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OUI-OUI
VEUT FAIRE FORTUNE

par Enid BLYTON

GRACE à son nouveau métier de


chauffeur de taxi, Oui-Oui espère bien
gagner beaucoup d'argent, il ne refuse
aucune course : un jour, il accepte de
transporter un éléphant; un autre, tout un
chargement de poules et de canards. Que
d'histoires!
Mais cela n'est rien auprès de son
équipée au village des cent mille ballons!
Et de ses démêlés avec les lutins du Bois
Noir! Si Oui-Oui réussit à faire fortune, il
l'aura bien mérité!

2
DE LA MEME SERIE

dans la Bibliothèque Rosé


1. OUI-OUI AU PAYS DES JOUETS
2. OUI-OUI DÉCROCHE LA LUNE
3. OUI-OUI ET LA VOITURE JAUNE
4. OUI-OUI CHAUFFEUR DE TAXI
5. OUI-OUI VEUT FAIRE FORTUNE
6. BRAVO, OUI-OUI
7. OUI-OUI VA A L’ECOLE
8. OUI-OUI A LA PLAGE
9. OUI-OUI ET LE GENDARME
10.OUI-OUI ET LA GOMME MAGIQUE
11.OUI-OUI CHAMPION
12.OUI-OUI ET LE PÈRE NOËL
13.OUI-OUI ET LE VÉLO-CAR
14.OUI-OUI ET LE CHIEN QUI SAUTE
15.OUI-OUI PART EN VOYAGE
16.OUI-OUI ET LE MAGICIEN
17.UNE ASTUCE DE OUI-OUI
18.OUI-OUI MARIN
19.OUI-OUI ET LE LAPINZÉ
20.OUI-OUI A LA FÊTE
21.OUI-OUI ET SON GRELOT
22.OUI-OUI ET M. GROSMINOU
23.OUI-OUI S’ENVOLE
24.OUI-OUI ET LES TROIS LUTINS
25.OUI-OUI FAIT LES -COURSES
26.OUI-OUI ET LA GIRAFE ROSE
27.OUI-OUI ET LE KANGOUROU
28.OUI-OUI ET LE CERF-VOLANT
29.OUI-OUI A LA FERME
30.OUI-OUI ET SON ÂNE

3
ENID BLYTON

OUI-OUI
VEUT FAIRE FORTUNE
ILLUSTRATIONS
RÉALISÉES PAR
JEANNE HIVES

HACHETTE

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TABLE

1. Oui-oui a un travail fou 7

2. Oui-oui et le clown mécanique 22

3. Au village des cent mille ballons 35

4. A la ferme des jouets 47

5. La visite du korrigan 61

6. Le soir au fond du bois 72

7. Ce brave Potiron 82

8. Potiron a une très bonne idée 92

5
CHAPITRE PREMIER

6
Oui-Oui a un travail fou

A MINIVILLE, capitale du pays


des Jouets, tout le monde connaissait
Oui-Oui, le gentil pantin articulé.
Quand on le voyait passer dans la rue
au volant de son taxi jaune et rouge,
on lui faisait bonjour de la main.

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« Tiens, disait Fun, voici le petit -
bonhomme - qui-fait - toujours-oui.
Qui est donc assis à côté de lui? Sans
doute un client qu'il conduit à la gare.
— C'est M. Bouboule, l'ours en
peluche, répondait l'autre. Pourvu
que cet ours ne grossisse pas en cours
de route, sinon il ne pourra jamais
descendre ! »
« Tudut, tudut! » faisait Oui-Oui
en appuyant sur son avertisseur pour
demander le passage. Trois poupées
qui s'avançaient bras dessus bras
dessous au milieu de la chaussée
s'écartèrent rapidement pour le laisser
passer.

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« Ah ! ah ! s'exclamèrent entre
elles les poupées, regardez comme
son taxi cahote sur ces gros pavés !
Jamais sa tête n'a remué aussi vite et
jamais le grelot de son bonnet n'a fait
tant de bruit. »
Ce jour-là les clients de Oui-Oui
ne lui laissaient pas le temps de
respirer. Ils se faisaient conduire

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aux quatre coins de la ville.
Marie-la-Souris voulait aller à la gare
où elle devait prendre un train. Si
encore elle avait été seule ! Mais elle
emmenait avec elle ses six
souriceaux. Oui-Oui se demanda
comment il allait bien faire pour
charger tout ce monde. Un seul
moyen, pensa-t-il : entasser les petits
sur la roue de secours. Marie-la-
souris poussa les hauts cris. Elle
trouvait cela imprudent. Les
souriceaux, eux, étaient ravis. Ils
grimpèrent les uns sur les autres
avant que leur maman n'ait le temps
de protester davantage. Bien sûr, ils
avaient un peu peur, mais c'était tout
de même bien amusant.

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L'un d'eux remua tellement qu'il
perdit l'équilibre et tomba dans une
grosse flaque d'eau. Il fallut que Oui-
Oui fît demi-tour pour aller le
rechercher. Le souriceau avait sa
culotte toute mouillée. On dut la lui
enlever pour la faire sécher, afin qu'il
n'attrape pas froid.

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Plus tard Oui-Oui prit en charge
les trois matelots, qui profitaient
d'une permission pour aller faire un
pique-nique. Là encore, il eut bien du
mal à charger tout le monde.
Une autre fois, il fit monter à bord
un chien en peluche. Mais voilà qu'en
route le chien aperçut sur le trottoir
une petite chatte, en peluche elle
aussi. Le chien ne put se retenir : il
sauta par-dessus bord et se mit à
poursuivre la chatte en aboyant de
toutes ses forces. Oui-Oui freina,
arrêta sa voiture et se retourna. Trop
tard : le chien avait déjà tourné le
coin de la rue et disparu sans payer le
prix de sa course.

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Le chien se mit à poursuivre la chatte en aboyant.

