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Technologie et performance sportive

D’après la conférence de Denis Masseglia


Technologie
et performance
sportive
Denis Masseglia a été profes- certaines questions doivent
seur agrégé de sciences rester présentes à l’es-
physiques, International et prit : la priorité est-elle bien
champion de France d’aviron donnée à l’intérêt de l’athlète
(1969, 1970 et 1974), et prési- et son intégrité sera-t-elle
dent de la Fédération française préservée ? La technologie
des sociétés d’aviron (FFSA) de est-elle sans faille, sans
1989 à 2001. Depuis mai 2009, faiblesse ? Accorde-t-elle
il est le président du Comité suffisamment de garantie à
national olympique et sportif l’athlète pour qu’il puisse s’y
français (CNOSF). fier sans réticence ? Aide-t-
Dans une compétition spor- elle réellement la discipline
tive, la performance dépend de sportive tout en veillant à ne
trois paramètres : physique, pas la dénaturer ? Ne crée-
technique et psychologique. t-on pas de l’inégalité dans la
Dans un contexte international réalisation à la performance ?
de plus en plus exigeant, où la Selon la discipline, l’impact
victoire se joue au moindre d’un changement technolo-
détail, il est nécessaire d’op- gique ne sera pas le même :
timiser chacun de ces trois pour certains sports dits à
paramètres. La techno- matériel, il existe une culture
logie a un rôle à jouer : elle liée à leur importance, les
contribue surtout à l’amélio- athlètes s’y soumettent
ration du matériel sportif avec presque naturellement ;
des progrès remarquables pour d’autres, une révolution
ces dernières années grâce technologique pourrait être
aux sciences physiques et ressentie comme une intru-
chimiques, comme en témoi- sion et exigerait un effort
gnent les nombreux exemples d’adaptation du sportif, dans
décrits dans l’ouvrage La ses gestes, comme dans sa
chimie et le sport. préparation psychologique.
Dès lors que la technologie La technologie est également
se mêle du sport, en particu- liée à l’aspect spectaculaire
lier du sport de haut niveau, de la discipline, exigence
La chimie et le sport

nouvelle avec la médiatisa- significative, voire détermi-


tion, parce que non seulement nante. Que signifient des
ce n’est pas tout à fait le même records accomplis avec des
geste et ce n’est pas tout à technologies complètement
fait le même intérêt pour le différentes ? Si l’apport de la
spectateur de regarder un technologie dans la perfor-
saut effectué avec une perche mance sportive est indéniable,
rigide plutôt qu’avec une il n’en demeure pas moins
perche souple. C’est aussi le que son utilisation n’est pas
« spectacle » qui attirera les si simple qu’il n’y paraît au
sponsors, qui permettra d’at- premier abord, notamment
tirer des jeunes vers telle ou sur le plan psychologique, et
telle discipline. qu’elle se complexifie au fur
Nous sommes dans un et à mesure que la pression
contexte où la technologie sur l’athlète augmente.
repousse les limites de
l’humain et lui permet de
progresser sur le simple
plan de la référence à soi-
1 La technologie
au service du sport
même. C’est la volonté de se
1.1. Objectif qualité
surpasser, celle de vaincre
et sécurité
qui peut être décisive. Mais
Figure 1 dans des conditions où l’on Que cherche-t-on à améliorer
La qualité et la sécurité
compare ce qui est compa- dans le sport par un change-
des équipements sportifs sont rable. La question mérite ment technologique ? Quels
des caractéristiques essentielles d’être posée quand la part du objectifs essentiels doit
que doit garantir la technologie. matériel revêt une importance atteindre la recherche scien-
tifique en termes d’adaptation
à l’être humain, l’athlète ? Il
est souhaitable de viser en
premier lieu la qualité et la
sécurité.
Afin de garantir à la fois
qualité et sécurité, le maté-
riel sportif est soumis à
divers tests permettant d’en
connaître les caractéristiques
et surtout les limites, de façon
à éviter tout danger pour l’ath-
lète, surtout dans les sports
à risque ; on pense en parti-
culier aux sports de vitesse,
Formule 1, motocross, luge,
roller skating… (Figure 1). On
ne peut oublier le dramatique
décès du lugeur géorgien
Nodar Kumaritashvili lors des
Jeux olympiques d’hiver de
Vancouver en 2010, victime
d’une sortie de piste lors d’un
entraînement et décédé des
100 suites de ses blessures.
Technologie et performance sportive
Le confort apporté à l’ath-
lète, qui conditionne partiel-
lement les deux autres
critères, complète le cahier
des charges. Un guidon de
triathlète adapté à un vélo de
course est une innovation qui,
sur le plan morphologique, est
plus adapté à l’effort, permet
de soulager le dos de l’athlète,
favorise un effort prolongé et
permet de gagner quelques
précieuses secondes (voir le
paragraphe 2.2.1).

