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Direction de l’animation de la recherche,

des études et des statistiques DARES

D OCUMENT D’ÉTUDES

COHÉSION
SOCIALE,
EMPLOI ET
COMPÉTIVITÉ :
éléments
pour un débat

Rachel BEAUJOLIN-BELLET*
Marc-Antoine ESTRADE***
Jean-yves KERBOUC’H*
Tristan KLEIN**
Frédéric LERAIS***
Dominique MEDA*
Anne SAINT-MARTIN***
Frédérique TRIMOUILLE*

N° 58
Août 2002

Les documents d'études sont des documents de travail ;


à ce titre, ils n'engagent que leurs auteurs
et ne représentent pas la position de la DARES.

DARES :
* - Mission Animation de la Recherche.
** - Département politiques d’emploi.
*** - Mission Analyse Économique.

Ministère
des affaires sociales,
du travail
et de la solidarité
2
SOMMAIRE

INTRODUCTION………………………………………………………………………………… P.5

PARTIE 1 : EMPLOI ET COHESION DANS L’EMPLOI : UN VIEUX DEBAT…………………….. P.13


1.1 Le salaire minimum :
Moins d’inégalités salariales pour des effets limités sur la demande de travail….……. P.14
1.2 La protection de l’emploi :
Un emploi plus durable mais pas nécessairement moins d’emplois…..……………… P.18
1.3 Les minima sociaux :
Faut-il craindre des effets désincitatifs sur l’offre de travail ?………………………… P.29
1.4 Sélectivité du marché du travail et politiques ciblées d’aide à l’emploi :
Un double objectif d’équité et d’efficacité……………………………………………… P.36

PARTIE 2 :
LA DIMENSION SOCIALE COMME DETERMINANT DE LA PERFORMANCE ECONOMIQUE ?….. P.43
2.1 Le capital humain, un atout pour la croissance et un objectif social :
Résoudre le problème d’insertion sur le marché du travail……………………………. P.45
2.2 Indicateurs sociaux et capital social :
Les limites du cadre économique……………………………………………………….. P.51
2.3 Performance économique et travail :
Les conditions de travail en question…………………………………………………… P.58
2.4 Investissement socialement responsable et rating social :
La prise de conscience des acteurs économiques………………………………………. P.61
2.5 Les aspects juridiques de la responsabilisation sociale de l’entreprise……………………… P.66

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4
INTRODUCTION

Développement économique et développement social entretiennent des rapports complexes, ils ne sont
pas contradictoires mais simultanés et d’une certaine manière se déterminent l’un l’autre. C’est du
moins la position qui a longtemps été soutenue, à tel point que ces deux dimensions essentielles ont
souvent été résumées par un seul indicateur, la croissance du revenu national dont devait
nécessairement découlé une amélioration du bien-être de la société. Toutefois, les nombreuses
discussions autour de la construction d’indicateurs sociaux et les interrogations sinon les mises en
garde récurrentes sur le poids des dépenses sociales sur la croissance, montrent que le lien entre
développement économique et développement social est loin de pouvoir être ainsi résumé. Ce travail
s’inscrit dans ce questionnement général et fournit des premiers éléments de réflexion sur les relations
entre compétitivité économique et performances sociales.
La construction du modèle social est concomitante au développement économique et peut se concevoir
comme le fruit de la croissance avant d’être envisager comme un frein. Cette dernière dimension est
pourtant au cœur de nombreux débats. Le modèle social s’articule autour d’un ensemble de transferts
et de dispositions légales destinés à assurer une certaine cohésion entre les générations, les plus
pauvres et les plus riches, les actifs et les inactifs, à promouvoir le bien-être partagé de la société. La
fiscalité et les réglementations qui soutiennent les choix sociaux sont fréquemment dénoncées comme
un facteur de ralentissement de l’activité économique. La dimension sociale est souvent envisagée
comme un coût qui pèse sur la croissance, sans qu’en retour l’économie puisse en tirer quelques
bénéfices. Pourtant les travaux portant sur l’impact des dépenses sociales sur la croissance n’invitent
pas à un tel fatalisme. De même, les pays qui ont des dépenses sociales relativement élevées ne sont
pas nécessairement mal placés dans la compétition internationale. Tel est le cas par exemple de la
France. Certains se sont inquiétés de la montée de l’investissement français à l’étranger, mais il faut
rappeler que la France a su attirer dans le même temps des capitaux étrangers. Ces investissements
sont surtout le signe du développement d’une stratégie industrielle de la part des entreprises, plus que
d’une délocalisation des sites de production. Par ailleurs, les échanges commerciaux de la France avec
ces principaux partenaires sont excédentaires et la compétitivité française ne semble pas affectée ni
même menacée.
Le modèle social pèse-t-il lourdement sur la performance économique ? Tout cela tend à montrer qu’il
n’y pas en la matière de fatalité. Tout dépend probablement de la cohérence des choix sociaux et de la
manière dont ils interfèrent avec l’activité économique.

Si les dépenses sociales ont entre autres objectifs celui d’une plus juste répartition de la richesse
produite, quel est leur impact sur la croissance économique ? Bien que le coût des inégalités ou de
l’absence de protection sociale ne puisse être véritablement mesurer en termes de croissance
économique, cette question revêt une certaine pertinence. Les dépenses de protection sociale
représentent une part très importante du revenu national et il est légitime de s’interroger sur l’effet
qu’elles produisent en retour sur la croissance. En 1999, elles représentaient en moyenne 27,6% du
revenu national des pays de l’Union Européenne (cf. tableau 1).
Différentes théories se font concurrence quant à l’incidence que pourrait avoir la protection sociale sur
la croissance économique. Globalement, les enseignements que l’on peut retirer de ces théories ne
permettent pas de se faire une opinion tranchée sur cette question.
Une première thèse, initiée par Mirrles (1971) dans le cadre d’une réflexion sur la fiscalité optimale,
met en évidence un effet négatif de la protection sociale sur la croissance. Le versement de prestations

5
sociales pourrait réduire l’offre de travail et donc les ressources en main-d’œuvre sur lesquelles
s’appuie la croissance, les bénéficiaires n’étant plus inciter à chercher un emploi. De plus, ces
prestations ont pour contrepartie la mise en place d’un système de prélèvements susceptibles de
ralentir l’épargne et par la même, les investissements à la source de la croissance.
Différents arguments s’opposent à cette conception très négative de la protection sociale. D’abord, en
évitant la marginalisation des plus pauvres et leur sortie durable du système productif, la protection
sociale permet de renforcer les potentiels de croissance. Ensuite, en limitant les tensions sociales, elle
instaure un climat favorable à la prise de décisions politiques et économiques, même difficiles, ce qui
peut améliorer les perspectives de développement durable (Sala-i-Martin, 1996). Enfin, les
mécanismes de marché sont défaillants à certains égards, notamment en matière d’assurance contre la
perte d’emploi, de revenu et la protection sociale joue un rôle important à ce niveau. En couvrant un
certain nombre de risques, elle peut encourager l’esprit d’entreprise et le développement de certains
investissements, comme par exemple l’investissement dans de nouvelles technologies (Ahmad et al.
1991, Hubbard et Judd 1998). Autant d’initiatives dont la croissance profite. Une économie de marché
ne permet pas non plus de résorber les inégalités, ni d’éviter leur reproduction et s’est au modèle social
d’assurer l’égalité des chances. La reproduction des inégalités devant l’école est par exemple encore
très forte, ce qui peut conduire à un sous-investissement en capital humain dommageable à la
croissance. La question centrale est toutefois la raison de cette reproduction sociale : est-ce un effet de
capital culturel ou économique ? Goux, Maurin (1999) ont avancé que la pauvreté des parents est le
facteur principal pour expliquer le retard scolaire et l’arrêt précoce des études. Cette idée pourrait alors
de justifier l’existence d’un revenu de transferts pour les parents les plus pauvres afin de limiter le
sous-investissement éducatif.
Au total, se dégage l’idée que les dépenses sociales peuvent favoriser la croissance si d’une manière
ou d’une autre elles sont réinvesties dans des facteurs productifs accumulables. Globalement, il est
donc difficile de savoir quel est leur effet sur la croissance, toutes n’ayant pas vocation à être
directement réinvesties dans le système productif (les dépenses de santé et celles à destination des
personnes âgées, par exemple). Et les travaux empiriques sur ce thème ne sont pas d’un grand secours.
Atkinson (1999) souligne en effet que les études abordant ce sujet, à un niveau très agrégé, ne
permettent pas de conclure. Ces études mélangent souvent des pays par trop hétérogènes pour aller au-
delà du simple constat que les dépenses sociales sont relativement plus élevées dans les pays riches
que dans les pays pauvres. Et celles qui s’appuient sur des groupes de pays plus homogènes (les pays
de l’OCDE par exemple) concluent tantôt à un effet positif des dépenses sociales sur la croissance,
tantôt à un effet négatif, certaines ne trouvant aucune relation (Parent, 2001).
Un travail récent de l’OCDE met en évidence un effet négatif mais modéré (Arjona, Ladaique et
Pearson, 2001). C’est surtout la décomposition de cet effet qui est intéressante. Les dépenses sociales
ne peuvent être réduites à autant de prélèvements pesant sur les agents, elles ont essentiellement un
aspect redistributif. Isolant cette dimension, les auteurs montrent qu’elle n’agit pas négativement sur la
croissance et l’argument consistant à dire que les prestations sociales peuvent avoir des effets
désincitatifs importants sur les bénéficiaires ne trouve pas ici de validation empirique. Un autre aspect
intéressant de cette étude est qu’elle isole dans les dépenses sociales, celles correspondant aux
politiques du marché du travail (dépenses de formation) ou destinées à rendre le travail rémunérateur
pour tous ainsi que les dépenses visant à faciliter la reprise d’activité (comme par exemple, la prise en
charge des gardes d’enfants ou de personnes âgées). Les auteurs montrent alors que cette catégorie de
dépenses participe d’une croissance plus dynamique.
On retrouve donc l’idée que l’impact des dépenses sociales sur la croissance dépend de la nature et de
l’objectif poursuivi par ces dépenses. L’ensemble de ces dépenses recouvre une diversité d’objectifs
telle qu’il semble difficile d’apprécier globalement leur impact sur la croissance.

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Tableau 1 : Les dépenses de protection sociale en Europe
Prestations sociales par groupe de fonctions, 1999
Dépenses de (en % du total des prestations sociales)
protection
sociale, 1999 Vieillesse Maladie/ Famille/ Chômage Logement
(en % du PIB) + survie soins de santé enfants + exclusion
+ invalidité sociale n.c.a.
Belgique 28.2 43.0 33.6 9.1 12.1 2.2
Danemark 29.4 38.0 31.7 13.0 11.2 6.1
Allemagne 29.6 42.1 36.0 10.5 8.8 2.6
Grèce 25.5 50.7 31.0 7.6 5.7 5.0
Espagne 20.0 46.2 37.0 2.1 12.9 1.9
France 30.3 44.2 34.0 9.8 7.4 4.6
Irlande 14.7 25.2 45.3 13.0 11.1 5.4
Italie 25.3 64.0 30.0 3.7 2.2 0.2
Luxembourg 21.9 41.4 39.5 15.5 2.5 1.1
Pays-Bas 28.1 41.5 40.7 4.3 6.2 7.4
Autriche 28.6 47.4 35.4 10.3 5.4 1.6
Portugal 22.9 43.7 45.6 5.2 3.7 1.8
Finlande 26.7 35.1 37.2 12.8 11.3 3.7
Suède 32.9 39.5 36.9 10.5 8.1 4.9
Royaume-Uni 26.9 46.1 34.8 8.8 3.2 7.0
Union Européenne 27.6 46.0 34.9 8.5 6.8 3.8
Zone Euro 27.5 46.5 34.9 8.2 7.4 2.9
Source : « La protection sociale en Europe », Statistique en bref , Eurostat (2002).
Note : Pour Eurostat, la protection sociale recouvre 5 grands postes :
- vieillesse + survie : pensions de vieillesse et fourniture de biens et services aux personnes âgées, maintien du revenu et assistance en
rapport avec le décès d’un membre de la famille (pensions de reversions…),
- maladie/ soin de santé + invalidité : congés de maladie payés, soins médicaux et fourniture de produits pharmaceutiques, pensions
d’invalidité et fourniture de biens et services aux personnes invalides,
- famille/enfants : assistance en rapport avec la grossesse, l’accouchement, la maternité et la charge d’enfants et d’autres membres de la
famille,
- chômage : inclut, entre autres, les indemnités de chômage et la formation professionnelle financée par les organismes publics
- logement + exclusion sociale non classée ailleurs : interventions publiques visant à aider les ménages à faire face au coût du logement,
prestations de complément de ressources, réadaptation des alcooliques et des toxicomanes et autres prestations.

La France est l’un des pays où les dépenses de protection sociale sont les plus élevées, représentant
plus de 30 points du produit intérieur brut en 1999. Et en la matière, les disparités entre pays sont
relativement importantes : l’Irlande dépense par exemple moins de 15 points de PIB alors que la Suède
consacre jusqu’à près de 33 points de son revenu national aux dépenses de protection sociales. Notons
toutefois qu’il s’agit là des dépenses publiques de protection sociale et que la prise en compte des
financements privés, notamment ceux à la charge des entreprises, pourraient altérer ce classement des
pays et gommer en partie les disparités que l’on observe. On peut néanmoins se demander si les pays
qui paraissent les plus dispendieux ne se trouvent pas pénalisés dans la compétition internationale.
Dans le cas de France, la question se pose notamment en regard de l’évolution des investissements
directs à l’étranger. L’attractivité du territoire français serait-elle menacer par une fiscalité trop
lourde ? Les investissements directs français à l’étranger ont en effet fortement augmenté pour
atteindre 101 milliards d’euros en 1999, soit près de 8 % du PIB de la France. Cette évolution
préoccupe certains observateurs: n’assisterait-on pas à une « expatriation des compétences et des
capitaux » (Ferrand, 2001) ? Les investissements directs à l’étranger n’ont-ils pas pour contrepartie
des fermetures d’entreprises ?
Cette préoccupation est ancienne. Elle a parfois conduit à un pessimisme excessif. Ainsi, le rapport
Arthuis de 1993, alertait que les délocalisations industrielles vers le tiers monde aboutirait à 3 millions
de chômeurs supplémentaires et 80% des emplois étaient susceptibles d’être délocalisés. Il faut noter
que ces investissements directs ne correspondent pas toujours à des délocalisations. C’est en effet le
dynamisme des fusions-acquisitions qui est le premier facteur du dynamisme des investissements
français à l’étranger. Ces opérations sont favorisées par l’achèvement du marché unique européen. De
ce point de vue, la tendance enregistrée en France est parallèle à ce qui est observée dans le reste de
l’Union européenne.
Dans le même temps, la France a connu une forte croissance de l’intensité des flux d’entrants. Les flux
d’investissements étrangers en France ont augmenté de 80 % en trois ans pour atteindre 37 milliards

7
d’euros en 1999, soit 2,7% du PIB. Cette progression montre l’intérêt que portent les investisseurs
pour le territoire national.
Depuis l’achèvement du marché unique, les pays européens sont encore plus en concurrence pour
attirer les investisseurs. Les performances fiscales et sociales sont souvent évoquées au premier rang
des choix de localisation. Pourtant, d’autres facteurs interviennent dans le choix de la localisation.
Ewwe-Ghee Lim (2001) recense les facteurs les plus souvent cités dans les études économétriques sur
les déterminants de l’investissement : la distance (et les coûts de transport), le coût des facteurs, les
incitations fiscales, le climat des affaires, la taille du marché, la présence de pôle technologique,
comme le souligne les travaux d’économie géographique (Krugman). Il ressort de cette étude que c’est
la taille du marché qui est la variable la plus robuste. Les coûts relatifs jouent aussi mais certaines
études montrent qu’il faut surtout tenir compte de la qualité de la main d’œuvre (Mody, Dagsgupta
and Shina, 1998). Les effets des incitations fiscales sont ambigus, parce que certains investisseurs les
considèrent comme temporaires ou comme ayant des répercussions sur les autres impôts. Les risques
politiques, l’instabilité constituent les freins les plus importants au développement de l’investissement
direct. Par contre les effets de la « bureaucratie » ou de complexité de la législation n’interviennent
dans aucune étude (mais c’est une variable difficile à construire). L’attractivité d’un territoire, qui
dépend de multiples facteurs, résulte des politiques économiques et de la géographie. Aujourd’hui,
l’attractivité du territoire français paraît satisfaisante, puisque la France se situe au cinquième rang
mondial des pays d’accueil et au troisième rang européen (cf. tableau 2).
De ce point de vue, les dépenses sociales relativement élevées en France ne semblent pas constituer un
obstacle décisif au développement de l’activité économique sur le territoire français.

Tableau 2 : Stocks des investissements directs au 31/12/98


Investissements à l’étranger Investissements en provenance
de l’étranger
Mds d’euros % PIB Mds d’euros % PIB
États-Unis 840.4 11.0 695.7 9.1
Royaume-Uni 425.8 33.9 275.4 22.0
Allemagne 333.2 17.2 182.7 9.4
Japon 238.8 6.9 23.1 0.7
France 240.0 18.4 202.0 15.5
Pays-Bas 225.4 64.1 145.3 41.3
Italie 145.8 13.7 90.0 8.4
Canada 132.7 24.4 121.4 22.3
Belgique 106.7 47.4 162.8 72.3
Espagne 58.5 11.8 101.8 20.5
Source : Bulletin de la Banque de France, n°76, avril 2000

Le positionnement de la France dans la compétition internationale peut également être abordé sous
l’angle de ses échanges commerciaux avec les pays étrangers. On peut en effet se demander si la
protection sociale et les prélèvements fiscaux qui la soutiennent pèsent sur la compétitivité des
entreprises françaises. En première approche, la compétitivité internationale désigne la capacité à
s’insérer dans la division internationale du travail1. De ce point de vue, la compétitivité française est
globalement satisfaisante. En effet, avec + de 10 milliards d’euros en 2001, le solde courant français
s’est beaucoup amélioré par rapport aux années quatre-vingt : d’un déficit avant les années quatre-
vingt-dix, on est passé à des excédents élevés, qui se sont maintenus en France malgré une activité
plus dynamique que nos principaux partenaires européens depuis 1997. Cette situation s’explique en
partie par les performances en termes de compétitivité-prix. Ce qui est confirmée par le niveau relatif

1
La notion de compétitivité et la mesure de ses sources ne va pas de soi au point que pour Krugman (1996), spécialiste du
commerce international, la compétitivité est un concept superflu. Concept superflu au sens où il ne dit rien sur la performance
globale de l’économie et du niveau de vie. Traditionnellement, ce sont les évolutions des prix ou des coûts relatifs qui sont
analysées pour évaluer les performances à l’exportation d’un pays. Mais cet indicateur s’appuie sur l’idée d’une concurrence
sur un seul type de bien. Les nouvelles théories du commerce international ont rompu avec ce paradigme, elles abordent
maintenant la concurrence en termes de différenciation des produits. Cette différenciation permet d’expliquer en partie que le
volume du commerce peut être plus ou moins sensible aux variations du coût du travail, selon le type de spécialisation des
pays.

8
des coûts horaires du travail qui ne sont pas parmi les plus élevés en Europe, alors que la productivité
horaire y est plutôt forte. La France se retrouve en meilleure position que la Suède et l’Allemagne. Ces
évolutions tiennent en grande partie au fait que les évolutions de salaires ont été assez modérées par
rapport à beaucoup de pays d'Europe, notamment du Nord2.
S’il faut éviter de dégrader la compétitivité prix de l'économie française et avoir un partage équilibré
de la valeur ajoutée (entre entreprises et salariés), la France ne peut toutefois se cantonner à une
compétitivité prix obtenue par la réduction des coûts. En effet, une telle stratégie procure des
avantages mais souvent faibles au regard des écarts de prix avec les PVD ou les pays en transition ;
elle peut être coûteuse en termes sociaux et ces gains peuvent être annulés par des mouvements de
change. Pour parvenir à un niveau de compétitivité élevé et pérenne, il faut jouer sur la qualité des
produits (et l’innovation). Les résultats d’une enquête du COE (Observatoire Économique, rattaché à
la chambre de commerce et d’industrie de Paris) montrent qu’en la matière, la situation de la
compétitivité hors prix est bonne. Ainsi, l’image des produits exportés par la France est au-dessus de
la moyenne des pays partenaires (cf. graphique). La croissance de l’économie française s’appuie donc
aussi sur des produits de qualité. Le résultat de ces enquêtes est confirmé par des estimations
économétriques qui montrent que la France est plutôt spécialisée dans des produits de qualité
(Fontagné et Freudenberg (1999) et Erkell-Rousse (2002)), relativement moins sensible au coût du
travail (Fouquin et alii). Les travaux de recherche de Magnier et Toujas-Bernate (1994), ont identifié
les déterminants de la compétitivité des entreprises exportatrices leur permettant de disposer d’une
certaine autonomie dans la fixation des prix, en mettant l’accent notamment sur la différenciation des
biens, dans un cadre de concurrence monopolistique (Dixit et Stiglitz, 1977). Dans cette optique, la
capacité d’innovation des firmes appréhendée par la variété des biens constitue une forme de
compétitivité plus déterminante que celle reposant sur les prix. Les théories récentes de la croissance
se sont développées autour de l’idée de la concurrence en qualité et en variété. Dans ces modèles, le
moteur de la croissance est alors la qualité de la main d’œuvre (plus que son coût), cette dernière
devant désormais être capable d’innover.
Dans cette optique, le modèle social, la protection sociale, en renforçant l’égalité des chances devant
l’éducation et en facilitant l’accumulation de capital humain participe d’une économie plus
compétitive.

2
La compétitivité-prix repose sur les coûts de main-d’œuvre (directs ou indirects), coût du capital (coût du capital matériel et
immatériel, coût du financement) et coût des consommations intermédiaires (énergie, transport, etc.). Elle dépend aussi du
comportement de marge des entreprises, c’est-à-dire de l’écart entre le coût de production et le prix de vente, mais aussi des
taux de change.

9
En première approche, il n’y a donc pas d’évidence forte permettant d’affirmer qu’un modèle social
« généreux » pèse sur la croissance et la compétitivité. Toutefois, la dimension sociale recouvre de
multiples aspects et il est difficile de traiter de ces questions en restant à un tel niveau de généralité. En
particulier, il y a tout un pan du modèle social pour lequel la relation entre dimensions économiques et
sociales est réduite aux questions de financement, de fiscalisation des dépenses sociales, sans autre
véritable lien ni effet de retour. Si le modèle social s’appuie toujours sur la richesse produite, son
enjeu reste souvent en dehors de la sphère économique : il est question de bien-être, de qualité de vie.
Si l’on peut chercher à optimiser la gestion de telles dépenses, le bien fondé de leur existence même ne
peut être remise en cause par des critères d’ordre purement économique : c’est par exemple le cas des
dépenses de santé ou de vieillesse qui constituent pourtant une part très importante des dépenses de
protection sociale. L’objet principal de telles dépenses n’est pas d’être « productives », même si elles
peuvent avoir une influence sur les capacités productives des travailleurs (ce qui explique que les
entreprises aient accepté à l’origine de participer à leur financement, notamment en ce qui concerne les
dépenses de santé avec la médecine du travail). Il s’agit davantage de parvenir à une gestion optimale
d’un point de vue économique et social. Ainsi, la dimension sociale intervient dans de nombreux
domaines et la question de sa relation avec la sphère économique peut être plus ou moins riche et
pertinente. Dans le cadre de cette étude, on se limitera aux seuls domaines du travail, de l’emploi et de
la formation.

Il y a sur le marché du travail des dispositifs dont la composante sociale est évidente et qui,
indépendamment des questions de financement, structurent fortement le fonctionnement de ce marché
sans toutefois guider l’ensemble des mécanismes d’ajustements qui y sont à l’œuvre. Les aspects
sociaux interviennent alors, aussi, comme des outils de régulation de l’économie. De fait, on peut se
demander si les orientations qu’ils impulsent sont justes, également d’un point de vue économique et
ne produisent pas d’effets pervers importants, résultats par exemple d’ajustements défavorables à
certaines catégories d’individus. On rejoint ainsi un vieux débat, celui du dilemme supposé entre
équité et efficacité. Seront abordées tour à tour les questions du salaire minimum (fiche 1.1) et de la
protection de l’emploi en relation avec la demande de travail (fiche 1.2) ainsi que les minima sociaux
et leurs effets sur l’offre de travail (fiche 1.3). On s’interrogera également sur l’efficacité des
politiques d’emploi à lutter contre la sélectivité du marché du travail (fiche 1.4). Autant de thèmes qui
renvoie à des aspects du marché du travail en général bien balisés, pour lesquels il existe une
littérature abondante. Influencée par les arguments traditionnels de la théorie de l’offre et la demande
de travail, cette littérature a longtemps condamné toutes ces formes de régulation du marché du travail
en évoquant des effets pervers importants sur l’emploi. Les conclusions sont aujourd’hui beaucoup
plus nuancées.

Toutes ces tentatives d’évaluation appellent cependant quelques remarques et conduisent à se


demander en quoi, comment et pour quelles raisons la dimension sociale pourrait être un déterminant
de la performance économique. L’égalité des chances devant l’éducation et l’insertion des jeunes sur
le marché du travail sont par exemple des enjeux fondamentaux du modèle social et participent en
même temps à la formation de capital humain, moteur de la croissance (fiche 2.1). Par ailleurs, si l’on
admet généralement que la performance économique peut se mesurer à l’aune d’un taux de chômage
ou d’un taux de croissance du revenu national, ces indicateurs ne sont pas nécessairement les plus
pertinents au regard des questions sociales. S’ils restent inévitables en l’absence d’alternative plus
satisfaisante, la définition d’indicateurs sociaux fait actuellement l’objet de nombreux débats. De
même, émerge la notion de capital social dont la définition souffre encore d’un certain flou (fiche 2.2).
Ces questions de mesure sont encore plus problématiques au niveau de l’entreprise. Seuls les coûts du
travail et du capital sont mesurables. Les entreprises savent mal évaluer la contribution de chacun de
leur salarié à la valeur ajoutée, sauf peut-être dans le cas de travail direct comme le travail à la chaîne.
Dans cette perspective, l’influence des conditions d’exercice du travail sur l’efficacité productive est,
au niveau individuel, tout aussi difficile à mesurer. On peut toutefois faire un certain nombre de
constats sur la façon dont les conditions d’exercice du travail ont évolué, ce parallèlement aux
profondes modifications qu’ont pu connaître les organisations et les techniques de production (fiche
2.3). Malgré tous les problèmes inhérents à la mesure de l’efficacité productive du travail, il y a une
volonté, émergente, d’évaluer les entreprises selon des critères sociaux pour tenter d’internaliser la

10
dimension sociale, comme si cette dimension était devenue un déterminant de la performance
économique. C’est la vocation des agences de « rating social », qui proposent un système de notation
sociale de l’entreprise à destination des investisseurs financiers (fiche 2.4). On peut enfin se demander
à quelle réalité juridique correspond la notion de responsabilisation sociale de l’entreprise (fiche 2.5).

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12
PARTIE 1
EMPLOI ET COHESION DANS L’EMPLOI : UN VIEUX DEBAT

La littérature a longtemps opposé l’objectif d’équité et de cohésion dans l’emploi à celui d’efficacité,
notamment en termes de capacité à créer des emplois. Le discours est aujourd’hui beaucoup moins
tranché et les grandes formes de régulation ou de transferts sur le marché du travail ne semblent pas
devoir dégrader les performances de ce marché en matière de création d’emplois.

