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978-2-10-055511-6

À Zoé
Avant-propos

La référence au travail social, comme une réalité donnant lieu à une


définition unifiée et évidente, est un objet de questionnement à part entière.
S’il est possible de reconnaître à ce vocable une caractéristique pragmatique,
dans la mesure où chacun en possède une représentation, les chercheurs ne
manquent pas de pointer sa nature ambiguë.
Tout d’abord, le travail social regroupe au minimum sept champs distincts :
le service social, l’éducation spécialisée, l’animation, la petite enfance,
l’insertion, l’accueil à domicile et le développement social local. Chacun de
ces secteurs possède son histoire, ses enjeux, ses contours et ses références.
Ensuite, les institutions du travail social sont variées, voire hétérogènes :
centres sociaux, services d’accueil de la petite enfance, établissements
pour personnes handicapées, établissements d’accueil pour l’enfance,
services d’accompagnement, d’accueil et d’hébergement pour l’insertion
sociale, services d’hébergement pour personnes âgées, pour SDF, les
centres communaux d’action sociale, etc. Si leur appartenance au monde
associatif est majoritaire, un bon nombre relève des collectivités et des
établissements publics (d’État, territoriale, hospitalière).
Si leurs fonctions sont variées, existe-t-il un plus petit dénominateur
commun ? Si l’évocation de la relation d’aide semble évidente, les faits
contredisent ce lieu commun. En effet, un travailleur social aide autant
qu’il interdit, frustre, limite, contient, soigne, etc. Ce flou est d’autant plus
entretenu en France qu’il n’existe pas de définition officielle. Il est alors
autant légitime d’utiliser d’autres références comme l’action sociale, le
travail du social, l’intervention sociale, l’assistance sociale, etc. Pourtant,
une définition a été donnée par les Nations unies en 1959 :
« Le travail social est une activité visant à aider à l’adaptation réciproque des
individus et de leur milieu social, cet objectif est atteint par l’utilisation de
techniques et de méthodes destinées à permettre aux individus, aux groupes,
aux collectivités de faire face à leurs besoins, de résoudre les problèmes
que pose leur adaptation à une société en évolution, grâce à une action
coopérative, d’améliorer les conditions économiques et sociales. »

VII
Nous retiendrons, pour cet ouvrage, cette approche qui stabilise le travail
social autour de la résolution de problèmes environnementaux. D’autres
définitions sont disponibles en France, notamment celle du Conseil
Supérieur du Travail Social. Pourtant, nous ne nous y référerons pas
davantage dans la mesure où elles nous semblent trop axées sur une logique
normative d’insertion sociale.
L’intervention sociale constitue un concept proche, mais qui se distingue par
son approche fonctionnelle :
« L’intervention sociale est le processus par lequel des professionnels
apportent aide et accompagnement aux personnes en difficultés sociales. »
in « L’intervention sociale, un travail de proximité », La documentation
française, 2005

L’action sociale a été définie pour la première fois dans la loi du 2 janvier
2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Elle s’appuie sur l’ensemble
des dispositions législatives et réglementaires regroupées dans le Code de
l’Action Sociale et des Familles, dont la partie législative est parue au Journal
Officiel du 23 décembre 2000. Celui-ci regroupe l’ensemble des dispositions
législatives et réglementaires en la matière.
L’aide sociale se réfère à l’ensemble des prestations sociales versées aux
personnes en situation de pauvreté ou d’extrême pauvreté, pour subvenir
aux besoins primordiaux des personnes. Nous retiendrons que le travail
social est le secteur professionnel qui synthétise l’ensemble de ces dimensions
(politiques, législatives, institutionnelles et pratiques), en composant
un corpus de références théoriques que ce dictionnaire ambitionne de
formaliser.
Le nombre de travailleurs sociaux ne cesse d’augmenter. Selon le ministère en
charge des affaires sociales, ils sont aujourd’hui environ 800 000. Il faut bien
entendu comptabiliser tous les titulaires des 14 diplômes du travail social :
auxiliaire de vie sociale, assistante sociale, aide médico-psychologique,
moniteur-éducateur, technicien de l’intervention sociale et familiale,
éducateur technique spécialisé, éducateur de jeunes enfants, éducateur
spécialisé, assistant de service social, conseiller en économie sociale familiale,
médiateur familial, fonctions d’encadrement et de responsable d’unité
d’intervention sociale, ingénierie sociale, directeur d’établissement ou de
service d’intervention sociale. Mais il est aussi nécessaire d’y intégrer tous
les « faisant fonction », ainsi que tous ceux qui interviennent aux marges
du travail social institutionnalisé, dans le cadre d’innovations susceptibles
d’intégrer le travail social de demain. Alors, si la profession du travail social

VIII
se structure autour de 14 métiers de références, sa réalité dépasse ce noyau
et propose, dans le cadre d’une évolution constante, une communauté de
fonctions que nous présenterons.
Ainsi, nous retiendrons dans ce dictionnaire le concept de travail social
comme secteur professionnel incluant des actions, des théories, des
institutions et des références législatives et réglementaires, formant un
ensemble institutionnalisé autour des sept grands secteurs déjà cités. Si le
diplôme est un indicateur d’appartenance, nous affirmons que le critère
le plus pertinent est du côté de la fonction de ce secteur : la résolution de
problèmes rencontrés par des individus ou des groupes vis-à-vis de leur
environnement en fonction de leurs besoins et dans un but de cohésion
sociale.
Si le travail social n’est pas perçu en France comme une réalité stabilisée,
ses références (théoriques, méthodologiques, éthiques, etc.) ne le sont pas
davantage. Pourtant, comme tout corps de métier, l’ensemble des travailleurs
sociaux a recours à des termes qui se réfèrent à des théories, des techniques,
des cadres juridiques, réglementaires et institutionnels, mais aussi à des
notions historiques, économiques et sociologiques en tant que champ où
se rejouent les logiques sociétales.
Cette profession n’est cependant pas fermée sur elle-même mais profon-
dément en prise avec la société, la politique, l’actualité et l’économie. Les
évolutions sociales affectent tout particulièrement l’évolution du travail
social, tant ce dernier est appelé à évoluer en fonction des maux sociétaux.
Ce dynamisme nécessite une adaptation continuelle des professionnels et
une capacité à accepter et à percevoir les modifications continuelles de sens
qui affectent leur quotidien.
Il est important pour les travailleurs sociaux de pouvoir se poser eux-mêmes
la question de l’appropriation et de l’évolution des concepts qui constituent
l’architecture mentale et professionnelle de leur action. En effet, nul ne
saurait souscrire à la vision de métiers centrés uniquement sur des pratiques
figées, en dehors de la capacité de réfléchir ou de théoriser le sens, la
technique et les enjeux de leurs interventions. Le travail social est un
champ en perpétuelle recherche, en lien avec l’évolution des problématiques
sociales. En ce sens, la démarche du travailleur social fait sans arrêt référence
à la théorie : théorie acquise dans une formation de plus en plus normée,
mais également théorie acquise collectivement par la réflexion commune,
et les effets de la rencontre avec la pluridisciplinarité et de la confrontation
devenue quotidienne, pour les travailleurs sociaux avec d’autres champs :
politique, insertion, économie, urbanisme et écologie. Dans ces conditions,
IX
il importe de proposer à ces acteurs un dictionnaire pratique du social qui
rende compte de cette tension théorie/action au cœur de leurs métiers.
Il n’est pas indifférent ici que les coordinateurs de ce dictionnaire soient
tous deux à la fois travailleurs sociaux, formateurs et chercheurs. Il s’agit en
effet d’un dictionnaire tourné à la fois vers une recherche de sens, mais aussi
de praticité, qui ne l’oublions pas est la finalité du travail social. Les choix
qui nous ont guidés découlent de cette volonté de valoriser la rencontre des
acteurs avec la production de savoirs. Tous les articles ont été rédigés par des
acteurs du travail social qui possèdent une expertise dans le sujet traité, issue
de leur expérimentation professionnelle. Tous les articles sont relativement
courts pour être facilement lisibles et utilisables. Ils réalisent une synthèse
qui vise à rendre compte de l’historicité, de l’ensemble dans laquelle la
notion prend place et des tendances et évolutions qui la caractérisent.
Il s’agit donc également d’un dictionnaire dynamique, en prise avec la
réalité d’un champ traversé par des discours, des enjeux, des tendances
et des conflits, dans lequel, le travailleur social trouve matière à action et
réflexion.

Laurent Ott
Stéphane Rullac

X
Liste des auteurs

BERRAT Brigitte (Be.B)


Responsable du Pôle Formations supérieures et Recherche à l’IRTS Ile-
de-France Montrouge – Neuilly/Marne – Maitre de conférences associé à
l’Université Paris 13.

BERTHELOT Céline (Be.C)


Éducatrice de jeunes enfants, éducatrice spécialisée, titulaire du DSTS, puis
d’un DESS en Management et marketing des structures de l’économie
sociale (3e cycle niveau 1). Ancienne chef de service éducatif, directrice
adjointe et, depuis mars 2009, responsable pôle de formation III et IV à Buc
Ressources.

BERTRAND Didier (Be.D)


Éducateur spécialisé, puis chef de service éducatif et directeur d’institutions :
foyer éducatif, service d’accueil d’urgence et service de milieu ouvert.
Titulaire d’un DEA en Sciences de l’éducation.

BLAEVOET Jean-Pierre (B.JP)


Chargé de cours en sciences sociales à l’université Lille 3, directeur
général honoraire de l’IRTS Nord-Pas-de-Calais et consultant, expert sur la
thématique de la maltraitance.

BONNAMI Alain (Bo.A)


Responsable de Projet à l’EFPP et responsable du Caferuis.

BOUCHER Manuel (Bo.M)


Directeur scientifique (HDR) du Laboratoire d’Étude et de Recherche
Sociales (LERS) de l’Institut du Développement Social (IDS-IRTS) de Haute-
Normandie – Canteleu/Rouen et membre associé du Centre d’Analyse et
d’Intervention Sociologiques (CADIS) à l’École des Hautes Études en
Sciences Sociales (EHESS). Ses travaux portent notamment sur l’action
sociale, le travail social, les quartiers populaires, la déviance, l’ethnicité,
les discriminations ethniques, la violence et la régulation sociale. Il est
également responsable du Réseau Thématique « Normes, déviance et

XI
réactions sociales » de l’Association Française de Sociologie (RT3) et
président de l’Association des Chercheurs des Organismes de la Formation
et de l’Intervention Sociales (ACOFIS).

BRICAUD Julien (Br.J)


Responsable de service éducatif, il travaille depuis plusieurs années auprès
de mineurs étrangers isolés. Il est l’auteur d’un ouvrage sur les pratiques
éducatives auprès de ce public.

CARPAYE Célia (Ca.C)


Actuellement en formation pour devenir éducatrice spécialisée, elle a
travaillé auprès de personnes en situation de handicap et d’adolescents
en foyer PJJ.

CHAPUT Corinne (Ch.C)


Assistante de service social de formation initiale, titulaire d’un DEA
en Sciences de l’éducation, elle exerce comme formatrice à l’IRTS de
Basse-Normandie. Elle y assure aussi la coordination du Pôle recherche en
travail social et représente l’IRTS au Comité de rédaction du Sociographe.

CROGNIER Philippe (Cr.P)


Directeur projets-recherche à La Sauvegarde du Nord, membre du Comité
de rédaction de la revue Le Sociographe ; il fait partie de l’équipe Théodile
(Théories, didactique de la lecture-écriture) à l’université Lille 3.

DEPENNE Dominique (De.D)


Éducateur spécialisé, ancien chef de service, docteur en sociologie, formateur
à Buc-Ressources.

DEROUETTE Catherine (De.C)


Éducatrice de Jeunes Enfants, musicothérapeute, titulaire du DEIS, actuel-
lement directrice d’un I.E.M. pour enfants et adolescents polyhandicapés
en Ille-et-Vilaine.

DJAOUI Elian (Dj.E)


Psychosociologue, responsable de formation à l’Institut de Formation
Sociale des Yvelines, membre du Centre International de Recherches, de
Formations et d’Interventions Psychosociologiques (C.I.R.F.I.P.).

DUBÉCHOT Patrick (Du.P)


Sociologue-démographe, responsable du Centre de Recherche et d’études en
action sociale à l’ETSUP (75), chargé d’études et de recherche indépendant.

XII
Il a travaillé durant quinze ans dans le département Évaluation des Politiques
sociales au sein du CREDOC.

DUMOULIN Fabienne (Du.F)


Assistante de service social et titulaire du DSTS et du DEIS. Après 25 ans
au Conseil Général des Yvelines, actuellement chef de service éducatif dans
une MECS.

EJZENBERG Ermitas (Ej.E)


Docteur en sciences de l’éducation et formatrice en travail social depuis
1989. Elle est spécialisée dans le domaine de l’écriture professionnelle.

FOURDRIGNIER Marc (Fo.M)


Sociologue. Maître de Conférences, chercheur au Laboratoire d’Étude et
de Recherche sur les Professionnalisations (LERP). Université de Reims
Champagne-Ardenne. Il est l’auteur d’un ouvrage sur l’accueil des stagiaires
en secteur social (à paraître aux éditions ASH).

GAURIER Bruno (Ga.B)


Atteint de surdité sévère, il est engagé depuis plusieurs décennies auprès
des personnes handicapées et pour la reconnaissance de leurs droits. Il
enseigne l’éthique liée aux situations de handicap et de dépendance à
l’Université Paris II. Il a enfin pris une large part à la préparation de la
Charte européenne des Droits fondamentaux (2000), de la Classification
internationale du Fonctionnement (CIF-OMS-2000), de la Directive
européenne relative au transport aérien des personnes handicapées (2007),
de la Convention internationale des Nations-Unies relative aux droits des
personnes handicapées (2006).

GIL Françoise (Gi.F)


Titulaire d’un Master II en sociologie, enseignante à l’IRTS Parmentier. Elle
est l’auteur du rapport sur la prostitution de rue à Paris remis à Sidaction
en 2004 et au livre La prostitution à Paris chez La Martinière.

GRUAS Monique (Gr.M)


Psychologue clinicienne et responsable de projet à Buc Ressources.

HAJJAR Meriem (Ha.M.)


Formatrice en travail social, Master 2 lettres et sciences humaines.

KOZLOW-RÉGNARD Elisabeth (KR.E)


Éducatrice spécialisée, titulaire d’un DU de criminologie et d’agressologie

XIII
ainsi que d’un Master DEPRA (Développement des pratiques profession-
nelles et sociales par la recherche-action). Après 15 ans d’expérience en
prévention spécialisée puis dans le domaine de la prévention des conduites
à risques adolescentes, elle est actuellement responsable de projet à Buc
Ressources.

LANDRY Géraldine (La.G)


Sociologue, IRTS-Languedoc Roussillon, Université Paul Valéry – Montpel-
lier III.

LE REST Pascal (LR.P)


Docteur en ethnologie et ethnométhodologue. Il a été Conseiller technique
de l’ADSEA 28, chargé de cours à l’Université de Tours et d’Orléans, forma-
teur dans de nombreuses écoles du travail social et chargé d’études pour
le Comité National de Liaison des Associations de Prévention Spécialisée
(CNLAPS). Aujourd’hui, il est Conseiller technique à l’ADSEA 77.

LETELLIER Jean-Luc (L.JL)


Éducateur spécialisé, ancien élève de l’école internationale de théâtre Jacques
Lecoq, responsable de projet à BUC Ressources.

MCCALLUM Patricia (MC.P)


Éducatrice spécialisée, formatrice, responsable de pôle.

MOLINA Yvette (Mo.Y)


Responsable de formation à l’Institut de Formation sociales des Yvelines
(IFSY) et doctorante à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales
(EHESS), Centre Maurice Halbwachs/Équipe Professions, réseaux, organi-
sations.

MUCCHIELLI Laurent (Mu.L)


Directeur de recherches au CNRS, sociologue.

MURCIER Nicolas (Mu.N)


Sociologue, formateur, responsable de projets à l’EFPP. Vice-président de
l’association Intermèdes-Robinson.

OTT Laurent (Ot.L)


Éducateur, formateur chargé de recherche à l’EFPP, philosophe social.

XIV
PAPAY Jacques (Pa.J)
Formateur-consultant en méthodologies d ‘action sociale et médico-sociale,
docteur en sciences de l’éducation.

PASQUET Guy-Noël (P.GN)


Attaché de recherches à l’IRTS-Languedoc Roussillon, rédacteur en chef
de la revue Le Sociographe, maître de conférences associé en sciences de
l’éducation, Université Paul-Valéry – Montpellier III.

PÉLISSON Éric (Pe.É)


Administrateur civil du ministère de l’Intérieur, détaché à la Halde en tant
que délégué à l’action régionale, par ailleurs enseignant associé de droit
public à l’IEP Lille

POUJOL Jean-Marie (P.JM)


Ex directeur général d’association – Enseignant Universitaire – Formateur
– Consultant – Membre du CSTS (Conseil Supérieur du Travail Social),
co-auteur du rapport « Le travail social aujourd’hui » – Mandats nationaux
et régionaux dans la branche sanitaire sociale et médico-sociale.

RENOUL Xavier (Re.X)


Éducateur spécialisé, titulaire du DSTS et du DEIS. Après quinze ans auprès
des publics SDF, puis de jeunes, il est actuellement chef de service en
Prévention Spécialisée dans les Yvelines.

RONCHARD Max (Ron.M)


Directeur général de la fondation ACTES, à Nice. Titulaire du Mastère
« Management des associations et structures de l’action sociale et médico-
sociale », EUROMED Marseille.

ROPERS Philippe (Ro.P)


Directeur général d’association, ancien responsable de formation et directeur
adjoint d’une école du travail social, membre du conseil technique
des équipes de prévention spécialisée (CTPS). Spécialisé en sciences de
l’éducation et en stratégie des organisations. Auteur de plusieurs ouvrages
et articles dans le champ de l’action sociale et médico-sociale.

ROUZEAU Marc (Rou.M)


Assistant de service social, il est actuellement responsable du pôle
« Ressources et Expertise en Travail social » à l’IRTS de Bretagne et professeur
associé à l’Institut d’Études Politique de Rennes où il co-dirige le Master

XV
« Expertise de l’action publique territoriale » — Membre du Centre de
recherches sur l’action politique en Europe (CRAPE).

RULLAC Stéphane (Ru.S)


Éducateur spécialisé, docteur en anthropologie, formateur chercheur à Buc
Ressources et coordinateur du CERA (Centre d’Études et de Recherches
Appliquées).

SIBBILLE Catherine (Si.C)


Formatrice à l’IRTS de Basse-Normandie, praticienne en analyse des
pratiques. Formation initiale d’assistant de service social, puis d’un Diplôme
Universitaire d’Art Thérapie homologué et d’un Master en analyse des
pratiques professionnelles.

SORIS Cécile (So.C)


Titulaire du DEIS et éducatrice spécialisée de formation initiale, elle est
directrice d’un établissement social dans le secteur associatif.

SOW Jean-François (S.JF)


Éducateur spécialisé, titulaire d’une maîtrise en management des éta-
blissements sociaux et médico-sociaux, option « ville et santé », il s’est
consacré pendant vingt-trois ans à l’encadrement d’équipes de travailleurs
sociaux, dont treize années à la fonction de directeur d’établissement. Il est
dorénavant au service de la formation et de la conduite de projets en action
sociale à BUC Ressources.

TOURRILHES Catherine (To.C)


Docteur en sciences de l’éducation. IRTS Champagne Ardenne, Laboratoire
CIREL-PROFEOR Lille 3. Chef de projet d’insertion sociale et profession-
nelle de jeunes pendant 15 ans.

TRIGUEROS Marc (Tr.M)


Le sociographe, IRTS-Languedoc Roussillon, titulaire d’un Master 2 en
sociologie.

XVI
Liste des entrées

Accompagner Économie sociale,


Accueillir économie solidaire
Activités Écoute
Addicts Écrans
Adolescents Écrire
Animaux Empathie
Appareillage Empowerment
Assister Enfance
Associations Enquêter
Entretien
Autistes
Équipe
Autonomie
Éthique professionnelle
Autorité
Évaluer
Bientraitance
Exclus
Bureau
Faire ensemble
Cadre
Faisant fonction
Cadres du social
Formation
Cas sociaux
Grands frères
Chantiers
Groupe
Chercheurs
Groupes (travailler
Confiance avec les)
Conflictualisation Handicap (secteur du)
Contenir Hébergement
Crise Histoire du travail social
Décrocheurs Humour
Délinquants Immigrés
Délinquants juvéniles Implication
Développer Inadaptés
Diriger Incasables
Discriminations Inclusion
Domicile (Intervention au) Individualiser
Donner Innover

XVII
Insertion sociale Projet socioéducatif
Interdire Prostitution
Internat Protection de l’enfance
Intervention sociale de l’aide à la Psychologue
personne (ISAP) Quotidien
Intervention sociale Recherche-action
d’intérêt collectif (ISIC)
Référence individuelle
Jeunes de cité
Réflexivité
Jouer
Relation
Lieux de vie
Responsabilité
Malades mentaux
Réunion
Maltraitance
Sanctionner
Médecins, psychiatres
and co SDF
Médiation Secret professionnel
Milieu ouvert Sexualité
Militer Signaler les situations
préoccupantes
Mineur Étranger Isolé (ou Mineur
Isolé) Soigner
Paramédicaux Suivre
Parents Temps
Partenariat et réseau professionnels Transfert
Pauvres Travailleur de nuit
Pédagogie du détour Travailleurs sociaux
Permanence Tutelles et financeurs
Personnes âgées UNIFAF
Personnes handicapées Urgence sociale
Petite enfance Usager
(professionnel(le)s de la) VAE (validation des acquis de
Placement l’expérience)
Prévention spécialisée Véhicules de service

XVIII
A
A

Accompagner
Le développement très important du terme « accompagner », dans le secteur
social et médico-social, doit être compris en prenant en compte plusieurs
aspects : l’étymologie, l’histoire des pratiques et de leurs paradigmes
(modèles dominants à un moment donné) et enfin les transformations des
rapports juridiques entre les usagers et les professionnels.
L’étymologie nous dit que « accompagner » veut dire : « se joindre à
quelqu’un pour aller où il va ». Deux idées se dégagent de cette courte
définition. Tout d’abord, « se joindre à », c’est-à-dire se rapprocher,
converger, s’ajouter à un mouvement qui existe avant que l’accompagnateur
s’y joigne et, ensuite, « pour aller où il va », ce qui signifie très clairement
que ce n’est pas l’accompagnateur qui décide du chemin mais bel et bien
l’accompagné. Cette deuxième partie de l’énoncé aide à comprendre qu’il
ne sera possible d’accompagner que dans des situations où les personnes
seront en capacité suffisante pour définir leurs perspectives.
L’histoire des pratiques montre que des paradigmes différents ont été et
sont toujours à l’œuvre dans l’action sociale, médico-sociale et éducative.
Depuis les années 50, plusieurs modèles se sont succédés et sont entrés en
contradiction et concurrence les uns avec les autres. Par exemple :
➤ L’éducation
➤ L’éducation spécialisée
➤ La rééducation
➤ L’instruction
➤ La psychothérapie
➤ La psychothérapie institutionnelle
➤ Le comportementalisme
D’autres termes pourraient sans doute être repérés. L’apparition de « accom-
pagner » et de sa conséquence « l’accompagnement » est certainement due
1
ACC

A à une volonté d’atténuer les effets d’intervention jugés trop directs en


termes éducatifs et soignants. En quelque sorte, l’objectif était de limiter la
valorisation de la seule intervention des professionnels, au profit de la place
et de l’importance de l’action propre des personnes dans les interactions de
la prise en charge. L’utilisation du terme « accompagner » a certainement
favorisé cette démarche. Ce terme signifie une autre posture et nécessite
des pratiques très différentes. Accompagner suppose de faire confiance à
l’autre, de croire en ses capacités à tracer les voies de son avenir. C’est aussi
définir une position d’attente et d’observation de la part du professionnel.
Cette nouvelle figure de la pratique est à l’opposé de la figure historique
puissante de l’intervention socio-éducative capable de changer le cours
des choses, presque sans la personne concernée. Accompagner s’inscrit
dans un processus qui valorise le choix de la personne accueillie. Alors,
l’intervention des professionnels se situe « à côté », sûrement « très près »
mais non substitutive. Parfois, on entend dire que l’accompagnateur est à
distance, qu’il prend du recul. Cette représentation n’est pas vraiment la
bonne. Accompagner définit une posture proche mais qui ne prend pas la
place de l’autre.
Dans le contexte social d’aujourd’hui, qui voit se déliter les supports
institutionnels et sociaux de l’éducation, il est juste de miser alors sur
les personnes elles-mêmes qui peuvent changer quelque chose de leurs
situations, pour autant qu’elles le veuillent et le puissent. L’accompagnement
permet alors de faciliter cette prise de risques, dans le cadre de l’étayage de
la présence des professionnels à leurs côtés.
Enfin, la transformation des rapports juridiques va dans le sens de
l’accompagnement. En effet, la loi du 2 janvier 2002 introduit de façon
claire et obligatoire la contractualisation des actions avec les personnes
bénéficiaires. Le changement est radical. D’assistés et dépendants des
institutions et des professionnels, les usagers deviennent, de par la loi, parties
prenantes des actions menées. Ces transformations juridiques mettent les
professionnels dans une toute autre position. Ils sont des moyens au service
des projets personnalisés et non plus les principes directeurs des actions à
entreprendre. En somme, leur position est seconde en regard d’un élément
premier : la réponse aux attentes et besoins fondée sur une évaluation
et compréhension complexe des situations et des problématiques. Cette
nouvelle donne est loin d’être comprise et encore moins concrétisée dans les
pratiques ordinaires. Beaucoup de professionnels et quelles que soient leurs
spécialités au sein de l’équipe pluridisciplinaire, continuent de penser que
leur façon de définir les besoins est la bonne et ne saisissent toujours pas ce

2
ACC
que signifie « accompagner » ; c’est-à-dire respecter les choix de l’autre, y A
compris si celui-ci se porte tort, de l’avis des professionnels.
Accompagner se concrétise dans une pratique de cheminement qui renvoie
à l’éthique : « commencer quelque chose ensemble ». Accompagner est
un « entre-deux » qui implique et qui peut se comprendre, entre, d’une
part, une liberté nécessaire à préserver et à encourager et, d’autre part, une
vigilance, une veille, qui peut amener le professionnel à intervenir dans
et à propos de l’espace privé de la personne. Accompagner est donc un
concept fédérateur qui engage des pratiques qui s’opèrent sur le terrain de
la reconnaissance de l’autre comme Sujet, dans la réciprocité des libertés et
dans les finalités des institutions.

Mots clés
posture, choix, contractualisation, étayage, cheminement, réciprocité

Références bibliographiques
ARDOINO Jacques, « De l’accompagnement en tant que paradigme », in
Pratiques de formation/analyses, Université Paris 8, novembre 2000
RULLAC Stéphane, DC2, conception et conduite de projet éducatif spécialisé,
Vuibert, 2008
Ha.M
Pa.J
Accueillir
Le terme « accueillir » vient du latin populaire accolligere (recueillir),
composé de colligere : qui a donné cueillir. À partir du XIIIe siècle, il signifie
« prendre » puis « recevoir ». Selon le Petit Robert, « prendre avec soi, faire
entrer l’autre dans son espace ».
Parler de l’accueil dans le domaine de l’action sociale peut représenter
la première phase de l’intervention sociale de tout travailleur social, qui
consiste au moment de la rencontre du professionnel avec une personne. Il
peut s’agir aussi d’un espace réservé à l’accueil du public (lieu de réception
des demandes ou salle d’attente). Ce terme détermine par ailleurs une
organisation sociale (un service d’accueil), dont l’objet s’adresse à un public
spécifique.
En tant que travailleur social, l’accueil est le premier acte posé dans
l’intervention. Il constitue en soi une pratique. Celle-ci représente la manière,
en tant que professionnel, de recevoir toute personne dans un cadre institué.
3
ACC

A Cette pratique, inscrite comme première phase de la méthode (démarche)


déployée par l’intervenant, sera traversée par les autres composants de
la méthodologie de l’intervention. Elle sera en effet, traversée par des
valeurs professionnelles, des références théoriques, le choix d’un mode
d’intervention individuel ou collectif et par des techniques.
La pratique de l’accueil vient concrétiser le rapport de l’accueillant à
l’altérité. Il questionne, en effet, sa capacité à re-connaître l’autre comme
« différent » et comme « semblable ». C’est dans cette reconnaissance que
s’installe un mouvement d’ouverture créant un espace pour l’autre en tant
que personne. Il s’agit d’ouvrir un espace où l’autre puisse exister. Ce
mouvement d’ouverture et de contenance est un préalable au dialogue. Il
nécessite chez l’accueillant une posture de réceptivité qui s’ajustera dans
l’interaction avec la singularité de la personne accueillie et son acceptation
de l’imprévu. Accueillir est une position éthique, c’est un acte d’hospitalité.
Pour Jacques Derrida, l’expérience sociale de l’hospitalité est toujours un
compromis instable entre une « visitation » : arrivée de cet autre qui n’est
pas invité et qui ne devra pas déstabiliser mon « chez moi » et une hospitalité
pure où j’accueille, non pas l’invité, mais un visiteur inattendu suscitant
mon adaptation à lui. Son propos interroge les éléments conditionnant
l’accueil du professionnel dans le champ de l’action sociale : à savoir les
missions, les lois, les protocoles institués mais aussi les normes et les valeurs
du professionnel.
Guy-Noël Pasquet, de son côté, dans l’éditorial de la revue du Sociographe
consacrée aux gens du voyage, questionne le sens de l’adresse des
pratiques d’accueil actuelles dans le champ social. Il souligne combien
l’adresse de l’intervenant signifie plus sa « marque d’identité », son avoir
comme protection envers l’extérieur que comme « une invitation faite aux
passants ».
Au regard du travail social, mis de plus en plus sous tension, est-il concevable
pour le professionnel, pour l’employeur et pour l’usager, de prendre le
temps de l’accueil ? Les premières minutes de l’entretien sont pourtant
déterminantes pour l’entretien lui-même. Elles donnent le tempo et le
climat relationnel dans lesquels prennent corps les valeurs professionnelles.
Le demandeur est bien souvent lui-même pressé d’exposer ses préoccupa-
tions et d’obtenir une réponse. Sa situation inconfortable de demandeur
peut susciter en lui de la peur, de l’excuse, de la honte, de l’agressivité...
Son temps, différent du temps du professionnel, peut inviter ce dernier
à limiter son écoute et à satisfaire des réponses immédiates sécurisantes,

4
ACC
sans évaluer d’autres possibles et sans vérifier la fonction aidante de ces A
réponses. L’accueil est un outil de dédramatisation et de prévention de
l’urgence et non un temps superflu et encore moins un luxe. Combien de
tensions pourraient être évitées, combien d’énergie économisée si ce temps
de l’accueil était pris en considération ?
Le temps de l’accueil est à affirmer comme un temps de respect, un droit
pour l’accueilli, un devoir pour l’accueillant. Sinon, ne serait-ce pas là une
forme de négation de la fonction de « service » ? L’accueil répond en partie à
la mission fondamentale du service public réaffirmée dans la Charte Sociale
Européenne ratifiée par la France en 1985. Cette charte resitue avec force le
bénéfice des services sociaux pour toute personne dans le cadre des droits
fondamentaux.
L’accueil est par ailleurs, dans un service social, une fonction concernant
une équipe. L’accueil ne peut être en effet de la responsabilité entière
d’un secrétariat. L’ensemble des professionnels d’un service doit se sentir
responsable de l’accueil du public. La qualité de la communication établie
entre professionnels composant cette équipe (secrétaire, assistant de service
social, éducateur, conseillère en économie sociale familiale, puéricultrice...)
participe à la qualité de l’accueil du public reçu.
Les formes de l’accueil se sont modifiées ces dernières décennies pour
le service social. Aux permanences sans rendez-vous ont succédé les
permanences sur rendez-vous. Cette modification des formes de travail,
bien souvent admise aujourd’hui comme irréversible, gagnerait parfois
à être questionnée quant à son intérêt envers les usagers. S’agit-il en
effet d’un acquis pour le confort des usagers ? Avons-nous dans certains
services pris la mesure des rendez-vous manqués ou annulés ? Les
permanences sur rendez-vous permettent-elles toujours de réduire le délai
des rendez-vous donnés ? La pertinence et la complémentarité des différentes
formes d’organisation (permanence sans rendez-vous, sur rendez-vous,
téléphonique, etc.), pourraient être étudiées en fonction des caractéristiques
des territoires, de l’implantation des services et selon les habitudes locales.
Recevoir les usagers uniquement sur rendez-vous prend-il toujours en
compte la difficulté de l’usager à venir solliciter de l’aide ? Cette difficulté
peut se manifester chez la personne demandeuse par une attitude de
soumission au report dans le temps de son besoin d’aide, sans avoir la
capacité de faire entendre le caractère urgent de sa demande ou par une
attitude agressive. Le personnel accueillant doit ici faire preuve de capacité
de discernement en ce qui concerne l’urgence vécue par ces personnes et

5
ACT

A les protocoles établis doivent comporter des marges de souplesse dans leur
application.
L’accueil représente le plus souvent aujourd’hui un espace pour une fonction
instituée destinée à un public spécifique. De nombreux services se sont créés,
allant de l’accueil guichet limitant la prestation, à une tâche rationalisée, à
des organisations prenant en charge de façon spécialisée un problème social
ou un public spécifique (service d’accueil...). L’aménagement de l’espace,
son accessibilité, son organisation, la gestion de la durée de l’attente ainsi que
la disponibilité des professionnels, constituent les éléments d’appréciation
de leur qualité.

Mots clés
hospitalité, permanences sociales, espace d’accueil, service d’accueil,
service public

Références bibliographiques
DERRIDA Jacques et DUFOURMANTELLE Anne, De l’Hospitalité, Calmann-
Lévy, 1997
PASQUET Guy-Noël, Le Sociographe, n◦ 28, janvier 2009
Si.C

Activités
Les activités, appelées aussi dans le secteur social et médico-social
« techniques éducatives », constituent l’ensemble des propositions faites aux
usagers dans le cadre des loisirs et de la culture. Le théâtre, la peinture, le
sport, les jeux de société mais aussi les ateliers d’éveil sensoriel, les sorties au
musée, l’apprentissage de la langue des signes sont de précieuses médiations,
pour les travailleurs sociaux, qui permettent de favoriser le développement
des potentialités des personnes qu’ils accompagnent.
Les professionnels se situent donc du côté des compétences de l’usager et
non sur le versant du handicap et des difficultés, qui ne sont pour autant
pas niés. Et c’est là que réside tout l’intérêt de cette approche. L’activité
est une modalité d’intervention privilégiée dans la mesure où elle met en
exergue les capacités d’expression, de créativité et d’ouverture sur le monde
des personnes qui s’y adonnent. Au-delà des prouesses techniques, c’est le
bien-être de l’usager qui est recherché à travers ses besoins de réalisation
tant personnelle que collective.

6
ADD
Le plaisir cependant n’exclut pas la difficulté. Se confronter à la réalité A
des objets, des matières, des outils, respecter les horaires et les contraintes,
s’inscrire dans un groupe, y trouver sa place tout en reconnaissant celle de
l’autre, s’aventurer dans un travail de création, accepter d’apprendre et de
recevoir du monde extérieur sont autant de défis pour la personne dont le
développement a été parfois entravé ou mis à mal dans des circonstances
particulières de la vie. Mais celui qui surmonte ces obstacles gagne en
confiance en soi.
L’intervention ne peut être ici qu’adaptée au public du secteur social et
médico-social et cette adaptation prend des formes multiples. Pour des
personnes en situation de handicap, elle suppose parfois des ajustements
purement matériels, comme des accoudoirs dans un atelier de peinture pour
maintenir l’effort de tenir un pinceau entre ses doigts. Les enfants qui ont de
grandes carences affectives présentent une faible tolérance à la frustration
et ne peuvent réaliser, dans un premier temps, que des tâches simples,
circonscrites dans le temps et l’espace, qui procurent une satisfaction rapide.
La pédagogie des activités est obligatoirement adaptée et ne peut être qu’une
pédagogie individualisée pour porter ses fruits.

Mots clés
médiation, technique éducative, culture, pédagogie du détour, péda-
gogie individualisée, jouer, faire ensemble

Références bibliographiques
Le Fil du récit, CNFE-PJJ, Vaucresson :
- n◦ 1 « Écrire trouver », décembre 1998 ;
- n◦ 2 « Récits et ricochets », mars 2000 ;
- n◦ 3 « Dedans dehors », avril 2002 ;
- n◦ 4 « Inventer le jeu », décembre 2005.
Ej.E
Addicts
Le mot addict vient du terme addiction. Il apparaît très récemment dans
le vocabulaire et supplante l’ancien vocable : drogué. Ainsi, le drogué des
années 1970 est devenu un addict dans les années 2000. Le nouveau terme
recherche à effacer les traces de l’ancien mot. Le drogué présentait une
image déplaisante avec les marques sur ses bras, par exemple. Le mot addict,
venu d’outre atlantique dans les années 1990, offre l’avantage de mettre
7
ADD

A de la distance avec la représentation du manque et de la mort. Cependant,


addict est un substitut au mot toxicomane ou toxico, dont la saleté, le défaut
de santé et d’hygiène continue à envahir les représentations collectives.
Leur point commun est l’évocation de la dépendance à des produits ou
des conduites. Comme un toxicomane n’est pas nécessairement dépendant
aux drogues les plus dures, un addict n’est pas non plus dans une simple
addiction aux produits toxiques. L’addict et le toxico sont des figures sociales
qui n’existent que dans le regard que nous portons sur les individus, dans la
mesure où nous réduisons la complexité des vies et des parcours aux seules
relations à des produits et des conduites.
Une personne addict est par définition quelqu’un confronté à une addiction.
Le mot addiction mérite un petit détour par l’histoire. En effet, au Moyen-âge,
dans une économie non monétaire, une personne addictée a contracté un
crédit alors qu’elle est dans l’incapacité de le rembourser, en totalité ou
en partie. Elle se retrouve alors sous la dépendance de son débiteur. La
dépendance dure autant de temps qu’il faudra pour rembourser, par le
travail par exemple, l’équivalent du crédit contracté. Le lien de dépendance
est évident pour la personne « addictée ». À la fin du Moyen Âge, le mot a
disparu du langage commun en France. Cependant, il a poursuivi une autre
vie dans les pays anglo-saxons, dont les États-Unis, et l’emploi du terme, a
permis de qualifier cette fois, au XXe siècle, la relation des toxicomanes à
leur produit, avant de connaître une extension de sens. En effet, on peut
être jugé addict aux jeux d’argent, aux conduites sexuelles à risque, aux jeux
vidéo, etc. Dans le milieu des années 1980, le terme d’addiction s’impose
de nouveau dans le langage français avec cette nouvelle signification. Mais,
c’est encore dans le registre des drogues que les addicts ont été le mieux
cantonnés. Et c’est pourquoi il convient d’éclairer en particulier ce registre.
Les deux drogues les plus meurtrières en France sont licites : il s’agit du tabac
et de l’alcool qui, chaque année, provoquent le décès d’environ 100 000
personnes.
Les drogues illicites peuvent se décliner en diverses catégories (dont les
médicaments quand ils sont détournés de leur usage prescriptif) :
➤ Les hallucinogènes naturels (le chanvre indien ou cannabis) et synthé-
tiques (LSD ou PCP). Les premiers se présentent sous forme d’herbe
(marijuana, kif, etc.), de résine ou d’huile. Les seconds (acide, trip, angel
dust, etc.) apparaissent sous forme de pilule, en buvard, en sucre, sur
des timbres, ou encore liquides ou solides, au gré de l’imagination des
trafiquants.

8
ADD
➤ Les opiacés regroupent l’opium, la morphine (alcaloïde de l’opium), A
l’héroïne (dont il faut distinguer d’un côté le brown sugar, qui est une
héroïne semi-raffinée, se présentant en une poudre grossière brune ou
rose, et d’un autre côté, la poudre blanche, très fine, dont l’origine est
l’alcaloïde de la morphine), les analgésiques et différents médicaments.
➤ Les stimulants sont constitués de la cocaïne et des amphétamines
(l’ecstazy mais aussi les anorexigènes et les psycho-stimulants).
➤ Les sédatifs parmi lesquels les neuroleptiques, les antidépresseurs, les
tranquillisants et les hypnotiques.
➤ Les solvants (éther, trichloréthylène, eau écarlate, colles, vernis, peintures,
diluants, essences, aérosols, etc.).
Ces différents toxiques peuvent se fumer (pour le cannabis, en joints et
shilom et mélangé plus ou moins à du tabac ; l’opium peut également être
fumé en boulettes), se boire en macération (herbe), se manger en gâteau
(résine de cannabis), s’ingérer (LSD, opium, morphine, etc.), s’injecter (PCP,
morphine, héroïne, cocaïne, solvants, etc.), s’inhaler (cocaïne, solvants, etc.).
Que les toxiques soient utilisés par voie buccale, en fumant, par voie nasale
ou par voie intraveineuse, il est possible de résumer leurs principaux effets
et dangers de la manière croissante suivante (les remarques sur la législation
concernent la France).
Le thé, le café et les boissons à base de cola, dont la vente et l’usage
sont autorisés, produisent une stimulation intellectuelle et physique légère.
Cependant, ils peuvent entraîner des risques d’irritabilité, d’insomnie mais
aussi de dépendance (même si elle est faible).
Le tabac, dont la vente est contrôlée, est un excitant qui génère, outre une
dépendance, des maladies pulmonaires, cardiaques et des cancers.
Sur le même registre de gravité, les médicaments contre l’angoisse
ou l’insomnie, dont la vente est contrôlée, favorisent la détente et
l’endormissement. Lorsque les doses prescrites par le médecin ne sont
pas respectées, les dangers sont importants. La dépendance à ces produits
est non négligeable.
L’alcool (bières, vins, apéritifs, digestifs, etc.) est en vente contrôlée mais
interdite aux mineurs. Il entraîne une détente, une désinhibition qui peut
s’accompagner d’excitation, et selon les doses, il conduit à l’euphorie et à
l’ivresse. Il provoque différents types d’accidents et une perte de l’attention
et des réflexes. Lorsque l’usage est régulier, il s’avère très toxique pour le foie,
le système nerveux et est responsable de multiples cancers. La dépendance
à l’alcool est très forte.

9
ADD

A Sur le même registre de gravité, le cannabis, dont la vente et l’usage sont


interdits, est une drogue qui est source de détente et/ou d’excitation, et qui
peut s’accompagner d’hallucinations et d’une ivresse. L’usage régulier du
toxique provoque chez le sujet des pertes de mémoire, de l’attention et des
réflexes et présente des risques d’accidents psychiatriques. La dépendance
au produit varie d’un sujet à l’autre et peut être faible comme très forte.
L’ecstazy, dont la vente et l’usage sont interdits, est un produit qui favorise
l’excitation, l’augmentation des sensations, mais également des délires
et de la violence. La dépendance est très forte et les risques sont très
variés, des accidents physiques aux troubles cardiaques, des perturbations
psychologiques aux accidents psychiatriques graves.
Le LSD, dont la vente et l’usage sont interdits, entraîne des hallucinations
et des délires. Les risques psychologiques et psychiatriques sont très forts.
L’héroïne, dont la vente et l’usage sont interdits, entraîne un « flash », une
détente un sentiment de « défonce ». L’usage de la seringue crée des risques
et des accidents divers dont les hépatites et le Sida. L’overdose constitue
l’accident mortel majeur. La dépendance est très forte.
La cocaïne, dont la vente et l’usage sont interdits, génère une phase
d’excitation à laquelle succède une dépression. « Sniffé », le toxique entraîne
une détérioration des cloisons nasales, des accidents cardiaques, des
overdoses et des risques psychiatriques. La dépendance au produit est
très forte.
Le crack, dont la vente et l’usage sont interdits, présente des effets et des
dangers analogues à la cocaïne, auxquels il faut ajouter un surcroît de
dépendance et des troubles du comportement très graves.
De toutes les drogues illicites, la plus consommée est le cannabis. En France,
il existe aujourd’hui plus de 7 millions de consommateurs de cannabis. Si
le plus grand nombre est constitué par les adolescents et les jeunes majeurs,
il ne faut cependant pas occulter la classe d’âge des adultes. Depuis le début
des années 1990, le nombre des consommateurs tend à s’accroître comme
la banalisation du produit.
Le consommateur de drogues peut être « addicté » à un autre produit que
le cannabis. Mais s’agissant des autres drogues illicites, telles que l’ecstasy,
le LSD, la cocaïne, l’héroïne, etc., seulement 10 à 15 % des adolescents
sont concernés par des expérimentations ou des usages réguliers. Si le
phénomène est en augmentation depuis les dernières années, surtout dans
les zones urbaines, il demeure encore très faible.

10
ADD
Aujourd’hui, les personnes toxicodépendantes, qualifiées d’addicts, pra- A
tiquent généralement la polyconsommation de produits que l’on peut
différencier de la manière suivante : les perturbateurs (cannabis, LSD, etc.)
agissent sur le système nerveux central et produisent des hallucinations plus
ou moins fortes selon les personnes et le dosage ainsi que le principe
actif des substances ; les stimulateurs (comme la cocaïne), longtemps
considérés comme les drogues des artistes et des créateurs, génèrent des
effets psychotropes qui accroissent les capacités d’exécution de tâches, la
mobilisation sur des activités de toutes natures, l’excitation avant de plonger
le consommateur dans une lassitude profonde, une fatigue prodigieuse ; les
dépresseurs du système nerveux central (l’alcool, l’héroïne, etc.) sont les
drogues qui correspondent le mieux aux personnalités narcissiques (états
limites, border line) qui trouvent dans ces produits un moyen de se tenir à
distance des pathologies de la dépression.
Quels que soient les produits toxiques, licites et illicites, de la cigarette
à l’alcool, du cannabis à l’héroïne, la dépendance physique, repérable
par des symptômes multiples qui constituent un syndrome, ne s’installe
généralement qu’après une dépendance psychologique. Celle-ci renvoie à
un terrain psychologique favorable.
D’après la loi n◦ 70-1320 du 31 décembre 1970, relative aux mesures
sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de
l’usage illicite des substances vénéneuses, le toxicomane est un délinquant,
doublé d’un malade, selon l’article L.355-14. Cette double identité de
l’usager de produits stupéfiant est renforcée par les articles L.626 à L.630.
C’est parce que la loi définit le toxicomane comme un malade qu’il s’agit de
le soigner dans le cadre de prises en charge en addictologie. La construction
sémantique du terme toxicomane renvoie d’ailleurs au langage psychiatrique.
La manie des toxiques qui fait le toxicomane exprime l’idée d’une incapacité
à résister aux produits qu’il consomme. Parce qu’il est faible et incapable de
se contrôler en gérant par exemple sa consommation de produits, il s’agit
de le soigner dans des centres (en ambulatoire ou en institution) où les
médecins psychiatres lui délivreront des produits de substitution.
Dans le champ des addictions, les comportements qui interrogent le plus
les professionnels de l’action sociale, comme les parents, sont ceux qui
concernent les jeunes et leur rapport aux drogues illicites, surtout le cannabis.
Pourtant d’après la plupart des études, dont celles du Haut Comité de la
santé publique, il apparaît que les adolescents qui n’ont pas consommé de
drogues licites entre 15 et 19 ans présentent peu de risques de consommer
des drogues illicites. En même temps, ils sont seulement entre 10 et 20 % de

11
ADD

A cet âge à n’avoir jamais consommé ni alcool ni tabac. En d’autres termes, 80


à 90 % des adolescents de cette classe d’âge présentent des risques d’usages
de produits illicites et notamment de cannabis, préalable à l’addiction.
Ainsi donc, les attitudes des parents comme des professionnels de l’éducation
en général sont déterminantes pour élaborer une prévention qui se voudrait
efficace en matière d’usage des drogues et au-delà des addictions. Une telle
prévention suppose la sensibilisation des adultes sur les drogues licites,
puisque le tabac et l’alcool sont les véhicules usuels à l’usage du cannabis et
des autres produits toxiques illicites. La pratique de drogues, avant de devenir
une addiction chez l’adolescent, a tout d’abord été une conduite mimétique
dans une volonté de ressemblance à l’adulte. L’adolescent cherche en effet à
échapper à l’état d’enfance pour entrer dans celui de l’adulte et pour cela, il
entreprend des imitations, dont celle de la consommation de drogues.
Enfin, l’addiction aux drogues, qu’elles soient licites ou illicites, permet
de se tenir à distance du monde, témoigne de l’incapacité à se penser
dans le monde, dans la vie, dans le rapport à la mort, dans le rapport
aux hommes, aux choses, aux objets. Et pour cette raison, elle offre aux
adolescents comme aux adultes l’avantage de se maintenir dans un présent
éternel, vidé de toute perspective. C’est ainsi que, depuis la fin des années
1980, de nouvelles formes d’addictions légales s’inaugurent dans la vie
quotidienne au travers de la révolution technologique. Les jeunes Français
grandissent aujourd’hui dans un contexte culturel profondément modifié
par les diverses mutations technologiques, qu’il s’agisse de la téléphonie
mobile, de l’informatique et des réseaux associés, et plus globalement des
communications numériques. Si les nouveaux moyens de communications
présentent de nombreux avantages, le risque est majeur cependant pour les
enfants et les adolescents de succomber à la fièvre grandissante du réseau
Internet avec ces jeux en ligne, bien souvent gratuits, et qui abolissent la
dimension du temps. Ainsi de plus en plus de jeunes occupent une partie de
leurs loisirs quotidiens et parfois de leurs nuits à jouer en ligne. Captivés par
les aventures qu’ils vivent dans des mondes virtuels, ils échappent peu à peu
aux contraintes bien réelles de notre monde. Les jeux vidéos ne sont plus
seulement disponibles sur des consoles spécifiques, mais sont présents sur
les ordinateurs et les téléphones portables, accessibles de façon permanente,
en tout lieu, à tout moment. De même la télévision n’est plus seulement
exposée dans la salle à manger mais bien présente sur l’écran d’ordinateur
de la chambre à coucher avec son bouquet de chaînes satellites via le haut
débit, et même sur les téléphones portables de nouvelle génération. Il
faut évidemment distinguer l’aisance de l’usage des adolescents dans les

12
ADD
technologies de communication, avec la dépendance aux nouveaux objets. A
Comme avec les drogues, le lien entretenu par l’adolescent à l’objet ou aux
objets est le révélateur ou non d’une dépendance. Mais sans nul doute,
les addictions de demain auront à voir avec les nouvelles technologies qui
favorisent l’échappée vers des mondes virtuels et la distance au principe de
réalité.

Mots clés
addiction, adolescents, dépendances, drogué, drogues, produits licites,
produits illicites, toxicomane, manie, toxiques, psychiatrie, prise en
charge, soin, substitution, addictologie

Références bibliographiques
BERGERET Jean, La violence et la vie, Payot, 1994
BERGERET Jean, La violence fondamentale, Dunod, 1996
DESSEZ Patrick, DE LA VAISSIÈRE Hélène (sous la direction de), Adolescents
et conduites à risque, Éditions ASH, 2007
LE BRETON David, Conduites à risque, PUF, 2007
LE REST Pascal, Les jeunes, les drogues et leurs représentations, L’Harmattan,
2000
LE REST Pascal, « Drogues : problème de société », in Les Cahiers de l’Actif,
n◦ 310/311, mars/avril 2002, pp 35-47
LE REST Pascal, « Les jeunes et les drogues, à qui la faute ? », in Le Journal
des Professionnels de l’Enfance, n◦ 20, novembre/décembre 2002, pp 59-63
LE REST Pascal, « Prévention des risques à l’adolescence », in Journal de
l’action juridique et social, n◦ 238, octobre 2004
LE REST Pascal, « Les jeunes, les drogues et leurs usages », in Psycho Média,
n◦ 8, mars 2006, pp 17-20
OLIEVENSTEIN Claude, La drogue ou la vie, Livre de poche, 1986
VENISSE Jean-Luc, Les nouvelles addictions, Masson, 1991
VENISSE Jean-Luc, Dépendance et conduites de dépendance, Masson, 1994
« Addictions et travail », in VST n◦ 98, Érès, 2008
LR.P

13
ADO

A Adolescents
L’emploi du terme « adolescent » est très fréquent dans le champ social.
Il est aussi discuté sur deux points : il n’aurait pas toujours existé et il est
concurrencé par d’autres termes. Selon les disciplines, les dénominations
utilisées ne sont pas les mêmes : adolescents et jeunes peuvent alors être
utilisés. L’adolescence est souvent référée à la psychologie et la jeunesse à
la sociologie. En fait, étymologiquement l’adolescence n’est pas marquée
disciplinairement puisque cela renvoie au fait de grandir, dans tous les
domaines. C’est alors un âge qui succède à l’enfance et précède l’âge adulte,
immédiatement après la puberté. La distinction doit être faite avec la
puberté qui marque un passage différent : celui de l’enfance à l’adolescence
marqué par l’ensemble des modifications physiologiques s’accompagnant
de modifications psychiques qui font de l’enfant un être apte à procréer.
Même si le terme existe dans la langue française depuis 1327, l’adolescence
n’a pas toujours existé comme nous le rappelle Françoise Héritier : « les
enfants passaient directement du statut d’enfant à celui d’adulte ». Ceci vaut
autant dans la France de Louis XIV que dans les sociétés traditionnelles
africaines. C’est dans cette mesure que l’on parle d’invention de la jeunesse
ou de l’adolescence comme d’une construction sociale et culturelle.
Le propre de l’adolescence est d’être un processus multiforme qui doit mener
à la maturité qu’elle soit sexuelle, affective, intellectuelle et à la majorité
qu’elle soit civique ou sociale. Dit autrement, c’est un processus qui touche
à la fois le somatique, le psychique et le social. Toute approche mono
disciplinaire est vouée à l’échec, le tout étant de pouvoir mettre en miroir
les transformations qui affectent ces différents domaines. L’adolescence naît
du décalage entre ces maturités et ces majorités ; autrement dit, dans les
sociétés où ce décalage n’existe pas ou plus, il n’y a pas d’adolescence. A
contrario, quand le décalage se creuse, quand la puberté a lieu de plus en
plus tôt et les autres maturités et majorités de plus en plus tard, il devient
alors nécessaire de créer de nouveaux mots. C’est la raison pour laquelle est
apparue « l’adonaissance », qui a lieu d’après François De Singly, pendant
les premières années du collège. L’essentiel dans cette période ne serait pas
tant d’être adolescent avant l’heure que d’être reconnu avec un nouveau
statut, collégien, et une nouvelle position (plus vraiment un enfant et pas
encore vraiment un adolescent). À l’autre extrémité, certains ont parlé
de post-adolescence pour tenir compte de l’accès de plus en plus tardif
au statut d’adulte. D’autres ont inventé l’adulescent, « ce jeune adulte qui
continue à avoir un comportement comparable à celui des adolescents ».

14
ADO
C’est bien cette désynchronisation qui est aujourd’hui au cœur du processus A
de l’adolescence.
Cette expression d’« entrée dans la vie » a souvent été utilisée pour
caractériser la fin de l’adolescence. Elle est surprenante car elle donne à
croire que la vie ne commencerait qu’à ce moment-là. Doit-on comprendre
que la vie n’existe vraiment que lorsqu’elle est active ? Doit-on interpréter
cette entrée comme une renaissance, une seconde naissance ? Toujours est-il
qu’aujourd’hui cette entrée est à la fois brouillée et différée.
Elle est brouillée car les passages sont de moins en moins socialisés et
ritualisés. Que nous dit l’anthropologie sur cette question ? Elle nous dit
par l’intermédiaire de Marc Augé que « passage c’est le mot important quand
on parle d’adolescence ». Elle nous dit aussi que le rite de passage est un
invariant, au sens où dans toute société est organisé le passage d’un statut à
un autre. C’est d’ailleurs le propre de l’initiation comme processus destiné
à réaliser psychologiquement le passage d’un état de l’être, réputé inférieur,
à un état supérieur. Le rite de passage s’organise alors en trois temps : la
séparation du groupe d’appartenance (celui des femmes dans certaines
sociétés), l’initiation dans un lieu retiré, souvent à la marge du territoire (la
retraite), par des adultes qui transmettent les secrets propres au nouveau
statut, la réintégration dans le groupe avec un statut plus élevé. Ce moment
est un moment collectif et festif. Dans ce contexte, il va de soi que le rite de
passage est intégralement socialisé et public. Dans certains cas, comme l’a
très bien montré Pierre Clastres, la société imprime sa marque sur le corps
de l’initié. Quel lien avec l’adolescence et la société d’aujourd’hui ? Si le rite
de passage est un invariant anthropologique, il doit aussi concerner notre
société. On peut alors évoquer l’hypothèse d’une privatisation, voire d’une
individualisation de ces rites. Autrement dit, les rites de passage seraient
de moins en moins socialisés et collectifs. À défaut, et dans le meilleur
des cas, le relais serait pris par les groupes familiaux, voire les institutions
sociales et médico-sociales, qui marqueraient les passages de manière plus
ou moins ritualisée (le premier voyage linguistique est souvent évoqué
comme marquant l’entrée dans l’adolescence). Sinon, il ne resterait plus
qu’à l’individu ou au groupe des pairs à « bricoler » des formes de passage.
Elle est brouillée également par le fait que la transmission n’est plus la
caractéristique première de la socialisation. En effet, une transformation
historique est en cours ; elle modifie ce mode dominant jusque-là.
Aujourd’hui, on peut dire que la socialisation par l’expérience vient
concurrencer le modèle de la transmission. Partant de là, il y a un brouillage
des contenus de socialisation et des positions occupées par les adolescents

15
ADO

A comme par les adultes. L’entrée dans la vie est également différée. C’est
souvent rendu visible par ce que l’on appelle des « retards de calendrier ».
Dans cette perspective, l’événement serait simplement différé : la fin de
la scolarité, la décohabitation familiale, l’accès au premier emploi stable,
l’arrivée du premier enfant. Ce point est aujourd’hui discuté : s’agit-il
simplement d’un changement de calendrier ou alors de changements de
priorités et de l’introduction de nouvelles manières d’être adulte ? De
manière plus extrême, la question peut se poser de savoir si tout le monde
finit par « entrer dans la vie » ou est-ce que certains resteraient, pour
longtemps, dans une situation de « liminalité » ? Toutes ces modifications ne
peuvent rester sans influence sur la construction identitaire de l’adolescent.
Le processus d’adolescence se décline aussi par le passage social de l’enfance
à l’état adulte avec le travail de déconstruction/reconstruction de l’identité
sociale. De manière générale, celle-ci est définie comme le résultat des
socialisations successives. À ce titre et pour la plupart des adultes, elle est le
résultat des agencements et des réagencements qui peuvent – ou doivent-
être faits suite aux différentes socialisations secondaires par lesquelles ils
passent (changement de travail, modifications familiales, déménagement,
reprise de formation...).
Qu’en est-il pour l’adolescent ? À l’entrée dans l’adolescence, celui-ci est
porteur d’une identité sociale familiale, résultat de la socialisation primaire
en référence au modèle familial. Dans certains cas, cette construction
est déjà problématique lorsque l’enfance n’a pas été un « long fleuve
tranquille » (ruptures familiales, placements...). À partir de là, on peut dire
que l’identité sociale propre se constitue. Plus précisément, il y a là un travail
de déconstruction/reconstruction qui s’engage. Pour l’adonaissant, c’est un
temps pendant lequel le jeune cherche ses marques, plus générationnelles
que personnelles afin de se prouver et de prouver aux autres que son identité
ne se réduit pas à son appartenance familiale. Dans une première étape, il y a
une prise de distance, voire un rejet de l’identité sociale familiale ; puis vient
le temps de la recherche d’identité à partir d’autres références. De ce point
de vue, de nombreux processus d’identification alternatifs peuvent se faire
(professeur, pairs, personnalités connues dans le champ musical, sportif,
artistique...). Pour Philippe Jeammet, c’est une caractéristique spécifique
de l’adolescence de chercher à se réapproprier son héritage, de le faire
sien et d’apprendre à s’en servir pour devenir de plus en plus acteur de
son développement. Les fondamentaux – ce qui a été acquis lors de la
socialisation primaire - peuvent alors être mis à distance. Ceci ne signifie
pas qu’ils soient pour autant perdus. Cette mise à distance peut ensuite

16
ADO
permettre une réappropriation. Vient ensuite la période de reconstruction A
identitaire pour déboucher sur la constitution de l’identité sociale propre.
Ce processus est aujourd’hui plus long et plus incertain. Dans certains cas, il
peut s’accompagner de problématiques particulières. Dans d’autres, il peut
déboucher très difficilement ; nous sommes alors proches des situations
d’exclusion.
Dans le discours ambiant, un amalgame est souvent fait entre adolescents
et problématiques, comme si adolescence rimait avec déviances, conduites
à risques, etc. On peut dire à ce propos que notre société porte un regard
ambigu sur sa jeunesse : on ne parle d’elle qu’en termes de risques et
de menaces. Philippe Jeammet se demande si nous avons peur de nos
adolescents. D’après lui, on pourrait le croire tant il est vrai qu’on n’en parle
que pour évoquer leur « souffrance » ou leur dangerosité pour eux-mêmes
et pour les autres. Cela renvoie à deux questions. La première est relative à la
distinction normal/pathologique : qu’est-ce qui est inhérent à cet âge de la
vie ? Qu’est- ce qui est pathologique ou déviant, deux formes d’anormalité ?
Nous en revenons à l’inépuisable question, formulée et formalisée il y a bien
longtemps par Georges Cangulheim, celle du normal et du pathologique.
D’une autre manière, les comportements et les attitudes des adolescents
nous renvoient bien à la question de la norme et des valeurs. La seconde est
relative à la comparaison : qu’est-ce qui change d’une génération à l’autre ?
Les travaux menés, notamment ceux de Chantal Jamoulle et de David
Le Breton, montrent bien que tous les jeunes ne développent pas des
comportements déviants et (auto) destructeurs. Néanmoins, ils existent
et sont regroupés aujourd’hui sous l’intitulé générique de « conduites à
risque ». Cette notion est surtout statistique et sociologique ; elle fait peu
de cas de la perception du risque, ou de la notion même de risque pour le
jeune. Elle est en décalage avec l’expérience de l’adolescent, qui est plutôt
dans le registre de la souffrance éprouvée et dont il cherche à se débarrasser.
Derrière cet intitulé se retrouve une série de comportements disparates
mettant symboliquement ou réellement l’existence en danger : tentatives de
suicide, toxicomanies, troubles alimentaires, vitesses sur les routes, violences,
alcoolisation rapide (binge drinking), relations sexuelles non protégées, refus
de poursuivre un traitement médical...
Comment peut-on tenter d’en rendre compte de manière sociologique ? Ces
conduites ne peuvent être appréhendées au seul prisme des déterminismes
sociaux, dans la mesure où aucune régularité ne permet de les identifier
avec certitude, ni aucune recette de les prévenir. Il est alors nécessaire de les
appréhender au confluent d’une société, d’une structure familiale et d’une

17
ADO

A histoire de vie ou bien encore comme au croisement de blessures intimes,


de l’histoire évolutive des familles et des individus et d’un processus de
socialisation particulier. Au-delà de la recherche d’explication des conduites
à risque, il est surtout important de voir qu’elles ne sont que l’expression
ou le résultat d’une souffrance, qui est toujours en amont. Les conduites
à risque expriment alors une volonté de se défaire de la souffrance, de se
débattre pour exister enfin comme le dit David Le Breton.
Ces problématiques ne peuvent rester l’apanage des seuls adolescents (voire
de ceux qui en ont la charge). Et ce d’autant qu’en retour, la jeunesse
française témoigne d’un pessimisme, d’un manque de confiance en l’avenir
et d’une résignation qui tranchent complètement sur ce que l’on peut
constater dans les autres pays. Quelles conséquences ces éléments ont pour
les travailleurs sociaux ? Elles sont de plusieurs ordres : l’appréhension et
la compréhension des situations d’adolescents d’aujourd’hui nécessite de
prendre acte des transformations qui se sont produites. La seule référence à
sa propre expérience d’adolescent n’est pas suffisante ; il est nécessaire de la
compléter par une connaissance des réalités vécues aujourd’hui. Par exemple,
la « fête » d’hier est-elle assimilable à la « biture expresse » d’aujourd’hui ?
Comment le développement des nouvelles formes de communication
vient modifier les relations entre les adolescents et avec les adultes... Le
travail auprès des adolescents ne peut se limiter à eux. Il doit incorporer
le travail avec les parents, notamment dans la perspective du soutien
à la parentalité. C’est là un champ qui demande un élargissement des
compétences, notamment pour amener les parents à prendre conscience
du besoin d’être soutenu. La complexification des situations doit ensuite
se traduire par une cohérence accrue des différents intervenants. Le repli
sur soi (personnel ou institutionnel) est contre-productif. Les initiatives
de réseau et de liaison constituent des pistes de travail intéressantes. Les
compétences pour ce type de travail sont alors nécessaires. Dans sa relation
au jeune, enfin, le travailleur social doit avoir en tête que, même si la
socialisation ne se fait plus comme hier par la transmission, elle doit pour
autant toujours se faire. De ce point de vue, la réalisation d’expériences n’est
pas en soi suffisante pour qu’il y ait socialisation. Il doit y avoir un travail
sur cette expérience et donc une rencontre effective entre un adolescent en
construction et un adulte.

Mots clés
conduites à risques, jeunesse, passage, socialisation

18
ANI
Références bibliographiques A
DE SINGLY, F., Les adonaissants, Armand Colin, 2006
GALLAND, O., Les jeunes Français ont-ils raison d’avoir peur ?, Armand Colin,
2009
HÉRITIER, F., « L’univers des adolescents » in Une pensée en mouvement,
Odile Jacob, 2009, 142-151
JAMOULLE, P., « La débrouille des familles », in Le Portique, n◦ 10, les paradis
artificiels, 2002
JEAMMET, P., Pour nos ados, soyons adultes, Odile Jacob, 2008
LE BRETON, D., En souffrance. Adolescence et entrée dans la vie, Métailié, 2007
Fo.M

Animaux
Au-delà des siècles et des courants de pensée, la relation de l’homme aux
animaux a préoccupé et interrogé nombre de chercheurs, psychologues,
philosophes, etc. Cette considération générale n’a pas échappé au travail
social. Nous assistons en effet depuis le XVIIIe siècle à l’avènement de
la médiation animale comme technique éducative. À ce propos, c’est
l’équithérapie qui est le plus souvent évoquée, comme une technique
notamment utilisée avec les enfants autistes. Pourtant, la relation bénéfique
que peuvent entretenir les usagers du travail social avec l’animal peut
recouvrir de nombreuses autres facettes.
Pendant longtemps, l’animal fut utilisé par l’homme pour assurer sa survie,
ses déplacements ou encore comme outil de travail. De cet aspect utilitaire,
naquit à la fin du XVIIIe siècle l’idée selon laquelle l’animal possédait aussi une
fonction thérapeutique. En même temps que l’évolution de la psychiatrie
qui se mit à considérer la personne comme un « sujet », on s’est interrogé
sur la relation de l’animal avec les malades mentaux. William Tuke fut le
premier en 1796 à utiliser l’aspect thérapeutique de l’animal en confiant
des volailles aux malades accueillis. Ce n’est réellement qu’en 1958 que
s’est développée la médiation animale. À l’initiative de Boris Levinson
(psychologue américain), il a été constaté par diverses expériences que la
relation de l’enfant au chien pouvait produire de surprenants résultats,
comme par exemple amener un enfant qui avait perdu l’usage de la parole
à la retrouver. Bien d’autres auteurs ont mis en avant les bienfaits d’une
telle relation pour l’enfant ou pour les personnes fragilisées. On pense bien
sûr à Maria Montessori, Sigmund Freud (1937), Mélanie Klein, Donald
Woods Winicott, etc. En opposition à René Descartes qui affirmait que

19
ANI

A l’animal n’avait ni conscience, ni langage, nous nous sommes rapidement


aperçus que les modes de communication étaient riches chez l’animal. Par
l’utilisation de ses sens, exacerbés par l’absence de langage, celui-ci se révèle
un extraordinaire médiateur d’échanges.
Les dessins animés ou la littérature enfantine ont consacré une large place à
des situations impliquant des animaux. L’animal a en effet un vrai rôle à
jouer dans la construction affective de l’enfant. Vecteur d’imagination, il
permet en outre de symboliser les peurs internes à travers mythes, légendes
ou contes accessibles aux plus petits et de rendre les peurs réelles plus
supportables.
La médiation animale se révèle particulièrement intéressante dans l’accom-
pagnement de la maladie mentale ou dans les Troubles Envahissants du
Développement (TED). En outre, elle permet de travailler sur une transver-
salité des approches : psychomotricité, langage, pédagogie, psychothérapie,
etc. L’utilisation de l’animal comme support de relation avec l’enfant permet
de travailler sur plusieurs facettes :
➤ La relation à soi-même : les échanges entre l’enfant et l’animal sont
source de valorisation, encouragent la responsabilisation de l’enfant,
permettent l’utilisation de différents canaux de communication, la
perception de son propre corps, etc.
➤ La relation à l’autre : l’enfant a tendance à s’identifier à l’animal et cette
attirance vers « un autre que soi-même » permet notamment d’accepter
la nécessaire séparation avec les parents et de gagner en indépendance.
Nous pouvons attribuer à l’animal un rôle d’intermédiaire, comme une
sorte d’objet transitionnel. D’autre part, l’intervention d’un animal dans
un espace thérapeutique nécessite l’apprentissage de la relation à l’autre.
L’enfant doit renoncer à la toute-puissance et adopter un comportement
d’empathie.
➤ La relation à la vie : notamment dans les fermes pédagogiques, la présence
d’animaux permet une « pédagogie de la vie ». L’enfant est mis face à
des contraintes (nourrir l’animal), des compositions familiales propres
à l’animal, des cycles de vie (naissance, mort...). Il doit également se
projeter sur l’avenir, opérer à une continuité de ses compétences pour
assurer la survie de l’espèce. Ces éléments permettent de faire émerger
une parole singulière face à des questionnements complexes.
Chez l’adolescent en difficulté, l’utilisation thérapeutique de l’animal peut
avoir pour objectif d’instaurer confiance et amitié, pour ces jeunes souvent
méfiants face à la relation aux adultes ou aux autres jeunes. D’ailleurs bon
nombre de jeunes errants possèdent des chiens qu’ils soignent souvent

20
ANI
mieux qu’eux-mêmes. Être responsable d’un animal signifie aussi être A
sollicité, stimulé et donc se maintenir en vie. Aussi, l’animal peut être un
outil de valorisation dans le groupe de pairs. On remarque par exemple
que la possession d’un chien de corpulence sportive donne au jeune la
possibilité de se re-narcissiser et de s’affirmer parmi d’autres jeunes de son
âge.
Chez l’adulte, l’animal peut aussi avoir un rôle social. Pour des personnes
fragilisées socialement, la présence d’un animal de compagnie permet de se
sentir utile et responsabilisé, et dans le même temps de vaincre la solitude.
Cette source de vie est notable dans les maisons de retraite quand elles
osent franchir le pas. L’importance de cette relation comme maintien du
lien social interroge notamment sur l’interdiction de posséder un chien
dans les centres d’hébergement pour les personnes sans-abris par exemple.
Dans une société où les liens sociaux s’étiolent et où l’individualisme prévaut,
la relation entre l’animal et l’homme est plus que jamais sollicitée. Quelque
soit l’utilisation faite de cette relation privilégiée, elle permet de créer, de
rétablir ou de maintenir la vie chez des personnes fragilisées. Médiation en
cadre naturel ou institutionnel, l’intervention d’un animal dans l’espace
social d’une personne mérite aujourd’hui une réelle conceptualisation qui
permettrait d’officialiser ces nombreuses pratiques dans le champ social.

Mots clés
médiation

Références bibliographiques
BEIGER François, L’enfant et la médiation animale : une nouvelle approche
par la zoothérapie, Dunod, 2008
BETTELHEIM Bruno, Psychanalyse des contes de fées, Pocket, 1999
CHAMBRY Anne-Caroline, L’âne, le livre et l’enfant : la représentation de l’âne
dans la littérature enfantine, Cheminements, 2003
LARMIGNAT Valérie, « L’animal dans l’action éducative : des oiseaux pour le
dire », in ASH n◦ 2052, 2 janvier 1998
MELSON Gail F., Les animaux dans la vie des enfants, Payot, 2002
VALLOTTON Mion, L’enfant et l’animal dans l’éducation, Casterman, 1994
Ca.C

21
APP

A Appareillage
L’appareillage joue un rôle fondamental dans la stratégie rééducative des
personnes IMC (Infirme Moteur Cérébral) et polyhandicapées (handicap
grave à expressions multiples, dans lequel une déficience mentale sévère
et une déficience motrice sont associées à la même cause, entraînant une
restriction extrême de l’autonomie).
Ces personnes ont souvent des déformations des membres et de la colonne
vertébrale (le rachis), conséquences de l’atteinte neurologique centrale et
de la spasticité (étirement rapide d’un muscle qui entraîne trop facilement
sa contraction réflexe qui dure un certain temps) qui en découle. Pour cette
raison, elles peuvent porter des attelles et être installées dans différents types
de coquilles jour et nuit.
Il existe deux grands axes à la prise en charge orthopédique des personnes
IMC et polyhandicapées : la mobilité et les installations. Ces deux objectifs
sont la base de la prévention fonctionnelle et orthopédique qui tente d’éviter
les déformations corporelles et les restrictions progressives des possibilités
motrices. Elles permettent également un épanouissement tant sur le plan
moteur que sur le plan relationnel.
Le but des appareillages est double : il s’agit de mettre la personne
dans des positions pouvant l’aider à utiliser les stimulations extérieures,
d’appréhender le monde qui l’entoure, et de prévenir les déformations
articulaires.
La position assise et la verticalisation sont principalement recherchées
notamment chez l’enfant. Ces positions possibles grâce aux appareillages
permettent une amélioration du fonctionnement digestif, respiratoire et
tente de prévenir la raréfaction osseuse, elles jouent aussi sur la direction
du regard et donc sur le contact avec l’environnement. Ces positions sont
obtenues par des tables de verticalisation, des verticalisateurs fixes, des
appareils moulés pelvijambiers allant des jambes au bassin (en plâtre ou en
polypropylène).
La position assise permettra de prévenir les luxations et les scolioses et
de donner une posture plus sociale à la personne : pour ce faire, il existe
diverses variétés de sièges moulés individuels avec ou sans appui-tête.
Les déformations rachidiennes se produisent surtout à partir de la puberté
et peuvent amener la personne à porter un corset.
Le chaussage est aussi très important car il permet d’éviter les rétractions.
Pour bien maintenir le pied, il est utilisé des semelles moulées ou des
chaussures orthopédiques faites sur mesure.

22
ASS
La conception des appareillages se fait généralement en équipe pluridis- A
ciplinaire : les observations des AMP (Aide-médico-psychologique), des
éducateurs, des ergothérapeutes, des psychomotriciennes, des kinésithéra-
peutes sont prises en compte. Sur les indications d’un médecin de médecine
physique, l’appareilleur réalise un appareillage qui sera essayé plusieurs fois
avant d’être finalisé.
Le portage d’un nouvel appareillage nécessite un temps d’adaptation et une
surveillance d’éventuels points d’appui ou de douleur.
Les appareillages, même s’ils sont contraignants pour les enfants
apportent un confort et une meilleure qualité de vie à l’âge adulte.
Pour les travailleurs sociaux, l’installation de ces appareillages demande
beaucoup de temps et une technique spécifique. Les risques d’un mauvais
positionnement existent, c’est pourquoi, il est recommandé une formation
complémentaire qui peut être faite en interne et une collaboration étroite
avec les ergothérapeutes, les kinésithérapeutes et les appareilleurs.

Mots clés
polyhandicap, manipulation, prévention, qualité de vie

Références bibliographiques
Actes du congrès polyhandicap, CTNERHI, 2005
DALLA PIAZZA Serge et GODFROID Bénédicte, La personne polyhandicapée,
son évolution et son suivi, De Boeck, 2001
DE KORVIN Georges, Appareillage dans l’IMC et le polyhandicap : site Internet
Orthopédie et Réadaptation, 2001
De.C

Assister
Nous entendons le mot « assister », comme le fait d’être présent, de
seconder, d’aider ou de secourir. Il prend donc en compte la notion d’aide,
d’accompagnement et de présence à l’autre. L’action d’« assister » les pauvres
et les personnes défavorisées, est liée à l’histoire du secteur social. Il était
d’abord question d’assistanat qui signifie : faire et penser pour l’autre. Les
personnes sont alors considérées comme inaptes à assumer leurs droits et
leurs devoirs. L’accompagnement n’est pas considéré comme un partenariat
mais comme un protectorat.

23
ASS

A Assister les personnes sans ressources est une obligation légale pour la
collectivité. Ce devoir est inscrit dans l’article 21 de la Déclaration des
Droits de l’homme et du citoyen du 24 juin 1793, qui proclame que les
secours publics sont une dette sacrée. La Troisième République a élaboré
une politique d’assistance et a donné naissance à l’assistance publique.
Assister les enfants, les vieillards, les infirmes, les familles nombreuses et les
indigents devient un principe républicain dès la fin du XIXe siècle. Il n’est
pas anodin de noter que la première profession apparue dans le champ du
travail social est celle d’assistante sociale.
L’assistance médicale est venue consolider ce principe avec la mise en place
de la sécurité sociale au sortir de la seconde guerre mondiale. Assister l’autre
en situation de chômage, de précarité, de danger ou de handicap, est la
base de l’action du secteur social et médico-social. Les nombreuses lois
promulguées dans la seconde partie du XXe siècle nous éclairent sur ce
devoir d’assistance dans les secteurs du logement et de l’hébergement, de la
protection de l’enfance et du handicap. Le XXIe siècle a modifié le sens donné
à l’assistance. Il est aujourd’hui question de contrepartie, de participation,
d’implication de la personne. Il n’est plus simplement question d’assister
l’autre mais de lui permettre d’être acteur de son inscription ou de sa
réinscription dans la société.
Assister est employé comme un moyen de reconnaissance. C’est le cas de
la loi 2002-2 du 2 janvier 2002 qui indique que « toute personne prise
en charge par un établissement ou un service social ou médico-social
peut se faire assister pour faire valoir ses droits en faisant appel à une
personne qualifiée. » Concernant le Conseil de la Vie Sociale, l’article 31
précise que les représentants des personnes accueillies peuvent se faire
assister par une tierce personne afin de permettre la compréhension de
leurs interventions. Pour les travailleurs sociaux du XXIe siècle, l’assistance
à l’autre prend le sens d’un véritable partenariat. Il s’agit d’abord de créer
une relation, de ne pas faire à la place mais avec l’usager. La mise en place
d’un contrat de séjour vient changer en profondeur leurs actions puisqu’il
implique un engagement partagé. L’accompagnement devient personnalisé
et les missions des travailleurs sociaux ont à ajuster les réponses générales
élaborées par les politiques sociales à des situations uniques.

Mots clés
seconder, aider, secourir, devoir, accompagner

24
ASS
Références bibliographiques A
BARREYRE J.-Y., BOUQUET B., Nouveau dictionnaire critique d’action sociale,
Bayard, 2006
NUSS M., La présence à l’autre, Dunod, 2008
De.C

Associations
Le champ du travail social est entièrement traversé par la présence des asso-
ciations. Témoin de l’histoire militante et collective de la construction des
institutions sociales, le secteur associatif reste particulièrement représentatif
du travail social en France. Missionnées par l’État ou conventionnées par
les collectivités locales, les associations apparaissent souvent aujourd’hui
comme des opérateurs des acteurs, au risque de mal rendre compte du projet
associatif et de la dynamique qui les ont vus naître.
Il est en effet parfois difficile de trouver une dimension politique vivante dans
les projets des grandes associations qui n’en gèrent pas moins pour autant
de nombreuses structures sociales, des emplois et des budgets conséquents.
Souvent, dans le secteur dit associatif, il échoie curieusement aux directeurs
des établissements la responsabilité de faire vivre, ou plutôt survivre, des
instances associatives désertées.
Sur un plan historique, l’association telle que nous la connaissons depuis
1901 est le résultat d’un compromis entre des formes plus ambitieuses
(issues du mouvement politique coopératif du XIXe siècle) et de la tendance
à la limitation et à la réglementation qu’imposent les pouvoirs publics,
soucieux en France de limiter le pouvoir et la légitimité des groupements
et collectivités, selon une philosophie politique centraliste, et délégataire
héritée de la Révolution Française.
La possibilité de s’associer a ainsi fait perpétuellement l’objet de limitations
continuelles destinées à éviter les risques de prise de pouvoir trop importante
de certains groupes, voire même de sécession. En effet tout au long du
XIXe siècle, la progression de la législation (qui a abouti à la « grande » loi
de 1901) était motivée par le fait de lutter contre le pouvoir potentiel de
coopératives qui cumulaient les activités économiques, politiques et sociales,
au risque de concurrencer l’État.
Pour autant il est toujours nécessaire, pour l’État, de recourir à des
associations, chaque fois que son savoir faire, sa volonté ou ses capacités
d’agir sont défaillants. C’est ainsi que le secteur social est toujours
aujourd’hui essentiellement associatif, et qu’il relève donc d’un régime

25
ASS

A qui n’est ni strictement privé, ni strictement public ; certains parlent ainsi


de tiers-secteur.
Ce « Ni, Ni » devient un caractère qui spécifie l’entre-deux d’un secteur,
mais également de la posture professionnelle des acteurs qui y sont
employés. Pas réellement fonctionnaires, (tout en étant bénéficiaires de
conventions collectives spécifiques), ces derniers se sentent logiquement
investis d’une partie de la mission de service publique qui est confiée à leur
employeur. Cette situation ambiguë crée cependant les conditions d’une
distance professionnelle possible, tant vis-à-vis des gestionnaires associatifs,
que vis-à-vis des pouvoirs publics.
La contrepartie de cette liberté symbolique se paie d’un certain inconfort
dans les relations employeurs/employés qui s’en trouvent plus complexes
que pour les fonctionnaires et les salariés du privé. De fait, les employeurs
associatifs ont un pouvoir économique et de gestion forcément relatif
et toujours plus réduit, tout en demeurant les interlocuteurs uniques de
leurs employés, appelés par ailleurs à partager « les valeurs et l’engagement
associatif ».
Le paysage associatif français quant à lui semble de plus en plus clivé
entre « grandes associations, » qui constituent parfois ici ou là de véritables
« administrations-bis », et petites associations locales, porteuses d’actions
éducatives, qui vivent une véritable insécurité financière, dans l’attribution
de subventions pour leurs actions.
Par ailleurs accentuant cette tendance, les collectivités territoriales en charge
des grandes associations, incitent plus ou moins activement les associations
à se regrouper pour diminuer le nombre d’interlocuteurs et favoriser des
économies d’échelle et des mutualisations de moyens.
Dans ce contexte, le projet associatif semble souvent peser peu de chose
face à l’arbitrage financier, sauf peut-être encore quand il s’agit d’actions
innovantes. Toutefois, même dans ce dernier cadre, les projets associatifs
soutenus doivent répondre à des appels à projets « ciblés », quand il ne
s’agit pas de marchés publics.
Cette forme française « d’association du social » a aujourd’hui un avenir
incertain. En effet, la volonté politique d’harmonisation économique
et sociale européenne amène régulièrement à penser comment le fait
associatif français sera ou non concerné par la réglementation internationale
qui interdit toute entrave à la libre concurrence et semble considérer le
secteur social, comme un « marché vierge ou à peu près », à conquérir
progressivement.

26
AUT

Mots clés A
social, politique associative, initiative citoyenne, politique

Références bibliographiques
CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Érès, 1996
DRÉANO Guy, Guide de l’éducation spécialisée, Dunod, 2008
Ot.L

Autistes
En référence au grec « autos » (soi-même) et repéré dans le domaine de
la psychiatrie au moment où les chercheurs se penchaient sur les troubles
infantiles, c’est en 1911 que Bleuler, psychiatre allemand, définit ce trouble,
en référence aux états de repli et de « centration sur soi » que semblent
vivre et montrer les enfants observés. Puis, en 1943, Kanner, psychiatre
allemand émigré aux États-Unis (il deviendra l’un des fondateurs de la
pédopsychiatrie) reprend cette définition en s’appuyant sur onze études de
cas et met en évidence un syndrome : « early infantile autism » (autisme
infantile précoce).
Il repère une solitude autistique extrême, et définit trois points essentiels qui
valent encore aujourd’hui :
➤ langage absent ou lorsque présent n’ayant aucune valeur de communi-
cation, ou semblant en discordance avec le contexte et nécessitant d’être
décodé ;
➤ besoin d’immuabilité qui se traduit par des efforts pour que rien ne
change dans le fonctionnement quotidien ou plus spécifique, ainsi que
par des réactions très fortes lorsque la nouveauté fait irruption ;
➤ stéréotypies qui vont de la routine au rituel (gestes, sons, déplacements...)
et qui sont inexorablement ainsi répétés, certains étant plus répandus
que d’autres (ce qui tourne, brille, s’écoule...).
Les observations mettent en évidence que le contact physique direct, un
mouvement, un bruit, peuvent être vécus comme menaçants et sont traités
par l’ignorance, à tel point que l’on a pu supposer des surdités dans certains
cas... ou bien alors ils provoquent une situation douloureuse pouvant aller
vers une grande crise d’angoisse. Depuis une dizaine d’années, les recherches
et explorations du côté de la neurobiologie, tendent à mettre en évidence des
liens entre des troubles neurologiques et des altérations ou difficultés dans le
traitement des « informations » émanant de l’environnement, notamment
27
AUT

A sur un plan sensoriel. Ces aspects sont à prendre aussi en compte dans la
variété et étendue des troubles de type autistique. Il y a plusieurs formes
d’autisme, mettant en lumière des degrés divers de restriction dans le
développement. Le syndrome d’Asperger identifié en 1943 (dit autisme de
haut niveau) en est aussi une démonstration.
Cette problématique multi-facettes est au cœur des préoccupations des
professionnels des secteurs médico-social et sanitaire. Depuis les années 90
des textes ont mis en évidence la nécessité et la pertinence de considérer
cette problématique aussi dans le champ du médico-social et selon des
modalités d’interventions pluri-référentielles. En 2000, la classification
française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA)
adopte la définition « Troubles Envahissants du Développement » déjà
utilisée depuis plusieurs années dans la Classification Internationale des
Maladies (CIM) et la classification psychiatrique américaine « Diagnostic
and Statistical Manuel of Mental disorder » DSM.
Malgré tous ces éléments, l’étiologie de l’autisme n’est pas encore clairement
définie. Quant à l’approche psychogénétique, bien qu’elle ait donné lieu
à des errements chez certains professionnels, elle permet de considérer
les effets possibles des modes de construction des liens précoces et de
prendre en compte chaque acteur (parents/enfant). Il ne s’agit pas pour
les professionnels de savoir qu’une définition est la bonne, mais plutôt
en étant capables de s’ouvrir aux différentes approches étiologiques ainsi
qu’aux diverses modalités d’accompagnement, de trouver les ressources
nécessaires, tant théoriques que pratiques, pour élaborer leurs orientations
d’action en lien direct et concret avec les besoins identifiés pour chaque
personne qu’elle soit « usager », « patient », « élève »... Connaître les
points forts du syndrome, c’est donc être capable de considérer avec
professionnalisme l’expression de celui-ci, somme toute parfois déroutante,
dans les comportements et attitudes chez un jeune enfant par exemple.
Mais aussi, et surtout, être attentif au fait que différents degrés « d’atteinte »
génèrent différentes manières d’y réagir chez les personnes atteintes, c’est
commencer alors à prendre en compte l’être humain concerné dans sa
globalité et dans son unicité.
Les moyens d’accompagner la personne dans son développement et vers un
« mieux-être » vont alors s’organiser à partir de ces connaissances-là et de
cette observation quotidienne. Une triple approche est indispensable dans
l’accompagnement des personnes souffrant de ce(s) syndrôme(s) :

28
AUT
➤ éducative : il est indispensable de donner aux enfants accès aux A
apprentissages du quotidien, scolaires et sociaux en vue de leur permettre
une meilleure participation/intégration sociale ;
➤ pédagogique : cela passe alors par le déploiement et la mise en œuvre de
méthodes et stratégies favorisant ces apprentissages dans les meilleures
conditions de respect tout en prenant appui sur les potentiels et
limitations des personnes ;
➤ thérapeutiques : on ne peut envisager un accompagnement des per-
sonnes souffrant d’autisme ou d’autres restrictions/empêchements, sans
envisager un espace leur permettant de se sentir accueillies, soutenues et
contenues à la mesure de leurs besoins et par une approche bienveillante
prenant en compte leur psychisme, et postulant que les limitations
repérées n’invalident pas la place/le statut de sujet de chacun.
Pourront alors être sollicités des programmes et/ou méthodes qui visent à
structurer l’environnement et les activités en modalités plus aisément com-
préhensibles pour les personnes, s’articulant entre-temps d’apprentissage et
temps d’expression accompagnée et soutenue. Cela doit permettre d’ouvrir
de nouveaux espaces de découverte et d’évolution, si modestes soient-ils.
Il est impératif de prendre en compte les difficultés spécifiques dans la
compréhension des informations, la communication, le vécu sensoriel, la
perception du temps et de l’espace... et ce que cela génère d’angoisse. En effet,
ceci explique pour partie ce besoin d’immuabilité dans les actes et dans le
temps qui est si déstabilisant pour les autres. Éduquer (conduire hors, faire
sortie de) prend alors tout son sens dans la capacité que le professionnel
va développer en vue de favoriser l’apaisement. Les programmes éducatifs
tels que TEACCH, par exemple, (treatment and education of autistic and
related communication handicapped children, mis en place en 1966 aux
États-unis et officialisé en 1972), présentent des modalités qui, dans les
échelles d’évaluation utilisées, prennent en compte les compétences si
humbles soient-elles (émergences) ainsi que les difficultés de perception
et d’intégration des informations et de la communication, en favorisant
la structuration du temps et de l’espace, et en simplifiant les opérations
relatives à des tâches d’apprentissage. Elles représentent un des aspects
du travail d’accompagnement et peuvent s’articuler à d’autres modalités
d’accompagnement.
D’autre part, le soutien à la communication par la voie d’éléments visuels
et gestuels représente aussi un support non négligeable à l’éducation
et est déjà largement utilisé dans des structures prenant en charge des
enfants et adolescents souffrant de TED (Cf. méthode MAKATON, PECS...).

29
AUT

A Les querelles de chapelle ne sont pas de mise lorsqu’il s’agit d’observer,


identifier et accompagner, avec bienveillance et respect, les besoins des
personnes. L’espace thérapeutique, parce qu’il s’adresse au sujet et à lui seul,
s’avère précieux si l’on a auparavant et/ou conjointement le souci de le
re-connaître, de l’accepter aussi comme l’enfant ou l’adulte qu’il est, inscrit
dans une histoire familiale et un environnement social. L’accompagnement
« personnalisé », s’il en est, par cette mise en mots — mise en sens
— s’organise alors dans un « apprivoisement » réciproque. La personne
souffrant d’autisme doit avoir, elle aussi, le droit de refuser, de différer. Et,
ce refus, quand il s’exprime, représente alors une première victoire pour
la rencontre qui s’amorce. À partir de ce NON, l’on nommera, l’on sera à
l’écoute et en relation. Chaque tentative de rencontre et chaque modalité
d’accompagnement prennent alors toute sa valeur parce qu’elle s’articule
et prend en compte les autres. Il s’agit pour les professionnels d’en évaluer
la pertinence et l’adéquation du moment dans un projet personnalisé
qui prend en compte des observations régulières pour l’affinement d’un
diagnostic, qui fixe des objectifs en cohérence avec la situation, définit les
moyens et met en œuvre un accompagnement adapté.
Ces démarches d’accompagnement si elles existent depuis plusieurs années,
constituent une réalité concrète prônée par le deuxième Plan triennal
Autisme 2008-2010 mis en place et visant à prendre en compte et à faire
évoluer la situation de prise en charge de l’autisme en France.

Mots clés
génétique, pédagogie, programme TEACCH, psychanalyse, comporte-
mentalisme, syndrome, syndrome d’Asperger, communication, trouble
envahissant

Références bibliographiques
AMY Marie-Dominique, Comment aider l’enfant autiste, Dunod, 2004
GOLSE Bernard, Les bébés à risque autistique, Mille et un bébés, Érès, 1998
GRANDIN Temple, Penser en images, Odile Jacob, 1997
MISÈS Roger, GRAND Philippe, Parents et professionnels devant l’autisme,
éd. CTNERHI, 1997
TUSTIN Francès, Autisme et psychose de l’enfant, Seuil, 1982
MC.P

30
AUT
Autonomie A
L’autonomie est certainement la référence la plus utilisée en travail social.
Très souvent décliné dans les divers projets institutionnels (associatif,
d’établissement, de service, personnalisés, d’activités, etc.), cet objectif
maintes fois revendiqué appartient aux grandes finalités qui structurent
les actions de ce champ professionnel. Très souvent présentée comme une
promesse de liberté, de libre arbitre et même de bonheur, l’autonomie est
pourtant le plus parfait exemple du faux-ami qui évoque le contraire de sa
signification.
L’autonomie en travail social est bien éloignée de sa définition étymologique
qui consiste à « se gouverner par ses propres lois ». Au contraire, il s’agit de la
capacité à gérer ses propres dépendances (physiques, psychiques et sociales),
dans le cadre d’une socialisation. En la matière, il n’existe donc que des
objectifs de liberté relative, qui accompagne autrui dans l’élaboration d’un
compromis individuel entre ses désirs, ses potentialités et les obligations
sociales dictées par la recherche du bien commun, selon les normes de son
environnement culturel. L’autonomie représente donc une acceptation de
perdre sa liberté fondamentale en tant qu’être humain pour acquérir une
liberté relative en tant qu’être socialisé.
L’accompagnement vers l’autonomie consiste donc à un deuil de la toute-
puissance du désir individuelle, par la soumission à la loi du groupe et à
l’intégration des valeurs permettant le bien commun. Le travailleur social,
comme le parent d’ailleurs, est donc amené avant tout à dire « non » à son
usager, au nom de la société, pour qu’un « oui » puisse éventuellement lui
être accordé, si l’individu suivi accepte de se soumettre aux règles sociales.
Cette référence centrale dans ce champ professionnel représente une
illustration magistrale de la contradiction de cette profession qui pense
très souvent faire le contraire de ce qu’elle accomplit réellement. Plutôt
qu’émancipé, l’individu socialisé est soumis, pour ensuite posséder la
liberté de contraindre les autres à la même logique. C’est d’ailleurs
l’accompagnement que réalise le travailleur social qui au nom de sa
socialisation réussie peut socialiser à son tour ceux qui rencontrent des
difficultés en la matière ; mais aussi le parent avec son enfant.
L’autonomie ainsi explicitée n’est pas une promesse de liberté absolue. Il
est alors moins tentant de la revendiquer et de la promettre à ceux qui en
sont le plus privés. En effet, il existe une forte tendance à revendiquer cet
absolu dans les projets concernant les personnes qui souffrent d’une très
forte dépendance. Cette démarche apparait alors comme une nécessaire

31
AUT

A et réconfortante tentative de libération, vis-à-vis de personnes piégées


dans leur condition. C’est ainsi que l’autonomie sera systématiquement
recherchée pour des personnes très lourdement handicapées, alors que leur
état limite fondamentalement la jouissance d’une liberté individuelle même
relative. Plutôt que demander l’impossible (projet dont l’échec attendu
est forcément culpabilisant pour le professionnel et l’usager), pourquoi le
travail social n’assumerait-il pas un projet qui viserait explicitement une
dépendance la plus heureuse possible ? Encore faut-il que le travail social
accepte de sortir de son approche finalement romantique, pour davantage
s’inscrire dans celle d’une action stratégique ancrée dans la réalité du jeu
social. Moins idéalistes, les accompagnements seraient pourtant davantage
efficaces.

Mots clés
liberté, socialisation, dépendance

Références bibliographiques
BARUS-MICHEL Jacqueline et ENRIQUEZ Eugène, LÉVY A. (sous la dir.),
Vocabulaire de psychosociologie, Érès, 2006
BRICHAUX Jean, L’éducateur spécialisé en question(s), Érès, 2001
CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Érès, 1996
DRÉANO Guy, Guide de l’éducation spécialisé, Dunod, 2006
FUSTIER Paul, Les corridors du quotidien, Dunod, 2008
GABÉRAN Philippe, La relation éducative, Érès, 2007
POUGNAUD Odile, ROPERS Philippe, SORIS Cécile, RULLAC Stéphane et TOUIL
Ahmed Nordine, Accompagnement social et éducatif spécialisé DEES :
Modules éducateur spécialisé, Vuibert, 2009
ROUZEL Joseph, Le travail de l’éducateur spécialisé, Dunod, 2000
RULLAC Stéphane, Je prépare le DEES, Dunod, 2009
Ru.S

Autorité
L’autorité peut être définie comme la capacité à être auteur. De ce point de
vue, le sens premier du mot est très proche de celui de « responsabilité ». Pour
autant, l’autorité dans le langage courant est souvent assimilée à la capacité de
se faire obéir. Cette utilisation est un contresens, comme le soutient Hannah
Arendt qui définit l’autorité comme la qualité d’obtenir une adhésion
32
AUT
spontanée, volontaire et dégagée de toute contrainte. Il est donc probable A
que ce que la plupart des gens considère comme des actes d’autorité, à savoir
le fait de commander, réprimander, intimer l’ordre, menacer, rappeler,
mettre en garde... sont autant d’actes qui signent davantage la faillite de
l’autorité qu’une preuve de son existence.
Cette conception est assez souvent comprise et partagée par les travailleurs
sociaux. Il n’en reste pas moins qu’elle pose problème : si l’autorité ne peut
être fondée sur la force, la contrainte ou la persuasion, sur quoi repose-t-elle ?
Les travailleurs sociaux font souvent appel à la notion de confiance comme
élément fondamental des relations qu’ils mettent en œuvre. De fait, la
confiance qui garantit la qualité des relations établies est certainement le
ferment naturel de l’autorité personnelle, comme professionnelle.
Parler de confiance revient souvent à parler du temps. Selon un autre
philosophe du XXe siècle, Alexandre Kojève, l’autorité est liée au temps, car
celui qui possède l’autorité :
➤ est à l’origine du temps des choses ou des institutions : le fondateur, le
concepteur, le père, l’ancêtre, celui qui a commencé, celui qui était là
avant, l’aîné ;
➤ interrompt le cours du temps, prend le risque de briser une routine, de
faire du neuf, prend des initiatives, un risque éducatif : c’est le propre
du « Maître » ;
➤ se place hors du temps, en prenant de la distance, en étant impartial, en
situant au-dessus des contingences, des influences, de l’actualité, de l’air
du temps : c’est le modèle du Juge.
Un autre aspect de l’autorité réside dans son caractère « initiatique ».
L’autorité ne s’impose pas, elle se confère en ce sens que la véritable autorité
donne de l’autorité à celui qui y souscrit.
C’est dire que l’autorité repose en réalité sur la reconnaissance de l’autre
comme « sujet », capable lui aussi d’autorité sur sa propre vie et sur
son expression propre. Reconnaître l’autre comme auteur, c’est déjà le
reconnaître comme acteur et donc l’associer en tant que tel à tous les stades
du projet que l’on réalise avec lui.
Mais cela ne suffit pas tout à fait. La notion d’auteur est supérieure à la
notion d’acteur, parce qu’elle suppose de prendre part à la conception, à
la pensée comme au déroulement de tout projet. Il est probable que cela
suppose a fortiori de ne pas considérer le sujet non plus comme un usager.
Il est ainsi probable que le travailleur social fasse preuve d’autorité à chaque

33
AUT

A fois qu’il reconnaît celle des autres, celle de son institution tout d’abord,
mais également celle du sujet lui-même et de ses parents ou de ses pairs.
Avoir de l’autorité passe par le fait d’autoriser, plutôt que d’interdire. Être
« maître pour permettre », telle pourrait être la devise d’un travailleur social
qui envisage que l’autorité ne repose pas sur la force mais sur le don, au
sens que Marcel Mauss donnait à cette notion.

Mots clés
don, auteur, acteur, interdire, autoriser

Références bibliographiques
ARENDT Hannah, La condition de l’Homme moderne, Poche Pocket, 1992
CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Érès, 1996
DRÉANO Guy, Guide de l’éducation spécialisée, Dunod, 2008
HERFRAY Charlotte, Les figures d’autorité, Érès, 2005
LEBRUN Jean-Pierre, Un monde sans limite, Érès, 1997
LEGENDRE Pierre, La fabrique de l’homme occidental, Milles et une nuits,
2000
Ot.L

34
B
B

Bientraitance
Le terme « bientraitance » (orthographié à l’origine sous la forme « bien-
traitance ») a vu le jour lors de « l’Opération pouponnières », impulsée
à partir de 1978 par le ministère de la Santé et de la Famille alors dirigé
par Simone Veil. Cette opération avait pour objectif l’amélioration des
conditions d’accueil et de prise en charge éducative des jeunes enfants en
pouponnières. Ce terme a été utilisé comme vocable positif venant s’opposer
à celui de « maltraitance », déjà largement développé. A contrario du terme
« maltraitance » et construit sur le même modèle, il met l’accent sur le
préfixe « bien » qui renvoie au « bon côté de la médaille ».
Danielle Rapoport (1998) fut une des premières promotrices de cette notion.
Dans le domaine de la protection de l’enfance, la bientraitance consiste,
selon elle, en la recherche des potentialités et des compétences enfouies
chez le jeune. Il s’agit pour le professionnel de promouvoir le respect de
l’enfant et de son bien-être à travers des actions concrètes cohérentes et
le soutien à la parentalité. Paul Durning (2002), quant à lui, considère
qu’être bientraitant consiste à éviter une polarisation sur les seuls mauvais
traitements et à promouvoir une éducation qui favorise l’épanouissement
des enfants dans différents domaines : physique, affectif, cognitif et social.
Ce terme n’est pas né spontanément. Il est la concrétisation d’un
mouvement profond et long, prenant appui sur des situations maltraitantes
insupportables. Par ailleurs, alors que la notion de « prévention des
maltraitances » reconnaît la complexité et ouvre à la compréhension d’une
conflictualité, le modèle positif de la promotion de la bientraitance qui
semble s’imposer aujourd’hui quitte l’analyse des risques et sources de vio-
lences pour introduire dans les esprits une construction plus impersonnelle
à connotation normative. En réalité, la notion de « bientraitance » est en

35
BIE
train de remplacer progressivement celle de « lutte contre la maltraitance ».
Elle révèle une nouvelle philosophie implicite du rôle des parents ou des
B institutions qui accueillent des personnes vulnérables. On ne se contente
plus de dépister les faits graves de maltraitance liés surtout à la décharge
par certains individus d’une violence physique. En effet, la traque de toute
maltraitance physique se déplace aujourd’hui vers un idéal de bientraitance.
Cet idéal se focalise sur d’autres comportements jugés déviants, à savoir que
ne pas assez faire de bien à l’enfant, l’adulte ou la personne âgée, devient
un comportement défaillant qu’il faut corriger.
La promotion de la bientraitance est une démarche éthique qui sous-tend
certains principes fondamentaux, parmi lesquels :
➤ le respect de la personne, de son individualité, de ses choix, de ses
décisions ;
➤ la nécessité d’un cadre d’intervention institutionnel clairement défini ;
➤ un questionnement permanent sur la justesse des actes prodigués au
regard des besoins spécifiques des usagers ;
➤ l’empathie dans les pratiques...
Ainsi, la bientraitance ne se réduit pas à l’absence ou à la prévention de
maltraitance ; elle se définit au terme d’échanges continus entre tous les
acteurs concernés par la prise en charge des personnes vulnérables. Ce n’est
qu’à partir de ces interactions que la bientraitance peut prendre corps. Les
principes de la bientraitance relèvent donc non seulement de la pratique
professionnelle proprement dite, mais aussi des questionnements éthiques
qui habitent et traversent cette pratique. Il convient, en outre, de souligner
que la notion de bientraitance a présidé au développement des bonnes
pratiques professionnelles et aux guides qui ont été élaborés par l’Agence
nationale de l’évaluation et de la qualité dans les établissements sociaux et
médico-sociaux ; structure présentée, rappelons-le, comme une « agence
de la bientraitance ».
Parallèlement, la bientraitance prête le flanc à un certain nombre de
critiques. Ainsi, renvoyant à la notion de « bien », elle susciterait des
débats idéologiques sans fin et davantage de questions que de réponses
(De quel bien parle-t-on : bien traiter, bien faire, bien de l’enfant... ? Qui
peut se prévaloir d’être « bien traitant » ?). Par ailleurs, en proclamant
l’excellence de l’institution et des services rendus aux usagers, la bientraitance
deviendrait une sorte d’utopie, un objectif difficilement atteignable, alors
que la recherche d’une institution « suffisamment bonne » s’inscrirait
davantage dans le champ des possibles.