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« Les chiens sont de bien mauvais
clients, se dit Oui-Oui. Je n'en
chargerai jamais plus. Tiens! qui est-
ce qui me fait signe là-bas? »
C'était Mastoc, l'un des éléphants
de l'arche de Noé. Mastoc avait un
après-midi de congé. Ce qu'il voulait,
c'était aller au bois renverser
quelques arbres.
« Tous les vrais éléphants
s'amusent à renverser des arbres, dit-
il à Oui-Oui en s'apprêtant à monter
dans le taxi. Et moi, je vais en faire
autant. Comme cela tout le monde
saura que je suis un vrai éléphant.
— Il ne faut pas ! dit Oui-Oui,

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inquiet. C'est bête et dangereux de
casser les arbres. Si c'est pour cela
que vous allez vous promener, vous
ne monterez pas dans mon taxi. »
Mais l'éléphant fit mine de ne pas
entendre et ouvrit la portière. Oui-
Oui essaya de le repousser.

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« Laissez-moi monter, dit
l'éléphant, ou je renverse votre taxi.
Et si vous n'êtes pas 'content, je le
saisis avec ma trompe et je le cogne
par terre de toutes mes forces.
— Vous êtes un horrible éléphant,
dit Oui-Oui en colère. Je vais aller
me plaindre à M. Noé. »
Mais le méchant petit éléphant ne
se laissa pas intimider pour si peu. Il
voulut s'asseoir sur la banquette. Oui-
Oui était tout écrasé dans son coin.
Quand Mastoc fut casé tant bien que
mal, il essaya de fermer la portière,
mais en vain.
« Descendez, s'il vous plaît,
supplia

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le petit Oui-Oui. Vous abîmez ma
voiture. Et si vous croyez que je vais
vous laisser casser les arbres, vous
vous trompez. »
Mais l'éléphant força Oui-Oui à
mettre son moteur en marche. Oui-
Oui démarra. Que faire ? pensait-il,
et il hochait tristement la tête.
« Comme c'est amusant ! dit
l'éléphant. C'est la première fois que
je monte en voiture. Je n'aurais pas
cru que cela pouvait être aussi drôle.
On rebondit sur les pavés : boum
badabourn, boum badaboum. Je peux
appuyer sur l'avertisseur?
— Non, c'est défendu », répondit
Oui-Oui.
Mais l'éléphant se garda bien

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d'obéir. Chaque fois que la voiture
arrivait à la hauteur d'un passant, |
Mastoc appuyait sur l'avertisseur et le
passant sursautait.
Bientôt Mastoc se lassa de ce jeu
et voulut faire un somme. Oui-Oui le
regarda. Ah!... Mastoc avait fermé
les yeux. Un léger ronflement agitait
ses lèvres. Sa tête s'inclinait par
saccades vers sa poitrine. Oui-Oui
sourit : il savait enfin ce qu'il allait
faire!
Doucement il fit demi-tour et
revint à l'arche de Noé. M. Noé était
justement là. Oui-Oui agita le bras
pour l'appeler.
« Je vous ramène votre éléphant,
monsieur Noé, dit-il. Il s'est très

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mal conduit. Il voulait aller au
bois pour abattre les arbres. S'il vous
plaît, monsieur Noé, voulez-vous lui
donner une correction?
— Bien sûr, bien sûr, bien sûr ! »
répondit Noé et il donna à l'éléphant
un bon coup sur la trompe. Mastoc se
réveilla en sursaut.
« Descendez, vilain éléphant, dit
Noé avec sévérité. Qu'est-ce que
j'entends dire sur votre compte?
Rentrez immédiatement. Mettez-vous
au coin et restez-y jusqu'à ce que je
vienne vous chercher ! »
Mon Dieu, mon Dieu ! Si vous
aviez vu l'éléphant! La tête basse, il
descendit de voiture et pénétra
lentement dans l'arche, la queue

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entre les jambes. Il savait ce qui
l'attendait !
« Merci, monsieur Noé, dit Oui-
Oui en faisant demi-tour. Si un de ces
jours Mme Noé et vous-même
désirez faire un tour en voiture,
prévenez-moi. Je vous emmènerai
volontiers. »
Et Oui-Oui s'en alla, bien
débarrassé du méchant petit éléphant.

20
CHAPITRE II

21
Oui-Oui et le clown mécanique

OUI-OUI était toujours content, sa


journée de travail finie, de
pouvoir remettre son taxi au garage.
Il adorait la maison qu'il avait
bâtie avec son ami le nain Potiron,

22
à l'aide d'un jeu de construction.
Regardez-la. Vous ne la trouvez pas
jolie? C'est « une-maison-pour-soi-
tout-seul », comme on dit, tellement
elle est petite.
Au début, la -maison de Oui-Oui
n'avait pas de garage. Le gentil
pantin en construisit un dès qu'il eut
gagné assez d'argent pour acheter
quelques cubes. Oui-Oui pouvait
maintenant mettre sa voiture à l'abri.
Tous les matins, sitôt réveillé,
Oui-Oui saute du lit. Il enlève son
pyjama et prend un bain dans la
bassine qu'il s'est achetée en
attendant

23
de pouvoir construire une
véritable salle de bain.
Oui-Oui est très drôle dans sa
bassine. Il est tout rond. C'est que son
corps a été tourné dans le bois.
Quand Oui-Oui est habillé, il est
vraiment élégant, surtout lorsqu'il a
sur la tête son bonnet à grelot.

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Tout, propre et tout content, Oui-
Oui se peigne et se brosse en
chantant. Il cire ses chaussures.
Oui-Oui aime bien inventer ses
propres chansons. Ecoutez donc celle
qu'il a faite ce matin en prenant son
bain :

Quand mes dents sont lavées,


Mes cheveux bien peignés,
Mes chaussures astiquées,
Et mes bas reprisés,
Que me reste-t-il donc
A faire, tra la laire?
Que nie reste-t-il donc
A faire, tra la la?
Il me reste ma tête
A hocher, tra la laire,
II me reste ma tête
A hocher, tra la la.
25
C'était une drôle de petite
chanson.
M. et Mme Bouboule, les ours en
peluche qui habitaient la maison
voisine, connaissaient bien les
chansons de Oui-Oui. Ils ouvraient
tous les matins leur fenêtre pour
écouter celle que Oui-Oui était en
train de fabriquer.

