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DİNLER TARİHİ DERNEGİ YA YlNLARI 13

Dinler Tarihi Araştırmaları - III


(Sempozyum, 09-10 Haziran 2001, Ankara)

2000. YILINDA HIRİSTİYANLIK

(DÜNÜ, BUGÜNÜ ve'GELECEGİ)

Ankara
2002
LES JUDEO-CHRETIENS AUX PREMIERS SIECLES
Prof. Dr. Liliana YANA.

Lorsqu'on aborde la question des Judeo-Chretiens il convient de rap-


peler que cette expressian est un neologisme employe pour la premiere fo-
is au XIXerne siecle par Ferdinand Christian Bauer. Trop marquee d'un po-
int de vue theologique et fort eloigne des realites historiques, elle n'est pas
admise par tous !es savants.' D'autres part, tous ceux qui acceptent l'utili-
sation de ce terme sont loin de lui conferer le meme sens.
La place importante de l'appord juif dans la formatian de I'Eglise ne fa-
it plus aucun doute aujourd'hui. Les chercheurs de notre epoque, forts
conscients de ce fait, ont consacre de nombreux travaux au courant judeo-
chretien du christianisme antique. ll n'en demeure pas moins que la diffi-
culte a definir le judeo-christianisme est grande et fut maintes fois soulig-
, 2
ne e.
Presenter le judeo-christianisme, ainsi que le disent M. Simon et A. Be-
nolt, comme "un amalgame plus ou moins heureux de christianisme et
d'elements empruntes au judalsme ne mene pas loin." Et aux auteurs
d'ajouter: "car si on l'entend ainsi, le christianisme sous toutes ses formes,
et jusqu'a nos jours, est judeo-chretien dans la mesure ou il revendique
pour lui le patrimeine spirituel d'lsrael et en particulier la Bible juive, con-
sideree comme Ecriture Sainte ... d'ailleurs, au lle siecle, Mardon conside-
rait I'Eglise toute entiere comme judeo-chretienne. "3

* Sorbonne Üniversitesi 1 Paris - Fransa


Cf. BLANCHETIERE F., "La "secte des Nazareells" ou les debuts du christianisme", in
BLANCHETIERE F. & HERR M. D. (Eds.), Aux origines juives du christianisme, Jerusalem-
Paris, 1993, p. 65.
2 HARNACK A., Lehrbuch der Dogmengeschichte, 5e ed., Tübingen, 1931-1932 p. 31 O ss.
3 SIMON M, BENOIT A., Le juda"isme et le christianisme antique d'Antiochu Epiphanie a
Constantin, Paris, 1968, p. 258-259.

313
Les "Judeo-Chretiens": quelques problemes de definition
Dans l'expression "Judeo-Chretiens" chacun des deux elements qui la
composent pourrait ~hvir de base de definition selon qu'oll souligne l'as-
pect "judeo" ou l'aspect "chretien".
Le premier des deux termes qui la definissent, a savoir "judeo", peut et-
re entendu sait dans un sens ethnique soit dans un sens religieux. Dans le
premier cas, tout chretien de naissance juive, quelle que soit sa position
theologique, pourra etre qualifie de "judeo-chretien". Par consequent, me-
me Saint Paul qui a plus que tout autre contribue a separer ''I'Eglise" de la
"Synagogue" pourra etre considere com me "Judeo-Chretien" ."
Certains auteurs donnent a cette expressian un sens ethnique et religi-
eux a la fois. Les Judeo-Chretiens seraient alors "des Chretiens d'origine
juive qui associent les observances de la religion mosa'ique aux croyances
et aux pratiques chretiennes. "5 Ma is cette d efinitian est trop etroite aux ye-
ux de M. Simon et A. Benait puisque dans ce cas tous les Chretiens de na-
issance juive seraient des Judeo-Chretiens. Car s'il s'est trouve des juifs
convertis qui ont romputout lien avec la religion de leurs peres (tel saint
Paul); il s'est trouve a l'inverse, des Chretiens de la Gentilite pour judaTser
et saint Paul s'en prend a eux dans I'Epıtre aux Galates.
II y a encore une vingtaine d'annees de nombreux savants s'accorda-
ient_pour definir le judeo-christianisme apartir de l'observance. Parmi eux
on pouvait compter Hort et Hoennicke. Selon Hort: "Le seul christianisme
qui puisse vraiment etre qualifie de "judeo-chretien" est celui qui attribue
une valeur permanente a la Loi juive ... meme plus ou moins modifiee". 6
Hoennicke ajoute une dimension supplementaire: la conviction que "le sa-
lut ne peut etre acquis que par l'interm~diaire du judaTsme". 7
Cantre cette visian qui consiste a definir le judeo-christianisme essen-
tiellement par l'observance on peut citer H.J. Schoeps. A la difference de
ses predecesseurs qui consideraient notre documentation comme tres pa-
uvre puisqu'elle se reduisait pour l'essentiel a quelques passages chez les

4 lbid.
5 Di ct. Theol. Cathol., art. "Judeo-chretien", VIII, 2, ı 681.
6 HORT, Judaistic Christianity, Londres, 1894.
7 HOENNict\E G., Das Judenchristentum im ersten und zweiten Jahrhundert, Berlin, ı 908.