36
BUR

Mots clés
maltraitance, éthique, bonnes pratiques, normes, procédures B

Références bibliographiques
ANESM, Recommandations de bonnes pratiques professionnelles – La
bientraitance : définition et repères pour la mise en œuvre, Saint-Denis,
juillet 2008
DURNING P., GABEL M., Évaluation des maltraitances. Rigueur et prudence,
Fleurus, 2002
RAPOPORT D., « Le temps nécessaire : l’expérience de l’Opération poupon-
nières », in GABEL Marceline et al, Maltraitances institutionnelles, Fleurus,
1998
B.JP
Cr.P

Bureau
Le travail social s’exerce dans différents espaces : l’espace public, les
partenaires, l’espace privé des usagers et le bureau. Le bureau est un espace
spécifique à plus d’un titre. Le bureau est le lieu où l’équipe domicilie son
travail. Son adresse permet qu’elle soit localisée par tout un chacun : usagers,
membres, financeurs, direction, partenaires, etc. Le lieu choisi pour établir
ce bureau n’est pas nécessairement au cœur du territoire de vie du public
de référence, contrairement à la permanence. Il se situe même parfois à une
certaine distance.
Pour son organisation, l’équipe laisse au bureau des outils nécessaires à
son travail : mobilier, moyens d’écriture, de communication téléphonique
et Internet, etc. Le bureau est un lieu de ressources pour l’équipe. Elle y
réalise plusieurs de ses réunions, comme celle de coordination, d’analyse
de la pratique, de supervision ou encore de synthèse. C’est le lieu d’une
articulation entre les membres de l’équipe, pour une recherche de qualité
dans le travail.
Le bureau peut aussi servir de lieu de rencontre de professionnels extérieurs,
partenaires, travailleurs sociaux ou non, pour un temps d’information,
de synthèses sur des situations individuelles, de construction d’actions
communes, etc. C’est aussi le lieu de la communication tant interne
qu’externe vers les partenaires, la direction et les financeurs. L’équipe y
prépare ses projets individuels et collectifs. Elle y rédige ses dossiers de
37
BUR
financement, ses projets écrits de demandes de fonds. Elle y évalue leurs
résultats. Elle y stocke toute la documentation en matière de dispositifs
B sociaux généraux et locaux, les textes de lois et leurs décrets, le projet
éducatif de l’équipe. On y trouve aussi les rapports d’activités, plaquettes et
dossiers de présentation des services et associations partenaires, ainsi que la
bibliothèque et les archives de l’équipe. Elle y dépose les éléments recueillis
sur les personnes suivies, sur les partenaires, sur le territoire et sur le public.
Le bureau remplit aussi un rôle dans le contrôle du travail réalisé par les
travailleurs sociaux pour une conformité avec la mission. Il est le lieu d’une
supervision par le chef de service garant de l’accomplissement de la mission
par l’équipe. Enfin, des rencontres avec les personnes suivies peuvent avoir
lieu au bureau dans un local adapté : rendez-vous d’accueil, de suivi, de
recadrage de la relation et de passage de relais.
Cette liste de fonctions montre que le bureau est nécessaire en travail social.
Ajoutons que les équipements et les fonctions de ce bureau sont souvent à
l’ordre du jour des réunions d’équipe.
Le bureau se trouve à l’interface entre les usagers, l’espace public et les
partenaires et il s’affirme globalement comme un lieu de préparation et
d’évaluation de l’action auprès du public.
Si ce bureau est nécessaire au travail, il est essentiel que le cœur de l’action
du travail social s’équilibre avec les autres territoires de son action. Sortir
du bureau peut constituer une prise de risque, mais ces temps de relation
directe, ces moments partagés avec le public font partie de la relation d’aide
et sont constitutifs du travail social. Ils participent à l’accompagnement
global de la personne aidée et à sa resocialisation. À défaut, le risque est
grand d’une dépersonnalisation de la relation, d’une chosification de la
personne aidée et d’une toute-puissance du travailleur social. Le bureau
est nécessaire, mais en sortir est essentiel pour les professionnels du travail
social.

Mots clés
lieu, projet, évaluation, relation d’aide, moments partagés

Références bibliographiques
CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Érès, 1996
DRÉANO Guy, Guide de l’éducation spécialisée, Dunod, 2008
Re.X

38
C
Cadre
C

Notion couramment employée et invoquée dans le travail social, elle y


occupe une place singulière. Le cadre renvoie nécessairement à un espace
délimité par des frontières infranchissables, non négociables, sauf à valider
les transgressions de toutes sortes. Il s’applique tant au professionnel qu’à
l’usager indifféremment de son âge et de sa place dans la société. Cela suppose
à la fois qu’il soit porté à la connaissance de tous, énoncé de manière claire
et simple, de façon à être compris par les personnes concernées. Par son
existence, il crée de la cohésion : le vivre ensemble est rendu possible
puisque son application doit être effective, les transgressions font l’objet
de sanctions. Il est aussi et surtout porteur de sens en fixant une ou des
directions selon des objectifs définis et donc identifiés. En cela, sa fonction
est doublement essentielle dans le travail social : en donnant une marge
de liberté au professionnel dans la construction de la relation éducative, le
cadre porte en lui des limites invalidant de fait la toute-puissance.
Le cadre recouvre cinq dimensions : politique, juridique, symbolique,
institutionnelle et éducative. Elles sont interdépendantes et liées les unes aux
autres. S’agissant du cadre politique, il se définit à partir de l’organisation
de la société : la manière dont elle est ordonnée à partir d’un mode de
gouvernance reconnu par tous, en l’occurrence sur des bases démocratiques
pour ce qui nous concerne. Dans cette optique, le cadre politique s’inscrit
idéalement comme l’écrit Dominique Schnapper dans la conception
rousseauiste du contrat social, cette négociation entre l’individu et le
groupe : les libertés que chacun concède, celles que chacun conserve. La
prise en compte de cette dimension amène chacun, de manière vertueuse,
professionnels et usagers, à souscrire au débat, à la délibération et produit
théoriquement l’égalité pour tous. En cela, la connaissance de ce cadre
demeure indispensable. Elle offre à chacun un espace propice à l’échange
39
CAD
qui, bien entendu, n’est pas exempt de conflit, de désaccords, d’opposition.
Elle est aussi renoncement à l’arbitraire, à la tyrannie des uns exercée par
d’autres, considérant que cet espace de liberté délimité protège.
C La dimension juridique, a fortiori dans le travail social occupe une place
grandissante : l’inflation de textes législatifs durant cette dernière décennie
a particulièrement modifié le cadre dans lequel se déploie l’action socio-
éducative. Au-delà de l’esprit distillé dont il n’est pas question ici, ce
sont les obligations incombant au secteur social et médico-social qui
focalisent l’attention : les pratiques doivent être davantage formalisées,
visibles et lisibles, et faire l’objet d’une évaluation. Il ne suffit plus de dire
ce que l’on fait mais aussi de l’écrire en prenant appui sur des obligations,
telle la personnalisation des réponses, la promotion du droit des usagers,
la formalisation du projet d’établissement, notamment selon la loi du
2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Le spectre est
bien entendu plus large. Tous les domaines de l’intervention sociale sont
touchés et amènent forcément le professionnel à maîtriser davantage cet
arsenal dans une perspective théoriquement simple. Il s’agit bien ici de
circonscrire l’action socio-éducative selon des modalités et des exigences
dont le travailleur social ne peut faire abstraction. C’est donc, dans ce
cas, apprendre à répondre à une problématique individuelle, à partir d’un
dispositif juridique dense et complexe, sans pour autant renoncer à son
intuition, ses ressentis, son savoir-faire. Il s’agit d’un exercice de style délicat
qui requiert à la fois une capacité d’adaptation, une curiosité naturelle non
dépourvue de sens critique, dont l’une des finalités consiste à actualiser ses
connaissances à la lumière des évolutions législatives et à les intégrer aux
pratiques socioéducatives.
S’agissant du cadre symbolique, sa fonction reste fondamentale dans le
travail social. La transmission des valeurs constitue l’essentiel des missions
et responsabilités dévolues au travailleur social et prend originellement
appui sur la Loi symbolique, qui, comme l’écrit Joseph Rouzel, inscrit
l’homme à l’ordre de la parole et du langage. Elle se traduit par l’interdit de
l’inceste ou la capacité pour chaque être humain d’entrer dans des liens en
renonçant à ce qui fait obstacle à la vie, l’inceste et le meurtre. La tragédie
d’Œdipe, parricide, en est l’illustration emblématique. La loi pénale en est le
prolongement. Organisée par le Droit, elle limite et/ou régule la jouissance
dans une société donnée en annihilant les élans arbitraires, en sanctionnant
voire punissant les actes de transgression. C’est donc tout naturellement que
le cadre institutionnel trouve sa place. L’action socio-éducative dispensée
ne peut exister sur des bases anarchiques, démiurgiques portées par une

40
CAD
seule personne mais doit se trouver reliée à un dispositif qui la fixe, la
circonscrit, la limite, l’organise, et l’ouvre. Le règlement intérieur dédié aux
professionnels, le projet d’établissement, le règlement de fonctionnement, le
livret d’accueil remis aux usagers en sont, entre autres, les pièces maîtresses.
Ses caractéristiques de stabilité, de constance, d’invariance permettent le
C
rassemblement de tous autour d’objectifs et font tenir ensemble un collectif,
une équipe, qui, par nature, est vulnérable. Plus précisément, le cadre
institutionnel développe une éthique, une déontologie dont les usagers sont
les principaux bénéficiaires. Par sa fonction de contenant — tout n’est pas
possible —, il régule l’espace psychique de chacun dans la relation éducative
en étant un tiers, un rempart à la toute-puissance et/ou à la fusion avec
l’autre. Nul doute que le cadre éducatif se construit principalement sur
ces bases fondamentales. Celles-ci sont d’autant plus nécessaires que le
professionnel affronte et se confronte souvent aux expressions primitives
(la colère, la violence, la haine...) de ceux qu’il accompagne.
Le défi socio-éducatif consiste alors à poser des limites, à ouvrir des espaces
ouverts au dialogue, à des échanges constructifs qui encouragent et facilitent
progressivement l’intégration de la Loi, des lois, des règles non pas pour
dresser autrui mais favoriser son autonomie sociale et psychique.
En résumé, retenons que le cadre a pour fonction :
➤ de soutenir la cohésion, le vivre-ensemble : connu et reconnu par tous,
il procure une marge de liberté dans un espace délimité ;
➤ d’encourager la cohérence de l’action socioéducative sur la base de
projets qui associent à la fois professionnels et usagers ;
➤ de garantir une éthique et une déontologie dans un fonctionnement
institutionnel qui ne peut être en contradiction avec le Droit.

Mots clés
lois, règlement, repères

Références bibliographiques
CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Érès, 1996
DRÉANO Guy, Guide de l’éducation spécialisée, Dunod, 2008
FUSTIER Paul, « L’infrastructure imaginaire des institutions », in KAËS R. et
al., L’institution et les institutions, Dunod, 2003
FUSTIER Paul, Le travail d’équipe en institution : cliniques des institutions
médico-sociales et psychiatriques, Dunod, 2004
41
CAD
IMBERT Francis, La question éthique dans le champ éducatif, Matrice, 2001
JANVIER Roland et MATHO Yves, Mettre en œuvre le droit des usagers, Dunod,
2002
C ROUZEL Joseph, Le travail d’éducateur spécialisé, Dunod, 2004
SCHNAPPER Dominique, La communauté des citoyens, Gallimard, 2003
So.C

Cadres du social
Les cadres du social sont des cadres comme les autres. La fonction se
caractérise en effet par des critères objectifs tels que le niveau de formation,
le statut et les responsabilités à assumer. Pourtant, ils s’en différencient
également du fait des missions spécifiques confiées aux établissements et
services sociaux et médico-sociaux pour lesquels ils travaillent. De plus,
la complexité accrue des problématiques traitées fait évoluer la notion de
responsabilité au-delà de son acception habituelle, pensée essentiellement
en termes de responsabilité civile et pénale.
L’État, par l’imposition règlementaire de diplômes (Cafdes, Caferuis) définit
la fonction de cadre du social en lien étroit avec la commande publique. Il
existe trois catégories de cadres du social : les cadres-dirigeants (directeurs,
directeurs-adjoints, directeurs généraux, directeurs d’association), les cadres
intermédiaires (chefs de service, responsables d’unité ou de secteur) et les
cadres techniques ou fonctionnels (responsables de projets, psychologues,
médecins, formateurs).
1. Les cadres dirigeants sont responsables de l’ensemble des activités
développées dans les établissements et services en regard des agréments
reçus, des lois et réglementations en vigueur concernant le secteur d’activités
et des moyens mis à disposition. L’autorité légitime des cadres dirigeants se
fonde sur leur capacité à conduire les activités et les équipes vers les objectifs
fixés par la commande publique en prenant en compte les différentes
contraintes inhérentes aux logiques institutionnelles et à des moyens
toujours insuffisants face à des attentes et des besoins qui n’ont pas de
limites. Ils sont le plus souvent porteurs de projets associatifs référencés sur
des valeurs spécifiques qu’ils doivent articuler avec les textes et orientations
venant des règlementations. Leur responsabilité est également engagée en
matière de sécurité des biens et des personnes.
2. Les cadres intermédiaires constituent des relais actifs entre les cadres
dirigeants et les équipes professionnelles. Leur fonction est difficile. En
effet, il leur faut connaître les stratégies et orientations des établissements

42
CAD
ou services dans lesquels ils travaillent afin de pouvoir établir des liens
de cohérence avec les pratiques de terrain assurées par les professionnels.
L’usage a souvent consisté à définir le rôle des cadres intermédiaires comme
des « tampons » qui essaient d’arrondir les angles entre la direction et
la base. Cette conception n’est pas bonne. Dans une perspective plus
C
professionnelle selon laquelle les différents acteurs, quelles que soient leurs
places, sont chacun contributifs du service rendu, les cadres intermédiaires
sont membres de l’équipe de direction et responsables devant les cadres
dirigeants de la mise en œuvre des orientations et objectifs définis dans le
projet d’établissement ou de service. Leur rôle principal consiste à être garant
de la concrétisation des projets. En ce sens, ils se définissent au croisement
des aspects stratégiques et opérationnels des établissements et services. La
loi du 2 janvier 2002 leur donne une responsabilité opérationnelle en ce qui
concerne la mise en œuvre de l’évaluation des projets personnalisés.
3. Les cadres techniques, quels que soient leurs niveaux de formation,
sont essentiellement contributifs de la pertinence et de la qualité des
actions entreprises pour et avec les personnes accueillies. À partir d’une
claire connaissance et d’un repérage précis de la commande publique
(portée par les cadres dirigeants et intermédiaires), les cadres techniques ou
fonctionnels apportent leurs expertises au service des actions menées. Leur
responsabilité est d’assurer des prestations de qualité pour ce qui est de
leur spécialité spécifique et de s’inscrire pleinement dans le travail d’équipe
pluridisciplinaire, pluriprofessionnel et partenarial. L’époque des féodalités
qui voyait certains spécialistes s‘ériger en guides est révolue. Désormais, il
est clairement établi (annexe 24 d’octobre 1989, loi de 2002, de 2005, décret
2007-975 sur l’évaluation) que le fil rouge des interventions est à trouver
dans les finalités de l’action publique (réponse aux attentes et besoins,
participation sociale et respect des droits) et que c’est autour de cet axe que
les différentes spécialités ont à s’ordonner et à équilibrer entre elles leurs
importances respectives dégagées a posteriori de l’étude des situations et
non plus posées a priori en référence à des rapports de prééminence.
Il ne faut pas perdre de vue que la définition des rôles est une chose, leur mise
en actes effectifs en est une autre. Outre que les rôles sont toujours exercés
par des personnes qui se situent plus ou moins facilement dans des espaces
entremêlant des registres très différents, il est essentiel de prendre la mesure
des changements à l’intérieur de la commande publique, ce qui implique une
évolution importante de la fonction-cadre. Les orientations les plus récentes
des politiques publiques d’action sociale et médico-sociale demandent à ce
que les professionnels prennent en compte les attentes et besoins exprimés

43
CAD
par les usagers ou leurs représentants légaux ainsi que les situations dans
lesquelles les problématiques se développent. Ces perspectives nouvelles
complexifient le travail des équipes. En effet, la coordination assurée par les
cadres répondait bien au morcellement des interventions, mais, à partir du
C moment où toutes les actions menées le sont en termes d’interdépendances,
de relations et de communications interprofessionnelles, il est clair que le
rôle des cadres du social évolue et se définit autrement.
Les compétences détenues par chaque intervenant ne suffisent plus à
garantir la qualité des actions entreprises car il est indispensable que
les dynamiques de travail intègrent et s’appuient sur les interactions avec
les usagers. Tout va donc dépendre de la qualité des processus de travail.
Les Cadres deviennent les instigateurs et les animateurs de ces processus
entendus comme « enchaînements cohérents des actions de chacun en
référence aux projets d’établissement et personnalisés ». Ces processus
s’inscrivent dans des « temporalités-durée » et les cadres se définissent alors
comme « responsables de la création des conditions du travail des autres ».
Cette nouvelle définition les positionne, en sus des responsabilités civile et
pénale qui perdurent, comme des chefs de projet social ou médico-social, à
ceci près en ce qui les concerne, que le référentiel qui inspire leur action est
à trouver à l’intérieur des politiques publiques.
La compétence des cadres du social est plurielle. La fonction d’autorité
s’éloigne du « commandement » pour laisser place à la responsabilité
qualitative en regard des processus techniques engagés. Le Cadre « fera
autorité » de par sa capacité à occuper la place statutaire qu’il occupe tout
en assurant un management de proximité auprès des équipes, gage de
l’implication et de l’engagement de chacun.

Mots clés
responsabilité, autorité, équipe, opérationnalité, management de
proximité

Références bibliographiques
JAEGER Marcel, Diriger un établissement ou service en action sociale ou
médico-sociale, Dunod, 2005
LEFEVRE Patrick, Guide de la fonction Cadre, Dunod, 2008
PAPAY Jacques, Communication professionnelle en travail social, Vuibert, 2009
Pa.J
Ron.M
44
CAS
Cas sociaux
C’est le Conseil technique de l’enfance déficiente, sous la présidence de
Georges Heuyer en 1944, qui a adopté une expression générique pour
qualifier les différents troubles de la jeunesse : l’enfance inadaptée. Selon C
la nature des troubles, trois catégories ont dominé le tableau clinique : les
malades, les déficients et les caractériels.
Cette terminologie succède à tout un ensemble de termes qui, au début du
XXe siècle, définissent ce que l’on nomme alors « l’enfance anormale » et qui
vont, pour définir les enfants, de vicieux à coupables, de débiles à déficients,
de malheureux à abandonnés. Avec la loi de 1909 sur l’enseignement spécial,
la formule « d’enfance arriérée » s’impose. Qu’il s’agisse de critères pour
définir des aspects juridiques, physiques, psychologiques, intellectuels ou
moraux, la sémantique utilisée est saturée de connotations péjoratives, ce
que l’emploi de l’expression « enfance inadaptée », à partir de 1944, ne
suffira pas à terrasser.
Le plus bel exemple est celui de l’expression « cas sociaux » qui s’impose
dans le vocabulaire commun, celui de la rue mais qui pénètre également
les représentations collectives dominantes pour définir l’ensemble « des
caractériels ». L’expression « cas sociaux » est un mot valise autant utilisé
par les travailleurs sociaux, que par le grand public, pour réduire les
enfants confrontés à tous les types de difficultés sociales, sans distinction de
critères. L’expression entre même dans la langue vernaculaire des travailleurs
sociaux sous la forme « cassoce ». Dans les représentations parfois lapidaires
et caricaturales qui se donnent à entendre dans l’univers du travail social, le
« cassoce » est une formule générique qui ne jouit d’aucune vertu sur le plan
du geste professionnel mais qui fait néanmoins écho chez les professionnels,
en tant qu’il définit un type d’usagers du travail social.
Évidemment, le cas social est une identité qui est étiquetée sur un type
spécifique d’usagers : ceux qui rencontrent des problèmes sociaux, dans
leur famille ou dans l’espace public, qu’ils soient victimes de mauvais
traitements ou auteurs de délits ou de crimes. Cette jeunesse-là se distingue
de fait des enfants atteints de handicap mental ou physique. La construction
de l’expression interroge. En effet, le cas social est l’image de l’exception,
qu’on préfère masquer, voire effacer du jeu social, parce qu’elle représente
un « raté » des effets des processus de socialisation et d’éducation de la
société. L’enfant maltraité et victime de traitements inadéquats embarrasse
la société, prise en défaut par rapport au projet qu’elle formule en matière
de droits de l’enfant. Mais elle est tout aussi embarrassée avec les mineurs
délinquants parce qu’ils sont un pur produit des conditions sociales. De
45
CAS
ce fait, la société se pose franchement la question de savoir ce qu’elle peut
faire de ses cas sociaux : où et comment les caser en vue de les socialiser,
voire de les rééduquer ? Le cas social est bien souvent un jeune vis-à-vis
duquel le travail social est missionné afin de le « caser », selon les cas, en
C milieu ouvert, en foyer, en institution ou en centres éducatifs fermés, voire
en prison.
Les cas sociaux se sont en effet différenciés en deux grandes catégories
au cours du temps : les enfants mineurs en danger et les enfants mineurs
dangereux. Ainsi, parmi les cas sociaux, il y a ceux qu’il s’agit d’assister
(mineurs en danger) et ceux qu’il s’agit de surveiller (mineurs dangereux).
Il reste que le « cas social » appartient à un type de vocabulaire que le
champ du travail social doit proscrire. Il est un paravent qui brouille
la compréhension des différents registres de l’enfance en danger et qui
nuit à la professionnalité en globalisant les conduites sociales des mineurs.
Certes, le cas social est une figure générique de l’enfance en danger. C’est
l’expression populaire pour définir une typologie de publics, en souffrance
dans la famille, qui, dans le cadre de la Protection de l’Enfance, peut être
bénéficiaire d’une prise en charge institutionnelle ou de milieu ouvert.

Mots clés
mineurs, délinquants, stigmatisation

Références bibliographiques
« Prévention contre prédiction », in VST n◦ 94, Érès, 2007
CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Érès, 1997
FAGET Jacques, Sociologie de la délinquance et de la justice pénale, Érès, 2007
LE REST Pascal, Les nouveaux enjeux de l’action sociale en milieu ouvert, Érès,
2009
LE REST Pascal, MACAIRE Passy, L’éducation spécialisée, Ellipses, 2008
MILBURN Philip, Quelle justice pour les mineurs ? Entre enfance menacée et
adolescence menaçante, Érès, 2009
WACQUANT Loïc, Parias urbains, Ghetto, banlieues, État, La Découverte,
2005
LR.P

46
CHA
Chantiers
Depuis les années 1980, les « chantiers » se sont développés comme des
outils éducatifs efficaces auprès des populations adolescentes, notamment
dans le champ de la prévention spécialisée, puis dans celui de l’animation C
sociale. Il s’agit d’un emprunt, puisque les chantiers relèvent d’abord de la
terminologie de l’industrie, et plus largement du monde du travail. Une
première interrogation n’a pas manqué de surgir et de faire débat au sein
des équipes éducatives : le rôle d’éducateur est-il de mettre les adolescents
et les jeunes adultes au travail et quelle est donc la valeur de cet outil pour
des publics en difficulté sociale, parfois en risque de marginalisation ?
Tout d’abord, les chantiers éducatifs proposés par les travailleurs sociaux
relèvent de petits travaux de maçonnerie, d’espaces verts, de peinture, etc.
Il s’agit effectivement d’une activité s’apparentant à l’exercice d’un travail,
mais ne donnant pas lieu, en général, à rémunération directe. Toutefois, dans
les années 1980, des exceptions ont été mises en place avec l’octroi d’une
« bourse vacances ». Ce pécule correspondait à un nombre de jours travaillés
et pouvait être utilisé ensuite par les personnes concernées comme elles
l’entendaient. La question de la légalité d’une telle distribution financière
a été posée et, de façon générale, les services socio-éducatifs travaillent
désormais en tâchant de prendre en compte le travail effectué pour offrir le
bénéfice d’une activité de type loisirs, de voyages, de découverte, etc.
Aujourd’hui, le dispositif est structuré autour d’une offre de travail à réaliser
par une collectivité locale, un office HLM ou autre, donnant lieu, une fois
la mission accomplie, à une subvention attribuée à l’association qui porte
le projet et la mettant ainsi à disposition du public avec lequel l’action a été
menée.
Ainsi, les chantiers éducatifs tels qu’on les considère aujourd’hui mettent
en présence un acteur éducatif avec un ou plusieurs individus dans une
démarche prenant appui sur la référence à la « valeur travail », et mobilisant
autour d’une œuvre collective. En effet, l’éducateur propose à des adolescents
ou à des jeunes adultes, de travailler ensemble sur un objectif négocié, en
collaborant avec autrui et en acceptant de s’inscrire dans une dynamique
globale. Chacun doit pouvoir prendre sa place en acceptant des contraintes
relatives aux horaires, à des exigences techniques prédéfinies ou des règles de
sécurité. L’on rencontre aussi l’enjeu de l’acceptation d’une subordination
à un ordre hiérarchique puisqu’il existe toujours, dans les chantiers, un
coordonnateur, qu’il soit éducateur ou intervenant externe sollicité pour
l’occasion.

47
CHA
Dans un premier temps, nombreux sont les jeunes qui trouvent difficile de
s’inscrire dans ce type d’organisation. Souvent, durant une période de fin
d’adolescence complexe par définition, l’échec scolaire, le sentiment d’être
dévalorisé et l’inscription dans des rôles de contre-dépendance résultant du
C sentiment d’être discriminé, génèrent le refus de toute autorité. Et il n’est
pas rare que les premières expériences du monde du travail pour des jeunes
adultes ayant eu à subir ces expériences dévalorisantes se soldent, à l’issue
du moindre conflit avec le chef ou même un collègue, par des abandons et
des départs sans appel, entraînant la poursuite ou l’entrée dans la « galère ».
La sollicitation de cette mobilisation collective dans des chantiers éducatifs
permet donc à des adolescents ou des jeunes adultes de reprendre confiance
en eux-mêmes en se rendant compte qu’ils sont capables non seulement
d’adopter et d’intégrer un cadre normatif, mais en intégrant la possibilité
de négocier leur place en faisant valoir leur participation ; première source
interne de reconnaissance. Effectivement, c’est parce qu’il devient possible
de mettre en évidence des compétences, une capacité à apprendre attestée
par tous les membres du groupe contribuant au projet, que l’action mise
en place entraîne des effets éducatifs et de restauration de l’image de soi.
De ce point de vue, les chantiers mis en place par les éducateurs s’apparentent
à de véritables « espaces de socialisation » qui favorisent une construction en
réduction des enjeux sociaux que les individus seront amenés à rencontrer
et qui leur permet de tester et de développer des compétences psychosociales
utiles pour l’avenir.
Bien souvent, la mise en place d’un chantier sert l’élaboration sur du long
terme d’une action désirée par plusieurs des jeunes concernés, sous la
responsabilité de l’adulte, acteur éducatif. En procédant à une rupture
avec le consumérisme où il suffit de demander pour obtenir, le pari est
alors fait d’une contribution – « je t’aide si tu t’engages » disent alors les
travailleurs sociaux – et de la mise en place d’une méthodologie de projet
au cours de laquelle on assiste à des répartitions de rôle entre les différentes
personnes concernées. Les unes vont à la recherche d’informations, les
autres se chargent de l’élaboration prévisionnelle du budget ou de la
structuration d’un programme permettant d’utiliser la somme ainsi gagnée
collectivement. C’est donc à la construction d’un travail d’équipe auquel
l’ensemble des protagonistes est convié, en demeurant responsable d’un
choix qui engage plusieurs individus sans être totalement dépendants d’une
quelconque autorité.
L’enjeu est alors celui de la conquête d’une liberté de choix à travers
la démonstration de sa capacité à avoir mis en œuvre une intervention
48
CHA
socialement utile d’une part, mais aussi reconnue par un environnement
donné. En ce sens, les adolescents et jeunes adultes impliqués dans ce type
de démarche finissent par sortir de l’anonymat quotidien dans lequel ils
sont immergés, mais aussi de l’image négative qui a fait leur réputation
sulfureuse sur le quartier, en faisant la démonstration publique d’une
C
capacité à réussir de grandes choses. C’est pourquoi la reconnaissance
sociale qui en découle permet le développement de la confiance à travers
de possibles nouvelles redéfinitions d’une identité en soi et pour soi, mais
aussi pour un environnement dans lequel l’individu est appelé à évoluer.
Le suivi socio-éducatif prend alors tout son sens. Loin de n’être qu’un chef
de chantier, le travailleur social aura su s’appuyer sur des outils de médiation
éducative, comme il en existe d’autres, pour, par une présence réelle auprès
d’adolescents et de jeunes adultes, donner de la crédibilité à sa parole. Et
l’on sait combien, lorsqu’elle est déconnectée d’un partage quotidien avec
les personnes, son impact et son pouvoir de conviction sont très faibles.
Il faut donc comprendre que l’intervention éducative étayée sur des chantiers
n’est pas une fin en soi. C’est parce que les uns et les autres ont pu se
rencontrer sur un terrain nouveau, en dépassant les rôles de dépendance
auquel le travail social peut parfois contribuer, que les chantiers éducatifs
sont des outils pertinents. Par le fait d’avoir partagé une histoire commune
avec des adolescents, les travailleurs sociaux instaurent progressivement
une relation dont la qualité s’accroît de manière sensible, notamment par
le fait qu’ils ne sont plus considérés comme des moralistes. En s’engageant
concrètement et pratiquement sur le terrain, en ayant « mouillé la chemise »,
et en permettant de découvrir des capacités et des compétences jusque-là
insoupçonnées, ils aident à grandir et deviennent des interlocuteurs et des
adultes à qui l’on peut se fier.
Dès lors, cette histoire partagée constitue le terreau naturel permettant
d’approfondir des relations avec les individus dans une réflexion sur un
parcours éducatif, d’accompagnement social, de soin ou d’insertion.
Au-delà des chantiers éducatifs, il existe des entreprises d’insertion. Pour ces
organisations, la citoyenneté et l’intégration ne peuvent être effectives que
par l’exercice d’un travail concret et mettant en lien avec un environnement.
Dans ce contexte, les personnes accompagnées doivent pouvoir finaliser un
parcours d’insertion socioprofessionnelle au long cours.
Percevant une rémunération de la part de l’État pour la mission sociale
qu’elles promeuvent, les entreprises d’insertion produisent des biens ou
des services dans le secteur concurrentiel marchand, tout en conservant

49
CHE
une finalité d’abord sociale. La formation des personnels encadrant à
la pédagogie et la mise en place de postes dédiés à l’accompagnement
social sont des appuis nécessaires à leur activité. Aussi, la pénalité de la
sous-qualification et de la sous-productivité des personnels, la nécessité d’un
C encadrement technique et pédagogique, et le turnover inhérent à la mission
génèrent une prise en charge forfaitaire par an et par poste d’insertion.
L’intervention des entreprises d’insertion se fonde donc sur des compétences
économiques et techniques réelles, ainsi que sur une capacité de gestion
financière pragmatique.
Leur action sur la socialisation, l’autonomie et l’employabilité s’accompagne
d’une inscription dans un ensemble de réseaux permettant d’appréhender
d’autres problématiques telles que la santé, le logement, les questions
administratives, etc.

Mots clés
adolescents, jeunes adultes, collectivité, travail, mobilisation, présence,
économie, engagement, histoire commune, entreprise d’insertion

Références bibliographiques
BERNOUX Philippe, AMBLARD Henri, HERREROS Gilles et LIVIAN Yves-
Frédéric, Les nouvelles approches sociologiques des organisations, Seuil,
2005
CROZIER Michel et FRIEDBERG Ehrard, L’acteur et le système, Seuil, 1992
DUBET François, La galère, jeunes en survie, Seuil, 1987
MAUCHAMP Nelly et LINHART Danièle, Le travail, Le Cavalier bleu, 2009
ROPERS Philippe et VERNEY Pierre, La prévention spécialisée, un projet
coopératif, Vuibert, 2008
VATIN François : Le travail et ses valeurs, Albin Michel, 2008
Ro.P

Chercheurs
Les chercheurs s’intéressent à des questions non résolues en utilisant une
démarche scientifique. La recherche désigne en sciences humaines des
travaux méthodologiquement menés par une ou plusieurs personnes dans
un domaine scientifique dans le but de découvrir des connaissances nouvelles
ainsi que les moyens de les vérifier.

50
CHE
Mais qu’en est-il des spécificités de la recherche en travail social et des
postures que cela induit sur les chercheurs ?
Selon le Centre européen de ressources pour la recherche en travail social,
les caractéristiques de la recherche en et sur le travail social dépendent C
du périmètre délimitant ce secteur professionnel et des sciences que l’on
convoque.
Ainsi, la recherche en travail social induit généralement :
➤ Une acception large de ce champ professionnel. En ce sens, il est
couramment entendu que le travail social vise à promouvoir le « bien-être
social » des individus, des groupes et des communautés, à faciliter la
cohésion sociale dans les périodes de changement et à aider et protéger
les membres les plus vulnérables de la communauté. Dans ce cadre, la
recherche apparaît donc comme essentielle pour son développement.
Une conception large du travail social suppose ainsi que le champ ne
se réduise pas au seul domaine de l’assistance sociale. Cette conception
englobe, par ailleurs, non seulement les institutions traditionnelles du
travail social mais également les groupes, associations, organisations de
professionnels, bénévoles et usagers, qui sont autant d’acteurs du champ
du travail social.
➤ Une conception ouverte de la recherche en travail social. Celle-ci
implique généralement que soient compris sous cette dénomination la
recherche en/sur/pour le travail social, ainsi que les travaux conduits
dans des cadres théoriques et par des chercheurs représentant différentes
disciplines : travail social (dans les pays où cette discipline existe), mais
également sociologie, psychologie, sciences de l’éducation, politique
sociale, pédagogie sociale, science politique, anthropologie, ethnologie,
droit... De même, les différentes approches de recherche doivent, de
ce point de vue, pouvoir trouver leur place : recherches quantitatives,
qualitatives, cliniques, recherches-actions, recherches évaluatives...
Un des problèmes majeurs rencontrés en France au sujet de la recherche
en travail social repose sur le fait que le travail social peine à être reconnu
comme une véritable discipline, comme une science du travail social. On
constate en effet dans ce domaine la suprématie de la sociologie. Pourtant,
la recherche en travail social doit être distinguée de la sociologie. D’un point
de vue épistémologique, la recherche en travail social, sous-tendue par un
souci d’action, s’expose résolument à cause des effets qu’elle génère dans le
secteur social, alors que la plupart des courants sociologiques dominants
en France ont tendance à se soucier relativement peu des implications
normatives déductibles de leurs propres résultats. Par ailleurs, de nombreux

51
CHE
débats témoignent d’une certaine rivalité entre la recherche menée au sein
des universités, souvent jugée plus noble, et celle menée dans les instituts
de formation de travailleurs sociaux, parfois dévaluée, même lorsque les
diplômes des formateurs font jeu égal avec ceux des universitaires.
C
D’un autre côté, signalons que la circulaire de la DGAS du 6 mars 2008 a
suscité une forte mobilisation du secteur social en matière de recherche et a
favorisé la reconnaissance de la recherche dans ce secteur, notamment en
encourageant les centres de formation à la création et au développement de
pôles ressources « recherche – travail social ». En ce sens, on peut constater
une avancée certaine dans ce domaine. On sent ainsi poindre la conception
d’un travail social non réductible à une technique et représentant une
véritable science humaine appliquée, érigée en discipline. En outre, la
création d’une chaire du travail social au Conservatoire national des arts
et métiers, à Paris, a permis une entrée bien distincte dans le monde
académique, même si on ne peut que déplorer parallèlement, au niveau de
cette chaire, l’absence de doctorat.
La recherche en travail social se donne à lire aujourd’hui à travers de
nombreuses revues (Forum, Le Sociographe, Empan, Vie sociale...), bien
souvent mues par un souci d’opérationnalité. Enfin, il faut noter que
la création du diplôme d’État d’ingénierie sociale (DEIS – niveau I)
implique le développement d’une production de connaissances endogènes
au travail social, tournées vers le développement. L’existence de ce diplôme
a pour effet d’asseoir davantage la légitimité de la recherche en travail
social et la reconnaissance de ses chercheurs, réunis, pour une part, au
sein d’associations telles que l’AIFRIS (Association internationale pour la
formation, la recherche et l’intervention sociale).

Mots clés
chercheur, recherche, travail social, science humaine appliquée, science
du travail social, reconnaissance

Références bibliographiques
ALBARELLO L., Devenir praticien-chercheur ; comment réconcilier la recherche
et la pratique sociale, De Boeck, 2004
DUCHAMP M., BOUQUET B., DROUARD H., La recherche en travail social,
Centurion, 1989

52
CON
MATUSZAK C., (BOUCHER Manuel coord), « La recherche dans les organismes
de la formation et de l’intervention sociales : enjeux et perspectives », in
Sociétés et jeunesses en difficulté, n◦ 7, 2009
RULLAC S., « Recherche en travail social : la voie malaisée de la reconnais- C
sance », in Actualités sociales hebdomadaires, n◦ 2625, 2009
Ministère du travail, des relations sociales et de la solidarité, Circulaire
n◦ DGAS/PSTS/4A/2008/86, « relative aux actions de qualification en
travail social financées au titre des priorités définies par les orientations
ministérielles pour les formations sociales 2007-2009, et notamment
au lancement d’appel à projets pour la création, le soutien et le
développement de pôles ressources « recherche-travail social-intervention
sociale-action sociale-formations », 6 mars 2008
Cr.P

Confiance
La « Confiance » est une référence très souvent utilisée dans l’action sociale
et médico-sociale. On parle de « relations de confiance avec l’usager » ou
de « confiance nécessaire pour travailler ensemble ». Les professionnels
doivent se faire confiance, avoir confiance les uns envers les autres et il faut
établir avec les usagers un climat de confiance. Il en est désormais jusqu’aux
relations hiérarchiques qui, elles aussi, doivent être empreintes de confiance.
Ce qui frappe justement, c’est le volume des références à la confiance et
la constance de cet appel, depuis la création du travail social. Ce qui est à
noter également, c’est l’inutilité de cet appel sans cesse réitéré puisqu’en
réalité, la confiance ne s’obtient pas en l’invoquant. Il est même possible de
considérer que la force de son existence est inversement proportionnelle
à son évocation. Si l’on convoque la confiance, c’est que ce sentiment fait
peut être défaut.
De fait, il est important de tenter une définition, car les multiples références à
la confiance ont ceci en commun de poser l’intention comme une injonction
morale. Il « faut » avoir confiance, c’est « bien » d’avoir confiance et donc
tout le monde s’en réclamant la vie continue sans que l’on se pose d’autres
questions. La confiance doit se définir d’abord en référence à son étymologie.
La racine latine du mot « fides », veut dire « foi » et « cum » veut dire « avec ».
« Confiance » signifie donc « avoir foi avec ». Dit autrement, avoir confiance,
c’est d’abord croire en l’autre. Le sens de la relation socio-éducative implique
que ce gage accordé à l’autre soit réciproque pour avancer vers la résolution
des difficultés. Les relations de confiance peuvent alors se définir comme des
croyances raisonnables en les capacités des uns et des autres et en l’utilité
53
CON
de leur brassage. En somme, les interdépendances entre les professionnels
et leurs usagers, fondées sur la croyance de capacités réciproques, créent le
climat de confiance en lieu et place des bons sentiments qui ne la produisent
jamais par injonction.
C
La confiance doit être attestée par les processus de travail de qualité. Ce ne
sera jamais le discours qui l’attestera. Des relations tendues, comportant une
dose importante de conflictualité, mais si elles sont centrées sur l’objet du
travail, le projet personnalisé notamment, sont infiniment plus porteuses
de confiance que des relations superficielles centrées sur les personnes et
n’invoquant la confiance que pour faire taire les différences. La définition
professionnelle de la confiance permet de comprendre que l’on puisse
travailler ensemble avec cohérence et qualité, mais pas forcément en plein
accord. La confiance se limite donc au périmètre de leurs actions et consiste
en la « foi en l’autre », à son utilité comme contributif des processus d’action
partagés.
Pour aller plus loin, si la confiance est consubstantielle à la relation
socio-éducative, sur quoi repose-t-elle ? La vérité ? Les travailleurs sociaux
véhiculent malgré eux la culture de l’aveu. La croyance répandue est
que le mensonge vient fragiliser la relation socio-éducative, parce qu’il
témoignerait de l’absence de confiance. Pourtant, le silence, l’omission,
voire le mensonge, peuvent constituer le début d’une rencontre, parce qu’ils
nécessitent que le professionnel accepte, au-delà des mots, la réalité que
souhaite lui transmettre l’usager. Bien sûr, le mensonge peut aussi cacher
une grande souffrance inavouable, qui pèse sur le bien-être et traduit une
confusion avec la réalité ou une peur, une culpabilité, etc. Mais quoi qu’il en
soit, le mensonge peut être la vérité de tout individu à un moment donné.
Refuser le mensonge, c’est parfois refuser la rencontre.
Pour permettre de dépasser cette question, finalement mal posée, il est
opportun de distinguer l’authenticité de la vérité. Si le travailleur social
cherche la relation authentique, il ne peut exiger la relation vraie, qui n’existe
pas d’ailleurs. En effet, personne ne se présente dans sa vérité, même à
lui-même. En revanche, l’authenticité représente un état d’objectivité avec
soi-même et les autres. Finalement, l’enjeu de la relation socio-éducative ne
concerne pas la question du mensonge à autrui : la confiance peut se
construire, y compris sur un mensonge, sous condition que l’usager ne se
mente pas à lui-même.
La capacité du travailleur social à favoriser l’établissement d’une confiance
avec l’usager, réside sur ses capacités à proposer des moments constitutifs
en la matière, comme le jeu, les activités collectives ou encore les sorties
54
CON
extérieures. À ce titre, le suivi socio-éducatif est un moyen où la vérité et le
mensonge peuvent être joués indifféremment. En revanche, l’indispensable
confiance ne peut se construire que sur les bases d’une relation authentique
où chacun joue sa propre subjectivité, dans le désir commun de suivre la
partition composée par le projet individualisé.
C

Mots clés
morale, équipe, discours, vérité, authenticité, subjectivité, compétences

Références bibliographiques
GABÉRAN Philippe, La relation éducative. Un outil professionnel pour un
projet humaniste, Érès, 2003
CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Érès, 1996
DRÉANO Guy, Guide de l’éducation spécialisée, Dunod, 2008
RULLAC Stéphane, SORIS Cécile, Conception et conduite du projet éducatif
spécialisé, Vuibert 2008
Pa.J
Ru.S

Conflictualisation
Du latin conflictus, choc, la dimension du conflit est fondamentale dans
l’ensemble des sciences humaines. En sociologie, le thème du conflit permet
en effet de penser les fondements de l’ordre social. Pierre Birnbaum rappelle
ainsi que le conflit évoque les antinomies classiques entre intégration et
rupture, consensus et dissensus, stabilité et changement social. C’est la
« sociologie compréhensive » de Max Weber qui donne toute sa mesure à
l’importance sociale du conflit. En analysant la société moderne à travers
le développement du processus de rationalisation, Weber construit l’idée
d’un « désenchantement du monde » où les individus seraient soumis à un
conflit irréductible de valeurs. Dans la conception wéberienne, les acteurs
entrent en conflit les uns avec les autres pour la conquête de ressources
diverses comme le pouvoir, la richesse, le prestige... Ainsi, le conflit est une
relation sociale essentielle qui n’est plus considérée comme pathologique et
naturellement extérieure à la société. Les hommes étant tous différents les
uns des autres et la diversité potentiellement source de conflits, il faut alors
considérer le conflit comme l’une des formes possibles des relations sociales.
À partir de Weber, la conception interactionniste du conflit se développe
donc mais c’est Georg Simmel, un autre sociologue allemand, qui construit
55
CON
véritablement la théorie sociologique du conflit en 1908. Pour Simmel, le
conflit est un processus de « sociation » qui permet de dépasser des blocages
sociaux ou psychologiques. Alors que les facteurs de dissociation (la haine,
l’envie, le besoin, le désir) sont des causes du conflit, celui-ci a la capacité de
C résoudre ces dualismes divergents. Ainsi, le conflit « constitue une manière
de reconstruire une certaine unité, même à travers la destruction complète
de l’une des parties du conflit ».
Dans les années 70, les théoriciens de l’action collective vont tirer partie des
travaux de Weber et de Simmel. En France, en affirmant que le conflit est
au centre des rapports sociaux, c’est le courant de la sociologie de l’action
incarné par Alain Touraine qui s’impose dans l’espace de la compréhension
du conflit et de ses enjeux dans le cadre du passage de la société industrielle
à la société post-industrielle. Travaillant initialement sur les conflits sociaux
entre le mouvement ouvrier et la classe dirigeante, Touraine montre que
les conflits entre deux adversaires antagonistes peuvent, certes, se limiter à
une logique instrumentale et à la recherche d’avantages économiques, mais
que les conflits les plus complets, c’est-à-dire producteurs de la société, sont
les plus éloignés de la seule stratégie. En effet, les conflits les plus profonds
débordent les seuls objectifs économiques et stratégiques. Un mouvement
social authentique est le produit de la lutte des classes, autrement dit, il est
le produit de « la capacité d’action collective des acteurs de classe pour le
contrôle le l’historicité ». En fait, constituant un cadre d’analyse au sein
d’une société industrielle en proie aux conflits du travail, Touraine parle
de conflit social comme d’un processus inéluctable pour construire une
société démocratique et intégrée. Ainsi, pour François Dubet, « une des idées
centrales de la sociologie des sociétés industrielles est celle de la participation
conflictuelle et, plus précisément, des vertus intégratives du conflit. Parce
que les conflits sociaux issus des inégalités sont négociés, ils engendrent un
mode de régulation politique qui rend plus ou moins compatible l’égalité
de principe des individus avec les inégalités fonctionnelles du capitalisme ».
Les conflits sociaux sont donc à la source d’un mouvement social et au-delà,
du système social et institutionnel et c’est lorsque les conflits ne peuvent
pas s’exprimer à travers une lutte entre des adversaires pour le « contrôle
de l’historicité » que se manifestent l’agressivité et la violence. Ainsi, les
phénomènes insurrectionnels tels que les émeutes urbaines ne peuvent pas
être entendus comme l’expression d’un conflit social mais plutôt comme
le résultat des tensions qui ne peuvent pas se transformer en conflit social.
Pour Touraine, le conflit s’oppose nettement à l’agressivité et à la violence.
La violence est donc l’échec du conflit. En effet, le conflit est potentiellement

56
CON
porteur du changement social alors que l’agressivité est une réponse à
une frustration difficilement surmontable. En ce sens, la conception du
conflit de Touraine est assez proche de celle de Simmel puisque le conflit
ne s’oppose pas à l’intégration et à l’ordre, bien au contraire. Touraine voit
dans la « conflictualisation » des rapports sociaux un moyen de construire
C
de la cohésion sociale et d’émanciper les individus.
Avec la fin de la société industrielle et le déclin de la conscience de classe
ouvrière, Touraine prend alors conscience que la société postindustrielle
n’est plus structurée par le conflit industriel et l’organisation du travail.
L’enjeu du conflit central est désormais directement relié à l’émergence
d’un mouvement social non plus porté par des mouvements fortement
constitués mais par des individus et des groupes disparates. Les luttes de
ces « nouveaux mouvements sociaux » en appellent à différentes identités
culturelles et sociales pour résister à de nouvelles formes de domination
technocratiques. Ceux-ci cherchent surtout à influencer l’organisation
de la vie sociale afin qu’elle réponde à leurs besoins propres mais aussi
qu’elle reconnaisse leur subjectivité. Par conséquent, le conflit favorise la
production d’un mouvement social qui au-delà du « retour de l’acteur », au
cours des années 80 et 90, est bientôt confondu avec le concept de « sujet ».
Dans la perspective d’Alain Touraine, être sujet doit être compris comme
la possibilité de se construire soi-même, de produire ses propres choix en
développant des dimensions de subjectivité en articulant plusieurs logiques
d’action dans un espace de conflit.
Dans la société contemporaine, pour éviter le déchaînement de la violence,
il faut donc constituer des « espaces de conflit ». En effet, contrairement à
beaucoup d’idées reçues, il ne faut pas confondre l’expression du conflit
avec celle de la violence puisque le conflit est une forme de socialisation.
Développer une logique de conflictualisation part alors du principe que
naturaliser les phénomènes de violence et leurs auteurs ne permet pas de
constituer un cadre d’analyse et d’action opératoire. Il est en effet plus
opportun de re-conflictualiser la violence pour l’inscrire dans un système de
relations sociales. Par conséquent, lutter contre la violence suppose d’édifier
un cadre de réflexion et d’intervention qui transforme la violence en conflit,
autrement dit, en négociation dans un espace de compromis organisé par
des règles de droit et de civilité. En effet, pour Michel Wieviorka, le conflit
n’oppose pas des ennemis mais des adversaires susceptibles de réguler leur
relation en l’institutionnalisant, en instaurant des règles de négociation, des
modalités relationnelles permettant de conjuguer le maintien d’un lien entre
acteurs en opposition. Jacques Sémelin indique ainsi que « la démocratie

57
CON
pourrait être définie comme un système politique organisant la gestion
non-violente des conflits entre citoyens ». La démarche de conflictualisation
a donc pour principal objectif de faire reculer les phénomènes de violence
qui sont bien souvent le résultat de la faiblesse du conflit et de processus de
C non-reconnaissance de l’Autre. Lutter contre les violences nécessite donc
que les conflits s’expriment dans des espaces de régulation et de négociation
où tous les acteurs impliqués dans des rapports conflictuels puissent se
construire comme sujet.

Mots clés
conflit, violence, régulation, action collective, sujet

Références bibliographiques
BIRNBAUM, P.,« Conflits » in BOUDON, R (dir)., Traité de sociologie, PUF,
1992
BOUCHER, M., Repolitiser l’insécurité, L’Harmattan, 2004
BOUCHER, M., Turbulences. Comprendre les désordres urbains et leur
régulation, Téraèdre, 2010
COSER, L.-A., Les fonctions du conflit social, PUF, 1982
DAHRENDORF, R., Classes et conflits de classes dans la société industrielle, éd.
Mouton, 1972
DUBET, F., WIEVIORKA, M (dir)., Le retour du sujet. Autour d’Alain Touraine,
Fayard, 1995
DUBET, F., Les inégalités multipliées, éd. de l’Aube, 2000
FREUND, J., Sociologie du conflit, PUF, 1983
HONNETH, A., La lutte pour la reconnaissance, éd. du Cerf, 2000
SÉMELIN, J., « La force de la non-violence » in Cosmopolitiques, n◦ 2, éd. de
l’Aube, 2002
SIMMEL, G., Le conflit, éd. Circé, 1995
TOURAINE, A., Sociologie de l’action, Seuil, 1965
TOURAINE, A., La conscience ouvrière, Seuil, 1966
TOURAINE, A, Le retour de l’acteur, Fayard, 1984
TOURAINE, A., WIEVIORKA, M., DUBET, F., Le mouvement ouvrier, Fayard,
1984
TOURAINE, A., Un nouveau paradigme. Pour comprendre le monde d’aujour-
d’hui, Fayard, 2005
58
CON
WEBER, M, Le savant et le politique, Plon, 1963
WEBER, M., Économie et société, Tome 1, Plon, 1971
WIEVIORKA, M., « Le conflit contre la violence » in Cosmopolitiques, n◦ 2,
éd. de l’Aube, 2002 C
WIEVIORKA, M., La violence, Balland, 2004
Bo.M

Contenir
L’activité principale qui vient le plus souvent à l’esprit quand il s’agit de
définir le travail éducatif est souvent représentée par l’« accompagnement ».
Pour autant, il serait réducteur de limiter ce travail à cette dimension. En
effet, il en existe d’autres et le fait de chercher à « contenir » dans le quotidien
fait partie de celles-ci. La relation éducative renvoie à l’acte de contenir
selon deux significations distinctes.
Dans un premier lieu, il s’agit d’assurer la continuité des actions, de la
relation établie avec les bénéficiaires. Cette continuité d’action est en effet
nécessaire pour renforcer le sentiment continu d’exister, à la base de toute
relation sociale. Il s’agit de contenir dans le sens de fournir une contenance,
de garantir un contenu, de ne pas perdre le fil des relations amorcées.
« Contenir » a alors ici à voir avec « tenir » ensemble, dans un travail engagé
conjointement. Bien entendu, du fait de la dissymétrie des places à la base
du travail socio-éducatif, la responsabilité de cette capacité à contenir échoie
en premier lieu à l’éducateur, dans le cadre de son institution.
Dans un second lieu, contenir renvoie à l’action de donner des limites, des
repères, à protéger, à éviter la fuite et la déperdition. Il peut parfois selon les
publics s’agir également de contention. Il appartient en effet à l’éducateur
de protéger : protéger contre les autres les enfants ou les personnes qui
lui sont confiés, mais également les protéger d’elles mêmes, quand elles se
mettent en danger. Il s’agit parfois physiquement de contention quand il
est nécessaire d’empêcher une personne de s’automutiler, de se blesser ou
de blesser quelqu’un d’autre. Cette action de contenir prend ici le caractère
d’un engagement global, psychologique, mais aussi physique, y compris
dans le corps à corps. Il n’y a nul doute que cette responsabilité de contenir,
selon ce sens précis, est de celle qui engage le plus fortement le travail social
tant sur un plan physique, qu’émotionnel.

Mots clés
contenance, contention, relation, durée
59
CRI
Références bibliographiques
CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Érès, 1996
DRÉANO Guy, Guide de l’éducation spécialisée, Dunod, 2008
C ROUZEL Joseph, Le travail d’éducateur spécialisé, Dunod, 2004
Ot.L

Crise
Une crise est une rupture soudaine en matière de rythme qui modifie
la stabilité de l’état antérieur qui prévalait jusqu’alors. L’aggravation ou
l’amélioration brusque d’une situation représente donc une crise. En ce
sens, une mort, une naissance, un divorce, un mariage, un malheur ou un
bonheur qui surviennent soudainement, sont indifféremment des crises. Il
n’y a par conséquent aucune valeur négative ou positive a priori associée à
une crise.
Le travail social intervient fondamentalement pour influencer l’existence
de ceux qui en ont besoin. Il est peu probable que ce changement se réalise
de lui-même, ni même facilement, à la demande d’un professionnel ; sinon
pourquoi nécessiter une intervention extérieure spécialisée ? Dans cette
perspective, la crise en travail social doit être perçue comme un indicateur
de changement imminent, dans un processus éminemment résolutoire,
s’il est mené à son terme. Le travailleur social provoque, accompagne et
participe à résoudre la crise, en cheminant toujours difficilement au côté
de l’usager.
L’adolescence illustre cette vertu. Pour quitter sa peau d’enfant au profit de
celle de l’adulte, l’adolescent mute à la faveur de ce que nous considérons
comme une crise. Dans une société qui cherche la sécurité et la linéarité, ce
passage est redouté, voire condamné et pathologisé. Ce passage est pourtant
source d’évolution, de renforcement, de maturité et de vie. Il est ainsi
tellement tentant de s’y soustraire en éliminant les symptômes de la crise,
par l’intermédiaire de médicament ou d’enfermement, par exemple. Dans
le même type de mouvement, la tentation est de tout faire pour retrouver
l’état antérieur de la crise, qui est vue comme une perturbation de ce qui
doit être. Dans les deux cas, le travailleur social tourne le dos à sa propre
fonction et condamne l’usager à ne pas changer.
Difficile à vivre, la crise nécessite un traitement en équipe pluridisciplinaire.
Elle éprouve la cohésion entre les professionnels qui doivent se soutenir
mutuellement, pour donner un sens à supporter l’insupportable, au nom
de l’intérêt des usagers. Les différentes réunions sont autant d’outils pour

60
CRI
cheminer vers la résolution qui passe toujours par la relation et l’écoute. Le
pire est alors d’interpréter la crise comme un échec de l’accompagnement,
à porter au discrédit du travail social référent. Dans ce contexte, la mission
sociale devient tout à fait impossible.
C
En revanche, la crise n’est pas à confondre avec l’urgence, qui est un type
rare de crise, nécessitant une réponse immédiate, parce qu’elle implique un
risque en matière de sécurité plus ou moins vitale. Si l’urgence médicale,
psychologique, réglementaire ou juridique, engendre une réponse en
procédure, la crise nécessite un traitement en processus. Dans le premier cas,
la réaction est immédiate et préétablie, dans le second, elle doit être élaborée
chemin faisant dans le cadre du projet social. Ainsi considérée, la crise est
consubstantielle à l’accompagnement du travail social. Le travailleur social
est finalement un professionnel non pas de la gestion de la crise mais de son
accompagnement existentiel, dans le cadre d’une relation de proximité et
de confiance.

Mots clés
changement, résolution, évolution, urgence

Références bibliographiques
GABÉRAN Philippe, La relation éducative, Érès, 2004
POUGNAUD Odile, ROPERS Philippe et SORIS Cécile, Accompagnement social
et éducatif spécialisé, Vuibert, 2009
ROUZEL Joseph, Le travail d’éducateur spécialisé. Ethique et pratique, Dunod,
2004
ROUZEL Joseph, Le transfert dans la relation éducative : Psychanalyse et travail
social, Dunod, 2005
ROUZEL Joseph, La supervision d’équipes en travail social, Dunod, 2007
RULLAC Stéphane, SORIS Cécile, Conception et conduite du projet éducatif
spécialisé, Vuibert 2008
Ru.S

61
D
Décrocheurs
D

Apparu depuis une vingtaine d’années dans la littérature professionnelle, ce


terme est également de plus en plus utilisé par les médias et le grand public.
Il recouvre au moins trois acceptions :
➤ À l’origine, en France, le terme de « décrocheurs » désigne les publics
encore soumis à l’obligation scolaire qui arrêtent leur scolarité en cours de
cursus. Ces ruptures de scolarité sont manifestes, elles peuvent toutefois
s’avérer réversibles. En France, la prévention de ces déscolarisations
précoces commence à être prise en compte dans la lignée de la Loi
d’orientation sur l’Éducation de 1989. C’est à partir de cette date que les
premières commissions départementales de lutte contre l’absentéisme,
la « Mission générale d’insertion » de l’Éducation Nationale, les « classes
relais » ou encore les « écoles de la seconde chance » ont été créées.
➤ Par extension, le même terme est parfois employé pour désigner les
publics susceptibles d’être concernés par ces ruptures scolaires. Pour être
plus précis, il conviendrait alors d’utiliser les termes de « décrocheurs
potentiels » ou de « jeunes en risque de décrochage ». La question du
repérage précoce de ces enfants et adolescents se pose de plus en plus
fortement. Ainsi, des instances de veille et de suivi ont été créées au
sein des établissements scolaires, dans les centres d’action sociale ou
encore au sein des programmes de réussite éducative. Les professionnels
(enseignants, personnels éducatifs, intervenants socioculturels...) y
échangent des informations préoccupantes au sujet de tel ou tel élève,
envisagent la mise en place des modalités pédagogiques adaptées, font
le point sur des accompagnements éducatifs individualisés, proposent
des orientations thérapeutiques...
➤ Enfin, le terme de décrocheurs est de plus en plus utilisé pour désigner
l’ensemble des individus relatifs à une classe d’âge qui n’ont pas acquis

63
DÉC
de qualification ou de diplôme à la fin du cycle de formation initiale et
ce, quelle qu’en soit la raison. À ce titre, en 2004, on évaluait en France, à
117 000 les sorties du système scolaire sans diplôme du second cycle soit
17 % d’une classe d’âge. Face à cette question de la non-diplomation, les
interventions publiques — particulièrement actives dans les pays anglo-
D saxons et au Québec — mixent généralement des mesures structurelles,
des programmes collectifs et des accompagnements individualisés :
campagnes médiatiques appelant les membres des communautés locales
à favoriser la persévérance scolaire, politiques d’orientation actives
et diversifiées en direction des adolescents et des jeunes adultes,
programmes psychosociaux visant les motivations et l’estime de soi
des enfants, dépistage précoce et généralisé des décrocheurs potentiels
à partir de tests et de questionnaires multidimensionnels, évaluation
des actions de soutien scolaire, renforcement des capacités éducatives
parentales...
La problématique du décrochage concerne en premier lieu les acteurs de
l’Éducation nationale et en particulier ceux qui ont en charge l’enseignement
adapté (personnel des ZEP, RASED, SEGPA, CLIS...). Toutefois, elle déborde
très largement la seule question scolaire et son analyse renvoie à de nombreux
facteurs psychologiques et familiaux. Elle nécessite de faire le lien avec toute
une série de préoccupations telles que la moindre réussite scolaire des
enfants pauvres, les accidents biographiques et la prise en considération des
jeunes en errance, la reconnaissance des questions d’ethnicité ou encore le
développement des profils instables et hyperactifs, les difficultés de santé
mentale et la question du suicide des jeunes...
De plus en plus, cette thématique concerne donc le travail social. Elle s’avère
centrale dans l’activité du service social en faveur des élèves (Éducation
nationale). Elle mobilise aussi les services de protection de l’enfance
(Conseils généraux) et l’ensemble des intervenants socio-éducatifs (CAF,
CMPP, AEMO, Éducation populaire...)
Récemment, au plan national, cette attention pour les décrocheurs a fait
l’objet de nombreuses initiatives. Citons à titre d’exemples :
➤ Au sein de l’Éducation nationale, la mise en œuvre depuis la rentrée
2007, des parcours personnalisés de réussite éducative (PPRE), complétée
depuis 2008 par le développement de l’accompagnement à la scolarité.
La circulaire du MEN en date du 18 décembre 2008 concerne d’ailleurs
spécifiquement la lutte contre le décrochage scolaire.
➤ L’organisation dans plus de 500 villes françaises concernées par le
Plan de cohésion sociale (2005-2009), de programmes de réussite

64
DÉC
éducative (PRE) visant à soutenir les enfants et adolescents fragiles, à
partir d’actions organisées essentiellement hors temps scolaire : activités
sportives, culturelles, sociales, sanitaires... En 2008, 72 000 situations
d’enfants ont été examinées par les 1 200 équipes dans lesquelles
les travailleurs sociaux occupent une place importante. Parmi ces
72 000 enfants repérés, 55 000 ont bénéficié d’un accompagnement D
personnalisé.
➤ La mise en avant de la réduction des sorties prématurées du système de
formation initiale, comme un des objectifs majeurs du Plan d’urgence
en faveur des jeunes et des différents appels à projets, lancés depuis le
printemps 2009 sous l’égide de Martin Hirsch, Haut Commissaire à la
jeunesse.
Le travail social se trouve questionné et sollicité par les dispositifs concernant
les décrocheurs. La réactivité des intervenants, la transversalité des prises en
charge, la construction d’interventions « sur-mesure » et l’évaluation des
résultats des actions menées font partie des principes qui doivent orienter
cette mobilisation attendue des praticiens du social. À travers le repérage,
l’entrée en relation et le soutien apporté aux décrocheurs, les travailleurs
sociaux sont appelés à décloisonner leurs interventions et à optimiser leurs
collaborations avec les acteurs du monde scolaire, de la santé ou encore
ceux qui travaillent dans les structures socio-culturelles. Cependant, il
importe d’éviter que l’aide aux décrocheurs ne soit envisagée que sur un
plan pédagogique ou psychopathologique, évitant ainsi de faire l’analyse des
conditions socio-économiques et culturelles dans lesquelles se retrouve une
partie de la population concernée. Enfin, les principes déontologiques du
travail social — autodétermination et promotion des personnes, respect de
l’intimité des familles, confidentialité... — ne sauraient ici être oubliés. Aussi,
il convient de refuser tout amalgame hâtif entre décrocheurs et délinquants,
afin d’éviter que l’attention aux décrocheurs ne se transforme en contrôle
social.

Mots clés
Éducation Nationale, échec scolaire, réussite éducative, qualification

Références bibliographiques
Agence nationale de la cohésion sociale et de l’égalité des chances (ACSé),
Synthèse du bilan de la mise en œuvre du programme de réussite éducative,
juillet 2008
65
DÉL
GLASMAN Dominique, OEUVRARD Françoise, La déscolarisation, La Dispute,
2004
BOUTEREAU-TICHET Sylvie, JOURDAIN-MENNINGER Danièle et LANNE-
LONGUE Christophe, Le travail social auprès des jeunes en difficulté dans
leur environnement, IGAS, 2005
D Comité Emploi Revenus Cohésion sociale (C.E.R.C.), Les enfants pauvres
en France, Rapport N◦ 4, La Documentation française, 2004
Comité Emploi Revenus Cohésion sociale (C.E.R.C.), L’insertion des jeunes
sans diplôme, Rapport N◦ 9, La Documentation française, 2008
Institut National de la Recherche Pédagogique, « Sortie sans diplôme et
inadéquation scolaire », in La lettre d’information de la veille scientifique
et technologique, N◦ 28, juin 2007
Inspection académique de Seine-Saint-Denis, Lutter contre la déscolarisation,
Étude et analyse de parcours de lycéens décrocheurs en Seine-Saint-Denis,
Rapport 2004-2006, 2006
JOLY Sandra, Ruptures scolaires chez les jeunes - Synthèse des recherches sur le
sujet, Pôle de ressources ville et développement, Val-d’Oise, 2005
MÉNARD Jacques, Savoir pour pouvoir : entreprendre un chantier pour la
persévérance scolaire, Rapport du Groupe d’action sur la persévérance
scolaire au Québec, 2009
RAYNAL Marie, « La notion de Réussite », in Diversité – Ville Ecole Intégration,
N◦ 152, mars 2008
Rou.M

Délinquants
Dans le langage commun, la délinquance est généralement conçue comme
tout ce qui trouble la tranquillité publique et la morale. Au sens juridique,
la délinquance est l’ensemble des infractions constituées par le droit. En
pratique, ces infractions sont plus ou moins détectées et plus ou moins
poursuivies. Une approche scientifique de la délinquance comporte ainsi
trois dimensions : l’étude du droit, l’étude des transgressions et l’étude de
la réponse sociale/pénale.
1. L’élément juridique est la condition non suffisante mais néanmoins
nécessaire pour constituer une délinquance (faute de quoi, s’agissant
de comportements non pénalement poursuivables mais enfreignant
certaines normes sociales, le terme approprié est celui de déviance).
Derrière ce constat s’ouvre un champ de recherches historiques et
sociologiques : celui des processus aboutissant à la création et aux
66
DÉL
modifications du droit pénal. Ce dernier ne cesse en effet d’évoluer.
Chaque année, le Parlement modifie des dizaines de dispositions pénales,
au terme de processus plus ou moins idéologico-politiques. Certaines
infractions disparaissent, le plus souvent de nouvelles infractions sont
créées, dans tous les domaines. Depuis le début des années 1990, le
processus de criminalisation s’est surtout concentré sur la délinquance D
juvénile (en général, mais aussi sur les violences en milieu scolaire et
la question des « bandes » en particulier) et sur la criminalité sexuelle.
Il concerne aussi la délinquance routière, les violences conjugales, le
trafic de drogues, beaucoup moins les délinquances économiques et
financières et les atteintes à l’environnement. Point intéressant : ces
mouvements incessants du droit pénal agissent presque mécaniquement
sur l’enregistrement de l’activité des services de police et de gendarmerie.
Or ces statistiques de police sont régulièrement convoquées pour justifier
les politiques publiques, au prix de naïvetés et d’instrumentalisations
politiques souvent fallacieuses. L’élargissement de la délinquance définie
par le droit entraîne une augmentation de l’activité du système pénal
qui ne présume en rien des éventuelles évolutions survenant dans les
comportements de la population.
2. Pour constituer un acte de délinquance, il faut ensuite que la norme
pénale soit transgressée. Ce champ d’études est le plus ancien, les sciences
humaines naissantes s’étant essentiellement affrontées au XIXe siècle sur la
question des causes du comportement criminel. Après une longue période
dominée par des approches bio-médicales réductrices, qui reposaient
sur une naturalisation de l’opposition entre les « honnêtes gens » et
les criminels, la sociologie et la psychologie ont pu proposer d’autres
analyses restituant les contextes familiaux, sociaux, économiques et
politiques qui sous-tendent la plupart des comportements transgressifs.
Toutefois la diversité des transgressions ruine les prétentions théoriques
généralement trop ambitieuses. En réalité, il ne saurait y avoir « une
théorie du crime » parce que l’on ne peut pas expliquer de la même
façon le vol d’un scooter, l’incendie d’un véhicule, l’agression sexuelle
d’un enfant, la conduite d’un véhicule sans permis, la fraude fiscale,
l’escroquerie à la carte bancaire, la violence conjugale, la pollution
des océans, l’abus de bien social, la « bavure » policière ou encore le
harcèlement sexuel au travail. Les auteurs, les victimes, les contextes
sont différents. Par ailleurs, nous ne connaissons pas nécessairement
bien ces comportements. Certains sont très visibles, se déroulant dans
l’espace public, d’autres cachés dans l’intimité des familles ou dans le

67
DÉL
secret de pratiques professionnelles. Les enquêtes de victimation et de
délinquance auto-reportée permettent de ne pas être limité aux seules
statistiques de police et de justice. Mais elles sont loin de recenser la
totalité des comportements délinquants.
3. Comment la société traite t-elle les délinquances constatées ? Les sciences
D sociales apportent de nombreux éléments de réponse en étudiant de plus
en plus les pratiques policières et judiciaires et les injonctions politiques
qui pèsent sur ces pratiques. Cela étant, les policiers et les juges ne sont
pas les seuls acteurs concernés : le fisc est doté de ses propres agents
répressifs, le chef d’établissement scolaire peut réunir une instance de
jugement prononçant une sanction scolaire. De plus, les agents de l’État
n’ont plus non plus ce monopole. L’attention doit aussi se porter vers
la périphérie du système pénal, notamment vers les modes de contrôle
développés de plus en plus par le secteur privé, de leur propre initiative
ou bien par délégation de l’État (la sécurité des grands magasins ou des
manifestations sportives, le contrôle des flux de voyageurs, etc.).

Mots clés
délinquance, insécurité, société, transgression, jeunesse, police, justice

Références bibliographiques
FAGET J., Sociologie de la délinquance et de la justice pénale, Érès, 2e édition,
2009
LE GOAZIOU V., MUCCHIELLI L., La violence des jeunes en question, Champ
social éditions, 2009
MUCCHIELLI L., ROBERT Ph., dir., Crime et sécurité : l’état des savoirs, La
Découverte, 2002
ROBERT Ph., Les théories sociologiques du crime, La Découverte, 2005
www.cesdip.fr
www.criminocorpus.org
www.laurent-mucchielli.org
Mu.L

Délinquants juvéniles
De tous les facteurs concourant à favoriser la « carrière délinquante » d’un
jeune, l’école est le plus important. Le constat est ancien et commun à tous
les pays occidentaux où existe une tradition de recherche sur ces questions.
68
DÉL
Mais encore faut-il s’entendre sur une définition de la délinquance juvénile.
Les enquêtes de délinquance auto-déclarée (réalisées sur des échantillons
d’adolescents scolarisés) indiquent que certaines transgressions sont très
répandues à l’adolescence et ne distinguent guère les milieux sociaux.
Ainsi, dans une des premières enquêtes de ce type, réalisée en 1999 dans
les agglomérations de Grenoble et de Saint-Étienne, les trois quarts des D
jeunes âgés de 11 à 19 ans déclaraient avoir déjà fraudé dans les transports
en commun au cours des deux années précédentes, un tiers avoir déjà
acheté un objet volé, un quart avoir déjà volé dans un grand magasin, un
cinquième avoir déjà commis des dégradations dans des espaces publics
et un sixième avoir déjà participé à une bagarre (Roché, 2001). D’autres
enquêtes livrent des résultats comparables, avec des proportions supérieures
pour les bagarres. Par ailleurs, les enquêtes réalisées par l’Office Français
des Drogues et Toxicomanies (OFDT) indiquent que la consommation
« récréative » de cannabis est également très répandue chez les jeunes,
surtout chez les garçons (à 18 ans, un jeune sur deux l’a déjà expérimenté),
ce qui constitue en droit français une délinquance.
Entendue dans le sens large de toute transgression d’une norme pénale, la
délinquance est ainsi très répandue à un âge (l’adolescence) marqué par
des transformations biopsychologiques et par des changements dans les
facteurs de socialisation : le rôle des adultes reculant au profit de celui des
pairs. Le genre et le milieu social n’ont qu’un poids relatif, en particulier
dans la phase « initiatique » des premières transgressions. La donne change
en revanche dès lors qu’on ne s’intéresse plus à l’ensemble de celles et
ceux qui ont commis à l’occasion tel ou tel délit, mais au nombre plus
restreint de celles et surtout ceux dont les pratiques transgressives sont à
la fois plus régulières et plus graves, qui sont aussi ceux qui occuperont
tôt ou tard les institutions de contrôle (policiers, magistrats, éducateurs)
et feront une « carrière » plus ou moins longue dans la délinquance. La
délinquance juvénile présente alors un autre visage, essentiellement masculin
et populaire, et l’échec ou la marginalisation scolaires apparaissent comme
des facteurs cruciaux, dont le poids s’est même renforcé depuis un quart
de siècle, dans le double contexte de massification scolaire et de chômage
de masse. La dernière étude publiée sur le sujet, constate ainsi que, « dans
un contexte où l’intégration scolaire n’est plus une des voies d’insertion
sociale pour les nouvelles générations mais pratiquement la seule », « la
délinquance se donne d’abord pour l’expression d’un échec ou l’envers
d’un accomplissement à l’école » (Lagrange, 2007). Elle souligne aussi que
cette situation touche particulièrement les enfants de milieux populaires

69
DÉL
issus des dernières vagues d’immigration. Ces remarques abondent dans le
sens des travaux qui montrent les effets négatifs des différentes formes de
ségrégation dans l’organisation du fonctionnement de l’école : ségrégation
territoriale par le regroupement d’enfants par zones socio-résidentielles ;
ségrégation entre les bonnes et les mauvaises filières, entre les enseignants
D les plus jeunes et les plus expérimentés ; enfin, ségrégation entre les bonnes
et les mauvaises classes au sein même des établissements. Pour comprendre
les ressorts de ces processus psychosociaux, on distinguera la question de
l’inscription sociale des pratiques délinquantes et celle de la construction
identitaire du rôle de délinquant.
Les jeunes qui font carrière dans la délinquance sont surtout des enfants
des quartiers d’habitat social, des fils des familles nombreuses (voire
très nombreuses) les moins armées scolairement et les plus précaires
économiquement, ainsi que des membres des intenses sociabilités juvéniles
et masculines des milieux populaires. Ils sont ainsi les segments d’une
classe située au plus bas de l’échelle sociale et dont, en France, la relégation
s’inscrit également souvent dans l’espace, à la périphérie des villes ou des
centres des agglomérations. En ce sens, on peut parler d’une inscription
socio-économico-spatiale de certaines délinquances juvéniles, en particulier
les vols sur les particuliers (le plus souvent sur d’autres jeunes) et les recels
qui y sont liés, les vols de voitures et de deux roues, le trafic de cannabis,
les diverses violences que ces prédations et ce trafic peuvent engendrer, et
enfin les violences que peuvent engendrer les relations entre ces jeunes et
les policiers dans le cadre quotidien des contrôles d’identité.
C’est d’abord en famille que cette inscription sociale se marque, sans doute
dès l’âge auquel les enfants en prennent conscience à travers la faiblesse
des moyens financiers, qui détermine un certain mode de vie familial :
la possibilité d’avoir des jouets et des vêtements à la mode, de sortir au
restaurant ou au cinéma, de partir en vacances. Dans un monde où les
modèles de consommation n’ont jamais été aussi pesants et ciblés sur
la jeunesse, il est probable que les premières frustrations et les premiers
sentiments d’injustice trouvent leur source dans la précarité économique des
familles. Ceci peut ensuite être aggravé de deux manières. Par la dépendance
de la famille envers les services sociaux : à la frustration et au sentiment
d’injustice peut alors s’ajouter une expérience d’humiliation. Et par la
conflictualité des relations familiales, dont les recherches montrent que la
précarité économique est un facteur aggravant.
C’est ensuite à l’école que cette inscription sociale se marque, de façon
décisive pour beaucoup d’enfants. C’est là, en effet, que se joue pour la

70
DÉL
première fois leur destin personnel et qu’ils en prennent progressivement
conscience. La famille joue de nouveau un rôle discriminant, dans ses
capacités ou incapacités à soutenir le travail scolaire et, de manière générale,
l’implication scolaire des enfants. Illettrés, harassés par le travail et la gestion
d’une famille nombreuse, certains parents ne sont pas en mesure de jouer ce
rôle. Leurs handicaps objectifs face à la culture scolaire se feront sentir dès les D
apprentissages fondamentaux (lecture, écriture, calcul). L’école protègera
bon an mal an les enfants durant le Primaire, lors même que les hiérarchies
apparaîtront peu à peu au sein des groupes d’élèves et que, pour simplifier,
le futur perturbateur fera progressivement l’apprentissage de sa place de
cancre symbolisée par ses mauvaises notes, par sa relégation spatiale au fond
de la classe et par les commentaires parfois humiliants d’autres camarades
et de certains enseignants. Mais les recherches convergent pour constater
que cette protection relative vole en éclats au collège où les situations
problématiques surgissent très rapidement et mobilisent fortement – mais
trop tardivement – le système éducatif. La thèse de Mohammed analyse en
détail ce qui se joue à ce moment charnière, tant dans l’école que dans les
familles de ces jeunes en échec.
Ces familles qui s’appuyaient sur une relation personnelle et orale avec
l’instituteur sont démunies face à une nouvelle pluralité d’acteurs de la vie
scolaire. En perte de communication avec l’école, les parents perdent du
même coup une partie de leurs capacités de contrôle. Faute de ressources
économiques, de relations sociales et de connaissance institutionnelle, ils
seront également démunis pour trouver des solutions alternatives en cas
de grave problème. Pendant ce temps, les enfants devenus préadolescents,
regroupés par centaines dans des établissements que régulent trop peu
d’adultes, intègrent un âge de la vie où les modèles comportementaux
que fournissent les pairs sont de plus en plus attirants et déterminants.
Dans les quartiers populaires, il n’en faut pas beaucoup plus pour qu’une
partie d’entre eux, généralement les moins armés scolairement – donc les
plus déprimés socialement –, bascule dans la déviance et les normes de
la « culture de rue » où ils trouvent a contrario de puissants moyens de
revalorisation à court terme.
Cette « culture de rue » est une caractéristique ancienne des quartiers
populaires. À l’adolescence, en particulier dans les petits groupes masculins,
dans la tension et le regard permanents entre les « grands » et les « petits »
du quartier, au moment où l’avenir social s’assombrit à travers la relégation
scolaire, cette « culture de rue » basée sur la réputation, l’honneur, le
courage, la virilité et la performance, permet à une partie des adolescents

71
DÉL
de retrouver une forte estime de soi à travers la réputation et le « respect »
qu’ils peuvent acquérir en quelques coups d’éclat. La déviance par rapport
aux normes scolaires est l’un des terrains de ces « exploits ». Selon
les ressources familiales, l’épaisseur du bagage scolaire déjà engrangé,
l’efficacité de la réaction institutionnelle, le hasard des rencontres et des
D moments déterminants ainsi que les premières expériences du monde
professionnel (stages, apprentissages), un partage s’opérera enfin entre ceux
qui parviendront néanmoins à « rester dans le système » et ceux qui en
rationaliseront leur sortie, basculant durablement dans le style de vie et
l’identité délinquants.
La construction de l’identité délinquante est un processus psychosocial qui
passe par la rationalisation de l’opposition à un modèle jugé inaccessible et
vise une revalorisation identitaire du sujet. Les travaux d’Howard Becker
ainsi que ceux, méconnus, d’Alexandre Vexliard, ont analysé les phases de
ce processus de conversion identitaire dans la déviance. On ne devient pas
délinquant en se plaignant ou en s’excusant de l’être, en courbant l’échine
ou en baissant la tête. Il s’agit, au contraire, de sortir de l’anxiété, de la honte
et de la dépression en affirmant et en affichant un contre-modèle et une
contre-identité, en valorisant l’aspect hédoniste du style de vie délinquant.
Ce processus n’est pas linéaire et il peut être stoppé dans ses premières étapes.
Si l’échec scolaire et l’absence de perspective d’insertion économique sont le
premier grand facteur prédisposant, ils peuvent être surmontés par exemple
grâce à des ressources familiales, à une rencontre avec un éducateur ou à une
seconde chance offerte par un déménagement et un accueil bienveillant dans
un autre lieu. Comme ils peuvent aussi ne pas l’être et donner au sujet le
sentiment d’être rédhibitoires, a fortiori lorsque la pression des pairs s’exerce
en ce sens. L’attrait parfois précoce pour les transgressions rémunératrices
s’inscrit dans cette logique de basculement, lorsque la revente de cannabis
représente à moyen terme l’alternative la plus crédible. Le « bizness » qui
déborde parfois à l’intérieur des établissements scolaires, répond ainsi à un
ensemble de besoin matériel et symbolique immédiat. En substance, à peu
près ceci : « On n’a pas notre place dans ce système, alors on se débrouille
en dehors du système en se faisant notre petit business ». Certaines théories
sont tentées d’y voir un calcul économique mûrement réfléchi et/ou une
absence de moralité, ce qui constitue une erreur. L’identité délinquante
est une identité par défaut, une rationalisation de sa déviance, une vie au
jour le jour que l’on veut d’autant plus intense que l’on est incapable de se
projeter dans l’avenir. Au demeurant, si quelques gros délinquants peuvent
gagner beaucoup d’argent tant qu’ils ne sont pas arrêtés, la théorie des

72
DÉL
« nouvelles mafias » contrôlant toute la vie de quartiers est un mythe. La
masse des petits dealers de quartier, par exemple, est plutôt dans une survie
au quotidien ou à la semaine. Reste que, dans ce court terme, malgré le
risque de l’interpellation et du séjour en prison, ces jeunes ont le sentiment
d’exister et de pouvoir participer à la société de consommation.
D
Mots clés
insécurité, jeunesse, délits, incivilités, justice

Références bibliographiques
DUPREZ D., KOKOREFF M., Le monde des drogues. Usages et trafics dans les
milieux populaires, Odile Jacob, 2000
LAGRANGE H., « Déviance et réussite scolaire à l’adolescence », in Recherches
et prévisions, 88, 53-70, 2007
LE GOAZIOU V., MUCCHIELLI L., La violence des jeunes en question, Champ
social éditions, 2009
LEPOUTRE D., Cœur de banlieue. Codes, rites et langages, Odile Jacob, 1997
MAUGER G., La sociologie de la délinquance juvénile, La Découverte,
« Repères », 2009
MILLET D., THIN M., Ruptures scolaires. L’école à l’épreuve de la question
sociale, Presses Universitaires de France, 2005
MOHAMMED M., La place des familles dans la formation des bandes de jeunes,
Thèse de doctorat de sociologie, Université Versailles Saint-Quentin, 2007
MUCCHIELLI L., Immigration et délinquance : fantasmes et réalités, in
GUÉNIF-SOUILAMAS N., dir., La république mise à nu par son immigration,
La Fabrique, 2006, 39-61
MUCCHIELLI L., « Note statistique de (re)cadrage sur la délinquance
des mineurs », Champ pénal, mis en ligne 11 décembre 2008
http://champpenal.revues.org/document7053.html
ROCHÉ S., La délinquance des jeunes. Les 11-19 ans racontent leurs délits,
Seuil, 2001
VAN ZANTEN A., L’école de la périphérie. Scolarité et ségrégation en banlieue,
Presses Universitaires de France, 2001
Mu.L

73
DÉV
Développer
« Faire croître, donner de l’essor... » constitue la définition du terme « déve-
lopper ». On parlera de « développement personnel », de « développement
organisationnel » ou encore de « développement social ». C’est cette dernière
approche qui est mobilisée par les professionnels de l’action sociale depuis
D plus d’une décennie, et pour laquelle ils mettent en œuvre leur expertise,
notamment dans le cadre des politiques sociales territoriales.
Le développement social vise à accroître le bien-être des populations,
en agissant sur l’environnement, culturel, social et politique : mobiliser
l’ensemble des ressources existantes, notamment à l’échelle d’un territoire,
en les coordonnant et en les mettant en réseaux. Il s’agit donc d’un processus
qui s’appuie sur l’ensemble des acteurs locaux, y compris la population.
Un axe fort du développement social concerne ainsi la participation de la
population, conçue comme pleinement actrice de son devenir. Il s’agit là de
rompre avec des pratiques où seules les politiques et les institutions seraient
aptes à poser les problèmes et à énoncer les solutions.
Une action ou une politique de développement social doit tendre à réunir
les conditions suivantes :
➤ la capacité à transformer un ensemble cohérent de domaines de la vie
sociale,
➤ une réalisation sur un territoire pertinent, favorisant l’implication de la
population, dans sa diversité,
➤ la mise en œuvre d’une phase de diagnostic partagé, à savoir une
démarche de production collective de connaissance sociale, associant le
plus grand nombre d’acteurs,
➤ la participation des habitants à tous les moments du processus (à la
définition des objectifs, stratégies ou modalités des actions),
➤ l’existence d’un partenariat réel d’acteurs locaux,
➤ la durabilité et l’évaluation régulière de l’action.
Le « cadre développeur » doit être à même d’accompagner ce processus, et
d’élaborer des stratégies de changement.
Dans cette perspective, le Diplôme d’État d’Ingénierie Sociale (Arrêté du
02 août 2006 publié au Journal Officiel du 25.08.06) vise à permettre
l’acquisition des compétences de « cadre développeur », en mesure de
proposer et de conduire des programmes ou des projets complexes et
adaptés à un contexte territorial, et à accompagner la mise en œuvre de
nouveaux dispositifs.

74
DÉV
Ces professionnels doivent être en capacité :
➤ d’analyser la réalité dans laquelle ils interviennent,
➤ d’utiliser de façon efficiente des méthodes d’intervention dans des
contextes diversifiés, en mouvement constant,
➤ d’inscrire leur action dans des dynamiques partenariales et locales,
➤ de mettre en relation des équipes de travail sur des projets concrets. D
Les compétences requises pour exercer la variété de ces fonctions sont
déclinées dans le cadre du DEIS, en trois domaines de compétences :
➤ la production de connaissances visant à réaliser des analyses contex-
tualisées de problèmes complexes appliqués à une question sociale, un
territoire, une organisation ; à construire un dispositif d’observation et
de veille sociale ; à conduire des études ou des recherches.
➤ la conception et la conduite d’actions : la production d’analyses
prospectives, le développement d’une ingénierie de projets ou de
programmes, la capacité à piloter des démarches évaluatives.
➤ la communication et le management des ressources humaines afin de
pouvoir évaluer et mobiliser les ressources nécessaires pour conduire
un projet, susciter le changement, favoriser la transmission des savoirs
professionnels, promouvoir des processus formatifs pour développer
les compétences individuelles et collectives. Il s’agit aussi de pouvoir
coordonner, animer et réguler des collectifs de travail, assurer la
communication et l’information pour l’efficience des actions et la
diffusion des connaissances.
Dans le cadre du DEIS, la notion de développement est ainsi déclinée selon
trois axes : territorial (mobiliser les ressources locales en vue de l’action,
en construisant des réseaux et des partenariats), institutionnel (manager
une équipe dans le cadre d’un projet), et thématique (analyser un problème
social dans son contexte).

Mots clés
diagnostic, expertise, ingénierie sociale, participation, partenariat,
réseaux, territoire

Références bibliographiques
BERNOUX Jean-François, Mettre en œuvre le développement social territorial :
méthothodologie, outils, pratiques, Dunod, 2005
GOURVIL Jean-Marie, KAISER Michel, Se former au développement social
local, Dunod, 2008
75
DIR
MONDOLFO Philip, Travail social et développement local, Dunod, 2001
Be.B
Diriger
Diriger vient du latin dirigere, « redresser, aligner, ranger », « disposer,
D ordonner », « diriger, tourner, conformer, régler », « envoyer, adresser ». Le
participe passé directus a donné « droit » en français. Diriger c’est conduire
en exerçant un pouvoir qui nous a été délégué, administrer un organisme ou
une institution, exercer une autorité intellectuelle et morale sur un groupe.
L’autorité remplit trois fonctions essentielles : l’information, la mobilisation
et l’orientation. L’autorité doit être comprise comme un service. Le directeur
remplit en effet une fonction qui le met au service du groupe.
Diriger une institution demande des compétences particulières qui sont
définies dans des référentiels, ceux du Cafdes (Certificat d’aptitude aux
fonctions de directeur d’établissement ou de service d’intervention sociale)
et du Caferuis (Certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de
responsable d’unité d’intervention sociale)
Quatre grands domaines de compétences sont nécessaires pour diriger :
➤ Élaboration et conduite stratégique d’un projet d’établissement ou de
service
➤ Management et gestion des ressources humaines
➤ Gestion économique, financière et logistique
➤ Expertise de l’intervention sanitaire et sociale sur un territoire
Par ailleurs, le décret du 19 février 2007 pris en application de l’article
L. 31261 du Code de l’action sociale et des familles demande que soient
précisées par écrit les missions confiées par délégation aux directeurs, ainsi
que leur nature. Diriger nécessite donc que l’on y soit autorisé par lettre
de missions et délégations de pouvoir. Cette autorisation est donnée par
l’autorité qui représente l’institution publique ou privée.
Diriger nécessite la délégation
La délégation consiste à passer d’un système centralisé à un système
délégataire, dans lequel on donne de l’autonomie à tous les acteurs, en vue
de l’efficacité de chacun dans le cadre de ses compétences reconnues. La
délégation est un contrat portant sur une mission à remplir, assortie de
ressources et du pouvoir d’agir sans contrôle en temps réel. La délégation
est un contrat qui doit s’obliger à l’évaluation des résultats. La délégation
suppose une négociation (logique de responsabilité acceptée et assumée).
La délégation suppose le respect des règles du jeu au sein de l’organisation,
comme par exemple :
76
DIR
➤ L’interdiction de répéter les erreurs qui ont été faites et qui ont été
identifiées.
➤ Le respect du rôle et des missions des autres.
➤ Le droit à l’erreur sans lequel il n’y a pas d’initiatives.
➤ L’interdiction de cacher les erreurs.
Il n’existe donc pas de délégation sans contrôle. Cependant, ce contrôle est D
a posteriori, effectué à des moments prévus au départ, dans le cadre d’un
contrat de confiance à durée déterminée.
Diriger nécessite de mettre en œuvre des capacités particulières qu’il s’agit
d’entretenir et de renforcer tout au long de l’exercice de la fonction de
direction.
➤ Évoluer et changer : le comportement du dirigeant requiert de la
souplesse, de l’adaptation. Il s’agit de gérer des incertitudes et des
aléas.
➤ Observer : se comprendre soi-même, mais aussi comprendre le contexte
et les personnes.
➤ Hiérarchiser : hiérarchiser, c’est choisir. Cela nécessite donc de savoir
renoncer tout en étant garant du sens, de la cohérence et de la pédagogie,
pour éviter l’urgence. Il faut savoir repérer l’important et refuser l’action
pour l’action. Choisir consiste à s’appuyer sur des critères de choix qui
doivent être intégrés au niveau du groupe.
➤ Influencer : l’influence n’est pas de la manipulation car la volonté du
dirigeant est transparente, concernant ses buts et ses moyens ; « je
souhaite vous convaincre... ».
➤ Accompagner ses collaborateurs : aider à la mise en œuvre et au suivi de
leur projet. Le dirigeant doit être au service de ses collaborateurs. Il doit
leur permettre de faire plus et mieux.
➤ Partager : dire ce que l’on sait et ce que l’on fait. Construire de
la compétence collective à partir des compétences individuelles, en
développant la coopération au sein du groupe
➤ Négocier : la négociation consiste à ne pas installer un rapport de force,
en échangeant des points de vue qui sont différents pour chercher à les
rapprocher.
➤ Prendre du recul : s’extraire d’une situation pour s’interroger sur la
finalité et les moyens de l’action. Cette capacité permet de sortir des
cadres de réflexion habituels et favorise l’innovation.
Diriger nécessite d’appliquer le principe de subsidiarité
La subsidiarité est le caractère de ce qui s’ajoute à l’élément principal pour
le renforcer. Il existe trois principes de subsidiarité :
77
DIR
➤ L’échelon supérieur s’interdit toute tâche que peut accomplir par
lui-même l’échelon inférieur (principe de compétence).
➤ L’échelon supérieur a le devoir de s’acquitter des tâches que l’échelon
inférieur ne peut réaliser (principe de secours).
➤ L’échelon inférieur s’interdit de se décharger de tâches qui lui reviennent
D en propre (principe de suppléance).
Au-delà de raisons éthiques, il existe deux raisons pratiques pour la mise en
œuvre de la subsidiarité :
➤ La complexité des processus d’actions couplée aux fluctuations rapides
du contexte qui exigent des initiatives, des suggestions et de l’autonomie.
➤ L’évolution vers une plus grande responsabilité reconnue des personnes.
La subsidiarité oblige à construire l’organisation à partir du terrain. Il s’agit
donc de reconstruire l’organisation par le bas, en recourant à la technique
de la délégation. Ne pas appliquer le principe de subsidiarité constitue à la
fois une injustice et une erreur : une injustice parce que c’est une négation
de la reconnaissance de la personne et une erreur parce que cela prive
l’organisation de toute la capacité d’intelligence, de création et d’initiative
dont est capable chaque collaborateur de l’organisation.
Diriger, c’est donc assurer la réalisation d’un projet dans un équilibre
dynamique et toujours précaire qui doit respecter les usagers, les salariés et
l’institution.
Diriger nécessite de prendre des risques et d’assumer les responsabilités qui
en découlent.
Le dirigeant doit profondément posséder la volonté de répondre de ses actes
ou décisions et de leurs conséquences.

Mots clés
autorité, délégation, subsidiarité, risque, responsabilité

Références bibliographiques
Albert Éric, Le manager durable, Éditions d’organisation, 2004
Jullien François, Traité de l’efficacité, Grasset, 1996
Poujol Jean-Marie, Renforcer la cohérence des relations au sein des organisa-
tions, Guide du Directeur, ESF, 2003
Décret du 19 avril 2007 et arrêté du 5 juin 2007 concernant le CAFDES
P.JM

78
DIS
Discriminations
La discrimination consiste à traiter différemment deux personnes pourtant
dans la même situation. Si discriminer signifie choisir, opérer un tri, ce qui
est finalement un acte quotidien qui n’a rien de négatif, la discrimination
est prohibée lorsqu’elle a pour effet d’écarter de l’emploi ou de désavantager
dans l’emploi une personne pour des motifs illégitimes, ou encore de D
refuser la fourniture d’un bien ou d’un service ou d’entraver l’exercice
normal d’une activité économique. L’article 225-1 du Code pénal interdit
de discriminer à raison « de l’origine, du sexe, de la situation de famille, de
l’apparence physique, du patronyme, de l’état de santé, du handicap, des
caractéristiques génétiques, des mœurs, de l’orientation sexuelle, de l’âge,
des opinions politiques, des activités syndicales, de l’appartenance ou de la
non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race
ou une religion ».
La mobilisation des acteurs publics et privés sur la question des discrimi-
nations ethniques dès la fin des années 1990 a pu conduire à la confusion
entre actes ou propos racistes et discrimination. De même, la focalisation
sur les questions de l’emploi a pu laisser croire que seules les entreprises
commettaient de la discrimination. Enfin, le concept de discrimination
est à distinguer de la question de l’insertion socioprofessionnelle ou de
l’exclusion sociale.
Ainsi selon la Halde dans la majorité des situations dont elle est saisie, il n’y
a pas de discrimination. Dans un peu moins de 30 % des cas, elle reconnaît
une discrimination.
La spécificité de la question de la discrimination interroge la culture
professionnelle des travailleurs sociaux, elle ne pose pas la question des
aptitudes sociales de la personne, encore moins celle d’une formalité
administrative en vue d’un droit. Elle met en évidence la fermeture ou
la restriction d’accès d’une institution publique ou privée à l’endroit de la
victime.
C’est la seconde dimension du rôle du travail social. Une qualification
des travailleurs sociaux est donc nécessaire pour les amener à une
compréhension fine de la signification et des multiples formes de la
discrimination.
Le droit ne saurait en aucun cas constituer la seule réponse, ni même la
principale. Régulateur des relations humaines, le droit n’a pas vocation à
régenter la vie humaine, mais à encadrer la résolution des conflits, soit de
manière amiable, soit devant le juge. Si la nouveauté de la question de la

79
DIS
discrimination rend indispensable de rendre visible le droit par la production
d’une jurisprudence, les modes de régulation spontanée des différends de la
vie quotidienne doivent permettre d’échapper à la radicalisation des points
de vue à l’occasion d’un procès. Ainsi, le rôle des associations, du travail
social, des syndicats, est essentiel, en ce que l’invocation du droit suffit
D souvent à concilier les positions.
La lutte contre les discriminations est ainsi l’affaire de tous, et en premier lieu
des citoyens eux-mêmes : nous produisons tous des actes discriminatoires, le
plus souvent sans le savoir et sans le vouloir, à l’occasion de la mise en location
d’un logement, de la fourniture d’un service, du déroulement de carrière
d’un collaborateur... Elle est ensuite l’affaire des professionnels, éducation,
travail social, intermédiaires de l’emploi ou du logement, professionnels
du droit. Le droit ne permet pas la prise en compte de la souffrance, de la
reconstruction de l’image de soi, de la prévention des attitudes victimaires,
de la nécessité d’aller de l’avant. Une approche globale de la victime doit
permettre d’abord un accueil, une orientation. Les travailleurs sociaux, au
contact direct du public, reçoivent l’ensemble des doléances des personnes,
dans tous les domaines.
L’incompréhension d’une victime face à une situation de discrimination,
voire sa souffrance, rendent naturellement nécessaire un premier accueil
sous la forme d’écoute empathique. Le plus souvent, la doléance de la victime
est multiforme et il convient de distinguer ce qui dans les faits pourrait
faire penser à une discrimination. Un second temps permet au travailleur
social de reformuler les dires, et de mettre éventuellement en évidence une
situation vécue comme discriminatoire, d’analyser les faits et d’évoquer
la probabilité qu’il s’agisse bien d’une discrimination. L’orientation doit
permettre à la victime à la fois de connaître la manière de saisir la Halde
et d’être informée que parallèlement il lui est possible de déposer plainte
auprès des services de police ou de gendarmerie. Par ailleurs, dès le dépôt
de plainte, la victime peut se porter partie civile, elle doit alors solliciter les
services d’un avocat.
Il se peut que la victime ait besoin d’un soutien psychologique. En effet, assez
souvent la victime a subi à plusieurs reprises des actes de discrimination qui
l’ont meurtrie et qui ont pu susciter des réactions d’autocensure à l’égard de
toute démarche, celle-ci étant alors vécue comme douloureuse. La personne
se sent même la cause de sa situation, se jugeant en partie coupable. On
appelle ce syndrome l’intégration du stigmate. Sa souffrance peut ainsi
justifier une orientation vers une prise en charge psychologique.

80
DIS
La lutte contre les discriminations ne peut se contenter d’accompagner
les victimes, sans agir également sur la prévention. Le travail sur nos
représentations mentales est d’autant plus difficile que probablement la
complexité moderne conduit à renforcer les préjugés, personne ne pouvant
se faire avec objectivité une idée sur toutes choses. Sans doute la qualité
humaine essentielle aujourd’hui est-elle la capacité à se remettre en question. D
Or, non seulement la conduite des individus est probablement dictée
par leurs représentations, mais cela entraîne également les institutions
à intégrer dans leur fonctionnement des modes discriminatoires. La
conduite du changement est délicate, car les institutions ont leur inertie
propre, faite de circuits complexes de décision et de résistances internes et
conflits d’intérêt. Or, la lutte contre les discriminations ne peut ignorer la
capacité des institutions à intégrer cette exigence déontologique, sous peine
d’échouer. Pour sa part, le travail social, dans sa dimension de promotion
du développement social local, est une force d’analyse et de proposition
qui, tenant compte des équilibres, est en mesure de proposer, y compris
en interne, des perspectives déclinées en une stratégie d’évolution et un
rythme, tenant compte des réalités propres à la structure. Par exemple, le
préfet de la région Champagne-Ardenne, sur la discrimination indirecte
que sont les stages réservés aux enfants du personnel, a décidé pour une
première année de les ouvrir pour moitié seulement à tout candidat, afin
de ne pas brusquer les personnels habitués à considérer ces stages comme
un avantage acquis.
Lutter contre les discriminations consiste à travailler sur la production de
modes de fonctionnement discriminatoires par les institutions publiques
et privées. Cela revient à interroger le fonctionnement de nos institutions,
et considérer qu’aucune n’est exempte de critiques, y compris la justice
ou le travail social. C’est parce que c’est une question de responsabilité
collective et non seulement le fait de coupables pris isolément, racistes,
sexistes ou homophobes, qu’elle doit être résolue collectivement, en agissant
sur les structures. Pour autant, s’il faut être volontaire, il convient aussi
d’être modeste dans les actions conduites, car, s’agissant de la conduite du
changement, il importe de s’assurer de l’adhésion pour éviter tout blocage
qui conduirait en outre à l’inverse de l’effet recherché, soit la progression
des préjugés. Néanmoins, ces actions doivent mettre en œuvre des objectifs
opérationnels aux résultats observables et éventuellement mesurables.
S’agissant du travail social, la question de la prévention des discriminations
interroge donc à la fois les pratiques professionnelles, par exemple
l’estimation de ce qui doit ou ne doit pas figurer dans une enquête

81
DOM
sociale, question déontologique, et l’accompagnement au changement du
fonctionnement des institutions, dont les institutions sociales elles-mêmes,
que ce soit dans leur gestion des ressources humaines ou leur posture à
l’égard des usagers.

