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Société bilingue et cinéma bilingue: Le film

québécois “Bon Cop Bad Cop” et la fonction


des différentes langues et variétés

Magisterarbeit von Judith Meyer

Professor Dr. Alfred Monjour


Romanistik (Französisch)
Universität Duisburg-Essen
Table de matières

1. Introduction 3

2. Le plurilinguisme au cinéma
2.1 Mécanismes du plurilinguisme au cinéma 5
2.2 Fonctions du plurilinguisme au cinéma 6
2.3 Problèmes du plurilinguisme au cinéma
2.3.1 L'oralité feinte 9
2.3.2 La compréhensibilité 10
2.3.3 L'acceptabilité 11
2.3.4 La faisabilité 12
2.3.5 Le linguicisme 12
2.3.6 La traduction 13
2.4 Exemples de films plurilingues
2.4.1 « Black Rain » 14
2.4.2 « French Immersion » 15
2.4.3 « Bienvenue chez les Ch'tis » 16

3. À propos du film
3.1 Résumé du film 19
3.2 Modalités de production du film 20
3.3 Contexte socio-historique 23

4. La présentation des langues, variétés et cultures à travers les personnages du film 25


4.1 David Bouchard (québécois) 26
4.2 Capitaine LeBœuf (québécois) 30
4.3 Martin Ward (anglo-ontarien) 31
4.4 Capitaine MacDuff (anglo-ontarien) 35
4.5 Le Tueur Tatoueur (franco-manitobain) 35
4.6 M. Arbusto (texan) 36
4.7 Les autres 36
4.8 La présentation du bilinguisme canadien 37

1
5. Le choix du plurilinguisme
5.1 Les mécanismes du plurilinguisme dans « Bon Cop Bad Cop » 39
5.2 Les fonctions du plurilinguisme dans « Bon Cop Bad Cop »
5.2.1 Fonctions narratifs 43
5.2.2 Révélation de caractère 44
5.2.3 Adhérence au code de réalisme 45
5.2.4 Contrôle de l'évaluation et des émotions des spectateurs 45
5.2.5 Exploitation des ressources linguistiques 46
5.2.6 Messages thématiques, commentaire de l'auteur ou allégorie 47
5.2.7 Occasions de mettre un acteur en vedette 49
5.3 Les problèmes du plurilinguisme dans « Bon Cop Bad Cop »
5.3.1 L'oralité feinte 50
5.3.2 La compréhensibilité 50
5.3.3 L'acceptabilité 51
5.3.4 La faisabilité 52
5.3.5 Le linguicisme 53
5.3.6 La traduction 54

6. Conclusion 56

Bibliographie 58
Eigenständigkeitserklärung 61

2
1. Introduction

Le Canada est un pays bilingue, pourtant on entend souvent parler des « deux solitudes » , ce
qui veut dire le manque de communication et l'éloignement culturel entre les deux groupes
linguistiques.

Le cinéma canadien est un tel champ où les deux solitudes ne se rencontrent normalement
pas: les Canadiens anglais préfèrent de regarder les films américains, tandis que les Canadiens
français regardent beaucoup de films domestiques francophones. Ainsi, en 2003 seulement
1% des revenues des cinémas canadiens venaient de films canadiens anglophones et 20% des
revenues venaient de films canadiens francophones1.

Il est à célébrer que le film « Bon Cop Bad Cop » essaie d'unir le Canada des cinéphiles: il
ne s'agit pas d'un film québécois qui joue seulement sur les stéréotypes que les francophones
ont envers les anglophones, ni d'un film venant du reste du Canada qui tourne en ridicule les
Québécois, mais d'un film vraiment pan-canadien qui se moque un peu de tous et qui réussit
pourtant à plaire à tous, devenant le film le plus lucratif de l'histoire cinématographique du
Canada seulement trois mois après son début. En Octobre 2006, quelques mois après son
apparition, le film avait déjà remporté 11.6 millions de dollars canadiens, dont 9 millions au
Québec (cf. Kelly Brendan 2006). Brad Pelman, le directeur général de la compagnie de
distribution de films Maple Pictures, explique que les Canadiens anglophones regardent
tellement peu de films canadiens que même un million de dollars de ventes signifie un succès
formidable (cf. Kelly Brendan 2006), alors que « Bon Cop Bad Cop » a remporté plus de
deux millions de dollars au Canada anglophone. Cela dépassait de loin même les rêves du
producteur, qui avait pour but de faire un million en anglais et cinq millions en français (cf.
Robert Daudelin 2006-2007 : 22-24). Le film a donc extraordinairement plu aux Canadiens
anglophones ainsi qu'aux Canadiens francophones. En plus, ce film se vante d'être le premier
film bilingue produit au Canada.

Le bilinguisme dans « Bon Cop Bad Cop » ne s'arrête pas à l'introduction de quelques
phrases ou exclamations dans l'autre langue dont la compréhension n'est pas essentielle. Un
francophone ne peut pas comprendre ce film s'il ne comprend pas le anglais et n'utilise pas les
sous-titres. De même, un anglophone ne peut pas comprendre ce film sans sous-titres s'il ne
comprend pas le français. Les deux langues sont égales, comme les deux policiers, dont il
raconte, sont égaux. Les deux acteurs principaux, Patrick Huard et Colm Feore, sont
parfaitement bilingues et parlent les deux langues dans le film. Après le succès du film, ils ont
même été à l'affiche dans d'autres productions où ils parlaient la langue de l'autre.

1
cf. Cinema of Canada, http://en.wikipedia.org/wiki/Cinema_of_Canada 04/04/2013
3
Comme l'écrivain ne pouvait pas prédire l'avenir et ne s'attendait pas à un grand succès2, il
est quand même curieux qu'il ait choisi de concevoir le film en tant que bilingue, en tant que
premier film bilingue du Canada.

Il y avait de bonnes raisons pour ne pas ce faire : Gustavo Pérez-Firmat (2003 : 163-164)
explique que les écrivains, qui n'écrivent pas seulement dans leur langue maternelle mais
aussi dans une autre, se trouvent souvent attaqués pour cela et qu'il y a un fort sens de loyauté
envers sa langue maternelle même quand on sait parler parfaitement une autre. De plus,
l'usage de plusieurs langues dans un seul film pose beaucoup de problèmes (que je vais
explorer aussi), ce qui a convaincu beaucoup d'écrivains de films de faire semblant que le
monde entier parle et a toujours parlé une seule langue : celle de leur public.

Il se pose alors la question quelles fonctions apparemment très importantes l'écrivain de


« Bon Cop Bad Cop » espérait de remplir par le bilinguisme (en utilisant aussi de diverses
variétés de langue), qu'est-ce qui nécessitait cette divergence du modèle établi du film
québécois, et comment les producteurs ont résolu les problèmes pour attirer comme
spectateurs non seulement les bilingues mais aussi les Canadiens qui ne parlent qu'une des
langues utilisées.

Pour explorer ces questions, je vais d'abord étudier les mécanismes, les fonctions et les
problèmes du plurilinguisme au cinéma en général et en me référant à des films comparables.
Puis j'exposerai « Bon Cop Bad Cop » dans le contexte de sa production et dans le contexte
socio-historique. Avec cette préparation, je pourrai alors explorer le plurilinguisme dans
« Bon Cop Bad Cop » et essayer de trouver les réponses aux questions posées.

Une question que je vais néanmoins pas poser est celle si la représentation fictionnelle des
variétés linguistique dans le film correspond à l'usage réel des langues. Clairement le discours
filmique est une forme d'oralité feinte qui n'est pas à confondre avec la réalité. Patrick
Zabalbeascoa (2008: 162) affirme que les dialogues des média audiovisuels ne peuvent pas et
ne veulent pas répliquer fidèlement la réalité. Ce caractère artificiel du discours est une
prémisse très importante pour mon travail, parce que autrement il n'y aurait pas de sens de
chercher des mécanismes, des fonctions et de la signification dans la façon dans laquelle on a
réalisé le plurilinguisme dans « Bon Cop Bad Cop ».

2
cf. Bon Cop not so 'stupid' now,
http://www.thestar.com/entertainment/2007/02/13/bon_cop_not_so_stupid_now.html 04/04/2013
4
2. Le plurilinguisme au cinéma

2.1 Les mécanismes du plurilinguisme au cinéma

Quand il s'agit d'insérer d'autres langues dans un œuvre unilingue, le cinéma peut se servir
de tous les mêmes mécanismes qu'un texte littéraire et ensuite il y a même des mécanismes
qui ne sont possibles que dans les films.

D'abord, il faut constater qu'un texte littéraire (et aussi un scénario de film) est rarement
uniforme au point de vue de la langue. Rainier Grutman (1997 : 11) l'explique ainsi :

« Plus souvent qu'on ne le croirait, il est entrelardé d'éléments hétérogènes. En


plus d'intégrer plusieurs niveaux et diverses strates historiques de son idiome
principal, il fait une place plus ou moins large à d'autres langues : cela peut aller du
simple emprunt lexical aux dialogues en parlers imaginaires, en passant par les
citations d'auteurs étrangers. »

J'ai identifié les mécanismes suivants qu'on peut trouver sur la surface d'un texte :

1. phrases ou passages entières dans une autre langue que le reste du texte

2. mots étrangers intégrés dans une phrase autrement unilingue

3. emprunts lexicaux

4. calques

5. transpositions de la structure d'une langue à une autre

6. phrases ou passages avec indications d'un accent étranger

Ils peuvent être utilisés de façons diverses : avec ou sans traduction (souvent de façon
redoublée, le mot étranger étant suivi immédiatement de sa traduction sans autres indications),
avec ou sans explication ou définition, dans des jeux de mots, dans des citations que l'on rend
dans la langue originale et dans des maximes qu'on attribue à un étranger qui sont alors
formulé dans sa langue (mécanisme identifié par Daniel Fabre et Jacques Lacroix dans
« Langue, texte, société » 1972 : 46).

Le cinéma y ajoute plusieurs mécanismes qui ne sont possibles que dans les médias visuel-
auditives :

7. usage de sous-titres

8. audio de deux langues en même temps comme dans l'interprétation simultanée

9. musique de fond en langue étrangère

10. indices visuels en langue étrangère, par exemple dans les enseignes et pancartes

5
Un mécanisme très spécial est l'utilisation de traductions (sous forme de sous-titres) qui à
première vue semblent être correctes mais qui contiennent des erreurs systématiques, créant
une sorte d'humeur qui n'est accessible qu'aux spectateurs bilingues. Jo-Anne Hadley (2011 :
3) fait valoir que dans « Bon Cop Bad Cop », les sous-titres anglais sont des litotes en
comparaison au dialogue québécois, que toute occurrence de phrases colorées québécoises est
rendu moins forte qu'elle ne devrait être. Comme « Bon Cop Bad Cop » était traduit par le
producteur et non un traducteur expérimenté, cet effet était probablement pas intentionnel.

En tant que médium, le cinéma se prête davantage au multilinguisme que le livre, si on se


rappelle par exemple le film « La passion du Christ », dans lequel tous les dialogues sont en
araméen, en ancien hébreu ou en latin vulgaire. Le public – n'importe quel public – n'arrive à
les comprendre qu'à l'aide des sous-titres. En tant que livre, cet œuvre ne trouverait pas un
grand public, mais le cinéma le rend plus accessible, parce qu'on ne perd pas de temps à ne
rien comprendre : grâce aux sous-titres et aux indices visuels, on comprend toujours qu'est-ce
qui se passe, en même temps que l'oreille est baigné de sons exotiques qui s'ajoutent à la toile
de fond de l'histoire raconté.

En regardant un film sous-titré, on perçoit à tout moment deux textes en même temps : l'un
par l'oreille et l'autre pas les yeux, en lisant. De ces deux, le texte lu a normalement préférence
au cerveau, c'est-à-dire qu'on n'essaie pas à tout instant de comprendre l'audio. Si le cerveau
est fatigué ou accablé, il est possible que le texte écouté se fond en des sons indistincts d'où
sortent parfois des mots ou des noms familiers, tandis que les sous-titres continuent de
communiquer le contenu des dialogues.

2.2 Fonctions du plurilinguisme au cinéma

Dans « Overhearing Film Dialogue », Sarah Kozloff (2000 : 33-34) conçoit deux groupes
pour les fonctions du dialogue dans un film narratif. Dans le premier, il y a les fonctions
fondamentaux :

1. ancrage de la diégèse et des personnages

2. communication de la causalité narrative

3. actualisation d'événements narratifs

4. révélation de caractère

5. adhérence au code de réalisme

6. contrôle de l'évaluation et des émotions des spectateurs

6
Dans le deuxième groupe, il y a les fonctions qui donnent un effet esthétique, de la
persuasion idéologique ou de l'attractivité commerciale :

7. exploitation des ressources linguistiques

8. messages thématiques, commentaire de l'auteur ou allégorie

9. occasions de mettre un acteur en vedette

Les mêmes fonctions peuvent aussi être rempli par le plurilinguisme, comme je montrerai
ci-dessous.

Ancrage de la diégèse et des personnages : quand le film nous montre une ville ou un
paysage quelconque, l'usage de langue et d'accent peuvent nous ancrer. Ils peuvent aussi nous
donner des informations sur un personnage, par exemple sa nationalité (comme inférence de
sa langue), sa provenance (comme inférence de son accent ou dialecte) et son statut social
(comme inférence de sa façon de parler). Selon Kozloff (2000 : 82), des dialectes
reconnaissables et stéréotypés sont utilisés à l'écran pour croquer le passé d'un personnage et
son héritage culturel, ainsi que pour identifier sa capacité financière, son niveau d'éducation,
son origine géographique ou sa groupe ethnique. De plus, Jannis Androutsopoulos (2012 :
303) observe que l'utilisation d'un dialecte ou d'une langue minoritaire par des personnages
mineurs est une ressource pour donner de la couleur locale et pour créer un contexte
socioculturel qui sert de toile de fond pour le récit principal.

Communication de la causalité narrative : des 9 fonctions de dialogue de Kozloff, la


communication de la causalité narrative est la seule qui ne peut probablement pas être rempli
par le plurilinguisme. Avec « communication de la causalité narrative » elle veut dire que le
dialogue peut éclairer qu'est-ce qui se passe (quand les images ne sont pas assez) ou il peut
nous communiquer quelque chose qui s'est passé dans le passé, quelque chose que l'on n'a pas
vu sur écran et qui influe le déroulement de l'histoire maintenant. Le dialogue en langue
étrangère peut certainement faire cela, mais on ne reçoit pas de telles informations à travers le
choix de langue ou dialecte.

Actualisation d'événements narratifs : des fois les films utilisent un dialogue en langue
étrangère pour avancer l'histoire, par exemple quand l'héros ne le comprend pas et choisit un
plan d'action qu'il n'aurait pas choisi s'il avait compris, ou quand cela mène au rencontre avec
un personnage traducteur.

Révélation de caractère : ce que dit un personnage peut nous révéler son caractère, mais sa
façon d'utiliser (ou refuser d'utiliser) plusieurs langues peut aussi nous révéler son caractère.
Si par exemple un personnage anglais n'utilise le français que pour donner des ordres, cela
nous dit quelque chose sur lui. Si l'apprentissage d'une langue accompagne et symbolise le
changement des attitudes d'un personnage (comme dans « The Last Samurai »), je le placerait
dans cette catégorie aussi.

7
Adhérence au code de réalisme : Kozloff (2000 : 47) fait valoir que beaucoup de dialogue a
pour fonction de représenter des conversations ordinaires, de répliquer des rencontres
quotidiens, par exemple si un personnage clé arrive quelque part et salue un autre personnage
qu'on ne verra jamais plus. Il n'y a pas de signification dans un tel dialogue, sauf qu'il est
nécessaire au maintien de la plausibilité sinon du réalisme. De la même façon, si on a présenté
un personnage comme bilingue, il est souvent nécessaire qu'il utilise une langue étrangère
dans une certaine scène pour rester plausible, sans qu'il doit y avoir une signification
particulière dans le choix du plurilinguisme dans cette scène.

Contrôle de l'évaluation et des émotions des spectateurs : selon Kozloff (2000 : 49-51), le
dialogue peut être un outil pour contrôler le rythme du film, par exemple en distrayant le
spectateur ou en préparant une surprise visuelle. Dans d'autres cas, le dialogue peut prolonger
un moment. Il peut aussi attirer notre attention sur quelque chose ou guider notre
interprétation de ce que nous voyons. Finalement, le dialogue peut avoir un effet direct sur
l'état émotionnel des spectateurs. Le plurilinguisme peut remplir toutes les mêmes fonctions :
du dialogue dans une langue étrangère peut distraire le spectateur, une traduction ou un
malentendu peut prolonger un moment, un cri dans une langue inattendue peut attirer notre
attention sur quelque chose et des fois la langue (par exemple un allemand rude et fort parlé
d'un nazi) est choisi pour son effet direct sur l'état émotionnel des spectateurs.

L'exploitation des ressources linguistiques : selon Kozloff (2000 : 52-55), c'est l'utilisation
de la langue poétique, l'inclusion de blagues et d'humour, l'ironie et la narration d'histoires.
Dans le cas du plurilinguisme, l'exploitation des ressources linguistiques existe dans tout ce
qui se base sur la disponibilité de mots ou de connotations qui n'existent pas dans la langue de
base du film, par exemple l'humeur, les sous-entendus et les jeux de mots qui ne se réalisent
que par l'emploi d'une langue étrangère ou de plusieurs langues. L'exploitation des ressources
linguistiques est aussi l'introduction de mots étrangers pour des concepts qui n'existent pas (ou
qui ne sont pas supposés d'exister) dans la langue du film, comme l'usage des mots okiya,
mizuage, ekubo etc. au lieu d'une traduction dans « Mémoires d'une geisha ».

Les messages thématiques, commentaire de l'auteur ou allégorie : parfois l'auteur ou le


réalisateur d'un film souhaite nous communiquer son idéologie, une morale ou un message
quelconque. Il n'est pas très souvent que ce message adresse une question linguistique, mais il
y en a.

Les occasions de mettre un acteur en vedette : dans le contexte des dialogues, cela veut dire
que l'on donne à l'acteur la chance de montrer sa capacité de parler très vite, de parler d'un
style inhabituel ou de montrer beaucoup d'émotions (Kozloff 2000 : 60-61). Dans le cas du
plurilinguisme, l'acteur aurait la chance de faire tout cela dans une langue étrangère ou de
montrer sa capacité de changer de langue / de dialecte / d'accent.