314
peres de I'Eglise et chez les heresiologues antiques, Schoeps utilise une
source nouvelle: les ecrits pseudo-clementins. Selon lui, le substrat le plus
ancien de cette source est sans aucun doute judeo-chretien. Pour l'auteur
ces ecrits presentent le judeo-christianisme de la communaute de Jerusa-
lem.5
Quelques annees apres la parution du livre de Schoeps, J. Danielou
s' est fortem~nt oppose a cette vue qui consiste a reconnaitre un e filiation
directe entre le judeo-christianisme ou Ebionisme du type pseudo-clemen-
tin et la communaute de Jerusalem. ll n'accepte pas davantage de voir
dans les pseudo-clementins la forme unique du judeo-christianisme. Pour
Danielou la notian de "Judeo-Chretiens" est essentiellement ethnique: les
Judeo-Chretiens sont tous des Juifs chretiens. Mais dans sa definition du
judeo- christianisme il combine deux criteres: l'observance et !es croyan-
ces. ll definit le judeo-christianisme sur le plan doctrinal par une christolo-
gie heretique, "qui reconna1t en Jesus un prophete ou un messie mais non
le Fils de Dieu"; 9 et sur !e plan de l'observance par une pratique qui "res-
te attachee a certaınes formes de vies juives, sans !es imposer aux pro-
selytes venus du paganisme". Or, par cette approche, Danielou ne fait que
reprendre d'une maniere legerement differente !es propos des peres de
l'Eglise (surtout ceux de Jerôme dont nous parlerons plus loin).
Selon J. Danielou le. -::ommunaute de J-=rusalem avec Jacques comme
chef est une communaute judeo-chretienne dont !es membres, egalement
designes par le terme nazareens, ont comp.ose en arameen l'Evangile se-
lan !es Hebreux". 10 "lls restent fideles a une theologie archaique, qui s'en
tient au monotheisme et au messianisme de Jesus. Mais a la difference
des Ebionites, ce messianisme implique la divinite du Christ". Selon cet
auteur, ils ont disparus apres 70.

8 Cf. SCHOEPS H.J., Theologie und Geschichte des Judenchristentums, Tübingen, 1949.
Mais de fait, Schoeps n'envisage dans son ouvxage que l'ebionisme a partir des ecrits pse·
udo-clementins. ll est a noter que les sources ainsi que les strates redactionnelles des Pse·
udo-Clementins posent des problemes diffıciles. Sur ces questions, cf. STRECKER G., Das
Judenchristentum in den Pseudo-Ciementinen, Berlin, 1958.
9 DANIELOU J .. Histoire des doctrines chretiennes av ant Nicee. 1. Theologie du Judeo-chris-
tianisme, Tournai, 1958.
10 lbid.

315
Pour d'autres critiques l'expression "Judeo-Chretiens" designe les dis-
ciples de Jesus d'origine juive de l'antiquite classique (l-IYe siecles) ou
tardive (V-VIle siecles) de meme que l'expression Pagano-Chretiens desig-
ne les disciples de Jesus d'origine pa'ienne.
Quant a moi, il me semble preferable d'abandonner l'expression "Ju-
deo-Chretiens" en ce qui concerne les premiers siecles car elle introduit
trop de confusion. Aussi j'adopterai les termes utilises par les sources, a
savoir, Naz::ıreens/Nazoreens.
On distingue habituellement dans les sources trois mouvements de
"Judeo-Chretiens" connus sous les ıioms de: Nazoreens/Nazareens 11 , Ebi-
anites et ElkasaYtes. Par la suite ils ont ete dasses par !es peres de I'Egli-
se en deux categories: l'une consideree "orthodoxe" (dont Ies Nazore-
ens/Nazareens), l'autre consideree "heterodoxe" .
Dans cette etude je n'examinerai que la question du courant des Nazo-
reens/Nazareens.
Les Nazoreens/Nazareens
T. Nöldecke 12 et W. Bran dt, 13 identifient le terme nazoreen av ec celui qui
appara1t dans le livre des Actes ou il designe !es membres de la commu-
naute ancienne de Jerusalem et de laquelle ces deux auteurs font des-
cendre en ligne plus ou moins directe ıesmandeens.
"Cet homme (J_esus) ... suscite des desordres chez tous !es Ju-
ifs du monde entier_, et c'est un meneur du groupe des Nazo-
reens (tes ton nazoraion aireseos)." 14
Pour G.F. Moore 15 le terme sydaque nasorayo ne doit rien au grec na-
zoraios mais derive plutôt de la racin~ arameenne n.ç.r. qui signifıe "gar-
der" observer" et propose de le considerer comme un nomen gentile. M.-

11 Notons que le terme Nazoreens/nazareens n'apparait jamais dans la litterature paTenne


(sauf un cas litigieux chez Pline l'ancien, Hist. Nat., V, 81 "Nazerinorum tetrarchia" qui vi-
se l'entite administrative des Nosa'iris, une tribu vivant en Syrie non Icin d' Apamee.
12 NÖLDECKE T., Mandaische Grammatik, Halle, 1875, p. xx.
13 BRANDT W., Die mandaische Religion. Leipzig, 1889, p. 140.
14 Actes 24,5.
15 MOORE G.F., "Nazareth and Nazarene", in H.M. JACKSON & K. LAKE (ED.), The Begi-
ning of Christianity, t. 1. , Londres, 1920, p. 426-432.

