sociaux. Vieux réseaux de la classe ouvrière ou nouvelles associations
portées par les couches moyennes salariées, ces réseaux sont restés les
partenaires (avant que n’existât le mot) quasi naturels des travailleurs
de terrain. Issus eux-mêmes parfois de ces réseaux, ou les rejoignant à
l’occasion des « luttes urbaines », ces derniers ont longtemps ainsi pu
appuyer leur action sur ces structures de sociabilité et d’entraide
présentes tout autant dans les vieux quartiers populaires que dans les
nouvelles zones urbaines en quête de droit de cité.

9Ensemble, militants associatifs et travailleurs sociaux partageaient


d’ailleurs la plupart du temps les mêmes valeurs. Il est à peine exagéré
de dire que ce qui faisait les raisons de l’engagement public des uns
constituait les raisons de l’engagement professionnel des autres : à
savoir la croyance au Progrès et aux jours meilleurs, c’est-à-dire,
indissolublement, l’idée que la société était transformable et que
l’homme était éducable. Derrière ces idées partagées, il y avait au fond
un projet commun – l’idéal éducatif – et cette chose essentielle qui
veut que le social ne soit pas seulement assistance individuelle mais
affaire collective. Au fond, le militant se sépare du bienfaiteur en ceci
que son action s’inscrit dans une problématique du social à dimension
collective ; que ses références soient la mutualité, la solidarité ou les
droits sociaux, c’est bien l’association des deux termes progrès et
social qui essentiellement la caractérise et, en cela, elle peut toujours
être partagée avec le professionnel.
2 – Crise sociale, qualifications en déshérence et néo-
bénévolat

A – La territorialisation des politiques sociales et l’appel à


la société civile

10Les années 1980 constituent à maints égards un tournant. D’abord,


l’approfondissement de la crise sociale vient multiplier les tâches du
travail social alors même que l’État dit providence se voit menacé
dans ses fondements. Ensuite et non sans relation, dans la suite des
critiques du fonctionnalo-centralisme du début des années 1970 et de
l’inflation des discours sur l’ainsi nommée « société civile », l’État
expérimente puis pérennise de nouveaux modes de gestion du social.
Les lois de décentralisation donnent aux départements de nouvelles
compétences et les Conseils généraux deviennent ainsi les principaux
gestionnaires des structures et surtout des emplois concernant l’action
sociale. C’est aussi à cette date que commencent à se développer de
nouveaux dispositifs territorialisés qui essaient de faire travailler en
commun diverses institutions autant publiques que privées. Au sein
des comités de prévention de la délinquance, des dispositifs DSU de la
politique de la ville, des opérations dites « été chaud », etc.,
s’expérimentent des pratiques de concertation entre élus, techniciens
de la police, de la justice, de l’équipement, de la santé, des affaires
sociales, des CAF, mais aussi avec des bénévoles. Plus la crise urbaine
s’exacerbe, et moins la question sociale reste une affaire sectorielle
pour au contraire venir au centre des préoccupations d’une foule
d’institutions sommées d’agir de concert. Les tentatives de sauvetage
des quartiers populaires sont ainsi l’occasion d’une multitude
d’expériences où la puissance publique, via les associations de
bénévoles par exemple, s’efforce d’intégrer la société civile au
traitement des problèmes sociaux des grandes agglomérations. Dans
les vastes remous qu’engendre cette nouvelle « gouvernance », les
rapports entre bénévolat et travail social se voient passablement
reconfigurés. Si d’un côté, le secteur associatif traditionnel, jusque-là
porteur du travail social, s’en voit affaibli, simultanément émerge, sur
le front de la misère, un nouveau bénévolat qui vient jusqu’à perturber
le processus décennal de professionnalisation.

11D’abord, la mise en œuvre de la décentralisation aboutit à un court-


circuitage du niveau national et un affaiblissement des grandes
fédérations associatives ; de telle sorte que la confrontation devient
directe entre techniciens et politiques, sans plus guère de médiation
possible de la part des responsables associatifs. De fait, les pouvoirs
locaux, en charge du social, n’ont d’abord de cesse de faire valoir
leurs nouvelles prérogatives et le début des années de décentralisation
voit fleurir audits et études et une redistribution partielle des cartes
entre les pouvoirs publics et les pouvoirs associatifs. Pour autant, la
période est plus complexe qu’il n’y paraît. C’est souvent aussi la
professionnalité même des travailleurs sociaux qui se voit contestée au
fur et à mesure qu’un discours sur l’évaluation tend à se généraliser. Si
les grosses structures associatives perdent localement de leur pouvoir
à travers notamment la généralisation des conventions par « projets »,
inversement les bénévoles de terrain se voient au contraire conviés à
participer à une rénovation de l’action sociale.