1.1 Le salaire minimum : moins d’inégalités salariales pour des effets limités sur la demande de
travail
Le salaire minimum remplit son rôle, en limitant les inégalités salariales et cela, sans engendrer
d’effets pervers importants sur l’emploi, sauf peut-être pour les jeunes. A cet égard, les instruments
fiscaux et parafiscaux, et notamment les cotisations patronales, jouent un rôle important en France,
permettant d’introduire une certaine distance entre salaire minimum et coût du travail des emplois à
bas salaire. Le salaire minimum n’est en revanche pas un instrument capable de lutter efficacement
contre la pauvreté, n’atteignant pas le public concerné.

1.2 La protection de l’emploi : un emploi plus durable mais pas nécessairement moins d’emplois
La protection de l’emploi ne semble pas en mesure d’affecter le niveau du chômage, limitant à la fois
les sorties de l’emploi et les embauches. En revanche, elle rallonge probablement la durée de l’emploi
ainsi que celle des épisodes de chômage. Par ailleurs, si nombre d’études ont montré qu’aux États-
Unis, le système de modulation des cotisations patronales à l’assurance chômage soutenait l’emploi de
manière efficace, il ne semble pas raisonnable d’attendre les mêmes résultats de la mise en œuvre d’un
tel système en France, tant les marchés du travail français et américain sont structurellement différents.

1.3 Les minima sociaux : faut-il craindre des effets désincitatifs sur l’offre de travail ?
L’existence de minima sociaux est justifiée par leur capacité à limiter l’instabilité sociale et à assurer
une plus grande cohésion sociale. Parallèlement, on peut craindre des effets désincitatifs sur l’offre de
travail, leur présence étant susceptible de rendre le travail insuffisamment rémunérateur, notamment
dans le cas des temps partiels. Suite aux différentes réformes, ce problème semble en grande partie
écarté en France. Par contre, la question de la contrepartie et du suivi individuel des bénéficiaires de
ces minima sociaux n’est pas réglée.

1.4 Sélectivité du marché du travail et politiques ciblées d’aide à l’emploi : un double objectif
d’équité et d’efficacité
Les politiques actives du marché du travail permettent d’accroître le volume d’emploi et leur ciblage
favorise la réinsertion des publics en difficulté. Leur évaluation est toutefois délicate, elle n’échappe à
la question des effets d’aubaine et au sein des publics ciblés, il est probable qu’elles touchent d’abord
les individus les plus employables. La sélectivité du marché du travail est souvent difficile à identifier
précisément et par la même, difficile à corriger. En outre, la question du ciblage est particulièrement
délicate, le risque étant d’introduire une stigmatisation de certaines catégories de demandeurs
d’emploi.

13
1.1 Le salaire minimum : moins d’inégalités salariales pour des effets
limités sur la demande de travail

Dans leur très grande majorité, les pays de l’OCDE se sont dotés d’un salaire minimum légal. Sur ce
point, les législations sont assez différentes d’un pays à l’autre, le salaire minimum pouvant être fixé à
un niveau régional ou bien national, varier selon les branches ou encore être moduler en fonction des
caractéristiques des bénéficiaires (qualification professionnelle, âge…). Et les règles de revalorisation
sont elles aussi très variables. Le niveau du salaire minimum diffère beaucoup d’un pays à l’autre,
allant par exemple de 38% du salaire médian aux États-Unis, à 57% en France (OCDE 1998). Les
proportions de salariés concernés sont également très variables : en France, 11% des actifs occupés
étaient en 1996 rémunérés au salaire minimum (près de 14% en 2001), cette proportion n’atteignant
que 5% aux États-Unis (OCDE 1998). Le profil des salariés concernés est en revanche toujours le
même : il s’agit essentiellement de jeunes, de femmes et de non-qualifiés.

Partant de ces observations, les salaires minima relativement élevés qui prévalaient dans la plupart des
pays européens, et notamment en France, ont souvent été pointés du doigt lorsque les taux de chômage
des non-qualifiés et des jeunes ont très fortement progressés au cours des années 80. L’argument
consistait essentiellement à souligner que cette progression était mieux maîtrisée aux États-Unis, pays
dans lequel le salaire minimum était jugé peu « contraignant ».
Nombre d’économistes sont depuis revenus sur ce discours, à la suite notamment de travaux
empiriques plus fouillés sur la question et desquels aucune évidence allant dans le sens d’un effet
défavorable important sur l’emploi ne se dégageait.

Les effets du salaire minimum sur l’emploi

Sur le plan théorique, la réflexion sur l’incidence du salaire minimum sur l’emploi a longtemps été
guidée par les arguments traditionnels fournis par la théorie de la demande de travail, suggérant
qu’une augmentation du salaire minimum détruit des emplois. La littérature économique livre donc
assez peu d’arguments plaidant en faveur du salaire minimum ou présumant au moins d’une certaine
neutralité. Ces derniers sont essentiellement de deux ordres :

ƒ Du côté de l’offre de travail : En rendant les emplois plus attrayants, la présence ou le relèvement
du salaire minimum peut inciter les demandeurs d’emploi à intensifier leur effort de recherche,
facilitant ainsi leur retour vers l’emploi.

ƒ Du côté de la demande de travail : Si la présence d’un salaire minimum s’accompagne d’un


relèvement des salaires les plus faibles, ce relèvement peut être compensé par une gestion
globalement plus ferme des coûts salariaux qui limiterait par exemple la progression des salaires
les plus élevés. Les salaires sont ainsi moins dispersés mais globalement, le coût du travail n’est
pas nécessairement plus élevé. Dans ces conditions, l’effet du salaire minimum sur l’emploi ne
peut qu’être limité (Cahuc et al 2000).
Dans le cadre d’un marché du travail dual, comportant d’un côté des mauvais postes, très mal
rémunérés, et de l’autre, des postes occupés par des individus bénéficiant d’une rente de situation
qui leur permet d’obtenir des salaires élevés, l’augmentation du salaire minimum modifie la
répartition entre bons et mauvais postes. Il y a moins de mauvais postes du fait de l’augmentation
du salaire minimum, mais plus de bons postes, du fait de la modération des salaires associés à ce
type d’emploi et provoquée par le relèvement du minimum légal (Jones 1987, Acemoglu 1998).

C’est davantage du côté des travaux empiriques que le débat s’est enrichi, relancé en 1995 par
l’ouvrage de Card et Kruger. Ces auteurs affirmaient qu’aux États-Unis, les états qui avaient relevé le
salaire minimum à la fin des années 80 n’avaient pas connu une évolution de l’emploi moins favorable
que les états dans lesquels le minimum légal était resté stable. Très largement contesté sur le plan

14
méthodologique, cette étude a donné lieu à une série de nouvelles évaluations des effets du salaire
minimum sur l’emploi, travaux qui pour l’essentiel conduisent à la même conclusion (cf. Cahuc et
Zylberberg, 2001).

ƒ Une première catégorie d’étude a cherché à mettre en évidence des corrélations « générales » entre
salaire minimum et emploi, corrélations générales au sens où les effets du salaire minimum ne
sont pas évalués sur les seuls emplois rémunérés à son voisinage mais sur l'ensemble des emplois.
Ces études examinent l’évolution conjointe dans le temps du minimum légal et de l’emploi. Elles
peuvent également s’appuyer sur des comparaisons internationales de salaire minimum et
d’emploi, ou encore sur des comparaisons sectorielles (cf. par exemple, OCDE 1998, Dolado et al.
1996). L’impact du salaire minimum sur l’emploi est en général très faible, tantôt légèrement
négatif, tantôt légèrement positif et souvent peu significatif. Ainsi, l’effet global serait négligeable,
sauf peut-être dans le cas des jeune3. Sur ce dernier point, l’étude de l’OCDE souligne que la
situation des jeunes sur le marché du travail ne semble pas plus dégradée dans les pays où le
salaire minimum est relativement élevé que dans ceux où il est plus bas. Le salaire minimum et
son évolution n’interviendraient que marginalement dans l’explication des écarts entre pays en ce
qui concerne les tendances de l’emploi des moins de 20 ans.

ƒ Une seconde approche consiste à suivre la trajectoire des individus directement concernés par une
revalorisation du salaire minimum. Ces travaux concluent en général qu’une augmentation du
salaire minimum accroît de façon substantielle la probabilité de perte d’emploi des populations
directement concernées par ce niveau de rémunération, trait particulièrement marqué chez les
jeunes qui représentent une part importante de cette population (Abowd et al 1999, Kramarz et
Philippon 1999). Enfin, Laroque et Salanié (1999) estiment pour leur part qu’en France, 16% du
non-emploi des femmes sans diplôme vivant avec un conjoint est imputable au SMIC. Cette
proportion descend à 2% dans le cas des femmes diplômées de l’enseignement supérieur.
Soulignons toutefois que du côté de la demande de travail, ces estimations reposent sur un cadre
théorique dans lequel la présence d’un salaire minimum ne peut que détruire des emplois.

En résumé, les études empiriques indiquent que l’impact du salaire minimum sur l’emploi total est
négligeable. En revanche, il est susceptible d’accroître la probabilité de perte d’emploi pour certaines
catégories de population, essentiellement les jeunes. Ce dernier point rejoint la question plus générale
de l’insertion des jeunes sur le marché du travail, question dont l’élément central n’est certainement
pas le salaire minimum mais plutôt la formation.

Les effets du salaire minimum sur les inégalités de salaires et de revenus

A l’origine, les législations sur le salaire minimum visent à assurer à chaque individu une
rémunération juste de son travail. Le salaire minimum a donc été introduit dans le but de garantir une
certaine cohésion au sein des individus qui ont un emploi. Si la question de l’impact du salaire
minimum sur l’emploi a souvent relégué cet aspect des choses au second rang, c’est bien en mesurant
son effet sur les inégalités salariales que l’on peut véritablement juger du fait qu’il remplit ou non son
rôle.

Le salaire minimum semble être un instrument efficace pour limiter les inégalités salariales : tel est le
constat général qui se dégage des études empiriques. Presque toutes concluent en effet qu’un salaire
minimum entraîne une compression de la distribution des salaires (Brown 1999, Dinardo, Fortin et
Lemieux 1996, Lee 1999). La mesure dans laquelle la dispersion des salaires est réduite dépend du
niveau du salaire minimum par rapport au reste de la distribution. Dans les pays où le salaire minimum
est relativement élevé, les rémunérations apparaissent globalement moins dispersées et la proportion
de bas salaire est plus faible4 (OCDE 1998). Enfin, les salaires minima tendent à réduire les inégalités

3
selon les cas, il peut être légèrement positif ou légèrement négatif.
4
Mesurée par le pourcentage de travailleurs à temps complet percevant moins des deux tiers du salaire médian.

15
de salaires entre hommes et femmes ou encore entre jeunes et plus âgés. De fait, l’emploi à bas salaire
est plus fréquent chez les femmes que chez les hommes et chez les jeunes travailleurs que chez les
travailleurs âgés, et le salaire minimum joue un rôle important dans le relèvement des bas salaires.

L’incidence d’un salaire minimum sur la distribution des revenus est plus difficile à cerner. Il
semblerait que qu’un salaire minimum puisse contribuer à réduire la pauvreté dans les familles d’actifs
occupés (i.e. les familles dans lesquelles au moins une personne travaille), ainsi qu’à réduire les
inégalités de revenu au sein de ce groupe. L’incidence d’un salaire minimum sur la distribution des
revenus pour l’ensemble des familles est par contre moins nette car, dans beaucoup de familles
pauvres, personne ne travaille.
En outre, les actifs pauvres sont beaucoup plus souvent éloignés de la norme d’emploi5 en France
qu’ils ne peuvent l’être aux États-Unis, pays où le minimum légal est beaucoup faible (DARES 2000).
Certains auteurs ont avancé l’idée qu’un salaire minimum, limitant l’accès à l’emploi pour les
individus les plus directement concernés par ce niveau de rémunération, favoriserait ainsi la pauvreté.
Reste à savoir si l’on sort plus facilement de la pauvreté en étant actif pauvre que chômeur pauvre. En
fait, poser la question sous cet angle revient à raisonner en termes de revenus actualisés en faisant des
hypothèses sur les probabilités de transition. En tout état de cause, cette thèse n’a pas encore reçu de
validation empirique très probante (Brown 1999).

Ainsi en regard du problème de pauvreté, le salaire minimum semble jouer un rôle mineur et c’est
davantage du côté des minima sociaux et de leur articulation avec le salaire minimum qu’il faut
chercher des solutions.

En résumé, le salaire minimum remplit son rôle. Il est garant d’une certaine cohésion au sein des
individus qui ont un emploi, assurant à chacun une rémunération socialement acceptable et limitant les
inégalités salariales.
En termes d’emploi, aucun effet pervers important n’a pu être mis en évidence, sauf peut-être pour les
jeunes. Toutefois, le problème d’insertion des jeunes sur le marché du travail ne peut être réduit à la
seule question salariale, la formation intervenant au premier plan.
Enfin, le salaire minimum n’agit efficacement que sur les revenus d’activité. En particulier, il ne
semble pas constituer une réponse au problème de pauvreté. Les instruments les plus pertinents pour
lutter contre la pauvreté restent sans doute, en association avec le salaire minimum, les minima
sociaux.
Plus généralement, ce qui importe est que le salaire minimum soit intégré dans un ensemble cohérent
d’instruments législatifs ou de politique économique. Par exemple, si l’on craint des effets pervers sur
l’emploi, la réglementation en matière de protection de l’emploi doit pouvoir jouer pleinement son
rôle. Ensuite, la politique économique offre des outils qui permettent d’introduire une certaine
déconnection entre salaire minimum et coût du travail. Ainsi, les pays dans lesquels le salaire
minimum est relativement élevé ont souvent mis en œuvre des réductions de cotisations patronales
ciblées sur les bas salaires, alors qu’un salaire minimum relativement faible peut être complété par des
prestations liées à l’exercice d’une activité.
Ces deux systèmes ne sont pas équivalents, ni du point de vue des finances publiques, ni de celui des
bénéficiaires. Les prestations liées à l’exercice d’une activité étant en générale soumises à des
conditions de revenu portant sur le ménage, les bénéficiaires sont souvent des parents isolés, tandis
que la fréquence du travail rémunéré au salaire minimum est particulièrement forte chez les jeunes et
les femmes. En dehors de ces considérations générales, on ne sait pas grand chose sur l’efficacité
relative de ces deux systèmes sur le marché du travail, ni même dans quelles mesures salaire minimum
et prestations liées à l’exercice d’une activité se complètent effectivement6.

5
i.e. ils sont souvent chômeurs ou travailleurs indépendants
6
Il apparaît toutefois que salaire minimum élevé et prestations liées à l’exercice d’une activité soient une
combinaison susceptible d’avoir des effets désincitatifs importants sur le travail du conjoint.

16
1. Salaire et coût salarial en écu par rapport à la France
(France = 1,0)
Estimation 1997 salaire coût au salaire salaire médian Coût au
minimum minimum salaire
médian
Allemagne (a) 1,255 1,244 1,527 1,316
France (b) 1,000 1,149 1,000 1,000
Luxembourg 1,154 1,072 1,247 1,008
Belgique 1,148 1,070 1,347 1,294
France 1,000 1,000 1,000 1,000
Pays-Bas 1,100 0,981 1,337 1,130
Allemagne (c) 0,807 0,800 1,527 1,316
Royaume-Uni 0,872 0,737 1,182 0,929
États-Unis 0,753 0,665 1,151 0,884
Canada 0,755 0,658 1,080 0,821
Espagne 0,473 0,537 0,852 0,796
Grèce 0,444 0,466 0,509 0,465
Portugal 0,336 0,341 0,444 0,393
(b) en l'absence de ristourne Juppé
(a), (c) pour l'Allemagne, il y a 2 estimations du salaire minimum
Source : CSERC, 1999

17
1.2 La protection de l’emploi : un emploi plus durable mais pas
nécessairement moins d’emplois

Résumé

La littérature suggère que les coûts de licenciement permettent de réduire les taux rotations de la main-d’œuvre,
la contrepartie de cette réduction étant un allongement de la durée des épisodes de chômage. L’effet des coûts de
licenciement sur le niveau du chômage n’est en revanche pas clair.

Aux États-Unis, l’indexation des taux de cotisations patronales à l’assurance chômage est probablement la seule
mesure de protection de l’emploi. Les entreprises qui licencient sont soumises à un malus : elles payent les taux
de cotisations patronales les plus élevés. Les entreprises offrant les emplois les plus stables bénéficient quant à
elles d’un bonus en payant les taux de cotisations les plus faibles.
La plupart des études suggèrent que ce mode de financement des allocations chômage a des effets positifs sur
l’emploi, en réduisant davantage les licenciements qu’il ne restreint les embauches.
Il est à noter qu’il n’existe pas aux États-Unis d’indemnités chômage versées par l’entreprise aux salariés qu’elle
licencie et que le concept de CDD n’a pas cours non plus dans ce pays. Dès lors, il semble difficile d’envisager
une transplantation pure et simple du système américain en France.
En France, les entreprises qui licencient supportent également un malus par le biais des indemnités de
licenciement. En termes de mois de salaire, ce malus est très proche de celui imposé à une entreprise américaine
via le système de modulation des taux de cotisations patronales.
La différence essentielle entre les systèmes français et américains en matière de moralisation réside donc dans le
fait qu’en France, les indemnités de licenciement sont d’une part versées aux salariés et d’autre part, ne sont
soumises à aucune sorte de transferts (en particulier, l’indemnité légale de licenciement n’est soumise ni aux
cotisations patronales, ni aux cotisations salariales) : du point de vue de l’entreprise, il y a donc en France un
malus relativement élevé en cas de licenciement, malus auquel n’est associé aucun bonus dans le cas contraire.
En fait, on serait très proche d’un système de bonus malus si les indemnités de licenciement étaient soumises aux
cotisations Unédic.

Par ailleurs, les CDD contribuent largement à expliquer les taux de rotation de la main-d’œuvre en France.
Nombre d’études suggèrent que les coûts de séparation élevés associés aux CDI constituent pour les entreprises
une incitation forte à utiliser les CDD de manière abusive. Par conséquent, on peut craindre qu’un renforcement
de la pénalité de licenciement encourue par les entreprises n’accroisse encore la part des CDD dans l’emploi.
D’autre part, bien que le recours à ce type de contrats participe de la précarisation de l’emploi, certaines études
suggèrent que taxer davantage les CDD pourrait avoir des effets néfastes sur le niveau de l’emploi : une partie de
ces contrats temporaires étant transformée en CDI, le recours massif aux CDD que l’on a pu observer ces
dernières années aurait eu un effet plus fort sur les taux d’embauche que sur les taux de sortie de l’emploi, et
aurait au total contribué à l’augmentation de l’emploi.
Enfin, les CDD concernent avant tout les moins qualifiés, catégorie de main-d’œuvre pour laquelle la durée des
épisodes de chômage est la plus longue. Or, un durcissement des mesures de protection de l’emploi
(augmentation des coûts de licenciement ou réglementation \ taxation des emplois temporaires) restreint à la fois
la politique de licenciement et la politique de recrutement des entreprises. En conséquence, le taux de rotation de
la main-d’œuvre est plus faible mais la durée des épisodes de chômage s’allonge. En première analyse, l’effet
total sur le niveau de l’emploi reste donc ambigu et il y a un risque de précarisation de la situation de chômage,
en particulier pour les individus qui sont déjà les moins bien lotis.

18
PROTECTION DE L’EMPLOI ET CHOMAGE

1. Protection de l’emploi et chômage

La littérature suggère que les coûts de licenciement permettent de réduire les taux rotations de la main-
d’œuvre, la contrepartie de cette réduction étant un allongement de la durée des épisodes de chômage.
L’effet des coûts de licenciement sur le chômage n’est en revanche pas clair. L’intuition est simple : si
d’une part, ces coûts dissuadent effectivement les entreprises de licencier leur personnel, ils
constituent d’autre part un frein à l’embauche dans la mesure où les entreprises anticipent qu’en cas de
baisse de leur activité, réduire leur effectif leur sera d’autant plus coûteux que les coûts de
licenciement sont élevés. Ainsi, les flux d’emplois vers le chômage sont moindres et les flux de du
chômage vers l’emploi sont également réduits. En conséquence, la durée des épisodes de chômage est
plus longue et l’effet sur le taux de chômage reste ambigu (cf. graphiques ci-après, pour une
illustration).
Cette ambiguïté peut être discutée en considérant l’environnement dans lequel évoluent les entreprises.
Si ce dernier est relativement stable, les chocs de productivité étant durables, les entreprises n’ont
d’ajustements importants à faire sur l’emploi. Dans ce cas, les coûts de licenciements remplissent bien
leur rôle : ils n’ont que peu d’effets sur les décisions d’embauche et continuent de freiner les
licenciements. On peut alors montrer qu’ils sont légèrement favorables à l’emploi (Bentolila et
Bertola, 1990). En revanche, si les entreprises sont plongées dans un environnement très instable, les
coûts de licenciement réduisent plus les embauches qu’ils ne limitent les licenciements et contribuent
ainsi à faire augmenter le chômage, notamment le chômage de longue durée (Bentolila et Saint-Paul,
1994).

La possibilité de recours au CDD (ou à l’intérim) est souvent envisagée comme une façon d’ajuster
rapidement l’emploi aux fluctuations de l’activité, cela sans coût excessif. Dans cette perspective, une
utilisation accrue de ce type de contrats de travail a pour effet d’augmenter les taux de rotation de la
main-d’œuvre en réduisant ainsi la durée des épisodes de chômage, sans que l’on sache bien dans quel
sens varie le taux de chômage. Par ailleurs, le recours aux CDD sera d’autant plus fréquent que les
coûts de licenciements seront élevés, relativement aux coûts de recrutement (affichage du poste à
pourvoir, formation…).

Graphiques : protection de l’emploi, taux de chômage, taux de rotation de la main-d’œuvre


et durée du chômage dans les pays de L’OCDE (moyenne sur la période 1990-2000)

20 ESP
taux de chômage moyen

15

IRL FIN
BEL FRA ITA

10 CAN
GRC
AUS
GBRNZL GER
DNK SWE
NLD
USA PRT
5 NOR
AUT
CHE JPN

0
0 5 10 15 20
protection de l'emploi 1998

19
BEL ITA

60 IRL

NLD ESP
GRC

chômage longue durée


GER PRT

GBR
40
FRA

DNK
AUSCHE AUT
FIN
NZL
20
JPN

SWE
CAN NOR

USA

0
0 5 10 15 20
protection de l'emploi 1998
USA

FIN
4
CAN
taux de rotation moyen

DNK
NZL
SWENOR
AUS

2 GBR BEL

IRL ESP
GER
JPN FRA ITA GRCPRT
CHE
NLD
AUT

0
0 5 10 15 20
protection de l'emploi 1998

Note : l’indicateur de protection de l’emploi construit par l’OCDE rend compte du degré de rigueur de
la réglementation des contrats permanents et temporaires. Il ne rend pas toujours compte de la
traduction concrète de cette réglementation qui dépend dans chaque pays des libertés que les
entreprises peuvent prendre vis à vis cette réglementation.

2. Les études sur la France

La France est parmi les pays de l’OCDE, l’un de ceux dont la protection de l’emploi est la plus forte
(d’après les calculs de l’OCDE), et nombre d’études s’accordent pour dire que les coûts d’ajustement
de l’emploi y sont élevés et l’emploi relativement peu réactif aux chocs agrégés (Fitoussi, Passet et
Freyssinet, 2000.). Les taux de rotation de la main-d’œuvre sont parmi les plus faibles des pays de
l’OCDE et la durée des épisodes de chômage, parmi les plus longues.

La question des emplois temporaires mérite une attention particulière dans la mesure où elle vient
nuancer cette assertion très générale, fondée le plus souvent sur des données annuelles très agrégées
qui rendent assez mal compte de l’intensité des flux d’emploi. Des études récentes montrent en effet
que si l’on tient compte explicitement du rôle des emplois temporaires dans les fluctuations de
l’emploi, le marché du travail français est beaucoup plus flexible qu’il n’y paraît en première analyse.

Les fluctuations de l’emploi observées d’un mois sur l’autre au niveau des établissements sont d’une
ampleur considérable. Sur la période 1992-1997, Goux et Maurin (2000) constatent en effet que les
effectifs au sein d’un établissement varient d’un mois sur l’autre de 10% en moyenne. L’essentiel de
ces mouvements d’emplois repose sur des salariés ayant moins d’un an d’ancienneté dans
l’établissement : ces salariés ne représentent que 10% de l’effectif total mais leur volume d’emploi
varie d’un mois sur l’autre de 50% en moyenne.

20
Les fluctuations d’emplois relèvent essentiellement de décisions propres aux entreprises, les
démissions de salariés jouant un rôle très mineur. S’agissant des emplois de courtes durées, les sorties
s’expliquent soit par l’acquisition d’un an d’ancienneté dans le même emploi et donc une transition
vers un emploi plus stable, soit par des fins de CDD, i.e. une transition vers le chômage ou
éventuellement vers un autre emploi7. Ces résultats suggèrent que les CDD remplissent principalement
deux fonctions : ils sont un moyen privilégié d’ajuster l’emploi aux fluctuations de l’activité et se
substituent également aux périodes d’essai préalables à l’embauche sur CDI.

Partant de ces deux constats, Goux (2000) tente d’évaluer l’impact que pourrait avoir sur l’emploi total
une taxation plus forte des CDD. Le modèle sur lequel elle s’appuie rend également compte du fait
qu’une hausse des coûts des CDD, en augmentant le taux d’embauche sur CDI, accroît également la
concurrence entre chômeurs et personnes en emploi sur ce type de poste. Les salariés employés en
CDI par des entreprises en déclin ont en effet intérêt à postuler dans des entreprises plus dynamiques
et la progression des offres d’emploi favorise ce type de comportement (Maurin, 2000). Cette
concurrence accrue à pour effet de renforcer les inégalités entre actifs occupés et chômeurs via
l’augmentation de la durée du chômage. Si les coûts relatifs des CDD par rapport aux CDI passaient
de 1 à 10%, Goux (2000) estime alors que le nombre d’emplois chuterait de 3% et que les inégalités de
revenu actualisé entre chômeurs et actifs occupés augmenteraient de 30%. Au total, limiter la
possibilité de recours aux CDD réduirait donc davantage les embauches que les sorties de l’emploi.

Dans le même ordre d’idée et toujours à partir de données mensuelles portant sur les établissements
(DMMO), Goux, Maurin et Pauchet (1999) estiment que sur la période 1989-1992, le taux annuel
moyen de fin de CDD a été inférieur au taux annuel moyen d’embauche sur CDD (8% contre 13%).
Les embauche sur CDD représentent, en moyenne sur la période, plus des trois quarts du volume total
des embauches et les auteurs estiment qu’un tiers des CDD est transformé en CDI chaque année. Enfin
les résultats de l’étude suggèrent que s’il est coûteux d’embaucher sur CDI, il est encore plus coûteux
de mettre fin à ce type de contrats, ce qui expliquerait pourquoi la plupart des embauches se font sur
CDD (cf. également Abowd et Kramarz, 1997).

Au total, si la plupart des études suggèrent que les coûts relatifs des CDD par rapport aux CDI sont
suffisamment faibles pour inciter les entreprises à avoir recours à ce type de contrats de façon abusive,
notamment en les utilisant comme période d’essai, il n’apparaît pas clairement, loin de là, que leur
utilisation massive contribue à élever le niveau du chômage. D’autre part, si les CDD participent de
manière évidente d’une précarisation de l’emploi, il n’est pas certain que leur limitation ne se traduise
pas, au moins pour certaines catégories de main-d’œuvre, par la substitution d’une situation d’emploi
précaire à une situation de chômage précaire. En tout état de cause, force est de constater que l’on
maîtrise assez mal, les effets que pourrait avoir une réglementation plus stricte de l’utilisation des
emplois temporaires, ce tant sur le niveau de l’emploi que sur les inégalités.

