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Les dossiers des sciences de

l'éducation

Regards croisés sur la professionnalisation. Enjeux et


perspectives
Philippe De Zotti, Jean-Frédéric Dumont, Philippe Marty

Résumé
Cet article rend compte d’un débat à trois voix concernant les définitions et enjeux du travail social. A partir de trois points
de vue émanant d’acteurs ayant des ancrages professionnels divers (animation socioculturelle, éducation spécialisée et
médico-social), nous proposons un regard pluriel sur les convergences et divergences mais aussi sur les
complémentarités à l’oeuvre dans ce secteur. Plus particulièrement cette synthèse s’intéresse aux questions de la
formation des acteurs qui participent de fait à la formation (au sens de mise en forme) et à la professionnalisation des
différents secteurs représentés.

Abstract
This article relates a three voices debate about definitions and finalities of social work. From three points of view of various
professional actors (sociocultural animation, specialized education and sociomedical professions) we examine both
convergences and divergences but also on the complementarities at work in this field. More particularly this synthesis
studies the questions of the training of the actors since it takes part to the formation (shaping) and the professionalisation
of the various sectors represented.

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De Zotti Philippe, Dumont Jean-Frédéric, Marty Philippe. Regards croisés sur la professionnalisation. Enjeux et
perspectives. In: Les dossiers des sciences de l'éducation, N°17, 2007. Travail social et formation : voies pour la
professionnalisation. pp. 51-64;

doi : https://doi.org/10.3406/dsedu.2007.1101

https://www.persee.fr/doc/dsedu_1296-2104_2007_num_17_1_1101

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L e s D o s s i e r s d e s S c i e n c e s d e l ’ E d u c a t i o n

Philippe De Zotti  ; Jean-Frédéric Dumont  et


Philippe Marty 
Université Toulouse II dezotti@univ-tlse2.fr
pmarty@univ-tlse2.fr
jfdumont@msn.com

Regards croisés

sur la professionnalisation.

Enjeux et perspectives
쑺 Philippe De Zotti, PAST Université
Toulouse Le-Mirail et Conseiller technique
Résumé : en travail social au Centre Régional pour
Cet article rend compte d’un débat à trois voix concernant les l’Enfance et Adultes handicapés et
définitions et enjeux du travail social. A partir de trois points Inadaptés de Midi-Pyrénées. Doctorant
Sciences de l’Education.
de vue émanant d’acteurs ayant des ancrages professionnels
divers (animation socioculturelle, éducation spécialisée et 쑺 Jean-Frédéric Dumont, formateur à temps
médico-social), nous proposons un regard pluriel sur les plein dans une école de travail social.
convergences et divergences mais aussi sur les complémen- Educateur. Doctorant Sciences de
l’Education.
tarités à l’œuvre dans ce secteur. Plus particulièrement cette
synthèse s’intéresse aux questions de la formation des acteurs 쑺 Philippe Marty, PAST Université Toulouse
qui participent de fait à la formation (au sens de mise en Le-Mirail, intervenant dans le DEUST
forme) et à la professionnalisation des différents secteurs animation et licence professionnelle ainsi
que dans une association comme chargé
représentés. de mission formation dans l’animation
 Mots clés :professionnalisation, professionnalité, travail social, animation socioculturelle, socioculturelle. Docteur en Sciences de
éducation spécialisée l’Education.

Abstract :
This article relates a three voices debate about definitions and finalities of social
work. From three points of view of various professional actors (sociocultural ani-
mation, specialized education and sociomedical professions) we examine both
convergences and divergences but also on the complementarities at work in this
field. More particularly this synthesis studies the questions of the training of the
actors since it takes part to the formation (shaping) and the professionalisation of
the various sectors represented.
 Keywords :social work, professionalisation, training

Philippe DE ZOTTI, Jean-Frédéric DUMONT & Philippe MARTY


n°17 / 2007 / Travail social et formation : voies pour la professionnalisation 51
L e s D o s s i e r s d e s S c i e n c e s d e l ’ E d u c a t i o n

Cet article est le résultat d’entretiens croisés entre trois acteurs intervenant dans
le domaine du travail social, dans des champs différents, celui de l’éducation spé-
cialisée et celui de l’animation socioculturelle. Il constitue donc une synthèse de
points de vue relatifs à un ancrage professionnel spécifique à chacun des inter-
venants, en référence à des orientations théoriques particulières développées dans
leurs laboratoires respectifs. En ce sens, il vise à rendre compte des réflexions
relatives à la professionnalisation des travailleurs sociaux et des animateurs socio-
culturels depuis la place occupée par les intervenants, sans prétendre balayer l’en-
semble des questions inhérentes à la formation des professionnels de l’éducation
spécialisée et des animateurs socioculturels.
Dans un premier temps, à partir d’une définition du travail social nous analysons
en quoi nos champs d’intervention s’inscrivent dans cette catégorie du travail
social. Dans un deuxième temps nous tenterons de cerner les enjeux de la forma-
tion au regard des attentes et des besoins des travailleurs sociaux tout en prenant
en compte l’évolution des politiques sociales et les textes réglementaires qui régis-
sent nos différents champs d’intervention. Simultanément nous avons cherché à
mettre en évidence ce qui nous rassemble et ce qui nous différencie en tant que
formateurs - intervenants dans nos domaines respectifs.
Nous avons opté pour une mise en forme qui laisse une place importante à la
parole des trois intervenants. Ainsi, nous reporterons, chaque fois que nous l’avons
jugé utile, les discours ou fragments de discours authentiques, qui viennent illus-
trer nos réflexions.