1.1.1. Les casques


de protection
1.2. La technologie Figure 2
Dans de nombreuses disci- pour optimiser
plines, le cyclisme en est un la performance propre Dans de nombreuses disciplines où
exemple, il est indispensable l’on n’est pas à l’abri d’une chute,
du sportif le port du casque, indispensable,
de protéger la tête du partici-
pant, car une chute, fréquente Un autre type de technologie, est devenu obligatoire.
dans ce sport, peut avoir des la vidéo, peut être un outil effi-
conséquences fatales. Il s’agit cace pour aider les athlètes à
de concevoir et fabriquer des s’améliorer, en décomposant
casques permettant à la fois leurs gestes image par image.
de gérer l’effort de l’athlète Dans le tir à l’arc, en décom-
et son confort (en prenant en posant le mouvement d’une
compte la transpiration par flèche tirée par un archer, on
exemple) (Figure 2). s’aperçoit que c’est un véri-
table « spaghetti » qui décrit
1.1.2. Les masques une trajectoire invisible à l’œil
transparents en escrime nu, lequel est incapable de
séparer et analyser des images
En escrime, les athlètes
qui se succèdent si rapide-
portent un masque pour se
ment. Sur cette base, l’athlète
protéger des coups de fleuret.
peut étudier le parcours de
On a récemment souhaité
la flèche, comprendre le lien
que ce masque réponde aussi
entre son mouvement initial
à un autre besoin, celui de
et ce parcours, corriger un
permettre aux spectateurs de
certain nombre d’éléments
scruter le visage des acteurs,
y lire l’effort, la concentration dont l’impulsion qu’il donne à
la volonté de gagner ! Pour la flèche, le degré de tension
assurer le spectacle, on a donc de l’arc, sa propre position.
conçu le masque transparent, Ces corrections seront inté-
en veillant à éviter la forma- grées jusqu’à devenir un
tion de buée et en s’assurant automatisme, une sorte de tir
que l’athlète soit aussi à l’aise instinctif, plus rapide que la
avec un masque transparent pensée consciente et la trans-
qu’avec le masque grillagé mission de l’influx nerveux.
traditionnel par un contrôle Dans l’aviron, un « bateau-
systématique en situation. laboratoire » a été construit, 101
La chimie et le sport

sur lequel ont été disposés d’élan qui diffère, il doit


des capteurs sur les dames s’élancer en l’air en déployant
de nage, ces objets servant de la puissance dans les bras
à fixer les rames et jouant le pour contenir l’impact violent
rôle de pivot. Les capteurs de la torsion de la perche au
renseignent sur la relation moment où celle-ci tape dans
entre la pression exercée et le butoir. Le saut en devient
la position de l’aviron, ce qui plus spectaculaire qu’avec
Figure 3 permet à l’athlète de mesurer une perche rigide et l’on se
Un bon équilibre dans une équipe l’impact de son geste lorsqu’il rapproche davantage d’une
est essentiel pour la victoire. rame car, même si on a discipline de type gymnas-
parfois l’impression que le tique, alors qu’initialement la
bateau avance tout seul, c’est course d’élan et la position
l’effort du rameur, donc l’ef- en l’air caractérisaient davan-
ficacité de son geste, qui est tage les qualités propres des
moteur. On peut alors définir premiers athlètes. Il est donc
la composition idéale d’une indéniable que la technologie
équipe d’aviron, parfaitement a influencé l’évolution du
équilibrée, c’est-à-dire asso- saut à la perche et les perfor-
ciant des coéquipiers ayant mances des athlètes.
les mêmes capacités, les
mêmes spécificités (Figure 3). 2.2. Quand la technologie
Dans ce contexte, la techno- peut faire la différence
logie apporte donc une aide
2.2.1. Sur le plan matériel
précieuse pour optimiser les
performances. La technologie peut-elle
faire la différence entre deux

