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Analyse comparative de l’influence du cadre institutionnel

sur les pratiques RSE en matière de GRH : Cas de la Qualité


de Vie au Travail en France et au Maroc

Mohamed SEMMAA Omar BENAICHA


CNAM Paris – GDF SUEZ Groupe ISCAE– Bureau Veritas Maroc
msemmae@gmail.com omar.benaicha@gmail.com

Résumé
La Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE), qui traduit l’engagement de l’entreprise envers
ses parties prenantes, agit sur les trois piliers du développement durable : l’environnemental,
l’économique et le social. Chacun de ces trois piliers s’adresse soit à des parties prenantes internes
(salariés, actionnaires, etc.) ou des parties prenantes externes (clients, fournisseurs, Etat, ONG,
etc.).Le pilier social de la RSE agit en faveur des parties prenantes internes de l’entreprise,
notamment les salariés, par le biais d’une « gestion des ressources humaines socialement
responsable » qui se matérialise par un ensemble pratiques couvrant plusieurs aspects tels que la
diversité, la qualité de vie au travail, la marque employeur, etc.

Dans cet article, nous proposons de porter un focus sur les pratiques RSE en matière qualité de vie
au travail et comment le cadre institutionnel influence la mise en œuvre de ces pratiques au sein
des entreprises.

Mots clés :
Responsabilité sociale des entreprises, gestion des ressources humaines, qualité de vie au travail
Maroc, France.

1
1. Introduction
Depuis sa genèse, la RSE s’interroge sur la place de l’entreprise dans son environnement. Cette
place connait perpétuellement des changements qui résultent des facteurs d’ordre politique,
économique et social. Les pays les plus avancés en matière de pratiques de RSE sont souvent ceux
qui sont à la recherche de plus d’équité et de justice économique et sociale. Il en résulte que la
RSE devient un outil de régulation économique à travers la moralisation du monde des affaires et
le rapprochement entre utilité économique et utilité sociale.
La RSE, qui traduit l’engagement de l’entreprise envers ses parties prenantes, agit sur les trois
piliers du développement durable : l’environnemental, l’économique et le social. Chacun de ces
trois piliers s’adresse soit à des parties prenantes externes (clients, fournisseurs, Etat, ONG,
etc.)ou des parties prenantes internes (salariés, actionnaires, etc.). Ainsi, pour les salariés, la RSE
agit par le biais d’une « gestion des ressources humaines socialement responsable » (la diversité,
la qualité de vie au travail, la marque employeur, etc.).
Dans cet article, nous proposons de porter un focus sur les pratiques RSE de GRH en matière de
qualité de vie au travail (QVT) et comment le cadre institutionnel influence la mise en œuvre de
ces pratiques au sein des entreprises.
Dans un premier temps, nous présentons le cadre théorique de notre communication en rappelant
les liens entre la RSE et la GRH (2.1), puis les apports de la théorie néo-institutionnelle (2.2).
Dans un second temps, nous présentons notre cadre méthodologique (3) et dans un troisième
temps, nous abordons la partie empirique (4) pour identifier en quoi l’environnement institutionnel
influence les pratiques RH en matière de qualité de vie au travail, à travers l’étude de deux cas
d’entreprises au Maroc et en France.

2. Cadre théorique
La RSE comprend la prise en compte des conséquences des activités et des décisions de
l’entreprise sur son environnement et sur ses parties prenantes1. Les salariés, principale partie
prenante de l’entreprise, se trouvent au cœur de toute démarche RSE dont les caractéristiques
dépendent largement du contexte dans lequel opère l’entreprise. L’un des sujets du pilier social de
la RSE, la qualité de vie au travail constitue un exemple de pratiques qui mettent en tensions les
engagements RSE de l’entreprise et sa politique de gestion des ressources humaines.

1
Définition proposée par la norme ISO 26 000 de l’AFNOR

2
2.1.La RSE et son impact sur la qualité de vie au travail des salariés
La RSE trouve ses origines au cœur des débats sur les relations entre entreprise et société, qui
ont donné naissance à une discipline de gestion labellisée business and society. (Bowen, 1953) a
institué les fondements de cette discipline (Carroll, 1979, 1999 ; Wood, 1991) et il a considéré
que la préoccupation de l’entreprise est la maximisation du bien-être social plutôt que de sa
profitabilité.

(Carroll, 1979) définit la RSE comme un ensemble d’obligations de l’entreprise vis-à-vis de la


société. L'auteur distingue quatre types d'obligations : économiques, légales, éthiques et
philanthropiques. Ces obligations sont exercées vis-à-vis de la société et des parties prenantes
dont les salariés. Dans ce sens, les pratiques RH socialement responsables répondent aux enjeux
RSE d’une gestion des ressources humaines source d’innovation et d’engagement des
salariés.Selon Cooke et al. (2010), la RSE s’intéresse à deux principaux enjeux RH :

- Répondre aux engagements sociaux de l’entreprise (obligations) et attirer les meilleurs talents
(avantage compétitif) en favorisant un bon environnement de travail des salariés, à travers la
qualité des emplois, la qualité de vie au travail et la conciliation entre la vie privée et la vie
professionnelle ;
- Développer l’acceptation sociale de l’entreprise et le degré d’engagement de ses salariés à
travers les actions de protection de l’environnement et de développement local

Figure 1 : Liens entre RSE et pratiques RH

Pratiques RSE Impacts de la RSE :


- Hausse de la productivité
- Satisfaction des clients
- Acceptation locale
Pratiques RH socialement
- Réputation
responsables :
- Hausse des profits
- Emploi décent
- Egalité des chances
Amélioration des résultats RH :
Pratiques RH à l’appui des - Bien-être des salariés
activités de RSE : - Attraction et fidélisation des
- Implication des salariés talents
- Alignement des attentes des - Motivation
salariés avec la politique RSE - Engagement des salariés

Source : Traduit et adapté par les auteurs de Cooke et al. (2010)

3
En reprenant les trois dimensions de la RSE proposées par Wood (1991), le tableau ci-après
présente les implications de chacune des responsabilités sur les pratiques RH de manière générale
et sur les pratiques RH en matière de qualité de vie au travail :