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Un beau jour, Oui-Oui entendit
frapper à la porte du jardin.
« Ohé! Oui-Oui! Es-tu là? Sors
ton taxi et conduis-moi, s'il te plaît,
au village des Cent mille Ballons. »
Oui-Oui ouvrit la porte, et qui vit-
il sur le seuil ? Clic-Clac, le clown
mécanique. Vous croyez peut-être
que Clic-Clac attendait tranquillement
que Oui-Oui vînt lui ouvrir la porte?
Pas du tout. Comme toujours Clic-
Clac était occupé à faire des
pirouettes. Il n'était pas plus .tôt sur
les mains que, d'un coup de reins, il
se remettait sur les pieds. Il avait
pour cela besoin qu'on le remontât de
temps en temps.

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Et Oui-Oui lui avait souvent rendu
le service de lui donner un tour de
clef. Clic-Clac pouvait alors
reprendre ses perpétuelles pirouettes.
« Reste tranquille un instant,
clown, dit Oui-Oui, sinon je ne
comprendrai jamais ce que tu veux
me dire. Et puis tu me donnes le
vertige. Dis-moi, pourquoi donc
veux-tu aller au village des Cent
mille Ballons?
— C'est que je veux m'en acheter
un petit pour moi tout seul, répondit
le clown, un moment immobile sur
les mains. J'en ai besoin pour faire un
numéro de cirque.
— Quel genre de numéro?
demanda Oui-Oui.

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— Un numéro de mon invention :
je monterai debout sur le ballon
et je ferai ainsi le tour de la piste.
— Drôle d'idée ! A ta place, je
trouverais cela bien désagréable,
dit Oui-Oui. Oh! non, je te prie,
ne recommence pas tes pirouettes.
Regarde, tu écrases une de mes
fleurs! »
Le clown se redressa.
« Es-tu prêt? demanda-t-il. Allez,
dépêche-toi, sors ta voiture. Je suis
pressé. »
Oui-Oui sortit son taxi du garage,
et le clown monta.
« Maintenant, écoute-moi, dit
Oui-Oui. Si tu ne restes pas
tranquillement assis sur ton siège et
si tu

29
« Regarde, tu écrases une de mes fleurs ! »

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commences à faire de l'équilibre,
je m'arrête et je te laisse seul. Quand
j'ai peur, je donne un coup de volant
et je vais cogner dans tout ce que je
rencontre : les becs de gaz, les boîtes
aux lettres, les kiosques à journaux.
Alors, gare !
— Bien, bien, répondit le clown.
C'est dommage, j'aurais aimé te
voir cogner dans un bec de gaz!
Bang! quel joli bruit cela doit
faire !
— Ne dis pas de bêtises »,
répondit Oui-Oui, et il démarra.
Le clown se mit à chanter
à tue-tête :

Si j'étais un 'ballon, mon cher,


Je grimperais sur une échelle,
Puis, me laissant tomber à terre,
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Je rebondirais jusqu'au ciel.

Oui-Oui éclata de rire.


« Méfie-toi des ballons, dit-il. Ne
leur mets pas de mauvaises idées
dans la tête. Ils sont déjà bien assez
fous comme ça.
— Mais nous ne sommes
pas encore chez les ballons,
répliqua le clown.
— Nous n'en sommes pas loin,
répondit Oui-Oui. Tiens, regarde,
il y en a un gros là-bas sur le
bord de la route. Nous allons bientôt
arriver. »
En effet, cinq minutes plus tard,
Oui-Oui et le clown faisaient leur

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entrée au pays des Cent
mille Ballons.
« Arrête-toi le long du trottoir, s'il
te plaît, demanda le clown. Là,
maintenant, je descends. Reste ici.
Attends. Je ne vais pas être long. »

33
CHAPITRE III

34
Au village des Cent mille
Ballons

VOUS pensez peut-être que


le clown descendit de voiture après
avoir ouvert la portière comme
vous et moi. Eh bien, pas du tout : il
se mit sur les mains et, d'une

35
pirouette, il se retrouva
debout sur le trottoir.
« Je t'ai demandé de ne pas faire
cela, dit Oui-Oui. Un faux
mouvement et tu me démolis ma
carrosserie. Tu .n'es vraiment pas
raisonnable.
— Si tu as peur pour ta
carrosserie, répondit le clown, tu
feras mieux de garer ta voiture. Ici,
tous ces ballons qui rebondissent
risquent de l'abîmer. Tiens, regarde
cette grosse pelote de cuir, qui vient
droit vers nous. »
Une pelote basque s'approchait en
faisant des bonds désordonnés. Oui-
Oui n'était pas tranquille. Il aurait
voulu trouver un terrier de

36
lapin pour y garer sa voiture. Là,
au moins, il aurait été en sécurité.
Mais voilà que du bout de la rue
apparurent dix, vingt, cent ballons,
qui rebondissaient tous à qui mieux
mieux. Ils commencèrent à danser
une sarabande effrénée autour du taxi
de Oui-Oui qui ne savait plus où se
mettre. Plus Oui-Oui avait l'air
terrorisé, plus les ballons s'amusaient
et rebondissaient en tous sens.
Oui-Oui n'avait pas tellement tort
d'avoir peur : un accident se produisit
bientôt. La plus imprudente des
balles, la pelote basque de tout à
l'heure, vint tout droit frapper un gros
ballon aux yeux

37
pirouette, il se retrouva
debout sur le trottoir.
« Je t'ai demandé de ne pas faire
cela, dit Oui-Oui. Un faux
mouvement et tu me démolis ma
carrosserie. Tu .n'es vraiment pas
raisonnable.
— Si tu as peur pour ta
carrosserie, répondit le clown, tu
feras mieux de garer ta voiture. Ici,
tous ces ballons qui rebondissent
risquent de l'abîmer. Tiens, regarde
cette grosse pelote de cuir, qui vient
droit vers nous. »
Une pelote basque s'approchait en
faisant des bonds désordonnés. Oui-
Oui n'était pas tranquille. Il aurait
voulu trouver un terrier de