12Plus généralement, il paraît important d’insister sur deux processus


qui viennent alors modifier de façon notable la répartition des postes
au sein du social et reformater les rapports entre travail social et
bénévolat : d’une part, la forte croissance des emplois non qualifiés,
d’autre part, le développement d’un nouveau type de bénévolat
correspondant à la multiplication des situations d’urgence.

B – Entre bénévolat et professionnels : les petits boulots du


social
13Les premiers balbutiements d’une politique de la ville ont coïncidé
avec l’apparition des premières formules – Travaux d’utilité
collective, Stages d’initiation à la vie professionnelle, Jeunes
volontaires – supposées permettre l’insertion de jeunes chômeurs dans
le monde du travail. Les structures tant associatives que publiques ont
massivement profité de toute la panoplie des systèmes successifs
d’emplois aidés mis en place dans les politiques de lutte contre le
chômage, tels qu’ensuite les « Contrats emplois solidarité » (CES) et
les « Emplois-jeunes ». Ces emplois contractuels, souvent à mi-temps
et assortis d’une obligation de formation complémentaire, ont eu
tendance à remplacer les embauches de professionnels diplômés.

14Mais le développement de ces postes ne procède pas seulement


d’incitations fiscales. Il va de pair avec l’essor des emplois dits de
proximité : « grands frères », « femmes-relais », « accompagnateurs
scolaires », animateurs « issus du milieu », etc., autant d’emplois
moins définis par l’exercice de compétences spécifiques appréciables
en termes de savoir-faire et de qualifications spécifiques que par un
savoir-être social. Autant d’emplois aussi qui viennent de fait combler
le vide laissé par les militants et bénévoles des quartiers. Car l’appel à
la société civile butte, dans les quartiers populaires, sur le retrait des
militants partis ailleurs ou investis sur des actions de moindre durée.

15À mi-chemin du bénévolat et du salariat, ces emplois précaires


hésitent aussi entre inscription territoriale – qui donne légitimité à
intervenir – et références professionnalisantes, par nature davantage
sectorielles et détachées des réalités particulières du terrain. Dans tous
les cas, il s’agit donc à la fois d’être inscrit dans une « communauté »
et de savoir s’en distancier ; de transformer une pratique militante en
poste rémunéré ; ce qui peut parfois permettre ainsi, notamment dans
les quartiers dits « difficiles », des « carrières » que l’on croyait
définitivement révolues, celles qui tendent à professionnaliser
partiellement des pratiques militantes [3][3]Cf. Dominique Glasman et
Jacq
16Si ces emplois, comme l’ensemble de ceux liés au traitement social
du chômage, peuvent quelquefois servir de tremplin vers le statut de
salarié ou permettre d’enclencher un processus de formation pour des
catégories exclues ou non insérées dans le marché du travail, leurs
caractéristiques essentielles restent la précarité, le temps partiel et le
très faible niveau de qualification. Mais comme leur développement se
fait dans une période où par ailleurs se multiplient également les
emplois de service à la personne (notamment garde d’enfants, soins à
domicile, aide-ménagères et accompagnement de personnes âgées),
c’est globalement l’ensemble du secteur qui, en termes de
qualification, se voit en quelque sorte tiré vers le bas, même si
l’accentuation de la division du travail, liée précisément à cette baisse
générale des niveaux d’emplois, engendre par ailleurs des postes
d’encadrement hiérarchique.

17Précisément, du côté du haut de la pyramide, les possibilités


internes de carrière diminuent fortement. Certes, dans les années 1980,
on a pu transitoirement noter la réapparition d’une filière militante,
avec l’arrivée d’anciens militants et permanents, souvent d’origine
syndicale, venant suppléer les travailleurs sociaux réticents, dans les
nouveaux postes créés par les dispositifs territorialisés, notamment
ceux liés à l’insertion (et tout spécialement à l’essor des entreprises
dites d’insertion). Mais ce phénomène a été passager et des formations
spécifiques, surtout universitaires, se sont vite mises en place,
notamment pour pourvoir les emplois de chefs de projet sur les
quartiers. La tendance dominante, c’est l’arrivée dans le secteur social,
notamment dans les collectivités locales mais de plus en plus
également dans les grandes fédérations employeuses, de cadres venus
des écoles de gestion administrative ou de management, et donc la fin
de carrières commencées par le bénévolat, continuées par l’acquisition
de diplômes, puis le la formation continue et l’accès à des postes
d’encadrement. Mais alors que les grandes associations employeuses
se transforment ainsi progressivement en organisations
bureaucratiques, d’autres postes et groupements, issus quant à eux du
bénévolat, font leur entrée dans le social.