2 La technologie
fait-elle le sport ?
athlètes ? De nombreux sports
tels que la voile, le sport auto-
mobile, le sport motocycliste
2.1. Quand l’évolution et le cyclisme font appel à
d’un matériel fait évoluer du matériel de plus en plus
une discipline sportive élaboré. Et la technologie peut
changer fondamentalement la
Comment l’évolution d’un
donne...
matériel peut-elle avoir une
incidence sur celle d’un geste Dans la pratique de la voile, les
technique, voire d’une disci- qualités du marin et de l’équi-
pline entière ? Le saut à la page sont d’une importance
perche illustre bien ce phéno- capitale, comme en témoigne
mène : on assiste au passage l’exploit du navigateur fran-
d’une perche d’abord en bois à çais Michel Desjoyeaux au
la fin du XIXe siècle, en bambou dernier Vendée Globe 2008-
au début du XXe siècle, deve- 2009 (Figure 4), lorsqu’il a
nant ensuite aluminium dans su remonter un handicap
les années 1940, avant d’être conséquent et devancer ses
en fibre de verre depuis les concurrents de manière spec-
années 1960 (notons que le taculaire. Mais il arrive que
tapis de chute en mousse est la différence se joue sur la
apparu à cette période). Ces technologie des voiliers, pour
nouvelles matières ne deman- lesquels on paye des prix très
dent pas les mêmes qualités à élevés. L’industrie nautique
102 l’athlète : en plus de la course s’efforce aussi de répondre
Technologie et performance sportive
Océan
Atlantique Océan
Pacifique

Océan
Pacifique Océan
Indien

Cap de Bonne-Espértance
Cap Aguthas

Cap-Horn

aux besoins des compéti- pas dénuée d’ambiguïté à Figure 4


teurs, qui ne sont pas à l’abri l’époque et l’est toujours.
de nombreux aléas tels que la L’évolution du matériel, qui a En tête sur son bateau Foncia,
Michel Desjoyeaux signe
météo changeante, auxquels profité ce jour-là à un athlète,
le premier doublé jamais réalisé
il faut pouvoir s’adapter. a-t-elle profité aux athlètes, dans cette course autour du monde
Dans le cyclisme, rappe- au sport, ou peut-être à des en solitaire et sans escale.
lons-nous d’un final de Tour fabricants de matériels qui À droite, le parcours du Vendée
de France entre le français ont pu développer par la suite Globe 2008-2009.
Laurent Fignon et l’américain d’autres concepts ? Dans ce
Greg LeMond (Figure 5) en cas particulier, comme nous
1986 où, à la surprise géné- l’avons évoqué précédem-
rale, un « guidon de triath- ment, le guidon de triathlète
lète » a fait son apparition au contribue à l’amélioration du
dernier moment. Il s’agit d’un confort du coureur, en dimi-
prolongateur ajouté au guidon nuant l’effort nécessaire : il
qui permet de gagner en s’agit d’un progrès indéniable,
vitesse pour une même puis- une des innovations les plus
sance musculaire développée, utilisées aujourd’hui dans le
grâce à un meilleur aéro- cyclisme.
dynamisme de l’ensemble
machine-athlète. L’idée d’une 2.2.2. Sur le plan
évolution technologique n’est psychologique
pas contestable en soi, mais Une différence technologique Figure 5
peut-on autoriser au dernier pose aussi un problème sur Greg LeMond a remporté à trois
moment une amélioration le plan psychologique. Celui reprises le Tour de France en 1986,
technique susceptible d’avan- qui pense avoir un maté- 1989 et 1990 et deux fois le titre
tager un coureur par rapport riel moins performant que mondial sur route en 1983 et 1989.
aux autres ? Le vainqueur son concurrent abordera la
était-il bien le meilleur ou compétition en position d’in-
plutôt celui qui avait astu- fériorité et sa concentration
cieusement, et secrètement, avant l’effort risque d’en être
amélioré son équipement ? amoindrie. Dans le cas de la
Est-ce l’homme ou le matériel Formule 1, on peut effective-
qui a fait la différence ? Nous ment se demander si la diffé-
devons nous poser cette ques- rence de performance est liée
tion, dont la réponse n’était plutôt au pilote ou à la voiture. 103
La chimie et le sport