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lapin pour y garer sa voiture. Là,
au moins, il aurait été en sécurité.
Mais voilà que du bout de la rue
apparurent dix, vingt, cent ballons,
qui rebondissaient tous à qui mieux
mieux. Ils commencèrent à danser
une sarabande effrénée autour du taxi
de Oui-Oui qui ne savait plus où se
mettre. Plus Oui-Oui avait l'air
terrorisé, plus les ballons s'amusaient
et rebondissaient en tous sens.
Oui-Oui n'avait pas tellement tort
d'avoir peur : un accident se produisit
bientôt. La plus imprudente des
balles, la pelote basque de tout à
l'heure, vint tout droit frapper un gros
ballon aux yeux

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Celui-ci voyait bien que les ballons ne lui voulaient
aucun mal .
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était pas plus rassuré.
Heureusement, le clown ne tarda pas
à revenir.
« Monte vite, lui dit Oui-Oui,
allons-nous-en d'ici. On n'a pas idée
de bondir et de rebondir ainsi !
Pourquoi ne roulent-elles pas comme
moi sur la chaussée? Est-ce que je
fais rebondir ma voiture jusqu'à la
hauteur du deuxième étage, moi? »
Le clown reprit sa place et Oui-
Oui démarra en trombe. Il n'était pas
au bout de ses peines. Pour éviter
toutes les balles et tous les ballons
qu'il trouvait sur son chemin, il
devait zigzaguer sur la chaussée.

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Les deux amis étaient parfois
serrés de près. Une petite balle
malicieuse trouva le moyen de faire
tomber le chapeau du clown. Une
autre semblait s'être juré d'arracher le
bonnet de Oui-Oui. C'était
probablement le joli grelot qui
l'amusait.
Pour essayer de sortir de cet enfer,
Oui-Oui se mit à conduire comme un
fou, et c'est à une vitesse vertigineuse
qu'il franchit la porte de la ville.
Il alla s'arrêter sur le bord de la
route à quelques centaines de mètres
de là. Mais que se passait-il? Quel
était donc ce bruit? Boum, boum,
boum.

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« Quoi ! encore une balle ! s'écria
Oui-Oui.
— N'aie pas peur. Celle-ci, dit le
clown, je viens de l'acheter pour mon
numéro de cirque. Elle va nous
suivre gentiment, comme un petit
chien. »
Et c'est ce qui se produisit. La
petite balle faisait bien un peu la
folle, mais elle prenait grand soin de
ne pas heurter la carrosserie de Oui-
Oui. Celui-ci se rendit bientôt compte
qu'il n'avait rien à craindre.
N'empêche que le petit homme fut
tout content de se retrouver dans sa
propre ville.
« Jamais plus, s'écria-t-il, je
n'emmènerai personne au village

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des Cent mille Ballons! C'est trop
dangereux. Il va falloir que tu me
paies double course, clown.
— Double course, prends ma
bourse, double course, prends ma
bourse! » &e mit à chanter le clown
sur l'air des lampions, et il tendit à
Oui-Oui une grosse pièce d'argent
toute ronde. Puis il descendit et
appela sa balle, qui vint à lui,
obéissante.
« Tiens-toi tranquille, s'il te plaît,
lui dit le clown. Laisse-moi monter
sur toi. Si tu remues trop, je vais
tomber. Apprenons à travailler
ensemble. »
Les deux nouveaux amis
s'éloignèrent, l'un perché sur l'autre.

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« J'espère qu'il ne va pas prendre
à cette petite balle la fantaisie de
rebondir pendant que le clown est
monté dessus, pensa Oui-Oui. Sinon,
pauvre de lui! Il se retrouvera aussi
bien perché au haut d'un arbre. Enfin,
ne nous alarmons pas. »
Oui-Oui s'aperçut qu'il avait une
faim terrible. Sa visite au village des
Cent mille Ballons l'avait creusé.

45
CHAPITRE IV

46
A la ferme des Jouets

UN BEAU jour Oui-Oui


reçut un message de M. Paille, le
propriétaire de la ferme des
Jouets.
« Voulez-vous, s'il vous plaît,
disait ce message, venir chercher

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des poules et des canards pour les
mener au marché à ma place? Mon
cheval s'est blessé à la jambe et
pendant quelques jours je ne pourrai
l'atteler. »
« Eh bien! se' dit Oui-Oui, des
poules et des canards, voilà pour moi
des clients d'un nouveau genre et qui
vont me changer des poupées et des
ours en peluche. Pourvu qu'ils restent
sages pendant le trajet! »
Le lendemain, Oui-Oui se rendit
chez M. Paille. Quelle jolie petite
ferme c'était là! Une belle maison
d'habitation, une écurie bien tenue et
une grange entouraient une cour
pavée, balayée et arrosée de frais.

48
Du côté de la campagne, les
clôtures étaient repeintes en blanc.
Oui-Oui ne s'approcha pas trop des
arbres, car il savait que les arbres-
jouets tombent facilement. En
s'arrêtant devant la maison, il donna
un petit coup d'avertisseur. Mme
Paille, la fermière, apparut sur le
seuil, toute souriante :

49
« Bonjour, petit Oui-Oui, dit-elle.
Veux-tu, s'il te plaît, faire avancer ta
voiture jusqu'au poulailler? M. Paille
a préparé les poules et les canards. »
Pour aller jusqu'au poulailler, Oui-
Oui devait traverser un pré. Il ouvrit
une barrière et s'avança sur l'herbe.
Non loin de là broutait un bouc qui, à
l'apparition du taxi, parut vivement
contrarié. Ce bouc n'aimait pas qu'on
le dérange. Il s'arc-bouta sur ses
quatre pattes, baissa la tête, prit son
élan et vroum!... il fonça sur la petite
voiture qui alla voltiger par-dessus la
haie. Oui-Oui fut projeté en l'air et
resta accroché aux branches,

50
tandis que le taxi retombait au
beau milieu d'une mare.
Heureusement, on n'avait pas eu le
temps de charger les poules, qui
auraient sûrement été noyées.
« Drôle de manière de conduire !
dit le fermier debout au bord de la
mare, en s'adressant à Oui-Oui d'un
ton surpris. Est-ce une habitude