D Mots clés
don, auteur, acteur, interdire, autoriser

Références bibliographiques
Halde, « Comment lutter contre les discriminations ? », Supplément du
journal de l’action sociale du 15 septembre 2008
Pélisson Éric, Les discriminations, Ellipses, 2007
Boucher Manuel (direction), Le travail social face aux discriminations.
Intervention sociale, ethnicité et lutte contre le racisme en Europe, Éditions
Aux lieux d’être, 2008
Boucher Manuel et Belqasmi Mohamed (direction), Guide pédagogique de
l’antiracisme en formation sociale : Former les travailleurs sociaux face aux
racismes et aux discriminations, Vuibert, 2008
Guelamine Fayza, Le travail social face au racisme : contribution à la lutte
contre les discriminations, Édition ENSP, 2006
Pe.É

Domicile (Intervention au)


Le domicile a toujours été un territoire privilégié d’intervention des
travailleurs sociaux et médico-sociaux. Historiquement, les pionnières
du travail social (femmes participant aux œuvres de bienfaisance et de
charité, bénévoles) puis les premières professionnelles (infirmières visiteuses,
assistantes sociales, etc.) opéraient au domicile. Avec le temps, ces pratiques
se sont développées, diversifiées visant un éventail de populations de
plus en plus ouvert (parents en difficultés, familles en grande précarité,
enfants, jeunes, personnes âgées et handicapées, malades mentaux, malades
chroniques, personnes en fin de vie).
La mise en place de filières de formation sanctionnées par des diplômes a
permis la professionnalisation et la reconnaissance d’une nouvelle « famille »
de travailleurs sociaux : les professionnels du domicile (techniciens de
l’intervention sociale et familiale, assistants maternels, assistants familiaux,
auxiliaires de vie, aides ménagères). S’ajoutant aux trois autres « familles »
82
DOM
plus connues (l’assistance, l’éducation, l’animation), cette catégorie apparaît
comme un secteur en pleine extension du travail social.
Les interventions au domicile font référence à une multiplicité hétérogène
de praticiens. Pour certains (par exemple une assistante de service social, un
éducateur spécialisé, une puéricultrice, etc.), le domicile est un lieu parmi
d’autres de leur pratique ; pour d’autres, c’est le fait d’exercer au domicile — D
que ce soit celui d’usagers ou le leur propre — qui les caractérise (l’auxiliaire
de vie).
Les objectifs généraux des interventions au domicile sont extrêmement
variés : investigation-enquête, évaluation, contrôle, accompagnement-
soutien, éducation-rééducation, réaménagement de l’espace de vie, soins
physiques ou psychiques. Ils ne diffèrent guère de ceux des autres
interventions sociales et médico-sociales. Cependant, le choix fait par le
professionnel (ou le service) d’opérer dans ce lieu spécifique, par opposition
à d’autres lieux tels qu’un bureau, un local dans un établissement (comme
un internat ou un hôpital) ou d’autres espaces publics (comme la rue ou un
stade), répond à des nécessités imposées par le projet de prise en charge de
l’usager. Le principe fondateur de ces actions est de maintenir la personne
dans son milieu habituel de vie (réseau affectif, familial et social). Si l’on
prend l’exemple de l’aide éducative à domicile, l’éducateur soutient les
parents en difficulté dans leurs tâches tout en évitant la rupture des liens
parents-enfants. Les multiples dispositifs d’aide à domicile permettent à la
personne âgée de continuer à vivre chez elle et d’échapper ainsi à l’entrée
en maison de retraite.
On espère ainsi éviter le traumatisme du placement dans un établissement
(foyer, internat, maison de retraite, structure hospitalière). Les conséquences
parfois pathogènes de ce traumatisme ont bien été étudiées : vécus dépressifs,
passivité ou au contraire révolte, attitudes régressives avec perte de
nombreuses acquisitions ou compétences dans les registres affectifs et
intellectuels ou moteurs, stratégies de fuite hors de la réalité et, dans les cas
les plus dramatiques, comportement masqué de suicide.
La multiplicité des champs, des modalités ainsi que des objectifs des
interventions amènent à distinguer plusieurs fonctions assignées au
domicile :
➤ un substitut de l’institution. Dans l’hospitalisation à domicile, le
logement devient un « pseudopode » de l’hôpital.
➤ un médiat. En agissant dans ce territoire, les professionnels visent à
influencer les fonctionnements du groupe familial (économie ménagère
et gestion de budget par exemple).
83
DOM
➤ la cible de l’action. Dans la situation de personnes âgées et/ou
handicapées, il y a parfois nécessité d’aménager ou de réadapter le
logement.
➤ l’objet d’observation. Les multiples formes d’enquêtes sociales et
d’évaluations nécessitent des entretiens à domicile.
D Le domicile n’est pas un territoire neutre caractérisé par des qualités
purement matérielles et objectives (superficie, fonctionnalité, salubrité,
etc.). Il est fortement investi de significations sociales, en particulier liées à
l’identité et au statut, et de valeurs psycho-affectives propres à l’habitant :
narcissisme, besoins psychiques archaïques de sécurité, d’intimité et
références à l’image du corps.
L’intervention au domicile est une pratique complexe qui exige du
professionnel l’effort (matériel, physique, psychique) de se déplacer à
la rencontre de l’usager et d’agir dans un territoire qu’il ne maîtrise pas
et où il n’est que toléré. Cette pratique remet en question le rapport
de pouvoir traditionnellement en sa faveur. Elle lui impose une gestion
d’un rapport délicat de la confrontation-juxtaposition de deux espaces aux
fonctions contradictoires : le premier, espace personnel de l’usager, relevant
de l’intime, et le second, déterminé par le professionnel, participant à la
sphère publique.
Cette modalité d’intervention présente, comme à travers une loupe
grossissante, les enjeux et les tensions qui interrogent le travail social :
relation à l’intimité de l’autre, accueil du malaise à vivre quotidien et
parfois de la souffrance crue, « gestion » de la subjectivité. À travers ces
questionnements techniques et méthodologiques, cette pratique oblige à se
confronter à la préoccupation éthique majeure : le respect de l’altérité.

Références bibliographiques
ALFÖLDI Francis, Vivre l’action éducative à domicile, Mille et un jours d’un
éducateur, Dunod, 2008
BILLOT Annie, Les puéricultrices de secteur en visite à domicile, Du souci
d’intrusion à la capacité intrusive, L’Harmattan, 2009
BONETTI Michel, Habiter : le bricolage imaginaire de l’espace, Desclée de
Brouwer, 1994
« L’intervention à domicile ; du dedans au dehors institutionnel », in Cahiers
de l’Actif, n◦ 364-365, sept-oct 2006
DJAOUI Elian, Intervenir au domicile, Presses de l’École des Hautes Études
en Santé Publique, 2008

84
DON
« Soins à domicile », in Empan, n◦ 39, sept. 2000
ENNUYER, Bernard, Repenser le maintien à domicile, Dunod, 2006
FOURDRIGNIER, Marc, « Les métiers du domicile » in CHOPART, Jean-Marie
(sous la dir.), Les mutations du travail social, Dunod, 1999
STOLERU, Serge, MORALES-HUET Martine, Psychothérapies mère-nourrisson
dans les familles à problèmes multiples, Presses Universitaires de France,
D
1989
Dj.E

Donner
Le don est un concept particulièrement absent en tant que tel dans les
faits, alors qu’il est pourtant régulièrement évoqué dans le travail social. De
même, peu de concepts véhiculent autant de passion au point de susciter
chez les professionnels des partisans, mais aussi une forte hostilité. Le don
interroge en effet le social car il porte la marque d’une référence alternative
aux critères économiques de gestion. Le don apparaît alors comme une
notion en opposition avec l’ensemble des concepts empruntés à la sphère
économique tels que « contrat », « valeurs », etc. Mais de quelle forme de
don parle-t-on dans le secteur socio-éducatif ?
Paul Fustier, dans Les corridors du quotidien, décrit le paradoxe du concept
de don, quand il sert à qualifier des pratiques professionnelles. Au sens
propre, le travailleur social ne « donne » jamais rien, puisque ce qu’il donne
ne lui appartient pas. Il transmet plus qu’il ne donne, mais pour autant,
l’acte de donner s’inscrit bel et bien dans une relation socio-éducative.
Sur le plan théorique, cette notion dérive de l’anthropologie définie par
Marcel Mauss, qui place le don au cœur de relations humaines. Pour cet
auteur, en effet, toute autorité institutionnelle ou personnelle dérive en effet
du pouvoir de l’acte de donner. Les concepts « Maussiens » sont encore
en usage et souvent enseignés. Ils ont été pour une bonne part revisités
et actualisés depuis le début du XXe siècle. Des auteurs, comme Maurice
Godelier, et ceux du courant du Mauss, contribuent encore à définir et
populariser ces théories.
Ce concept est également souvent critiqué dans le domaine du travail social,
car il est souvent réduit ou identifié à la gratuité et donc opposé à la logique
professionnelle. La pratique du don resterait ainsi attachée à des temps
révolus de l’action sociale et renverrait aux notions de charité et d’assistanat.
D’autres, font valoir que la gratuité est une illusion et que sa pratique

85
DON
dissimule des formes sournoises de domination, de dépendance, voire en
quelques cas de perversion maquillée de bon sentiment.
Du point de vue de la psychanalyse, par exemple, la valeur symbolique
du paiement est essentielle. On observe ainsi des pratiques fréquentes
qui consistent à demander pour toute prestation un paiement ou une
D participation symbolique des usagers aux activités. D’autres points de vue
font valoir, à l’inverse, que tout paiement peut constituer un barrage à
l’accès aux droits pour les enfants et les personnes vulnérables, hors d’état
de prendre des décisions financières.
Le don interpelle ainsi les acteurs du secteur du point de vue de l’idéal.
Maurice Godelier observait ainsi que même si la théorie de Marcel Mauss
ne saurait en elle-même constituer un dogme, il n’en reste pas moins que
l’acte de donner possède une valeur irremplaçable et que « donner est obligé
car donner oblige ». Le don serait en lui-même producteur de liens sociaux
et a fortiori éducatifs. En dernier lieu, la question du don dans le travail
social interroge ce que le professionnel accepte de recevoir dans la relation
d’accompagnement qu’il engage.

Mots clés
donner, gratuité, Mauss (Marcel), obligation, dette

Références bibliographiques
FUSTIER Paul, Les corridors du quotidien, Dunod, 2008
GODELIER Maurice, L’énigme du don, Fayard, 1996
MAUSS Marcel, Essais sur le don, PUF, 2007
www.revuedumauss.com
Ot.L

86
E
Économie sociale, économie solidaire
E

L’économie sociale
Dans son acception actuelle, le concept puise ses racines dans la révolution
industrielle du XIXe siècle. La répartition des richesses produit tant de
disparités sociales qu’une grande partie du peuple, animé par des groupes
de personnes de diverses obédiences intellectuelles, éprouve le besoin de
s’associer en vue de s’émanciper de cette situation. L’économie sociale, par
ce mouvement, a émergé à partir d’un double combat : l’émancipation
du peuple par l’organisation politique de la classe ouvrière, d’une part, et
l’obtention de la reconnaissance d’organisations de type institutionnel à
but non lucratif, d’autre part.
Ainsi, par des lois de 1867 puis 1898, les premières structures de
l’économie sociale sous la forme de « sociétés de secours mutuel » sont
apparues en France. Elles visaient à prendre en charge collectivement des
besoins vitaux que leurs adhérents n’étaient pas en mesure de se payer
naturellement (enterrements, maladies handicapantes, chômage...). Dans
le même mouvement, les premières coopératives de consommation et
l’instauration réglementée du crédit, par les organismes bancaires, ont
ensuite vu le jour.
Ces évolutions conjoncturelles, d’une époque caractérisée par le paupérisme,
ont favorisé dès leur naissance l’essor des syndicats ouvriers, mais aussi et
surtout du bénévolat, pour la prise en charge de certains problèmes sociaux.
Aujourd’hui, l’économie sociale se définit en fonction de valeur financière
du PNB (produit national brut) réalisée par l’ensemble des acteurs de la
vie publique et de l’organisation sociale du pays que sont les associations,
mutuelles, fondations et coopératives, dans une finalité d’intérêt général,
collectif, de solidarité et d’ordre public.

87
ÉCO
Ces organismes et groupements de personnes sont organisés à partir de
valeurs de démocratie, de liberté, de participation et de solidarité, et
fonctionnent généralement sur le modèle de l’entreprise, mais ne sont
pour autant ni des sociétés de capitaux, ni des entreprises publiques. Ces
associations, mutuelles, coopératives et fondations, constituent ce que l’on
appelle, dans l’acception des sciences-économie, le tiers secteur, à but non
lucratif. Leur reconnaissance légale fait l’objet d’une charte nationale de
E l’économie sociale (dont beaucoup omettent souvent d’être signataires),
adoptée en 1980, puis actualisée en 1995, afin de préciser ce que se doivent
d’être les entreprises de l’économie sociale, ainsi que leur rôle et leur
ambition, d’intérêt général. Ce texte a donc valeur d’engagement pour
toutes les organisations qui le signent.
L’économie solidaire
Ce concept est apparu dans les années 1980, dans le but de pallier aux
conséquences sociales dévastatrices de la crise économique de l’époque.
Plus récemment, de nouvelles préoccupations politiques liées à l’activité de
l’homme sur l’environnement, et la mondialisation, sont venues orienter
fortement le concept.
Aujourd’hui, l’économie solidaire se caractérise par l’activité des organismes,
sociétés, entreprises, d’intérêt général, collectif, social, qui produisent des
actions de commerce, de développement des conditions de vie populaires
et de services citoyens. Ainsi parle-t-on pour identifier cette activité du tiers
secteur de :
➤ commerce équitable,
➤ développement durable,
➤ services à la personne.
L’économie solidaire représente la part financière du PNB (produit national
brut) réalisée par l’activité financière publique et/ou privée, issue d’un
domaine d’actions diversifiées initiées aussi bien par les pouvoirs publics,
mais aussi par de modestes initiatives privées et locales, qui ont toutes pour
objectif de contribuer à l’épanouissement des personnes vulnérables et à
l’égalité des chances des citoyens.
Ces actions ont pour caractéristique d’être circonscrites à une dimension
et une gestion territoriale (région, département, cantons, communes, etc.
notamment pour l’attribution de ressources financières sous forme de
subventions et d’aides diverses). Tous les organismes, toutes les sociétés,
toutes les organisations de l’économie solidaire, ont adopté les formes
d’expression et les statuts de l’économie sociale. On retrouve donc en tête

88
ÉCO
des acteurs majeurs de l’économie solidaire, les associations, les fondations,
les coopératives, et en moindre importance, les mutuelles et les initiatives
privées. C’est pourquoi aujourd’hui il est convenu de réunir les deux
concepts sous l’appellation unique « économie sociale et solidaire ».
L’économie sociale et solidaire est donc d’une utilité sociale visant à l’intérêt
public, dans la mesure où son but financier est d’être non lucratif. Elle puise
la majeure partie de sa ressource humaine par l’engagement de personnes
ou groupes de personnes qui ont choisi de mener une action militante et
E
participative, sous la forme du bénévolat, du volontariat (rémunéré), du
mécénat.
D’un point de vue politique, l’intérêt de recourir à ce mode de gestion
sociétale n’est pas restrictif à la seule nation française. La quasi-totalité des
nations de l’Europe ont adopté une politique similaire, au point que le tiers
secteur devienne une référence commune européenne.
Quelques chiffres (2005 à 2008) :
➤ 2 000 associations reconnues d’intérêt public en France.
➤ 500 000 établissements répartis sur le territoire : une association est
considérée établissement de l économie sociale et solidaire dès qu’elle a
le statut d’employeur.
➤ Plus de la moitié de la population française est membre d’une association,
mutuelle, ou organisme solidaire.
➤ L’économie sociale et solidaire permet l’emploi de 1 800 000 à 2 000 000
de salariés.
➤ Elle constitue près de 12 % du PNB de la France.
➤ En Europe (avant 2005, Europe des 15), deux tiers des 360 millions
d’habitants adhéraient à une structure de l’économie sociale. L’économie
solidaire représente 8 % du PNB et près de 10 % des emplois de l’Union
relève du secteur non lucratif.
➤ En Europe en 2009, les organisations de l’économie sociale et solidaire
emploient à elles seules 100 millions de personnes, soit 20 % de plus
que les multinationales, pour satisfaire les besoins d’émancipation de
360 millions d’habitants.
Dans les années quatre-vingt, le travail social a été fortement questionné
par la crise économique et le dévoilement d’une « nouvelle pauvreté », de la
précarité et de l’insécurité sociale. Cette nouvelle question sociale a favorisé
le développement de multiples réflexions et analyses sur le travail social et les
activités des travailleurs sociaux. Les travailleurs sociaux sont ainsi devenus
particulièrement concernés pour la mise en perspective de la pertinence
du Tiers Secteur dans la réponse médico-sociale aux besoins des personnes
89
ÉCO
vulnérables. Territoire, diagnostic, projet, développement, évaluation etc.
Ces termes symptomatiques de nouveaux modèles d’ingénierie sociale
s’introduisent dans les référentiels des travailleurs sociaux. Cette situation
prend en compte la nécessité de rapports sociaux d’une autre nature et
appelle à des changements des pratiques professionnelles, réclame des
compétences nouvelles, des outils et savoir-faire spécifiques. Même si des
formes collectives du travail social ont toujours existé, ce sont des méthodes
E renouvelées, compte tenu du contexte très différent, qui sont aujourd’hui
préconisées à travers l’intervention sociale impulsée par les pouvoirs publics.
Les travailleurs sociaux se doivent d’élargir le cercle de la relation individuelle
au bénéficiaire et à sa famille, à celui d’un environnement partenarial et
constitué de réseaux d’acteurs dédiés à faire face aux questions sociales
(effets de la pauvreté, insécurité sociale...). Les enjeux professionnels s’en
trouvent réajustés à partir de nouveaux référentiels métiers. Pour tous les
travailleurs sociaux que l’économie sociale et solidaire mobilise, jusque dans
la quotidienneté de leurs actions, la satisfaction des besoins des personnes
vulnérables nécessite de se consacrer à une logique de développement sociale,
fort différente de celle d’une action sociale. Les compétences des travailleurs
sociaux doivent dorénavant servir une logique de développement de travail
en partenariat et réseau, s’appuyant sur une culture du projet. Il convient
désormais de penser en termes de « ressources » et non seulement de
« problèmes », de travail en « réseau » et non seulement « aide à des individus
ou familles », « projets » et non seulement « résolution de difficultés ».
Le travailleur social se trouve dès lors dans le devoir de contribuer à faire en
sorte que les enfants, les adultes, familles, groupes et habitants avec lesquels il
travaille soient des acteurs de leur développement, mais aussi dans certaines
circonstances, du développement social de leur espace socio-territorial de
vie.

Mots clés
but non lucratif, utilité sociale, intérêt général, mutualisation, écono-
mie alternative, développement durable, commerce équitable

Références bibliographiques
COLIN Bruno et GAUTIER Arthur, Pour une autre économie de l’art et de la
culture, Érès, 2008
DRAPERI Jean-François, Comprendre l’économie sociale. Fondements et enjeux,
Dunod, 2007
90
ÉCO
FERRATON Cyrille, Associations et coopératives. Une autre histoire économique,
Érès, 2007
GARDIN Laurent, Les initiatives solidaires. La réciprocité face au marché et à
l’État, Érès, 2006
Ressources Internet
www.associations.gouv.fr/rubrique.php3?id
www.economiesolidaire.com/ E
www.commercequitable.org/
www.ecologie.gouv.fr/-Developpement-durable-.html
www.benevolat.org/
www.volontariat.org/
www.eurocoop.org/cooperatives/fr/history/default.asp
Les mutuelles en Europe
Association internationale de la mutualité : www.aim-mutual.org
Les associations en Europe
Comité européen des associations d’intérêt général : www.cedag-eu.org/
Les fondations en Europe
Centre européen des fondations : www.efc.be/
La maison des Associations sur internet : www.loi1901.com/
La Chambre Régionale de l’Economie Sociale et Solidaire d’Ile de France :
www.economie-sociale.coop/economie-sociale.htm
La Charte de l’Economie Sociale : www.ceges.org/
S.JF

Écoute
L’écoute se définit comme l’action d’être attentif et réceptif à ce qui se dit
et à ce qui se passe, et notamment à la prise en compte de la parole de
l’autre. L’écoute réside dans une rencontre, un face à face. Elle consiste
donc en une posture, une attitude de communication qui demande une
disponibilité d’esprit de la part d’un récepteur mais aussi d’un émetteur.
Étymologiquement, écouter vient du latin « auscultare » qui signifie à la fois
explorer avec attention et obéir. Écouter, c’est aussi s’ouvrir à l’influence
d’autrui, ce qui induit finalement la possibilité d’un échange réciproque.
Différentes disciplines comme la psychologie, la psychosociologie, la
pédagogie, les sciences sociales, utilisent l’écoute comme une technique
d’accompagnement. De fait, il existe donc une multitude de pratiques
91
ÉCO
d’écoute dans le champ du travail social, de l’éducatif ou du soin.
Cependant, l’écoute est toujours centrée sur la personne dans une
relation interpersonnelle ou dans une rencontre de groupe. Elle prend
différentes formes : l’écoute flottante du psychanalyste, l’écoute dirigée de
l’homéopathe, l’écoute active de l’éducateur ou du psychologue, etc. Pour
le travailleur social, l’écoute active est un outil au service de la relation
qu’il noue avec un usager, avec une ou plusieurs personnes. Cette écoute
E active est une technique de communication qui nécessite une pratique, un
entrainement car elle va à l’encontre des habitudes quotidiennes. Cependant,
elle est indispensable dans les situations d’entretien, dans les activités de
gestion de groupe ou d’équipe.
L’écoute nécessite une réelle disponibilité à la parole de l’autre. Selon Carl
Rogers, elle implique de la part de l’écoutant des attitudes fondamentales
comme « la congruence » (fait d’être authentique, soi-même, d’être en
cohérence entre ce qui est ressenti et ce qui est exprimé), « la considération
positive inconditionnelle » (le fait de porter une attention chaleureuse, une
estime) et « la compréhension empathique » (se sentir à l’intérieur du monde
de l’autre et partager ses sentiments).
Les outils de l’écoute active sont l’utilisation des techniques du question-
nement et de la reformulation. Le questionnement permet de préciser,
d’approfondir l’échange en cours. Il encourage le passage du latent (ce qui
n’est pas dit) au réfléchi (ce qui va se verbaliser), de l’implicite à l’explicite.
Par le questionnement, trois niveaux d’informations complémentaires vont
émerger : les faits (ce qui a été vu, entendu, ressenti, expérimenté), l’émotion
(ce qui a été ressenti, éprouvé) et l’opinion (ce qui est pensé, réfléchi, estimé,
jugé, moralisé). La reformulation consiste à redire, à répéter complètement
ou partiellement en d’autres termes que ceux utilisés par son interlocuteur
ce qui a été exprimé. Reformuler permet de clarifier et/ou de comprendre
(cela évite les malentendus), de valoriser la pensée ou le témoignage de
la personne, d’encourager les autres interlocuteurs dans les situations de
groupe à réfléchir à cette parole. Cette technique n’est pas naturelle, elle
s’acquiert.
L’écoute dans le travail social et médico social a ses limites qui sont fixées
par celui qui la pratique compte tenu du cadre, du contexte de la situation
écoutée, de la formation de celui qui écoute et du contenu de ce qui est
à écouter. En effet, certaines situations d’accompagnement suscitent des
confidences (faits de maltraitance, faits relatifs à l’intimité, etc.) que le
travailleur social ne peut pas toujours recevoir sans se sentir atteint, agressé,
jugeant ou insupporté. Des relais doivent donc être organisés vers d’autres

92
ÉCR
professionnels : collègues, psychologues ou tous autres spécialistes de la
relation et de l’accompagnement, de la justice (juges, avocats) et de la
protection (police), lorsque l’écoute ne s’avère plus possible.

Mots clés
écoute active, communication, questionnement, reformulation, empa-
thie, non jugement, relation, congruence
E
Références bibliographiques
MUCCHIELLI Roger, L’entretien de face à face dans la relation d’aide, ESF,
2007
ROGERS Carl, Le développement de la personne, Paris, 1998
WATZLAWICK Paul, HELMICK-BEAVIN Janet, JACKSON Don D., Une logique de
communication, Le Seuil, 1972
KR.E

Écrans
Les écrans sont désormais partout, miniaturisés, intégrés à notre quotidien :
en France, en moyenne nous passons chaque jour 2 heures devant la
télévision et 1 h 40 sur Internet (hors travail) ; 97 % des foyers sont équipés
de la télévision ; 56 % d’un ordinateur fixe (et 27 % d’un ordinateur
portable). Les travailleurs sociaux doivent composer avec cette réalité, avec
des jeunes nés avec ces « nouveaux médias ».
Les NTIC (Nouvelles technologies de l’information et de la communication)
ont été présentées souvent sous un jour idéaliste, en tant qu’« autoroutes
de l’information », de « communication globale » au service de citoyens,
etc. Pourtant l’omniprésence des écrans suscite aussi une défiance forte,
notamment par les travailleurs sociaux, que l’on peut essayer de synthétiser
en trois points :
➤ Désocialisation : le temps passé seul devant l’ordinateur inquiète, parce
que cette consommation solitaire d’écran isole et désocialise. Parfois,
des cas d’addictions apparaissent.
Même si l’ordinateur est aussi beaucoup utilisé pour la communication
à distance, via les communautés virtuelles, ces nouvelles formes de
socialisation à distance complètent-elles ou s’opposent-elles aux modes
traditionnels de « socialisations directes » ?
➤ Violence : un jeune américain de 18 ans aura vu 40 000 meurtres
et 200 000 actes violents sur écrans. La responsabilité de la violence
93
ÉCR
des jeunes est souvent attribuée aux médias qui banaliseraient ainsi
le passage à l’acte. Pourtant, il faut se méfier de l’analyse simpliste.
L’impact d’une image dépend beaucoup de chacun, de sa maturité, de
son environnement familial et social. Les « théories de la réception »
(s’opposant à un modèle cybernétique trop réducteur : émetteur,
message, récepteur), montrent en effet toute la complexité de la
consommation d’images. Les théories sur le sujet s’entrechoquent entre
E banalisation de la violence et effet cathartique de l’image violente, qui
éloigne de l’acte. De plus, il ne faudrait pas réduire l’image violente à
l’image d’un acte violent.
➤ Une sous-culture : pour les jeunes, l’expression de « nouvelles techno-
logies » n’a pas grand sens, puisqu’ils sont nés avec ces technologies.
Assistons-nous à l’avènement d’une « culture des écrans » qui bouleverse
nos repères culturels, jusqu’à modifier nos modes de penser (par un
accès immédiat si ce n’est exhaustif à toute source d’information via
Internet) ? Cette culture est alors souvent jugée comme abrutissante
et standardisée pour des jeunes consommateurs qui ne sauraient plus
distinguer le réel du virtuel.
Plus que l’écran lui-même, c’est davantage le rapport que l’on entretient
avec lui qui est en débat permanent : passivité ? Manipulation ? Condition-
nement ? Contrôle social ? Le problème n’est pourtant pas tant l’écran que
le statut de l’image dans notre société. Au-delà des polémiques récurrentes,
ces critiques questionnent la légitimité de l’image à re-présenter le réel.
Un débat de fond ancien sur le statut de l’image ; une mise en perspective
historique s’impose.
En 1967, Guy Debord parlait de « société du spectacle », présentant le
spectacle comme le vecteur contemporain de l’aliénation. Il s’inscrivait
alors dans une tradition critique qui fait de la re-présentation le vecteur de
la passivité et de la confusion entre réel et représentation (Platon, Rousseau,
Marx...). L’iconoclasme religieux pour lequel on ne pouvait représenter
le divin a représenté certainement le point de départ de cette critique.
L’image a finalement toujours été suspectée d’idolâtrie. Adorer l’image pour
elle-même amenait à la confondre avec ce qu’elle représente. Si hier les
idoles païennes détournaient le croyant du divin, aujourd’hui, les écrans
détourneraient du réel et de la « vraie vie ». Bien que techniquement
hégémonique, l’image est donc toujours discréditée. La télévision focalise
aujourd’hui sur elle toutes les critiques d’une image manipulatrice. La
victoire de l’immédiateté (l’info en continu) empêcherait tout recul critique,
toute réflexion que seul permet la re-présentation des faits. Une sorte

94
ÉCR
d’iconoclasme toujours recommencé qui selon les époques s’applique à ces
médiateurs dominants : hier la religion, aujourd’hui la télévision. L’image
étant bien entendu, de par sa force symbolique, un enjeu éminemment
politique.
Pourtant certains usages de ces « nouvelles technologies » viennent contre-
dire l’argument récurrent de passivité face à l’écran. Internet apparaît comme
plus libre que des médias traditionnels jugés connivents, puisque chacun
peut devenir producteur d’images. Le spectateur devient aussi producteur
E
d’image sur soi-même et d’informations, allant jusqu’à concurrencer
parfois les médias traditionnels, dont certains font désormais appel aux
vidéos amateurs des internautes. Aussi, la consommation télévisuelle cesse
d’augmenter, ayant même tendance à baisser chez les jeunes. Il est à noter
que même dans la téléréalité, les règles du jeu semblent changer avec la
quasi « professionnalisation » des candidats, sachant bien jouer le jeu que
la télé attend d’eux.
Ces usages actuels des écrans malmènent la vision critique des médias
tout-puissants. Ces technologies redonnent à l’individu une place d’acteur
en ré-inventant d’une certaine manière le politique (nouveaux reporters,
bloggeurs, sites militants), l’économique (réseaux d’échange, de télécharge-
ment) et le social (MSN, Twitter, Facebook, Meetic, etc.), pour échapper à
une « société de contrôle », qui utilise elle aussi ces nouvelles technologies.
Entre pouvoirs officiels et alter-mondialistes, chacun semble se battre avec
les mêmes armes de ces nouveaux écrans. On peut donc aussi analyser
ces usages des écrans comme la manifestation de la défiance envers la
représentation politique et médiatique classique.
Certains travailleurs sociaux commencent à savoir utiliser ces « nouvelles
technologies » dans leurs pratiques professionnelles. Mais cela relève encore
trop souvent d’initiatives personnelles, plus que de choix institutionnels.
Dans la formation des travailleurs sociaux, la prise en compte de cette
« culture des écrans » semble bien absente, à l’inverse de l’Éducation
nationale qui depuis 1983 via ses Clemi (Centre de liaison de l’enseignement
et des médias d’information) tente une « éducation à l’image » des élèves.
Les travailleurs sociaux semblent souvent désarmés et décontenancés par
l’usage détourné des écrans qu’en font certains jeunes qu’ils accompagnent,
par la consommation intensive dans certaines familles, et aussi chez les plus
âgés (en moyenne, les « 65 ans et plus » regardent la télévision 27 heures
par semaine contre 16 pour les « 15-24 ans »).

95
ÉCR
Les travailleurs sociaux, eux-mêmes bien souvent « enfants de la télé », sont
parfois enclins à verser dans l’anathème contre les écrans, les réduisant
au vecteur de la propagande d’une marchandisation généralisée qu’il
faut combattre. Au risque de se tromper de combat en confondant le
symptôme (l’écran) avec la cause (le libéralisme). En rejetant l’écran, ou du
moins en l’ignorant dans leurs pratiques professionnelles, les travailleurs
sociaux laissent leurs usagers seuls face à cet outil qui nécessite bien
E un accompagnement. À ce titre, investir professionnellement l’écran est
peut-être un des enjeux du travail social à venir.
Malgré un risque potentiel de déshumanisation si l’écran n’était plus
support d’aide mais en remplacement du travailleur social. Les écrans ne
menaceraient-ils pas alors de remplacer une partie de l’aide apportée par
les travailleurs sociaux ? Déjà la télésurveillance chez les personnes âgées,
à domicile ou en institution, peut parfois être perçue comme sécurité
supplémentaire mais aussi comme prétexte à réduire la relation d’aide.
Alors l’écran, là aussi, peut devenir source de liens et d’isolement en même
temps. De toute façon, l’ambivalence sera toujours au cœur des écrans, qui
montrent et cachent tout à la fois.

Mots clés
écran, image, représentation, spectacle, technologie, violence, virtuel,
politique

Références bibliographiques
BALANDIER G., Le pouvoir sur scène, Balland, 1980
BAUDRILLARD J., Simulacres et simulations, Galilée, 1981
BESANÇON A., L’image interdite, Fayard, 1994
BOUGNOUX D. (dir.), Sciences de l’information et de la communication,
Larousse, 1993
DEBORD G., La société du spectacle, Gallimard, 1992 (1967)
DEBRAY R., Vie et mort de l’image, Gallimard, 1992
DONNAT O., Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, La
découverte, 2009
MONDZAIN MJ., L’image peut-elle tuer ?, Bayard, 2002
RANCIÈRE J., Le spectateur émancipé, La fabrique, 2008
TISSERON S., Enfants sous influence, Armand Colin, 2000

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ÉCR
VIRILIO P., La machine de vision, Galilée, 1988
WINKIN Y., La nouvelle communication, Seuil, 2000
WOLTON D., Éloge du grand public, Flammarion, 2001
Revues
Esprit n◦ 6, 2004 : « Images, écrans et nouvelles idolâtries »
Le sociographe n◦ 15, 2005 : « Generation-ecrans.com »
Les cahiers de médiologi n◦ 1, 1996 : « La querelle du spectacle » E
Revue des sciences sociales n◦ 34, 2005 : « Le rapport à l’image »
Sciences humaines, hors-série 43, 2004 : « Le monde de l’image »
Tr.M

Écrire
L’écriture professionnelle renvoie à l’acte d’écrire en situation de travail. Les
écrits professionnels sont le produit de cette activité, c’est-à-dire l’ensemble
des documents rédigés par les travailleurs sociaux dans l’exercice de leur
fonction, qui concernent les usagers de façon plus ou moins directe. Dans le
secteur social et médico-social, la législation récente a contribué à accroître
les exigences en matière d’écriture, tant du point de vue de la quantité que
de la qualité des écrits.
En effet la loi du 2 janvier 2002, rénovant le secteur social et médico-social,
vise à garantir les droits des usagers et réaffirme leur citoyenneté. Elle précise
notamment les outils nécessaires pour mettre en œuvre ces droits. Ils sont
au nombre de sept et cinq d’entre eux sont des écrits :
➤ le livret d’accueil, qui présente l’ensemble des services proposés par une
institution et les informations dont le bénéficiaire a besoin ;
➤ la charte des droits et libertés de la personne accueillie, texte majeur
fixé par l’arrêté interministériel du 8 septembre 2003 et, bien qu’il ne
soit pas rédigé par les travailleurs sociaux, il est déterminant, dans son
contenu, pour la qualité des écrits ;
➤ le contrat de séjour ou le document individuel de prise en charge, qui
définit les objectifs et la nature de l’accompagnement dans le respect des
principes déontologiques et éthiques ;
➤ le règlement de fonctionnement, qui précise les droits de la personne
accueillie mais aussi les obligations et devoirs nécessaires au respect des
règles de la vie collective ;
➤ le projet d’établissement ou de service, qui définit les objectifs et les
modalités d’organisation et de fonctionnement d’un établissement ou
d’un service. C’est un document de référence nécessaire pour l’obtention
97
ÉCR
de l’autorisation d’ouverture d’un établissement et pour l’évaluation
ultérieure.
Ces documents ont pour objectif de prévenir les risques de maltraitance
et promouvoir les droits des usagers. Ces droits sont rappelés notamment
dans la charte des droits et libertés de la personne : droit au respect de la
dignité, de la vie privée, de l’intimité, droit de la personne d’accéder à son
dossier, de lire tout document qui la concerne... Ils sont rappelés également
E dans l’ensemble des textes réglementaires relatifs aux différents champs
du secteur social et médico-social : décret du 15 mars 2002 et circulaire
du 26 avril 2002 sur l’assistance éducative, loi du 11 février 2005 sur le
handicap, loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance...
La qualité des écrits a toujours été une question d’actualité mais elle l’est
aujourd’hui de façon plus aiguë encore. Les documents produits dans une
institution par les travailleurs sociaux (rapports, projets, comptes rendus,
contrats, cahier de liaison), qu’ils aient pour objectif l’information ou l’aide
à la décision, requièrent une vigilance particulière. L’écriture ne peut se
déployer que dans le plus pur respect de la personne accueillie et implique
par là même une rigueur accrue. Choisir les éléments les plus pertinents,
faire le tri entre le superflu et le nécessaire pour préserver la vie privée
de l’usager et de ses proches, bannir tout jugement de valeur, adapter
son propos au principal intéressé qu’est le bénéficiaire de l’action, utiliser
un vocabulaire compréhensible et accessible... sont autant d’exigences qui
s’imposent aux travailleurs sociaux quand ils écrivent.
La loi du 2 janvier 2002 prévoit également la participation de la personne
accueillie à l’élaboration de certains écrits : le contrat de séjour ou document
individuel de prise en charge, le règlement de fonctionnement et le projet
d’établissement. Rappelons notamment l’article 4 de la charte des droits et
libertés de la personne accueillie :
« Le droit à la participation directe, ou avec l’aide de son représentant légal, à la
conception et à la mise en œuvre du projet d’accueil et d’accompagnement qui
la concerne lui est garanti. »

Au-delà de l’adhésion au projet, le législateur propose une coconstruction


qui engage professionnel et usager lui-même, dans la compréhension de la
situation et dans la mise en œuvre de réponses pertinentes. Ceci implique
un changement de regard et de positionnement vis-à-vis d’autrui, qui
passe par la valorisation de la parole de l’usager. De ce fait, l’écriture
devient un véritable outil d’accompagnement. Ni en dehors ni à côté de

98
ÉCR
l’intervention socio-éducative, elle constitue une modalité particulière de
l’exercice professionnel.
Écrire « avec » l’usager, c’est reconnaître l’autre en tant que sujet, capable
d’avoir une part active dans l’élaboration de son projet de vie. Paradoxale-
ment, c’est aussi se poser en tant que sujet impliqué dans la relation à l’autre.
Les travailleurs sociaux présentent souvent le contenu de leurs écrits comme
des vérités absolues, atemporelles, une sorte de savoir qu’ils détiennent
grâce à l’observation et l’analyse. L’écriture devient alors un vecteur de
E
pouvoir, une façon d’avoir la main mise sur l’autre. Mais le « discours de
vérité » peut paraître violent. Reconnaître sa propre subjectivité en tant que
professionnel, c’est relativiser son propos, le contextualiser et laisser par là
même une place à l’autre. Voilà une position éthique, qui constitue une voie
d’exigence et invite à de nouvelles formes d’écriture dans le secteur social et
médico-social.
Il reste à ajouter que tout écrit, qu’il soit à destination interne ou externe,
est produit dans un établissement ou un service donné et qu’il répond
à une commande. Il dévoile une facette de l’accompagnement proposé
aux intéressés, du travail en équipe et de la politique institutionnelle. Il
représente, pour l’usager, une mémoire vivante qui atteste de son passage
dans un établissement et, pour les professionnels, un document favorisant la
cohérence et la continuité de l’action. À l’externe, il donne à voir une certaine
image de l’institution qui facilite la mise en commun des compétences avec
d’éventuels partenaires. Il est aussi une référence pour les organes de tutelle
ou de contrôle, qui donnent leur aval et financent les projets. L’écriture est
donc porteuse d’enjeux forts pour tous les acteurs en présence.

Mots clés
droit des usagers, loi du 2 janvier 2002, secret professionnel, droit
d’accès au dossier, outil d’accompagnement, éthique

Références bibliographiques
BRISSONNET Claudine, Toutes les clés des écrits professionnels à l’usage des
travailleurs sociaux, ESF, 2002
EJZENBERG Ermitas, Les écrits professionnels dans le secteur social et médico-
social, Vuibert, 2e édition, 2008
HUYETTE Michel :
- « Le contenu des écrits », in Journal du droit des jeunes, n◦ 203, mars 2001
99
EMP
- « La réforme de la procédure d’assistance éducative », in Journal du droit
des jeunes, n◦ 215, mai 2002
RIFFAULT Jacques, Penser l’écrit professionnel en travail social, Dunod, 2e
édition, 2006
VIAUX Jean-Luc (sous la direction de), Écrire au juge, Dunod, 2003
Vie sociale, « Les écrits professionnels. Pratique des écrits écritures des
E pratiques. », n◦ 2/2009
Ej.E

Empathie
L’empathie est un terme technique qui participe à la constitution d’une
relation socio-éducative. Cette compétence relationnelle est perçue comme
un savoir-faire indispensable pour mener toute action socio-éducative de
qualité. Est-ce vraiment le cas ?
L’empathie (du latin in- et im-, « dans », devenu em- à cause du p qui suit,
et pathie, du grec -pathos « ce qu’on éprouve ») est la capacité à simuler
en soi, de manière fictive, intellectuelle puis émotionnelle par imitation,
ce que produit en lui-même l’expérience d’autrui. Il s’agit finalement d’un
processus de recomposition des sentiments (empathie affective), mais aussi
des processus mentaux (empathie cognitive) de l’autre.
Ce terme a été créé en allemand (einfühlung, « ressenti de l’intérieur »)
par le philosophe Robert Vischer (1847-1933) pour désigner l’empathie
esthétique, le mode de relation d’un sujet avec une œuvre d’art permettant
d’accéder à son sens. C’est ensuite Théodore Lipps (1851-1914) qui, lui
donnant sa dimension affective, a façonné notre approche moderne. Au
XXe siècle, la psychiatrie, la psychologie et la psychanalyse, se sont emparées
de ce concept pour le développer. Sigmund Freud, lui-même, s’en est référé.
Contrairement à l’idée reçue, l’empathie n’est pas la sympathie. La sympathie
intègre un partage de souffrance, conformément à son étymologie grecque
(syn « avec » et pathos « souffrance »). Si l’empathie est aussi sincère, elle
est aussi plus distanciée et souvent motivée par la volonté de communiquer
professionnellement.
L’empathie est une capacité humaine fondamentale qui permet de limiter
notre tendance à faire du mal aux autres, en imposant ses propres
représentations : si l’on perçoit la souffrance de l’autre, il est alors plus
difficile d’en être la cause. Boris Cyrulnik affirme ainsi que l’empathie
fonde un vivre ensemble, basé sur le désir de découvrir les théories et

100
EMP
les représentations des valeurs de l’autre, s’oppose aux morales perverses
(assouvir ses pulsions au détriment de l’autre).
L’empathie est donc fondamentale parce qu’elle permet de prendre
conscience de la subjectivité de l’autre, qui s’impose comme un monde en
soi, pour soi et qui n’est à aucun prix subordonné à celui du travailleur social.
L’empathie est ainsi un garde-fou à la toute-puissance socio-éducative. En
même temps, cette démarche porte en elle le pire des risques : penser qu’elle
permet de construire une connaissance intime de l’autre, qui serait objective.
E
Ainsi, l’empathie est un outil efficace, s’il est admis comme un processus
fondamentalement impossible. En effet, personne ne peut percevoir ni
ressentir l’expérience d’autrui telle qu’elle se développe à l’intérieur de
son univers singulier. Il s’agit tout au plus des informations parcellaires
et en continuelles évolutions. De plus, cette sensibilité à l’autre ne peut
s’élaborer que dans le temps, par tâtonnements successifs. Finalement, le
moteur de l’empathie est de percevoir l’énigme de l’autre et non sa vérité. Si
l’empathie permet de comprendre quelque chose de l’autre, c’est avant tout
sa complexité sans fin et la richesse de ses méandres. En ce sens, l’empathie
est davantage un moyen pour mesurer à quel point il est impossible de
comprendre l’autre.
D’un point de vue professionnel, l’empathie ne peut exister que si elle est
traitée collectivement en équipe avec des tiers extérieurs, mais aussi si le
professionnel questionne sa propre énigme personnelle. On parlera alors
de réflexivité. Ce travail sur soi, en équipe, permet d’utiliser réellement
le produit de l’empathie : comment la prise de conscience de l’énigme de
l’autre entre en relation avec celle qui est la nôtre ? C’est dans cette rencontre
que naît la relation socio-éducative. Encore faut-il autoriser l’usager à faire
valoir à notre encontre sa propre empathie. Cette ouverture sur l’autre n’est
donc réelle que si l’on s’ouvre simultanément à celui-ci.
L’empathie n’est pas une disposition naturelle ; bien au contraire. L’être
humain est socialisé en fonction d’une vérité parentale puis environnemen-
tale. La rencontre avec l’autre, d’autant plus qu’il est différent, active le
sentiment de menace et déclenche une tendance au rejet. L’empathie ouvre
sur le processus inverse. L’école du travail social prépare intellectuellement
à cette compétence, notamment en mettant en garde contre la tendance
naturelle à l’ethnocentrisme : privilégier les valeurs et les formes culturelles
du groupe ethnique auquel on appartient. La formation théorique aide
également à travailler ses propres enjeux personnels qui, s’ils sont abordés
et un peu dénoués, donnent une souplesse pour s’ouvrir à l’autre. Mais,
disons-le sans détour, l’empathie s’apprend en l’expérimentant. Notamment,
101
EMP
il s’agit d’apprendre à gérer le risque affectif inhérent à tout voyage
empathique : vers l’autre mais aussi vers soi, à la rencontre de la différence.
En fin de compte, l’empathie n’a rien à voir avec la connaissance de l’autre.
Elle permet tout juste de saisir l’existence incommensurable de l’autre dans
sa complexité et fournit un matériau capital pour communiquer avec lui. Si
informations il y a, c’est avant tout à l’usager d’en valider l’existence dans le
cadre d’une relation authentique et de réciprocité. Enfin, l’empathie sert
E aussi à mieux se comprendre.

Mots clés
sympathie, ressentir, affectif, fiction, relation

Références bibliographiques
GABÉRAN Philippe, La relation éducative, Érès, 2004
POUGNAUD Odile, ROPERS Philippe et SORIS Cécile, Accompagnement social
et éducatif spécialisé, Vuibert, 2009
ROUZEL Joseph, Le travail d’éducateur spécialisé. Éthique et pratique, Dunod,
2004
ROUZEL Joseph, Le transfert dans la relation éducative : Psychanalyse et travail
social, Dunod, 2005
BERTHOZ Alain, JORLAND Gérard, L’empathie, Odile Jacob, 2004
RULLAC Stéphane, SORIS Cécile, Conception et conduite du projet éducatif
spécialisé, Vuibert 2008
Ru.S

Empowerment
La racine du mot empowerment désigne le pouvoir. Cependant, ce concept
est plastique et véhicule plusieurs sens.
C’est dans une conjoncture sociale difficile que le concept d’empowerment
a pris ses sources aux États-Unis. Introduit dans les années 1960, dans le
cadre de l’organisation communautaire, il s’est développé dans les années
1970 porté par les profondes remises en question des pratiques sociales. La
crise économique avec le choc pétrolier de 1973 et l’abandon progressif
du modèle de l’État-providence modifient en profondeur le traitement des
problèmes sociaux.
Les tendances à la victimisation (condamner la personne pour les difficultés
qu’elle rencontre), à l’infantilisation (considérer la personne comme
102
EMP
dépourvue de compétences) et à la stigmatisation (assimiler la personne
à ce qu’elle vit, comme par exemple la femme battue), sont aujourd’hui
reconnues pour entretenir une certaine incapacité des personnes à prendre
part activement à la résolution de leurs difficultés.
C’est dans ce contexte de crise qu’émergent de nouvelles pratiques dites
d’empowerment, qui visent à reconnaître la capacité des personnes et
des communautés à exercer un contrôle sur la définition et la nature
des changements qui les concernent. D’abord revendiqué par les seuls
E
mouvements d’éducation populaire, l’empowerment est devenu un outil
pour les professionnels des pratiques sociales. On s’y réfère aujourd’hui à la
fois comme théorie, cadre de référence, plan d’action, idéologie, processus,
résultat... De ce fait, plusieurs approches sont donc en usage. En effet, les
traductions approximatives et la multiplicité des points de vue, parfois
cacophoniques, créent un flou conceptuel et desservent l’élaboration d’un
cadre commun. Pourtant, une définition partagée permettrait de créer un
point d’ancrage à l’ensemble des pratiques qui s’inspirent de cette approche,
en proposant des indicateurs de performance communs qui permettraient
une véritable évaluation de son potentiel.
Cette polysémie oblige à synthétiser les différentes analyses pour en proposer
une lecture « simplifiée ». L’empowerment est imprégné par l’idée du
changement social tant au niveau individuel que collectif. Cette démarche
repose sur la disponibilité et l’accessibilité des ressources du milieu, ainsi
que la volonté et la capacité des personnes à prendre en main leur destinée.
L’empowerment est un processus qui s’appuie sur l’implication active et
dynamique des personnes dans leur contexte environnemental, en prenant
en compte les réalités individuelles.
Les personnes concernées sont au cœur de la définition du changement
imaginé. Cela nécessite, d’une part, la contribution concrète des personnes
intéressées dès la conception du programme, du projet ou de l’initiative
sociale qui les touche et, d’autre part, un droit de regard de ces personnes.
Les notions de sentiment de compétence personnelle, de prise de conscience,
de motivation à l’action sociale sont associées à ce processus. Le dévelop-
pement d’une démarche d’action dit conscientisante est également une
caractéristique fondamentale de la démarche d’empowerment. L’objectif de
la conscientisation est de développer les connaissances et les ressources des
groupes en facilitant un processus d’étude qui devient conscience critique
de la réalité socioculturelle à transformer.
Enfin, malgré les différentes acceptions et traductions qui apportent de
la nuance à son sens, le terme empowerment pourrait se définir comme
103
ENF
l’appropriation, le renforcement du pouvoir d’agir de la personne. Défini
et investi comme tel, ce concept conduit à une mobilisation engagée des
travailleurs sociaux au côté des personnes qu’ils accompagnent dans une
dimension citoyenne éminemment politique.

Mots clés

E conscientisation, participation, démocratie participative, recherche-


action

Références bibliographiques
ALFÖLDI F, BAN P.Z., « Family groupe conferencing: une pratique inter-
nationale de développement des compétences des familles fondée sur
le concept d’empowerment », in Les cahiers de l’actif, n◦ 318/319,
novembre/décembre 2002
FREIRE P., Pédagogie des opprimés, suivi de conscientisation et révolution,
Petite collection Maspero, 1974
LE BOSSE Y., LAVALLE M., « Empowerment et psychologie communautaire.
Aperçu historique et perspective d’avenir », in Les cahiers internationaux
de Psychologie Sociale, n◦ 18, 1993
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Community Psychology: issues of theory and methods, Washington, DC,
American Psychological Association, 1990, 51-63
KR.E

Enfance
Il fut un temps où l’éducation était synonyme d’enfance. L’éducation
spécialisée s’est elle-même structurée autour de cette évidence. Une ligne de
séparation entre la petite enfance et la « grande » enfance a d’ailleurs
constitué une ligne de démarcation entre les professions : le clivage
« éducateur de jeunes enfants » et « éducateur spécialisé » en témoigne.
La question de l’adolescence, sociologiquement construite selon les uns,
incontournable pour les autres, a bien entendu fait voler en éclat cette
équation. Alors que l’adolescence est depuis des décennies identifiée comme
une source de « problèmes », interminable et de plus en plus précoce,
104
ENF
l’adolescence devenue incontournable semble avoir éclipsé l’enfance et la
jeunesse.
Alors que la révision de la loi de 1945, en 2009, a substitué le terme « enfant »
dans le code pénal à celui de « mineur », la convention internationale des
droits de l’enfance continue de rappeler l’exigence que l’enfance ne prend
fin qu’avec la majorité légale (au minimum), et dans l’idéal la capacité de
mener à bien une vie « autonome ».
E
Le XXe siècle, sur un plan théorique, a fortement contribué à brouiller
l’image de l’enfance. Philippe Ariès nous a notamment appris que l’enfance
était une notion historiquement variable et l’adolescence encore plus. La
psychanalyse a également contribué à restituer à l’enfant une dimension
pleine et entière de « sujet ». L’enfant n’est plus un étranger, un autre, un
sous-autre, ni même seulement un être en devenir. La psychanalyse donne
ainsi corps à cette exigence morale et éthique des grands pédagogues (en
particulier Korczak) : l’enfant n’est pas intéressant pour ce qu’il pourrait être
demain, il est avant tout digne d’intérêt pour ce qu’il est déjà aujourd’hui.
C’est probablement sur ce point que réside le grand changement, la grande
révolution socio-éducative dans la perception de l’enfance, qui est pourtant
encore aujourd’hui inachevée.
Le travailleur social doit ainsi faire avec ce grand mouvement « d’éman-
cipation de l’enfance », dont il est en quelque sorte l’héritier. Mais cette
influence ne va pas sans contradictions : au fur et à mesure que l’Enfance
semble devenir « majuscule », elle est également et peu à peu devenue l’objet
de toutes les passions, de toutes les peurs et de toutes les préventions ; voire
actuellement de « prédiction ». L’enfant ainsi pris en compte, saisi comme
un sujet, demeure cependant toujours un objet de soins, de signalements,
d’interdictions, de précautions, de règlementations, etc.
L’accès à l’enfance est ainsi devenu de plus en plus complexe, technique
et ne semble plus concerner aujourd’hui, du moins directement, que les
parents et les professionnels. L’enfant protégé est ainsi également un enfant
enclavé, relégué dans des zones de sécurité sanitaire et sociale, mais aussi
soustrait de la participation à la vie publique. Il est ainsi évident que les
objectifs de l’éducation et les moyens employés se contredisent sans arrêt.
Au fur et à mesure que la spécificité de l’enfance semble s’estomper,
c’est l’exigence de sa protection qui semble constituer l’unique spécificité
d’un groupe. La pédagogie, comme ensemble de pratiques, de moyens
et de méthodes pour connaître et s’adresser à l’enfant, semble toujours
aussi peu enseignée au cours des formations éducatives (au-delà de

105
ENQ
l’information traditionnelle sur « les grands courants pédagogiques) et
quasiment abandonnée dans la formation des enseignants.
Alors que la pédagogie a connu une évolution inverse, se libérant du
carcan étriqué de la « science des enfants » pour devenir, selon l’esprit de
la Pédagogie Freinet, une démarche matérielle et concrète de construction
de l’autonomie individuelle et collective, et concernant ainsi tous les
âges, les professionnels n’ont de plus en plus sur l’enfance que des
E formations abstraites : connaissances physiologiques, médicales, rudiments
de psychologie cognitive, législation, recommandations interminables.
C’est essentiellement par sa pratique et la réflexion sur celle-ci, que le
travailleur social peut à la fois prendre en compte la réalité de cette période
de la vie — caractérisée par l’inachèvement des fonctions physiologiques et
psychologiques — et sa nécessaire relativité : l’enfant est sujet, il vit dans
un monde réel et, en paraphrasant Térence, « rien de ce qui est humain ne
lui est étranger ».

Mots clés
enfance, âge adulte, mineur, Janusz Korczak, pédagogie

Références bibliographiques
MÉRIEUX Philippe, Le choix d’éduquer : éthique et pédagogie, Seuil, 1993
SIROTA Régine, Éléments pour une sociologie de l’enfance, Presses universi-
taires de Rennes, 2006
HADFIELD James Arthur, L’enfance et l’adolescence : psychologie normale et
pathologique, Payot, 1968
CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Érès, 1996
DRÉANO Guy, Guide de l’éducation spécialisée, Dunod, 2008
Ot.L

Enquêter
Enquêter ! Ce mot a été l’objet de nombreuses polémiques dans l’histoire
du travail social, et a fait aussi l’objet de nombreuses évolutions dans sa
définition et ses pratiques. Bien qu’encore abondamment employé sur le
terrain, il a vu la réforme du Diplôme d’État d’Assistant(e) de Service
Social (DEASS) de 2004 lui substituer le concept d’expertise sociale. Ce
changement marque une rupture avec les représentations de l’enquête
attachées au contrôle.
106
ENQ
Dès le XIXe siècle, l’expression « enquête sociale » est employée à la fois pour
la recherche scientifique et l’intervention sociale. En effet, en France, Le
Play élabore « la méthode sociale » qui a pour base la monographie de la
famille ouvrière et pour finalité de procéder à une étude systématique des
populations ouvrières des différents pays européens. Conçue pour l’essentiel
en 1839, elle constitue un véritable guide d’enquête : ainsi, l’on y définit le
lieu où réside la famille, son organisation au regard du travail (on parle même
d’organisation industrielle à ce propos), ses moyens d’existence, son histoire E
mais aussi son mode de vie, son budget ou encore son environnement
familial. Aux États-Unis, les institutions sociales effectuent des enquêtes
appelées « Communauty surveys » sur un quartier, sur une population ou
encore sur un problème social. Ces observations sociales à finalité pratique
se démarquent ensuite de la recherche en vue d’obtenir des connaissances
scientifiques, donnant lieu par exemple à la naissance de la célèbre Ecole de
Chicago.
L’enquête à visée d’intervention sociale a pris ses sources dans le creuset
philanthropique et le courant hygiéniste. L’outil privilégié de la méthode
d’enquête sociale est la visite à domicile. Celle-ci a alors une fonction
d’attribution de secours en même temps qu’une fonction d’observation.
L’obtention du secours dépend à la fois de l’évaluation de la situation et,
très important, du comportement du futur bénéficiaire. Il s’agit de cette
manière de rendre ce secours rationnel et efficace, en éliminant la fraude ou
le gaspillage. Le Baron de Gérando publie également au début du XIXe siècle
une méthode d’investigation dans un ouvrage intitulé Le visiteur du pauvre.
Élaborée en quatre phases, cette méthode consiste à recueillir des données
sur le pauvre et sa famille, sur les secours en nature accordés, sur l’évolution
dans le temps des divers besoins et aides obtenues et enfin sur la moralité
et la conduite du pauvre. Lorsqu’apparaît ensuite le courant hygiéniste,
Léonie Chaptal propose à son tour une méthode d’enquête dès les premiers
numéros de La revue de l’infirmière française. De son côté, Henri Sellier
emploie des infirmières-visiteuses qui, connaissant la situation des familles
sont, selon lui, en mesure de placer, au moment opportun, le conseil ou
l’avis qui peuvent être justifiés.
Une nouvelle étape est franchie quand Henry Deroy, dans son livre Les
œuvres du moulin vert, de l’assistance éducative à l’organisation familiale
précise l’évolution nécessaire de l’enquête : celle-ci, dit-il en substance,
n’a plus pour unique ou principal objet, comme c’était souvent le cas
précédemment, de distinguer les professionnels de la mendicité d’avec les
véritables pauvres et d’accorder aux uns les secours refusés aux autres. Elle

107
ENQ
se propose de reconstituer l’histoire et d’établir le bilan d’une famille afin
d’éclairer l’action – préventive s’il se peut – de l’œuvre d’assistance. Même si
l’Abbé Viollet, dans son ouvrage Petit guide du travailleur social, formation
morale et méthodes d’action, parle encore des défauts, voire des vices qui
peuvent entraver l’intervention sociale, il insiste désormais sur les qualités
sur lesquelles le travailleur social pourra s’appuyer pour provoquer les
efforts nécessaires au relèvement des individus.
E Beaucoup d’autres exemples pourraient être cités mais tous font ressortir
au début du XXe siècle, les mêmes caractéristiques de l’enquête sociale :
➤ un moyen utilisé très fréquemment dans le cadre d’un plan d’action
➤ dont le but est l’investigation en vue d’éclairer la décision et de proposer
des choix d’action pour apporter de l’aide
➤ et basé sur une éthique, à savoir discrétion et secret professionnel
vis-à-vis de l’extérieur.
Dès 1948, et après la période trouble de Vichy, l’Association Nationale des
Assistants de Service Social (ANAS), nouvellement créée, note que parmi
les techniques qu’utilise le Service Social pour accomplir sa tâche, l’une de
celles qui suscite le plus de controverses est certainement l’enquête et sa
fonction de contrôle.
À partir de cette époque, ce sujet revient très régulièrement dans les débats et
connaît son apogée dans les années 70. Cette période voit la remise en cause
des enquêtes sociales, la ré-interrogation de leur sens et de leur finalité mais
aussi et surtout la nécessité de leur redéfinition. Cela conduit le Ministère
des Affaires Sociales, en 1972, à rappeler qu’il importe de ne pas faire appel
aux assistantes de service social exerçant de manière habituelle auprès des
familles, pour faire des enquêtes qui risquent de compromettre l’action
qu’elles sont appelées à mener auprès de celles-ci.
En 1977, le Directeur de l’Action Sociale indique qu’il est important d’opérer
une distinction, parmi les différentes enquêtes, en fonction des objectifs
suivis. Il ajoute que la participation du Service Social peut donc être
envisagée dans certains types d’enquête dans la mesure où il n’y a pas à
poser de jugement sur la conduite et la moralité des intéressés et où les
renseignements qui les concernent sont transmis avec leur accord. Cette
position est largement partagée par les organismes de Sécurité Sociale
(Caisse Nationale d’Allocations Familiales et Caisse Nationale d’Assurance
maladie), employeurs importants d’assistants de service social dans cette
même période. Ceci aboutit d’ailleurs à une circulaire en date du 23 février
1987 suggérant la signature conjointe d’un rapport d’enquête sociale par
l’assistante sociale et la personne concernée lorsque cela est possible.
108
ENQ
Lorsque le Conseil Supérieur en Travail Social est chargé d’un rapport sur
le sujet par le Ministère des Affaires Sociales en 1992, il retient la définition
du Littré qui propose deux acceptions : à la fois, la réunion de témoignages
pour élucider une question douteuse ou encore un ensemble de recherches
ordonnées par une autorité administrative ou judiciaire. Il souligne de
plus que lorsque l’adjectif social lui est accolé, il entraîne davantage de
complexité, le travail social étant lui-même polysémique.
Dans ses préconisations, il indique que l’administration ou l’autorité
E
judiciaire qui a vocation à demander une enquête doit choisir « l’agent » en
fonction de ses buts. Il peut ainsi s’agir d’un administratif, d’un contrôleur
ou encore d’un spécialiste. Ce dernier peut être un travailleur social lorsque
l’enquête requiert sa qualification et s’inscrit dans un processus d’aide.
Et le CSTS d’ajouter que l’enquête sociale n’est pas seulement un recueil
d’informations, encore moins un contrôle des faits ; elle est une évaluation
suivie de propositions, s’inscrivant dans un processus d’intervention sociale
en vue de la transformation d’une situation.
Si l’on se base sur ce qui précède, enquêter serait donc évaluer et proposer un
plan d’aide. Mais n’est-ce pas ce que fait tout travailleur social dans tout type
d’intervention ? Nous voyons bien qu’une terminologie « passe-partout »
ou « valise » ne permet pas de discriminer ce qui relève d’une enquête
sociale et ce qui ressort de ce que l’on appelle aujourd’hui, sur les conseils
toujours éclairés du CSTS, une Intervention Sociale d’Aide à la Personne
(ISAP).
C’est pourquoi, sans doute, la réforme du DEASS de 2004 est venue pallier
cette insuffisance en créant un nouveau Domaine de Compétence, désormais
partagé par plusieurs référentiels de formation : l’expertise sociale.
Afin de ne pas confondre l’expertise sociale et ce que l’on pourrait appeler
communément la qualification, la définition de Philippe Roquéplo, qui
n’est pas issu du travail social mais du champ du Droit, est très aidante.
Selon lui, recourir à l’expertise consiste à s’adresser à une personne ou à
une institution jugées compétentes dans le domaine où se situe la décision à
prendre pour qu’elle lui fournisse tout ou partie de la connaissance de cause.
Si la personne accepte, elle est établie comme expert et non comme experte,
la nuance sémantique étant de taille puisqu’elle distingue le substantif de
l’adjectif. La personne “experte” serait reconnue pour sa compétence et sa
qualification dans un champ défini (ici, le travail social) ; le ou la scientifique
(ici, le professionnel qui produit de la connaissance) considéré(e) comme
« un expert » serait celle ou celui dont le dessein (ici, la mission ou le
mandat) est d’établir une expertise.
109
ENQ
Enquêter aujourd’hui consiste donc bien à suivre une démarche d’expertise
sociale qui débute par une commande d’une autorité administrative ou
judiciaire (qui peut aller d’une enquête agrément assistants familiaux à une
Investigation d’Orientation Éducative). L’enquête sociale est constituée d’un
ensemble de dispositifs et de processus visant à produire des connaissances
et à aboutir à des préconisations permettant d’éclairer une décision. Celle-ci,
contrairement à ce qui se produit le plus souvent dans le cadre d’une ISAP,
E n’est pas mise en œuvre par le travailleur social qui a conduit l’expertise,
dont la mission ou le mandat s’achève avec les préconisations.
Pour conclure, enquêter, à l’évidence, n’implique pas seulement un rapport
de connaissances, c’est aussi un rapport d’autorité. L’expert, c’est quelqu’un
que l’on croit, c’est quelqu’un en qui l’on a confiance. C’est une capacité
qui mêle différents savoirs : théoriques, procéduraux, pratiques et un
savoir-faire. Ajoutons également une dimension philosophique car les
finalités de l’expertise sociale visent le développement des personnes. Pour
ce faire, l’enquête s’appuie sur des principes éthiques et déontologiques
et nécessite un savoir-être relationnel qui conjugue cette autorité quasi-
naturelle conférée par le « statut » d’expert et la capacité à préserver des
attitudes professionnelles d’ouverture, de disponibilité, de non-jugement,
d’empathie et de respect de l’autre, quel que soit le motif qui a déclenché
l’expertise.

Mots clés
enquête sociale, expertise sociale

Références bibliographiques
ABALLÉA François, Journée d’étude organisée par l’Association des Cher-
cheurs des Organismes de la Formation et de l’Intervention Sociale
(ACOFIS), 06/12/07, Canteleu (76)
ROQUÉPLO Philippe, Entre savoir et décision, l’expertise scientifique, Éditions
INRA, 1997
Rapport de la Commission d’Étude sur les « Enquêtes Sociales », « Fonde-
ments et Légitimité », Ministère des Affaires Sociales et de l’Intégration,
Direction de l’Action Sociale, Janvier 1993
Ch.C

110
ENT
Entretien
Selon Le Petit Robert, l’entretien est l’« action d’échanger des paroles avec
une ou plusieurs personnes ». Il occupe une place centrale dans le dispositif
de l’intervention sociale et éducative. Son cadre, son contenu et ses objectifs
varient selon l’objet visé. Nous opérons donc de fait une distinction entre :
1. l’entretien de recherche dans le travail social (directif, semi-directif,
compréhensif), dévolu à l’investigation et à l’exploration d’une question
ou d’une demande auprès d’un nombre limité de personnes. Dans ce
E
cas, il s’agit de recueillir et d’analyser des données qualitatives pour
valider une hypothèse soit à partir d’attendus théoriques ou conceptuels
(démarche déductive) soit sur la base de faits observés ou de récurrences
dans le discours (démarche inductive).
2. l’entretien d’aide (duel ou familial) improvisé ou formalisé : largement
préconisé dans le travail social, il est l’un des moyens privilégiés pour
accéder au discours d’autrui dans la mesure où le professionnel est
en capacité de l’écouter et de l’entendre dans sa vérité brute. En cela,
l’entretien duel ou familial est bien une tentative d’échanger avec une ou
plusieurs personnes sur la base d’expressions verbales et non verbales
et consiste à connaître et reconnaître cet autre dans ses représentations
subjectives et ses conduites sociales.
Quel que soit le type d’entretien choisi, encourager l’échange verbal, donner
une valeur structurante à celui-ci est bien plus complexe qu’il n’y paraît :
les conditions d’un entretien « suffisamment bon » passent par la prise en
compte d’éléments susceptibles d’entraver ou d’altérer la parole de l’autre.
Ainsi, plusieurs facteurs influencent de manière significative la situation
d’entretien et méritent d’être déclinés pour mieux les maîtriser :
➤ L’espace-temps (la durée de l’entretien, le moment de sa réalisation) et
le cadre de l’entretien (les postions spatiales des interlocuteurs, l’espace
choisi, le cadre institutionnel).
➤ L’appartenance sociale (les statuts et les rôles sociaux, les stéréotypes des
groupes sociaux d’appartenance, l’âge et le sexe).
➤ La conduite de l’entretien par anticipation ou la propension de chacun à
laisser libre cours à son imagination, ce qui rend impossible ou entrave
la disponibilité psychique nécessaire lors de l’entretien.
D’autre part, si le travailleur social est un « facilitateur et un accoucheur
de mots », selon l’expression de Philipe Gaberan, il ne peut, en aucun cas,
renoncer à être lui-même sous prétexte d’accéder plus facilement à autrui ;
il doit rendre intelligible son discours à l’autre et soutenir son désir de
communication en créant des espaces d’expression authentiques.

111
ENT
La situation d’entretien met généralement en scène au moins deux individus
qui interagissent à partir de leur perception personnelle du monde,
ce qui induit des différences dans l’appréhension des faits et de leurs
conséquences. À cet endroit, la tentative de comprendre l’autre est en soi
inaccessible si elle ne se double pas d’une prise de conscience et d’un travail
d’élaboration voire de déconstruction, en amont et en aval, de ses croyances,
de ses représentations idéologiques, de ses références et de ses valeurs.
E Cette recherche d’objectivation repose de toute évidence sur un dispositif
institutionnel rigoureux (l’équipe, les temps de réunion) supposé atténuer
et/ou élucider les effets de la confrontation à la souffrance de l’autre sur
soi-même mais également sur la capacité du travailleur social à repérer les
expressions de sa propre subjectivité pour mieux les contrôler. Par cette
démarche, il s’agit de minimiser l’altération de sa capacité d’attention et
d’écoute et d’éviter :
➤ l’interprétation du discours aux dépens du message émis au risque de
développer des réponses stéréotypées, un prêt à penser qui invalide
l’échange ;
➤ la rationalisation excessive du discours qui consiste à lui donner une
signification intellectuelle au point d’en empêcher la compréhension ;
➤ l’induction ou la suggestion des réponses produit par des attitudes
spontanées, naturelles, personnelles ou habituelles du travailleur social
si elles ne sont pas maîtrisées.
Approcher la vérité de l’usager par l’entretien, c’est donc comprendre l’autre
de son point de vue, mais c’est aussi et surtout apprendre à travailler avec
la dimension conflictuelle de sa réalité psychique. L’entretien est donc loin
d’être un long fleuve tranquille où des personnes conversent, devisent ou
confrontent des arguments mais il convoque des affects, des émotions,
des sentiments confus et parfois violents, des mécanismes défensifs qu’il
convient d’explorer et, dans le meilleur des cas, d’élucider. Ainsi, dans
certaines situations d’entretien, le travailleur social doit s’effacer au profit
de la personne qu’il accompagne en faisant preuve d’empathie : par ce choix
délibéré, il considère qu’elle doit parvenir par elle-même à identifier ses
difficultés et définir les voies possibles d’un changement. Dans d’autres
situations, il lui faudra à l’inverse intervenir, orienter, aiguiller, soutenir la
parole de celui qu’il accompagne. Dans ce cas, l’entretien socio-éducatif
peut être l’occasion pour l’usager :
➤ de prendre conscience de certains de ses comportements ;
➤ de raviver ses souvenirs ;
➤ de restituer la chronologie des évènements ;

112
ÉQU
➤ de découvrir son aptitude à agir sur le déroulement des évènements ;
➤ d’établir un lien entre le passé et le présent ;
➤ de décrypter certaines consignes ou certaines situations mal comprises ;
➤ de se réentendre dans ses formulations ;
➤ d’apprendre à synthétiser ;
➤ de prendre conscience de son potentiel, de ses ressources et de la
démarche qui a rendu possible la réussite ;
➤ de savoir exprimer ses émotions ; E
➤ de découvrir le plaisir de la communication verbale ;
➤ de se préparer à des rencontres hors de son environnement habituel ;
➤ de prendre de la distance avec ses propres affects et de clarifier sa
situation.
Si, dans l’entretien clinique dont il n’est nullement question ici, le
psychologue aide son patient à surmonter ses résistances conscientes et
inconscientes, accompagne l’émergence de sa parole, décode les messages
latents, là n’est pas le rôle et la fonction du travailleur social inscrit dans
la relation éducative et engagé affectivement dans le quotidien. En cela,
l’entretien constitue bien l’un des moyens privilégiés et essentiels pour
approcher la vérité d’autrui grâce au discours qu’il est supposé produire
et intervient dans un espace-temps délimité mais il fait surtout partie
intégrante d’un système plus vaste de médiations susceptibles de développer
l’expression.

Mots clés
empathie, écoute, aide, relation

Références bibliographiques
CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Érès, 1999
MUCCHIELLI Roger, L’entretien de face-à-face dans la relation d’aide, ESF,
1996
GABERAN Philippe, La relation éducative, Érès, 2003
So.C

Équipe
Une « équipe » en action sociale ou médico-sociale est un ensemble de
professionnels dont les interventions s’articulent et se complètent autour
d’un objet commun : les réponses à donner aux personnes accueillies dans
les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS).
113
ÉQU
L’équipe n’est pas une finalité, elle ne constitue pas en elle-même un objet
de travail. Elle est un moyen pour évaluer et comprendre les situations
de travail et réaliser les projets d’intervention. Si l’équipe doit, à certains
moments, s’interroger sur elle-même, c’est toujours en regard des enjeux
liés à la qualité des réponses données et des pratiques développées que le
questionnement doit être mené.
Trois catégories d’équipes sont à repérer et définir :
E ➤ L’équipe pluridisciplinaire
➤ L’équipe pluriprofessionnelle
➤ L’équipe « partenariat/réseau »
L’équipe pluridisciplinaire d’un ESSMS est constituée par tous les
professionnels qui développent leurs actions à partir de référentiels
théoriques ou méthodologiques spécifiques, différents les uns des autres
et chacun d’entre eux contributif de la compréhension commune et de la
définition des actions à entreprendre. Classiquement, les éducateurs, les
assistants sociaux, les psychologues, les médecins, les cadres et les personnels
infirmiers et paramédicaux, font partie de l’équipe pluridisciplinaire. Ce
qui « fait équipe », c’est la claire conscience de chacun à propos des apports
et des limites de sa spécialité. Chaque compétence est utile, voire souvent
indispensable, mais cependant, il n’existe pas de « spécialité de toutes les
spécialités », ce qui revient à dire qu’aucune d’entre elle ne peut prétendre
à une supériorité intrinsèque par rapport aux autres. Ce sont les situations
à traiter qui, à partir d’évaluations et de diagnostics partagés, mettront
en évidence au cas par cas les places et les importances réciproques des
différentes approches. Cet aspect est délicat car les spécialités contributives
de l’équipe pluridisciplinaire se distinguent également de par les statuts
sociaux, les diplômes et les niveaux de rémunération. Ces différences
introduisent souvent des rapports de domination qui peuvent gêner la
disponibilité nécessaire à l’écoute de l’autre. La question de l’animation
de l’équipe pluridisciplinaire est alors essentielle. Ce sont les cadres des
ESSMS qui sont responsables du fonctionnement de la pluridisciplinarité,
c’est donc à eux que revient le travail de faciliter l’expertise de chacun et
de créer les conditions pour que les réunions de projet, d’évaluation ou de
synthèse jouent leur rôle de brassage des informations et observations et
d’élaboration des axes de travail pour les projets personnalisés.
Il arrive que certains textes (décret ITEP 2007) ou certaines équipes parlent
d’interdisciplinarité voire de transdisciplinarité. Ces notions « inter » ou
« trans » indiquent mieux que « pluri » les chevauchements de connaissances
qui interviennent obligatoirement dans les équipes. Car, autant il est clair

114
ÉQU
que les disciplines sont séparées de façon académique (à l’Université par
exemple), autant il est évident pour les praticiens que les connaissances
formées peuvent se référer à plusieurs champs disciplinaires ou spécialités.
Il est aussi possible de parler d’équipe multiréférencée pour signifier une
conception complexe, entremêlée, des savoirs présents au sein de l’équipe.
L’équipe pluriprofessionnelle est composée de l’ensemble des profession-
nels intervenant dans un ESSMS. Elle dépasse l’équipe pluridisciplinaire en
intégrant tous les professionnels non spécialisés en regard de compétences
E
techniques spécifiques et qui, pourtant, contribuent effectivement et parfois
de façon très active à la qualité des prestations et des services rendus.
Il s’agit des personnels de maintenance et d’entretien, des personnels
de cuisine, des professionnels administratifs et de gestion ou encore des
vacataires occasionnels. Les contributions et les rôles de ces personnels sont
indispensables au fonctionnement des structures mais ils entretiennent
souvent des relations avec les usagers (enfants, adultes ou parents) qui, tout
en étant liées à l’objet de leur travail, n’en participent pas moins de la qualité
du service. L’implication de ces professionnels dans la sphère technique
de l’équipe pluridisciplinaire est cependant difficile et souvent, elle n’est
pas souhaitable. Pour que les ESSMS soient cohérents, il est important
que la spécificité des rôles soit respectée et surtout comprise des personnes
accueillies et aussi des professionnels eux-mêmes. L’équilibre est difficile à
tenir entre la participation de tous aux processus d’action et la réserve tout
autant indispensable en regard de la confidentialité. Comme pour l’équipe
pluridisciplinaire, il est certain que le rôle des cadres est essentiel pour
animer les dynamiques intercatégorielles, gage de richesse mais source aussi
de difficultés du fait des chevauchements toujours possibles.
Les équipes pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle sont des collectifs de
travail stables bien repérables au sein des ESSMS. Tel n’est pas le cas de
l’équipe « partenariat/réseau » qui se constitue à l’occasion d’une situation
particulière.
L’équipe « partenariat/réseau » est constituée de façon interinstitutionnelle
entre des protagonistes n’appartenant pas à la même institution mais
concernés à un moment donné par une même question. L’équipe n’est pas
prédéfinie, elle se constitue selon les questions traitées et en sont membres
les professionnels contributifs sur un aspect au moins de ce qui réunit
l’équipe. Il peut s’agir d’une équipe rassemblée autour de la situation d’une
personne, par exemple les « équipes éducatives » réunies à l’initiative de
l’Éducation nationale pour parler des situations d’enfants en intégration
scolaire, ou bien des C.A.R.S. (Commission d’Admission et de Révision des

115
ÉTH
Situations) étudiant les situations individuelles en regard du droit. Mais il
peut s’agir aussi de rencontres partenariales centrées sur des activités afin
de les concevoir, de les réguler ou de les évaluer.
Les équipes, comme tout groupe constitué, seront traversées dans leur
fonctionnement par des processus relativement indépendants de leur
objet. Il s’agira de processus relationnels ou psychoaffectifs, de rapports
d’influence ou de domination, d’attitudes de peur, de rejet ou, au contraire,
E d’adhésion sans limites à des personnes ou à des causes. Ces phénomènes
existent mais ils se développent souvent parce que la référence à l’objet de
travail est insuffisante. Toute équipe peut légitimement s’interroger sur son
fonctionnement et procéder à des réajustements si nécessaire mais cela doit
se faire en rapport direct avec les situations communes de travail pour que
l’équipe ne devienne pas son propre objet.

Mots clés
pluridisciplinarité, pluriprofessionnalité, multiréférentialité, cadre du
social, coordination

Références bibliographiques
Jacques PAPAY, Communication en travail social, Vuibert, 2009
Maurice CAPUL et Michel LEMAY, De l’éducation spécialisée, Érès, 2002
Pierre BOURDIEU, Questions de sociologie, Éd. de Minuit, 1984
Pa.J

Éthique professionnelle
L’éthique est devenue incontournable pour l’ensemble des travailleurs
sociaux. Ce mot, à la connotation et la résonance pourtant savantes, a su
trouver un emploi constant dans les discours et écrits depuis la formation, en
passant par les établissements, les équipes, et les professionnels eux-mêmes.
À la différence de termes dont le succès tient à des modes et qui caractérisent
des techniques, le mot « éthique » semble installé de façon durable et
transversale tout au long de la vie professionnelle. En cela il est le pendant
d’un autre concept dont le succès et le caractère omniprésent sont similaires
(et sans doute en lien) : l’évaluation.
Le mot « éthique » renvoie pour tous à la question de l’individualisation et
de l’autonomie de la morale. Il renvoie d’une façon tout à fait singulière
à la fois à des questions individuelles, politiques et sociétales. En cela, ce
terme réalise une synthèse presque idéale entre les questions de travail,
116
ÉTH
d’intérêt personnel, mais aussi de groupes et d’individu. Ce concept semble
prétendre réconcilier en un seul mot l’individu, avec le collectif, les choix de
vie personnelle avec ceux de la vie professionnelle, l’action nécessairement
locale, avec les préoccupations sociétales. Ce mot réalise un rêve d’harmonie.
La nécessité d’une éthique découle du déclin et de la perte des repères liés
aux morales collectives. L’éthique est un terme qui convient dans un monde
qui exige de chaque individu, autonomie, conscience et intégration (à un
point sans doute rarement atteint dans l’histoire) des normes sociales, des E
lois et des règles.
Quand les professionnels parlent d’éthique, ils mettent en avant cette marge
de liberté et d’orientation personnelle de leur travail, qui les motive. C’est
une façon de revendiquer une autonomie ressentie comme libératrice et
nécessaire, contre des formes de travail standardisées et de pure exécution.
Évoquée, l’éthique revendique une capacité de penser et la volonté de le
faire savoir. Cependant, un terme aussi général, répandu et attendu, est
toujours en risque de se standardiser lui-même. L’éthique n’échappe pas à
la nécessité de la définition. Il est tout à fait tentant pour tout un chacun
de chercher alors des formulations générales et à la mode qui peuvent se
décliner dans des « chartes », ou reprendre les références que nous tendent
les organismes officiels (comme l’ANESM) ou certains « maîtres à penser »
de ce secteur.
L’autonomie et la liberté promises par l’éthique sont mises en péril par
la définition pompeuse et stérile, mais aussi la déclinaison en principes
tout faits et bien pensants qui nient par leur conformité le sens du mot
lui-même. Contre ce danger, il est intéressant de promouvoir un concept, un
peu suranné, peu nommé mais également important : celui de déontologie.
En effet la déontologie peut permettre, à défaut de la réalisation d’une
autonomie de pensée, la mise en place d’un certain nombre de garde-fous
collectifs, propres à une profession. De ce point de vue, la déontologie
permet d’envisager une certaine « raison partagée » entre acteurs sociaux
engagés sur un même terrain ou auprès d’un même public.
Cependant la nécessité d’une éthique interpelle le travailleur social, qui ne
peut faire l’économie d’un profond travail : celui de sa conscience et de
l’analyse de son activité professionnelle. L’activité professionnelle confronte
en effet à un questionnement éthique permanent : quel est le sens de
l’action socio-éducative ? Jusqu’où pénétrer dans l’intimité des usagers ?
Comment entrer en relation sans que cela constitue une effraction ? Ces
questionnements sont encore plus cruciaux lorsque l’activité consiste à se
rendre au domicile de l’usager, notamment en AEMO, AED, PMI, etc.

117
ÉTH
La démarche éthique questionne le rapport des professionnels à leur terrain :
que pouvons nous faire ? que devons-nous faire ? Il ne s’agit donc pas d’une
position normative estimée en bien ou mal par rapport à la morale, mais
d’un questionnement d’un sujet en rapport à sa pratique. Il ne s’agit
donc pas seulement de maîtriser un cadre de ce qui serait souhaitable et
estimable, mais aussi et surtout de se confronter aux dimensions subjectives
de l’éthique.
E La confrontation à l’éthique dans le cadre de la pratique professionnelle
résulte également de la réflexion des professionnels sur l’impossible
neutralité des praticiens. En effet, ceux-ci sont impliqués dans leur activité
professionnelle. Ils ne peuvent se situer dans une position d’extériorité,
même si cette neutralité revendiquée dans les sciences dites « dures » est
également recherchée dans les sciences humaines ou dans l’intervention
sociale. Ce questionnement confronte les praticiens à un dilemme : la
nécessaire recherche d’une impossible distanciation professionnelle. À la
fois impliqué et sommé de se distancier, le travailleur social se situe dans
une posture éthique perpétuellement en tension.
Face aux questionnements éthiques, il ne peut y avoir de position univoque.
Ce questionnement est un cheminement réflexif concernant les pratiques
professionnelles, autrement dit un mouvement dans lequel une position ne
saurait être arrêtée une fois pour toutes. Les cliniciens de l’éducation, de la
relation d’aide, de l’intervention sociale, sont impliqués dans la parole, dans
l’action. Ils créent des significations. Ils ne sauraient donc être neutres par
rapport à leur terrain et aux usagers qu’ils sont chargés d’accompagner. Ce
qu’ils énoncent sont des interprétations (leur vérité) et non la Vérité. Ces
interprétations, à partir du discours des usagers et de leurs observations,
les engagent avant tout et ne constituent en rien une Vérité scientifique,
qui enfermerait les sujets dans une réalité indiscutable. Les travailleurs
sociaux se situent dans un champ épistémologique construit sur la base
d’interprétations émises à partir d’hypothèses élaborées selon une approche
singulière et particulière. Prendre soin d’autrui, se montrer prévenant, c’est
avant tout permettre aux usagers-sujets de ne pas être dans une position
d’aliénation par rapport aux interprétations formulées sur eux, par les
travailleurs sociaux. Ainsi, l’éthique doit permettre d’échapper à la violence
intrinsèque de l’interprétation et consiste à accepter de ne pas détenir la
Réponse, à se rapprocher au plus près de la vérité des sujets et à leur
permettre de l’énoncer.
Le questionnement éthique conduit également à réfléchir sur le pouvoir
entraîné par la posture des travailleurs sociaux. Il convient de prendre garde

118
ÉVA
au « pouvoir » que confère la fonction professionnelle, tant vis-à-vis des
collègues, des parents que vis-à-vis des enfants, des adolescents ou adultes
vulnérables. Il faut que les professionnels se méfient de se présenter comme
ceux qui savent, ou de vouloir occuper cette place à tout prix. Un certain
nombre de parents présentés comme démissionnaires ne le sauraient-ils
pas en raison de leur confrontation à des professionnels « qui savent » ce
qui est « bon » pour eux comme pour leur(s) enfant(s) ?
De même, il est nécessaire d’aborder la question éthique du recueil des
E
données et leur interprétation : anonymat des informations recueillies,
transmission d’informations nominatives (question actuelle depuis la
création de la notion de secret partagé par la loi n◦ 2007-297 du 5 mars
2007 relative à la prévention de la délinquance), détention d’informations
sur l’usager dont ce dernier est ignorant, etc. La question de l’éthique en
travail social est à appréhender dans le travail d’équipe. De même, les
professionnels interviennent dans un cadre institutionnel, au nom d’un
mandat qu’un tiers confie à l’institution et que l’institution leur délègue.
L’institution doit permettre de poser et de garantir la mise en œuvre d’un
cadre éthique professionnel.

Mots clés
engagement, morale, intervention sociale, soins, sens de l’action

Références bibliographiques
BOUQUET, Éthique et travail social, Dunod, 2004
FELDMAN Jacqueline, CANTER KOHN Ruth (coord.), L’éthique dans la pratique
des sciences humaines : Dilemmes, L’Harmattan, 2000
LOISEAU Martine, « Éthique des pratiques sociales et déontologie des
travailleurs sociaux, La nécessaire question du sens et des limites des
interventions sociales », in Conseil Supérieur du Travail Social, 2001
Mu.N
Ot.L

Évaluer
Évaluer est un terme d’usage récent en action sociale et médico-sociale. Il a
été introduit dans les années 80 à propos des premiers dispositifs d’insertion
des jeunes en difficulté sociale. Il s’est étendu au secteur médico-social à
partir de la loi du 2 janvier 2002 qui, en son article 22, crée l’obligation
d’évaluer les activités et la qualité des prestations en référence à des
119
ÉVA
recommandations de bonnes pratiques dans les établissements et services
sociaux et médico-sociaux.
Évaluer, c’est « donner de la valeur » à quelque chose, à quelqu’un, à quelque
manière de faire ou de se comporter. L’expression « donner de la valeur »
sous-entend clairement une relation entre celui ou celle qui « donne »
la valeur et l’objet ou la situation qui est à évaluer. En action sociale et
médico-sociale, les résultats ou effets des actions entreprises sont toujours
E plus ou moins dépendants des interactions qui existent et qui se modifient
constamment entre les professionnels et les destinataires des actions. Les
professionnels peuvent être compétents et expérimentés, ils peuvent élaborer
et développer les meilleurs projets, mais cela ne change rien au fait que leurs
actions s’adressent à des êtres vivants qui réagiront à ce qui leur est proposé
de façon personnalisée et souvent non prévisible. Il y a donc toujours des
incertitudes en ce qui concerne l’appréciation des résultats et des effets des
actions conduites. En action sociale et médico-sociale, comme dans toute
pratique impliquant le relationnel, il est difficile d’établir des relations de
causalité entre les phénomènes observés, c’est-à-dire d’établir des logiques
entre des causes et des conséquences. Le très grand nombre d’éléments à
prendre en compte et l’importance des facteurs subjectifs rendent quasi
impossible de prouver qu’une modification de comportement est produite
par une activité précise. Des co-variations peuvent être observées (un
élément bouge en même temps qu’un autre), mais, dans ce cas, il ne s’agit
pas forcément de relations de cause à effet. Pour ne pas être aveugle et pour
pouvoir développer la compréhension des processus pratiques, malgré leur
nature profondément incertaine, l’action professionnelle doit être appréciée
par rapport à des éléments stables (les références) pour qu’il existe une
mesure ou une estimation des écarts selon les situations étudiées.
Il n’existe pas d’actions sociales ou médico-sociales qui ne soient référées
à des références explicites ou implicites. En effet, dès lors que l’on entre
en relation avec l’Autre et que des interactions se créent, les actes posés et
les paroles dites prennent toujours un sens en regard de valeurs, normes,
principes, habitus, règles... Ces références sont souvent inconscientes et
dépendent de notre culture, éducation et de nos milieux de vie. Si elles
demeurent implicites et non formalisées, l’évaluation est impossible. Il ne
pourra alors s’agir que de commentaires personnels et de débat d’idées sans
intention précise. Pour évaluer, par contre, il est indispensable de préciser
en regard de quoi on cherche à apprécier l’objet de l’évaluation. Évaluer
est donc toujours « apprécier par rapport à quelque chose » et ce « quelque
chose » doit être connu pour que l’évaluation puisse être partagée.

120
ÉVA
Il apparaît alors clairement que l’enjeu de l’évaluation dans le secteur social
et médico-social est essentiellement celui de la construction et du partage
des référentiels par les membres d’une même équipe professionnelle. En
effet, la reconnaissance du fait que les situations de travail sont toujours des
« situations en relations » pourrait déboucher sur un relativisme généralisé
et avoir pour conséquence de laisser les intervenants livrés à eux-mêmes
au sein des interactions. Si tel était le cas, on reviendrait à quelque
mythe fondateur du travail social qui renvoyait toute action et tout effet E
d’action à la personnalité même du professionnel, en ignorant finalement
sa professionnalité. Il est alors clair, dans une telle perspective, qu’évaluer ne
consisterait qu’à « évaluer les personnes », qu’il s’agisse des usagers ou des
professionnels. Telle n’est plus du tout l’orientation prévue par les textes de
référence qui, au contraire, cherchent à introduire, par l’évaluation, un tiers
extérieur (la commande publique), afin d’assurer le caractère professionnel
et technique des interventions sociales et médico-sociales.
Évaluer doit se faire au moyen de référentiels connus et élaborés de façon
participative, avec les professionnels concernés et les usagers ou leurs
représentants. Un référentiel de pratiques est constitué d’un ensemble
de références portant sur un thème particulier. Les recommandations de
bonnes pratiques de l’ANESMS (Agence Nationale de l’Évaluation Sociale
et Médico-Sociale) définissent des thèmes essentiels. Une référence est « ce
à quoi on se reporte », il ne s’agit pas d’une norme mais d’une « intention
précise pour l’action ».
L’évaluation se définit donc comme un processus continu, collectif et
partagé de compréhension des effets produits par les actions menées,
fondé sur l’observation et référé à un ou plusieurs référentiels construits
préalablement aux actions entreprises. Évaluer consiste à estimer les écarts,
les convergences ou les divergences entre les références, les discours et les
pratiques. Évaluer consiste à mieux comprendre les processus d’actions
et d’interactions, selon des angles de regard différents, pour réaliser des
analyses de situations concrètes. Ces situations doivent aussi être replacées
dans leurs contextes. Cette contextualisation, que l’on pourrait aussi appeler
« travail de problématisation » permet d’enrichir l’analyse des situations et
donc de mieux les comprendre. Le sens apparaît plus clairement et, à partir
de là, il est plus facile de redéfinir les hypothèses de travail, les projets, les
principes d’action et les modalités d’organisation et de mise en œuvre des
interventions.
L’évaluation en action sociale et médico-sociale doit être distinguée du
contrôle qui cherche à vérifier que la destination, le résultat, est atteinte.

121
ÉVA
L’évaluation cherche en revanche à comprendre des processus à l’œuvre
en prenant en compte le temps (les situations évoluent avec le temps) et
la multiplicité des éléments qui coexistent au sein des situations étudiées.
En cela, l’évaluation s’apparente davantage au cheminement, processus
d’avancée vers.
Les méthodes de l’évaluation sont très différentes de celles du contrôle. Elles
s’apparentent plus au témoignage qu’à la preuve. En matière d’éducation,
E d’enseignement, de formation et dès lors que l’action est toujours « en
interaction », les preuves ne sont jamais établies. Les indicateurs ou traceurs,
sont alors à définir et à comprendre comme des éléments clairement
identifiés à un moment donné et servant de référence pour apprécier des
écarts. Mais ces indicateurs ou traceurs sont eux-mêmes à comprendre
en fonction de leurs modifications incessantes au sein de situations
changeantes.
Les enjeux de l’évaluation sont très importants pour le secteur social
et médico-social. Les pressions sont très vives pour la réduire à une
simple vérification de conformité à des standards définis extérieurement
au champ d’activités spécifique. L’avenir dira si ce secteur se réduira aux
seules prestations (ouvrant sur le contrôle) ou bien si la logique de service
personnalisé continuera d’être première. Dans ce dernier cas, c’est bien
« évaluer » qui sera le terme adapté pour tenter de mieux comprendre les
processus à l’œuvre.

Mots clés
processus, compréhension, objectivation, référence, temps, interaction,
loi du 2 janvier 2002, contrôle

Références bibliographiques
ALFÖLDI Francis, Savoir évaluer en action sociale, Dunod, 2006
ARDOINO Jacques et BERGER Guy, D’une évaluation en miettes à une
évaluation en actes, Andsha Matrice, 1979
JANVIER Roland, Conduire l’amélioration de la qualité en action sociale,
Dunod, 2009
PAPAY Jacques, L’évaluation des pratiques dans le secteur social et médico-social,
Vuibert, 2e éd., 2009
PAPAY Jacques (sous la direction de), « Avec Jacques ARDOINO : temps,
éducation et formation », in Le Sociographe, hors série No 3, 2008
Pa.J
122
EXC
Exclus
L’exclusion sociale est l’exemple typique d’un concept qui déborde de son
cadre scientifique initial pour rejoindre la sphère du débat social, médiatique
et politique. Ce succès dans le langage commun marque paradoxalement
l’affaiblissement de sa valeur scientifique, au point que les sociologues
incitent aujourd’hui à prendre des distances avec ce qui est devenu un
lieu commun. L’exclusion sociale informe donc avant tout du traitement
social réservé à ceux qui sont ainsi désignés. Dans ce contexte, l’étymologie
E
est précieuse et édifiante : le latin excludere signifie ne pas laisser entrer,
ne pas admettre. En effet, les exclus représentent une population dont la
représentation est équivoque : leurs conditions témoignent à la fois d’une
injustice sociale qui fait d’eux des victimes d’un fonctionnement producteur
d’inégalité et d’une punition qui résulte d’une responsabilité individuelle
mettant en cause leur mérite. Ainsi, les exclus sont désignés, au nom de
leurs socialisations particulières, comme un groupe tantôt à aider, tantôt à
redouter. Quoiqu’il en soit, ces derniers sont désignés et ne bénéficient pas
d’un regard et d’un traitement ordinaires ; autrement dit, ils sont toujours
stigmatisés.
Il existe trois modèles successifs de l’exclusion sociale. C’est en 1974 que
René Lenoir propose dans son ouvrage (Les exclus.Un français sur dix) que
les exclus regroupent ceux qui étant inadaptés (principalement au travail)
méritent d’être ainsi considérés. L’absence d’un chômage de masse favorise
la sous-estimation de la responsabilité sociale. La crise économique amène
un renouvellement de cette approche, dans les années 1970. Le père Joseph
Wrésinski (fondateur d’ATD Quart monde) propose alors de considérer les
exclus comme des victimes d’un fonctionnement social qui ne permet pas
à tous de bénéficier des droits fondamentaux. Dans un ultime rééquilibrage
dans les années 1980, l’INSEE rejette tout parti pris en définissant l’exclusion
en fonction d’un non accès à des marchés économiques, comme le logement,
les vacances ou la santé.
Ainsi, les exclus peuvent être définis comme ceux dont la socialisation
fait état d’une inadaptation individuelle, d’une négation de leurs droits
fondamentaux, ainsi qu’un refoulement de plusieurs marchés économiques
accessibles au plus grand nombre.
Cette approche possède deux grands défauts : elle fige des individus dans un
état binaire (exclus ou pas) en évacuant la complexité de toute socialisation
qui se nourrit de processus complexes et définit un paradigme de séparation
en suggérant que ce groupe serait partiellement en dehors de la société.

123
EXC
Pour remédier à ces travers, les sociologues proposent aujourd’hui des
approches qui s’attachent davantage aux processus de fragilisation de la
socialisation, en étudiant les conditions de l’affaiblissement des liens sociaux
(disqualification). Alors, même si certains voient leur socialisation s’affaiblir,
il n’est plus question de les considérer comme à la « porte » de la société,
comme le laisse entendre l’étymologie de l’exclusion. Le travail social utilise
largement la référence à l’exclusion sociale. Sa nature pseudo-scientifique
E rassure certainement du sérieux de cette utilisation professionnelle. C’est
ainsi que tous les usagers rencontrant des troubles de la socialisation sont
susceptibles d’êtres qualifiés d’exclus. Insidieusement, une partition s’est
ainsi opérée entre ceux qui souffrent de leur corps (handicap physique ou
mental) et ceux qui souffrent de leur socialisation. Cette catégorisation n’est
pas davantage scientifique que professionnelle. Il est alors important de se
méfier de cette utilisation qui masque la spécificité de la trajectoire sociale de
chacun, qui ne peut être gommée sous le poids d’une approche globalisante
à l’extrême. Il est alors conseillé de remplacer autant que possible la référence
à l’exclusion au profit d’une description du processus forcément complexe
de la fragilisation de l’inscription sociale de la personne considérée.

Mots clés
disqualification, stigmatisation, catégorisation, socialisation

Références bibliographiques
BOURDIEU Pierre (sous la direction de), La misère du monde, Seuil, 1993
PAUGAM Serge, L’exclusion, l’état des savoirs, La Découverte, 1996
CASTEL Robert, Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du
salariat, Fayard, 1995
RULLAC Stéphane, Et si les SDF n’étaient pas des exclus ? Critique de l’urgence
sociale, Vuibert, 2006
Ru.S

124
F
Faire ensemble
F

Accompagner une personne en difficulté à entrer dans une dynamique de


changement, requiert du professionnel de savoir établir une relation avec
elle et d’en assurer la continuité. Or la relation ne se construit pas ex nihilo,
à partir de rien, et ne se décrète pas non plus. Elle se conquiert et parfois
même de haute lutte. Il y a des outils, concrets et repérables, pour aider le
professionnel à créer du lien : « faire ensemble » en est un.
Celui-ci renvoie à une modalité privilégiée d’intervention pour le travailleur
social, qui consiste à vivre des expériences avec les personnes qu’il
accompagne. Préparer ensemble un repas, partager le couvert, entrer dans
un jeu de cache-cache, participer à une activité d’escalade où chacun
éprouve les mêmes peurs et difficultés... sont autant d’occasions, fortuites
ou recherchées, de « s’apprivoiser » mutuellement et de créer une histoire
commune. La relation trouve là un appui pour se construire, lors de ces
moments faits de plaisir, d’émotion et d’échange.
Dans le « faire ensemble », chacun — professionnel et usager — se retrouve
impliqué dans l’action, coude à coude, côte à côte. Ce changement de
position, qui suppose une certaine égalité sans pour autant nier la relation
asymétrique qui existe entre un professionnel et un usager, ouvre des voies
et permet de renouveler le regard que chacun porte sur l’autre. « Faire
ensemble » est par là même une source d’évolution et de changement non
négligeable.
La vie quotidienne (coucher, lever, toilette, repas...) ou les activités scolaires,
périscolaires et culturelles fournissent de nombreuses occasions de mettre
en place des actions partagées. C’est pourquoi les internats et foyers sont
des lieux propices pour faire vivre cette pédagogie. Il existe cependant
des expériences de ce genre, originales mais marginales, dans d’autres

125
FAI
champs tels que la prévention spécialisée, l’action éducative en milieu
ouvert, les centres accueillant des personnes toxicomanes, etc. Tous alors,
professionnels, usagers, parfois même leur famille, se rassemblent autour
d’une action commune. Ces travailleurs sociaux, qui sortent de leur cadre
habituel (généralement le bureau), ont compris tous les bénéfices de ces
moments privilégiés où l’on « fait ensemble quelque chose ». L’enjeu est de
réintroduire une dynamique positive dans les relations et au-delà même
dans une histoire de vie.
F
Mots clés
outil d’accompagnement, relation, vie quotidienne, activité, jouer,
vivre ensemble

Références bibliographiques
Le Fil du récit, CNFE-PJJ, Vaucresson :
- n◦ 1 « Ecrire trouver », décembre 1998 ;
- n◦ 2 « Récits et ricochets », mars 2000 ;
- n◦ 3 « Dedans dehors », avril 2002 ;
- n◦ 4 « Inventer le jeu », décembre 2005.
Ej.E

Faisant fonction
Faire fonction de, tenir lieu de... Remplir provisoirement la tâche de... Faire
fonction consiste à occuper une fonction sans en avoir la qualification,
sans pour autant signifier un manque d’expérience et de compétence. Cette
situation est encore assez répandue dans la branche professionnelle sanitaire
sociale et médico-sociale pour les métiers non réglementés, c’est-à-dire
pour les métiers qui n’exigent pas un diplôme pour les exercer (comme
infirmière, médecin ou assistant de service social).
Dans la branche professionnelle sanitaire sociale et médico-sociale, des
faisant fonction se retrouvent tout particulièrement dans les métiers éducatif
et logistique. L’enquête emploi d’UNIFAF de 2007 estime que la proportion
des faisant fonction peut représenter selon les secteurs entre 10 et 30 % des
effectifs. Selon les régions la situation est différente. C’est en Île-de-France
que l’on trouve les pourcentages les plus élevés de faisant fonction. En
ce qui concerne les secteurs, c’est la prévention spécialisée qui est le plus
concerné. En ce qui concerne les diplômes, la proportion des faisant fonction
comme moniteur éducateur ou éducateur spécialisé peut atteindre 15 %
126
FAI
des effectifs. Cette solution, liée au déficit de personnels qualifiés, permet à
l’employeur de pourvoir malgré tout des postes qu’exigent la continuité du
service et la sécurité des personnes accueillies ou accompagnées. Elle permet
aussi de pourvoir provisoirement un poste à responsabilité en l’absence
temporaire du titulaire (faire fonction de chef de service, de directeur). La
convention collective 66 prévoit que cette possibilité, dans son article 40,
doit s’accompagner d’une indemnité différentielle et ne peut durer plus de
six mois.
Pour les salariés qui n’ont pas eu la possibilité ou le désir de poursuivre F
des études et accéder à des qualifications, le statut de faisant fonction est
une opportunité d’accéder malgré tout à une fonction socio-éducative.
Pour certains, cette possibilité consiste dans une opportunité de promotion
sociale. Encore faut-il que cette situation de faisant fonction ne perdure
pas et reste provisoire. Elle doit alors être accompagnée d’une formation
qualifiante qui peut être réalisée par un contrat de professionnalisation, un
contrat d’apprentissage, une formation en situation d’emploi ou un accès à
la validation des acquis de l’expérience.
Si la situation de faisant fonction permet d’accéder à un secteur qui crée de
l’emploi, elle comporte toutefois un certain nombre de risques. Le premier
est d’être moins bien payé. L’adage « À travail égal, salaire égal », n’est pas
nécessairement le cas en la matière. Le second est de s’installer dans cette
situation trop longtemps, de stagner dans la grille indiciaire et hiérarchique.
Enfin, repousser un départ en formation peut engendrer une crainte et
des réticences qui augmentent en fonction de l’âge et des responsabilités
familiales. Ceci fragilise à terme le parcours professionnel et la carrière, dans
la mesure où cette situation rend difficile la mobilité du salarié et l’installe
dans une dépendance à son employeur. Maintenir cette position fragilise
le salarié et ne permet pas à terme d’assurer le maintien de la qualité du
service rendu. Ainsi, le recours à la situation de faisant fonction doit être
une mesure exceptionnelle et ne peut en aucun cas constituer une politique
pérenne de gestion des ressources humaines.
La branche professionnelle sanitaire sociale et médico-sociale favorise l’accès
à la qualification, notamment par la validation des acquis de l’expérience.
Cette priorité devrait permettre de réduire à terme le nombre de faisant
fonction. La dernière loi sur la formation professionnelle et les négociations
en cours dans la convention collective prévoient que l’embauche d’un
salarié sans qualification s’accompagne obligatoirement d’un engagement
réciproque d’une formation qualifiante. Le statut provisoire de faisant
fonction, dès lors qu’il constitue une voie d’entrée dans l’emploi préalable à

127
FON
une formation qualifiante, doit rester un dispositif de promotion sociale et
une réponse ponctuelle aux besoins d’emploi dans notre secteur social.