calculée au millimètre… La
position du skieur est égale-
ment étudiée pour optimiser
sa vitesse et les innovations
techniques ont progressi-
vement modifié le style des
skieurs. Il est essentiel qu’une
évolution technologique s’in-
tègre harmonieusement dans
l’évolution de la pratique
d’une discipline sportive,
Il est intéressant de comparer sans discontinuité brutale. Le
Figure 6
les performances de deux Chapitre de N. Puget aborde
À gauche, Jean-Claude Killy, triple pilotes d’une même écurie. en détail l’élaboration des
médaillé d’or aux Jeux olympiques matériaux pour la fabrication
On s’aperçoit que souvent,
de Grenoble en 1968 :
à la descente, au slalom et au l’un des deux est meilleur que des skis.
slalom géant. À droite, Bode l’autre et la plupart du temps, Qu’en est-il du tennis ?
Miller aux Jeux olympiques 2006 c’est celui qui semble le plus Au-delà de la quantité et de
(épreuve du slalom géant). apte psychologiquement à la qualité de l’entraînement
démontrer sa capacité à être le et des efforts fournis par les
meilleur. Et celui qui pilote une joueurs, la différence se joue
voiture qui met régulièrement essentiellement sur la durée,
une ou deux secondes de plus et donc sur l’endurance : le
au tour sera peut-être tenté matériel facilite la gestion
de prendre des risques incon- des matchs de longue durée,
sidérés pour lui-même et pour se succédant sur quinze jours
ses concurrents, espérant dans un tournoi du Grand
compenser le handicap de sa Chelem (Figure 7). Et cela
monture par des moyens criti- peut se répéter plus d’une fois
quables… (voir par exemple le dans l’année. Pour résister à
Chapitre de J.-L. Veuthey). un rythme aussi soutenu, la
technologie portant sur l’équi-
2.3. Quand la différence pement (raquette, cordage,
se fait sur la durée balles, chaussures,…) permet
de mieux aborder cette
Dans le ski, les matériaux ont
exigence particulière qui
beaucoup évolué, comme on
caractérise les joueurs de
peut s’en rendre compte en
tennis, sollicités d’un bout à
comparant des images des
l’autre de l’année.
Jeux olympiques d’hiver de
Grenoble en 1968, avec le triple De nombreux sports, ainsi
médaillé d’or français Jean- caractérisés par l’usage
Claude Killy, et des images d’un équipement spécifique,
de Jeux d’hiver plus récents évoluent avec la technologie
(Figure 6). Actuellement, qui améliorera la perfor-
les combinaisons permet- mance du sportif.
tent aux skieurs d’optimiser
leur pénétration dans l’air ;
les skis sont plus qu’affûtés, 3 Quand la technologie
mène à des dérives
les casques sont profilés, les La technologie apporte des
bâtons ne sont pas faits d’une progrès incontestables dans
ligne droite mais avec une la pratique du sport, mais
104 forme légèrement recourbée, il faut garder à l’esprit de
Technologie et performance sportive
A B

