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Collectif d'Action GènÉthique (CAGE)

Globaliser la résistance,
localiser la nuisance

16 May 2003

Invitation à une semaine européenne de GeneSpotting


Après avoir testé à quatre reprises la formule du GeneSpotting,le CAGE, Collectif d'Action
GènÉthique, qui dénonce depuis plusieurs années en Belgique les nuisances sociales et
environnementales inhérentes au génie génétique, vous invite à participer à une semaine
internationale de GeneSpotting,du 14 au 20 mai.

En quoi consiste exactement ce néologisme ? Le GeneSpotting,terme forgé sur base du


Bombspottingpratiqué par les pacifistes anglo-saxons, consiste à intervenir sur-le-champ (avec
des tirets). C'est-à-dire qu'il s'agit de localiser puis inspecter un site, ou questionner des
responsables sur place sans la sempiternelle médiation des représentants politiques ou
scientifiques.

Les cibles ne manquent pas : une parcelle d'expérimentation de végétaux transgéniques (et
s'ils sont voués à la fabrication de médicaments, vous touchez à un alibi crucial de la
propagande pro-OGM), un laboratoire de recherche universitaire (vivier à innovations
technologiques et haut lieu de l'irresponsabilité organisée), le siège d'une firme de
biotechnologie, un centre de recherche unissant public et privé (pour montrer leur collusion
organique), un organisme de récolte de fonds pour la recherche en génétique (l'occasion de
dénoncer les faux espoirs et la spoliation organisée), etc.

À vous de voir. La façon de mener l'action est tout à votre guise. On peut par exemple
débarquer sans crier gare dans un laboratoire, ce qui permet de rencontrer le personnel et les
techniciens au lieu de l'habituel émissaire formaté responsable de la communication. Ou dans
une séance d'experts — autres petits soldats de la guerre au vivant — pour les faire sortir
brutalement de leur anonymat coupable, tout en constatant l'ahurissant bricolage empirique
qui résume l'ingénierie génétique. On peut à l'inverse rendre la visite au maximum publique
en contactant médias, promoteurs du projet OGM, responsables politiques locaux (le
bourgmestre, l'échevin de l' environnement, celui de la santé publique, le commissaire de
police), en distribuant un tract dans les boîtes aux lettres de la Commune, en contactant des
associations anti-OGM et les secteurs concernés (des producteurs Bio ou même
«traditionnels» dont les cultures sont menacées de contamination).

À titre d'illustration, vous trouverez ci-joint un récit détaillé des quatre Genespottingsmenés
en Belgique depuis le mois de septembre 2002. En ce qui concerne la situation en Belgique, il
faut savoir que ce pays vient d'être officiellement libéré de son statut de laboratoire grandeur
nature du génie génétique. En effet, après la décision d'abandonner en 2003 tout essai en plein
champ prise par le lobby des biotechnologies, la seule demande d' autorisation (une
expérience de pommiers transgéniques menée sous le giron de la recherche publique et sur
laquelle le CAGE est intervenu à deux reprises) vient d'essuyer un refus ministériel ce 11 avril
2003. Pour le GeneSpotting européen, les efforts du CAGE se porteront dès lors sur d' autres
expériences liées aux biotechnologies. Des groupes anglais, hollandais et espagnols ont d'ores
et déjà souscrit à cet euro-GeneSpotting.

Étant donné que dans certains pays les renseignements restent difficiles à trouver, vous
pouvez contacter l'association « A Seed », qui a créé une importante base de données
européenne, et qui vous indiquera par où entamer efficacement vos investigations.
A SEED Europe, Post Bus 92066, 1090 AB Amsterdam, Pays-Bas ; www.aseed.net ; tél. :
+31206682236).

Pour couvrir les GeneSpottings,nous réalisons nos propres documentaires (pour recevoir la
cassette vidéo de l'action menée à « Florennes », contactez genespotting@altern.org).

GeneSpotting
ou comment semer des grains de sable dans
la machinerie progressiste

Extrait de "l'homme au foyer"  N°2 — février 2003


13, rue du Duc, 1150 Woluwe-Saint-Pierre
? Euros pour l'envoi du prochain numéro et dons de soutien :
compte n°001-2868899-06 (à l'ordre de Guillaume Delaitre, préciser votre adresse en
communication)
Reproduction encouragée

Les militants pacifistes ont créé un mode d'action intitulé Bombspotting.Il s'agit de se rendre
sur le lieu où se trouvent entreposées les armes (des missiles à ogive nucléaire par exemple).
Cela permet d'attirer l'attention sur des entreposages militaires parfois illégaux ou tenus
secrets. Si cette première phase ne suffit pas, les militants passent à la seconde : le
Bombstopping.Cette fois-ci, non seulement ils pénètrent sur le terrain militaire, mais en plus
ils emmènent avec eux quelque outil (un marteau par exemple) avec lequel ils procèdent à la
destruction de l'arme décriée.