Quelle définition donnée au travail social ?


En quoi nos champs d’intervention s’inscrivent–ils dans
cette définition ?
Historiquement et dans les représentations communes du travail social, celui-ci est
le lieu de traitement des maux d’une société. Dans ce sens, le travail social a pour
mission d’accompagner des populations ayant des besoins spécifiques bien repé-
rés. Il regroupe divers métiers tel que les éducateurs spécialisés, les assistantes
sociales, les psychologues, les orthophonistes, etc. Cependant, définir le travail
social par les populations sur lesquelles il intervient ou les métiers qui le structu-
rent ne suffit pas. Il convient d’élargir cette définition en prenant en compte le
sens que l’on peut donner aux missions du travail social. En particulier nous pou-
vons le définir comme ayant un objectif de restructuration et de restauration du lien
social.
Ph. De Zotti : « On peut considérer que les champs sur lesquels j’interviens
appartiennent à cette catégorie de travail social ancrée dans les représentations
collectives qu’on a du travail social ; en particulier le fait qu’il est le lieu où l’on
traite les maux d’une société, alors, dans ce sens là, le champ médico-social, qui
accueille des personnes atteintes de handicap, maladies, y compris (au sens orga-
nique du terme), ce champ fait partie de ce que l’on appelle « travail social ». Et
si on le prend sur le versant social, j’interviens parfois auprès de professionnels
qui prennent en charge des populations dites « difficiles », avec des problèmes

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socio-économiques importants. (…) Je pense, par exemple, aux instituts théra-


peutiques éducatifs et pédagogiques dont la mission dépasse le simple traite-
ment des troubles du comportement et du caractère demandant aux travailleurs
sociaux de s’attarder sur le traitement social de la précarisation, du délitement des
liens familiaux, d’un travail plus spécifique de restauration des rôles parentaux,
une forme de suppléance familiale par exemple. »
J-F. Dumont : « (…) J’essaie de faire passer le message aux éducateurs qu’on
peut donner un autre sens au travail social. On pourrait recommencer à définir
le travail social plus par les objectifs que par les populations. Le travail social ce
serait de participer à la restauration, à la création de liens sociaux entre les indi-
vidus, entre tous les espaces sociaux qui ne communiquent pas ou qui ne se par-
lent plus du tout. C’est finalement amener les éducateurs à se positionner moins
comme des thérapeutes, des soignants, des gens qui vont ramener vers la norme
des personnes qui s’en sont éloignées, (…) mais plus comme des profession-
nels qui ont aussi et surtout à se positionner comme des acteurs de la transfor-
mation sociale. »
L’animation socioculturelle s’inscrit-elle dans les définitions que nous avons don-
nées plus haut ? Nous constatons qu’elle peut se situer dans le champ du travail
social selon ses lieux d’intervention et les populations qu’elle accompagne. Par
exemple, les animateurs de loisir peuvent être dificilement qualifiés de travailleurs
sociaux. Par contre, si nous reprenons la définition du travail social comme étant
le lieu de restauration et d’actualisation du lien social, l’animation socioculturelle
fait partie du champ du travail social. Historiquement, l’animation sociocultu-
relle s’est orientée vers le travail social en s’inscrivant, en quelque sorte, dans les
« espaces » laissés libres par d’autres travailleurs sociaux.
Ph. Marty : « (…) Les animateurs professionnels sont apparus dans les années
soixante et se situent dans la tradition de l’éducation populaire. Leur existence
vient compenser un « vide social » dû en partie à la désertification des zones
rurales et à l’absence de vie sociale dans les grands ensembles urbains. Il est
ainsi souvent donné aux animateurs et plus largement à l’animation la mission
d’investir des espaces laissés vacants par d’autres professionnels du social. C’est
donc assez naturellement que les animateurs ont trouvé leur place, notamment
en développant du « lien social ». C’est souvent par cette stratégie que les ani-
mateurs ont su délimiter leur champ d’intervention bien que celui-ci reste encore
flou et très hétérogène. En ce sens et au regard de ce que vous venez de dire, je
pense que l’on peut dire que l’animation fait partie du travail social. »
Dans ce contexte particulier, quel est le lien possible entre animation sociocultu-
relle et éducation spécialisée ? Quelle complémentarité y a t-il entre ces deux
champs d’intervention ?
J-F. Dumont : « Où sont les animateurs dans le travail social ? Du point de vue
de l’éducation spécialisée, bien souvent, on ne vous voit pas. C’est une réalité de
terrain. Comme éducateur ayant dix ans d’exercice professionnel j’ai dû