7
Les sorties d’emplois stable correspondent le plus souvent à des licenciements.

21
MODULATION DES COTISATIONS A L’ASSURANCE CHOMAGE

1. L’expérience américaine

Les États-Unis sont le seul pays de l’OCDE à pratiquer depuis longtemps l’indexation des taux de
cotisations patronales à l’assurance chômage et la plupart des études suggèrent que ce mode de
financement des allocations a dans ce pays, des effets positifs substantiels sur l’emploi.

1.1. Les différentes formes de modulations

Aux États-Unis, le taux de cotisations patronales fixé aux entreprises par la caisse d’assurance
chômage dépend à la fois de la politique de gestion de la main-d’œuvre de l’entreprise et de l’état des
comptes de la caisse d’assurance chômage. Plus précisément, cette dernière établit chaque année un
barème de taux de cotisations patronales, barème plus ou moins rigoureux selon l’état, constaté
l’année précédente, de ses comptes. Chaque entreprise est ensuite soumise à l’un des taux du barème
ainsi établi, ce en fonction de sa contribution aux versements d’allocations chômage effectués par la
caisse. Tout cela est déterminé au niveau de chaque État, et les barèmes d’imposition comme les
critères d’évaluation de la contribution de chaque entreprise aux dépenses de la caisse d’assurance
chômage varient d’un État à l’autre. Il existe principalement deux types de critères de modulation du
taux de cotisations patronales (cf. Fougère et Margolis, 2000) :
ƒ Le système du ratio de réserve (33 États):
Pour chaque entreprise, le ratio de réserve est égal à la différence entre le total des cotisations
versées par l’entreprise et le total des allocations chômage versées par la caisse d’assurance
chômage aux travailleurs licenciés par l’entreprise, rapporté à la masse salariale imposable. Le
solde entre cotisations patronales et allocations chômage est calculé sur tout l’historique de
l’entreprise. La masse salariale imposable de l’entreprise repose en général sur les salaires versés
au cours des 3 dernières années (la base salariale imposable varie selon les États entre 8 000 et 25
000 dollars, elle fixe le seuil en deçà duquel l’employeur cotise).
ƒ Le système du ratio de versement (17 États) :
Le ratio de versement est calculé sur un historique plus court, de 3 à 5 ans en général. Il
correspond à la somme des allocations versées par la caisse aux ex-employés de l’entreprise,
rapporté à la masse salariale imposable.

Dans les deux systèmes, la caisse d’assurance chômage fixe différentes tranches de valeurs possibles
pour ces ratios, et à chaque tranche ainsi définie, associe une valeur particulière du taux de cotisations
patronales. Depuis 1985, le taux maximal de cotisations patronales doit dans tous les États, être au
moins égal à 5.4%.

1.2. Quelques statistiques

Contribution effective des entreprises


Toutes les allocations versées par la caisse d’assurance chômage ne sont pas à la charge de
l’employeur ad hoc, essentiellement pour deux raisons :
ƒ l’existence dans chaque État, de taux de cotisations plancher et plafond, qui autorise un transfert
des entreprises qui licencient le moins vers celles qui licencient le plus,
ƒ les licenciements résultant de faillites d’entreprises dont le financement des allocations
correspondantes est nécessairement mutualisé (on parle de charges inactives pour la caisse
d’assurance chômage).
L’indice de modulation mesure la capacité du système à faire supporter aux entreprises les coûts
d’indemnisation induits par leur politique de licenciement. Il correspond au pourcentage des

22
allocations versées par les caisses et facturées à l’employeur correspondant. Sur la période 1988-1996,
il était de 60% en moyenne. Si cet indice varie beaucoup d’un État à l’autre, il ne semble pas dépendre
du système de modulation choisi.

Taux de cotisations patronales


Là encore, il y a une grande disparité des situations entre États, aussi bien en termes de taux planchers
et plafonds, qu’en termes d’écarts entre ces deux bornes. Toutefois, le taux maximal pour un
employeur avec un solde négatif était en 1995 souvent supérieur au minimum de 5.4% imposé à tous
les États par la loi de 1985 et le taux minimal applicable à un employeur ayant un solde positif était
très fréquemment inférieur à 1% (souvent même à 0.5%).
Sur longue période (1938-1992), le taux moyen de cotisations patronales semble suivre les fluctuations
du cycle économique, mais avec un retard. Ce retard vient du fait que le barème d’imposition fixé par
les caisses d’assurance chômage dépend de l’état des comptes de l’année précédente et non de l’année
courante. Ainsi, en début de récession, les caisses versent de plus en plus d’allocations pour un barème
de taux de cotisation patronales donné, leurs soldes se dégradent, ce qui conduit ensuite à un barème
plus strict. Lorsque le solde des caisses devient négatif, l’État intervient en prêtant de l’argent. Les
remboursements peuvent ensuite prolonger la période durant laquelle les barèmes sont élevés, au delà
de la période de récession.

Risque de faillite
En première analyse, la modulation des taux de cotisations employeur en fonction de l’historique des
licenciements de l’entreprise ne semble pas être une cause de faillite. Sur l’ensemble des États, le
pourcentage de charges inactives supporté par les caisses d’assurance chômage (i.e. la part des
allocations qu’elles versent et qu’elles ne peuvent facturer à l’employeur pour cause de faillite) n’est
en effet que très faiblement corrélé avec le taux maximal de cotisation en vigueur ou encore, avec
l’écart entre les taux planchers et plafonds fixés par les différents États.

1.3. Modulation et taux de chômage

Les travaux théoriques


Les travaux théoriques étudiant l’incidence sur le taux de chômage du système de modulation des
cotisations patronales en fonction de l’historique des licenciements concluent en général à des effets
bénéfiques. Ils examinent essentiellement le problème du chômage temporaire (sorte d’équivalent du
chômage partiel en France, très fréquent aux États-Unis où une forte proportion des salariés licenciés
sont réembauchés dans la même entreprise) essentiellement de deux types (cf. Fougère et Margolis,
2000) :
ƒ Les premiers en date, fondés sur des modèles statiques, montrent que la modulation déplace la
main-d’œuvre des entreprises ayant fréquemment recours aux licenciements vers les entreprises
offrant des emplois plus stables, ce qui a pour effet de réduire le chômage en limitant notamment
le chômage frictionnel (Baily 1977 – Brechling, 1977 – Feldstein, 1976 et 1978). L’idée qui sous-
tend ce résultat est qu’en l’absence de modulation les entreprises qui licencient le moins
subventionnent d’une certaine manière les entreprises qui licencient le plus. Ces dernières peuvent
alors offrir des salaires plus élevés que ce qu’elles feraient si elles devaient supporter la charge de
leur politique de gestion de la main-d’œuvre et attirent de ce fait, plus de travailleurs.
Symétriquement, les entreprises qui offrent des emplois stables, pourraient mieux rémunérer leurs
salariés et en employer davantage si elles n’avaient pas à supporter la charge des licenciements
dont elles ne sont pas responsables.
ƒ Les travaux théoriques récents sur le sujet raisonnent dans un cadre dynamique et s’attachent à la
manière dont la modulation affecte la politique de gestion de la main-d’œuvre au cours du cycle
économique (Anderson, 1993 – Anderson et Meyer, 1993 et 1998 – Card et Levine, 1994 –
Hamermesh, 1993). De prime abord, les résultats obtenus sur le taux de chômage sont ambigus.
D’une part, la modulation limite les licenciements en période de basse conjoncture car l’entreprise
tient compte du fait que tout licenciement entraîne un supplément d’impôt à venir. D’autre part, en
période de haute conjoncture, la modulation freine les embauches car les entreprises anticipent les

23
coûts de séparation plus élevés en cas de retournement du cycle. Toutes choses égales par ailleurs,
on peut montrer que l’effet sur les licenciements est plus important que celui sur les embauches et
si les périodes de haute et de basse conjoncture sont en moyenne de durée identique, la modulation
réduit le taux de chômage. Enfin, la modulation réduit toujours la variabilité de l’emploi au cours
du cycle économique.

Les travaux empiriques


Selon les travaux théoriques précédents, le plafonnement des taux de cotisations patronales nuit à
l’efficacité du système de modulation actuellement en vigueur aux États-Unis, puisque qu’à partir d’un
recours « suffisamment » fréquent aux licenciements (i.e. dès que l’entreprise atteint le seuil
correspondant au plafond d’imposition), l’entreprise est à nouveau fortement subventionnée par les
entreprises dont les emplois sont les plus stables.
De ce fait, l’essentiel des travaux empiriques sur le sujet estime l’effet sur le chômage temporaire ou
« normal », non pas du passage d’un système de taux de cotisations forfaitaires au système de
modulation actuel, mais plutôt l’effet du passage du système actuel à une situation dans laquelle les
entreprises supporteraient l’intégralité des allocations chômage versées à leurs ex-employés.
Toutes les études suggèrent que la subvention implicite présente dans le système de modulation actuel
a des effets importants sur les taux de séparations temporaires et permanentes. Les ordres de grandeur
avancés attribuent en général entre 20 et 30% des séparations temporaires à l’existence d’une partie
mutualisée du financement des allocations chômage (Topel, 1983 : effet estimé à 30% sur données
agrégées – Card et Levine, 1994 : effet estimé à 20% sur données individuelles – Anderson et Meyer,
1994 : effet estimé à 23% sur données individuelles). S’agissant des séparations définitives, les
estimations varient plutôt dans une fourchette de 5 à 20% (Deere, 1991 : effet estimé à 5% sur données
agrégées – Card et Levine, 1994 : effet estimé à 5% sur données individuelles – Anderson et Meyer,
1994 : effet estimé à 21% sur données individuelles.). Ces travaux montrent également que l’effet le
plus important de la subvention implicite à lieu en période de basse conjoncture.
Seul l’article d’Anderson et Meyer (1998) porte sur l’introduction d’un système de modulation et ses
effets sur le chômage. Leurs estimations suggèrent que le passage d’un taux fixe à une modulation
intégrale conduit à une réduction de 10 à 30% des demandes d’allocations, demandes dont le caractère
saisonnier peut également être réduit de façon substantielle. Autre originalité de l’article, les auteurs
estiment que parallèlement, le nombre de rejet des demandes d’allocations augmenterait de 51 à 66%,
augmentation liée en grande partie à celle du nombre de contestations des employeurs concernant les
motifs de licenciements.

2 Des États-Unis à la France

Il semble difficile d’envisager une transplantation pure et simple du système américain en France.
Comme le souligne Fougère (Lettre du Crest, 2001), « le droit du travail et l’environnement
institutionnel français posent des problèmes particuliers qui pourraient contrebalancer les effets
positifs du mécanisme d’incitation que l’on observe aux États-Unis ».

24
2.1. Quelques éléments de comparaison des marchés du travail

Protection France États-Unis


de l’emploi et
des salariés
Procédure de Préavis Indemnité période
licenciement *
(après 6 mois 1 mois de 6 mois à 1/10 de mois par probatoir Aucun préavis
d’ancienneté) 2 ans d’ancienneté année d’ancienneté e Aucune indemnité
2 mois au delà 1/15 au delà de 10
ans d’ancienneté 1.2 mois

Réglementation Restrictions Nb Durée maximale


des CDD * hausse temporaire cumulée
d’activité maximal Aucune réglementation
Remplacement de
employé absent renouvel- 18 à 24 mois
-lement

Taux de rotation % de travailleurs de moins Ancienneté moyenne % de travailleurs de moins Ancienneté moyenne
(1995) ** d’un an d’ancienneté d’un an d’ancienneté
14.4 10.4 26.0 7.4

Risque et durée Taux d’entrée au chômage % de chômeurs Taux d’entrée au chômage % de chômeurs longue durée
de chômage (1 ans ou plus)
(1995) *** 4 longue durée 24 11
(1 ans ou plus)
34
Taux de pauvreté Taux de pauvreté Taux de bas revenu Taux de pauvreté Taux de bas revenu
et taux de bas
revenu actifs : 6.5 actifs : 15.5 actifs : 10.4 actifs : 17.6
(1995) **** ens. de population : 8.4 ens. de la population : 20.1 ens. de population : 20.9 ens. de la population : 30.4

Protection des France États-Unis


chômeurs
Modalités Taux Durée Taux de Taux de Taux Durée Taux de Taux de
d’indemnisation statutaire maximale remplacement remplacement statutaire maximale remplacement remplacement
des chômeurs (% salai - en mois brut au cours net +autres (% salaire en mois brut au cours net + autres aides
(1994) * - re brut) de la 1ère année aides sociales brut) de la 1ère année sociales
fixe + 27 + 33 50 à 70%
40.4 % dégressifs 57 65 plafonné 6à9 27 17

Bénéficiaires **
( en % du nb. de Bénéficiaire de prestation Bénéficiaire de l’assurance Bénéficiaire de l’assurance chômage :
chômeurs chômage : 45 chômage : 77 36
inscrits, 1995)

Fiscalité ** France États-Unis


(1994)
Coin fiscal global Taux de cotisations patronales Coin fiscal global Taux de cotisations patronales
(hors impôts directs) (hors impôts directs)
41.3 26.2 24.8 7.1

(pour un couple à un salaire avec 2 enfants) (pour un couple à un salaire avec 2 enfants)

* Passet et Jestaz (1998) – ** OCDE (1997) – *** Cohen (1995) – **** Concialdi et Ponthieux (2000)

Même si les études réalisées pour le cas des États-Unis laissent penser que la modulation des
cotisations patronales a des effets bénéfiques sur le chômage, les quelques éléments du tableau ci-
dessus montrent, sans équivoque, que ces résultats ne sont pas directement transposables au cas
français. La modulation des taux de cotisations patronales pose en effet trois questions importantes :
ƒ la question de la protection de l’emploi,
ƒ la question de la protection des chômeurs,
ƒ la question de la fiscalité des entreprises.

25
Sur ces trois points les marchés de travail français et américain sont aux antipodes l’un de l’autre. La
France dispose en effet de toute une batterie de mesures en matière de protection de l’emploi alors
qu’aux États-Unis la modulation est peut-être la seule mesure qui va dans ce sens. De fait, les flux de
l’emploi vers le chômage sont plus faibles en France, mais la durée du chômage est plus longue. Les
conditions d’accès à l’assurance chômage sont beaucoup plus strictes aux États-Unis qu’en France et
l’indemnité correspondante est à la fois plus faible et versée sur une période plus courte aux États-
Unis. Enfin, et probablement en conséquence, le taux de cotisations patronales est beaucoup plus
faible aux États-Unis qu’en France.

Au total, les coûts d’ajustement de l’emploi sont d’ores et déjà beaucoup plus élevé en France (de
façon générale, et plus particulièrement pour les CDI) qu’aux États-Unis. Or, on peut se demander si
la réussite du système de modulation aux États-Unis ne s’explique pas en partie par des coûts
d’ajustement de l’emploi qui restent globalement assez faible, ce qui rend le coût marginal d’un
licenciement relativement élevé.

Sans autres concessions sur les garanties offertes aux chômeurs et aux salariés à bas revenus, il est peu
probable que la mise en place d’un système de modulation des cotisations patronales en France ait les
mêmes effets sur le chômage que ceux obtenus aux États-Unis. Étant donné cet ensemble de garanties,
un tel système reviendrait en France à faire peser sur les entreprises, en cas de licenciement, une
charge beaucoup plus lourde qu’aux États-Unis.

En d’autres termes, existe-il en France une marge de manœuvre suffisante pour mettre en place un
système de modulation sans risquer de pénaliser trop fortement les entreprises en cas de choc externe ?
On peut craindre qu’un tel système ait en France un effet dépressif plus fort sur la politique de
recrutement des entreprises que sur leur politique de licenciement, cette dernière intégrant déjà des
coûts importants.
A titre illustratif, comparons la charge relative à un licenciement supportée par une entreprise
américaine via le système de modulation des cotisations patronales, à celle qui pèse sur une entreprise
française via le versement de l’indemnité de licenciement (aux salariés en CDI).
On a vu précédemment que la modulation aux États-Unis revient en moyenne à facturer aux
entreprises 60% des allocations chômage versées par la caisse à leurs ex-employés. Considérons le cas
d’une entreprise contrainte de verser 60% de 50% du salaire brut – ce qui correspond au ratio de
remplacement statutaire minimal – sur une durée moyenne de 4 mois (cf. statistiques du BLS sur la
durée moyenne des épisodes de chômage aux États-Unis) : au total cela correspond à 1,2 mois de
salaire. Et compte tenu du fait qu’aux États-Unis, les conditions d’accès à l’assurance chômage sont
très strictes (témoins le faible pourcentage de chômeurs indemnisés), ce cas ne correspond pas
nécessairement à une hypothèse basse. Une entreprise française doit verser une indemnité de
licenciement égale à 1/10ième de salaire brut par année d’ancienneté aux employés dont elle se sépare.
Au total, pour une durée moyenne d’ancienneté dans l’emploi égale à 10 ans, cela correspond au
versement d’un mois de salaire et n’est pas très éloigné du malus calculé pour l’entreprise américaine.
Et en France, le minimum légal est à considérer comme une borne inférieure qui se trouve
probablement en deçà de la réalité, les accords de conventions collectives fixant des indemnités de
licenciement souvent supérieures à ce que la loi propose.
Au total, ces chiffres bien qu’approximatifs montrent qu’une entreprise française encourt d’ores et
déjà une pénalité de licenciement, via le versement d’indemnités aux salariés, très proche du malus
supporté par une entreprise américaine, via le système de modulation des taux de cotisations
patronales. Rappelons par ailleurs, qu’en moyenne, le taux de cotisations patronales est trois fois plus
faible aux États-Unis qu’en France.

Évidemment, ces considérations ne tiennent pas compte de la spécificité française en regard de la


multiplicité des contrats de travail possibles et en particulier, laissent de côté la question des CDD,
contrats de travail qui représentent aujourd’hui la majorité des flux d’emploi et pour lesquels il n’y a
pas d’indemnité de licenciement. Ces quelques chiffres suggèrent toutefois que si l’on voulait
s’inspirer de l’expérience américaine, il faudrait probablement remettre à plat tout le système français

26
d’indemnisation du chômage ainsi qu’une partie de la fiscalité qui pèse sur les entreprises et non pas
se contenter de superposer un système de bonus-malus à ce qui est déjà en place.

En France, la loi prévoit la possibilité de recours aux CDD dans des conditions précises et censées
refléter un besoin réel de flexibilité pour les entreprises. La question est donc de savoir si l’utilisation
qui en est faite répond aux objectifs que s’étaient fixés les législateurs ou bien si les entreprises
utilisent ces contrats de façon détournée dans le seul but de faire l’économie d’indemnités de
licenciement. Comme on l’a vu précédemment, la réponse à cette question n’est pas évidente : les
coûts de séparation sur les CDI sont suffisamment élevés pour inciter les entreprises à utiliser les CDD
de façon abusive, mais plusieurs études suggèrent que globalement, le recours massif à des contrats de
travail temporaires répond à un besoin réel des entreprises d’ajuster rapidement l’emploi aux
fluctuations de leur activité.
En tout état de cause, instaurer un malus indexé sur le taux d’utilisation des emplois temporaires
revient à en faire des CDI déguisés, et la justification même de leur existence devient assez obscure.
Enfin, l’introduction d’un système de modulation en France risque de pénaliser de façon très inégale
les entreprises comme les différentes catégories de main-d’œuvre.
S’agissant des entreprises, les très grandes entreprises responsables de plans sociaux de grande
ampleur, versent déjà aux employés qu’elles licencient des indemnités de licenciement largement
supérieures à ce que la loi impose. Dans ce contexte, il n’est pas certain qu’un système de modulation
se traduise pour elles, par une pénalisation plus forte. En revanche, les petites entreprises sont à la fois
davantage contraintes par la loi et plus exposée aux risques de faillite.
D’autre part, l’instauration d’un système de modulation des cotisations patronales risque de durcir la
politique de recrutement des entreprises en la rendant plus sélective. A cet égard, les travaux de Allain
(Thèse de Ph. D. de Cornell University, 1996) montrent que plus les coûts de licenciements sont
mutualisés, plus la proportion d’individus difficilement employables est importante dans les
entreprises associées aux taux de chômage les plus élevés. Cela suggère que lorsque les entreprises ne
supportent pas l’intégralité de la charge de leurs licenciements, certaines d’entre elles prennent
davantage de risques lors du recrutement de leurs employés, ce qui expliqueraient ensuite qu’elles
licencient davantage. La mise en place d’un système de modulation pourrait donc avoir des effets
pervers sur l’employabilité de certaines catégories de main-d’œuvre, celles pour lesquelles l’accès à
l’emploi est déjà le plus difficile (notamment les jeunes et les moins qualifiés, dont le risque de
chômage longue durée est plus élevé et dont le CDD constitue une voie d’accès importante à
l’emploi). Sachant que l’on observe déjà en France un phénomène de déclassement important, si
l’introduction d’un système de modulation des taux de cotisations patronales devait rendre les
employeurs plus sélectifs à l’embauche, ne risquerait-on pas de voir ce phénomène de déclassement
s’accentuer encore ?

2.2. Chômage et modulation : quelques études portant sur le cas français

Seulement deux études ont examiné l’effet sur le taux de chômage que pourrait avoir la mise en place
d’un système de modulation des cotisations patronales.

La première étude portant sur le sujet, celle de Margolis et Fougère (2000), réalisée à partir de données
de l’enquête emploi de l’INSEE, offre un éclairage sur les modalités d’introduction d’un système de
modulation en France. Pour chaque secteur d’activité (NAF 36), les auteurs calculent le taux de
chômage indemnisé, le taux de chômage non indemnisé, le salaire mensuel moyen et un ratio de
versement (tel qu’il est défini dans le système américain).

Premier constat, les secteurs qui ont les plus forts taux de chômage indemnisés et donc, les ratios de
versement les plus élevés (biens de consommation non durables, bien d’équipement, autres biens
intermédiaires, construction et activités financière) couvrent une part de l’emploi total relativement
faible par rapport à la part de chômage qu’ils génèrent.

27
Deuxième constat, ces mêmes secteurs sont caractérisés par un salaire moyen relativement élevé. Cela
peut s’interpréter à la lumière des travaux théoriques qui suggèrent que dans le système forfaitaire
actuel, les secteurs qui licencient le plus reçoivent une subvention implicite de la part des secteurs qui
licencient le moins, ce qui leur permet d’avoir une politique salariale plus généreuse. En revanche, ces
travaux suggèrent qu’un système de modulation engendre un transfert des emplois des secteurs
instables vers les secteurs stables : cet effet réallocatif serait en France limité, les secteurs les plus
instables contribuant faiblement à l’emploi total.

Troisième constat, les secteurs qui ont les ratios de versement les plus élevés sont également ceux qui
ont la plus grande proportion de chômeurs de longue durée indemnisés. Symétriquement, les secteurs
dont les ratios de versement sont les plus faibles (énergie, agriculture, éducation santé et action
sociale) sont également ceux pour lesquels la proportion de chômeurs indemnisés depuis moins de 6
mois est la plus élevée. Les auteurs suggèrent deux interprétations possibles à ce constat : la durée
moyenne passée au chômage peut être, soit le reflet du stock total de chômeurs du secteur, soit le reflet
de l’employabilité de l’effectif habituellement embauché par le secteur. Dans cette seconde hypothèse,
« il se peut que la subvention implicite opérée par le système actuel d’assurance chômage permettent à
ces secteurs d’embaucher des individus qui autrement auraient du mal à trouver du travail. »

Dernier constat, dans tous les secteurs, les fins de contrats temporaires (CDD, intérim, travail
saisonnier et stages) représentent une part importante des causes d’entrée au chômage, mais n’ont
qu’un poids marginal dans la masse salariale. Les auteurs soulignent alors qu’ils seraient très peu
coûteux pour les entreprises, pour un volume de travail donné, d’accroître le nombre d’emplois sous
contrats temporaires et d’en réduire la durée de manière à ce qu’ils n’ouvrent pas de droits à
l’assurance chômage.

La seconde étude analysant les effets sur le chômage de l’introduction en France d’un système de
modulation est plus théorique (Cahuc et Malherbet, 2001). Elle reprend les travaux initiés aux États-
Unis montrant dans un cadre dynamique, que la modulation réduit davantage les licenciements que les
recrutements. Les auteurs intègrent certaines caractéristiques du marché du travail français dans leur
modèle (indemnité de licenciement, rigidité du salaire et possibilité de recours au CDD), la question
posée étant de savoir si l’on peut s’attendre aux mêmes effets que ceux estimés aux États-Unis dans un
marché du travail moins flexible que ne l’est le marché du travail américain.
Le premier résultat est que si la mesure est appliquée aux seuls CDI, le taux de chômage devrait
diminuer. La possibilité de recours aux CDD laisse une marge de manœuvre suffisante aux entreprises
pour que la réduction des licenciements de travailleurs en CDI soit plus que compensée par le frein à
l’embauche sur ce type de contrat que cette mesure constitue.
Le second résultat montre que si la mesure s’applique à l’ensemble des contrats de travail, elle conduit
à une hausse du taux de chômage. Dans ce cas, les entreprises ont beaucoup moins recours aux CDD,
or une partie de ces contrats étant transformés en CDI, l’effet dépressif de la mesure sur la politique de
recrutement des entreprises est important et ne peut plus être compensé par les licenciements qu’elle
évite par ailleurs. Ce résultat tient au fait que les coûts de licenciements (malus + indemnités)
représentent une charge trop importante pour les entreprises pour permettre à la mesure d’être efficace.

28
1.3 Les minima sociaux : faut-il craindre des effets désincitatifs sur l’offre
de travail ?

La France dispose d’un système de 8 allocations sous conditions de ressources. A la fin de l’année
2000, un peu plus de 3 millions de personnes sont allocataires de ces minima sociaux, soit 5,5 millions
de personnes couvertes en ajoutant les conjoints et les enfants à charge (Demailly [2001]).

nombre d’allocataires
au 31-12-2000
revenu minimum d’insertion - RMI 965 000
minimum vieillesse 700 000
allocation adulte handicapé – AAH 690 000
allocation spécifique de solidarité - ASS 430 000
allocation parent isolé – API 160 000
minimum invalidité 100 000
allocation d’insertion 30 000
allocation veuvage 20 000
source : Demailly [2001]

Depuis sa création en 1988, le nombre d’allocataires du RMI a fortement progressé avant de diminuer
un peu depuis 2000 sous l’effet de la reprise de l’emploi. Son extension dans les années 1990 a permis
de compenser la diminution du champ des allocations chômage et de l’allocation d’insertion8. Le RMI,
ainsi que l’ASS et l’allocation d’insertion, apparaissent ainsi comme le volet « assistance » de
l’indemnisation du chômage, aux cotés du volet « assurantiel » que constitue les allocations chômage
gérées par les partenaires sociaux (ARE : allocation de retour à l’emploi), le nombre d’allocataires de
ces trois minima sociaux (1,4 million) étant sensiblement du même ordre de grandeur que le nombre
de demandeurs d’emploi indemnisés (1,6 million fin 2000). La mise en place du RMI a aussi permis
de couvrir un certain nombre de handicaps, temporaires ou plus durables, généralement d’ordre
sociaux, qui ne rentrent pas dans le champ de l’allocation adulte handicapé.

L’objectif premier du RMI est de réduire la pauvreté par le versement d’une prestation monétaire sous
condition de ressources. Mais il s’agit aussi de fournir une aide à l’insertion, non seulement
professionnelle, mais plus généralement sociale dans la mesure où le RMI vise à couvrir un risque plus
large que le simple chômage. Formellement, l’attribution du RMI est conditionnée par la signature
d’un contrat d’insertion avec les services sociaux chargés du dossier. Toutefois, ces contrats
d’insertion ne sont pas généralisés et peu efficaces pour retrouver un emploi marchand (Zoyem
[2002]). Le suivi et les contreparties demandées aux allocataires du RMI sont donc faibles, ce qui
constitue une exception par rapport aux autres pays européens.