8
Ces 9 fonctions s'appliquent (sauf une) très bien au plurilinguisme.

Dans « The Transamerican Trail to Cerca Del Cielo », Joshua L. Miller (2003 : 122-123)
parle des films multilingues comme ceux de John Sayles et Ang Lee comme donnant aux
réalisateurs et producteurs les possibilités

1. d'utiliser les esthétiques de cultures multilingues, multiraciales et trans-américaines

2. de présenter des pratiques linguistiques alternatives pour contester le prestige des langues
impériales (donnant aussi l'exemple du film « La Haine » de Mathieu Kassovitz qui subvertit
la langue propre de Paris)

3. de récupérer les complexités d'une subjectivité multiethnique.

Je pense que les deux premier de ces fonctions ne sont que des cas spéciaux des fonctions
que je viens de décrire : la première correspond à l'exploitation des ressources linguistiques et
la deuxième est une sorte de message thématique (l'utilisation du film pour transporter une
idéologie). La troisième pourrait être considéré comme message thématique aussi, parce
qu'elle est l'intention, à l'aide de plus de réalisme que l'on ne voit souvent, de faire
comprendre une certaine problématique aux spectateurs.

2.3 Problèmes du plurilinguisme au cinéma

2.3.1 L'oralité feinte

Tout comme le dialogue du théâtre, le dialogue filmique ne doit pas être pris comme
discours naturel. Selon Jean Chothia3, ce genre de dialogue s'appuie sur la duplicité :

It is not spontaneous but it must appear to be so. It is permanent but must appear
to be as ephemeral as the speech it imitates. The actor must seem to speak what in
reality he recites. In sharing the convention, the audience in the theatre has a share
in the duplicity. We simultaneously accept the illusion of spontaneity and know that
it is a pretense.

Tous les films souffrent du fait qu'ils nous proposent des dialogues scriptés, qui ne sont
qu'une imitation d'une vraie conversation, parce qu'ils ont été scriptés, écrits, réécrits,
censurés, polis, répétés et réalisés. Ou on a supprimé les hésitations, répétitions, digressions,
grognements, interruptions et marmonnements du discours quotidien, ou on les a inclus
délibérément (cf. Kozloff 2000 : 18).

Dans les films plurilingues comme « Bon Cop Bad Cop », il y a le même problème, mais
pire, parce que les écrivains de dialogue doivent aussi tenir compte des habitudes différentes
de parler des diverses communautés linguistiques et des alternances du code.

3
Jean Chothia : Forging a Language: A Study of Plays of Eugene O'Neill, p. 7, cité dans Kozloff 2000 p. 16
9
J'ai qualifié cela comme « problème » parce qu'il rend difficile le travail des écrivains et
parce que les linguistes ne peuvent pas trop se fier des corpus de discours filmique comme
outil de recherche sur la langue orale. Pourtant ce « probleme » rend mon propre travail plus
simple, parce qu'il n'y a presque pas de hasard dans le choix d'émissions. Si un personnage dit
quelque chose, ses paroles ont une fonction (ou plusieurs). Si un personnage utilise une
langue au lieu d'une autre, cela a une fonction aussi. Jean Chothia explique au sujet des
personnages de film : « his dialogue, however natural it may appear, must be most unnaturally
resonant with meaning and implication »4.

2.3.2 La compréhensibilité

Selon Sarah Kozloff (2000 : 15-18), même si les personnages ont l'apparence de se parler
l'un à l'autre, ils parlent vraiment aux spectateurs. Les dialogues sont nécessaires pour les
histoires et les caractérisations ayant une complexité plus que rudimentaire, parce qu'il y a une
« overestimation of what viewers understand from the visuals or the editing alone » (cf.
Kozloff 2000 : 14). Ainsi, il est crucial que les spectateurs pourront comprendre les dialogues,
même s'ils sont entre deux parleurs de langues étrangères.

L'introduction du plurilinguisme crée des problèmes dans ce champ, au cinéma comme dans
la littérature. Plus qu'il y a de dialogue en langue étrangère, plus le danger est grand que le
spectateur ou lecteur s'ennuiera de ne rien comprendre, ou s'ennuie d'avoir à dépenser tant
d'effort à comprendre, en comparaison avec un film unilingue dans sa langue maternelle. Le
plus grand défi est donc de trouver un bon équilibre entre le désir d'utiliser de langues
étrangères et le confort du spectateur ou lecteur.

Dans « Overhearing Film Dialogue », Sarah Kozloff (2000 : 80) fait valoir que
historiquement, on trouve peu de réalisme (qu'un personnage parle dans la langue qu'il aurait
dû parler selon sa biographie personnelle ou son environnement), parce qu'il y a d'autres
exigences concernant la langue du film. Ainsi on cherche de minimiser le dialogue en langue
étrangère.

Lukas Bleichenbacher (2012 : 158) a analysé 28 films récents et connus en langue anglaise
qui avaient beaucoup de succès et qui traitaient des situations de contact linguistique, avec des
protagonistes qui voyageaient ou migraient à d'autres pays. Dans 12 de ces 28 films, l'anglais
remplace complètement les autres langues (qui étaient des langues majeures comme le
français, l'allemand, l'espagnol ou le russe) dans des situations où l'anglais n'aurait pas pu être
parlé.

4
Jean Chothia : Forging a Language: A Study of Plays of Eugene O'Neill, p. 8, cité dans Kozloff 2000 p. 16
10
Il a aussi constaté (2012 : 160) que même dans des films spécifiquement plurilingues,
l'anglais est parlé presque cinq fois plus souvent que d'autres langues et il n'y a qu'un nombre
insignifiant d'alternance de code linguistique.

Dans les cas où il y a effectivement du dialogue en langue étrangère, on révèle presque


toujours sa signification – ou par contexte, ou par l'usage de mots apparentés, ou par gestes,
ou par la présence d'un personnage bilingue qui peut traduire. En autre que cela, on peut
utiliser des sous-titres, que le spectateur apercevra en même temps que les phrases parlées en
langue étrangère, pour minimiser le temps où le spectateur ne comprend rien, ce qui retient
son attention.

Avec tant de possibilités de rendre compréhensible un dialogue en langue étrangère, le


cinéma s'apprête donc plus à des œuvres bilingues ou plurilingues que la littérature, mais,
comme je viens de montrer, elle ne s'en sert pas.

2.3.3 L'acceptabilité

Une des raisons pour ne pas montrer plus de dialogue en langue étrangère est certainement
le manque d'acceptabilité.

Il y a différentes traditions de cinéma dans divers pays. Par exemple en Allemagne, le public
est accoutumé au doublage de films étrangers, surtout américains, tandis que les mêmes films
sont sous-titrés aux Pays-Bas. Généralement, si un pays parle une langue dans laquelle
beaucoup de films sont produits, les spectateurs dans ce pays n'aiment pas écouter une langue
qui n'est pas la leur, parce qu'ils n'y sont pas accoutumés. Quand une telle préférence est
établie, il reste seulement l'option du doublage (comme en Allemagne et en France) ou la
réjection des films étrangers (comme aux États-Unis).

Les préjugés nationaux peuvent aussi jouer un rôle. Mette Hjort et Scott Mackenzie (2000 :
283) racontent d'un tel cas en Norvège : on voulait présenter une série de films danoises
communément connu comme « Olson Gang Movies ». Au Danemark, ces films avaient étés
très populaires et, comme les cultures, les langues et les structures sociales sont très similaires
dans les deux pays, on s'attendait à un grand succès aussi en Norvège. Les films ne
fonctionnaient pas là-bas. On a donc créé une version norvégienne avec des acteurs
norvégiens et on a remplacé toutes les références pour faire semblant que les films se
déroulaient en Norvège. Avec ces changements, la série est devenue un grand succès là-bas,
comme elle l'avait été au Danemark.

11
2.3.4 La faisabilité

Le médium du cinéma nous présente de nouveaux problèmes de faisabilité, qui n'existent


pas dans la littérature.

Si on accepte d'utiliser les sous-titres pour rendre compréhensible un dialogue en langue


étrangère, comme la plupart de films plurilingues le font, il y a un problème de manque de
temps. Le sous-titrage est un art difficile, parce que les personnages parlent parfois si rapide
que les spectateurs ne peuvent pas lire le même texte en traduction dans le même espace de
temps.

Pour résoudre ce problème, on est alors parfois contraint de choisir ses traductions selon le
critère de la brièveté, non selon le critère d'une représentation précise de ce qui était dit. Les
marques d'oralité, comme les exclamations ou les répétitions, ne sont presque jamais traduites
à cause de cela. Même sans marques d'oralité, il y a parfois des cas où le discours est encore
trop long et où il faut accepter qu'on ne puisse pas traduire tout ce qui est dit. On perdra des
mots ou même de phrases entiers. Par contre, si le réalisateur est conscient de cette limitation
et désire l'éviter, il peut l'utiliser pour créer un style spécial, comme celui de John Sayles dans
le film « Lone Star », style qu'il décrit lui-même comme « part haiku and part catechism »
(Joshua L. Miller 2003 : 143).

Il y a aussi le problème du manque de possibilité d'analyse. Si on rencontre une phrase


étrangère dans un livre, on a le temps de l'analyser et d'essayer de la comprendre. Ainsi
l'écrivain pourrait écrire en dialecte ou même dans une langue proche à celle du lecteur et
avoir confiance que le lecteur essaiera de la comprendre. Au cinéma, les paroles sont
éphémères et personne ne pourra les analyser s'il ne les a pas compris la première fois. Cela
empêche non seulement l'utilisation de mots étrangers de façon entrelacée, mais aussi
l'utilisation de mots dialectales, rares ou démodés, ainsi que tout accent inhabituel.

2.3.5 Le linguicisme

Comme résultat de l'utilisation trop rare de langues étrangères, dialectes et accents


inhabituels, il y a le problème du linguicisme.

Le linguicisme est défini par Phillipson (1992 : 47) comme étant « ideologies, structures and
practices which are used to legitimate, effectuate, and reproduce an unequal division of power
and resources (both material and immaterial) between groups which are defined on the basis
of language ». Il y a par exemple l'habitude de caractériser des langues autres que l'anglais
comme locales, inutiles, restrictives etc. (cf. Phillipson 1992 : 282). Le linguicisme est un
problème connu de la littérature et même des livres non-fictionnels (aussi de la société en
général).
12
Au cinéma, ce problème est plus vaste que dans la littérature, parce qu'il s'étend non
seulement à des langues mais aussi à des variétés non-standard et des dialectes. On ne trouve
généralement pas ces variétés à l'écrit, parce qu'il y a peu de tolérance pour la langue non-
standard et les orthographies spéciales qui refléteraient les sociolectes ou idiolectes des
personnages.

Au film, il n'y a pas de neutre : tous les personnages auront un accent ou on constatera le
manque d'un accent, ce qui nous communique quelque chose sur eux aussi. Cela veut dire que
le cinéma comme médium permet une plus grande richesse de différentes variétés de langue
que la littérature, mais cette richesse est acheté au prix de l'introduction du linguicisme envers
ces variétés non-standard : généralement, les protagonistes d'un film parleront la langue
standard (cf. Irvine & Gal 2000) et plusieurs études ont montré que les variétés non-standard
sont souvent reliées aux personnages mineurs (cf. Lippi-Green 1999) ou aux personnages de
statut inférieur (cf. Geeraerts 2001).

Lukas Bleichenbacher (2012 : 172) constate qu'on trouve du linguicisme, ainsi que le
triomphalisme de l'anglais comme langue unique, dans la plupart des films ordinaires
(« mainstream »). Heureusement il a trouvé aussi que les réponses du public ne sont pas aussi
homogènes et il y a plusieurs, même sur les sites anglophones ordinaires, qui s'opposent à
cette représentation des langues dans les films (cf. Bleichenbacher 2012 : 167-172).

2.3.6 La traduction

Si un œuvre est déjà bilingue ou plurilingue, comment pourrait-on le traduire ?

Patrick Zabalbeascoa (2008 : 173) a raison de constater que « En términos generales, ni la


teoría ni la práctica de la traducción tienen nada previsto para textos originales que no sean
monolingües y esto se vuelve muy problemático para la traducción audiovisual porque suele
darse con bastante frecuencía ». S'il faut traduire un œuvre bilingue pour un public qui ne
comprend aucune des deux langues, cela veut dire qu'on doit remplacer l'expressivité de deux
langues, ainsi que l'expressivité qui consiste du choix de langue à chaque moment, par une
seule langue.

En plus du problème de crédibilité que cela entraîne, il y a un très grand problème dans la
représentation. Comment indiquer au public qu'une phrase est dans une langue ou dans
l'autre ? On pourrait peut-être représenter chaque langue par une variété différente, mais alors
tous les personnages ayant une même langue maternelle devraient parler le même dialecte et
sociolecte, ce qui n'est peut-être pas crédible. S'il s'agit d'une traduction de film à l'aide de
sous-titres, on pourrait peut-être utiliser l'aspect du texte (lettres italiques, couleurs) pour
encoder l'information sur la langue parlée, mais cela est difficile dans le système existent de
sous-titrage. Le problème reste donc irrésolu.

13
2.4 Exemples de films plurilingues

2.4.1 « Black Rain »

Le film américain « Black Rain » se prête facilement à une comparaison avec « Bon Cop
Bad Cop » parce qu'il s'agit, là aussi, d'un buddy cop film bilingue. Dans le cas de « Black
Rain » ce sont deux détectives américains qui sont envoyés au Japon, où ils sont censé de
remettre un meurtrier aux autorités japonaises. Cependant le meurtrier leur échappe et ils sont
embrouillés dans une guerre entre la police japonaise et la yakuza (mafia), avec un détective
japonais qui devient leur guide et ami.

Comme tout le film sauf les premières scènes se déroule au Japon, on entend assez de
japonais dans ce film (toujours dans des passages longues ou des phrases complètes,
mécanisme 1), même si les détectives communiquent seulement en anglais ; les américains ne
savent pas le japonais.

Ceci n'est pas un jugement contre l'apprentissage des langues : le film démontre qu'il peut
être utile de connaître des langues étrangères (même si le héros américain se débrouille trop
facilement sans savoir le japonais) à travers les personnages japonais qui ont l'avantage en
étant bilingues et à travers le personnage d'une américaine au Japon qui parle bien le japonais
et qui aide au héros.

Contrastant avec « Bon Cop Bad Cop », « Black Rain » n'est pas une comédie et les langues
ne sont pas utilisés pour un effet comique (sauf que l'un des détectives aime citer des
proverbes avec un contenu sexuel, ce qui perplexe les Japonais pendant un instant). Si les
policiers japonais se parlent en japonais, il n'y a pas de sous-titres non plus ; les spectateurs
restent en dehors des conversations et doivent attendre un interprète, tout comme les
détectives américains dans le film. Les conversations en japonais servent donc la même
fonction que le curieux choix de lumières – le directeur veut donner aux spectateurs un
sentiment d'étrangeté et de vulnérabilité (fonction 6 : contrôle de l'évaluation et des émotions
des spectateurs).

Il y a quelques scènes avec du japonais sous-titré : les scènes où les oyabun (chefs de mafia
japonaise) se parlent entre eux-même. La fonction de la langue dans ces scènes est celle de
l'adhérence au code de réalisme (fonction 5). Si tous les policiers japonais sont montrés
comme parlant en japonais dans le film, il serait ridicule si les oyabun se parlent en anglais,
même s'il est nécessaire que les spectateurs comprennent ces derniers. Il serait aussi trop
irraisonnable d'introduire l'élément d'un interprète (comme dans les scènes avec la police)
dans les rencontres séquestrés de la yakuza. Il faut alors utiliser le japonais avec des sous-
titres.

14
Toutefois, quand le héros américain parle à un oyabun vieux et vénéré, la conversation est
en anglais, ce qui n'est pas très réaliste, surtout parce que cet oyabun a de la rancœur contre
les américains et l'américanisation de la culture japonaise.

Tout comme dans « Bon Cop Bad Cop », il y a un élément d'apprentissage ou de


rapprochement culturel dans « Black Rain », notamment que le détective japonais apprend
d'avoir plus de confiance dans ses intuitions et de prendre un risque, tandis que l'américain
survivant apprend des choses sur la mentalité japonaise et fini par respecter leurs idées
d'honneur. Contrairement à ce qu'on a fait dans « Bon Cop Bad Cop », cet apprentissage et
rapprochement dans « Black Rain » n'est pas accompagné d'un apprentissage de langue ; ni
l'américain ni le japonais parlent mieux la langue de l'autre à la fin du film, et il n'y a pas de
morale sur l'entente des peuples, la nécessité d'apprendre des langues ou de quoi que ce soit.

2.4.2 « French Immersion »

Le film « French Immersion – c'est la faute à Trudeau » se prête à la comparaison parce qu'il
est une comédie bilingue du même producteur que « Bon Cop Bad Cop », avec un thème plus
clairement linguistique. Ce film est apparu en 2011 (« Bon Cop Bad Cop » en 2006) et n'avait
pas autant de succès que l'autre.

Le film raconte l'histoire d'une groupe de canadiens anglophones (ainsi qu'un américain du
New York) venant de divers parties du Canada pour apprendre le français dans un petit village
au nord du Québec.

Ce village, Saint-Isidore-du-cœur-de-Jésus, est à 99% francophone, catholique et séparatiste,


ce qui le rend parfait pour une immersion totale dans la langue et culture québécoises. Les
étudiants viennent de milieux très différentes, par exemple il y a un politicien bisexuel
incognito qui doit apprendre le français et se donner un image pro-québécois pour avoir une
chance d'être élu comme premier ministre du Canada, une hôtesse d'air d'origine africaine qui
a besoin d'améliorer sa prononciation pour retenir son travail, un homme de Red Horse qui est
obligé d'être bilingue pour être employé municipal à Red Horse même s'il n'y a aucun citoyen
francophone là-bas... Le film montre souvent le côté ridicule du biculturalisme canadien (cf.
Andrew Chung 2011), avec des politiciens plaidant pour « un Québec libre et indépendant
dans un Canada fort et uni » et des francophones qui se plaignent des Canadiens anglophones
monolingues tandis qu'aucun des personnages francophones ne parle bien l'anglais.