316
J. Lagrange 16 reprend la these de G.F. Moore et rat tache le terme nazora-
ios grec au toponyme Hazara, a savoir a la ville de Nazareth.
Selon Blanchetiere l'nazoreen II est le terme le plus ancien et le plus co-
urant qui designe !es disciples de Jesus de Nazareth. Disparu du monde
greco-romain, il continua a etre employe dans le monde oriental pour de-
signer !es Chretiens (d'ailleurs meme de nos jours). 17
Pour M.C. de Boer, "Nazoreens" est un nom donne aux juifs chretiens
par d'autres Juifs qui ne sont pas Chretiens et, demaniere generale, le ter-
me a servi pour designer des Chretiens d'origine juive.' 8
Nazarenos et Nazoraios dans les ecrits neotestamentaires
Dans le Nouveau Testament deux terme s so nt attestes: nazarenos et
nazoraios. Celui de nazarenos revient s ix fo is: 4 fo is dans Marc ( 1,24;
10,47; 14,67; 16,6) et 2 fois dans Luc (4,34; 34,19). Ona souvent insis-
te sur le fait que nazarenos est toujours applique a Jesus, jamais a ses dis-
ciples. On a egalement voulu rattaeher ce vocable a la racine hebraTque
n.z.r. qui donna le substantif biblique nazir. 19 Il s'agit d'un homme ou d'une
femme qui se cons acre a Dieu en ne buvant pas de vin, ne se coupant pas
!es cheveux et observant !es regles de purete pendant toute la periade de
la nezirut. 20 Or, ni Jesus ni ses disciples ne se conforment aux regles du
nazir biblique. 21 Nous devons doneecarter cette interpretation.

16 LAGRANGE M.J., L'Evangile selon Saint Matthieu, Paris, 1922, p. 37-39, n. 22; Id., "La
gnose mandeenne et la tradition evangelique", Revue Biblique 36 (1927), p. 498-500.
17 BLANCHETIERE F., "La "secte des Nazareens" ou les debuts du christianisme", in op.cit.,
p. 70-72.
18 DE BOER M.C., "L'Evangile de Jean et le christianisme juif (Nazoreen)", in D. MARGU-
ERAT (ED.), Le Dechirement. Juifs et Chretiel'ıs au premier siı~cle, Geneve, 1996, p. 178-
202; MIMOUNI S., "Les Nazoreens. Recherche etymologique et historique", Revue Biblique
105/2 (1998), p. 208-262. .
19 Cf. BURKITT F.C., "The Syriac Forms of the New Testament Proper Names", in Proce-
edings of the British Academy, 1911,-1912, p. 391-400. Cet auteur futle premier iı ernett-
re cette idee qu'on retrouve par la suite dans de nombreux travaux.
20 On rencontre deux types de nezirim dans les textes bibliques: le nazir temporaire comme
dans Hombres 6, 1-21; et le nazir iı vie commeSamson (luges 13-16) et Samuel (1 Sa-
muel 1,11 ). ll est iı noter que le passagedeL u c 1,5-19 est construit sur le modele de l'an-
nonce de la naissance de Samson telle qu'elle est decrite dans luges 13, 2:21.
21 En revanche, Jean le Baptiste est le seul personnage du Nouveau Testament qui presentc
des similitudes avec un nazir.

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Quant au terme nazoraios, il revient treize fois dans le Nouveau Testa-
ment: 2 fois dans Matthieu (2,23; 26,71); 1 fois dans Luc (18,37); 3 fois
dans Jean ( 18,5 et 7; 19,19); 7 fois dans Actes (2,22; 6,14: 22,8; 26,9:
3,6; 4, 10; 24,5). II y designe d'abord Jesus ensuite ses disciples. II convi-
ent de rappeler que nazoraios est le terme qui figure sur l'inscription sur la
croix: "Jesus le nazoreen, roi des Juifs". Mais ainsi que le fait remarquer
M.C. de Boer, il s' agit d'une appellation externe au groupe des disciples de
Jesus ayant un e connotation negative. 22 Po ur Ch. Perrat av ant que ]es dis-
ciples de Jesus n'aient ete appeles Nazoreens, c'est Jesus lui-meme qui
flit le premier a etre designe par ce terme etant donne son appartenance
a un groupe baptiste du moins a ses debuts. 23
On a egalement mis le terme nazoraios en relation avec la ville de Na-
zareth dont Jesus est originaire en s'appuyant sur un passage de Matthieu
(2,23):
" ... ll ( Joseph) vi nt s' etablir dans line ville nommee Nazareth
afin que s'accompllt ce qui avait ete dit par !es Prophetes: "il
sera appele Nazoreen (Nazoraios)"
Mais la plupart des exegetes s'accordent pour dire que, dans ce passa-
ge, le terme nazoreen est fort obscur: il ne signifie ni "habitant de la ville
de Nazareth" ni "appartenant au groupe des Nazoreens". En outre, il pre-
sente line difficulte supplementaire du fait que la reference scripturaire sur
24
laquelle il s'appuie est introuvable dans !es livres des Prophetes.
Une autre interpretation consiste a mettre en relation I'expression nazo-
raios avec la racine hebra!que n.ç.r. qui donna le substantif neçer dans Isa-
!e ll ,1 et 60,21 et qui signifıe "reste d'lsrael, consacre a Dieu."
Les Nazoraios dans la litterature patristique
Le terme nazoraios se trouve chez Tertullien et chez Epiphane de Sala-
mine. Tertullien (Ille siecle) ecrit:
"Les Juifs nous appellent nazarenos a cause de lui (Jesus). 25