51
chez toi de faire de la voltige par-
dessus les haies?
— C'est la faute de votre bouc.
Aidez-moi à descendre, monsieur
Paille, pria-t-il. Je suis accroché aux
branches. C'est une chance que je
sois fait de bois, sinon j'aurais le
corps tout plein d'épines. »
M. Paille remit Oui-Oui sur le sol
et tous deux allèrent voir dans quel
état se trouvait la voiture. Elle était
sens dessus dessous au milieu de la
mare, et seules ses roues dépassaient
de l'eau. On essaya toutes sortes de
procédés pour la tirer de là, mais en
vain. Oui-Oui était malheureux.
« Je ne peux tout de même pas

52
abandonner mon taxi, disait-il. Je
ne vois plus qu'un seul moyen : vider
la mare. »
C'est alors que M. Paille eut une
idée : il appela à la rescousse ses
vaches, ses ânes, ses moutons et ses
cochons.
« Venez par ici, cria-t-il, on a
besoin de vous ! »
Les animaux, qui aimaient bien
M. Paille, accoururent. Ils firent
cercle autour de la mare.
« Buvez, leur dit M. Paille. Buvez
tant que vous pouvez et dépêchez-
vous, s'il vous plaît ! »
Tout de suite les veaux, les
vaches, les cochons et les moutons
comprirent ce qu'on attendait d'eux.

53
Ils plongèrent dans l'eau leur
museau et se mirent en devoir
d'avaler le contenu de la mare.
Le niveau ne tarda pas à baisser et
au bout de quelques minutes on
aperçut le fond.-
« Regardez vos bestiaux,
monsieur Paille, dit Oui-Oui inquiet.
Ils ont le ventre ballonné. On dirait
qu'ils ont

54
trop mangé. Mais nous allons
pouvoir sortir la voiture à présent. »
Les animaux arrêtèrent donc de
boire; M. Paille et Oui-Oui remirent
la petite voiture sur ses roues. On alla
chercher une corde que Ton fixa au
pare-chocs avant et chacun tira, tira,
tira. Bientôt la voiture fut dégagée de
la boue

55
et se retrouva saine et sauve sur la
terre ferme. Elle était couverte de
boue, comme l'étaient d'ailleurs M.
Paille, Oui-Oui, et tous les animaux,
mais cela n'était pas bien grave.
« Je rentre prendre un bain, dit
Oui-Oui. Après quoi je nettoierai ma
voiture. Oh ! là là ! Quelle matinée !
Je reviendrai cet après-midi chercher
les poules et les canards, monsieur
Paille. »
Quand il eut pris son bain et
changé de vêtements, Oui-Oui revint
à la ferme. Mme Bouboule, sa
voisine la petite ourse en peluche, lui
avait prêté un pantalon de son mari et
un manteau à elle.

56
Oui-Oui avait une drôle d'allure,
mais il était au sec. C'était l'essentiel.
« Sur la place du marché, tu
trouveras mon frère, expliqua M.
Paille à Oui-Oui. Laisse-lui les
poules et les canards. Et si les poules
pondent pendant le trajet, tu peux
garder les œufs. Je te dois bien ça.
Mon bouc t'a causé assez d'ennuis ce
matin! Tiens, voici le prix de ta
course. »
On entassa les canards et les
poules sur le siège à côté de Oui-Oui.
Tout le monde était ravi, et ce
n'étaient que des coin-coin et des cot
-cot ce jour-là dans son taxi.
« Tenez-vous bien et que
personne

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sonne ne cherche à s'envoler,
commanda le pantin. Attention! Nous
démarrons. »
Et en avant ! L'une des poules,
apeurée, vint se réfugier sur les
genoux de Oui-Oui, ce qui n'était pas
très commode pour conduire. Une
fois arrivé au marche, Oui-Oui trouva
facilement le frère de M. Paille et lui
remit tous les volatiles ravis de leur
voyage.
Et — vous le croirez si vous
voulez — lorsque Oui-Oui remonta
en voiture pour rentrer chez lui, il
trouva à côté de lui sur le siège onze
œufs proprement rangés. Onze! Oui-
Oui les comptait et les recomptait,
tout joyeux.

58
« Onze œufs pour mon petit
déjeuner! s'exclama-t-il. Non, dix
seulement : il faut que j'en donne un
à Mme Bouboule qui m'a prêté des
vêtements. Vraiment, comme tout
s'arrange ! »

59
CHAPITRE V

60
La visite du korrigan

DEPUIS qu'il avait un taxi, Oui-


Oui n'avait plus un moment à lui.
Matin, midi et soir, on l'appelait pour
toutes sortes de courses.
Il était si poli et si gentil que

61
chacun l'aimait. Il transportait
gratis les petites souris grises qui
n'avaient pas un sou en poche.
Depuis qu'il était chauffeur, jamais
aucun voyageur n'avait manqué son
train. Quand il apercevait un lutin ou
un farfadet se hâtant vers la gare, sa
valise à la main, il le prenait vite à
côté de lui et le conduisait à
destination.
Un beau matin, à l'heure du petit
déjeuner, il vit sa porte s'ouvrir
brusquement, et une tête toute verte,
hérissée de laine noire, apparut dans
l’entrebâillement. C'était un korrigan.
Les korrigans sont des lutins qui
habitent la forêt, souvent au creux

62
C'était un, korrigan.

63
des arbres. Aucun ne vivait au
pays des Jouets, mais certains y
venaient faire des courses. Oui-Oui
les connaissait bien. Pourtant cette
apparition soudaine le fit sursauter. «
Est-ce bien toi le petit-bonhomme -
qui - fait - toujours - oui ? demanda
le korrigan. On m'a dit que tu avais
un taxi.
— En effet. Vous pourriez tout
de même frapper avant d'entrer.
— Je voudrais aller à la
fête de nuit que le roi des
korrigans a organisée dans le Bois
Noir, répondit le korrigan.
Je n'ai aucune envie d'aller là-bas
en pleine nuit, répondit Oui-Oui. Il y
fait très sombre et on