Colm Feore, qui jouait le policier anglophone dans « Bon Cop Bad Cop », a un petit rôle
dans ce nouveau film comme adversaire politique du politicien venu pour apprendre le
français. On le voit parfois à la télévision faisant des discours où il frime sa capacité de passer
rapidement d'une langue à l'autre (fonction 9 : occasions de mettre un acteur en vedette). Le
reste des personnages ne change généralement pas rapidement de langue, pas comme dans
« Bon Cop Bad Cop ».
15
Les gens du village parlent français presque tout le temps pour donner un environnement
d'immersion aux étudiants et les étudiants parlent soit l'anglais, soit un français qui écorche
les oreilles (mécanismes 1 et 6).

La fonction du bilinguisme dans ce film est d'abord l'adhérence au code de réalisme


(fonction 5). Comme le sujet du film est l'apprentissage du français par une groupe de
débutants anglophones, il serait trop incroyable si les étudiants disaient des phrases avancées
en français ou si leurs professeurs parlaient l'anglais. Il y a un côté humoristique (fonction 7 :
exploitation des ressources linguistiques) aussi ; on utilise les faibles connaissances de langue
des Québécois et des étudiants pour faire des jeux de mots ou lancer des situations comiques
comme par exemple celle où un étudiant vient à croire que sa famille d'accueil ait une fille au
nom de Cégep qui soit morte.

La réalisation technique du bilinguisme dans « French Immersion » est la même que dans
« Bon Cop Bad Cop », c'est-à-dire que le film utilise les deux langues sans explications ou
traductions intégré dans l'histoire, mais qu'il y a des sous-titres français dans les cinémas du
Québec quand les personnages parlent anglais, ou des sous-titres anglais dans les régions
anglophones quand les personnages parlent français.

Selon une étude de Andrew Chung (2011), Robert Charlebois, icône québécois qui a un rôle
majeur dans le film comme sénateur canadien en retraite, espère que le film répandra le
français au Canada (fonction 8 : messages thématiques, commentaire de l'auteur ou allégorie),
mais se donne pessimiste : il croît que le français va disparaître du Québec dans trois ou
quatre générations et qu'il est difficile pour des Québécois et des Canadiens anglophones
d'être des amis à cause de la langue et de l'histoire.

Kevin Tierney, l'écrivain et réalisateur du film, reconnaît que le français est en danger au
Québec et qu'il y a des gens qui blâment le bilinguisme, mais il retient qu'il est un grand
avantage pour les Québécois de pouvoir apprendre une autre langue presque sans efforts. Il
nie que le film ait un message de conclusion (cf. Andrew Chung 2011).

2.4.3 « Bienvenue chez les Ch'tis »

Cette comédie française sorti en 2008 raconte l'histoire de Philippe Abrams, directeur d'une
agence de poste vivant dans le sud de la France, qui est obligé d'aller travailler à Bergues dans
le région Nord-Pas-de-Calais pendant au moins deux ans comme punition pour un essai de
tromper le système des transferts. La femme de Philippe refuse de lui suivre parce qu'elle a
entendu trop d'histoires cauchemardeuses au sujet de la vie dans le Nord, elle reste en
Provence avec leur fils.

16
Philippe se rend compte très vite que le Nord n'est pas du tout comme on le lui a raconté. Il
se fait beaucoup d'amis et découvre le côté charmant du Nord. Pourtant il continue de raconter
des histoires cauchemardeuses fausses au sujet de sa vie à Bergues, parce que sa femme et ses
amis ont des préjugés contre cette région et n'accepteraient pas d'autre.

Cela devient un problème quand sa femme se décide de le rejoindre à Bergues. Philippe


enjoint ses amis chtimis de faire semblant que les histoires sont vraies afin de convaincre sa
femme de retourner dans le sud, mais elle tombe en amour avec la région quand même et
Philippe doit lui avouer la vérité. À la fin, trois ans après son transfert punitif, Philippe est
triste de quitter Bergues quand il est transféré à un poste sur une île méditerranéenne.

Le film tire son humeur de son exagération des préjugés habituels contre cette région – par
exemple on dit souvent qu'il fait froid dans le Nord-Pas-de-Calais, mais dans le film, les gens
du sud sont convaincus qu'il y ait un climat arctique là-bas et même le bulletin
météorologique ne peut pas les convaincre du contraire.

Il y a deux variétés dans ce film : le français standard (cependant parlé d'un homme du midi)
ainsi que le dialecte picard. Le picard contribue à l'humour du film (fonction 7), mais il est
aussi utilisé dans des situations sans but humoristique. C'est-à-dire que l'usage de cette variété
est déterminé d'abord par l'adhérence au code de réalisme (fonction 5). Bien sûr il faut ignorer
le fait que Bergues est une des villes dans la région où on ne parle pas le picard mais plutôt le
flamand. Si on s'imagine dans une autre ville de la région, alors les occasions d'usage du
dialecte picard dans le film montrent les signes d'un souhait du plus vaste réalisme possible :
on ne trouve jamais du français standard dans des scènes où les habitants auraient
normalement parlé picard. On entend même moins de français standard que l'on n'aurait
pensé, parce que le directeur de poste apprend à parler comme les locaux très vite (fonction
3 : actualisation d'événements narratifs).

Au cours du film, le picard existe dans des formes diverses plus ou moins compréhensibles.
Des fois il y a des mots picards formant des phrases complètes (mécanisme 1), des fois les
phrases ne sont que du français standard prononcés avec un accent picard (mécanisme 6). Il
n'y a jamais de sous-titrage et très peu de situations avec interprète, alors l'audience est censé
d'apprendre à comprendre les particularités de la prononciation picarde au cours du film – ce
qui ne serait certainement pas possible si on essayait de leur apprendre la vraie langue
picarde.

Les différentes formes du picard, compréhensibles ou non, s'expliquent par une ambivalence
dans l'emploi. Des fois le picard est utilisé pour aliéner l'audience (quand les personnages sont
inintelligibles) (fonction 6 : contrôle de l'évaluation et des émotions des spectateurs) et
d'autres fois il est utilisé pour attirer la sympathie de l'audience pour ce qui est montré comme
l'expression de l'identité d'une communauté (cf. Planchenault 2012 : 253-254) (fonction 8 :
messages thématiques, commentaire de l'auteur ou allégorie).

17
En tant que message de conclusion du film, il est clair que le réalisateur souhaite améliorer
la réputation de la région Nord-Pas-de-Calais, qui est d'ailleurs la sienne.

Selon Gaëlle Planchenault (2012: 266-267), Dany Boon aurait dit que son but principal est
de présenter la langue et la culture de ses origines à son audience français. Aussi, il me semble
qu'il désire montrer le côté charmant du Nord.

Par contraste avec les Français du sud montrés dans le film, qui ne sont pas prêts de changer
leurs préjugés même quand on leur confronte avec l'évidence du contraire, le réalisateur place
son public devant un miroir et leur présente le défi de repenser leurs préjugés.

18
3. À propos du film

3.1 Résumé du film

Le film « Bon Cop Bad Cop » est une comédie avec amplement d'action, de mystère et de
sport. On peut le classifier comme buddy cop film, qu'on appelle aussi buddy film. Le buddy
cop film est communément décrit ainsi :

Genre filmique apparu au début des années 1980, articulé autour d'un duo de
héros composé de deux personnalités très différentes, généralement des policiers
obligés de faire équipe bien malgré eux. Leur collaboration, d'abord difficile, se
nouera peu à peu en solide amitié, le tandem parvenant à surmonter ses
antagonismes face à un adversaire commun. Cette recette éprouvée restant
généralement cantonnée au genre policier, on parle aussi de « buddy cop film », les
aptitudes très différentes des deux flics leur permettant de résoudre chacun une
partie de l'enquête pour en faire au final un duo parfaitement complémentaire.
Accessoirement, le contraste entre les deux personnages sert aussi de ressort
comique au film.5

Dans « Bon Cop Bad Cop », les deux policiers, qui sont les personnages principaux,
viennent du Québec et de l'Ontario. Ainsi, des complications supplémentaires s'ajoutent aux
difficultés typiques pour ce genre de film, notamment les différences culturelles, l'arrogance
et les préjugés. La langue n'est pas une grande complication puisque les détectives sont tous
les deux bilingues.

Le film commence avec une scène de meurtre tellement noire et sinistre qu'Éric Canuel, le
réalisateur, commente qu'il avait peur que les gens ne croient qu'ils s'étaient trompé de salle
de cinéma6. Peu après, c'est la comédie : les détectives David Bouchard (joué par Patrick
Huard) de la Sûreté du Québec et Martin Ward (joué par Colm Feore) de la Sûreté de
l'Ontario se rencontrent initialement à un endroit de crime et se détestent immédiatement. Et
pourtant, leurs chefs les font collaborer sur le dossier, dont la juridiction n'est pas certaine,
parce que la victime avait été trouvé exactement sur la frontière du Québec et de l'Ontario.

La victime est identifiée comme étant Benoît Brisset, un haut dirigeant du hockey. L'analyse
révèle aussi qu'il est tombé d'un hélicoptère, ce qui mène les détectives à une compagnie
d'hélicoptères, puis à la recherche de Luc Therrien, l'unique pilote d'hélicoptère qui aurait pu
rejoindre l'endroit du crime au bon moment. Ils le trouvent dans un bar et, après une bagarre,
arrivent à l'enfermer dans le coffre de la voiture de Bouchard (la bagarre et l'arrestation sont
des scènes extrêmement comiques parce que le film est d'abord une comédie).

5
Le glossaire de Nanarland, http://www.nanarland.com/glossaire-definition-223-B-comme-buddy-movie-ou-
buddy-film.html 05/04/2013
6
Kevin Tierney et Éric Canuel: Commentaire français du film, trouvé sur le DVD canadien
19
Ensuite, David Bouchard doit aller voir sa fille qui figure dans une présentation de ballet;
Martin Ward l'accompagne et ils laissent le suspect dans la voiture. Quand ils reviennent, la
voiture explose. Martin est prêt à quitter à ce moment-là, mais David le convainc d'aller
fouiller la maison de Luc Therrien d'abord. Là, ils trouvent une autre victime, elle aussi liée
au hockey professionnel, et une culture de marijuana. Celle-ci est protégée par un piège qui
met feu à la maison. David sauve la vie à Martin en l'aidant de sortir de la maison, mais les
deux détectives sont drogués par la marijuana qui brûle et on les retire du dossier.

La prochaine victime, découverte à Toronto, leur permet de comprendre que le tueur tatoue
toutes ses victimes et que les tatouages donnent des indices menant à la victime suivante. De
plus, toutes les victimes ont fait transférer une équipe de hockey canadienne ou un joueur aux
États-Unis. Grâce à ces connaissances, les détectives savent anticiper la prochaine victime. Ils
essaient donc de la rejoindre avant qu'elle ne participe à un talk-show, mais elle a déjà été
kidnappée. Martin et David sont contraints de participer à l'émission à sa place, avec un
modérateur très antiquébécois. Pendant l'émission il y a un appel de celui qui semble être le
cerveau de l'opération criminelle, mais l'appel ne peut être retracé.

Ensuite, Therrien, qui n'est pas mort du tout, attaque Ward dans sa maison et il enlève la fille
de Bouchard pour l'empêcher de nuire à ces plans. La prochaine victime est M. Buttman, un
minable qui tente de vendre une équipe de hockey canadienne au Texas. Martin et David
enlèvent Therrien et aussi Buttman enlèvent avant que le meurtrier ne puisse l'atteindre. À ce
moment-là, on peut constater à quel point Martin Ward et David Bouchard sont devenus amis
(comme le genre le prévoit) : David lui offre de rester avec sa famille parce qu'il a l'intention
d'échanger Buttman contre sa fille dans les négociations avec le criminel qui est derrière tous
ces meurtres. Martin pourrait facilement perdre son emploi s'il participe à ce plan, mais il
n'hésite pas à suivre David. Au rendez-vous avec le tueur tatoueur, les deux proposent
d'échanger Therrien contre la fille de David, mais le tueur tire sur Therrien et exige Buttman
en échange de la fille. Les détectives sont forcés d'accepter. Le criminel s'échappe. Martin
désamorce la bombe attachée à la fille de David et David lui confie la tâche de veiller sur la
fille (ça aussi preuve de l'amitié profonde qui s'est développée) pendant qu'il va à la poursuite
du criminel. Ils se battent et quand David n'en peut plus, Martin vient à sa rescousse. À la fin,
le criminel explose de par sa propre bombe et Buttman annonce une nouvelle initiative pour
veiller à se qu'aucune équipe de hockey canadienne ne sera plus vendu aux États-Unis.

3.2 Modalités de production du film

Le film a été produit par une équipe bilingue, en commençant par son écrivain Patrick
Huard, un Québécois francophone qui est aussi l'un des acteurs principaux.

20
Le producteur (Kevin Tierney, un Irlandais vivant à Montréal) et le directeur du film (Éric
Canuel, un Québécois francophone) sont aussi parfaitement bilingues et ils en faisaient preuve
en enregistrant deux versions de commentaires sur le film – dans l'une ils parlent tous les deux
français et dans l'autre anglais, sans difficultés. Beaucoup des acteurs travaillant sur le film
sont bilingues aussi, même s'ils n'ont pas de rôle bilingue. La plupart des acteurs sont
reconnaissables aux Canadiens, parce qu'il s'agit de fameux comédiens (anglophones ainsi que
francophones), de modérateurs de télévision ou de radio et cetera. Les lieux de tournage
étaient Montréal et Toronto.

Contrairement à même la plupart des films dits « bilingues », « Bon Cop Bad Cop » n'a pas
de langue principale. Le français et l'anglais sont égaux. Les langues ne sont pas limités à
certains contextes non plus. Peu importe si les détectives se trouvent à Montréal ou à Toronto,
quand ils sont à eux seuls, ils parlent tant le français que l'anglais. On ne peut pas se fier à ce
qu'un certain personnage parlera toujours une certaine langue, parce que les deux détectives et
le tueur tatoueur changent de langue comme ils le souhaitent. On peut même constater qu'il
est rare qu'une conversation (sans d'autres personnages que ces trois) reste dans une seule
langue ; souvent les réponses se donnent dans une autre langue que les questions.

Cette alternance de code linguistique très fréquente est difficile pour le spectateur qui
n'arrive peut-être pas de changer de langue aussi aisément que le font les acteurs. Pour cette
raison, et aussi pour les spectateurs monolingues, il y a des sous-titres.

Dans les cinémas canadiens, il y a deux versions du film : dans l'une, les dialogues anglais
étaient sous-titrés en français (mais il n'y avait pas de sous-titres pour les dialogues en
québécois, ce qui pourrait poser des problèmes pour les immigrants francophones), et dans
l'autre les dialogues français étaient sous-titrés en anglais. Il n'est donc pas possible pour des
spectateurs francophones et anglophones de regarder le film ensemble. Le film a été
légèrement altéré pour les deux audiences : le journaliste sportif parle en anglais au début du
film. C'est Ron Fournier, un star de la radio canadienne et un ancien arbitre de hockey
professionnel, qui se double soi-même pour la version en anglais ; le seul cas de doublage
dans le film entier. Kevin Tierney confirme que ce changement a été effectué pour que les
spectateurs anglophones savent immédiatement qu'il ne s'agit pas d'un film entièrement en
français7.

De plus, Heather Macdougall (2011 : 12) a constaté une différence entre le marketing des
versions anglais et français du film :

Separate advertising materials were also prepared in the two official languages.
Both theatrical trailers emphasized the linguistic subject matter of the film, although
there is a notable difference in the approach of the two versions. The English
trailer, which ran under the tagline “Shoot first, translate later,” contained scenes

7
Courriel de Kevin Tierney à moi, 1 mai 2013
21
of David speaking French-accented English and only one, clearly facetious, line of
subtitled French dialogue. It would be possible, then—and perhaps this was the
goal of the trailer editors—for English audiences to assume that the film would be
about French Canadians without actually being in French. By contrast, the French
trailer contains an almost equal number of lines in French and English, and
included the slightly more conciliatory tag line “Pour une fois, les deux solitudes
vont se parler … peut-être”. The marketing strategy hints at a greater acceptance
of bilingualism among the French-speaking population than among the Anglophone
community; this difference between the two groups is also supported within the text
of the film, albeit in a more nuanced way.

(Pour le DVD vendu en France, le slogan est « On tire d'abord, ensuite on discute ».)

Pas seulement le marketing, aussi la sorte de spectateurs allant regarder ce film était
différente dans les deux communautés linguistiques. Selon Robert Daudelin (2006-2007), le
film est plutôt considéré comme un film d'art et essai que comme un film commercial au
Canada anglais. La seule exception était Toronto, où « Bon Cop Bad Cop » a très bien
marché.

Comme le film n'a rien de très artistique et suit tous les règles du genre, comme la bande-
annonce et le marketing le promettent, on peut probablement déduire que c'est le bilinguisme
du film qui leur fait penser cela. Pour quelques-uns des commentateurs venant de la partie
ouest du Canada, il n'est pas naturel de voir un tel échange de langues et des gens qui sont si
confortables à parler deux langues. L'un d'eux écrit même :

Although it's entertaining to watch Ward and Bouchard switch from English to
French without missing a beat, I doubt this kind of exchange is common. Never mind
the fact that perfect bilingualism is a rarity, I'm sure even fluently bilingual people
wouldn't switch between English and French at the rapidity that Bouchard and Ward
do.8

Kevin Tierney, le producteur du film, note aussi que le distributeur avait peur de montrer un
film sous-titré au Canada anglais. Robert Daudelin (2006-2007) rapporte ses paroles ainsi :

Dans le cas du Canada anglais, où le distributeur avait des craintes du fait des
sous-titres du film - quelle que soit la version, le film est sous-titré à 50 % -,on a fait
des tests de marché (avec questionnaires et groupes de discussion) à Toronto, deux
fois, et on a modifié le montage du film suite à ces tests.

8
Commentaire sur « Bon Cop Bad Cop – Typically Canadian? »,
http://pearlystagedoor.livejournal.com/24259.html , 19/04/2013
22
C'est Tierney aussi qui remercie les spectateurs « d'avoir eu le courage de lire les sous-
titres » à la fin de son commentaire français du film.