Tableau 1 : Pratiques RH et QVT par niveau de responsabilité de l’entreprise

Niveaux de
Implications RH Pratiques RH en matière de QVT
responsabilité
• Lutte contre les discriminations • Mise en place des procédures de
• Lutte contre l’emploi des enfants recrutement et de gestion des carrières
• Egalité professionnelle entre les femmes favorisant l’épanouissement des salariés
et les hommes dans un contexte de diversité (genre,
Responsabilité • Emploi et insertion des personnes handicap, âge, origine, etc.)
envers la société handicapées • Refonte du système de rémunération
• Recrutement des jeunes et des seniors
• Santé & sécurité des salariés • Organisation de travail (définition des
• Sécurité d’emploi postes, autonomie, précision des heures
• Volontariat d’entreprise des salariés de début et de fin des réunions, etc.)
Responsabilité en pour des missions sociales et • Formation des salariés
termes de humanitaires • Opportunités de carrière et mobilité
conséquence des interne
activités • Conciliation entre vie privée et vie
professionnelle (congé parental et / ou
maternité, crèche, etc.)
• Mise en place du télé-travail
• Management participatif • Organisation participative
• Ethique managériale • Transparence et communication interne
Responsabilité • Récompense des performances
managériale • Respect de la vie privée et de la diversité
des équipes
• Formation et soutien aux managers
• Aide aux managers pour dialoguer avec
les salariés en difficulté
Source : Auteurs

4
2.2.Cadre institutionnel et pratiques RSE
2.2.1. Cadre Institutionnel
(Bowen, 1953, 1978) considére la RSE comme une action volontaire des dirigeants de l’entreprise,
mais admet que la RSE ne peut se mettre en place sans un contrôle social permanent par la société,
relayée par le pouvoir coercitif de l’Etat. Dans son ouvrage fondateur, Bowen présente six facteurs
d’institutionnalisation de la RSE: les attitudes des hommes d’affaires, les attitudes du public, la
définition des responsabilités sociales, l’étendue et la rigueur des standards, les savoirs techniques,
la définition des fins et des profits.
De son côté, l’approche néo-institutionnelle, qui définit les institutions comme un ensemble de
règles ou une norme qui structurent l’actions collective, suggère une distinction entre les
dimensions cognitives (le principe de « taken-for-grantedness », c’est-à-dire considérer comme
naturelle l’idée de RSE), normatives (normes professionnelles) et coercitives (cadre légal,
l’environnement d’une organisation ou le public) des institutions (DiMaggio et Powel, 1983 ;
Scott, 1995). Ce rapprochement entre Bowen et la théorie néo-institutionnelle montre que l’enjeu
de la RSE est de développer simultanément les trois vecteurs d’institutionnalisation (voir Acquier
et al., 2006).
En matière de RSE comparative, (Matten et Moon, 2008) soutiennent que les différences nationales
en matière de RSE peuvent être expliquées par les cadres institutionnels développés dans les
différents pays durant de nombreuses années, ces cadres façonnent ce que (Whitley, 1997) a appelé
les NBS (National Business Systems) que l’on peut traduire en français (Systèmes d’affaires
Nationaux). (Whitley, 1999) a identifié quatre caractéristiques clés des systèmes d’affaires
Nationaux: le système politique, le système financier, le système d'éducation et du travail, et le
système culturel.

a) Le système politique : La principale distinction entre les systèmes politiques des pays est le
pouvoir de l’Etat. Certains, par exemple, ont nationalisé les systèmes d'assurance de la santé, les
retraites, et d'autres activités sociales et d'autres ont mandaté des sociétés pour assumer des
responsabilités dans ces domaines. Dans les premiers, l’intervention des Etats est forte, dans les
seconds, il existe une plus grande marge d'intervention pour les entreprises.
b) Le système financier : Dans les pays ou le marché boursier est la principale source de
financement pour les entreprises, les entreprises sont appelées à observer un degré élevé de
transparence et de reddition de comptes pour les investisseurs. Dans ce modèle, les autres parties
prenantes jouent également un rôle important, parfois même équivalent ou supérieur à celui des
actionnaires (Fiss&Zajac, 2004).

5
c) Le système d'éducation et de travail : Les politiques de l’éducation et du marché du travail
divergent d’une région à une autre. Dans plusieurs pays, comme en Europe, L’Etat définit et
mène ces politiques alors que les entreprises y participent, alors que dans d’autres régions,
comme en Amérique du Nord, les entreprises développent elles-mêmes des stratégies dans ces
domaines. Par ailleurs, la syndicalisation, historiquement, élevée des employés en Europe a fait
que les questions liées au travail soient négociées à des niveaux sectoriels ou nationaux, plutôt
qu’au niveau des entreprises avec une grande propension à défendre les intérêts collectifs au sein
des associations professionnelles (Molina et Rhodes, 2002 ; Schmitter et Lehmbruch, 1979).
d) Le système culturel : Les systèmes culturels nationaux divergent selon qu’ils promouvaient
l’initiative individuelle très encadrée par une éthique forte ou l’initiative collective caractérisée
par dépendance, grande et culturelle, des européens des organismes représentatifs, comme les
partis politiques, les syndicats, les associations, les églises, les entreprises, et les Etats (Lipset et
Rokkan, 1967).
Les NBS façonnent les facteurs institutionnels qui influencent les stratégies et les pratiques RSE des
entreprises. Ces facteurs ont été classés par (Matten et Moon, 2008) en trois principaux facteurs : la
nature de l’entreprise, l'organisation des processus du marché, et les systèmes de coordination et de
contrôle.

a) Nature et rôle de la firme:Le cadre institutionnel d'un pays détermine les caractéristiques
structurelles clés de l’entreprise, y compris la mesure dans laquelle les intérêts privées contrôlent
les processus économiques, le degré de liberté accordé par les propriétaires aux managers dans la
gestion de l’entreprise, et les capacités organisationnelles à répondre aux demandes évolutives et
différenciées de parties prenantes de la société.
b) Organisation des processus de marché : Il s’agit ici de l’organisation et de la coordination des
relations économiques entre les acteurs. Parmi les caractéristiques de cette organisation, Matten&
Moon citent l'étendue de la coopération à long terme entre les entreprises au sein des secteurs, le
rôle des intermédiaires dans l’établissement des opérations de marché, le rôle et l'influence des
associations professionnelles, le rôle des relations personnelles et la confiance dans
l’établissement des transactions.
c) Les Systèmes de coordination et de contrôle : les principales caractéristiques de ces systèmes
sont le degré d'intégration et d’interdépendance des processus économiques, la discrétion autour
des relations employeurs/employés, le degré de délégation et de confiance régissant les relations,
et le degré de responsabilité des managers à l'égard des employés.