64
peut aussi bien y rencontrer des
loups-garous.
— Si tu m'y conduis, je te
donnerai un sac plein de pièces de
cent sous », proposa le korrigan en
faisant sonner des pièces dans sa
poche. Et il ajouta en regardant tout
autour de lui :
« Ainsi tu pourras acheter un tapis
neuf, un fauteuil neuf et une pendule
bien plus belle. »
Un sac de pièces de cent sous î
Grand Dieu ! cela devait faire
beaucoup d'argent. Plus Oui-Oui y
pensait, plus il hochait la tête et plus
son grelot tintait au bout de son
bonnet.
« Entendu, dit-il enfin, je vous

65
emmène. Mais cela ne me plaît
guère. Je ne conduis presque jamais
la nuit et mes phares ne sont pas
laineux. Et puis, enfin, je n'aime pas
me promener dans le Bois Noir,
même de jour.
Peuh! répondit le korrigan, ne
serai-je pas avec toi? Et tu

66
pourras venir à la fête, si tu veux.
Comme cela, tu me ramèneras aussi
chez moi et je te donnerai un autre
sac de pièces. »
Oui-Oui en avait les yeux
écarquillés. Deux sacs pleins de
pièces de cent sous! Mais il serait
très, très riche... et tout cela pour une
seule course, jusqu'au Bois Noir.
Après tout, pourquoi pas? Le Bois
Noir n'avait rien de si terrible. Et ce
serait justement ce soir-là pleine
lune.
A onze heures, Oui-Oui sortit sa
petite voiture du garage. Il attendait
l'arrivée du korrigan, et pourtant,
lorsqu'une voix résonna dans la nuit,
il fit un bond :

67
« Me voilà, Oui-Oui. Es-tu prêt?»
Avec sa face verte et ses cheveux
noirs, le korrigan était invisible dans
l'obscurité. En se retournant, Oui-Oui
buta contre lui.
« Oh ! pardon, fit-il. Oui, je suis
prêt. Voici le taxi. Montez. »
Le korrigan prit place. Oui-Oui
alluma ses phares.

68
Ceux-ci n'éclairaient guère et c'est
tout juste s'il voyait devant lui la
chaussée. Il s'engagea cependant
dans les rues de Miniville.
Son compagnon se mit alors à
chanter une drôle de chanson :

II fait sombre le soir


Au milieu du Bois Noir
Comme au fond d'un tiroir.
Qu'il fait noir, qu'il fait noir,
Au fond du bois le soir!

« Tais-toi, dit Oui-Oui. Tu me


rends nerveux. Si tu continues, je
vais monter sur le trottoir et renverser
quelque chose. Tais-toi, korrigan. »
Le korrigan se tut, mais il
continua à pousser de petits

69
gloussements qui inquiétaient
beaucoup Oui-Oui.
« Si j'avais su, je ne serais pas
venu, pensait-il. Oh ! comme je
voudrais être resté chez moi! »

70
CHAPITRE VI

71
Le soir au fond du bois

QUAND Oui-Oui et le korrigan


arrivèrent au Bois Noir, la lune
venait de se cacher derrière les
nuages et, sous les arbres, il faisait en
effet bien, bien sombre. Les phares
de Oui-Oui jetaient tout

72
juste deux petites taches de
lumière sur le sol devant la voiture.
« Nous y arrivons bientôt, à votre
fête ? demanda Oui-Oui. Je ne
m'engage pas plus profond.
— Eh bien, arrête-toi, alors », dit
le korrigan.
Oui-Oui fit halte. Où était donc

73
la fête de nuit? Et l'orchestre? On
aurait dû voir des lumières, entendre
des voix joyeuses. Or tout n'était que
silence et nuit.
« Comme il fait calme! dit Oui-
Oui au korrigan. Où est donc ta fête?
— Il n'y a jamais eu de fête, dit le
korrigan en ricanant. Tu es tombé
dans un piège, Oui-Oui. Ce que nous
voulons, c'est prendre ta voiture.
Allez, descends, et vite! »
A ces mots, Oui-Oui demeura
pétrifié. Il était là, bouche ouverte,
terrorisé, incapable de prononcer une
parole ou de faire un mouvement. Un
piège! Pour qui donc,

74
un piège? Et pourquoi voulait-on
lui prendre sa voiture?
Les choses allèrent alors très vite.
Trois faces vertes apparurent à la
lueur des phares : trois korrigans qui
se précipitèrent sur Oui-Oui, lui
arrachèrent les mains du volant et le
jetèrent à bas de sa voiture. Celui qui
était venu chez Oui-Oui prit en riant
la place du chauffeur et s'exclama :
« Que t'avais-je dit? il ne fait pas
très bon au fond du Bois Noir, le soir,
n'est-ce pas? Et vous, les autres, vous
pouvez monter : un à côté de moi,
deux à l'arrière.
— Une minute ! dit l'un. Ce petit
automobiliste me paraît bien

75
« Pourquoi ne pas lui prendre aussi ses vêtements ? »

76
joliment habillé. Pourquoi ne pas
lui prendre aussi ses vêtements ?
— Bonne idée! dit un autre. Moi,
je veux le bonnet à grelot... Et moi la
chemise et la cravate », dit un
troisième.
En un instant, le pauvre petit Oui-
Oui se trouva dépouillé de tous ses
habits, qui furent empilés au fond de
la voiture.
Tout nu sur les feuilles mortes, le
pauvre se tortillait et pleurait :
« Non, non, non ! Je veux mon
chapeau, je veux ma chemise.
Méchants korrigans ! Voleurs que
vous êtes ! »
Mais que pouvait le petit homme

77
contre quatre malfaiteurs ! Rien
du tout. Les lutins s'entassèrent dans
la petite voiture rouge et jaune. L'un
avait mis le bonnet à grelot. En
l'apercevant à la clarté de la lune qui
était apparue à travers les nuages,
Oui-Oui gémit :
« Mon cher petit bonnet! Non,
laissez-moi au moins cela !

78
Ah ! ah ! oh ! oh ! » répondirent
les korrigans en éclatant de rire, et ils
démarrèrent à toute vitesse.
Rrrrra, faisait la petite voiture.
Bientôt ce bruit diminua, puis
s'éteignit, et Oui-Oui se retrouva seul
dans le silence et l'obscurité.
Il se rappelait maintenant les
paroles de la chanson que chantait le
korrigan :

Il fait sombre le soir


Au milieu du Bois Noir,
Comme dans un tiroir.