Mots clés
promotion sociale, situation provisoire, qualification, VAE

Références bibliographiques
F AUTÈS Michel, Les paradoxes du travail social, Dunod, 2004
Enquête emploi, UNIFAF, 2007
P.JM

Fonction publique
Les travailleurs sociaux peuvent être employés par la fonction publique.
La loi du 13 juillet 1983 rappelle que les métiers des fonctionnaires sont
organisés en corps régis par des statuts particuliers. Ils sont répartis en
trois catégories désignées dans l’ordre hiérarchique par les lettres A (niveau
bac + 3 au moins), B (niveau bac au moins) et C (niveau brevet des collèges
au moins).
Il existe trois fonctions publiques : d’État, territoriale, hospitalière. Sauf
dérogation prévue par la loi, le principe d’accès à la fonction publique est
le concours. Les concours de la fonction publique de l’État débouchent
sur l’accès à un poste, tandis que les concours de la fonction publique
territoriale, organisés par le Centre national de la fonction publique
territoriale (CNFPT), débouchent sur une liste d’aptitude qui conduit
les lauréats à se présenter ensuite directement auprès des collectivités
employeurs qui choisissent les recrutés parmi les lauréats du concours, ce
qui peut conduire à ce que des lauréats n’obtiennent finalement pas de poste
après les deux ans auxquels ouvre la liste d’aptitude.
Le fonctionnaire consacre l’intégralité de son activité professionnelle aux
tâches qui lui sont confiées. Il ne peut exercer à titre professionnel une
activité privée lucrative de quelque nature que ce soit, sauf exception dûment
prévue. Il est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées, il
doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans
le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre
gravement un intérêt public. Il est tenu au secret professionnel dans les
conditions du Code pénal et doit faire preuve de discrétion professionnelle
pour tous les faits, informations ou documents dont il a connaissance dans
l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.
128
FON
Après avoir été recruté et affecté sur un emploi, le fonctionnaire connaît une
carrière qui améliore sa rémunération et ses conditions de travail soit par
avancement d’échelon (tous les deux, trois ou quatre ans) ou de grade (« au
choix », c’est-à-dire par ordre de mérite sur un tableau d’avancement) soit
par promotion dans un autre corps ou cadre d’emploi (par liste d’aptitude,
examen professionnel ou par concours interne).
La loi de modernisation de la fonction publique du 2 février 2007 vise à
améliorer le déroulement des carrières des fonctionnaires par des mesures
relatives à la formation, la mobilité et le cumul d’activités. Elle ouvre droit F
à la formation tout au long de la vie, elle élargit les possibilités de mobilité
professionnelle au sein de la fonction publique ou en dehors. Elle accorde
l’autorisation d’accomplir un service à temps partiel de plein droit au
fonctionnaire ou à l’agent non titulaire de droit public qui crée ou reprend
une entreprise, pour une durée d’un an renouvelable une fois.
Il est possible par dérogation au droit commun de recruter des agents non
titulaires, régis par le droit public. Ainsi, la fonction publique peut recruter
des agents contractuels.
Ils ne peuvent être recrutés qu’en CDD de trois ans au plus renouvelables
une fois et obtiennent ensuite un CDI s’ils sont maintenus. Ces agents non
titulaires sont régis par le droit public, c’est-à-dire le statut de leur corps
de rattachement et la règlementation générale (sous le contrôle du juge
administratif en cas de litige, et non du conseil des prud’hommes).
Les trois fonctions publiques représentent 5,3 millions d’agents, 47 %
appartiennent à la fonction publique de l’État, 33 % à la fonction publique
territoriale et 20 % à la fonction publique hospitalière. Les travailleurs
sociaux sont présents dans les catégories A et B. Pour l’État et les collectivités,
le recrutement s’effectue par concours sur épreuves écrites et orales ; pour la
fonction publique hospitalière, il s’effectue sur titres (dossier plus entretien).
Il existe également des recrutements par voie contractuelle des personnes
ayant la reconnaissance de la qualité de travailleurs handicapés (RQTH).
Il s’agit de médiateurs familiaux, moniteurs-éducateurs, techniciens de
l’intervention sociale et familiale, conseillers en économie sociale et familiale,
assistants de service social, éducateurs spécialisés, éducateurs techniques
spécialisés, éducateurs de jeunes enfants, cadres socio-éducatifs, animateurs
DEFA, délégués aux tutelles, responsables d’unités d’intervention sociale,
directeurs d’établissement social.
La fonction publique de l’État est principalement répartie entre les différents
ministères. La loi du 26 janvier 1984 s’applique aux collectivités territoriales

129
FON
(communes, départements, régions) et à leurs établissements publics
(centres communaux d’action sociale et intercommunalité notamment). La
loi du 9 janvier 1986 s’applique à la fonction publique hospitalière pour
tous les établissements d’hospitalisation publics.
S’agissant de la fonction publique de l’État, il existe des assistants de service
social ou socio-éducatif dans la plupart des ministères et des éducateurs
spécialisés au sein du ministère de la Justice.
➤ Les assistants de service social, classés en catégorie B, exercent des
F fonctions visant à aider les personnels ou les usagers du service public.
On trouve ainsi par exemple des assistants de service social au sein des
administrations centrales et déconcentrées (régions et départements),
par exemple au sein des principaux commissariats de police. Il existe
un débouché au sein des attachés d’administration des affaires sociales
(catégorie A).
➤ Les éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse, PJJ, catégorie B,
concourent à la préparation et à la mise en œuvre des décisions civiles
et pénales prononcées par les juridictions à l’égard des mineurs et des
jeunes majeurs. Ils conduisent des actions d’éducation, d’investigation,
d’observation et d’insertion auprès des mineurs délinquants ou en
danger et des jeunes majeurs faisant l’objet d’une mesure de protection
judiciaire. Ils peuvent ensuite devenir directeurs de service, par exemple
de centre ou de foyer d’action éducative, puis directeur départemental
et régional.
Les collectivités territoriales sont les principaux employeurs publics de
travailleurs sociaux.
➤ Les conseils généraux sont responsables de droit commun de l’aide
sociale. Celle-ci se répartit entre l’aide sociale à l’enfance, à la famille, aux
personnes handicapées et aux personnes âgées. Les départements sont
également compétents pour l’insertion et la prévention de l’exclusion
(plan départemental d’insertion, fonds d’aide aux jeunes, fonds de
solidarité logement, prévention spécialisée). À titre expérimental certains
départements exercent la compétence de la protection judiciaire de la
jeunesse. Un département d’un million d’habitants emploie en moyenne
un millier de travailleurs sociaux.
➤ Présidés par le maire de la commune, les Centres Communaux d’Action
Sociale s’imposent comme l’outil politique de l’action sociale locale.
Ils viennent en complément de l’aide sociale légale exercée par les
départements. Ils peuvent être organisés à l’échelle intercommunale.
Aux termes de l’article L 123-5 du Code de l’action sociale et des familles,

130
FOR
« le centre communal d’action sociale anime une action sociale générale
de prévention et de développement social dans la commune. Il participe
à l’instruction des demandes d’aide sociale ».
➤ Les collectivités subventionnent et contrôlent un grand nombre de
structures associatives, soit habilitées, délégataires de missions de service
public, soit simplement actives dans le champ éducatif et social sans
agrément particulier.
Enfin, la fonction publique hospitalière est également un gros employeur
de travailleurs socio-éducatifs : F
➤ Le statut est régi par le décret du 26 mars 1993. Leur mission consiste à
mener en réseau des actions de prévention et d’aide sociale au bénéfice
d’une part des personnels, d’autre part des usagers du service public.
➤ Il s’agit des hôpitaux publics, maisons de retraite publiques et tous
établissements sanitaires et médico-sociaux.

Mots clés
Aide sociale, Conseils Généraux, Hôpitaux

Références bibliographiques
Loi n◦ 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonction-
naires
Loi n◦ 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à
la fonction publique territoriale
Loi n◦ 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la
fonction publique hospitalière
http://infos.emploipublic.fr/2009/09/01/le-travail-social-dans-la-
fonction-publique/
Pe.É

Formation
L’expression « se former » implique d’emblée une double perspective. Tout
d’abord, il faut noter que le « se » vient signifier le rôle du sujet dans la
formation et, d’autre part, cette expression introduit la durée. Si l’on « se
forme », ce ne peut être que par un processus dont le sujet sera partie
prenante. « Former » serait un énoncé beaucoup plus direct, immédiat
et péremptoire. Pour définir « se former », nous allons nous appuyer sur
une distinction ancienne mais pour autant toujours pertinente de Jacques
Ardoino entre trois termes : agent, acteur et auteur.
131
FOR
L’agent « suit » la formation dans laquelle il s’est engagé. Ses motivations
sont incertaines et son implication faible. Il exécute ce qu’on lui demande
et déploie tous ses efforts pour être en conformité avec les règles et les
contraintes. Il évite l’engagement qui serait susceptible de lui faire prendre
des risques, il ne prend pas d’autres initiatives que celles qui sont strictement
indispensables en regard de la conformité. Généralement, on oublie de
relever que la présentation aux diplômes d’Etat du travail social continue
de se faire, entre autres, sur la base d’un certificat de conformité qui, signé
F par le directeur de l’organisme de formation, atteste que la personne a
« suivi » un cycle et en a respecté les obligations. Il est clair dans une
telle perspective, que le sens de « se former » est réduit au minimum. En
fait, la personne en formation ne se forme pas vraiment par un processus
d’engagement et de confrontation avec ce qui est proposé. Les formations
en travail social, quels qu’en soient les niveaux (AMP, ME, ES, AS, EJE,
Caferuis, DEIS, Cafdes, divers Masters) sont concernées par le phénomène
du « suiveur ». Pourtant, les représentations dominantes continuent de
valoriser l’engagement, l’abnégation ou la vocation, valeurs que seraient
censées détenir les personnes en formation de travailleurs sociaux. Mais le
décalage avec la réalité des situations rencontrées montre que des attitudes
d’agent ne sont pas rares désormais et soulèvent d’ailleurs de redoutables
questions dès lors que les personnes ne se posent qu’un minimum de
questions à propos des pratiques. La dimension de service qui est au cœur
de l’action sociale et médico-sociale s’en trouve malmenée.
L’acteur s’engage avec détermination dans un scénario écrit par d’autres et
interprète sa participation à sa façon mais dans le respect des cadres existants.
L’acteur cherche à comprendre les finalités, le programme, les règles et les
conditions d’organisation de la formation. Il y participe activement, il prend
des initiatives, conteste si besoin et il est soucieux de l’avancée des groupes
au sein desquels il est inscrit. L’acteur se forme par un processus interactif
entre lui-même et un dispositif de formation considéré dans tous ses aspects,
pédagogique, théorique, pratique et organisationnel. Il est partiellement
encore « agent » car, dans ses attitudes, il témoigne d’une dépendance aux
cadres institués, mais il est aussi déjà « auteur » car ses interprétations
peuvent confiner, voire constituer des créations authentiques sans que le
projet en ait été formé préalablement. Les acteurs sont les interlocuteurs des
formateurs pour élaborer, évaluer et réguler les processus de formation. De
plus, entre formateurs et acteurs il y a la médiation du projet de formation.
Chaque protagoniste, selon les places différentes qu’il occupe, a besoin de
l‘autre pour structurer la situation de formation. On se trouve là avoir affaire

132
FOR
à des relations et des interactions référées à l’objet, c’est-à-dire ouvertes à
des significations symboliques.
L’auteur est celui ou celle qui s’autorise, c’est-à-dire qui fait autorité de
par ses propos, ses attitudes ou de par les positions qu’il ou elle prend.
L’autorisation (le fait d’être auteur) est le but ultime de tout processus
de formation et d’éducation. Par l’autorisation le sujet « échappe » à ses
éducateurs ou formateurs et marque son environnement de traces qui
deviennent des principes d’organisation et de sens dans les situations
rencontrées. Cependant, être « auteur » soulève une question importante. F
L’auteur et l’autorisation sont la perspective des formateurs mais — c’est
essentiel de le dire — ces derniers ne doivent pas chercher à le « faire
émerger » ou à le « reconnaître », expression couramment utilisée. Il y aurait
là un contre-sens très fréquent, le formateur ou l’éducateur, tout empreints
de ce qu’ils ont compris, expliquent aux personnes en formation ce que
c’est que l’autorisation, valorisent l’auteur comme modèle « formativement
correct » et, par là même l’étouffent dans l’œuf puisque, se mettant en
position d’apprécier l’auteur, ils le renvoient à un statut d’agent étroitement
dépendant des maîtres.
« Se former » ne peut se faire qu’à deux conditions. Il faut tout d’abord que
le système de formation soit ouvert. Des possibilités d’action propres
doivent être acceptées par le dispositif et la dialectique des relations
formateurs/formés se doit d’être considérée. L’analyse des dispositifs et
l’observation des cycles permettent d’évaluer ce degré d’ouverture.
Il faut ensuite que les personnes en formation s’engagent elles-mêmes,
quittent d’éventuelles positions d’agents pour des pratiques d’acteurs.
L’autorisation viendra de surcroît, par surprise et la meilleure façon pour
qu’elle apparaisse consiste à laisser des espaces. Le pire est là lorsque des
enseignements décrivent l’auteur ou même prétendent le valider voire le
noter.
Au fond, tout le monde est potentiellement auteur. Chaque personne
en formation étant différente de toutes les autres, les ingrédients de
l’autorisation sont présents au cœur des situations de formation. Une
formation ne se réduit pas à un enseignement ni à un apprentissage, elle
suppose une dynamique ouverte et inscrite dans des temporalités.

Mots clés
agent, acteur, auteur, autorisation, autorité, processus, temporalité,
formateur, éducateur

133
FOR
Références bibliographiques
ARDOINO Jacques, Les avatars de l’éducation, PUF, 2000
MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, Érès, 2001
PAPAY Jacques, « Réhabiliter la subjectivité dans la formation des éduca-
teurs », Thèse de doctorat en sciences de l’éducation, Paris 8, 2004, édit.
Atelier des thèses, 2005
Pa.J
F

134
G
Grands frères
G

La notion de « grand frère » date des années 1990, lorsque des publics
issus des quartiers dans lesquels intervenaient les travailleurs sociaux,
surtout ceux de la prévention spécialisée, parvenaient à devenir eux-mêmes
des intervenants de l’action sociale et urbaine ; souvent pour le compte
de municipalités. Souvent proches des usagers de l’action sociale, voire
usagers eux-mêmes, ces publics se sont trouvés en situation d’être des
accompagnateurs sociaux ou des animateurs de quartier du fait de leur
appartenance géographique ou parfois ethnique, même si cela n’était pas
énoncé de manière formelle. Une expérience fondatrice a été inaugurée à
Chanteloup-les-Vignes.
Le positionnement de ces nouveaux acteurs dans l’espace urbain a très
souvent été mis en débat, notamment sur le plan de la légitimité de l’autorité
dont ils pouvaient se prévaloir. Tout d’abord, n’existait-il pas un risque,
en rehaussant la crédibilité des grands frères, à invalider celle des pères
qui était déjà considérée comme manquante ? Ensuite, ces intervenants
étaient-ils capables d’adopter une posture suffisamment distanciée vis-à-vis
de l’environnement qu’ils avaient à accompagner pour rappeler le cadre
normatif dont ils étaient théoriquement porteurs ? Autrement dit, étaient-ils
capables d’éviter toute ambiguïté vis-à-vis d’attitudes déviantes au point de
pouvoir énoncer une parole socialisante vis-à-vis des adolescents en risque
de marginalisation ?
Sur un autre versant, il était aussi craint que les grands frères ne soient
qu’utilisés de la part des pouvoirs publics locaux, sans leur laisser de
réelles marges de manœuvre quant à une action entièrement dédiée à la
promotion des personnes d’un territoire. Nombreux étaient en effet ceux qui
considéraient que, dans le cadre d’une politique de gestion des populations

135
GRA
et des revendications qu’elles pouvaient formuler, ces grands frères servaient
plutôt de médiation et de relais d’une politique locale, garantissant à celle-ci
l’absence de toute contradiction.
Parallèlement à l’ensemble de ces questionnements, il surgissait également
la question d’une éventuelle concurrence de leur part vis-à-vis du travail
social installé. Les travailleurs sociaux ne vivaient-ils pas l’émergence de
ces nouveaux intervenants comme des rivaux potentiels ? Quelle place
allaient-ils leur laisser ? Sur fond d’interrogations de leur compétence, il
s’est également développé un débat sur la légitimité à agir en matière
de prévention et de socialisation générale. Pour les « grands frères », ces
G interrogations interpellent la fiabilité et la valeur potentielle de leur mission,
ont pu rendre difficile la possibilité de trouver leurs marques, amenant
certains à hésiter à se considérer comme des porte-parole ou comme des
travailleurs sociaux.
Dans ce débat où ils étaient considérés comme tirant leur légitimité
uniquement d’une inscription territoriale, et après avoir été considérés
comme une solution majeure à la question de la difficulté sociale dans
les quartiers, les « grands frères » ont été probablement trop rapidement
disqualifiés quant aux effets produits sur le terrain. Certes, ils manquaient
de qualifications, mais nombre d’entre eux ont été progressivement qualifiés
par formations professionnelles. En toile de fond, la question essentielle qui
se pose est celle de la capacité de l’action sociale à rester au plus près des
populations en difficulté. La critique alors faite au travail social étant celle
d’un éloignement de ses missions auprès des populations discriminées ou
exclues.
Aujourd’hui, la notion de « grand frère » connait moins d’écho sur les
différents terrains, même s’il n’est point besoin de label pour que l’influence
locale d’habitants des quartiers s’exerce toujours. Souvent, lors des moments
d’émeutes, il est démontré que les travailleurs sociaux trouvent un appui
essentiel dans les prises de position adoptées par des jeunes adultes
responsables ayant un ascendant sur des adolescents voulant en découdre
avec les forces de l’ordre. Mais, au-delà de l’aspect médiatique, la dimension
de la régulation est très souvent portée par des personnes faisant autorité,
indépendamment du travail social professionnel.
En conclusion, ce débat pose deux problématiques majeures. D’une part,
la pertinence, pour les travailleurs sociaux, de penser leur propre mission
comme une voie majeure de la promotion sociale. Les expériences le
montrent, nombreux sont les jeunes adultes qui, issus des quartiers
défavorisés et de l’immigration, réussissent une carrière professionnelle
136
GRA
par le biais d’acquisitions de qualifications, mais aussi par l’implication
dans le développement d’une activité relevant de l’entreprenariat. À ce
titre, cela signifie que le travail social a tout intérêt à se positionner comme
une aide à l’ouverture sur un avenir jusque-là insoupçonné, plutôt qu’à se
considérer comme l’espace salvateur par l’accueil en son sein de personnes
qui, autrement, n’auraient que peu de débouchés. D’autre part, c’est toute
la question de l’efficacité du travail social qui est sous-jacente à ce débat. Il
importe aujourd’hui de définir ce que l’on attend du travail social, sur son
rôle et sa capacité à aider à structurer une revendication éventuelle, tout
en permettant l’exercice d’un choix et d’une détermination libres chez les
populations accompagnées. G
Mots clés
travailleurs sociaux, quartiers, légitimité, politiques locales, revendica-
tion, participation

Références bibliographiques
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Montpellier, sept. 2009
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Seuil, 1978
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contestation, gestion, L’Harmattan, 2006
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nouvelles frontières pour les métiers, Rapport à M. Claude Bartolone,
ministre délégué à la Ville, 2000
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problèmes d’aujourd’hui », in Droit et culture, 2000/1, n◦ 39, p. 186
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publiques urbaines. Évolution de la problématique de la participation,
DIV-DSU, 1990
MUCCHIELLI Laurent, Violences et insécurité. Fantasmes et réalités dans le
débat français, La Découverte, 2001

137
GRO
PETITCLERC Jean-Marie, « Les messagers de Chanteloup-les-Vignes », in
Projet, septembre 1996, N◦ 247, pp. 75-79
ROCHÉ Sebastian, Le Frisson de l’émeute, Seuil, 2006
SAUVADET Thomas, Jeunes dangereux, jeunes en danger. Comprendre les
violences urbaines, Éditions Dilecta, 2006
STÉBÉ Jean-Marc, La crise des banlieues, PUF, 1999
Ro.P

Groupe
G Le groupe est un ensemble de personnes (à partir de 3) qui ont un but
commun, qui réalisent une tâche et qui interagissent en s’influençant
mutuellement.
On distingue cinq catégories de groupes, la foule, la bande, le groupement,
le groupe secondaire ou organisation et le groupe primaire autrement appelé
groupe restreint.
La foule rassemble épisodiquement un grand nombre d’individus, et pas
nécessairement les mêmes. La situation de foule prédispose à l’apathie
devant un meneur, à la contamination rapide des émotions et aux actions
paroxystiques.
La bande est caractérisée par la recherche du semblable (même âge, même
niveau social, même idéologie, etc.) et le renforcement de l’identification
à celui-ci. Elle apporte à ses membres la sécurité et un soutien affectif.
La bande a une durée de vie éphémère : elle ne dure que si ses membres
n’évoluent pas, ne diffèrent pas les uns des autres. Mais si elle devient
pérenne, elle prend alors les caractéristiques du groupe restreint.
Le groupement ou association a pour but de confier à des représentants
actifs la défense d’intérêts communs de gens qui ne se connaissent pas
nécessairement personnellement. La plupart des associations loi 1901
s’apparente à cette catégorie de groupe. Par ailleurs, les caractéristiques du
groupement peuvent également évoluer vers celles de la foule, du groupe
secondaire ou encore peuvent être réorganisées pour répondre à celles du
groupe primaire.
Le groupe secondaire prend la forme d’une organisation qui fonctionne selon
un système comme une école, un hôpital, une entreprise, un parti politique
etc. Il regroupe des personnes qui ont un ou des objectifs communs. Les
membres n’ont pas de relations directes entre eux comme le laisse entendre la
qualification de « secondaire ». Ils ne se réunissent que pour accomplir une

138
GRO
tâche, comme par exemple les organisations militantes. La communication
passe le plus souvent par des intermédiaires ou des représentants.
Le groupe primaire est quant à lui plus particulièrement centré sur lui-même.
Le caractère restreint de ce groupe (trois ou quatre au minimum, douze
à quinze au maximum) fait que chaque membre se connaît à travers
une relation interpersonnelle qui peut s’y tisser (sympathie, antipathie,
indifférence). Ses activités ne sont qu’un support pour développer les
relations entretenues entre ses membres. Il suppose l’existence d’une
situation commune solidarisant ses membres (équipe de travail, conseil
d’administration etc.). Cette solidarité amène les membres à devoir accepter
un certain nombre de contraintes ou de règles. Ce groupe constitue une G
micro culture possédant ses croyances, ses normes, son langage, ses traditions
propres. Les relations sont directes et la communication se fait de vive voix.
La conscience de l’autre est forte.
Les travaux des pères fondateurs de la notion de groupe sont nombreux avec
un intérêt principalement porté sur la vie des groupes restreints. L’étude de
ces petits groupes débute en 1927, avec une recherche menée sur un groupe
d’ouvrières, dans un atelier d’usine. Elle a mis en lumière l’importance du
sentiment d’appartenance au groupe.
Jacob Lévi Moreno (1889-1974) invente une technique qui met en évidence
le réseau de relations humaines au sein d’un groupe (la sociométrie).
À la fin des années 1940 aux États-Unis, le fondateur de la psychologie sociale,
Kurt Lewin (1890-1947) a étudié la psychologie des groupes restreints, à
partir des principes de base du courant gestaltiste dont il est issu. Il introduit
la notion de leadership sous ses différentes manifestations (démocratique,
autoritaire, ou laissez-faire). Il est le principal initiateur de l’étude de la
dynamique de groupe.
La dynamique des groupes est devenue un véritable domaine de recherche
qui a engendré de nombreux travaux théoriques et empiriques comme le
consensus de groupe réinterrogé par Irving Janis (la pensée de groupe),
l’effet de polarisation (Serge Moscovici), la socialisation, le leadership, la
communication de groupe etc.
Les approches psychologiques centrées sur l’individu (psychologie huma-
niste) comme celle de Carl Rogers (1902-1987) se sont aussi intéressées dans
les années 50-60 au fonctionnement des groupes. On voit alors apparaître
les groupes thérapeutiques (Wilfred R.Bion, 1897-1979) et les notions
d’illusion groupale (Didier Anzieu).

139
GRO
Les premières actions de groupes à caractère éducatif ont vu le jour en
France en 1948. Ce sont les mouvements d’éducation populaire qui ont mis
la vie de groupe au centre de leurs méthodes actives. Le collectif devient
alors un espace d’épanouissement individuel. Le scoutisme du début du
XXe siècle a introduit quant à lui, la notion d’éducation par le groupe de
pairs.
Le travail social avec les groupes se développe à partir de 1971 grâce à la loi
instituant la formation continue qui intègre la démarche de groupe et les
méthodes d’accompagnement aux programmes des formations. Malgré une
prédominance des méthodes d’aide individualisée, les travailleurs sociaux
G s’intéressent alors davantage à des formes groupales d’accompagnement (les
groupes rééducatifs). Le groupe est alors perçu comme un support éducatif
d’interventions. Les notions de groupes horizontaux (même catégorie
d’âges) et verticaux (groupe d’âges différents d’au moins 3 ans) font leur
apparition dans les prises en charge. Dans les internats, la vie en collectivité
bien que vécue parfois par ceux qui la subissent comme une contrainte
violente, est appréhendée par les professionnels comme un fabuleux levier,
vecteur de socialisation pour les jeunes.
Le groupe perçu comme une entité permet l’émergence d’un tiers (nous).
Différentes positions dans le groupe peuvent être occupées comme celle
du dominant, du meneur, du dominé, du bouc émissaire, du binôme, de
l’opposant, etc.
Les disciplines et les métiers du champ médico-social se sont saisis du
groupe pour innover des pratiques tant au niveau des prises en charge
et des modes d’intervention (groupes de parole, approche systémique,
médiation, intervention sociale d’intérêt collectif (ISIC) qu’à celui du
travail en équipe, groupe de régulation ou de supervision, etc.). Elles ont
ainsi apporté des réponses et des traitements pertinents à des situations
prenant en compte les personnes et la société, en articulant l’individuel et
le collectif. Ces interventions et pratiques de groupes sont la traduction
d’une transformation dynamique et interactive qui ne doit pas perdre de
vue la personne appréhendée comme un sujet acteur et auteur, capable de
mobiliser ses ressources, son environnement pour résoudre ses difficultés
(empowerment). Elles doivent aussi favoriser le renforcement du lien
social entre les personnes et/ou les groupes (« reliance sociale » définit
comme une rupture de l’isolement par le sociologue R. Clausse). Ces
interventions sociales peuvent être de différentes dimensions (petit groupe,
grand groupe, territoire, développement social local). Pour les travailleurs
sociaux et médico sociaux, il est cependant indispensable d’agir avec une

140
GRO
grande vigilance face au traitement de masse des populations d’usagers,
cas sociaux, handicapés, rmistes, délinquants, toxicomanes, etc. qui sont
souvent assimilés à des groupes stéréotypés.

Mots clés
équipe, l’individu, société, collectif, groupe restreint

Références bibliographiques
ANZIEU D., MARTIN J.-Y., La dynamique des groupes restreints, PUF, 1994
BION W.R., Recherches sur les petits groupes, PUF, 2002 G
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CAPUL M., LEMAY M., De l’éducation spécialisée, Érès, 1998
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Aperçu historique et perspective d’avenir », in Les cahiers internationaux
de Psychologie Sociale, n◦ 18, 1993
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sociale, textes fondamentaux anglais et américains, Dunod, 1978, tome II,
chapitre XXXIII
MOSCOVICI S., DOISE W., Dissensions et consensus, PUF, 1992
MORENO J.-L., Fondement de la sociométrie, PUF, 1970
ROGERS C., Le développement de la personne, Dunod, 1998
ROGERS C., Les groupes de rencontre, Dunod, 1973
KR.E
Groupes (travailler avec les)
Le travail social avec les groupes est aussi ancien que celui qui s’exerce
auprès des individus. En effet, c’est dès le XIXe siècle que se sont développées
des pratiques collectives en travail social. Par ailleurs, la méthode du « social
group work » a été introduite en France en 1959 avec la tenue du séminaire
de Sèvres organisé par le programme des Nations unies. Pour autant, c’est
outre Atlantique que cette méthode de travail s’est institutionnalisée au
point de constituer une part importante des programmes de formation en
travail social.
Cette relative absence du travail social avec les groupes, en France, peut s’ex-
pliquer en partie par le succès et l’impact des théories « individualisantes »
comme la psychanalyse. Il semble que l’action collective soit apparue aux
141
GRO
professionnels français comme moins spécialisée, qualifiée et noble, que
le travail direct auprès des individus. Difficile de ne pas voir dans cette
constante les effets durables du legs de la Révolution Française qui a installé
l’individu au cœur de la société, délégitimant de la vie sociale et politique
tous les corps et groupes intermédiaires.
Pourtant le travail social et éducatif avec les groupes a bel et bien marqué
les pratiques d’éducation populaire, constituant même un pan important
du travail social, comme par exemple les pratiques des CEMEA (Centres
d’Entraînement aux Méthodes d’Éducation Active). De même, en pédagogie,
le mouvement Freinet propose depuis le début du XXe siècle une voie
G éducative collective transformatrice de la réalité éducative et sociale des
individus. Il faut donc relativiser la supposée imperméabilité des pratiques
sociales vis-à-vis du travail avec les groupes.
Par ailleurs à partir des années 1980, les pratiques du « développement
social » se sont développées, à l’occasion de l’instauration des politiques
successives de la Ville et de la réforme des CAF. Dernièrement, la réforme du
diplôme des assistants de service social nomme spécifiquement et valorise
cette approche dans les contenus de formation et compétences à acquérir.
Ainsi, l’« ISIC » (« Intervention sociale d’intérêt collectif ») est apparue en
rendant obligatoire un stage pratique consacré à ce travail, mais aussi à
l’enseignement de méthodes destinées à cette approche. En revanche, les
éducateurs spécialisés ne sont pas formés spécifiquement à cette méthode,
qui n’est pas séparée de celle qui s’adresse aux individus.
Qu’est ce qui caractérise le travail social avec les groupes ? En tant que
telle, cette approche peut être caractérisée par des notions spécifiques
telles que celle « d’empowerment », de communauté d’intervention sur le
milieu ou encore d’animation. Il est aussi possible de repérer des objectifs
spécifiques tels que développement des relations sociales, une dimension
environnementale mais aussi territorial.
Il faut souligner à propos du travail social avec les groupes une attitude
ambiguë des institutions publiques qui organisent le travail social en France.
En théorie, cette approche est réclamée et valorisée, mais elle est souvent
désavantagée dans la réalité des pratiques professionnelles. Les travailleurs
sociaux sont en effet le plus souvent encouragés et évalués sur des suivis
individuels ou « de cas ». Le groupe est alors souvent davantage vu et vécu
comme une nécessité économique, pour réduire les coûts, que comme une
finalité en soi.

142
GRO
Dans ce début de XXIe siècle, le travail avec les groupes reste à découvrir
comme un cadre spécifique et original de travail social, permettant un
développement conjoint des personnes et des collectifs. En la matière, il
s’agit bien de développer une approche qui intervient conjointement et en
articulant les dimensions individuelles et collectives.
Travailler avec les groupes consiste en effet à prendre en compte l’ensemble
des relations qu’une personne a créé avec son environnement et son territoire.
C’est une approche naturelle et complexe qui exige du travailleur social
la capacité de s’immerger dans l’environnement des bénéficiaires. Il s’agit
fondamentalement d’une pratique qui rapproche le travailleur social d’une
intervention politique. G
Mots clés
empowerment, communauté, développement social, territoire, parti-
cipation

Références bibliographiques
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in La revue française de service social, n◦ 225, 2007
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CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Érès, 1996
DRÉANO Guy, Guide de l’éducation spécialisée, Dunod, 2008
Ot.L

143
H
Handicap (secteur du)
H
L’éducation spécialisée s’est historiquement constituée autour de la question
d’une éducation spéciale, véritable pendant au droit de l’Éducation
Nationale. Si Émile Pinel étudie le profil des enfants « débiles », c’est
pour en faire ressortir des catégorisations, au regard d’un critère nouveau :
l’éducabilité. Progressivement, le handicap s’émancipe de la notion de
« tare » ou de fatalité et est envisagé, grâce à l’effort des médecins, du
point de vue d’une éducation spéciale, d’où naîtra l’éducation spécialisée.
Si les XVIIe et XVIIIe siècles avaient réservé aux philosophes la réflexion
sur la relativité du handicap (Montaigne pour les sourds, Diderot pour les
aveugles), c’est bien les médecins qui, au XIXe siècle, déclinent cette relativité
du point de vue du temps : comme toutes choses dans ce monde moderne,
le handicapé, dorénavant, est sujet au progrès.
Progressivement, ce terme de « débile » sera remplacé par « handicapé »
ou « déficient » grâce à la classification préconisé par Philip Wood. En
1980, l’OMS publie la CIH (Classification Internationale des Handicaps)
dans laquelle il est question de déficience, d’incapacité et de désavantage.
En 2000, cette classification devient CIF (Classification Internationale
du Fonctionnement, du handicap et de la santé) dans laquelle il est
question de fonctionnement du corps, des activités, de la participation et
de l’environnement. On ne parle plus désormais de personnes handicapées
mais de personnes en situation de handicap.
Les premières institutions se développent au sortir de la seconde guerre
mondiale pour prendre en charge les enfants et jeunes handicapés. Celles-ci,
focalisées sur l’objectif de l’accueil (héritée de la tradition « hospitalière »)
prennent souvent place dans les « châteaux », portent en elles l’ambiguïté
de l’accueil et de l’exclusion. Elles retranchent du monde et de la société
les personnes handicapées à qui elles sont censées donner une place. Les

145
HAN
institutions créées ou gérées sur ces périodes associent souvent le travail
de professionnels et celui des religieuses. Elles semblent immuables et
fonctionnent en général sur le modèle de l’internat et mettent en œuvre
un emploi du temps stéréotypé généralement orienté sur le soin corporel,
l’hygiène, l’alimentation et « l’aération » (sorties dans les jardins, cours
et parcs, peu à l’extérieur). À partir des années 60, une critique radicale
et sociale se développe dans la société. Elle prend appui sur les sciences
humaines et la réflexion politique pour critiquer ces premières institutions
pour handicapés ; comme toutes « super »-structures (au sens marxiste du
terme), ne sont-elles pas responsables pour une bonne part de l’exclusion
et du handicap qu’elles disent prendre en charge ?
H La loi d’orientation de 1975 officialise cette tendance et place la notion de
droit à une éducation au centre des politiques et des logiques d’intervention
éducative. Au côté des anciennes institutions se développent alors de
nouvelles, plus ouvertes, souvent d’externat, moins hospitalières ; elles
prennent place dans des pavillons (non loin des châteaux souvent récupérés
par les administrations des associations). Se développent alors les EMP
(Externat Médico-Pédagogique), la sectorisation psychiatrique, les lieux de
vie, les structures légères. L‘autonomie des personnes handicapées devient le
facteur commun en fonction duquel se caractérise la « nouvelle géométrie »
institutionnelle. Il s’agit d’accompagner l’évolution des personnes handi-
capées en fonction des âges de la vie. Au côté des institutions classiques se
développent celles destinées à des périodes précises de vie. L’adolescence
est prise en compte, ainsi que l’accompagnement vers le monde du travail
et l’autonomie de la vie d’adultes. Naissent alors les ateliers protégés, les
Centres d’Aide par le Travail, entre autres.
À partir des années 80, des facteurs économiques viennent renforcer
l’urgence et la nécessité de souci d’insertion, et d’intégration des personnes
handicapées. Des prises en charge complexes se développent, en mettant
en œuvre de véritables alternances entre prises en charge spécialisées,
intégration sociale et scolaire. Les nouvelles institutions ne sont plus
seulement mieux intégrées dans la ville et la société : elles sont le cadre
d’un incessant va-et-vient entre le « dedans » et le « dehors » et font de
plus en plus appel aux parents. Les hôpitaux psychiatriques ferment leurs
pavillons qui accueillaient de nombreuses personnes handicapées depuis
l’enfance jusqu’à la mort. Les MAS (Maisons d’Accueil Spécialisées) sont
alors créées pour accueillir les plus dépendants. Il faudra cependant attendre
la loi du 11 février 2005 pour que les personnes en situation de grande

146
HAN
dépendance, et notamment les adultes polyhandicapés, soient prises en
compte et inscrites dans la définition du handicap.
Les dispositifs se multiplient pour prendre en charge de façon différenciée
la déclinaison des différents degrés de la dépendance : on voit apparaître
les foyers occupationnels, les structures destinées à l’accompagnement
aux loisirs, d’accueil de jour, d’appartements, etc. Les années 90 ne
connaissent pas tant le développement de nouvelles structures que de
nouveaux services de coordination, de suite, de suivi. Il ne s’agit plus de
créer des institutions d’accueil, mais de gérer des partenariats entre services
intervenant et contribuant à un projet global d’éducation, de socialisation
et de soin. L’individualisation des prises en charge progresse et entraîne
la création de structures destinées à ne plus prendre en charge que de H
façon séquentielle et en fonction de projets les personnes handicapées ; les
situations sont par ailleurs réévaluées régulièrement. Les années 2000, et
notamment à partir de la loi du 2 janvier 2002, puis du 11 février 2005,
achèvent ce renversement : l’individualisation n’est plus seulement un
moyen d’adaptation et d’ajustement des prises en charge, elle devient un
objectif en tant que tel. De plus, les personnes handicapées sont incluses
dans l’élaboration de leur projet de vie et sont consultées. Elles participent
à des instances comme les C.V.S. (Conseil de la Vie Sociale).
En 2005, la « prestation de compensation » marque une nouvelle étape
dans la prise en compte des handicaps. C’est l’individu dorénavant qui
doit être au centre des projets et prises en charge qui lui sont destinés.
Progressivement, l’idéal de référence passe du modèle de l’intégration,
vers celui de « l’inclusion ». La prise en charge des enfants handicapés
est durablement renvoyée vers l’école, qui crée des postes d’auxiliaires
de vie scolaire (sans toutefois les professionnaliser). Les SESSAD (Service
d’Éducation Spéciale et de Soins à Domicile) se multiplient et se réorganisent
vers la prise en charge entre école et domicile de difficultés et de troubles
qu’ils ne prenaient pas en charge auparavant. Quand elle ne peut être évitée,
la prise en charge en institution intervient souvent plus tardivement et
de façon beaucoup plus séquentielle. De même, se créent pour les adultes
handicapés, des services d’accompagnement à domicile les SAMSAH qui
permettent d’apporter des réponses adaptées aux besoins des personnes et
des familles.
Le secteur du handicap est complexe et diversifié. Différentes structures
permettent des prises en charge adaptées au handicap, certaines se
spécialisent pour accueillir des personnes polyhandicapées, autistes, IMC,
aux troubles du comportement, au handicap moteur, aux personnes

147
HÉB
handicapées vieillissantes. Parmi ces établissements, citons les EMP
(Établissement Médico-pédagogique), les IME (Institut Médico-Éducatif),
les IEM (Institut d’éducation Motrice), les MAS, les FAM (Foyer d’Accueil
Médicalisé), les CITL (Centre d’initiation au travail et aux loisirs), les ESAT
(Établissement et Service d’Aide par le Travail) et les EA (Entreprises
Adaptées). Les enfants et adultes handicapés sont orientés vers ces
établissements par la CDA (Commission des droits et de l’autonomie)
qui dépend des MDPH (Maison Départementale pour les Personnes
Handicapées).
La volonté d’insertion ou d’intégration des personnes handicapées ne
s’arrête pas aux établissements mais touche le secteur des entreprises
H qui ont désormais l’obligation d’employer des personnes handicapées. Ces
dernières peuvent bénéficier du soutien financier de l’AGIFIPH (Association
de Gestion du Fonds pour l’Insertion des Personnes Handicapées pour
l’aménagement de leur poste de travail).

Mots clés
institutions, secteur du handicap, structures, dispositifs, prise en charge,
loi d’orientation, éducation spéciale, intégration, inclusion, handicap,
projet individuel, personnes handicapées

Références bibliographiques
CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Éres, 1996
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apprendre, résister, Dunod, 2007
WEBER Philippe, Travail social, handicap et autonomie, Chronique sociale,
2008
Ot.L
De.C
Hébergement
Dans le secteur social, l’hébergement est un lieu d’accueil temporaire,
à court, moyen ou long terme, à destination de personnes en situation
de précarité et en rupture sociale, économique, psychique ou familiale.
Si le logement implique un droit d’occupation formalisé (tel un bail),
l’hébergement d’urgence n’intègre pas une telle garantie juridique. Pour
autant, les centres d’hébergement d’urgence (CHU) s’accompagnent d’un
148
HÉB
récent droit au maintien dans les lieux et d’un principe de prise en charge
inconditionnelle (Code de l’action sociale et des familles depuis 2009). Le
public bénéficiant de ce mode de prise en charge sociale est diversifié : les
travailleurs pauvres, les personnes en situation de souffrance psychiatrique,
d’addictions, de maladies, en situation d’exclusion sociale, de danger
nécessitant une protection d’urgence et ponctuelle, les familles, les mères
isolées, etc. L’hébergement peut avoir comme vocation d’être un simple abri,
notamment pendant les périodes hivernales, ou une habitation « tremplin »
dans l’attente d’un logement durable. Dans tous les cas, l’hébergement est
un support à un accompagnement social qui peut varier considérablement
en fonction des projets d’établissements qui définissent une temporalité et
un éventuel profil d’usager type à prendre en charge.
H
Cette évolution est liée à la question SDF. Historiquement, les personnes
« à la rue » ont toujours interpellé la société, leur prise en compte est
passée de la répression à l’assistance, du délit de vagabondage au statut
de victime. Aujourd’hui, et notamment depuis la suppression des délits
de vagabondage et de mendicité en 1992 dans le nouveau Code pénal, les
« sans-abri » deviennent des usagers du secteur social. L’hiver 1959 marque
le début d’une prise de conscience politique, grâce à l’appel de l’Abbé Pierre
qui alerte l’opinion publique sur les conditions de vie des personnes sans
logement ou mal logées. Mais il faudra attendre 1990 (loi Besson) pour que le
droit au logement soit inscrit dans un texte de loi puis 2007 avec la loi DALO
(Droit Au Logement Opposable) pour que ce droit devienne opposable. Pour
répondre aux diverses situations rencontrées par les personnes sans-abri,
un large dispositif est mis en place et coordonné par le 115. Les propositions
d’hébergement répondent à différents besoins ou demandes et offrent une
réponse d’urgence, un accompagnement social et une aide à la réinsertion.
Le système d’intervention regroupe aujourd’hui, autour de l’historique
CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale) : le dispositif
de veille sociale, le SAMU social, les CHU, les centres de stabilisation,
les résidences sociales et les centres d’accueil pour les demandeurs d’asile
(CADA). À défaut de places (seulement 45 % des demandes d’hébergement
sont satisfaites), des solutions alternatives se sont développées, en dehors
d’un encadrement social : les nuitées en hôtel et l’hébergement chez des
tiers (famille, amis, etc.).
Pour être en cohérence avec la loi 2002-2, les travailleurs sociaux doivent
intégrer chaque démarche d’accompagnement dans le cadre d’un projet
personnalisé et contractualisé, répondant au mieux aux besoins et souhaits
réels des personnes, même mes plus désacralisées. Pourtant, l’hébergement

149
HÉB
durable n’existe pas par définition. La difficulté actuelle est de résoudre
la complexité liée à un cadre en évolution, voire en révolution. Dans ce
contexte, le secteur de l’hébergement social est aujourd’hui en tension dans
ses actes et dans son identité.
Des actions préventives se sont mises en place ces dernières années,
notamment en réglementant les expulsions locatives, en incitant les
travailleurs sociaux à travailler davantage autour des relations parentales
et familiales, en proposant des actions envers les populations victimes
de discrimination, d’isolement et d’exclusion. Ces actions ont pour but,
en partie, de ne pas couper ces personnes, de la vie sociale, et de ne pas
les entraîner vers la rupture et donc vers la rue. Cela implique pour les
H structures d’hébergement, un travail « hors les murs » et le développement
d’un réseau élargi de partenaires.
La question de l’hébergement est étroitement liée à celle du manque de
logements disponibles qui ne permet pas de proposer de solutions pérennes
à toutes les personnes concernées. Ceci a pour conséquence de favoriser
leur maintien dans les dispositifs d’hébergement, alors que leurs ressources
(sociales et financières) permettraient une réelle autonomie. La stabilisation
peut permettre à certains de ne pas retrouver la rue mais en laisse d’autres
sans solutions ou de devoir se contenter du cadre de prise en charge
minimaliste de l’urgence. Les travailleurs sociaux seront-ils amenés à faire
des choix en favorisant certains usagers au détriment des autres ? Enfin,
il est peut-être temps de s’adapter à la rupture avec la limite temporelle
de l’hébergement social. En effet, certaines personnes particulièrement
diminuées, à tous les points de vue, ont besoin d’une prise en charge à vie,
sans pour autant être en mesure d’assumer un logement. Aujourd’hui, les
maisons-relais, qui proposent une prise en charge au long cours, sont des
logements. Et si l’hébergement durable était un nouveau besoin à prendre
aujourd’hui en compte. Alors, n’est-il pas important d’unifier les différents
statuts des centres, dans un cadre reconnu et pérenne ? Ainsi, les CHRS
pourraient demain proposer quatre modes de prises en charge : l’urgence,
la stabilisation, l’insertion et l’intégration, pour ceux dont le projet consiste
à vivre au sein d’un groupe, sans viser pour autant l’autonomie.

Mots clés
abri, logement, exclusion, réinsertion, SDF, urgence, stabilisation

150
HIS
Références bibliographiques
RULLAC S., Le péril S.D.F. Assister ou punir, L’Harmattan, 2008
PINTE E., Rapport sur l’hébergement d’urgence et l’accès au logement des
personnes sans abri ou mal logées, décembre 2007 – juin 2008
De.C
Ru.S

Histoire du travail social


Le XIXe siècle est le siècle du scientisme (Saint-Simon, A. Comte, É. Dur-
kheim) au cours duquel éclot l’idée de solidarité. En ce sens, le travail social,
même animé par de bonnes œuvres et des religieux, repose dans son origine
sur une idée « socialiste » : l’idée d’une nécessaire « solidarité » avec celles H
et ceux qui se retrouvent sur les « rives sociales » dessinées par la révolution
industrielle. En 1850, émerge une réglementation de l’éducation et du
patronage des jeunes détenus. Des « coopératives » s’organisent afin de venir
en aide aux « oubliés » de l’industrialisation. De nouvelles problématiques
viennent au jour : la misère sociale, l’alcoolisme, les maladies contagieuses,
l’abandon et l’errance de la jeunesse. Dès 1889, l’État légifère sur la déchéance
des droits de puissance paternelle. Dix ans s’écouleront avant que ne soit
prononcée la loi de répression commise par ou sur les enfants. Ainsi, il est
spécifié que le juge a le pouvoir de confier un enfant à une œuvre sociale.
C’est à la fin du XIXe siècle qu’un premier groupe de femmes défendant un
« féminisme chrétien » s’est constitué et que, parallèlement à l’Exposition
Universelle, s’est tenu le premier congrès portant sur la condition et
les droits des femmes. En ce sens, on peut dire que la IIIe République
a réinvesti l’idée d’assistance. Mais ce pas reste timide et restreint. Les
« institutions », bien que charitables, n’offrent finalement que très peu de
secours. Elles ne permettent aucun véritable accès à un droit élémentaire
de subsistance. Sous l’influence du pape, ces femmes décident « d’aller
au peuple ». Elles sont issues pour la grande majorité de la bourgeoisie.
En 1886, un premier rassemblement féministe regroupe des femmes qui
se nomment « travailleuses sociales ». Installées dans un grenier du 11e
arrondissement de Paris, elles y créent un secrétariat permanent, font du
porte à porte, informent les parents, accueillent des enfants, ouvrent des
« ateliers » (couture...) Ainsi débute officiellement en France : l’Œuvre
Sociale. Mais bientôt des femmes d’origine plus modeste vont faire césure.
Il ne s’agira plus « d’aller au peuple » mais de « se faire peuple ». Petit à
petit la bourgeoisie se retire. Une religieuse (Mère Mercédes de la Motte)
intègre l’œuvre et crée le premier « service social complet, personnaliste
151
HIS
et communautaire ». Se développent les Maisons Sociales, puis d’autres
œuvres, notamment concernant la protection des conditions de travail des
ouvrières. Les lois (1903) sur les congrégations religieuses contraignent au
retrait des sœurs initiatiques. Certaines, disponibles, vont continuer leur
action à titre personnel. Après la séparation de l’Église et de l’État (1905),
le J.O. annonce, officiellement, l’existence sous forme d’Association de la
« Maison Sociale ». Le scandale Bassot entraînera la fermeture définitive de
l’Association. Mais l’ère des techniciens du social va pouvoir s’ouvrir. Des
revues sont créées, reposant sur l’idée d’assistance éducative ; des écoles
libres d’assistance privée ouvrent leurs portes. Mais si le travail social tel
qu’il se « pratique » aujourd’hui trouve bien son origine dans le dernier tiers
du XIXe siècle, on ne peut cependant pas dire que la IIIe République ait été
H une république « sociale » tant les moyens dévolus à l’aide et à l’assistance
des plus démunis de ses citoyens restaient restreints, voire dérisoires. Il
faudra attendre l’entre-deux-guerres pour voir, véritablement, une politique
d’assistance se développer et ne pas rester minimaliste.
Il importe, pour bien saisir les enjeux de la « naissance du travail social »,
de ne point perdre de vue ses origines et ses premiers prolongements. Le
contexte de la fin du XIXe siècle est, à ce titre, fondamental. Il est celui du
durkheimisme triomphant, déclinant une « éducation morale » axée sur
plusieurs principes découlant directement des thèses durkheimiennes : la
discipline et le respect de la règle morale, l’amour du groupe, l’effacement
de l’individualité (l’être de désirs est potentiellement un être de désordre,
d’anomie sociale), le principe d’intégration sociale (autrement dit : tout
individu isolé porte la faute de son isolement et devient suspect pour le
« consensus social » vers lequel toute la sociologie de Durkheim est dirigée).
De fait, le dernier tiers du XIXe siècle et le début du XXe seront dévolus à
l’idée d’une éducation morale, tendant à la répression des désirs individuels.
Les ministères de l’instruction publique viendront officialiser cette position
idéologique.
En 1913 naissent « l’École pratique de service social », puis « l’École Normale
Sociale » d’obédience syndicaliste féministe. Avec la fermeture des Maisons
Sociales, se clôt le chapitre du social féministe catholique. On va désormais
s’orienter vers une idéologie tournée vers la famille (« Tout pour la famille,
tout par la famille ») qui va durer jusqu’à l’entre-deux-guerres et qui
sera triomphante au moment du gouvernement de Vichy. La dimension
médicale et hygiéniste (héritage du XIXe siècle) va re-devenir prépondérante :
d’un point de vue des « corps » physiques comme du corps social. Dès
1903, s’étaient créées différentes œuvres pour lutter aussi bien contre la

152
HIS
tuberculose, la syphilis que les « mauvaises manières » des citoyens (dans
leur vie, dans l’éducation...). Par ailleurs, on veut re-moraliser l’âme du
peuple. En 1914 naît l’Association des infirmières-visiteuses de France à qui
est confiée la mission de lutter « à domicile » contre la tuberculose. On crée
des dispensaires. En cinq années, le nombre de visiteuses est multiplié par dix.
En 1929, le métier est réglementé (deux ans de formation). Sur inspiration
du modèle américain, on crée (1918) le « Fichier Central d’Assistance et
d’Aide Sociale ».
L’origine du travail social
Parmi elles, la prise en charge des maladies contagieuses (tuberculose
notamment et donc le besoin de « prévenir » la société contre un fléau)
figure une volonté de « contenir » les « mauvais éléments » pour protéger H
la société de leurs « méfaits ». Il existe donc, dans cette origine, l’idée non
pas d’une aide, mais d’une protection pour la société. Autrement dit : les
« déviants » sont coupables de leur déviance. Notons, sur cet aspect, l’acuité
que garde encore cette « perspective » : est-ce la faute de celui qui est exclu de
la société ou la faute de la société, rendue incapable d’inclure ses citoyens ?
Autres origines pour la naissance du travail social : la volonté d’émancipation
des femmes, et la guerre qui accapare les hommes sur le front et réclame
que les femmes entrent dans l’usine. Il faut donc des « contre-maîtres » qui
s’occupent de la « condition » féminine : des intendantes et surintendantes
dont le patronat va se servir, après la guerre, comme des alliées pour
moraliser l’entreprise et mettre « le social » à son service. À partir des
années 20, apparaît l’Assistance Sociale à l’hôpital. Son rôle ? Découvrir
toutes les causes sociales que le médecin ignore. Sa mission est triple :
détecter les maladies contagieuses et les « prévenir », aider à la paix sociale,
moraliser l’entreprise et plus généralement le pays. Nous sommes alors dans
un modèle « d’assistance » placé sous le signe de l’ordre et de la morale
avec le double objectif de réorganiser la société et de la moraliser (d’où
une logique de culpabilisation des individus « défaillants ») et d’infléchir
les désirs individuels, assistance influencée par la religion et le sociologisme
moralisateur de la fin du XIXe siècle. Bras droit du patronat, la surintendante
est supplantée par l’Assistante Sociale au service de l’ordre établi. Elle
devient le « plus sûr antidote contre la maladie sociale » (Guerrand, 1978).
Finalement, le Service Social n’a joué aucun rôle déclencheur dans les
évènements de 36 (Front Populaire). Il avait trop de comptes à rendre à sa
hiérarchie qui gardait une doctrine sociale héritée de l’Église. Au moment du
Front Populaire, il n’a aucunement été l’inspirateur des réformes obtenues.
À partir de 1938, la formation de surintendante disparaît. Ne reste plus que
153
HIS
celle d’Assistante Sociale (formée en trois ans). À la veille de la seconde guerre
mondiale, s’organisent les premières journées nationales du service social
autour du thème de l’adolescence. Mais les évènements politico-historiques
et l’établissement du gouvernement de Vichy vont mettre un terme à
cet engouement et faire barrage à toute nouvelle définition du travail
social (la devise est alors « Travail, Famille, Patrie »). Le régime vichyste
veut « éduquer » sa jeunesse. En fait d’éducation, il s’agira surtout de
« rééducation » et de re-dressement moral et psychologique. La loi du
27 juillet 1942 institue le principe de rééducation, maintenant l’idée de la
nécessité d’exercer un contrôle social et une répression des « déviants ».
C’est dans le contexte « post-totalitaire » et post-vichyste que sera promul-
H guée l’ordonnance de 1945 instituant une direction de l’éducation surveillée,
spécialisant le Juge pour enfants et posant pour principe l’irresponsabilité
pénale des mineurs.
À la libération, trois missions sont confiées aux assistants de services
sociaux, toutes en lien avec l’idée de surveillance : à domicile, sanitaire,
médicale. À partir de 1946 s’impose le secret professionnel, s’institue
une carte professionnelle pour les A.S. En 1950, une loi promulgue la
coordination des différents services sociaux. Entre 1945 et la fin des années
50, apparaissent diverses structures et associations : Emmaüs (1953), des
Instituts Médico-Pédagogiques (IMP) et Instituts Médico-Professionnels
(IMPro, 1957) ainsi que l’Assistance Éducative en Milieu Ouvert (AEMO,
1958), la même année qu’est promulguée l’ordonnance sur la protection
des mineurs et l’assistance publique. D’une manière globale, la Libération
consacre un retour vers une mission sociale pour l’État. Un premier Plan
verra le jour qui marque une volonté de compromis entre le politique et
l’économique.
Les D.A.S.S. sont instaurées à partir des années 60. À cette époque, le
quatrième Plan (influencé par le contexte politique du gaullisme triom-
phant) affirme la volonté d’une suprématie du politique sur l’économique.
C’est alors l’apparition d’équipements collectifs (MJC, foyers de jeunes,
Clubs, centres sociaux...) qui viennent souligner la volonté d’affirmer une
solidarité générale dans le pays. À la fin des années 60, les éducateurs
entrent massivement dans le secteur « du social » (apparition des Centres
techniques Nationaux d’Études et de Recherches sur le Handicap et les
Inadaptations – CTNERHI – et de la Convention Collective – 1966).
Les évènements de 68 et la grande crise de l’Autorité qui en découle,
viendront remettre en cause les missions du service social et son allégeance
au pouvoir établi. L’urbanisation massive et rapide apporte son lot de
154
HIS
« sans-parts » et d’exclusion. Par ailleurs, les demandes des classes moyennes
changent et font apparaître de nouveaux besoins, autant en ce qui concerne
les domaines sociaux et culturels qu’en direction des tranches d’âge plus
avancé de la population. Les structures existantes sont de moins en moins
adaptées. On assiste notamment, dans le domaine de la psychiatrie, à un
refus de « l’isolement asilaire » (E. Goffmann a écrit Asiles au début des
années 60 après avoir étudié des structures psychiatriques américaines). Il
ne s’agit plus d’isoler les « déviants » à la « norme » sociale : il s’agit de les
aider, les accompagner à vivre dans leur milieu.

1960 sectorisation psychiatrique


rapport Laroque en vue de la prolongation de la participation
1962
des personnes âgées dans la vie sociale H
rapport Bloch-lainé, affirmant le droit des personnes
1967
handicapées à vivre au milieu de leurs concitoyens...
rapport Bianco-Lamy préconisant le maintien de l’enfant dans
1980
son milieu

Vers un secteur rationalisé


Les lois de 1975 vont aider à clarifier les missions des institutions sociales et
médico-sociales. Dans les années 80, les concepts d’intégration et d’insertion
deviennent omniscients, transformant l’idée de « services » en véritables
« entreprises » du social : efficacité, rentabilité, organisation, planification,
rationalisation. Un nouveau tournant est pris qui rapproche le social du
modèle industriel de l’entreprise. L’idéologie issue du case-work, à partir des
années 50, sous couvert d’une meilleure individuation des problématiques,
avait déjà transformé « l’aidé » en « client ».
L’histoire de l’éducation spécialisée ne peut être séparée de celles de
l’assistance sociale et de l’éducation surveillée (datant de 1850) à forte
prérogative répressive. Après les colonies agricoles pénitentiaires du XIXe
et début du XXe siècle, c’est sous le régime de Vichy qu’apparaît la notion
d’enfance inadaptée. Désireux de régénérer la France, Vichy joue du mythe
de la floraison attachée à la notion de jeunesse et développe le patronage (les
Compagnons). En 1943, il existait seulement quatre centres de formation
d’éducation spécialisée. Le Diplôme d’État est institué en 1967 et réformé
dès 1968. D’une première phase « corporative », le métier se structure
(1950-1970) et se professionnalise avant d’entrer, à partir des années 80,
dans une ère d’explosion des problèmes sociaux, en lien avec la crise du
chômage et l’apparition de « troubles » nouveaux (Sida, notamment) devant
lesquels les travailleurs sociaux se sentent démunis, période qui correspond
à ce que l’on a coutume de nommer « la fin de l’État Providence ». On

155
HIS
assiste à une rationalisation de plus en plus prégnante de la question sociale,
à l’émergence de son traitement par idéologie gestionnaire à laquelle vient
s’ajuster un vocabulaire emprunté au domaine de l’entreprise et au culte de
la performance quantifiable. De fait, le travailleur social reçoit l’injonction
d’évaluer son action de prestataire de services, par où il entre dans l’ère
de la servuction sociale. Actuellement et malgré de nouvelles lois (2002,
2005...) qui tendent officiellement à recentrer l’action sur le sujet, il semble
que l’on assiste à un certain durcissement dans les pratiques (suppression
de l’idée de prévention et devoir de contrôle social, création de nouveaux
métiers pour « boucher les trous » qui surgissent à travers de nouvelles
problématiques, mise en concurrence des services selon une logique de
compétition libérale ; mais aussi, mise à mal des conditions de travail et des
H conditions conventionnelles des professionnels du secteur) et une certaine
« évacuation » du sens de l’action, comme si le social devait « faire des actes »
quantifiables et non plus des actions (des actes pourvus de sens). Mouvement
qui se prolonge par une rationalisation budgétaire et un retour idéologique
à d’anciennes formules selon lesquelles : l’individu est « coupable ». Or, le
déficit d’intégration est-il dû à l’incapacité individuelle ou « à une carence
de l’organisation sociale » incapable d’offrir à ses membres les moyens de
s’intégrer ? Il est certain que le choix entre ces deux alternatives, correspond
à deux modèles divergents et même opposés du « service social », mais,
plus largement, à deux modèles de société antagonistes. De fait, le travail
social se trouve aujourd’hui à un nouveau carrefour de son histoire, qui
va lui demander un nouvel engagement politique. Alors, se développeront
de nouvelles pratiques, innovantes, de nouvelles réflexions, originales, qui
permettront de faire face au nouveau défi du monde social qui exclut tant
de personnes rendues vulnérables. Sinon ? Le social, comme il se nomme,
retrouvera ses ancêtres serviteurs d’un ordre, né sous la IIIe République.
Il se fera « gestionnaire », ne fera plus d’accompagnement, d’aide ni de
soutien mais de « la prise en charge » a minima. L’avenir le dira. Ce sont
les travailleurs sociaux, eux-mêmes, qui se construiront le leur et, à travers
« leurs choix », le futur des populations vulnérabilisées par le monde social
où elles vivent.
De nouveaux modes de travail
À partir des années 40 s’était donc développé un modèle d’aide sociale en
direction des populations « déficitaires », notamment en rapport avec le
travail. Le social sectorisait et ciblait des populations sur la base d’un manque,
d’un risque ou d’une problématique singulière. Dès lors, s’accroissent le
nombre des établissements sociaux et le panel des modalités d’intervention.

156
HIS
Le mouvement anti-psychiatrique va notamment faire « exploser » les murs
autarciques de l’Institution et ouvrir à de nouvelles pratiques, réflexions,
appréhensions des « usagers » davantage fondées sur l’idée de « service » et
d’aide. L’interaction devient l’axe privilégié sur lequel s’établit le lien entre
aidant et aidé. On veut réparer un dysfonctionnement, combler un manque
en déployant de nouvelles modalités et compétences professionnelles. Ce
qui prime, c’est le contact, l’accueil, la relation, la rencontre. La crise
de 68 s’attaquera à ce modèle en dénonçant le « contrôle social » et la
psychologisation (culpabilisante) de ses méthodes. Au cours de cette période,
le social se positionne comme un agent cherchant à « réduire » les écarts afin
que tous puissent participer à la vie sociale malgré ses déficiences. À partir
des années 80, la servuction devient plus prégnante, les problématiques se
diversifient, le travail social doute de ses compétences d’autant plus qu’il ne
H
possède aucun registre théorique propre, empruntant à d’autres domaines
ses concepts (psychologie, sociologie, psychologie sociale...) ni de véritables
discours sur ses propres pratiques.
Changement de problématiques, mais aussi changement de politiques à
partir du milieu des années 70, avec la création d’un secrétariat d’État
d’Action Sociale qui va mettre un terme à l’accroissement des personnels et
bloquer les budgets des centres de formation. Réapparaît la problématique
de la pauvreté que l’on va contenir par des redistributions censées anesthésier
d’éventuelles revendications. Le discours politique revient à une approche
globale des situations (alors que le travail social tendait à singulariser les
approches, tout en ajustant ses techniques). La fragmentation des actions
sociales est dénoncée comme cause d’inefficacité. Le travail social est
« pointé » pour son coût, disproportionné avec ce que l’on attend de lui en
terme de « rendement » et de « résultats ». On re-nomme les « déviants »
sous de nouveaux vocables : exclus, inadaptés sociaux, tout en sanctifiant
le modèle de société qui les produit. Vieux dilemme ! est-ce la société...
l’individu... ? Ce qui est certain, c’est que le modèle sociétal exclut de plus
en plus, y compris des personnes qui ne « devraient » pas l’être. Le travail
social quant à lui, doit faire face à cette double nouvelle donne : d’abord une
multiplication des diversités problématiques et une « injonction » politique
paradoxale (moins de moyens et faire mieux, en face de problèmes liés au
modèle sociétal qui produit de plus en plus d’exclusion). Insérer et combattre
la « précarité » deviennent les nouveaux mots d’ordre. La nouveauté du
terme vient signifier la survenue de « nouveaux pauvres » dans une société
qui suit son cours en rejetant de plus en plus de gens sur ses rives sociales.
Concentrées sur l’idée d’insertion, les politiques des années 80 laissent une

157
HIS
ambiguïté : est-ce d’une insertion sociale ou professionnelle dont il s’agit ?
Comment définir celle sociale ?
Le contexte socio-politique et économique montre une crise importante
de l’emploi (environ 20 % de la population française se retrouve dans
une situation sociale et personnelle précaire) et une accélération de la
précarisation, ce qui va conduire à re-questionner la pertinence – sinon du
travail social, au moins de ses pratiques. À la précarisation professionnelle
s’ajoutent celles sociale, médicale et psychologique. Par ailleurs, les divorces
ou séparations conjugales sont en forte augmentation, laissant dire à certains
(comme ce fut le cas à la fin du XIXe siècle) que la « libéralisation » des mœurs
vaut pour un « mal de siècle ». Ainsi, sans repères familiaux, professionnels,
H affectifs, les citoyens courent le risque d’une « désaffiliation » de plus en plus
prononcée. Le travail social quant à lui, se doit de s’extraire de ses préjugés
« familiaux », de ses schémas de perception « classiques » afin de s’ouvrir
à la réalité des nouvelles problématiques sociétales. Enfin, l’augmentation
de la longévité de vie entraîne un besoin de re-penser les publics accueillis,
notamment les personnes âgées et celles handicapées, ainsi que les structures
qui les accueillent, et donc les pratiques d’accompagnement et de soutien.
Alors que le travail social avait vocation à faire sortir de la marge, celle-
ci devient de plus en plus indéfinie. La société produit désormais des
« surnuméraires » pour qui le travailleur social semble (pour ses détracteurs,
au moins) quasi-impuissant à intervenir, des « désaffiliés » ou « normaux
inutiles ». La multiplicité et la diversité des problématiques pousseraient à
croire que le modèle classique du travail social est obsolète. Certes, il est
besoin de plus de transversabilité, de travail en partenariat, de réflexions
nouvelles, de synergie entre toutes les « forces » en présence pour réussir le
pari d’un vivre-ensemble sans exclusion. À cela, une volonté politique est
indispensable, ce qui atteste d’un lien insurmontable entre « politique » et
« éducation-travail social ».
Désormais, le travail social est à considérer dans un « réseau » d’autres
dimensions (emploi, urbanisme, santé...) avec lesquelles il doit composer
sans pour autant s’effacer ni perdre sa spécificité. Il ne peut pas tout, ce qui
ne veut pas dire qu’il ne peut rien. Il garde, quoiqu’en disent ses détracteurs,
de véritables potentialités : envers les populations bien sûr, par ses qualités
d’accueil, d’accompagnement et de soutien ; mais aussi par le « regard »
critique dont il doit être porteur, ce qui n’est pas la moindre de ces actions.
Le travail social comme véritable acteur politique, porteur d’une utopie —
c’est-à-dire l’idée qu’il contient en lui-même une capacité à imaginer du
possible en dehors du topos dominant (et non d’une illusion) — qui vise

158
HUM
à l’élément humain. Il semble, au regard de l’histoire, que ce soit dans son
« autonomie » toujours plus croissante que se trouve une solution à son
« problème identitaire », notamment en s’offrant un regard critique sur ses
pratiques et ses modes de « collaboration » avec d’autres instances. L’enjeu
est de taille... humaine.

Mots clés
solidarité, travail social, intégration-insertion-exclusion, assistance,
éducation, surveillance, norme sociale, pauvreté, question sociale,
désaffiliation

Références bibliographiques H
CAPUL M. et LEMAY M., De l’éducation spécialisée, Érès, 1996
DRÉANO G., Guide de l’éducation spécialisée, Dunod, 2008
Esprit, 1972
GUERRAND R.H., Brève histoire du service social en France, Privat, 1978
JAEGER M. et WACJMAN C., Aux sources de l’éducation spécialisée, Centre
technique national, 1998
De.D

Humour
L’humour est-elle une compétence du travailleur social ? À première vue,
cette caractéristique appartiendrait davantage au caractère du professionnel
qu’à sa panoplie d’outils. Alors, il s’agirait d’une capacité bienvenue,
mais optionnelle et adjacente, en rapport au cœur du métier. Paré de
différentes vertus — il permettrait la « décompression », la « sublimation » ;
il faciliterait la compréhension et la communication ; il pourrait être
quelques fois aussi, selon la formule de B. Vian, une « politesse du
désespoir » — l’humour est-il un sujet suffisamment sérieux pour qu’on
puisse en reconnaître la valeur professionnelle dans le champ socio-éducatif ?
Affirmons dès à présent que la question de l’humour est consubstantielle de
toute situation socio-éducative. Il s’agit donc bien d’une compétence que le
travailleur social est tenu de développer comme son sens de l’écoute ou de
la parole.
Depuis la caricature ou la moquerie des mots d’enfants, des stéréotypes,
en passant par les réponses décalées ou les procédés narratifs et descriptifs
qui y font appel, abondants dans la littérature professionnelle, l’humour est
omniprésent dans le quotidien des travailleurs sociaux. Plus particulière-
159
HUM
ment, l’humour se manifeste à tous les étages du « faire avec », du « vivre
ensemble » et plus généralement du quotidien : depuis la réplique verbale,
en passant par la présentation de cas ou l’écriture professionnelle. Pourtant,
l’humour fait rarement l’objet de réflexions ou d’études.
Il existe bel et bien un usage professionnel de l’humour, comme il en existe
un de l’attachement, par exemple. L’humour constitue ainsi un registre
humain irréductible, comme le soin, l’affectivité ou encore la sensibilité,
susceptible de faire l’objet d’un travail lucide et éclairé, en vue d’une mise
au service d’une pratique sociale ou éducative. Si le travailleur social ne
saurait réduire son rôle à celui d’un « comique », il n’en demeure pas moins
que l’humour est souvent attendu et recherché par les usagers eux-mêmes.
H L’humour peut ainsi chercher à relativiser une situation difficile, embarras-
sante, tendue ou angoissante. Il peut aider à dépasser un moment critique
et plus simplement à permettre une reconnaissance chaleureuse, dans la
proximité, d’humain à humain. Dans une même perspective, prise en
revanche par l’autre bout, il est aussi indispensable de permettre aux usagers
de l’action socio-éducative de s’autoriser à « faire » de l’humour, sans pour
autant êtres considérés comme irrespectueux ou désinvestis de leur propre
projet individuel.
Le défi consiste pour le travailleur social à donner de l’importance, à
« prendre au sérieux » l’humour pour que la relation socio-éducative intègre
toutes les dimensions humaines, favorisant la rencontre, la reconnaissance
mutuelle et l’échange, dans une même perspective constructive ; et pourquoi
pas de prendre quelque plaisir au passage... L’humour, par son usage,
contribue probablement à lutter contre l’irruption de la violence dans les
situations sociales et a fortiori, socio-éducatives.
Cependant, si l’humour des travailleurs sociaux a tendance à être réaliste,
et souvent acide, il ne peut être destructeur, ni blessant, ni rabaissant. En
dernier lieu, l’humour est un droit, voire un devoir, mais surtout un pont
jeté entre deux êtres humains qui jouent alors au seul jeu auquel aucun
animal ne pourra jamais s’adonner. En ce sens, « faire de l’humour », c’est
aussi et surtout reconnaître l’humanité, l’intelligence et la qualité qui permet
à autrui d’être « avec » et non « au-dessus de »...

Mots clés
distance, proximité, plaisanterie, jeu

160
HUM
Références bibliographiques
CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Érès, 1996
DRÉANO Guy, Guide de l’éducation spécialisée, Dunod, 2008
« L’humour : un état d’esprit », in Autrement, 1992
Humour, rire et groupe, Érès, 2005
Ot.L
Ru.S

161
I
Immigrés
Il importe tout d’abord de distinguer les « immigrés » des « émigrés ».
L’immigration renvoie aux flux migratoires venant de l’extérieur vers I
l’intérieur d’un pays, tandis que l’émigration traite du départ de populations
vers d’autres pays.
L’immigration est ainsi un phénomène historique et sociologique d’arrivée
de populations multiples et à des périodes différentes, pour des motifs
également variables. La population italienne est arrivée à la fin du XIXe siècle.
Ensuite, la population maghrébine a été massivement sollicitée pour
des raisons liées au développement de l’industrie. Enfin, la population
noire africaine est une autre vague d’immigration importante. Mais il
faudrait aussi ajouter la migration Hmong, celle des populations haïtiennes,
chinoises, etc. On distingue ainsi une immigration liée à des raisons
économiques, d’une autre pour des motifs politiques. Mais il importe
de garder à l’esprit que la France s’est constituée à travers des vagues
d’immigration régulières et renouvelées.
Ceci étant posé, la population immigrée représente, pour le travail social,
un public auprès duquel il se mobilise régulièrement dans la mesure où il
est celui qui, du fait de sa précarité sociale, fait l’objet de l’attention des
politiques publiques d’assistance et d’insertion sociale.
Par ailleurs, la question de l’immigration renvoie à différents concepts
relevant pour certains d’une approche socio-économique et pour d’autres
d’une approche plutôt anthropologique. C’est ainsi que l’on parle d’ « inté-
gration », mais aussi d’ « assimilation » ou bien encore d’« acculturation ».
L’intégration renvoie à un concept sociologique dans un premier temps,
mais aussi aux politiques publiques. Il comprend l’idée que chacun doit
pouvoir prendre place dans un environnement donné tout en gardant des
éléments identitaires spécifiques.
163
IMM
L’assimilation, concept fortement critiqué, renvoie à la nécessité, pour
l’étranger de s’immerger totalement dans le nouvel espace d’accueil en
adoptant purement et simplement l’ensemble de ses règles et modes de vie,
donc en oubliant une partie essentielle de lui-même.
Enfin, l’acculturation, concept scientifique, met en évidence que l’individu
est structuré à travers un ensemble de représentations et de valeurs qui se
hiérarchisent, mais qui peuvent être également combinées de manière tout à
fait autre dans des agencements originaux dès lors que la personne se trouve
confrontée à d’autres systèmes. Dans ce dernier cas, il existe certaines valeurs
fondamentales qui demeurent, tandis que d’autres, plus périphériques, sont
susceptibles d’évoluer. C’est ainsi que l’on parle de « traits culturels », en
utilisant parfois cette notion pour énoncer que certains d’entre eux peuvent
être « incompatibles » avec la société d’accueil, et mentionnant des exemples
I sur la polygamie et l’excision, ou plus récemment sur le foulard ou la burqa.
L’ensemble peut alors déboucher sur des oppositions prétendues frontales
entre des systèmes religieux constituant autant de chocs culturels.
C’est pourquoi la question de l’immigration est aussi une question
idéologique forte qui interroge sur la cohésion de la société, sur le
respect de l’individu et de son intégrité, mais aussi sur le sentiment de
proximité, celui donc de l’étrangeté et des évolutions sources de crainte
d’une perte identitaire. C’est pour cette raison que différents courants
opposés s’affrontent à ce sujet, notamment lorsque les périodes de crise
— comme c’est le cas actuellement — impactent fortement toutes les
populations.
Les travailleurs sociaux, dont la mission est de favoriser un cadre de
socialisation à l’attention de chacun des individus et des groupes qu’ils sont
amenés à accompagner, se trouvent donc confrontés à un sujet qui déborde
largement la seule question de l’éducation spécialisée. Celui-ci touche la
sphère politique ainsi que le sentiment et la conception que le corps social
peut avoir de lui-même.
De fait, de nombreux professionnels constatent la réalité des inégalités
sociales et des obstacles à la promotion des personnes inscrites dans des
histoires migratoires. C’est pour cela que certains se mobilisent sur un plan
politique dans la promotion de l’égalité républicaine, notamment à travers
l’action associative comme celle du Gisti (Groupe d’informations et de
soutien aux immigrés) ou de la Cimade (association de solidarité active avec
les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile). C’était déjà le cas avec
la marche des beurs de 1983 avec le slogan « touche pas à mon pote », qui
témoignait alors d’une forme d’engagement politique et de militantisme.
164
IMM
Encore tout récemment, nombreux sont les acteurs professionnels qui se
sont exprimés sur les expulsions en Afghanistan de personnes immigrées et
arrivées irrégulièrement au camp de Calais, qualifié de « jungle ». Ce qui
signifie que dans cette volonté d’accueillir et d’intégrer, il existe un travail
social qui ne se confond pas exactement avec la stricte déclinaison des
politiques publiques. Ces actions revendiquent une autonomie concernant
ce phénomène historique, en rappelant la primauté des valeurs républicaines
de dignité, de promotion et d’accès à l’intégralité des services que peut offrir
une société.
Ainsi, sur le volet de l’accompagnement des groupes et des individus, les
travailleurs sociaux mènent une action d’accompagnement social faite de
formation, mais aussi de médiation pour que chacun ait accès aux différentes
institutions ; qu’il s’agisse de l’éducation, mais aussi du travail, du droit, etc.
Par ailleurs, depuis de nombreuses années, la formation professionnelle met I
en évidence la nécessité de la prise en compte d’autrui et de ses spécificités
culturelles. Il s’agit de la façon d’appréhender le monde, de sa cosmogonie,
afin d’éviter tout ethnocentrisme, qui consiste à interpréter et à juger toute
action humaine à travers son propre système de valeurs. Il est donc nécessaire
de comprendre comment les personnes perçoivent leur environnement et
se vivent à travers lui, ce qui, somme toute, correspond précisément à une
démarche méthodologique adaptée pour toute action d’accompagnement
social, qu’elle s’adresse à des populations immigrées ou non.
Cette approche a souvent été articulée à la distinction entre tradition et
modernité, holisme et individualisme renvoyant aux travaux de sociologues
et anthropologues importants comme Émile Durkheim et Louis Dumont.
À l’origine, le holisme précise la tendance dans la nature à « former des
touts » plus grands que la somme de leurs parties, c’est-à-dire que nous
sommes face à un système qui ne peut être déterminé ou expliqué à partir
de ses seuls composants.
La tradition quant à elle renvoie à des univers restreints avec une solidarité
de type mécanique – les différents éléments d’une société se rassemblent et
s’entraident mutuellement de façon quasi-mécanique. La modernité donne
à voir une solidarité de type organique, c’est-à-dire fondée sur la capacité de
chacun de ses membres à apporter sa contribution au bon fonctionnement
de l’ensemble du fait de sa spécialisation.
Sur un versant plus anthropologique, le holisme de Louis Dumont s’articule
à l’idée selon laquelle la totalité sociale prévaut sur l’existence même de
l’individu. C’est-à-dire que celui-ci n’existe pas véritablement en tant que

165
IMM
tel au plan des valeurs portées par le corps social. Au contraire, la modernité
met en exergue cette valeur précise en lui donnant une importance plus
grande.
Aujourd’hui, même si l’on assiste encore à des phénomènes migratoires,
la plupart des adolescents et des jeunes adultes – français le plus souvent
– accompagnés par des travailleurs sociaux sont des « individus » au sens
anthropologique du terme. Ils ont été socialisés dans les espaces de la
République et ont donc des aspirations similaires aux autres individus de
leur génération. De ce point de vue, ils sont parfaitement intégrés. Ce qui
ne les empêche pas de combiner différents systèmes de représentation. C’est
en effet le lot commun de la modernité que de pouvoir hiérarchiser en soi
des appartenances électives, donc différentes et multiples, prévalant selon
l’intérêt que l’on va y accorder.
I C’est plutôt l’impossibilité d’accéder aux mêmes chances de promotion
sociale alors même que les qualifications et mérites peuvent être équivalents
et l’existence d’une discrimination encore forte, qui génère une amertume
chez des populations vivant dans des « quartiers d’exil », qualifiés alors de
ghettos, construit au cours des Trente Glorieuses pour faire face aux besoins
de l’industrie.
Il a longtemps été mis en avant, en s’appuyant sur les analyses sociologiques,
qu’avec l’immigration, les liens de proximité et de solidarité s’étant distendus,
les publics adolescents et jeunes adultes se trouvaient « déchirés entre deux
cultures ». Ils expérimenteraient une forme d’anomie, c’est-à-dire une
absence de normes et de règles, générant une perte de repères débouchant
régulièrement sur la délinquance. Si ce paradigme garde une pertinence,
il convient néanmoins de le mettre en perspective avec l’analyse des
représentations des personnes quant à leurs possibilités d’une évolution
similaire aux autres individus de leur génération. Or nombreux sont les
sociologues qui soulignent encore aujourd’hui combien la discrimination
se combine à différentes formes de stigmatisation – au sens de la réaction
du corps social vis-à-vis des membres de l’une de ses parties –, rendant
plus difficile le développement du sentiment d’une participation pleine aux
évolutions d’une société, avec le sentiment qui en découle d’en être exclu.
Pour le travail social aujourd’hui, il existe un enjeu concernant la capacité
à être auprès des publics en difficulté, quelles que soient leurs origines,
qu’ils relèvent de la diversité ou non, tout en respectant le droit, mais
tout en gardant une possibilité de formulation militante recouvrant des
engagements personnels.

166
IMP

Mots clés
populations, individus, immigration, intégration, assimilation, accul-
turation, discrimination, stigmatisation, anthropologie, politiques
publiques, traits culturels

Références bibliographiques
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BOUCHER Manuel et BELQASMI Mohamed, Guide pédagogique de l’antira-
cisme en formation sociale, Vuibert, 2008
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l’identité culturelle : champ notionnel et devenir », in Chocs de culture :
concepts et enjeux de l’interculturel, L’Harmattan, 1991, pp. 21-73 I
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automne 1991, pp. 7-15
DUBET François, LAPEYRONNIE Didier, Les quartiers d’exil, Seuil, 1992
DUFRENNE Mikel, La Personnalité de base [1953], PUF, 1972
DUMONT Louis, Essais sur l’individualisme, Une perspective anthropologique
sur l’idéologie moderne, Seuil, 1983
DURKHEIM Émile, De la division du travail social [1930], PUF, 1994
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et autres reclus, Éd. de Minuit, 1968
GRAFMEYER Yves et JOSEPH Isaac, L’école de Chicago. Naissance de l’écologie
urbaine [1979], Aubier, 1994
LINTON Ralph, Le Fondement culturel de la personnalité [1945], Dunod,
1956
SAYAD Abdelmalek, L’immigration ou les paradoxes de l’altérité : les enfants
illégitimes, Liber, 2006
SCHNAPPER Dominique, La communauté des citoyens, Sur l’idée moderne de
nation, Gallimard, 1994
VERBUNT Gilles, Les obstacles culturels aux apprentissages, CNDP, 1994
Ro.P

Implication
Qu’est-ce qui conduit un individu à choisir un métier de l’éducation ?
Quelles sont ses motivations ? Ses convictions ? Que souhaite-il défendre
dans l’éducation et pourquoi ? Il s’avère utile pour le praticien de se
167
IMP
questionner sur ce qu’il vient chercher, trouver et prendre dans la relation
socio-éducative ou d’aide qu’il tisse avec l’enfant, l’adolescent ou l’adulte.
La relation éducative instaurée par le professionnel le renvoie à sa propre
histoire, à sa propre enfance et le confronte à sa propre position d’enfant :
les parents qu’il a eus, l’enfant qu’il a été, blessé ou comblé, le parent qu’il
est ou se représente être, etc. Lorsqu’il se présente aux usagers, c’est avec
ce qu’il est consciemment et inconsciemment, avec un « magma » dont il
ne maîtrise ni la forme ni la teneur. Certains professionnels ne savent sans
doute pas pourquoi ils ont choisi cette profession, cela n’est pas le plus
important : ce qui importe est qu’ils se questionnent. La réponse importe
moins que le questionnement.
La professionnalisation du secteur du travail social apparaît comme la
garantie de la mise en œuvre de « bonnes pratiques ». Il s’agit alors
I d’apporter des connaissances, des outils, des techniques éducatives qui
permettraient aux acteurs de l’éducation et du soin d’être « professionnels ».
La recherche de cette efficacité semblerait prétendre alors limiter la prise
de risque. Alors que la relation éducative implique de se risquer dans une
rencontre où rien n’est acquis d’avance, où l’autre peut advenir si l’on
ne se situe pas dans la maîtrise. L’injonction d’être neutre est souvent
émise. Pourtant, cette recherche de neutralité est vaine car impossible. Les
métiers de l’intervention sociale et de l’éducation constituent en effet des
professions de la relation. Relations avec d’autres sujets : enfants, parents,
adultes, collègues, partenaires. Dans cette relation de sujet à sujet, l’usager
se présente dans sa globalité, physique, psychologique, sexuelle et affective.
Le professionnel se présente également dans sa relation dans son intégralité
avec une partie maîtrisable et une autre qui échappe à sa maîtrise.
Toute relation est empreinte d’affectivité. Pour que la relation soit
professionnelle, il s’avère nécessaire que celle-ci soit pensée, élaborée
notamment dans des lieux de paroles et de réflexion au sein desquels
chaque professionnel peut travailler sur ses affects, sur son ressenti, venir
interroger les difficultés d’ordre relationnel et affectif qu’il peut rencontrer
durant son activité. Il ne s’agit donc pas de « désaffectiver » la relation
professionnelle mais d’interroger les enjeux affectifs, afin que la relation soit
mise au service de la fonction socio-éducative. Cependant, si cela s’avère
une nécessité, cette élaboration ne peut constituer qu’une « protection »
précaire et toujours en question. Sigmund Freud ne disait-il pas en 1937
que l’éducation constituait l’un des trois métiers impossibles ?
La formation des professionnels constitue un enjeu lié à celui de la
professionnalisation. Il s’agit d’apporter une certaine culture théorique sur

168
IMP
laquelle les futurs professionnels pourront étayer leurs pratiques, élaborer
et penser leurs attitudes et leurs représentations, mettant en exergue la
spécificité du lien socio-éducatif par rapport au lien parent/enfant. Les
métiers de l’éducation sont donc désignés comme impossibles et cette
vision est fondamentale, même si elle est bien souvent escamotée. La
formation professionnelle se doit d’être autre chose que la juxtaposition de
savoirs et de techniques. Elle doit permettre aux étudiants de se questionner
et leur montrer l’importance de leur implication dans la relation éducative,
implication à laquelle ils ne peuvent se soustraire. Elle doit aussi leur
permettre de travailler la nécessaire acceptation de leur non-maîtrise
« absolue », tant d’eux-mêmes que des usagers. La formation questionne
donc le sentiment de « toute-puissance » du travailleur social.
Les usagers du travail social ne sauraient se contenter de professionnels
qui seraient essentiellement des techniciens. S’agit-il pour le professionnel I
d’exceller dans la maîtrise de compétences, de techniques de soins ou
éducatives sans pour autant s’engager affectivement ? N’est-ce pas ce qui
est sous-entendu dans l’injonction de « laisser ses affects » à la porte de
l’activité professionnelle, qui s’affirme comme la position professionnelle ?
Nous assistons à une rationalisation des pratiques et à une technicisation
des actes socio-éducatifs, qui tentent de concevoir la relation éducative
comme le produit de recettes et d’outils qui garantiraient une action efficace
(Gaberan, 2003). Il importe de se représenter le praticien impliqué dans sa
parole, dans son action et de se demander comment ce sujet-là, singulier,
crée des significations ? Comment il fait du sens pour lui-même ? Comment
il met en scène une problématique personnelle dans une situation sociale
donnée et comment il (s’y) met en scène ? Il est impliqué dans son activité
professionnelle comme il est impliqué dans les nombreuses institutions au
sein desquelles il se trouve pris, inséré, engagé et dans lesquelles il agit. Il
se présente à autrui avec différentes appartenances identitaire, culturelle,
religieuse, groupale, professionnelle, familiale... dont il ne se dévêtit pas
lors de ses diverses activités. Toute intervention est ainsi contaminée par
les implications du professionnel et par les motivations conscientes et
inconscientes qui le conduisent à s’intéresser à telle problématique et à
s’engager dans tel type d’intervention. Il intervient, intègre les théories
d’une façon particulière, singulière à partir d’une position fondatrice. Et
cela même lorsqu’il répond à une commande institutionnelle. Dès lors tout
praticien se trouve confronté au paradigme de l’implication.
Un des résultats de cette implication est que celle-ci a ou aura une incidence
sur sa pratique. Le concept d’implication permet de prendre conscience

169
INA
que « l’impossible extériorité » parfois tant recherchée, constitue un leurre.
L’intervention éducative ou sociale demande au professionnel de procéder
à un retour réflexif, ou autrement dit il lui revient de se questionner :
comment objective-t-il d’une part et comment subjective-t-il d’autre part
son action ? Depuis quelle position écoute-t-il ? Avec quel vécu, quelle
expérience subjective, quelle expérience professionnelle, etc. ? Avec quelles
valeurs et quelles références théoriques ?
Il ne s’agit donc pas de se départir, de se débarrasser de sa subjectivité mais
d’en savoir quelque chose et de pouvoir en rendre compte. Cependant pas
plus que celui qui veut « n’en rien savoir » – et qui bien souvent la camoufle
derrière un écran d’objectivité – celui (celle) qui veut en savoir quelque
chose ne peut en avoir la pleine connaissance.

I Mots clés
praticien, expertise, engagement, engagement affectif, passage à l’acte,
rationalisation, réflexivité

Références bibliographiques
FREUD Sigmund, « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », in Résultats,
idées, problèmes, PUF, [1937] 1992
GABERAN Philippe, La relation éducative. Un outil professionnel pour un
projet humaniste, Érès, 2003
GUILLIER Danielle, SAMSON Dominique, « Implication : des discours d’hier
aux pratiques d’aujourd’hui », in Les cahiers de l’implication, n◦ 1,
Université Paris 8, Laboratoire des Sciences de l’Éducation, 1997
LAMIHI Ahmed, MONCEAU Gilles, (dir.), Institution et implication, L’œuvre
de René Lourau, Syllepse, 2002
LOURAU René, « Implication et surimplication », in La revue du Mauss,
n◦ 10, 1990, pp. 110-120
Mu.N

Inadaptés
Pour comprendre l’évolution puis le lent déclin du terme inadapté, il est
nécessaire d’entreprendre un détour par l’histoire et les textes législatifs.
À la fin de la seconde guerre mondiale, diverses analyses sont produites
pour traiter le problème des bandes d’enfants et d’adolescents livrés à
eux-mêmes, dans la rue, en dehors du regard des familles, de l’école et
des institutions publiques. Dans une France, encore très marquée par
170
INA
l’occupation allemande et soucieuse de se relever économiquement, les
jeunes et leur force de travail représentent l’espoir pour l’avenir de la nation.
La question de leur adaptation sociale, selon les perspectives de l’État, se
pose d’autant plus que l’ordonnance du 2 février 1945 énonce les enjeux
éducatifs de la société : nul enfant ne doit pouvoir échapper à l’éducation.
Cette ordonnance contient le principe de la rééducation pour des enfants qui
ne jouissent pas des bonnes conditions éducatives en vue de leur adaptation
sociale. Pour ces jeunes « inadaptés », au regard de leur conduite, de leurs
fréquentations, ou des actes commis, des dégradations ou des violences
produites, il s’agit donc pour le législateur de définir les dispositifs sociaux
de nature à résoudre les problèmes de marginalisation d’une catégorie de la
jeunesse éprouvée par des conditions sociales d’existence difficiles.
Il se trouve que les premiers éducateurs, de ce qui deviendra par la suite
la prévention spécialisée, connaissent ces jeunes et travaillent avec eux I
dans l’espace public où ils se trouvent. La rue, où les bandes de jeunes
évoluent, est alors perçue comme le lieu de tous les dangers. Elle devient
également, par la présence de ces éducateurs, un lieu potentiel pour un
exercice de travail social particulier : celui d’intervenir directement auprès
de ces jeunes inadaptés, en dehors de tous les types de foyers, familial ou
institutionnel. Or, durant le mois de juillet 1959, le phénomène dit des
blousons noirs connaît un traitement médiatique considérable en raison de
deux rixes qui opposent des bandes rivales. Les journaux surenchérissent
sur le phénomène. Si la presse française exploite ces faits jusqu’en 1962,
c’est aussi pour masquer un autre enjeu, politique et stratégique, celui de la
guerre d’Algérie. Ainsi, les blousons noirs et l’inadaptation des conduites de
certains jeunes focalisent l’attention et la recherche de réponse pertinente.
Comme les éducateurs de prévention sont déjà implantés dans les quartiers
et présents dans la rue, où ils démontrent la force de leur engagement et le
souci des questions de la jeunesse, ils sont très rapidement désignés comme
l’une des solutions éducatives au problème de la jeunesse turbulente.
Bénéficiant de ce contexte social, les clubs et les équipes de prévention se
développent pour passer de 43 en 1961, à 263 en 1973.
L’arrêté du 4 juillet 1972 marque pour les associations de prévention
spécialisée la reconnaissance officielle d’une intervention sociale spécifique
par les pouvoirs publics : c’est alors très officiellement que les éducateurs
de prévention spécialisée sont identifiés pour travailler auprès des jeunes
inadaptés et en risque de marginalisation.
À partir de l’arrêté de 1972, la prévention spécialisée se transforme et
s’institutionnalise de sorte que les clubs et équipes croissent de 263 en
171
INA
1973, à 618 en 1986, regroupés alors dans 323 associations comptant 2 300
salariés. Au cours de l’été 1981, dans la France de François Mitterrand, les
premières émeutes urbaines ont enflammé la région lyonnaise. Dans la
cité des Minguettes, malgré le travail de terrain des éducateurs des équipes
de prévention spécialisée et la reconnaissance de leur implication dans le
territoire. Alors, une évidence se fait jour : la réponse sociale à l’inadaptation
des jeunes est insuffisante. Parallèlement, les jeunes considérés jusqu’alors
comme inadaptés, mais en capacité de s’adapter dans la société, révèlent
un autre visage. Si l’idée prédominait qu’ils étaient avant tout des jeunes
en danger, qu’il s’agissait de rééduquer pour le bénéfice de la société, ils
apparaissent soudainement comme des jeunes dangereux à neutraliser. Dans
ce virage qui s’inaugure, la prévention spécialisée n’apparaît plus comme
un dispositif suffisant pour répondre aux problèmes des jeunes. S’ils étaient
I perçus comme inadaptés dans les années 1945 à 1980, ils sont désormais
considérés comme violents, dangereux et délinquants. Cette transformation
des regards et des représentations dans les évolutions des dispositifs, à partir
de 1981 à 1983, de lutte contre la délinquance, de la politique de la ville et de
l’insertion, a conduit progressivement à la promotion de nouveaux modes
de prise en charge des jeunes dangereux (nommés délinquants et non plus
inadaptés) et au reflux du milieu ouvert à partir de 1995. Depuis le début
des années 2000, les prises en charge qui connaissent le plus bel essor sont
les Centres éducatifs renforcés (CER), les Centres éducatifs fermés (CEF),
les Centres de placement immédiat et les Établissements pénitentiaires pour
mineurs (EPM). L’apparition d’une nouvelle population, très minoritaire
et très réfractaire aux modes de prise en charge traditionnels, appelle de
nouvelles réponses répressives en fonction des typologies de publics. En
revanche, il serait judicieux de rechercher un équilibre dans les réponses
résolutives, afin de préserver les intérêts de populations juvéniles, autant
en danger que dangereuses, dont les caractéristiques ne peuvent pas être
confondues avec celles de mineurs délinquants multirécidivistes. Or, le
risque d’un retour vers l’enfermement, pour tout type de population
adolescente jugée dangereuse, ne cesse de croître à mesure que la justice des
mineurs se fonde sur la sanction et la punition plutôt que sur la confiance
et la rééducation. Les Établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM)
en action depuis 2007 en sont la plus parfaite expression.

Mots clés
exclusion, jeunes, délinquants

172
INC
Références bibliographiques
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urbaines, PUF, 2006
DUBET François, La galère, jeunes en survie, Fayard, 1987
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FIZE Michel, Les bandes, l’« entre-soi » adolescent, Desclée de Brouwer, 1993
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LE REST Pascal, Le métier d’éducateur de prévention spécialisée, La Découverte,
I
2007
MILBURN Philip, Quelle justice pour les mineurs ? Entre enfance menacée et
adolescence menaçante, Érès, 2009
MUCCHIELLI Laurent, Violences et insécurité, fantasmes et réalités dans le
débat français, La Découverte, 2007
PEYRE Vincent, TÉTARD Françoise, Des éducateurs dans la rue. Histoire de la
prévention spécialisée, La Découverte, 2006
LR.P

Incasables
Les incasables représentent des publics qui ne rentrent pas dans les catégories
habituelles des prises en charge institutionnelles de la Protection de l’Enfance
ou des mesures pénales mises en œuvre par la PJJ (Protection judiciaire
de la jeunesse). Au-delà, ils composent de nouvelles catégories de jeunes
pour lesquels ils n’existent pas vraiment de définition : il peut s’agir par
exemple d’adolescents en classes de collège qui, peu à peu, désertent les
cours pour finir par décrocher de l’école. Si les travailleurs sociaux, comme
l’Éducation nationale, s’entendent à nommer ces jeunes les « décrocheurs »,
il reste que ces adolescents ne sont ni des délinquants ni des mineurs en
danger, au sens classique du terme. L’Éducation nationale recherche des
solutions pour ces jeunes et notamment par la mise en œuvre d’ateliers
relais au sein des établissements scolaires dans lesquels les travailleurs
sociaux (de la prévention spécialisée notamment) sont sollicités et attendus

173
INC
sur leurs compétences professionnelles, décalées des enjeux pédagogiques
traditionnels.
Incasables, ces jeunes le sont comme d’autres mineurs, sous la responsabilité
de leurs parents, qui quittent leur famille pour errer dans la rue avec leurs
amis. Cette nouvelle problématique prend de court les politiques publiques
et aucun dispositif n’est vraiment approprié pour répondre à ces conduites.
Par ailleurs, ces nouveaux publics adolescents — « décrocheurs » ou jeunes
en errance — ne formulent pas toujours de demande ce qui rend plus
malaisée la tâche des éducateurs de prévention spécialisée, par exemple, qui
peuvent les rencontrer dans la rue ou dans les espaces publics. En outre,
depuis la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance,
le comportement de ces publics adolescents « incasables » est imputé aux
parents qui risquent de se voir imposer des stages de responsabilité parentale,
I organisés par les communes ou les conseils généraux, selon les niveaux de
défaillance de l’autorité parentale repérée. Les maires des communes ont en
effet désormais la capacité de connaître l’identité des parents dont les enfants,
qui relèvent de leur compétence territoriale, pratiquent l’école buissonnière
de façon répétée et qui sont désignés par l’Inspection académique. Via le
conseil des droits et des devoirs des familles, les maires ont la possibilité de
mettre en œuvre des stages de responsabilité parentale.
Dans le langage commun, les incasables sont les cousins des cas sociaux,
pas assez en danger pour bénéficier de mesures civiles, ni trop dangereux
pour être confrontés à une mesure pénale. Contrairement aux cas sociaux
qui peuvent rentrer dans les cases conçues par l’administration et profilées
dans les différentes élaborations législatives, les incasables sont ceux qui
ne rentrent pas dans les catégories. Incasables, ces jeunes le sont donc
parce qu’ils échappent aux différents types de dispositifs et pourtant, étant
donné leurs conduites, leurs profils, leurs problématiques, la plupart des
intervenants sociaux expriment la nécessité de considérer ces publics. Mais
les élus eux-mêmes des villes et des conseils généraux recherchent des
solutions pour traiter des situations sociales qui deviennent par trop visibles
et dérangeantes. Par exemple, à l’échelle de certaines intercommunalités, des
solutions à l’errance des jeunes se traduisent par des stratégies partenariales,
impliquant les CCAS, les CHRS, le CHU, les associations caritatives, la
mission locale, la circonscription d’action sociale, l’équipe de prévention
spécialisée, etc. Les élus portent et défendent ce type de travail en réseau qui
constitue une nouveauté dans le champ de l’action sociale et qui permet de
profiler des réponses appropriées aux problématiques différenciables. Les
protocoles de collaboration interinstitutionnelle constituent une expression

174
INC
de cette nouveauté et témoignent de la capacité des équipes de direction des
différentes structures à coopérer au bénéfice des jeunes.
De manière générale, dans le registre des expressions toutes faites, les
incasables se rangent au côté des « patates chaudes », ces enfants qui
ne correspondent pas aux publics identifiés ni aux modalités classiques
des prises en charge institutionnelles. Les incasables se repèrent dans un
spectre large qui va de l’enfance à la post-adolescence, c’est-à-dire aux jeunes
majeurs. En effet, il devient aussi de plus en plus courant d’observer de jeunes
majeurs qui, après avoir bénéficié d’un long parcours ASE, d’institutions en
foyers, se retrouvent dans une sorte d’itinérance institutionnelle, migrant
de CHU en CHRS. Ces adultes constituent également un nouveau public
et une frange non négligeable d’incasables. Souvent sans qualification
professionnelle, confrontés à la désaffiliation, sans point fixe, ils reproduisent
ce qu’ils ont vécu depuis leur enfance : une longue traversée d’institution en I
institution. Ce public doit être distingué de ces autres jeunes, adolescents et
jeunes adultes, qui à la marge de la société, constituent un groupe atypique
parmi les exclus, les « zonards » qui composent une errance active dans
des parcours qui les mènent de festivals en rassemblements. Ces incasables,
quand ils sont majeurs, posent de nouvelles questions sociales car s’ils
sont bien souvent dans des situations de souffrance individuelles, ils sont
aussi dans un refus d’aide sociale tant que dure la phase active de leur
errance. Là aussi, les conduites de ces incasables interrogent les politiques
sociales et publiques de l’exclusion. L’accompagnement traditionnel n’est
pas vraiment adapté et la revendication d’un style de vie maintient à distance
l’intervention sociale.
Un autre public d’incasable se dessine, celui des quartiers sensibles. Les
jeunes de ce que l’on nommait dans les années 1960 les quartiers populaires
sont devenus des populations à risque social. Les différents événements
dans les quartiers paupérisés sont théâtralisés depuis les années 1990 et les
mises en scène médiatiques ont transformé les représentations au point
de rendre les jeunes de ces quartiers non seulement antipathiques mais
clairement dangereux. Or, même si ces jeunes ne sont pas tous délinquants,
ils peinent en revanche tous à trouver une place sociale et un emploi
durable. Depuis quelques années, certains juges pour enfants, notamment
dans le département de Seine-Saint-Denis, ont été accusés de laxisme : ils
n’avaient pas suffisamment prononcé de peines d’emprisonnement fermes
à l’encontre des jeunes compte tenu des actes commis. La loi du 5 mars
2007 relative à la prévention de la délinquance permet d’être beaucoup plus
coercitif. Afin de répondre à certaines conduites sociales d’une minorité de

175
INC
jeunes qui mettent en échec des dispositifs d’éducation ou de prévention,
le législateur s’oriente vers un démantèlement de l’ordonnance de 1945
par la loi du 5 mars 2007. En outre, le rapport Varinard remis au ministre
de la justice en décembre 2008 accroît cette tendance et la réforme de
l’ordonnance de 1945 prévue pour fin 2009 doit concrétiser cette intention.
S’ils ne sont pas consultés à ce sujet, les professionnels de l’enfance
délinquante ont une appréciation sensiblement différente. Bien sûr, ils
n’ignorent rien des enjeux sécuritaires qui traversent la société mais ils ne
font pas le même constat général sur la violence des mineurs. En ce qui les
concerne, cette violence juvénile est toujours la traduction de difficultés
individuelles, psychologiques et sociales et nécessite par conséquent le
maintien des outils éducatifs. De leur point de vue, l’ordonnance de 1945
reste d’actualité dans ses principes et sa philosophie. Certes, en plus de
I la délinquance traditionnelle des mineurs, les professionnels observent
le développement d’une catégorie de délinquants, limités en nombre,
constituant un noyau dur réfractaire aux prises en charge éducatives
classiques. Ils comprennent la nécessité de penser des outils répressifs
adaptés à la situation de ces mineurs, que l’on qualifie d’incasables. Mais
les professionnels veulent garantir un point d’équilibre entre des dispositifs
d’ordre éducatif et d’autres d’ordre répressif.