6
Figure 2 : Cadre Institutionnel et RSE, adapté par les auteurs de (Matten& Moon, 2008)

2.2.2. Les comportements des entreprises face aux pressions institutionnelles


Oliver (1991) a étudié les comportements stratégiques que les entreprises adoptent en réponse
directe aux facteurs institutionnels qui les affectent, en l’occurrence la RSE. Parmi les stratégies
alternatives citées, figure la stratégie d’acquiescence qui traduit la passivité de l’entreprise et dont
l’adoption signifie une acceptation totale des pressions institutionnelles (Clemens et Douglas,
2005). Les organisations, contraintes par leur environnement institutionnel à travers les parties
prenantes, les professions, les gouvernements, l’opinion publique, etc., vont contribuer à
institutionnaliser le champ organisationnel et construire un «isomorphisme» des entités
constituantes (Capron et Quairel-Lanoizelé, 2007). Sous la pression de trois sources de contraintes
institutionnelles (coercitives, normatives et mimétiques), la TNI explique que les organisations,
partageant le même environnement, vont employer des pratiques similaires pour des motifs de
légitimité, ou d’incertitude. Trois formes de pressions institutionnelles permettent donc
d’expliquer l’isomorphisme institutionnel des organisations selon DiMaggio et Powell (1983)2:
- L’isomorphisme normatif, qui se réfère à une adhésion inconsciente à des règles ou valeurs
considérées comme allant de soi (DiMaggio et Powell, 1983).
- L’isomorphisme mimétique, qui se réfère à l’imitation consciente ou inconsciente des
modèles institutionnels, en incluant par exemple l’imitation d’organisations ayant réussi, en

2
Ibid

7
acceptant les conseils d’une entreprise consultante ou d’associations professionnelles ou une
tendance sectorielle.3
- L’isomorphisme coercitif, qui réfère à la conformité et qui renvoie à l’intégration, ou
l’obéissance consciente aux lois, valeurs, normes ou exigences institutionnelles car elles sont
assorties de sanctions (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2007).
(Suchman, 1995) a développé le concept de la légitimité, il a identifié une typologie détaillée en
trois catégories de la légitimité : la légitimité pragmatique, normative et cognitive. Depuis les
années 1990, les chercheurs s'intéressent de plus en plus au changement institutionnel et à
l'évolution institutionnelle. Oliver (1991) a retenu une typologie des réponses stratégiques vis-à-
vis des processus institutionnels, présentés ci-haut, il s’agit de stratégies de consentement ou
d’acquiescence, de compromis, d'évitement, de défi et manipulation selon le degré de résistance
aux pressions institutionnelles.
3. Cadre méthodologique :
Notre choix épistémologique a porté sur le paradigme interprétativistequi nous semble le
positionnement le plus approprié à cette recherche.Sur le plan méthodologique, l’interprétativisme
est assimilé au raisonnement abductif qui consiste à tirer de l’observation des conjectures qu’il
convient ensuite de tester et de discuter (Koenig, 1993). Il s’agit de formuler des propositions
tirées du terrain qui nécessiteront d’être testées pour tendre à une règle. Ce type de raisonnement
peut ainsi servir de phase exploratoire à une approche hypothético-déductive.
Notre recherche a été menée selon une méthodologie qualitative à travers l’étude de l’influence
des pratiques RSE sur la qualité de vie au travail de salariés. Le choix de cette méthode
s’expliquepar le lien très étroit que nous avons adopté avec le terrain de recherche. Vernon (1994)
soutient l’utilisation des méthodes qualitatives et considère que « les travaux les plus significatifs
proviennent souvent des chercheurs qui ont sondé en profondeur le comportement des
entreprises ». Nous adoptons ainsi une étude exploratoire par le biais d’une étude multi-cas qui va
porter sur une analyse approfondie assortie du terrain de recherche prédéfini. Yin (2003) définit
l’étude de cas comme étant « une recherche empirique qui étudie un phénomène contemporain
dans un contexte réel, lorsque les frontières entre le phénomène et le contexte n’apparaissent pas
clairement et dans lequel on mobilise les sources empiriques multiples ». L’auteur considère que
l’étude multi-cas permet de stimuler la réflexion théorique pour mettre en évidence des
résultats, certes parfois similaires, mais aussi contrastés.
3
(Igalens et Mancy, 2005) montre par exemple que dans la grande distribution, Casino, Carrefour, Auchan
s’engagent dans un même référentiel « l’initiative clause sociale » afin d’encourager le respect des droits de
l’homme dans les pays en développement.

8
Pour la partie empirique de notre recherche, nous avons choisi d’étudier deux cas d’entreprises,
l’une française opérant dans l’énergie, GDF SUEZ, et l’autre marocaine spécialisée dans la
production et la commercialisation du sucre au Maroc, COSUMAR. Ce choix s’inscrit dans cette
réflexion nous permettant de chercher des points de convergence mais des points de divergence.
Le point commun de ces deux entreprises c’est leur degré d’engagement envers la RSE et le
développement au regard de la nature de leurs activités. En revanche, les points de divergence sont
nombreux : le contexte culturel, le degré d’ouverture aux marchés, la nature de la population
salariale, etc.
Les deux entreprises sont au départ des entreprises étatiques puis privatisées, elles sont toutes les
deux une taille relative importante par rapport au tissu industriel des deux pays

Tableau2 : Profil de GDF SUEZ et de COSUMAR

GDF SUEZ COSUMAR


2008 (fusion entre Gaz de 1929 (Première raffinerie de
Date de création
France et Suez) sucre à Casablanca)
PDG Gérard Mestrallet Mohammed FIKRAT
Effectif 138 200 3200
Chiffre d’affaires 82 Mds euros (2012) 1,3 milliards de Dhs (2012)
Extraction, le raffinage et le
Electricité, gaz naturel et
Métiers conditionnement du sucre sous
services à l’énergie
différentes formes
France (avec des filiales dans
Pays d’implantation Maroc
50 pays)

Les données ont été principalement recueillies à travers des sources documentaires des deux
entreprises : rapports développement durable, rapport d’activité, plans d’actions RH, chartes
éthiques, guides de la qualité de vie au travail. Nous avons également opté pour des observations
participantes et directes et à des entretiens semi-directifs. Les entretiens ont été réalisés avec un
échantillon large pour favoriser la diversité des points de vue : responsables RH, managers de la
RSE,directeurs santé & sécurité au travail, salariés.

9
4. Partie empirique :
Les deux cas empiriques que nous avons choisis présentant des caractéristiques intéressantes. Si
d’une part la taille respective et d’autre part la spécificité des deux marchés d’appartenance
peuvent pousser à croire qu’il y a peu de similitudes entre les deux cas, nous pensons à la lumière
des pratiques communiquées par les deux entreprises que les similitudes de cadres
institutionnelspeuvent engendrer des convergences de pratiques.