C D

toujours situer l’athlète au


centre des préoccupations, Figure 7
et ne pas laisser place aux E Les tournois du Grand Chelem
dérives. Un certain nombre de sont les quatre tournois majeurs
règles doit donc être respecté. du calendrier professionnel des
joueurs de tennis : Open d’Australie
3.1. Quand la technologie (A), Internationaux de France de
peut menacer l’équité Roland-Garros (B), Tournoi de
Wimbledon (C), et US Open (D).
Dans le sport, il est primordial Chaque tournoi se déroule sur
de veiller à une certaine forme deux semaines, et les joueuses et
d’équité. C’est ce qu’a su faire joueurs s’affrontent tous les deux
respecter la Fédération inter- jours. E : Roger Federer, champion
nationale des sociétés d’aviron à Roland-Garros en 2009. Le n°1
(FISA) dans cette discipline. mondial de 2004 à 2009 a réalisé
l’exploit, unique dans l’histoire du
Elle a en effet contribué à tennis, de gagner cinq fois de suite
limiter une certaine « course deux tournois du Grand Chelem.
à l’armement », où l’on
pouvait tout à fait imaginer
les bateaux du futur consti-
tués de matériaux de plus
en plus complexes, avec des
coûts grimpant sans limite.
Aujourd’hui, ils sont déjà fabri-
qués en fibres de carbone, un
matériau très résistant du fait
de sa composition en fibres
très fines (d’une dizaine de 105
La chimie et le sport

micromètres de diamètre), Le « dopage technologique »,


agglomérées dans des cris- peut, à l’instar du dopage
taux microscopiques alignés chimique (voir les Chapitres
le long de la fibre, contri- de M.-F. Grenier-Loustalot et
buant ainsi à cette résistance de J.-L. Veuthey), devenir un
exceptionnelle. Et pourquoi ne fléau, quand en associant à la
pas envisager d’ajouter des haute performance à toutes
portants en titane, un maté- sortes de forme de dopage, on
riau non seulement résistant finira par douter de la valeur
mais léger, ou toute autre de la performance de tous et
technologie de plus haut coût ? de chacun.
Jusqu’où est-on prêt à aller S’assurer que la technologie
pour battre des records ? Doit- ne prend pas le pas sur la
on, par exemple, chercher à performance de l’athlète,
abaisser à 60 kilos le poids c’est aussi lui assurer l’accès
d’un bateau pour huit rameurs, à ce qu’il recherche à travers
alors que la limite imposée par la compétition, à savoir se
le règlement est de 80 kilos ? réaliser, emmagasiner un
Cela impliquerait le dévelop- certain nombre d’émotions,
pement d’une recherche pour se construire à travers sa
Figure 8 assurer le lien entre la légè- capacité à se prouver qu’il a
reté et la nécessaire rigidité été capable de se dépasser,
Lors des Jeux olympiques de du bateau, entraînant un coût
Pékin en 2008, le nageur français en toute loyauté, et qu’il a pu
Alain Bernard (ici à l’arrivée du
exceptionnel. Et surtout, cela gagner par son propre travail,
100 mètres nage libre où il bat se traduirait obligatoirement par son propre talent. Ce qui
le record du monde) avait utilisé par un handicap pour le déve- est bien plus valorisant que
une combinaison en polyuréthane. loppement et l’universalité de gagner du fait d’un maté-
C’est dans les années 1990 qu’ont de la discipline. C’est ce qu’a riel meilleur que celui de son
été introduites les premières défendu la FISA pour préserver
combinaisons, remplaçant
adversaire.
l’équité dans l’aviron. Il s’agit
progressivement les maillots
de bain. L’idée est de reproduire
d’une valeur fondamentale, 3.2. Quand on risque
les caractéristiques de la peau applicable à toutes disciplines de dénaturer un sport
d’animaux aquatiques tels que le sportives, afin d’en assurer un
Peut-on en arriver à déna-
requin. développement pérenne.
turer une discipline sportive