Mots clés
dispositifs, publics, politiques, innovation

Références bibliographiques
BOIVIN Jean-Pierre, PEYRE Vincent, PRIGENT Annick (sous la direction de),
Quartiers, conflits, acteurs, Érès, 2002
CHOBEAUX François, L’errance active, politiques publiques, pratiques profes-
sionnelles, Éditions ASH, 2001
FIZE Michel, Les bandes, l’ « entre-soi » adolescent, Desclée de Brouwer, 1993
GARNIER-MULLER Annie, Les « inutiles », survivre en banlieue et dans la rue,
Les éditions de l’Atelier, 2000
KAMMERER Pierre, Narcissisme et délinquance à l’adolescence, Bayard, 1992
MAFFESOLI Michel, Le temps des tribus, Méridiens Klincksieck, 1988
LE REST Pascal, L’errance des jeunes adultes ; causes, effets, perspectives,
L’Harmattan, 2006

176
INC
LE REST Pascal, « Des stratégies contre l’errance », in Domination et révolte,
VST n◦ 89, pp. 134-141, Érès, 2006
LE REST Pascal, « Les adolescents et les jeunes majeurs et Les difficultés
sociales des jeunes adultes », in Réussir Santé/Social ; La culture sociale en
40 fiches, Ellipses, 2007, pp. 117-192
VAN DE VELDE, Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe,
PUF, 2008
LR.P

Inclusion
Le terme d’inclusion est d’origine anglaise et signifie faire entrer, inclure. Ce
terme s’affirme de plus en plus dans le paysage politique et social français.
Il s’impose face au concept d’intégration, longtemps dominant. Le terme
d’inclusion est d’abord proposé et finalement imposé dans le cadre du
I
Conseil européen de Lisbonne (2000), par opposition au terme d’exclusion.
Le terme d’inclusion met l’accent sur la nécessité de positiver les différences,
de les valoriser toutes comme nécessaires au devenir et à l’organisation de
la communauté, de la société tout entière. Dès lors, le Conseil européen de
Lisbonne entend opérer un renversement de valeurs et de représentations. La
personne handicapée ne peut plus être « pensée » dans nos sociétés comme
un sujet assisté mais pleinement comme un sujet de droit. Concrètement
ceci indique que ce n’est plus aux personnes porteuses d’un handicap
et/ou d’une différence culturelle, de s’adapter systématiquement à leurs
environnements mais c’est bien à la « société » de créer les conditions
d’une intégration de ces personnes. Le projet est ambitieux et opère une
rupture importante avec les mécanismes sociétaux et culturels actuels, dans
la mesure où est affirmé qu’une société inclusive (inclusive society) repose
sur sa capacité à créer un environnement (social, économique, culturel...)
suffisamment porteur et facteur d’inclusion à l’égard des personnes.
Ce qui est nouveau, c’est la perception même du processus d’exclusion
et l’opinion de plus en plus répandue que c’est l’environnement social
même qui exclut les personnes handicapées, faute de ne pouvoir s’adapter
à leurs besoins spécifiques. L’incapacité tiendrait moins du sujet que de la
« société » et des employeurs à s’adapter à des niveaux de capacité différentiée
des personnes en proposant des mesures d’adaptation, de soutien et de
suivis appropriés. L’introduction de la notion de discrimination participe
pleinement de ce déplacement. Comment ces deux visions du handicap
s’articulent-elles ? Comment l’éducateur spécialisé peut-il s’en saisir dans
l’accomplissement des actes éducatifs au quotidien ?
177
INC
L’approche que propose Patrick Fougeyrollas met en lumière cette réalité.
En effet, à l’origine du modèle conceptuel de Processus de Production du
Handicap (PPH), le chercheur propose dès 1998 une définition du handicap
prenant en compte l’environnement social et culturel. Son approche défend
l’idée d’un environnement inclusif qui se structure autour des habitudes
de vie de la personne concernée. Dès lors, qu’est-ce que l’auteur entend
par habitude de vie ? Elles comprennent les activités de la vie quotidienne
réalisées de manière régulière (prendre ses repas, dormir, communiquer,
s’occuper de son hygiène, se déplacer, maintenir des relations affectives,
etc.), ainsi que d’autres réalisées à des fréquences variées (assumer ses
responsabilités financières, occuper une activité rémunérée, assister à des
événements artistiques et culturels, faire des courses dans les magasins,
planifier son budget ou assurer l’éducation des enfants, etc.). Ces registres
I intègrent le quotidien du travail éducatif. Autant de segments de l’activité
professionnelle qui nécessitent de considérer la situation de handicap
proprement dite de la recherche d’autonomisation des personnes selon
leurs capacités. Le travail éducatif consiste dès lors à créer les conditions
environnementales propices à la participation de la personne à la vie
institutionnelle. Quelle lecture l’éducateur spécialisé peut-il être amené à
en faire ? Quelles sont les dimensions de la vie institutionnelle qui peuvent
concourir à l’inclusion des personnes ?
Trois grandes dimensions de facteurs environnementaux influencent la
qualité de la participation sociale :
➤ le micro-environnement personnel : le domicile, les proches, le poste de
travail, etc. ;
➤ le méso-environnement communautaire : les commerces du quartier,
le transport, les attitudes et le degré d’information des personnes avec
qui on interagit pour réaliser ses rôles sociaux dans notre communauté ;
la conception universelle des infrastructures (bâtiments, urbanisme,
technologie) de la communauté ;
➤ le macro-environnement sociétal : les lois, les politiques, l’organisation
des services et les missions des partenaires, les orientations des décideurs
et les processus de définition des priorités et budgets de santé et de
développement social, l’influence du Mouvement associatif de défense
des droits, etc.
Trois grandes dimensions de facteurs personnels influencent la qualité de la
participation sociale :
➤ les facteurs identitaires,
➤ les systèmes organiques,

178
INC
➤ les aptitudes.
La qualité des facteurs environnementaux est le résultat de l’interaction entre
le degré de participation sociale et les caractéristiques personnelles. Pour
P. Fougeyrollas, la qualité de participation est un indicateur qui s’apprécie
sur un continuum ou échelle allant de la situation de participation sociale
optimale jusqu’à la situation de handicap complète. Une situation de
participation sociale correspond à la pleine réalisation des habitudes de
vie, résultant de l’interaction des facteurs personnels (les déficiences, les
incapacités et les autres caractéristiques personnelles) avec les facteurs
environnementaux (les facilitateurs et les obstacles). À l’inverse, une
situation de handicap correspond à la réduction de la réalisation des
habitudes de vie, résultant de cette même interaction. Pour l’auteur, il est
donc préférable de parler de qualité de participation sociale. La qualité de
la participation sociale d’une personne est le résultat de l’interaction entre I
les caractéristiques de cette personne et les caractéristiques de son contexte
de vie. Dans une perspective systémique de développement et d’adaptation
humaine se poursuivant tout au long de la vie : la qualité des facteurs
personnels est le résultat de l’interaction entre le degré de participation
sociale et la qualité des facteurs environnementaux.
Ces explications s’appliquent autant à une personne spécifique qu’à une
population. La qualité de la participation sociale est situationnelle et ne
peut être réduite uniquement aux facteurs personnels ou aux facteurs
environnementaux séparément. La qualité de la participation sociale dépend
des choix des personnes et des possibilités offertes et valorisées par le contexte
de vie et/ou institutionnel.

Mots clés
inclusion sociale, participation, handicap

Références bibliographiques
Loi du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées, fondée notamment
sur le concept d’intégration
Conseil européen de Lisbonne des 23 et 24 mars 2000
Conseil Français des personnes handicapées pour les questions européennes.
Les principaux concepts européens, les mots pour le dire (2008), Seconde
édition revue et augmentée, p. 17

179
IND
La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la
participation et la citoyenneté des personnes handicapées
FOUGEYROLLAS P. et al., « Définition de la participation sociale selon le
PPH », Développement humain, handicap et changement social, in Revue
internationale sur les concepts, les définitions et les applications, Réseau
international sur le processus de production du handicap, Lac St-Charles,
Québec, 2004, volume 13, no. 1-2
FOUGEYROLLAS P, CLOUTIER R., BERGERON, H., CÔTÉ, J., ST MICHEL, G.,
Classification québécoise : Processus de production du handicap, Québec,
RIPPH/SCCIDIH, 1998
Bo.A

Individualiser
I L’individu correspond à ce qui serait indivisible. Il s’agit d’un concept qui
concerne principalement la sociologie. L’ère moderne est souvent définie
comme l’avènement de l’individu. La sociologie de la famille, par exemple,
décrit volontiers la famille, comme un groupe mis en difficulté par la
montée en puissance des individus qui le composent. De la même façon,
on a souvent décrit le déclin d’une société référée à des catégories (les
« milieux sociaux », les « classes sociales »), qui serait remplacé par des
simples individus reliés entre eux, par des liens devenant de plus en plus
précaires. Selon ces deux points de vue, une relation est établie entre la
montée en puissance de l’individu, avec un regain de la démocratie et de
la justice sociale (les revendications à l’égalité de traitement, égalité des
chances, lutte contre les discriminations), ou au contraire source de solitude
et de précarité. La question de la prise en compte des individus dans le
domaine du travail social et éducatif est caractérisée par ces deux approches.
Face à des fléaux sociaux de masse, le travailleur social se trouve
paradoxalement dans la nécessité de créer et de gérer des solutions
individuelles. L’individualisation dans le travailleur social consisterait
alors à étudier, à responsabiliser, puis à accompagner les personnes
en difficulté, vers la gestion individuelle des problématiques pourtant
collectives qui les affectent. Cette démarche correspond à une intériorisation
des problématiques sociales, au risque pour les individus d’en méconnaître
le sens et la portée en prise avec les réalités sociales.
Cette tendance est renforcée par le développement d’exigences d’adaptation
du travail socio-éducatif aux particularités des individus, tel que le demande
la loi 2002-02, tout à fait compatible avec les grands programmes nationaux
qui définissent des procédures et des parcours types ; comme le RSA par
180
INN
exemple. De plus, la question de l’individualisation des pratiques et des
interventions socio-éducatives est tout à fait inséparable de la notion de
« projet ».
Force est de constater que l’individu est davantage une « instance » que le
travailleur social sollicite plutôt qu’une réalité à connaître et à rencontrer.
De ce point de vue, l’individu est souvent convié à l’autonomie qui implique
l’intériorisation des difficultés sociales, leur acceptation, puis leur gestion
progressive. C’est dans cette logique que l’intervention sociale propose de
plus en plus des « parcours » individualisés.
Bien que les concepts soient souvent enchevêtrés, et bien que les mots
soient régulièrement et facilement intervertis dans la plupart des discours,
il est important de différencier l’individu de la personne. Dans une voie
alternative à l’individualisation, la personnalisation, pour le travailleur
social, constitue davantage une prise en compte des relations que le sujet I
entretient avec son milieu, son environnement, en développant sa capacité
à imaginer et à définir ses propres objectifs.

Mots clés
individu, personne, collectif, projet, individualisation, contrat

Référence bibliographique
Loi n◦ 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale
Ot.L

Innover
Si le sens du mot innover (faire du neuf) est évident, son application dans le
domaine du travail socio-éducatif pose problème. L’innovation est souvent
recherchée, encouragée et souhaitée dans le travail social, au point de faire
l’objet d’appel à projets réguliers de la part des pouvoirs publics, pourtant
son sens reste obscur, dans ce contexte professionnel.
En effet, nombre d’actions qualifiées d’innovantes réinventent ou se
réfèrent à des principes de base d’éducation populaire ou carrément à
l’œuvre et des concepts déjà proposés par des grands « précurseurs ».
À titre d’exemple, considérons que l’on continue aujourd’hui d’appeler
« pédagogies nouvelles » des pratiques et outils qui datent de cent ans. Il
faut bien reconnaître que la tendance des innovations dans le domaine
socio-éducatif consiste souvent à ne pas produire réellement des actions et
projets « inédits ».
181
INS
L’innovation dans le travail social peut résider dans de multiples paramètres,
comme les objectifs, les outils employés ou encore les principes éducatifs
de l’intervention. Pour autant, l’invitation à l’innovation est bien un signe
que le travail social doit perpétuellement se réinventer, s’il ne veut pas se
réduire à l’application de mesures hors de sens, dans le cadre d’un contexte
social qui nécessite des réponses évolutives.
En tant qu’invitation, l’innovation rappelle à l’acteur social qu’il ne doit en
aucun cas se résoudre à n’être que le simple exécutant des pratiques qu’il
met en œuvre. Travailler dans le social ou l’éducatif implique en effet la
responsabilité de penser les pratiques que l’on met en œuvre et de garder
en éveil sa capacité à inventer et à proposer des réponses nouvelles.
Innover renvoie ainsi au nécessaire « devoir de recherche » que tout
travailleur social doit assumer à la fois individuellement et collectivement.
I Cette forme de recherche diffère de celle qui est effectuée en milieu
universitaire, dans la mesure où sa nature est essentiellement opérationnelle.
Toutefois, certains principes restent similaires. Il s’agit dans les deux cas de
confronter des théories avec des faits.
L’innovation, en travail social, n’est ainsi jamais un but en soi, mais constitue
plutôt une forme de vigilance et de rappel que les pratiques doivent évoluer
et être régulièrement confrontées aux besoins des bénéficiaires, à la réalité
des réponses apportées.

Mots clés
création, engagement, adaptation, recherche

Références bibliographiques
ALTER Norbert, Sociologie de l’entreprise et de l’innovation, PUF, 1996
BOUTINET Jean Pierre, Anthropologie du projet, PUF, 2001
KADDOURI Mohamed (sous la direction de), « L’innovation en question »,
in Éducation permanente, n◦ 134, 1998-1
Ot.L
Insertion sociale
L’insertion sociale est un concept sociologique qui a dépassé les frontières
de la science sociale, pour s’appliquer à la société tout entière. Le travail
social s’est emparé de cette approche, pour en faire l’une de ses missions,
dans un cadre qui définit aujourd’hui un secteur à part entière. Les pouvoirs
publics définissent d’ailleurs l’insertion sociale comme l’une des missions
182
INS
de la plupart des métiers de cette profession, comme l’indique la définition
des différents diplômes. Cette référence à l’exclusion ou à la disqualification
sociale, pour reprendre le terme de Serge Paugam, renvoie à un processus
de rupture des liens de l’individu à la société. La dégradation de l’emploi et
l’affaiblissement de ces liens sociaux engendrent des situations d’isolement
et de vulnérabilité et place l’individu hors des normes de la société. On
distingue généralement trois phases dans le processus de marginalisation :
la fragilisation, la dépendance et la rupture. Pour lutter contre l’exclusion,
la société invente des moyens d’insertion et de réinsertion. Elle définit
des « indispensables » à toute socialisation normative : l’acquisition d’un
logement, la prise en charge des soins, un revenu minimum et le retour à
l’emploi.
Le travail social propose différents dispositifs pour accompagner vers
cette insertion. Le logement est souvent la première démarche dans ce I
processus. Il existe plusieurs possibilités parmi lesquelles les CHU (Centre
d’Hébergement d’Urgence), les centres de Stabilisation et les CHRS (Centres
d’Hébergement et de Réinsertion Sociale). Ces structures permettent aux
personnes de retrouver une autonomie personnelle et sociale. Pour cela, elles
bénéficient d’une aide éducative, des activités de réinsertion professionnelle,
de promotion de la santé, de loisir ou encore de formation. La loi de lutte
contre les exclusions prévoit la Couverture Maladie Universelle (CMU), qui
permet l’affiliation à l’assurance maladie. La prise en compte de la santé est
une étape primordiale dans l’insertion sociale des personnes en difficulté.
Le RMI (Revenu Minimum d’Insertion), mis en place en 1988, entre dans
une logique d’aide sociale et ouvre à plusieurs droits comme l’assurance
maladie et l’allocation de logement social. Il est aujourd’hui remplacé par
le RSA (Revenu de Solidarité Active) qui s’adresse aux personnes sans
emploi et aux travailleurs pauvres. Il garantit à toute personne, qu’elle soit
ou non en capacité de travailler, de disposer d’un revenu minimum et de
voir ses ressources augmenter quand les revenus qu’elle tire de son travail
s’accroissent. Pour lutter contre l’exclusion et permettre une insertion, les
minima sociaux ont été mis en place dans les années 30, ils concernent
l’invalidité, la vieillesse, la retraite, le handicap, les parents isolés, le veuvage,
le chômage et l’insertion.
Dans sa dimension économique, l’insertion sociale passe par l’emploi.
Pour ce faire, différents types de contrats sont mis en place et constituent
une étape dans le parcours de retour à l’emploi et donc vers l’insertion.
Parmi ces dispositifs, le CAE (Contrat d’Accompagnement vers l’Emploi)
et le CAV (Contrat d’Avenir) pour le secteur non-marchand, le CIE

183
INS
(Contrat d’Initiative Emploi) et le CIRMA (Contrat d’Insertion et Revenu
Minimum d’Activité pour les bénéficiaires de minima sociaux), dans le
secteur marchand.
L’insertion par l’économique regroupe divers dispositifs qui ont pour
vocation l’insertion professionnelle. Ces dispositifs permettent un retour
à l’emploi et un accompagnement adaptés à des personnes en grande
difficulté. Parmi les propositions, on trouve : les entreprises d’insertion, les
associations intermédiaires, l’intérim d’insertion, les centres d’adaptation
à la vie sociale, les chantiers écoles, les régies de quartiers et les Centres
d’Adaptation à la Vie Sociale (CAVA).
Il existe d’autres formes d’aide par exemple l’ACCRE (l’Aide aux Chômeurs
Créateurs d’Entreprise), le GEIQ (le groupement d’employeurs pour
l’insertion et la qualification), l’ASI (l’Appui Social Individualisé) et les
I APP (Ateliers Pédagogiques Personnalisés). L’insertion des jeunes de moins
de 25 ans est une vraie préoccupation politique et sociale, elle devient dès
les années 1950, le champ d’action privilégiée de la prévention spécialisée.
En 1982, les missions locales se créent et sont destinées à l’orientation et
au soutien personnalisé des jeunes en difficultés. Les travailleurs sociaux
se spécialisent dans l’insertion sociale et conduisent, en lien avec les
dispositifs existants, différentes actions (activités périscolaires, soutien
individuel, chantiers d’insertion, action envers les parents...). Dans le
secteur du handicap, les ESAT (Établissement et Service d’Aide par le
Travail), et les entreprises adaptées permettent à des adultes en situation de
handicap d’avoir une action économique ou de bénéficier d’un emploi. Les
travailleurs handicapés bénéficient aujourd’hui d’une insertion « facilitée »
dans le monde de l’entreprise et peuvent recevoir une aide de l’AGEFIPH
(Association de Gestion du Fonds pour l’Insertion professionnelle des
Personnes Handicapées) pour l’aménagement de leur poste de travail.
Pour les travailleurs sociaux qui accompagnent les personnes vers l’insertion
ou la réinsertion, il s’agit désormais de mettre en œuvre une mission de
service spécifiée par la loi. Ils deviennent les acteurs de dispositifs d’un retour
vers la norme de ces populations en voie d’exclusion, avec des obligations de
résultats. L’enjeu pour les travailleurs sociaux est de déterminer si l’insertion
est un moyen ou une finalité. En l’occurrence, si les projets personnalisés
se construisent dans ce secteur d’intervention autour de la norme sociale,
ne doivent-ils pas aussi intégrer les besoins et les désirs individuels ? Que
se passe-t-il lorsque les normes collectives s’articulent mal avec celles plus
individuelles de la personne accompagnée ? Il s’agit là d’une question

184
INT
éthique que les interventions de l’insertion sociale ne doivent pas mettre de
côté.

Mots clés
aide, revenu, logement, accès aux soins, emploi, norme sociale

Références bibliographiques
CAMBERLEIN, P., Le dispositif de l’action sociale et médico-sociale en France,
Dunod, 2005
MESURE, S., et SAVIDAN, P., Le dictionnaire des sciences humaines, Dictionnaire
et encyclopédie, 2008
PAUGAM, S., Disqualification sociale, PUF, 2000 I
De.C
Ru.S

Interdire
Du point de vue socio-éducatif, l’action d’interdire revêt une fonction
tout autant pratique que symbolique. L’acte même d’éduquer, selon les
circonstances, revient bien souvent à accompagner, soutenir, soigner, écouter,
jouer... et toujours interdire !
L’acte d’interdire est ainsi à la fois banal et essentiel dans le travail
socio-éducatif. En effet, si le fait d’interdire est courant, la valeur de cet acte
diverge selon qu’il s‘agit d’édicter un interdit, ou une simple interdiction.
Pour Didier Anzieu, l’interdit se distingue fortement de l’interdiction ;
l’interdiction est à sens unique et transmet une injonction ; l’interdit au
contraire concerne tout autant l’énonciateur, la personne à qui s’adresse
l’énoncé et tout un chacun. L’interdit est alors à la base même de la relation
éducative, lui fournissant un cadre humanisé, à l’abri des peurs pour
l’intégrité physique, psychique et morale, des individus.
Pour un travailleur social, énoncer et rappeler des interdits vise bien souvent
à renforcer le cadre même de la relation socio-éducative et à en révéler
la finalité ultime de promotion des individus, à l’abri de la fantaisie, des
fantasmes ou à des représentations de la charité des uns et des autres.
On comprend alors que le champ de l’interdit pour être essentiel (les
interdits fondamentaux sont pour Claude Lévi-Strauss ceux de l’inceste, du
meurtre et de l’anthropophagisme) reste relativement circonscrit, ce qui
laisse un champ énorme à la liberté éducative.
185
INT
Selon Alain Bouregba, la fonction de l’interdit consiste à nous rendre libre
et nous autoriser tout le champ des autres possibles ; sans ces interdits, toute
liberté serait illusoire. Le quotidien des éducateurs n’est pas tant centré sur
l’interdit que sur la permission. C’est pour rendre les choses possibles, en
fonction d’une liberté à conquérir que les interdictions sont énoncées : elles
n’ont d’ailleurs à ce moment-là, pas valeur d’interdit ; leur transgression
est fréquente et donne lieu au travail et au dialogue éducatif.
Le champ de l’interdiction est en effet très important. Il est à la fois
l’indicateur des limites que se fixent les individus, les institutions et la
société. Il prend la forme de règles, de règlements, ou de simples interdictions
ponctuelles et personnalisées (« Non, tu ne prends rien dans le frigo », etc.)
Là encore, il est important de distinguer l’interdiction qui rappelle une
« loi sociale » (la Loi) et qui a un effet contenant, en lien avec une réalité
I commune puisque cette loi concerne a priori tout un chacun de la même
façon.
La loi, à la différence de l’interdit qui la « transcende » (car il est du registre
psychologique tout autant que moral) peut évoluer, changer, varier selon
les lieux, les pays, les époques. Elle n’en reste pas moins pour autant la
Loi servant ainsi de repère et de cadre pour l’action de tous. La règle, au
contraire, doit être considérée par le travailleur social comme un simple
outil de travail. En effet, les travailleurs sociaux ne sauraient logiquement
attendre des usagers et bénéficiaires des structures et actions, une autonomie
et une intégration personnelle des règles comme déjà acquises : tout au
plus s’agit-il « d’aller vers » et de viser ce type d’autonomie à travers leurs
interventions.
Quotidiennement donc, le travailleur social travaille avec des usagers
« en infraction » vis-à-vis de telle ou telle règle institutionnelle. Ces
transgressions constituent la trame de la relation socio-éducative à la
fois interindividuelle et groupale, qui permet à l’éducateur de déployer
l’ensemble de ses habiletés : discours, persuasion, sanctions, rappels. Des
discussions s’ensuivent logiquement. La règle et l’interdiction obligent les
humains à se parler. Il reste à souligner que ce travail sur les interdictions
ne peut absolument pas dépendre et ressortir d’un individu. Cette question
concerne éminemment l’institution tout entière, car le travail sur les règles
et les interdictions a naturellement un impact sur les groupes. L’équipe
socio-éducative et institutionnelle, d’une part, qui est régulièrement dans la
nécessité de réfléchir et débattre collectivement les lignes de conduite à tenir,
et déterminer les limites de ce qui est possible et souhaitable. Le groupe du
public bénéficiaire, d’autre part, qui répond de par son comportement à

186
INT
ce qu’il perçoit des cohérences et incohérences de ce qui est énoncé dit et
« inter-dit ».

Mots clés
interdiction, règle, loi, règlement, autoriser, liberté

Références bibliographiques
ANZIEU Didier, « La double interdiction de toucher », in Revue française de
psychanalyse, n◦ 5, 1971
LÉVI-STRAUSS Claude, Les structures élémentaires de la parenté, Mouton de
Gruyter, 2002
Ot.L I
Internat
L’internat est étroitement lié à la notion de placement. Dans le secteur
social et médico-social, ce mode de prise en charge peut être une réponse
en matière de protection de l’enfance et de prise en compte du handicap.
L’internat est basé sur un accompagnement global, relationnel, éducatif,
voire thérapeutique et sur un accueil hors du milieu familial. L’enjeu pour
les travailleurs sociaux est d’une part de créer les conditions favorables à
la vie en collectivité tout en proposant un projet personnalisé à chaque
résident, et d’autre part de prendre en compte leur grande proximité avec les
usagers, et la diversité de leurs besoins. Cette réalité amène chaque travailleur
social à mettre en place des relations éducatives claires, pédagogiques et
personnalisées.
En internat, la vie quotidienne a souvent valeur d’action thérapeutique, il
s’agit pour les enfants et les jeunes accueillis de trouver un cadre de vie
sécurisant, des repères sociaux, une possibilité de se construire.
En fonction du public accueilli, l’internat peut être un lieu de substitution,
de suppléance ou d’étayage aux fonctions parentales, un lieu de protection,
un lieu éducatif ou encore un lieu de vie.
Dans le secteur social, l’accueil en internat concerne les enfants, les
adolescents et les jeunes adultes considérés « en danger ». Ils sont soit
victimes d’une situation, soit coupables de délits. Ils sont confiés à des
établissements comme : les centres éducatifs et professionnels, les centres
éducatifs fermés (CEF), les centres éducatifs renforcés (CER), les foyers de
l’enfance, les maisons à caractère social (MECS), les foyers d’hébergements.
187
INT
La décision de leur placement en internat revient : soit aux juges des enfants
pour les placements relatifs à l’assistance éducative et à la protection de
l’enfance, soit aux inspecteurs de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance).
L’internat est avant tout un lieu d’accueil temporaire où le quotidien est
partagé avec des travailleurs sociaux, généralement des éducateurs spécialisés
qui garantissent un cadre global cadrant, contenant, bienveillant et éducatif.
Dans le secteur médico-social, l’accueil en internat concerne les enfants,
les adolescents et les adultes concernés par le handicap physique, mental,
psychique et/ou sensoriel. Ils sont confiés à des établissements spécialisés,
par exemple : les instituts d’éducations motrices (IEM), les instituts médico-
éducatifs (IME), les Maisons d’accueil spécialisé (MAS), les foyers d’accueil
médicalisé (FAM), les Établissements et Services d’Aide par le Travail
(ESAT).
I Pour ces publics, l’internat est plutôt un lieu relais proposé aux familles,
il est « éducatif, rééducatif » et « lieu de vie ». Conformément à la loi
2002-2, la famille est sollicitée, elle participe à l’élaboration du projet
personnalisé de son enfant et au Conseil de la Vie Sociale. Pour bénéficier
de ces placements, il est nécessaire d’obtenir une orientation de la MDPH
(Maison Départementale des Personnes Handicapées).
Dans ce secteur, il existe plusieurs propositions d’accueil en internat :
l’internat à l’année, à la semaine, l’internat modulable, l’internat temporaire
qui permettent de répondre aux besoins et demandes des familles.
Pour les travailleurs sociaux, ce travail implique une amplitude horaire
importante ou des horaires de nuit. Pour cette raison, ils reçoivent une
prime dite d’internat. Il est nécessaire d’avoir une solide formation, un accès
à la formation permanente, un projet institutionnel cohérent sur lequel
s’appuyer et qui permet de prévenir l’épuisement professionnel.
Le travail d’équipe est indispensable et permet de garantir un accompagne-
ment global de qualité. Les transmissions entre les équipes qui se relaient
sont indispensables et sont un enjeu important pour la cohérence du suivi
éducatif.

Mots clés
éducatif, accueil, placement, protection

Références bibliographiques
LE GOFF Jean, Le quotidien en internant, Vuibert, 2007
188
INT
DURNING Paul, Éducation et suppléance familiale en Internat, CTNERHI,
PUF, 1985
Paul FUSTIER, Les corridors du quotidien. Clinique du quotidien et éducation
spécialisée en institution, Dunod, 2008
Joseph ROUZEL, Le quotidien en éducation spécialisée, Dunod, 2004
De.C

Intervention sociale d’aide a la personne (ISAP)


L’Intervention sociale d’aide à la personne (ISAP) est une méthode
d’intervention en travail social. Comme toute méthode elle est constituée
d’un ensemble concerté d’opérations, mises en œuvre pour atteindre un ou
plusieurs objectifs, un ensemble de normes permettant de sélectionner
et coordonner les techniques. Ces dernières constituent des procédés
opératoires rigoureux bien définis, transmissibles, susceptibles d’être I
appliqués à nouveau dans les mêmes conditions, adaptés au genre de
problèmes et de phénomènes en cause. Le choix des techniques dépend de
l’objectif poursuivi, lui-même lié à la méthode de travail.
Un petit détour historique permet de situer l’ISAP dans son contexte et
son évolution jusqu’à aujourd’hui dans le champ de l’intervention sociale.
L’ISAP trouve ses origines dans le « case-work » américain du début du
XXe siècle. C’est Mary Richemond (1861-1928) qui, aux États Unis, traduit
cette intervention individualisée comme une méthode rigoureuse en travail
social. Ses textes sont considérés comme fondateurs de cette méthode
d’intervention. L’auteur dégage quatre niveaux qu’elle entend théoriser à
travers l’étude de situations familiales rencontrées dans la pratique : la
compréhension de l’individualité et des caractéristiques personnelles, la
compréhension des ressources, des dangers et des influences du milieu social,
l’action directe du travailleur social sur « son client », l’action indirecte
exercée par le milieu social.
Le case-work ne se généralise en France qu’à la fin de la Seconde guerre
mondiale sous l’appellation « aide psychosociale individualisée », sous
l’influence, notamment, de l’ONU qui organise des séminaires sur ce
sujet dans les années 1950. Il prend appui au départ, sur l’analyse de la
pratique, c’est-à-dire des études de cas à partir desquelles il était recherché
une théorie. Les enseignements se structurent peu à peu : collecte des
données, formulation du diagnostic, élaboration du plan d’action, repérage
des interactions et transactions de la personne avec son environnement.
L’approche psychanalytique a été, par ailleurs, largement introduite, puis
d’autres courants de la psychologie se sont imposés afin d’aborder la
189
INT
méthode selon un axe plus psychosociale inspiré de Piaget, Erikson ou
Lewin.
L’intervention individuelle et familiale se construit comme la méthode de
base la plus pratiquée en France en service social. Elle se diffuse comme
modèle de travail jusque dans les années 1980. Cependant, dans une
situation socio-économique où commencent à apparaître de nouvelles
formes de précarité et d’exclusion, des critiques lui sont adressées. Il est
reproché à cette intervention d’être trop centrée sur l’individu, coupée de
son environnement, de ne pas tenir compte des déterminants sociaux et
environnementaux de la personne.
C’est dans ce contexte, que le Conseil Supérieur en Travail Social propose
dès 1998, la terminologie « Intervention sociale d’Aide à la personne ».
Beaucoup s’accordent à y trouver là un renouvellement théorique et
I méthodologique. La grande nouveauté réside dans le fait que l’ISAP ne se
positionne pas seulement en termes de manque, de carence, de besoin. Elle
souhaite modifier le rapport entre le professionnel et les individus dont il
s’occupe. En ce sens, elle s’appuie sur la pédagogie de la réussite. En partant
des potentialités de la personne, elle vise la transformation de sa situation
en créant les conditions pour qu’elle devienne actrice de sa vie. Elle articule
l’approche individuelle avec l’approche collective inscrivant la personne,
auprès de qui le professionnel intervient, dans sa dimension citoyenne.
Trois niveaux sont ainsi pris en compte :
➤ la personne elle-même par une centration sur son quotidien et son
identité : le travail social facilite un itinéraire d’autonomisation et une
action propre à l’identité de la personne (restructuration, restauration) ;
➤ la sociabilité de la personne inscrite dans son réseau de relation : il s’agit
du lien communautaire à un sous-système d’appartenance où le travail
social a une fonction de médiation et de négociation ;
➤ l’articulation du quotidien singulier avec la globalité économique, sociale
et culturelle qui caractérise la société.
L’ISAP s’appuie sur un certain nombre de principes éthiques propres au
travail social :
➤ la singularité par l’acceptation de l’autre dans ses différences : elle induit,
de la part de l’intervenant social, une attitude empathique, congruente,
et de compréhension,
➤ la liberté et l’autodétermination des personnes qui doivent avoir la
liberté de disposer d’elles-mêmes et le choix dans ce qui les concerne,
➤ le respect de l’intimité et de la vie privée des individus,
➤ l’autonomie liée aux capacités et potentialités de chacun,
190
INT
➤ l’interdépendance visant les droits et devoirs de chacun dans sa
dimension citoyenne.
L’ISAP s’articule autour de différentes phases ou étapes qui s’inscrivent dans
un processus dynamique :
1. la rencontre : il s’agit de décoder ce qui amène la personne à rencontrer
un travailleur social ;
2. la collecte des informations qui doit, dans la mesure du possible, prendre
en compte la personne sous ses différentes dimensions : culturelles,
familiales, environnementales. Il s’agit de disposer d’éléments nécessaires
à la compréhension de la situation afin de dégager des pistes de résolution
de problèmes qui doivent être travaillées avec la personne elle-même ;
3. l’analyse et l’évaluation diagnostique : à partir des informations dont il
dispose, le travailleur social procède à une analyse, formule des hypothèses
explicatives ; I
4. l’émergence du projet et le contrat : ce contrat n’est généralement pas écrit
hormis pour certains dispositifs spécifiques (ex : le contrat d’insertion,
les mesures d’action éducative en faveur de l’enfance). Il reste surtout
symbolique et se traduit par une clarification de l’intervention entre les
deux protagonistes : les objectifs visés, les moyens mis en œuvre, le plan
de travail (qui fait quoi, les échéances, le rythme des rencontres...) ;
5. les stratégies et les moyens de mise en œuvre comprennent la conception,
la coordination et la direction des opérations afin d’atteindre les objectifs.
Ils concernent à la fois la personne dans la mobilisation de ses ressources
affectives, intellectuelles, physiques... son environnement comme la
famille, les collègues de travail, le voisinage... et les moyens et ressources
que le professionnel peut mettre à sa disposition telle que l’institution,
les compétences professionnelles... Le partenariat a également toute
sa place dans les stratégies mises en œuvre : il s’agit d’accéder aux
complémentarités des différents acteurs intervenant au niveau du projet
défini préalablement ;
6. l’évaluation et la fin de l’intervention sociale : elle est nécessaire afin de
mesurer les écarts entre les objectifs visés et ceux réellement atteints.
La théorisation de l’intervention, en passant du case-work à l’intervention
sociale individualisée puis à l’ISAP en 1998, a permis, à une certaine époque
dans l’histoire du service social de redonner une forme de légitimité à la
profession. Cette méthode, puisant dans des disciplines reconnues par tous,
a participé de la professionnalisation du service social et a rompu avec
l’image des assistantes sociales moralisatrices. Elle leur a permis d’assoir
une certaine technicité à travers une méthode rigoureuse. Le case-work,

191
INT
dont se réclame l’ISAP, a été dépassé par une acception plus large de
l’intervention dont le Conseil supérieur en travail social a été le promoteur,
articulant approche centrée sur l’individu, le groupe et la communauté.
L’ISAP reste une terminologie qui a été réaffirmée dans la réforme des
études du diplôme d’État d’assistant de service social en 2004, puis dans
celle des conseillers en économie sociale et familiale en 2009 (intervention
sociale d’aide à la personne dans le domaine de la vie quotidienne). Pour
d’autres professions sociales, le vocable utilisé est celui d’accompagnement
éducatif ou intervention socio-éducative, mais dans la réalité de la pratique
et, au-delà d’un vocabulaire spécifique selon les professions, il n’en reste
pas moins que l’intervention vise toujours la personne et les groupes dans
lesquelles elle s’insère. Les missions communes à certaines professions
dans les institutions sociales, socio-éducatives conduisent in fine à un
I rapprochement des méthodes d’intervention quelle que soit la terminologie
adoptée.
L’intervention sociale d’aide à la personne n’est pas la seule référence
méthodologique en travail social. Les méthodes collectives existent depuis
de nombreuses années, comme le travail social avec les groupes ou toute
autre forme d’intervention collective. Néanmoins, l’ISAP reste, à ce jour,
l’intervention majeure rencontrée dans la pratique du travail social en
France.

Mots clés
méthode, case-work, citoyenneté, éthique, évaluation, projet

Références bibliographiques
BILODEAU G., Traité de travail social, EHESP, 2005
Conseil Supérieur en Travail Social, L’intervention sociale d’aide à la personne,
EHESP, 1998
DE ROBERTIS C., Méthodologie de l’intervention en travail social, Bayard,
2007
DU RANQUET M., L’approche en service social, intervention auprès des
personnes et des familles, Le centurion, 1981
GRAWITZ M., Méthodes des sciences sociales, Dalloz, 11e édition, 2000
RICHEMOND M., préface de BOUQUET B., Les méthodes nouvelles d’assistance,
le service social des cas individuels, EHESP, 2e édition, 2002
Mo.Y
192
INT
Intervention sociale d’intérêt collectif (ISIC)
Le dernier rapport du Conseil supérieur en travail social, en 2010, répertorie
l’intervention sociale d’intérêt collectif (ISIC) selon quatre formes majeures :
le travail social avec les groupes, le développement social local en territoire
rural et urbain, les actions de type communautaire, diverses actions
collectives « aux multiples entrées ». Nous examinerons successivement
ces formes d’intervention telles qu’elles ont été catégorisées par le CSTS, à
travers une approche historique, les éléments qui les caractérisent et enfin
les enjeux que l’ISIC présente pour les professions sociales.
Le travail social avec les groupes (TSG) a été largement défini à travers la
culture nord-américaine comme le témoigne la foisonnante littérature anglo-
saxonne mais aussi francophone du Canada. Cette méthode s’appuie sur les
valeurs de coopération et de participation sur un modèle démocratique pour
que les membres du groupe puissent s’approprier leurs propres décisions. I
Le TSG fait émerger les ressources des personnes au-delà de la situation
problème. Il est un médiateur auprès des institutions afin que la parole
ou les actions des individus soient entendues par les dites institutions.
Les publics marginaux, minoritaires doivent pouvoir être pris en compte
dans le respect de leur expression et de leurs différences. L’intervenant a la
préoccupation de ne pas annihiler l’individu au bénéfice du groupe. Il veille
à faire se développer les ressources de chacun, les habiletés. Enfin, il évalue
son travail et ses propres attitudes ou comportements au sein du groupe.
Selon Home et Darveau-Fournier, le rôle de l’intervenant social dans le
groupe se décline selon trois axes majeurs :
➤ construire une analyse initiale et périodique des besoins du groupe,
déterminer les objectifs et ses ressources lors de la phase diagnostique,
➤ facilitateur et médiateur, l’engagement de l’intervenant social, s’efface
au profit d’une autonomie croissante des membres du groupe,
➤ l’entraide mutuelle, la participation aux prises de décision et au
leadership sont facilitées par le travailleur social afin de faire émerger
les potentialités des membres du groupe.
Les objectifs généraux du travail social avec les groupes reposent sur quatre
types assez génériques présentés par Turcotte et Lindsay :
➤ favoriser le changement personnel chez les personnes confrontées à des
difficultés de même nature,
➤ viser le changement social en agissant sur le milieu des personnes,
➤ développer les actions de socialisation et de prévention,
➤ agir sur les institutions.

193
INT
En France, Hélène Massaa distingué les différents modèles de travail social
avec les groupes à partir des références américaines et canadiennes :
➤ Le modèle de traitement social : il s’agit d’un groupe clinique qui vise
directement le changement de la personne. Il s’inspire du case-work (cf.
ISAP). L’intervention vise le développement personnel, le changement
de l’individu directement. Le groupe est utilisé dans une dimension
psychosociale afin que la personne apprenne à surmonter ses difficultés
relationnelles, familiales et sociales. Ce type de groupe vise également les
personnes traversant des moments de crise au plan émotionnel (décès
d’un proche, séparation, maladie d’un enfant, annonce du handicap par
exemple).
➤ Le modèle à buts sociaux : il vise la participation à la vie sociale et
politique. Le but recherché est la transformation en faisant appel à la
I conscience sociale et la responsabilité des personnes, au travers des
valeurs démocratiques de participation. Le groupe a ici comme objectif
le changement sur l’environnement social : les institutions, les lois, des
dispositifs, par exemple. Les difficultés sociales des membres du groupe
sont appréhendées sous leur versant structurel.
➤ Le modèle de réciprocité ou de médiation : il place le groupe dans une
relation d’interdépendance individu-société. Les membres du groupe
connaissent une même difficulté ou une problématique commune
(femmes victimes de violences conjugales, aidants naturels épuisés,
par exemple). L’objectif poursuivi dans ce type de groupe est de
favoriser l’entraide par le partage de l’information, par l’instauration de
nouveaux liens relationnels, notamment pour les personnes en situation
d’isolement.
➤ Le modèle pour atteindre les personnes difficiles à joindre : il concerne
plus spécifiquement les personnes qui sont en rupture avec les
institutions. Ce modèle prend appui sur les notions de conscientisation
et de motivation.
➤ Le modèle d’appropriation du pouvoir ou emporwement : il vise les
personnes qui ont une participation faible dans leur vie quotidienne et
dans leur environnement. Le groupe doit permettre de développer les
ressources de ces personnes par l’analyse critique de leur situation au
regard du contexte socio-économique.
➤ Le groupe structuré : son but est prédéterminé en fonction de problèmes
spécifiques à résoudre le programme étant fixé pour le groupe.

194
INT
L’intervention sociale auprès des groupes fait référence à des étapes bien
définies pour le travailleur social. Quatre étapes bien distinctes sont ainsi
repérées :
1. La planification de l’intervention ou étape de préparation. Elle corres-
pond à toutes les activités, du travailleur social, préalables à la première
rencontre avec le groupe. Il s’agit d’identifier la demande (son origine,
sa nature, le contexte de l’intervention, l’évaluation des besoins). Le
professionnel choisit la méthode d’intervention en étudiant la pertinence
du groupe et s’assure de l’appui de son institution d’appartenance. Le
but et les objectifs sont déterminés ainsi que le cadre général du groupe
(structure, ressources...). Le groupe peut dès lors être constitué à partir de
critères de choix de ses membres (homogénéité, diversité, problématique
commune...) et après contact avec ces derniers. Le travailleur social
prépare à l’issue de cette première étape la première rencontre avec le I
groupe.
2. La phase de début : les personnes qui adhèrent au groupe vont connaître,
au démarrage, une étape de méfiance, de crainte. Les questions soulevées
au sein du groupe peuvent être vécues, à ce stade, comme trop intimes
pour être partagées. Le travailleur social oriente son intervention de
façon à : susciter la participation des personnes (faciliter l’expression),
créer un climat de confiance, amorcer la dynamique d’aide mutuelle (des
points communs commencent à se dégager et sont échangés), valoriser
les compétences et les potentialités des membres du groupe, offrir un
cadre de travail adéquat au bon fonctionnement du groupe (le groupe
commence à définir ses propres normes d’organisation).
3. La phase de travail coïncide avec une forme de cohésion qui confère au
groupe sa propre culture. La coopération se développe en interne. Même
si apparaissent des conflits inhérents au fonctionnement du groupe,
ils n’entravent pas son développement. Au contraire, les membres
sont tournés vers l’atteinte de leurs objectifs communs qui ont été
préalablement définis lors de l’étape antérieure. Le travailleur social
oriente son action afin de les soutenir dans ce sens et se fait l’interface
avec les institutions pour favoriser le bon déroulement des actions
entreprises par le groupe. C’est ainsi qu’il prépare les rencontres, aide
à structurer le travail, favorise le développement des compétences de
ses membres, les aide à atteindre leurs objectifs notamment à travers
les obstacles qu’ils rencontrent, procède à l’évaluation des actions du
groupe et enfin élabore un dossier (de type écrit professionnel) où
apparaît l’intervention sous ses différentes dimensions. Cette dernière

195
INT
opération permet notamment de mener les évaluations intermédiaires
de l’intervention ainsi que l’évaluation finale.
4. La conclusion de l’intervention. Cette étape renvoie au stade de la
terminaison. Il revêt une grande importance car l’expérience vécue
au sein du groupe doit pouvoir être transposable dans une situation
extérieure, dans la vie quotidienne de ses membres. Le travailleur social
orientera son action plus spécifiquement sur les réactions des personnes
qui composent le groupe, l’évaluation des acquis pour chacune d’elles,
les possibles transferts dans d’autres contextes, les suites envisagées après
le groupe, et enfin l’évaluation finale de l’intervention par les membres
eux-mêmes.
Le développement social local trouve ses origines dans les années 1950
dans un contexte de décolonisation et de développement des pays dits du
I tiers monde à l’époque. C’est la notion de développement communautaire
qui s’applique alors, désignant principalement l’effort de faire participer les
populations aux politiques définies par les gouvernements. Cette approche,
s’est appliquée par la suite aux grandes puissances industrialisées face à
une situation d’inégalités dans le développement des régions. En effet, dans
les années 1960-1970, le monde rural est confronté à un certain déclin
économique et social. C’est ainsi que naissent les premiers mouvements
de développement local. Les acteurs locaux et notamment les militants
associatifs décident de se mobiliser afin de développer leurs ressources
propres. Les bouleversements touchent l’univers urbain et rural à la fois
dès la seconde moitié du XXe siècle : reconstruction, développement de
l’industrie et du tertiaire, restructuration du monde agricole, entraînent
l’explosion des villes avec la nécessité de construire des logements en masse.
La question sociale se modifie, il ne s’agit plus seulement des ouvriers,
mais des nouveaux urbains qui vont devenir les exclus de la ville centre. Ce
nouvel aménagement de l’espace urbain entraîne une ségrégation sociale qui
nécessite la mise en place d’une animation dans les quartiers. Parallèlement,
le monde rural connaît une crise avec l’exode des jeunes, la désertification
des campagnes et la naissance de zones périurbaines. L’État sollicite alors les
centres sociaux pour accompagner localement les politiques d’équipements
urbains et ruraux. Le mouvement des centres sociaux, dans ces années 1950
et 60, marque les prémices d’un développement social local caractérisé par
une prise en compte des questions de la vie sociale et de la vie de quartier.
On commence à parler de développement rural, urbain et social géré par
les associations et promu par le travail social et communautaire.

196
INT
Le développement social local s’est construit à partir de deux courants :
l’un économiste et l’autre solidariste. Le premier vise le développement
socio-économique et l’aménagement du territoire. Il promeut les initiatives
locales comme les coopératives agricoles qui constituent en quelque sorte les
bases de l’économie sociale et solidaire d’aujourd’hui. Le deuxième courant
cherche à développer des liens sociaux et à résoudre des questions sociales
(origines de la philanthropie et du christianisme social du début du XXe
siècle). C’est en ce sens que Mangin situe le développement local dans le
milieu rural et le développement social dans le milieu urbain.
L’Association Nationale des Responsables de Circonscription (ANRC)
donne naissance en 1980 au Mouvement pour le Développement Social
Local (MDSL). Le « Social » et le « local » sont alors accolés afin de concilier
la dimension économique et politique du local avec la dimension sociale
dans une logique territoriale. En 1993, le MDSL rentre dans le réseau de I
l’Union Nationale des Acteurs de Développement Local (UNADEL).
Parallèlement et peu à peu, les élus locaux appliquent une politique
de territoires au rural comme à l’urbain. C’est ainsi que sont créés de
nouveaux territoires pour la politique de la ville (quartiers, agglomération)
et pour les territoires ruraux à l’échelon supra-communal (communautés
de communes, pays). Dans les années 1980-1990, se développe avec la
politique de la ville, un ensemble de politiques sociales territorialisées
s’inscrivant dans une logique exogène de planifications et de programmes.
Comme le souligne Mondolfo, il faut attendre la fin des années 1990,
pour que la thématique du développement social local resurgisse sous
l’impulsion d’un colloque organisé par l’ODAS (Observatoire Décentralisé
de l’Action Sociale) en 1999 à Marseille, sur le thème de « Pouvoirs locaux
et développement social ».
Le développement social local présenté par Gourvil comme un nouveau
paradigme de l’intervention sociale, peine à se décliner comme processus
méthodologique. Nous retiendrons cependant certaines idées clés de cette
approche empruntées à Dumas et Séguier :
➤ une population en développement qui se prend en charge à partir de ses
potentialités, capacités, ressources, savoir-faire, solidarités ;
➤ des initiatives collectives qui contribuent à l’amélioration des conditions
de vie ou la lutte pour la survie, capables de négociation à partir de
communautés d’intérêts ;
➤ des actions mobilisantes qui combinent animation, organisation et
éducation pour le développement de chaque personne, de chaque famille
et de chaque groupe social en co-responsabilité ;

197
INT
➤ une visée de promotion collective qui se traduit par l’augmentation du
niveau de conscience, de la capacité à s’organiser, de la citoyenneté, de
la solidarité ;
➤ un projet social qui met en œuvre une stratégie de mieux-être social
engageant toutes les catégories sociales qui, toutes, ont le droit de
l’évaluer ;
➤ un processus global qui assume les trois dimensions : revitalisation de
l’espace économique, animation du tissu social, dynamisation culturelle ;
➤ des territoires de solidarité où œuvrent des partenaires en interdépen-
dance qui ont tous accès à l’information et le pouvoir d’infléchir les
décisions.
Démarche endogène (ascendante), d’où sont issues principalement les
interventions dites collectives, et démarche exogène (descendante) ne
I s’excluent pas. Au contraire, leur articulation se révèle nécessaire afin
de garantir un processus de développement social local au long court.
Le travail social communautaire apparaît à la fin du XIXe siècle en
Angleterre, avec l’apparition des « settlement houses », ou résidences sociales
en France, qui interviennent dans les quartiers pauvres ouvriers. Cette
expérience s’est répandue dans toute l’Europe, mais c’est aux États Unis et
au Canada que cette forme de travail se développe réellement.
Le travail social communautaire se présente alors selon deux approches :
l’organisation communautaire et le développement communautaire qui
sont venus étayer ses fondements théoriques et méthodologiques. Pour le
Conseil Supérieur en Travail Social (CSTS), il est important de resituer la
notion de développement communautaire à travers celui de « Community
Development », créé en 1940 en Grande Bretagne. Il fait référence à la mise
en place de programmes destinés à ses pays colonisés et notamment dans
« l’éducation des masses indiennes ». En 1956, l’ONU donne la définition
suivante du développement communautaire :
« L’ensemble des procédés par lesquels les habitants d’un pays unissent
leurs efforts à ceux des pouvoirs publics en vue d’améliorer la situation
économique, sociale et culturelle des collectivités, d’associer ces collectivités
à la vie de la nation et de leur permettre de contribuer sans réserve aux
progrès du pays. ».

Des séminaires internationaux sont organisés par l’ONU entre 1958 et


1961 sur le sujet. En France, certains grands organismes comme la Caisse
Nationale des Allocations Familiales (CNAF) et la Mutualité Sociale Agricole

198
INT
(MSA), le Service Social d’Aide aux Émigrants (SSAE), s’en emparent et
développent ces pratiques.
L’organisation communautaire, quant à elle, prend naissance aux États Unis
et développe des référentiels théoriques selon trois types :
➤ La stratégie consensuelle définie par Ross en 1955. Elle a une visée
intégrationniste, les membres d’une communauté identifient eux-mêmes
leurs besoins, déterminent leurs objectifs et recherchent des ressources,
internes et externes dans un processus de coopération et de collaboration.
➤ La stratégie conflictuelle définie par Alinsky, dans les années 70, vise une
redistribution des pouvoirs et des ressources au sein de la communauté
ainsi que des changements radicaux dans la politique des grandes
institutions.
➤ La stratégie conscientisante est un modèle d’action élaboré par Freire
en 1961. C’est d’abord une méthode d’alphabétisation qui devient par I
la suite une méthode de conscientisation. Elle vise l’émancipation des
populations défavorisées en promouvant une conscience claire de leur
situation de dominés pour atteindre une « conscience libérée ».
Le Conseil Supérieur en Travail Social préfère renoncer au terme de « travail
social communautaire » pour lui préférer le terme « intervention sociale
d’intérêt collectif » (ISIC) dès 1988. Il présente la finalité de cette action
comme la promotion, le renforcement ou la restauration d’objectifs d’intérêt
général et de bénéfices collectifs d’une population donnée sur un territoire
où s’exercent les activités de cette population.
Plus récemment, De Robertis et al.ont dégagé des éléments clés structurant
l’intervention sociale d’intérêt collectif :
➤ un public situé dans une institution ou un territoire,
➤ une situation sociale commune mobilisant des personnes en vue d’un
changement social,
➤ une visée éthique touchant les valeurs et les objectifs de l’intervention,
➤ un cadre de politiques sociales,
➤ un réseau partenarial,
➤ un processus d’analyse et d’action,
➤ une démarche d’activation par la participation citoyenne des personnes
concernées.
Dans cette même perspective, une étude de situations (étudiants en stage,
pratiques professionnelles...) a donné lieu à une proposition typologique
de l’ISIC qui intègre à la fois la personne, le groupe et le territoire. Elle se
décline en quatre groupes :
➤ les réunions ponctuelles centrées sur une activité proposée,
199
INT
➤ les groupes centrés sur le développement personnel des membres et la
dynamique interne,
➤ les groupes centrés sur le développement personnel et social, la
dynamique interne et la dynamique externe,
➤ les interventions en vue d’une dynamique territoriale et de l’amélioration
du cadre de vie.
La nouvelle architecture des diplômes des professions sociales construite sur
la base des orientations de la Commission professionnelle consultative du
travail social et de l’intervention sociale (CPC) a largement introduit dans
l’ensemble des programmes la question de l’intervention collective sous
quelle que forme que ce soit. Si la terminologie ISIC apparaît clairement
dans les référentiels des diplômes d’État des assistants de service social (2004)
et des conseillers en économie sociale et familiale (2009), elle est également
I présente pour les autres diplômes qui évoquent dans leurs référentiels le
territoire, le réseau, la dynamique partenariale, le projet, le groupe... En
bref, les éléments clés constitutifs de l’ISIC.
La présentation de la méthode, sous ses différentes facettes, nous renvoie à
une approche méthodologique rigoureuse où est exposé un certain nombre
de phases ou de conditions pour que l’intervention soit labellisée ISIC. Les
praticiens ne se retrouvent pas toujours dans cette démarche rigoureuse qui
présente des phases emboitées les unes dans les autres sans détour, sans que
les conditions optimum soient réellement réunies. Il est vrai qu’une telle
présentation, qui s’appuie de surcroît sur les travaux nord-américains, peut
laisser entendre que ce qui se fait ici ou là en France n’est pas vraiment de
l’ISIC. Or, de nombreuses expériences, des projets d’intervention prennent
la forme d’une ISIC sans pour autant s’en réclamer quels qu’en soient les
acteurs professionnels du travail social et leurs champs d’activités.
C’est pourquoi le CSTS a prévu, dans le repérage des interventions ISIC, une
nouvelle catégorie, forme d’inclassables : « une diversité d’actions collectives
aux multiples entrées ». Nous savons par ailleurs que les changements de
pratiques sont attendus par le levier de la formation. Il n’en reste pas
moins que la plus grosse difficulté réside en ce que la formation est bien
celle de l’alternance et que les modèles renvoyés sur les sites qualifiants ne
permettent pas toujours aux stagiaires, futurs professionnels, d’intégrer
des apports qui restent bien souvent purement théoriques. L’alternance
est mise à mal de ce point de vue de l’introduction de nouvelles pratiques
plus collectives. Par ailleurs, force est de constater que les institutions
employeuses qui font partie aussi de la CPC qui fixe les orientations
professionnelles en termes d’attentes et d’orientations d’intervention sociale

200
INT
(référentiels d’activités, de compétences), conduisent les travailleurs sociaux
à des positions paradoxales par le truchement de la gestion de dispositifs
fortement individualisés (contrat d’insertion RSA, l’allocation personnalisée
d’autonomie, la Mesure d’accompagnement social personnalisée, etc.).
D’autres obstacles institutionnels se glissent parfois dans le développement
des pratiques plus collectives. Les situations rencontrées font souvent état
de lourdeurs administratives, d’une forme de gestion bureaucratique qui
freinent la dynamique endogène des professionnels et des publics.
Les passerelles activées entre les professions sociales, via la formation et
la Validation des acquis d’expériences (VAE), pourraient être vecteurs
d’évolutions pour favoriser le développement de l’ISIC sous toutes ses
formes.

Mots clés I
travail social avec les groupes, développement social local, travail social
communautaire

Références bibliographiques
BOUQUET B., « Individu, groupe, communauté », in Informations Sociales,
Travail social : l’individu, le groupe, le collectif, CNAF, n◦ 83, 2000 p 26-37
CAUQUIL G. et les consultants du cabinet CIRESE, Préface de BELORGEY
J.M., Conduire et évaluer les politiques sociales territorialisées, Dunod, 2004
Conseil supérieur en travail social, Intervention sociale d’intérêt collectif, La
documentation française, 1988
Conseil supérieur en travail social, L’intervention sociale d’intérêt collectif,
ouvrage à paraitre aux éditions EHESP, collection « les rapports du
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CNAF, rapport de fin d’étude, 2003
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territoire, EHESP, 2008
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Le Seuil, 2003
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développement social local, Dunod, 2008
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TURCOTTE D. et LINDSAY J., L’intervention sociale des groupes, Gaëtan Morin
éditeur, 2001
Mo.Y

202
J
Jeunes de cité
Dans son livre sur le « ghetto urbain », Didier Lapeyronnie souligne que les
banlieues ségréguées sont, par excellence, le territoire des jeunes. En effet,
face aux tensions générées par le développement des discriminations sociales J
et racistes à l’encontre de beaucoup de résidents des quartiers d’habitat
social mais particulièrement des jeunes garçons associés à des « figures de
peur », selon Nacira Guénif-Souilamas et Éric Macé, ceux-ci sont à la fois
poussés dehors et privés de possibilités de se mouvoir. Ils sont enfermés dans
le quartier et y vivent dans leurs groupes de pairs, objets d’une sociabilité
intense. Alors que les cités périphériques populaires sont habitées par une
pluralité de personnes (des pères et des mères de famille, des enfants, des
personnes âgées) et qu’il existe une diversité d’acteurs sociaux qui y agissent,
celles-ci sont largement associées aux groupes de jeunes visibles dans l’espace
public. Les « jeunes de rue » également souvent appelés « jeunes de cité »
apparaissent, en effet, comme les premiers acteurs de la désorganisation
sociale, de désordres, d’incivilités, de faits de délinquance, voire de violences,
producteurs d’insécurité. Au sein des phénomènes contemporains de
fragmentation sociale et culturelle, « les jeunes de cité » symbolisent de
façon emblématique la décomposition sociale. Selon Farad Khosrokhavar, ils
incarnent même une jeunesse populaire « exclue » caractérisée par plusieurs
épreuves : « le racisme ambiant qui la stigmatise en référence à ses origines
(pour les jeunes issus de l’immigration maghrébine ou négro-africaine), la
stigmatisation liée à son lieu de résidence ("quartiers sensibles", "quartiers
difficiles" c’est-à-dire de mauvaise réputation, marqués par un taux plus
ou moins élevé de délinquance, d’insécurité et de chômage) et, enfin, la
moins-value résultant de sa fréquentation d’établissements scolaires moins
cotés que ceux des classes moyennes et de l’absence de relations sociales

203
JEU
permettant de "caser" les uns les autres à partir des relations familiales ou
de liens avec des personnes dotées du même esprit de corps, etc. »
Sous l’influence, notamment, du traitement médiatique amplifiant les
difficultés vécues au sein des « quartiers sensibles », s’est donc développée
une crainte de la jeunesse des quartiers populaires dont la représentation est
dominée par la « galère », la délinquance et la violence. Dans ce cadre, les
jeunes et surtout ceux issus de l’immigration ou imaginés comme tels, sont
considérés comme une menace pour l’ordre social. Ces jeunes incarnent
des figures idéal-typiques refusant la résignation ou l’apathie. Rebelles à
l’ordre social, ils affirment de façon ostentatoire, de manière provocante
et radicale, leur rapport à l’espace public et aux représentants de la norme.
Par contre-stigmatisation, ces jeunes ne semblent pas faire de concessions
avec le monde social qui les entoure. Par leur langage, leur musique (rap
hardcore), leur manière de se vêtir et de se mouvoir, par les attributs qui les
caractérisent (casquettes américaines, habits amples portant des insignes
J ou des symboles associés à la violence, chiens méchants, pratique de la boxe,
armes à feu, calligraphies religieuses islamiques...), quelquefois par des
comportements incivils et insécurisants (écoute de musique à fort volume,
cris et insultes, prise d’alcool dans les lieux publics, consommation de
tabac et de cannabis dans des lieux interdits, etc.), ces jeunes s’affichent
comme des « indésirables », des individus dangereux et séditieux. Ces jeunes
développent une « esthétique » de la violence et de la provocation qu’ils
revendiquent. D’un point de vue caricatural ils sont, dès lors, perçus comme
des « méchants » se démarquant des « bons citoyens ».
Bien sûr, toutes ces représentations négatives des jeunes des quartiers
populaires ne reflètent pas la réalité complexe des « jeunes de cité ». Les
jeunes vivant dans des « zones urbaines sensibles » ne sont pas tous des
délinquants et des personnes violentes. Plusieurs travaux sociologiques
récents traitant des « jeunes de cité » ont insisté sur l’hétérogénéité de ces
acteurs. Dans les espaces urbains ghettoïsés, il existe, en effet, une diversité
de profils de jeunes et de groupes ne pouvant être considérés comme
« étanches ». Au milieu des années 1990, David Lepoutre montre que la
« culture de rue » des jeunes des quartiers populaires tire notamment sa
spécificité d’une vive conscience collective de la ségrégation spatiale. La
culture de rue s’exprime par la production de logiques de fonctionnement
internes et le développement de comportements sociaux et culturels ainsi
que d’un langage singulier. En continuum de ces travaux, Éric Marlière
souligne qu’il existe des codes culturels communs à pratiquement tous les
« jeunes des cités » (culture de l’honneur, de la moquerie, du charriage et

204
JEU
de la rébellion face au racisme et à l’expérience de la stigmatisation), mais il
indique également que, selon leur classe d’âge, leur parcours scolaire, leurs
origines familiales et ethno-culturelles, etc., ces jeunes développent des
pratiques culturelles différentes. Dans une autre optique, Thomas Sauvadet
affirme que c’est d’abord le regroupement de familles précaires dans des
espaces d’habitats collectifs dégradés (les cités HLM) identiques qui est à la
base « de l’association par similitude » de « jeunes de cité ». À partir d’une
expérience commune, ces jeunes construisent des formes communautaires
de « protections rapprochées » pour répondre à l’insécurité sociale dont ils
sont victimes (chômage, pauvreté, stigmatisation, violences policières...).
Pour contourner la précarité (dons, contre-dons, services multiples, trocs,
trafics divers, lutte collective contre la police), il s’agit dès lors de produire
une sorte d’organisation sociale locale basée sur une forte interconnaissance
des jeunes des cités populaires.
Cependant, il faut souligner que le milieu populaire des cités est également
fortement fragmenté par des logiques de distinction et de division d’ordre
J
économique, générationnel, national et ethnique ce qui a des répercussions
importantes sur la composition des groupes de jeunes et leurs pratiques
individuelles et collectives. Ainsi, la plupart des travaux montrent que
seule une minorité de jeunes fréquentent assidûment l’espace urbain
des quartiers populaires, c’est-à-dire la rue, les cages d’escaliers, les halls
d’immeubles et les centres commerciaux ; parmi ces jeunes, quelques-uns
seulement exercent une activité criminelle de façon quasi-professionnelle.
Effectivement, contrairement à ce qui est généralement colporté dans
l’opinion publique à propos des quartiers populaires, les jeunes qui y
vivent ne sont pas tous des « caillera » (racailles en verlan), des rappeurs
« hard-core », des islamistes ou des afro-centristes radicaux développant
des comportements délinquants et anti-sociaux.
Pour autant, c’est bien cette minorité prédatrice qui cristallise toutes les
inquiétudes relatives à la fragmentation sociale et culturelle, suscitant
l’intérêt des médias, des responsables politiques et des institutions éducatives,
pénales et répressives. Pour dépasser une vision pusillanime et pleine d’effroi
vis-à-vis de la jeunesse populaire « naturalisée », perçue d’abord comme
turbulente et violente, il faudrait donc dépasser les idées reçues caractérisées
par l’opposition de deux types de jeunesse : d’un côté les « dérouilleurs »
qui en raison de leurs actions exemplaires, mériteraient de bénéficier de
mesures de « discrimination positive » pour qu’ils parviennent à s’assimiler
complètement en épousant les valeurs et les normes majoritaires ; d’un
autre côté, les jeunes incarnant la « minorité des pires » caricaturée comme

205
JEU
anomique, sauvage et barbare, qui en raison de pratiques jugées bruyantes
et déviantes est largement méprisée, stigmatisée, voire racisée.

Mots clés
jeunesse populaire, banlieue, culture de rue, esthétique de la violence,
stigmatisation, contre-stigmatisation

Références bibliographiques
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et une Nuit, 2002
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et démocratiques dans des quartiers impopulaires », in Déviance et Société,
J vol. 27, n◦ 2, 2003, p. 161-182
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l’Aube, 2006
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dans la même prison !" » in Le Monde, 24 novembre 2009, p. 22
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tion, n◦ 118, 1999
LAPEYRONNIE D., Ghetto urbain, Robert Laffont, 2008
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L’Harmattan, 2005
SAUVADET T., Le capital guerrier. Concurrence et solidarité entre jeunes de cité,
Armand Colin, 2006

206
JOU
THOMAS W.I., ZNIANIECKI F., Le Paysan polonais en Europe et en Amérique.
Récit de vie d’un migrant (1919), Nathan, 1998
Bo.M

Jouer
Tenter de définir ce qu’est jouer est une gageure, tant cette activité humaine
recouvre une si vaste réalité. Jouer ne peut être une activité qui s’exerce sous
la contrainte. La liberté est en effet une condition intrinsèque du jeu qui
demande adhésion et plaisir. C’est aussi une activité dont le déroulement
et l’issue ne peuvent être déterminés par avance. Jouer, c’est improviser. Il
n’existe de jeu que dans l’ignorance de ce qui va se jouer. C’est une activité
qui ne crée rien de nouveau. Elle produit cependant ses propres règles, hors
des habitudes. Enfin, jouer est une activité fictive qui s’exerce pour partie
ou totalité, hors de la réalité.
Jouer, c’est d’abord la façon dont tous les petits mammifères apprennent J
ce qui leur est nécessaire pour être indépendants et donc survivre (chasser,
se nourrir, vivre en groupe, etc.). Le petit de l’homme y échappe d’autant
moins que ses besoins d’apprentissage sont très importants au regard de
la masse d’informations qu’il doit intégrer. Pour ce faire, il dispose d’un
système nerveux d’une importante plasticité et de capacités beaucoup plus
grandes que ses cousins animaux. De ce fait, il a beaucoup plus à apprendre
et pendant plus longtemps. C’est la raison pour laquelle, si rien ne l’en
empêche, le petit enfant ne fera qu’une chose dans sa vie (à part dormir
et manger) : JOUER. Il continue même à jouer une fois adulte car ayant
pris goût à cette activité, vraie source de plaisir, il la poursuit de temps à
autre, à travers toutes sortes de jeu et parfois en dehors de toute finalité.
En effet, sous ses différentes formes, le jeu est toujours lié au plaisir. Le
cerveau ne peut ainsi apprendre que si cette activité est accompagnée d’un
fort sentiment de plaisir qui favorise l’intégration de nouvelles données. Les
pédagogues et les éducateurs ont bien sûr à réfléchir à cette question...
À quoi l’enfant joue-t-il ? La réponse est simple : il joue à tout, puisqu’il
doit tout apprendre, y compris dans le domaine sexuel. Pour un enfant,
jouer c’est donc appréhender le réel, le recréer, le comprendre, l’inventer,
l’aménager et tenter de le maîtriser. C’est aussi appréhender sa réalité
intérieure, ses sentiments, ses émotions, et tenter de lui donner du sens et
de la maîtriser. C’est également appréhender sa relation aux autres.
Jouer c’est finalement mettre en scène (la scène du jeu) sa vie et mettre en
scène la vie. Cela s’accompagne presque toujours d’une jubilation. Le bébé
de six mois avec lequel on joue à cache-cache, jubile (il éclate de rire) car
207
JOU
il expérimente sans danger réel ce que provoque en lui la disparition de
choses et d’êtres qui l’entourent. Jouer, c’est donc faire l’apprentissage de la
vie, mais dans l’espace protégé du « faire semblant ». L’enfant qui joue sait
très bien faire cette différence. Mais s’il s’applique avec autant de sérieux et
d’attention, c’est parce qu’il s’agit d’une réalité intérieure. Quand il joue à
se faire peur, l’enfant tente de maîtriser la réalité de ce sentiment. Lorsque
la vraie peur arrive, le jeu s’arrête, mais chemin faisant, l’enfant apprend à
apprivoiser ce sentiment... pour de vrai.
Jouer seul c’est créer une réalité ni tout à fait intérieure (puisqu’en partie
compréhensible par un spectateur) ni tout à fait extérieure (puisqu’en partie
incompréhensible). Cette dualité permet justement d’inventer son rapport
au monde, dans la liberté offerte par cet espace. Jouer avec l’autre, c’est
créer un espace qui laisse la place pour un autre, dans une réalité commune.
Jouer, c’est cette façon si particulière d’être au monde qui crée de la liberté
entre soi et le monde, entre soi et les autres.
J
Jouer est donc un outil essentiel de santé mentale. Jouer, c’est maintenir
la folie à bonne distance. L’autiste ne joue pas, le réel l’envahit ; le grand
psychotique ne joue pas, l’irréel l’envahit ; le drogué aussi ; le dépressif ne
joue pas, le réel le fuit. Jouer, c’est laisser de l’espace entre soi et le reste
du monde comme l’on dit du réglage d’une pièce mécanique, qui a besoin
de jeu pour se mouvoir sans gripper la machine. S’il n’y a pas de jeu, ça
chauffe, ça casse ; s’il y en a trop ça ne fonctionne pas ! On comprend mieux
pourquoi le travail d’un comédien s’appelle « le jeu ». Le théâtre étant la
forme la plus élaborée du jeu qui, ne s’adressant plus à l’individu mais au
corps social, possède la même fonction : apprendre à vivre... ensemble.
Le jeu est donc un formidable outil pour l’éducation et le travail social.
Proposer à un enfant de ranger sa chambre sous la forme d’un jeu, c’est se
donner toutes les chances qu’il le fasse – et de plus avec le sentiment justifié
de le faire librement et avec plaisir. Si cette activité doit être appréhendée
comme essentielle dans le domaine de l’accompagnement des enfants (laisser
les enfants jouer, leur procurer temps, matériel et espace de jeu, jouer avec
eux...), le jeu est un outil qui s’adresse à tous les types de publics. Finalement,
si les personnes accompagnées ont de réels problèmes (de logement, de
ressources, de comportement, d’inadaptation, d’exclusion), les métiers
socio-éducatifs agissent rarement directement sur le réel, mais bien sur
la façon dont la personne met « en jeu » ses compétences (acquises ou
potentielles), pour affronter ce réel. C’est donc par sa capacité personnelle à
se positionner dans un espace de relation qui ouvre le champ des possibles

208
JOU
et qui laisse à l’autre sa liberté que le travailleur social peut exercer son
métier.

Mots clés
réalité, virtuel, liberté, relation, expérimenter

Références bibliographiques
CAILLOIS Roger, Les Jeux et les hommes, le masque et le vertige, Gallimard,
1958
WINNICOTT D.W., Jeu et réalité, Col. Folio essais, Gallimard, 1975
L.JL

209
L
Lieux de vie
Un lieu de vie se définit comme une structure assurant un hébergement
personnalisé en petit effectif, qu’il s’agisse d’enfants, d’adultes. Ces
personnes accueillies connaissent alors une situation familiale, sociale
ou psychologique problématique nécessitant un éloignement temporaire
ou durable de leur environnement. La pédagogie mise en œuvre s’appuie,
bien souvent, sur un accueil centré sur les relations de proximité, un
partage réfléchi du quotidien. L’accompagnement s’établit autour de l’idée L
de l’évolution vers un projet de vie à construire. Ces lieux sont animés par
des accueillants permanents. Les professionnels doivent être en capacité
d’accepter et d’appréhender la personne dans sa singularité et sa globalité.
Fréquemment, il s’agit d’accompagner la personne dans une reprise de
confiance en soi et de conscience de ses motivations et capacités.
Les lieux de vie ont trouvé naissance à partir de Fernand Deligny, Gilles
Deleuze et Michel Foucault. Fernand Deligny (1913-1996) reste le référent
emblématique des lieux de vie et d’accueil. Il commence par accompagner
des enfants en difficulté sociale. Dans les années 60, il travaille à la clinique
psychiatrique de La Borde, fondée en 1953 par le Docteur Jean Oury. Ce
médecin a fortement contribué au développement de la psychothérapie
institutionnelle. Toujours dirigé par son fondateur, ce lieu continue à
recevoir des patients selon les mêmes principes et il est considéré comme
une référence dans ce domaine. De là, Fernand Deligny part pour les
Cévennes à Monoblet, où il vit avec de jeunes autistes. C’est auprès d’eux
qu’il découvre que l’urgence n’est pas de prodiguer des soins mais bien de
leur apporter de l’attention. Il collabore, notamment avec Maud Mannoni
(1923-1998), qui est une psychanalyste française d’origine néerlandaise.
Elle est une élève de Lacan. Elle se spécialise dans les maladies mentales
des enfants : psychoses, déficits infantiles. Elle fonde en 1969 l’école de

211
LIE
Bonneuil-sur-Marne, lieu de vie et structure expérimentale pour l’accueil
d’enfants et d’adolescents autistes, psychotiques ou arriérés. Elle y met en
pratique une méthode de prise en charge où la communauté joue un rôle
central. Ce travail est effectué en relation avec les lieux d’accueil alternatifs
comme celui créé par Fernand Deligny dans les Cévennes. Ferdinand Deligny
et Maud Mannoni, par leurs démarches initiatrices des premiers lieux de vie,
deviennent des références emblématiques pour l’ensemble du mouvement
des lieux de vie et d’accueil. Ils sont soutenus, entre autre, par Françoise
Dolto.
Les premiers lieux de vie et d’accueil prônent une psychiatrie différente,
communautaire, hors les murs de « l’asile ». Cette démarche nouvelle pour
la psychiatrie s’inscrit de plein droit dans la cité. Nous sommes dans les
années 1970. Accueillir une hétérogénéité de problématiques est un principe.
Il s’agit alors, de permettre aux accueillis d’apprendre avec les différences de
chacun. Mais également se rassembler autour de valeurs comme le partage,
le respect. Il faut attendre les années 1980 pour que les lieux de vie se
regroupent sous la forme de collectifs ou d’associations, afin de sortir d’un
isolement qui à force les fragilise.
L Plusieurs groupes et associations voient le jour :
➤ l’Association pour l’Étude et la Promotion des Structures Intermédiaires
(ASEPS) en 1978 ;
➤ le collectif du réseau alternatif fondé par Claude Sigala en 1982 ;
➤ le Groupe d’Échange et de Recherche sur les Pratiques des Lieux de vie
et d’Accueil (GERPLA) en 1984.
C’est une circulaire sur les « Structures d’Accueil non Traditionnelles »
rédigée par Georgina Dufoix (alors Secrétaire d’État à la famille) en
janvier 1983 qui tente pour la première fois de définir un cadre légal en
préconisant trois statuts permettant l’accueil : celui d’assistante maternelle,
celui d’établissement et de tiers digne de confiance. Cela reste cependant des
statuts par défaut. Les Conseils Généraux compétents en matière d’action
sociale, vont bricoler au cas par cas, des formules d’agrément, sorte de
couverture juridique. En 1994, les premières Assises Nationales sur les lieux
de vie et d’accueil sont organisées. Un travail de concertation auprès de
Pierre Gauthier, alors Directeur de l’Action Sociale, se met en œuvre. Un
document de synthèse est produit. Il est relatif aux questions d’identification,
d’agrément et de statut dans le champ social.
Il faut attendre loi 2002-2 et son décret d’application spécifique de décem-
bre 2004 (décret du 23 décembre 2004 relatif aux conditions techniques
minimales d’organisation et de fonctionnement des lieux de vie et d’accueil
212
LIE
mentionnés au titre III du Code de l’action sociale et des familles), pour
voir les lieux de vie et d’accueil entrer de plein droit dans le dispositif de
l’action médico-sociale. Ce décret définit l’objectif du lieu de vie :
« Un lieu d’accueil et de vie vise, par un accompagnement continu et
quotidien, à favoriser l’intégration sociale des personnes accueillies (...) Il est
géré par une personne physique ou morale autorisée à accueillir au moins
trois et au plus sept personnes majeures ou mineures. Une dérogation peut
toutefois porter à dix le nombre de personnes prises en charge, à condition
qu’elles soient réparties en deux unités de vie individualisées. ».

Il s’agit bien de mettre en œuvre une insertion sociale, mais aussi pour les
mineurs, une mission d’éducation, de protection et de surveillance.

Mots clés
accueil, communautaire, hébergement, hétérogénéité, personne
accueillie, innovation

Références bibliographiques
Articles L
PICHON M.-C., POTFER G., « La vie quotidienne dans un lieu d’accueil », in
VST, 103, 2009
FOURRÉ Martine, « Le lieu de vie : ni prison, ni hôpital », in ASH, 2570,
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LETOURNEUX Frédérique, « Les lieux de vie et d’accueil. Reconnaissance ou
normalisation », in ASH magazine, 7, 2005
BRIZAIS Reynald, « L’internat, lieu de vie, lieu de soin », in Les Cahiers de
l’Actif, 306-307, 2001
Dossiers dans la revue Transitions
Collectif, « Réflexions sur les pratiques en lieux de vie et d’accueil », in
Transitions, 36, 1994
Collectif, « Lieux de vie », in Transitions, 22, 1986
Collectif, « Les lieux ou l’on vit », in Transitions, 18, 1984
Collectif, « Alternatives, lieux de vie. États généraux de Nîmes », in
Transitions, hors-série, 1982
Be.C

213
M
Malades mentaux
Selon la célèbre définition d’Henry Ey, « les maladies mentales sont une
pathologie de la liberté ». Cette affirmation, simple et efficace, annonce et
nécessite des précisions et développements. Les notions de pathologie et de
liberté ne recouvrent pas des catégories objectives et s’avèrent nécessairement
liées aux contextes sociaux et culturels qui les construisent. Le fou, l’aliéné,
le malade mental et, aujourd’hui, la personne en situation de handicap,
dépendent de considérations liées à des comportements et des traitements
sociaux localisés. C’est pourquoi, l’ensemble des terminologies employées M
renvoie à la relativité historique du normal et du pathologique, ainsi qu’à
l’ordre des valeurs qui le porte. Comme pathologie de la liberté, la maladie
mentale se réfère à la notion de normalité qui, d’une part, contient un
jugement de valeur quant à la capacité psychique d’un individu et, d’autre
part, révèle un idéal de liberté individuelle et collective qui n’a de sens qu’en
rapport à une société donnée. En ce sens, il n’existe pas de faits normaux
ou pathologiques en soi, mais un rapport normatif relatif à un milieu et à
la fréquence d’un trait humain dans un genre de vie donné. La normativité
est donc sociale et culturelle.
De plus, l’expression « maladie mentale » contient une sorte de confusion,
qui se réfère à un schéma classique en médecine qui ne trouve pas les mêmes
applications en psychiatrie. En témoigne l’ensemble des classifications
modernes, celles de l’OMS et de l’Association américaine de psychiatrie
(APA), qui manifestent par leur complexité, la variabilité et la relativité des
maladies mentales.
Le passage contemporain de la psychiatrie à la santé mentale illustre cette
relativité et augmente d’autant la difficulté que contient l’acception de santé
et de maladie mentales. La promotion de la santé établie par la définition de
l’OMS, désignant « un état complet de bien-être physique, mental et social,

215
MAL
ne se caractérisant pas seulement par l’absence de maladie ou d’infirmité »,
montre que morale, sociale et médicale convergent désormais vers une
extension du champ de la santé mentale à tous les aspects de l’existence.
En ce sens, le terme de santé mentale contient une double signification
qui s’applique à la fois à la personne et à l’organisation sanitaire publique.
Son projet est, depuis les années 60, de dépasser le modèle psychiatrique
curatif en augmentant le niveau de soins pour ceux qui souffrent de troubles
psychiques ou présentent un risque d’affection. Il s’agit, par conséquent, de
travailler à la prévention et la protection de la santé mentale de la population,
de promouvoir l’étude des troubles mentaux ainsi que les connaissances
relatives à leurs causes, leurs traitements et leur prévention.
C’est pourquoi, le domaine de la santé mentale recouvre actuellement
une diversité de champs comprenant la psychiatrie (soins), l’action sociale
(champ social et médico-social) et la prévention intégrant le reste de la
société. Cette globalisation d’intervention amenuise les frontières entre le
normal et le pathologique, comme elle manifeste l’élaboration croissante
d’une « thérapeutique pour les normaux ». La santé mentale comprend
donc actuellement une thérapeutique du trouble pathologique de la vie
psychique (ou trouble psychique) ; une thérapeutique de la souffrance
M psychique que celle-ci ait pour origine un trouble (organique, psychique ou
social) ou un événement existentiel ; l’organisation de l’action sociale autour
de la prévention de ces troubles et souffrances psychiques. Considérées
comme données objectives dont la description peut faire l’objet de constats
communs, les troubles psychiques se distinguent des souffrances psychiques,
qui s’apparentent au vécu d’une personne et ont un sens variable en fonction
de leurs origines. Données subjectives, les souffrances psychiques couvrent
un champ d’expérience très large qui, à l’inverse des troubles psychiques,
ne sauraient être classées ou évaluées rigoureusement.
Aussi, cette distinction entre troubles et souffrances psychiques marque
diverses modalités de prise en charge tant dans l’intervention médico-sociale
que dans la globalité de ses expressions légales. Ainsi, la loi du 11 février 2005
« sur l’égalité des chances et de l’accès à la citoyenneté », inscrit la notion
d’altération psychique dans sa définition générale du handicap. Même si le
terme de « personne en situation de handicap psychique » ne figure pas dans
le texte du législateur, la loi confirme que le fonctionnement psychique peut
être le seul altéré. Aussi, la notion de handicap psychique largement utilisée
dans le langage courant peut s’entendre comme les conséquences survenant
dans la vie sociale de personnes en raison de troubles psychiques graves et de
traitements associés. Elle doit faire l’objet d’un certificat médical indiquant

216
MAL
l’existence de ces troubles donnant lieu à une demande de compensation
prévue par la loi. Par troubles psychiques graves, il faut entendre divers
troubles psychotiques, les troubles bipolaires, les troubles dépressifs graves,
les états prépsychotiques et les névroses graves qui s’avèrent durables et
restreignent la participation à la vie sociale. Si l’existence de cette loi participe
à la reconnaissance sociale de personnes atteintes de troubles psychiques
graves et durables, elle écarte de son champ d’action d’autres troubles et
types d’affections aiguës ainsi que la diversité des souffrances psychiques.
Reste le vaste domaine des « petites maladies mentales » qui sous cette
appellation vient notamment désigner la dépression nerveuse comme
expression symptomatique des maux les plus courants de notre époque. En
effet, si l’on s’en réfère encore à l’OMS, la santé mentale est « état de bien-être
qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés
normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive et d’être
en mesure d’apporter une contribution à la communauté ». En écho à cette
définition, les 392 troubles du comportement répertoriés par le DSM IV
(1990) témoignent d’une logique contemporaine d’expertise et de traitement
médical de conduites jugées anormales. Cette conception épidémiologique
centrée sur un dépistage étendu des anomalies du comportement rompt
avec la tradition psychopathologique qui prévalait en psychiatrie. Il est ainsi M
opportun de s’interroger sur les glissements des catégories du pathologique
vers le normatif. Dans ce contexte, l’individu est appréhendé comme
potentiellement porteur d’un trouble ou d’une dysfonction, le rendant
partiellement ou totalement inapte à répondre au conformisme ambiant du
bien-être. Retenons à travers la diversité des conceptions qui la construise
que la maladie mentale ne peut s’appréhender et se définir qu’au regard d’un
ordre de valeurs qui forme et rend compte de l’imaginaire social. Traversant
les époques, le malade mental reste toutefois la figure exemplaire de cet
Autre radical que vient inspirer la folie.
Outre les modes de prise en charge à temps plein constituant l’hospitalisation
des malades en CHS (Centre hospitalier spécialisé), CHG (centre hospitalier
général), CHR (centre hospitalier régional) ou en établissement privé
participant au service public, il existe différentes modalités de prise en
charge à durée limitée favorisant le soin, la réadaptation à une vie autonome
et la réinsertion sociale. Ce sont les centres de post-cure, les appartements
thérapeutiques, l’hospitalisation à domicile (HAD) et les placements en
accueil familial thérapeutique. Les prises en charge à temps partiel se
déclinent autour des hospitalisations de jour et de nuit, des centres d’accueil
thérapeutiques à temps partiel (CATTP) et les ateliers thérapeutiques. Les

217
MAL
prises en charge ambulatoires sont principalement effectuées par les centres
médicaux psychologiques (CMP) qui sont des unités de coordination et
d’accueil en milieu ouvert et qui organisent des actions de prévention, de
diagnostic, de soins ambulatoires et d’interventions à domicile.
Issu de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) l’en-
semble des compensations liées aux conséquences des troubles psychiques
concerne les ressources (AAH), le logement, l’accompagnement à la vie
sociale (SAVS-SAMSAH) et le travail (ESAT). En marge de ces dispositifs, le
milieu associatif avec les GEM (groupement d’entraide mutuelle) inaugure
une nouvelle approche de l’intégration sociale basée sur la prééminence de
la solidarité, du local et de la responsabilité. Adhérentes et non usagères,
les personnes associées au GEM s’organisent en collectifs librement choisis
et basés sur des liens d’appartenance et d’amitié. Le projet d’inclusion à
la société globale que représente cette association de pairs, acteurs de leur
intégration, illustre un des trois axes du plan « psychiatrie et santé mentale
2005-2008 », lequel préconise un renforcement du « rôle institutionnel »
des malades et leur entourage, « acteurs à part entière du système de
santé aux côtés des professionnels ». L’intégration de la santé mentale à
la politique de santé publique associant les secteurs sanitaires, sociaux et
M médico-sociaux ainsi que l’évaluation des structures, activités et pratiques
constituent les deux autres volets de ce projet de rénovation des missions
et de l’organisation de la santé mentale et de la psychiatrie. Les principaux
enjeux de ce secteur s’inscrivent donc désormais dans la nécessité d’une
articulation entre diverses identités et pratiques professionnelles ainsi que
dans la reconnaissance de l’usager et de son entourage, acteurs associés
à toute modalité d’intervention sociale et de prise en charge médicale et
médico-sociale.

Mots clés
action sociale, compensation, folie, handicap, normal, normativité
pathologique, psychiatrie, prévention, santé mentale, souffrance
psychique, trouble psychique, thérapeutique

Références bibliographiques
CANGUILHEM Georges, Le Normal et le pathologique, PUF, 2005
CASTEL Robert, La gestion des risques. De l’anti-psychiatrie à l’après-
psychanalyse, Minuit, 1981

218
MAL
FOUCAULT Michel, Les Anormaux. Cours au collège de France, 1974-1975,
Seuil/Gallimard, 1999
GORI Roland, DEL VOLGO Marie-José, Éxilés de l’intime. La médecine et la
psychiatrie au service du nouvel ordre économique, Denoël, 2008
La.G

Maltraitance
Selon la littérature strictement médicale, la question des enfants victimes de
sévices corporels prend naissance en France en 1860. À cette période, en effet,
Tardieu, médecin légiste et professeur de médecine légale à Paris, publie
un article dans lequel il établit clairement le concept d’enfant maltraité,
non seulement dans ses caractères cliniques, mais dans ses dimensions
sociales et psychologiques. Tardieu insiste sur le fait que de jeunes enfants
décédés présentent des lésions tégumentaires (ecchymoses, hématomes,
plaies variées, brûlures...), des fractures et des épanchements sanguins
péri-cérébraux. Il considère alors comme un élément essentiel du diagnostic
la discordance entre les explications fournies par les parents et le caractère
des lésions présentées par l’enfant.
Il est important de préciser que l’article de Tardieu n’eut pratiquement à
cette époque aucun écho dans les milieux médicaux et qu’il fallut attendre M
de très nombreuses années pour que le phénomène de maltraitance soit
réellement pris en compte en France. C’est finalement à l’école pédiatrique
américaine que l’on doit les progrès décisifs dans la prise de conscience
médicale et, avant tout, à Silverman qui, en 1953, a précisément défini le
syndrome des enfants battus.
La notion de maltraitance s’est inscrite progressivement dans le champ
du travail social en même temps qu’un certain nombre de « mutations »
s’effectuaient :
➤ dans le cadre de l’évolution historique de l’Aide sociale à l’enfance,
sous l’influence des magistrats, des travailleurs sociaux et des médecins,
la législation sur la protection de l’enfance en danger n’a cessé de se
renforcer ;
➤ la philosophie des droits de l’homme est devenue dominante et a eu
pour effets la promulgation de plusieurs lois instituant des nouveaux
droits pour les citoyens adultes et l’officialisation récente des droits de
l’enfant ;
➤ une sensibilisation à toutes les formes de violence s’est développée,
qu’elles soient domestiques ou à l’intérieur d’établissements d’accueil,
qu’elles s’exercent envers les enfants, les femmes ou les personnes âgées.
219
MAL
La notion de maltraitance est employée en France avec régularité comme
objet d’étude dans le champ du travail socio-éducatif spécialisé appliqué
aux enfants depuis les années 1980. Dans les dictionnaires usuels, elle
renvoie à des acceptions minimalistes signifiant le fait de maltraiter une
personne vulnérable dans la famille ou dans la société. Son utilisation
s’est ensuite étendue peu à peu pour désigner finalement un phénomène
social spécifique touchant les femmes, les personnes âgées, les parents, les
personnes accueillies au sein d’établissements du secteur sanitaire et social.
La définition de la maltraitance, généralement retenue, est celle fixée par
le Conseil de l’Europe en 1987, à savoir une violence se caractérisant « par
tout acte ou omission commis par une personne s’il porte atteinte à la vie, à
l’intégrité corporelle ou psychique ou à la liberté d’une autre personne, ou
s’il compromet gravement le développement de sa personnalité et/ou nuit à
sa sécurité financière ».
Cette définition a été complétée en 1992 par une classification des différentes
formes sous lesquelles peut s’exprimer la maltraitance :
➤ les violences physiques : coups, brûlures, ligotages, violences sexuelles... ;
➤ les violences psychiques ou morales : langage irrespectueux ou dévalorisant,
absence de considération, abus d’autorité, infantilisation, non-respect
M de l’intimité... ;
➤ les violences médicales ou médicamenteuses : manque de soin de base,
abus de traitement, non prise en compte de la douleur... ;
➤ les négligences actives : sévices, abus, abandons... ;
➤ les négligences passives : négligences relevant de l’ignorance, de l’inatten-
tion de l’entourage... ;
➤ les privations ou violations de droits : limitation de la liberté de la personne,
privation des droits civiques, d’une pratique religieuse... ;
➤ les violences matérielles et financières : vols, escroqueries, locaux inadaptés,
défaut d’équipement...
De nombreux textes officiels ont progressivement encadré la lutte contre la
maltraitance et la prévention des violences, notamment dans le champ
de la protection de l’enfance. Citons simplement ici la loi et le plan
de développement de la bientraitance et de renforcement de la lutte
contre la maltraitance de 2007. On voit ainsi émerger dans ces textes
officiels des dispositifs de signalement de maltraitance, des sanctions
renforcées à l’encontre des maltraitants et des « bonnes pratiques » mises
à disposition des institutions et des professionnels. L’Agence nationale de
l’évaluation et de la qualité dans les établissements sociaux et médico-sociaux
(ANESM), présentée comme une « agence de la bientraitance », a ici pour

220
MÉD
mission d’élaborer et de valider les bonnes pratiques professionnelles
et d’accompagner les établissements et services dans une démarche
d’amélioration continue de leurs prestations, au bénéfice des usagers.

Mots clés
bientraitance, violence, négligence, signalement, sanction

Références bibliographiques
ANESM, Recommandations de bonnes pratiques professionnelles – Mission
du responsable d’établissement dans la prévention et le traitement de la
maltraitance, décembre 2008
ANESM, Recommandations de bonnes pratiques professionnelles –
Conduites violentes dans les établissements accueillant des adolescents :
prévention et réponses, juillet 2008
BLAEVOET J.P.., CROGNIER P., Prévenir la maltraitance en institution. Guide
des bonnes pratiques, Dunod, 2009
B.JP
Cr.P M
Médecins, psychiatres and co
Les établissements du secteur social et médico-social font appel à des méde-
cins de différentes disciplines en fonction du public accueilli, comme par
exemple des généralistes, pédiatres, psychiatres, médecins de réadaptation
fonctionnelle, neuro-pédiatres, neurologues, etc.
Pour les autres disciplines, il est fréquent de consulter à l’extérieur de
l’établissement ou de passer des conventions avec des centres hospitaliers.
C’est le cas par exemple des ophtalmologues, des dentistes, des médecins
ORL.
Le médecin référent de l’établissement dispense aux résidents les soins
nécessaires au maintien et au rétablissement de leur santé. Il pratique des
soins de confort, de traitement de la douleur, voire des soins palliatifs. Il
décide du traitement et applique les méthodes de la médecine préventive. Il
a enfin la responsabilité de l’équipe de soins (infirmières, paramédicaux).
Il peut déléguer certains actes aux infirmières et aux travailleurs sociaux
comme la distribution et l’administration des traitements des usagers. Les
usagers ou leur représentant légal peuvent le solliciter pour consulter leur
dossier médical, selon les termes de la loi 2002-2. Il est amené à partager
221
MÉD
les informations médicales avec les travailleurs sociaux avec lesquels il
travaille. Il explique les différents symptômes et amène des éléments de
compréhension pour un accompagnement global de la personne accueillie.
Les résidents des établissements sociaux et médicaux sociaux peuvent
être socialement défavorisés, atteints de pathologies physiques, psychiques
entrainant une dépendance plus ou moins importantes. Actuellement, du
fait du numerus clausus qui a touché la profession de psychiatre, beaucoup
d’établissements en sont dépourvus. De plus, leur temps est trop faible (entre
0,1 et 0,2 ETP en moyenne d’après la Direction de la Recherche, des Études,
de l’Évaluation et des Statistiques) pour satisfaire les besoins. Cette pénurie
entraîne une absence de disponibilité à consacrer aux soins et à l’apaisement
de la souffrance psychique. Les psychiatres deviennent des experts. Pour
les psychothérapies, ils effectuent le diagnostic, posent les indications et
participent aux évaluations de l’efficacité des soins. En ce qui concerne
les traitements, ils prescrivent et supervisent l’efficacité du traitement.
Ils sont également susceptibles d’intervenir auprès des professionnels en
proposant une réflexion sur les pratiques, ce qui permet de travailler sur
un positionnement professionnel adapté, sur les risques de maltraitance et
d’épuisement professionnel. De nombreux établissements ont recours à des
M psychiatres extérieurs pour la supervision ou l’analyse de la pratique.
Pour les travailleurs sociaux, travailler avec l’appui de médecins généralistes
ou spécialistes est un gage de qualité puisqu’aucune action éducative ne
peut s’entreprendre dans la douleur ou la souffrance qu’elle soit physique ou
psychique. La participation de ces médecins dans le travail de l’équipe
pluriprofessionnelle permet d’adapter l’accompagnement proposé aux
résidents et apporte un soutien important à l’ensemble des intervenants et
aux familles.
Les enjeux de cette présence médicale sont souvent abordés dans les établis-
sements sociaux et médico-sociaux. Si l’intervention de ces professionnels
est importante, il est essentiel de préserver le secteur d’une emprise médicale
qui deviendrait trop importante et transformerait des lieux de vie en lieu
exclusivement thérapeutiques ou médicalisés. Pour les travailleurs sociaux,
il s’agit de contribuer au bien-être global des personnes accompagnées en
prenant en compte tous les besoins, qu’ils soient médicaux ou éducatifs.

Mots clés
traitement, soins, douleur, coopération, partage d’information

222
MÉD
Références bibliographiques
SALBREUX Roger, Assise de la psychiatrie médico-sociale, Marseille, mai 2006
SALBREUX Roger, Y a-t-il encore une place pour les psychiatres dans le secteur
social et médico-social, associatif, Perspective psy, 2002
BAUDURET Jean François, Rénover l’action sociale et médico-sociale, Dunod,
2002
De.C
Médiation
L’étymologie du terme indique bien le sens que l’on peut accorder au
terme médiation. Le préfixe « med » est celui que l’on retrouve dans les
termes de midi, médicament, médiane, mais aussi méditerranée. C’est ce
qui divise le temps, le corps, l’espace, les terres et qui devrait permettre de
ne pas confondre la médiation avec l’intermédiaire. La médiation sépare,
découpe tout autant qu’elle assemble et associe. La médiane ou le médian
est également ce qui sépare et ce qui donne identité aux éléments séparés,
tout comme « midi » est ce qui sépare la journée mais lui donne aussi son
équilibre.
Dans les relations humaines, la religion est une médiation entre Dieu et
l’homme. Les prêtres, mais aussi les personnages religieux imaginaires (les M
anges, certains revenants, mais aussi les démons qui font la médiation avec
le diable), ou païens (les magiciens ou les elfes par exemple) sont des êtres
de médiations. À ce titre, les personnages comme le bouffon du roi par
exemple, peuvent être aussi considérés comme une médiation entre les
affaires royales, humaines et religieuses. Les individus sont davantage pris
dans des médiations qu’en mesure de faire médiation. En effet, la médiation
entre les individus ne se réalise que par l’intermédiaire des croyances
(religions, cultures), des moyens d’échange (travail, argent, infrastructure),
du don (séduction, cadeaux). C’est ainsi que le corps permet de faire
médiation : le maquillage, les habits, l’habitat, les objets nomades, la coiffure,
l’alimentation sont autant d’éléments qui marquent la médiation parce
qu’ils témoignent des appartenances religieuses ou culturelles, des catégories
socioprofessionnelles d’appartenance et des usages sociaux de la distinction.
Or, dans un monde qui connaît de profondes mutations et transformations,
ces médiations ne fonctionnent plus ou mal. La démocratie, la laïcisation, le
bouleversement de l’organisation du travail, la mondialisation des marchés
financiers, l’éclatement des communautés et des cultures, les libérations
de certaines catégories (femmes, handicapés, homosexuels) sont autant
d’éléments qui désorganisent les anciennes médiations. Ces dernières qui
223
MÉD
établissaient les relations dans un monde hiérarchisé ne fonctionnent plus
ou mal, dans un monde démocratique. Les choses ne peuvent plus s’imposer
au nom d’une puissance supérieure, fut-elle divine, et chacun participe au
contrat social.
Force est de constater qu’aujourd’hui, la médiation tend à se faire profession,
voire à devenir une activité centrale de l’activité humaine, en particulier par
l’entremise des médias et des objets de médiations (télévision, téléphonie,
Internet). Il semblerait que la médiation qui n’était qu’un moyen tend à
devenir une finalité. Non pas la télévision, le téléphone ou l’Internet comme
moyen, comme véhicule de transmission, mais comme finalité. Non plus la
médiation pour lier aux appartenances, mais la possession du média comme
équivalent à l’appartenance médiatique. Ce n’est pas avoir un téléphone
pour entrer en communication avec tel ou tel, mais téléphoner à untel pour
afficher son appareil dernier cri et montrer son appartenance sociale par sa
capacité d’accéder à la consommation.
La médiation instrumentalisée dans la multiplicité des supports de médias,
mais aussi par sa segmentation : médiation sociale, culturelle, scolaire,
familiale, etc. Dans ces circonstances, il est possible que la profession de
médiateur s’instrumentalise et finisse par travailler non pas pour médier (ou
M remédier), mais pour asseoir et légitimer la profession. Il est remarquable
que la profession de médiateur soit réservée presque exclusivement à des
situations dites conflictuelles : conflits sociaux, discriminations ethniques,
échec scolaire, conflits familiaux. Dans une époque où le média règne, il
ne faudrait pas qu’on entretienne des conflits pour entériner le règne des
médiateurs.
La médiation ne saurait se réduire au règlement des situations de conflit.
Lorsque le conflit est déclaré, c’est justement que les éléments de médiation
n’étaient pas présents pour permettre de trouver le compromis ou la
conciliation. Et pour régler le conflit ouvert, un médiateur ne sera jamais le
compromis ou la conciliation à lui seul. On comprend qu’il peut ici aider
à ce que les personnes impliquées dans le conflit trouvent des médiations
pour atteindre un compromis ou une conciliation. Les professionnels de
la médiation devraient en fait se nommer professionnel de l’aide à la
médiation. Mais cela serait jeter un discrédit sur les autres professions qui,
par définition, sont toutes des professions qui aide la médiation. Le juge, le
barman, le plombier, l’enseignant, l’industriel aide à la médiation dans la
mesure où leurs fonctions participent à servir l’activité de la vie sociale.
L’apparition de la profession puis de la formation des médiateurs familiaux
dans le champ du travail et de l’intervention sociale doit aussi être l’indicateur
224
MÉD
que quelque chose du travail social dysfonctionne. En effet, le champ
du travail social est constitué comme une profession faisant mission de
médiation pour régler les situations sociales en échecs ou en difficultés.
L’invention de la médiation est aussi le signe d’un échec du travail social qui
ne tiendrait plus ses promesses. Le travail social est bien la reconnaissance
que tout le monde ne part pas dans la vie avec les mêmes chances, qu’un
certain nombre de personnes se heurtent à des embûches dans leur existence.
Le travail social est la médiation qui permet à la société de soutenir le projet
d’une certaine égalité en donnant davantage à ceux qui sont plus démunis.
Le travail social est un levier chargé de compenser les difficultés, soutenir
celui qui connaît quelques faiblesses pour lui permettre de poursuivre son
existence avec les mêmes chances que les autres.
Si certaines familles se retrouvent, par injonction ou de leur propre initiative,
devant un professionnel de la médiation, c’est aussi parce que le travail
social n’a pas seulement à jouer son rôle de soutien, mais aussi celui de police
dans les familles, en imposant des normes de conduite et de comportement
plutôt que d’inviter à la définition sociale de ces normes. Autrement dit, le
travail social comme instrument de médiation a été aussi un instrument
de subordination et de hiérarchisation qui a entériné la division sociale
entre les capables et les incapables, les valides et les invalides, et a perdu sa M
fonction de maintien de liberté et d’égalité.
Cependant, même avec ses incapacités, l’existence même du travail social
reste malgré tout la manifestation que chacun doit participer à l’activité
sociale, quel qu’il soit. Il n’y a pas de travail social dans les pays fascistes
parce qu’il n’y a pas de médiation, mais des frontières. La médiation est
un invisible toujours présent sur laquelle se déplace la lice de la relation
humaine. Dans l’idéologie de la transparence, il est à craindre que cette
médiation soit retenue, arrêtée, délimitée, pour en faire du média et des
médiateurs, même si bien sûr, on peut comprendre qu’il soit nécessaire de
soutenir la médiation.