Tableau3 : Caractéristiques des deux cas empiriques

GDF SUEZ COSUMAR


- Politique RSE formalisée et intégrée dans les pratiques de
l’entreprise, diverses labélisations adoptées
Points de - Activités tournées vers des produits de première nécessité (gaz et
convergence sucre)
- Métiers industriels avec un fort impact sur les salariés et sur
l’environnement
- Contrôle historique de l’Etat
- Entreprises cotées en bourse
Points de divergence - Marché concurrentiel - Marché monopolistique
- Activités très règlementées - Produits destinés au marché
en matière de QVT local
- Ouverture à l’international - Règlementation émergente
- Entreprise d’origine - Entreprise d’origine marocaine
française

4.1.L’exemple Français : Cas de GDF Suez


4.1.1. L’environnement institutionnel de la RSE et de la QVT en France
Il n’existe pas de cadre réglementaire spécifique à la Responsabilité Sociale des Entreprises. Elle
relève de ce qu'on appelle la « soft law », c'est à dire qu'elle est fondée sur des conventions, des
référentiels et des normes internationales qui constituent malgré tout des engagements à respecter
par les entreprises (Pacte mondiale de l’ONU, directives de l’OCDE, ISO 26000, SA 8000, etc.).
En France, l’article 116 la loi NRE (Nouvelle Réglementation Economique), votée en 2001, a
instauré pour la première fois une obligation de reporting social et environnemental destiné aux
entreprises, sans lui donner toutefois de caractère contraignant. Cette législation a, par ailleurs,été
modifiée par l’article 225 de la loi Grenelle 2, adoptée en juillet 2010, qui élargit le champ des

10
entreprises soumises à cette obligation mais ne met pas en place un reporting RSE pertinent, fiable
et comparable.
Depuis juin 2013, la France a créé la Plateforme RSE qui est une instance française de
concertation entre parties prenantes sur la RSE4. L’enquête de l’Institut national de la statistique et
des études économiques (INSEE), réalisé en 2012, montre que l’engagement RSE des entreprises
croît avec leur taille et il est plus présent dans certains secteurs : énergie et environnement5.
Cette enquête confirme que les entreprises françaises adoptent en grande majorité des pratiques
sociales. Selon l’enquête, ce constat s'explique assez « naturellement », à la fois par :
- L'antériorité, dans les entreprises, des problématiques sociales sur les questions sociétales ou
environnementales, par l'existence de nombreux lieux et procédures de concertation sur ces
thèmes (comité d'entreprise, comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail…) ;
- L'incitation que suscitent certaines obligations légales ou réglementaires.
Parmi les pratiques du pilier social de la RSE, la QVT figure dans les priorités des entreprises en
France pour faire face à la réglementation mais aussi par un effet de contagion suite à des
situations de suicides dans quelques entreprises (les cas de France Télécom par exemple).
La QVT, selon l’ANACT (l’Agence Nationale des Conditions de Travail en France), est un
concept multi-dimensionnel qui peut se définir de manière générale comme "un processus social
concerté permettant d’agir sur le travail (organisation, conditions, contexte) à des fins de
développement des personnes et des entreprises".
L’ANACT6 explique le développement du sujet de la QVT par trois principales raisons :
1- L’importance prise par les phénomènes de stress au travail et la possibilité d’utiliser le concept
QVT pour apporter un regard plus positif sur le travail ;
2- La multiplication des négociations sur différents sujets liés au développement social des
salariés et l’utilisation du concept de QVT pour fédérer les énergies, créer la cohérence et
assurer un meilleur suivi ;
3- Le renouvellement des normes du travail : nouvelle conception du travail, développement de la
sous-traitance, changement du contenu du travail par les réorganisations et les restructurations
incessantes.

4
Rattachée au Premier Ministre, elle rassemble des représentants des entreprises, des syndicats, des ONG
et des investisseurs. Sa mission prioritaire est de préparer la réponse à la demande de la Commission
européenne que chaque Etat Membre se dote d’un « plan ou liste d’actions prioritaires visant à promouvoir
la RSE dans le contexte de la mise en œuvre de la stratégie Europe 2020 ».
5
Plus de détails sur l’enquête :http://www.insee.fr/
6
Source : http://www.anact.fr/web/dossiers/performance-durable/qvt?p_thingIdToShow=27731605, page
consultée le 17/01/2014

11
Outre le droit de travail, la QVT est encadrée en France par l’Accord National Interprofessionnel
(ANI) sur l’amélioration de la qualité de vie au travail du 19 juin 2013. Cet accord fait de la QVT
un enjeu de négociation d’entreprise, sur la base d’un diagnostic partagé avec les partenaires
sociaux autour des indicateurs tels que les relations sociales et de travail (reconnaissance du
travail, respect et écoute des salariés, etc.), l’égalité de traitement entre femmes et hommes, ou la
qualité du contenu du travail (autonomie, variété des tâches, etc.).
4.1.2. Pratiques RH en matière de QVT chez GDF SUEZ
Notre étude de cas française porte sur les pratiques de la qualité de vie au travail, portée par la
filière RH, au sein de la Branche Energie Services de GDF SUEZ.
Notre choix de cette branche s’explique par plusieurs raisons :
- La nature et la diversité des activités
- L’importance de l’effectif (plus de 50%)
- L’engagement en matière de diversité à travers l’obtention du label diversité et la signature de
la charte diversité
La démarche QVT de la branche énergie services de GDF SUEZ s’inspire de la politique définie
par le Groupe GDF SUEZ qui s’articule autour de trois niveaux de prévention :
1- Prévention primaire : Il s’agit d’identifier, d’évaluer, d’éliminer les risques dans les situations
de travail pour éviter leurs apparitions sous forme d’incident ou d’accident. Ces actions de
prévention primaire sont l’axe essentiel de la démarche Qualité de Vie au Travail ;
2- Prévention secondaire : Il s’agit de gérer ou de réduire l’impact d’un risque qui ne peut pas
être éliminé. Les actions dans cette catégorie visent à sensibiliser, informer, former les
salariés et les managers. Par exemple par le biais d’une formation aux bonnes pratiques
managériales et à la gestion du stress.
3- Prévention tertiaire : Il s’agit de réparer les risques avérés. Les actions sont focalisées sur les
dommages et l’empêchement de leur aggravation. Elles permettent aussi, par la suite,
d’analyser ce qui a conduit à l’évènement, pour susciter une adaptation des mesures de
prévention primaires et secondaires.
Ces différents axes mettent en avant de manière explicite le rôle que doit jouer la filière RH pour
parvenir à une meilleure qualité de vie au travail. Pour cela, la branche a mis en place un ensemble
de dispositifs internes pour suivre la qualité de vie au travail :
• Référentiels :Guide de la QVT, Charte éthique, Charte du Management Way
• Accord GDF SUEZ en France sur la prévention des risques psychosociaux par
l’amélioration de la Qualité de Vie au Travail (fév. 2010)