Sur les DVD vendus au Canada, on a l'option de regarder le film dans diverses qualités
d'audio ou avec des commentaires en français ou en anglais, mais la langue du film reste le
même mélange. On peut mettre des sous-titres en anglais ou en français ou regarder le film
sans sous-titres (ce qui n'était pas possible dans les cinémas). Sur le DVD, il y a de sous-titres
complets (qui accompagnent le film entier, pas seulement les parties qui sont dans l'autre
langue) destinés probablement à des gens sourds, parce qu'ils contiennent des notes sur la
musique et les bruits aussi.

Hors du Canada, comme en Allemagne, en France et en Italie par exemple, le contenu des
DVD est généralement plus limité. Il n'y a pas de commentaire audio ou de scènes supprimées
et souvent il n'y a que des sous-titres dans la langue nationale. Les sous-titres allemands
accompagnent tous les dialogues du film, mais le problème est qu'ils ignorent les alternances
de code linguistique. Si on ne fait pas bonne attention à l'audio, il est facilement possible de
ne pas remarquer quand les personnages parlent français ou anglais. Cela rend plusieurs
scènes plutôt bizarres au lieu de drôles, comme la scène au bar où Martin et David essaient de
se dominer à travers la langue.

En France, il y a deux versions de l'audio sur DVD : une comme à l'original, et une avec
doublage en français de France. Ce doublage ne veut pas dire que tout le film est en français ;
ce serait difficile parce qu'il y a des scènes qui ne fonctionneraient pas, comme celle au talk-
show à Toronto. Mais on a doublé tout ce qui était possible de doubler et on a pris l'audio
original pour le reste, de façon que les deux personnages principaux ont deux voix à chacun :
celle du doubleur et celle originale de l'acteur, qu'on entend dans diverses scènes. Il est
intéressant de constater qu'on a doublé même les phrases françaises dit par les deux acteurs et
qu'on a changé leurs mots même quand il n'était pas nécessaire. J'explorerai ce sujet dans la
section 5.3.6.

3.3 Contexte socio-historique

Les ventes d'équipes canadiens aux États-Unis, qui sont thématisées dans le film, se basent
tous sur des vrais occurrences. L'introduction de mascottes style américain, qu'on critique
aussi dans le film, n'était cependant pas réalité au moment de la conception du film ; selon les
producteurs, cette idée semblait ridicule en ce moment9, mais elle est ensuite devenue réalité.

Comme l'association canadienne pour le hockey n'a pas approuvé le film, on a changé les
noms de personnages et des équipes : Harry Bettman est devenu Gary Buttman, Marcel Aubut
est devenu Michel Grossbut, l'équipe actuelle de Toronto a reçu le nom « Toronto Loyalists »,
l'équipe de Montréal est nommée « Les Patriotes de Montréal » et cetera.
9
Kevin Tierney et Éric Canuel: Commentaire anglais du film, trouvé sur le DVD canadien
23
Ce dernier change de noms référence aussi l'animosité historique entre les deux
communautés linguistiques du Canada – les Loyalistes étaient un groupe fidèle à la couronne
britannique tandis que les Patriotes figuraient dans la rébellion des francophones de 1837-38.

Le hockey forme un contexte excellent pour « Bon Cop Bad Cop », parce que Canadiens
francophones et Canadiens anglophones l'aiment également. Bien sûr qu'il y a beaucoup de
rivalités entre les équipes, mais quand il s'agit de vendre une équipe aux États-Unis, les
rivalités disparaissent. Il est comme le dit le personnage Tom Berry (qui est en réalité Rick
Mercer, présentateur de télévision qui joue une version plus extrémiste de lui-même) dans le
film : « All of you know I hate Montreal. I hate the team. But what's the point of hating
Montreal if they're in Houston?! ». C'est ainsi qu'il devient possible de faire un film sur le
hockey sans offenser même les supporteurs les plus fervents d'une équipe ou d'une autre. Les
États-Unis fournissent un excellent adversaire pour tous les Canadiens.

Le choix de Montréal comme environnement pour la plupart du film, et d'un policier


montréalais comme personnage clé, est aussi logique pour ce film. La ville est une des plus
bilingues au monde. Sherry Simon (2003 : 77) la décrit d'une façon qu'on pourrait aussi
appliquer au film « Bon Cop Bad Cop » :

« English is infiltrated by French, French tries in vain to resist incursions from


English. Translation is called upon to play the role of regulator, to keep languages
separate. But when two languages intermingle, as they do in Montreal, translation is
put to the test. This is not the proficient dispatching that runs multilingual
organizations or countries, not a benevolent act of hospitality toward a guest from a
distant land. Translation is a relentless transaction. It is the condition of living in a
city with a double history, a city somewhere between Paris and New York, between
Quebec City and Toronto, between Iqualuit and Miami, where, on the sidewalks, you
hear teenagers start their sentences in one language and finish in another, where
graffiti send out truly mixed messages. »

24
4. La présentation des cultures, langues et variétés à travers les personnages du film

Les buddy films utilisent souvent l'humeur des situations. On retrouve aussi cet humeur dans
« Bon Cop Bad Cop », mais en plus on y trouve beaucoup d'humeur basé sur la langue ou sur
la culture, et sur le fait que la connaissance d'une langue ne nécessite pas la connaissance de la
culture associée à cette langue. Heather Macdougall (2011 : 23) le décrit ainsi :

The film reinforces the concept of language as an integral part of culture, but its
humour relies on the idea that knowledge of a language does not equal cultural
belonging, as the two fluently bilingual cops struggle to understand each other's
society. For example, David has to stop Martin from displaying his police badge
when they go to a bar in St-Hubert—David knows it will not make them any friends
—while Martin repeatedly has to extinguish David's cigarettes when they are
working in Toronto, a far less smoke-friendly city than Montreal (at least in 2006).
Neither of the detectives ever appears totally at ease or assimilated into the other's
habitus.

Ce qui est notablement absent dans le film, c'est la politique. Il serait facile d'utiliser les
différences politiques entre le Québec et l'Ontario dans le film pour ajouter à la tension entre
les personnages et à l'humeur, mais on a fait le choix de ne pas s'en servir. Kevin Tierney
répond ainsi dans une entrevue avec Robert Daudelin (2006 : 23):

Le sujet dont il est question ici est culturel, pas politique. C'était notre choix dès le
début : les différences culturelles, c'est amusant ; la politique, ça n'intéresse
personne - la seule blague politique («C'était qui ton prof? Jean Chrétien?»), c'est
moi qui l'ai écrite!

Il y a qu'un seul autre blague qu'on pourrait classifier comme blague politique, c'est quand
David enseigne la phrase « Vive le Québec libre ! » à la sœur de Martin et elle la crie pendant
qu'ils font l'amour.

En dehors de cela, le film est caractérisé par l'exploitation de stéréotypes, surtout en ce qui à
trait aux personnages principaux, mais aussi dans les détails. Par exemple on a fait certain que
le chauffeur de taxi, qui ne dit qu'une couple de phrases, ait un accent haïtien, comme le
stéréotype est que tous les chauffeurs de taxi de Montréal sont des Haïtiens. Cette sur-
utilisation de stéréotypes était un choix délibéré du producteur (qui a aussi collaboré sur le
scénario) ; il s'explique ainsi (Robert Daudelin 2006 : 23) :

Quand dans les institutions on nous a reproché d'employer des stéréotypes, on a


dit : « Merci ! Vous nous avez très bien compris. » On a effectivement utilisé des
stéréotypes pour les personnages principaux, les deux flics : le protestant constipé et
le cow-boy québécois.

25
Dans l'entrevue « Canuel le bad boy sympatique », le directeur explique que l'usage des
stéréotypes s'est fait aussi pour ne pas avoir à prendre le temps d'expliquer les personnages
différents.10

Quand les stéréotypes ne sont pas montrés par l'exemple des personnages, ils sont au moins
mentionnés dans leur disputes :

0:58:07 Martin et David se parlent dans un couloir dans une station de police à Montréal.
Martin attend le taxi qui le portera à l'aéroport pour rentrer chez lui et il fait des
commentaires sur Suzie (l'ex-femme de David). Quand David demande des explications...
Martin You Québécois are all the same. A lunatic that goes nuts for a Hockey team that
doesn't exist anymore. And you with Suzie. Je me souviens. You all live in the
past, get over it.
David Au moins nous autres on est vivant. Tout ce qui vous intéresse c'est votre hostie
de Reine avec ses enfants fuckés...qui t'ont volé ta femme d'ailleurs.

01:00:56 Martin et David se sont rencontrés à un autre scène de crime. La victime est un
agent de hockey.
Martin Oh, that makes sense. Of course she deserves to die -- she wouldn't let her client
play in Quebec ten years ago! But I suppose some people still aren't over the
Plains of Abraham. ... Incidentally, aren't you supposed to be speaking English?

J'utiliserai maintenant une approche fondée sur les personnages pour illuminer la façon dans
laquelle le plurilinguisme se présente dans le film « Bon Cop Bad Cop », parce que, comme le
remarque Jannis Androutsopoulos (2012 : 147-148), c'est à travers leur attribution à des
personnages particuliers que les choix linguistiques dans le discours filmique deviennent
pertinents.

Il est seulement en connaissant les personnages, leur caractères et leur façon normale de
parler (ainsi que la présentation du bilinguisme canadien qui est la toile de fond dans ce film)
qu'on peut arriver aux fonctions et à la signification de certains mécanismes du plurilinguisme
dans le film.

4.1 David Bouchard (québécois)

David Bouchard est certainement le personnage québécois le plus important. Comme la


citation du producteur l'a montré, David est censé représenter le Québécois francophone
stéréotypé. Quels sont ses caractéristiques ?

10
Canuel le bad boy sympatique, entrevue sur Canoë,
http://fr.canoe.ca/divertissement/cinema/entrevues/2006/08/02/1727490-ca.html 19/04/2013
26
Il n'est pas correct, même en capacité officielle il s'habille d'une façon qui serait plus
appropriée pour un motard, il est le « cow-boy », qui fait ce qu'il veut, même si cela est contre
une loi ou une règle. Ceci était aussi utilisé comme slogan du film : « L'un obéit à la loi,
l'autre fait la sienne ». Par exemple, David ne pense rien d'enfermer un suspect dans le coffre
de sa voiture, ou de fouiller une maison sans avoir reçu la permission. Et il se batte beaucoup :
sa fille nous révèle qu'il « se fait coudre la face une fois par semaine ».

Il a l'esprit latin et il est bon avec les femmes : il partage la maison avec sa ex-femme et ils
s'entendent toujours bien, aussi il charme l'employée de la compagnie d'hélicoptère et, plus
tard, la sœur de Martin. Il est un bon père, ce qu'on voit déjà dans une des premières scènes.

David est parfaitement bilingue (sauf un petit accent), ce qu'on peut constater dans toutes ses
interactions avec les personnages anglophones, et aussi du fait que quand il tombe de la
pancarte, il jure en anglais et pas en québécois (bien qu'il connaît énormément de jurons
québécois dont il enseigne l'usage à Martin mi-film). Malgré son bilinguisme, il n'aime pas les
canadiens anglophones et il n'a pas peur de le montrer. Il y a deux scènes clés pour
comprendre son attitude et son usage de langues, et les même scènes seront aussi importants
en parlant de Martin et des deux capitaines de police. La première est celle de leur premier
rencontre :

0:10:40 Premier rencontre de David et Martin, à la scène du premier crime. Martin regarde
avec mépris l'arrivée de David Bouchard dans sa voiture déglinguée, mais adopte une
attitude professionnelle pour cette conversation.
Martin (montre son badge de police) Martin Ward.
David (fait une grimace, puis prononce son nom à l'anglaise) David Butch Hard.
Martin Enchanté.
David (imite l'accent anglais:) Enchanté!
(aux autres policiers québécois:) Hé, on est tombés sur un gars qui peut parler le
"française"!
(Ricanements)
… Quelques minutes plus tard, quand ils se disputent sur la question de qui est responsable
de résoudre le crime:
Martin As you can see, the subject was a true Quebecer. (Bouchard était allé regarder
la victime du côté ontarien de la frontière, maintenant Martin le tire de retour
vers le côté québécois)
David C'est quoi là, do I need a passport?
Martin His heart is in Quebec.
David Ouais.
(aux autres policiers québécois:) Il a l'Ontario dans le cul, aussi.
(Rires)
27
Martin Excuse me?
David (avec un accent français beaucoup plus prononcé que normalement:) I just said
his ass belongs to you.

La deuxième scène clé suit immédiatement à la première. Dans les mots du réalisateur Éric
Canuel, c'est elle qui « sets up the bilingualism of this movie »11.

0:14:15 On est au bureau de la Sûreté du Québec, où se trouvent Capitaine LeBœuf,


Capitaine MacDuff et Martin Ward. David arrive.
Martin (d'un ton sarcastique:) Good morning.
David (d'un ton sarcastique:) Hey, nice turtleneck, it's really you.
David (à son patron:) Que c'est qu'il calice icitte, la tête carrée ?
LeBœuf David, tu connais Martin ? (se tournant vers Capitaine MacDuff) Je te présente
Brian MacDuff, le chef de la Sûreté de l'Ontario.
MacDuff Pleasure to meet you. (tend la main à David avec un beau sourire)
David (visiblement mécontent, ignore la main) C'est ça, oui. Je peux savoir
ce que je fais encore ici à cette heure-là, à matin?
LeBœuf (sourit à Capitaine MacDuff) You wan' talk-uh, Brian?
MacDuff No, no, it's your jurisdiction.
LeBœuf No, no, hi, uh, hinsiste.
MacDuff OK. We know the victim is from Montreal.
LeBœuf (bondit et commence à marcher dans le bureau) On sait... que la victime... est de
Montréal. (David le regarde de façon incrédule)
MacDuff But we don't know for sure yet if it's a murder, and if it is, where the murderer
comes from.
LeBœuf On n'est pas certain encore si c'est un meurtre et, si c'est le... cas, d'où vient... le
meurtrier.
MacDuff So, Captain LeBof and I thought this would be a great opportunity...
LeBœuf Et on pensait, le Capitaine LeBœuf et moi, que c'était... une belle... opportunité
de... de...
David Ok, ça va, chef! J'comprends l'anglais!
LeBœuf Ah bien, ouais, OK. (à Capitaine LeBœuf:) It's okay, uh, David, uh, can English.
(David est embarassé) Can English. He can...
MacDuff Oh ! (les deux rient)(à Capitaine LeBœuf:) Go ahead then.

11
Kevin Tierney et Éric Canuel: Commentaire anglais du film, trouvé sur le DVD canadien
28
LeBœuf Okay, okay, I go, I go. So... we taut... It ouase...ha goode ho... it ouase ha goode
hoper...
MacDuff Opportunity.
LeBœuf It was ha goode...
MacDuff (riant) Opportunity.
LeBœuf Hopportunity, to be, uh...
Martin (avec un accent français de France:) Vous pouvez parler français, capitaine.
LeBœuf Ah, mais ciboire !
David (se montre abasourdi et embarrassé) Tu parles français, toé??!
Martin Non, je ne parle pas français! Je me suis fait installer un petit gadget au cerveau
and I see subtitles under people when they speak. Oui je parle français. J'étais en
français enrichie à Upper Canada College.
David Upper quoi?
Martin Et j'ai aussi vécu une année à Paris.
David (marmonne) Ah, OK. Pour ça que t'il est chiant de même.
LeBœuf Hé.
MacDuff Right. Thing is, we want to show the RCMP that they can't have the whole pie.
If we can cooperate, it would be good for our image and... next year's budgets.
LeBœuf (rie) Yes, yes. Ça fait que jusqu'à nouvel ordre vous êtes... partner.
David (en même temps:) C't'une joke, ça, là là! /
Martin You've got to be kidding!
LeBœuf (à David) Hé, écoute-moé ben, toé ! (d'une voix perçante:) Si je me fie à ce que
Sylvain m'a dit de c'qui c'est passé hier, si j'étais à ta place, je m'inquiéterais ben
plus d'une suspension que d'un autre partenaire, OK ? Faque, quessé qu'il va
faire, David ? Il va pogner son trou pis il va me régler ce maudit dossier-là au
plus sacrant, OK?
Martin Brian, I just went through a rough one. I can't work with this clown...
MacDuff --just do it. You want that desk job, don't you ?
(Martin et David se regardent, désespérés, et quittent la sale, pendant que
Capitaine LeBœuf fait un grand sourire)

Ces deux scènes sont très importantes parce qu'elles nous montrent plusieurs affaires :

1. David n'a pas de respect pour les canadiens anglophones, même s'ils font un effort de
parler français.

2. David a l'habitude (puisqu'il fait de même dans d'autres situations aussi) d'utiliser le
français comme langue secrète pour dire des choses souvent offensifs. Il s'appuie sur le fait
29
que presque tous les Canadiens anglophones ne comprennent pas bien le français. Quand ils
demandent une traduction, il traduit ses remarques d'une façon qu'ils deviennent inoffensifs
(sauf dans la scène au talk-show). Il me semble qu'il manque d'autocensure, ainsi il exprime
toute émotion en français d'abord et après il se décide s'il veut avouer le sentiment avant qu'il
ne le traduit en anglais.

3. Normalement, David maîtrise l'anglais parfaitement et peut le parler presque sans


accent, mais il décide parfois de rendre son accent québécois plus évident. Il le fait surtout
avec des gens qu'il n'aime pas ou quand on s'est moqué de lui, comme pour souligner qu'il
n'appartient pas au même groupe que les Canadiens de langue maternelle anglaise. Par contre,
en tant que montréalais, il mélange assez de mots anglais dans son français quand il parle à
d'autres francophones. Heather Macdougall (2011 : 26) le décrit ainsi :

David [...] uses an informal register and borrows freely from English even in his
conversations with other Francophones; despite his many borrowings, however, it is
clear when he says to his boss, “Ah come on, c'est mon journée off,” for example,
that he is in fact speaking French.

Les règles gouvernant l'usage des langues (c'est-à-dire la contrainte de faire tout en français
au Québec et d'offrir des services en français dans quelques autres régions du Canada) sont
peut-être les seules que David suit rigoureusement, même s'ils n'ont pas de sens :

24:25. David et Martin s'apprêtent à interroger une compagnie d'hélicoptères. Avant, ils se
donnent des règles régissant leur coopération, dont celle-ci:
Martin Rule number 12: you let me interrogate the witnesses; I do the talking.
David Si tu veux, mais en français.
Martin Ça dépend de la langue maternelle du sujet.
David Non, au Québec, on travaille en français.
Martin Fine, that leaves the rest of Canada under my jurisdiction. With the possible
exception of some areas of New Brunswick.
David Wô, wô, ça commence ben mal, là. En français!