Mots clés
appartenances, religions, démocratie, profession, familles

Références bibliographiques
BÉAUD, Paul, Médias, médiations et médiateurs dans la société industrielle,
Thèse de doctorat des sciences de l’information, université de Grenoble
III, 1975
225
MIL
CRESPO ALLEN, Marilia, Le médiateur européen et les médiateurs nationaux ou
organes similaires. Tableaux comparatifs, Office des publications officielles
des Communautés européennes, 2001
DONZELOT Jacques, La police des familles, Minuit, 1977
HESS Rémi, Le temps des médiateurs. Le socianalyste dans le travail social,
Anthropos, 1981
SIX Jean-François, Le temps des médiateurs, Seuil, 1990
MCLUHAN Marshall, Pour comprendre les médias. Les prolongements
technologiques de l’homme, Seuil, 1977, traduit de l’anglais par Jean
Paré
Médiateurs, médiations, CNAF, 1982
« Médiations et médiateurs », in MEI Médiation & formation : revue
internationale de communication, n◦ 19, L’Harmattan, 2003
« Médiations et médiateurs », in Uranie, mythes et littératures, n◦ 7, 1997,
Université de Lille III
« Les médiateurs », in Réseaux, n◦ 28, janvier 1988, CNET
P.GN

M Milieu ouvert
Les différents types de prises en charge éducatives qui constituent le milieu
ouvert sont fort différents. Le plus connu est sans doute celui de l’AEMO
(assistance éducative en milieu ouvert) judiciaire. Comme son titre l’indique,
ce dispositif consiste à intervenir en milieu ouvert dans un territoire
sous la responsabilité d’un tribunal de grande instance et par conséquent,
sous mandat judiciaire. Il s’adresse à des mineurs et à leurs familles. Le
financement est assuré par le Conseil Général. Les actions sont décidées par
un juge pour enfants au titre de la protection de l’enfance pour une durée
d’une année en général, reconductible. L’IOE est un dispositif qui réalise des
mesures d’investigation et d’orientation éducatives (IOE), décidées par le
juge pour enfants afin d’éclairer une éventuelle décision de protection. Ces
mesures durent en général six mois. Les enquêtes sociales sont une autre
des missions réalisées par le milieu ouvert et ont pour but d’apporter une
réponse à une question posée par le juge pour enfants avant qu’il décide
d’une éventuelle mesure de protection. Les enquêtes sociales sont conduites
en général sur une période de trois mois. Les mesures de réparations pénales
mineures sont des alternatives éducatives à des poursuites, en raison de délit
mineur, et décidées par le parquet des mineurs ou par le juge des enfants.
Les quatre types de mesures judiciaires décrits ci-dessus sont mis en œuvre
226
MIL
par des organismes sociaux au sein desquels interviennent des éducateurs
spécialisés, des assistants sociaux, des psychologues et des psychiatres.
Il existe un autre type d’AEMO, que l’on nomme communément admi-
nistrative car elle est déclenchée par les inspecteurs de l’ASE (aide sociale
à l’enfance) du département. Les inspecteurs de l’ASE décident d’une
intervention éducative nominative en direction d’enfants mineurs au regard
de la situation de danger qu’ils encourent au sein de leur famille. Il s’agit
pour les éducateurs qui interviennent dans les familles de parvenir à
soutenir les efforts des parents afin qu’ils surmontent leurs difficultés et de
sorte que l’enfant puisse évoluer favorablement dans son milieu familial.
L’accompagnement éducatif est réalisé avec le consentement des parents
et prend de ce fait en considération leurs demandes, leurs attentes ainsi
que leurs questionnements. Pour réaliser leur mission, les travailleurs
sociaux peuvent installer des entretiens individuels et/ou familiaux, tant
au domicile familial que dans un local extérieur au domicile, et recourir à
des accompagnements spécifiques avec des psychologues par exemple ou
mettre en œuvre des actions plus collectives.
L’action éducative sociale et familiale (AESF) est un autre des dispositifs
de protection de l’enfance. Ordonnée par le juge pour enfants, cette action
éducative est une mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial. M
Cette mesure concerne des familles qui perçoivent des prestations familiales
et dont la gestion économique et financière met en danger les conditions
de vie du ou des enfants. Les situations rencontrées par les familles peuvent
être celles de la précarité, de l’endettement, de la dilapidation, etc.
La prévention spécialisée est une mission qui s’exerce sans mandat nominatif,
c’est-à-dire sans lien avec la justice, et qui suppose la libre adhésion des jeunes.
Elle se réalise dans le milieu de vie des jeunes et est partie intégrante de l’aide
sociale à l’enfance. Elle contribue à la prévention des risques d’exclusion, de
marginalisation et/ou d’errance, comme à la prévention des comportements
déviants et/ou autodestructeurs, et des situations de souffrance chez les
adolescents et les jeunes majeurs. La prévention spécialisée utilise des
méthodologies qui lui sont propres, le travail de rue, des actions collectives,
des accompagnements individuels et de groupe, etc., en favorisant des
stratégies partenariales.
Plus généralement, le milieu ouvert fait partie de ces expressions que les
travailleurs sociaux utilisent sans forcément en comprendre ni tout le sens
ni les raisons qui ont présidé à l’élaboration de la sémantique. Pour saisir
ce que recouvre cette expression, il est nécessaire de comprendre ce qu’a été
l’ordonnance du 2 février 1945 et le contexte de son apparition.
227
MIL
Remontons tout d’abord le cours de l’histoire et arrêtons-nous sur le
code pénal de 1810. Il introduit la nécessité de maisons de correction
pour les mineurs afin de les séparer des majeurs. Cependant, l’échec
de ces établissements pénitentiaires entraîne par la loi du 5 août 1850
de nouvelles modalités de détention des mineurs délinquants dans des
colonies pénitentiaires ou dans des colonies correctionnelles. Les colonies
pénitentiaires reçoivent ceux condamnés de six mois à deux ans de détention.
Les colonies correctionnelles reçoivent les mineurs condamnés à plus de deux
ans ainsi que les récalcitrants des colonies pénitentiaires. Si des ambitions
éducatives sont affichées avec la loi, ces établissements se transforment en
réalité en véritables bagnes d’enfants. L’histoire retiendra d’ailleurs cette
appellation.
Les colonies pénitentiaires et les colonies correctionnelles perdurent durant
la première moitié du XXe siècle. Il faut attendre la révolte du « bagne pour
enfants » de Belle-Île-en-Mer en 1934 pour que le scandale des dérives
jaillisse en pleine lumière, dans la presse nationale, et émeuve les Français.
Marqués par l’effroi du nazisme et du fascisme et l’élan reconstructeur
d’après-guerre, les rédacteurs de l’ordonnance du 2 février 1945 veulent
promouvoir un ordre nouveau et installer au cœur de la justice des mineurs
M les idées de solidarité et un projet humaniste. Dans ce contexte sociologique
spécifique, le délit du mineur est interprété comme un symptôme social
auquel il appartient à la justice de répondre mais avec une intention
éducative. Pour y parvenir, la justice doit apprécier la véritable personnalité
du mineur et ne pas rester rivée sur les faits commis. Elle s’entoure de ce fait
de compétences médicales, médico-psychologiques et de celle des sciences
sociales.
Pour garantir cet esprit, des magistrats spécialisés, appelés juges pour enfants,
siègent dans des tribunaux pour enfants. Une nouvelle justice se met en
œuvre, concrétisée par l’autonomie de l’éducation surveillée qui sort de la
tutelle de l’administration pénitentiaire, par le décret du 1er septembre 1945.
Pour réaliser sa mission, l’éducation surveillée peut opérer directement ou
faire appel au secteur associatif habilité (secteur qui forme le milieu ouvert).
Pour mémoire, en 1990, l’éducation surveillée change d’appellation pour
se nommer la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Le coup de tonnerre de mai 1968 bouleverse les équilibres anciens et
ouvre un champ de possibles à partir d’une réalité juridique. En effet, les
dispositifs d’assistance éducative dans le cadre de la protection de l’enfance
en danger, qui existent depuis 1958, bénéficient du nouvel article 375 du
Code civil qui permet aux différents acteurs judiciaires (les juges pour
228
MIL
enfants, l’éducation surveillée et le secteur associatif habilité) d’ouvrir de
nouvelles perspectives éducatives. C’est pourquoi l’époque est favorable au
développement de l’action éducative dans le milieu de vie du mineur, tandis
que parallèlement, entre 1974 et 1995, l’éducation surveillée ferme les IPES
(institutions publiques d’éducation surveillée).
Dans les années 1970, emblématiques de l’engouement pour l’action
éducative en milieu ouvert, le législateur est soucieux de réduire l’emprison-
nement des mineurs et privilégie des solutions alternatives à l’incarcération.
Cette première phase, qui s’étend jusqu’aux années 1990, correspond au
développement du milieu ouvert et de dispositifs éducatifs qui portent
l’espoir de régler des problématiques adolescentes difficiles (c’est le cas
de l’AEMO mais également de la prévention spécialisée dont l’arrêté
interministériel date du 2 juillet 1972).
Mais, dans les années 1990, les représentations sur la jeunesse s’altèrent. Ce
que l’on appelait la violence des jeunes dans les quartiers populaires dans les
années 1970 cède la place à une nouvelle formulation : les émeutes dans les
zones urbaines sensibles. Dans un monde en crise, les jeunes perçus comme
potentiellement dangereux sont à neutraliser et non plus à rééduquer. En
outre, par les lois de décentralisation et notamment celle de 1986, le transfert
des services de milieu ouvert s’est opéré en direction des Conseils Généraux. M
Mais les nouvelles tutelles ne savent pas vraiment comment s’emparer des
missions nouvelles qui leur sont confiées, dont celle de l’Aide sociale à
l’enfance. Par ailleurs, les services de milieu ouvert ont perdu leur crédit
aux yeux des décideurs politiques qui ne voient plus dans ces dispositifs des
modes de prise en charge de nature à répondre aux problématiques de la
jeunesse.
Et c’est pourquoi la seconde phase des modifications de l’ordonnance de
1945 s’oriente vers la sévérité révélée par la sanction et la punition. Le
législateur glisse dans une tendance résolument coercitive qui s’exprime par
les lois dites Perben I et II, puis la loi d’orientation du 5 mars 2007 relative
à la prévention de la délinquance qui produit le véritable virage dans la
justice des mineurs et l’affirmation sécuritaire.
La loi Perben I du 9 septembre 2002 démontre l’intention du législateur de
rechercher des solutions nouvelles pour endiguer l’inflation des violences
adolescentes et plus généralement, de la délinquance des mineurs. Dans
cette logique, il s’agit de préserver l’ordre public et de garantir les victimes
dans leurs droits. Pour y parvenir, la valeur de la sanction est affirmée
comme moyen de contrer la croissance de la délinquance et pour rassurer
les citoyens que cette croissance inquiète. Dans ces conditions, l’esprit de
229
MIL
l’ordonnance de 1945 est sérieusement compromis. Deux années après
la première loi, la loi Perben II modifie la justice des mineurs pour la
rapprocher de celle des majeurs.
La transformation du paysage législatif entraîne une autre justice pour les
mineurs délinquants. La rupture avec l’esprit de l’ordonnance de 1945 est
consommée puisqu’il devient visible que le législateur assume le passage
d’une logique éducative à une volonté répressive. Depuis le début des
années 2000, un virage est repérable avec l’engouement pour de nouvelles
prises en charge comme celles en centres éducatifs renforcés (CER), en
centres éducatifs fermés (CEF), en centres de placement immédiat et
plus récemment en établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM).
Les moyens budgétaires sont orientés vers ces nouvelles formes d’actions
éducatives qui rappellent les anciennes colonies pénitentiaires.
La justice des mineurs qui se profile est non plus fondée sur la confiance
mais sur la sanction. Tout se passe comme s’il n’y avait plus d’éducation
sans sanction et plus loin, de sanction sans enfermement. L’avenir semble
donc appartenir aux établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) qui
sont entrés en action en 2007, renouant avec un passé dont on a vu quels
étaient les écueils.
M Mais dans les glissements majeurs qui s’opèrent avec les mutations
réglementaires, les enjeux pour le milieu ouvert sont identifiables pour
demain. En effet, au terme de l’année 2005, 122 971 mineurs étaient confiés
au secteur associatif habilité pour l’année tandis que la PJJ n’assurait la prise
en charge que de 43 508 mineurs. Le secteur associatif habilité témoigne
de son orientation massive sur le versant de l’enfance en danger (le milieu
ouvert), avec 93 % des prises en charge réalisées. Ainsi, le secteur associatif
affirme sa prééminence sur le monde du milieu ouvert alors que la PJJ
se concentre sur l’enfance dangereuse. Les directives gouvernementales
de ces dernières années accroissent cette tendance et la PJJ s’oriente donc
indubitablement vers la mise en œuvre et la prise en charge des mesures
pénales, les mesures civiles étant basculées vers les départements qui héritent
également des charges budgétaires afférentes (l’État se désengageant). Ce
mouvement s’est traduit nettement après la loi du 13 août 2004 relative aux
libertés et responsabilités locales. Avec cette loi, la deuxième phase de la
décentralisation a consolidé le rôle du Conseil Général comme chef de file
des compétences en matière d’Aide sociale à l’enfance notamment, ce qui
lui permet de mieux contrôler la mise en œuvre de l’ensemble des mesures
d’aide éducative réalisées par ses services ou le secteur associatif. Ainsi il
hérite du milieu ouvert et en tant que responsable de l’ASE, il lui revient la

230
MIL
charge de réaliser l’assistance éducative en affectant des moyens budgétaires
relatifs aux besoins qui s’expriment sur son territoire. Le destin du milieu
ouvert est donc désormais entre les mains d’un pouvoir politique territorial.
Évidemment, les modifications de l’ordonnance de 1945 depuis le début
des années 2000 sont un effet des représentations dépréciatives du monde
politique (de droite comme de gauche) sur les dispositifs classiques du
milieu ouvert. Ils ne sont plus considérés comme efficaces et le monde
politique s’est engagé dans la voie d’une reprise en main des enjeux. Dès
2002, sous la pression du ministère de l’intérieur, l’affirmation que les
mineurs d’aujourd’hui sont à distinguer de ceux de 1945 s’impose dans le
débat comme la volonté d’introduire des sanctions adaptées à ces nouveaux
profils.
Comme le contexte sociétal est profondément marqué par la montée de
l’insécurité, dont le point culminant est atteint avec la menace terroriste
qui frappe le 11 septembre 2001 les États-Unis, il est aisé pour le pouvoir
politique de prétendre que les dispositifs classiques dont ceux du milieu
ouvert sont inefficaces. En outre, de nombreux autres attentats meurtriers
vont défrayer la chronique mais aussi des émeutes urbaines, dont celles
de 2005. Ces événements contribuent à produire des réponses répressives
jugées adaptées aux questions de délinquance juvénile qui ne sont pourtant M
que des violences groupales d’adaptation aux conditions de précarité et de
paupérisation, sur des territoires circonscrits.

Mots clés
AEMO, prévention spécialisée, investigation et orientation éducative,
enquête sociale

Références bibliographiques
CSTS, Ministère du travail, des relations sociales et de la solidarité, L’usager
au centre du travail social, ENSP, 2007
CTPS, La violence des jeunes en milieu urbain, 1995
CTPS, Prévention spécialisée, pratiques éducatives et politiques de sécurité,
2001
CTPS, Pratiques éducatives et politiques territoriales, quelles marques
construire ?, 2002
FAGET Jacques, Sociologie de la délinquance et de la justice pénale, Érès, 2007
FREUND Véronique, Le métier d’éducateur de la PJJ, La Découverte, 2004
231
MIL
GAUQUIL Guy (sous la direction de), La PJJ face aux défis de l’éducation
renforcée. Évaluation des dispositifs de prise en charge des mineurs
multirécidivistes ou en grande difficulté, Ministère de la justice, DPJJ,
janvier 2002
Inspection Générale des Affaires Sociales, Rapport annuel 2005. L’inter-
vention sociale, un travail de proximité, La Documentation Française,
2006
LADSOUS Jacques, L’action sociale aujourd’hui, Érès, 2008
LE REST Pascal, MACAIRE Passy, L’éducation spécialisée, Ellipses, 2008
LE REST Pascal, Les nouveaux enjeux de l’action sociale en milieu ouvert, Érès,
2009
MILBURN Philip, Quelle justice pour les mineurs ? Entre enfance menacée et
adolescence menaçante, Érès, 2009
LR.P

Militer
Le militant participe de manière active à la propagation d’une idée, d’un
mouvement, qu’il défend comme une sorte de soldat (militer vient du latin
M militare « être soldat, faire son service militaire »). Ce type d’engagement
implique un point de vue personnel mis au service d’une idée, d’une cause,
d’un combat, bref d’une mobilisation collective clairement identifiée.
Le travail social s’est constitué historiquement à partir d’un engagement
bénévole intégrant une action caritative, selon trois types de position sociale
qui s’entremêlent : religieuse (essentiellement le catholicisme), syndicaliste
(essentiellement ouvrier catholique) et professionnelle (essentiellement
la médecine, la magistrature et le haut fonctionnariat). Ces racines
identitaires expliquent que la militance soit très souvent revendiquée chez
les professionnels du travail social. Il est ainsi répandu de militer pour
que le travailleur social demeure... un militant. Bon nombre de jeunes
professionnels sont critiqués par les plus anciens du fait qu’ils seraient
devenus, maltraités par la cruelle modernité, des techniciens qui auraient
perdu leurs âmes de militants. Ils se seraient coupés de toute envie de
changer la société, de lutter pour le bien être de leurs usagers, en visant
finalement la disparition du travail social, devenu alors inutile dans un
monde juste. Cette démission s’accompagnerait d’une perte de capacité à
être en relation, au profit d’une compétence technique assujettie au travail
de bureau et à une collaboration avec le pouvoir public.

232
MIL
La revendication militante pose un certain nombre de questions. La
principale est de déterminer la nature de l’engagement commun des
travailleurs sociaux. Acceptons de considérer que la militance puise ses
valeurs dans une éthique personnelle, alors que le professionnalisme
trouve sa source dans une déontologie d’un corps de métier. Autrement
dit, la militance forme une personnalité et la déontologie compose une
professionnalité. En revendiquant un professionnel militant, le travail
social s’inscrit dans une contradiction qui brouille les références de son
engagement.
En ce sens un travailleur social peut être de gauche ou de droite, catholique
ou musulman pratiquants, altermondialiste ou libéral, mais ce type
d’engagements n’a rien à voir avec son travail. En revanche, il doit respecter
ceux de son métier qui se forgent dans un débat collectif professionnel.
En France, le travail social souffre d’un manque de construction collective
en matière de déontologie. Si l’association nationale des assistants de
service sociaux (ANAS) dispose d’un code de déontologie depuis 1949,
l’organisation nationale des éducateurs spécialisés (ONES), qui n’existe
officiellement que depuis 2009, n’en dispose pas. Face à ce vide, quelles
sont les valeurs collectives de ces professionnels ? La tentation est alors
forte de combler ce vide par des valeurs personnelles militantes, d’autant M
plus que ces références ramènent aux sources rassurantes de l’histoire de la
profession.
L’absence déontologique est hautement problématique. En premier lieu les
bénévoles peinent à inscrire leur engagement militant dans une logique
professionnelle qui se réfère aux mêmes types de valeurs qu’eux. Comment
alors être complémentaires ? En second lieu, les professionnels peinent à
développer des modes opératoires cohérents à l’échelle de la profession.
Si le « Pourquoi » n’est pas clair, comment déterminer le « Comment » ?
Autrement dit, en absence d’horizon, il est très difficile de dessiner un
chemin vers un point d’arrivée qui échappe constamment à la pensée.
À ce point de la réflexion, il importe de se pencher sur la question
fondamentale posée par la déontologie du travail social : quelles sont les
valeurs de cette profession ? Assurément, la nature des interventions s’intègre
profondément dans le faire société et implique un projet de type politique
qui consiste à déterminer la place, puis les moyens affairant, garantie aux plus
faibles d’entre-nous. Pourtant, il serait absurde de présenter les engagements
militant et déontologique comme fondamentalement opposés. Le travail
social nécessite en effet un engagement militant de type humaniste, mais

233
MIN
qui doit s’articuler en fonction des valeurs collectives de son métier, dont la
prédominance fonde tout processus de professionnalisation.

Mots clés
éthique, valeur, engagement, déontologie, professionnalisation, béné-
vole

Références bibliographiques
« Le travail social est-il de gauche ? », Le Sociographe, N◦ 30, septembre 2009
BOUQUET Brigitte, Éthique et travail social. Une recherche de sens, Dunod,
2004
AUTÈS M., Les Paradoxes du travail social. Dunod, 1999
ION Jacques, Le Travail social au singulier, Dunod, 1998
ION Jacques et TRICART Jean Pierre, Les Travailleurs sociaux. La Découverte,
1992
VERDÈS-LEROUX Janine, Le Travail social, Minuit, 1978
Ru.S

M Mineur Étranger Isolé (ou Mineur Isolé)


Qualification juridique désignant une personne âgée de moins de dix-huit
ans, de nationalité étrangère, se présentant ou étant déjà présente sur
le territoire national, non accompagnée d’un représentant légal (père,
mère ou tuteur). Ce qualificatif concerne donc des personnes regroupant
trois caractéristiques : minorité, extranéité (qualité juridique d’étranger) et
absence de représentant légal.
L’apparition de cette qualification correspond à l’émergence et au déve-
loppement du phénomène des migrations internationales de mineurs. Ce
phénomène touche des mineurs qui pour la plupart sont âgés de plus de
quinze ans. Il concerne davantage de garçons que de filles. Les pays concernés
sont très variés à l’image de la diversification des flux migratoires sur la
planète. Les mineurs étrangers isolés présents sur le sol français viennent
principalement d’Europe de l’Est, d’Afrique, du Proche et du Moyen Orient,
d’Asie du Sud et de l’Est. La migration peut s’effectuer pour rejoindre un
membre de la famille à l’étranger, pour fuir la misère sociale, économique
et politique d’un pays, pour échapper à des persécutions ou à la guerre,
pour faire des études et/ou travailler dans un pays riche en réponse à la
pauvreté et à l’insécurité du pays d’origine ou dans l’espoir de mettre fin à
toute autre situation de vulnérabilité. Les parents du jeune migrant peuvent
234
MIN
être éloignés (restés dans le pays d’origine ou dans un autre pays), absents
(dispersion de la famille) ou décédés. Le phénomène recouvre des réalités
sociales diversifiées selon que le mineur est plus ou moins acteur du projet
migratoire ou bien subi un voyage que d’autres ont choisi pour lui (famille
ou réseaux criminels). Les parcours varient aussi suivant que le pays dans
lequel ces jeunes se trouvent est la destination de leur voyage ou bien une
étape à laquelle ils ont été contraints de s’arrêter. Par la suite, ces jeunes
migrants sont conduits à s’arrimer à une société d’accueil (par le réseau
familial ou communautaire, par les institutions sociales ou scolaires, par le
travail) ou à rester en marge de celle-ci (vie clandestine, travail dissimulé
voire travail forcé). Les conditions de migration sont fonction des filières
de passage, des politiques migratoires des pays traversés, des ressources
personnelles du mineur et de celles de sa famille.
Les mineurs étrangers isolés ont des droits qui proviennent des caracté-
ristiques juridiques qui les qualifient. En tant que mineurs, ils peuvent
être reconnus « en danger » et accueillis dans le dispositif de protection
de l’enfance, si une autorité judiciaire l’estime nécessaire. Le Code civil ne
distingue pas les mineurs étrangers et les mineurs français en matière
de protection. L’entrée pénale (enfant délinquant) dans le dispositif
de protection de l’enfance est aussi possible, quoique beaucoup moins M
fréquente. En tant qu’étrangers, ils sont soumis à des règles d’entrée sur le
territoire comme tous les étrangers, adultes ou mineurs. Une fois entrés en
France cependant, les mineurs ne sont pas en situation irrégulière au regard
du séjour. À leur majorité, ils peuvent accéder au séjour ou à la nationalité
française selon certaines conditions. Ils peuvent également demander l’asile.
En tant que mineurs sans représentants légaux (« isolés »), ils peuvent
bénéficier d’une représentation légale pour être assistés à leur entrée en
France (administrateur ad hoc en zone d’attente) ou dans une demande
d’asile (administrateur ad hoc pour la procédure d’asile), pour accomplir
certains actes de la vie civile (tuteur).
La situation des mineurs étrangers isolés recouvre trois champs qui, en
droit, ne dépendent pas les uns des autres : la protection de l’enfance
(assistance éducative), le droit des étrangers (entrée sur le territoire, séjour,
nationalité, asile) et la capacité juridique (représentation légale). Le cadre
juridique est complet, pourtant la protection des mineurs étrangers isolés
apparaît hésitante et fait l’objet d’applications hétérogènes selon les acteurs
(Conseils Généraux, justice des mineurs, associations, préfectures) et les
territoires concernés. La prise en charge de ces mineurs est déstabilisée
par une double confrontation : mondialisation des flux migratoires et

235
MIN
territorialisation de l’action sociale d’une part, protection des mineurs
vulnérables et pénalisation de l’immigration irrégulière d’autre part.
Par-delà les enjeux juridiques et l’évolution des dispositifs, la prise en
compte de ces jeunes demande aux travailleurs sociaux de faire évoluer
leurs pratiques. Sur le plan technique, il s’agit d’identifier les logiques en
cause pour que la loi soit appliquée au plus près de l’intérêt des mineurs.
Sur le plan relationnel, il s’agit d’imaginer avec les jeunes des parcours qui
tiennent compte de leurs désirs et de leurs capacités, du projet migratoire,
de la famille et de la société d’accueil.

Mots clés
protection de l’Enfance, migration, territorialisation de l’action sociale

Références bibliographiques
BRICAUD Julien, Mineurs Étrangers Isolés – L’Épreuve du soupçon, Vuibert,
2006
« France terre d’asile », in Cahiers du social n◦ 16 Le Guide pratique de prise
en charge des mineurs isolés étrangers et demandeurs d’asile, 2009
M GISTI, « La protection des enfants étrangers », in Les cahiers juridiques,
décembre 2004 (épuisé), nouvelle édition à paraître en 2010
MARTINI Jean-François, Article « Mineur isolé », in Dictionnaire permanent
du droit des étrangers, Éditions Législatives
Br.J

236
P
Paramédicaux
Dans le secteur médico-social, les paramédicaux représentent l’ensemble des
professionnels qui complète une équipe pluridisciplinaire. Ils interviennent
principalement dans les établissements accueillants des enfants et adultes
handicapés, selon les préconisations de l’article 7 de la loi 2002-2 du 2 janvier
2002. Ainsi, en étroite collaboration avec le personnel socio-éducatif, ils
participent activement à proposer des prestations de qualité et notamment
dans une élaboration adaptée des projets personnalisés des usagers.
L’équipe des paramédicaux est généralement constituée de kinésithérapeutes,
d’orthophonistes, de psychomotriciens, d’ergothérapeutes et d’orthoptistes.
Ils travaillent sous le contrôle du médecin de l’établissement.
Les kinésithérapeutes interviennent pour la kinésithérapie respiratoire et la
mobilisation des membres. Ils cherchent à soulager les douleurs liées aux
déformations et entretiennent les acquis de la motricité.
P
Les orthophonistes sont des rééducateurs des troubles de la voix, de la
parole et du langage. Ils interviennent également sur les techniques de
communication alternatives : langage par l’image, par exemple ou langage
gestuel.
Les psychomotriciens travaillent sur les difficultés psychologiques qui
s’expriment au niveau du corps, à l’aide de techniques de relaxation,
d’éducation gestuelle, d’expression corporelle et plastique, du jeu, du
rythme, de la coordination.
Les ergothérapeutes participent à la rééducation des troubles moteurs,
sensoriels ou neurologiques. Ils améliorent les installations, favorisent la
communication par le biais d’outils techniques. Leur objectif est d’aider à
vivre le plus normalement possible en travaillant certains mouvements, en
développant certains gestes pour s’habiller ou pour manger, en donnant des

237
PAR
conseils pour l’aménagement de l’espace afin de faciliter les déplacements
et la vie quotidienne.
Les orthoptistes, encore peu répandus, sont des spécialistes de la rééducation
des yeux. Leur travail consiste à corriger certains troubles visuels qu’ils
entreprennent grâce à divers exercices.
Les différentes rééducations proposées améliorent la qualité de vie des
personnes accueillies, favorisent leur autonomie, « compensent » une partie
des handicaps, augmentent leur confort et leur bien-être. Elles peuvent
ainsi mieux communiquer et participer et être davantage « actrices » de
leur projet de vie.
Il est cependant constaté des difficultés importantes de recrutement. De
nombreux postes restent vacants, ce qui a pour conséquence un déséquilibre
important dans l’accompagnement des personnes accueillies. La rareté de
ces professionnels rend parfois difficile leur recrutement dans le champ
du handicap et particulièrement dans celui du polyhandicap. Pourtant, ils
occupent une place charnière entre les soins et l’éducatif.
Les travailleurs sociaux et les paramédicaux font partie d’une même équipe.
La qualité de l’accompagnement des usagers dépendra du partage des
informations, de la réflexion menée ensemble et de la collaboration des uns
avec les autres.
L’importance de la rééducation dans certains secteurs demandera aux
travailleurs sociaux d’intégrer cette réalité dans leur travail. Ils peuvent être
amenés à proposer des exercices en lien avec certains professionnels du
P paramédical pour compléter les différentes rééducations. C’est pourquoi,
des formations complémentaires peuvent être nécessaires.

Mots clés
pluridisciplinarité, compensation du handicap, qualité de l’accompa-
gnement, rééducation

Références bibliographiques
ZUCMAN Élisabeth, Accompagner les personnes polyhandicapées, CTNERHI,
2000
DALLA PIAZZA Serge et GODFROID Bénédicte, La personne polyhandicapée,
son évolution et son suivi, De Boeck, 2001
De.C

238
PAR
Parents
Les institutions socio-éducatives ont trop souvent développé leurs pratiques
malgré ou contre les familles. Tout au long du XIXe siècle, les enfants indi-
gents ont été volontiers considérés comme dépourvus de famille, voire
comme orphelins. De même, les pratiques de placement, au début du
XXe siècle, ont été fréquemment comparées à des formes d’enlèvement. Il a
été nécessaire d’attendre les années 60 pour d’une part dénoncer ce déni des
droits des parents, mais aussi les pratiques souvent violentes des institutions
de la protection de l’enfance à leur égard comme à celui des enfants.
Jean-Marie Geng dans le livre Mauvaises pensées d’un travailleur social
dénonçait en 1980 une vérité qui dérange : les institutions spécialisées ne
font souvent pas mieux avec les enfants qui leur sont confiés que les familles,
pourtant jugées « mauvaises », dont on les a retirés. La diffusion des théories
psychanalytiques en particulier, mais également de l’ensemble des apports
des sciences humaines a conduit, à partir des années 60, à considérer les
parents comme des partenaires indispensables, même si on a longtemps
continué à les tenir responsables des difficultés, voire des pathologiques de
leurs enfants.
Depuis les années 90, le travail avec les familles s’est petit à petit imposé
dans les pratiques éducatives des institutions sociales. Depuis la loi de 2007,
cette modalité de travailler avec les familles est devenue un principe affirmé,
puisque différentes alternatives aux placements sont proposées. Pourtant,
certains auteurs, comme Maurice Berger, critiquent cette tendance comme
constituant une « idéologie du lien », potentiellement dangereuse si le parent
est « toxique ». Ainsi, l’ambiguïté demeure. Si les parents sont aujourd’hui P
sollicités par toutes les institutions et s’ils bénéficient depuis la fin des années
90 d’une politique de « Réseau d’écoute et d’appui » (les REEAP), s’agit-il
de faire respecter leurs droits ou de les « responsabiliser », en sous-traitant
des prises en charge que les institutions peinent à fournir ? Il ne faut pas
oublier que cet intérêt pour les parents coïncide avec la diffusion dans la
société de condamnations des parents les plus pauvres ou les plus isolés. Il
s’agit d’une résurgence d’une condamnation parentale selon la thèse de la
« démission parentale ».
Dans la même période, les questions de sécurité publique sont devenues
une véritable priorité pour l’État et la société. Alors, les parents sont souvent
tenus responsables de l’absence de surveillance de leurs enfants, voire de
leur comportement dans les institutions et les espaces publics. De ce fait, la
plupart des lois qui se proposent de « prévenir » ou réprimer la délinquance
et les incivilités, apportent leur lot de pénalisation des familles. La question
239
PAR
des parents, le partage de la relation éducative entre parents et institutions,
semble bien être devenue en priorité une affaire de sécurité publique. Dans
les faits, les parents, parfois réduits à un parent seul, sont devenus un
partenaire incontournable des institutions, mais également un partenaire
contraint, sous surveillance et souvent soumis à des « contrats ».
La prise en compte des parents n’a donc pas forcément été suivie d’un
véritable souci de démocratie dans les rapports parents/institutions. À ce
propos, il est toujours intéressant de se demander qui définit les objectifs et
les modalités d’évaluation des « contrats » qui sont couramment proposés
aux parents. En la matière, les relations contractuelles ne suffisent pas à
garantir tout abus de pouvoir ou le déni d’écoute et d’accompagnement.
Tout compte fait, être parent est aujourd’hui assez peu réfléchi. Nous
sommes encore trop attachés à une vision atemporelle et idéale de la
parentalité, comme le « Complexe de Marie » en propose, modèle d’amour
pur, sacrificiel et gratuit ; mais il existe également une représentation
« naturelle » de cette parentalité qui serait soumise aux lois de l’instinct.
Dans ces deux perspectives, les parents sont considérés par devoir « de
nature et de morale » comme forcément éducateurs et compétents. Or, il
est avéré que l’éducation des enfants dans le monde et dans l’histoire n’a
pas toujours été l’affaire des parents, et d’eux seuls. Ceux-ci avaient bien
d’autres fonctions, comme celle de nommer, de nourrir et de transmettre
les biens et le travail.
Il est aujourd’hui commun d’attribuer par défaut, fût-ce au prix de leur
reprocher après leur mauvaise volonté, un pouvoir éducatif énorme aux
P parents. Si leur influence sur les enfants est indiscutable, elle n’est pas
totale et ne peut composer à elle seule les éléments indispensables d’une
éducation. D’ailleurs, pour eux comme pour les éducateurs, la question
fondamentale est de déterminer si les enfants sont uniquement éduqués de
l’extérieur. Ne s’éduquent-ils pas au contact de l’ensemble des protagonistes
et des influences qu’ils rencontrent et dont il leur appartient de construire
la synthèse ?
Aujourd’hui, le concept de coéducation commence à se répandre, mais il
reste cependant à bien le définir. La coéducation est-elle un empilement
disjoint et territorialisé des interventions professionnelles et parentales
ou bien l’effet d’une éducation globale et sociale ? Il n’est pas possible de
prendre la mesure des difficultés qui accablent les parents et les enfants
en souffrance sociale, en les renvoyant à leurs seules responsabilités. Il
est nécessaire de prendre en compte le fait qu’il n’existe plus en France
des milieux éducatifs dans lesquels les enfants d’un même territoire
240
PAR
peuvent s’éduquer collectivement. L’ensemble des espaces éducatifs collectifs,
sociaux et gratuits, qui marquaient notamment les milieux paysans et
ouvriers, ont aujourd’hui complètement disparu, au profit d’un immense
et complexe « marché » empilant des structures aux fonctionnements et
logiques indépendants et complexes.
Dans ce contexte, éduquer des enfants actuellement est devenu une
entreprise inédite qui nécessite de créer de nouveaux lieux de l’enfance et
de l’éducation. Même l’école, depuis les années 80, tourne de plus en plus le
dos aux pratiques éducatives groupales, au profit d’une centration exclusive
sur des savoirs fondamentaux. La parentalité aujourd’hui est devenue une
expérience solitaire, dont les conséquences diffèrent considérablement selon
les milieux sociaux, en fonction des moyens financiers d’en sous-traiter de
grandes parts. Le travail avec les familles, quant à lui, est devenu une figure
obligée du travail social. Pourtant, passée cette certitude, l’interrogation
demeure : les parents sont-ils démissionnaires ou abandonnés ?
Les pratiques habituelles institutionnelles sont également contradictoires.
Entre pénalisation, stigmatisation, responsabilisation, requalification et
soutien de la fonction parentale, comment s’y retrouver ? Et puis, que
faut-il réellement soutenir ? La fonction parentale, la fonction éducative ou
tout simplement les liens sociaux de base ? Ce n’est pas une simple affaire
de vocabulaires. Derrière les pratiques, les terminologies et les références
choisies, se cachent de véritables choix sociaux, éthiques et politiques.
Contre toute tentation idéaliste ou naturaliste, il appartient au travailleur
social et spécialement à l’éducateur, d’adopter une vision pragmatique et
matérialiste de la famille. La famille n’est ni un dogme, ni une obligation P
pour l’éducation des enfants. Elle est « un déjà là » dont il faut tenir compte,
et analyser l’importance et l’impact en dehors des questions morales, de
croyances ou d’opinions. Ce travail difficile de remise en cause de ses
propres références individuelles est d’autant plus important que la crainte
d’éventuelles poursuites en civil ou au pénal, pour ne pas avoir repéré
ou signalé d’éventuelles défaillances parentales, rend chaque professionnel
suspicieux au-delà du raisonnable.
Les difficultés de la parentalité sont le signe de la complexité de l’acte
d’éduquer. De même qu’il est difficile d’être parent seul, il est encore plus
difficile d’éduquer seul. Le travail socio-éducatif oblige à tenir compte de
facteurs complexes, comme les caractéristiques sociales et politiques du
contexte dans lequel la professionnalité s’exerce ; et en tout premier lieu, les
évolutions de la famille.

241
PAR

Mots clés
parentalité, soutien, fonction parentale, partage de la relation éducative,
institutions, placement, participation

Références bibliographiques
BERGER Maurice, L’échec de la protection de l’enfance, Dunod, 2004
BOUTIN Gérald et DURNING Paul, Les interventions auprès des parents, Dunod,
1999
GENG Jean Marie, Les mauvaises pensées d’un travailleur social, Seuil, 1980
JESU Frédéric, Coéduquer, pour un développement social durable, Dunod,
2004
MEIRIEU Philippe, commentaire audio, du film « Faut-il apprendre à être
parent ? », D. DELATTRE, réalisateur, La Cathode, diffusion, 2008
OTT Laurent, Travailler avec les familles, Érès, 2008
Loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance
Ot.L

Partenariat et réseau professionnels


La notion de territoire est partout, tout est devenu territoire. L’idée
de territoire relève de la géographie, du droit et implique a priori un
espace circonscrit, suivant des limites, des frontières administratives
(communales, intercommunales, départementales, etc.). Selon un point
P de vue sociologique, le territoire renvoie à un espace vécu (le quartier,
le village, le pays) et enfin, suivant une perspective plus économique,
au bassin d’emploi. Le marquage territorial dessine aujourd’hui une
mosaïque d’espaces parfois difficiles à déchiffrer. Saisir la construction
de cet enchevêtrement de territoires et en comprendre les enjeux, est un
exercice complexe. Cette étape est cependant indispensable pour aborder
les questions du travail en partenariat et en réseau et définir la place et la
fonction des intervenants sociaux dans ces logiques territoriales. Pourtant,
cette approche est devenue incontournable pour les travailleurs sociaux au
point d’en faire un registre de compétences dans leurs référentiels métiers.
Le glissement, dans le secteur de l’intervention sociale, du local vers le
territoire comme notion et espace de référence des politiques publiques
s’est opéré progressivement, selon trois étapes. La première est née bien
avant les années quatre-vingt. Elle est marquée par le principe d’un
développement local, social et économique, qui s’appuie sur les forces
242
PAR
endogènes et les capacités créatives des acteurs locaux. L’action des centres
sociaux est à ce titre exemplaire. La seconde est liée à la décentralisation
de 1982 qui fait émerger les pouvoirs locaux et leur donne compétence à
déterminer des politiques et des orientations locales en matière d’action
sociale. Dans le même temps, les politiques publiques, engagées dans la
gestion des mutations économiques et sociales, s’appuient sur une logique
de territoire, la politique de la ville étant le modèle emblématique, les
politiques d’insertion avec les missions locales et autres plans locaux
d’insertion par l’activité économique, les politiques éducatives territoriales
telles que les Contrats Éducatifs Locaux, etc. Enfin, la troisième étape est
marquée par l’impact du développement de l’Europe. En effet, celle-ci
relance l’aménagement et le développement par territoires, constitués en
champ politique et économique, avec une approche plus stratégique et une
gestion plus méthodique, comme l’évaluation des politiques publiques.
D’un point de vue linguistique, le mot partenariat renvoie à la notion
de « partage » pour ces racines latines. Quand il est emprunté à l’anglais
« partner », il signifie « une personne associée à une autre ». Enfin en
français, il est utilisé dans certaines activités ludiques, comme par exemple,
des partenaires de danse, de tennis en double, etc. Dans les années 60, il était
évoqué les « partenaires sociaux », dans le cadre de négociations salariales.
Dans les années 80, le partenariat fait son entrée dans le monde économique
où la concurrence et la compétition font rage. Ainsi, le terme partenariat s’est
diffusé du monde de l’entreprise vers l’ensemble de la société. Les politiques
publiques ont repris ce vocabulaire, notamment à l’occasion de la naissance
de la politique de la ville, qui s’inscrit dans les émeutes des Minguettes P
en 1981. Les premières politiques territorialisées (Développement social
des quartiers », DSQ, 1981) considèrent qu’il ne suffit pas d’agir sur le
bâti pour contrer les effets sociaux des changements économiques mais
qu’il faut dans le même temps, mobiliser les multiples acteurs des quartiers
populaires. Dès lors, ce ne sont plus les élus nationaux qui sont concernés
par l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques, mais un
ensemble d’acteurs locaux. Les politiques publiques territorialisées (Revenu
minimum d’insertion, 1988 ; Loi Besson sur le logement des plus démunis,
1990 ; etc.), en individualisant les diagnostics et les parcours des individus,
tout en en prenant en compte diverses dimensions de leur existence sociale
sur le territoire, induisent la nécessiter, pour les acteurs locaux, de travailler
ensemble.
Ces politiques publiques territorialisées ont affirmé l’importance du
partenariat. Voici les principes de base de l’action partenariale :

243
PAR
➤ Le principe d’intérêt mutuel des partenaires : pour être viable un
partenariat doit susciter une source d’intérêt pour les différentes parties.
➤ Le principe d’égalité des partenaires : le partenariat repose sur des relations
d’égal à égal, non hiérarchiques.
➤ Le principe d’autonomie des partenaires : les différentes parties s’engagent
de leur propre chef et demeurent libres dans leur action.
➤ Le principe de coopération entre les partenaires : une entente partenariale
s’inscrit dans un projet partagé et celui-ci n’a de sens que s’il y a entraide
et échanges signifiants entre les partenaires.
➤ Le principe d’évaluation entre les partenaires : un partenariat s’inscrit
au sein d’un espace-temps limité nécessitant une évaluation continue,
dont la résultante peut se traduire par des changements ou cessation de
l’entente de coopération.
Le partenariat revêt des formes multiples qui recouvrent un sens et des
pratiques différents. Ces formes peuvent être définies par leur mode
d’organisation et leur origine :
➤ Le partenariat d’initiative : partenariat que l’on peut qualifier de
« ressource ». Il s’appuie sur le carnet d’adresses des institutions. Il
traduit la volonté commune de responsables, cherchant stratégiquement
à mutualiser leurs forces et leurs compétences autour d’un projet
commun et à coordonner leur intervention. Ce partenariat se traduira
souvent par l’élaboration d’une convention de partenariat.
➤ Le partenariat palliatif ou spontané : c’est un partenariat « relationnel »
mis en œuvre par les professionnels de terrain. Il est spontané, informel,
P lié à la nécessité de trouver des solutions aux situations rencontrées.
➤ Le partenariat imposé : il est impulsé, recommandé, voire imposé par
les dispositifs légaux de politiques publiques. Son organisation et les
acteurs impliqués, leurs rôles respectifs sont définis au préalable.
➤ Le partenariat incantatoire (ou illusoire) : ce partenariat reflète les
discours des acteurs visant à inciter la mise en œuvre du partenariat sans
conviction, sans moyens, sans méthode. C’est un partenariat de façade.
Il n’existe pas de partenariat sans organisation. Tout partenariat comporte
des instances de concertation, de négociation, de décision et nécessite une
organisation qui va se charger de la coordination entre les services et les
intervenants. C’est l’analyse de son organisation qui permet d’identifier la
nature de ce partenariat et donc de son intérêt. Cette organisation au service
du partenariat, c’est le réseau.
Le mot réseau vient du latin rets, qui évoque le filet (du mot latin retis) des
pêcheurs ou l’ouvrage minutieux des dentellières. Les médecins l’utilisaient

244
PAR
au XVIIIe siècle pour décrire la circulation du sang. Au XIXe siècle, c’est au
tour des ingénieurs d’en faire usage : le réseau est au cœur des révolutions
techniques comme celles du télégraphe et du chemin de fer. L’essor d’Internet
a aujourd’hui largement contribué à la banalisation de la notion de réseau. Le
concept de réseau renvoie donc à un ensemble de relations entre des points
ou des nœuds, sans que l’un d’entre eux occupe une position centrale. En
fait, « le réseau s’avère être un outil organisationnel au service du partenariat.
Il permet d’assurer la continuité de l’action. L’idée dominante du réseau
est qu’il permet de s’enrichir de la diversité des compétences des acteurs
locaux concernés dans un cadre souple et adapté aux problématiques locales
et territoriales et engagés dans un projet et des objectifs communs. Le
réseau n’a d’existence que parce qu’il est le lieu de la communication et de
la collaboration entre acteurs aux statuts hétérogènes. Il s’agit de mettre
en commun, de développer une culture commune au service d’un projet
commun. Le réseau est une structure ouverte fonctionnant sur la base du
maillage qui unit ses composantes. Le réseau doit être respectueux des
positions de chacun, des différences d’interprétation tout en permettant
aux participants de conserver la spécificité de leurs missions respectives.
Le territoire comme espace vécu, organisé, aménagé et légiféré, est donc
désigné comme le paradigme par lequel s’analysent les situations sociales
et vers lequel se porte l’intervention. L’aménagement du territoire bascule
d’une logique et d’une politique d’équipement à une logique et à une
politique de développement s’appuyant sur la participation des acteurs à un
projet local. Ces nouveaux cadres de l’intervention sociale impliquent
une évolution des pratiques, l’acquisition de compétences nouvelles, P
l’engagement dans des logiques et des méthodes d’action à dimension
collective. Si dans un premier temps, les travailleurs sociaux se sont sentis peu
concernés par les changements liés aux politiques publiques territorialisées,
au point de s’en tenir à distance, ils ont été progressivement contraints, ou
amenés par intérêt, de prendre en compte cette nouvelle dimension dans
leur action et de modifier leur positionnement au sein du système local
d’acteurs. La force du partenariat et du travail en réseau est de permettre
le développement de réciprocités, de solidarités. Mais aussi de recréer
du lien social entre les professionnels souvent figés dans des pratiques
élaborées dans un autre contexte et jusqu’alors dans des représentations
réciproques qui favorisent les cloisonnements. Le fonctionnement en réseau
permet de dépasser les logiques verticales de segmentation, et casse les
logiques horizontales de concurrences. Alors, des synergies se mettent
en place et installent une coopération. Le deuxième avantage de cette

245
PAR
logique d’intervention est de redonner à l’usager, la place première qui lui
est souvent confisquée par la préoccupation gestionnaire. Les méthodes
développées dans le cadre des politiques publiques territorialisées peuvent
contribuer à construire du lien social dans les territoires, par l’élaboration de
diagnostics sociaux territoriaux partagés, par des méthodes d’intervention
qui s’inscrivent dans des dynamiques collectives autour de projets communs
de développement social territorial, dans lesquels l’habitant, l’« usager »
peut être acteur. L’organisation en réseau doit être élaborée avant tout au
service des populations et des usagers avec eux et avec les acteurs locaux.
Cependant, il ne faut pas être naïf ni dupe. Le succès de la notion de
partenariat soulève quelques interrogations. Les politiques sociales ont,
depuis trente ans, affirmé leur volonté de mettre en œuvre le partenariat
comme principe d’intervention. Or, les découpages et les enjeux politiques,
administratifs, ont provoqué des enchevêtrements de territoires et de
dispositifs qui rendent difficile la mise en place d’actions cohérentes
conformes à l’idéal invoqué. Pourtant, l’implication des travailleurs sociaux
dans ces dynamiques locales constitue un enjeu de reconnaissance de leur
place dans la production de connaissances fines des besoins locaux, de leur
capacité d’expertise, de leurs compétences et de leur capacité à contribuer
collectivement à trouver des solutions aux problèmes identifiés.

Mots clés
territoire, partenariat, réseau, politiques territorialisées, développe-
ment local, coopération, acteurs locaux (dont population)
P

Références bibliographiques
CAUQUIL Guy, Conduire et évaluer les politiques sociales territorialisées,
Dunod, 2004
THILBAULT Catherine, Partenariat et réseau, intervention lors de la journée
« Le travail en réseau : un projet, des outils », organisée par la Mission
départementale des droits de l’enfant, 8 juin 2006
LESAIN-DELABARRE Jean-Marc, « Partage, convergence et démocratie :
difficultés du partenariat », in L’intelligence en débat, La nouvelle revue de
l’AIS, n◦ 6 juin, 1999, p. 139-151
DUMOULIN P., DUMONT R., BROSS N., MASCLET G., Travailler en réseau :
méthodes et pratiques en intervention sociale, Dunod, 2003

246
PAU
TRÉMINTIN Jacques, « Travail en réseau et territoires d’action », in Lien
Social n◦ 712 du 10 juin 2004
MONDOLPHO Philip, in « Déconstruire les représentations pour construire
des coopérations », Rapport pour Profession Banlieue et le Clicoss 93,
octobre 2003
ION Jacques, Le travail social à l’épreuve du territoire, Privat, 1990
MANSANTI Dominique, MAUREL Élisabeth (GREFOSS), Prévention spé-
cialisée, politique de la ville et développement communautaire, Coll. Des
documents du Conseil Technique de la Prévention spécialisée, 1998
Du.P
Pauvres
Pauvres, nouveaux pauvres, précaires, exclus, travailleurs pauvres, personnes
en situation de pauvreté, rmistes, bénéficiaires des minima sociaux, etc.
Depuis le début des années 1980, les dénominations ne manquent pas
pour tenter de catégoriser les personnes confrontées aux phénomènes de
pauvreté. Ceux-ci sont anciens mais restent tributaires des transformations
socio-économiques. De manière plus contemporaine, la question de la
définition et de la mesure de la pauvreté se pose, tout comme celle de la
manière de penser la pauvreté, sans oublier que c’est d’abord et avant tout
une réponse politique à apporter aux pauvres déclinée dans des pratiques
d’intervention sociale.
Les travaux des sociologues et des historiens ont largement montré que la
pauvreté était une histoire ancienne. L’on pense ici notamment aux travaux
de B. Geremek à travers « la potence et la pitié » ou à ceux de R. Castel, qui P
nous montre que la question sociale commence en 1347. Cet apport est
assez fondamental dans la mesure où il permet de comprendre comment
se construit, et se pérennise au fil des siècles, la distinction entre les bons
pauvres à aider et les mauvais pauvres à enfermer. D’une autre manière,
cela permet de montrer la continuité qu’il peut exister entre les édits royaux
du XIVe siècle, assimilant les mendiants valides à des vagabonds qui relèvent
des mesures de police, et les arrêts anti-mendicité de ces dernières années.
Avant de faire son retour à la fin des années 70, le terme de précarité a
souvent été employé. Son étymologie n’est pas inintéressante. En effet, l’on
sait que le verbe precor, en latin signifie prier, supplier et que l’adjectif
precarius est relatif à ce qui est obtenu par la prière. Le précaire est un
vassal qui, en faisant l’acte de requête, demandait à son seigneur de lui
faire un don suffisant pour assurer sa subsistance, ou par lequel un homme
libre demandait un bienfait en offrant en échange sa fidélité et ses services.
247
PAU
Historiquement, quatre points caractérisent donc la précarité : elle s’inscrit
dans une relation sociale non symétrique (seigneur/vassal ; homme/divinité)
mais « naturelle », dans le droit et dans la norme ; elle construit une forme
de dépendance (rapport à l’autre) et d’incertitude (rapport au temps) ; elle
est constitutive de l’humaine condition d’une bonne part des personnes ;
en soi elle n’est pas un problème.
La précarité se définit, en faisant référence au Père Wrésinski, par l’absence
d’une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et familles
d’assurer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits
fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue
et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit le
plus souvent à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de
l’existence, qu’elle tend à se prolonger dans le temps et devient persistante,
qu’elle compromet gravement les chances de reconquérir ses droits et de
réassumer ses responsabilités par soi-même dans un avenir prévisible. Cette
définition ne réduit pas la question à la seule dimension monétaire parce
que les domaines de la vie évoqués sont l’éducation, l’emploi formation,
le plancher de ressources, le droit à l’habitat, la santé, l’accès de tous
aux soins et à la promotion individuelle et familiale (assistance juridique
et judiciaire ; aide à la réinsertion ; défense de l’intégrité familiale). Elle
reste fondamentalement d’actualité lorsque l’on voit comment les sécurités
construites au fil du temps sont progressivement déconstruites - ou trop
formellement garanties ; en effet la référence, introduite dans la loi, à
l’opposabilité ne constitue pas en soi une garantie suffisante pour que la
P sécurité soit assurée. Les deux exemples actuels sont le droit au logement
opposable et le droit opposable à la garde d’enfants.
Donner une définition de la pauvreté est beaucoup moins simple et ce pour
plusieurs raisons. Une représentation sociale forte tend à la limiter à la seule
dimension monétaire. Politiquement, la définition et, par la suite, sa mesure
sont des sujets très sensibles et ce d’autant plus lorsqu’un objectif quantifié
de réduction de la pauvreté est inscrit dans la loi. Plusieurs distinctions
sont utilisées. La première porte sur la différence entre pauvreté absolue et
pauvreté relative. La seconde porte sur les différentes approches possibles
de la pauvreté. La plus courante est monétaire. Mais on peut aussi avoir une
approche en termes de conditions de vie, ou bien en termes individuels ou
en termes subjectifs, ou bien encore en termes institutionnels.
La pauvreté absolue définit comme pauvres les personnes qui ne disposent
pas d’un revenu leur permettant d’acquérir le « panier » de biens et services
essentiels à la vie quotidienne. Ce panier est mis à jour en fonction

248
PAU
de l’évolution des prix. La deuxième méthode, proposée par la Banque
Mondiale, recense parmi les pauvres les ménages qui disposent de moins
de deux dollars par jour, et parmi les extrêmement pauvres, ceux qui ont
moins d’un dollar par jour. Ces seuils sont significatifs surtout pour les pays
les moins avancés. Pour la pauvreté relative, les pauvres sont les ménages
dont le « niveau de vie », ou « revenu équivalent », est inférieur, pour une
année donnée, à une fraction (le plus souvent 60 % ou 50 %) de la médiane,
c’est-à-dire la valeur qui répartit la population en deux parts égales. Le
niveau de vie (ou revenu équivalent) est le revenu du ménage divisé par
la taille du ménage évaluée en unités de consommation. Cette première
distinction couvre l’approche monétaire : dans ce cadre être pauvre, c’est
disposer d’un revenu inférieur à un montant donné appelé « seuil de
pauvreté ».
Quelles sont les autres approches possibles ? La pauvreté en conditions
de vie renvoie à des manques dont pâtissent les individus ou les ménages
dans différents domaines : le logement, le cadre de vie, la santé. Dans cette
optique, être pauvre, c’est pâtir par exemple d’une mauvaise santé, vivre
dans un logement insalubre, habiter dans un quartier dégradé, etc.
Une première approche, dite synthétique, définit comme pauvres les
individus ou ménages qui cumulent un nombre significatif de manques
dans les domaines qui viennent d’être évoqués.
Une deuxième approche consiste à définir, pour chacun de ces domaines,
des mesures de la pauvreté. Est alors considéré comme pauvre un individu
ou un ménage dont la situation, dans un domaine donné, est trop inférieure
à la situation médiane. P
La pauvreté subjective se base sur la perception par les individus eux-
mêmes de leur situation. La pauvreté institutionnelle se focalise sur les
personnes qui bénéficient des mesures et des dispositifs pour les pauvres.
Par exemple, il peut s’agir des bénéficiaires des minima sociaux. Plus
récemment des approches en termes de capital social ou de « capabilités »
se sont développées. Elles visent à compléter les approches monétaires et en
conditions de vie. Elles se focalisent sur les activités économiques et sociales
que les personnes ne peuvent accomplir faute des ressources adéquates.
On a longtemps cru que l’activité économique « protégeait » de la pauvreté.
Ceci a été remis en cause depuis le début des années 2000 par la
reconnaissance du phénomène des travailleurs pauvres. Là aussi, la définition
du phénomène est complexe dans la mesure où ce qui est également appelé
pauvreté active dépend à la fois de la situation d’emploi de la personne et

249
PAU
du niveau de vie du ménage auquel elle appartient. Au final, un travailleur
pauvre est une personne ayant occupé un emploi (au moins un mois dans
l’année, sachant que ce critère peut varier) et se trouvant sous le seuil de
pauvreté.
Sur la base de ces multiples définitions de la pauvreté, quelle connaissance
a-t-on aujourd’hui de la pauvreté en France et du nombre de personnes
concernées ? Le seuil de pauvreté monétaire relative a jusqu’en 2008 pris
comme référence 50 % du revenu médian, sachant que pour l’Union
européenne ce taux est de 60 %. Pour 2007, le seuil de pauvreté est donc
de 910 €, ce qui concerne 8 millions de personnes, soit 13.4 % de la
population française. Ce taux de pauvreté est surtout élevé pour les familles
monoparentales, les personnes isolées et les familles nombreuses. Par ailleurs,
le risque de pauvreté décroît avec l’âge, sauf pour les personnes de plus de 75
ans. Ces dernières années, les deux catégories qui ont vu le plus augmenter
le risque de pauvreté sont les 18-24 ans et les plus de 65 ans. De manière
plus large, dans le cadre du décret de mai 2009, des indicateurs permettant
d’appréhender la pauvreté ont été définis. Ils sont centrés sur la lutte contre
la pauvreté sous différentes formes ou en direction de publics ciblés. Ils
intègrent également l’accès à l’emploi, au logement, aux soins... Un premier
bilan a été présenté au Parlement en octobre 2009.
Il ne suffit pas de définir la pauvreté et de compter les pauvres. Encore faut-il
voir comment on peut l’analyser. Plusieurs approches sont possibles : l’une
s’inspire de l’approche culturaliste ; l’autre de l’approche interactionniste.
Pour autant, l’émergence de la catégorie des travailleurs pauvres amène à
P devoir repenser la pauvreté. La première est associée à Oscar Lewis et à la
notion de culture de pauvreté. Par ce terme, l’auteur veut définir le mode
de vie qui se développe chez certains pauvres et dans certaines conditions
(économie monétaire, chômage élevé, bas salaires, limites de l’organisation
sociale et économique...). Cette culture est d’abord une adaptation et une
réaction des pauvres à leur position marginale dans une société à classes
stratifiées, hautement individualisée et capitaliste. Elle est aussi un système
de valeurs et d’habitudes qui sont transmises (esprit de corps, sentiment
d’infériorité, absence de participation aux institutions de la société...). La
seconde s’oppose à la première. Elle a été notamment développée par Serge
Paugam et considère que la pauvreté est une prénotion. Est alors privilégiée
une approche interactionniste, qui s’inspire de la définition de G. Simmel,
selon laquelle c’est l’assistance qu’une personne reçoit publiquement de la
collectivité qui détermine sont statut de pauvre. C’est la relation d’assistance
qui est alors étudiée en analysant les interactions entre les intervenants

250
PAU
sociaux et les personnes en situation de pauvreté. Cela permet de voir
comment se construit la « carrière du pauvre », comment celui-ci intègre
progressivement son statut de pauvre et d’assisté. Néanmoins, ces deux
approches ne suffisent pas car elles ne permettent pas vraiment de penser le
phénomène des travailleurs pauvres. Il est alors nécessaire de se centrer sur
l’analyse du salariat et de ses transformations. Dans cette perspective on peut
évoquer les travaux récents de Robert Castel et l’introduction du concept de
précariat, une précarité permanente qui n’aurait plus rien d’exceptionnel
ou de provisoire, un registre propre d’existence du salariat.
En termes de politique publique, la lutte contre la pauvreté et l’exclusion a
été rendue visible par l’instauration du RMI (Revenu Minimum d’Insertion).
Néanmoins, elle n’a pas commencé à la fin des années 80. Plusieurs modèles
ont donc été mobilisés depuis lors. Dans les années 80, même si des
rapports font état d’un développement de la pauvreté et de l’émergence
de nouvelles formes (rapport OHEIX), la réponse reste conjoncturelle,
par le biais des programmes pauvreté précarité. À la fin des années 80, la
gravité du problème est reconnue et le RMI est créé. La réponse politique
se fait maintenant par la reconnaissance de droits (au revenu, à l’insertion,
à la santé, au logement...). Rapidement, dans les années 90, on se rend
compte des limites de cette réponse et l’on reconnaît la diversité des formes
d’exclusion en développant des réponses en termes d’accès aux droits
et initiant la thématique de la prévention. Dans les années 2000, deux
changements plus généraux sont introduits : les représentations changent et
l’on passe de la compassion à la culpabilisation. L’individu devient le premier
responsable de sa situation et il est souvent suspecté d’être un fraudeur P
potentiel. Par ailleurs, le mode d’intervention de l’État change et l’on
introduit l’idée de l’activation des dépenses passives, qui passe notamment
par une mise au travail généralisée. Cela se traduira par l’expérimentation
du Revenu de Solidarité Active qui vient ensuite remplacer purement et
simplement le RMI, vingt ans plus tard.
Comment les choses se déclinent pour le travail social ? Ce secteur
professionnel est tout d’abord « balloté » selon les différentes orientations
politiques que nous venons de rappeler brièvement. Il est concerné à deux
niveaux. C’est tout d’abord sur les formes extrêmes de pauvreté dont le Sans
Domicile Fixe peut constituer l’archétype. Les phénomènes de pauvreté,
d’exclusion et de relégation se confondent. Cela peut aussi concerner les
travailleurs pauvres. Certaines enquêtes indiquant qu’un tiers des travailleurs
pauvres sont SDF, notamment en Île-de-France. Les structures spécialisées
(centres d’hébergement d’urgence, SAMU social, Centres d’Hébergement et

251
PAU
de Réinsertion Sociale) sont en première ligne pour apporter les premières
réponses en termes d’assistance. Pour ces travailleurs pauvres se pose la
question de l’accès à l’aide en termes d’identité : même si le droit m’est
ouvert, vais-je faire ce qu’il faut pour l’exercer ? Cela réactualise la question
classique, déjà posée au moment de la mise en place du RMI, du sentiment
de honte, de la crainte de l’étiquetage et de la posture éthique du travailleur
social : aider à tout prix ? Le travail social intervient ensuite, au gré des
dispositifs. Il lui est alors demandé de définir un contrat d’insertion, de
contractualiser avec l’usager, de gérer l’insertion sociale, forme d’insertion
par défaut, de contrôler les bénéficiaires, etc. Cela signifie que le travail
social contre la pauvreté est de plus en plus orienté, voire confondu, avec
les politiques d’insertion par le travail. Cela n’est pas, pour autant, une
raison suffisante pour renoncer à influer — voire contribuer — sur l’offre
d’insertion dans toute sa globalité. Encore faut-il le garder en tête et s’en
donner les moyens, notamment en termes de compétences.
Dans le même temps, les situations de précarité forte n’ont pas disparu.
Au regard des aides financières qui se raréfient avec les dispositifs de
revenu minimum et les contraintes de plus en plus fortes, les travailleurs
sociaux doivent diversifier leurs stratégies. Il peut s’agir d’avoir recours
aux ressources des associations caritatives et humanitaires, d’orienter vers
les guichets des CCAS, susceptibles d’accorder des aides financières, voire
de concevoir et mettre en œuvre – si le temps leur en est laissé – des
actions d’accompagnement individuelles ou collectives en vue d’aider les
personnes à faire face à leurs difficultés (accompagnement budgétaire,
P épiceries sociales...). Dans toutes ces situations qui ont vocation à durer, le
travailleur social est confronté à sa capacité à ne pas se laisser totalement
instrumentaliser par les logiques politiques et institutionnelles, à pouvoir
construire des réponses innovantes ou alternatives et à se positionner
éthiquement.

Mots clés
précarité, travailleurs pauvres, précariat, culture de pauvreté, SDF

Références bibliographiques
CASTEL R., Les métamorphoses de la question sociale, Fayard, 1995
DAMON J., « Travailleurs pauvres : de quoi parle-t-on ? », in Droit social, 3,
mars 2009, 292-299

252
PÉD
Haut Commissaire aux Solidarités Actives contre la Pauvreté, Suivi de
l’objectif de baisse d’un tiers en cinq ans de la pauvreté, Rapport au
parlement, octobre 2009
LEWIS O., La vida. Une famille portoricaine dans une culture de pauvreté,
Gallimard, Témoins, 1969
Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion sociale, Rapport
2007-2008
PAUGAM S., Les formes élémentaires de la pauvreté, PUF, mars 2008
WRESINSKI J., Grande pauvreté et précarité économique et sociale, Rapport
au C.E.S. Journal Officiel, 1987/6
Textes de référence
Article L 115-4-1 du Code de l’action sociale et des familles et décret
no 2009-554 du 20 mai 2009 relatif à la mesure de la pauvreté
Loi n◦ 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité
active et réformant les politiques d’insertion
Fo.M
Pédagogie du détour
La pédagogie du détour est une forme d’intervention auprès des usagers qui
privilégie les réponses indirectes apportées aux situations. Cette expression
est issue de l’art-thérapie à travers la notion de « stratégie du détour », qui
renvoie au fait de répondre de façon décalée par rapport aux symptômes
d’un patient pour ne pas renforcer ses résistances. Dans le secteur social et
médico-social, la pédagogie du détour a toute sa place, notamment quand P
le professionnel se trouve dans une impasse et qu’il se sent démuni.
Introduire, par exemple, du jeu et de l’humour là où il y a de la crispation, un
refus d’obtempérer, une volonté de détruire le cadre posé par le travailleur
social permet de contourner l’obstacle. Proposer une activité de combat,
comme la boxe ou le judo, à un adolescent qui recherche en permanence
la confrontation physique avec l’éducateur, c’est déplacer le terrain de
l’affrontement et en faire un enjeu sportif. Rattraper un jeune qui fugue
régulièrement et lui dire quand il s’arrête épuisé : « Pourquoi tu ne cours
plus ? [...] Tu n’es pas sorti du foyer pour faire un jogging ? [...] Hé bien
moi, je suis sorti pour courir avec toi. Alors courons » (Le fil du récit, n◦ 2
« Récits et ricochets », p. 48.), c’est là encore répondre « à côté », là où l’on
n’attend pas le professionnel.
La pédagogie du détour est une manière d’intervenir qui n’affronte pas
l’obstacle mais cherche au contraire à le contourner et à l’éviter. Elle n’utilise
253
PER
que des voies indirectes, des chemins un peu décalés, comme le suggère
le mot « détour », pour arriver à ses fins et être plus efficace en termes
d’accompagnement. Mais elle exige du professionnel de se décentrer de ses
préoccupations, de se dégager de l’implication affective qui est la sienne dans
la relation pour donner une réponse qui surprend. De ce fait, la pédagogie
du détour ouvre des brèches, introduit une respiration dans des situations
qu’on croyait « perdues » d’avance. Elle représente par là même un outil
précieux pour le travailleur social.

Mots clés
médiation, outil d’accompagnement, humour, jouer, activité, impasse
éducative

Références bibliographiques
Le Fil du récit, CNFE-PJJ, Vaucresson :
- n◦ 1 « Ecrire trouver », décembre 1998 ;
- n◦ 2 « Récits et ricochets », mars 2000 ;
- n◦ 3 « Dedans dehors », avril 2002 ;
- n◦ 4 « Inventer le jeu », décembre 2005
Ej.E

Permanence
La permanence en travail social est souvent désignée selon son lieu d’exercice.
P On parle alors d’un bureau, d’une antenne de quartier, d’un véhicule
stationné dans la rue du type Bus social, d’un lieu d’accueil ad hoc ou d’un
lieu public – café-bar, rue, antichambre d’un lieu de consultation médicale,
local d’animation, etc. Ces lieux sont aménagés de diverses manières avec
des bureaux ou des tables rondes, des tables basses ou un baby-foot, une
cafetière, etc. Et au-delà d’être un lieu, la permanence est un moyen qui vise
l’établissement d’une relation entre des travailleurs sociaux et un public de
référence. À ce titre, la permanence est par principe implantée au cœur du
territoire de vie de ce public.
Pour ce contact, la permanence se définit aussi par une durée et un temps fixes
et réguliers. La fréquence peut être journalière, hebdomadaire, bimensuelle
ou mensuelle. De même, les durées d’ouverture vont d’une à trois heures,
voire une journée, entrecoupée de pauses. En résumé, cette disponibilité est
assez précise dans l’espace et le temps pour que le lieu, l’heure, le jour et la
fréquence soient communiqués au public et aux partenaires et ainsi repérés.
254
PER
Chaque service adapte sa permanence à son projet. Aussi, selon les services
et les publics, on trouve alors différents types de permanence : permanence
d’Assistant de Service Social, permanence d’écrivain public, permanence
d’accès aux droits, permanence éducative pour jeunes, permanence d’accueil
pour parents, permanence téléphonique (comme le 115), permanence
d’urgence, permanence d’entraide familiale, permanence contre le suren-
dettement des ménages, etc. L’accueil peut être individuel ou collectif, dédié
à l’écoute ou au traitement de la demande, avec un pré accueil ou non, dans
un lieu bâti ou un espace public, dans un lieu privé ou non, etc.
En milieu ouvert, aucun lieu de travail social ne réunit a priori les
usagers et les professionnels. Dans ce cadre, la permanence est un moyen
particulièrement recherché par les équipes, car elle les rapproche de son
public disséminé sur son territoire de vie.
De manière générique, la permanence est organisée pour offrir aux
personnes en difficultés sociales un maximum de possibilités de contact avec
des travailleurs sociaux : en plus d’un accueil sans rendez-vous préalable, le
public peut y trouver une écoute à sa souffrance sociale, un moyen de faire
émerger et de verbaliser sa demande, de recevoir des informations utiles pour
sa situation, voire de trouver des réponses à son besoin. De cette manière, la
permanence permet l’amorce d’une relation avec le public qui conduira au
traitement ultérieur des problématiques présentées, dans le cadre de suivi
socio-éducatif. Le public est libre d’y venir et d’y demander ou non ce qu’il
veut. La permanence n’est pas réservée à ceux qui demandent. C’est avant
tout une disponibilité à la rencontre institutionnalisée de l’équipe sociale,
la proposition de relation faite par des travailleurs sociaux à des personnes P
en difficultés sociales.
Ainsi, le public peut participer à cette permanence d’une manière différente
de celle prévue au départ. Il peut être absent ou présenter des problématiques
multiples, manifester de la violence ou un passage à l’acte. Enfin, il peut
présenter des demandes décalées, c’est-à-dire formulées à un mauvais
interlocuteur. Enfin, les situations d’urgence vécues lors de permanences
rendent difficile pour les professionnels la gestion du cadre de la relation.
La tenue d’une permanence demande donc aux travailleurs sociaux une
disponibilité nouvelle, la capacité à gérer une certaine urgence, et à
garder le cadre d’un type de relation différent. Ils n’y sont pas forcément
préparés. Le risque d’une relation non choisie existe pour eux et leur
compétence professionnelle peut se trouver requestionnée. Aussi, le projet
d’ouverture d’une permanence sociale nécessite l’élaboration collective
d’une méthodologie adaptée pour les personnels chargés de l’assurer.
255
PER

Mots clés
relation, disponibilité, projet d’équipe, urgence, compétences

Références bibliographiques
CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Érès, 1996
DRÉANO Guy, Guide de l’éducation spécialisée, Dunod, 2008
Re.X
Personnes âgées
Jusqu’au début du XXe siècle, la grande majorité des personnes âgées
bénéficiait de la solidarité familiale. Puis avec l’ère contemporaine, les
habitudes de vie changent, la famille élargie se « disperse » au profit de la
famille nucléaire. Ces transformations sociétales feront apparaître une
population de personnes âgées plus isolées et plus vulnérables. C’est
pourquoi, en 1941, est instauré le « minimum vieillesse », suivi par
l’ordonnance de 1945 qui met en place un système de retraite par répartition
fondé sur la solidarité nationale. Il faut attendre les années 70 pour que de
nouvelles mesures voient le jour avec la création de l’assurance vieillesse
des mères de familles, la généralisation des retraites complémentaires,
puis l’affiliation à un régime d’assurance vieillesse qui devient obligatoire
pour toutes les personnes exerçant une activité salariée. La loi du 21 août
2003, relative à la réforme des retraites amène la reconnaissance du droit à
une retraite équitable, avec la création de nouveaux dispositifs d’épargne
P retraite à taux plein. L’allongement de la durée de la vie due aux progrès
sanitaires, l’élévation du niveau de vie et l’arrivée à l’âge de la retraite
des « baby-boomers », entraînent une profonde transformation de la
démographie française et un déséquilibre dans l’organisation économique
et sociale. Les enjeux du vieillissement démographique constituent donc
un véritable défi pour le XXIe siècle.
Les premiers travaux de recherche sur le « bien vieillir » ont émergé
dans les années 80 : on parle d’un vieillissement en bonne santé, d’un
vieillissement habituel, usuel ou encore d’un vieillissement réussi. Quelques
lois découlent de ces recherches : la loi du 20 juillet 2001 (réformée en 2003)
met en place l’allocation personnalisée d’autonomie : l’APA qui remplace
la PSD (Prestation Spécifique Dépendance), passant ainsi d’une logique
d’aide sociale à celle d’un droit. Puis le décret n◦ 2008-821 du 21 août
2008 qui actualise les modalités de codage de la grille AGGIR (Autonomie
Gérontologie Groupe Iso Ressources), destinée à mesurer le degré de perte
256
PER
d’autonomie des personnes âgées et à déterminer leur éligibilité à l’APA
à domicile ou en établissement. En 1982, le décret n◦ 82-697 du 4 août
1982 crée le comité national des retraités et des personnes âgées (CNRPA).
Cette instance permet la participation des retraités et des personnes âgées à
l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques de solidarité nationale les
concernant. Suite à la canicule de l’été 2003, la loi du 1er septembre 2004
prévoit la mise en place d’un plan d’alerte et d’urgence départemental en
cas de risques exceptionnels. Il s’agit de repérer les personnes âgées isolées à
domicile et de mettre en place un plan bleu dans les établissements.
Le rapport Laroque, publié en 1962, posait déjà la question de « la
place qui peut et doit être faite aux personnes âgées dans la société
française de demain. » L’hébergement des personnes âgées devient une
réelle préoccupation des pouvoirs publics, c’est pourquoi des solutions sont
proposées au travers de différentes lois. La loi du 10 juillet 1989, modifiée
par la loi de modernisation sociale n◦ 2002-73 du 17 janvier 2002 prévoit
l’accueil des personnes âgées, au domicile de particuliers à titre onéreux.
La loi du 30 juin 2004 crée la CNSA : caisse nationale de solidarité pour
l’autonomie, destinée aux structures d’accueil en faveur des personnes âgées
dépendantes et des personnes handicapées. Au début des années 2000, il est
constaté un déficit quantitatif et qualitatif de l’offre envers l’exclusion des
personnes fragiles, handicapées adultes et personnes âgées. Les institutions
sont globalement insuffisantes et encore trop peu médicalisées. La loi
du 2 janvier 2002 concerne pleinement la prise en charge des personnes
âgées, notamment avec le fait d’appréhender l’usager à travers des projets
personnalisés dans et hors établissement et de veiller à sa qualité de vie, P
tout en préservant ou reconstruisant des liens avec la communauté. La loi
2002-02 a élargi les champs d’activités identifiés par la loi du 30 juin 1975,
en ajoutant les services d’aide à domicile aux personnes âgées.
Les propositions d’hébergement et d’accompagnement à domicile se
diversifient pour répondre à différents besoins et demandes et aux différents
degrés de dépendance. Parmi les propositions d’hébergement, citons les
maisons de retraite publiques pour les personnes justifiant de faibles revenus
et les maisons de retraite privées non médicalisées ou médicalisées. Les
foyers logements, les résidences avec services, les villages de retraite pour
les personnes autonomes. Les MAPAD (Maison d’accueil pour personnes
âgées dépendantes) et les EHPAD (Établissement d’hébergement pour
les personnes âgées dépendantes). Ces derniers accueillent des personnes
valides, semi-valides, dépendantes physiquement ou psychologiquement
ou considérées comme désorientées. Certains EHPAD offrent un accueil en

257
PER
CANTOU (Centre d’activités naturelles tirées d’occupations utiles), spécia-
lisé dans l’accueil de personnes âgées désorientées ou en unité Alzheimer
pour les personnes souffrant spécifiquement de cette dégénérescence des
cellules nerveuses.
En 2007, la maladie d’Alzheimer devient « grande cause nationale ». Un
plan Alzheimer 2008-2012 prévoit de créer, pour les patients souffrant de
troubles du comportement, deux types d’unité spécifiques : les PASA (Pôle
d’activités et de soins adaptés) proposant, pendant la journée, des activités
sociales et thérapeutiques au sein d’un espace de vie spécialement aménagé
et bénéficiant d’un environnement rassurant, permettant la déambulation ;
les UHR (Unités d’hébergement renforcées) pour les résidents ayant des
troubles sévères du comportement, sous forme de petites unités accueillant
jour et nuit, et qui soient à la fois lieu d’hébergement et d’activités.
L’accompagnement à domicile se développe également et propose des
prestations de services ménagers, d’aide à la personne pour les activités
ordinaires de la vie et les actes essentiels de la vie quotidienne. Ces prestations
s’inscrivent dans un projet individualisé d’aide et d’accompagnement
élaboré après une évaluation globale des besoins de la personne. Elles
concourent au maintien à domicile, à la préservation ou à la restauration de
l’autonomie dans l’exercice des activités de la vie quotidienne, au maintien
et au développement des activités sociales et des liens avec l’entourage. Les
SSIAD (Services de soins infirmiers à domicile) assurent sur prescription
médicale, des soins infirmiers, d’hygiène générale ainsi que les concours à
l’accomplissement des actes essentiels de la vie. Ils concernent les personnes
P âgées de 60 ans et plus, malades ou dépendantes.
En ce début du XXIe siècle, les autorités politiques s’intéressent aux situations
de maltraitance des personnes âgées et lancent une grande campagne
destinée aux professionnels de santé et aux établissements accueillant des
personnes âgées pour mieux détecter et prévenir la maltraitance. Le rapport
du 22 janvier 2002 de M. Debout sur ce sujet a été suivi par la circulaire
du 3 mai 2002 relative à la prévention, à la lutte contre la maltraitance
des adultes vulnérables et notamment les personnes âgées. La prise de
conscience collective des situations de maltraitance des personnes âgées
donne lieu au lancement de la première journée mondiale de lutte contre
ce fléau en juin 2006, puis le ministre de la santé propose un plan en dix
mesures pour agir contre la maltraitance des personnes âgées le 22 mars
2007. Enfin, le numéro national d’appel 3977, contre la maltraitance des
personnes âgées, a été mis en place. Il concerne également les personnes

258
PER
handicapées. Il a également été créé un correspondant maltraitance dans
chaque DDASS et le doublement des inspections dans les établissements.
Les politiques en faveur des personnes âgées sont récentes et intimement
liées aux politiques en faveur des personnes handicapées : est-ce à dire que
la vieillesse est un handicap ? Certes non. D’après l’enquête emploi UNIFAF
de 2007, le secteur des personnes âgées se caractérise ainsi :
➤ l’hébergement des personnes âgées,
➤ l’hébergement des personnes âgées dépendantes,
➤ les foyers logements/résidences,
➤ les services de soins infirmiers à domicile.
Il emploie 63 300 salariés dont 53 200 en CDI dont 80 % travaillent en
établissement et 20 % à domicile ; soit 16 % des emplois de la Branche
professionnelle. 1/3 des emplois est à temps partiel dont 55 % dans les
services à domicile, 12 % en CDD et féminisé à 89 %. 1/3 des emplois a une
qualification sanitaire : le personnel de soins représentant 54 % des effectifs,
dont 7 % infirmiers, 29 % aides-soignants, le personnel médical 2 %, le
personnel paramédical 2 %, le personnel éducatif, social et insertion 12 %.
Le personnel des services administratifs et techniques représente 28 %, le
personnel de direction 2 %. Le taux d’encadrement est de 6 %. Les AMP ne
représentent encore que 4 % des effectifs des établissements d’hébergement.
En douze ans, les effectifs des établissements pour personnes âgées ont plus
que doublé. Malgré la concurrence du secteur commercial, les établissements
d’hébergement affirment leur place. Les nouveaux modes de prises en charge
entraînent une modification des besoins davantage tournés vers l’aide à
la personne, du fait que l’accompagnement de la personne devient plus P
global, que les places d’hébergement temporaire se développent et que le
maintien à domicile devient la règle. De ce fait, toute une série de métiers
et de fonctions se développent, davantage tournés vers l’aide à la personne :
l’aide ménagère et l’employé(e) de maison, l’aide à domicile, l’auxiliaire de
vie, la garde de personnes malades handicapées ou dépendantes, l’assistante
de vie et l’employé familial polyvalent ou l’employé à domicile.
Les travailleurs sociaux, en dehors de l’aide à la personne, interviennent
principalement dans le cadre de projets « novateurs » intergénérationnels.
Notamment, la fonction de conseillers sociaux en gérontologie se développe
aujourd’hui, dans le cadre d’une formation en Licence professionnelle.
L’enjeu pour ces professionnels est de faire reconnaître leur place auprès
de ce public, de faire part de leur expérience en terme de compétences, de
méthodes et d’outils, que ce soit dans l’accompagnement, l’humanisation
des institutions, le soutien aux projets personnalisés, l’évaluation et les

259
PER
démarches d’amélioration de la qualité. Il sera certainement indispensable
d’inclure davantage l’accompagnement des personnes âgées dans les
programmes de formation initiale des travailleurs sociaux. Pour les équipes
travaillant auprès de nos aînés, il s’agit de changer les représentations
de notre société vis-à vis de ces personnes qui deviennent dépendantes
physiquement ou psychiquement. Il serait intéressant également d’élargir les
équipes pluridisciplinaires mais le vrai défi d’aujourd’hui est certainement
d’engager un travail autour de la bientraitance car comme le disait justement
Sainsaulieu : « une société se juge, à la façon dont elle traite ses personnes
âgées. »

Mots clés
retraite, autonomie, dépendance, vulnérabilité, soins

Références bibliographiques
GINESTE Y., Silence, on frappe : de la maltraitance à la bientraitance des
personnes âgées, Animagine, 2007
PITAUD P., Solitude et isolement des personnes âgées, Érès, 2004
AMYOT J.J., et VILLEZ A., Mettre en œuvre le projet de vie dans les établissements
pour personnes âgées, Dunod, 2007
AMYOT J.J., Travailler auprès des personnes âgées, Dunod, 2009
De.C

P Personnes handicapées
La question et la perception du handicap sont intimement liées à l’his-
toire des sociétés dans leur ensemble, depuis l’époque où l’enfant naissant
handicapé était livré « aux Dieux » à Sparte, par exemple, jusqu’à l’époque
moderne, où se sont conjointement édifiés le métier d’éducateur et le sec-
teur de l’action sociale.
Les institutions classiques et traditionnelles se sont données comme
objectif de regrouper les usagers (qu’ils soient accompagnés chez eux ou
accueillis dans des internats), par similitudes de problématiques ; ainsi, elles
ont contribué à développer des pratiques propres « d’éducation spéciale »
ou « spécialisée ». Les années 60-70 ont fortement contribué à l’évolution
de ce secteur et au développement des pratiques s’y rattachant. De ce fait
et souvent sous la poussée des familles, les institutions se sont progressive-
ment ouvertes, soumises qu’elles ont été aux critiques de tous bords, venues
de France aussi bien que de nos voisins (notamment anglo-saxons). Aussi,
260
PER
pour les éducateurs, le travail sur et avec l’environnement, ainsi que la prise
en compte des dimensions sociales et affectives des individus en dehors
du « handicap » (jusqu’alors passées sous silence, tenues pour quantité
négligeable, non prioritaires, voire ignorées...), s’est imposé.
Il a fallu attendre la fin des années 80, pour que ce mouvement qui a fini
par s’imposer comme une véritable lame de fond, atteigne les pratiques
et les institutions au sein desquelles elles se déployaient, jusqu’à ce qu’un
basculement finisse par voir le jour. C’est d’abord le projet d’intégration qui
a été évoqué pour chaque individu, puis la participation en tant que pratique
de référence s’est développée et imposée comme naturelle. Si, jusqu’à la loi
du 11 février 2005, on ne parlait encore que d’intégration scolaire, ladite
loi a gravé dans le marbre l’obligation scolaire pour tous, quelle que soit la
situation de chacun (handicapé ou non).
Aux éducateurs, il s’est imposé, dans leur vision du handicap, des normes
éthiques conduisant à envisager le handicap non seulement du côté de
ce qui affecte la personne mais du côté de sa situation : c’est-à-dire des
barrières matérielles, psychologiques et comportementales que dresse tout
l’environnement social et sociétal. D’où la venue, dans le vocabulaire, de
l’expression « situation de handicap ». Aussi, à une époque récente, la
notion (vécue comme une exigence première) d’inclusion est désormais
entrée dans les mentalités, confirmée par l’adoption, en décembre 2006,
de la Convention internationale des Nations-Unies, relative aux droits des
personnes handicapées. Sans doute porteuse de nouvelles ambiguïtés et
complexités qu’il faudra rechercher, elle débouche sur des approches et des
pratiques, chez les travailleurs sociaux, entièrement renouvelées. P
Si la personne handicapée est avant tout envisagée comme « en situation
de handicap » du fait, essentiellement, de ce que lui renvoie la société dans
laquelle elle tente de vivre sans y parvenir, elle ne saurait se voir réduite
à cette seule situation — souvent surévaluée par les philosophies dites
« situationnistes ». Il y va en effet de son identité, de ce qui lui est propre,
dans son corps, son esprit, son développement psychologique, et, de ce fait,
de la prise en compte de son handicap vu sous l’angle de sa personne, de
sa construction. La réalité socio-éducative s’impose, en termes de regard
porté sur l’autre ; elle ne peut de ce fait se développer hors d’une éthique du
geste, de la parole, et dans un tel cadre elle vient contrebalancer de façon
naturelle l’exigence accrue et devenue obligatoire des normes et des modèles
auxquelles se réfère désormais toute la société pour être accessible à tous
dans tous les domaines de la vie.

261
PER
De même, depuis la loi du 11 février 2005, le primat du projet individuel de
vie (sur la légitimité duquel il conviendra d’ailleurs de se poser des questions),
interroge nécessairement l’approche socio-éducative. Elle pourrait se donner
comme exigence première de décloisonner, relier et donner du sens à un
ensemble souvent désarticulé de prestations et formules de prise en charge.
Cet ensemble est toujours en risque d’émiettement, même si les évolutions
sont lentes et pas toujours immédiatement perceptibles. Il est urgent, pour
le travailleur social de porter une attention toute particulière à ce que
s’assemblent à nouveau, notamment dans la formation de l’enfant et de
l’adolescent en situation de handicap, les morceaux du puzzle de leur
personne souvent dispersée aux quatre coins d’approches variées, sans lien
entre elles, sans vision d’ensemble, quasiment « tronçonnées ».
Quelques pays européens utilisent encore des définitions mettant plus
particulièrement l’accent sur des critères médicaux, alors que d’autres
privilégient de plus en plus couramment le « processus de production du
handicap », à partir de causes et de critères d’ordre social, environnemental,
sociétal. Proposons une définition qui est une synthèse de ces deux visions
du handicap et bénéficie d’un consensus des organisations représentatives
des personnes handicapées en Europe, y compris en France : le handicap
résulte de l’interaction entre la déficience, l’incapacité qui en découle et
l’environnement physique, social, et culturel. Cette situation de handicap
provoque une perte partielle ou totale d’autonomie et/ou des difficultés de
pleine participation.
La première classification internationale émanant de l’OMS (Organi-
P sation Mondiale de la Santé), en 1980, « International Classification of
impairments, disabilities and handicaps » a été traduite en français de façon
non littérale, par « Classification internationale du handicap : déficiences,
incapacités, désavantages » (1988), le terme « handicap » conservant en
français un caractère générique qui a pratiquement disparu de l’usage
courant en anglais. Cette première classification a été remplacée par
une seconde (2000), à la rédaction de laquelle ont participé certaines
associations de personnes handicapées françaises, appelée « Classification
internationale du Fonctionnement – CIF). Cet intitulé montre à quel point
la personne n’est plus envisagée du point de vue de sa définition « négative,
privative » par le médecin, mais sous l’angle positif de sa « capacité »
à « fonctionner » dans sa vie privée et en société. En langage courant,
les déficiences locomotrices, sensorielles, psychiques, intellectuelles ou
multiples et/ou de grande dépendance, sont habituellement distinguées.

262
PET
Notre société connaît actuellement un changement de vision radical en
matière de handicap, que constitue le concept de « Société inclusive »
comme telle. Il s’agit bien d’une révolution dans le domaine des pratiques
et conceptions du travail avec le handicap, depuis qu’a été adoptée à New
York en décembre 2006 et ratifiée en France la Convention internationale
des Nations-Unies pour le droit des personnes handicapées. Celle-ci est
entrée définitivement en vigueur et active en France le 20 mars 2010.

Mots clés
mesure (du handicap), classification (du handicap), loi de 2005, Maison
Départementale Pour le Handicap (MDPH), Prestation Compensatoire
du Handicap (PCH)

Références bibliographiques
GOMEZ Jean-François, Le travail social à l’épreuve du handicap. Transmettre,
apprendre, résister, Dunod, 2007
WEBER Philippe, Travail social, handicap et autonomie, Chronique sociale,
2008
Ot.L
Ga.B

Petite enfance (professionnel(le)s de)


Qui sont les professionnel(le)s de la petite enfance ? Si on se réfère à la
définition de Suzon Bosse-Platière – « est professionnel de la petite enfance, P
toute personne dont le travail salarié consiste à garder, éduquer, soigner des
enfants de moins de six ans, en l’absence de leurs parents » (Bosse-Platière,
1989) –, on se trouve confronté à un problème de lisibilité tant sous la
même appellation se trouvent réunis des métiers d’une grande diversité tant
par la formation que par le champ de compétences. Le secteur de la petite
enfance apparaît être un champ professionnel aux contours incertains. En
effet, sous la même appellation, sont regroupés les éducateurs(trices) de
jeunes enfants, les puériculteurs(trices), les auxiliaires de puériculture, les
assistant(e)s maternel(le)s, les enseignant(e)s de maternelle, les ATSEM, ainsi
que tous (toutes) les professionnel(le)s qui dans le cadre de leur activité
professionnelle gardent, participent à l’éducation ou aux soins des jeunes
enfants. Dès lors, on se rend compte de toute la difficulté de définir les
professionnel(le)s de la petite enfance puisque soit cette définition est trop
large, et risque donc d’être illisible, soit est trop restrictive et ne prend pas
263
PET
en compte tous (toutes) les professionnel(le)s qui composent le paysage de
la petite enfance.
Certaines professions n’existent qu’en raison de la délégation/relégation de
certaines tâches par d’autres professions. Il en est ainsi du métier d’auxiliaire
de puériculture. Les différentes tâches, notamment de care, que requiert la
prise en charge de bébés et de tout jeunes enfants sont hiérarchisées. Si tous
(toutes) les professionnel(le)s exerçant en établissement d’accueil de la petite
enfance sont en mesure de prendre soin des jeunes enfants, en pratique
ils (elles) n’effectuent pas tous (toutes) les mêmes tâches, notamment les
soins du corps. Les jeunes enfants, en raison de leur dépendance extrême
à un autre qui prodigue soin, attention et tendresse, sont confiés dans la
vie quotidienne aux auxiliaires de puériculture. Comme dans le secteur du
service à la personne, de l’aide à domicile, ou du soin du corps à l’hôpital,
les jeunes enfants comme les personnes dépendantes et/ou vulnérables sont
confiés aux personnels les moins qualifiés et les moins rémunérés (Hughes,
1996). En effet, plus un(e) professionnel(le) se trouve de par son activité
professionnelle au plus près du corps, de la souillure moins l’exigence
de qualification est élevée, plus la formation est courte et plus le salaire
qu’octroie le métier est faible. Plus les intervenant(e)s sont qualifié(e)s plus
ils (elles) s’assignent les tâches valorisées et plus ils (elles) délèguent et
relèguent les tâches les moins valorisées, comme par exemple le change des
couches, et s’éloignent de la présence directe et continue au jeune enfant.
La question de la protection maternelle et infantile à partir du XIXe siècle
a mis en exergue la nécessité d’une éducation des mères. Les institutions
P de garde et d’accueil des jeunes enfants ont constitué le vecteur idéal
pour cette éducation. Il s’agissait, en effet, à travers l’accueil des jeunes
enfants, d’éduquer les mères, et ce dans un mouvement de « conservation
des enfants ». L’affirmation de la nécessité d’une éducation des mères
va conduire à s’intéresser à la formation des personnes qui prennent en
charge les jeunes enfants durant l’absence de leur mère. Les professionnelles
vont alors être formées selon les mêmes préceptes de la puériculture et
de l’hygiénisme. Les contenus des formations de puériculteur(trice) et
d’auxiliaire de puériculture vont donc dès l’origine des métiers être axés sur
la puériculture, la physiologie et l’hygiène, configurant ainsi une culture
pédiatrique professionnelle qui va longtemps être dominante dans les
établissements et services d’accueil pour jeunes enfants (culture d’ailleurs
toujours d’actualité).
Les mutations du contexte socio-économique entraînent une reconfigu-
ration des différents métiers de l’enfance qui conduisent les étudiant(e)s

264
PET
des différentes formations à développer des compétences et acquérir des
connaissances communes, notamment en ce qui concerne les métiers d’édu-
cateur de jeunes enfants et de puéricultrice. L’évolution des représentations
de l’enfance, des connaissances et des savoirs relatifs à la petite enfance
a sans nul doute conduit à ces transformations. Cependant, l’analyse du
discours met en évidence la défiance que peuvent se porter les différent(e)s
professionnel(le)s en fonction de leur formation initiale comme la crainte
des puériculteurs(trices) d’être concurrencé(e)s par les éducateurs(trices)
de jeunes enfants, et le risque d’une usurpation de certaines fonctions par
ces dernier(e)s, notamment des fonctions de direction, de gestion et de
management qui sont les plus valorisées socialement et bénéficient d’un
meilleur statut symbolique.
Le point commun à tous les métiers de la petite enfance est leur très
forte féminisation. Dans la sphère professionnelle, l’accès des hommes aux
professions et aux institutions de garde et d’accueil de la petite enfance
demeure marginal et complexe. Lorsque la profession consiste à prendre en
charge de jeunes enfants, les hommes sont quasiment absents. Ces derniers
représentent 1 % seulement des emplois d’assistants maternels, d’auxiliaires
de puériculture et de puériculteurs, 3 % environ des emplois d’éducateurs
de jeunes enfants, profession de la petite enfance la moins féminisée. Toute
activité qui confronte le (la) professionnel(le) au tout-petit « exclut, par
assimilation de la féminité à la maternité » (Bessin, 2005), les hommes d’une
profession nécessitant une proximité avec de jeunes enfants. Les métiers
confrontant le (la) professionnel(le) au soin, au corps ou à la souillure sont
donc hyper féminisés et généralement dévalorisés socialement. P
Il semble que la pratique professionnelle auprès des jeunes enfants
demeure l’apanage des femmes. L’idéologie de « l’instinct maternel »,
la matrifocalisation des théories et l’essentialisation de compétences,
d’aptitudes en fonction du sexe « prédestinent » les femmes aux fonctions
d’éducation des tout jeunes enfants. Puisqu’elles assument « naturellement »
les soins aux jeunes enfants (comme leur garde) au sein de la sphère privée,
c’est donc tout aussi naturellement qu’elles le font professionnellement. La
dévalorisation des métiers « féminins » (infirmières, métiers de la petite
enfance et de l’aide à domicile, assistantes maternelles, etc.) prend appui
sur le fait qu’ils sont appréhendés dans les représentations sociales comme
constituant une extension du travail domestique. Durant longtemps, les
hommes ne pouvaient se diriger vers un métier de la petite enfance. C’est
seulement en 1973 avec la création et l’institutionnalisation du diplôme
d’État d’éducateur de jeunes enfants, profession se substituant à celle de

265
PET
jardinière d’enfants, que le champ de l’éducatif auprès des enfants âgés de
zéro à sept ans s’ouvre aux hommes. Il en est de même dans les secteurs
paramédical et médical avec la possibilité pour les hommes de faire des
études de puériculture ou de sage-femme en 1982. Ainsi la loi n◦ 82-413
du 19 mai 1982 modifie la loi n◦ 191 du 24 avril 1944, la loi n◦ 67-1176
du 28 décembre 1967 ainsi que certaines dispositions du code de la santé
publique relatives à l’exercice de la profession de sage-femme. Elle abroge
le second alinéa de l’article 6 de la loi n◦ 191 du 24 avril 1944 et stipule
notamment que « les termes désignant les personnes candidates se destinant
à la profession de sage-femme s’appliquent aux candidats des deux sexes ».
Le métier d’auxiliaire de puériculture
Selon l’arrêté du 16 janvier 2006 relatif à la formation conduisant
au diplôme professionnel d’auxiliaire de puériculture, la formation
d’auxiliaire de puériculture se déroule sur douze mois et est composée
de 1435 heures de formation (595 heures d’enseignement théorique
et 840 heures d’enseignement en stages cliniques). Les auxiliaires de
puériculture contribuent à la prise en charge globale des enfants, de la
naissance à 16 ans en milieu hospitalier ou extrahospitalier. Ils (elles)
répondent aux besoins quotidiens des enfants, notamment au cours
des temps de soins et d’activité d’éveil. Leur action s’effectue sous la
responsabilité d’un(e) sage-femme (dans les services de maternité, de
gynécologie-obstétrique), d’un(e) puériculteur(trice), d’un(e) infirmier(e)
ou d’un(e) éducateur(trice) de jeunes enfants. Le décret n◦ 96-729 du
12 août 1996 relatif à cette profession définit sa fonction ainsi :
P
« L’auxiliaire de puériculture participe, dans le cadre du rôle propre de
l’infirmier, en collaboration avec lui ou sous sa responsabilité, ou le cas
échéant sous la responsabilité d’autres professionnels du secteur de la santé
ainsi que du secteur éducatif ou du secteur social à la prise en charge,
individuelle ou en groupe, jusqu’à l’adolescence, de l’enfant bien portant,
malade ou handicapé ; répond aux besoins quotidiens de l’enfant par la
présence qu’elle assure, les soins spécialisés auxquels elle participe et les
activités d’éveil qu’elle organise. »

Les candidat(e)s auxiliaires de puériculture ont accès à la formation


préparant au diplôme professionnel (de niveau V) après un brevet d’études
professionnelles en carrières sanitaires et sociales ou après un CAP petite
enfance. La formation est essentiellement orientée sur le sanitaire, et porte
surtout sur les techniques de soins et d’hygiène. La formation est toujours
centrée sur le secteur hospitalier même si les débouchés professionnels se

266
PET
situent davantage dans le milieu ordinaire au sein des établissements et
services d’accueil de la petite enfance.
Le métier de puériculteur(trice)
De même que les autres professions d’assistance et d’éducation qui ont vu le
jour après la seconde guerre mondiale, la profession de puériculteur(trice)
(créée le 13 août 1947) est issue d’une volonté de contrôle social des familles,
de lutte contre la mortalité infantile. Selon le professeur Lelong, à la ville
comme à la campagne, la puéricultrice est le soldat avancé de la lutte contre
la mortalité infantile... elle doit s’ingénier à éduquer peu à peu la mère de
famille ou la nourrice [...] » (Lelong, 1951). Cette profession a été durant
longtemps à la croisée de la santé et du travail social (en effet, jusqu’en
1971, l’accès à la formation de puéricultrice était ouvert aux infirmières
comme aux assistantes sociales. Depuis cette date, seules les infirmières et
les sages-femmes peuvent y accéder).
La profession de puéricultrice est largement inscrite dans le champ paramé-
dical. Le soin constitue l’élément central du métier, les puériculteurs(trices)
étant des intervenant(e)s hautement qualifié(e)s dans le soin aux enfants,
de la naissance à 16 ans. La spécialisation en puériculture préparant au
diplôme d’État est organisée sur douze mois et comprend 1500 heures
de formation dont 650 heures d’enseignement théorique, 710 heures de
stage et 140 heures de travaux dirigés et d’évaluation. L’arrêté du 13 juillet
1983 relatif à la formation en puériculture précise dans son préambule
(quatrième paragraphe) :

« La finalité de la formation est la préparation à la fonction de P


puéricultrice, à savoir : contribuer à promouvoir, à maintenir, à
restaurer la santé de l’enfant dans sa famille et les différentes
structures d’accueil. »

Ils (elles) exercent dans tous les établissements de soin pour enfants et
adolescents, tels que les services de néonatalogie, de réanimation pédiatrique,
de pédiatrie, de protection maternelle et infantile, les pouponnières, etc.,
mais également au sein de certaines structures d’accueil et de garde de
la petite enfance, telles les crèches collectives, les crèches familiales, les
structures proposant un multi-accueil, où ils (elles) assurent le plus souvent
la direction de l’établissement.
Cette possibilité de travailler aussi bien en milieu hospitalier (ou établis-
sement de soins non hospitalier) qu’auprès de jeunes enfants en milieu
ordinaire, les distingue des autres infirmier(e)s spécialisé(e)s diplômé(e)s

267
PET
d’État (infirmier(e)s anesthésistes, infirmier(e)s de bloc opératoire) qui eux
(elles) exercent exclusivement en milieu hospitalier.
Cette spécificité de leur profession qui les conduit à intervenir soit auprès de
l’enfant malade, soit auprès de l’enfant « sain », essentiellement en crèche
s’explique par l’histoire de la création des crèches. Création dans le cadre
de l’accroissement du contrôle des familles par l’État et durant le courant
hygiéniste, la vocation des crèches étant alors leur participation active à
la baisse de la mortalité infantile, à l’éducation des mères aux préceptes
de la puériculture. Actuellement, rien ne semble justifier une si grande
présence de professions paramédicales au sein de ces établissements. Les
puériculteurs(trices) revendiquent toujours leur légitimité professionnelle
à la direction des structures d’accueil de la petite enfance en mettant en
avant la dimension paramédicale de leur profession.
Les éducateur(trice)s de jeunes enfants
Leur formation est organisée sur trois années universitaires, alternant la
formation théorique (1 500 heures) à la formation pratique au travers
de stages (2 100 heures). La formation théorique est structurée en quatre
domaines de formation (DF) :
➤ DF1- Accueil et accompagnement du jeune enfant et de sa famille :
400 heures
➤ DF2- Action éducative en direction du jeune enfant : 600 heures
➤ DF3- Communication professionnelle : 250 heures
➤ DF4- Dynamiques institutionnelles, interinstitutionnelles et partena-
riales : 250 heures
P Le ministère de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement définit la
profession ainsi :
« L’éducateur de jeunes enfants exerce une fonction d’accueil des jeunes
enfants et de leurs familles dans les différents établissements et services
pouvant les recevoir. »

Les missions qui lui sont confiées sont en constante mutation, du fait des
évolutions sociales, mais aussi du fait des politiques nationales et locales
qui influencent la mise en place des diverses modalités d’accueil des jeunes
enfants. Les éducateurs(trices) de jeunes enfants sont des travailleurs(ses)
sociaux(les) spécialistes de la petite enfance, leur mission principale consiste
à « accompagner des jeunes enfants, dans une démarche éducative et sociale
globale, en lien avec leur famille » (décret du 3 novembre 2005). Leurs
fonctions se situent à trois niveaux : éducation, prévention, coordination.
Ils (elles) s’attachent à favoriser le développement global et harmonieux des
268
PET
enfants en stimulant leurs potentialités intellectuelles, affectives, artistiques
ainsi que leurs compétences sociales. Ils (elles) ont pour mission d’adapter
leurs interventions aux différentes populations, de lutter contre les risques
d’exclusion, de prévenir les inadaptations socio-médico-psychologiques
(décret du 3 novembre 2005). Les différentes reconfigurations du métier
ont eu pour conséquences d’étendre les compétences des EJE aux familles :
en créant les conditions devant permettre la construction de liens sociaux,
ils (elles) accompagnent et soutiennent les parents dans leur fonction
éducative.
Les éducateurs(trices) de jeunes enfants sont employé(e)s par les collec-
tivités territoriales (municipalités et départements), la fonction publique
hospitalière, les associations et les entreprises privées. Au cours des quinze
dernières années, leurs secteurs d’intervention se sont largement diversifiés
puisqu’ils (elles) peuvent intervenir dans :
➤ le secteur socio-éducatif : établissements et services d’accueil pour
enfants de moins de six ans, établissements et services sociaux, services
d’aide à domicile ;
➤ le secteur sanitaire ;
➤ le secteur médico-social ;
➤ le secteur de l’assistance éducative ;
➤ le secteur du loisir, de la culture et de l’animation ;
➤ le secteur de l’éducation ;
Et dans tout lieu pouvant accueillir de jeunes enfants.
Dans les établissements et services d’accueil pour enfants de moins de
six ans, l’éducateur(trice) de jeunes enfants est en général le (la) seul(e) P
représentant(e) de la profession, puisque le décret n◦ 2007-230 du 20 février
2007 réglementant les qualifications nécessaires à l’exercice professionnel
dans ces structures fixe le ratio EJE/enfants à au moins un demi-poste
d’EJE pour 25 enfants, puis à un demi-poste par tranche de 20 enfants
supplémentaires.
Les assistant(e)s maternel(le)s
Ce n’est qu’en 1977 que les assistant(e)s maternel(le)s obtiennent un
statut légal avec la loi du 17 mai 1977. De nourrices, ils (elles) deviennent
assistant(e)s maternel(le)s et sont chargé(e)s d’une mission éducative.
Cependant, il faut attendre la loi du 12 juillet 1992 pour qu’une formation
d’une durée de 60 heures (dans le cadre de l’agrément à titre non
permanent) ou de 120 heures (dans le cadre de l’agrément à titre permanent)
soit rendue obligatoire. Cette loi va dans le sens du mouvement de

269
PET
professionnalisation du métier qui s’est engagé dans les années 1980 en
réglementant les conditions d’exercice de la profession et en modifiant la
procédure d’agrément. Les assistant(e)s maternel(le)s constituent le corps
le plus important en nombre des métiers de la petite enfance puisqu’au
31 décembre 1999, 400 000 assistant(e)s maternel(le)s agréé(e)s étaient
recensé(e)s. La profession d’assistant(e)s maternel(le)s est également la
profession d’éducation des jeunes enfants la plus ancienne. En effet,
la garde et l’éducation des bébés et des jeunes enfants ont toujours
constitué une préoccupation, mais cette prise en charge a pris des modalités
différentes en fonction du contexte socio-historique, des connaissances
et des représentations sociales de l’enfance. Si en Occident, la garde des
jeunes enfants a été pensée et organisée collectivement assez récemment
(en France, la première salle d’asile apparaît en 1826 et la première crèche
en 1844), la garde des jeunes enfants en dehors de leur famille ne constitue
cependant pas une innovation du XIXe siècle. En effet, la mise en nourrice et
les premières réglementations en la matière remonteraient, selon les auteurs,
à 1545 ou à 1714. Certaines réglementations sont même bien plus anciennes
puisqu’on en trouve trace dans le Code d’Hammourabi (XVIIIe siècle avant
J.-C.) et que, en France, une ordonnance royale du 30 janvier 1350 fixe les
salaires des nourrices et des « recommanderesses ».
La loi n◦ 2005-706 du 27 juin 2005 relative aux assistants maternels et aux
assistants familiaux, modifie le statut des assistant(e)s maternel(le)s et des
assistant(e)s familiaux(les). Elle vise notamment à renforcer la formation
des assistant(e)s maternel(le)s, dans les conditions fixées par le décret
P n◦ 2006-464 du 20 avril 2006. Le volume horaire de formation est accru
passant de 60 heures à 120 heures, dont 60 heures doivent être effectuées
avant l’accueil du premier enfant. La redéfinition et le renforcement de
la formation doivent participer à la professionnalisation du métier. Si
depuis l’institutionnalisation de l’accueil de mineurs à son domicile, les
acteurs de l’accueil à titre non permanent comme de l’accueil permanent
(dans le cadre de la protection de l’enfance notamment) n’étaient pas
différenciés par l’appellation du métier, cette loi distingue dorénavant le
champ d’intervention en réservant l’appellation « assistant maternel » à
l’accueil non permanent et l’appellation « assistant familial » à l’accueil
permanent.