De manière générale, l’insertion professionnelle des allocataires du RMI pose problème : les sorties du
RMI vers l’emploi sont rares 9, très majoritairement vers des emplois aidés du secteur non marchand
ou vers des emplois faiblement rémunérés, à temps partiel ou à durée limitée (Rioux [2002 a]).
L’intensité de recherche d’emploi des Rmistes est toutefois d’un niveau comparable avec celle des
autres demandeurs d’emploi, et les salaires recherchés sont sensiblement plus faibles que les autres
(Rioux [2002 b]).

Malgré ces difficultés d’insertion, l’existence des minima sociaux ne sont pas remis en cause et
plusieurs éléments théoriques permettent d’en justifier l’existence.

8
Auparavant ouverte à tous les primo-demandeurs d’emploi, elle n’est versée actuellement qu’aux demandeurs
d’asile.
9
Ces éléments sont toutefois mesurés entre 1996 et 1998, c’est-à-dire avant la forte reprise de l’emploi. La
décroissance tardive du nombre d’allocataires du RMI laisse penser qu’ils ont été les derniers à bénéficier de la
reprise de l’emploi.

29
Fondements théoriques de l’existence de minima sociaux

Du point de vue des conditions nécessaires à la croissance économique, on peut assez facilement
montrer que l’existence d’une partie de la population ne pouvant subvenir à ses besoins vitaux conduit
à l’insécurité des biens des plus riches. Dans ce cadre, un revenu minimum permet alors de limiter
l’instabilité sociale et donc d’assurer un contexte favorable à la croissance (Sala-i-Martin [1996]).
Dans le même ordre d’idée, l’existence d’un filet de sécurité est souvent perçue comme un moyen
d’assurer un minimum de cohésion sociale autour des grands objectifs macro-économiques. On rejoint
ici le rôle de la dimension sociale dans la croissance. On peut aussi évoquer à ce niveau, le rôle des
minima sociaux dans la réduction des inégalités et son impact potentiellement positif sur la croissance
économique.

En terme de théorie politique, la demande d’un système de redistribution afin d’assurer un niveau
minimal de revenus est consubstantiel à l’existence d’un régime démocratique (Sen). La distribution
des revenus primaires, et plus encore la répartition du patrimoine, est très inégale dans l’ensemble des
économies de marché. L’électeur médian a ainsi un niveau de revenu plus faible que la moyenne et ne
dispose généralement d’aucun patrimoine lui assurant une protection en cas de perte de revenus. Si
cette demande de redistribution est « universelle », les modalités concrètes dépendent fortement du
fonctionnement du système démocratique et des valeurs dominantes de la société. Ainsi, si le poids
des électeurs les plus riches est plus important que leur importance numérique ou si les élus sont
systématiquement recrutés parmi les plus riches, les niveaux de prélèvements tendront à être faibles,
limitant l’ampleur de la redistribution. La situation sera inverse si, par exemple, la condition
d’exercice du pouvoir politique passe par l’affirmation de valeurs de générosité et de solidarité. Enfin,
d’un point de vue dynamique, la demande de redistribution dépend fortement des possibilités, réelles
ou perçues comme telles, de promotion, individuelle ou collective, dans l’échelle des revenus et donc
du caractère temporaire ou non des périodes sans revenus.

Si ces éléments permettent de justifier l’existence de minima sociaux, ils ne permettent toutefois pas
d’indiquer les éléments constitutifs de ces minima, que l’on peut schématiquement repérer en trois
points :

1. Que se passe-t-il quand un allocataire voit ses revenus primaires augmenter ? l’allocation est-elle
réduite exactement du montant de l’augmentation (principe d’une allocation sous conditions de
ressources) ou bien est-elle maintenue ou faiblement réduite ?
Cette question, qui a été fortement débattue ces dernières années en France, mais plus généralement
dans l’ensemble des pays disposant de mécanismes d’assistance-chômage sous conditions de
ressources, pose la question des incitations financières à reprendre un emploi.

2. Le versement des minima sociaux a-t-il vocation à être permanent ou temporaire ? Quel est le public
visé : s’agit-il d’individus que l’on considère comme incapables à long terme d’obtenir sur le marché
du travail des revenus suffisants et si oui pour quelles raisons ? Au contraire s’agit-il plutôt de
personnes ponctuellement déqualifiées et quelles sont les mesures à prendre pour leur permettre de
surmonter cette déqualification ?

3. Enfin, et fortement dépendante de la réponse à la deuxième question, quels droits et quelles


contreparties sont associés aux minima sociaux ?

30
Minima sociaux et incitations financières à la sortie du dispositif

Un premier type de critiques d’un revenu garanti sous conditions de ressources a été apporté sous
l’angle de la redistribution optimale. Les différents éléments de théorie politique (cf. ci-dessus)
permettent de justifier l’existence d’une fonction de bien-être social qui tend, à des degrés divers, à
privilégier les plus pauvres. Dans ce cadre, le rôle du législateur est de définir le système optimal de
redistribution et de prélèvements qui maximise ce bien-être social sous la contrainte de financement du
système. On peut alors montrer qu’augmenter marginalement l’impôt d’un individu dont la
productivité du travail est élevée et redistribuer le produit de ce prélèvement à une personne de faible
productivité augmente le bien-être social, à condition que le taux de prélèvement des individus les plus
productifs ne les conduit pas à réduire leur nombre d’heures de travail offertes. Cet arbitrage entre
efficacité et équité permet alors de déterminer, en fonction du degré d’aversion de la société aux
inégalités, le montant du revenu garanti et les taux de prélèvements marginaux appliqués selon le
niveau de productivité des individus. Si l’objectif social est de maximiser le revenu des individus les
moins productifs, alors on peut justifier l’existence d’un revenu minimal sous conditions de
ressources, c’est-à-dire où toute augmentation du revenu d’activité, suite à une reprise d’emploi par
exemple, vient réduire de manière le niveau de l’allocation. Par contre, si l’objectif social est plus
large et traduit une aversion limitée aux inégalités, alors les taux de prélèvements marginaux des
individus les moins productifs doivent être beaucoup plus faibles. Il convient alors de mettre en place
des mécanismes d’allocation compensatrice de revenu, c’est-à-dire une allocation qui diminue
progressivement avec l’augmentation du revenu primaire (Bourguignon [2002]). Il faut noter que ce
raisonnement conduit à considérer comme optimal l’existence d’un revenu garanti pour les personnes
ayant des niveaux de productivité les plus faibles, ce qui assimile en partie ce revenu à l’AAH.

Les critiques les plus sévères contre une allocation sous conditions de ressources ont toutefois porté
sur les effets désincitatifs du RMI sur l’offre de travail. D’un point de vue théorique, l’existence de
taux marginaux de prélèvement élevés à la sortie des dispositifs peuvent conduire les personnes les
plus faiblement productives à rester inactives. Cette situation est particulièrement nette pour les
emplois à temps incomplet : un allocataire du RMI célibataire reçoit mensuellement 405 euros, soit
sensiblement la même somme qu’une personne travaillant à mi-temps au SMIC (entre 404 et 450
euros selon la durée). En prenant en compte ces « trappes à inactivité » et la faiblesse de la demande
de travail peu qualifié liée à l’existence du salaire minimum, Laroque et Salanié [2000] ont évalué que
plus de la moitié de l’ensemble des personnes sans emploi en France n’avait pas intérêt à travailler du
fait des salaires qu’ils étaient susceptibles de trouver en se portant sur le marché du travail. Cet article
a fait l’objet de nombreuse critiques, tant sur le plan méthodologique qu’empirique.
Avec une méthodologie plus adaptée à l’étude des allocataires du RMI, Gurgand et Margolis [2002]
estiment que les trois quarts d’entre eux trouveraient un gain monétaire positif en cas de reprise
d’emploi. Les salaires retrouvés sont toutefois faibles du fait des durées d’emploi offertes et certaines
catégories, particulièrement les femmes avec des enfants en bas âge, auraient majoritairement des
gains négatifs.
L’hypothèse forte, généralement faite dans ce type d’études est que les individus possèdent des
caractéristiques individuelles non observées, qui ne peuvent évoluer et qui sont fixés une fois pour
toutes : dans cette optique, les niveaux de rémunération proposés aux Rmistes sont faibles et
durablement faibles. Dans cette situation, même si on fait l’hypothèse extrême que la demande de
travail est suffisante, les individus n’ont aucun intérêt à reprendre un emploi et il convient d’introduire
des mécanismes d’aide pérenne aux bas revenus pour rendre les emplois proposés suffisamment
rémunérateurs. Dans l’optique où la demande est insuffisante, que cette faiblesse provienne de
l’existence du Smic supérieur au niveau de productivité des individus non employés, ou bien qu’elle
provienne de biais défavorables au travail peu qualifié du fait des structures productives, alors
l’instauration d’une aide pérenne reste préférable au maintien de taux marginaux de 100% à la sortie
du RMI, car « une courbe de revenu disponible incitative ramènera vers l’emploi les individus
employables et n’aura aucun effet sur les autres » (Bourguignon [2002]), l’impact de la mesure restant
toutefois indéterminée puisque rien ne permet a priori de distinguer ces deux groupes. On retrouve là

31
l’argument en faveur d’une allocation compensatrice de revenu d’activité10, fonctionnant dès la
première heure de travail.

Le débat autour des ces « trappes à inactivité » ont conduit à de profondes réformes et le niveau des
prélèvements à la sortie du RMI ont été fortement réduits ces dernières années. A sa création en 1988,
le RMI était une allocation purement différentielle : tout gain supplémentaire du bénéficiaire se
traduisait par une baisse de l’allocation. De plus, certains droits étaient ouverts aux seuls allocataires
du RMI (le montant du RMI n’est pas pris en compte dans le calcul des allocations logement, droit à
certaines aides en nature, comme des aides aux transports dans certaines collectivités locales, etc.) et
disparaissaient lors de la reprise d’un emploi. Progressivement, de multiples réformes ont conduit à
une baisse de ces taux de prélèvements très élevés à la sortie du dispositif. La première d’entre elles a
introduit l’intéressement, c’est-à-dire la possibilité pour un allocataire de cumuler temporairement les
gains salariaux d’une activité réduite. Plus récemment, un certain nombre de dégrèvements fiscaux,
auparavant attachés au fait d’être au RMI, sont dorénavant liés au niveau de ressources, quel que soit
son origine. Enfin, depuis septembre 2001, toute personne occupant un emploi dont la rémunération
annuelle est comprise entre 0,3 et 1,4 Smic reçoit la Prime pour l’Emploi. L’ensemble de ces réformes
a conduit à lisser les taux de prélèvements sur les sorties du RMI vers l’emploi, y compris en cas de
reprise d’un emploi à temps réduit, même si les gains sont plus beaucoup plus élevés en cas d’un
emploi à temps complet sur l’année (Hagneré, Trannoy [2002]). Les situations dans lesquelles la
reprise d’un emploi conduit à des pertes monétaires ont ainsi disparues, sauf pour des durées annuelles
inférieures très faibles. Si ces réformes ont permis de faire disparaître certaines incohérences, son
impact réellement incitatif sur le retour à l’emploi sera vraisemblablement faible (Laroque, Salanié
[2001], Cahuc [2002]), d’une part du fait de la faible lisibilité du lien entre la reprise d’une activité et
le versement de la prime pour l’emploi, d’autre part du fait des faibles durées d’emploi généralement
offertes (à temps partiel ou à durée limitée) aux allocataires du RMI.

Minima sociaux et perspectives d’évolution des individus

Le raisonnement en termes de différence entre les minima sociaux et un revenu procuré par un emploi
est insatisfaisant pour expliquer les faibles sorties vers l’emploi des allocataires du RMI. De manière
empirique, Piketty [1998] montre que seules les femmes ayant des enfants en bas âge tiennent
effectivement ce raisonnement, la question est alors beaucoup plus celle du coût de la garde d’enfant
que la différence entre le RMI et ½ Smic. De fait, les mères isolées constituent la seule catégorie pour
laquelle la reprise d’un emploi conduit encore fréquemment à des pertes monétaires (Gurgand,
Margolis [2002]). Pour les autres catégories, le problème n’est pas directement d’ordre monétaire,
mais plutôt, soit celui du handicap, soit celui du manque de perspectives réelles ou perçues de
possibilités de promotion professionnelle pour les personnes acceptant un emploi. Les études de
terrain (Dubet, Vérétout [2001]) mettent en évidence que la perception des possibilités est un élément
déterminant dans le choix d’accepter ou non un emploi précaire, entre ceux qui y voient une manière
d’acquérir de l’ « employabilité », et ceux qui y voient, au contraire, une sorte de disqualification
sociale et professionnelle.

On peut se placer dans l’hypothèse où tout emploi, même précaire ou à temps partiel, mais d’une
durée minimale, permet de maintenir ou d’augmenter les perspectives d’évolution professionnelle et
où la situation des personnes au RMI ne dépend pas de leurs caractéristiques individuelles, mais du
fait d’être à un moment donné en situation de déqualification. A court terme, une reprise d’emploi
conduit à des gains relativement faibles, mais le fait de sortir d’une situation de non-emploi peut leur
permettre de rejoindre les niveaux de rémunération médians. Dans cette optique, l’objectif des
pouvoirs publics est d’intervenir pour permettre aux Rmistes de surmonter cette déqualification. Parmi

10
Une telle mesure permet aussi de justifier le « déperissement » du Smic (Maarek, commentaire du rapport du
CAE de Bureau, Bourguignon sur les prélevements en France, 1999).

32
les outils disponibles, l’intéressement, par nature temporaire et incitatif à la reprise d’emploi à temps
partiel ou à durée déterminée, pour des individus ayant un fort taux de préférence pour le présent est
préférable à une mesure pérenne (Gautié, Gubian [2000]), dans la mesure où tout emploi à temps
incomplet est éventuellement un marchepied vers un emploi stable11.
Cette hypothèse de trajectoire professionnelle ascendante est toutefois rarement vérifiée pour les
salariés peu qualifiés (Bloch, Estrade [1998]) et pose, de manière centrale, la question de l’emploi
convenable, ou souhaitable, et surtout l’horizon de cet emploi (Freyssinet [2000]). En ce sens, le choix
de ne pas encourager la reprise d’un emploi à durée trop faible est cohérent avec l’idée du maintien
d’une norme minimale d’emploi.

D’autres mesures peuvent permettre de ne pas décourager la reprise d’activité. C’est le cas de toutes
les aides de type « one shot » visant à couvrir ponctuellement les frais connexes de retour à l’activité,
comme l’ARAF (Aide à la reprise d’activité des femmes, définie afin de couvrir les frais de garde).
C’est aussi le cas des politiques actives d’accompagnement sur le marché du travail. Dans une
situation de demande d’emploi peu qualifié insuffisante et de rigidité des salaires à la baisse,
l’ajustement sur le marché du travail se fait par des mécanismes de file d’attente conduisant à
l’exclusion des moins qualifiés. Il est alors nécessaire de mettre en place des politiques d’emploi
visant à reprofiler la file d’attente et à éviter des situations d’exclusion durables.

Minima sociaux et accompagnement sur le marché du travail

Les différentes expériences de suivi personnalisé des demandeurs d’emploi peuvent être très efficaces
(bien au-delà des simples incitations financières) à la condition que ce suivi intervienne de manière
précoce et si les services publics de l’emploi offrent un service efficace et intensif de mise en relations
des demandeurs d’emploi avec les employeurs (Fougère [2000]). La question est alors celle des droits,
en termes de services offerts, et des contreparties exigées de la part de l’individu.
L’inscription à l’ANPE permet de bénéficier d’un certains nombre de services d’accompagnement,
récemment renforcés avec la mise en place du Plan d’Action Personnalisé. Toutefois, seuls 54 % des
inscrits bénéficient d’une indemnisation (ARE ou ASS) dont la contrepartie est double : d’une part,
assurantielle sous la forme de cotisations préalables, d’autre part en terme de disponibilité et de
recherche active d’emploi.
La perception du RMI est associé à des droits et des contreparties beaucoup plus faibles. Par ailleurs,
l’inscription à l’ANPE, et donc la possibilité d’accéder aux services d’accompagnement, est loin d’être
généralisée, y compris au sein de ceux qui recherchent activement un emploi. Cette situation provient
de la nature du RMI qui vise à couvrir à la fois des risques de handicap non reconnues pour
l’attribution de l’AAH et des risques de chômage non couverts par les régimes d’indemnisation.
Dans les autres pays européens, la coupure semble plus nette entre le régime d’allocation pour
handicap et celui de revenu d’assistance chômage. Cette distinction est souvent associée à une
définition plus extensive du handicap. Les chômeurs bénéficiant des allocations d’assistance chômage
relèvent généralement des mêmes contraintes de recherche d’emploi et de suivi individuel par le
service de l’emploi que les chômeurs relevant du régime d’assurance.

Au sein des pays européens, la question des contreparties se pose de manière toutefois très différente
entre des programmes dont l’objectif est « l’emploi d’abord » de ceux qui s’inscrivent dans une

11
En tout état de cause, l’idée d’une aide aux bas revenus doit alors être conçue de telle manière qu’elle ne
vienne pas pertuber le processus « naturel » de requalification. Dans l’hypothèse où la reprise d’un emploi
conduit à améliorer les perspectives à moyen-terme de la situation de l’individu, alors spontanément les
individus sortiront du mécanisme de l’aide et rejoindront la situation médiane. La question est alors celle des
« trappes à bas salaire » : dans quelle mesure l’instauration d’un mécanisme pérenne d’aide aux bas revenus
n’incite pas l’employeur à maintenir le salarié au bas de l’échelle salariale, cette situation pouvant provenir de la
pente du coût du travail ou bien de mécanisme de collusion employeur-salarié pour ne pas perdre le bénéfice de
l’aide aux bas revenus (Gautié, Gubian [2000]).

33
perspective d’investissement social (Barbier [2001]). Ces distinctions peuvent être reprises en
considérant les modèles sociaux dans lesquels ils s’insèrent. Un premier modèle, qualifié de libéral,
repose sur le primat de la responsabilité individuelle. Dans ce cadre, les contraintes en terme de
recherche active d’emploi et d’emploi convenable sont très fortes. Les services proposés aux
personnes sans emploi sont faibles et plutôt de court terme, mais le rôle des incitations financières est
important (y compris par le versement de complément de revenu d’activité pour les personnes à bas
salaires). A cette optique libérale, on peut opposer un modèle universaliste, dans lequel la
responsabilité est collective. Dans ce cadre, le niveau de la contrepartie demandée est mis en balance
avec la qualité, l’universalité et l’horizon de long terme des services offerts. On peut alors distinguer
deux cas : celui du Danemark, où l’accompagnement des chômeurs et des bénéficiaires des minima
sociaux est systématique et fortement contractualisé, assorti de très nombreuses possibilités de
formation et de prestations monétaires élevées, mais aussi de fortes sanctions en cas de non respect du
contrat. A cette situation danoise, on peut opposer la situation française, où les services offerts sont
faibles et où les contreparties le sont aussi.

Demande de travail et système de protection sociale

Les difficultés d’insertion professionnelle des allocataires du RMI semblent refléter avant tout la
faiblesse de la demande de travail peu qualifié. Il faut alors réfléchir à la concordance entre l’évolution
possible ou souhaitable de cette demande de travail et le système de protection sociale. On peut en
effet considérer que la faiblesse de la demande de travail non qualifié provient essentiellement du
niveau du coût du travail au niveau du Smic. Dans ce cas, il faut réduire le niveau du coût du Smic et
améliorer la situation des individus les moins productifs, qui ont alors la possibilité de trouver un
emploi, par des versements compensateurs.
On peut au contraire considérer que la faiblesse de la demande provient de biais défavorables au
travail peu qualifié du fait des structures productives (biais technologique et organisationnel) : il faut
prévoir des mécanismes de requalification par la formation. A cet égard la proposition de
Bourguignon [2002] de fournir aux individus entrant en formation une rémunération supérieure à celle
du minimum garanti est très intéressante, même si le cadre théorique de cette proposition est peu
étayé.
On peut enfin considérer que les évolutions démographiques de la population active conduiront avant
tout à une pénurie relative de salariés qualifiés et qu’il est donc souhaitable pour assurer l’évolution
future des gains de productivité de ne pas développer de nouveaux emplois peu qualifiés.

Une manière d’envisager de manière prospective l’évolution souhaitable est de partir du constat que la
dynamique du système productif rend nécessaire une plus grande mobilité, en particulier horizontale,
des individus. Jusqu’à maintenant cette évolution s’est traduite par une plus grande précarité
professionnelle, une forte segmentation des emplois selon le niveau de qualification et le transfert
partiel du risque économique des entreprises vers les salariés. Dans ce cadre, la protection sociale
assise sur la stabilité de l’emploi industriel et masculin ne fonctionne plus et conduit, du fait des
faiblesses du système de formation continue, à l’exclusion d’une partie de la population. L’idée qui
préside à l’instauration des « marchés transitionnels » (Gazier, Morin [2000]) est celle d’une
mutualisation des risques et de l’élaboration de droits individuels au moment des changements de
statuts afin de rendre souhaitables ces transitions (make transitions pay plutôt que making work pay).
Dans ce cadre, doit être défini toute une série de droits : à l’emploi, au revenu, à la formation
qualifiante, à s’arrêter de travailler pour s’occuper de ses enfants, à avoir une activité non marchande
socialement utile, etc. (Supiot [1999]). Ces droits, et leurs financements, doivent être négociés au
niveau approprié afin que l’ensemble des acteurs, en premier lieu les entreprises et les salariés,
acceptent ces nouvelles règles du jeu.

34
En conclusion
- un système de minima sociaux est justifié pour assurer la cohésion sociale
- les différentes réformes ont fait disparaître les situations dans lesquelles la reprise d’un emploi
conduit à des pertes monétaires, sauf éventuellement pour des femmes ayant des enfants en bas âge du
fait du coût de la garde d’enfant ou pour des durées du travail très courtes
- cette dernière situation peut se justifier par la volonté de ne trop dégrader les normes d’emploi
- par contre, la question de la contrepartie et du suivi individuel des allocataires de minima sociaux
n’est pas réglée
- les difficultés de sortie de RMI laissent penser que la question centrale reste celle de la faiblesse de
demande de travail peu qualifié
- il convient alors de réfléchir à l’articulation entre les évolutions probables ou souhaitables de la
demande de travail et le système de protection sociale.

35
1.4 Sélectivité du marché du travail et politiques ciblées d’aide à l’emploi :
un double objectif d’équité et d’efficacité

Depuis plusieurs décennies, et en particulier depuis la montée du chômage de masse consécutive aux
chocs pétroliers des années 1973-1979, les pouvoirs publics des différents pays européens ont mis en
place des politiques de l’emploi. Ayant pris une place importante dans la régulation du marché du
travail et mobilisant des masses financières importantes (autour de 3 % du PIB en France, dont 1,3 %
du PIB pour les mesures dites « actives »), il est intéressant d’étudier les performances sociales et
économiques de ces dépenses publiques.

Objectifs de la politique de l'emploi

La politique de l'emploi a plusieurs objectifs qui s’expriment diversement selon les dispositifs et selon
l’état du marché du travail. Les mesures dites « actives » visent à favoriser la création d'emplois
supplémentaires et le développement d'activités nouvelles utiles socialement, mais aussi une
redistribution des chances d'accès à l'emploi à volume d'emploi donné. Elles cherchent également à
améliorer les qualités de la main-d’œuvre, notamment celles des demandeurs d’emploi par les
politiques de formation ou en favorisant l’acquisition d’expérience et de capital humain informel
(formation sur le tas). Ces actions contribuent en outre à l’amélioration du fonctionnement du marché
du travail, notamment an raccourcissant les délais de mises en relations entre offreurs de travail et
demandeurs. Elles peuvent enfin parvenir à augmenter la population active ou à aider l’insertion de
certaines personnes en situation d’exclusion faute d’accès au marché du travail.

La politique de l’emploi peut de plus avoir un impact favorable sur la croissance économique, sur la
demande globale ou sur les finances publiques (Erhel, 1998), cette dimension ne sera pas évoquée ici.
On abordera principalement les mesures ciblées qui luttent contre la sélectivité du marché du travail,
en pratiquant la discrimination positive à l'égard des populations les plus vulnérables au chômage ou
moins employables12.

A cet égard, on peut classer les mesures dites « actives » de politique de l’emploi selon quatre critères
de différenciation (Freyssinet, 2001) :
1. activité socialement utile mais non rentable / baisse du coût du travail
2. ciblage sur catégorie de bénéficiaire / ciblage sur catégorie d’emploi
3. contrat de travail droit commun / contrat de travail particulier / absence de contrat de travail
4. relation du contrat aidé aux mécanismes de protection sociale / absence de relation.

Dépenses publiques pour les programmes du marché du travail en 2000


En % du PIB Allemagne Danemark Espagne États-Unis France Pays-Bas Royaume- Suède
Uni
Mesures « passives » 1,92 3,00 1,34 0,23 1,65 2,05 0,56 1,37
Mesures « actives » 1,20 1,56 0,81 0,15 1,31 1,55 0,36 1,33
Total 3,13 4,56 2,14 0,38 2,96 3,60 0,92 2,70
Source : OCDE – Perspectives de l’emploi 2002

Les mesures de politique de l’emploi répondent par ailleurs à des logiques nationales propres et
relativement distinctes. D’un côté les pays anglo-saxons n’ont guère développé ces instruments et
n’ont pas mis en place de système d’indemnisation du chômage particulièrement massif. De l’autre,
les pays du nord de l’Europe ont investi massivement le champ des dépenses dites « actives » à côté de
dispositifs d’indemnisation du chômage assez généreux. Dans cet ensemble, la France se caractérise

12
Au sens où, parmi ceux qui entrent sur le marché du travail, ces populations ont les plus faibles probabilités
d'accéder facilement et rapidement un emploi à l'emploi (Gazier, 1990).

36
comme ayant eu largement recours aux cessations anticipées d’activité comme élément de dépenses
« passives ».

Fondements de l’intervention publique d’aide à l’emploi

Les mesures ciblées sur certaines catégories de d’offreurs de travail reposent d’abord sur l’existence
de phénomènes de discrimination ou d’inégalités qu’il faut compenser. Pour les économistes, il y a
deux explications de tels phénomènes : une discrimination par goût (Becker) et une discrimination par
croyance, également appelée discrimination statistique (Arrow, Phelps). La première est considérée
comme étant irrationnelle d’un point de vue économique et ne peut donc guère être combattue par une
aide à l’emploi. La discrimination statistique, quant à elle, part du fait que certaines caractéristiques
individuelles étant inobservables pour les employeurs, ceux-ci adoptent des comportements
discriminant fondés sur des croyances sur la qualité moyenne de tel ou tel groupe de travailleur
(Cahuc, Zylberberg, 2001).
En dehors des oppositions éthiques et morales, un tel comportement des employeurs pose problème
parce qu’il perturbe le fonctionnement du marché du travail : atténuation du rôle de la productivité du
travail, déplacement de l’équilibre du marché du travail avec introduction de discontinuités à travers la
mise en place de plusieurs marchés du travail.
En outre, la discrimination peut modifier les comportements des offreurs de travail (réduction des
efforts d’investissement éducatif) ce qui tend à créer des inégalités persistantes entre groupes et peut
avoir un impact macroéconomique négatif en réduisant le niveau global d’éducation de l’économie (cf.
fiche 2.1). On attend donc aussi des mesures publiques qu'elles puissent infléchir les pratiques de
recrutement des entreprises et modifient l’ordre de la file d’attente du chômage.

