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Abstract
Fiction, Reality, Reference
Whether one sees fiction, consensually and commonsensically, as having links to reality (Searle), or, radically, as hermetically
cut off from it (Genette), the point is the impossibility of formally discerning fictional from factual stories — a fact of greater
consequence for factuality than for fiction, and which implies pragmatic typologies.
Montalbetti Christine. Fiction, réel, référence. In: Littérature, n°123, 2001. Roman Fiction. pp. 44-55;
doi : https://doi.org/10.3406/litt.2001.1719
https://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_2001_num_123_3_1719
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44 * Cet article et les trois suivants sont la publication d'exposés faits au Collège International de
sophie, en 2000-2001, dans un séminaire intitulé «Cinq essais sur la fiction». Le texte d'Anne Garréta
sera publié ultérieurement.
LITTÉRATURE
n° 123 -sept. 2001 1. Seuil, «Poétique», 1999
FICTION, RÉEL, RÉFÉRENCE
Travaux pratiques
On pourrait prolonger ces remarques en se livrant à quelques
exercices. Travaux pratiques, donc, où l'on soumet un énoncé, et où l'on
essaie de décider, sans faute, s'il est référentiel ou fictionnel.
Prenons la phrase suivante, et que je prononcerais : «Fabrice était
tout joyeux». S'agit-il d'un de mes amis, hier soir, à un dîner où je me
trouvais? Du héros de la Chartreuse de Parmel Les paris sont ouverts.
Si j'avais proposé l'énoncé suivant : «Fabrice del Dongo était tout
joyeux», la réponse aurait été sans faute. Mais cela aurait été par le fait
d'une information latérale, paratextuelle, parce que l'on sait que
«Fabrice del Dongo» relève d'une onomastique fictionnelle. Et puis
aurait-elle été sans faute? Car cet ami que j'ai, et qui s'appelle Fabrice,
qui dit que (c'est à cause de son petit air à la Gérard Philippe) je ne
l'appelle pas «Fabrice del Dongo», comme ça, pour rire, par connivence
avec d'autres amis qui font de même? Dans tous les cas, cela n'aurait
pas été sans faute, car l'énoncé «Fabrice del Dongo était tout joyeux»
ne se trouve pas dans la Chartreuse de Parme. En revanche, l'énoncé
«Fabrice était tout joyeux» eh oui, modeste, court, s'y trouve (Livre I,
chap. IV).
Et si j'avais poursuivi ma citation? Je le fais : «Enfin, je vais me
battre réellement, se disait-il [...]». Vous triomphez : la citation était
trop courte, et ce qui nous est soudain donné à lire du monologue
intérieur de Fabrice, cette manière dont le narrateur y a accès, voilà le
véritable indice de la fictionalité. Écrivez donc une biographie de Napoléon,
ou celle d'un jeune homme, dont l'existence est attestée, et qui part à la
guerre. N'aurez-vous pas la tentation d'utiliser ce type de procédé, sans
que la référentialité globale de votre texte se trouve menacée?
Autre exemple : «Nous couchâmes à Duenas la première journée
et nous arrivâmes la seconde à Valladolid, sur les quatre heures après-
midi». Certains savent que j'ai longuement travaillé sur les récits de
voyage. Le corpus des Voyages que j'ai plus particulièrement étudié est
constitué de récits du xixe siècle. La réponse ne paraît pas
insurmontable. Cet énoncé figure dans le Voyage en Espagne de Gautier. À moins
que, convoquant vos souvenirs, ayant vu ma bibliothèque, vous n'optiez
pour le récit du De Paris à Cadix écrit par Dumas. Perdu. C'était dans le
Gil Bias de Lesage 9.
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n°LITTÉRATURE
123 -sept. 2001 in9. Roman
Sur cesetexemples,
récit de voyage,
voir aussi
Presses
notredearticle
l'université
sur «Lesde séductions
Paris-Sorbone,
de la 2001.
fiction : enjeux épistémologiques >
FICTION, RÉEL, RÉFÉRENCE ■
Enjeux
Le premier enjeu concerne la question de la visibilité formelle du
statut des énoncés. Si l'on suit Genette dans son enquête narratologique,
et si l'on convient que, les procédés narratifs étant soit communs soit
échangeables, et de fait historiquement échangés, ils ne peuvent servir à
départager des corpus référentiel et fictionnel, existe-t-il des indices
textuels d'un autre ordre qui me permettraient de dégager le statut d'un
texte ? Genette le laisse entendre et il allègue en particulier des indices
d'ordre thématique et des indices d'ordre stylistique. Il illustre
rapidement ces directions de quelques exemples, qui nous paraissent en réalité,
malgré cette sorte d'évidence qu'ils manifestent à première lecture, plus
problématiques que ces quelques lignes furtives de Genette ne le laissent
entendre.
L'exemple d'ordre stylistique consiste en l'incipit « II était une
fois », formule évidemment associée à l'écriture du conte. Genette le
désigne comme indice de fictionalité. Or rien n'empêche, aussi bien, de
le réutiliser en contexte référentiel. Qu'est-ce qui m'interdirait de
commencer une biographie d'un personnage, dont la vie pour une raison ou
une autre me paraît merveilleuse, par un « II était une fois », un peu
parodique, et qui me servirait à configurer pour partie cette vie selon les
schémas d'un parcours initiatique, de manière à donner une force ou une
ligne directrice à mon récit ?
Autrement dit, cet incipit signale génériquement le conte, il permet
à l'auditeur ou au lecteur de le reconnaître comme tel ; mais il est aussi
éminemment transportable, et par conséquent il ne saurait servir de
preuve du statut du texte où il est employé.
Quant à l'énoncé illustrant la différence thématique, Genette
choisit l'exemple d'un vers de La Fontaine : « Le chêne un jour dit au
roseau ». Bien entendu, dans la réalité, les chênes ne parlent pas, non
plus que les roseaux n'écoutent ; bien entendu, je reconnais, sans grande
érudition, car il est des plus célèbres, cet énoncé comme faisant partie
d'une fable de La Fontaine, et j'y vois ce lieu même du travail de la
fiction par où sera véhiculée la démonstration de la fable. Mais hors
contexte, si je considère cet énoncé isolément, qu'est-ce qui me dit que
ces mots de « chêne » et de « roseau » ne sont pas utilisés en un sens
métaphorique ? Soit que je m'amuse à faire une citation parodiée et
déplacée, soit que je croie que mon geste relève d'une première énoncia-
tion (imaginons : la fable de La Fontaine aurait été perdue — ou bien
elle est inconnue de moi), pourquoi n'écrirais-je pas « Le chêne un jour
dit au roseau » pour dire que mon grand et fort voisin du deuxième un
jour s'adressa à mon malingre voisin du premier (lequel, sans doute, 53
aura le dessus dans l'altercation, ou le plus d'endurance vis-à-vis du syn-
die) ? Le caractère fantastique de cette parole végétale disparaît dès lors ^n
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