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rencontrer en tout et pour tout, deux animateurs, c’est-à-dire des gens qui enca-
draient des séjours de vacances soit pour des jeunes qui relevaient du secteur
médico-social de type IME, IMPro etc., soit pour des jeunes qui relevaient de
l’ordonnance de 1945, soit pour des jeunes pris en charge par des Maisons d’En-
fants à Caractère Social. Il n’y a que là que j’ai pu les voir, les côtoyer. »
Ph. Marty : « Comme je viens de le dire, les champs de l’animation sont très
nombreux. Concernant le secteur dont tu parles, j’ai eu l’occasion d’accompa-
gner, dans le cadre de tutorats, des animateurs qui intervenaient
쑺 Maison d’Accueil Spécialisé.
dans des établissements spécialisés de type MAS . Je ne
connais pas bien ce domaine mais il semble qu’il existe des fonctionnements
internes qui font que les éducateurs ne prennent pas en charge certains moments
de la journée. Les animateurs sont apparus dans ce contexte spécifique, mais la
question de leur place dans ce type d’institutions s’est ensuite très vite posée.
Concernant les complémentarités possibles, je pense que les objectifs des ani-
mateurs et ceux des éducateurs sont dans de nombreux cas très proches ; c’est
plutôt au niveau des méthodes que les différences semblent ressortir. J’ai eu sou-
vent l’occasion, dans le cadre de formations, de faire se rencontrer des anima-
teurs et des éducateurs. Un des points sur lesquels ils arrivent à se mettre assez
facilement d’accord concerne la spécificité de leurs méthodes de travail : les
éducateurs sont plutôt tournés vers les individus alors que les animateurs axent
leurs interventions préférentiellement sur les groupes et les collectifs. »
J-F. Dumont : « Sur les complémentarités, tu parlais des fonctions d’anima-
teurs et d’éducateurs, mais il n’y a pas un animateur qui ne soit pas éducateur
aussi. Si on sépare milieu fermé et milieu ouvert, du point de vue de l’éduca-
teur spécialisé, je crois qu’on exploitera en lui deux champs de compétences
bien différents. En institution dans ce que l’on appelle le milieu fermé, l’édu-
cateur aura besoin d’une personne qui sache faire du loisir, et de l’ouverture
sur l’extérieur parce que nous, les éducateurs, nous ne savons pas très bien le
faire... (…) En revanche, dans le cadre d’interventions en milieu ouvert, sur des
quartiers par exemple, les éducateurs vont intervenir dans des clubs de préven-
tion et c’est peut-être là où on va vous rencontrer. En terme de compétences, je
crois que l’éducateur spécialisé a une chose qu’il sait moins bien faire qu’un
animateur et là il y aurait des « billes » à prendre chez vous et des compétences
à exploiter, c’est sur le développement local, le développement social, sur l’ani-
mation et la création d’un réseau, sur le retissage des liens sociaux. Car effecti-
vement, nous ce qu’on sait faire c’est de la prise en charge individuelle, de
l’accompagnement social et socio-psychologique. »

Quels sont les enjeux et les attentes en matière de


formation ?
Comment construire une profession ? Voilà un des enjeux du travail social. C’est
une préoccupation majeure dans le cadre de la formation de travailleurs sociaux.
Que ce soit dans le cadre de l’animation socioculturelle ou dans le champ social et

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médico-social, les stratégies en œuvre, pour former des pro-


fessionnels reconnus socialement, peuvent être différentes d’un 쑺 Les entretiens des trois formateurs en
champ à l’autre. Cependant des convergences existent. Nous travail social ont fait l’objet d’une analyse
allons détailler certains aspects de la formation des travailleurs de contenu automatique (ALCESTE) dont
nous nous inspirons ici pour structurer nos
sociaux comme celle des animateurs socioculturels tels qu’ils propos.
apparaissent dans les discours des trois intervenants .
Les deux axes principaux du travail de formation s’articulent autour de la pro-
fessionnalisation et de la professionnalité des travailleurs sociaux. Nous déve-
loppons ces deux points en mettant en évidence les points d’accord et les
divergences dans les conceptions de la professionnalisation.

La structuration de la profession et la définition d'une


identité
Les préoccupations des formateurs en travail social renvoient à la fois à un enjeu
de professionnalisation et à une nécessaire technicisation de la profession. Cepen-
dant, des différences de conception de cette professionnalisation nous conduisent
à distinguer d’une part la professionnalisation des animateurs socioculturels et,
d’autre part, celle des éducateurs spécialisés. En effet, si la technicisation de la pra-
tique est perçue comme un incontournable dans la formation des animateurs, elle
est beaucoup moins recherchée dans la formation des éducateurs spécialisés. Dans
la formation des animateurs socioculturels, la technicité des animateurs est une
nécessité aujourd’hui liée à la demande sociale. Les parents réclament toujours
plus d’éducation pour leurs enfants et les institutions veulent évaluer « leur impact »
éducatif et social. A l’inverse dans le cadre de la formation des éducateurs spécia-
lisés, l’idée est de sortir d’une « technicisation » normative du travail social qui a
tendance à l’enfermer dans le mythe de la transparence, aspect très prégnant aujour-
d’hui, pour privilégier l’interrogation multiréférentielle de la pertinence des actions
engagées. Il s’agit d’une quête de sens, d’un travail sur les valeurs et les visées en
somme. C’est le travail que nous faisons avec les équipes de professionnels tout en
prenant en compte les logiques institutionnelles et réglementaires. Il nous semble
que c’est un des enjeux principaux. Faire émerger le sens et les valeurs éthiques qui
fondent les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux est incortournable
pour s’extraire de la simple logique « technicisante » du travail social.
Il reste que la professionnalisation est un processus de qualification, une évolution
progressive vers une façon de plus en plus rigoureuse, efficace, consciencieuse,
sérieuse de pratiquer son métier. Ainsi, la professionnalisation correspond à l’évo-
lution d’une personne à l’intérieur d’un métier, allant des bénévoles aux amateurs
rémunérés vers ce que l’on pourrait appeler les « vrais professionnels », censés pré-
senter davantage de qualifications et de garanties que les autres. L’enjeu de la for-
mation des travailleurs sociaux constitue alors une importante source de profes-
sionnalisation, puisqu’elle offre aux gens engagés dans un métier l’occasion de
mettre à jour leurs connaissances, de se perfectionner, de maîtriser de mieux en
mieux les qualifications et les règles éthiques à mettre en œuvre pour atteindre
des objectifs de façon efficace et pour satisfaire des usagers.