22 DE BOER M. C., "L'Evangile de Jean et le christianisme juif (Nazoreen)", in op. cit., p. 185-
186.
23 PERROT CH .. "Le mouvement baptiste en Palestine", in Bible et Terre Sainte 180 (1976),
p. 8-9; Id., Jesus et l'histoire, Paris, 1995, p. 87-118.
24 Cf. La Traduction Oecumenique de la Bible (TOB), ed. du Cerf, Paris, 1977, p. 47, note b.
25 Cantre Marcıon IV, 8.

318
Epiphane de Salamine 2" (IVe siecle) dans Panarion 29,6 utilise ce ter-
me pour designer les disciples de Jesus d'origine juive.
"To us les chretiens furent appeles autrefois Nazoreens" ... 27
Plus loin Epiphane ajoute:
"Tout le monde a cette epoque appelait de ce no m (Nazo-
reens) les Chretiens a cause de la ville de N azareth et par
ce que, a cette epoque, il n'y avait pas d'autre nom en usa-
ge. n2a
D' ap res c es sources du Ille et !Ve si eel es, le s pa'iens ai n si que !es Juifs
appelaient les Chretiens Nazoreens. En revanche, les peres de I'Eglise uti-
Jisent ce terme pour designer un courant du christianisme.
Eusebe de Cesaree utilise le terme nazoraios po ur designer Jesus. 29 ll
precise que le nom des ses fideles etait nazarenoi et que maintenant on !es
appelle christianoi.
A partir du !Ve siecle la Jitterature patristique opere une distinction ent-
re "Chretiens" et "Nazoreens" ("Judeo-Chretiens") et ne considere pas ou
plus les Nazoreens comme des Chretiens.
D'apres le temoignage d'Epiphane (environ 315-403) ces Nazoreens
seraient detestes par !es Juifs:
"lls [!es Nazoreens] so nt h aTs par !es Juifs ... "30
Quant a Jerome, dans une Jettre adressee a Augustin, il ecrit:
"Jusqu'a nos jours on peut trouver dans toutes !es synago-
gues de !'Orient une secte qu'on appelle les Mineens (mina-
eorum) qui sont jusqu'ici condamnes par !es Pharisiens;
qu'on appelle communement Nazareens (nazaraeos); ils
croient au Christ fils de Dieu, ne de la vierge Marie, et ils di-
sent que c'est celui qui, sous Ponce Pilate, a souffert et est
ressuscite; en Jui nous aussi nous croyons; mais comme ils

26 Pour cepere de I'Eglise, cf. l'ouvrage remarquable de POURKIER A. , L 'heresiologie chez


Epiphane de Salamine, Paris, 1992, p. 415-475.
27 Panarion 29,1 ,3.
28 Panarion 29,6,5.
29 Eusebe de cesaree, Onomastikon 138, 24-25, la notice "Nazareth".
30 Panarion XXIX, 9, 1-2.

319
veulent etre a la fois Juifs et Chretiens, ils ne sont ni Juifs ni
Chretiens. "31
ll est interessant de noter que, dans ce passage, Jerôme utilise le ter-
me hebraTque minim qui revient dans la litterature talmudique. ll conside-
re !es Nazoreens comme des Juifs appartenant a la classe des Mineens
(Minim dont nous parlerons un peu plus loin). II !es nomme ainsi parce
qu'il s' agit sans doute d'un courant appartenant encore au juda"isme desig-
ne ici par le terme "Pharisiens". On serait en droit de supposer qu'il exis-
tait d'autres seetes appartenant ala classe deMinim et que seule les Na-
zoreens sont vises par !es propos de Jerôme. Comme !es pratiques nazo-
reennes sont desapprouvees tant par Ies Juifs que par !es Chretiens, 32 !es
fideles de cette secte ne sont ni Juifs ni Chretiens aux yeux de Jerôme.
Certains auteurs insistent sur la necessite de distinguer !es Nazoreens des
autres groupes Judeo-Chretiens33 tel s !es judaTsants cites par lgnace (qui
etaient probablement des Gentils) ou !es Chretiens d'origine juive ayant
abandonne la praxis mosaTque (c'etait le cas de la plupart des Chretiens
de cet origine au debut du lie siecle).
En effet ce qui distingue !es Nazoreens des autres groupes "Judeo-
Chretiens" est d'une part Ieı..ır appartenance a I'ethnie juive et l'observan-
ce de la praxis juive en depit de leur theologie (et christologie) qui ne dif-
fere en rien de celle des autres groupes chretiens. 34
II convient de preciser que ni Epiphane ni Jerôme ne se declarent con-
cernes en tant que Chretiens par !es Nazoreens. Bien au contraire, ils les
considerent comme des heretiques.
En outre, ces deux peres de l'Eglise mentionnent la presence des Na-
zoreens dans !es Synagogues. Selon le temoignage de Jerôme !es Nazo-
reens la frequentent ou plus exactement ils y sont encore! Mais a cette
epoque de nombreux Chretiens frequentent Ies synagogues (et non seule-
ment les Nazoreens), 35 au grand mecontentement des peres de l'Eglise qui