12
• Reporting : la mise en place d’un certain nombre d’indicateurs de suivi (Effectif par
typologie, Taux d’absentéisme, Turnover global par CSP, Nombre de jours de grève, Taux
de fréquence des accidents du travail, etc.)
Selon les responsables, la mise en place d’une démarche QVT s’explique par la volonté du groupe
GDF SUEZ de favoriser des meilleures conditions de travail et de développer la marque
employeur vis-à-vis des jeunes talents.
Le tableau ci-après présente une synthèse des réponses en matière de QVT et de pratiques RH
mises en place par le Groupe GDF SUEZ pour répondre aux différentes pressions
institutionnelles :

Tableau4 : Pratiques QVT et RH de GDF SUEZ

Type de
Réponses en termes de pratiques
pressions Exemples de dispositifs QVT
RH
institutionnelles
- Plan d’actions pénibilité - Définition et formalisation des
- Guide et plaquettes « QVT » pour rôles et des responsabilités
formaliser des règles en matière - Session de sensibilisation
Coercitives de santé et de sécurité au travail obligatoire à la QVT destinée aux
- Information des salariés sur les nouveaux embauchés
règles applicables en matière de - Programme de formation
santé et de sécurité « Leadership en santé sécurité »
destinée aux managers
- Intégration d’une rubrique QVT
dans l’intranet des salariés du
Groupe HORIZON
- Charte éthique - Enquêtespour les managers
- Guide du management way suivies des plans d’actions pour
renforcer le lien entre les
Cognitives managers et leurs salariés
- Diffusion d’une charte des
réunions
- Copilet comités QVT - Lancement des Baromètres QVT /
- Communauté de pratique Cadres / Egalite professionnelle

13
composée des acteurs de la santé - Formation du réseau RH à
Normatives et de la sécurité au travail l’accompagnement QVT des
- Guide RPS managers opérationnels
- Dispositifs d’écoute interne et / - Volontariat d’entreprise
ou externe - Mise en place de télétravail

4.2.L’exemple Marocain : Cas de la COSUMAR


4.2.1. Le cadre institutionnel de développement de la RSE au Maroc
Plusieurs mutations ont fait évoluer l’environnement externe de l’entreprise marocaine, nous
pouvons classer les différentes évolutions et réformes en deux vagues, bien que nous soyons tentés
d’en rajouter une troisième qui est en train d’arriver en ces temps de crise. La première une vague a
accompagné l’ouverture de l’économie post ajustement structurel (1989-1999) et la deuxième
vague accompagne les changements politiques et aux évolutions sociales et ce depuis 2000.
Nous pouvons résumer ces évolutions, qui ont changé irréversiblement le contexte dans lequel
opère l’entreprise marocaine, comme suit: la mise à niveau des entreprises par les normes et le
développement des ressources humaines, les privatisations et développement des IDE, le
développement du marché Boursier, le développement de la réglementation tout azimut, les
réformes politiques et initiatives de développement humain, les revendications sociales et
sociétales de 2011 amorcées par « Le Printemps Arabe ».
Parmi les revendications qui touche directement l’entreprise, on retrouve entre autres la
transparence dans les affaires, la lutte contre la corruption, le respect des droits humains,
l’amélioration des conditions d’emploi et des relations professionnelles. Tout récemment, le rôle
accru de la société civile, accentué et renforcé par le printemps arabe, a fait découvrir à plusieurs
entreprises marocaines un devoir nouveau et ancien, celui de rendre compte à de nouvelles parties
prenantes7.
Il faut dire que le Maroc n’a pas attendu le printemps arabe pour faire évoluer sa politique et ses
structures. En effet, le Maroc a engagé depuis le milieu des années 1990 un vaste programme de
réformes sociales, dans le domaine de l'éducation, de la santé, des relations professionnelles et de
l'emploi, du logement, de la protection sociale et de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion. En
l’espace de peu de temps, le Maroc a adopté un vaste train de réformes et de lois sociales, au

7
A ce titre, les exemples de l’OCP ou de MANAGEM contraints à composer avec des revendications des
populations vivant à proximité des sites miniers sont éloquents.

14
premier chef desquelles un nouveau code du travail en 2003, remplaçant un dispositif vétuste hérité
de la période du protectorat. Parmi les réformes, on peut citer aussi la signature des accords de
“dialogue social” entre les différents gouvernements successifs, les principales centrales syndicales
et la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), le vote en juillet 2003 d’un
nouveau Code du travail (loi n° 65-99), le vote en 2001 de la loi sur les accidents de travail (loi
n° 18-01, révisée en juillet 2003), la réforme du système de santé avec l’adoption d’une loi portant
code de la couverture médicale de base en 2002 (loi n° 65.00) ou encore création en 1999
d’institutions de prises en charge du “social” tels que la Fondation Mohammed V pour la
Solidarité, le Fonds Hassan II ou l’Agence de Développement Social.
Par ailleurs, Les dix dernières années ont connu d’importantes réformes politiques visant le
développement des libertés, des droits humains, de l’égalité sociale et de la citoyenneté. A titre
d’exemple, l’initiative Nationale de développement humain s’inscrit au cœur de la stratégie
mondiale présidant aux Objectifs du Millénaire pour le Développement, proclamés par les Nations
Unies en septembre 20008.
Le concept de régionalisation avancée a été promu et consacré par la constitution de 2011 comme
un mode de gouvernance territoriale pouvant servir à réaliser, suivant une démarche intégrée, les
objectifs de la stratégie de développement sociétale du pays. Plusieurs entreprises sont sollicitées
dans le cadre de ces initiatives et participent de façon périodique au financement de projets à
travers des fondations dédiées ou directement.
Les accidents sur les lieux de travail, largement médiatisés, ont poussé le gouvernement à légiférer
dans plusieurs domaines comme : la protection contre l’incendie, le bruit au travail, la manipulation
de substances dangereuses,…
Enfin l’afflux des investissements directs étrangers, l’installation des filiales d’entreprises
multinationales et l’arrivée d’entreprises internationales pour réaliser des projets d’infrastructures,
s’est accompagné de plusieurs exigences et de pratiques de travail respectueuses de la santé et de la
sécurité des employés.Le Maroc a par ailleurs signé plusieurs traités de libres échanges et plusieurs
accords de financement avec des bailleurs de fonds qui intègrent des obligations sociales et
sociétales.
Dans cet environnement, l’entreprise marocaine est appelé à intégrer toutes ces dimensions et
mieux maîtriser les risques sociaux et sociétaux. Comme le souligne (Malki, 2010), l’engagement

8
www.pactemondial.org. le pacte mondial (Global Compact) est une initiative internationale, initié par
Koffi Anan, qui rallie plusieurs entreprises aux actions de la société civile et des organisations non
gouvernementales, actions guidées par dix principes relatifs à l’environnement, aux droits humains, aux
droits du travail et à la lutte contre la corruption.