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Ph. De Zotti : « Le premier (enjeu) c’est de sortir d’une certaine technicisation


normative du travail social qui aurait, semble t-il, tendance à l’enfermer dans
l’illusion de la transparence. Je parlais, tout à l’heure, de l’invisibilité et de la
difficulté à lire le travail social ; en revanche l’inverse, la suppression de son
opacité par une gestion hyperrationnelle de l’action éducative serait un désastre.
Si on prend les nouvelles orientations de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’ac-
tion sociale et médico-sociale, comme je l’ai déjà dit, cette loi introduit une obli-
gation d’évaluation pour les établissements et services. Si on regarde une note
d’orientation du Conseil National de l’Evaluation Sociale et Médico-Sociale,
on trouve des termes comme « procédures », « références », « recommanda-
tions de bonnes pratiques professionnelles ». Autant de termes qui renvoient à
une volonté de rationalisation de l’action. Existe-t-il des procédures, des réfé-
rentiels de bonnes pratiques professionnelles ? A mon avis, non. Il y a des pra-
tiques professionnelles inhérentes à chaque professionnel, lui appartenant mais
pas des procédures de type « clé en main ». On remarque que cette tendance
actuelle devient de plus en plus prégnante. Le législateur a souhaité mettre en
place un dispositif qualité similaire à ce qui existe dans le domaine sanitaire,
lui-même adossé à ce qui se faisait dans l’industrie. Mais on ne travaille pas sur
des produits manufacturés comme on travaille avec l’humain. Il me semble qu’il
faut continuer de privilégier l’interrogation multiréférentielle à propos de la per-
tinence des actions engagées. C’est aussi ce qu’on peut observer. Il n’y a pas
forcément danger pour le travail social mais il faut prendre garde aux dérives pos-
sibles. En fait, quand je parle d’interrogation multiréférentielle, il s’agit essen-
tiellement d’une recherche de sens, d’un travail sur les valeurs et les visées des
actions que l’on mène auprès d’une population. »
Ph. Marty : « (…) La question de l’enjeu de la technicisa-
tion  des pratiques d’animation est majeure. De façon géné- 쑺 Le terme de technicisation est ici utilisé
dans le sens où les phénomènes
rale, la technicisation est le corollaire de l’évolution de notre extérieurs à l’animation vont participer à
société qui oblige une grande majorité de ses secteurs à être donner un caractère technique aux
plus efficaces. Le champ de l’animation voit ses structures pratiques des animateurs qui, jusqu’à
passer d’une logique associative à une logique d’entreprise. lors, exerçaient leur activité plutôt au
nom de systèmes d’adhésion à des
Cet état de fait conduit l’animation socioculturelle à s’inter- croyances. Il est toutefois important de
roger sur les pratiques de ses intervenants. Encore aujour- noter que la technicisation est elle-même
d’hui, par la professionnalisation, l’animation est passée de générée par une croyance.
l’univers du bénévolat et du militantisme à celui des activités tout à la fois
salariées et soumises à des règles de plus en plus précises. Tous les acteurs
n’ont pas fait le choix de la professionnalisation ; certains continuent à œuvrer
dans le domaine de l’animation à titre bénévole. Ce statut de l’animateur est
une question à laquelle le champ de l’animation s’est toujours confronté, à la
fois pour spécifier la nature des interventions de chacun des acteurs, mais
aussi et surtout pour exercer un contrôle sur l’emploi de ces derniers, sou-
vent à des fins de rentabilité. Le processus contemporain de professionnali-
sation tend à bouleverser les logiques traditionnelles de l’animation. C’est
pourquoi l’animation dans son ensemble tend plutôt à résister à ce processus.

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La professionnalisation demande aux animateurs d’être plus compétents pour


répondre à des situations de plus en plus complexes. Si le don de soi et la moti-
vation suffisaient pour animer, les institutions réclament aujourd’hui aux
animateurs plus de professionnalisme.»
J-F. Dumont : « Je crois que nous allons nous rejoindre, on va trouver des ter-
rains d’entente. Vous avez lâché un terme qui occupe une place importante dans
le dispositif de formation des éducateurs, c’est celui de technicien. Technicien,
du point de vue de la commande politique, c’est la pression qui consiste à nous
demander de former de « bons » techniciens de la relation, en capacité de rendre
leurs actions transparentes, de faire apparaître des résultats évaluables d’un point
de vue quantitatif. Souvent, les stagiaires me disent qu’ils ont là pour être de
bons techniciens de la relation. Cela me fait bien évidemment bondir, parce que,
pour moi, un éducateur c’est tout sauf un bon technicien. C’est même antino-
mique. L’éducateur n’est pas quelqu’un qu’on attend sur des savoir-faire tech-
niques, c’est comme tu le disais effectivement quelqu’un qui est capable d’avoir
des attitudes réflexives sur ses pratiques, sur les finalités qu’il poursuit dans le
suivi des jeunes, sur les buts poursuivis et avec quelles valeurs. Et il me semble
que l’espace de formation est là, pour permettre aux gens qu’on a en formation
pendant 2 ans ou 3 ans de pouvoir adopter un questionnement réflexif sur eux-
mêmes : comment je me situe dans le système de valeurs dominantes, dans les
normes qui nous sont proposées et comment j’accompagne les gens dans la prise
en charge ? »