Mots clés
petite enfance, secteur, puériculture, assistante maternelle, éducateurs
de jeunes enfants, professionnalisation, soin

270
PLA
Références bibliographiques
BESSIN Marc, « Le travail social est-il féminin ? », in ION Jacques (dir.), Le
travail social en débat[s], La découverte, 2005, pp. 152-169
BESSIN Marc, « La dimension genrée du travail social », in Chantiers
politiques, n◦ 3, second semestre 2005, pp. 79-89
BOSSE-PLATIÈRE Suzon, Les maternités professionnelles, Érès, 1989
CHAPLAIN Didier-Luc, CUSTOS-LUCIDI Marie-France, Les métiers de la petite
enfance. Des professions en quête d’identité, La Découverte, 2001
DONZELOT Jacques, La police des familles, Éditions de Minuit, 1977
GASSIER Jacqueline, DE SAINT-SAUVEUR Colette, Le guide de la puéricultrice,
Masson, 2007
LE CAPITAINE Bruno, KARPOWICZ Annick, Guide de l’éducateur de jeunes
enfants, Dunod, 2007
LELONG Marcel, La Protection Maternelle et Infantile. Rôle de la puéricultrice,
Les Publications médico-sociales, 1951
MURCIER Nicolas, « Petite enfance et rapports sociaux de sexe : la formation
des professionnel-le-s de la petite enfance, idéologies et représentations
sociales », in GUICHARD-CLAUDIC Y., KERGOAT D. et VILBROD A. (coord.),
L’inversion du genre. Quand les métiers masculins se conjuguent au féminin
et réciproquement, Presses Universitaires de Rennes, 2008
MURCIER Nicolas, « Le loup dans la bergerie. Prime éducation et rapports
sociaux de sexe », in Recherches et Prévisions, n◦ 80, juin 2005, pp. 67-75
VERDÈS-LEROUX Jeannine, Le travail social, Éditions de Minuit, 1978 P
ION Jacques, TRICART Jean-Paul, Les travailleurs sociaux, La Découverte,
1992
Mu.N

Placement
Le placement est une prise en charge d’une durée variable de jour et de nuit
par un lieu spécifique (établissement social ou médico-social, lieu de vie...)
d’enfants et d’adolescents devant être protégés temporairement, du fait de
maltraitance physique et/ou psychologique et/ou dont les parents sont dans
une situation de vulnérabilité sociale, psychologique, économique. Si le
placement désigne le plus souvent un accueil en collectivité ou dans un
établissement désigné par le terme « foyer » d’enfants et/ou d’adolescents,
il concerne également l’accueil d’adultes (Maison d’Accueil Spécialisé, foyer
médicalisé...) dont la problématique individuelle nécessite une prise en

271
PLA
charge médicale et/ou psychologique, axée sur l’accession progressive à
une forme d’autonomie notamment dans le champ médico-social. Au-delà
de la typologie des institutions, de leurs projets respectifs, le partage du
quotidien en est le dénominateur commun.
Le placement porte en lui le fait de déplacer une personne d’un lieu vers
un autre : il introduit un mouvement qui fait séparation voire rupture avec
l’environnement originel de la personne que bon nombre d’établissements
sociaux et médico-sociaux tentent de tempérer en postulant, par exemple
la proximité avec les familles. À l’inverse, d’autres considèrent que le
placement ne peut prendre sens sans une distance réelle avec les parents :
dans ce cas, il est impératif que l’enfant ou l’adolescent soit éloigné de sa
famille géographiquement pour se construire sur le plan psychique et social.
« Placer un enfant » dans un établissement social ou médico-social est loin
d’être une fin en soi, mais une première étape souvent essentielle d’un long
processus où les actions socio-éducatives dispensées encouragent autant que
possible un travail d’élaboration auprès des parents et des enfants concernés :
dans cette perspective, il s’agit bien pour le travailleur social d’identifier et
de nommer les raisons du placement, de les comprendre (non pas de les
justifier) en regard du contexte global avec l’ensemble des protagonistes,
d’instiller une dynamique de changement servie par différentes médiations
qu’elles soient thérapeutiques, éducatives et/ou pédagogiques.
Ce temps de séparation nécessaire repose sur une finalité fondamentale :
celle de protéger sur une durée variable un enfant ou un adolescent
d’une situation dont la gravité est reconnue parce qu’objectivée par les
P professionnels. Pour autant, cette nécessité de séparer n’enlève en rien la
souffrance ou la douleur liée au fait de ne plus être ensemble. Il n’est pas rare
que les parents évoquent un sentiment de dépossession, celui d’être jugés
en tant que « mauvais parents » par des éducateurs « prétendument bons »
ou à l’inverse développent des attitudes d’abandon à l’égard de leur enfant :
autant d’émotions, d’affects, de bouleversements jalonnant le placement
qui doivent impérativement être l’objet d’une attention, d’une réflexion,
d’échanges entre les professionnels mais aussi avec l’enfant et ses parents
dans la mesure du possible.
Le placement a toujours été au centre de vives polémiques au point de
questionner son bien fondé : c’est évoquer ici la vie autarcique des internats
éducatifs, la notion d’enfermement, la maltraitance institutionnelle, la
faiblesse de la collaboration avec les parents, la substitution à la famille,
la difficile conciliation des rythmes individuels et collectifs, un accompa-
gnement éducatif incapable de privilégier une approche personnalisée. Ces
272
PLA
critiques s’adressent à des professionnels en mal de reconnaissance d’autant
qu’ils sont souvent qualifiés de « garde-chiourmes », terme hérité d’un
passé tourmenté. À cet égard, le retour sur l’histoire du travail social plus
particulièrement axé sur la protection de l’enfance demeure indispensable
pour en saisir les héritages et ses conséquences sur le présent.
Selon Jacques Donzelot, sous l’Ancien Régime, la famille est la plus petite
organisation politique dont découlent deux conséquences s’agissant de
l’exercice du pouvoir social : si le chef de famille ou le pater familias doit
garantir la fidélité à l’ordre public, il détient à l’égard de ses membres
un pouvoir quasi-discrétionnaire au point qu’il puisse faire d’eux l’usage
qui lui convient. L’augmentation exponentielle de la pauvreté au cours
du XVIIIe siècle et de la délinquance juvénile remet fondamentalement
en cause ce « pacte ». L’autorité paternelle est vigoureusement attaquée
et remise en cause dans ses fondations. Ceci signe à la fois l’émergence
d’un interventionnisme étatique et d’œuvres philanthropiques s’efforçant
de traiter la pauvreté dans sa globalité en organisant consécutivement la
protection de l’enfant. La promulgation de deux lois préfigure de l’arsenal
juridique à venir de la protection de l’enfance : la première du 24 juillet
1889 officialise la prise en compte des enfants moralement abandonnés et
maltraités ; la seconde du 19 avril 1898 s’oriente vers les enfants martyrs,
victimes plus particulièrement de sévices physiques. Le décret du 30 octobre
1935 institue l’assistance éducative en intégrant explicitement les notions
de prévention et d’intérêt de l’enfant.
Il s’agit bien de privilégier l’éducation de l’enfant dans son milieu naturel,
le placement intervient par conséquent en l’absence d’autres alternatives. Il P
devient une ultime solution pour endiguer le désordre social grandissant
et pallier les carences et/ou les excès de la puissance paternelle et/ou des
familles jugées « indignes » et « dangereuses ». Le « marché de l’enfance
inadaptée », écrit Francine Muel-Dreyfus se développe au XIXe siècle avec
l’industrialisation : à titre d’illustration, une cinquantaine de colonies
agricoles – internats de régénération des jeunes vagabonds éloignés de
la pollution urbaine — sont créées entre 1838 et 1850 et assurent le
« dressage » de jeunes colons sur un mode coercitif. Loin d’être un fait
isolé, l’éloignement des enfants de leurs familles dites « pathogènes » est
préconisé et cautionné notamment par la psychiatrie infantile. Cet héritage
historique a largement imprégné les pratiques et l’imaginaire des travailleurs
sociaux, notamment des éducateurs spécialisés. « Le rapt d’enfants » en est
certainement la représentation la plus forte bien que cette pratique tienne
davantage du mythe que de la réalité historique.

273
PLA
Après la seconde guerre mondiale, un double mouvement s’opère et
s’affronte au travers de débats parfois idéologiques et souvent passionnés :
alors que les pratiques de placement se développent, elles génèrent dans
le même temps des critiques et des remises en question. Les expériences
cliniques et les travaux poursuivis par plusieurs médecins, psychologues
(John Bowlby, Michel Soulé, Jenny Aubry pour ne citer qu’eux) démontrent à
la fois les effets nocifs du placement mais aussi les dangers de la séparation. Ils
pointent respectivement la durée interminable des placements, la séparation
de l’enfant de son milieu d’origine, les conditions de vie aliénantes, l’état
déplorable des enfants et postulent le maintien des liens entre le parent
et l’enfant selon des modalités définies. Près de soixante ans plus tard,
ce débat reste d’actualité et oscille invariablement, dans ses extrémités,
entre « l’idéologie du lien » soit le refus d’admettre qu’un lien puisse être
négatif entre l’enfant et sa famille et la rupture – une séparation brute
et quasi-définitive entre l’enfant et sa famille aux dépens de l’évolution
possible d’une situation. À ce jour, l’esprit des dernières lois notamment
celle de mars 2007 réformant la protection de l’enfance s’oriente davantage
vers le maintien des liens entre l’enfant et ses parents : la famille est ici
considérée comme le lieu d’éducation prioritaire de l’enfant bien qu’elle
soit sous surveillance et puisse faire l’objet, le cas échéant, de mesures de
prévention, d’aides ponctuelles.
Sous l’angle juridique, le placement s’inscrit dans un cadre particulier
qui nécessite d’être précisé dans ses caractéristiques générales : il peut être
administratif ou judiciaire. S’agissant du premier, il est souvent à l’origine
P de la famille ou du parent qui sollicite une aide pour ses enfants mais peut
être aussi proposé par les travailleurs sociaux. Appelé techniquement accueil
provisoire ou temporaire, il se matérialise par un contrat d’accueil signé
entre les parents et le représentant de l’Aide Sociale à l’Enfance qui fixe,
entre autres, les droits de visite et d’hébergement, le montant éventuel de
la participation aux frais relatifs au placement, sa durée. Dans ce cas, le
parent, détenteur de l’autorité parentale et de son exercice, peut interrompre
théoriquement le placement de son enfant dans un établissement s’il le
souhaite. En cela, le placement judiciaire ou mesure d’assistance éducative
assortie d’une mesure de placement varie considérablement. Aboutissement
d’une procédure spécifique incluant une phase d’instruction et de décision
menée par le Juge des Enfants, le placement est ordonné s’il est nécessaire de
retirer l’enfant de son milieu actuel en raison du danger auquel il est exposé.
L’adhésion de la famille doit être recherchée dans la mesure du possible, ceci
afin de favoriser la collaboration entre les parents et les professionnels quand

274
PLA
la situation le recommande. Par sa décision dûment motivée, le Juge des
Enfants fixe la fréquence des droits de visite, de sortie, et d’hébergement des
parents ainsi que la contribution familiale aux frais de placement du mineur,
détermine la durée de la mesure qui ne peut excéder deux ans. Cette décision
peut être modifiée à tout moment à partir d’un rapport circonstancié à la
demande de la famille, du service missionné, de l’établissement d’accueil.
Le parent conserve l’autorité parentale et son exercice hormis le droit de
garde confié au service gardien ou directement à un établissement.
Concrètement, le placement d’un enfant, d’un adolescent et même d’un
adulte dans un établissement social ou médico-social occasionne de
nombreux changements : la multiplication des interlocuteurs à l’intérieur et
à l’extérieur de l’établissement d’accueil, une séparation voire une rupture
avec l’environnement originel (la famille, le quartier, l’école, les amis, le
cadre de vie, les habitudes...). Malgré les différentes prises en charge, la vie
en collectivité se traduit par un quotidien partagé avec autrui au travers
d’interactions multiples, par l’existence de repères dont l’une des fonctions
est de rechercher la stabilité, par la mise en place d’activités — leviers
indispensables encourageant le développement du potentiel et valorisant les
ressources de la personne et du groupe —, par la mise en œuvre d’un suivi
sur la base d’un projet personnalisé. Dans le même temps, le placement
renvoie aussi et parfois trop souvent à une forme d’enfermement social
et psychique, à l’opposition souvent faite entre l’individu et le groupe
et à la difficulté de concilier les rythmes individuels et collectifs, à un
quotidien routinier, banal, répétitif dépourvu de créativité, à la propension
de l’éducateur à se substituer à la famille, aux dérives institutionnelles, à la P
vacuité ou à l’absence de projet d’établissement...
De façon plus nuancée, le placement doit être l’occasion de définir avec
la personne son projet pour une durée déterminée : il s’agit bien ici d’en
définir les modalités, de les mettre en œuvre, d’évaluer les conséquences
de la séparation en s’appuyant sur les observations quotidiennes des
professionnels, celles des usagers, principaux acteurs de leur projet,
d’accompagner la construction sociale et psychique de la personne. C’est
sans doute à ce prix, loin des positions dogmatiques et/ou approximatives et
en s’attachant à la singularité inhérente à chaque situation, qu’un placement
prend sens et est producteur d’effets « suffisamment bons ».

Mots clés
foyer, protection, éloignement, accueil temporaire

275
PRÉ
Références bibliographiques
BERGER Maurice, Les séparations à but thérapeutique, Dunod, 2004
FUSTIER Paul, Les corridors du quotidien, Dunod, 2008
LE GOFF Yann, Le quotidien en internat, Vuibert, 2007
VERDIER Pierre, Le placement en miettes, Dunod, 2004
So.C

Prévention spécialisée
La prévention spécialisée fonde son existence à travers plusieurs expérimen-
tations à la fin de la seconde guerre mondiale, suite à la prise de conscience
par le corps social des difficultés rencontrées par la jeunesse.
Une figure majeure, le psychiatre Fernand Deligny crée, en 1943, un centre
d’accueil dans un quartier de Lille. Selon lui, avec une approche trop ciblée
sur la maladie mentale, les structures fermées ne donnent qu’une vision
partielle de la marginalité sociale qui doit pouvoir être interprétée dans un
cadre plus général. Dans le même esprit, en 1948, avec l’appui pédagogique
d’un ancien scout, le magistrat Jean Chazal organise une prise en charge
d’un délinquant avec son groupe d’amis, avec une volonté de restaurer
leur confiance vis-à-vis de leur environnement. Une année plus tard, en
1949, un délégué de la liberté surveillée met en place une organisation
pédagogique autour d’activités sportives dans un quartier défavorisé de
Nancy. On retrouve le même juge Jean Chazal en 1953 avec la création du
« Club des Réglisses » auquel participent des travailleurs sociaux mobilisés
P dans un travail de partenariat avec l’Éducation Nationale, l’animation, les
loisirs notamment. À Rouen, en 1953, un membre de la jeunesse ouvrière
chrétienne développe une activité fondée sur la pratique sportive, la boxe
notamment, avec des effets repérés sur la diminution de la délinquance au
plan local. C’est en 1957 qu’apparaissent les bandes de blousons noirs à
Villeurbanne et l’expérimentation de l’ouverture vers l’extérieur d’un foyer
de semi-liberté pour des jeunes confiés par mandat judiciaire.
La prévention spécialisée s’est ainsi progressivement constituée comme un
mode alternatif à l’action sociale déjà existante. Sa démarche a consisté à
rencontrer des publics adolescents et des jeunes adultes qui n’entraient pas
dans les cadres de la socialisation classique.
Les éducateurs de prévention spécialisée ont donc organisé une méthodo-
logie originale et souple, permettant de ciseler au cas par cas des actions
socialisantes sur des principes historiques. Par le travail de rue et l’absence
de mandat nominatif, les éducateurs approchent des jeunes libres d’adhérer

276
PRÉ
à la relation qui leur est proposée, tout en respectant leur anonymat. Il relève
alors de leur responsabilité de pouvoir susciter un véritable intérêt. Aux
alentours des années 1970, la prévention spécialisée est devenue une action
sociale reconnue et labellisée par les pouvoirs publics. Ainsi, le 4 juillet 1972,
avec l’arrêté instituant le Comité technique de prévention spécialisée, puis
actualisé par l’arrêté interministériel du 11 mars 1986, ce métier se dote
d’une référence technique, contribuant ainsi à donner une voix officielle à
l’action produite. Cette période est aussi celle où l’on entérine les grands
principes de l’intervention qui constitueront jusqu’à ce jour le socle du
métier.
Aujourd’hui, la prévention spécialisée relève de la responsabilité du Conseil
Général et de l’aide sociale à l’enfance. Même si elle est inscrite au titre de
ses missions dans le Code de l’action sociale et des familles, elle n’est pas une
dépense obligatoire. À partir d’une volonté commune du Conseil Général
et de la ville qui sollicite une intervention de cette nature, la prévention
spécialisée agit sans mandat nominatif. Elle est en capacité d’instruire, au
cas par cas, dans le milieu où elle intervient, des actions d’éducation et de
promotion des personnes selon le diagnostic qu’elle établit.
Les références légales actuelles de la prévention spécialisée sont les articles
L. 121-2 et L. 221-1-2 du Code de l’action sociale et des familles (CASF)
et, depuis le 1er décembre 2005, elle relève du champ d’application de la
loi du 2 janvier 2002 (article L. 312-11 du CASF). Par ailleurs, précisément
parce que la nature des difficultés rencontrées résulte de facteurs socio-
économiques et éducatifs, les éducateurs sont amenés à articuler leurs actions
avec les différentes parties prenantes de la vie sociale au quotidien. C’est en P
cela que la prévention spécialisée « intervient sur le milieu » pour prévenir la
marginalisation. En ce sens, elle s’apparente à une forme de développement
social local. Elle est aussi concernée par la prévention de la délinquance, et
ce dès 1982, avec le rapport Face à la délinquance : prévention, répression,
solidarité, de la commission des maires sur la sécurité présidée par Gilbert
Bonnemaison. Ceci débouche sur la création des conseils communaux de
prévention de la délinquance (CCPD), auxquels est associée la prévention
spécialisée, accompagnant ainsi la consolidation des politiques de la ville.
Aujourd’hui, la prévention spécialisée est aussi inscrite dans les réseaux
d’acteurs professionnels relevant des programmes de réussite éducative,
ou dans ceux qui ont vocation à prévenir de la délinquance, comme avec
les contrats locaux ou intercommunaux de sécurité et de prévention de la
délinquance, conformément à la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention
de la délinquance. Les éducateurs de prévention spécialisée sont soumis

277
PRÉ
au secret professionnel en raison de l’inscription de leurs missions dans le
champ de l’aide sociale à l’enfance. Toutefois, comme le précise l’article L.
221-6 du CASF, ils sont tenus de transmettre sans délai au président du
Conseil Général les informations nécessaires pour déterminer les mesures
dont les mineurs et leurs familles peuvent bénéficier. Néanmoins, depuis la
loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, les professionnels
qui mettent en oeuvre la politique de protection de l’enfance définie à
l’article L. 112-3 sont autorisés à partager entre eux des informations à
caractère secret.
Avec la loi de prévention de la délinquance du 5 mars 2007, on retrouve la
même autorisation à partager des informations à caractère secret, mais en
allant au-delà des seuls professionnels de l’action sociale (article 8 de la loi).
Dans les deux cas, il s’agit d’une exception à l’article 226-13 du Code pénal
qui rappelle que
« la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en
est dépositaire soit par état, soit par profession, soit en raison d’une fonction
ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de
15 000 € d’amende. »

La prévention spécialisée relève d’abord de la protection de l’enfance, tout


en restant mobilisée sur les questions locales et urbaines. C’est d’ailleurs
l’un des enjeux essentiels du débat qui traverse cette profession pour qui
il ne saurait y avoir de prévention d’actes délinquants sans que l’on traite
d’abord la question éducative. De ce point de vue, c’est la prévention et
P l’accompagnement qui prévalent comme axes prioritaires et non celui de la
répression. De ce fait, la prévention spécialisée est souvent apparue comme
une action quelque peu désolidarisée de l’environnement et du tissu des
acteurs engagés pour la résolution des difficultés locales ; notamment en
matière de délinquance. Il est parfois reproché aux éducateurs de protéger
les jeunes qui causent des troubles, en refusant de partager de l’information
qui pourraient servir à mieux travailler en partenariat.
Face à l’attente de réponses immédiates et concrètes, les professionnels
de la prévention spécialisée ont souvent mis en avant qu’ils n’étaient pas
mobilisés dans une logique de prévention situationnelle ; autrement dit,
qu’ils n’avaient pas vocation à être les « pompiers du social ». Ainsi, entre des
autorités publiques et des habitants qui ont pu attendre un positionnement
éducatif inscrit dans le territoire pour énoncer une parole qui soit respectée
par des adolescents et jeunes adultes et des professionnels qui ne souhaitaient

278
PRÉ
pas être assimilés à des auxiliaires de police, les incompréhensions ont pu
être nombreuses.
Un autre principe essentiel est celui de la non-institutionnalisation des
actions. Dans la mesure où l’on était encore en situation d’imaginer que
la difficulté économique aurait à être résolue, dans les années 1970, la
prévention spécialisée ne présentait pas d’intérêt à perdurer à travers les
années. En effet, par l’action conjuguée des différentes institutions et
l’appui momentané d’une intervention souple et répondant de manière très
précise et contextualisée à des besoins locaux, on pouvait raisonnablement
imaginer que cette forme d’action sociale travaillait à sa propre fin, une
fois l’évaluation positive réalisée à partir du diagnostic établi préalablement.
Les attentes des pouvoirs publics qui financent l’action, et particulièrement
celle des communes, cherchent à s’assurer que la mission s’adresse bien
aux publics les plus en difficulté et marginalisés ; ceux qui ne sont a priori
pas intégrés dans les dispositifs classiques tels que les services d’animation
jeunesse.

Mots clés
délinquance, action sociale, éducateurs, difficulté sociale, jeunesse,
animation, environnement, expérimentations, principes, quartiers

Références bibliographiques
BERLIOZ Gilbert, La prévention dans tous ses états. Histoire critique des
éducateurs de rue, L’Harmattan, 2003
P
BOUSQUET Richard et LENOIR Éric, La prévention de la délinquance, PUF,
2009
CATANI Maurizio et VERNEY Pierre, préfacé par Paul RICOEUR, Se ranger des
voitures, Méridiens-Klincksieck, 1986
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spécialisée, Paris, 1988
LASCOUMES Pierre, Prévention et contrôle social, les contradictions du travail
social, Masson, 1977
PETITCLERC (Jean-Marie) : Les nouvelles délinquances des jeunes. Violences
urbaines et réponses éducatives, Dunod, 2001
PEYRE Vincent et TÉTARD Françoise, Des éducateurs dans la rue : Histoire de
la prévention spécialisée, La Découverte, 2006

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PRO
LE REST Pascal, Métier d’éducateur de prévention spécialisée, La Découverte,
2007
ROPERS Philippe et VERNEY Pierre, préfacé par Paul DURNING, La prévention
spécialisée, Un projet coopératif, Vuibert, 2008
Ro.P

Projet socioéducatif
Le projet est la conséquence d’une volonté qui opère un changement
en anticipant l’état d’un avenir, conformément à un désir clairement
formulé, articulé avec les contraintes internes et externes de mise en
œuvre. Il existe deux grands types de projet : le projet linéaire qui vise
une modification par rapport à l’état antérieur et le projet circulaire qui
vise au contraire une continuité dans le cadre d’une évolution qui ramène
finalement près du point de départ. Ces deux grandes philosophies de projet
déterminent historiquement deux grands types de civilisation : la première
est habituellement présentée comme « développée » et la seconde comme
« traditionnelle ». Indépendamment du jugement porté par ces deux types
de mises en œuvre, ces projets sont aussi légitimes l’un que l’autre, dans la
mesure où ils visent à produire du futur. Ainsi, la nature du projet ne se
détermine aucunement par son sens, ni par ses effets, mais bien en fonction
d’une ambition de produire de l’avenir.
Conformément à son étymologie, projicio (du latin jeter en avant, expulser),
le projet est une anticipation d’un changement à avenir et d’avenir. Il s’agit
d’un pronostic portant sur un futur envisagé et les moyens prescrits pour
P atteindre cet objectif. La réforme généralisée des diplômes du travail social
a fait la part belle au projet, qui trace la route d’une méthodologie capable
de tenter d’influencer l’avenir de ses usagers. En ce sens, le travail social,
selon la démarche dite de projet, est aujourd’hui tenu d’annoncer sa volonté,
les moyens pour y parvenir et d’évaluer ses résultats. Ainsi, chaque métier
est amené à décliner son projet professionnel de manière explicite, en
veillant à conserver son unicité tout en participant à la complémentarité
des approches qui fondent la profession que chacun ; en fonction de son
histoire, participe à constituer. Cette logique qui repose sur la formalisation
écrite des étapes pour « y arriver », marque une (r)évolution majeure de la
professionnalité du travail social, qui jusqu’alors préférait « en parler ».
La méthodologie de projet implique une modification du langage et donc
du vocabulaire professionnel : les finalités (principes et valeurs portés par
l’action) ; les buts (visée générale qui permet d’atteindre les finalités) ; les
objectifs généraux (intention concrète des résultats escomptés) ; les objectifs
280
PRO
opérationnels (division de l’objectif général en actions) ; les moyens (réalités
concrètes qui permettent la réalisation du projet et se déclinent en termes
humains, matériels, financiers, etc.).
Il existe ainsi aujourd’hui une pluralité de projets en travail social : le projet
associatif exprime l’idéal que l’institution vise à travers l’ensemble de ses
activités ; le projet d’établissement ou de service décline les objectifs et les
moyens spécifiques, selon les compétences des professionnels de la structure,
qui permettent d’atteindre la finalité associative. Le plus souvent le projet
socio-éducatif se structure autour des réponses apportées à un problème
social précis ; le projet d’activité est un outil qui permet de contribuer
au projet d’établissement en réalisant une médiation entre l’usager et
l’éducateur ; le projet personnalisé (individualisé ou individuel) fixe des
objectifs à chaque personne en fonction de ses désirs et de ses capacités,
dans une mise en perspective temporelle.
Quelles sont les conséquences probables de l’avènement de cette rhéto-
rique du projet ? Elle implique le développement d’une méthodologie
formalisée d’interventions en travail social. En quittant l’empirisme
intra-institutionnel, cette nouvelle production méthodologique vise une
expérimentation partagée, transmissible et discutée, grâce à une théorisation
collective. Pour ce faire, seul le développement d’une théorie de l’action
dans le cadre d’une science du travail social appliquée peut garantir son
développement. Cette production s’inscrit résolument dans une perspective,
de démarche en processus et non en procédures. Si le processus est ouvert
au changement et s’inscrit dans la durée et l’espace, la procédure contrôle,
réglemente et entrave arbitrairement la dynamique de changement. Si la P
méthodologie en procédure est parfaite pour fabriquer des objets ou des
services à la consommation, le projet en travail social n’est pas une route
préétablie à l’avance, mais un chemin parcouru au côté de l’usager en
fonction de son désir, de ses potentialités, des aléas de l’environnement,
dans une perspective de pérennisation. Le travailleur social ne peut donc
concevoir un projet cohérent « tout-fait » qui serait universel. La démarche
doit se co-construire avec l’usager en créant les conditions de l’émergence
et du respect du désir profond de la personne accompagnée.
En cela, le projet socio-éducatif ne peut se résumer à un projet normatif.
Le défi méthodologique de tout projet socio-éducatif est de construire les
modalités d’un cheminement, garanti par le travailleur social, en fonction
du désir profond de l’usager. Si les mœurs, la morale, la culture ou encore
les valeurs sont des éléments qui participent au cheminement, le point
d’arrivée est avant tout déterminé par les choix de chaque usager. L’enjeu

281
PRO
déontologique du projet socio-éducatif est donc de garantir un chemin,
mais aucunement le point d’arrivée, qui appartient à l’usager. Ainsi, le
projet socio-éducatif est une volonté professionnelle qui met en œuvre un
changement existentiel, en anticipant l’état d’un avenir social d’individus
ou de groupes, conformément à l’articulation de leurs désirs clairement
formulés, de leurs potentialités et des exigences environnementales propres
à toute socialisation. Le projet existentiel vise le passage du « vivre » à
« l’exister ». Dans le premier cas, la personne est l’acteur de propre vie, dans
le second, elle est aussi et surtout auteur, grâce à sa capacité à faire valoir
ses propres choix. Le désir de l’accompagné ne peut être déconnecté de ses
potentialités. La difficulté méthodologique est donc de négocier un chemin
réaliste, sans toutefois fermer totalement la porte aux illusions qui parfois
se réalisent.
Il convient de différencier le projet de l’usager de celui du professionnel,
mais aussi celui qui unit les deux, dans un cadre institutionnel. Seul le
dernier constitue un projet socio-éducatif. Tous les projets ne peuvent être
accompagnés par le travail social, notamment ceux qui sont contraires à
la loi pénale, aux textes réglementaires ou institutionnels. Pour autant, un
acte délictueux, par exemple, n’entraîne pas obligatoirement la fin du suivi
socio-éducatif, même s’il en réoriente le chemin. Il n’est pas demandé au
professionnel de soutenir l’acte délictueux, qui relève d’un projet de vie, mais
d’en intégrer le sens et les conséquences dans le projet socio-éducatif. Le
cadre légal, au sens large, représente une limite fondamentale à l’acceptation
du désir de l’usager dans la mise en œuvre du projet socio-éducatif. Libre à
P ce dernier de l’exercer dans son projet de vie que le projet socio-éducatif
doit alors prendre en compte, sans devoir pour autant le cautionner et
parfois même en s’en dissociant.
Cette méthodologie de projet en processus implique l’évaluation tout au
long de son élaboration, avec six objectifs :
➤ faire évoluer les pratiques et les compétences ;
➤ produire des connaissances pour nourrir la décision ;
➤ renouveler le dialogue ;
➤ valoriser l’action conduite ;
➤ adapter et anticiper les besoins sociaux ;
➤ interpeller, pour contribuer à l’évolution du secteur.
Il est nécessaire de distinguer plusieurs objets d’évaluation de projet : une
politique sociale ; un partenaire extérieur ; le fonctionnement de son propre
service ; sa propre équipe ; un binôme, l’action d’un collègue ; de sa propre
activité ; une méthode éducative ; un ensemble de suivis éducatifs ; un

282
PRO
suivi éducatif isolé ; une séquence de suivi éducatif (un accompagnement
ponctuel, par exemple) ; un outil éducatif récurrent (par exemple un
atelier hebdomadaire) ; une séquence d’un outil éducatif récurrent ; une
activité éducative ponctuelle ou encore une instance institutionnelle relevant
du travail d’équipe (réunion d’équipe ou avec les usagers, par exemple).
Le principal enjeu technique de l’évaluation du projet socioéducatif est
d’objectiver la réalité éducative en fonction des objectifs retenus. La difficulté
consiste à déterminer des éléments suffisamment précis qui permettent de
mesurer la réalité observée, en limitant les risques d’interprétation inhérente
à la relation humaine.
Ainsi posé, le paradigme du projet en travail social représente une mutation
importante de la professionnalité qui l’accompagne. L’enjeu fondamental
de tout projet en travail social est de distinguer ce qui appartient à qui : si
le travailleur social est le garant méthodologique, l’usager doit être placé
en position de faire des choix. Cette technicisation doit cependant résister
à une approche gestionnaire qui déterminerait une absolue rationalité
au profit d’une dimension humaniste. Et pour ce faire, la relation doit
rester le principal support de tout projet, comme outil mais aussi comme
finalité : indépendamment du projet technique, l’établissement d’une
relation humaine entre le professionnel et l’usager est déjà un projet en
soi, lorsque chacun se reconnaît dans sa singularité et son humanité.
La complexité irréductible du travail social nécessite en revanche de se
pencher méthodologiquement sur la plus difficile des questions : comment
compenser le fait que l’appareillage cognitif humain ne puisse cerner la
complexité de la réalité ? P
Mots clés
méthodologie, évaluation, science humaine, processus, déontologie,
existence, désir, choix

Références bibliographiques
ALFÖLDI Francis, Évaluer en protection de l’enfance. Théorie et méthode,
Dunod, 3e édition, 2010
BOUTINET Jean-Pierre, Anthropologie du projet, PUF, 1990
BRICHAUX Jean, L’éducateur spécialisé en question(s). La professionnalisation
de l’acticité socio-éducative, Érès, 2001
FUSTIER Paul, Le lien d’accompagnement. Entre don et contrat salarial, Dunod,
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GABERAN Philippe, Être éducateur dans une société en crise. Un engagement,
un métier, ESF, 1998
MARPEAU Jacques, Le processus éducatif. La construction de la personne comme
sujet responsable de ses actes, Érès, 2001
PAPAY Jacques, L’évaluation des pratiques dans le secteur social et médico-social,
Vuibert, 2007
DE ROBERTIS Christina, Méthodologie de l’intervention en travail social,
Bayard centurion, 2007
RULLAC Stéphane et SORIS Cécile, Conception et conduite du projet éducatif
spécialisé, Vuibert, 2009
Ru.S

Prostitution
La prostitution désigne une relation sexuelle monnayée entre deux
personnes. Il existe donc un marché économique qui comporte une offre et
une demande. Étymologiquement, le terme vient du verbe latin prostituere
qui signifie « placer devant, exposer aux yeux ».
Il n’est guère de sujet plus polémique que celui de la prostitution. Parmi les
féministes, un large clivage divise celles dites « pro- sexe », qui défendent le
droit de disposer de son corps et celles dites « radicales », qui voient dans le
travail sexuel le paradigme de la domination masculine et considèrent que
toutes sont des victimes. Parallèlement, les tenants de la morale condamnent
fermement l’activité en question, quel que soit son mode d’exercice.
P Il faut cependant adopter une posture nuancée pour décrire et comprendre
cette population, officiellement (sous)-évaluée en France à 20 000 personnes.
Qu’il s’agisse du sexe des personnes, de leur genre, de leur orientation
sexuelle, de leur rapport à la norme, de leur conception de l’activité en
jeu, de leur passé, de l’entrée dans l’activité, le monde de la prostitution est
extrêmement hétéroclite. Face à une majorité de femmes, on observe une
composante masculine élevée (1/3 de la population). À côté de la prostitution
d’hommes jeunes, les transgenres (transsexuels, travestis), dont beaucoup
sont originaires d’Amérique Latine, proposent des services sexuels à d’autres
hommes. Une première distinction s’impose à partir de la notion de « choix »
ou d’adhésion à la pratique de cette activité. Les femmes non contraintes par
un tiers, dites « traditionnelles » et les hommes se prostituant de leur plein
gré, ne peuvent être assimilés aux personnes toxicomanes et aux victimes
de réseaux mafieux qui sont arrivées en France dès la fin des années 90
(femmes de l’Est sous la coupe de proxénètes, Africaines anglophones aux

284
PRO
mains de filières, jeunes Roumains victimes de réseaux). Les premiers se
prostituent volontairement, les autres sont contraint(e)s à l’exercice de la
prostitution pour rembourser une dette vis-à-vis d’un dealer, d’un passeur
ou au bénéfice de proxénètes. Les Chinoises, quant à elles, sont arrivées
progressivement à partir de 2000. Pour la plupart, elles gèrent leurs gains
elles-mêmes, sachant toutefois qu’elles ont une dette envers un passeur, leur
objectif premier étant l’amélioration de leurs conditions de vie ainsi que
celles de leurs enfants restés au pays. Toujours au regard de la question du
« choix », il faut souligner qu’une très grande majorité de transgenres est
contrainte de se prostituer en raison des discriminations qu’elles rencontrent
sur le marché du travail.
Il existe trois types de cadres juridiques encadrant l’exercice de la
prostitution. Le réglementarisme consiste à encadrer un « mal nécessaire » :
les femmes sont enregistrées auprès des autorités compétentes et contrôlées
médicalement. L’abolitionnisme, à l’origine, visait à abolir la réglementation
de la prostitution, aujourd’hui le terme a pris le sens d’éradication du
phénomène prostitutionnel ; le prohibitionnisme, lui, interdit l’exercice de
la prostitution et pénalise clients et prostitué(e)s. La France a une position
ambiguë dans la mesure où la prostitution est licite, mais le racolage interdit.
De tout temps, les prostituées ont eu affaire à la police. L’attitude des forces de
l’ordre à leur égard dépend de celle des gouvernements en place. En France,
depuis le 18 mars 2003, les femmes et les transgenres sont régulièrement
interpellées sur leur lieu de travail par la police, chargée de faire appliquer
les dispositions contenues dans la LSI. La loi prévoit une peine de deux mois
d’emprisonnement et une amende de 3 750 € pour racolage. Cette loi, qui P
avait pour but affiché de lutter contre les réseaux, a en fait considérablement
aggravé la situation des étrangères mais aussi des Françaises et permis
l’expulsion de plusieurs centaines de femmes de l’Est. Elle a fragilisé leurs
capacités à faire face aux exigences du métier, elle constitue une menace pour
la santé publique sachant qu’un client sur deux demande une relation non
protégée et a généré des pratiques délictueuses (agressions et proxénétisme).
L’USIT (Unité de Soutien aux Investigations Territoriales), où sont conduits
les femmes et les transgenres – plus particulièrement les étrangères - a été
créée le 18 octobre 2003 pour traiter les affaires de racolage à Paris. Lors des
comparutions devant les tribunaux pour délit de racolage, les peines infligées
ont été, dans la plupart des cas, bien inférieures aux dispositions de la loi.
Enfin, face au comportement de certains policiers, la commission « citoyen,
justice, police » de la LDH a été saisie par des femmes et des transgenres,
donnant lieu, après audition des personnes, à la publication d’un rapport

285
PRO
en 2005 « Prostitution, de nouvelles zones de non droit, des prostituées
face à l’arbitraire policier ». Ce rapport fait état de dysfonctionnements
graves de la part des forces de l’ordre (racket, subornations de témoins, vol,
chantage).
Diverses structures interviennent auprès des prostitué(e)s. Elles relèvent
essentiellement du secteur associatif. Les prestations des différentes ONG
se déclinent selon quatre options.
1. Les associations de santé communautaire, tout en se dotant de profes-
sionnels du travail social, privilégient une proximité avec la population
prostitutionnelle en salariant des femmes prostituées ou ayant exercé
par le passé pour répondre aux demandes et assurer une prévention des
différents risques inhérents au métier.
2. Les associations à caractère humanitaire interviennent sur la base
des questions de santé existantes (toxicomanie, problèmes liés à la
désinsertion).
3. Les associations de lutte contre le sida ont une approche de réduc-
tion des risques, essentiellement ceux liés aux maladies sexuellement
transmissibles (IST, VIH).
4. Les associations d’obédience catholique apportent un soutien spirituel
aux personnes qui en sont demandeuses, tout en œuvrant à la réinsertion
de toutes les personnes rencontrées. Ces associations estiment que se
prostituer contrevient au respect des normes morales qui sont les leurs
et militent pour un monde sans prostitution.
Le fonctionnement de toutes ces institutions est sensiblement le même : les
P prises de contact se font généralement dans la rue, lors des tournées
des « bus » de prévention, lorsque des demandes d’aides spécifiques
(logement, IVG, problèmes financiers, régularisations administratives, etc.)
sont formulées, un rendez-vous est fixé et les personnes sont reçues dans
les locaux des différentes structures.

Mots clés
migration, associations, répression

Références bibliographiques
CARTHONNET Claire, J’ai des choses à vous dire. Une prostituée témoigne,
Robert Laffont, 2003

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GUILLEMAUT Françoise, Femmes migrantes. Enjeux de l’épidémie à VIH et
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HANDMAN Marie-Élisabeth, MOSSUZ-LAVAU, Jeanine (dir.), La prostitution
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PHETERSON Gaïl, Le prisme de la prostitution, L’Harmattan, 2001
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TABET Paola, Du don au tarif. Les relations sexuelles impliquant une
compensation, Les Temps Modernes, n◦ 490, 1987
Gi.F

Protection de l’enfance
La protection de l’enfance est un ensemble de dispositifs administratifs,
éducatifs et judiciaires qui permet de protéger l’enfant de toutes les situations
de maltraitance ou qui peuvent représenter un danger pour son avenir, que
ce soit au niveau de sa sécurité, de sa moralité ou de son éducation. Elle P
assure une protection contre les violences physiques, psychiques, sexuelles,
les carences éducatives, les défaillances parentales liées à des problèmes
psychologiques ou à un environnement précaire. Elle a pour but également
d’accompagner les familles et de prévenir les difficultés auxquelles elles
peuvent être confrontées.
La protection de l’enfance a suivi l’évolution du regard de la société sur
l’enfant. Plusieurs étapes ont marqué des changements importants dont le
premier est la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789,
qui permet de ne plus considérer l’enfant comme un objet mais comme un
sujet. L’intervention publique s’oriente d’abord vers l’accueil des orphelins
puis sous l’impulsion de Saint-Vincent-de-Paul, des hospices hébergent
des enfants trouvés et vagabond et confient les plus jeunes à des nourrices
allaitantes rémunérées. Au XXe siècle, avec la reconnaissance des droits de
l’enfant, la protection de l’enfance se construit à travers des textes essentiels :
287
PRO
➤ La loi du 22 juillet 1912 cherche à introduire la spécialisation de la justice
et à adapter les tribunaux au traitement judiciaire de la délinquance
juvénile. Elle prévoit l’exclusion de la responsabilité pénale des enfants,
le choix de mesures relevant de l’assistance éducative des plus jeunes et
de la liberté surveillée des adolescents.
➤ La loi du 30 octobre 1935, relative à la protection des mineurs fugueurs
ou vagabonds qui instaure l’assistance éducative.
➤ L’ordonnance du 2 février 1945 marque un tournant important en
créant les juges pour enfants, en introduisant les enquêtes sociales et les
mesures de placement. Elle définit clairement la primauté de l’éducatif
sur le répressif.
➤ Le décret du 24 février 1956 marque la création d’un service d’aide
sociale à l’enfance centré sur l’enfant et donnant lieu à une action
préventive.
➤ Avec la Ve République, la protection de l’enfance devient une politique
publique spécifique, relevant de la responsabilité de l’État. L’ordonnance
du 23 décembre 1958 met en place la protection judiciaire de l’enfance
en danger et le décret du 7 janvier 1959, la protection de l’enfance en
danger.
➤ Les mesures relatives à la prévention des mauvais traitements à l’égard
des mineurs sont introduites dans la loi du 10 juillet 1989.
➤ Le dispositif de la protection de l’enfance a été considérablement
modifié par les lois de décentralisation, par la convention des droits
de l’enfant, ainsi que par les réformes de l’autorité parentale, de
P l’adoption et de l’assistance éducative. Avec la décentralisation, deux
outils complémentaires permettent d’améliorer le dispositif : le schéma
départemental de l’enfance et le numéro vert 119-Allo enfance maltraitée,
qui rend le signalement accessible à tous.
➤ En 1993, L’O.D.A.S (Observatoire Décentralisé de l’Action Sociale)
distingue l’enfant maltraité, l’enfant en risque et l’enfant en danger.
➤ La loi du 2 janvier 2002 resitue l’enfant au cœur du dispositif en mettant
l’accent sur son intérêt, la prise en compte de ses besoins et le respect de
ses droits, elle insiste sur la mise en place d’une prise en charge adaptée
et diversifiée.
➤ La loi du 5 mars 2007, réformant la protection de l’enfance, clarifie le
fonctionnement et les articulations entre la protection de l’enfance, la
protection judiciaire et les autres acteurs du secteur de l’enfance.
➤ La loi du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance, place
les maires au cœur de la prévention de la délinquance, en demandant

288
PRO
aux travailleurs sociaux de transmettre leurs informations concernant
les familles rencontrant des difficultés.
Actuellement les missions de la protection de l’enfance sont assurées par
le département qui a pour mission la protection sociale de l’enfance. Trois
services se partagent ces missions : l’A.S.E (Aide Sociale à l’Enfance), la
P.M.I. (Protection Maternelle et Infantile) et le service social départemental.
La protection judiciaire de la jeunesse reste sous la responsabilité de l’État
avec l’intervention de différents services comme l’Éducation Nationale, la
police, la gendarmerie, les affaires sanitaires et sociales. La prévention est
assurée par l’A.S.E. et les acteurs associatifs habilités. Les actions éducatives à
domicile A.E.D., ou les Actions Éducatives en Milieu Ouvert : A.E.M.O sont
décidées par le conseil général. Plusieurs dispositifs de placements existent :
les pouponnières à caractère social, les foyers de l’enfance, les M.E.C.S.
(Maison d’Enfants à Caractère Social), les centres de placement familial
à domicile, les établissements d’accueil mère-enfant. Lorsque l’urgence
est avérée, ou lorsque les parents refusent toute aide, le juge des enfants
peut ordonner une AEMO judiciaire ou une mesure de placement en
famille d’accueil ou en établissement, Il peut également décider de mesures
d’enquête : I.O.E. : Investigation et Orientation Éducative assurée par la
P.J.J. (Protection Judiciaire de la Jeunesse), un placement en C.E.F. (Centre
Éducatif Fermé) ou un T.I.G. (Travaux d’Intérêt Général).
La loi de 2007, réformant la protection de l’enfance, amène deux nouveaux
dispositifs : la cellule départementale de recueil de traitement et d’évaluation
et l’observatoire de l’enfance en danger. Pour les travailleurs sociaux, cette
cellule départementale est un apport majeur car sa création dans chaque P
département doit contribuer à harmoniser les pratiques sur l’ensemble du
territoire national. L’objectif essentiel est de fiabiliser le dispositif, et de faire
en sorte que toute information à propos d’un enfant ou d’un adolescent
qui suscite de l’inquiétude soit prise en compte et traitée. Cela implique
une articulation renforcée entre les acteurs concernés par la protection
de l’enfance et un assouplissement des règles du partage d’information.
Les travailleurs sociaux sont ainsi invités à coopérer d’avantage entre
eux, pour partager leurs informations, évaluer les situations individuelles,
déterminer et mettre en œuvre, ensemble, des actions de protection et
d’accompagnement en direction du mineur et de sa famille.
La loi de 2007, relative à la prévention de la délinquance, implique le maire
dans l’aide et l’orientation des familles en difficulté, il pourra proposer aux
parents de mineurs en situation difficile un « accompagnement parental »
en réunissant un « Conseil pour les droits et devoirs des familles », et il

289
PRO
aura la possibilité de désigner un coordonnateur parmi les travailleurs
sociaux. Prévue pour améliorer la sécurité et la prévention, cette loi
comporte quelques écueils car le conseil national des villes constate « une
absence quasi-systématique de sa mise en œuvre ». L’article 8 prévoit que
les travailleurs sociaux, jusque-là soumis au secret professionnel, échangent
leurs informations avec le maire sur certaines familles en difficulté, ce
qui entraine des réticences chez tous les acteurs et un climat de méfiance
vis-à-vis des maires. Pour les travailleurs sociaux, cette nouvelle orientation
est vécue comme une sorte « d’ingérence », elle interroge leurs valeurs et
met à mal les relations de confiance entrepris auprès des jeunes et de leur
famille.
Les professionnels de la protection de l’enfance peuvent être confrontés à un
paradoxe entre certaines de leurs missions et leurs valeurs. Ils ont à se situer
entre l’aide et le contrôle. Dans le cadre de l’évaluation d’informations
préoccupantes, ils doivent se présenter au domicile des usagers, suite à
un appel du 119, ou à un appel du voisinage relayé par la cellule. En
cas de non-collaboration des usagers et en fonction de la gravité des
éléments cités dans l’écrit transmis, ils renvoient à la cellule qui transmet au
magistrat. La mission d’aide, sur laquelle ils ont construit leur pratique, peut
sembler en décalage avec la démarche de contrôle qui leur est demandée,
démarche qualifiée parfois de rappel aux normes. Enfin, évaluer est un
acte professionnel, qui peut être une démarche douloureuse et difficile et
qui met à mal leurs émotions, leurs identifications, leur subjectivité, c’est
pourquoi, travailler dans ce secteur demande une solide formation, une
P réflexion et une analyse permanente des pratiques professionnelles.

Mots clés
danger, risque, maltraitance, protection, réforme, aide, contrôle,
évaluation

Références bibliographiques
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DONZELOT Jacques, La police des familles, Éditions de Minuit, 2005
VASSEUR Paul, Protection de l’enfance et cohésion sociale du IV e au XXe siècle,
L’Harmattan, 2006
Du.F
De.C

290
PSY
Psychologue
Le terme « psychologie », qui correspond à l’étude scientifique des
phénomènes de l’esprit et de l’âme, est apparu au XVIe siècle, du mot
grec « psukhé » qui signifie « âme ». Le psychologue a suivi un cursus
universitaire d’un minimum cinq ans, théorique et pratique, qui aboutit à
un master. Ce diplôme est obligatoire pour exercer. Le titre de psychologue
est protégé et reconnu par l’État depuis 1985.
Le psychologue intervient dans divers champs et appartient à différents
courants théoriques et pratiques. Il utilise des méthodes d’intervention
variées en fonction de sa spécialité (psychologie expérimentale, clinique et
psychopathologique, génétique, cognitive, comportementale, différentielle,
du travail, sociale, animale). La psychologie clinique et psychopathologique,
la psychologie sociale, la psychologie comportementale et cognitive croisent
les chemins du travail social.
La complémentarité entre le travailleur social et le psychologue est possible et
nécessaire. Pour cela, le respect de la singularité de chacun et l’identification
des rôles et des fonctions de chacun sont nécessaires. Tous deux travaillent
autour d’une préoccupation commune, le mieux-être de la personne, et sont
animés par une dynamique commune, envie de faire évoluer la personne, en
tant qu’individu singulier, dans son approche globale et environnementale.
La démarche du psychologue repose sur trois axes essentiels : interprétatif,
explicatif, compréhensif. Le psychologue peut avoir une fonction institution-
nelle auprès de l’équipe pluridisciplinaire, animation de réunions, analyse
des pratiques, groupe de parole. Il peut avoir une place de psychothérapeute
auprès des usagers, il peut participer à la prévention et au dépistage de retards
P
de développement ou de troubles mentaux. Le psychologue peut être dans
la guidance d’enfants, adolescents ou adultes, et dans l’accompagnement
des familles. Il trouve sa place dans l’évaluation psychologique, tant sur le
fonctionnement de la personne et la pose du diagnostic à partir d’outils
spécifiques (entretiens, tests, etc.).
Le psychologue peut orienter la prise en charge d’une personne selon une
approche théorique spécifique (orientation systémique, comportementale,
psychanalytique etc.). Il peut être à la réalisation de recherche dans tous les
domaines de la psychologie et peut élaborer des hypothèses, des enquêtes,
expérimentations puis dépouiller et faire la synthèse des résultats. Observer,
écouter, évaluer, conseiller, analyser, comprendre, élaborer sont les mots
clés pour l’exercice du métier de psychologue.

291
PSY
Il est important de préciser que le psychologue n’est pas un médecin.
Il ne peut pas prescrire de médicaments. Il fait partie des équipes
pluridisciplinaires des établissements et services du secteur social et
médico-social.
Le psychologue contribue de manière déterminante à guider le travailleur
social dans la compréhension de la souffrance psychique, en vue d’un
accompagnement le mieux adapté. Cette compétence professionnelle permet
d’éviter que les actions socio-éducatives produisent ou accentuent des
troubles déjà installés, de mieux repérer le développement de nouvelles
manifestations et permet aux travailleurs sociaux d’orienter les personnes
concernées vers des spécialistes. La psychologie permet également d’apporter
un éclairage pour discerner les enjeux de la relation entre le travailleur social
et les usagers. Le professionnel est alors mieux armé pour distinguer et
comprendre les concepts et mécanismes de transfert et contre-transfert
dans la relation éducative, de projection et identification.
Gr.M

292
Q
Quotidien
Penser le travail social, et plus particulièrement l’acte éducatif, semble
osciller depuis ses multiples origines et en fonction des théories, entre la
représentation d’actes courts, intenses, source d’efforts et dramatiques, ou
au contraire comme résultant de temps longs partagés qui servent de cadre
à l’expérience des sujets. Entre le temps bref « de la révélation » et celui
de « l’imprégnation », l’approche de l’acte social semble hésiter ou plutôt
résulter de la conjonction de ces deux temporalités. Ainsi, dans le cadre de
prise en charge en institution, il est possible de trouver des professionnels
hautement qualifiés sur certains temps courts (enseignements, rééducations)
et d’autres chargés de la vie quotidienne, qui interviennent par leur moindre
spécialisation et qualification, dans un accompagnement dans la durée.
L’intervention courte, dramatisée, spécialisée, est donc valorisée, au moins
sur le plan des statuts et des carrières, qui restent l’apanage des professions
supérieures du social et de l’éducation. Q
Cependant, ces représentations ne donnent plus lieu aujourd’hui à des
échelles de valeur assumées. Peu de professionnels oseraient reproduire
le mépris qui restait attaché, il y a trente ans encore, à ce que l’on
appelle aujourd’hui les « fonctions du care » (du soin, du nourrissage,
etc.). Pourtant, cette stricte répartition a constitué un dogme indiscutable,
hérité du XIXe siècle : Jean Itard, médecin attendait de ses séances régulières
et conflictuelles avec Victor, l’enfant sauvage, tous les progrès et confiait
l’enfant à sa chambrière pour tous les besoins bassement corporels.
Si le quotidien est aujourd’hui réhabilité au point que l’on définisse
couramment le travail des éducateurs à partir du verbe « accompagner »,
indissociable de la notion de quotidien, il n’en reste pas moins que cette
dimension reste difficile à penser comme un temps donnant, par exemple,

293
QUO
l’élaboration d’une théorie digne de ce nom. Pourtant, travailler dans le
quotidien nécessite en effet une mobilisation des capacités d’observation et
d’intervention qui va bien au-delà des objectifs éducatifs et pédagogiques que
l’on pourrait développer à l’occasion d’une activité davantage circonscrite
dans le temps et l’espace. Pour le dire autrement, travailler dans et avec le
quotidien, représente un travail complexe et contradictoire entre le temps
long et court :
➤ Travailler avec et dans le quotidien nécessite une pluralité d’acteurs,
ainsi que la prise en compte de l’ensemble de l’environnement éducatif.
Cette optique implique donc en retour un véritable travail d’équipe et
une analyse concertée et partagée des pratiques.
➤ La lente élaboration de la relation éducative, à partir et à travers le
quotidien, nécessite l’acquisition de « savoir-être relationnels » plus
nombreux et plus adaptés de la part des acteurs socio-éducatifs. Ce
travail du et au quotidien implique une proximité qui nécessite, non
pas d’éviter mais d’analyser les implications affectives et sociales qui en
résultent.
Le quotidien représente une dimension incompressible du travail social.
Davantage présent pour les professionnels de l’accompagnement, le travail
sur et dans le quotidien concerne cependant à différents titres l’ensemble
des travailleurs sociaux du point de vue de la prise en compte du temps
nécessairement long de l’intervention socio-éducative.

Mots clés
quotidien, durée, chronicité, continuité, polyvalence
Q
Références bibliographiques
CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Érès, 1996
FUSTIER Paul, Les corridors du quotidien, Dunod, 2008
« Itard et son sauvage », in MANONNI Octave, Clefs pour l’imaginaire ou
l’Autre Scéne, Seuil, 1985
ROUZEL Joseph, Le quotidien en éducation spécialisée, Dunod, 2004
Ot.L

294
R
Recherche-action
La création de la recherche-action est attribuée à Kurt Lewin. Ce type de
recherche a pour objectif de produire des connaissances scientifiques,
de comprendre le fonctionnement social, mais aussi de modifier ce
qui est étudié, dans une démarche participative des acteurs impliqués,
dans un système interactif avec les chercheurs. Cette perspective vise à
introduire de la nouveauté dans le processus de co-construction de la réalité
sociale, en modifiant la façon dont les acteurs sociaux appréhendent leur
environnement. La recherche-action comporte quatre caractéristiques :
c’est une recherche fondamentale, une recherche sur l’action, pour l’action
et en action du fait de la participation des sujets à la réflexion et de son
efficacité en termes de changement.
La recherche-action est d’abord un dispositif d’action qui sert des fins telles
que l’éducation, la formation. En même temps, elle rend visible certains
phénomènes et formalise des connaissances à la disposition des praticiens
engagés dans une activité collective. Cette réflexion vise à la fois à améliorer
le fonctionnement du dispositif d’action et à augmenter la connaissance sur R
les institutions. La recherche-action a d’abord une visée pratique mais aussi
une visée plus théorique, destinée à retourner à la pratique pour l’éclairer.
Si l’action est première, la connaissance extraite est remise à la disposition
de l’action.
Cette démarche vise la compréhension et la résolution de problèmes pour
les acteurs sociaux et la production de connaissances pour le chercheur, qui
théorise à partir des données recueillies sur le terrain. Ce mode de recherches
dites « impliquées », réalisées « en situation », tente d’accompagner des
projets de développement avec la participation des acteurs sociaux ; elles
engagent le chercheur dans des problématiques singulières qui appellent
des préconisations adaptées, en amenant chercheurs et praticiens à adopter

295
REC
d’autres postures. Alors, l’objet de recherche est co-construit à partir d’une
situation-problème dans un objectif de trouver des solutions d’action, sans
perdre de vue la rigueur méthodologique de la recherche.
Ces recherches réfutent une conception objectiviste de l’activité scientifique
et critique la posture habituelle d’extériorité du chercheur. Elles contestent
l’habituel division du travail entre intellectuel et travail de terrain, entre
chercheurs et praticiens, entre ceux qui savent et ceux qui n’ont pas à
chercher. Elles permettent d’articuler deux entités habituellement pensées
séparément : la théorie et la pratique. Elles mettent en synergie les deux
logiques de la recherche et de l’action, qui paraissent antinomiques, voire
contradictoires, mais qui doivent être pensées ensemble dans des projets de
développement.
En créant des ponts entre monde universitaire et monde professionnel, dans
une confrontation de cultures différentes, la recherche-action est un vecteur
puissant d’innovation sociale et de changement. Certains voient dans la
recherche-action un simple prolongement de la recherche traditionnelle
en sciences sociales, d’autres, une révolution épistémologique. En tout état
de cause, la recherche-action postule de la nécessité d’un nouveau rapport
entre le chercheur et l’objet de la recherche et un déplacement du champ
de la recherche.
Dans le champ du travail social, la recherche-action — dans ses pratiques
dites actives, collectives, participatives ou interactives — tente de réconcilier
théorie et pratique sociale en accompagnant des actions destinées à des
populations en difficulté, dans une visée de changement social. Chercheur,
intervenant social et usagers, sont considérés comme détenteurs de modes
différents et complémentaires de compréhension et d’interprétation de la
réalité sociale : l’un ne dominant pas l’autre, mais où chacun a un rôle
R complémentaire. Le chercheur est perçu comme praticien du savoir et
producteur de connaissance, alors que le travailleur social est vu comme
praticien de l’action sociale et agent social de changement. Enfin, l’usager
est compris comme sujet de son expérience et participant à des projets de
développement. En construisant un rapport entre ces trois types d’acteurs,
la recherche-action se situe à la source des questions vives qui se posent sur le
terrain du travail social et fait de la production du savoir et de l’élaboration
des stratégies sociales de changement, une construction faite en commun.
Ces démarches participatives sont d’autant plus pertinentes que l’interven-
tion sociale, devenant de plus en plus complexe, multiple et hétérogène,
nécessite de créer des situations d’élaboration de projet en commun. Ces
processus collectifs permettent de comprendre, mais aussi de maîtriser
296
REC
la complexité, pour établir une coopération en s’appuyant davantage sur
les savoirs et les réflexions d’acteurs sociaux différents. L’accent est mis
sur le processus où les chercheurs ne sont plus les détenteurs uniques
du savoir mais favorisent l’élaboration d’un travail en commun, avec
les traductions sociales nécessaires entre des mondes sociaux différents :
chercheur, travailleur social, bénéficiaire. Alors, les logiques, les rationalités,
les points de vue différents, sont traduits dans le langage des uns et des autres ;
condition de l’émergence d’une coopération où les manières différentes
de construire la réalité orientent à la fois les hypothèses de la recherche et
celles de l’action. En revanche, il existe toujours une incertitude quant aux
résultats.
La recherche-action, ouverte à l’inconnu sans hypothèse de départ, provoque
des réticences par le fait qu’elle participe au dévoilement du fonctionnement
des institutions et remet souvent en question des pratiques sociales bien
établies. Mais c’est une méthode pertinente de mobilisation des acteurs dans
des processus d’innovation qui, pour se développer, nécessitent des espaces
où l’action n’a pas encore été programmée et où peuvent s’expérimenter
d’autres pratiques par apprentissages collectifs. La démarche est inductive :
acteur dans le système d’action, le chercheur suit l’innovation « en train
de se faire », observe les relations sociales qui se nouent et se densifient à
cette occasion, accompagne les processus individuels et collectifs liés à son
émergence. La recherche-action permet d’objectiver les connaissances ainsi
produites qui retourneront à l’action par l’appropriation des acteurs qui y
trouveront sens et usage.
Dans la formation des travailleurs sociaux, il est possible de mener des
recherche-actions qui impliquent étudiants, professionnels, formateurs,
chercheurs et usagers dans des projets d’investigation à partir d’une
problématique co-construite en commun. Ce sont des démarches inductives R
qui partent des représentations et de l’expérience des participants ainsi que
des difficultés et besoins rencontrés par les publics dans les situations
d’interaction pour aller enquêter sur le terrain puis analyser les réponses
apportées et leurs effets sous l’éclairage des savoirs savants.
Ce questionnement permanent — suscité par la rencontre entre recherche
et action, théorie et pratique, entre chercheurs et praticiens, l’un devenant
l’autre — crée des connaissances et des méthodes nouvelles dans une
transmission auprès des étudiants. La recherche-action est susceptible de
déboucher sur une nouvelle posture et une nouvelle place du chercheur dans
le travail social : ce dernier est alors aussi reconnu dans ses compétences de
praticien du social, en tant que « savant de l’intérieur ». Cette posture se

297
RÉF
démarque fondamentalement de la recherche classique en sciences sociales,
qui ne souhaite habituellement pas s’immiscer dans l’opérationnalité de ce
champ. La finalité est de refaire dialoguer chercheurs, formateurs, étudiants,
travailleurs sociaux et usagers.

Mots clés
recherche compréhensive, action, changement, innovation, coopéra-
tion, travail social, implication, situation d’interaction, apprentissage
collectif.

Bibliographie
ALBALADEJO C., CASABIANCA F., « La recherche-action. Ambitions, pratiques,
débats », in Études et recherches, n◦ 30, 1997
ARDOINO J., « La recherche-action, une alternative épistémologique. Une
révolution copernicienne », in MESNIER P.M. et MISSOTTE P. (dir.), La
recherche-action, une autre manière de chercher, se former, transformer,
L’Harmattan, pp.41-49, 2003
AUTÈS M., Travail social et changement social. Analyse d’une action recherche
en milieu défavorisé, Lille, CAF, 1981
BARBIER R., La recherche-action, Economica, 1996
DUGUÉ E., NIVOLLE P., « La circulation des savoirs entre chercheurs,
formateurs et professionnels. L’exemple du travail social », in Éducation
permanente, n◦ 177, pp.147-158, 2008
GRIÈRE J., Éléments théoriques – La recherche-action, Réseau des hautes
études des pratiques sociales – Université de la Sorbonne nouvelle, 1993
R LAPASSADE, G, Familles de recherche-action. De l’ethnographie de l’école à
la nouvelle recherche-action, Document dactylographie, Université Paris
VIII, 1993
« Recherche et intervention sociale. Comprendre et « agir » les changements
en cours aux marges », Les politiques sociales, n◦ 3 et 4, 2007
VeRSPIEREN M.R., Recherche-action de type stratégique et science(s) de
l’éducation, L’Harmattan, 1991
To.C

Référence individuelle
Historiquement, ce qu’il est convenu d’appeler « la référence individuelle »
a été introduit dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux
298
RÉF
en réaction aux effets des logiques et fonctionnements collectifs et
institutionnels essentiellement dans le secteur de l’éducation spécialisée.
Puisque les institutions comportaient des règles, des obligations qui
s’imposaient aux personnes souvent de façon brutale et directe, il fallait créer
une sorte de contre-feu qui veillerait à ce que chaque personne accueillie soit
considérée dans sa singularité, et ce contre-feu fut le « référent individuel ».
Beaucoup d’institutions continuent d’utiliser la référence individuelle
de cette manière mais on observe un changement majeur, qui consiste
désormais à définir la référence comme celle du projet personnalisé et non
plus celle de la personne. Ainsi, dans les nouveaux projets d’établissement
ou de service et dans les référentiels de bonnes pratiques, il sera question
de « Référent du projet » en lieu et place de « Référent de la personne ».
Pourquoi cette évolution ?
Le bilan du référent de la personne est assez contrasté. Certes, au début de leur
mise en place (dans les années 70), cette référence qui consistait à ce qu’un
professionnel s’occupe plus précisément d’un certain nombre de personnes,
a produit des effets bénéfiques en regard des logiques institutionnelles.
Cependant, à la longue, il a été observé une sorte de sédimentation des
relations. Les personnes accueillies ne voulaient parler qu’à leurs référents,
les référents eux-mêmes privilégiaient leurs référés et chaque professionnel
renvoyait les personnes accueillies vers leurs référents alors qu’il aurait pu
traiter lui-même les questions posées. Ce qui aurait pu se faire en relation
avec le référent officiel. Ainsi donc, des iniquités ont pu se créer. De façon
involontaire bien sûr, mais il était nécessaire de réagir.
La loi du 2 janvier 2002, rénovant l’action sociale et médico-sociale, celle
du 11 février 2005 sur l’égalité des chances et la participation des personnes
handicapées et les recommandations de l’ANESMS (décembre 2008 :
« Attentes de la personne et projet personnalisé ») ont facilité l’évolution. R
En effet, l’objet de l’intervention sociale et médico-sociale y est redéfini
comme « les réponses aux attentes et aux besoins des personnes ». Ainsi, le
centre de gravité des pratiques a changé. Progressivement, les professionnels
membres de l’équipe pluridisciplinaire se définissent comme contributeurs
des projets personnalisés. Les réponses aux attentes et aux besoins étant
assurées par la cohérence des interventions multiples prévues dans les
projets personnalisés à partir d’une évaluation plurielle des problématiques
présentes. Si l’on se place désormais de ce point de vue-là, la référence
individuelle consiste à garantir un processus qualitatif de travail à propos
des projets personnalisés :

299
RÉF
➤ Veiller a ce que toutes les personnes disposent d’un projet personnalisé
auquel elles auront contribué.
➤ Suivre leur mise en place concrète (emploi du temps, mobilisation des
moyens)
➤ Évaluer les actions entreprises selon les objectifs fixés et les observations
faites.
➤ Garantir la cohérence de la dynamique de travail en se référant aux
cadres institutionnels de fonctionnement.
➤ Fournir l’ensemble des documents écrits qui portent la trace des étapes
du processus de travail.
La référence individuelle peut être portée par une personne précise, le
référent, ou partagée entre deux personnes, le référent et le co-référent.
Peu importent les modalités retenues, l’essentiel, c’est que l’objet de la
référence individuelle soit le projet personnalisé. Cette nouvelle définition
de la référence n’enferme plus les protagonistes dans des rôles fermés
et exclusifs. Rien n’empêche que la personne accueillie puisse privilégier
certaines relations avec des professionnels qui ne sont pas les référents. Il ne
doit y avoir aucune rivalité ni exclusivité. La personne accueillie reste maître
de ses choix et les professionnels, de leur côté, ordonnent leurs rôles et leurs
pratiques en regard de ce qui a été défini en équipe pluridisciplinaire. Le
tout est synthétisé dans le projet personnalisé qui vient, en quelque sorte,
médiatiser les processus relationnels.
Mais pour que la référence individuelle, définie comme nous venons de
le faire, puisse être mise en place, il faut que l’équipe fonctionne selon le
modèle de ce que j’ai appelé la « cohérence-référence », en lieu et place
de l’individualisme des pratiques. Dans la « cohérence-référence », les
acteurs professionnels sont reliés entre eux par des valeurs et des principes
R d’action explicites et partagés. Ces références communes ne s’opposent
pas du tout à la personnalisation des actions (chaque professionnel agit
avec ce qu’il est) mais ces caractéristiques personnelles s’articulent autour
des principes partagés. Il en est ainsi de la référence individuelle qui doit
pouvoir s’exercer dans le respect de ce que sont les personnes référentes. La
définition commune et la prise en compte des différentes étapes et exigences
des processus de travail interviennent alors comme des jalons qui évitent la
personnalisation exclusive, productrice de rapports de captation.

Mots clés
cohérence, équipe, attentes, besoins, projet personnalisé, processus

300
RÉF
Références bibliographiques
Recommandation de l’ANESMS, « Attentes de la personne et projet
personnalisé », décembre 2008
MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, Érès, 2001
PAPAY Jacques, Communication en travail social, Vuibert, 2009
Pa.J

Réflexivité
La réflexivité n’est pas une capacité uniquement indispensable aux
travailleurs sociaux. Toutes les activités humaines doivent être empreintes
d’une telle dimension, afin de mettre en perspective les enjeux de sa
propre action. La réflexivité est une démarche qui consiste à se tourner
vers soi-même pour mieux comprendre autrui. Il s’agit par conséquent
d’interroger sa propre subjectivité, pour l’objectiver et ainsi mieux saisir ce
qui appartient à ceux qui nous entourent. Chaque être humain possède sa
propre vision du monde et peine à séparer ce qu’il croit de ce qui est. La
difficulté et la responsabilité à tenter de le faire malgré tout, augmentent à
mesure qu’un individu doit se saisir de la réalité d’autrui, afin de la modifier
d’une quelconque manière. C’est bien entendu le cas des travailleurs sociaux
qui ont une sphère d’influence à faire valoir auprès de leurs usagers. Il est
alors primordial de dégager les déterminations personnelles du professionnel
pour que les réponses apportées répondent aux besoins de l’usager et non à
ceux de celui qui l’accompagne. La réflexivité permet donc en premier lieu
de dégager les déterminations culturelles, névrotiques et personnelles de
l’accompagnement mené par le travailleur social. Il s’agit alors de mesurer sa
propre subjectivité pour ne pas être dupe de soi-même et in fine duper l’autre.
Dans un second temps, la subjectivité de chacun est une sorte de caisse de
résonnance dont la sensibilité permet d’être en contact avec les subjectivités R
environnantes. Dans cette logique, la réflexivité permet d’identifier, à travers
sa propre sensibilité, celle des autres. Alors, la reconnaissance d’une colère
en soi peut aider à cerner la tendance de l’usager à se faire détester. Le travail
d’objectivation permet de ne pas céder à la tentation et, au contraire, de
repérer chez autrui ce qui est le plus souvent indicible et s’exprime le plus
souvent par des passages à l’acte. Ceci est aussi valable pour le travail en
équipe.
Ce travail doit être pris en charge par l’institution où intervient le
professionnel. En la matière, la réunion dite de supervision est un outil
primordial. Elle permet en effet de mesurer le rapport intime à l’objet,
pour offrir une plus grande liberté d’action à soi et aux autres. La nature
301
REL
profondément humaine du travail social rend indispensable cette capacité
à la réflexivité. Il s’agit d’une compétence à acquérir qui implique pour le
professionnel la perception de ses propres déterminants structurants. Ceci
nécessite assurément de cesser de considérer les usagers comme des cas.
Dans son accompagnement, le travailleur social doit s’appliquer la même
rigueur de mise en question que celle qu’il exige de son usager. En ce sens,
la réflexivité du professionnel doit s’intéresser à son propre cas avec toute la
rigueur que son métier lui exige.

Mots clés
objectivité, subjectivité, névrose, supervision

Références bibliographiques
GABÉRAN Philippe, La relation éducative, Érès, 2004
POUGNAUD Odile, ROPERS Philippe et SORIS Cécile, Accompagnement social
et éducatif spécialisé, Vuibert, 2009
ROUZEL Joseph, Le travail d’éducateur spécialisé. Ethique et pratique, Dunod,
2004
ROUZEL Joseph, Le transfert dans la relation éducative : Psychanalyse et travail
social, Dunod, 2005
ROUZEL Joseph, La supervision d’équipes en travail social, Dunod, 2007
Ru.S
Relation
La notion de relation est intrinsèquement liée au travail socio-éducatif.
L’éducation et le social apparaissent même dans le langage courant comme
R une catégorie des relations ; ne parle-t-on pas de relations sociales et de
relations éducatives ?
La relation semble ainsi représenter le dénominateur commun des
professions et des terrains des secteurs social et éducatif. Il paraît ainsi
évident que la relation concerne tout autant l’éducateur spécialisé en
prévention, l’assistant social ou l’éducateur de jeunes enfants. Pour autant
la réflexion et l’observation s’imposent à cette constance. Ainsi, la relation
apparaît pour les travailleurs sociaux, tantôt comme une condition de
leur travail (« il faut pouvoir compter sur une relation préalable avec les
bénéficiaires »), tantôt comme la matière même de ce travail (« le travail »),
et quelques fois même comme une finalité (« établir une relation »). De
même, une analyse du sens de ce terme dans le discours courant, à l’oral
302
REL
ou à l’écrit, permet de marquer une distinction entre le sens des termes :
« relation », « lien » et « contact ».
Le contact semble être le préalable à tout travail. Généralement, le contact
se réalise fortuitement, mais quelques fois, il est provoqué. Dans certaines
situations de travail, comme en prévention spécialisée ou en pédagogie
sociale, le travailleur social se met lui-même en situation de « créer du
contact », de « provoquer la rencontre ». Le « lien social » est souvent
référé chez les travailleurs sociaux d’un point de vue sociologique, comme
l’indicateur d’intégration, de socialisation d’un individu. Il conviendrait
ainsi de « créer du lien », de connaître des « liens forts ». Le lien serait à
la fois ce qui entrave, mais aussi ce qui libère en particulier de la solitude,
de l’isolement ou de la marginalité. Ici, l’emploi du terme rejoint les
conceptions psychologiques référées à la petite enfance : l’importance des
premiers liens. La relation apparaît à la différence de ces deux termes comme
le résultat d’un investissement réciproque ; on peut entrer en contact de
façon non désirée ; on peut être captif de certains liens. A contrario, la
notion de relation implique une réciprocité, une rétroaction et un effort
commun.
Si le terme de relation est souvent sollicité dans le travail social, c’est aussi à
cause du caractère généraliste de ce terme. La relation peut être de toutes
natures : sociale, affective, sexuelle, conflictuelle... Son emploi traduit ainsi
la position particulière de l’éducateur ou du travailleur social : entre vie
privée et vie publique, entre affectivité et socialité. La relation « relie » ainsi
l’ensemble des dimensions de la vie des individus et qui toutes concernent
le travail éducatif. On peut légitimement regretter le flou de ce concept qui
caractérise son emploi. Les travailleurs sociaux qui abusent de formules
toutes faites telles que « le travail sur la relation », sans jamais en préciser
ni les buts, ni les moyens, ni les outils. De même, on peut s’interroger R
sur la nature même de l’optique relationnelle dans le travailleur social ;
considère-t-on un individu isolé, enfermé en lui-même avec lequel il s’agirait
de bâtir une relation ? Où considère-t-on la relation comme un acquis, un
vécu antérieur et permanent qu’il s’agirait de faire évoluer ?
Dans cette réflexion, les travailleurs sociaux peuvent bien entendu prendre
appui sur des concepts issus de certaines disciplines. La notion de relation
concerne ainsi pleinement la psychologie et la sociologie. Pour autant,
l’emploi de ce terme ne permet jamais à lui seul de donner du sens à une
démarche professionnelle. L’éducateur, le travailleur social ne se contente
pas en effet « d’avoir » des relations, et pas davantage non plus de « les
créer », de les « gérer », de les « analyser » ou de les « entretenir ». Le travail

303
REL
socioéducatif se réfère en effet toujours à un cadre : aucune relation ne
peut être travaillée en dehors d’un cadre, que celui-ci soit visible (une
consultation, un établissement), ou invisible (le travail de rue). Il appartient
donc au professionnel de définir et de réfléchir au cadre qui permet ou
induit les relations ; partiellement imposé par sa situation de travail, le cadre
reste pour autant de la responsabilité du professionnel, qui peut le modifier,
l’aménager, l’adapter en fonction des besoins. Seul ce cadre, clairement
défini, explicité, permet à une relation d’être éducative tout en préservant
chacun des protagonistes de tout débordement angoissant.
La relation socio-éducative, par sa professionnalité même, nécessite la
construction d’une méthodologie, en lien avec l’expérience. La relation
socio-éducative doit faire l’objet de distance, mais aussi, sans que cela soit
contradictoire, de proximité. La proximité repose sur la mise en œuvre
de techniques et de véritables outils éducatifs, comme la « congruence »
(correspondance exacte entre l’expérience et la prise de conscience), et
« l’empathie » (mécanisme par lequel un individu peut comprendre les
sentiments et les émotions d’une autre personne voire, dans un sens plus
général, ses schémas de pensée). La distance suppose la mise en œuvre d’une
analyse collective des situations et de l’expérience, généralement réalisée en
équipe pluridisciplinaire.
Le travail à partir de la relation éducative nécessite donc pour le professionnel,
le déploiement d’une triple activité :
➤ l’observation de la relation, qui a ceci de spécifique que le travail social
doit prendre en compte sa propre présence et sa propre implication ;
➤ l’analyse de cette relation qui doit pouvoir faire appel aux connaissances
concernant la personne impliquée (son histoire, son milieu, ses aptitudes,
etc.), mais aussi la mise en perspective des observations avec des notions
R théoriques adaptées ;
➤ l’action sur la relation elle-même, qui suppose la mise en œuvre d’un
dialogue, et d’une véritable « méta-communication » (on parle ensemble
de « notre » communication et de nos relations).
Freud distinguait d’une façon un peu similaire trois temps, celui « pour
voir », celui « pour comprendre » et celui « pour agir ». Dans la réalité
du professionnel, ces temps sont souvent contemporains. Il est pourtant
fondamental de garder une conscience disjointe de ces trois activités, afin
que le professionnel ne confonde pas ses impressions et ses analyses avec
des faits ou avec des actions.

304
RES

Mots clés
lien, contact, cadre, relations sociales, relation éducative

Références bibliographiques
GABERAN Philippe, La relation éducative, Éres, 2007.
ROGERS Carl, Le développement de la personne, Dunod, 2005.
OTT Laurent, Le travail éducatif en milieu ouvert, Éres, 2007
Ot.L

Responsabilité
La responsabilité, dans ses relations avec l’action, se décline en trois temps :
avant, pendant et après. « Avant », la responsabilité est un projet. Les
personnes concernées anticipent les risques contenus dans des situations à
venir et prennent des dispositions préventives. « Pendant », se concrétise
par des attitudes de veille, d’attention soutenue à propos de ce qui se passe,
afin d’être en mesure de modifier l’action selon les effets constatés. Enfin,
« Après » consiste à répondre des conséquences des actes posés.
Dans le secteur de l’action sociale et médico-sociale, la responsabilité est
une question centrale. Elle peut être appréhendée comme un processus
dynamique (la responsabilisation) ou statique (l’état de responsabilité).
Elle peut s’envisager comme une obligation, suivant les contextes et
circonstances, ou bien comme un projet, un engagement auquel il faut
en répondre et en assumer les conséquences. Lorsqu’elle est convoquée,
la responsabilité oscille entre éthique, philosophie et droit ; ce qui la
rend particulièrement complexe et difficile à appréhender car plusieurs
dimensions importantes s’y trouvent entremêlées. De plus, les pratiques se R
développent au sein de situations qui demandent des réponses immédiates
alors qu’il faudrait du temps pour réfléchir avant d’agir.
La responsabilité appelle donc à plusieurs lectures. Dans son usage
juridique, elle se définit par l’obligation de réparer le dommage causé.
Un regard plus philosophique introduit la responsabilité à l’égard des autres,
particulièrement s’il est vulnérable ou fragile. L’introduction de l’Autre,
« promu au rang de l’objet du souci de soi », conduit l’acteur à être source
de responsabilité.
Les réglementations en vigueur énoncent des principes parfois diamétrale-
ment opposés. Ainsi, il faut « protéger » et « socialiser » ou bien « assurer
la confidentialité » et, tout à la fois, le « partage des informations », voire
305
RES
« signaler ». Éduquer ou socialiser impliquent que des risques soient pris.
Il faut se souvenir que l’étymologie indique deux sens au mot « éduquer ».
« Educare » signifie « dresser » et ce premier sens recouvre pour partie
seulement le processus éducatif. Le deuxième sens vient de « e-ducere »
qui veut dire « sortir de ». Un processus éducatif réussi sera attesté par la
capacité de la personne à échapper à ses éducateurs, à s’autoriser à être
ce qu’il est. Il apparaît clairement que les pratiques responsables placent
le travailleur social au cœur de tendances opposées, dans le cadre d’une
tension permanente : d’un côté, dresser, conformer et de l’autre, autoriser,
transgresser. De même la confidentialité prônée s’arrête lorsque le risque
ou le danger sont avérés. Pour les professionnels, tout le problème est alors
de savoir quelles sont les limites à respecter et les conduites à tenir pour
répondre à ces impératifs contradictoires.
Or, précisément, la responsabilité est d’autant plus engagée que les limites
de l’action sont incertaines et reposent sur les qualités de jugement des
personnes impliquées. Sauf dans des cas précis, inscrits dans des références
à la loi et à l’éthique, il ne sera jamais possible de définir des limites a
priori qui permettraient de dire ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas
faire. Si un jour, de tels protocoles existent, cela signifierait la fin du travail
social tel que nous le concevons actuellement : au-delà des prestations, un
véritable service aux personnes ; ce qui n’est pas du tout la même chose.
L’appréciation des situations est demandée aux travailleurs sociaux dans
un souci de personnalisation des réponses données aux attentes et aux
besoins. Cette préoccupation légitime conduit souvent à des engagements
de responsabilité car les professionnels veulent pouvoir répondre de leurs
actes, en regard des missions confiées et pas seulement en application de
règles et de normes par ailleurs parfois contradictoires.
R « Être responsable » ou « faire preuve de responsabilité », c’est être capable
d’agir avec discernement (action de séparer), en endossant les conséquences
des actes posés dans les processus d’action. Lorsque nous sommes
« responsables », nous sommes capables de répondre de nos actes en
fonction de notre place dans l’institution ou service et des caractéristiques
spécifiques des situations rencontrées. Il n’est jamais possible de se défaire de
la responsabilité. Ce que nous faisons nous engage de par les conséquences
que cela peut avoir sur les autres. Bien sûr, lorsque nous confions à un Cadre
de l’institution des informations préoccupantes, il est possible de penser se
dégager de sa responsabilité. Ce n’est pas juste, car, si la responsabilité du
Cadre se trouve désormais engagée, la nôtre continue d’exister.

306
RES
Les actions sociales et médico-sociales ainsi que les pratiques éducatives ne se
développent jamais seulement à partir des actes posés par une seule personne.
Les professionnels engagent bien leur responsabilité par ce qu’ils font, mais
ils sont aussi interdépendants. Leurs actions sont complémentaires, se
chevauchent dans les temporalités et s’inscrivent toujours dans un cadre
institutionnel. De plus, ils sont en relation avec des personnes dont ils ont à
s’occuper. Ces dernières sont évidemment actives dans les interactions qui
se créent. Ces nombreuses interdépendances et interférences, complexifient
les questions de responsabilité puisque chaque professionnel ne détient
pas à lui tout seul la définition des bonnes pratiques. On voit bien que la
responsabilité doit se fonder sur un travail d’équipe référé à des valeurs et
des principes d’action partagés.
Comment donc assurer au mieux la responsabilité de chacun, « l’être
responsable », dans des processus d’action et des situations incertains ? La
connaissance des principes de la République et des textes réglementaires
spécifiques au secteur social et médico-social est une première condition
pour des pratiques responsables. Elle permet un grand repérage des
missions et des conditions d’exercice de ces missions. Elle permet également
de comprendre les ambiguïtés voire contradictions qui existent et qui
définissent des zones d’incertitude, de tensions et de possibilités d’action.
La référence à l’éthique est une seconde condition. Paul Ricoeur nous
indique que la recherche du « juste », issue de la réflexion éthique, est autre
chose que le « bon » qui réfère à la morale ou le « légal » qui renvoie sur
la loi. La recherche du juste est difficile et nécessite que les professionnels
sachent discerner les enjeux des situations, de façon à les comprendre sans
leur appliquer directement des codes ou des chartes qui n’ont d’autres buts
que de les protéger de la responsabilité.
Enfin, les références de pratiques élaborés, par exemple, par le dispositif R
d’évaluation interne, pour autant qu’il soit respectueux des orientations et
recommandations de l’ANESMS, pourront constituer un socle de culture
commune fournissant, non pas les réponses, mais plutôt les principes à
partir desquels les actions peuvent se construire de façon cohérente et
responsable ; c’est-à-dire telles que l’on pourra « en répondre ».
Agir avec responsabilité, c’est s’engager dans les situations de travail avec
réflexion et un souci constant d’appréciation de leur évolution. C’est être
attentif aux multiples facettes et enjeux qui co-existent en leur sein en
formulant des hypothèses plus que des diagnostics. C’est soutenir le sens
critique qui permet d’interroger sans cesse les « allants de soi ». C’est être
capable de répondre de ses actes de manière cohérente à propos des choix
307
RÉU
effectués et des options d’action retenus. C’est enfin faire preuve d’un
discernement référé à des principes et valeurs explicites et partagés.

Mots clés
discernement, références, équipe, cadre du social, éthique

Références bibliographiques
ARDOINO Jacques, Discernement, entre surprise et étonnement, Communica-
tion au colloque AFIRSE, Pau, 2002
ARDOINO Jacques, « De l’intention critique », éditorial in Pratiques de
formation-analyses, n◦ 43, 2002, Université de Paris 8
PAPAY Jacques, Communication professionnelle en travail social, Vuibert, 2009
RICOEUR Paul, « Éthique et morale », in Encyclopédia Universalis 10
« Avec Jacques ARDOINO : temps, éducation et formation », in Le
Sociographe, Hors série No 3, 2008
« La responsabilité entre philosophie, éthique et droit », in Vie Sociale,
No 3/2009, CEDIAS, Musée social
Ha.M
Pa.J

Réunion
La culture des échanges oraux et du débat fait partie des caractéristiques du
travail social et a accompagné tout son développement. Elle correspond à
une orientation philosophique dans la mesure où des professionnels de la
relation sont amenés à approcher d’autres personnes pour les comprendre
R et les guider dans une dynamique et de valorisation et de reconnaissance
sociale. Les professionnels de l’action sociale savent parfaitement qu’on ne
réussit pas tout seul, lorsqu’il s’agit d’aider autrui à se réaliser et à sortir de
ses difficultés. Pour cela, et du fait d’une réalité complexe, le soutien et la
contribution d’autres intervenants, partenaires internes ou externes, sont
indispensables.
De ce point de vue, il existe une véritable culture du partenariat où la
recherche des compétences pluri-professionnelles est permanente, comme
l’exige la loi de rénovation de l’action sociale et médico-sociale du 2 janvier
2002.
Ainsi, l’action sociale donne à voir un environnement professionnel où la
recherche de la cohérence des projets et des choix individuels, passe d’abord
308
RÉU
par la confrontation directe et le fait de soumettre ses idées et ses analyses à
une réflexion partagée. En effet, de manière transversale à tous les champs
d’activité du secteur, on trouve six grands types de réunion. On trouve des
réunions internes d’équipe, d’analyse de situations et d’analyse de la pratique
professionnelle, des réunions de conduite de projet. Mais il existe aussi des
réunions externes où les travailleurs sociaux sont conviés à réfléchir et à
collaborer avec d’autres interlocuteurs : des réunions thématiques externes
et des réunions de prévention de la délinquance.
1. Les réunions d’équipe permettent à des membres d’un même collectif
travaillant régulièrement ensemble de vérifier l’inscription de leur inter-
vention dans le cadre d’un projet global, de service ou d’établissement.
Ce collectif est placé sous l’autorité et l’animation d’un responsable
hiérarchique qui transmet des informations, mais qui accompagne aussi
une réflexion fédérative sur l’action de terrain. Ces réunions permettent
aussi de travailler le sentiment d’appartenance entre des professionnels
qui peuvent avoir besoin de se rassurer face à la difficulté de la prise
en charge. Celle-ci donne lieu à une formalisation écrite de la part de
l’animateur ou d’un secrétaire qui en a la charge déléguée.
2. Les réunions d’analyse de situation permettent une réflexion clinique
approfondie, c’est-à-dire une approche centrée sur la problématique
d’usagers choisis en fonction de leurs difficultés ou de l’urgence d’un
traitement par une approche croisée de différents professionnels d’une
même équipe, et pouvant parfois s’ouvrir à des interventions externes. Ce
type de réunion peut être placé sous la responsabilité de l’animation d’un
intervenant externe, généralement psychologue ou psychiatre, favorisant
une compréhension débouchant sur l’action, avec une ambition de
mesure de toutes ses implications.
3. Les réunions d’analyse de la pratique professionnelle relèvent d’une
volonté d’analyse clinique tout en permettant une mise à distance des
R
difficultés vécues. Les professionnels qui se mobilisent dans ce type de
réunion sont généralement des pairs ne relevant pas nécessairement
d’une même équipe de travail. L’ouverture à d’autres approches et à
d’autres façons de considérer les problématiques de terrain est une
des conséquences majeures de cette démarche. L’objectif est de tirer
des enseignements de la pratique et de mutualiser des réflexions pour
aboutir à de nouvelles approches et méthodologies d’intervention. Les
groupes dits « Balint » du nom du médecin qui les a inaugurés sont
encore aujourd’hui une référence théorique et méthodologique. Il n’existe
généralement pas de formalisation écrite des travaux.

309
RÉU
4. Mais l’on trouve aussi des réunions ad hoc, permettant d’élaborer des
projets en commun, s’inscrivant dans une volonté de travailler à partir
d’intérêts partagés entre des professionnels voulant développer une
action à destination des usagers. Il est alors question d’établir des
propositions pour un collectif plus large de professionnels relevant
de la même institution qui les validera et les intégrera éventuellement
dans la dynamique générale du service rendu auprès d’une population
donnée.
5. De même, sont également sollicitées des réunions spécifiques avec des
intervenants externes permettant de cultiver ce partenariat au quotidien
sur des actions concertées entre des professionnels relevant d’institutions
différentes. Elles aident à dépasser l’entre-soi qui se cultive au sein des
institutions et à adopter des protocoles d’accord entre des professionnels
accompagnant des mêmes usagers, ou à élaborer des projets en commun
qui ne recoupent pas exactement les missions initiales des uns et des
autres. Par exemple, ces dernières années, plusieurs actions ont été
développées sur différents territoires locaux permettant d’accompagner
les populations en errance alors même qu’elles n’étaient pas réellement
prises en compte par les travailleurs sociaux déjà en place.
6. Enfin, il importe de citer les réunions partenariales institutionnelles telles
que les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, ou
bien encore les programmes de réussite éducative. Ces deux dispositifs
sont exemplaires dans la mesure où ils relèvent de deux préoccupations
différentes, les premiers du décret du 17 juillet 2002 en remplacement
des conseils communaux de prévention de la délinquance, et les seconds
de la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale.
Dans les deux derniers cas, il s’agit de partager des informations entre des
R intervenants mobilisés sur un même territoire auprès de personnes ou de
familles pour lesquelles des questions comportementales ou éducatives se
posent. Ils permettent les échanges au-delà de l’appartenance institutionnelle
des professionnels, mais sont également susceptibles de générer des
formes de crainte sur l’usage qui sera fait de l’information communiquée.
Les institutions concernées sont les travailleurs sociaux, mais aussi les
animateurs, les sociétés de transports collectifs, l’Éducation Nationale, etc.
Pour la prévention de la délinquance, s’ajoute la police ou la gendarmerie.
Dans les deux cas, l’autorité du maire fait référence à travers sa participation
directe ou de l’un de ses représentants. La posture professionnelle et
l’éthique sont alors enjeux de débats réguliers et nécessaires : jusqu’où

310
RÉU
peut-on partager et œuvrer en commun avec des règles qui ne sont pas
nécessairement partagées ?
On saisit que les occasions de se réunir sont donc très nombreuses dans le
secteur social et médico-social, à tel point que la critique a souvent été faite
d’une pratique institutionnalisée de la « réunionnite », consistant à passer
plus de temps à se retrouver entre-soi, qu’à rechercher l’efficience de l’action
à l’attention des personnes pour lesquelles les équipes professionnelles sont
mandatées.
C’est pourquoi la vigilance que doivent avoir les travailleurs sociaux est
de veiller à ce que les réunions restent centrées sur l’analyse et l’action,
tout en permettant l’écoute, la prise de parole de chacun, et donc la
prise de risque à travers l’énonciation d’un point de vue à soumettre à
l’épreuve de la raison et de la critique. À ce titre, les réunions doivent
demeurer des lieux d’exposition d’idées et de recherche de contribution
d’autrui afin d’améliorer son positionnement et ses méthodologies d’action,
individuelles et collectives, au bénéfice de la qualité de l’action déployée
auprès des personnes.

Mots clés
réunions, interventions externes, travailleurs sociaux, équipe, réflexion,
culture orale, partenariat, institutions

Références bibliographiques
BALINT Michael et VALABREGA Jean-Paul, Le médecin, son malade et la
maladie [1957], Payot, 2003
CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Éres, 1996
ROCHE François, BOUQUET Brigitte, Le travail social aujourd’hui et demain, R
Presses de l’EHESP, 2009
ROUZEL Joseph, La supervision d’équipe en travail social, Dunod, 2007
VIDALENC Élisabeth, Le défi du partenariat dans le travail social, L’Harmattan,
2003
Ro.P

311
S
Sanctionner
La sanction est actuellement portée sur le devant de la scène politique et
médiatique. Elle occupe une place centrale également dans les discours
éducatif, pédagogique et psychologique, notamment à l’adresse des jeunes.
La question de la sanction est en effet largement médiatisée, politisée et
mise en lien avec les discours mettant en exergue l’accroissement de la
violence, de la délinquance et ce à des âges de plus en plus jeunes, ainsi que
la question de la récidive ou de l’impunité supposée dont bénéficieraient les
mineurs. Les professionnel(le)s de l’enfance doivent dorénavant dépister,
prévenir, sanctionner. La vision actuelle de la sanction liée à l’appréhension
contemporaine de l’enfance donne lieu à des préconisations de sanctions,
portées par l’idéologie sécuritaire ambiante et l’injonction à la « tolérance
zéro ». Il s’agit alors de prévenir ; cependant la prévention dont il est question
s’apparente davantage à de la répression et à un nouveau contrôle social.
Les discours dramatiques relatifs aux actes de délinquance, notamment
juvénile, liés au traitement médiatico-politique de faits divers font croire
que la jeunesse n’a jamais été aussi violente qu’aujourd’hui, que l’éducation
ne peut plus jouer un rôle de régulation sociale, qu’il s’avère nécessaire de
réprimer avec force (Le Goaziou, Mucchielli, 2009). Ce discours manichéen S
a envahi les institutions socio-éducatives. Actuellement, la direction prise
par les pouvoirs publics et les différentes institutions de socialisation de
l’enfance tend vers un durcissement des rapports entre les générations dont
témoignent les différentes réformes en matière de délinquance infanto-
juvénile, la (re)qualification de certains actes d’enfants ou d’adolescents.
Les enfants font désormais banalement les frais de ce durcissement lié à
l’idéologie sécuritaire, dans laquelle la sanction ne peut être appréhendée
que sur son volet répressif et s’opposer à l’idée d’éducation. Les discours sur
la jeunesse, les enfants et les adolescents qui sont (seraient) devenus rois,

313
SAN
tyrans, chefs de famille, impliquent leur reprise en main afin de les remettre
dans le droit chemin « pour leur bien ».
Si la sanction concourt à la reconnaissance des individus ainsi qu’à leur
apprentissage des normes sociales qui régissent la vie en société comme
à leur respect des règles, l’appréhension actuelle des relations entre pairs,
des comportements enfantins et/ou adolescents, la mise à distance des
relations entre adultes et enfants, constituent un climat qui apparaît peu
propice au développement d’une capacité à « vivre ensemble » qu’il s’agit
pourtant, dans les discours, de valoriser et de développer. « Inhérente au
processus de socialisation "processus d’apprentissage par lequel l’individu
acquiert les modèles culturels de la société ou d’un groupe donné dans
lequel il est affilié, résultant à la fois d’une contrainte imposée par différents
agents sociaux mais également et surtout des interactions entre l’individu
et son environnement" » (Dubar, 2000), la sanction est un dispositif de
régulation sociale qui garantit à chacun une place et un espace de liberté.
Cependant, les enfants comme les adultes, ne font pas qu’appliquer des
prescriptions, reproduire des comportements intériorisés : se socialiser
c’est aussi interpréter, réinterpréter un cadre donné, en expérimentant
tous les possibles, parfois en transgressant les règles pour pouvoir par
la suite s’y soumettre. Que révèle la centration actuelle sur la nécessité
de sanctionner ? L’impossibilité pour les adultes d’accepter que les jeunes
transgressent le cadre, expérimentent tout le champ des possibles, mais qu’ils
se soumettent aveuglément sous peine de voir s’abattre très rapidement sur
eux un courroux social. La mise sur le devant de la scène sociale, politique
et médiatique de la sanction sur son volet répressif ne parle-t-elle pas
du manque de projet de la société pour sa jeunesse et son impossibilité
de lui octroyer une place, de lui conférer une marge de liberté dans
laquelle les jeunes peuvent (pourront) développer leur autonomie et des
compétences d’analyse critique leur donnant la possibilité d’accepter la
S contrainte. L’opposition idéologique entre d’un côté l’éducation, et de
l’autre la répression rend difficile l’appréhension de la notion de sanction,
qui est largement confondue actuellement avec le terme « punition ».
L’enjeu de la sanction nous semble lié au processus de socialisation, et
poursuit une triple finalité : Premièrement, en participant à la socialisation,
participer à l’autonomisation des sujets. Deuxièmement, permettre un
« vivre ensemble » pacifié. Troisièmement, reconnaître le sujet et ses actes.
La sanction implique :
1. Une asymétrie des places. C’est bien parce qu’un enfant n’occupe pas
une place identique à celle d’un adulte qu’il accepte la sanction. Cela

314
SAN
demande que les enfants, les adolescents se trouvent en face d’adultes
qui se sentent responsables et assument leur place.
2. Que l’adulte sanctionne également des aspects positifs, comme l’ont
mis en œuvre les pédagogies nouvelles. Sinon il y a risque d’enfermer
un enfant dans des comportements « négatifs » dont il sait qu’ils
seront sanctionnés mais lui donneront une visibilité et une certaine
reconnaissance des adultes. Faute d’être repéré pour lui-même, pour des
actions positives, il le sera pour celui qui gêne, qui pose problème, qui
transgresse en permanence le cadre. Mieux vaut être appréhendé comme
cela que d’être invisible.
3. Que la sanction ne soit pas le résultat d’un arbitraire. Les adultes ne font
pas et ne sont pas la loi.
4. Qu’elle soit proportionnée à l’acte et ait toujours une visée éducative,
c’est-à-dire qu’elle participe au processus de socialisation et d’éducation.
5. Qu’elle soit individuelle et sanctionne un acte et non l’individu.
6. Que l’enfant en comprenne le sens. Dans une maison d’enfants (MECS)
une règle stipule qu’avant de monter à l’étage, les enfants et adolescents
doivent mettre des chaussons. Les fondements de la règle sont l’hygiène
et le respect de la maîtresse de maison. Les enfants sont sanctionnés
lorsqu’ils ne la respectent pas alors que les éducateurs y contreviennent
impunément au motif qu’ils sont des adultes faisant naître chez les
enfants et adolescents un sentiment d’injustice. Bien que cet exemple
puisse paraître anodin et relève de la « vie ordinaire » en institution, il met
en évidence comment certaines règles peuvent résulter d’un arbitraire et
d’enjeux de pouvoir des adultes sur les enfants. En effet, si ce qui fonde
la règle en question est bien le respect tant de l’hygiène que du travail de
la maîtresse de maison, celle-ci doit s’appliquer à tous, enfants comme
adultes.
7. Qu’elle ne résulte pas d’une règle dont l’auteur sait en l’énonçant
qu’elle sera immanquablement transgressée. Dans une autre institution S
éducative accueillant en internat des adolescents et adolescentes, l’équipe
afin d’éviter que lui soit opposé un défaut de surveillance par la hiérarchie,
interdit toute manifestation impliquant une quelconque proximité (se
tenir par la main, être serré l’un contre l’autre, s’embrasser). Cette règle
est peu respectée et donne souvent lieu à sanction. Il serait intéressant
de se questionner sur une telle règle, qui s’oppose aux droits libertés
(possibilité de faire : par exemple, le droit de donner son point de vue, de
participer ou de s’associer) et aux droits créances (possibilité de recevoir :
par exemple, le droit à l’éducation) de l’enfant.