Ensuite, d’un point de vue macroéconomique, les politiques de l’emploi doivent permettre
l’appariement entre les emplois disponibles et les individus à la recherche d’un emploi, dans le cadre
théorique de la courbe de Beveridge comme dans celui des modèles d’appariement (Pissarides). C’est
surtout vrai en régime de chômage classique.
Dans le cadre du modèle WS-PS (Layard et Nickell), ces politiques ont des effets attendus plus
contradictoires sur les salaires. Elles peuvent favoriser la modération salariale si elles tendent à
accroître la concurrence entre offreurs de travail. Mais elles peuvent aussi réduire les incitations à la
modération salariale si les salariés en place savent pouvoir bénéficier de solutions alternatives au
chômage et financièrement plus favorables en cas de licenciement (OCDE, 1993 ; Erhel, 1998).
Enfin, les politiques de l’emploi peuvent avoir un effet positif sur la productivité de l’économie en
contribuant à accroître la productivité des bénéficiaires via les mesures de formation, i.e. acquisition
de capital humain général ou spécifique, ou de création directe d’emplois, i.e. acquisition de capital
humain informel (Fay, 1996).

Plus récemment, la perspective des marchés transitionnels qui vise à organiser la sécurisation des
parcours et des trajectoires des offreurs de travail sur un marché du travail plus instable et plus
segmenté a placé les politiques de l’emploi au cœur de sa démarche. La régulation publique doit
assurer une certaine continuité de la relation de travail au-delà de la discontinuité des emplois
permettant aux individus, en particulier les plus fragiles, d’opérer les bonnes transitions (Gazier,
1998 ; Gautié, 2002).

Évaluation des politiques d’emploi : difficultés et limites

Compte tenu de l’importance des interventions publiques dans ce domaine, les éclairages théoriques
ne sont pas suffisants. Il est donc nécessaire de mesurer les effets de ces politiques.
Évaluer un programme d’aide à l’emploi c’est essentiellement identifier son efficacité. Pour cela, il
faut essayer d’identifier qu’elle aurait été la trajectoire de chaque bénéficiaire du programme en
l’absence du passage par ce dispositif.
Contrairement aux évaluation médicales, une telle approche individuelle, mesurant l’effet du
programme sur chaque individu bénéficiaire est impossible. Une évaluation microéconomique du

37
passage par un dispositif se limitera donc à mesurer des effets moyens. Cette tache n’en est pas moins
complexe et requiert au minimum des techniques économétriques sophistiquées, notamment en raison
des problèmes statistiques de biais de sélection13. L’utilisation de données expérimentales affectant
aléatoirement les individus bénéficiaires et les témoins dans les deux groupes, outre des problèmes
d’ordre éthique et de coût financier, ne lève pas toute possibilité de biais (Gautié, 1998 ;
Heckman, Lalonde, Smith, 1999).
Les progrès des méthodes économétriques et statistiques, la construction de données originales avec
interrogation de populations témoins permettent d’envisager des évaluations quasi expérimentales des
effets nets moyens du passage par un programme d’aide à l’emploi. Ces travaux demeurent sensibles
aux spécifications des modélisations.

Toutefois, l’évaluation de politiques d’emploi doit être multidimensionnelle, l’accès à l’emploi ne


pouvant être le seul critère d’appréciation de l’efficacité d’une politique (bien que ce soit le critère
principal). Cette dernière doit s’appuyer à la fois sur des indicateurs variés et sur des méthodes
diverses (Stankiewicz, 1995 ; Gelot, Simonin, 1997). Il faut aussi prendre en compte la mise en œuvre
des politiques, « ouvrir la boîte noire » du fonctionnement des dispositifs et s’interroger sur leur
impact systémique (une mesure de politique de l’emploi peut avoir des effets relativement faibles sur
l’emploi mais des effets très positifs sur l’accès au système de santé par exemple). Les évaluations
macroéconomiques s’avèrent très utiles pour identifier les éventuels effets de déplacement14 et prendre
en compte les dynamiques globales créées par certains dispositifs, mais elles sont aussi sources de
nombreux biais (Erhel, 1998).
Enfin, les analyses en termes d’efficience des politiques d’emploi (coût-efficacité) sont encore peu
nombreuses (Perret, 2001).

Résultats empiriques : efficacité et équité malgré certaines difficultés

Les discriminations existent sur le marché du travail, ce qui est d’ailleurs à l’origine des approches
théoriques en termes de segmentation et de dualisme (Doeringer et Piore). Dans le cas de la France
dans les dernières années, on observe en effet la persistance d’une discrimination à l’égard des
15
femmes (Meurs, Ponthieux, 1999), des difficultés plus importante pour les travailleurs étrangers
(Canaméro, Canceill, Cloarec, 2000 ; Tanay, Audirac, 2000) et pour les habitants des quartiers
défavorisés (Le Toqueux, Moreau, 2002). Les effets d’âge jouent en défaveur des jeunes (OCDE,
1996) mais aussi à l’encontre des travailleurs âgés (Brunet, Richet-Mastain, 2002).
Les chômeurs de longue durée se retrouvent également dans des situations difficiles, illustration de
phénomènes d’hystérésis (Cahuc, Zylberberg, 2001). L’allongement de la durée de la situation de
chômage tend à réduire la probabilité de retrouver un emploi et conduit à prolonger le chômage. Ce
phénomène s’observe assez nettement en France sur données empiriques mais se vérifie aussi pour de
nombreux autres pays (Machin, Manning, 1999). Bien que le chômage de longue durée soit plutôt une
conséquence de la discrimination, on a là une justification du fait que les chômeurs de longue durée
soient une cible importante des politiques de l’emploi.

La sélectivité du marché du travail paraît bien difficile à corriger, quel que soit le caractère massif du
programme mis en œuvre, notamment parce que les mesures ne parviennent que faiblement à
influencer les comportements d'embauche des entreprises (inertie des utilisateurs de mesures,

13
Les comportements d’entrée dans les dispositifs s’appuient sur des caractéristiques éventuellement
observables mais non observées ou inobservables (motivation, attachement au marché du travail…) : la simple
comparaison des bénéficiaires d’un programme avec un groupe de non bénéficiaires est source de biais, en raison
des mécanismes de sélection dans le dispositif (Heckman, Lalonde, Smith, 1999).
14
Les bénéficiaires des mesures sont particulièrement incités et aider dans leur recherche d’emploi et
restreignent ainsi la quantité des emplois offerts pour les non-bénéficiaires. De même les entreprises
subventionnées peuvent créer des emplois au détriment d’autres entreprises, non bénéficiaires des aides à
l’emploi, qui perdent des parts de marché et finissent par licencier.
15
Cette discrimination existe bien par delà les différences entre les hommes et les femmes en termes de cursus
scolaires, de carrières ou de secteurs d’activité.

38
opportunismes, clientélisme, cannibalisme…). Certaines mesures d’aide à l’emploi dans le secteur non
marchand semblent jouer un rôle de maintien aux marges du segment secondaire pour certaines
catégorie de main-d’œuvre peu qualifiée (Commissariat général du plan, 1997 ; Werquin, 1997). Par
ailleurs, si des effets de substitution se manifestent, la firme recrutant alors plus particulièrement le
public visé par la mesure, ceux-ci se produisent en faveur des individus les plus employables16
(Conseil national de l’évaluation, 2002).
Certains chercheurs sont plus affirmatifs, les aides à l’emploi contribuent à pérenniser les
comportements des entreprises, en accroissant la sélectivité du marché du travail et organisant ainsi les
trajectoires des bénéficiaires dans une espèce de circuit fermé, continuum possible d'itinéraires,
ensemble cohérent de dispositifs articulés les uns aux autres (Autès, Bresson, Delaval, Vernier, 1996 ;
Mauger, 2001).

En matière de lutte contre la sélectivité, la difficulté vient du fait que plus la cible est large, plus la
sélectivité est forte au détriment de ceux jugés les moins employables. Ainsi, dès le premier pacte pour
l'emploi (Juillet 1977), les publics initialement visés (les jeunes les moins qualifiés), ne sont pas les
plus concernés. En effet, les jeunes sans diplôme ne représentaient que 24% des contrat emploi
formation et 20% des stages pratiques en entreprises. Parmi les jeunes qui ont signé un contrat de
qualification, ceux dotés d'un diplôme de niveau Bac+2 ou plus étaient 12,3% en 1990 mais 20,2% en
1998, alors qu'à l'inverse, les jeunes sans diplôme étaient passés de 15,5% à 8,3% sur la même
période17. A l'opposé, toute mesure très ciblée, notamment sur les publics les plus défavorisés, fait
peser sur ses bénéficiaires des risques évidents de stigmatisation, car signalant une faible productivité
pour les employeurs (White, 1990). Ainsi pour Alain Supiot, “ on peut douter (…) du bien fondé des
politiques de ciblage direct de ces aides selon des critères socio-économiques. Ce ciblage contribue à
la dualisation du salariat et au développement d’emplois de seconde zone ” (Supiot, 1999, p67-68).

Car, plus largement, il faut prendre en compte le fait que l'action publique peut être productrice de
nouvelles normes dans le fonctionnement du marché du travail (Chaumette, Kerbouc’h, 1996). Par
exemple, les mesures ciblées sur les jeunes amènent soit l'exclusion des individus plus âgés, soit
conduisent les employeurs à considérer comme "atypique" le fait d'embaucher un jeune sans aide. En
effet, le flux des entrées en contrats aidés du secteur marchand (réservés aux jeunes ou non) représente
une partie non négligeable des recrutements annuels des entreprises et intervient directement dans
leurs modes de gestion de l'emploi18. On peut cependant remarquer sur les deux dernières décennies
que juridique les emplois aidés ciblés sur les jeunes ont vu leurs caractéristiques se rapprocher du
contrat de droit commun (des Travaux d’Utilité Collective aux Emplois-jeunes).

Les évaluations macroéconomiques des politiques actives de l’emploi font globalement apparaître que
celles-ci sont efficaces, tout en ayant à l’esprit que les sources de biais sont multiples. On constate en
effet que les politiques de l’emploi accroissent les flux de sorties du chômage, peuvent réduire le
chômage dans les phases descendantes du cycle économique19 et tendent à produire de la modération
salariale (OCDE, 1993 ; Fay, 1996). Même si elles peuvent parvenir à accroître le contenu en emploi
de la croissance (Lerais, 2001) ces politiques ne peuvent se substituer à long terme à des politiques
macroéconomiques de croissance (DARES, 1996).

16
Par exemple, dans le cas du CIE, les bénéficiaires du RMI ou les travailleurs handicapés, assurant pourtant une
prime plus forte à l’employeur, ont davantage de difficultés à rentrer en CIE que les chômeurs de longue durée et
ont des résultats en termes d’insertion professionnelle plus faibles (Belleville, Charpail, Klein, 2002).
17
Avec l’amélioration de la conjoncture du marché du travail, les recrutements en CQ cette tendance se réduit.
18
On a en tête ici l’influence des mesures de la politique de l’emploi sur le développement des formes
particulières d’emploi (influence très directe en ce qui concerne le travail à temps partiel). Toutefois, il faudrait
mener une investigation plus approfondie sur l’impact des contrats précaires sur les parcours professionnels (cf.
fiche 1.2).
19
Cette dimension contracyclique des politiques d’emploi est particulièrement manifeste dans l’utilisation qui est
faite par les pouvoirs publics des contrats aidés du secteur non marchand mais s’observe également pour le
secteur marchand.

39
Les aides à l’emploi ciblées tendent à améliorer les parcours des bénéficiaires, en particulier pour les
contrats du secteur marchand. En effet, les études sur les contrat initiative emploi (CIE) et les contrat
de qualification (CQ) montrent qu’à moyen terme les bénéficiaires sont dans l’ensemble dans une
meilleure situation d’emploi que les individus « témoins » non bénéficiaires aux caractéristiques
identiques, à partir d’une batterie d’indicateurs et avec correction des biais de sélection (Belleville,
Charpail, Klein, 2002). Pour les CES et les stages SIFE, les mêmes types de travaux montrent que le
passage par le dispositif s’avère positif en termes d’emploi pour certaines catégories de population
(Barailler, 1999).
Sur les dispositifs de formation, les résultats des évaluations sont moins convergents et peu stabilisés
(OCDE, 1993 ; Martin, 2000). Cela provient en partie d’une faible prise en compte des effets de long
terme, de la difficulté à repérer la formation informelle, donc parfois de modèles inadaptés
(Stankiewicz, 1995).

Les contrats aidés dans le secteur non marchand qui recrutent plutôt des chômeurs avec des difficultés
sur le marché du travail ne parviennent que modérément à être un sas vers l’emploi ordinaire (Conseil
national de l’évaluation, 2002). Ils n’en ont pas moins des effets positifs en termes d’insertion sociale,
soit, immédiatement, en procurant un revenu et une activité, soit, à moyen terme, en redonnant
confiance aux bénéficiaires sur leurs capacités à occuper un emploi (Aucouturier, 1994 ; Charpail,
Zilberman, 2002).

Les enquêtes auprès des employeurs du secteur marchand, font apparaître que les mesures ont
quelques effets sur le volume global d’emploi20 (entre 10 et 30% des emplois aidés n’auraient pas été
créés en l’absence de la mesure), mais ont surtout des effets d’aubaine (l’emploi aurait été créé sans
l’aide). L’existence d’effet d’aubaine, par ailleurs très sensible à la conjoncture, n’empêche pas que de
nombreuses entreprises bénéficiant des aides à l’emploi se trouvent dans une situation économique ou
financière plus difficile que les entreprises non utilisatrices (Belleville, Saint-Martin, 2002).
Ces mesures ciblées se caractérisent davantage par des effets substitution, qui conduisent les
employeurs à modifier le profil des individus embauchés en faveur des catégories répondant aux
critères de l’aide. Cet effet concerne entre un quart (apprentissage, CQ) et près de la moitié (CIE) des
personnes embauchés pour les aides ciblées du secteur marchand (Belleville, 2001).

Conclusion

L’évaluation des politiques d’aide à l’emploi posent quelques difficultés. Au niveau individuel, il faut
parvenir à reconstituer la trajectoire qu’auraient suivie les bénéficiaires s’ils n’étaient passés par aucun
dispositif, ce qui n’est pas immédiat, particulièrement dans le cas des programmes de formation.
Par ailleurs, dans de nombreux cas, les politiques ciblées n’échappent pas au problème épineux des
effets d’aubaine. Certains employeurs bénéficient sans doute d’aides à l’embauche alors que leur
situation économique et financière ne le justifie pas pleinement. Il faut pouvoir tenir compte de cet
effet « pervers » dans l’évaluation de ces politiques (Gautié, Gazier, Silvera, 1994).

Toutefois, la question de leur efficacité n’est pas tant de savoir si ces politiques contribuent à accroître
le niveau global de l’emploi (c’est davantage le rôle des politiques macroéconomiques, même si elles
y parviennent partiellement), mais plutôt de déterminer si elles sont susceptibles de modifier le profil
des salariés embauchés en faveur de publics en difficulté sur le marché du travail. Il semble que ce soit
le cas, au moins dans une certaine mesure.
La question du ciblage est donc particulièrement importante. Elle est cependant à double tranchant,
risquant de stigmatiser certaines catégories de demandeurs d’emploi et de renforcer la sélectivité qui
s’exerce à leur encontre (Dayan, 1995).

20
Ce qui n’exclut pas l’existence d’effet de déplacement (l’emploi créé grâce à l’aide aboutit à détruire d’autres
emplois dans d’autres entreprises), identifiable à travers une analyse macro.

40
Du point de vue de la performance sociale, on peut retenir le fait que la politique de l’emploi a des
effets positifs, en raison des créations d’emplois qu’elle provoque d’une part, mais surtout en
favorisant les changements de position dans la file d’attente pour l’accès à l’emploi pour les
populations connaissant des difficultés d’insertion professionnelle. Cet effet est d’autant plus positif
s’il existe non pas une mais plusieurs files d’attente pour l’accès à l’emploi, les mesures ciblées
parvenant dans certains cas à déplacer les bénéficiaires d’une file à l’autre, c’est à dire leur permettant
d’accéder à des emplois de qualité. C’est bien l’enjeu qui est devant la politique de l’emploi
aujourd’hui. Cependant, si les interventions publiques en matière d’emploi devaient, par exemple,
remettre en cause indirectement le modèle de protection sociale en fragilisant son financement, alors
l’impact social global de telles actions pourrait prendre une dimension plus négative (cf. introduction).

41
42
PARTIE 2
LA DIMENSION SOCIALE COMME DETERMINANT DE LA PERFORMANCE ECONOMIQUE ?

La dimension sociale intervient, par le biais du travail et des salariés, au cœur du système productif.
Peut-on considérer pour autant que le social est un déterminant de la performance économique ? Si le
capital humain, produit en partie du modèle social, est assimilé à un facteur de production, qu’en est-il
du capital social ? Par ailleurs, les entreprises réorganisent en permanence leur système de production
en vue d’améliorer leur performance et les conditions d’exercice du travail évoluent constamment.
Comment ces entreprises intègrent-elles ensuite ces évolutions dans l’évaluation de leur performance ?

2.1 Le capital humain, un atout pour la croissance et un objectif social : résoudre le problème
d’insertion sur le marché du travail
Le capital humain, résumant la qualité de la main-d’œuvre, est un pilier de la croissance économique à
long terme. La formation initiale, comme la formation continue, conditionnent son accumulation. En
termes de formation des jeunes, le système éducatif français apparaît relativement performant, malgré
un fonctionnement du marché du travail sélectif à l’égard des débutants. En revanche, l’entretien et la
valorisation des compétences des travailleurs âgés semblent beaucoup plus délicates, compte tenu du
faible niveau de formation initiale d’une grande partie des salariés des plus de 45 ans.

2.2 Indicateurs sociaux et capital social : les limites du cadre économique


Depuis le début des années quatre vingt dix l’usage du seul PIB comme indice de santé sociale est
remis en cause, notamment par le PNUD ou un certain nombre d’auteurs américains ou canadiens. Des
batteries d’indicateurs alternatifs sont proposés, dont l’utilisation plus fréquente permettrait d’avoir
une meilleure idée de l’état social de la nation. Dans la droite ligne des travaux de Putnam sur le
capital social un récent rapport de l’OCDE « Du bien-être des nations » revient sur la distinction entre
PIB et bien-être mais reste dans une conception relativement individualiste du fonctionnement de la
société. Mieux vaut sans doute préférer la notion d’ « état social de la nation » que celle de « capital
social » comme fondement de l’élaboration d’indicateurs alternatifs complétant les indicateurs
classiques.

2.3 Performance économique et travail : les conditions de travail en question


Les organisations productives se sont profondément modifiées. Il est difficile d’évaluer au niveau de
l’entreprise quelles ont été les conséquences de ces modifications sur les performances économiques,
l’apport du facteur travail étant lui-même difficile à évaluer. Les conditions d’exercice du travail se
sont dégradées et la question de l’efficacité productive de ces nouvelles organisations, souvent dites
« performantes » peut néanmoins être posée.

2.4 Investissement socialement responsable et rating social : la prise de conscience des acteurs
économiques
L’entreprise est un acteur important du tissu social. Le concept d’investissement socialement
responsable et le rating social témoignent de démarches volontaires et positives visant à intégrer des
composantes sociales dans le processus d’évaluation des entreprises à destinations des marchés
financiers. Cette démarche repose sur des considérations purement morales ou bien est intégrée dans
l’idée de pouvoir éviter des crises sociables préjudiciables à la performance économique et financière
de l’entreprise. Les critères retenus pour cette évaluation sociale de l’entreprise sont à affiner, mais la
prise en compte de ces critères témoigne, de la part des entreprises et des investisseurs, d’une prise de
conscience de l’imbrication croissante entre l’économique et le social.

43
2.5 Les aspects juridiques de la responsabilisation sociale de l’entreprise
Le point central est que l’employeur n’est pas juridiquement responsable de ses fautes de gestion à
l’égard de ses salariés, même si ces dernières conduisent à la fermeture de l’entreprise. En matière de
gestion de l’entreprise, il n’a qu’un devoir d’information vis-à-vis de ses salariés comme de ses
actionnaires et dans certains cas, un devoir de consultation à l’égard des institutions représentant le
personnel. En cas de licenciements massifs, l’employeur doit également rendre des comptes à la
collectivité nationale.

44
2.1 Le capital humain, un atout pour la croissance et un objectif social :
résoudre le problème d’insertion sur le marché du travail

Les qualités de la main-d’œuvre d’une économie sont désormais reconnues comme étant un facteur
important de sa compétitivité. Le capital humain symbolise ces qualités. On estime à l’heure actuelle
que l’acquisition de capital humain s’effectue essentiellement dans les premières années de la vie
active en prolongement de la phase de scolarisation initiale. On centrera donc ici la discussion sur les
transitions professionnelles de l’école à l’emploi sans écarter complètement la formation continue des
adultes. Quelles sont les modalités d’insertion professionnelle des jeunes en France comparativement à
d’autres pays ? Quels sont leurs résultats ? Les actifs français sont-ils suffisamment formés pour
rendre l’économie française attractive ?

Les travaux théoriques sur l’impact de la formation sur les carrières des individus

Dans les années 1950 et 1960, la théorie du capital humain est construite pour traduire l’impact de
l'amélioration de la qualité des facteurs sur la croissance et expliquer les disparités de salaires.

Le capital humain est l’ensemble des capacités productives d'un individu incluant ses aptitudes au sens
large (connaissances générales ou spécifiques, qualifications, compétences, savoir-faire, expérience...).
Il s'agit donc d'un stock que l'on peut constituer, accumuler, voire user et détruire mais qui comporte
aussi une part innée, qui conditionne plus ou moins les progressions ultérieures.
Le capital humain est inséparable de la personne de son détenteur, seuls les services rendus par ce
capital sont loués sur le marché du travail. En conséquence, si le bénéficiaire de la formation est
différent du financeur, la crainte que le bénéficiaire se sépare du financeur peut dissuader ce dernier
d’investir. C'est vrai autant pour une entreprise vis-à-vis de ses salariés que d'une économie à l’égard
de ses jeunes cerveaux.

Au niveau individuel, le rendement marginal de l’investissement éducatif est décroissant, ce qui


signifie qu’il est préférable de se consacrer intensément à la formation en début de vie et de réduire
l’investissement à mesure que la vie active s’allonge. L’investissement éducatif regroupe des coûts
directs et des coûts d'opportunité (gains auxquels on renonce lorsqu'on décide d'accumuler du capital
humain). C’est pourquoi, il tend à diminuer avec l’âge, parce que son coût d’opportunité augmente et
parce que le nombre d’années restantes pour le rentabiliser diminue mécaniquement.

L’acquisition de capital humain n’est pas réductible à la période de formation initiale, car il augmente
avec l’expérience professionnelle. En outre, il faut distinguer capital humain général et capital humain
spécifique (Becker, 1964). Le premier permet au salarié d’augmenter sa productivité marginale du
travail dans toute entreprise alors que le second n'a de valeur que dans l’entreprise où il a été acquis.
Les entreprises n’ont guère intérêt à financer le capital humain général car elles perdent leur
investissement en cas de départ du salarié (en théorie la formation générale est donc à la charge du
salarié). Le salarié n’est pas plus incité à financer l’acquisition de capital humain spécifique car il ne
pourra pas le rentabiliser dans une autre entreprise (en théorie c’est l’entreprise qui finance, avec une
rémunération à l’ancienneté qui la protège contre le départ du salarié).

En fait, chaque formation est une combinaison particulière de composante spécifique et générale
(Stevens, 1994), avec une partie transférable (utilisable dans une autre entreprise), ce qui limite les
freins à la mobilité pour le salarié mais réduit aussi les incitations à la formation pour les entreprises.
Et pourtant la formation continue générale s’avère source de productivité en développant les capacités
des salariés à s’adapter à de nouvelles situations. On a là un facteur structurel du niveau sous-optimal
de la formation générale, bien que la formation générale en entreprise ne soit pas toujours certifiée (ce
qui limite sa perception par les autres entreprises, réduit les risques de départ du salarié et conduit
certaines à accepter de la financer).

45
Toutefois, une grande partie de l’acquisition de capital humain dans l’entreprise est informelle (plus de
90% d’après certaines études américaines), liée à la formation sur le tas. En effet, elle intervient dès
les premiers mois de présence dans l’entreprise par des processus d’imitation des salariés plus
anciens(« learning by watching ») et par des processus d’essai-erreur (« learning by experience »).
Suivant leurs modalités d’organisation les entreprises adoptent donc divers modèles de diffusion des
savoirs, le plus souvent de manière informelle (Levy-Garboua, 1994).

L’accumulation de capital humain, qu’elle soit générale ou sur le tas, formelle ou informelle, est
supposée ici accroître la productivité de l’individu, celle-ci étant mesurée par le biais d’une équation
reliant le salaire à l’éducation et à l’expérience (Mincer, 1974). La théorie du signal est venue critiquer
cette approche, en posant que le salaire attaché à un diplôme donné ne serait que le reflet des aptitudes
intrinsèques d’un individu signalées à l’employeur par la réussite d’un parcours scolaire (Spence,
1973 ; Gamel, 2000). L’éducation ne servirait pas à augmenter les capacités de la main-d’œuvre mais
seulement de cadre d’évolution des comportements individuels confrontés à l’information imparfaite
régnant sur le marché du travail.

A l’opposé, les nouvelles théories de la croissance (croissance endogène), mettent l'accent dans les
années 1980 sur la production d'externalités positives pour l'ensemble de la société, à travers les
dépenses d'éducation, de recherche-développement, de santé et d'infrastructures, autant d'éléments
favorisant la croissance et l'activité du secteur privé. Cette approche repose sur le fait que le rendement
collectif de certains facteurs dépasse leur rendement privé et augmente avec leur accumulation. La
qualité des infrastructures publiques va influencer le rendement du capital privé.
Le capital humain, source d’externalités positives, joue un rôle essentiel dans l’accroissement des
qualités de la main-d’œuvre et donc sur la croissance de l’emploi. En effet, plus la population active
est formée plus les investissements en capital physique seront efficients.

Rendements de l’éducation et de l’expérience

L’existence d’une corrélation positive entre éducation et salaire est un fait empirique attesté dans la
littérature internationale, sans que l’on parvienne à l’attribuer définitivement à l’amélioration de la
productivité de l’individu formé (Temple, 2000). L’hypothèse de relation causale entre éducation et
revenu n’est pas infirmée par les travaux empiriques, malgré la complexité des relations entrant en
ligne de compte (effets d’âge, de période et de cohorte). Le rendement salarial d’une année d’étude
supplémentaire est évalué entre +6 et +10%. En outre, l’obtention du diplôme augmente fortement le
rendement de l’éducation selon les travaux sur données françaises avec toutefois des différences non
négligeables selon les diplômes (Goux et Maurin, 1994).

Il y a progression des rémunérations salariales selon l’âge, avec des profils concaves. Cependant, on
observe des écarts importants entre les qualifications. Ainsi les cadres valorisent nettement moins
l’ancienneté dans l’entreprise que les employés et les ouvriers. Cela signifie que les cadres sont
essentiellement détenteurs de capital humain transférable, alors que celui des ouvriers et employés est
beaucoup plus spécifique. Or, bien que leurs résultats ne soient pas convergents, la majorité des études
sur la question fait apparaître que le rendement de l’expérience (ancienneté) est plutôt faible.

Au moins en France et aux États-Unis, on assiste au cours des années 1980 et 1990 à une diminution
du rendement salarial des diplômes pour les jeunes générations entrants dans la vie active (Baudelot et
Establet, 1998). Elle renvoie en France aux phénomènes de déclassement à l’embauche et de
dévalorisation sociale des titres scolaires liés au relâchement des liens diplôme-qualification-salaire en
début de carrière depuis 10 ans (Gautié, Nauze-Fichet, 2000).