A la recherche d'une professionnalisation : travail salarié,


métier ou profession ?
Comment construire une identité des travailleurs sociaux pour en faire des pro-
fessionnels ? En effet, ces personnes sont « des gens » c'est-à-dire des individus
avant d'être des professionnels. Comment alors, développer les conditions d'une
culture professionnelle spécifique pour des personnes qui entrent dans un champ
professionnel encore inconnu ou bien qui ont du mal à trouver leur place ?
Comment permettre aux travailleurs sociaux d'agir, et de se mouvoir dans leur
champ d'intervention ? Plus spécifiquement, ici, quelle est la capacité à agir des
éducateurs et quel discours peuvent-ils avoir de leur métier ? C'est tout l'enjeu de
la formation initiale.
Il semblerait que la question du savoir être du professionnel représente un axe de
travail important dans la formation. Le travailleur social est pris dans un conflit
interne entre ce que lui désire faire et ce que son contexte d'intervention lui per-
met de réaliser. Or, l'éducateur est un praticien peu habitué à verbaliser ce qu'il fait.
Les mots lui manquent lorsqu'il s'agit de préciser ce qu'il tente de réaliser et pour-
quoi il le fait. Les mots lui manquent également pour se définir lui-même et se
situer par rapport à sa propre profession. C'est tout l'enjeu de la formation : contri-
buer à amener les éducateurs à se positionner en tant que professionnel, à se rendre
visibles aux yeux des autres, par exemple dans le cadre d’un partenariat ou d’un
travail en réseau. C'est donc, semble t-il, dans un travail de transformation

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personnelle et professionnelle que la formation devient opérante. Autrement dit,


la formation initiale dont il est question ici, « travaille » l'implication profession-
nelle des travailleurs sociaux, et plus spécifiquement celle des éducateurs, par la
constitution de repères personnels et professionnels grâce à l'accompagnement
des formateurs. Un accompagnement qui vise aussi à la réactualisation du sens et
des significations attribuées aux interventions éducatives et aux contextes de leur
production...
J-F. Dumont : « Pour les stagiaires que j’ai en fin de formation, et qui vont pas-
ser le diplôme, j’estime qu’en trois phrases ils doivent être capables de se décrire
en tant qu’éducateur. Qui je suis ? Qu’est-ce que je fais ? Quels sont mes champs
d’intervention ? Un enseignant c’est facile à repérer pour un éducateur, un méde-
cin c’est facile à repérer, un psychologue, un ergothérapeute, sont bien campés
dans un champ d’intervention, bien délimités dans leurs compétences et savent
ainsi quand il faut passer le relais lorsque ces compétences ne suffisent plus.
Mais pour un éducateur, qui est-il ? Que fait t-il ? Combien sont en capacité de
répondre à ses questions ? C’est tout l’enjeu de la formation que de mettre au tra-
vail une définition personnelle et singulière de l’identité professionnelle, forgée
dans un cadre collectif. »
Ph. De Zotti : « (…) Or, pour communiquer avec les partenaires institu-
tionnels les travailleurs sociaux doivent faire l'effort de conceptualiser, de for-
maliser leur vécu quotidien pour le rendre accessible. Cet effort de prise de
distance demande à mon avis, du temps et un accompagnement. Pour faire
avancer une situation problématique d’un enfant, le travailleur social doit
la faire connaître aux partenaires et en même temps, c’est là un autre para-
doxe, il est soumis à un devoir de discrétion vis à vis de la personne en dif-
ficulté. De la même manière parler publiquement de situations de détresse,
des dysfonctionnements de l’aide publique lorsque les travailleurs sociaux
y sont confrontés, engage le professionnel au delà de la relation d'aide. Tou-
tefois, le silence rend les travailleurs sociaux complices d'un système dont
ils connaissent les limites mieux que personne, système qui peut parfois se
retourner contre eux. »
Ph. Marty : « Je suis en grande partie d’accord avec ce que vous venez de dire
concernant votre champ d’intervention. Dans le secteur de l’animation, doit-on
parler de profession ou de métier ? C’est une question récurrente à laquelle il est
difficile de répondre de façon rapide. Cependant, je peux dire que la profession
est, par définition, une activité régulière exercée pour gagner sa vie. Le métier
relève plus d’une habileté technique, de l’apprentissage par expérience et pos-
sède un caractère utilitaire et normatif. Au regard de ces définitions, je pense
que l’animation pourrait revendiquer d’être à la fois métier et profession. Pour
être plus précis, je pourrai dire que la profession d’animation regroupe plusieurs
métiers. »