David conforme au stéréotype de la culture des bilingues, qui, selon Doris Summer (1999),
serait subversive, liée aux libéralisme et particularisme.

4.2 Capitaine LeBœuf (québécois)

Capitaine LeBœuf est un Québécois qui semble maintenir de bonnes relations avec l'Ontario.
La scène clé pour le comprendre est celle où David et Martin deviennent partenaires.

30
On constate que le langage corporel des deux chefs de police pendant cet échange est
presque identique, pendant que celui de Martin et David est diamétralement opposé. Le
Capitaine LeBœuf traite Capitaine MacDuff de façon respectueuse, presque obséquieuse. En
interprétant les remarques de Capitaine MacDuff, il leur donne beaucoup plus de poids et de
dramatique, à tel point qu'il devient ridicule. Ses connaissances passives de l'anglais sont très
bonnes, mais il ne le parle pas bien du tout – par exemple il a des problèmes à communiquer
que David sait parler l'anglais, et il prononce l'anglais très mal (cf. la scène dans 4.1).

Bien qu'il montre du respect pour son collègue ontarien, il ne corrige pas David quand il
traite Martin de « tête carrée », ce qui est un insulte xénophobe comparable à appeler un
francophone un « frog ». Il y a plusieurs raisons imaginables : peut-être est-il accoutumé à
entendre de telles expressions venant de David, peut-être il utiliserait ce mot lui aussi, ou
peut-être il croit que les deux anglophones n'avaient pas compris la remarque que David
faisait en français et ne voulait pas causer une scène.

Capitaine LeBœuf conforme lui aussi au stéréotype québécois parce qu'on le montre comme
étant très émotionnel et irascible. Enragé comme après le débâcle de la maison brûlée,
Capitaine LeBœuf blasphème comme un marin, tandis que Capitaine MacDuff continue
d'utiliser le langage propre. Selon Kevin Tierney, le Capitaine LeBœuf était censé de
représenter le cauchemar des anglophones au Québec.12

4.3 Martin Ward (anglo-ontarien)

Martin Ward, flegmatique auquel on a assigné le rôle de « protestant constipé » avec les
mots du producteur même (cf. Daudelin 2006), est peut-être le personnage le plus intéressant,
parce qu'il change le plus au cours du film. Suite à son rôle, il apparaît toujours très formel et
sérieux dans tout ce qu'il fait : langage corporel, vêtements, actions et même sa façon de
parler.

Selon Heather Macdougall (2011 : 26), David et Martin montrent des approches contrastives
dans leur usage des langues. Martin maintient la séparation des deux langues (je ne suis pas
d'accord avec Macdougall sur cela : il les maintient plus séparées que David, mais Martin
aussi change de langue au milieu d'une phrase à plusieurs reprises) et il utilise un registre
formel dans les deux, pour la majeure partie. Cela est conforme à sa caractérisation comme
quelqu'un qui suit les règles et qui est organisé ; son emploi de langues est un de ses
nombreuses habiletés et il valorise sa compétence linguistique de la même manière que ses
autres capacités professionnelles.

Au début du film, Martin suit toujours les règles, critiquant David à chaque instant « You
can't do this! » – mais le contact avec David le fait réaliser qu'il est parfois préférable de ne
pas les suivre, comme par exemple quand il s'agit d'enfermer un suspect dans le coffre d'une
12
Kevin Tierney et Éric Canuel: Commentaire anglais du film, trouvé sur le DVD canadien
31
voiture. Son attitude vers cette action symbolise son changement. La première fois que David
enferme un suspect dans le coffre de sa voiture, Martin est outré : « What are you doing ? I
don't know if you don't respect procedure because you're ignorant, because you're a lunatic or
because you're French. You can't do this. ».

Après que le suspect l'aie craché au visage, David le demande « C'est quoi la procédure dans
ce temps-là ? » et Martin répond « Hé, c'est ta juridiction ». Vers la fin du film, quand
Buttman (qui n'est même pas soupçonné d'un crime) se plaint d'être enfermé, Martin lui dit :
« Yes I can. It's a Quebec tradition ». Il a donc adopté cette coutume contestable de David,
ainsi que quelques autres.

Au début, dans la scène où on lui dit qu'il formera une équipe avec David, Martin parle
français standard avec un accent très pur qui se fait étrange dans le contexte ; les Québécois,
qui ont vu le film avec moi, se mettaient à rire. Il dit d'avoir étudié le français à Upper Canada
College et d'avoir vécu un an à Paris, ce qui se montre dans son accent, qui n'est pas canadien
du tout. Il n'a pas d'accent anglais par contre. La seule occasion où il parle français avec un
accent anglais est quand il est drogué.

Malgré sa capacité de parler couramment le français, Martin ignore jusqu'à les éléments les
plus fondamentaux du parler québécois quotidien, comme les sacres, que David explique à lui
dans une autre scène. Si Martin ne correspond pas à l'image que se font les Québécois des
Canadiens anglophones hors Québec, du fait qu'il parle si bien le français, il se conforme
néanmoins à un stéréotype, celui qui veut que les Canadiens anglophones éduqués et
intellectuels qui parlent français aient appris le français de France ou le français dit
« international » et qu'ils n'arrivent pas à comprendre les Québécois, qu'ils voient de haut.

En même temps qu'il devient plus « québécois » dans ses attitudes, la langue parlée de
Martin change aussi. Quand il se batte contre David, c'est aussi à travers la langue qu'il le fait,
en utilisant sa position de domination pour insister que David parle anglais (et David fait de
même quand il est dans la même situation) :

0:30:45 Martin essaie d'arrêter Luc Therrien dans un bar. Il est arrivé seul pendant que
David se tient au fond, jouant au billard. Quand il pose des questions au sujet de la victime à
Luc Therrien, une bagarre s'ensuit.
Martin (tenant Therrien dans un levier) Je vous repose la question: Benoît Brisset, ça
vous dit quelque chose? (à David, qui a l'air soucieux:) Ça va.
Therrien arrive a se libérer, il y a une grande bagarre, à la fin de laquelle il est
en train d'étrangler Martin. Pendant tout ce temps, David a continué de jouer
insoucieusement au billard.
Martin Bouchard! Do something! Bouchard help me!
David (lève les yeux et parle aux autres joueurs:) Y a-tu quelqu'un qui comprend

32
l'anglais icitte? Je pense que le monsieur avec la face mauve là-bas essaie de me
dire quelque chose.
Martin David! Aide-moi... s'il...te... plaît!
David Avec plaisir. (rejoint la bagarre)
David (Quand Martin est sur le point de mettre les menottes à Therrien:) C'est correct,
regarde, je m'en occupe.
Martin Je pense pas que c'est une bonne idée.
David Martin. On en a parlé tantôt: les batailles, je m'en occupe. Repose-toi un petit
peu, ça va être correct.
Therrien se libère immédiatement, il y a une autre grande bagarre. En
attendant, Martin parle à la serveuse.
Martin Monsieur Therrien, est-ce qu'il semble nerveux ces derniers jours?
Serveuse (surprise que Martin n'aide pas à son partenaire) Pas plus que d'habitude.
Therrien est maintenant en train d'étrangler David.
David Martin, aide-moé.
Martin (à la serveuse:) Je peux avoir un peu de citron, s'il vous plaît?
Serveuse Bien sûr, mon beau noir.
David Martin, niaise pas!
Martin (à la serveuse:) Et s'il y a quoique ce soit, voici ma carte.
Martin (à David:) I'm sorry, I don't understand you.
David Fuck you!
Martin Right language, wrong words.
David (d'une voix étranglée:) Martin, help me please...
Martin (à la serveuse:) Excusez. (met un pistolet sur la tête de Therrien) Lâche mon
partenaire.

Plus tard, chacun parle sa propre langue la plupart du temps. Quand ils sont devenus des
amis, Martin utilise des expressions québécois en français comme un autre symbole de
l'influence que David a eu sur lui, et David parle anglais plus souvent (quand il n'en a pas
besoin) pour signifier l'influence de Martin. La scène la plus mémorable de cela est celle où
David s'apprête à échanger Buttman contre sa fille et prévient Martin en anglais sans accent
« You could lose your job over this » et Martin répond en québécois « Je m'en câlice ».

Ceci dit, le directeur nous explique que Martin n'est pas québécois maintenant et qu'il ne
sera pas meilleures amis avec David non plus :

Ils vont travailler ensemble peut-être, mais ils ne partagent pas les mêmes
méthodes. Il ne faut pas se leurrer, Colm ne va pas entrer dans les bars pour frapper

33
tout le monde et tirer sans poser de questions. Il reste qu'ils ont chacun leur façon
d'être, puis ça adonne que là, ils se sont compris, ils se sont alliés. 13

Il y a une scène supprimée (qu'on trouve sur le DVD canadien) de la fin du film où les
familles de Martin et David regardent le hockey ensemble, Martin portant un maillot de
hockey de l'équipe montréalais et David portant un maillot de hockey de l'équipe de Toronto,
mais cela était trop harmonieux pour le directeur et il a enlevé la scène par après.

Martin est parfois dans la situation d'interprète quand David utilise le français comme code.
Dans ces cas-là, il traduit comme bon lui semble :

1:06:00 David et Martin participent à un talk-show. Le modérateur se moque de David et des


canadiens francophones tout le temps.
Modérateur What I'm really wondering is: why do we have a French cop on our turf. I mean,
is this, ah, this killer not challenging enough for you?
Martin (soupire, ne désirant pas la confrontation)
David Continue avec tes osties de commentaires, tu vas regretter tes cravates laides.
Modérateur Come again?
Martin He just said what a sharp dresser you are.
David That's not what I said. I said go on with these stupid comments about me and
(fort accent québécois:) you'll regret those ties.
Modérateur You want a piece of me?
David Tu me fais-tu des avances là?
Le dialogue est interrompu parce que le tueur tatoueur leur appelle.

C'était aussi la seule occasion où David dit quelque chose offensif en français et ne le
désavoue pas après par sa traduction.

1:15:12 David est invité chez Martin, où il rencontre Iris, la sœur de Martin. Les deux
flirtent.
David Ouais ba c'est pas si plate que ça, Toronto.
Iris (souriant) I don't know what that means.
Martin (à voix basse mais audible:) It means he wants to have sex with you.

Des fois, Martin trouve mieux de ne rien traduire :

1:13:10 David et Martin travaillent dans un bureau de police à Toronto quand Capitaine
MacDuff les rejoint.

13
« Canuel le bad boy sympatique », entrevue sur Canoë,
http://fr.canoe.ca/divertissement/cinema/entrevues/2006/08/02/1727490-ca.html 19/04/2013
34
MacDuff I called the New York team president and the FBI to warn them they might have
a lunatic heading they're way.
David Maybe we should go down there?
MacDuff Why? So you can burn down the Empire state building and blow up Time
Square?
David (à Martin) Ça c'est un préjugé ça.
MacDuff What did he say?
Martin Just ignore him. What do we do now?
MacDuff Work with what you got. Long as I don't have any more body bags on my
territory, I don't really give a shit.

4.4 Capitaine MacDuff (anglo-ontarien)

Dans la première scène où il apparaît, celle où l'on annonce que Martin et David seront
partenaires, il salue David avec un grand sourire et lui tend la main (ce que celui ignore).
Pendant la conversation entière, son langage corporel montre ses bonnes relations avec
Capitaine LeBœuf de la Sûreté du Québec. Toutefois, il n'a pas appris le français et il ne fait
aucun effort pour approximer la prononciation correcte du nom « LeBœuf », qu'il prononce
comme « LeBof ». Il compte sur les connaissances d'anglais très faibles de Capitaine LeBœuf
pour communiquer avec lui. Il n'a même pas assez de connaissances passives de français pour
comprendre David quand il dit « Ça c'est un préjugé ça » dans la scène au bureau de police à
Toronto. La même scène nous montre aussi que Capitaine MacDuff a la pensée très locale : il
ne se soucie guère s'il y a un tueur à New York (ou au Québec?), tant qu'il n'y a pas de
victimes à l'Ontario.

L'amitié entre Capitaine LeBœuf et Capitaine MacDuff est très curieuse, parce qu'il n'est pas
clair comment les deux arrivent à communiquer.

4.5 Le Tueur Tatoueur (franco-manitobain)

On ne sait pas beaucoup sur le tueur tatoueur, qui reste dans l'ombre pendant la plupart du
film. Pourtant il est clair qu'il y a une situation linguistique intéressante là-bas, parce qu'il a un
accent en français et aussi en anglais, comme le remarque David Bouchard quand il est au
stade de hockey et reçoit un appel du tueur : « Comment ça se fait que tu as un gros accent
dans les deux langues? C'était qui ton prof? Jean Chrétien? »

On pourrait penser que cette excentricité est un signe du fait qu'il est hors des deux sociétés :
il se comprend comme pan-canadien qui venge la vente de joueurs de hockey canadiens vers
les États-Unis, éprouvant de l'outrage pour toutes les ventes, peu importe si ce sont des
équipes du Canada anglophone ou francophone.
35
En réalité, ce tueur s'est mis hors de la société avec ses actions ; il tue des anglophones ainsi
que des francophones et ne semble pas avoir de contacts familiers ou amicales – sauf Luc
Therrien, et à la fin il le tue lui aussi, sans hésitation.

D'après le commentaire du producteur et du réalisateur, ils ne voulaient pas que le méchant


soit un des deux, Québécois ou Canadien anglophone. C'est pour cela qu'on lui a donné une
identité de franco-manitobain dont le père se serait tué quand l'équipe des Winnipeg Jets était
vendue à Phoenix (histoire véridique)14. Les Franco-manitobains n'ont pas d'accent anglais en
français comme l'a le tueur, mais beaucoup d'entre eux ne maîtrisent pas bien le français. Jean
Chrétien aussi ne peut pas s'exprimer bien en français, tandis qu'il parle l'anglais avec un très
fort accent québécois.

4.6 M. Arbusto (texan)

M. Arbusto est un riche texan qui passe un accord avec Buttman pour acheter une équipe de
hockey canadienne pour le Texas.

Dans le commentaire du film par le producteur et le réalisateur, ils nous rappellent que
« Arbusto » en anglais se traduirait comme « Bush » et que ce personnage « nous traite de
trous de cul », sans dire explicitement qu'ils pensaient à George W. Bush, ancien président des
États-Unis, qui est, lui aussi, un millionnaire texan. De plus, M. Arbusto utilise le mot
« misunderestimate » inventé et rendu célèbre par George W. Bush.

M. Arbusto est arrogant comme le texan stéréotypé tout en méprisant le Canada : il dit qu'il
va « make hockey as Texas as a big fat American steak, none of that poisoned Canadian
shit ». Il parle l'anglais avec un fort accent texan. Son rôle, qui n'est quand même pas grand,
est de servir comme soulagement comique tout en critiquant l'étroitesse d'esprit des
Américains des États-Unis.

4.7 Les autres

Les autres personnages n'ont rien à nous communiquer par la façon qu'ils parlent. Peut-être
on pourrait dire que Luc Therrien et la barmaid ont l'air plutôt inéduqués, ils parlent d'une
façon plus familière, ce qui les identifie comme membres de la classe ouvrière.

Jeff, Stef, Suzie, Grosbut, la fille de David et la maîtresse de ballet parlent en québécois
standard adéquate à la situation. De même sur le côté anglophone : Iris, le fils de Martin,
Buttman etc. parlent en anglais standard supposé d'être neutre.

14
Kevin Tierney et Éric Canuel, Commentaire français du film, trouvé sur le DVD canadien
36
Il est assez curieux qu'aucun de ces personnages semble être bilingue, bien que la plupart
d'entre eux habitent à Montréal, une ville bilingue. De Suzie nous le savons explicitement –
quand elle dit « Fantastic » à Martin, David le critique immédiatement « Fantastic ? Tout à
coup t'es rendu bilingue, toi? ». De plus, une scène supprimée nous montre que sa fille ne
parle pas l'anglais non plus. Les autres ne parlent simplement pas l'anglais dans le film.

4.8 La présentation du bilinguisme canadien

Dans l'histoire canadienne, on peut constater une évolution de l'attitude des canadiens
francophones envers le bilinguisme. Selon Rainier Grutman, trois citations sont exemplaires
pour cette évolution : d'abord, en 1837, Philippe Aubert de Gaspé se plaint de « ceux qui, nés
dans un pays anglais, ne possèdent pas cette langue sublime et énergique »15. En 1902, Henri
Bourassa encourage au moins l'élite des canadiens francophones d'apprendre l'anglais pour
« se rapprocher des classes dirigeantes de la majorité anglaise [du Canada] »16. Finalement, en
1964, Fernand Ouellette considère le bilinguisme canadien comme « le canal de
l'assimilation »17 au Québec et l'appelle même « une sorte de lavage de cerveau »18 collectif.
Depuis la Révolution Tranquille, les Québécois ont lutté pour faire reconnaître le français
comme seule langue officielle de la province et les concessions à l'anglais sont souvent vu
d'une façon sceptique, même s'ils ne s'exprimeraient pas de la même façon que Fernard
Ouellette.

Quelle est l'attitude du film envers le bilinguisme ?

D'abord, il faut constater que, à l'exception des deux personnages principaux et du vilain,
presque tous les autres personnages du film sont monolingues. De plus, David se montre
vraiment abasourdi quand Martin dit qu'il parle français, et – encore plus incroyable – le chef
de David se montre surpris que David parle l'anglais. Contrairement à la réalité à Montréal, le
monolinguisme est donc la norme dans le film. Macdougall le décrit ainsi (2011 : 5) :

Bon Cop, Bad Cop, despite being a bilingual text, largely subscribes to the
assumption of monolingualism as the unmarked circumstance, as the two bilingual
protagonists are exceptions within their own communities. Furthermore, the two
language communities are depicted as culturally independent from each other, with
only a very few shared cultural references (the sport of hockey being the most
obvious and important in the film).