15
sociétal des firmes marocaines en faveur des employés est une dimension importante de laRSE, elle
est plus importante que les autres dimensions.

4.2.2. Evolution de la COSUMAR


COSUMAR est un groupe marocain, filiale de la Société nationale d'investissement, spécialisé
dans l'extraction, le raffinage et le conditionnement du sucre sous différentes formes. La
transformation du sucre au Maroc existe depuis le IXe siècle9. Le produit était considéré à cette
époque comme un luxe du fait de sa rareté. La première raffinerie de sucre ouvre à Casablanca en
1929, créée par la société Saint-Louis de Marseille sous le nom de COSUMAR (compagnie
sucrière marocaine), elle produisait seulement le pain de sucre et ce pendant plus de 40 ans. Le
sucre en morceaux ne fera son apparition que début des années 1970. Au lendemain de
l'indépendance, le royaume préoccupé par la question de l'indépendance en produits de base,
entreprendra une politique interventionniste pour développer la filière sucrière.
De 1962 à 1997, plusieurs investissements de l'État en irrigation et en unités de transformation ont
été réalisés avec la création de plusieurs sucreries qui seront à la fin regroupées et confiées par
appel d’offres à la COSUMAR. Depuis le rachat des sucreries publiques en 2005, le groupe
COSUMAR se compose de cinq sociétés spécialisées dans l'extraction, le raffinage et le
conditionnement du sucre sous différentes formes
4.2.3. La démarche RSE à la COSUMAR
La démarche RSE au sein de la COSUMAR a émergé en concomitance avec les évolutions
relatées en 2.2.1 et en particulier avec les mutations majeures, ci-après, de l’entreprise :

Tableau5 : Pressions institutionnelles et stratégie de la COSUMAR


Pressions institutionnelles Réponses stratégiques de la COSUMAR
• Libéralisation de la filière sucrière • Producteur de sucre Agrégateur
(importations,…) (développement local)
• Image d’un monopole producteur d’une • Culture administrative Culture de la
matière stratégique performance
• Dépendance de l’amont agricole et • Ambition locale Ambition internationale
autonomie difficile • Nouveau positionnement (cession SNI
• Pressions sociétales WILMAR
Source : Auteurs

9
Des fabriques artisanales exploitaient la canne à sucre dans les régions du Souss et de Chichaoua

16
4.2.4. Pratiques RSE de la COSUMAR en matière de QVT
A la COSUMAR, différents acteurs interviennent dans les processus de décision en matière de
QVT. Il s’agit des Directeurs , du DRH, Responsable QSE, du Responsable sécurité, du
Responsable Achat, des Conducteurs de travaux, des Représentants du personnel, du Médecin de
travail, des Infirmiers, des Secouristes, des équipes de 1ére et 2éme intervention.
Nous avons choisi de mener des entretiens avec 3 intervenants clés qui décident et influencent les
critères de QVT et surtout en assurent la mise en œuvre sur le terrain, le Directeur des ressources
humaines, le responsable exploitation et le responsable maintenance d’un site.
Le plan d’action QVT de la COSUMAR est élaboré sur la base des engagements de la charte RSE
de la CGEM10 et notamment les engagements suivants : le respect des droits de l’homme sur les
lieux de travail et dans la société et l’amélioration en continu des conditions d’emploi, de travail et
des relations professionnelles. La COSUMAR est labélisée RSE CGEM pour l’ensemble de ses
filiales, cette labellisation porte sur l’engagement de la COSUMAR à améliorer entre autres axes
d’engagement, les conditions d’emploi et de travail. Les actions prioritaires de la COSUMAR,
mises en œuvre dans le cadre d’une logique gagnant/gagnant avec les parties prenantes selon le
Directeur des Ressources humaines sont le respect de la règlementation du travail, la promotion de
l’égalité des chances et la transparence, le développement du capital humain et un intérêt
spécifique aux femmes et aux personnes à mobilité réduite
En matière d’exploitation, les employés sont exposés à plusieurs dangers. Pour y faire face et
éviter des situations accidentelles, la COSUMAR encourage auprès de ses employés le
développement d’une culture de la prévention mais aussi, selon le responsable exploitation, un
choix appropriés des équipements dès l’achat et une configuration des conditions d’exploitation,
décidée en concertation et suite à des analyses des risques menées avec les parties prenantes, qui
permet de réduire l’exposition des employés. Selon le responsable, la santé et sécurité est une
composante indissociable de la performance industrielle des unités ; ainsi des programmes de
prévention et de protection des employés sont mis en œuvre avec l’appui du management et ce
dans le respect scrupuleux de la réglementation en vigueur.
Vue la criticité des équipements et les niveaux de disponibilité requis pour une meilleure
production, la maintenance est considérée comme une activité support clé pour la COSUMAR,
selon le responsable maintenance. Ainsi le respect de la réglementation régissant les équipements,
l’analyse des risques s’y afférant et les conditions de réalisation des activités de maintenance sont

10
Voir le détail de ces deux engagements et de l’intégralité de la charte sur le site de la CGEM :
www.cgem.ma

17
des pratiques clés chez la COSUMAR. Cette approche est étendue aux entreprises extérieures qui
sont soumises aux mêmes règles.
Ainsi les pratiques RSE de la COSUMAR en matière de QVT sont plutôt issues, au sens de
Suchman (1995), d’une recherche de compromis et d’une légitimation pragmatique mais aussi
d’une légitimité morale du fait de l’engagement personnel et charismatique du président du
groupe.

4 .3. Synthèse des deux études de cas :


Nous avons choisi, pour une meilleure clarté, de présenter la comparaison des deux cas sous forme
d’un tableau basé sur processus de transmission de (Matten& Moon, 2008) et sur les facteurs
d’institutionnalisation proposées par DiMaggio et Powel (1983) ainsi que les typologies de
stratégies de réponses basées sur la classification de Suchman (1995).