46
Modèles de transition professionnelle

Ces évolutions témoignent du fonctionnement du marché du travail polarisé sur une seule génération
d’actifs (avec en France parallèlement aux difficultés des jeunes, l’exclusion des travailleurs âgés par
le biais des préretraites). L’insertion professionnelle s’effectue essentiellement dans le cadre de
régulations marchandes, en particulier pour l’accès aux entreprises à marchés internes, selon des
mécanismes d’exclusion sélective (Garonna et Ryan, 1989). Le diplôme est alors un instrument de
classement dans les files d’attentes vers l’emploi. La politique de l’emploi, avec le développement des
formations en alternance en France depuis un vingtaine d’années, constitue une tentative de
s’approcher d’un modèle d’insertion réglementée à l’allemande (Verdier, 1996). Mais,
comparativement à l’Allemagne, les partenaires sociaux n’ont ni la même importance ni la même
implication dans la régulation du marché du travail. Les dispositifs publics d’emploi peinent à
contrecarrer la sélectivité du marché du travail.

Aux États-Unis, le phénomène d’exclusion sélective d’une insertion professionnelle des jeunes faisant
largement appel aux mécanismes du marché, prend place dans un cadre où la qualité du système
éducatif est très hétérogène (Buechtmann, Schupp, Soloff, 1993) : les firmes n’utilisent pas les
diplômes pour sélectionner la main-d’œuvre juvénile. En conséquence, la dégradation des conditions
salariales de l’entrée dans la vie active n’est pas liée à l’acceptation d’emplois aux statuts amoindris, et
on n’observe ni phénomène de déclassement ni de dévalorisation sociale des diplômes (Gardecki,
Neumark, 1998 ; Paulin, Riordon, 1998 ; Schrammel, 1998).
De nombreux travaux ont mis en évidence dans les années 1980 et 1990, les conséquences sociales
néfastes d’un tel fonctionnement du marché du travail, rejetant les jeunes les plus défavorisés d’un
point de vue scolaire vers la violence, le crime ou le suicide (Freeman, 1999). Il y a là, tant dans les
situations françaises qu’américaines, la manifestation d’un effet de génération (Chauvel, 1998).

Dans ce contexte plusieurs études ont souligné que les rendements sociaux de l’éducation pourraient
être supérieurs à ses rendements individuels, l’accroissement du niveau d’éducation de l’économie se
traduisant par une diminution de la criminalité et une augmentation du vote. On doit rappeler que
l’économie américaine s’est positionnée dès les années soixante sur une logique d’investissement
éducatif important (en proportion il y avait à l’époque 3 fois plus d’étudiants sur les campus
américains que dans les établissements d’enseignement supérieur français). Mais il s’agit désormais de
réduire les fortes disparités scolaires et d’ouvrir la voie à la formation en alternance (Iannozi,
Osterman, 1993).

La « première explosion scolaire » n’est intervenue en France que dans les années 1960, à travers la
massification de l’enseignement secondaire, celle de l’enseignement supérieur n’intervenant
véritablement que dans les années 1980. Depuis, la société française a su largement développer son
système de formation initiale, avec une élévation du niveau d’éducation des nouvelles générations, la
création de nouvelles filières professionnalisées et le développement des formations en alternance. La
France se situe en bonne place parmi les autres pays développés en matières de qualité du système
éducatif. Ayant poursuivi l’effort d’investissement éducatif pour l’enseignement supérieur, la France
devrait rattraper prochainement son retard sur ses principaux partenaires (OCDE, 2001).
On a pu mesurer ces dernières années que l’emploi des jeunes dépendait très fortement de la
conjoncture. Les jeunes générations sont bien dotées en « savoir-faire » et « savoir-être » utiles pour
l’avenir (capacités cognitives, utilisation des outils informatiques, capacités d’échanges
informationnels…) et semblent en position de s’adapter aux changements productifs.

47
Taux d’accès à la formation continue
(en %)
Niveau de formation initiale Ensemble Ancienneté
2 à 5 ans 6 à 9 ans 10 à 33 ans
Supérieur (I à III) 48,9 53,1 52,4 50,1
Secondaire (IV, V) 27,6 31,6 29,2 29,7
Non qualifiés (Vbis, VI) 11,3 24 18,9 15,2
Ensemble 27,7 40,1 37,6 31,2
Source : enquête Formation continue 2000, traitement MES-DARES (Gélot, Minni, 2002)

Pour les salariés plus âgés, en grande partie peu qualifiés (40% des 45 ans et plus n’ont aucun
diplôme, les 2/3 possèdent au plus un diplôme de niveau V (CAP, BEP)), les perspectives apparaissent
plus difficiles. D’une part en raison du fonctionnement inégalitaire du système de formation continue
(Gélot, Minni, 2002) : la formation bénéficie davantage à ceux qui sont les plus formés (phénomène
commun à la plupart des pays développés), alors que la France y consacre pourtant des masses
financières importantes, parmi les plus élevées en Europe. Ces salariés subissent en outre les
insuffisances des systèmes de validation des acquis professionnels pour parvenir à valoriser le capital
humain acquis dans une entreprise. Il y a là une responsabilité des entreprises mais aussi des salariés
qui sous-estiment largement leurs besoins en formation. Leur longue expérience professionnelle ne
leur est guère alors utile pour faire face aux mobilités professionnelles subies, qui apparaissent
d’autant plus traumatisantes.

Dans le cadre du régime de croissance fordiste, s’appuyant dans les entreprises françaises sur
l’existence de marchés internes, ces derniers constituaient la modalité de prise en compte de cette
accumulation informelle de capital humain. Avec leur déstabilisation à partir des années 1980, les
subventions implicites entre salariés et entre générations ont été remises en cause, sans construction de
modalité alternative de validation et de valorisation du capital humain pour de nombreux salariés
(Gautié, 2002). Cette transformation intervient alors que l’horizon temporel des relations d’emploi
s’est raccourci, ce qui rend les formations longues plus coûteuses et plus risquées (Germe, 2001).
L’essor de l’individualisation de la gestion des compétences n’est pas propice à une amélioration de la
formation continue de ces travailleurs.
Cette situation amplifie l’effet néfaste des ajustements économiques et peut avoir à terme des
conséquences négatives sur la compétitivité. Pendant deux décennies cette faiblesse de qualification de
la main-d’œuvre âgée a été « gérée » par les politiques de retraits du marché du travail (Marchand,
Salzberg, 1996). L’essor de la validation des acquis passe par une reconfiguration des dimensions
microéconomiques et macroéconomiques des relations d’emploi (introduction dans les conventions
collectives, mises en œuvre de promotions par les entreprises…).

Conclusion

Un haut niveau d’éducation d’une société, et en particulier de sa population active, est un facteur
reconnu de croissance et de compétitivité, car symbole d’une productivité élevée de la main-d’œuvre.
Sur ce plan, en ce qui concerne sa jeunesse, la France est bien positionnée à l’échelle des pays
développés.
Les modalités d’entrée des jeunes dans la vie active sont certes marquées par des mécanismes
d’exclusion des moins qualifiés, rendant cette transition difficile. Les politiques publiques doivent
encore construire des programmes adaptés pour réduire l’échec scolaire et favoriser l’accès durable à
l’emploi des jeunes peu qualifiés. Car les difficultés professionnelles de ces populations sont sources
de problèmes sociaux non négligeables. Pour le reste, comparativement à d’autres pays où le
fonctionnement du marché du travail est moins est moins défavorable aux jeunes, on n’observe pas de
différences notables en termes d’impact social et d’attractivité économique. En effet, sur ce point, la
conjoncture économique d’ensemble et les transformations du système productif pèsent davantage que
les institutions de la relation formation-emploi.

48
La théorie du capital humain dans ses différentes variantes et ses différentes évaluations empiriques ne
sont guère favorables au développement de la formation continue des adultes, notamment pour la
formation transférable. Les perspectives sont plus sombres pour les plus de 45 ans, ces salariés étant
faiblement dotés en capital humain général et les entreprises n’étant pas incitées en l’état actuel des
dispositifs de formation continue à entreprendre des actions de formation. Ce point est d’autant plus
important dans le contexte de vieillissement, car les pouvoirs publics souhaitant mettre fin aux
politiques de préretraites, les risques d’exclusions sociales de ces populations sont accrus. Cela
entraînerait des coûts sociaux potentiellement pénalisants pour l’économie et freinerait ses
perspectives de compétitivité. Une réforme des dispositifs de formation continue pour augmenter le
capital humain transférable de ces salariés apparaît devoir passer par une implication forte des
partenaires sociaux.

Graphique 1
Dépenses d'éducation (formation initiale) en 1997 (en % du PIB)

Japon 4,8

Italie 4,9

Pays-Bas 5,1

Espagne 5,8

Allemagne 5,9

Moyenne OCDE 6,1

France 6,4

Finlande 6,9

Etats-Unis 7,1

Danemark 8,2

Suède 8,5

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9

Source : OCDE/CERI

49
Graphique 2
Espérance de scolarisation pour un enfant de 5 ans en 1998 (en année)
Royaume-Uni 14,2 2,9

Etats-Unis 14,9 1,9

Grèce 15,4 0,2 Temps plein


Canada 15,4 1,3 temps partiel

Italie 15,5 0,1

Pays-Bas 16,4 0,8

France 16,6 0

Espagne 16,7 0,6

Allemagne 16,8 0,1

Danemark 17,5

0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20

Source : OCDE/CERI

Graphique 3
Taux de scolarisation des jeunes âgés de 20 ans en 1998 (en %)

Danemark 10 30

Allemagne 15 33

Italie 30 7

Pays-Bas 30 27
Supérieur
Canada 32 10
Secondaire & post-
Royaume-Uni 33 10 secondaire

Espagne 34 20

Etats-Unis 40 4

France 43 14

0 10 20 30 40 50 60

Source : OCDE/CERI

50
2.2 Indicateurs sociaux et capital social : les limites du cadre économique

La notion de capital social est entrée très récemment dans le débat public : véritablement développée par
Putnam en 1995 puis 2000, la notion est reprise par l’OCDE dans son rapport sur le bien-être des nations.
Il s’agit pour ce rapport de mettre en évidence que le capital humain et le capital social sont des facteurs
importants à prendre en compte dans les analyses, non seulement parce qu’ils contribuent à la croissance
économique (notamment dans une « société du savoir ») mais aussi parce qu’ils sont des éléments
essentiels du bien-être, objectif du développement des sociétés développées au même titre que la
croissance économique. Néanmoins, la notion de capital social mobilisée dans ce rapport (celle de
Putnam) reste relativement limitée, et ne permet donc pas d’aller plus loin dans une réflexion qui
prendrait en compte le capital social comme patrimoine de la société à faire fructifier. Dans cette mesure
mieux vaut sans doute reprendre une notion voisine, développée par les américains et les canadiens
(Miringoff et Osberg et Sharpe) : celle d’état social de la nation.

1. Développement du concept de capital social aux États-Unis par Putnam

Le concept est utilisé pour la première fois par Bourdieu en 198021 pour faire référence à un des types de
ressources dont disposent les individus et/ou les groupes sociaux : les groupes sociaux, pour accroître ou
conserver leur position à l'intérieur de la hiérarchie sociale et bénéficier de privilèges matériels et
symboliques qui y sont attachés, mobilisent en effet, selon ces analyses, trois types de ressources : le
capital économique, le capital culturel et le capital social. Celui-ci regroupe les relations et les réseaux
d'entraide qui peuvent être mobilisés à des fins socialement utiles. Dans ce contexte, le « capital social »
apparaît comme propriété de l’individu et d’un groupe, à la fois stock et base d’un processus
d’accumulation qui permettra aux individus bien dotés au départ de mieux se situer dans la compétition
sociale. Le capital social renvoie aux ressources qui découlent de la participation à des réseaux de
relations qui sont plus ou moins institutionnalisés.
C’est dans un sens légèrement différent que Coleman développe le concept dans les années 8022 , mais
c’est surtout avec les travaux de Putnam que le concept va être médiatisé et connaître un véritable essor,
comme les travaux d’Antoine Bevort l’ont mis en évidence23 : en janvier 1995 Robert Putnam publie un
article intitulé Bowling alone dans le "Journal of democracy". Sa thèse est qu’on assiste aux États-Unis à
un déclin du capital social, un recul de l'engagement civique qui compromet la vie démocratique. Dans les
années 1950 et 60, grâce à la génération civique de la deuxième guerre mondiale, on a assisté aux États-
Unis à l'apogée de la vie associative, de la démocratie participative, qui ensuite va connaître un déclin
prononcé. Cette évolution s'explique par les transformations du capital social. " L'idée centrale de la
théorie du capital social c'est que les réseaux sociaux ont de la valeur ". " Le capital social se rapporte aux
relations entre individus, aux réseaux sociaux et aux normes de réciprocité et de confiance qui en
émergent ". La notion est étroitement liée à celle de vertu civique, mais Putnam note que la vertu civique
est d'autant plus efficace qu'elle est insérée dans un dense réseau de relations sociales qui génèrent la
confiance et la réciprocité généralisée. Robert Putnam redéfinit les dimensions individuelle et collective,
privée et publique de la notion de capital social. Les relations sociales supportent les règles de la vie
sociales en produisant du capital social qui profite aux individus, mais qui a aussi des externalités qui
affectent la communauté. Le capital social peut donc être simultanément un "bien privé " et un "bien
public". Les réseaux sociaux reposent sur des obligations mutuelles, ils ne sont pas simplement des

21
P. Bourdieu, « Le capital social: notes provisoires », Actes de recherches de sciences sociales, Vol. 31, 1980,
p. 2-3
22
Coleman J.S., 1988, "Social Capital in the Creation of Human Capital", in Knowledge and Social Capital,
Lesser E. (ed.), University of Chicago Press, Chicago.
23
Sur toutes ces analyses, voir A. Bevort, Revue française de Science politique, n°2, 1997 et
intervention à la "journée académique des acteurs des réseaux d'éducation prioritaire, IUFM
de Mont-Saint-Aignan, Académie de Rouen, journée du 21 mars 2001"

51
contacts. Ils produisent une réciprocité spécifique et, surtout, une réciprocité générale. Selon Putnam,
"Une société caractérisée par la réciprocité généralisée est plus efficiente qu'une société méfiante de la
même façon que la monnaie est plus efficiente que le troc".
Pour Putnam, le constat du déclin social, dont les sondages indiquent qu'il est partagé et regretté par de
nombreux Américains, ne revient pas à cultiver la nostalgie du passé. Les États-Unis ont déjà connu
des hauts et des bas dans l'engagement civique. Il s'agit d'abord d'établir fermement la réalité du
phénomène, les tendances au déclin dans l'engagement civique et le capital social, ce qui fait l'objet de
la première partie. Il s'interroge ensuite dans la deuxième partie sur les causes de cette évolution avant
d'examiner dans la troisième partie le sens profond et les conséquences du phénomène. Dans la
dernière partie, il se demande ce qui peut être fait.
Concrètement, pour mesurer le capital social, plusieurs aspects de la vie sociale doivent être pris en
compte : la vitalité des structures associatives (en terme de nombre d’adhésions et d’activités), les
comportements (participation électorale, loisirs collectifs…) et les attitudes (la confiance dans ses
concitoyens et dans les institutions, face à diverses situations). Le tableau 1 fournit la liste des
composants de l’indice synthétique calculé par Putnam ainsi que leur corrélation avec cet indice (sur la
base des valeurs observées pour les États américains).

2. reprise du concept de capital social dans le rapport de l’OCDE : le bien-être des nations (2001)

Cette analyse a suscité nombre de débats aux États-Unis et dans beaucoup d’autres pays. Très vite, la
notion de capital social va être reprise dans les travaux de l’OCDE : en 2001, cette dernière rend en
effet public un rapport intitulé « Le capital humain et social dans un processus de croissance et de
développement durable. Réconcilier nouvelles économies et nouvelles sociétés, le rôle du capital
humain et du capital social » . Les références majeures du rapport sont Coleman, Putman et
Fukuyama. Une petite partie du rapport est consacrée au capital social : le capital social est différent
du capital humain (individuel) ; matériel ; naturel. Il n’est pas la propriété d’individus mais réside dans
les relations. « Le capital social, qui couvre les différents aspects de la vie sociale – réseaux, normes et
relations – est ce qui permet aux gens d’agir ensemble, de créer des synergies et de forger des
partenariats ». « Le capital social est le ciment qui lie les communautés, les organisations, les
entreprises et les différents groupes sociaux et éthiques ». Donc le capital social est défini comme
suit : « les réseaux et les normes, valeurs et convictions communes qui facilitent la coopération au sein
de groupes ou entre eux ».

La mesure du capital, souligne le rapport, est problématique. La plupart des mesures sont centrées sur
les niveaux de confiance interpersonnelle et les niveaux d’engagement ou d’interaction dans des
activités sociales ou de conseils. Elles sont en général fondées sur un indice composite dont les
éléments sont : l’intensité d’implication dans la communauté, l’engagement public, le bénévolat, la
sociabilité informelle. On peut retenir comme source du capital social : la famille, l’école, la
communauté locale, l’entreprise, la société civile ; le secteur public, la politique à l’égard des
femmes ; l’appartenance ethnique.

Le rapport s’intéresse aux « effets » ou à l’impact du capital social d’un double point de vue : impact
sur le bien-être et impact sur le bien-être économique. En ce qui concerne le premier point, le rapport
relève que « l’impact positif le plus évident concerne la qualité de vie des individus, y compris leur
santé et leur bien être général (sur le bien-être des enfants, le passage à la vie adulte, la délinquance, la
satisfaction personnelle) ». En ce qui concerne le second point, le rapport remarque que « la confiance
est un ingrédient qui facilite la productivité ; la recherche d’emploi et la promotion sociale, la
croissance macro-économique (...) Concernant ce dernier point des études ont montré qu’à long terme
les pays ont une production par habitant supérieure s’ils ont beaucoup investi dans le capital matériel
et humain et que ces investissements sont associés à un haut niveau de « l’infrastructure sociale ».(…)
L’engagement civique a également un effet positif sur la croissance économique.

52
Les bénéfices que l’on peut tirer du capital social vont donc bien au-delà des effets positifs qu’il peut
avoir sur la productivité ou le revenu. Conjugué à celui du capital humain, son impact sur le bien-être
aussi bien individuel que sociétal peut être important, sinon plus que celui de la productivité
économique. Les propositions du rapport sont aussi floues que la définition et la possible mesure du
capital social : autant le rapport indique comment on peut développer des politiques publiques
promouvant le capital humain autant les actions à développer pour augmenter le capital social sont
jugées complexes.

3. Critique de cette définition du capital social

Par rapport à la définition de Bourdieu, où le capital social est une quasi-propriété de l’individu ou du
moins peut être rapporté à un individu donné, la définition américaine (Coleman, Putnam, Fukuyama)
semble de prime abord plus « collective ». Malgré tout, cette définition reste vague : s’agit-il d’une
propriété d’un ensemble d’individus, des relations sociales, ce concept est-il plutôt public, plutôt
privé ? Il suffit de voir les utilisations diversifiées qui sont faites du concept pour se rendre compte de
l’absence de stabilité (et du peu de rigueur) de la définition : ainsi Maurice Levesque et Deena White
écrivent-ils par exemple que «Le capital social est défini comme les ressources qui sont
potentiellement rendues accessibles par la participation à des réseaux sociaux », en en faisant ainsi une
propriété des individus ou des groupes d’individus.

Propriété de l’individu, caractéristique des relations sociales ? A quoi se rapport cette notion de capital
social, à quel socle, à quel substrat le rapporter ? Car, l’autre question est bien celle-ci : pourquoi
utiliser ce terme de « capital » : capital signifie en général une richesse, un fonds, un stock (de terres,
de biens mobiliers ou immobiliers, d’outillages…) qui servent à la production et dont on peut tirer des
revenus. Le capital physique de la théorie économique est un stock de biens ; le capital humain est
aussi un « stock » de compétences, qualités, aptitudes. Quel est le substrat et le périmètre du capital
social de la théorie américaine, de quoi est-il constitué ? D’après les définitions données par les
théoriciens américains, le capital social, est peut-être un stock, mais alors un stock de relations, de
valeurs, d’aptitudes qui est certainement collectif en ceci qu’il est partagé par l’ensemble d’une
société, et dont ce qui importe est la variation d’intensité : l’accroissement du capital social ce serait
alors l’approfondissement des liens, leur multiplication, leur intensité, l’actualisation de tous les liens
potentiels, des réseaux… Cette question du substrat peut sembler anodine mais elle est centrale : car,
ou bien il s’agit du réseau social de l’individu, de la solidité de son(es) appartenance(s) et le but de
politiques visant à développer ce capital social sera de maximiser les possibilités qu’ont les individus
de rentrer dans des réseaux différents et de multiplier en quelque sorte leurs sphères d’appartenance
(alors il faut renforcer les réseaux, augmenter, comme l’écrit l’OCDE, l’intensité et la force du lien
familial, du lien de quartier, du lien avec l’école…) ou bien il s’agit d’autre chose.

Pourquoi le « capital social » c’est-à-dire le stock de richesses détenues par un collectif se résumerait-
il à la densité des réseaux tissés entre ses membres et au degré de partage des normes et des
croyances… ??? Pourquoi ne pourrait-on pas développer une approche plus « patrimoniale », en
prenant l’expression de capital social à la lettre c’est-à-dire le stock de « richesses » détenu par une
société, constitué tout à la fois des « actifs » individuels, matériels et immatériels, de l’intensité des
relations nouées entre ces membres et des capacités, productions, actifs…du collectif formé par ceux-
ci. Autrement dit, ce capital social serait également constitué de l’état de santé global d’une société (le
niveau de soins qu’elle peut dispenser à ses membres), du degré de liberté de ses membres, de l’état
des inégalités, du stock global d’éducation, des productions culturelles et artistiques, du capital
écologique… Certes, on sait bien les redoutables problèmes que poserait une telle définition et
qu’énonçait déjà Malthus : il faudrait disposer d’un « inventaire » de toutes ces richesses, avec le
double problème de l’unité de mesure (comment mesurer l’état de santé global, la qualité des relations
sociales, des conditions de travail, des inégalités… et à quelle unité générale les ramener ?) et de la
comparabilité et de la possible agrégation des préférences individuelles ? C’est par exemple au nom de
l’impossibilité d’un tel raisonnement (et d’une manière plus générale au nom de l’interdiction

53
d’agréger les préférences individuelles) qu’Oleg Arkipoff, comptable national, avait donné un coup
d’arrêt aux diverses tentatives de mesure du bien-être initiées en France dans les années soixante-dix24.

On sait qu’un certain nombre de solutions, philosophiques et techniques, ont été apportées à ces deux
problèmes : on peut, pour résoudre le second problème et en suivant Sen, considérer qu’il est possible
d’agréger les préférences individuelles ou de se placer d’un point de vue où on peut parler d’un bien
commun ou d’un bien collectif (nulle besoin d’une dictature pour trouver une procédure au terme de
laquelle des individus s’entendent pour considérer que certaines choses contribuent au bien collectif
ou sont « bonnes »). On peut, pour résoudre le problème de la mesure avoir recours à des indicateurs
d’intensité qui, sur un certain nombre de domaines, explicitent les progrès ou les reculs : égalité
hommes/femmes ; libertés publiques ; délinquance ; accès aux soins ; qualité de l’air ; état du
patrimoine naturel… comme l’a proposé le PNUD.

En fait, Putnam s’est arrêté aux réflexions tocqueviliennes : on se souvient que dans De la Démocratie
en Amérique, Tocqueville s’attarde longuement sur « l’usage que les américains font de l’association
dans la vie civile » et écrit notamment : « parmi les lois qui régissent les sociétés humaines, il y en a
une qui semble plus précise et plus claire que toutes les autres. Pour que les hommes restent civilisés
ou le deviennent, il faut que parmi eux l’art de s’associer se développe et se perfectionne dans le
même rapport que l’égalité des conditions s’accroît ». C’est l’idée que ce qui importe le plus, pour les
sociétés démocratiques – et pour que ce caractère persiste – c’est la force des liens, le partage des
valeurs, la confiance…Le reste doit s’ensuivre.

L’intérêt d’aller plus loin, et donc de dépasser cette définition du capital social comme qualité des
réseaux et des liens entre les individus, ce serait de converger avec les réflexions actuellement en
cours sur le développement humain et le développement durable. Il faut en effet pour cela sauter un
pas que ne franchit pas Putnam : considérer la société, la nation, le pays donné comme un « tout », un
collectif qui a aussi un bien propre. C’est l’idée, autrement dit, que la société elle-même dispose d’un
certain nombre de ressources, de capitaux, de biens dont la progression, l’amélioration, l’accumulation
et la qualité (ou inversement la dégradation, la diminution…) peuvent être aussi mesurées.

Telle est par exemple la démarche suivie par Sen, par le PNUD ou encore par les Miringoff. On
rappelle que depuis 1990, le PNUD propose de prendre en considération, outre le revenu, l’espérance
de vie et le niveau d’instruction dans son « indicateur de développement humain » (IDH). Trois autres
indicateurs permettent de décliner l’IDH par sexe, un autre indicateur mesure l’égalité entre les sexes
sur le plan de la participation et de la prise de décision (IPF) et un troisième mesure la pauvreté dans
les pays riches (parmi 17 pays considérés, la Suède et le Canada présentent les meilleurs taux. Par
ailleurs, le rapport analyse un certain nombre de domaines pour mesurer les évolutions : santé,
logement, éducation, revenu, scolarisation des femmes, participation à la vie politique… Certes, ces
indicateurs présentent des limites : il n’est pas du tout évident qu’il faille un indicateur synthétique, les
pondérations sont arbitraires, les domaines ne son sans doute pas assez nombreux… mais ils
permettent de comparer les « performances sociales » des différents pays, développés et en voie de
développement.

Dans « The social healh of the nation – How America is really doing ? », les Miringoff reviennent, eux
aussi, sur cette idée de « considérer la société comme un tout », c’est-à-dire un ensemble d’individus,
de capitaux (naturel, humain, physique, écologique, de santé…), de richesse et de ressources dont les
états successifs doivent pouvoir être aussi précisément suivis, analysés et mesurés que les évolutions
du PIB. A la suite de Sen et du PNUD, les Miringoff reviennent en effet sur la différence de traitement
qui existe entre les évolutions économiques, quotidiennement scrutées à partir de nombreux
indicateurs, au premier titre desquels le PIB et les évolutions sociales (santé, éducation, logement,
criminalité, suicide, égalité hommes/femmes, violences, abus sexuels des enfants, temps passé avec les
enfants….qui en disent tout autant sur l’état global de la société et son bien-être que les évolutions du
PIB.

24
voir D. Méda, Panique chez les comptables nationaux in Qu’est-ce que la richesse ?

54
Nous nous sommes focalisés sur les évolutions économiques et surtout sur celles du PIB, comme s’il y
avait une correspondance évidente voire un lien de causalité entre les évolutions du PIB et celles de la
société tout entière, celles du bien-être social. Or, les Miringoff, à partir des résultats des différents
rapports du PNUD mais aussi de leur propre Index of social health, mettent en évidence que si les
deux courbes ont en effet convergé jusqu’au début des années soixante dix, elles ont ensuite adopté
des tendances exactement contraires, le PIB continuant d’augmenter et l’index social se dégradant très
rapidement. C’est bien la preuve empirique, s’il en fallait une qu’il n’y a pas nécessairement de
rapport entre évolution du PIB et évolution globale du bien-être, pas plus qu’entre PIB et bien-être -
point de vue que l’OCDE elle-même acceptait dans son dernier rapport de 2001 sur le bien-être des
nations.