Il sera à explorer pourquoi – après avoir décidé de faire un film bilingue et de filmer au
15
Philippe Aubert de Gaspé : Réplique à Pierre-André. Dans La Gazette de Québec, 24 octobre 1837, cité selon
Rainier Grutman 1997
16
Henri Bourassa : Le patriotisme canadien-français, ce qu'il est et ce qu'il devrait être. Dans La Revue
canadienne, XLI 1902, p. 430, cité selon Rainier Grutman 1997
17
Fernand Ouellette : La lutte des langues et la dualité du langage. Dans Liberté, 31-32 1964, p. 105, cité selon
Rainier Grutman 1997
18
Ibid., p. 107
37
moins la moitié du film dans une ville bilingue – il y a si peu de personnages bilingues.

Capitaine LeBœuf est un exemple du bilinguisme échoué, parce qu'il n'arrive pas à
s'exprimer en anglais, même s'il le comprend très bien. Le Capitaine MacDuff de l'Ontario est
encore pire, puisqu'il n'a aucune connaissance du français. Officiellement, 6.9% de canadiens
anglophones hors du Québec pouvaient parler français en 2011, tandis que 38% de Québécois
francophones pouvaient parler anglais19. À Toronto et à Montréal, où se situe le film, les taux
sont de 7.6% (torontoniens anglophones parlant le français) et 51% (montréalais francophones
parlant l'anglais)20. Il est donc surprenant que les montréalais dans le film ne soient pas plus
bilingues, tandis que les connaissances de langue des torontoniens sont décrits de façon
réaliste.

En considérant que la plupart des canadiens apprennent la langue de l'autre à l'école, et qu'il
y a peu de canadiens bilingues dans le film, on pourrait dire que le film décrit le bilinguisme
canadien comme échoué. Il y a d'autres indices de cela :

1. Le bilinguisme de Martin Ward, qui, bien qu'il est canadien et parle couramment le
français, n'arrive pas à comprendre des québécismes, même les plus communs.

2. L'hostilité même de Martin et David envers les femmes dans leurs vies quand celles
disent un mot dans l'autre langue.

3. Le ridicule que montrent les caractères francophones à l'égard de Martin quand il


commence à parler français.

4. Le modérateur du talk-show anglo-canadien qui ridicule les Québécois en général et


David en particulier sur le niveau linguistique ainsi que culturel. Aussi l'attitude de la police
ontarien et l'attitude initiale de Martin envers David.

Tout cela montre une profonde fracture entre les deux communautés linguistiques et
culturelles du Canada. Pourtant le film ne reste pas à la description. Les relations entre Martin
et David s'améliorent au cours du film, ils apprennent à se comprendre et à collaborer, et à la
fin c'est leur collaboration qui leur permet de vaincre le vilain. Comme Martin et David
étaient élus comme représentants stéréotypés de leurs communautés, on est en mesure de
confirmer que les créateurs du film désiraient de critiquer la situation actuelle au Canada mais
aussi d'encourager les canadiens des deux communautés de faire un effort pour se comprendre
mieux.

19
Statistics Canada, 2011 Census of Canada, http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2011/rt-td/index-
eng.cfm 22/04/2013
20
Statistics Canada, 2011 Census of Canada, http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2011/rt-td/index-
eng.cfm 22/04/2013
38
5. Le choix du plurilinguisme

5.1 Les mécanismes du plurilinguisme dans « Bon Cop Bad Cop »

Dans la section 2.1 j'ai compilé une liste de mécanismes du plurilinguisme appliqués au
cinéma. Je vais maintenant examiner ces mécanismes un par un pour voir s'ils sont utilisés
dans le film « Bon Cop Bad Cop ». Puisque le français et l'anglais ont un poids égal dans ce
film, il est impossible de définir l'une ou l'autre de ces langues à titre de langue de base ou de
langue étrangère. Afin de résoudre cette impasse, je traiterai alors la langue du contexte
comme « langue de base » et j'essaierai de trouver chaque mécanisme tant dans un contexte
anglais que dans un contexte français.

1. Il y a des phrases et des passages entières en français et aussi en anglais. Le film


est rempli d'exemples. Les séquences les plus longues dans les deux langues sans
interruption sont les scènes chez les familles des deux policiers. Dans un film
comme « Black Rain », où il y a très peu de passages en japonais, l'emploi de ce
mécanisme a peut-être une signification, mais dans « Bon Cop Bad Cop »
l'existence de tels scènes et passages est juste un fait normal. Le remettre en
question serait de remettre en question la nécessité du plurilinguisme dans « Bon
Cop Bad Cop ». Mes conclusions sur cette question élémentaire se trouvent dans la
section 6.

2. Il y a des mots étrangers intégrés dans une phrase autrement unilingue. Les
francophones du film parlent souvent ainsi, comme le fonctionnaire sans nom au
Holt Memorial Cup qui demande « Ça commence-tu votre affaire ? Y en a qui ont
des deadlines », le Tueur Tatoueur qui dit « C'était un fucked-up loser que j'ai
trouvé sur internet », ou David qui s'exclame « Ha come on! C'est ma journée off
là! ». David aime bien intégrer de l'anglais dans ses phrases, tandis que Martin
veille à ce que ses langues restent nettement séparés. Aussi les autres anglophones
du film n'utilisent pas de mots étrangers dans leur phrases. Ceci est d'abord une
réflexion de l'usage de langue des deux communautés linguistiques : il y a assez
peu de Canadiens anglophones qui parlent couramment le français, alors même
ceux qui le parlent ne peuvent pas mélanger les langues ainsi, tandis que beaucoup
de Québécois, surtout à Montréal, parlent couramment l'anglais. Ils aiment le
mélanger au français et ils peuvent s'attendre à ce que les autres comprendront.
Par contre, il serait trop simple de dire que cette différence de styles que montrent
David et Martin est seulement une réflexion de leur communauté. Elle reflète aussi
leurs différences de caractère, parce que David est aussi mal organisée que son
langage alors que tout ce qu'on voit de Martin est net, bien ordonné et bien rangé,
y inclus son langage et sa façon de parler.

39
3. On voit souvent aussi des emprunts lexicaux, surtout ceux qui font parti du
dialecte québécois. Par exemple il y a le verbe « breaker » (stopper21) quand Jeff
dit « Y'est tombé de 200 pieds. Ça breake sec en hostie ». Ces mots sont aussi
adaptés au français, comme le mot « fuck » que David utilise en tant que participe
dans « Tout ce qui vous intéresse c'est votre hostie de Reine avec ses enfants
fuckés ». Un exemple d'un emprunt lexical en anglais est l'usage du mot
« contretemps » quand Martin explique « Mr Buttman will not be here, he has had
an unfortunate contretemps ». L'emploi de cet emprunt semble très voulu par le
réalisateur, parce que personne ne parlerait comme ça normalement, même pas
Martin qui n'a jusque là pas utilisé de mots trop recherchés. Peut-être cela fait
partie de sa francisation (voir 5.2.2), c'est-à-dire la fonction serait de révéler le
caractère. « contretemps » est le seul emprunt lexical en anglais qui attire
l'attention. En général, il n'y a pas d'emprunt lexicaux dans les parties anglais du
film, seulement dans les parties français.

4. Il n'y a pas de calques dans le film. Pourtant il y a quelque chose d'autre qui est
très curieux : après le désastre qu'a été la fouille de la maison de Therrien,
Capitaine LeBœuf crie « You're off the suitcase ! Off the suitcase ! ». Pour les
spectateurs anglophones, cette phrase a l'air d'une mauvaise traduction du français
(« suitcase » au lieu de « case »), mais les francophones savent que le mot français
aurait été « dossier » et qu'il n'y aucune façon d'arriver au mot « suitcase ». On a
clairement introduit cette phrase pour sa fonction humoristique.

5. Parfois il y a une transposition de la structure d'une langue à une autre, comme par
exemple la scène très mémorable quand la voiture avec le suspect vient d'exploser
et Martin commence à jurer en utilisant la structure des sacres (jurons) québécois
avec des mots en anglais et en français: « Shit de Merde de Shit de Fuck de
Tabarnak! ». En fait il y a trois variétés linguistiques dans cette phrase, parce que
« Tabarnak » est québécois mais les Québécois n'utiliseraient pas « Merde » dans
une telle structure de sacre. La fonction de cette transposition est clairement
humoristique et l'effet sur les spectateurs était si bon qu'on a trouvé une occasion,
vraiment tirée par les cheveux, pour que Colm Feore dise la même phrase dans le
film « French Immersion » aussi.

6. « Bon Cop Bad Cop » utilise souvent l'accent étranger comme mécanisme, avec
différentes intentions. Dans le cas du Capitaine LeBœuf, son fort accent en anglais
sert de gêner (ce qui mène à la révélation que Martin parle français) et de rendre ce
personnage plus ridicule. Dans le cas du Tueur Tatoueur, qui ne parle aucune des
langues parfaitement, cela nous indique qu'il ne s'agit pas d'un Québécois ni d'un
21
Dictionnaire Québécois, http://www.dictionnaire-quebecois.com 13/05/2013
40
Canadien anglophone.
Martin et David ne parlent normalement pas avec un fort accent étranger, mais il y
a des occasions où ils le font : Martin parle avec un accent anglais quand il est
drogué (pour être réaliste). David parle avec un plus fort accent québécois en
anglais quand il se sent mal à l'aise ou attaqué (voir 4.1). Dans les deux cas, je
suppose que c'est le réalisateur qui voudrait nous rappeler qu'ils ne sont pas en
train de parler leur langue maternelle, bien qu'ils parlent couramment.

7. Les sous-titres sont partout dans le film. Le film est sous-titré à demi, peu importe
quelle version on regarde dans les cinémas du Canada, et il est complètement sous-
titré si on regarde la version sur DVD ou une version étrangère (sauf celles qui
sont doublés). Le sous-titrage n'est pas un moyen stylistique mais une nécessité à
cause de la grande quantité de dialogues en langue étrangère, qu'on ne pourrait pas
tous expliquer à travers le contexte ou à travers un personnage interprète. Sans
sous-titres, ou le public ne comprendrait plus rien ou on n'aurait plus de film
bilingue. Ils servent à éviter les problèmes de la compréhensibilité et la faisabilité.

8. Il n'y a pas de situation où on entend de l'audio dans deux langues en même temps
dans le film.

9. La musique de fond de « Bon Cop Bad Cop » est pour la plupart du rock
instrumental, mais il y a plusieurs pièces en anglais, ce qui ne doit rien signifier
parce que le rock en anglais est très populaire au Québec aussi. Quand les deux
policiers fouillent la maison de Therrien et aussi à la fin du film, juste avant le
générique, on entend une chanson plurilingue : la chanson « Goodbye au revoir
arrivederci » de Dany Aubé. Comme cette chanson parle d'un amant qui retourne
dans son pays, ce qui n'est pas la situation dans le film, la chanson a probablement
été choisie pour son thème de finalité et pour son plurilinguisme, pour représenter
l'harmonie entre les deux communautés.

10. Comme le film est situé au Canada, au Québec, à Montréal et à Toronto, les
indices visuels doivent coïncider avec l'endroit montré pour être réalistes. Dans un
autre film cela aurait pu être un problème, mais comme « Bon Cop Bad Cop » est
déjà bilingue en français et anglais, on peut montrer les panneaux etc. dans leur
langue originale sans qu'il y ait la nécessité de clarifier. Pour être précis : les
indices visuels ne sont pas utilisés pour montrer un bilinguisme autre que celui qui
existe déjà dans les dialogues.

Comme on voit de cette liste, « Bon Cop Bad Cop » fait usage de presque tous les
mécanismes du plurilinguisme au cinéma, pas seulement d'un ou deux comme le font d'autres
films. La raison pour cela est certainement que « Bon Cop Bad Cop » est plurilingue du début
à la fin, tandis que d'autres films ne sont plurilingues que pendant une petite partie du film.

41
Parlons maintenant des diverses façons dans lesquelles en peut utiliser tous ces mécanismes.

Comme le film contient des sous-titres pour tous les dialogues ou phrases en langue
étrangère, il y a très peu d'occasions où il y a une traduction explicite dans le dialogue. Les
seuls exceptions sont quand David fait des commentaires qu'il doit traduire après (mais
comme expliqué dans chapitre 4.1, les traductions sont souvent particulières dans ces cas),
l'interprétation consécutive que fait Capitaine LeBœuf pour Capitaine MacDuff dans la scène
à la Sûreté du Québec, et la scène avec la famille de Martin, où David oublie des mots et
Martin doit les traduire.

Il y a une seule citation qu'on rend dans la langue originale : « Je me souviens », la devise du
Québec, que Martin cite avant de partir pour Toronto : « You Québécois are all the same. A
lunatic that goes nuts for a Hockey team that doesn't exist anymore. And you with Suzie. Je
me souviens. You all live in the past, get over it ».

Les langues ne sont pas souvent utilisées pour des jeux de mots dans « Bon Cop Bad Cop »,
mais on peut en trouver des exemples aussi, comme quand Jeff le coroner dit « Tu sais que
Rita à l'envers, … ça fait 'a tir' ». Les remarques venant de nulle part comme celle-ci font
partie du stéréotype du coroner dans les séries policières américaines.

Comment se réalise le bilinguisme dans « Bon Cop Bad Cop » ?

On aurait pu faire un film bilingue avec des séquences en anglais entrelacés avec des
séquences en français, mais au lieu de cela, la plupart de scènes font preuve d'une alternance
constante de langues. Le plus souvent, Martin parle en anglais et David lui répond en français,
puis Martin qui parle en anglais de nouveau, etc. sans aucune rancœur : ils ne le font pas pour
imposer leur langue sur l'autre mais simplement parce que c'est la solution la plus confortable
pour les deux.

Cela dit, il y a aussi amplement d'alternances de code linguistique chez tous les trois
personnages bilingues. Par exemple, le Tueur Tatoueur dit à David de le rencontrer « Le
vieux port. La tour au bout du quai des Convoyeurs. You have fifteen minutes ». Le Tueur
Tatoueur est présenté comme quelqu'un qui n'arrive pas à rester dans une seule langue
longtemps, probablement pour renforcer l'idée qu'il n'est ni Québécois ni Canadien
anglophone (son accent nous l'indique aussi). Dans le cas de David et Martin, les alternances
de code linguistique nous indiquent qu'ils sont parfaitement bilingues. Par exemple, Martin lit
le dossier de Therrien à voix haute, changeant de langue au milieu de la phrase sans la
moindre hésitation : « Et voilà ! Luc Therrien, 39 years old, divorced, neuf ans pour trafic de
cocaïne, après, plus rien ».

42
Malgré le fait que selon le film, Martin, David et le Tueur Tatoueur sont les seuls
personnages bilingues, Martin et David n'arrivent pas toujours à rester dans la langue correcte.
Par exemple, quand Martin parle à la fille de David, il lui dit « Je vais aider ton papa. Tu
restes ici, OK ? We will be right back for you. Stay here ».

Un autre exemple est la conférence de presse, où un fonctionnaire québécois demande


« C'est quoi le contretemps ? Il se fout des Canadiens français lui quoi ? » et Martin lui
répond en anglais « Not just the French. I don't think he much likes Canadians period ». Je
suppose que la fonction est de veiller à ce que les spectateurs monolingues reçoivent une
information importante même s'ils étaient trop distraits pour lire les sous-titres. Par exemple,
il faut communiquer sans la moindre possibilité de doute au public anglophone ainsi que
francophone que Buttman se fout des Canadiens, pour rendre plus acceptable le choix des
policiers d'utiliser Buttman comme monnaie d'échange. Si cette information se trouvait
seulement dans les sous-titres, il serait possible que quelqu'un des spectateurs l'aurait
manquée, mais ainsi il y a l'occasion (fabriquée) de la dire à voix haute dans les deux langues.

En conclusion, le plurilinguisme est partout dans « Bon Cop Bad Cop » et il est réalisé dans
presque tous les façons qu'on pourrait imaginer. Parmi les mécanismes qui existent pour le
plurilinguisme au cinéma, l'usage de passages complètes est le plus fréquent, suivi par l'usage
de mots anglais et emprunts lexicaux de l'anglais dans les passages en français, mais presque
tous les mécanismes sont utilisés au moins une fois dans le film. Pour rester compréhensible,
le film emploie les sous-titres partout. Une couple de fois il emploie aussi la répétition de
contenu dans les deux langues en plus des sous-titres.

Rien n'indique que l'anglais ait une position privilégiée comme l'a constaté Sarah Kozloff
dans les films de Hollywood (2000 : 80-81). On n'a pas assigné une telle position au français
non plus. Les deux langues sont égales.

5.2 Les fonctions du plurilinguisme dans « Bon Cop Bad Cop »

Maintenant je vais utiliser la liste des fonctions que le plurilinguisme peut avoir dans le
cinéma qui se trouve en 2.2 et je vais faire une analyse qualitative pour voir quels fonctions
sont présent dans « Bon Cop Bad Cop ».

5.2.1 Fonctions narratifs

Dans « Bon Cop Bad Cop », l'ancrage de la diégèse se fait généralement à travers les photos
de villes et, au début, aussi à travers l'annonceur de radio. Pourtant la langue est utilisée
parfois pour ancrer des personnages mineurs, par exemple Rita Beaumont travaille près de la
frontière du Québec mais on sait qu'elle est québécoise et pas très éduquée selon la façon dans
laquelle elle parle.
43
Un autre exemple est celui de M. Arbusto, dont l'accent nous révèle immédiatement qu'il est
texan (cf. 4.6).

Il n'y a pas de scène où le plurilinguisme sert à actualiser les événements narratifs dans
« Bon Cop Bad Cop ».

5.2.2 Révélation de caractère

Dans le film « Bon Cop Bad Cop », le plurilinguisme est parfois utilisé pour nous révéler le
caractère d'un personnage ou pour symboliser le rapport entre les deux personnages clés,
David Bouchard et Martin Ward.

Pendant leur première rencontre (transcrit dans 4.1) , Martin Ward montre son mépris pour
David à travers ses regards et grimaces, mais David le montre à travers ses mots et sa façon de
parler. Il se présente en prononçant son propre nom à l'anglaise mais de façon exagérée et
moqueur, comme pour reconnaître qu'il est censé de s'assimiler tout en indiquant un désir
subversif. Puis, il répète le « Enchanté » de Martin en y ajoutant un fort accent anglais et il
s'exclame vers ses collègues québécois « Hé, on est tombés sur un gars qui peut parler le
"française"! », ce qui leur fait ricaner. Pendant toute la conversation, il fait du commentaire en
français, normalement adressé à ses collègues. En fait, il parle plus en français qu'en anglais,
bien qu'il pense que Martin ne comprend pas le français. David n'a pas l'intention de
collaborer avec la police ontarienne et on n'a même pas besoin de comprendre le contenu de
ses phrases pour le savoir, le choix de langue aurait suffit pour le nous communiquer.