31 Jerôme, Ep. 112:13.


32 Pour la question des seetes "judeo-chretiennes" dans la litterature patristique, on consulte-
ra l'ouvrage de KLIJN A.F.J., Patristic Evidence for Jewish-Christian Sects, Leiden 1973.
33 Cf. TAYLOR J.E., "The Phenomenon of Early Jewish-Christianity: Reality or Scholarly ln-
vention?", Vigilae Christianae 44 ( 1990), p. 326.
34 lbid. p. 317, p. 327.
35 Cf. WILL Ed., ORRIEUX CL., "Prose!lytisme juif"? Histoire d'une erreur, Paris, 1992.

320
tentent en vain de les en dissuader. Sur ce point les temoignages des so-
urces rabbiniques concordent avec les sources patristiques du moins jus-
qu'au IVe siecle. Nous ne donnerons que quelques exemples:
1) Rabbi Eli' ezer (80-11 O) prend plaisir a ecouter Jacob de Kefar Si k-
naya (Sikhnin) qui rapportait un enseignement au nom de Jesus fils de
Pantiri. 36
2) Les Juifs frequentent les minim a Cesaree, Sepphoris, Tiberiade ete.
et n'hesitent pas a ecouter leurs enseignements, faire appel a leurs gueris-
seurs37 et a Ieurs magiciens, voire a presenter leurs litiges devant des tri-
bunaux ou siegent des juges minim ("Judeo-Chretiens"). 38
3) A plusieurs occasions desMinimse rendent ala synagogue de Ce-
saree pour y ecouter !es enseignements des maltres juifs. Une fois ils y
vont dans le but precis çl'ecouter l'enseignement de Rav Safra (290-320;
320-350), un maltre babylonien fort celebre de passage au pays d'lsrael. 39
4) Les homelies anti-juives de Jean Chrysostome en 386/387 en sont
un autre exemple. Ce pere de I'Eglise essaye par tous les moyens de dis-
suader !es chretiens de frequenter !es synagogues sans y parvenir.
En d'autres termes, !es sources juives ainsi que les sources chretiennes
permettent d'affırmer qu'au moins jusqu'au IVe siede la separation entre
Juifs et Chretiens n'etaient pas encore definitivement etablie.
Les Minim et Ies Noçerim dans litterature talmudique
Dans la litterature talmudique le terme noçri (Chretien) n'apparalt pres-
que jamais. Une des raisons est que !es manuscrits du Talmud, du moins
ceux ayant ete copies puis imprimes en pays de chretiente ont souvent su-
bi la censure chretienne. Entre le XIIe et le XV!e siecles, eelle-d a modifıe
de nombreux termes dans !es textes juifs de maniere a ce que !es Chreti-
ens ne soient pas designes dairement dans certains passages qui pourra-
ient leur etre hostiles. Elle a notamment remplace dans certains passages
le terme min par d'autres designations et le terme "sadduceen" a souvent
ete rertıplace par le m ot min. 40

36 TB 'Abodah Zarah ı7a.


37 TB Abodah Zarah 27b.
38 TB Shabbat ı ı 6b.
39 Cf. TB ' Abodah Zarah 4a.
40 Cf. LE MOYNE J., Les Sadduceens, Paris, ı972, p. 97-98.

321
Par consequent, dans cette litterature les Chretiens ou les "Judeo-Chre-
tiens" sont parfois designes par le terme Mini m. Ma is a !'in verse le terme
Minim ne designe pas toujours des chretiens ou des "Judeo-Chretiens".
ll peut designer differents groupes sociaux ou socio-religieux, Juifs ou
non-Juifs. ll s'applique aux Sadduceens qui nient la resurrection des morts
(TB Berakhot 9a; Sanhedrin 90b), aux Samaritains (Levitique Rabba 13 t,
aux Juifs gnostiques (TB Sanhedrin 39b), aux Romains (TB Pesahim 87a;
Sanhedrin 90b), aux Juifs qui venerent !es idoles (TB Horayot Ila), aux
pretres des idoles Juifs ou non-Juifs 42 , aux pa"iens (TB Abodah Zarah 6b),
aux Juifs dualistes (TB Hullin Ila), aux Juifs par opposition aux palens
(T J Hullin 13b43 ), aux faiseurs de mirades (T J Sanhedrin 7, XI, 25d). Dans
TB Abodah Zarah 16a le Min est un certain Jacob de Kefar Siknaya (Sikh-
nin) qui guerit !es malades au nom de Jesus. Ce Min est sans doute un Ju-
deo-chretien. Dans un autre texte, Rabbi Yohanan (Ille siecle) dit: I'Les en-
fants d'lsrael n'ont ete exiles que lorsqu'ils se sont divises en 24 groupes
de minim" 44 , a savoir, lorsque le nambre de courants rivaux a l'interieur du
juda"isme etait devenu si important que leur union n'etait plus possible.
Dans ce cas le terme Minim. s'applique obligatoirement et exclusi vement
aux Juifs. 45
La question de I'identite des Minim a suscite l'interet de la communa-
ute des savantset de nombreuses etudes lui ont ete consacrees. 46 On don-
na a ce terme des sens divers all ant de la designation de toutes les "he-
resies" de maniere generale jusqu'a un sens restreint designant un groupe
social bien particulier et son "heresiel'. Plusieurs hypotheses ont ete emi-