C – Le renouveau associatif

18Avec la crise, resurgit d’abord ce que les professionnels croyaient à


jamais révolu : l’appel aux bonnes volontés. On connaît bien sûr les
vedettes de ce bénévolat retrouvé, propre aujourd’hui à voler à
nouveau au secours du social : l’abbé Pierre, Coluche et Kouchner en
sont les têtes d’affiche. Or ces figures de proue médiatiques ne sont
pas des îlots dans le désert. Partout, les associations traditionnelles
d’entraide – telles le Secours Catholique ou le Secours Populaire –
connaissent une nouvelle jeunesse, la plupart du temps d’ailleurs en
renouvelant leurs dirigeants et en accueillant de nouveaux bénévoles
hors de leurs viviers traditionnels. Il en va de même des associations
dites « humanitaires », que leur action vise l’aide au tiers-monde ou
celle des « exclus » des pays industriels.

19Quant aux nouvelles associations – comme les Restos du cœur –,


elles fleurissent à l’initiative soit de retraités ou de pré-retraités
souvent anciens-cadres supérieurs, soit de jeunes étudiants pour qui
l’action volontaire constitue la plupart du temps leur première
expérience bénévole, et elles recrutent parfois une partie de leurs
nouveaux membres parmi des populations souvent étrangement
proches de celles qu’elles ont pour mission de secourir [4][4]Cf.
l’article de Bertrand Ravon et Roland Raymond, dans J. Ion….
Multiples et très actives sont tout autant les associations créées autour
du problème du sida et dont on notera au passage qu’elles peuvent être
l’occasion de renversement du rapport d’assistance quand les victimes
en quelque sorte transfigurent leur position en hérauts de leur cause
interpellant la société. Cette effervescence n’est donc pas que de
surface. Sur le terrain, ce sont de plus en plus des entreprises
associatives qui s’avèrent souvent le plus à même de combattre les
conséquences de la crise sociale et du chômage de masse. Qu’il
s’agisse de l’hébergement d’urgence, de la toxicomanie, de la question
des sans domicile fixe, de l’aide scolaire, du soutien aux victimes, des
centres téléphoniques de soutien et d’appels d’urgence, ce sont
souvent des associations qui s’avèrent en pointe de la lutte contre la
misère. Et c’est encore des associations que, d’une façon plus
générale, on retrouve derrière les divers mouvements dits des « sans »
(sans papier, sans logement, sans travail, etc.). Une nouvelle fois,
action charitable et action militante se retrouvent au front du social,
particulièrement là où surgissent de nouvelles populations assez peu
appréhendables selon les catégories et les instruments qui avaient fait
leur preuve dans les années de croissance. Quand il s’agit moins de
réinsérer des individus transitoirement déclassés mais de gérer dans
l’urgence des masses durablement exclues du marché du travail, les
acteurs bénévoles s’avèrent sinon irremplaçables, du moins souvent en
première ligne pour expérimenter de nouvelles pratiques
relationnelles. Si l’État reste le financeur essentiel de toute action
sociale, son action, y compris dans ses aspects novateurs, continue à
passer très largement par l’intermédiaire des structures associatives.
Pour autant, tout n’est pas toujours pareil.