Linguistiquement inspiré du Bombspotting,un GeneSpottingconsiste à se rendre à un endroit


(spot)où se décide le dérèglement inouï de notre environnement génétique. Il n'est pas faux
que la dissémination de transgènes dans l'écosystème constitue une manière de bombe à
retardement et que, comme le dit Jean-Pierre Berlan à propos des OGM agricoles et en
particulier du transgène Terminator, le génie génétique mène une guerre au vivant.

Voici donc le récit des quatre GeneSpottingsexpérimentés en Belgique de septembre 2002 au


mois de mars 2003 par le CAGE, «Collectif d'Action GènÉthique».

Menace sur Florennes


Parfois, le contexte sociétal peut conférer au GeneSpotting une efficace inespérée. C'est ce qui
survint à Florennes.

Dans cette commune connue pour sa culture d'ogives nucléaires de variétés nord-américaines,
se trouvait emblavé un double champ de colza OGM. Il s'agissait du seul Farm Scale
Trialexpérimenté en Belgique, c'est-à-dire «un essai à l'échelle d'une ferme» juxtaposant deux
champs, l'un transgénique l'autre pas, visant à vérifier le degré de contamination. Devenu
entre-temps propriété de Bayer, ce FST avait été initié par Aventis CropScience. Cette firme,
principale expérimentatrice d'OGM sur l'environnement belge, avait essuyé durant les deux
années précédentes plusieurs destructions nocturnes de parcelles expérimentales. Voilà qui
avait de quoi insuffler un peu de soufre à notre intervention.

Ce premier GeneSpottingavait joui d'une grande publicité. L'action devait prendre pour lieu de
départ le salon Valériane, grand rendez-vous annuel du Bio en Wallonie. Outre les habituels
envois courriels et autres tractages, l'invitation parut dans le magazine de l'association Nature
et Progrèsqui organise ce salon annuel du biologique.

La simultanéité de notre «initiation à l'environnement transgénique» avec le salon pouvait


laisser supposer une grande affluence. Las ! Pas un visiteur du salon Valériane ne participa à
notre action. Avec ses emplacements de stands aux prix exorbitants, avec son entrée payante
et ses marchandises perfectionnées, qu'elles soient bio, recyclées, fermières, éthiques ou «en
cuir végétal», ce salon Bio transforme les visiteurs en consommateurs exigeants et les
exposants en gérants de vitrine commerciale. Bref, pas de temps ni d'argent à perdre en
activisme préventif (on paiera quand il le faudra une marchandise sécurisée par un
label «sans OGM» dont on sait par ailleurs la fallacieuse signification). La principale leçon à
tirer de ce GeneSpottinginaugural, c'est qu'il n'y a pas de mobilisation sans communauté, sans
réseau éthique préalablement constitué.

Mais soit. Aussi illusionnées que nous sur le taux de participants, les autorités communales de
Florennes avaient allumé un contre-feu préventif visant à réduire en poussière tout motif
d'agitation anti-progressiste dans leur commune. Concrètement, le bourgmestre, qui jusqu'à
l'annonce de notre venue avait pu se contenter d'adopter la motion «Commune sans OGM»,
ordonna au fermier l'arrachage prématuré du champ de colza génétiquement modifié. Ce qui
fut fait quelques jours avant la visite guidée dûment annoncée. Comme le disait Marcel
Duchamp à propos des échecs, rien n'est plus beau que lorsque la menace est plus forte que
l'exécution.
Cette inspection citoyenne orchestrée par le CAGE avait pour but de montrer que les normes
les plus élémentaires n'y étaient pas respectées : variétés cousines à proximité (du chou, de la
moutarde sauvage), potagers à l'intérieur de la zone officielle de dissémination, etc. Comme
nous l'avons dit plus haut, cette inspection démocratique fut sabotée par ce vandale de
bourgmestre qui ordonna l'arrachage prématuré du champ. Bons joueurs, nous avons
néanmoins rencontré le maïeur en question, dont l'acte innommable poursuivait deux objectifs
: d'abord prévenir tout risque d'agitation dans sa commune ; ensuite éviter toute contamination
de ce type d'action auto-organisée : la politique, il est payé pour la faire et compte bien le
rester. Après la discussion avec le bourgmestre et son comparse, dont le sens de la
responsabilité épouse strictement des visées carriéristes locales («nous avons fait tout ce que
nous avons pu
pour protéger nos électeurs, pour le reste, cela ne relève pas de notre compétence»), nous
avons rencontré, aux abords du FST préventivement récolté, le fermier qui avait emblavé ce
champ pour Aventis. Discussion fort enrichissante.