41 Cf. aussi TB Gittin 45b. Cependant, il pourrait s'agir d'un autre courant du judarisme.
42 Cf. Rashi sur TB Abodah Zara h 26b.
43 Dans ce passage il est dit explicitement: l'll n'y a pasdeMinim parmi !es pa"iens"; une dis-
tinction similaire est operee dans T Hullin ll, 20; TB Shabbat 116a et passim.
44 T J Sanhedrin 1O, 6, 29c.
45 Ma"imonide enumere cinq categories de Minim, cf. Yad ha-Hazaqah, Mishneh Torah, Hilk-
hot Teshubah lll, 7.
46 ll serait impossible d'etablir ici une bibliographie exhaustive sur ce sujet. Aussi je ne signa-
le que deux references: S PER BER D., "Min", in Encyclopaedia Judaica 2 ( 1972), col. 1-3;
HERFORD R. T., "The Minim", in Christianity in Talmud and Midrash. Londres, 1903, rep-
rint ı 975, p. 36 ı -397.

322
ses: le terme Minim designe des gnostiques juifs;" des Juifs gnostiques
et/ou des Judeo-Chretiens 48 , des gnostiques non-Juifs. 49 1l designe souvent
(mais pas toujours) des Judeo-Chretiens, 50 parfois des Chretiens, 51 ou des
pa'iens (dans ce cas Min serait un synonyme de Goy); 52 des heretiques par
rapport aux normes rabbiniques; 53 des heretiques et quelques fois des Ju-
deo-Chretiens,54 des juifs "heretiques" dans les textes anciens et "des
Chretiens de la gentilite" a partir de 180-200),55 de maniere generale des
Judeo-Chretiens et parfois le christianisme paulinien. 56
Cette grande confusion a egalement pour origine la maniere dont la qu-
estion des Minim a ete posee et continue de l'etre dans les differentes etu-
des. On a souvent tente de trouver le sens du terme Minim dans la "litte-
rature talmudique" ce qui signifie qu'il n'aurait pas change pendant un de-
mi-millenaire. Or, ce terme a change de signification au cours des gene-
rations et des siecles et flit meme adapte aux besoins de la societe juive
qui l'utilisait, a son lieu d'evolution ainsi qu'a son epoque.

47 FRIEDLANDER M., Der vorchristliche jüdische Gnosticismus, Gottingen, l898, p. 43-123;


ID., "Encore un mat sur Minim, Minout et Guilionim dans le Talmud", REJ 38 (1899), p.
194-203.
48 GOLDSTEIN M., Jesus in the Jewish Tradition, 1950, p. 46 sq.; SEGAL A.F., Two Powers
in Heaven: Early Rabbinic Reports about Christianity and Gnosticism, Leiden, 1977.
49 BÜCHLER A., "The Minim of Sepphoris and Tiberias in the Second and Third Centuries",
[ 1912] in Studies in Jewish History, A. BÜCHLER Memorial Volume edited by BRODIE I. &
RABBINOWITZ J. (ED.), London -New York, 1956, p. 245-274.
50 HERFORD R.T., "Minim", in Encyclopaedia of Religion and Ethics VIII (1915), p. 657-659;
Id,, op. cit., p. 361-397; GRAETZ H., Geschichte der Juden, vol. IV, Leipzig, 1866, p. 105
sq. 434 sq.
51 BÜCHLER A., op. cit., p. 271 sq. ; SIMON M., Verus Israel, Paris [1948]. 19642 , p. 238.
52 BÜCHLER A., "The Minim of Sepphoris", p. 252; LIEBERMAN S., Greek in Jewish Pales-
2
tine, 1965 , p. 141 note 196.
53 ALEXANDER PH.S., ""The Parting of the Ways" from the Perspective of Rabbinic Juda-
ism",in DUNN J.D.G. (ED.), The Jews and Christians: The Parting of the ways A.D. 70 to
135: The Second Durnham-Tubingen Research Symposium (sep 1989), Tübingen 1992,
p. 1-26.
. 54 SIMON M., Verus Israel, Paris [ 1948]. 19642 , p. 2 I 4-238 et 500-503.
55 KUHN K.G., "Giljonim und sifre minim", in Judentum, Urchristentum, Kirche. Festschrift
für Joachim Jeremias, Berlin, 1960, p. 39.
56 HIRSCHBERG H., "Once again, The Minim". Journal of Biblical Literature 67 (I 948), p.
305 sq.