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L'accession à la profession et la reconnaissance du


professionnel
La formation des travailleurs sociaux passe à la fois par une formation en centre
et sur le terrain.
L'objectif des formations universitaires est d'élaborer des savoirs propres au champ
considéré de manière à rechercher une certaine légitimité professionnelle au tra-
vers d'un diplôme. Il est necessaire d'élaborer par la recherche, en particulier par
l'objectivation des pratiques, dans des ateliers d'analyse des pratiques, des cadres
conceptuels susceptibles de cerner le champ spécifique de la profession et de don-
ner une certaine technicité aux professionnels.
Ainsi l'Université constitue un lieu privilégié d'élaboration d'un savoir concer-
nant les pratiques et donc de constitution d'une profession. Mais la démarche
rationnelle de la formation ne suffit pas.
Une stratégie de formation que l’on pourrait qualifier de « professionnalisante »
doit mobiliser la réflexion des travailleurs sociaux sur leurs pratiques. Il s’agit,
en quelque sorte, de former les professionnels à une démarche d’explicitation de
leur action. Cependant, la pratique réfléchie ne saurait être uniquement une
méthode de travail dans des groupes de formation. C’est aussi, dans la perspec-
tive d’une professionnalisation du métier d’animateur comme celui d’éducateur,
une dimension essentielle de l’exercice du métier. Un professionnel doit être
capable de se poser des questions sur ses objectifs et ses façons de faire, de se
demander s’il pourrait s’y prendre autrement, d’apprendre de l’expérience des
autres et de réguler son action tout en prenant une certaine distance critique. Le
développement d’une pensée réflexive sur sa propre pratique constitue un axe de
travail pertinent tant en formation universitaire ou en centre de formation que sur
le terrain. Apprendre à s’interroger, à poser des problèmes, à ouvrir des pistes de
réflexion sur ses propres pratiques et dans un contexte de groupe constitue un axe
privilégié de la formation des travailleurs sociaux. Et ceci tant dans le champ de
l’animation que dans celui de l’éducation spécialisée.
Dans ce cadre nous situons la formation plutôt sur le versant du développement
professionnel. D’un point de vue méthodologique, il s’agit de proposer aux pro-
fessionnels des dispositifs leur permettant de devenir les acteurs de leurs propres
transformations. Le travail collectif dans des groupes transversaux et dans le cadre
d’interactions professionnelles constitue un dispositif pertinent de transformation
ou d’évolution professionnelle.
Ph. Marty : « J’interviens dans une filière d’animation professionnelle qui est
mise en place par l’Université de Toulouse-le Mirail. Il est important de le poin-
ter compte tenu du caractère singulier de celle-ci qui est unique en France ; en
effet, la formation des animateurs appartient plutôt au domaine d’intervention de
la Jeunesse et des Sports. La formation mise en place à l’université forme des
cadres de l’animation au niveau du DEUST et de la Licence Professionnelle.
Pour ma part, j’interviens notamment sur des contenus en lien avec la

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connaissance des champs de l’animation socioculturelle, des pratiques ou encore


sur les fonctions de l’animateur. Parallèlement, je réalise des recherches qui s’in-
téressent aux pratiques professionnelles des animateurs (…). J’ai trouvé un grand
intérêt à mettre en place ces formations à l’université, tout d’abord parce que ce
type de cursus professionnel permet aux animateurs de reprendre des études,
mais aussi parce que le champ de l’animation souffre d’un manque de recherches
qui me semblent indispensables pour l’avenir de cette profession, notamment
en terme de légitimité. Du côté de mon employeur associatif, je mets en place
des formations internes, qui ne sont pas certificatives, mais qui renvoient à la
dimension réflexive dont tu parlais. Ces dispositifs visent à améliorer les
pratiques des animateurs. »
Ph. De Zotti : « En fait, quand je parle d’interrogation multiréférentielle, il s’agit
essentiellement d’une recherche de sens, d’un travail sur les valeurs et les visées
des actions que l’on mène auprès d’une population (…). Il nous semble que c’est
un enjeu majeur : faire émerger le sens et les valeurs éthiques qui fondent les pra-
tiques professionnelles des travailleurs sociaux comme je l’ai déjà dit (…). L’ob-
jectif est d’aider, pourquoi pas former, les professionnels à la construction col-
lective d’un discours du social par une attitude réflexive sur le sens de l’action édu-
cative. Le travail social on le trouve là et bien moins dans des outils conceptuels
qui seraient construits en dehors des professionnels ne tenant pas toujours compte
de la complexité des situations auxquelles ces professionnels sont confrontés. »

Professionnalité et légitimité professionnelle


Quelles compétences professionnelles paraissent nécessaires aux travailleurs
sociaux et susceptibles de légitimer une certaine professionnalité ? Cette profes-
sionnalité est ici constituée par la mise en œuvre de leurs compétences et quali-
fications. C’est ainsi qu’ils peuvent s’affirmer en tant que professionnels et être
reconnus socialement. Se construire une place comme acteur, voire auteur dans son
contexte de travail c’est trouver une identité professionnelle. Leur capacité à
accompagner des publics en situation de handicap ou bien leur intervention dans
le cadre du loisir constituent une légitimité professionnelle. La capacité à
construire du travail de partenariat ou des réseaux au service des publics bénéfi-
ciaires est une bonne illustration de l’expression d’une professionnalité active.
J-F Dumont : « L’ouverture des établissements sur l’extérieur, est fortement
réaffirmée par la loi du 2 janvier 2002. Le travail partenarial et le travail en
réseau, existent depuis longtemps dans l’éducation spécialisée ou dans la for-
mation des travailleurs sociaux, cela fait 30 ans qu’on en parle. Mais cela reste
un des points aveugles du travail et de la formation. Et je crois qu’il y a encore
des difficultés à mettre le oeuvre. (…) Le fonctionnement en réseau demande à
chacun des acteurs d’être dépossédé de la maîtrise du projet. Sans doute est-ce
l’un des grands objectifs de l’éducation spécialisée de rendre la maîtrise de ces
projets aux personnes que nous accompagnons... A eux de piloter le dispositif...
A eux aussi et surtout d’y mettre fin... »