Un peu plus tard, dans la scène où David et nous apprenons que Martin parle couramment le
français, Martin parle un français pur et arrogant, comme pour nous communiquer que oui il
sait parler la langue maternelle de David, mais il n'a rien en commun avec lui. Essentiellement
la même chose que David nous communique à tous les fois où il parle anglais avec un fort
accent.

Pour collaborer, la première chose qu'ils font est d'établir des règles et naturellement l'usage
de langue figure dans les règles aussi : ils parleront français au gens pendant qu'ils sont au
Québec et anglais dans le reste du Canada « with the possible exception of some areas of New
Brunswick » (scène transcrite en 4.1).

Il y a des moments d'hostilités dans cette nouvelle relation et dans le film, ces hostilités
s'expriment à travers le choix de langue, par exemple dans la scène au bar (transcrite en 4.3)
où ils cessent d'être bilingues et tentent de dominer l'autre en lui imposant leur langue.

Il y a aussi plusieurs scènes d'apprentissage de langue dans le film où David explique un


québécisme à Martin, surtout celle très longue et comique où Martin apprend les sacres.

44
La fonction la plus grave de cette scène est certainement l'humour, mais elle montre aussi
que Martin apprend de David. Plus tard, Martin utilisera les québécismes qu'il a appris pour
souligner linguistiquement qu'il est en train de changer (quand il crée une chaîne de sacres
dont la plupart sont encore en anglais ou en français de France) et que leur relation s'est
transformé (quand il dit « je m'en câlice », voir 5.2.5).

Le changement de David est moins frappant, mais lui il parle anglais plus souvent vers la fin
du film et il n'a plus besoin de le subvertir à tout moment pour affirmer son identité quand il
parle à Martin ou à la famille de Martin.

5.2.3 Adhérence au code de réalisme

Étant donné que David est francophone et Martin anglophone, et que le film sera
plurilingue, il faut que ces deux personnages clé parlent à leurs familles et à leurs collègues
dans leur langue maternelle. Tout autre scénario ne serait pas réaliste, ne serait pas crédible.
Dans la plupart des scènes du film, le choix de langue est alors subjugué à l'adhérence au code
de réalisme. Si le réalisateur veut être réaliste, les seules occasions où il a la chance de choisir
librement la langue seront alors celles où David ou Martin parlent à quelqu'un qui est bilingue
comme eux, ou celles où David ou Martin disent quelque chose qui n'est pas censé d'être
compris par leur interlocuteur. Comme nous avons vu dans 5.1, il y a pourtant aussi des
scènes où David ou Martin n'auraient pas dû parler la langue qu'ils parlent, des scènes qui ne
sont pas réalistes à cet égard. Dans chacune de ces scènes, il doit y avoir une fonction plus
grave que l'adhérence au code de réalisme qui serait remplie par le choix de langue erroné.

5.2.4 Contrôle de l'évaluation et des émotions des spectateurs

Le contrôle de l'évaluation et des émotions des spectateurs n'est pas la fonction primaire du
plurilinguisme dans « Bon Cop Bad Cop », mais, grâce à la quantité de dialogues en langue
étrangère ou langues alternantes, il y a quelques occasions qu'on pourrait bien assigner à cette
fonction.

Normalement, la sous-fonction la plus commune de cette fonction est de contrôler les


émotions des spectateurs envers un personnage ou envers une situation à travers la façon de
parler d'un personnage. Dans « Black Rain » on trouve beaucoup de tels situations, où le
japonais est utilisé pour provoquer des sentiments d'étrangeté ou de danger. Dans « Bon Cop
Bad Cop » il n'y a que deux scènes qui correspondent à la description, ce sont les deux scènes
dans lesquelles on voit Capitaine LeBœuf. Dans la première scène où il apparaît, il parle un
anglais qui écorche les oreilles (cf. transcrit dans 4.1) et l'effet est que les spectateurs
anglophones le trouvent plutôt ridicule.

45
Dans la deuxième scène, celle après l'incendie de la maison de Therrien, il parle en
québécois vite et enragé, devenant le cauchemar de tous les anglophones au Québec, comme
l'a prévu Kevin Tierney22.

Une autre sous-fonction de la fonction « contrôle de l'évaluation et des émotions des


spectateurs » selon Kozloff (2000 : 50) est d'attirer l'attention des spectateurs sur un
personnage. Un exemple d'une telle scène est celle où Martin parle français pour la première
fois, dans le bureau de la Sûreté du Québec. Bien sûr il est important de savoir que Martin sait
parler le français, mais il aurait été possible de nous communiquer ce fait d'une façon plus
pragmatique. La façon de nous le communiquer – qu'il répond simplement en français et attire
les regard surpris de tout le monde – nous révèle la fonction. Si le film nous a fait croire
jusqu'à ce moment que Martin est un Canadien anglophone ordinaire, cette illusion est
maintenant rompue, et c'est à travers la langue, le bilinguisme dans cette scène, que cet effet a
été réalisé.

La dernière sous-fonction est de nous retenir dans une situation saisissante plus longtemps
afin d'affecter le rythme du film (Kozloff 2000 : 50). Cette application se trouve par exemple
quand David téléphone avec le Tueur Tatoueur et lui demande « Comment ça se fait que tu as
un gros accent dans les deux langues? C'était qui ton prof? Jean Chrétien? » - d'un côté, ces
paroles ont une fonction humoristique, mais de l'autre elles ont aussi la fonction de retarder la
résolution de la situation.

5.2.5 Exploitation des ressources linguistiques

Puisque « Bon Cop Bad Cop » est une comédie, il y a beaucoup d'occasions où le
plurilinguisme est utilisé à des fins humoristiques. En commençant avec le premier rencontre
des deux policiers (transcrit dans 4.1), en passant par la scène au bar (transcrit dans 4.3), la
leçon des sacres (à 0:33:30 du film), l'accent atroce de Capitaine LeBœuf (cf. 4.2), le parler
texan de M. Arbusto (cf. 4.6), jusqu'à des jurons plurilingues et hilarants comme « Shit de
Merde de Shit de Fuck de Tabarnak! ». Il y a aussi des boutades qui ne sont compréhensibles
qu'à des spectateurs bilingues, par exemple la confrontation entre David et le modérateur de
talk-show xénophobe qui demande « You want a piece of me ? » et David qui répond « Tu me
fais-tu des avances là ? », jouant sur le double sens de la phrase anglaise.

Des fois, le plurilinguisme réussit aussi à accentuer quelque chose qu'on ne pourrait pas
accentuer autant avec une seule langue. Par exemple, il y a la scène où David s'apprête à
échanger Buttman contre sa fille et prévient Martin en anglais « You could lose your job over
this » et Martin répond en québécois « Je m'en câlice ». L'usage du juron « câlice » rend cette

22
Kevin Tierney et Éric Canuel: Commentaire anglais du film, trouvé sur le DVD canadien
46
phrase très forte, et d'autant plus parce que Martin ne parle normalement pas québécois, de
sorte que le spectateur doit s'apercevoir que Martin a cherché pour une expression adéquate
pour exprimer sa conviction. Si ce film était fait entièrement en québécois, l'échange pourrait
encore fonctionner. Si le film était fait entièrement en anglais, Martin aurait peut-être dit « I
don't give a damn », ce qui est pourtant moins fort. Cela revint au même s'il disait « Je m'en
fiche » ou « Je m'en fous » - seulement la phrase québécoise a assez de poids dans cette
situation pour faire sauter le spectateur et lui communiquer que maintenant Martin est prêt de
sacrifier tous ses ambitions pour aider David. Dans un film unilingue, l'écrivain a moins
d'expressions entre lesquelles il peut choisir.

5.2.6 Messages thématiques, commentaire de l'auteur ou allégorie

Le plurilinguisme du film « Bon Cop Bad Cop » a beaucoup de facettes d'allégorie. Le film
raconte l'histoire d'une collaboration d'abord un peu difficile mais finalement réussite.

Kevin Tierney nous révèle dans le commentaire sur DVD qu'il voulait à l'origine que les
deux policiers tirent chacun un fil pour désamorcer la bombe, mais « cela aurait mené trop
loin la métaphore canadienne : toi, tu tire le fil bleu et moi, le rouge »23. Une autre scène
(qu'on trouve parmi les scènes supprimées sur le DVD canadien) nous aurait montré les
familles de Martin et David qui regardent le hockey ensemble, Martin portant un maillot de
hockey de l'équipe montréalais et David portant un maillot de hockey de l'équipe de Toronto.

Il y avait alors certainement l'idée de traiter le film comme figuration anthropomorphique du


conflit linguistique au Canada (en ignorant toutefois les communautés amérindiennes et les
immigrés), et l'usage conscient du plurilinguisme est essentiel pour cela.

L'écrivain et le réalisateur ont fait un grand effort pour qu'aucune des communautés
linguistiques se voit désavantagée dans le film, ni par l'usage de stéréotype, ni par l'humour et
les références (chaque communauté reconnaîtra d'autres choses) et certainement pas par le
choix de langue. Il est alors nécessaire pour ce message de faire un film vraiment bilingue,
bilingue à 50%, et aussi de veiller à ce que le méchant ne peut pas être identifié comme
appartenant à l'une des communautés. Pour réaliser cela, le méchant parle les deux langues et
ne reste jamais longtemps dans l'une ou l'autre, tandis que les deux policiers parlent leurs
langues maternelles la plupart du temps, donnant des réponses dans une langue autre que celle
de la demande.

Dans la section 4.8 j'ai résumé la représentation du bilinguisme canadien dans le film. La
plupart des personnages sont ou monolingues ou caractérisés d'un bilinguisme échoué comme
celui du Capitaine LeBœuf, celui du Tueur Tatoueur ou celui de Martin Ward, qui, bien qu'il
est canadien et parle couramment le français, n'arrive pas à comprendre les québécismes les
plus communs.
23
Kevin Tierney et Éric Canuel: Commentaire anglais du film, trouvé sur le DVD canadien
47
Le film thématise aussi l'hostilité entre les deux communautés, exemplifié par l'attitude
initiale de David envers Martin ainsi que les attitudes des caractères anglophones envers
David. Pourtant, le film nous montre, par l'exemple de David et Martin, qu'il est possible
d'apprendre à se respecter et qu'il est nécessaire de travailler ensemble pour vaincre certains
ennemis.

Éric Canuel, le réalisateur, caractérise la situation à la fin ainsi :

Ils vont travailler ensemble peut-être, mais ils ne partagent pas les mêmes
méthodes. Il ne faut pas se leurrer, Colm ne va pas entrer dans les bars pour frapper
tout le monde et tirer sans poser de questions. Il reste qu'ils ont chacun leur façon
d'être, puis ça adonne que là, ils se sont compris, ils se sont alliés. 24

Est-ce que cela veut dire que le film a un message rassembleur ? Il y a des critiques qui
voient toute une recette pour l'unité nationale du Canada dans ce film, par exemple Vanessa
Farquharson (2006) :

"Shoot first, translate later" is the tag line for this buddy-cop movie, which sets out
to prove that the path to national unity lies in French and English Canadians coming
together and teaching one another how to swear and blow things up. […] That it
(the movie) manages to speak equally to both French and English Canadians
without feeling like a drawn-out Heritage Moment is an accomplishment we can
proudly call our own.

Si on demande à ceux qui ont travaillé du le film, il y a des opinions diverses sur le message
de conclusion.

Alex Epstein, l'un des scénaristes à l'œuvre sur le film « Bon Cop Bad Cop », est d'avis que
les $7.5 millions (que le gouvernement canadien a dépensé pour soutenir la réalisation du
film) étaient un très bon prix au cas où cela aurait peut-être rendu les québécois 0.5% plus
patriotiques.25

Kevin Tierney, le producteur, considère cela idiot et affirme qu'il voulait simplement créer
un film divertissant26.

Pourtant un article de Hour Community, communauté canadienne de films et médias, dit que
Patrick Huard, qui n'est pas seulement un des acteurs principaux mais qui avait aussi l'idée du
film, espère que « Bon Cop Bad Cop » effectuera un rapprochement culturel entre les deux
solitudes là où les docudrames patriotiques du CBC ont échoués (cf. Melora Koepke 2006).
24
« Canuel le bad boy sympatique », entrevue sur Canoë,
http://fr.canoe.ca/divertissement/cinema/entrevues/2006/08/02/1727490-ca.html 19/04/2013
25
Alex Epstein : Bon Cop Bad Cop et patriotisme, http://martinepage.com/blog/2007/02/14/bon-cop-bad-cop-et-
patriotisme/ 19/04/2013
26
Courriel de Kevin Tierney à moi, 1/05/2013
48
Finalement, Éric Canuel, le réalisateur du film, avoue d'être séparatiste27 et voit son projet
d'une façon encore différente :

Je pense que mes convictions politiques sont assez claires. Sauf que moi, j'ai
toujours cru qu'à la place d'être en guerre avec les Anglais […] et qu'on soit une
seule nation ou deux nations, va falloir qu'on apprenne à se parler. Comme les deux
policiers dans le film, il faut arriver à comprendre, à soutirer, à utiliser le meilleur
de l'autre pour grandir, pour devenir meilleur, pas se «bitcher» les uns les autres, ça
ne donnera rien.

Ce qui arrive au fur et à mesure qu'on avance dans le temps, c'est que les
Canadiens anglais perdent leur culture aux États-Unis et nous aussi. Moins
rapidement, c'est tout. Il faut qu'on se tienne debout, qu'on fasse notre cinéma, notre
musique, nos affaires et qu'on s'affirme comme peuple, que ce soit canadien ou
québécois. Il faut qu'on s'entende, on n'a pas le choix.
[on lui demande: Vous êtes séparatiste, mais vous voulez rassembler le Canada
avec un film?]
Je veux pas rassembler le Canada, je veux rassembler l'humain. Si je veux célébrer
ta différence, je suis pas obligé de vivre dans ta maison. […]
Oui le film est rassembleur, mais il n'est pas unificateur au niveau pays.28

5.2.7 Occasions de mettre un acteur en vedette

Dans le film il y a plusieurs occasions où les acteurs changent de langue mi-phrase juste
pour montrer qu'ils sont parfaitement bilingues, par exemple quand Martin dit « Et voilà ! Luc
Therrien, 39 years old, divorced, neuf ans pour trafic de cocaïne, après, plus rien ». Cette
alternance de code est clairement voulu, parce que Martin est en train de résumer un dossier
qui serait en anglais ou en français mais pas dans les deux langues.

Plus souvent c'est Colm Feore qui change de langue mi-phrase (tandis que Patrick Huard se
contente d'intégrer des mots anglais dans son français), parce qu'il est plus surprenant qu'un
Canadien anglophone connaisse le français que l'inverse. Jouant un politicien dans « French
Immersion », il fait de même : le politicien se vante de sa maîtrise des deux langues, qui est
surprenante, il ne perd aucune occasion de la mettre à l'épreuve, et en même temps c'est Colm
Feore qui est mis en vedette.

27
« Canuel le bad boy sympatique », entrevue sur Canoë,
http://fr.canoe.ca/divertissement/cinema/entrevues/2006/08/02/1727490-ca.html 19/04/2013
28
« Canuel le bad boy sympatique », entrevue sur Canoë,
http://fr.canoe.ca/divertissement/cinema/entrevues/2006/08/02/1727490-ca.html 19/04/2013
49
5.3 Les problèmes du plurilinguisme dans « Bon Cop Bad Cop »

5.3.1 L'oralité feinte

Tous les films souffrent du fait que leur dialogues sont scriptés plutôt que naturels. Dans
« Bon Cop Bad Cop », il y a un problème très particulier de plus : les deux personnages
principaux changent de code linguistique souvent et aisément, mais est-ce qu'il le font
vraiment à des endroits où un locuteur réel l'aurait fait et de la même façon qu'un locuteur réel
l'aurait fait ? Probablement pas.

Il y a pourtant une scène où l'on s'approche d'une oralité authentique : celle où David dîne
chez Martin et il raconte une histoire de son travail de policier à la famille. Quand je regardais
le film, j'ai immédiatement noté cette scène, parce que là, David hésite souvent, il se répète et
il demande des traductions à Martin, des marques d'oralité qui n'existent pas dans le reste du
film. Le commentaire sur DVD du réalisateur et producteur explique cette divergence :
l'acteur (Patrick Huard) était censé d'avoir un jour de congé à ce point, mais on a changé le
plan d'enregistrement et finalement Patrick devait apprendre par cœur trois pages de texte en
anglais pour le jour même. On lui a donc dit « Si tu manques des bouts, demande à Colm de
traduire ».29 (Colm Feore étant l'acteur qui joue Martin, lui aussi bilingue.) Si David hésite ou
demande une traduction, c'est vraiment Patrick l'acteur qui hésite ou ne trouve pas les bons
mots pour s'exprimer en anglais. C'est ainsi qu'un script à demi appris et de l'improvisation se
sont combinés pour nous donner à un moment pas complètement authentique mais un peu
plus authentique du parler d'un Québécois bilingue.

5.3.2 La compréhensibilité

Après mes explications en 2.3.2, le problème général de la compréhensibilité d'un film


plurilingue est clair et ils s'appliquent pleinement au film « Bon Cop Bad Cop ». Supposons
maintenant le meilleur cas, celui où les spectateurs connaissent l'anglais ainsi que le français.
Même dans ce cas-là, les expressions québécois et l'alternance de code linguistique très
fréquente dans « Bon Cop Bad Cop » peuvent être difficile pour eux, s'ils n'arrivent pas de
changer de langue aussi aisément que le font les acteurs. C'est un problème de
compréhensibilité qui est unique à un film aussi bilingue que « Bon Cop Bad Cop ».

Pour les spectateurs unilingues, la situation est encore pire. D'autres films sont produits dans
la langue des spectateurs, doublés dans la langue des spectateurs ou sous-titrés dans leur
langue. Le public peut alors se fier à une seule manière de comprendre les dialogues : ou par
l'audio ou par les sous-titres.