323
Par consequent, toute tentative d'identifier les Minim avec un seul et
unique groupe social ou religieu'x est vouee a l'echec si on ne tient pas
compte de l'espace et du temps dans lesquels ont evolue les differentes
sources litteraires qui utilisent ce terme.
Kimelman araisonde poser la question en trois parties et de s'interro-
ger sur le sens du terme Minim dans: 1) La Jitterature tanna"itique; 2) La lit-
terature des Amora·im du pays d'lsrael; 3) La litterature des Amora·im de
Babylone. Cette classification lui permet d'aboutir aux conclusions suivan-
tes:57
1) Dans la litterature tanna"itique Minim designe des Juifs dont la mani-
ere d'appliquer certaines lois devie de la "norme" comme par exemple la
façon de mettre !es tephilline sur le front et le bras (M Megillah IY:8). Ces
categories de Juifs sont a distinguer des palens (T Baba Meçi'a II, 33). 58
2) Dans la litterature des Amora"im du pays d'Israel (Talmud de Jeru-
salem, Genese Rabbah, Levitique Rabbah) le terme Minim designe des Ju-
ifs sectaires ainsi que l'exprime Rabbi Yohanan au Ille siecle (T J Sanhed-
rin 10, 6, 29c). En revanche, !es Chretiens d'origine palenne sont desig-
nes par l'expression "ummot ha'olam", a savoir, "!es nations du monde". 59
3) L~ probleme est complexe lorsqu'on aborde la litterature babyloni-
enne et surtout le Talmud. Selon R. Kimelman la confusion viendrait du fa-
it qu'une foule de termes grecs est traduite par Minim dans le Talmud de
Babylone. On y trouve meme des passages ou Min designe un palen et ou
l'expression " Min parmi !es nations" (TB Abodah Zarah 65a; TB Hullin
13b) laisse croire qu'il existerait des Minim parmi !es palens. Dans le Tal-
mud de Babylone Min/Minim peut egalement designer differentes catego-
ries de seetes juives y compris !es Judeo-Chretiens.
II resulte de cette analyse que dans la litterature du pays d'lsrael a
l'epoque des Tannalm (ler-lle siecles) ainsi qu'a celle des Amoralm (Ille-
Ve siecles), le terme Minim designe toujours des Juifs dont l'observance

57 KIMELMAN R., "Birkat Ha-Minim and the Lack of Evidence for an Anti- Christian Jewish
Prayer in Late Antiquity", in Jewish and Christian Self Defınition, E.P. Sanders et al., ll, Phi-
ladelphia 1981, p. 228-229.
58 Cf. T Hullin ll, 20.
59 Cf. Pesiqta Rabbati V, 1, ed. Friedman 14b; Cant. Rabbah ll, 3,5; Midrash Tanhuma sur
Exode, ed. Buber, Beshallah 24, p. 67.

324
de la Loi differe d'une maniere ou d'une autre du judaYsme pharisien, 60 ja-
mais des non-luifs. En revanche; le Talmud de Babylone utilise ce terme
pour designer des luifs ou des non-luifs.
Quant au terme noçerim, on le trouve dans la litterature talmudique
uniquement a partir du Ille siede. Il peut avoir plusieurs sells en hebreu: 1)
Les gardiens 61 ; 2) Les observants; 3) Les habitants de la ville de Naza-
reth.62
On trouve le terme noçerim dans le Talmud de Babylone ou sans au-
cun doute il designe des luifs qui observent le dirnanche comme jour ferie.
"La veille de shabbat ils (les ma'amadot) ne jeCınaient pas"
Pour quelle raison? Rabbi Yohanan dit : a cause des Noçe-
• 63
rı m.

Mais ces Noçerim n'ont pas encore quitte le giron de la religion mere
car, Rabbi Yohanan (vers 290), explique qu'il faut se demarquer de ce gro-
upe la.
On trouve ce terme egalement dans la Birkat ha-Minirri mais uniqu-
ement dans la version rattachee a la tradition du pays d'lsraii, jamais dans
la tradition babylonienne.
Ceci corrobore ce que nous avons vu plus haut dans la Iitterature pat-
ristique.
Conclusion
1. Sur plan du vocabulaire:
Le terme "Judeo-Chretiens" n'appara1t jamais dans !es sourc~s littera-
ires. Aussi Avons-nous evite son emploi dans le mesure du possible. C'est

60 SCHIFFMAN L.H., Who was a Jew? Rabbinic and Halakhic perspectives on the Jewish-
Christian Schism, Hoboken, N.l., 1985, p. 58-61; FLUSSER D., "The lewish-Christian
Schism", (Part Two), lmmanuel17 (1983-1984), p. 31-32.
61 Comme dans.2 Rois 17,9 et 18,8 ou migdal noçerim signifıe "tour des gardes".
62 Dans ce cas le toponyme serait iı mettre en relation avec l'hebreu Naçerah ou l'arameen
naçera' qui signifie "corbeille en osier" ou "vannerie" qui etait la specialite artisanale de
cette ville.
63 TB Ta'anit 27b. D'autres passages de la litterature talmudique font allusion a des tentati-
ves de se demarquer de ce courant, d. V ANA L., "Problemes d'identite: l'etranger en Ju-
dee", Annuaire de I'Ecole Pratique des Hautes Etudes, Seetion des Sciences Religieuses
(=AEPHE), t. 99 (1990-91), p."201-205.