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Ph. De Zotti : « Ça c’est important, « qui pilote ? » Ce qui signifie que pour
réaliser un travail de partenariat, le professionnel doit être en capacité de multi-
plier les interactions et donc de générer des realtions entre différents acteurs.
C’est peut-être là qu’il est un technicien de la relation. Le problème c’est que le
partenariat expose le professionnel au regard des autres, ce qui l'oblige à sans
cesse se remettre en cause. C’est une posture professionnelle plutôt
inconfortable. »
Ph. Marty : « Dans les CLAE  où je suis allé observer les 쑺 Centre de Loisir Associé à l’Ecole.
pratiques, la thématique du partenariat était fortement présente
et posait des question liées à la coéducation, au réseau, aux pratiques partenariales
et donc à la légitimité du champ de l’animation. Pour ma part, je préfère regar-
der ce dernier aspect du point de vue de la professionnalité des animateurs. En
effet, j’ai pu démontrer lors de recherches récentes que les animateurs profes-
sionnels, comme les animateurs volontaires, présentaient des éléments de pro-
fessionnalité proches. Le travail que j’ai réalisé sur les pratiques des animateurs
m’a conduit à démontrer que celles-ci n’étaient pas totalement éclectiques. Je
pense que s’il est possible d’identifier des éléments de professionnalité dans les
pratiques des animateurs, alors la profession d’animateur peut être légitimée. »
Cependant une centration sur l'action de terrain uniquement n'est pas suffisante
pour construire une professionnalité. L'action doit faire l'objet d'un partage du
sens.

Professionnalité et partage du sens de l'action


La formation des travailleurs sociaux à la construction collective du sens donné
à leur action éducative constitue un axe privilégié de la formation. Formation qui
s'effectue par l'intermédiaire du travail d'équipe. L'équipe de travail est le lieu de
construction du professionnel. Il est aussi le moyen de travailler l'interdisciplina-
rité, l'« articulation » des professionnels entre eux.
Un travail en équipe respectueux des différences devrait permettre de souligner des
interprétations originales en sollicitant l'expression de chacun. Celles-ci constituent
en effet une chance pour la personne en difficulté dans la description que l’on
peut faire d’elle ou de sa situation de manière plus ou moins nuancée. Au fond,
il s’agit de mettre en place des dispositifs dans lesquels les sujets peuvent être
susceptibles de s’impliquer dans l’analyse, c'est-à-dire travailler à la co-
construction du sens de leurs pratiques et de leurs observations. L’objectif est
d’élaborer ensemble, en groupe une évaluation des actions menées. Cela revient
pour les professionnels à poser la question du cadre axiologique dans lequel ils
s'engagent surtout pour leur éviter de situer leur action dans l'ordre du contrôle uni-
quement et de devenir des agents des politiques sociales. Cela ne peut se faire
que dans la recherche de consensus avec les tutelles. Les professionnels eux-
mêmes doivent être en capacité de réaliser une expertise complexe de leur action
articulée à un système de références, de valeurs et de normes garantissant la fina-
lité sociale de leur activité professionnelle. C'est dans ce cadre que se dessine une
professionnalité reconnue socialement sinon économiquement.

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Ph. De Zotti : « Les professionnels voient ce travail d’élaboration comme une


condition de développement de leurs propres pratiques. L’intervention d’un
conseiller technique cherche à pour objectif de favoriser la construction collec-
tive du sens des actions professionnelles. Au-delà de la formalisation d’un pro-
jet d’établissement, qui est la demande initiale faite par un directeur, je travaille
dans ce cadre, à la mise à plat des pratiques et donc en même temps à relever les
natures d’implication des uns et des autres. Je travaille avec des groupes inscrits
dans une certaine temporalité qui peut être d’un an par exemple à raison d’un
réunion de 3 heures tous les 15 jours, ou d’un mois dans le cadre d’un travail sur
le projet. Il s’agit, en définitive, de mettre en place des dispositifs dans lesquels
les sujets peuvent être susceptibles de s’impliquer dans une analyse, ce qui signi-
fie, pour nous, de travailler à la co-construction du sens de leurs pratiques comme
je le disais plus haut. L’objectif est d’élaborer ensemble. »
Ph. Marty : « Les pratiques des animateurs restent dans de nombreux cas
influencées par des idéaux qui ont marqué leurs origines et qui se réfèrent aussi
bien à l’humanisme chrétien qu’à la morale laïque. C’est donc sur ce fond, obli-
téré mais non disparu, que doit être appréhendé le rapport des animateurs à leur
professionnalité (…). La construction de sens dans l’action pour chacun de ces
métiers passe par une interrogation sur la spécificité des compétences des acteurs
ainsi que par la nécessité d’éviter un repli crispé sur les identités instituées. »