29
Kevin Tierney et Éric Canuel: Commentaire français du film, trouvé sur le DVD canadien
50
Dans le cas de films qui utilisent plus d'une langue, il y a toutefois très peu de changements
de modalités. On écoute les dialogues, puis il y a une séquence sous-titrée, puis on écoute les
dialogues de nouveau. Cela change probablement moins de 10 fois par film normalement.
Dans « Bon Cop Bad Cop », les langues changent tout le temps, surtout quand Martin et
David se parlent. Ils changent de langues même au milieu d'une seule exclamation, comme
Martin le fait quand il explique son histoire d'apprentissage de langues : « Non, je ne parle pas
français! Je me suis fait installer un petit gadget au cerveau and I see subtitles under people
when they speak. Oui je parle français. J'étais en français enrichi à Upper Canada College ».
Le problème c'est que les spectateurs monolingues français doivent diriger leur attention aux
sous-titres à temps pour saisir ce qu'il dit en anglais, pour ensuite reprendre à écouter la
continuation en français (et constater qu'il a, en effet, commencé de parler français de
nouveau). Les sous-titres offerts au Canada sont incomplets, ne traduisant que la partie
anglaise de ce qu'il dit (ou la partie française pour une audience anglophone). S'ils étaient
complets, les spectateurs n'auraient pas eu ce problème, parce qu'ils pourraient continuer à lire
les sous-titres jusqu'à ce qu'ils aient retrouvé le fil de la conversation.

Un problème plus commun de la compréhensibilité c'est qu'il y a de diverses variétés dans


le film, beaucoup de québécismes et de forts accents.

On n'a pas fait d'effort pour résoudre ce problème pour les cinémas canadiennes, c'est-à-dire
que le film n'est pas accessible aux immigrants francophones qui ne comprennent pas bien le
dialecte québécois. Sur les DVD canadiens, il y a des sous-titres complets, ce qui résout le
problème. Le public en France a le choix de regarder la version du film tel qu'il était montré
au Québec (donc sans sous-titres pour les parties québécoises) ou de regarder une version du
film où la majorité des conversations a été doublé en français standard, y compris les
occasions où Martin ou David parlent un français très compréhensible. Kevin Tierney m'a
expliqué que c'était le choix du distributeur, qui ne croyait pas que les Français
comprendraient l'accent québécois30.

5.3.3 L'acceptabilité

Au Canada anglophone, les gens ne sont pas accoutumés ni au sous-titrage ni au doublage,


parce qu'ils consomment surtout de films en anglais du vaste monde anglophone.

Au Québec et en France, il y a des film sous-titrés, mais très peu. La plupart des films est
doublée en français. Au Québec, il y a même des lois qui exigent que le doublage de films
destiné au Québec se fait au Québec. Dans les années 70, il y avait souvent de doublage de
films américains en québécois. Maintenant, les doubleurs québécois utilisent plutôt le français
standard.

30
Courriel de Kevin Tierney à moi, 1 mai 2013
51
« Bon Cop Bad Cop », comme film sous-titré à 50%, était donc uniquement susceptible au
problème de l'acceptabilité (inacceptabilité). Kevin Tierney, le producteur de « Bon Cop Bad
Cop », raconte : « Tout le monde nous disait au début 'Attention, les gens ne vont pas aller
voir un film sous-titré' »31. Pourtant, on a réussi à attirer plus de spectateurs qu'il n'était
possible d'imaginer. En Octobre 2006, quelques mois après son apparition, le film avait déjà
remporté 11.6 millions de dollars canadiens et il était devenu le plus grand succès commercial
de tous les films canadiens (cf. Kelly Brendan 2006).

Pour la version du film destinée à la France, l'équipe de « Bon Cop Bad Cop » n'a pas réussi
de convaincre le distributeur de montrer le film avec le même niveau de plurilinguisme. Pour
plaire aux goûts des Français, il y a une version de « Bon Cop Bad Cop » (sur DVD) où on a
remplacé beaucoup d'audio anglais avec le français. L'audio du film est à peu près 50%
français dans la version originale, mais avec les remplacements, qui n'affectent pas des scènes
nécessairement bilingues, l'audio devient peut-être 70% français pour le DVD destiné à la
France. Si le public ne l'appréciait pas, on n'aurait certainement pas investi le temps pour faire
tant de rédactions dans le film. On doit alors constater que le contenu de film en langue
étrangère n'est pas très accepté en France. Cela explique aussi les différences entre la bande-
annonce québécoise et la bande-annonce pour le Canada anglophone (le Canada anglophone
étant similairement prédisposé contre les films en langue étrangère), notamment que la
version anglaise fait semblant qu'il ne s'agit pas d'un film en français (voire section 3.2).

5.3.4 La faisabilité

Le sous-titrage est un art difficile, parce que les personnages parlent parfois si rapide que les
spectateurs ne peuvent pas lire le même texte en traduction dans le même espace de temps.
Les solutions communs pour ce problème sont :

le choix de traductions selon le critère de la brièveté, non selon le critère d'une


représentation précise de ce qui était dit

la non-traduction de marques d'oralité, comme les exclamations ou les répétitions

l'élision de mots ou même de phrases entiers

Dans « Bon Cop Bad Cop », on a eu recours aux mêmes solutions, mais il y a aussi une
scène clé où on a trouvé une solution innovante. La scène est celle avec Jeff le coroner joué
par Louis-José Houde, qui parle de façon extrêmement rapide (il est d'ailleurs un comédien
québécois très connu pour sa diction rapide), de sorte que David et Martin s'avouent plus tard
de n'avoir compris que la moitié de ce qu'il disait. Pour cette scène, le producteur/traducteur

31
Kevin Tierney et Éric Canuel: Commentaire français du film, trouvé sur le DVD canadien
52
Kevin Tierney a pris la décision de faire une traduction exacte, ne manquant aucun mot.
Ainsi, il devient très difficile de suivre les sous-titres anglais, mais c'est une représentation
exacte de la confusion que sentent les spectateurs francophones en essayant de suivre le
discours en français. Le caractère animé et aimable du personnage veille à ce que les
spectateurs retiennent l'intérêt.

5.3.5 Le linguicisme

Dans son choix de personnages et leurs caractères, le film renforce nombre de stéréotypes
que les Canadiens anglophones ont envers les Canadiens francophones et vice versa.
Cependant, il ne caricature pas leurs langues (pas comme le fait « Bienvenue chez les Ch'tis »
selon Planchenault 2012: 266-267) et il ne laisse pas l'impression d'une infériorité d'une
groupe ou d'autre, comme le font presque tous les films qui emploient plus d'une langue et
surtout ceux qui emploient des variétés non-standard (cf. Bleichenbacher 2012 : 156).

Le problème de la surreprésentation de personnages anglophones (cf. Bleichenbacher 2012 :


160) et de dialogue en anglais n'existe pas non plus dans « Bon Cop Bad Cop ».

Les films « mainstream » présentent comme normal que les personnages anglophones ne
sont pas bilingues. S'il y a un personnage anglophone qui est bilingue, ce fait est souligné,
tandis que le bilinguisme d'autres personnages est tenu pour acquis ou même présenté d'une
façon négative (cf. Bleichenbacher 2012 : 161-163). Dans « Bon Cop Bad Cop », le
bilinguisme du canadien anglophone Martin Ward est certainement souligné – tout le monde
est abasourdi en le découvrant – et le bilinguisme de David Bouchard est d'abord présenté
sans commentaire, dans la scène du premier rencontre avec Martin. Jusque là, la situation
correspond au linguicisme identifié par Bleichenbacher. Cependant il y a aussi un autre côte :
le chef de la Sûreté du Québec est surpris de découvrir que David (son employé) sait parler
anglais et aucun des autres québécois est montré comme bilingue. Cela ne correspond pas au
linguicisme qu'on connaît, selon lequel les parleurs des autres langues auraient dû parler
couramment l'anglais et sans qu'on le valorise.

Gaëlle Planchenault (2012 : 272) s'est montré déçue que « Bienvenue chez les Ch'tis » et
« L'Esquive », qui avaient pour but de présenter des variétés françaises non-standard dans une
meilleure lumière, sont néanmoins tombés dans le piège de montrer ces variétés comme
inintelligibles. Cela est une sorte de linguicisme aussi et « Bon Cop Bad Cop » l'a évité,
refusant de mettre des sous-titres ni pour les parties en québécois ni pour ceux en français de
France. Chaque spectateur francophone, qu'il soit immigré ou non, est censé de comprendre
les deux.

53
5.3.6 La traduction

La traduction d'un film comme « Bon Cop Bad Cop » est très difficile parce qu'il faut
traduire deux langues dans une seule.

La traduction du film en allemand a échouée parce que les spectateurs allemands ne se


rendent plus compte qu'il y a, en effet, deux langues. Rien ne l'indique dans les sous-titres. Et
même si on considère cela acceptable, ce changement détruit une bonne parties des scènes qui
ne fonctionnent plus si tout le monde parle la même langue, comme celle au bar.

Le doublage français tient compte de ces scènes et les laisse comme dans l'original, au prix
d'avoir différentes voix pour le même personnage, ce qui ne se fait pas non plus au cinéma.
Dans le reste des scènes, les voix sont doublées.

Voici un exemple du doublage :

Martin et David se parlent pendant qu'ils attendent un mandat de perquisition pour pouvoir
entrer dans la maison de Therrien. Cette scène commence à 0:44:04 sur le DVD canadien et
à 0:42:35 sur le DVD français.
Version originale Version doublée
M The barmaid is not answering your cell. Rita ne répond pas à son téléphone.
D Quessé qu'ils font avec leur hostie de Mais qu'est-ce qu'ils font avec leur maudite
paperasse? (fait les cent pas) paperasse! (fait les cent pas)
M Did you take Ritalin as a child? T'étais sur Ritalin quand t'étais enfant?
D Hein? Hein?
M Pense à autre chose. Ta fille est adorable. Pense à autre chose. Ta fille est adorable.
D C'est vrai, on est ben chanceux. She's a C'est vrai, on a de la chance. She's a great kid.
great kid.
M You were right. Les Québécoises sont... Et tu avais raison. Les Québécoises, elles
spéciales. sont... elles sont spéciales.
D Tu parles-tu de Suzie là? Tu parles de Suzie?
M Elle est vraiment superbe. She's really Elle est vraiment superbe. Et elle a les pieds
down to earth. sur terre.
D Tu cherches quoi, là? Tu cherches quoi, au juste?
M What? Quoi?
D Sais-tu quoi? Ça marche pas, ton truc. Va te dire. Ça marche pas, ton truc.
M Bouchard, we're waiting for a warrant. On doit attendre la commission rogatoire.
D Je m'en câlice! Je m'en câlice!
M Bouchard! Come on! Bouchard! Arrête!
54
D Je m'en câlice! Je m'en câlice! (entre Je m'en câlice! Je m'en câlice! (entre dans la
dans la maison) maison)
M Great. Now we can't use any of the Super. S'il y a des preuves, on pourra pas s'en
evidence. (soupire) (en anglais:) Idiot. servir. (soupire) (en français:) Idiot.

Pendant toute la scène, on n'entend que les doubleurs, pas les voix originales.

On constate que le focus du doublage était d'éliminer l'élément québécois, même quand il
était très compréhensible, comme l'usage de « là » à la fin des phrases. Cela est probablement
lié à la forte tradition de prescriptivisme linguistique en France – selon Lodge (1993 : 4),
même les Français ordinaires critiquent souvent l'usage d'une variété régionale.

Malgré l'élimination de toute trace de québécois, on a laissé l'expression « Je m'en câlice »


quand même, peut-être parce que Martin va l'utiliser dans une scène clé pour montrer son
rapprochement à la culture québécoise, ou peut-être parce qu'on voulait rappeler au spectateur
que David est québécois même s'il ne parle pas québécois. En tout cas, en obligeant un
doubleur de France dire des phrases comme celle-ci, avec son accent de France, on crée une
inconsistance linguistique autour du personnage et un double problème de crédibilité. Il n'est
pas crédible qu'un personnage d'une certaine zone géographique parle dans une langue qui
appartient à une autre zone géographique (cf. Patrick Zabalbeascoa 2008 : 171-174). Ici on a,
pour la plupart du film, des Québécois qui parlent comme des Français, et puis des phrases
appartenant au registre québécois qui apparaissent dans un discours français standard et qu'on
prononce avec un accent de France.

Le doublage avait aussi pour but d'éliminer l'anglais, même les phrases très compréhensibles
comme « Idiot » ou « What ». Pourtant, on a laissé que David (le francophone!) dise « She's a
great kid » - je ne comprends pas pourquoi. On a aussi fait des changements qui me restent un
mystère, comme remplacer « Les Québécoises sont... spéciales » par « Les Québécoises, elles
sont... elles sont spéciales ».

D'après moi, aucune des traductions est réussi et certainement aucune des versions du film
hors du Canada avait du succès.

Peut-être est-il trop de s'attendre à ce qu'un tel film, qui joue tellement sur les langues,
puisse être traduit avec succès. Selon Peter Petrucci (2012 : 247-249), les caractérisations et le
développement narratif en général ne sont effectifs que si les acteurs, le réalisateur, l'écrivain,
les autres responsables du discours cinématographique et l'audience font un effort combiné
pour faire appel à leur connaissance partagée du monde pour construire la signification
ensemble. Sans ces caractérisations et sans la connaissance partagée du monde entre créateurs
et consommateurs du film, le film perd beaucoup de sa signification et de sa pertinence.

55
6. Conclusion

Dans « Bon Cop Bad Cop », le plurilinguisme joue un rôle principal. Selon les distinctions
introduit par Daniel Fabre et Jacques Lacroix dans « Langue, texte, société » (1972 : 51), il
s'agit dans « Bon Cop Bad Cop » d'un plurilinguisme étanche de dialogue ou plurilinguisme
hiérarchique, où la compétence linguistique est un attribut important des héros appartenant à
une culture plurilingue.

Ainsi, on a essayé aussi bien que possible de naviguer autour des nombreux problèmes posés
par le plurilinguisme (cf. 5.3) et en fin le plurilinguisme est présent dans nombre de
mécanismes (cf. 5.1) et occupe beaucoup de fonctions (cf. 5.2) comme l'humour,
l'accentuation, la révélation de caractères, le contrôle de l'évaluation et des émotions des
spectateurs, et cetera. Il ne serait pas possible de produire ce film en tant que unilingue,
comme les traductions l'ont d'ailleurs prouvé (cf. 5.3.6), parce que le plurilinguisme est
partout et occupe trop de fonctions vitales.

À quel fin ?

Même si le producteur s'acharne à dire qu'il a voulu produire un film qui divertit les gens, il
est clair que son emploi du plurilinguisme est le résultat d'une réflexion sérieuse et qu'il a un
dessein ultérieur qui est d'encourager l'entente entre les deux solitudes (bien que l'équipe du
film ne semble pas être d'accord sur la question à quel fin ils désirent l'entente, cf. 5.2.6). C'est
alors l'idéologie des créateurs du film. Gaëlle Planchenault (2012 : 256) nous rappelle que
pour contextualiser les représentations linguistiques qui sont proposées dans un film, il est
nécessaire d'analyser la façon dans laquelle les idéologies des réalisateurs interagissent avec
les discours dominants – est-ce qu'ils les soutiennent ou les opposent ?

Au Canada, le discours dominant des médias est pour la plupart diviseur, caractérisé par des
préjugés et de l'hostilité voilée envers l'autre communauté, comme on le voit par exemple
dans l'article très discuté de Prof. Luc-Normand Tellier dans Le Devoir du 27 juin 2013 32. En
ce qui à trait au cinéma, le discours dominant est le linguicisme anglocentrique (cf. 2.3.5).
« Bon Cop Bad Cop » s'oppose tant à l'hostilité qu'au linguicisme en nous proposant un film
qui inclut les deux points de vue, qui parle tant aux francophones qu'aux anglophones et qui
cèle à l'harmonie. Il aurait été encore mieux d'inclure les citoyens des autres ethnies
(amérindiens, inuits, immigrés) mais cela aurait probablement été trop difficile. Il y a des
rumeurs qu'une suite du film verrait Martin et David chez les amérindiens.

Pour continuer mon exploration, il serait intéressant de savoir si le film a eu l'effet désiré, si
les audiences sortent vraiment avec une nouvelle reconnaissance de leurs concitoyens
francophones/anglophones ou une idée un peu différente du plurilinguisme canadien.
32
Version numérique: http://www.ledevoir.com/politique/quebec/381701/pourquoi-souhaitez-vous-que-nous-
restions-dans-ce-pays 01/07/2013
56
De plus, « Bon Cop Bad Cop » est un film très riche en paramètres linguistiques qu'on
pourrait analyser et je n'en ai décrit que le camp très étroit des mécanismes et fonctions du
bilinguisme. Je pense qu'il serait très intéressant d'analyser les traductions de ce film par
exemple et la façon dans laquelle elles ont réussi ou ne pas réussi à transmettre les
nombreuses subtilités linguistiques du film, une analyse similaire à ce que Peter Petrucci a fait
pour la traduction des variétés de langue dans « Talk to me » (Petrucci 2012). J'ai fait
quelques remarques générales au sujet des traductions du film, mais une analyse aurait mené
mon essai dans une direction tout à fait différente. Je ne peux qu'espérer que quelqu'un d'autre
sera inspiré de ce faire.

57
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comprendre, c'est la question, dans: Romansk Forum, 20 (2005/1), pp. 131-140
59
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Sanaker, John Kristian: Plurilinguisme en littérature et cinéma francophones : possibilités


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Sherry Simon: Crossing Town. Montreal in Translation. Dans : Doris Summer (ed.):
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Tierney, Kevin et Canuel, Éric : Commentaire français du film, trouvé sur le DVD canadien

Tierney, Kevin et Canuel, Éric : English commentary of the film, trouvé sur le DVD
canadien

« Canuel le bad boy sympatique », entrevue sur Canoë,


http://fr.canoe.ca/divertissement/cinema/entrevues/2006/08/02/1727490-ca.html 19/04/2013

« Cop Buddies Movie », Wikipedia, http://en.wikipedia.org/wiki/Cop_buddies_movie,


13/04/2013

« Dictionnaire Québécois », http://www.dictionnaire-quebecois.com, 13/05/2013

60
Eigenständigkeitserklärung

Ich erkläre, dass ich dieses Werk ohne fremde Hilfe angefertigt und nur die im
Literaturverzeichnis angeführten Quellen und Hilfsmittel benutzt habe. Alle Zitate habe ich
kenntlich gemacht.

Berlin, 01.07.2013

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