du fait d’un apport techno-
logique ? Le cas des combi-
naisons en polyuréthane,
introduites en natation en
2008, soulève depuis peu ce
problème (Figure 8). Fabien
Gilot, un des membres du
relais 4 x 100 de l’équipe de
France lors des championnats
du monde de natation à Rome
en 2008, confiait : « Je suis
quelqu’un de plutôt longiligne,
pas forcément avec de grandes
épaules et ni de gros bras.
Avant, j’arrivais à glisser dans
l’eau ; maintenant, la combi-
naison me porte. Le paramètre
106 puissance a pris le dessus sur
Technologie et performance sportive
le paramètre glisse ». Quand jectif était de restituer une
on examine le contexte actuel partie de l’énergie, a été
de la natation, cette discipline évoquée. Si tous les profes-
est plus que jamais média- sionnels bénéficiaient de cette
tisée, et l’introduction des avancée en même temps, les
nouvelles combinaisons a compétitions aboutiraient
créé beaucoup d’interroga- probablement à un classement
tions. En améliorant considé- peu différent du classement
rablement les performances ATP18 actuel. Les chercheurs
des nageurs, elle a boule- ne sont pas en cause lorsqu’ils
versé toute une discipline : découvrent de nouvelles molé-
depuis les Jeux olympiques cules, de nouveaux matériaux,
de Pékin en 2008, plus d’une de nouvelles applications à des
centaine de records du monde concepts connus… Pour toutes
ont été battus. Après avoir les innovations qui peuvent
initialement validé tous ces bouleverser la performance
records, la Fédération inter- sportive, pour toutes les évolu-
nationale de natation (FINA), tions technologiques impor-
réunie, en juillet 2009 à Rome, tantes, pourquoi ne pas prévoir
a fini par interdire son utili- des périodes d’essai à l’issue
sation à partir de 2010 : « La desquelles la réglementation,
FINA tient à rappeler que la le législateur auront à choisir
natation est un sport dont entre l’accepter, la moduler ou
l’essence est la performance la refuser.
physique du sportif, le prin- Enfin, on ne peut nier
cipe le plus fondamental », que les contrats publici-
indique le préambule de la taires passés avec certains
charte établie. Qu’apporte athlètes, les plus connus et
finalement cette combinaison les plus médiatiques, consti-
extraordinaire, inspirée de tuent une locomotive pour
la peau de requin, nécessi- un marché destiné au plus
tant un bon quart d’heure à grand nombre. Le marché le
revêtir ou à enlever, et avec de plus spectaculaire est peut-
l’aide, au sport de haut niveau être celui de la chaussure
et à la natation en général ? de « running », parce que
Le Chapitre de J.-F. Toussaint le sport le plus pratiqué par
étudie la question et donne tout le monde est la course
des éléments de réponse… à pied (Figure 9). Ce sont les
L’enjeu pour le sport et le innovations techniques qui
sport français en particu- alimenteront le renouvelle- Figure 9
lier est de fédérer toutes les ment de ce marché, lui aussi
hautement compétitif ! La course à pied est le sport
pratiques, de faire le lien le plus pratiqué au monde.
entre la pratique de masse Le marché des chaussures
et la pratique de haut niveau, de course est immense.
entre le sport amateur et le
18. L’ATP (Association of Tennis
sport professionnel, et de Professionals) a été créée en
promouvoir l’éthique de l’ef- 1972 par des joueurs de tennis
fort individuel, y compris dans professionnels. En 1973 elle
les jeux d’équipe. met en place le classement des
joueurs professionnels, souvent
L’utilisation de quartz piézoé- nommé Classement ATP. Son
lectrique au milieu de la équivalent féminin est la Women’s
raquette de tennis, dont l’ob- Tennis Association (WTA). 107
La chimie et le sport