325
le terme Nazareens/Nazoreens qui revient le plus souvent dans le Nouve-
au Testament et da.ns la litterature patristique pour designer les Chretiens
d'origine juive qui croient en Christ mais qui continuent de pratiquer le ju-
daTsme.
Cependant, les sources patristiques nous informent que le terme Naza-
reens/Nazoreens etait utilise par les pa·iens pour designer l'ensemble des
Chretiens.
Or, on constate que les sources patristiques designent, elles, par le ter-
me "Nazareens/Nazoreens" un groupe de croyants qui combinent foi chre-
tienne et praxie juive qui se trouvent dans !es synagogues ( cf. saint Jerô-
me) ou eglises d'Orient.
Par consequent, dans !es sources litteraires chretiennes et pa"iennes le
sens du vocable "Nazareens/Nazoreens" n'est pas et ne saurait etre univo-
que. ll est a manipuler avec precaution car son sens depend des groupes
socio-religieux ou les textes ont ete elabores.
Dans la litterature talmudique !es "Judeo-Chretiens" sont souvent de-
signes par le terme Minim (mais attention! l'inverse n'est pas vrai: le ter-
me Minim ne designe pas toujours des "Judeo-Chretiens"). Quelques pre-
cisions s'imposent:
Dans la litterature talmudique des ler-Ile siecles le terme Minim desig-
ne toujours des "Judeo-Chretiens" ainsi que dans ce lle du Ille-Ve si eel es
mais uniquement au pays d'lsrael. En revanche, dans la litterature talmu-
dique babylonienne ce terine a plusieurs sens.
A partir de la fin du Ille siecle, le vocabie Noçerim designe des Juifs qui
observent le dirnanche comme jour ferie. Ce terme figure egalement dans
la Birkat ha-Minim a partir du !Ve siecle mais uniquement dans les versi-
ons liturgiques se rattachant au pays d'lsrael. 64
A nouveau il s'agit de termes a manipuler avec precaution.
II. Sur le plan historique
Selon la litterature neotestamentaire et patristique, le terme Nazore-
ens/Nazareens designent les premiers disciples de Jesus, des Juifs qui

64 Cf. VANA L., "La question de la Birkat ha-minim et les relations entre Juifs et Judeo-Chre-
tiens en Judee romaine", dansActes du Colloque International de Turin (ltalie), novernber
1999: ll giudeocristianesimo antico: problemi e prospettive. A cinquant'anni dalla publica-
zione di Verus lsrael di Mareel Simon (iı paraitre).

326
l'ont suivi ainsi que son enseignement. Plus tard ce terme est utilise par !es
peres de l'Eglise pour designer un courant bien particulier de croyants qui
combinent foi et pratiques chretiennes avec pratiques juives. Ces Nazore-
ens croient en Jesus Christ ne de la vierge Marie. lls celebrent le dirnanc-
he et en meme temps frequentent ou se trouvent encore dans !es synago-
gues (selon Jerôme).
Le courant nazoreen est limite aux eglises ou aux synagogues d'Orient.
D'ailleurs, seuls !es peres de I'Eglise ayant vecu au pays d'Israel parlent
des Nazoreens, les autres n'en parlent pas.
Entre le Ille et le Ve sh~cles, les peres de I'Eglise ne considerent pas les
Nazareens/Nazoreens comme des Chretiens mais ne les considerent pas
comme des Juifs non plus. Pour Jerôme (en 404) ils sont "ni Juifs ni chre-
tiens".
En revanche, pour le judaYsme ces croyants sont consideres comme
des Juifs a part entiere ayant des pratiques differentes de celles des Pha-
risiens avec lesquels ils sonten desaccord. D'apres ces sources ils obser-
vent le dirnanche c9mme jour ferie mais n'ont pas encore quitte le giron
du judaYsme. La separation surviendra au !Ve siecle.
Sur ces points les sources chretiennes concordent avec les sources ju-
ives.
Paradoxlement les premiers disciples de Jesus qui ont suivi son ense-
ignement ainsi que leurs successeurs se sont vus progressivement margi-
nalises par I'Eglise, et meme consideres par certains peres de I'Eglise (sa-
int Jerôme) comme "ni Juifs ni Chretiens" ou comme "heretiques" sans
doute parce que la theologie paulinienne a fıni par I'emporter et que la pre-
sence de pratiques juives dans un tel christianisme etait de moins en mo-
ins toleree.
Reste a comprendre pourquoi en depit de l'attitude negative des lnsti-
tutions chretiennes a l'egard des Judeo-Chretiens, le desir de combiner ju-
da1sme et christianisme n'a pas disparu au fils des siecle. Bien au contra-
ire il continue d'attirer de nombreux croyants d'ailleurs jusqu'a nos jours.

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