18
Tableau6 : Comparaison des deux études de cas selon les critères conceptuels retenus

COSUMAR GDF SUEZ


Type de pratiques RSE Acquiescence/ Légitimité pragmatique et Compromis Légitimités pragmatique, normative et cognitive
- Rôle important de l’Etat dans le domaine social - Rôle Important de l’Etat dans le domaine social
- Mutations, réformes et initiatives sociales au Maroc - Législation de travail et accords spécifiques de la RSE
- Législation du travail et poids mitigé des syndicats - Poids important des syndicats
- Pressions sociétales (Revendications du printemps arabe) - Développement de la labellisation (Label et charte diversité)
Cadre Institutionnel de - Libéralisation de la filière sucrière (importations,…) - Exigences de reporting (Loi NRE / Loi Grenelle 2)
la RSE - Concentration: seul producteur d’une matière stratégique (le - Conventions, référentiels et normes internationales(Pacte
sucre) subventionné par l’Etat mondiale de l’ONU, directives de l’OCDE, ISO 26000, SA
- Dépendance de l’amont agricole et autonomie difficile 8000, etc.)
- Cotation en bourse, ouverture à l’investissement étranger et à - Développement de l’investissement socialement responsable
l’international mais système financier peu efficient et marché boursier développé (Entreprise cotée en bourse)
- Système éducatif à réformer et culture de la citoyenneté en - Stratégie Europe 2020 sur la RSE
construction - Droits humains et citoyenneté très développés
- Entreprise fournissant un produit de première nécessité et de - Entreprise de service public
Processus de transmission

Nature/Rôle de la surcroit subventionné par l’Etat - Présence historique de l’Etat dans le capital
firme
- Rôle dans le développement local (Agriculteurs) - Entreprise multinationale avec une présence locale forte
- Marché libéralisé mais la subvention de l’Etat limite la - Marché concurrentiel mais secteur réglementé (Gaz et
Organisation des concurrence par les importations électricité)
processus de
marché - Poids de l’amont agricole donne un pouvoir non négligeable - Forte ouverture à l’international
aux agriculteurs - Pouvoir important des associations professionnelles

19
- Dialogue et négociation avec les syndicats - Relations d’emploi très réglementées

Systèmes de - Poids des entreprises des secteurs utilisant le sucre comme - Salarié très protégé par la loi
coordination et de intrant - Relations souvent hiérarchiques plutôt que participatives
contrôle
- Rôle de la caisse de compensation entre l’employé et l’employeur

Champ organisationnel GRH GRH


- Lois et Réglementation Forte influence des textes réglementaires sur la mise en place
- Relations avec les partenaires sociaux des démarches RSE dans plusieurs domaines (conditions de
Facteurs d’institutionnalisation

Isomorphisme - Relations avec les employés à travers leurs représentants travail des salariés, santé et sécurité, handicap, alternance,
Coercitif mixité, protection de l’environnement, reporting extra-financier,
etc.)
- Comparaison avec les pratiques des autres filiales de la SNI et - La RSE est perçue par les concurrents de GDF SUEZ (EDF,
des grands groupes marocains ENI, SPIE, Eiffage Energie, etc.) comme un facteur de
Isomorphisme - Adoption des engagements de la Charte de la CGEM et performance et d’innovation
Mimétique
Labellisation de l’ensemble des sites - Montée en puissance des clubs d’entreprises et des
- Benchmark avec les entreprises membres du club des labellisés associations dans le secteur d’énergie pour la promotion de la
de la CGEM RSE (Association Elles bougent pour la promotion de la
mixité dans le secteur de l’énergie, CSR Europe, etc.)

20
- Adoption d’un code éthique pour se mettre en phase avec les - Introduction massive des modules de RSE et d’éthique des
Isomorphisme
Normatif pratiques des entreprises cotées en bourse affaires dans les formations académiques des écoles de
- Attentes en termes de performance industrielle commerce et d’ingénieurs
- Normes de maintenance - Diffusion des cursus de Licence, Masters ou MBA
- Relations avec les sous-traitants proposant des formations sur la RSE et l’éthique.
- Recherche de compromis et conciliation entre les différentes - Définition et formalisation des rôles et des responsabilités
attentes des parties prenantes - Session de sensibilisation obligatoire à la QVT destinée aux
- Respect absolu des réglementations régissant les relations de nouveaux embauchés
travail, les équipements et les activités - Programme de formation « Leadership en santé sécurité »
- Transparence et égalité des chances dans le processus de destinée aux managers
Pratiques QVT recrutement et équité dans le traitement des demandes sociales - Enquêtes pour les managers suivies des plans d’actions pour
résultantes des salariés renforcer le lien entre les managers et leurs salariés
- Place et vigilance accordées à la femme et aux personnes à - Diffusion d’une charte des réunions
mobilité réduite pour faciliter leur travail - Lancement des Baromètres QVT / Cadres / Egalite
- Développement des compétences et du capital humain professionnelle
- Compagnes d’analyse des risques santé et sécurité pour mieux - Formation du réseau RH à l’accompagnement QVT des
maîtriser les conditions de travail en association avec les managers opérationnels
parties prenantes - Volontariat d’entreprise
- Intégration de la culture de la prévention et de la santé et - Mise en place de télétravail
sécurité dans la culture de la performance industrielle des
unités y compris chez les entreprises extérieures.

21
5. Analyse et Interprétation
Les deux entreprises de notre étude perçoivent la qualité de vie au travail comme uneobligation
dictée par la réglementation, mais aussi un ensemble d’initiatives volontaires pour asseoir leur
légitimité.Ainsi, au-delà des obligations légales, les deux entreprises ont mis en place de plusieurs
actions pour renforcer la santé et la sécurité au travail et le bien-être de ses salariés.
5.1.Consumar : La QVT au service de la légitimité
Comme l’a suggéré Malki (2010), la réglementation, la normalisation, les pressions sociales
constituent le moteur de l’intégration de la RSE. Cette RSE se focalise sur les dimensions liées à
la performance économique11. Nous pensons que la COSUMAR n’échappe pas à cette tendance.
L’entreprise, en effet, consciente de l’évolution de son environnement cherche à se conformer à
toutes les réglementations locales en matière de QVT et met en exergue cette quête de conformité
à travers les diverses certifications et labellisations engagées sur l’ensemble de ses sites. Cette
conformité est mise en œuvre dans le cadre d’une stratégie d’acquiescence et d’une stratégie de
légitimation pragmatique (Suchman, 1995) qui se manifeste par une volonté de donner l’exemple
et d’être dans le club des meilleures entreprises en la matière. Les pratiques de la COSUMAR sont
expliquées par la combinaison des trois isomorphismes de Dimaggio & Powel (1983).
Au-delà des exigences réglementaires, la COSUMAR est consciente de l’importance d’améliorer
sa performance industrielle et de répondre aux attentes de ses salariés et les retenir.
L’image de l’entreprise est très exposée vue son rôle social en amont en tant qu’agrégateur
agricole et en aval en tant que producteur unique d’un produit de première nécessité au Maroc,
d’où l’engagement de la COSUMAR dans des vastes programmes de prévention pour réduire les
taux d’accident sur les lieux de travail. Le cadre institutionnel et la sollicitude de l’Etat pousse la
COSUMAR à jouer un rôle plus large que son rôle économique. Ce cadre n’influence pas
directement les pratiques de QVT à la COSUMAR mais indirectement à travers la volonté de
l’entreprise à véhiculer une image citoyenne.