l’arrivée montrait toute la


4 La technologie
ne remplace pas
le mental du sportif
rage de vaincre d’un athlète,
qu’on peut qualifier de cham-
pion d’exception. C’est peut-
Finalement, la technologie être là aussi que l’exception
fait-elle toute la différence ? va le mieux aux champions,
Comme nous l’évoquions celui qui a été capable non
précédemment, elle peut seulement de se sublimer
aider psychologiquement mais d’arriver à compenser
l’athlète qui se sait bien un handicap technologique
équipé, au même niveau que indéniable, puisque tout le
ceux à qui il va se confronter monde le reconnaissait et que
(paragraphe 2.2.1) et ne la preuve en était faite, chro-
se sent donc pas en situa- nomètre en main.
tion d’infériorité. À partir du La haute compétition exige
moment où la confiance, en de ses athlètes une véritable
soi et en son équipement, est abnégation. Indépendam-
au rendez-vous, elle peut faire ment de la question du temps
la différence. Mais la diffé- à accorder à l’entraînement,
rence est surtout ailleurs : car s’investir cinq à six heures
c’est celui dont la volonté est par jour n’est pas à la portée
la plus forte, qui sait le mieux de tout un chacun ! Ceux qui
doser son effort et dominer sa ont une compétition tous les
fatigue, contrôler son geste dimanches, comme dans le
technique jusqu’à la fin de football ou le rugby, ont la
l’épreuve ; c’est celui dont le récompense du plaisir régu-
cerveau saura exiger de ses lièrement renouvelé, car la
bras et ses jambes d’obéir compétition est d’abord un
le plus longtemps possible, plaisir. Mais ceux qui ont des
sans faille ; c’est celui qui compétitions trois, quatre
saura sortir le maximum de ou cinq fois seulement dans
ses capacités le jour J, à l’ins- l’année, ceux dont l’objectif
tant t, qui finalement gagnera. est annuel, voire tous les
Ainsi, pour les athlètes qui quatre ans, comment les
ne disposeraient pas de la qualifier ? Comment décrire
dernière technologie contrai- leur passion ? Ne sont-ils
rement à leurs adversaires, pas des exemples pour les
peut-être n’y a-t-il pas vrai- plus jeunes, pour ceux qui
ment lieu d’être perturbé, pratiquent le sport pour se
peut-être seront-ils capables maintenir en bonne santé, en
Figure 10 de se sublimer et vaincre bonne forme ? Pourquoi systé-
Michael Phelps sur la partie en
malgré toutes les innovations. matiquement les affaiblir en
brasse d’un 400 mètres, 4 nages, Le nageur américain Michael mettant en doute leur probité ?
aux Jeux olympiques de Pékin en Phelps (Figure 10) nous en Le dopage (voir les Chapitres
2008. donne l’exemple : sur le de M.-F. Grenier-Lousthalot
cent mètres papillon, lors et J.-L. Veuthey) reste dans la
du championnat du Monde majorité des disciplines spor-
à Rome en 2009, il a réalisé tives une exception, même si
un formidable parcours en parfois il y eût un véritable
bermuda, contre des concur- « dopage d’état », jusque dans
rents portant des combi- l’aviron ou la gymnastique par
108 naisons ! Son expression à exemple.
Technologie et performance sportive
La performance,
un but humain avant tout
Finalement, le fil conducteur de la recherche
dans le domaine sportif n’est pas seulement
lié à la performance. Celle-ci doit conserver
son but humain : permettre à un athlète de se
réaliser, sans mettre en cause ni son intégrité
physique, ni son intégrité morale, ce que le
regretté Nelson Paillou19
18
appelait « un sport au
service de l’homme ».
Albert Camus le disait déjà fort bien :

« Ce que finalement je sais de plus sûr sur la morale


et les obligations des hommes, c’est au sport que je le dois »

Albert Camus, texte « La belle époque »,


article « L’équipe de France »,
dans Anthologie des textes sportifs de la littérature,
de Gilbert Prouteau, éd. Plon, 1972, p. 134.

Mais la véritable équité existe-t-elle ? Entre celui


qui dispose de tout son temps pour s’entraîner
parce qu’il est payé pour cela et celui qui dans un
pays en voie de développement doit bénéficier
d’une bourse de solidarité olympique, les
chances ne sont pas égales, indépendamment
des progrès de la technologie.

19. Nelson Paillou a été le prédécesseur de Denis Masseglia, à la tête du


Comité national olympique et sportif français (CNOSF) dans les années
1980.

109
La chimie et le sport

Crédits
photographiques
Fig 4A : Licence CC-BY- Fig 7E : Licence CC-BY-2.0,
SA-3.0, Ludovic Péron. Charlie Cowins, Belmont, NC,
Fig 5 : Licence CC-BY-SA-2.5, USA.
2.0, 1.0, Chris Timm. Fig 8 : Licence CC-BY-2.0,
Fig 6B : Licence CC-BY-SA-1.0, Michiel Jelijs, from Groningen,
Thomas Grollier, Sestrieres, The Netherlands.
18 février 2006. Fig 10 : Licence CC-BY-2.0,
Fig 7D : Licence CC-BY- Karen Blaha.
SA-2.5, Nrbelex.

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