D – L’émergence d’un bénévolat qualifié

20La prolifération des petits boulots du social va de pair avec un autre


processus qui tend à bouleverser l’équation qui avait longtemps
caractérisé le secteur et qui faisait coïncider emploi salarié et
qualification d’une part, bénévolat et non-qualification d’autre part. Or
cette équation ne tient plus guère ; d’une part parce que, on l’a vu, de
plus en plus nombreux sont aujourd’hui les emplois très peu, voire
absolument pas qualifiés ; d’autre part parce que bien des semi-
emplois sont de fait occupés par des jeunes fortement diplômés et
donc de fait surqualifiés pour les postes qu’ils occupent (ce fut
notamment le cas pour nombre d’« emplois-jeunes ») ; enfin parce que
certaines tâches effectuées par des bénévoles le sont, elles aussi, soit
par des personnes à très forte qualification (retraités notamment), soit
par des personnes développant des compétences relationnelles
spécifiques. Le succès actuel du terme de « volontaire », démarqué du
vocable anglo-saxon, est un signe du poids que prennent aujourd’hui
ces zones floues où il devient difficile de distinguer entre emploi et
bénévolat [5][5]Cf. le no 170 de décembre 2004 consacré aux « zones
grises….
21C’est qu’avec la crise, les pratiques, sinon dans les bureaux et les
établissements, au moins sur le front, ont changé, là où précisément
les bénévoles se font les plus innovateurs. Avec la fin du mythe du
progrès et l’installation de la misère dans la durée, la nouvelle
génération d’intervenants sociaux ne peut vivre ses activités avec les
référents des années de croissance, ni les mêmes outils, ni les mêmes
rapports aux usagers. Deux points sont à cet égard notables. D’une
part, la fin de l’idéal éducatif, c’est-à-dire cette visée ultime
d’émancipation qui faisait que la génération précédente se faisait
autant pédagogue que productrice d’aides spécifiques. Lorsque plus
grand-chose n’est à offrir à l’usager, reste principalement la pratique
relationnelle. D’autre part et par voie de conséquence, la relation
d’aide devient ainsi relation surtout d’accompagnement, dans une
position de symétrie relative entre l’aidant et l’aidé [6][6]Sur
l’évolution de la relation d’aide, cf. B. Ravon et…. C’est un nouveau
savoir faire, fondé principalement sur l’écoute, qui se trouve ainsi
convoqué et dans lequel des bénévoles peuvent exceller autant que des
professionnels. Dans un monde perçu comme incertain, où les visées
utopiques ne dispensent pas d’actions concrètes de terrain, le
bénévolat de proximité conquiert de nouvelles lettres de noblesse [7]
[7]Sur l’évolution des modes d’engagement et les transformations….

Conclusion
22Au terme de ce très bref parcours, il convient de relever que, de
façon générale, l’intervention massive, depuis plus d’un demi-siècle,
de l’État, puis des collectivités locales, n’a pas du tout tari la source
associative qui fut massivement aux commencements du travail social.
Le couple travail social-bénévolat, dont les acteurs ne cessent pourtant
de se disputer y compris sur le plan des compétences, s’alimente des
évolutions de l’un et l’autre. « Je t’aime moi non plus » pourrait être la
formule consacrant ce concubinage forcé.

23Pour autant évidemment, leurs relations ne cessent de se


transformer. Quitte à forcer un peu les choses, on pourrait ainsi
opposer une première phase, lors de laquelle le bénévolat a plutôt
fonctionné sur le modèle d’une sous-traitance de capacité (jouant en
quelque sorte un rôle d’amortisseur par rapport au marché de l’emploi
social), à une phase actuelle (qui n’est pas loin de reproduire celle de
la naissance du travail social) où une partie du bénévolat
fonctionnerait davantage sur le modèle d’une sous-traitance de
spécialité.

24On est très loin en tout cas des rapports qui étaient ceux des
années 1970, lorsque l’appellation « travailleur social » s’est imposée
contre les visées des mondes militant et charitable. Le succès d’une
nouvelle appellation, celle d’« intervenant social », reprise aussi bien
par les pouvoirs publics que par une partie de la profession ne doit-elle
d’ailleurs pas être à son tour pris au sérieux. Elle signale
explicitement, à la différence de celle de « travailleur », combien à la
fois la pratique est devenue affaire d’urgence plus que de long terme
et surtout combien secondaire serait devenue la distinction entre
salarié et bénévole.

Notes

 [2]
Le présent article de synthèse ne prétend pas à l’originalité. Il
s’appuie sur des travaux menés depuis plus d’une décennie dont
il ne reprend pas ici le détail documentaire et argumentatif.
Cf. notamment J. Ion, Le travail social à l’épreuve du territoire,
Paris, Privat, 1990, réédité chez Dunod ; J. Ion, Le travail social
au singulier, Paris, Dunod, 1998 ; J. Ion et al., Travail social et
souffrance psychique, Paris, Dunod, 2005.

 [3]

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