315
SDF
8. Que la sanction s’accompagne d’un acte de réparation. Qu’elle permette
de s’éloigner de l’acte réprimé. La sanction doit permettre de prendre de la
distance avec la situation, de l’élaborer. Par exemple, lorsqu’on sanctionne
un acte violent entre deux enfants, l’éducateur doit accompagner les
protagonistes à raconter ce qui s’est passé leur permettant ainsi de prendre
de la distance par rapport à la situation. Il y a une élaboration mentale
qui permet aux enfants de passer de l’action à la parole et de pouvoir
trouver, verbalement, un compromis dans lequel chacun aura une place
de sujet reconnu. La sanction doit permettre aux enfants de prendre de la
distance et d’élaborer un échange dans lequel ils racontent quelque chose
qui ne se situe plus dans l’action, tout en n’étant pas ou plus, eux-mêmes,
dans la situation conflictuelle.
9. Qu’on s’assure que celui qu’on sanctionne est bien l’auteur ou l’initiateur
de la situation.

Mots clés
punition, reconnaissance, acteur, autorité, répression

Références bibliographiques
FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, Gallimard, 1975
LE GOAZIOU Véronique, MUCCHIELLI Laurent, La violence des jeunes en
question, Champ social éditions, 2009
PRAIRAT Eirick, La sanction en éducation, PUF, 2003
« La sanction », colloque du 27 novembre 2003 à l’Université Jean Moulin,
Lyon 3, L’Harmattan, 2003
Mu.N
S SDF
L’acronyme SDF, pour Sans Domicile Fixe, est apparu au début des années
1990 et connait depuis un important succès médiatique, scientifique et
populaire. Le travail social n’échappe pas à ce phénomène et a intégré
cette nouvelle approche d’une réalité pourtant ancestrale : la résidence
dans l’espace public d’hommes, de femmes et d’enfants. Cette évolution en
matière de catégorisation s’inscrit dans la longue histoire des appellations
dévolues à ceux qui finalement partagent un état de pauvreté et une
forme d’errance : « gueux », « va-nu-pieds », « misérables », « clochards »,
« mendiants », « vagabonds », « nouveaux pauvres », « sans-papiers », etc.

316
SDF
Ce sigle possède un fort pouvoir de signification puisqu’il engendre de
fortes images hautement suggestives, symbolisant la quintessence de la
précarité et évoquant les « exclus des exclus ». Il possède particulièrement
le pouvoir de créer immédiatement des sensations compassionnelles tout
aussi irrésistibles. En revanche, il ne décrit que faiblement une réalité
sociologique. L’existence du groupe des SDF est en effet discutable, tant
ce groupe est d’une grande diversité. Comme l’a montré l’INSEE en 2006,
parmi les 86 000 sans-domicile répertoriés — dont 16 000 enfants —, 45 %
des personnes sont seules et sans activité professionnelle, 22 % sont des
jeunes diplômés, 18 % sont des femmes qui ont rompu récemment avec
leur conjoint, dont les trois quarts sont accompagnées de jeunes enfants,
13 % de personnes sans domicile sont « relativement jeunes » et « vivent
en couple », 2 % sont âgées de plus de 50 ans. Au total, près de 80 % sont
des hommes, et 30 % disposent d’un travail (contrat à durée déterminée
ou indéterminée, intérim ou temps partiel).
Utiliser le terme de « SDF » revient donc à regrouper des individus en
fonction de ce qu’ils ne partagent pas. En privilégiant cette approche
globalisante et à défaut, cette population est définie en fonction de la norme
qu’elle transgresse (l’absence de toit et donc de mérite individuelle). En ce
sens, cette utilisation informe davantage sur la réalité des « ADF » (Avec
Domicile Fixe) que sur celle des personnes sans abri. En l’occurrence, il
s’agit d’une évolution en matière de régulation sociale qui consiste à rejeter
l’errant.
1992 marque également la suppression des délits de vagabondage et de
mendicité dans le nouveau Code pénal, qui remplace cette même année
celui voté précédemment en 1810. La simultanéité de cette nouvelle donne
juridique et catégorielle n’est pas fortuite. En effet, l’autorisation donnée
aux gens de la rue de vivre dehors s’est doublée involontairement d’une
autorisation d’y mourir. La dizaine de morts survenues pendant l’hiver 92-93
a rappelé à tous cette réalité que personne n’avait prévue. Cette surmortalité S
soudaine à également contredit l’idée selon laquelle cette population avait
disparu. Leur mode de vie étant illégal, ils vivaient cachés et les « ramassages »
policiers forcés et réguliers les protégeaient paradoxalement de risques de
mortalité dans la rue. Il a été alors nécessaire de continuer à prendre en
charge ces individus, mais par d’autres moyens que les outils historiques que
constituaient la police et la justice. C’est pour répondre à ce nouveau besoin
que l’urgence sociale a été créée, en inaugurant des réponses nouvelles pour
des usagers nouveaux. C’est à ce titre que les SDF constituent une nouvelle

317
SDF
catégorie essentiellement constituée d’usagers du travail social. Il s’agit là
d’une évolution en matière de politique sociale.
Pour autant, cette évolution en matière de catégorisation représente-t-elle
une avancée en matière de prise en charge sociale ? Sa faible capacité
descriptive représente une véritable faiblesse opérationnelle. En « ratissant
large », elle limite les possibilités de circonscrire la réalité que les travailleurs
sociaux ont besoin de définir. En effet, en la matière qu’y a-t-il en commun
entre une famille avec enfants, un célibataire sans papiers, un homme qui
vit dans la rue depuis 20 ans et une femme battue qui vient d’être mise à
la porte de son appartement ? Hormis une souffrance à prendre en charge,
les problématiques sociales appellent des réponses sociales et éducatives
bien différentes. C’est à ce titre que les professionnels du travail social ne
doivent pas s’approprier cette catégorie qui constitue avant tout un outil en
matière de régulation sociale des déviances, sous couvert d’une politique
sociale. En participant à agréger dans une même entité des individus qui
ne se ressemblent pas, mais qui partagent la même impossibilité ou refus
de respecter la norme du mérite, donnant accès à un logement ou à un
hébergement, le travail social participerait à les stigmatiser. Il convient alors
de remplacer autant que faire ce peu ce vocable au profit d’une approche
descriptive individualisée favorisant un diagnostic social opérant.

Mots clés
urgence sociale, catégorisation, dépénalisation, stigmatisation

Références bibliographiques
VEXLIARD Alexandre, Introduction à la sociologie du vagabondage, L’Harmat-
tan, 2000 (1956)
S DECLERCK Patrick, Les naufragés. Avec les clochards de Paris, Plon, 2001
DAMON Julien, La question SDF. Critique d’une action publique, PUF, 2002
CASTEL Robert, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du
salariat, Fayard, 1995
RULLAC Stéphane, Et si les SDF n’étaient pas des exclus ? Critique de l’urgence
sociale, Vuibert, 2006
RULLAC Stéphane, Le péril SDF. Assister et punir, L’Harmattan, 2008
RULLAC Stéphane, « Abandonner la question SDF », in ASH, n◦ 2585,
5 décembre 2008
Ru.S
318
SEC
Secret professionnel
La notion de secret, qui vient du latin secretus « séparé », de secernere
« écarter », suscite fréquemment des interrogations, voire des débats dans
le travail social :
➤ en raison de sa définition même ; qu’est-ce qu’un secret ?
➤ des conditions de sa délivrance ou de sa transmission pour celui qui en
est le détenteur ; que dois-je en faire ?
➤ de l’existence d’un cadre juridique dont les frontières sont sans doute
difficiles à appréhender ; que dit précisément la loi a fortiori dans le
cadre du travail social et comment s’applique-t-elle ?
L’actualité juridique à ce sujet est foisonnante ces dernières années. La loi
du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, les lois du 5
et 7 mars 2007 rénovant la Protection de l’enfance et de prévention de la
délinquance, pour ne citer qu’elles, introduisent de fait des questionnements
multiples sur le secret : à l’impératif de mettre l’usager au centre de son
projet tout en protégeant son intimité, le travailleur social est enjoint, et
parfois de manière péremptoire, d’évoquer la situation d’un usager en
présence de professionnels dont les fonctions et le cadre d’exercice diffèrent.
Ce contexte singulier et parfois inédit témoigne toujours plus de la nécessité
d’interroger non seulement le secret dans son essence, mais aussi d’en saisir
les enjeux dans la relation socio-éducative. Le maniement du paradoxe —
partager les informations avec les partenaires tout en protégeant l’intimité de
l’usager – requiert de fait une clarification ou plus modestement une tentative
de réflexion non dépourvue d’éthique. Ainsi, comment le travailleur social
peut-il à la fois se situer dans une relation de confiance à l’égard de l’usager
et dans le même temps servir les intérêts ou l’avancement de la situation
de celui qu’il accompagne, alors qu’il est au cœur d’un système d’échanges
rendant nécessaire le partage des informations ? Cette interrogation revêt
un caractère fondamental dans le travail social. Il convient donc d’aborder
la notion du secret à travers :
S
➤ sa définition,
➤ son cadre juridique actuel,
➤ les marges dont disposent les professionnels sans entamer ou compro-
mettre la relation éducative,
➤ la place du secret dans l’action socio-éducative.
Nous précisons cependant que cette question se heurte à des réalités
protéiformes rencontrées par les travailleurs sociaux. Selon le cadre
d’exercice (Milieu ouvert, Prévention Spécialisée, Fonction territoriale...),
le travailleur social doit identifier « sa marge de manœuvre » : circonscrire
319
SEC
ce qui fait obligation d’être transmis et ce qui relève de l’intimité de l’usager
en regard des missions et des responsabilités qui lui incombent et à partir
du dispositif légal et institutionnel dans lequel il est inscrit.
Dans sa définition générique, le secret est l’ensemble des connaissances
et des informations qui doivent être réservées à quelques-uns et que le
détenteur ne doit pas révéler. Par conséquent, il impose de la discrétion ou
le silence sur une chose qui a été confiée ou que l’on a apprise. Il est à la fois
un savoir partagé – il n’est pas de secret sans partage ou communication
– et un savoir protégé – il a vocation à protéger un sentiment, un bien,
une personne. Ainsi, selon le Code civil, « chacun a le droit au respect de sa
vie privée ». La révélation d’une information à caractère secret serait donc
strictement limitée à la volonté de la personne intéressée. Dans son usage
professionnel, le secret est inscrit dans l’article 226-13 du nouveau Code
pénal et est obligation de taire des informations à caractère secret. Dans
cette perspective, l’encadrement du secret professionnel par la loi repose
sur deux finalités : l’une consiste à protéger l’intimité de l’usager, l’autre à
assurer la crédibilité de certaines professions. Dans ce dernier cas, certaines
professions (médecin, avocat, prêtre) ne pourraient accomplir leur mission
si les confidences qui leur sont faites sont divulguées.
Sont tenus au secret professionnel :
➤ par état, les ministres des cultes
➤ par profession, les assistants de service social (art. L. 411-3 du CASF),
les médecins, les infirmiers, les sages-femmes, tous professionnels de
santé, les avocats...
➤ par fonction ou mission : toutes les personnes exerçant aux affaires
sanitaires et sociales, à l’Aide Sociale à l’Enfance, en Protection Maternelle
et Infantile, au 119 - Allo enfance maltraitée, celles qui siègent aux
commissions du droit et de l’autonomie (ex-CDES), les membres du
conseil de famille des pupilles de l’État, les personnes auditionnées par
S ce conseil, le coordonnateur nommé par le maire, les personnels des
CMPP...
L’article L. 311-3 du Code de l’action sociale et des familles assure à toute
personne prise en charge par les établissements sociaux et médico-sociaux :
➤ le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité
et de sa sécurité,
➤ la confidentialité des informations le concernant,
➤ l’accès à toute information ou document relatif à sa prise en charge, sauf
dispositions législatives contraires.

320
SEC
L’énoncé de ces principes demeure insuffisant, si l’on ne tente pas de
circonscrire les frontières d’une information à caractère secret. Il s’agit
donc d’interroger le degré de confidentialité ou de secret qu’exige ce type
d’information alors que le professionnel s’apprête à la partager. Selon
Pierre Verdier, tout ce que les travailleurs sociaux apprennent dans le
cadre professionnel n’est pas à caractère secret et donc constitutif du secret
professionnel. Certaines informations sont à caractère public. Celles-ci
peuvent être communiquées librement dans la limite de l’obligation de
réserve du fonctionnaire. D’autres sont à caractère strictement privé, comme
les confidences d’un enfant à son éducateur, à la maîtresse de maison ou à
l’assistante maternelle, qui peuvent relever de l’intime si la protection de
l’enfant n’est pas en jeu. Dans ce cas, d’aucune manière la loi n’autorise le
partage, surtout si l’intéressé s’y oppose.
Dans l’exercice de sa mission, le professionnel dispose de fait d’une marge
d’appréciation délicate qu’il convient de préciser. Il ne peut se dérober à
la levée du secret en cas de violation des lois et des règles édictées par la
société, notamment s’agissant de certaines infractions portant atteinte à
l’intégrité corporelle des personnes ou de cas de maltraitance sur mineurs
de moins de quinze ans. Prenons l’exemple d’un assistant de service social
qui intervient dans le cadre d’une mission judiciaire : il ne peut opposer
le secret professionnel au Juge qui a ordonné la mesure. En revanche, il
doit être en capacité de différencier ce qui relève des attendus de la décision
du Juge et les aveux et les confidences reçus dans l’accomplissement de sa
mission.
Dans des situations moins extrêmes, il n’en demeure pas moins vrai que le
partage des informations reste indispensable. Dit plus simplement, le travail
social ne peut exister s’il interdit aux professionnels de se transmettre des
informations relatives aux usagers. Cependant, leur communication et leur
transmission sont soumises à des conditions strictes comme le stipulent les
lois du 5 et 7 mars 2007 : S
➤ participer à la même mission de protection de l’enfance et lui apporter
son concours,
➤ permettre d’évaluer la situation du mineur et de déterminer les actions
de protection et d’aide dont le mineur et sa famille peuvent bénéficier,
➤ définir la finalité et les modalités du partage,
➤ informer préalablement les représentants légaux sauf intérêt contraire
de l’enfant.
La loi du 7 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance prévoit elle
aussi des dispositions spécifiques justifiant le partage des informations :

321
SEC
➤ L’aggravation des difficultés justifie qu’une information soit faite au
maire et au Président du Conseil Général non sur la nature de ces
difficultés mais du fait de la nécessité de coordonner l’action des
professionnels.
➤ Si l’efficacité et la continuité le rendent nécessaire, le maire nomme
un professionnel « coordonnateur » d’un collectif dont l’objectif est
d’évaluer et de déterminer les mesures ad hoc tout en limitant le partage
de l’information au « strictement nécessaire ».
Ainsi, à travers ces deux lois, nous devons essentiellement retenir que
la première réformant la protection de l’enfance autorise le partage
des informations dans certaines conditions et la seconde organise la
coordination des acteurs sous la responsabilité du maire. Elles ne signent pas
la fin du secret professionnel comme certains l’ont prétendu mais génèrent
de toute évidence du flou et de la confusion dans l’appréhension des termes
tels « information préoccupante sur les enfants en danger ou susceptibles
de l’être », « strictement nécessaire ». La marge d’appréciation personnelle
du travailleur social est ici fortement mise à mal s’il s’en tient uniquement
à ses seules observations et conclusions sur une situation.
En cela, le partage d’informations implique une responsabilité partagée
qui doit être interrogée et énoncée par les professionnels en équipe. Il ne
saurait y avoir, de fait, de « secret partagé » entre plusieurs professionnels
en l’absence de l’usager porteur et détenteur de ce secret. En revanche, il
est nécessaire de partager des informations avec un partenaire, un collègue
ou l’équipe si la portée de l’action socio-éducative en dépend. Dans ce cas,
le professionnel ne doit pas faire abstraction des interrogations suivantes
fondées sur une éthique à la fois de la pensée et de l’action : l’usager en a-t-il
été avisé ? — dans le cas, contraire, pourquoi ? — selon quels motifs y a-t-il
transmission de l’information ? — qui en est le destinataire ? — existe-t-il
un référentiel commun d’articulation entre les partenaires ? — quel usage
S sera-t-il fait de cette transmission ? — les informations transmises vont-elles
faire l’objet d’une consignation par écrit ? — seront-elles accessibles ? —
à qui ? Autant de questions nécessitant que les professionnels s’accordent
avec clarté sur les modalités du partage en considérant prioritairement la
protection de la personne. Pour autant, prenons garde de ne pas souscrire
par facilité et manque de discernement à une injonction de transparence à
l’endroit des usagers sous peine de décisions irréversibles et/ou de sanctions
pénales par manque d’évaluation et d’objectivation d’éléments de danger.
Nous savons enfin que la dimension du secret occupe une place importante
dans la vie des usagers : elle l’organise et se traduit par cette impossibilité de

322
SEX
mettre en mots l’insupportable. Ce non-dit constitue à la fois une entrave,
un état d’enfermement duquel l’usager ne peut s’extraire, s’il n’est pas assuré
de la capacité de son interlocuteur à faire preuve au moins de discrétion.
Postuler cette injonction de transparence revient fondamentalement à
remettre en question la notion de confiance, ingrédient essentiel dans la
construction de la relation éducative. Il s’agit donc bien ici de garantir la
confidentialité des informations concernant l’usager tout en prenant appui
sur un dispositif institutionnel, législatif, soucieux de le protéger.

Mots clés
loi, intimité, discrétion

Références bibliographiques
BOUQUET Brigitte, Éthique et Travail social, Dunod, 2004
VERDIER Pierre, ROSENCWEIG Jean–Pierre, Le secret professionnel en travail
social et médico-social, Dunod, 2008
POUGNAUD Odile, ROPERS Philippe et SORIS Cécile, DC1 – Accompagnement
social et éducatif spécialisé DEES, Vuibert, 2009
So.C

Sexualité
En 1905, Freud fait scandale en publiant les Trois essais sur la théorie sexuelle.
Freud affirme alors que les enfants ont une sexualité, qu’ils ne sont pas
« innocents du sexuel ». Nous savons donc depuis ces travaux que la vie
sexuelle de l’être humain ne commence pas lors de la puberté, mais qu’elle
débute dès la naissance. La sexualité fait partie de l’identité et s’exprime
par des attirances et des comportements divers. La sexualité participe à la
« qualité de vie » des individus. Elle constitue un « besoin », au même titre S
que d’autres, qui participe à l’épanouissement du sujet et à l’édification de
l’estime de soi. Le droit à la sexualité fait partie des libertés les plus absolues.
Cependant, elle apparaît dans les représentations sociales comme toujours
principalement liée à la procréation. Les travailleurs sociaux n’échappent
pas à cette tendance qui exclue de la sexualité les jeunes enfants, les enfants,
les adolescents, les personnes âgées et/ou en situation de handicap. Aussi,
la sexualité, lorsqu’elle est abordée, est centrée sur la transmission directe
d’informations, de messages, de slogans, portant sur tout ce qui peut faire
peur : SIDA, IST, abus sexuels et grossesses adolescentes. Les questions liées
à l’apprentissage de l’expression sentimentale, émotionnelle, du désir et du
323
SEX
plaisir, sont généralement évacuées des échanges concernant la sexualité
en milieu éducatif. Ces travers limitent la possibilité pour les éducateurs,
les travailleurs sociaux d’accueillir et d’accompagner l’usager-sujet dans
une prise en charge globale, prenant en compte les dimensions physique,
psychique, cognitive, sexuelle et affective.
Les métiers socio-éducatifs conduisent les professionnels à s’occuper et à
accompagner des personnes en institutions ou au sein de leur domicile. Ces
métiers demandent aux professionnels de rencontrer leurs usagers dans une
proximité corporelle et psychique. Depuis une dizaine d’années, c’est par
le pathos et le dramatique que la question de la sexualité a envahi la scène
sociale et médiatique. Au sein des institutions, une suspicion diffuse vise
les professionnels de l’éducation et du soin. Ces derniers sont alors sur leur
garde dans leurs pratiques quotidiennes auprès de l’enfant, notamment, ce
qui entraîne une mise à distance du corps des enfants, un manque d’intimité
pour l’enfant lors des soins...
La focalisation actuelle sur la pédophilie fait émerger des interrogations
sur la sexualité infantile. Faute d’être repérée pour elle-même, comme une
curiosité, comme un élément intimement lié au désir de vivre, d’approche
et de connaissance intime de l’autre, la sexualité des enfants perçue par
les adultes, n’apparaît plus pouvoir être pensée autrement que comme un
symptôme, un risque ou un trouble. La crainte de l’abus entrave alors les
adultes dans la possibilité de penser l’éventualité de la sexualité infantile.
Si la sexualité infantile et adolescente a, de tout temps, été difficilement
pensable, il apparaît qu’actuellement elle ne le soit plus comme faisant
partie intégrante du développement normal de l’enfant. Dans le contexte
« sécuritaire » actuel, une idéologie de la « tolérance zéro » se développe,
au travers de laquelle les actes enfantins sont régulièrement requalifiés de
passages à l’acte, d’agressions, de surcroît d’agressions sexuelles. Tout signe
corporel de malaise, de révolte ou de désir des enfants, toute manifestation
S de la sexualité infantile semble dorénavant constituer un véritable trouble à
l’ordre public. Il s’agit alors de prévenir, et la prévention (dès la maternelle,
voire la crèche, selon l’INSERM, la Haute autorité de santé et le rapport
Bénisti) se focalise justement sur les attitudes corporelles des enfants, au
risque que toute vitalité ne puisse plus être vue que comme un signe de
déviance. Le climat actuel, semble peu propice à l’épanouissement des jeunes
enfants et des enfants. Ces derniers ne peuvent que sentir ces contentions et
ces suspicions. Portée par un discours sécuritaire, une répression de toute
manifestation de désir ou de sexualité infantile comme une « police des
corps » et des émotions s’installe progressivement.

324
SEX
Il s’avère également nécessaire pour les institutions et les professionnels
de réfléchir à la sexualité des adultes accueillis en institution (personnes
handicapées, âgées, SDF, précaires...) qui n’apparaît pas davantage avoir
droit de cité que celle des enfants ou des adolescents. Pourtant en institution,
les éducateurs et les soignants sont confrontés à des interrogations, des
manifestations, des comportements liés à la vie affective et sexuelle des
personnes accompagnées. Comment comprendre que la prise en charge
institutionnelle prétende viser l’épanouissement des personnes dans tous
les domaines (physique, psychique, cognitif, créatif, artistique...) sauf en
ce qui concerne la sexualité ? La vulnérabilité, la précarité, le handicap, la
prise en charge en institution ne doivent pas conduire à faire des personnes
accueillies des « infra-humains » qui n’auraient pas droit à une vie affective
et sexuelle au seul motif qu’elles seraient hébergées en institution.

Mots clés
sexualité, enfant, adolescent(e), adulte, tabou, institution

Références bibliographiques
FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité, tomes 1 et 2, Gallimard, 1976
FREUD Sigmund, Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, Poche, 2001
GAVARINI Laurence, La passion de l’enfant. Filiation, procréation et éducation
à l’aube du XXI e siècle, Denoël, 2001
GAVARINI Laurence, « La sexualité sous le regard : remaniements actuels
des rapports entre les générations et les sexes », in Confluence, Actes des
Journées d’études des CMPP et des CAMSP, n◦ 59, septembre 2003
S
HANDMAN Marie-Élisabeth, « Le retour de l’ordre moral ? Éducation et
sexualité », in DAVID Marie-Christine, OTT Laurent, Éduquer dans un
monde en mutation, Toulouse, Érès, 2009, pp. 89-102
INSERM, Troubles des conduites, chez l’enfant et l’adolescent, Éditions
INSERM, 2005
« Y a-t-il encore une sexualité infantile ? », in La lettre du GRAPE, n◦ 31,
mars 1998
MURCIER Nicolas, OTT Laurent, « Qui a peur de la sexualité des enfants ? »,
in La lettre de l’enfance et de l’adolescence, n◦ 68, juin 2007, pp. 33-40

325
SIG
MURCIER Nicolas, « Freud, reviens vite, ils sont devenus fous ! », in La lettre
de l’enfance et de l’adolescence, n◦ 66, décembre, 2006, pp. 77-80
Mu.N

Signaler les situations préoccupantes


La loi du 5 mars 2007 rénovant la protection de l’enfance a précisé la respon-
sabilité des dispositifs d’aide sociale à l’enfance et tout particulièrement du
Président du Conseil général à propos de la transmission des informations
concernant les « situations préoccupantes ». Ceci afin de constituer un
palier d’évaluation, d’appréciation voire de traitement (AED par exemple)
pouvant éviter le « signalement d’enfant en danger » au procureur et pour
développer les pratiques de prévention des risques. Il s’agit en quelque sorte
d’une première instance avant la judiciarisation des actes posés permettant
d’aider les parents à faire face à leurs difficultés.
Dans ce contexte nouveau, « Signaler les situations préoccupantes » repose
sur trois compétences utiles devant être activées simultanément, lorsque le
professionnel de l’action sociale et médico-sociale se trouve placé devant une
situation qui lui pose une question non résolue quant à la conduite à tenir et
qui apporte du souci. Que faut-il entendre par « situation préoccupante » ?
Une situation, nous dit le dictionnaire (Le Robert), c’est : « L’ensemble des
circonstances dans lesquelles une personne se trouve ; ensemble des relations
qui unissent (qqn, une collectivité) à son milieu, à la société ; ensemble des
données qui caractérisent une évolution, une action (à un moment donné) ». et
« préoccupante » signifie « qui inquiète ». Une « situation préoccupante »
est donc un ensemble de circonstances inquiétantes sans que l’on soit sûr de
la gravité de ce qui s’y déroule. L’incertitude caractérise de telles situations
mais aussi la nécessité d’agir. De telles situations posent la question de
l’action lorsque l’on n’est pas sûr de la compréhension de la situation dans
laquelle on se trouve placé.
S Les trois compétences sont :
➤ Connaître les textes législatifs et s’y référer.
➤ Savoir évaluer et discerner les éléments à considérer.
➤ Engager sa responsabilité de sa juste place.
La connaissance des textes législatifs est le premier registre à activer. Devant
une situation préoccupante, il faut être capable de se référer aux lois en
vigueur et à la jurisprudence. Il est essentiel de savoir quelles sont les
obligations professionnelles éventuellement définies et prévues par les
textes. Non pas pour les appliquer aveuglément mais pour commencer
une problématisation de situation. Il est courant que les professionnels
326
SIG
ne signalent pas systématiquement toutes les situations problématiques.
On a pu noter que la police elle-même demandait à certains services
sociaux d’arrêter de signaler sans cesse. Pourtant, les services ne faisaient
qu’appliquer strictement les textes. Mais ce premier repérage est important
pour se donner toutes les chances d’intervenir de façon éclairée et non pas
selon l’humeur ou les peurs du professionnel. Cette première compétence
ne prend sens qu’en regard des deux autres.
La compétence de savoir évaluer et discerner se décompose elle-même en
deux aspects. Tout d’abord, il faut identifier, objectiver, les éléments de la
situation à prendre en compte. Les protagonistes, le moment, le contexte, les
antécédents, etc. Ce travail recherche l’exhaustivité. Ensuite, il faut établir
des liens de sens entre ces éléments et établir des hiérarchies d’importance.
En somme, il faut former des hypothèses de sens à partir des données de
la situation en faisant apparaître les dominantes et les risques existants.
Autant la première compétence est objective, autant la seconde renvoie sur
les capacités d’appréciation de chacun. Le rôle de l’équipe et des cadres de
l’établissement ou service est essentiel. Puisque l’on se trouve en contexte
d’incertitude, il est important, même indispensable de se référer aux autres
pour être « moins faux ». Les évaluations de situation sont incertaines, elles
sont des hypothèses de compréhension et doivent être considérées comme
telles.
Rappelons les trois étapes :
➤ Identifier les éléments intervenants dans la situation.
➤ Les classer et formuler des hypothèses de sens.
➤ Se référer aux autres professionnels et aux cadres de l’établissement ou
service.
L’engagement de sa responsabilité à sa juste place est la dernière compétence
qui permet d’agir. Les professionnels de l’action sociale et médico-sociale
ne sont pas des juges qui « mettent en délibéré » à une date lointaine. Ce
sont des acteurs des situations qui doivent poser des actes, tenir des propos
S
au cœur des situations dans lesquelles ils se trouvent placés. L’engagement
de responsabilité est toujours là, quelle que soit d’ailleurs l’action entreprise.
Il sera toujours possible de mettre en cause le professionnel parce qu’il a fait
ou parce qu’il n’a pas fait. Cette troisième compétence est donc celle qui
consiste à agir au mieux, de la façon la plus juste mais avec l’endossement
du risque de la réponse imparfaite ou inadaptée. C’est pour cela que nous
insisterons à nouveau sur le travail d’équipe et la confiance nécessaire
entre les professionnels. Pour reprendre les propos de l’ANESMS, nous
dirons que la bonne pratique est celle qui s’interroge de façon référée. Celle

327
SOI
qui recherche le juste au sein d’un processus de travail structuré par des
procédures claires et des instances de concertation suffisantes permettant à
chacun de rester en coopération continue avec les autres.
Ces trois registres, distingués pour la commodité de l’exposé doivent
fonctionner ensemble, ils sont les trois facettes d’un seul processus, celui de
l’action responsable.

Mots clés
lois, confiance, responsabilité, évaluer, discernement, équipe, cadres

Références bibliographiques
ARDOINO Jacques, Les avatars de l’éducation, PUF, 2000
PAPAY Jacques, Communication en travail social, Vuibert, 2009
RICOEUR Paul, « Éthique et morale », in Encyclopedia Universalis
Pa.J

Soigner
Peu d’actes comme celui de soigner paraissent à la fois si proches et si
étrangers de la manière dont les travailleurs sociaux se représentent leur
travail. Le soin semble perpétuellement renvoyer à une vision essentiellement
médicale ce qui explique que ce verbe reste peu employé dans les discours,
les équipes et les projets. En revanche, dès que « prendre soin de... » est
évoqué, en référence ou non aux théoriciens du « care », la présence de
cette dimension dans les pratiques professionnelles fait alors consensus. Il
semble bien que le travailleur social réfère son action à la dimension du
soin, en s’appuyant alors sur la référence théorique relativement unanime
et connue de D. W. Winnicott.
S Soigner, pour le travailleur social, consisterait ainsi à travailler sur le plan
de la continuité et de la cohérence. Il s’agit alors de bâtir des relations
dans la durée, pour que jaillisse de cette continuité la confiance et de
nouvelles compétences. Cette conception, parfois exprimée dans les projets,
souvent implicitement, constitue un socle théorico-pratique partagé dans
les professions du travail social (comme chez les éducateurs spécialisés et
les éducateurs de jeunes enfants).
Cette définition « relationnelle » du soin ne doit pas faire oublier que tout
accompagnement éducatif implique le corps. Il serait vain d’imaginer des
soins qui ne passent pas par le corps, même si cela se résume à prendre
328
SUI
en compte le regard ou la voix. Le soin en travail social ne peut donc pas
s’éloigner du corps de l’autre.
L’expérience des travailleurs sociaux engagés dans les professions vouées
aux soins du corps (aides médico-psychologiques, par exemple), montre
l’unité entre le corps et l’esprit. Ainsi, il existe une relation essentielle entre
le soin du corps et l’attention et la disponibilité portée à l’autre, en situation
de souffrance et de dépendance.
Être travailleur social, c’est s’adonner au soin, au sens propre de prodiguer
ses soins, en se donnant soi-même, pour se rendre disponible afin d’observer,
penser et panser l’autre.
Pour les publics moins dépendants, qui ne nécessitent pas de soin physique,
le soin est pour autant requis au cœur de la relation éducative et sociale
elle-même. Il se manifeste alors par des marques d’attention, d’intérêt et
la capacité pour le travailleur social de garder la mémoire et le souvenir
de ce qui a été vécu ensemble, ainsi que son incessante activité à garder la
relation vivante et continue ; c’est cela prendre soin dans le travail social.

Mots clés
soin, corps, continuité, sécurité, corps, voix, don

Références bibliographiques
MOZÈRE Liane, Pour une politique du Care, La Découverte, 2009
« Rencontre avec Liane Mozère : "le Care", une révolution micropolitique »,
in Actualités Sociales Hebdomadaires, No 2611, 29/05/2009
WINNICOTT Donald, De la pédiatrie à la psychanalyse, PBP, 1989
Ot.L

Suivre S
Verbe d’action (du latin sequi). Le dictionnaire Le Petit Larousse illustré
de 2008 définit ce verbe par : « Aller, venir, être après, accompagner.
Suivre quelqu’un pas à pas. Marcher derrière pour surveiller ; épier... ».
Nous utilisons, en éducation spécialisée mais aussi en action sociale, le
substantif de ce verbe. Nous parlons alors de suivi éducatif et ou social. Il
est généralement aujourd’hui remplacé par le mot « accompagnement ».
Le suivi implique une action de manière continue. Suivre une personne en
éducation spécialisée engage un dispositif adapté pour la mise en œuvre de
ce suivi. Il s’exerce différemment selon les champs de l’éducation spécialisée.
329
SUI
Il s’adapte aux besoins et capacités des personnes qui en bénéficient. C’est à
partir de cette action que le projet personnalisé va se mettre en place. Le
suivi peut également s’établir à partir d’un contrat.
Le suivi est soutenu d’actions éducatives déterminées et adaptées aux besoins
du bénéficiaire. Prenons pour exemple le suivi individuel mené par un
SESSAD (Service d’Éducation Spéciale et de Soins à Domicile). Il s’effectue
à partir d’une évaluation et de bilans réguliers menés sous différentes formes :
consultations, bilans médicaux, psychiatriques, psychologiques, scolaires,
éducatifs et sociaux. Les résultats de ces évaluations et leur conclusion sont
systématiquement portés à la connaissance des familles et des partenaires
engagés dans cette prise en charge de l’enfant. Cela conduit bien souvent
à réévaluer des objectifs de travail auprès de l’enfant suivi. Un référent est
désigné. En SESSAD, ce dernier est accompagné du médecin psychiatre
ou du responsable du service pour recevoir la famille et lui proposer un
protocole de travail.
Le terme de « suivi » est aujourd’hui massivement relayé par celui d’accom-
pagnement. Le suivi se référait souvent à la démarche professionnelle de
l’éducateur spécialisé et de l’assistant de service social, qui était synonyme
de l’exercice de la référence individuelle. Depuis 2002, l’accompagnement
est venu s’adjoindre au suivi. Le terme est apparu dans le domaine du
handicap. L’accompagnant peut être alors diplômé ou non diplômé. Ce sont
fréquemment des aides médico-psychologiques (AMP). Ces professionnels
initient un nouveau modèle d’accompagnement. De nouveaux métiers se
sont alors développés, nécessitant un cadre légal et une formation adaptée.
Le cercle des professionnels qui accompagnent les personnes fragilisées,
vulnérables s’est élargi. Le suivi qu’il soit éducatif, social, personnalisé n’est
plus du seul ressort de l’éducateur spécialisé ou de l’assistant de service
social. Les aides médico-psychologiques, les auxiliaires de vie sociale, les
assistants familiaux et les surveillants de nuit, accompagnent. De leur place,
S ils participent à la mise en œuvre des suivis des usagers, qui restent davantage
du ressort de l’éducateur spécialisé et de l’assistant de service social, qui
mènent alors une fonction de coordination des accompagnements, mais
aussi des accompagnements menés directement.
La loi n◦ 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale
fixe de nouvelles règles relatives aux droits des usagers. Elles réaffirment
la place prépondérante des personnes. Ces règles entendent promouvoir
l’autonomie, la protection des personnes et l’exercice de leur citoyenneté. Le
suivi s’est donc vu accompagné d’un cahier des charges à mettre à l’œuvre
afin de réglementer les actions éducatives. Le suivi est décliné à travers un

330
SUI
projet d’établissement, un livret d’accueil, la charte des droits et liberté, le
projet personnalisé, le projet de vie.

Mots clés
suivi, accompagnement, accompagnant, projet personnalisé, projet de
vie, prise en charge

Références bibliographiques
ROUZEL Joseph, Parole d’éduc, éducateur spécialisé au quotidien, Érès, 1998
FUSTIER Paul, Le lien d’accompagnement, Dunod, 2000
NUSS Marcel, Former à l’accompagnement des personnes handicapées, Dunod,
2007
Be.C

331
T
Temps
« L’éducateur spécialisé est impliqué dans une relation socio-éducative de
proximité inscrite dans une temporalité », selon le Référentiel professionnel
du diplôme d’État d’Éducateur Spécialisé de 2007. Le contexte de l’inter-
vention éducative n’obéit plus au court, moyen ou long terme, mais à une
temporalité aux contours plus vagues, de préférence circonscrite et définie
selon les termes d’un contrat désormais associé à la notion de projet. Au
désir qui se moque du temps succède le projet aliéné à un temps social où
prévaut l’action rapide, voire la réaction.
L’intervention sociale, en se substituant au travail social, signifie un
recentrage sur le ponctuel, l’immédiat, l’urgence, au détriment d’une
action en profondeur et d’un souci du long terme. Un tel mouvement
souligne le caractère situé et limité dans le temps des nouvelles pratiques
professionnelles. Une durée réduite de l’intervention consacre l’efficacité de
l’intervenant social et la volonté d’insertion de l’usager. Le temps éducatif
apparaît de plus en plus programmé, corseté, quadrillé, homogénéisé
pour mieux obéir aux exigences de l’évaluation et à des impératifs de
gestion soucieux de rationalité, d’écarter ces impondérables forcément
coûteux : « ça dure », « ça traîne », « ça n’en finit pas »...
Le présent ainsi surinvesti au détriment du passé et du futur apparaît T
comme une tentative de maîtrise du temps, d’où le succès de la notion
d’urgence. Le mythe d’une disponibilité totale, expression d’une vocation
laïcisée ou d’un engagement militant, s’est évanoui au profit d’une approche
professionnalisée qui privilégie l’immédiateté des réponses et la rapidité des
interventions. Les Opérations Prévention-Été (1982) en sont un premier
exemple. La discontinuité des interventions supplée la continuité du travail
éducatif. L’instauration du Revenu Minimum d’Insertion (1988) marque

333
TRA
une autre rupture en inscrivant les interventions dans un échéancier. Une
meilleure formalisation de la relation est censée dégager l’intervenant
d’enjeux relationnels aux accents éternels. L’échéancier contracte le temps,
l’inscrit dans un espace-temps social où domine l’ici et maintenant.
Le Traitement en Temps Réel des procédures pénales (1993) témoigne de
cette volonté d’agir vite, de réduire l’écart temporel entre un événement
et sa résolution. L’opportunité de la décision judicaire s’efface derrière
la promptitude du traitement social. Ainsi, « Chronos », temps linéaire
et chronologique, tue « Kairos », temps propice et moment opportun.
L’accompagnement programmé et standardisé remplace le suivi soumis à
un psychologisme d’intervention (Ion, 1998) trop dépendant d’un temps
psychique affranchi du temps social. En pleine mutation, le travail sur
autrui continue de composer avec le temps considérant « que le temps n’est
pas le fait d’un sujet isolé et seul, mais qu’il est la relation même du sujet
avec autrui ».

Mots clés
durée, temps, rythmes, Kairos, Chronos, temporalité, temps psychique

Références bibliographiques
LÉVINAS Emmanuel, Le temps et l’autre, PUF, 2004
ION Jacques, Le travail social au singulier, Dunod, 1998
Arrêté du 20 juin 2007 relatif au diplôme d’État d’éducateur spécialisé
Be.D

Transfert
Les transferts sont des séjours extérieurs organisés pour des enfants ou des
adultes accueillis dans un établissement médico-social. Ces séjours ont une
T visée éducative, pédagogique ou thérapeutique. Ils sont en lien avec le projet
d’établissement et les projets personnalisés.
Ils se situent dans la continuité de l’accompagnement et sont l’occasion
de créer une « rupture » avec le quotidien grâce à la découverte d’un
environnement nouveau, et à la mise en place d’activités différentes.
Ces séjours donnent l’occasion aux travailleurs sociaux d’avoir une approche
différente des enfants ou adultes et donnent des clés pour faire évoluer leur
travail.

334
TRA
Les transferts mettent l’accent sur les activités sportives, culturelles, les
loisirs de plein air, ils visent à développer l’épanouissement des enfants ou
adultes et tiennent compte de leurs capacités, de leur pathologie et de leur
santé. L’objectif est d’offrir une plus grande socialisation et de favoriser
l’autonomie.
Le projet de transfert est soumis au directeur de la DDASS du département
d’origine et du département d’accueil et au Conseil de la Vie Sociale, il
associe les enfants et leurs parents, ou les adultes et leur représentant.
Pour les travailleurs sociaux qui accompagnent les résidents, le régime de
fonctionnement est celui de l’internat. Ils reçoivent une prime forfaitaire
de « transfert ». Le responsable du séjour reçoit une prime forfaitaire de
« responsabilités exceptionnelles » et d’astreinte.
On parle également de transfert pour effectuer des déplacements ou
retournement du lit au fauteuil, du fauteuil aux toilettes. Des aides au
transfert existent sous la forme de matériel orthopédique : « cadres –
guidons » par exemple. Mais des techniques de manutention permettent
aussi aux travailleurs sociaux de réaliser ces transferts et d’aider aux
déplacements des personnes en situation de handicap qui peuvent avoir un
appui au sol.
Le terme « transfert » est également employé en psychanalyse. Dans le secteur
social et médico-social, on parle de transfert dans la relation éducative.
Le transfert est « le processus par lequel les désirs inconscients s’actualisent
sur certains objets dans le cadre de relations établies avec eux. Il s’agit
d’une répétition de prototype infantile vécue avec un sentiment d’actualité
marquée ». (Laplanche et Pontalis).
Les travailleurs sociaux sont des cibles privilégiées du transfert parce qu’ils
sont engagés très concrètement dans le quotidien des personnes qu’ils
accompagnent, ils vivent dans une grande proximité avec elles et sont
proches affectivement.
Selon Joseph Rouzel, l’approche de l’usager est faite de haine et d’amour T
et nécessite des espaces de médiation efficaces afin d’éviter tant le collage
affectif que le rejet. De fait, chaque rencontre opère sous transfert. Ce
concept, loin d’être réservé à la psychanalyse, est opératoire dans toute
pratique sociale.
Pour les travailleurs sociaux, les réunions d’analyse de la pratique sont
essentielles pour mettre des mots sur ce qu’ils vivent et ressentent et leur
permettent de se questionner en permanence sur ce qu’ils engagent dans
leurs relations aux usagers.

335
TRA
Le transfert implique toujours un déplacement : il peut être géographique,
physique ou affectif. Il oblige à un acte d’éloignement provisoire dans une
perspective de recentrement vers soi-même, pour un « mieux-être ».

Mots clés
séjour, changement, rupture, aide, médiation, relation

Références bibliographiques
Circulaire DGAS n◦ 2003/149 du 26 mars 2003, relative à l’organisation
des transferts temporaires d’établissements pour enfants et adolescents
handicapés
ROUZEL, J., Le transfert dans la relation éducative, Dunod, 2002
De.C

Travailleur de nuit
En fonction des publics accueillis, les personnels qui assurent les nuits
peuvent être de formations différentes : éducateurs-spécialisés, aides-
soignantes, aides-médico-psychologique, infirmières ou surveillants de
nuit qualifiés. Dans les établissements avec hébergement, ces personnels
assurent la surveillance des locaux, des biens et des usagers durant la nuit,
ils sont donc appelés à avoir des contacts permanents avec les enfants ou
les adultes. Pour cette raison, ils bénéficient d’une indemnité mensuelle
de sujétions spéciales. Les surveillants de nuit bénéficient désormais d’une
formation spécialisée d’une durée minimale de 175 heures, reconnue par le
CPNE. L’exercice de la surveillance de nuit représente un moment particulier
qui doit s’intégrer dans le projet d’établissement.
Les travailleurs de nuit bénéficient d’une surveillance médicale renforcée
qui a pour objet de permettre au médecin du travail d’apprécier les
T conséquences éventuelles pour leur santé et leur sécurité ; notamment du
fait des modifications des rythmes chrono-biologiques et d’en appréhender
les répercussions potentielles sur leur vie sociale. Le personnel de nuit
participe à l’accompagnement des usagers en assurant la surveillance de
leur sommeil, de leur sécurité physique et psychique et de leurs besoins. Il
connaît les différents dispositifs d’urgence en cas de besoin, veille au respect
de l’intimité de chaque résident dans le cadre de l’ensemble de ces actions
et respecte les rythmes de sommeil de chacun. Il doit aussi transmettre des
informations et ses observations pour l’élaboration du projet personnalisé

336
TRA
de chaque usager auquel il participe. Son travail contribue à la cohérence
de la prise en charge des personnes accueillies.
L’accompagnement de la nuit des enfants et des adultes demande un sens
relationnel important et une capacité d’écoute essentielle, car c’est souvent
la nuit que les peurs s’expriment et que la confiance s’établit. La nuit
est un moment particulier où le sommeil peut être difficile et ponctué
d’inquiétude, de cauchemars, voire d’angoisse. C’est souvent un moment
d’échange spécifique à cause de l’intimité qu’elle instaure, un moment pour
se confier et pour entendre une vraie parole quand le travailleur de nuit se
montre disponible. La nuit est un moment où la relation d’aide se prolonge,
se renforce. Accompagner la nuit, c’est offrir un cadre sécurisant, contenant
et rassurant.
Pour les travailleurs sociaux qui travaillent de nuit, l’enjeu est de parvenir à
faire le lien avec l’ensemble de l’équipe pluriprofessionnelle et de s’impliquer
dans la dynamique de l’établissement. La solitude peut être ressentie et
accentuer l’usure professionnelle. C’est pourquoi, la formation continue et
l’inscription dans des groupes d’analyse de la pratique sont indispensables.
Travailler de nuit implique une grande responsabilité tant au niveau de la
sécurité des personnes qu’au niveau de l’accompagnement spécifique que
cela implique.

Mots clés
surveillance, sécurité, sommeil, respect, solitude

Références bibliographiques
AZAIS L., « Internats, le cauchemar des nuits sereines », in Enfances psy,
n◦ 10, Éres, 2000
THOUVENOT C., L’efficacité des éducateurs. Une approche anthropologique de
l’action éducative spécialisée, L’Harmattan, 1998
De.C T
Travailleurs sociaux
L’appellation « travailleurs sociaux » est un terme générique réunissant des
métiers d’une grande diversité, tant par le niveau d’études, les contenus de
formation, les effectifs, que par les champs d’intervention et de compétences.
Le champ du travail social apparaît être un champ professionnel aux
contours incertains, qui regroupe les professionnels intervenants dans le
cadre de l’action et l’intervention sociales auprès de publics en difficultés
337
TRA
et/ou vulnérables, en raison d’un (de) handicap(s), d’une maladie, de leur
situation familiale, sociale et/ou économique, de leur âge, dans une approche
globale sociale, éducative, psychologique et médico-sociale. Le travail social
s’est institutionnalisé après la seconde guerre mondiale par la mise en place
de formations (du niveau 5 au niveau 3) et l’essor de métiers canoniques :
éducateurs spécialisés, éducateurs de jeunes enfants, assistants de service
social, conseillers en économie sociale et familiale, animateurs. Au cours
des vingt dernières années, de nouveaux « métiers » (dans le champ de la
médiation sociale) sont apparus notamment à l’initiative de collectivités
territoriales, afin de répondre à des fonctions nécessaires qui ne seraient
pas couvertes par les travailleurs sociaux ; particulièrement dans les zones
urbaines sensibles.
Le champ du travail social est massivement féminisé. Lorsque le métier
consiste à s’occuper et prendre en charge des personnes âgées ou vulnérables,
et/ou à accomplir des tâches ménagères au sein du domicile de personnes
vulnérables ou en difficulté, les hommes sont absents. Ils représentent
seulement 1 % environ des emplois d’auxiliaires de vie sociale (AVS), de
techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF), et de conseillers en
économie sociale et familiale (CESF). Le métier d’éducateur spécialisé
est féminisé à 66 % ; celui d’assistant de service social à 92 % ; ceux
de l’animation à 63 %. Les statistiques permettent d’observer une plus
importante mixité des intervenants présents dans les secteurs ayant un
recours à l’autorité ; voire une inversion de la proportion d’hommes et de
femmes dans certains domaines par exemple le domaine de la médiation
sociale marqué par « une forme de discrimination sexiste », mais aussi dans
le domaine de l’éducation technique spécialisée où les hommes représentent
78,26 % des éducateurs techniques spécialisés.
Les différentes professions du travail social se distinguent par le public pris
en charge et le secteur d’intervention.
Les professions éducatives
T Les éducateurs spécialisés (ES), spécialistes de l’inadaptation, (l’inadaptation
pouvant se définir comme le défaut d’adaptation aux structures et normes
d’une société donnée, comme un écart entre le comportement, l’état ou
la situation de personnes ou de groupes de personnes vis-à-vis des seuils
et normes communément admis dans une société donnée) sont en fait
des généralistes de l’éducation et de l’accompagnement socio-éducatif, qui
interviennent auprès de publics très différents : enfants, adolescents, adultes
présentant des troubles du comportement ou des difficultés d’insertion,
porteurs d’un (de) handicap(s), en difficultés sociales, économiques ou
338
TRA
psychologiques. Leurs rôles et leurs modalités d’intervention diffèrent selon
le lieu d’exercice (en institution ou en milieu ouvert par exemple). Les
moniteurs-éducateurs (ME) interviennent auprès du même public. Leur
action s’inscrit davantage dans l’accompagnement de la vie quotidienne en
lien avec les éducateurs spécialisés. Les éducateurs de jeunes enfants (EJE),
spécialistes de la petite enfance ont pour mission de participer à l’éducation
des jeunes enfants en favorisant le développement global et harmonieux
des enfants ; d’adapter leurs interventions aux différentes populations ;
de lutter contre les risques d’exclusion ; de prévenir les inadaptations
socio-médico-psychologiques ; d’accompagner et de soutenir les parents
dans leur fonction éducative. Les aides médico-psychologiques (AMP)
participent au soin, à l’éducation, d’enfants, d’adolescents ou d’adultes
porteurs d’un handicap, malades ou âgés, en lien et sous la responsabilité
d’un travailleur social (éducateur spécialisé ou éducateur de jeunes enfants)
ou d’un professionnel paramédical. Les éducateurs techniques spécialisés
(ETS) participent à l’accompagnement d’adolescents et d’adultes porteurs
d’un (de) handicap(s) au travers d’activités à visée professionnelle ou dans
le cadre du travail protégé (par exemple au sein d’ESAT – établissement et
service d’aide par le travail). Les assistants familiaux (AF) accueillent au
sein de leur domicile, après avoir obtenu un agrément à titre permanent,
des mineurs qu’ils accompagnent dans les actes de la vie quotidienne
dans le cadre de la protection de l’enfance. Ils sont chargés d’une mission
éducative et réalisent avec les jeunes qui leur sont confiés les tâches que
normalement les parents ont à accomplir auprès de leurs enfants (Pratique
de la parentalité). Ceci inclut en particulier les soins physiques et psychiques,
la satisfaction des besoins corporels.
Les professions de l’aide, visant notamment
l’accompagnement des familles
Les assistants de service social (AS) accompagnent et aident des personnes en
difficultés, démunies et/ou vulnérables, afin de permettre une amélioration
de leur situation sociale, économique et culturelle. Mais aussi en informant T
sur les droits des personnes aux prestations sociales légales et extra-légales,
aux soins, à la formation, en orientant vers des institutions spécialisées,
en participant à l’insertion des personnes et au développement social. Les
conseillers en économie sociale et familiale (CESF) accompagnent des
personnes se trouvant en difficultés ponctuellement ou durablement en
matière d’accession à un logement, de gestion budgétaire, d’alimentation,
de santé et de participation à la vie sociale afin d’éviter, ou tout au moins, de
limiter les situations d’exclusion de familles ou d’adultes. Les techniciens de

339
TRA
l’intervention sociale et familiale (TISF) interviennent au domicile d’usagers
en difficultés passagères ou durables survenant à la suite d’une maladie,
d’un décès, d’une naissance. Ils interviennent également dans le cadre de
la protection de l’enfance. Ils assurent une fonction préventive, éducative
et sociale à partir d’activités ménagères et familiales. Les auxiliaires de
vie sociale (AVS) accompagnent, dans la vie quotidienne au domicile, des
usagers rencontrant des difficultés, afin de leur permettre de demeurer chez
eux en conservant une certaine autonomie et une vie sociale.
Les professions de l’animation
Le champ de l’animation est très diversifié. S’y côtoient tant des animateurs
professionnels que des animateurs non professionnels. L’un des premiers
contacts avec la vie active s’effectuant au travers de l’animation « occasion-
nelle » en centre de loisirs sans hébergement (CLSH), en centre de vacances,
soit maternel soit élémentaire ou dans le cadre des activités périscolaires
(garderies, cantines). De nombreux jeunes hommes et femmes, acquièrent
ainsi une première expérience professionnelle au contact d’enfants, voire
leur première expérience professionnelle dans le monde du travail, par
l’intermédiaire de la pratique de l’animation occasionnelle : chaque année,
plus de 50 000 futurs animateurs obtiennent le brevet d’aptitude aux
fonctions d’animateur (BAFA) en France, certification non professionnelle
et non diplômante, permettant une première approche de l’éducation
des enfants. Ce premier contact à titre salarié de l’éducation enfantine a
comme caractéristique pour un grand nombre un caractère temporaire dans
leur trajectoire professionnelle, et ne constitue pas un choix professionnel
affirmé de travailler auprès d’enfants dans le champ de l’animation ou de
l’éducatif. Les animateurs qui veulent exercer professionnellement dans
l’animation peuvent suivre différentes qualifications : le brevet professionnel
de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (BPJEPS), le diplôme
d’État de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (DEJEPS), le
diplôme d’État supérieur de la jeunesse, de l’éducation populaire et du
T sport (DESJEPS), qui préparent respectivement aux fonctions d’animateur,
de coordonnateur ou de directeur. Au cours d’activités, généralement
collectives, et au travers d’un accueil collectif, les animateurs participent à
la création ou au maintien de liens entre pairs. À partir d’activités sociales,
éducatives, culturelles ou de loisir, ils accompagnent des jeunes de 11 à 25
ans dans l’élaboration de projets et visent l’autonomisation des jeunes.

340
TRA
Les professions de l’encadrement
L’action sociale est un secteur d’interventions aux multiples enjeux
individuels, sociaux, économiques et politiques qui vise à promouvoir
l’autonomisation et la protection d’usagers, la cohésion sociale, l’accès
à la citoyenneté et l’inclusion de tout un chacun. La direction d’un
établissement ou d’un service, l’encadrement d’une équipe impliquent
l’appropriation de concepts, connaissances et théories permettant aux cadres
de l’action et l’intervention sociales de conduire le projet d’établissement
dans le cadre des dynamiques institutionnelles, inter-institutionnelles et
partenariales, de gérer la complexité et la diversité des situations qu’ils
rencontrent. Les travailleurs sociaux qui visent les fonctions de direction
et d’encadrement ont accès à trois diplômes : le certificat d’aptitude aux
fonctions de directeur d’établissement social ou de service d’intervention
sociale (Cafdes) préparant aux fonctions de direction d’établissements
sociaux et médico-sociaux ; le diplôme d’État d’ingénierie sociale (DEIS)
prépare aux fonctions d’expertise, de conseil, de conception et d’évaluation ;
le certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité
d’intervention sociale (Caferuis) prépare aux fonctions d’encadrement
d’une équipe pluriprofessionnelle.

Niveau des diplômes du travail social


Volume Volume
formation formation
Diplômes
théorique en pratique en
heures heures
Niveau I
CAFDES 700 510
DEIS 700 175
Niveau II
CAFERUIS 400 420
DESJEPS 700 500
Niveau III
EJE 1 500 2 100
AS
ES
1970
1 450
1 680
2 100
T
DEETS 1 200 1 960
CESF 540 560
DEJEPS 700 700
Niveau IV
ME 950 980
TISF 950 1 155
BPJEPS 637 861
Niveau V
AMP 495 840
AVS 504 560
AF 240

341
TRA
À partir des années 80, de nouveaux métiers ont émergé : conseillers
d’insertion, agents de médiation, chefs de projets, chargés de mission,
notamment dans le cadre du suivi et de l’accompagnement des bénéficiaires
du RMI, maintenant du RSA, agents de développement social, « femmes-
relais » sont apparus et coexistent à côté des travailleurs sociaux des
professions canoniques, venant complexifier encore l’appréhension du
champ du travail social et sa définition, ou tout au moins rendre ses
contours davantage incertains. Ils ont pour fonction la construction de
liens sociaux, de maintenir l’existence de liens entre les institutions et les
habitants d’un territoire, souvent à l’échelle d’un quartier, en (re)cherchant
l’implication de ces derniers dans des projets à visée collective. Prenant
appui sur les besoins locaux repérés par les élus, leurs champs d’intervention
sont diversifiés, portant par exemple sur la vie sociale et culturelle d’un
quartier, le sport, les loisirs, la prévention de la délinquance, les relations
entre la police et les habitants du quartier, etc.
La société française se trouve, en ce début de XXIe siècle, dans une
situation de mutation générale des rapports entre les générations, des
rapports sociaux, de sexe, au sein des familles comme dans l’espace
public, du travail, d’émergence de nouvelles formes familiales et de lutte
contre toutes les formes de discriminations et de violences (violences
intrafamiliales, conjugales, urbaines, physiques, psychiques, etc.), de
persistance du chômage, de vieillissement de la population. Dans ce contexte,
les métiers du travail social ont rencontré des changements profonds : lois
de décentralisation de l’action sociale, politique de la ville, diversification
des politiques sociales... Les « nouveaux » métiers du social, pour lesquels
il n’existe pas de formation spécifique, semblent davantage le fruit de
la disqualification des professions établies du travail social tant par les
politiques, les élus territoriaux que par les professionnels eux-mêmes comme
de la volonté de réduire le coût de l’action et l’intervention sociales, en
recrutant massivement des jeunes sur des emplois précaires, peu rémunérés
(emplois jeunes, assistants d’éducation, service civil, etc.). Leur bonne
T volonté, voire leur origine — soit ethnique, soit géographique (issu du
quartier) — donneraient à ces jeunes une légitimité et des compétences
« naturelles ».

Mots clés
travail social, professions canoniques, qualifications, féminisation,
métiers de la relation d’aide, métiers de l’animation, agents de
médiation, nouveaux métiers
342
TUT
Références bibliographiques
BESSIN Marc, « Le travail social est-il féminin ? », in ION Jacques (dir.), Le
travail social en débat[s], La découverte, 2005, pp. 152-169
DELAPORTE F., « La formation aux professions sociales en 2000-2001 », in
Document de travail, DREES, 2002, n◦ 38
DIVAY Sophie, « La médiation sociale en emploi-jeune. Une activité
professionnelle virile », in Diversité Ville école intégration, SCÉRÉN
CNDP-CRDP, n◦ 141, juin 2005, pp. 137-144
HOUZEL Didier (dir.), Les enjeux de la parentalité, Érès, 2003
JOVELIN Emmanuel, BOUQUET Brigitte, Histoire des métiers du social en
France, ASH, 2005
ION Jacques (dir.), Le travail social en débat[s], La découverte, 2005
ION Jacques, TRICART Jean-Paul, Les travailleurs sociaux, La Découverte,
1992
MONTFORTE Isabelle, « Devenir aujourd’hui animateur ou directeur
occasionnel en centres de vacances et de loisirs », in Dossiers d’études,
n◦ 77, 2006
Mu.N

Tutelles et financeurs
Ces deux termes font directement référence à deux missions qui contribuent
à la structuration et au fonctionnement du système social et médico-social.
Celui-ci est fondé sur la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale
et médico-sociale. Les tutelles et les financeurs sont essentiels parce que,
sans les organismes qui remplissent ces missions, un établissement ou un
service ne pourrait exister et vivre. La notion de tutelle, déjà ancienne,
repose depuis les lois de décentralisation, au début des années 1980, sur la
notion de compétence, sur la manière dont celle-ci est confiée et dont elle
est exercée. La compétence renvoie le plus souvent au financement qui va
prendre des formes variables. T
La tutelle est aussi ancienne que le sont les établissements, notamment
hospitaliers. En effet un édit de 1666 soumet à l’autorité royale le droit
de fonder un établissement : « il ne pourra être fait aucun établissement
de bienfaisance sans l’assentiment de l’autorité de tutelle ». Au fil des
ans la tutelle connaîtra des transformations tout en restant toujours
présente. Elle se complète avec la notion de contrôle. Dans les deux cas, il
s’agit de l’affirmation d’une autorité externe à l’institution, imposant des
limites à la liberté de celle-ci. Aux autorités de tutelle (Ministre, Préfet...)
343
TUT
viennent s’adjoindre des corps d’inspection. Dans le champ social, l’IGAS
(Inspection Générale des Affaires Sociales) est créée en 1967, mais dès 1828
une inspection générale des établissements de bienfaisance avait déjà été
instituée.
Au sens juridique, la compétence recouvre deux réalités bien distinctes.
C’est d’abord la compétence normative, la capacité à définir les règles du
jeu ; en l’occurrence ici la loi et les textes réglementaires. La décentralisation
n’a pas vraiment touché à cette compétence. L’État a toujours la prérogative
de définir la loi, en lien avec le pouvoir législatif. Cela donne lieu à une
première forme de tutelle celle de l’État sur les collectivités territoriales.
En effet, elles peuvent bénéficier du principe de libre administration, mais
en contrepartie l’État exerce un contrôle confié au représentant de l’Etat
dans le département ou la Région et au juge administratif. C’est le contrôle
de légalité a posteriori. C’est ensuite la compétence de mise en œuvre qui
correspond à la capacité et au devoir de faire. La décentralisation porte
essentiellement sur ce type de compétence. En France, les compétences, de
manière générale comme dans le social, sont confiées pour l’essentiel aux
collectivités publiques (État et collectivités territoriales). Dans certains cas,
elles peuvent être confiées à des établissements publics, notamment aux EPCI
(Établissements Publics de Coopération Intercommunale), depuis les lois sur
l’intercommunalité. Les communes qui constituent une intercommunalité
doivent mettre en commun, en fonction de l’intérêt communautaire, des
compétences obligatoires et optionnelles. C’est ainsi qu’aujourd’hui la petite
enfance, la prévention spécialisée, la politique de la ville, l’insertion par
l’activité économique peuvent relever de la compétence d’une communauté
de communes, d’une communauté d’agglomération ou d’une communauté
urbaine. Depuis le milieu des années 1980, les collectivités territoriales
exercent des compétences, qui ont été complétées et modifiées tout au
long des années 1990, avant de connaître une deuxième grande vague de
décentralisation en août 2004.
T Après avoir été confiées, ces compétences s’exercent. Cela peut se faire de trois
manières distinctes, par exercice direct, par le recours à un établissement
public, par le recours à un tiers de droit privé.
➤ Dans le premier cas, l’entité détentrice de la compétence crée son propre
service pour l’exercer directement. C’est par exemple un service social
départemental, un service d’aide sociale à l’enfance, voire dans des cas
plus rares, pour un service départemental de prévention. La notion de
tutelle n’a pas de sens ici.

344
TUT
➤ Dans le second cas, c’est une entité juridique distincte, souvent un
établissement public administratif, qui exerce la compétence. Il peut
s’agir d’un CCAS (Centre Communal d’Action Sociale), d’un Foyer
départemental de l’Enfance, voire d’une Agence Régionale de Santé (à
partir du printemps 2010). La tutelle est ici différente. Juridiquement,
ces établissements publics sont indépendants mais par leurs règles de
constitution (le maire président du CCAS), par les mécanismes de
nomination des directeurs (en Conseil des Ministres pour l’ARS) ou
par les conventions qui les lient à la collectivité publique, il y a bien une
forme de tutelle particulière.
➤ Dans le troisième cas, l’entité détentrice de la compétence peut la confier,
en tout ou partie, à un tiers, le plus souvent – à ce jour – associatif.
Des procédures sont alors prévues. Selon les secteurs elles prendront
nom agrément, autorisation... voire aujourd’hui de plus en plus appel à
projets. Dans tous les cas, un projet doit être formalisé et validé par le
détenteur de la compétence (le Préfet, le Président du Conseil Général
ou du Conseil Régional). La compétence peut alors être exercée pour
une durée définie et avec obligation d’évaluation (interne et/ou externe
selon les domaines). Dans ce cas, il va bien y avoir une relation de tutelle
qui se met en place.
Cette organisation débouche sur une relation de tutelle, distincte des autres
formes de relation avec des tiers (partenariat, réseau, sous-traitance...). Par
la suite, les collectivités publiques sont dans une position de contrôle. Cela
induit un type d’interactions particulières entre des organisations dont
l’une a la charge du contrôle de l’autre. Cela nécessite de bien distinguer le
contrôle du suivi et de l’évaluation :
« le contrôle juge en fonction de critères connus et clarifiés à l’avance (enveloppes
budgétaires, textes réglementaires, normes professionnelles). Le suivi juge en
fonction d’objectifs opérationnels à réaliser. Au contraire l’évaluation doit le
plus souvent commencer par choisir ses critères de jugement ; ceux-ci sont
formulés à partir des objectifs de l’action publique évaluée » (IGAS, 2005).
T
Cet exercice de la tutelle peut porter sur des domaines différents, sachant que
dans tous les cas il y a, au préalable, des normes le plus souvent explicites :
les conditions matérielles d’accueil des personnes (sécurité, accessibilité...) ;
le respect d’obligations réglementaires (la mise en œuvre du droit des
usagers, l’instauration d’un conseil de vie sociale...) ; le respect de règles de
fonctionnement (mode de décision du conseil d’administration, système de
délégation du président d’une association à un directeur...) ; le respect des
normes budgétaires et comptables. Dans certains secteurs, une procédure
345
TUT
globale peut être mise en place. Pour le champ social et médico-social,
cela se nomme la visite de conformité. Ces différents types de contrôle,
dans les situations ordinaires, sont assurés par les services de la collectivité
détentrice de la compétence : la DDASS pour les structures qui dépendent
de la compétence de l’État ; les services du Conseil Général pour celles qui
dépendent de la compétence du Conseil Général. Dans des situations de
crise, le contrôle peut être assuré par les inspecteurs de l’IGAS.
Pour pouvoir ouvrir et fonctionner, la plupart des structures sociales et
médico-sociales doivent obtenir une autorisation ou un agrément de la part
des autorités de tutelle. Cela permet alors d’accéder aux financements. La
plupart du temps, c’est la même collectivité publique qui est à la fois tutelle
et financeur (le terme d’autorité de tarification est aujourd’hui utilisé).
Il peut y avoir des exceptions. C’est le cas aujourd’hui pour le champ
médico-social qui dépend de l’État : la DDASS est la tutelle, la sécurité
sociale est le financeur. L’obtention du financement reposait jusque-là
sur une série d’actes administratifs codifiés : la présentation d’un budget
prévisionnel, à la fin octobre de l’année précédente ; la phase de négociation
budgétaire, au mieux en milieu d’année se concluant par un arrêté de
financement ; la présentation du compte administratif en début d’année
suivante. Désormais, la tendance est à la simplification de la procédure
en introduisant une convention pluriannuelle d’objectifs et de moyens
(CPOM) qui contractualise pour 5 ans les relations entre une structure et le
financeur. Le financement est a priori garanti pour la durée de la convention,
sous réserve que des engagements dans la gestion de la structure soient pris
et tenus. La situation dans laquelle il n’y a qu’un seul financeur est la plus
simple. Cependant, d’autres structures du social sont dans des situations
beaucoup plus complexes liées à la diversification des financements.
Les sources de financements se diversifient aujourd’hui. Le recours aux
financements par les usagers eux-mêmes se développe. Il peut être induit
par les mécanismes de financement de la sécurité sociale (ticket modérateur,
T forfait hospitalier...). Il peut aussi être la condition d’accès à certains
dispositifs sociaux. C’est le cas dans la petite enfance, où l’accès aux
structures est conditionné par une prise en charge financière des parents.
C’est de plus en plus le cas dans le domaine des personnes âgées et
de la prise en charge de la dépendance, notamment dans les EHPAD
(Établissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes) ou
dans les interventions à domicile : le montant de l’allocation personnalisée
d’autonomie ne couvre pas l’intégralité des services aux personnes. Pour
ce financement par les usagers, les modalités de calcul peuvent êtres très

346
TUT
variables selon la prise en compte ou non de la situation sociale et fiscale des
familles. De plus le recours, apparu dans les années 1980, à la solvabilisation
de la demande, a contribué à développer le financement par les personnes
elles-mêmes. En effet, la condition d’obtention d’une aide — souvent par
de la défiscalisation — repose sur le paiement antérieur d’une prestation.
C’est le cas aujourd’hui pour l’APA dans l’aide à domicile, dans les aides aux
familles pour la garde d’enfants, mais aussi dans le vaste champ que l’on
cherche à développer, celui des services aux personnes. La diversification
passe aussi de plus en plus par le recours à des financements multiples.
Plusieurs collectivités ou organismes financent alors une même structure.
Cela passe par une convention tripartite, par exemple. C’est aussi le
cas dans des financements de projets où l’intervention d’un organisme
est conditionnée par celle d’un autre. C’est notamment le cas pour les
financements européens.
Quand ils sont publics, les financements découlent souvent des procédures
évoquées antérieurement. Ils peuvent prendre des formes différentes. La
plus ancienne est le prix de journée qui a été consacré par les lois d’assistance
de 1893. Le prix de revient journalier est alors calculé en tenant compte de
l’ensemble des dépenses de l’établissement ramené au nombre de journées
de prise en charge prévues. La dotation globale a été instaurée dans le champ
social en 1986. Elle repose cette fois sur le prix de revient de la structure
pour l’année à venir. La tarification à l’activité est plus ou moins récente
selon les secteurs. Elle a été généralisée récemment au système hospitalier
sous la dénomination de T2A (Tarification À l’Activité). C’est l’acte qui
déclenche le financement. Cela implique que tout peut être ramené à un
acte, ce qui est manifestement impossible, mais aussi que l’on se mette
d’accord sur ce qu’est un acte dans un contexte professionnel donné. Dans
d’autres domaines, il peut s’agir d’une prestation de service. C’est le cas
pour les centres sociaux. En contrepartie d’un service défini dans un contrat
de projet, la CAF finance la prestation de service.
Ces dernières années, notamment depuis le décret d’octobre 2003 pour les T
structures qui relèvent de la loi du 02/01/2002, les mécanismes de régulation
et de contrôle se sont renforcés en limitant d’autant l’autonomie de gestion
des établissements et services.
Dans les prochains mois, les règles du jeu tant de la tutelle que du
financement vont être modifiées pour deux raisons. La première est liée
à la réforme générale des politiques publiques et à la restructuration des
services de l’État. Les principaux services présents aujourd’hui (DDASS
et DRASS notamment) vont en tant que tels disparaître et être fondus

347
TUT
dans de nouvelles organisations. La seconde est liée à l’application de la loi
n◦ 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital, et relative aux
patients, à la santé et aux territoires (HPST). Elle va notamment regrouper
sous l’autorité d’une nouvelle structure, l’Agence Régionale de Santé (ARS),
le secteur sanitaire et le secteur médico-social.
Dans la division du travail au sein des organisations, l’autorisation et le
financement relèvent des directions des structures. Ces dernières vont devoir
s’adapter rapidement aux nouvelles règles du jeu, qui introduisent les appels
à projet. Lorsque les structures sont associatives, leurs responsables vont aussi
devoir accroître leur « professionnalisation » afin de clarifier leur système
de délégation, négocier avec les autorités de tarification les conventions
pluriannuelles qui tendent à devenir obligatoires. Ces différentes règles du
jeu ont aussi un impact sur les pratiques quotidiennes ; elles permettent de
donner sens à des décisions et des orientations qui peuvent au départ ne
pas en avoir. La maîtrise minimale des règles et des circuits évoqués dans
cet article par les travailleurs sociaux devient alors une impérative nécessité.

Mots clés
compétence, contrôle, financement, tutelle

Références bibliographiques
IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) (2005). Suivi, contrôle et
évaluation du travail social et de l’intervention sociale
Loi n◦ 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale,
J.O. n◦ 2 du 3 janvier 2002 page 124
Loi n◦ 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative
aux patients, à la santé et aux territoires, J.O. n◦ 0167 du 22 juillet 2009
Fo.M

348
U
UNIFAF
La loi du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long
de la vie et au dialogue social, fait obligation aux entreprises de plus de
20 salariés de consacrer 1,6 % de la masse salariale brute à la formation
continue :
0,5 % pour la professionnalisation (alternance),
0,2 % pour le congé individuel de formation (CIF),
0,9 % au titre du plan de formation.
Toutefois, un accord de branche peut décider de consacrer un pourcentage
supérieur au titre du plan de formation. C’est notamment le cas dans la
branche professionnelle du secteur sanitaire social et médico-social où le
taux de participation à la formation continue applicable est de 2,30 %
(1,60 % au titre du plan, 0,50 % au titre de la professionnalisation et 0,20 %
au titre du CIF).
UNIFAF est l’organisme paritaire collecteur agréé par l’État (OPCA) qui
collecte et gère les fonds de la formation professionnelle continue des
entreprises de la branche sanitaire, médico-sociale et sociale, privée à but
non lucratif.
Cette branche représente, en 2007, 17 860 établissements, employant
722 000 salariés. L’effectif prévu des salariés en 2010 est de 800 000 salariés.
UNIFAF est le 4e OPCA de branche au niveau national. Cet OPCA U
accompagne les établissements et les salariés dans l’élaboration et la
réalisation de leurs projets de formation en assumant les missions suivantes :
➤ Soutenir les politiques de formation des adhérents.
➤ Optimiser les fonds de la formation professionnelle continue par la
mutualisation.

349
UNI
➤ Mettre en oeuvre les orientations et priorités définies par la branche
professionnelle, relatives à la formation professionnelle tout au long de
la vie des salariés des établissements adhérents.
UNIFAF propose différents services de soutien et d’expérimentations à ses
adhérents sur les fonds mutualisés :
➤ Des dispositifs de formation expérimentaux ou innovants : les Actions
Prioritaires Régionales (APR).
➤ Des dispositifs d’accès à la qualification par la Validation des Acquis de
l’Expérience (VAE),
➤ Des travaux d’études réalisés au plan national ou régional susceptibles
d’éclairer les besoins de formation et leurs évolutions (l’Observatoire),
➤ Des supports d’information permettant une actualisation permanente
de la connaissance des enjeux et des pratiques de la formation
professionnelle (des revues).
➤ Un cadre déontologique pour pouvoir recourir à toutes les modalités de
perfectionnement qui constituent un réel processus de formation.
UNIFAF, en tant qu’organisme paritaire, est administré par un conseil
d’administration composé à part égale de représentants des salariés et des
employeurs. Le collège salarié comprend les syndicats représentatifs au titre
de la loi (cette représentation pourra évoluer en fonction des résultats des
élections dans les entreprises de la branche) : CFDT, CFE/CGC, CFTC,
CGT, CGT-FO. Le collège employeur est composé de l’UNIFED (Union des
fédérations et syndicats nationaux d’employeurs du secteur sanitaire, social,
médico-social privé à but non lucratif), créée en 1993 à l’initiative de cinq
organisations d’employeurs du secteur : la FEHAP, la FNCLCC, la FEGAPEI,
le SNASEA, le SOP, rejointes ensuite par la Croix Rouge Française.
UNIFAF est organisé en délégations régionales paritaires (DRP) coordon-
nées par un conseil d’administration paritaire national. Les 22 Délégations
Régionales Paritaires sont composées chacune de représentants désignés
par l’UNIFED et par les organisations syndicales représentatives de salariés.
Chacune des 22 délégations régionales constitue, pour les adhérents et
leurs salariés, un centre de ressources politiques et techniques capable de
U répondre à leurs différents besoins :
➤ Elaborer une politique régionale de Formation Professionnelle Continue
pour le secteur, dans le cadre des orientations et décisions nationales,
proposant des Actions Prioritaires Régionales, financées sur les fonds
mutualisés du plan de formation.
➤ Développer la Formation Professionnelle Continue en concertation avec
les instances territoriales compétentes.

350
URG
Le dispositif UNIFAF est complété par l’Observatoire paritaire de branche.
Créé en 2005, l’Observatoire est destiné à assurer une veille prospective
sur l’évolution de l’emploi et des métiers de la branche. Il doit fournir aux
partenaires sociaux les éléments clés nationaux et régionaux pour préparer
au mieux l’avenir des emplois et des métiers de la branche professionnelle ;
comme par exemple, l’importante enquête emploi de 2007.
UNIFAF n’est pas seulement un collecteur de fonds, il participe aussi à la
mise en œuvre concrète des orientations politiques définies paritairement
au sein de la Branche, à partir des analyses et des recommandations de
l’Observatoire. Dans un contexte de changement, de recomposition et de
contrainte économique, UNIFAF renforce ses missions d’aide, de soutien
et de conseil afin de participer :
➤ à la formation des savoirs de bases pour les plus bas niveaux de formation
visant à favoriser la promotion sociale ;
➤ à la qualification des professionnels notamment par la VAE ;
➤ à la sécurisation des parcours des salariés ;
➤ à l’emploi des seniors et l’emploi des travailleurs handicapés.
➤ et globalement à la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compé-
tences (GPEC).

Mots clés
formation continue, paritarisme, branche professionnelle

Référence bibliographique
www.promofaf.fr
P.JM

Urgence sociale
La création de l’urgence sociale est venue enrichir les dispositifs dédiés
à l’insertion sociale des adultes éventuellement accompagnés d’enfants,
en proposant une réponse à ceux qu’il convient désormais de considérer
comme des SDF (Sans Domicile Fixe). En novembre 1993, la création U
du SAMU Social de Paris, à l’initiative de Xavier Emmanuelli, marque la
création de la première institution dédiée à l’urgence sociale. La même
année, un financement spécifique est créé par la DDASS pour financer
l’urgence (article 20 du chapitre 46-81 alors que les CHRS sont financés à
l’article 30). Cependant, des initiatives isolées ont préfiguré cet avènement
dès 1983. C’est notamment le cas de l’ouverture de lits d’urgence dans le
351
URG
métro parisien, de la création d’un numéro d’urgence à Lyon et des SARAH
(Services d’Accueil Rapide pour Adultes en Hôtels) ouverts par Emmaüs
en 1987. Ce point de départ a inauguré le développement de quatre piliers
« urgentistes » :
➤ Les Centres d’Hébergement d’Urgence (CHU) sont venus s’articuler
avec les CHRS (Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale), en
proposant une alternative intégrative contre une approche exclusivement
à visée d’insertion. L’intégration s’applique à trouver une place dans un
groupe et peut se résumer à rechercher l’acceptation de passer une nuit
dans un centre, en limitant les violences.
➤ La création des SAMU Sociaux a permis également de renforcer la
capacité à s’adresser aux plus désocialisés, en allant de nuit à leur
rencontre dans la rue grâce à la maraude. Il en existe aujourd’hui plus
de 100, dont 80 % sont gérés par la Croix-Rouge française.
➤ Les Espaces Solidarité Insertion (ESI), qui proposent un accueil de jour,
ont permis de proposer aux plus démunis des lieux de restauration,
d’hygiène, de soin et d’accompagnement aux démarches administratives.
➤ Les maisons-relais sont des logements qui accueillent tous ceux qui ne
peuvent plus prétendre s’insérer, mais qui ont malgré tout besoin d’un
hébergement de longue durée.
L’ensemble est coordonné par le 115 qui constitue une centrale téléphonique
de renseignement, de recueil des demandes et d’orientation.
Ces dispositifs interrogent depuis leur création, car ils reposent sur une
logique de traitement en urgence d’une problématique sociale qui se
caractérise avant tout par la chronicité. Il s’agit de la contradiction
institutionnelle de l’urgence chronicisée qui s’appuie sur un mode de
fonctionnement hasardeux de mise à disposition des places disponibles. De
plus, ce mode d’organisation s’associe à un déséquilibre structurel entre
l’offre et la demande, qui consacre le 115 comme un outil de gestion de la
pénurie. Selon l’observatoire FNARS des 115, le nombre annuel d’appels en
2003 s’élevait à 12,7 millions, dont la moitié sur Paris. Il s’agit du nombre
de fois où le numéro est composé, indépendamment de la réponse faite à
U l’appel. Selon ce même observatoire, seulement 10 % des appels sont traités
et, pire encore, le traitement de l’appel ne garantit pas l’obtention d’un
hébergement. Les demandes à ce sujet restent à 50 % non satisfaites alors
qu’elles motivent les deux tiers des appels.
Au fil des années, les critiques se sont radicalisées. La mobilisation de
l’association des Enfants de Don Quichotte, au cœur de l’hiver 2006-2007,
a sonné la fin du modèle triomphant de l’urgence sociale, en militant pour

352
URG
le vote de la loi dite « loi DALO » (Droit Au logement Opposable). Au-delà
de consacrer la possibilité pour les mal-logés de se tourner vers l’État pour
obtenir un logement, s’ils ne sont pas en mesure d’y accéder par leurs
propres moyens ou de s’y maintenir, l’article 4 instaure également le droit à
l’hébergement social continu. Ce principe de continuité a été transféré en
mars 2009 dans le Code de l’action sociale et des familles. Un principe de
prise en charge inconditionnelle a été ajouté à cette occasion. Ces principes
sont exclusivement réservés à l’urgence sociale et aux places dédiées à ce
mode de prise en charge, dans les centres de stabilisation et les CHRS.
Ainsi, toute structure à visée d’hébergement d’urgence social est tenue, en
vertu du principe de prise en charge continue, d’héberger les demandeurs
à durée indéterminée et sans condition. Pour appliquer cette nouvelle
règle juridique, la majorité des centres d’hébergement d’urgence ont été
transformés en centres de stabilisation. Ces centres ont été initialement
instaurés par le PARSA (Plan d’Action Renforcée en faveur des Sans-Abri),
adopté en janvier 2007. Il prévoyait la transformation de 10 500 places
d’hébergement d’urgence en places d’hébergement de stabilisation, alors
que 3 000 places d’hébergement d’urgence généraliste étaient maintenues.
Le DALO a pérennisé cette modalité de prise en charge, lors de son adoption
le 5 mars suivant.
À l’issue de plus de 15 ans de développement institutionnel, l’urgence sociale
recouvre un périmètre institutionnel plus important que les quatre piliers
initiaux. À titre d’exemple, beaucoup de CHRS pratiquent aujourd’hui
l’urgence sociale, en adoptant notamment l’accueil inconditionnel. Voici
aujourd’hui le périmètre institutionnel susceptible de pratiquer l’urgence
sociale :
1. le dispositif de veille sociale (Services d’Accueil et d’Orientation — SAO,
le 115, les équipes mobiles de type SAMU Social, les accueils de jour
ou de nuit sans hébergement), les Centres d’Hébergement d’Urgence
(CHU) ;
2. les Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) ;
3. les Maisons-relais et les centres de stabilisation, qualifiés d’habitats
alternatifs (relevant du logement pour les premières et de l’hébergement U
pour le second) ;
4. le dispositif d’accueil des demandeurs d’asile.
Cet ensemble est complexe, instable, et régulièrement modifié. Pour tenter
de le stabiliser, l’État a demandé à l’Inspection Générale des Affaires Sociales
(IGAS) de proposer en 2004 un référentiel permettant de labéliser les
différents éléments de ce nouvel ensemble. Pour ce faire, le référentiel

353
URG
AHI (Accueil Hébergement et Insertion) a été publié en 2005. Depuis, la
nécessité de revisiter ce référentiel s’est imposée du fait que la loi DALO a
créé la stabilisation. En attendant, la stabilisation, le principe de continuité
et la prise en charge inconditionnelle posent de nombreuses questions. Les
interrogations se concentrent sur les personnes qui n’ont pas les moyens
ni la volonté de s’inscrire dans un parcours d’insertion. Alors, l’urgence
sociale a-t-elle vocation à les accueillir à vie ? Quel est donc l’avenir des
CHU alors que ce besoin est toujours existant pour ceux qui ont besoin d’un
espace d’hébergement à grande porosité entre le dedans et le dehors ? Est-il
de prendre en charge les plus fragiles, qui se trouveraient piégés dans le
cadre de l’urgence sociale ? Ce mode de prise en charge est-il voué à être un
hébergement de seconde zone, contrairement aux centres de stabilisation
et aux CHRS, qui s’occuperaient des plus performants ?
Ce système est aujourd’hui touffu, confus et coûteux. Tous dispositifs
confondus, le nombre de places d’hébergement proposées s’élève ainsi à
quelques 100 000 places, dont 10 000 nuitées d’hôtel en 2008. En 2009,
l’hébergement et la lutte contre l’exclusion a couté 1,117 milliards d’euros,
contre 690 millions en 2001. Le bilan est d’autant plus contrasté que la
dimension qualitative est inversement proportionnelle à la dimension
quantitative. Ces incohérences frappent, surtout si on les place dans une
perspective de développement de plus de 15 ans, mais aussi au regard de
notre expertise forgée depuis plus d’un siècle dans le travail social. Il est
donc important de porter une vigilance à ce secteur dont le développement
doit être soutenu par les références et les compétences de l’ensemble du
travail social.

Mots clés
SDF

Références bibliographiques
CASTEL Robert, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du
U salariat, Fayard, 1995
DECLERCK Patrick, Les naufragés. Avec les clochards de Paris, Plon, 2001
DAMON Julien, La question SDF. Critique d’une action publique, PUF, 2002
« Chronique ordinaire de l’urgence sociale... Entre scène et coulisses », in
Les Cahiers de l’Actif, n◦ 344-345, 01/2005
RULLAC Stéphane, Et si les SDF n’étaient pas des exclus ? Critique de l’urgence
sociale, Vuibert, 2006
354
USA
RULLAC Stéphane, « Place et missions des professionnels de l’accueil de nuit
dans les Centres d’hébergement d’urgence », in Cahier UNIFAF, 2007
RULLAC Stéphane, Le péril SDF. Assister et punir, L’Harmattan, 2008
Ru.S

Usager
Dans le secteur social et médico-social, le terme d’usager a pris tout son
sens avec la loi 2002-2 du 2 janvier 2002, rénovant l’action sociale et
médico-sociale. Les personnes accompagnées ont des droits et des devoirs et
bénéficient d’une prestation de service qui doit s’adapter à leurs besoins et à
leurs demandes. Cette nouvelle figure de l’usager est une grande évolution
sociale et culturelle.
La première notion d’usager apparaît dans l’article 631 du Code civil dès
1805 : l’usager est alors le titulaire d’un droit réel d’usage sur une chose
ou un bien appartenant à autrui qu’il ne peut céder, ni louer à un autre.
En 1993, c’est une personne qui utilise un service public ou un domaine
public, l’usager devient un client, un consommateur, un bénéficiaire, un
demandeur. Le décret du 28 novembre 1983 annonce un nouveau statut
de l’usager du service public et précise trois principes : égalité devant la
loi, réparation des erreurs et recours à des organismes consultatifs. La
circulaire du premier ministre en date du 23 février 1989 va plus loin en
précisant que l’usager doit devenir un partenaire qui fait des suggestions et
des propositions.
Le secteur social découvre depuis une quinzaine d’années la problématique
des usagers. Ce terme tend à supprimer celui de bénéficiaire et met l’accent
sur les droits propres des personnes accueillies. Il s’agit désormais de
promouvoir l’écoute, le respect et la citoyenneté et ce, quelles que soit
les difficultés ou les pathologies rencontrées. La loi n◦ 85-10 du 3 janvier
1985 indiquait que les usagers devaient être associés au fonctionnement
de la structure par l’intermédiaire d’un conseil d’établissement. La loi
2002-2 va plus loin et définit un véritable statut de l’usager. Elle impose
une philosophie d’action et prévoit un partenariat. L’usager est désormais
pourvu de droits précis et dispose d’espaces pour faire entendre sa voix et U
faire valoir ses besoins.
Le plan de santé mentale du ministre Bernard Kouchner en novembre 2001
va dans le même sens en affichant son ambition de mettre l’usager au
centre du dispositif. Le deuxième rapport Roelandt en mai 2002 pour la
santé mentale a proposé des mesures concrètes en renforçant la place de
l’usager. Désormais, les personnes accompagnées dans le secteur social
355
USA
et médico-social peuvent jouer un rôle dans le dispositif de leur prise en
charge et agir sur leur vie. Pour les travailleurs sociaux, la reconnaissance de
l’usager comme acteur et partenaire implique un certain partage de pouvoir,
l’abandon du monopole de la connaissance et du savoir et un travail de
collaboration. Ils doivent désormais permettre à l’usager de s’exprimer et
d’agir en créant des conditions favorables à cette prise d’initiative.
Les outils proposés dans le cadre de la loi 2002-2 permettent aux travailleurs
sociaux de construire de nouvelles relations éducatives au travers notamment
du projet personnalisé, du livret d’accueil, du contrat de séjour et du Conseil
de la Vie Sociale. Désormais. L’usager est informé, consulté et associé.
Toutefois, il convient d’être prudent et de préparer la participation des
usagers, personnes souvent fragilisées socialement ou du fait d’un handicap.
C’est tout l’enjeu du travail des professionnels que d’accompagner cette
démarche.

Mots clés
participation, droits, respect, acteur

Références bibliographiques
BARBE L., Une autre place pour l’usager, Le Robert Seuil, 1999
LEDUC Y., Déontologie de la relation à l’usager dans les services et établissements
sociaux, Dunod, 2002
LADSOUS J., « L’usager au centre du travail social », in Empan n◦ 14, 2006
De.C

356
V
VAE (validation des acquis de l’expérience)
La validation des acquis de l’expérience s’inscrit dans le prolongement d’un
certain nombre de mesures mises en place au fil du temps par l’État. Ainsi,
une loi votée en 1934 autorise la délivrance du titre d’ingénieur (ingénieur
diplômé par l’État) à des techniciens autodidactes justifiant d’au moins
cinq années d’expérience professionnelle dans les fonctions habituellement
confiées à des ingénieurs, sur la base d’un mémoire présenté et soutenu
devant un jury.
En 1985, une réforme de plus grande ampleur voit le jour. Elle prévoit
d’autoriser l’accès à tous les niveaux de l’enseignement supérieur sans
posséder les diplômes normalement requis, au regard des acquis personnels
et professionnels des personnes. Une autre loi, votée en 1992, marque un
tournant dans la validation des acquis. Elle autorise cette fois les universités à
délivrer des parties de diplômes, modules ou d’unités de valeur, en se référant
principalement aux acquis professionnels. Enfin, la loi du 17 janvier 2002,
dite de Modernisation sociale, s’inspirant des recommandations figurant
dans le Livre blanc présenté au Conseil des ministres le 17 mars 1999 par
Nicole Péry, alors secrétaire d’État aux Droits de la femme et à la Formation
professionnelle, opère une véritable révolution dans la formation et dans la
délivrance des diplômes, en général, et ceux du secteur social, en particulier.
Ainsi, le ministère de l’Emploi et de la solidarité en place à l’époque assure
la légitimité de la validation des acquis de l’expérience en ces termes :
« Parce que toute personne engagée dans la vie active est en droit de faire V
valider les acquis de son expérience en vue de l’acquisition d’un diplôme,
d’un titre à finalité professionnelle, ou d’un certificat de qualification figurant
sur une liste établie par une Commission paritaire nationale de l’emploi,
enregistrés dans le Répertoire national des certifications professionnelles
visé à l’article L. 335.6 du Code de l’éducation. »

357
VAE
Dans le champ du travail social, la VAE permet aux personnes pouvant
justifier d’au moins trois années d’expérience dans un registre salarié ou
bénévole et exerçant une fonction à quelque niveau hiérarchique que ce soit,
de prétendre à l’obtention de tout ou partie du diplôme correspondant à
l’expérience vécue. Le travail mené par le candidat à la VAE consiste alors en
un processus de description, de synthèse et d’analyse des expériences
personnelles, sociales et professionnelles, en vue de faire émerger les
compétences qu’elles ont engendrées et les preuves qui peuvent attester de
leur existence. Les compétences sont identifiées au regard de référentiels
correspondants au diplôme visé. Le livret constitué à cette occasion est
évalué par un jury composé d’un formateur, issu des établissements de
formation préparant le diplôme demandé, d’un représentant de l’État, des
collectivités publiques, et d’un représentant qualifié du secteur professionnel
(employeur ou salarié). Le candidat est généralement reçu lors d’un entretien.
Les membres du jury délibèrent ensuite et valident ou non les compétences
que le candidat pense avoir acquises. Ils attribuent alors tout ou partie du
diplôme demandé et, lors d’une validation partielle, ils peuvent dispenser les
candidats des épreuves de sélection pour entrer en formation. Ils précisent,
enfin, les modules de formation que ce candidat pourrait être amené à suivre
pour l’obtention du diplôme dans sa totalité, si celui-ci désire opter pour
un complément de formation. Pour autant, le candidat peut tout aussi bien
faire le choix de réécrire, d’agrémenter son dossier d’expériences nouvelles,
et de le représenter au jury de VAE lors d’une des sessions prochaines, dans
un délai maximum de 5 ans.
Les diplômes en travail social sont aujourd’hui accessibles par la VAE, qu’ils
relèvent de la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS),
du Rectorat ou de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). La
première étape de la démarche de VAE consiste pour le candidat en une
demande de recevabilité qui se matérialise par le renseignement du livret
1. Selon les diplômes visés, cette demande de recevabilité est à adresser
au Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations
agricoles (CNASEA), au Rectorat ou à l’EHESP.
La loi de Modernisation sociale ouvre pour le salarié le droit au financement
V d’un congé pour validation des acquis. Ce dispositif de droit commun
d’une durée de 24 heures est principalement réservé à l’accompagnement
des candidats lors de la composition du livret de présentation des acquis.
Parallèlement à ce dispositif, la Commission paritaire nationale pour
l’emploi de la Branche sanitaire, sociale et médico-sociale a élaboré un
dispositif de soutien spécifique : le DSB (Dispositif de Soutien de la

358
VAE
Branche professionnelle). Ce dispositif, d’une durée maximale possible
de 187 heures, uniquement proposé par les établissements labellisés Pôle
ressource régional par la Branche professionnelle, est destiné, sous certaines
conditions, aux salariés du secteur qui souhaitent entreprendre une VAE
dans le but d’obtenir un diplôme en travail social. Pour l’instant, seuls les
diplômes suivants entrent dans ce dispositif : Caferuis ; DEASS ; DEEJE ;
DEES ; DEME ; DEETS ; DETISF ; DEMF. Les demandeurs d’emploi, quant
à eux, peuvent aujourd’hui bénéficier d’un financement dans le cadre du
chèque (accompagnement) VAE.
Le « challenge » dans le dispositif de validation d’acquis consiste :
➤ pour le candidat, à faire valoir dans un livret de présentation des acquis
(livret 2), seul ou avec l’aide d’un accompagnateur, des compétences
pratiques personnelles et professionnelles réelles, en lien avec le diplôme
visé, et à apporter la preuve de l’acquisition de ces compétences ;
➤ pour l’accompagnateur, à occuper une place de médiateur dont les
fonctions sont l’aide au repérage des compétences enchâssées dans les
expériences du candidat et le guidage dans la traduction objective de ces
compétences par des moyens scripturaux ; médiateur qui, de surcroît,
est tenu au respect de certaines règles éthiques définies dans une charte
d’accompagnement ;
➤ pour les membres du jury de validation, à repérer dans le « matériau
texte » présenté par le candidat à la VAE, dans les éléments de preuve
apportés (attestations d’employeurs, témoignages, projets réalisés...) et
dans les paroles que celui-ci est amené à prononcer lors de la présentation
de son dossier, tout ou partie des compétences nécessaires pour l’exercice
du métier visé et pour l’obtention du diplôme correspondant. Le
processus d’évaluation et de validation est également encadré par une
charte destinée aux membres des jurys.

Quelques débats autour de la VAE


La validation des acquis de l’expérience pour l’obtention des diplômes en
travail social reposant en grande partie sur les compétences scripturales
des candidats, il s’avère que les personnes dites de « faibles niveaux »
rencontrent généralement plus de problèmes que les autres pour composer
leur livret. Tous les candidats ne seraient donc pas sur un pied d’égalité
V
dans leur démarche de VAE. Par ailleurs, les compétences personnelles
et professionnelles en travail social s’avèrent difficiles à évaluer à travers
les écrits des candidats. Les évaluateurs mettraient davantage en relief les
« performances façonnées par les compétences » que les compétences des

359
VÉH
candidats stricto sensu. Enfin, la VAE, bien qu’assez souvent présentée dans
le cadre de discours humanistes et démocratiques, pourrait être également
perçue comme une mesure d’urgence pour pallier, qui plus est à moindre
coût, le déficit en personnel qualifié dans les entreprises et les institutions,
y compris celles du secteur social.

Mots clés
acquis, expérience, bénévolat, compétence, écriture réflexive, accom-
pagnement, évaluation, validation, diplôme

Références bibliographiques
CROGNIER Ph., Comprendre la VAE en action sociale. Écrire, accompagner,
évaluer, Dunod, 2007
CROGNIER Ph., VAE et professionnalisation des travailleurs sociaux. Évaluer
les livrets de VAE : l’écriture à l’épreuve du doute, L’Harmattan, 2008
LAINÉ A., VAE, quand l’expérience se fait savoir. L’accompagnement en
validation des acquis, Érès, 2005
Groupe de travail sur la validation des acquis de l’expérience présidé
par Vincent Merle, Professeur au CNAM, Rapport à Monsieur Laurent
Wauquiez, Secrétaire d’État à l’emploi, décembre 2008
Cr.P

Véhicules de service
Il est des véhicules devenus mythiques. Ainsi, la 4L restera-t-elle pour ceux
qui s’en souviennent la voiture par excellence des assistantes sociales et
des éducateurs de protection de l’enfance. Les professions socio-éducatives
recouvrent en réalité de nombreux petits métiers que leurs titulaires exercent
au quotidien et au gré des situations éducatives : guide, accompagnateur,
bagagiste, cuisinier, agent de sécurité, infirmier, etc. Parmi ces « métiers
d’emprunt », celui de chauffeur est certainement l’un des plus représentés
dans l’ensemble des champs et des professions du secteur social.
Pour qui cherche un emploi éducatif, la possession du permis de conduire
V peut avoir sur le marché du travail presque autant de valeur que celle du
diplôme d’état. Dans les institutions, le détenteur de ce sésame est tout
aussi précieux qu’indispensable. En effet, de cette possibilité de conduire
le véhicule de service dépendent les précieuses et traditionnelles courses
de « vêture », les sorties du week-end dans les internats et toutes sortes
d’accompagnements (loisirs, familles, etc.).
360
VÉH
Traditionnellement, le véhicule de fonction est sobre, voire blanc. Il a ainsi
été surtout représenté par des voitures populaires tout au long de la dernière
partie du XXe siècle. 2 CV, 4L, R5, mais aussi Twingo, Clio, ont représenté
l’idéal de la « voiture sociale » : banalisée, populaire et surtout urbaine. Un
second type de véhicule caractérise tout autant le secteur social, il s’agit
de la camionnette ou fourgonnette, de transport collectif (9 places), qui se
conduit également avec un permis courant (B).
Tout travailleur social est ainsi un conducteur, sinon il ne serait pas tout à
fait complet. Avec cette possibilité de déplacer ses usagers, le professionnel
est en mesure de permettre d’échapper au quotidien, ce qui contribue
certainement à fonder son autorité. De ce fait, le travail social ne dépend
pas seulement de murs, mais surtout des relations, qui par définition sont
mobiles et « transportables ».
Les éducateurs et certains autres travailleurs sociaux savent bien par ailleurs
que les temps de déplacement, surtout quand ils conduisent, sont souvent
riches en interactions avec les passagers. Le seul fait que le professionnel
conduise semble conférer et matérialiser la confiance que chaque usager
peut placer en lui ; se laisser conduire, c’est en effet renoncer (au moins
pour un temps) à vouloir tout défendre et contrôler.
Par ailleurs, la position des corps dans un véhicule, mais surtout l’orientation
parallèle des passagers libère la relation de la crispation du « face à face ».
Être aux côtés de quelqu’un, c’est être proche. De fait, les langues souvent se
délient et les confidences ne sont pas rares, pendant ces trajets. Ces transports
promettent à la fois une certaine confidentialité (on n’est qu’entre nous),
une certaine durée (au moins celle du trajet) et une disponibilité mentale,
devenue si rare aujourd’hui.

Mots clés
déplacements, visite à domicile, accompagnement, transferts, chauf-
feur

Références bibliographiques
CAPUL Maurice et LEMAY Michel, De l’éducation spécialisée, Érès, 1996
DRÉANO Guy, Guide de l’éducation spécialisée, Dunod, 2008
V
Ot.L

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