Oui il faisait bien sombre, dans la


forêt, et Oui-Oui se releva en
tremblant.

79
« Au secours ! cria-t-il. Au
secours ! au secours ! »

80
CHAPITRE VII

81
Ce brave Potiron

"PERSONNE ne répondit à Oui-


Oui. II avançait en titubant parmi les
arbres, des larmes coulant sur ses
joues.

J'ai perdu mon chapeau,


J'ai perdu mon taxi,
Qui donc viendra me dire

82
Où ils sont?
Je suis tout seul.
Qui viendra donc à mon secours?
Au secours
Du pauvre petit Oui-Oui?

Il marchait, marchait, droit devant


lui. Tout à coup il aperçut une petite
souris qui regagnait son trou à la
hâte.
« Souris, souris, appela Oui-Oui,
dis-moi donc où je suis ! Quelqu'un
habite-t-il dans ces parages?
— Il n'y a que m-m-m-monsieur
P-P-P-Potiron, dit la souris terrifiée.
Là-bas,... regardez,... vous voyez ce
bolet au clair de lune? »
Oui-Oui poussa un cri si strident
que la souris apeurée se précipita

83
dans un terrier de lapin, le prenant
pour son propre trou. La tête de Oui-
Oui se mit à se balancer follement de
droite et de gauche. « Oh ! Potiron,
se peut-il que tu sois ici? »
Le petit homme s'approcha du
bolet, dont Potiron avait fait sa
demeure. Le cœur gonflé de joie, il
se mit à tambouriner contre la porte
pratiquée dans le pied du
champignon :
« Potiron, Potiron, criait-il.
Descends! Ouvre-moi! »
Le nain passa la tête à la fenêtre
et, à la vue du petit homme qui
gesticulait en bas, son visage prit une
expression de surprise et
d'inquiétude:

84
« Oui-Oui! s'exclama-t-il, est-ce
donc toi? Que fais-tu ici, en pleine
nuit, sans vêtements? Es-tu devenu
fou, ou suis-je en train de rêver? —
Viens vite! cria Oui-Oui. J'ai froid,
comme cela! »
La porte s'ouvrit devant lui. Il
monta au premier étage et raconta
tout de suite son aventure de la nuit :
la course commandée par le korrigan
et le piège tendu dans la forêt.
« On m'a tout volé, dit-il entre
deux sanglots. Tout, même mon cher
bonnet à grelot. Oh! que je suis
malheureux. Atchoum!
— Tu éternues, dit Potiron
inquiet. Tu as sûrement pris froid.

85
Ecoute, je vais te prêter un
manteau et nous allons tout de suite
regagner Miniville pour déposer une
plainte à la gendarmerie. Ensuite tu
iras te coucher. »
C'est ainsi que, revêtu d'habits
prêtés par Potiron, Oui-Oui reprit
avec son ami à travers le bois le

86
chemin de Miniville. Là, ils se
rendirent à la gendarmerie où Oui-
Oui raconta une fois de plus ce qui
lui était arrivé au cours de la nuit.
Atchoum! éternua Oui-Oui de
nouveau. Pour éviter que son ami ne
tombât malade, Potiron l'entraîna
hors de la gendarmerie et le ramena
rapidement chez lui. Là, il le mit au
lit, bien au chaud, une bouillotte aux
pieds.
« Maintenant reste ici, petit Oui-
Oui, dit-il. Compte sur moi, je vais
arranger tes affaires. A quoi servirait
un ami si l'on ne pouvait compter sur
lui? »
Oui-Oui s'endormit. Potiron en

87
profita pour s'installer dans un
fauteuil et réfléchir.
Comment donc faire pour
retrouver les vêtements et le taxi de
Oui-Oui? Il y avait sûrement un
moyen. On arrive toujours à ce que
l'on veut, à condition de le vouloir
assez fort.
Quand le lendemain matin Oui-
Oui se réveilla, il aperçut Potiron qui
lui préparait son petit déjeuner.
« Tu vas rester au lit toute la
journée et te soigner, dit gentiment le
nain. Ne t'inquiète de rien. Je viens
d'avoir une très, très bonne idée. Si tu
es sage et si tu fais ce que je te dis, je
te l'expliquerai. »

88
On sut bientôt dans tout Miniville
que Oui-Oui avait été victime de
voleurs et qu'il était couché, malade.
Ce fut un incessant défilé d'amis
venus prendre des nouvelles.
« Je peux entrer? demanda Mme
Bouboule. Je t'apporte des rosés,
Oui-Oui. »
« Et moi, est-ce que je peux
entrer? demanda Angèle, la jolie
poupée. Je t'ai apporté une glace,
Oui-Oui. Mange-la tout de suite. »
Miaou, miaou! C'était maintenant
le chat de peluche qui arrivait, les
bras chargés de cadeaux : un puzzle
et des découpages. Le clown
mécanique, lui, apporta deux bananes
et une pêche. Bientôt ce

89
fut la visite de M. Paille, qui offrit
à Oui-Oui six gros œufs. Grand
Dieu! que d'amis avait le petit Oui-
Oui!
« Merci, merci, merci! disait sans
cesse le pantin en hochant la tête.
Comme c'est bon de vous avoir tous
là autour de moi! »

90
CHAPITRE VIII

91
Potiron a une très bonne idée

LORSQUE chacun fut parti, Oui-


Oui appela Potiron.
« Alors, ta bonne idée ? demanda-
t-il à son ami. Tu m'as promis que tu
me la dirais. »
Fièrement, Potiron déroula une

92
grande affiche, sur, laquelle
était écrit :

TOUTE PERSONNE
QUI ENTENDRA SONNER UN
GRELOT EST PRIÉE DE
PRÉVENIR POTIRON.