Face à la pression des syndicats et aux revendications sociétales d’une part et aux exigences de
performance attendues d’une entreprise cotée en bourse et à capitaux privés d’autre part, la
COSUMAR adopte une stratégie de compromis et négocient continuellement avec les diverses
parties prenantes pour satisfaire au maximum leurs attentes (Suchman, 1995). C’est dans ce cadre
que la QVT est discutée et mise en œuvre avec les partenaires sociaux.

11
Ibid

22
Enfin, la légitimité personnelle du dirigeant et son leadership n’est pas sans lien avec les pratiques
de la COSUMAR. Plusieurs pratiques y compris la labellisation RSE sont des indicateurs de
l’engagement personnel des dirigeants de la COSUMAR.
Ainsi, la COSUMAR adopte des pratiques QVT en phase avec son statut d’entreprise citoyenne
respectueuse des lois et règlementations et consciente de la responsabilité qu’elle a vis-à-vis de la
société en tant qu’opérateur économique performant, producteur d’un produit social par
excellence12.
5.2. GDF SUEZ : La QVT entre le local et le global
GDF SUEZ constitue le cas d’une entreprise atypique en raison de son histoire et de son
rayonnement dans le monde. Le groupe, né de plusieurs fusions dont la dernière remonte à 2008
entre Gaz De France et Suez, est toujours confronté à plusieurs défis dans un secteur en pleine
mutation. Ces défis sont liés aux changements d’organisation et aux restructurations d’entreprises
dans un contexte de crise et de repli des marchés historiques du Groupe en Europe. En outre, les
métiers du Groupe et les partenariats commerciaux établis avec les acteurs publics (collectivités
locales, établissements d’utilité publique, etc.) supposent une prise en compte des attentes des
parties prenantes dans sa quête de légitimité pragmatique au sens de Suchman (1995). En
reprenant toujours les types de légitimité de Suchman (1995), le groupe combine aussi une
légitimation cognitive, par l’adoption des référentiels et des standards internationaux dans la RSE
et la QVT, avec une légitimation normative à travers la place de l’éthique en tant que composante
intégrante des valeurs du groupe.
Bien que les actions QVT en faveur des salariés émanent de la volonté du groupe, il est fort de
constater que les pratiques QVT sont d’autant plus importantes dans les pays historiques (France
et Belgique) que dans d’autres pays. Ce constat s’explique notamment par le degré de
conformisme aux lois et aux législations locales et à l’histoire du groupe.
Le cas de GDF SUEZ combine à la fois le cas d’une entreprise fortement rattachée aux contraintes
de son environnement local historique, la France et la Belgique, et ouverte sur son environnement
international. Ainsi, la maturité des pratiques QVT dans les filiales historiques du groupe se
généralise permettent à des filiales de bénéficier des bonnes pratiques pour répondre aux objectifs
groupe en la matière. Celui-ci a déjà mis en place un certain nombre de dispositifs, comme

12
Dans la politique RSE on peut lire les propos du Président Mohamed Fikrat : « Notre engagement à servir nos
clients dans les meilleures conditions de qualité produit et de service et le soin accordé à l’ensemble de nos
partenaires, nous incitent à œuvrer pour promouvoir la culture Responsabilité Sociétale de l’Entreprise (RSE) au sein
de nos différentes directions et unités de production ». http://www.COSUMAR.co.ma/engagements/page-16-2.html

23
l’accord mondial sur la santé et sur la sécurité au travail et le projet social fondateur, pour faire de
la QVT une culture d’entreprise dans les filiales à travers le monde.

6. Conclusion
L’analyse des deux cas d’entreprises montre le caractère volontaire des pratiques sociales de RSE
en matière de qualité de vie au travail. Toutefois, ce caractère volontaire cache une stratégie de
légitimation pragmatique (associée à des légitimations cognitive et normative pour le cas de GDF
SUEZ), une recherche de compromis qui utilise la démarche RSE dans le cadre d’une approche
utilitaire pour améliorer la performance organisationnelle de l’entreprise. Malgré les limites des
études de cas, dans le sens où nous ne pouvons pas généraliser nos conclusions, nous pouvons
remarquer que les similitudes de cadre institutionnel induisent des pratiques de QVT similaires.
En revanche, la maturité du cadre institutionnel du pays d’origine d’une entreprise fait bénéficier à
ses filiales des autres pays des bonnes pratiques en matière de QVT.
La forte présence de l’Etat à travers la régulation économique et la réglementation du travail, la
syndicalisation élevée, la nature des firmes (rôle social local et de proximité, degré
d’internationalisation, relations siège-filiales, etc.), poussent les entreprises à compléter le rôle
social de l’Etat en adoptant des pratiques de QVT pour améliorer le bien-être social.Toutefois, les
entreprises s’engagent dans cette voie avec pragmatisme et utilisent ce rôle concédé par les Etats
pour augmenter leur légitimité et leur performance.
Comme tout travail de recherche, ce travail présente quelques limites. Il s’agit notamment de la
difficulté de généraliser nos conclusions, la non prise en compte des facteurs internes du champ
organisationnel tels que la culture de l’entreprise, l’engagement du dirigeant, les relations entre le
siège et les filiales dans le cadre de l’adoption de pratiques QVT. Par contre, notre étude permet de
mettre en relief l’impact du cadre institutionnel de l’entreprise, aussi bien nationale que
multinationale, sur les pratiques RH en matière de QVT.
Dans le cadre des prolongements possibles, ce travail sera enrichi par une étude longitudinale des
deux entreprises et par l’intégration des cas complémentaires d’entreprises en France et au Maroc.

24
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