Dès lors, il s’agit non seulement de construire des indicateurs adéquats, c’est-à-dire de choisir
ensemble des domaines, des états ou des types de ressources qui disent quelque chose sur la vie de la
société et de trouver les bons indicateurs, mais également de mettre e œuvre les moyens de suivre les
évolutions de ces indicateurs de manière aussi régulière que sont suivies les évolutions économiques et
financières, et de comparer ces évolutions dans le temps et entre les différents pays. A cette fin, les
Miringoff propose que soit enrichi leur Index of social Health, qui comporte 16 indicateurs, chacun de
ces indicateurs étant décliné par région, âge, nationalité…

On voit bien comment cette manière de s’interroger sur les évolutions de la société considérée comme un
tout sont proches des considérations qui raisonnent en termes de « développement humain » ou
développement durable : il s’agit bien dans tous les cas d’accepter de considérer la société comme un
tout, dont le bien-être est constitué non seulement des bien-être individuels ou de la qualité des relations
que ses membres entretiennent mais aussi de biens communs (la santé, le niveau d’éducation, la paix,
l’absence de violence, les inégalités, le patrimoine écologique, la qualité de l’air, la sécurité…) dont les
évolutions doivent être mesurées : « Le développement humain et les politiques associées visent à
accroître la capacité des individus à mieux "fonctionner", c’est à dire à vivre mieux et ainsi à s’épanouir
(Sen, 1987, 1993). Dans cette optique : " Les individus sont la véritable richesse d’une nation. Le
développement doit donc être un processus qui conduit à l'élargissement des possibilités offertes à
chacun. Il a pour objectif fondamental de créer un environnement qui offre aux populations la possibilité
de vivre longtemps, et en bonne santé, d’acquérir les connaissances qui les aideront dans leur choix et
d'avoir accès aux ressources leur assurant un niveau de vie décent " (PNUD, 1990). Le concept de
développement durable est apparu, au sein de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature,
dans les années 1980. Il correspondait à une double prise de conscience : que le stock de ressources
naturelles disponibles était limité et que les processus de développement induisaient des externalités
négatives (déchets, pollution, bruit, etc.). Ces deux aspects pouvaient remettre en cause, à terme, la durée
de la croissance et la poursuite du développement.

Il fallait repenser le développement en tenant compte de ces deux contraintes et gérer de façon correcte
les interactions entre l’économie et l’environnement afin de répondre aux besoins actuels des populations,
sans pour autant sacrifier ceux des générations futures. Le rapport Brundtland intitulé "Notre avenir à
tous" (CMED, 1989) popularise ce concept, à partir de 1987, en présentant le développement durable
comme un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des
générations futures à répondre aux leurs. De façon générale, on peut dire qu’un développement humain
devient durable lorsqu’il vise à l’améliorer le bien-être des personnes présentes, comme des générations
futures, en protégeant et accroissant le stock de capital disponible sous ses différentes formes : capital
physique (terrains, équipements), capital financier (épargne, crédit), capital naturel (ressources de
l’environnement), capital humain (éducation, santé, etc.) et capital social (relations sociales), etc. Cette
définition intègre les aspects de protection des identités (aspect culturel), de renforcement du pouvoir
(aspect politique), de normes (aspect éthique). L’amélioration du bien-être implique une accessibilité à
toutes sortes de biens et services marchands ou pas. Quant au stock de capital, il entre dans
l’accroissement des potentialités individuelles comme sociales.

55
En conclusion : des travaux de grande qualité ont été développés depuis une dizaine d’années au Canada
et aux États-Unis sur ce sujet des nouveaux indicateurs de richesse et de développement : le capital social
aurait pu, comme la notion de capital humain, constituer un outil intéressant pour fonder une approche
plus patrimoniale de la richesse. Mais la notion a été en quelque sorte « préemptée » et il est difficile de
changer aujourd’hui son sens. Sans doute, pour atteindre le même objectif, faut-il lui préférer aujourd’hui
celle d’ « état social de la nation » sur laquelle s’appuient d’ailleurs la plupart des travaux récents et
élaborer pour suivre les évolutions de cet état social un Index de la santé sociale, un tableau de l’état
social de la nation dont les évolutions seraient suivies, comme le réclamaient les Miringoff, avec autant
d’attention que celles du PIB.

Indicateur synthétique de Putnam

Measuring social capital in the American States

Components of comprehensive Social Capital Index Correlation


with index
Measures of community organizational life
- Served on committee of local organization in last year (%) 0.88
- Served as officer of some club or organization 0.83
- Civic and social organizations per 1.000 p. 0.78
- Mean number of club meetings attended in last year 0.78
- Mean number of group membership 0.74

Measures of engagement in public affairs


- Turnout in presidential elections 1988 and 1992 0.84
- Attended public meeting on town or school affairs in last year 0.77

Measures of community volunteerism


- Number of nonprofit organizations per 1000 p. 0.82
- Mean number of times worked on community project last year 0.65
- Mean number of times did volunteer work in last year 0.66

Measures of informal sociability


- Agree that « I spend a lot of time visiting friends » 0.73
- Mean number of times entertained at home last year 0.67

Measures of social trust


- Agree that « Most people can be trusted » 0.92
- Agree that « Most people are honest » 0.84

Putnam, Op. cit. p. 291

56
Indicateurs of social Health des Miringoff

- mortalité infantile
- pauvreté des plus de soixante cinq ans
- espérance de vie à 65 ans
- personnes qui n’ont pas fini l’école (High School dropouts) et permet de construire un
indice de performance national à partir des indicateurs sur la qualité de vie, les abus sexuels
sur les enfants, le suicide, l’usage de la drogue, les salaires, la pauvreté, les inégalités… ?
- abus sexuels sur les enfants
- pauvreté des enfants
- suicide des jeunes
- couverture sociale
- salaires
- inégalités
- crimes violents
- usage des drogues chez les jeunes
- teenage births ?
- accidents dus à l’alcool
- chômage

57
2.3 Performance économique et travail : les conditions de travail en
question

Les conditions d’exercice du travail et son organisation sont de façon évidente un enjeu social dont les
coûts au niveau de l’entreprise (absentéisme, conflits sociaux) et au niveau collectif (coûts sanitaires
et sociaux) sont relativement mesurables. Mais elles sont aussi un déterminant de la performance
économique d’une entreprise. Cette dernière relation est l’objet même des techniques managériales et
elle apparaît dans les modèles économiques à travers le concept d’incitations. Elle est cependant très
difficile à établir tant l’apport du facteur travail est difficile à évaluer. L’objet de cette fiche est de
rappeler le caractère central de cette relation qui, parce qu’elle est difficile à établir à travers des
indicateurs simples, est souvent oubliée dans le débat sur la compétitivité économique et sociale. Cette
question ne peut être en effet traitée par des modèles économiques qui n’intègrent pas l’entreprise, son
organisation et l’organisation du travail dans l’analyse ou bien le réduisent à un système d’incitations.
Une démarche pluridisciplinaire économique et sociologique est nécessaire pour comprendre les liens
entre travail et performance. Un certain nombre de courants de recherches (socio-économie, économie
institutionnaliste) s’attachent à ce projet en remettant l’entreprise, son organisation et l’évolution du
contenu du travail et de ses conditions d’exercice au centre de l’analyse économique des
performances.

L’organisation productive des entreprises a été profondément transformée au cours des années 80-90 :
de façon tendancielle, le mouvement semble notamment marqué par plus de flexibilité et de
décentralisation des organisations. Pour les salariés, ce mouvement se serait traduit, également de
façon tendancielle, par une autonomie et une implication croissante. Les enquêtes statistiques sur les
conditions de travail et les travaux monographiques montrent que cette implication se réalise au prix
d’une intensification du travail des salariés, et d’une insatisfaction croissante au travail. Sur ces
questions, on se référera en particulier aux travaux de psychopathologie du travail d’une part (voir
Dejours, 1998, sur les stratégies de défense des salariés et la souffrance au travail et Clot, 2000, sur
les effets de la sollicitation de la subjectivité du salarié) et d’autre part aux travaux statistiques menés
depuis 20 ans sur les conditions de travail (parmi une bibliographie abondante, voir en particulier,
Gollac, Volkoff, 1996). Ce renforcement des exigences en termes de performances individuelles
s’accompagne d’une précarité croissante des trajectoires individuelles et d’une dégradation du lien
salarial. Parmi les nombreux travaux sur ces questions, on citera deux ouvrages de référence (Castel,
1995 et Supiot 1999), une bibliographie commentée (Le Dantec et al, 1997) et le dossier du n. 89 de
Travail et Emploi (2002) sur les emplois flexibles. Cette présentation rapide ne rend compte, ni de la
diversité des formes organisationnelles, ni de celle des situations de travail et d’emploi, il n’en reste
pas moins que ces résultats posent la question des liens entre performance des entreprises et
dégradation des conditions d’exercice du travail.

Observer les conditions d’exercice du travail, en faisant l’hypothèse qu’il n’est pas seulement un
enjeu social mais un enjeu économique permet de questionner l’efficacité des stratégies et pratiques
des entreprises à travers leurs effets concrets.

Par exemple :

• Le travail entre autonomie et contrainte, des situations contradictoires dont on peut douter de
l’efficience productive.

Les enquêtes sur les conditions de travail menées depuis la fin des années 70 montrent que les
situations de travail sont à la fois caractérisées par plus d’autonomie induite par la décentralisation des
organisations et le management par projets et plus de contraintes liées notamment à la pénétration des
exigences de la clientèle au cœur de la production. Aux anciennes contraintes qui subsistent ou
progressent - travail à la chaîne et travail répétitif (Bué, Rougerie, 1999) déplacement de charges

58
lourdes (Cézard, Hamon-Cholet, 1999a) - s’ajoutent les pressions nouvelles liées à la demande et au
rythme (augmentation de la charge mentale, Cézard, Hamon-Cholet 1999b). Outre les conséquences
de ces évolutions en termes d’intensification et d’accroissement des risques pour la santé (Boisard et
al. 2001) ou des accidents (Bouvet et Yahou, 2001), le salarié serait de plus en plus souvent soumis à
des injonctions contradictoires qui le placent dans une situation d’anomie et perturbent sa capacité de
réponse à la demande. La pression de la demande qui gagne l’ensemble des organisations productives
tend à faire de la relation à la clientèle et des exigences pour la satisfaire une dimension essentielle du
travail. Or les travaux sur la relation de service montrent que cette relation au client est traversée par
des exigences contradictoires : adapter la réponse à la spécificité de la demande de chaque client dans
des délais de plus en plus courts et dans le cadre de prescriptions de plus en plus contraignantes (voir
par exemple Alonzo,1998 ; Demailly, 1998 ; du Tertre, 1995.

• Précarité et coordination dans les organisations.

Depuis les années 80, les formes d’emploi qualifiées d’ « atypiques », le CCD et le travail temporaire,
se sont fortement développées. De nombreux travaux ont montré qu’il faut se garder d’une
assimilation trop rapide entre ces statuts et les situations de précarité, les formes flexibles d’emploi
étant d’une diversité croissante, y compris sous CDI et notamment pour les emplois à temps partiel
(Billiard et al, 1999) Le recours à ces formes flexibles permettrait de faire d’une partie de la main-
d’œuvre une variable d’ajustement, de peser sur les salaires, d’éviter différents coûts liés aux
recrutements et aux licenciements, de procéder à des présélections sans risque. La réintroduction de
questionnements sur l’organisation de l’entreprise et du travail interroge le recours aux formes
d’emploi flexibles. Comment concilier une politique de flexibilité externe avec les exigences
croissantes de coordination dans les organisations. La qualité de la coordination repose sur la capacité
à capitaliser et à transmettre des expériences individuelles et collectives qui semble incompatible avec
la vision court-termiste du recours à la flexibilité externe (voir par exemple, Glayman, 2001 à propos
de l’intérim). C’est la relation de confiance qui est au cœur de la coordination, laquelle ne peut
s’établir que dans la durée et avec un minimum de sécurité. Au-delà de la diversification des formes
d’emploi, certains auteurs voient dans les nouvelles exigences portées par le travail, polyvalence,
mobilités, intensification, une mise en danger permanente des salariés porteuse de sentiment
d’insécurité y compris pour ceux d’entre eux qui appartiennent au noyau « stable » des entreprises
(Paugam 2001, Castel 1995).

• Technologies de l’information et de la communication, organisation du travail et performance

L’usage de l’informatique concerne aujourd’hui une majeure partie des salariés et a profondément
transformé le travail (Gollac, 1996). L’introduction des nouvelles technologies de l’information et de
la communication dans les organisations productives favorise des transformations complexes et
parfois contradictoires : si la recherche d’un lien plus étroit au marché est incontestable, la
formalisation des organisations et la généralisation des normes et des standards l’est aussi. (Gollac et
al, 1998). Les choix organisationnels qui sous-tendent ces innovations technologiques sont en effet
déterminants. L’usage des technologies est modelé par les organisations. Les travaux empiriques
montrent que les objectifs affichés, décentralisation opérationnelle, fonctionnement plus horizontal, à
l’occasion de l’implantation de NTIC, ne prennent pas toujours corps dans l’organisation. Ces
nouveaux outils sont ambivalents (Faguer et al, 1998) et peuvent par exemple renforcer les clivages
hiérarchiques par le biais de l’accès aux informations. Plusieurs études en cours montrent par exemple
que la catégorie « cadres » voit ses critères de définition se modifier au profit notamment d’un usage
plus fréquent d’outils informatiques les distinguant des autres catégories de salariés et les positionnant
différemment, notamment en interface avec l’extérieur de l’entreprise. D’autres travaux en cours sur
l’implantation d’ERP dans des grands groupes ou dans des organisations non marchandes (dans les
hôpitaux par exemple), montrent une tendance à la redistribution des informations et des pouvoirs au
sein des organisations dans le sens parfois d’un renforcement des clivages professionnels et
hiérarchiques. Les effets de ces investissements coûteux sur la performance globale des organisations

59
sont très difficiles à mesurer (Caby et al, 1999 ; Greenan et Guellec, 1999) et leur évaluation passe en
tous cas par l’observation des transformations induites sur le travail des salariés.

• Engagement dans le travail / individualisation des rémunérations / traitement équitable des


salariés.

La tendance à l’individualisation de rémunérations est attestée par les enquêtes ACEMO et l’enquête
annuelle sur l’individualisation de la DARES : on note la progression des augmentations individuelles
des salaires de base et des primes de performance notamment.

Les recherches sur le système de rémunération dans le secteur bancaire (Dressen, 20001) fournissent
un exemple significatif des effets pervers de cette tendance à l’individualisation des rémunérations sur
le sentiment d’équité. La part générale dans les augmentations y décroît au profit d’augmentations
individuelles destinées à encourager la performance et à récompenser l’efficacité. Les effets pervers en
terme d’insatisfaction au travail et de manque de compétitivité externe des salaires (difficultés de
recrutement et défections) sont observés notamment dans le cas des commerciaux. De façon générale,
l’individualisation des rémunérations est une tendance qui, si elle n’a pas encore profondément
bouleversé les modes de fixation des salaires, pose avec acuité le problème de l’évaluation du travail
et de la construction d’un accord entre acteurs autour de ce système d’évaluation.

60
2.4 Investissement socialement responsable et rating social : la prise de
conscience des acteurs économiques

L’investissement « socialement responsable » se développe selon deux mouvements conjoints. D’un


côté, les investisseurs dits « sociaux » opèrent des choix d’investissement de façon à atteindre leurs
objectifs financiers, tout en s’attachant à construire une économie meilleure, plus juste et durable et
vendent aux épargnants des produits financiers dits « éthiques ». D’un autre côté, les investisseurs
« classiques » tendent à intégrer dans leurs expertises des entreprises, des critères sociaux et
environnementaux dans le souci de mieux intégrer dans leurs choix des critères de valorisation à
moyen terme du capital immatériel des entreprises. Pour cela, les investisseurs ont besoin de disposer
d’une information leur permettant de conduire leurs choix : ils font alors appel aux agences dites de
« notation sociale » qui classent les entreprises d’un même secteur au regard de critères de
« développement durable ».
Dans cette fiche, nous verrons à quelles logiques répond le développement de « l’investissement
responsable », en partant de leur origine historique, les fonds éthiques. Nous présenterons ensuite les
acteurs et pratiques de la notation sociale. Enfin, nous tenterons d’identifier les limites et les risques
que soulèvent ces pratiques.

1. Aux origines de l’investissement responsable


L’investissement responsable consiste à investir dans les entreprises soucieuses d’associer croissance
économique et respect des conditions sociales et environnementales. Ce mouvement s’appuie sur des
tendances économiques et sociologiques profondes. En effet, un mouvement de fond semble mettre en
avant la recherche d’un meilleur équilibre entre valeur financière et valeurs sociétales.
Pour le Social Investment Forum (2002), les investissements socialement responsables sont en
croissance rapide : aux États-Unis, l’encours des fonds éthiques dépasse les 2.000 milliards de dollars,
ce qui représente 13% des actifs gérés professionnellement, soit un dollar sur huit placé selon des
critères qui englobent d’autres considérations que la seule performance financière. Une grande partie
de ces encours restent limités à une simple approche d’exclusion. Le Royaume-Uni comporte une
quarantaine de fonds éthiques, représentants 75 milliards d’euros d’encours. Les fonds éthiques
français ont connu une évolution régulière depuis la création du premier fonds en 1983 par
l’association Éthique et Investissement : ce sont aujourd’hui plus de 800 millions d’euros d’encours
qui sont gérés selon ces critères.
Le principe de mise en cohérence de principes et de valeurs boursières est à l’origine en premier lieu,
de la création des fonds éthiques puis d’une démarche plus générale d’analyse des facteurs explicatifs
du rendement à long terme des portefeuilles financiers. Il renvoie aujourd’hui à une demande –
certainement croissante – des acteurs à ne pas être placé en situation de schizophrénie entre leurs
différentes postures (salarié, épargnant, consommateur, chef de famille, citoyen).

1. 1. Des fonds éthiques à l’investissement socialement responsable : à l’origine, une mise en


conformité des choix d’investissement avec des valeurs morales
Les pratiques de « rating » (notation) des entreprises selon des critères éthiques, sociaux et/ou
environnementaux trouvent leur origine dans le développement de fonds dits « éthiques », aux États-
Unis. Au début du siècle, les congrégations religieuses cherchent à mettre en cohérence leurs principes
et leurs comportements financiers en investissant dans des fonds qui excluent toute entreprise ayant
trait à l’alcool, au tabac, aux casinos, etc. … A la fin des années 60, sur fond de guerre du Vietnam et
de mobilisation contre l’Apartheid en Afrique du Sud, « l’investissement éthique » se déploie pour
rejeter tout investissement dans les industries de l’armement puis dans les entreprises américaines
jugées complices de l’Apartheid. L’environnement devient ensuite un pivot des engagements des
investisseurs responsables
Comme le souligne E. Loiselet (2001), la « démarche est d’abord morale : ne pas se rendre complice,
se maintenir à distance de réalités que l’on désapprouve » ; c’est par là même un mouvement qui vise
à réconcilier l’éthique et le portefeuille d’actions, sans être cantonné dans une posture éventuellement

61
schizophrène. C’est aussi une démarche proche du boycott, où les consommateurs-épargnants, relayés
par des groupes de pression (mouvements pacifistes, mouvements de défense des droits civiques,
mouvements sociaux et environnementaux), exigent de pouvoir investir leur argent dans des fonds
respectant leurs critères de choix. Un marché émerge au sein des produits financiers : celui des fonds
éthiques, reposant sur un travail méthodique de recensement et d’évaluation de l’activité réelle des
entreprises puis d’application de critères de sélection. Ce double travail d’évaluation et de sélection
amène alors à la création d’indices spécifiques, tels que l’indice Safe (South Africa Safe Equity) créé
en 1980, qui peuvent drainer des capitaux individuels par le biais de fonds, mais aussi les capitaux des
congrégations religieuses, des universités ou encore des hôpitaux. Ces fonds qui excluent des sociétés
de leurs placements sont des « fonds éthiques d’exclusion ».
Une seconde démarche consiste à privilégier les entreprises reconnues pour leurs engagements sociaux
ou environnementaux : on parle alors de « fonds éthiques de développement durable » : ce sont ces
fonds qui vont franchir l’Atlantique (en premier lieu au Royaume-Uni) dans les années 80, dont le
développement est favorisé par celui des fonds de retraite par capitalisation. De fait, les fonds de
retraite privilégient la rentabilité sur le long terme et s’affirment plus réceptifs aux pratiques sociales
et environnementales des entreprises. Au Royaume-Uni, la loi Trustee Act oblige depuis juillet 2000
les fonds de pension britanniques à signaler dans quelle mesure ils prennent en compte les critères
éthiques dans leur politique d’investissement.

1. 2. Des seuls « shareholders » aux « stakeholders » dans la gouvernance d’entreprise : intégrer des
critères sociaux pour anticiper sur les risques
Dans la dynamique de globalisation, les grandes entreprises sont aujourd’hui inscrites dans une
interdépendance croissante avec leur environnement : d’un côté, leur poids économique s’est accru et
leurs stratégies ont des effets croissants sur leur environnement social et écologique (on parle
« d’externalités » des décisions prises) ; d’un autre côté, les différentes parties prenantes de
l’entreprise ou « stakeholders » (les actionnaires, mais aussi les clients, les fournisseurs, les
concurrents, les salariés, l’État et les collectivités territoriales, les représentants de la société ou de
l’opinion) sont potentiellement en mesure d’impacter les directions de l’entreprise (trajectoires
empruntées et organes de direction). Les mutations socio-productives, telles que le développement de
l’externalisation et du juste-à-temps, des organisations « orientées clients » ou la variabilité des
périmètres de la firme et la diversification des lieux d’implantation ont ainsi accru la perméabilité de
l’entreprise à son environnement : elle l’imprime plus qu’avant et en est plus empruntée ; de ce fait, il
apparaît qu’elle ne peut plus se permettre de l’ignorer. Le comportement des « stakeholders » est en
effet potentiellement porteur pour l’entreprise, de synergies comme de risques : en particulier, un
boycott des consommateurs, une grève des salariés, un développement de l’activisme actionnarial
contestataire, un comportement inamical d’un ex-compétiteur allié ou le retrait d’un fournisseur clef
peuvent s’avérer très coûteux pour cette entreprise en situation d’interdépendances. Les deux dernières
décennies ont ainsi vu l’implication – parfois brutale – de certains stakeholders dans la stratégie de
l’entreprise.
Dès lors, il s’agit pour les investisseurs de pouvoir juger de la capacité de « gouvernance globale » des
entreprises, notamment dans une logique d’anticipation des situations de crise. Le raisonnement
consiste ici, pour les investisseurs, à se doter d’indications fiables d’une bonne gestion interne et
externe, dans la mesure où elles permettent d’identifier a priori les risques sociaux et
environnementaux et donc, de pouvoir se construire eux-mêmes des anticipations en la matière pour
orienter leurs choix d’investissement. En effet, les marchés financiers ont intégré dans leur
raisonnement le fait que des crises sociales ou environnementales de l’entreprise peuvent fortement
nuire à sa réputation et provoquer une chute brutale du prix des actions.
A ce titre, l’investissement responsable représente un outil de réduction du risque financier des
actionnaires et de mise en cohérence de leurs attentes en termes de rendement / risques avec les
dynamiques économiques d’ensemble.

62
1. 3. Enjeux de valorisation à long terme du capital immatériel face aux limites de la seule logique
financière à court terme
L’intégration des dimensions sociales et environnementales dans les choix d’investissement renvoie
par ailleurs plus ou moins explicitement à une prise de conscience : celle des limites du
fonctionnement du marché quand il est livré à lui-même (Orléan, 1985) : en ce sens, de nombreux
auteurs (Polanyi, 1944) estiment que le déploiement de la « société de marché » à partir de la fin du
XIX° siècle a progressivement relégué la société au statut d’appendice du marché, en « désencastrant »
les relations économiques des rapports sociaux. En matière d’analyse économique et gestionnaire du
facteur travail, les logiques de marché tendent de fait à porter une attention particulière aux
dimensions « coûts » du travail, au détriment d’une analyse par exemple, de ses apports en termes de
valeur ajoutée ou encore, de compétitivité hors-prix (R. Beaujolin, 1999). C’est en particulier la
logique financière à court terme qui est critiquée, dans ses effets (elle évincerait de ses critères de prise
de décision les effets à moyen terme sur les ressources humaines et écologiques qui se verraient à
force dégradés, sans pour autant que cette dégradation soit intégrée dans les critères de prise de
décision) et même dans sa pertinence économique (elle n’a pas toujours tenu ses promesses en matière
de création de valeur pour l’actionnaire).
De cette prise de conscience du caractère myope des logiques financières de court terme émerge un
nouvel impératif dès qu’il s’agit d’évaluer le caractère pérenne de l’entreprise et de sa rentabilité :
celui d’intégrer dans les critères de choix en matière d’investissement la valorisation des actifs
immatériels de l’entreprise. Au titre de ces « actifs immatériels », J. P. Sicard (2001) évoque : « les
systèmes d’information, le capital intellectuel, le capital de notoriété, de bonne réputation, le capital
relationnel social, le capital relationnel client, la maîtrise et les capacités de contrôle du réseau des
fournisseurs, le ‘capital éthique’ de l’entreprise et, bien sûr, son image économique et le degré de
risque réel assumé en la matière, tout cela forme un autre ensemble d’actifs immatériels aujourd’hui
déterminants, qui contribuent largement à la valeur de la marque ».

2. Les acteurs et pratiques de notation sociale


L’investissement responsable vise à intégrer des critères de développement durable dans les choix
opérés, le développement durable étant ici une mise en œuvre d’un mode d’organisation économique
capable de satisfaire les besoins de la génération actuelle, sans pour autant compromettre la capacité
des générations futures à satisfaire les leurs. Il vise en fait à instaurer une double solidarité :
« horizontale », à l’égard des plus démunis du moment ; « verticale » en faveur des êtres humains à
naître (J. P. Maréchal, 2001).
A ce titre, le caractère de développement durable d’une entreprise peut être abordé sous plusieurs
angles (note méthodologique d’Arese) :
- une approche par les activités (l’entreprise ne peut être durable si elle est impliquée dans des
activités non durables telles que l’armement ou le tabac) ;
- une approche par les pratiques (l’entreprise durable lutte contre des pratiques non durables
identifiées par la société environnante, telles que la corruption ou la violation des droits de
l’homme) ;
- une approche par l’internalisation des contraintes (l’entreprise durable se met en conformité avec
des contraintes locales, nationales ou internationales, telles que la réglementation du travail, les
normes de pollution, l’interdiction d’OGM) ;
- une approche par le management responsable (l’entreprise est managée de telle sorte qu’elle
démontre sa capacité à intégrer dans son développement de long terme les demandes des
stakeholders, à « créer de la valeur » pour l’ensemble des parties prenantes) ;
- une approche par la performance économique de long terme (l’entreprise démontre sa rentabilité
économique et financière de long terme par une attention soutenue aux facteurs économiques de
compétitivité structurelle et par la prévention des risques sociaux et environnementaux).