« Oh ! dit Oui-Oui, je comprends :


tu penses que le korrigan a toujours
mon bonnet sur la tête et qu'il suffira
de repérer le bruit du grelot pour
découvrir la cachette des malfaiteurs.
Mais c'est une très bonne idée! »
C'en était une, en effet.
Potiron placarda son affiche et une
demi-heure ne s'était pas écoulée que
deux souris mécaniques se
présentaient.
« Monsieur Potiron, dit l'une,
93
nous venons d'entendre le
grelot, ma sœur et moi.
— Oui, reprit l'autre, nous l'avons
entendu à l'intérieur de l'arbre
creux qui est à l'orée du Bois Noir,
non loin du ruisseau, monsieur
Potiron.
— Merci, dit le nain.

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Voilà justement ce que je voulais
savoir. Tenez, prenez chacune un
petit morceau de fromage. »
Les souris mécaniques partirent
enchantées. Potiron sourit à Oui-Oui.
« Maintenant, .lui dit-il, nous
connaissons la cachette des méchants
korrigans : c'est le vieil arbre creux.
Et, j'y pense, il y a un grand trou au
pied de cet arbre. Je suis convaincu
qu'on peut y faire passer une
automobile. C'est peut-être là que
nous allons retrouver ton taxi. Je
cours vite à la gendarmerie. »
Et Potiron s'en alla, laissant Oui-
Oui se tourner et se retourner dans
son lit.

95
A la gendarmerie, Potiron tomba
justement sur le brigadier.
« Tout ce qu'il me faut, dit cet
homme d'expérience, c'est le plus
grand de nos chiens en peluche et un
bon sac bien solide. »
Potiron et le brigadier s'en allèrent
donc ensemble vers le Bois Noir,
accompagnés de Bongo, un
magnifique chien policier connu dans
tout Miniville pour son flair et son
courage.
Quand ils aperçurent l'arbre creux,
ils s'approchèrent sur la pointe des
pieds.
« Voici ce que je propose,
brigadier, dit Potiron : nous laissons
Bongo au pied de l'arbre. Pendant

96
ce temps, nous montons jusqu'au
trou d'en haut et, quand nous l'aurons
atteint, Bongo se mettra à aboyer de
toutes ses forces. Alors les korrigans
essaieront de s'échapper en grimpant
par l'intérieur jusqu'au trou du haut.
Nous, nous les attendrons à la sortie
et nous les attraperons dans notre
sac.»
Potiron et le brigadier
commencèrent l'escalade. Dès qu'il
les vit en haut, Bongo, resté au pied
de l'arbre, se mit à pousser des
aboiements furieux. Si vous l'aviez
entendu !
« Ouah, ouah, ouah! OUAH,
OUAH, OUAH ! j'ai une faim
terrible

97
et j'ai envie d'un korrigan pour
mon déjeuner. OUAH! OUAH! » Un
remue-ménage se produisit à
l'intérieur du tronc : les korrigans,
terrorisés, montaient les uns sur les
autres à l'intérieur de l'arbre creux. Ils
criaient, hurlaient et glapissaient.
C'était à qui serait plus tôt sur les
épaules de l'autre. Mais tout en haut
de l'arbre, près du trou, le gendarme
était là, avec son sac, qui attendait.
Plop ! Plop! Deux korrigans venaient
de tomber dans le sac. Plop! Un
troisième avait rejoint ses camarades
au fond du sac. Plop! C'était le
quatrième et dernier korrigan qui
venait de se faire prendre.

98
« Enfermons-les vite », dit le
gendarme.
Et avec l'aide de Potiron, il ficela
solidement le haut du sac.
« Maintenant, je vais chercher la
voiture de Oui-Oui », dit Potiron en
descendant de l'arbre.
Lorsqu'il fut de nouveau sur le sol,
le nain pénétra dans le trou qui était
au pied de l'arbre, et qu'aperçut-il?...
la petite auto de Oui-Oui. En la
poussant par-derrière, il la fit sortir
au grand jour.
« Maintenant, dit Potiron au
gendarme, nous n'avons plus qu'à
charger le sac plein de korrigans dans
la voiture, et vous pourrez les

99
Il la fit sortir au grand jour.

100
ramener à la gendarmerie. Je fais
un saut chez moi pour chercher ma
bicyclette. A côté de vous, il n'y a
plus de place. Mais mon bolet est
tout près d'ici. »
Quelques instants plus tard, la
petite voiture démarrait, conduite par
le gendarme, aux piaillements des
korrigans enfermés dans le sac.
Potiron suivait à bicyclette, en faisant
tinter sa sonnette tout le long du
chemin. C'est ainsi qu'ils arrivèrent
devant la maison de Oui-Oui. Le
gendarme donna deux coups
d'avertisseur : tudut, tudut! et Potiron
fit résonner sa sonnette : dring, dring,
dring, dring!
« Salut, Oui-Oui ! cria Potiron.

101
Nous te rapportons un sac de
korrigans, ainsi que ta voiture. Dès
que nous aurons jeté les voleurs en
prison, nous irons chercher tes
vêtements. »
La petite tête de Oui-Oui s'agitait
follement.
« Revenez vite, dit-il. Et surtout
n'oubliez pas mon bonnet à grelot.
Rapporte aussi un gros, gros gâteau,
Potiron. Il faut fêter votre victoire.
Vous avez manœuvré comme des
rois ! »

*
**

A présent, tout le monde est réuni.


Fou de joie, Oui-Oui a remis ses
vêtements. De nouveau le grelot
102
s'agite joyeusement au bout de son
bonnet. Potiron en est à sa quatrième
tranche de gâteau. La petite voiture
de Oui-Oui a repris sagement sa
place au garage.
Potiron, qui commence à être
rassasié, brandit son couteau et
entonne :

Quand on n'a plus qu'à chanter,


C'est que l'affaire est réglée.
Ecoutez ma chanson, ô gué,
Ecoutez-moi donc la chanter.

Et Oui-Oui poursuit, accompagné


par son grelot :

Lorsque nous nous sentons gais,


Il ne nous reste qu'à chanter.
Ecoutez ma chanson, ô gué,
Ecoutez-moi donc la chanter.

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Et vous, qui lisez cette histoire,
reprenez en chœur avec Oui-Oui et
Potiron, voulez-vous?
« Au revoir, petit Oui-Oui ! Au
revoir, Potiron ! et à bientôt ! »

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