Conclusion
Au terme de nos réflexions, nous pouvons relever que les missions des travailleurs
sociaux comme celles de certains animateurs socioculturels consistent en l’amé-
lioration du lien social. On constate une grande similitude quant à la réalité des
activités. Cependant, les méthodes employées pour y parvenir semblent différer.
Si les éducateurs spécialisés « travaillent » le lien social par une approche indi-
viduelle des problématiques des publics qu’ils accompagnent, les animateurs
socioculturels disent centrer leur action sur le collectif, sur la dimension sociali-
sante des individus.
D’autre part, plusieurs points de convergences semblent caractériser la profes-
sionnalisation et la professionnalité des éducateurs spécialisés comme celle des
animateurs socioculturels : la formation initiale en alternance, les dispositifs d’ana-
lyse collective des pratiques... semblent être constitutifs d’actions de formation à
la hauteur de la complexité des situations rencontrées par les professionnels de ter-
rain. Cependant, la légitimité de la profession passe par une technicisation néces-
saire dans le cadre de l’animation alors que celle-ci ne semble pas prioritaire dans
le domaine de l’éducation spécialisée (on peut faire l’hypothèse que ceci est dû à
une représentation plus structurée d’un champ mieux repéré socialement).
Plusieurs approches peuvent être mises en avant sur l’intelligibilité des pratiques
sociales. Une voie est celle des représentations, des conceptions et des individus,
une seconde voie peut être celle de la description et de l’explication des pratiques
professionnelles.

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Première voie : les représentations


Nous avons pu mettre en évidence, différents niveaux de professionnalisation.
D’une part, une professionnalisation des profession- 쑺 Bataille et All. (1997). Représentions
nels eux-mêmes par un travail sur l'implication profession- sociales, représentations professionnelles,
nelle (Bataille, M., 1997  ; Mias, Ch., 1999 ) : accroître les système des activités professionnelles,
L’année de la Recherche en Sciences de
repères, développer des compétences dans l’action, passer de l’Education, Paris, P.U.F.
l'agi au réflexif en travaillant les représentations profession-
nelles et en développant la signification et le sens donnés à 쑺 Mias, Ch. (1999). L’implication
l’action menée. Ensuite, en développant des formations spé- professionnelle dans le travail social.
cifiques et en permettant l’accès à des qualifications sociale- Paris, L’Harmattan, coll. Education et
ment reconnues. Enfin, en inscrivant le professionnel dans formation, Thèses et travaux
universitaires.
une identité affirmée susceptible de construire une culture
professionnelle.
D’autre part, une professionnalisation des actions menées en définissant
clairement un champ d'intervention, ses limites et les spécificités inhérentes à ce
champ et en définissant également les modalités de formation en alternance et en
partenariat avec l’Université, les centres de formation et les structures concernées
sur le terrain. Il s’agit de légitimer un secteur professionnel reconnu socialement
pour sa capacité à articuler théories et pratiques dans l’action en réinterrogeant
et en réactualisant ses propres pratiques dans une interrogation collective.
Enfin, une professionnalisation des établissements, des services, qui seront
en mesure de rendre plus visible et lisible leur action pour mieux répondre aux
besoins des usagers et aux partenaires, aux exigences des décideurs, aux obliga-
tions des politiques publiques.

Deuxième voie : l’étude des pratiques professionnelles en situation


La professionnalisation des acteurs du social peut être appréhendée par l’étude de
leurs pratiques. Un travail de description et d’analyse de plus en plus fin est néces-
saire dans cette approche pour expliquer ce qui se passe en intervention éducative.
Les pratiques sont ici appréhendées telles qu’elles sont et non telles que les perçoi-
vent les individus ou qu’ils souhaiteraient qu’elles soient. Les travaux de M. Bru
(2002) montrent que l’observation des pratiques peut servir plusieurs objectifs. Il pro-
pose de distinguer les études faites pour évaluer, pour agir, pour former ou pour
expliquer et comprendre l’organisation des pratiques et des processus en jeu dans leur
fonctionnement ; ces orientations ne sont pas exclusives. Dans les travaux sur l’étude
des pratiques professionnelles, c’est ce dernier objectif qui a été privilégié. La quête
d’éléments de professionnalité entendus au sens de savoir-faire et savoir-être consti-
tue un autre objectif important de ce type de recherche.
Par ces différentes approches, nous sommes au centre de ce qui fait la spécificité
toulousaine, c’est à dire les recherches à propos des représentations et des pra-
tiques professionnelles. La valeur heuristique du rapprochement de ces deux voies
commence à apparaître lorsqu’on met en perspective les dimensions comporte-
mentales et les dimensions sociocognitives des pratiques (Marty, 2007).

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BIBLIOGRAPHIE : MARTY, P. : Modalités et dynamiques


des pratiques professionnelles
BRU, M. & All La recherche des d’animation ; Le cas de l’animateur de
processus caractéristiques des pratiques Centre de Loisirs Associé à l’Ecole,
enseignantes dans leurs rapports aux Thèse de doctorat nouveau régime en
apprentissages . Revue française de Sciences de l’Education, sous la direction
pédagogie, vol. 148, 2004. de Marc BRU, Université de Toulouse Le
Mirail, 2007.
GILLET, J-Cl. : L’animation en question,
Editions Erès, 2006. MIGNON, J-M. : Le métier d’animateur :
Syros, Alternatives sociales, 1999.

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