63
L’investissement « socialement responsable » implique de mener en complément de l’analyse des
perspectives de rentabilité, une analyse des politiques et des pratiques des entreprises et de leur
impact. Le traditionnel diagnostic financier, fondé sur l’analyse de faits et de données passés, présents
et anticipés avec pour objectif d’apprécier les forces et faiblesses économiques et financières de
l’entreprise pour se prononcer sur l’opportunité de participer à son financement (comme actionnaire
ou comme banquier) se voit ainsi complété par la prise en compte de données sociales et
environnementales. De ce fait, la question de l’information sociale externe rencontre aujourd’hui un
vif intérêt (d’Arcimoles, 1995) : les directions d’entreprises sont conscientes de la nécessité de celle-ci
pour dialoguer avec les marchés et transmettent progressivement un plus grand nombre d’informations
à leurs « stakeholders » ; de nombreux cabinets spécialisés développent leur activité sur ce
« créneau » ; les agences de notation sociale jouent un rôle croissant dans cette démarche de
communication : elles s’efforcent par exemple de noter les entreprises à partir de la qualité de leur
gestion des ressources humaines.
En effet, jusqu’à présent, seule l’information financière sur les entreprises était rendue disponible dans
le cadre de la « corporate gouvernance ». Concernant les informations de nature sociale, les analystes
financiers estiment dans leur grande majorité d’après une étude menée par C. H. d’Arcimoles (1997)
au milieu des années 1990, « qu’elles sont difficiles à obtenir et souvent incomplètes ; que leurs effets
sur la rentabilité et le risque sont difficiles à apprécier ; qu’elles sont difficiles à comprendre et à
analyser ». Il manquait donc une information de même nature et de même rigueur que l’information
financière, sur les volets sociaux et environnementaux.
Dans ses réflexions et expérimentations, l’information sociale externe s’inscrit dans des efforts de
valorisation du capital immatériel. En la matière, plusieurs démarches simultanées sont à l’œuvre : les
pratiques reporting ou « audit social » (J. Igalens, 2000) se développent au-delà du strict bilan social ;
des normes de « responsabilité sociale » (SA 8000 pour « Social Accountability » sur le respect des
conventions de l’OIT) proches des normes de certification qualité ISO ; les agences dites de « notation
sociale » offrent aux sociétés de bourse et aux banques des évaluations en la matière et proposent leurs
propres indices boursiers.
Le principe du « rating » est d’opérer une comparaison sectorielle des entreprises : il s’agit de
discriminer les entreprises évaluées pour alimenter des processus de choix d’investissement. Le rating
comporte donc généralement des classes de notation positionnant les entreprises les unes par rapport
aux autres. AreSE est la première agence de notation sociale en France (IMUG en Allemagne, EIRIS
en Angleterre, Ethibel en Belgique) : elle a été créée sous l’égide de la Caisse des Dépôts, en 1997.
Elle propose « une critériologie fondée sur les orientations du développement durable de l’entreprise »
et centrée sur 5 axes :
- l’intégration de l’environnement,
- les relations avec les collaborateurs,
- les relations avec les clients et les fournisseurs,
- les relations avec les actionnaires
- les relations avec la société civile.
Arese privilégie une approche managériale de l’évaluation de l’entreprise en terme de développement
durable. Concernant l’axe « ressources humaines », plusieurs thèmes sont abordés : la gestion de
l’emploi, la gestion des carrières, l’employabilité, la politique de rémunération, les conditions de
travail, le climat social, la satisfaction des salariés, la cohésion sociale. Comme le précise son guide
méthodologique, « il ne s’agit pas d’apprécier la pertinence de la gestion des ressources humaines
compte tenu des objectifs stratégiques de l’entreprise, mais de la valeur globale que peuvent retirer les
collaborateurs d’une telle politique ». Autrement dit, le processus de notation sociale postule une
certaine autonomie de ce champ : la notation porte bien sur la qualité intrinsèque de la politique
sociale. Arese fonde sa notation sur des sources différenciées : documentation de l’entreprise,
questionnaires, contacts avec l’entreprise et avec les stakeholders, contacts avec les experts, contacts
avec les ONG. Les données récoltées sont donc à la fois d’ordre statistique et qualitatif. Cette nécessité

64
de compléter les données quantitatives par des données qualitatives s’explique par le caractère
incomplet et hétérogène des sources statistiques propres à l’entreprise et par le fait que nombre de
dimensions immatérielles ne peuvent être prises en compte par des données numériques. Ce travail
d’analyse de données aboutit à des notations intra-sectorielles et relatives exprimées sous la forme de
« ++ », « + », « = », « -« , « --« .

Conclusions : limites et risques de la notation sociale


Le processus de notation sociale suppose en premier lieu une bonne qualité d’accès à l’information et
repose en grande partie sur la coopération des entreprises en la matière. Par ailleurs, comme l’a
souligné la Commission européenne dans son livre vert : « pour garantir la qualité et l’objectivité de
ces indices, l’évaluation des performances sociales et environnementales des entreprises devrait se
fonder sur l’information soumise non seulement par la direction de l’entreprise, mais aussi toutes ses
parties prenantes » (Commission européenne, 2001). Finalement, l’évaluation qui peut être faite des
pratiques de « rating social » renvoie au manque de transparence qui caractérise les méthodes
d’évaluation employées par les agences de rating social : c’est en effet ce qui constitue en partie leur
propre capital immatériel. Néanmoins, plusieurs voix appellent à une clarification de la mesure du
caractère « éthique » ou de « développement durable » des entreprises, par l’établissement de critères
et de normes incontestables (B. Bickart et J. Caby, 2001), en lieu et place d’une évaluation établie à
partir de documents déclaratifs et non normalisés. Il reste en tous cas à construire des indicateurs
opérationnels ; dans le cas de la France, l’existence du bilan social est considérée par de nombreux
auteurs (J. Caby, 2001 ; J. Igalens, 2000) comme un trésor d’informations à valoriser.
Lien performance / qualité de la politique sociale : dans ces pratiques, les liens entre la GRH et les
performances à moyen et long terme de l’entreprise ne sont pas pris en considération. A ne pas établir
de lien en la matière, le risque pourrait finalement être de cantonner la notation sociale à un exercice
d’anticipation sur des risques de crises sociales, tout en passant à côté d’une véritable instrumentation
de l’apport en performances de la valorisation du capital immatériel de l’entreprise, et en particulier de
son capital humain.
C. H. d’Arcimoles identifie de même un risque de « rançon du succès » des pratiques de rating social :
le succès du rating social dépend aujourd’hui de celui des fonds dits éthiques, dont il n’est pas certain
qu’ils s’imposent sur les marchés.
Finalement, il apparaît que :
- les pratiques de rating social renouvellent de fait la nature de l’information prise en compte
dans les choix d’investissement et dans les pratiques de corporate gouvernance ;
- à ce titre, on peut émettre l’hypothèse que se sentant jugées sur des critères sociaux et
environnementaux, les entreprises en viennent à intérioriser ces derniers comme critères
d’élaboration de leurs choix politiques ;
- elles nécessitent néanmoins un surcroît de professionnalisation ;
- elles ne semblent finalement pas répondre de façon efficace aux enjeux de valorisation à
moyen et long terme du capital immatériel des entreprises.

65
2.5 Les aspects juridiques de la responsabilisation sociale de l’entreprise

Au plan juridique, la notion de responsabilité ne recouvre pas du tout la conception que le sens
commun lui donne, c’est-à-dire une définition essentiellement morale. Le droit de la responsabilité,
c’est le droit d’une victime à obtenir réparation du dommage que la faute d’autrui, ou une obligation à
laquelle il était tenu lui a causé. Depuis fort longtemps, la Cour de cassation dénie au salarié tout droit
à être réparé des fautes de gestion commises par l’employeur car ce dernier est seul juge des décisions
qui lui paraissent opportunes de prendre dans l’intérêt de l’entreprise. L’employeur n’est
juridiquement responsable à l’égard du salarié que de ce à quoi il s’est engagé, c’est-à-dire ce qui a été
stipulé dans le contrat de travail ou ce que la loi l’oblige à faire ou à ne pas faire dans le cadre de
l’exécution de ce contrat.

Dans cette perspective très étroite des choses, ajouter « sociale » à la notion de responsabilité est une
hérésie juridique. Pourtant si l’employeur n’est juridiquement pas responsable, et s’il détient toujours
les pleins pouvoirs dans l’entreprise, ces pouvoirs ne sont toutefois pas laissés sans contrôle. Il est
remarquable que la période la plus récente (depuis la loi sur les nouvelles régulations économiques et
la loi de modernisation sociale) a vu s’accélérer des mécanismes juridiques qui visent à équilibrer les
pouvoirs dans l’entreprise. Il s’est agi d’une part de donner à l’assemblée générale des propriétaires de
l’entreprise un certain nombre d’informations qui lui permette d’exercer en toute connaissance de
cause son droit de vote sur les résolutions à eux soumises par les dirigeants, et d’autre part d’offrir aux
institutions représentatives du personnel un droit à être informé, et parfois consulté sur des décisions
prises par ces mêmes dirigeants.

A la vérité, cela n’est en rien nouveau. C’est plutôt le périmètre de la recherche de l’équilibre des
pouvoirs qui a été considérablement étendu au profit des actionnaires à des questions qui portent
désormais sur les relations de travail, la masse salariale, les conséquences sociales (mais aussi
environnementales) de son activité, et plus généralement sur ce que l’on appelle la gestion du
personnel. Quant aux institutions représentatives du personnel, c’est le champ des
informations/consultations qui a été élargi à des questions portant sur la gestion de l’entreprise tant au
plan patrimonial que social. Au surplus, vis-à-vis de l’État et plus généralement de la collectivité
nationale, les dirigeants de l’entreprise doivent prendre en considération les conséquences sociales et
financières de leurs décisions en faisant des études d’impact ou en prenant concrètement en charge le
rééquilibrage d’un bassin d’emploi lorsque ces dirigeants procèdent à des réductions d’effectifs.

La responsabilité sociale, ce n’est donc pas un droit subjectif (avec une faute, un dommage, un lien de
causalité entre les deux, puis un créancier et un débiteur d’un droit à réparation). C’est une conception
beaucoup plus riche qui oblige les entreprises à plus de mesure dans leur décisions sociales (et
environnementales) parce que leurs dirigeants doivent des comptes à leurs propriétaires, aux
représentants des salariés et à la collectivité nationale. La responsabilité sociale, c’est donc l’irruption
des techniques de la science politique dans la sphère privée de l’entreprise.

1. L’employeur n’est pas responsable de ses fautes de gestion à l’égard des salariés

1.1 L’employeur n’est pas responsable à l’égard du salarié des erreurs de gestion qu’il a commises, car
elles ne peuvent être assimilées à une faute ouvrant droit à réparation

Juridiquement, il n’existe pas de responsabilité sociale de l’entreprise. Plus exactement il n’existe pas
un droit individuel du salarié à obtenir réparation du chef d’entreprise à raison des fautes commises
par lui dans l’exercice de cette fonction. Le pouvoir de direction du chef d’entreprise recouvre des
prérogatives étendues qui, à l’égard des salariés ne sont que des décisions de pur fait : conditions de
travail, affectation des salariés aux postes de travail, réorganisation de l’entreprise, fusion, scission,
cession, acquisition. Toute décision concernant les éléments patrimoniaux de l’entreprise relève du

66
pouvoir du chef d’entreprise qui apprécie souverainement l’intérêt de celle-ci, sans que le salarié ne
puisse y faire obstacle et sans qu’il puisse obtenir réparation des conséquences funestes que lui ferait
subir cette décision. Dans une affaire célèbre, dans laquelle l’employeur avait décidé de fermer
définitivement l’entreprise, la Cour de cassation avait estimé que « l’employeur qui portait la
responsabilité de l’entreprise était seul juge des circonstances qui le déterminaient à cesser son
exploitation, et aucune disposition légale ne lui faisait l’obligation de maintenir son activité à seule fin
d’assurer à son personnel la stabilité de son emploi, pourvu qu’il observe, à l’égard de ceux qu’il
employait, les règles édictées par le Code du travail » (Cass. soc. 31 mai 1956, Bull. IV, p. 369,
n° 499). Le préjudice éventuellement subi par le salarié n’est pas réparable.

1.2 L’employeur est responsable à l’égard du salarié des fautes commises dans l’exécution du contrat
de travail.

Par contre l’employeur engage sa responsabilité à raison des fautes commises par lui dans l’exécution
d’actes juridiques qui l’engagent avec les salariés. De telles fautes peuvent être extrêmement
nombreuses et correspondent aux obligations mises à la charge de l’employeur par le Code du travail :
recrutement, rédaction des contrats de travail, modification de ces contrats, licenciement pour motif
personnel ou pour motif économique, obligations de faire (reclassements, formation professionnelle),
obligation de ne pas faire (discriminations notamment) etc. Observons que ce n’est presque jamais le
droit commun de la responsabilité contractuelle de l’article 1142 du Code civil sur laquelle se fondent
les juges, mais sur des sanctions expressément envisagées par le Code du travail : dommages-intérêts,
nullités, réintégrations etc.

2- L’employeur est débiteur d’un droit à l’information des institutions représentatives du


personnel ou de la collectivité des actionnaires

2.1 Le comité d’entreprise est destinataire d’informations comptables et financières dans les sociétés
commerciales

Le comité d’entreprise reçoit, en la forme d’information collective ou de mise à la disposition de


chaque membre au siège de l’entreprise, ou de l’envoi à domicile à la demande de ces membres, d’un
certain nombre de documents. Il s’agit, pour l’exercice en cours et les trois derniers exercices, du bilan
de la société, du tableau des filiales et des participations, du compte de résultat, du rapport de gestion
du conseil d’administration, du rapport des commissaires aux comptes, de l’ordre du jour de
l’assemblée générale (exercice en cours uniquement), des résolutions soumises à l’assemblée générale,
des renseignements sur les candidats au conseil d’administration, de l’inventaire, du montant des
rémunération les plus élevées, des résultats financiers des 5 derniers exercices, de la liste des
administrateurs, de la liste des actionnaires, des procès-verbaux d’assemblée générale, de la feuille de
présence de ces assemblées, de l’exposé sur la situation de la société, des observations du conseil de
surveillance, et pour les sociétés cotées en bourse, l’inventaire des valeurs mobilières, les engagements
hors bilan et le bilan fiscal.

2.2 Le comité d’entreprise est informé et consulté lorsque la composition de l’actionnariat est
susceptible de connaître des évolutions

Le droit à l’information et à la consultation du comité d’entreprise a été renforcé lorsque la


composition de l’actionnariat est susceptible de connaître des évolutions. En cas de dépôt d'une offre
publique d'achat ou d'offre publique d'échange portant sur l’entreprise, son chef doit immédiatement
réunir le comité d'entreprise pour l'en informer (C. trav. art. L. 432-1). Au cours de cette réunion, le
comité décide s'il souhaite entendre l'auteur de l'offre et peut se prononcer sur le caractère amical ou
hostile de celle-ci. Son auteur adresse au comité d'entreprise, dans les trois jours suivant sa
publication, la note d'information prévue par le code monétaire et financier. Dans les quinze jours
suivant la publication de la note, le comité d'entreprise est réuni pour procéder à son examen et, le cas

67
échéant, à l'audition de l'auteur de l'offre. Lors de la réunion, l'auteur de l'offre, qui peut se faire
assister des personnes de son choix, prend connaissance des observations éventuellement formulées
par le comité d'entreprise. Le comité peut se faire assister préalablement et lors de la réunion par
l’expert comptable de son choix prévu par l'article L. 434-6 du Code du travail. La société ayant
déposé une offre et dont le chef d'entreprise, ou le représentant qu'il désigne parmi les mandataires
sociaux ou les salariés de l'entreprise, ne se rend pas à la réunion du comité d'entreprise à laquelle il a
été invité ne peut exercer les droits de vote attachés aux titres de la société faisant l'objet de l'offre
qu'elle détient ou viendrait à détenir. L’interdiction s'étend aux sociétés qui la contrôlent ou qu'elle
contrôle. Une sanction identique s'applique à l'auteur de l'offre, personne physique, qui ne se rend pas
à la réunion du comité d'entreprise à laquelle il a été invité. La sanction est levée le lendemain du jour
où l'auteur de l'offre a été entendu par le comité d'entreprise de la société faisant l'objet de l'offre. La
sanction est également levée si l'auteur de l'offre n'est pas convoqué à une nouvelle réunion du comité
d'entreprise dans les quinze jours qui suivent la réunion à laquelle il avait été préalablement convoqué.

2.3 L’assemblée générale est destinatrice d’informations sur la manière dont la société prend en
compte les conséquences sociales et environnementales de son activité

L’article L. 225-102-1 prévoit que le rapport présenté par le conseil d’administration des sociétés à
l’assemblée générale comprend également des informations sur la manière dont la société prend en
compte les conséquences sociales et environnementales de son activité. S’agissant des conséquences
sociales, le rapport doit comporter des informations relatives à l'effectif total, les embauches en
distinguant les contrats à durée déterminée et les contrats à durée indéterminée et en analysant les
difficultés éventuelles de recrutement, les licenciements et leurs motifs, les heures supplémentaires, la
main-d'œuvre extérieure à la société, cas échéant, les informations relatives aux plans de réduction des
effectifs et de sauvegarde de l'emploi, aux efforts de reclassement, aux réembauches et aux mesures
d'accompagnement, organisation du temps de travail, la durée de celui-ci pour les salariés à temps
plein et les salariés à temps partiel, l'absentéisme et ses motifs, les rémunérations et leur évolution, les
charges sociales, l'application des dispositions du titre IV du livre IV du code du travail, l'égalité
professionnelle entre les femmes et les hommes, les relations professionnelles et le bilan des accords
collectifs, les conditions d'hygiène et de sécurité, la formation, l'emploi et l'insertion des travailleurs
handicapés, les œuvres sociales, l'importance de la sous-traitance. Le rapport expose également la
manière dont la société prend en compte l'impact territorial de ses activités en matière d'emploi et de
développement régional. Il décrit, le cas échéant, les relations entretenues par la société avec les
associations d'insertion, les établissements d'enseignement, les associations de défense de
l'environnement, les associations de consommateurs et les populations riveraines. Il indique
l'importance de la sous-traitance et la manière dont la société promeut auprès de ses sous-traitants et
s'assure du respect par ses filiales des dispositions des conventions fondamentales de l'Organisation
internationale du travail. Le rapport indique en outre la manière dont les filiales étrangères de
l'entreprise prennent en compte l'impact de leurs activités sur le développement régional et les
populations locales (Décret n° 2002-221 du 20 février 2002).

2.4 Le comité d’entreprise dispose d’un droit à recueillir des explications lorsque l’employeur procède
à des annonces publiques, notamment à l’intention des marchés financiers

L’article L. 431-5-1 du Code du travail prévoit que lorsque le chef d'entreprise procède à une annonce
publique portant exclusivement sur la stratégie économique de l'entreprise et dont les mesures de mise
en œuvre ne sont pas de nature à affecter de façon importante les conditions de travail ou d'emploi, le
comité d'entreprise se réunit de plein droit sur sa demande dans les quarante-huit heures suivant ladite
annonce. L'employeur est tenu de lui fournir toute explication utile.

Si l’annonce publique dont les mesures de mise en œuvre sont de nature à affecter de façon importante
les conditions de travail ou d'emploi des salariés, l’employeur ne peut la faire qu'après avoir informé le
comité d'entreprise. Si l'annonce publique affecte plusieurs entreprises appartenant à un groupe, les
membres des comités d'entreprise de chaque entreprise intéressée ainsi que les membres du comité de
groupe et, le cas échéant, les membres du comité d'entreprise européen sont informés. L'absence

68
d'information du comité d'entreprise, des membres du comité de groupe et, le cas échéant, des
membres du comité d'entreprise européen sont constitutives du délit d’entrave.

3.- La collectivité des salariés et la collectivité nationale sont créancières d’un droit de
consolidation après une décision des dirigeants de l’entreprise

3.1 L’employeur a l’obligation d’élaborer une étude d’impact sur les conséquences sur l’emploi qui
découlent d’une décision de fermeture d’entreprise, et d’informer les sous-traitants en cas de
compression d’effectif

L’employeur doit prendre en considération l’impact de ses décisions de gestion qui entraînent des
conséquences d’ordre social. La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 est allée très loin dans
ce sens. L’article L. 239-1 nouveau du Code de commerce dispose que toute cessation totale ou
partielle d'activité d'un établissement ou d'une entité économique autonome concernant au moins cent
salariés doit être précédée d'une décision des organes de direction et de surveillance prise après les
consultations du comité d'entreprise prévues par le droit commun du Code du travail. Les organes de
direction et de surveillance de la société statuent sur présentation d'une étude d'impact social et
territorial établie par le chef d'entreprise et portant sur les conséquences directes et indirectes qui
découlent de la fermeture de l'établissement ou de l'entité économique autonome et sur les
suppressions d'emplois qui en résultent. Dans le même sens, l’article L. 239-2 nouveau du Code de
commerce dispose que tout projet de développement stratégique devant être soumis aux organes de
direction et de surveillance d'une société et susceptible d'affecter de façon importante les conditions
d'emploi et de travail en son sein doit être accompagné d'une étude d'impact social et territorial établie
par le chef d'entreprise et portant sur les conséquences directes et indirectes dudit projet.

L’article L. 432-1-2 du Code du travail prévoit encore que lorsque le projet de restructuration et de
compression des effectifs soumis au comité d'entreprise en vertu de l'article L. 432-1 est de nature à
affecter le volume d'activité ou d'emploi d'une entreprise sous-traitante, l'entreprise donneuse d'ordre
doit immédiatement en informer l'entreprise sous-traitante. Le comité d'entreprise de cette dernière, ou
à défaut les délégués du personnel, en sont immédiatement informés et reçoivent toute explication
utile sur l'évolution probable de l'activité et de l'emploi.

3.2 Le comité d’entreprise dispose d’un droit à la médiation lorsque subsiste une divergence sur les
alternatives qu’il propose en cas de cessation totale ou partielle d’activité

L’article L. 432-1-3 du Code du travail prévoit qu’en cas de projet de cessation totale ou partielle
d'activité d'un établissement ou d'une entité économique autonome ayant pour conséquence la
suppression d'au moins cent emplois, s'il subsiste une divergence importante entre le projet présenté
par l'employeur et la ou les propositions alternatives présentées par le comité d'entreprise, l'une ou
l'autre partie peut saisir un médiateur, sur une liste arrêtée par le ministre du travail. Après avoir
recueilli les projets et propositions des parties, le médiateur est chargé de rapprocher leurs points de
vue et de leur faire une recommandation. Les parties disposent d'un délai de cinq jours pour faire
connaître par écrit au médiateur leur acception ou leur refus de sa recommandation. En cas
d'acceptation par les deux parties, la recommandation du médiateur est transmise par lui à l'autorité
administrative compétente et emporte les effets juridiques d'un accord collectif de travail.

3.3 L’employeur est tenu de financer des créations d’emploi lorsque les suppressions d’emploi
affectent l’équilibre économique du bassin d’emploi.

L’article 118 de la loi de modernisation sociale prévoit que lorsqu'une entreprise occupant entre
cinquante et mille salariés procède à des licenciements économiques susceptibles par leur ampleur
d'affecter l'équilibre économique du bassin d'emploi considéré, le représentant de l'État dans le
département peut réunir l'employeur, les représentants des organisations syndicales de l'entreprise

69
concernée, les représentants des organismes consulaires ainsi que les élus intéressés. La réunion porte
sur les moyens que l'entreprise peut mobiliser pour contribuer à la création d'activités, aux actions de
formation professionnelle et au développement des emplois dans le bassin d'emploi. Cette contribution
est proportionnée au volume d'emplois supprimés par l'entreprise et tient compte des capacités de cette
dernière. Les entreprises occupant plus de mille salariés, ainsi que les entreprises visées à l'article L.
439-6 du Code du travail, et celles visées à l'article L. 439-1 du même code dès lors qu'elles occupent
ensemble plus de mille salariés sont tenues de prendre des mesures permettant la création d'activités et
le développement des emplois dans le bassin d'emploi affecté par la fermeture partielle ou totale de
site. Ces mesures prennent la forme d'actions propres de l'entreprise ou d'actions réalisées pour le
compte de l'entreprise par des organismes, établissements ou sociétés s'engageant à respecter un cahier
des charges défini par arrêté. Une convention signée par l'entreprise et le représentant de l'État dans le
département précise le contenu des actions de réactivation du bassin d'emploi prévues par le plan de
sauvegarde de l'emploi et leurs conditions de mise en œuvre.

Les organisations syndicales de salariés et d'employeurs, les représentants des organismes consulaires
ainsi que les élus intéressés sont réunis par le représentant de l'État dans le département avant la
signature de la convention. Ils sont également associés au suivi de la mise en œuvre des mesures
prévues par celle-ci. En l'absence de convention signée par l'entreprise et le représentant de l'État dans
un délai de six mois courant à compter de la dernière réunion du comité d'entreprise prévue en
application des articles L. 321-2 et L. 321-3 du code du travail, l'employeur est tenu d'effectuer au
Trésor public un versement égal à quatre fois la valeur mensuelle du salaire minimum de croissance.

En cas d'inexécution totale ou partielle de la convention aux échéances prévues par celle-ci,
l'employeur est tenu d'effectuer au Trésor public un versement égal à la différence constatée entre le
montant des actions prévues par la convention et les dépenses effectivement réalisées.

L'entreprise tenue de mettre en œuvre ces mesures les finance à hauteur d'un montant maximum fixé
dans la limite de quatre fois la valeur mensuelle du salaire minimum de croissance par emploi
supprimé. Ce montant ne peut être inférieur à deux fois la valeur mensuelle du salaire minimum de
croissance par emploi supprimé. Le représentant de l'État fixe le montant applicable à l'entreprise en
fonction de ses capacités financières, du nombre d'emplois supprimés et de la situation du bassin
d'emploi, appréciée au regard de l'activité économique et du chômage.

3.4 Les élus locaux sont informés des procédures de redressement judiciaire ouvertes sur leur territoire

L’article L. 621-8 du Code de commerce dispose que l'administrateur informe par courrier
recommandé avec accusé de réception le maire de la commune et le président de l'établissement public
de coopération intercommunale, s'il existe, du fait qu'une procédure de redressement judiciaire vient
d'être ouverte vis-à-vis d'une société ayant son siège sur le territoire de la commune.

3.5 Le maintien de l’emploi est un des objectifs du plan de redressement judiciaire

L’article L. 620-1 du Code de commerce prévoit que la procédure de redressement éventuellement


ouverte est destinée à la sauvegarde de l’entreprise, le maintien de l’activité et de l’emploi et
l’apurement du passif. Par ailleurs, le tribunal doit statuer sur l’ouverture de la procédure après avoir
entendu le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel (C. com. art. L. 621-3). Par
ailleurs, le tribunal doit inviter le comité d’entreprise à désigner au sein de l’entreprise, un représentant
des salariés contrôleur de la procédure, et qui exerce cette fonction avec deux mandataires qui sont
l’administrateur et le représentant des créanciers (C. com. art. L. 621-8).

3.6 L’entreprise est-elle tenue de respecter l’autoréglementation qu’elle a élaborée en matière sociale ?

Codes de conduite : ces codes peuvent être élaborés soit par l’employeur de manière unilatérale, soit
par les pouvoirs publics, soit par les partenaires sociaux, soit par des organisations non
gouvernementales. Ils contiennent généralement des normes à caractère social. L’entreprise est tenu de

70
les respecter, mais le fondement juridique de cette obligation varie selon la source du code :
engagement unilatéral, engagement contractuel. Beaucoup de problèmes restent en suspens.

Code d’éthique : l’entreprise s’engage à respecter un certain nombre de valeurs sociales (ne pas faire
travailler les enfants, verser des salaires décents, vérifier que les sous-traitant respectent ces valeurs).
Ces engagements n’ont qu’une faible valeur juridique. Tout au plus l’entreprise risque-t-elle de voir
les fonds d’investissement dits « éthiques » se désengager.

Commerce équitable : l’entreprise s’engage à ne pas se fournir à des prix dérisoires auprès de
fournisseurs en position de faiblesse soit parce que le pays où ils sont installés sont à économie
« émergente », soit parce que les cours de la matière sont particulièrement bas.

Les codes de conduite, les codes d’éthique et le commerce équitable font l’objet de règles qui sont à la
fois élaborées et dont les critères sont contrôlées par des consultants. Leur force juridique pose de
nombreuses questions qui demeurent sans réponse.

71
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