Nous nous étions passé le mot de subir calmement son énumération de la gamme attendue
d'arguments de mauvaise foi. Il y eut bien entendu le «Venez travailler à la ferme six mois, et
vous verrez»  (sous-entendu : vous réviserez votre opinion à l'égard des OGM ?), il y eut
également un audacieux «Les vents dominants empêchent la contamination des choux (qui
poussent à deux pas du champ)». Quoi qu'il en soit, une rencontre avec un agriculteur
présente l'intérêt de constater qu'il est à l'image de la société : isolé et contraint de participer
au système. Mais en l'absence de communauté ou de souffle séditieux ne nous arrive-t-il pas
même à nous, contestataires de la ville, de sombrer dans les pires aliénations (le travail, la
consommation, la ruée compulsive sur la technologie)-? Peut-être des rencontres avec les
agriculteurs permettraient-elles à moyen terme d' établir ou de rétablir des circuits mangeurs-
producteurs courts, évitant un tant soit peu les canaux industriels.

Warcoing : toute résistance est inuline [1]


En novembre 2002, le CAGE organisa près de Tournai la visite d'un site industriel au sein
duquel sont expérimentés des plants de chicorée génétiquement modifiée. Nous avons
rencontré, dans l'ordre, le bourgmestre, un échevin, un directeur de l'entreprise, des
agriculteurs locaux venus écouter l'invité. Cette fois-ci, pas question pour le bourgmestre
d'ordonner l'éradication de l'expérience en cours : l'entreprise constituait, comme il nous
l'avoua lui-même, une des principales entrées financières de sa commune. Quant à l'échevin
des affaires économiques qui l'accompagnait, il déploya à notre égard tout le panel de lieux
communs en matière de défense des OGM : l'argument d'autorité «Étant donné que je suis
moi-même biologiste de formation.», le chantage émotionnel «Comme je souffre moi-même
de diabète et que désormais l'insuline est fabriquée à partir d'OGM [2].», ce à quoi nous
répliquions non sans malice que c'était de l'inuline à but commercial et non de l'insuline qui
était produite à la SA Warcoing. Lors de la visite du site industriel qui succéda à cette
savoureuse confrontation, nous avons rencontré l'un de ses directeurs qui compléta
l'argumentaire fallacieux que nous avait rabâché l'échevin des affaires économiques :
l'invocation du libre choix : «Chacun fait comme il veut», la déresponsabilisation
caractérisée : «Ce n'est pas à moi de prendre des décisions politiques», le fatalisme
prométhéen : «la main ouverte n'arrête pas le vent», proverbe chinois maintes fois traîné dans
la boue progressiste. La fin de l'après-midi se poursuit dans la salle d'un café que nous avons
obtenue grâce à la ruse d'une complice locale qui l'avait réservée sans préciser le contenu de la
réunion. Il faut savoir que nous avions essuyé une annulation dans un autre café, situé juste en
face de celui-ci, le commissaire et le bourgmestre ayant dissuadé la tenancière
en évoquant la venue d'agitateurs violents résolus à transformer le village en un nouveau
Gênes. Plus simplement, une bonne part de la clientèle de ce bar est employée par la
fructoserie, véritable pacemaker© économique du village. Mais revenons à notre petit débat.
Notre invité, Gabriel Dewael, membre de la Confédération paysanne du Nord, est un endivier
artisanal. Il ne cultive pas ses chicons suivant les normes Bio car sa clientèle est
essentiellement issue de milieux populaires. Il nous raconte les luttes qu'il a menées dans le
Nord contre l'industrialisation de sa profession. La dérive technologique, par exemple la «
culture » de l'endive par hydroponie [3], sous un abord avantageux de facilitation pour le
producteur, a tout bonnement fait disparaître les petits endiviers. C'est un principe inhérent à
la technologie : soit on peut se la payer, soit on disparaît, soit on devient exploitant pour
l'industrie capable de s'offrir cette
technologie. La discussion avec des agriculteurs locaux ayant cultivé de la chicorée pour la
fructoserie locale fut aussi éclairante que celle que nous eûmes avec le fermier de Florennes.
Était encore présent un fonctionnaire d'État, agronome universitaire responsable de tests de
présence d'OGM dans les lots de semences. Il ne jurait que par l'État, seul capable selon lui de
garantir le contrôle sérieux des OGM. L'assistance et les membres du CAGE local étaient peu
nombreux mais avertis. Pour illustrer la formidable capacité de reprise de la chicorée, notre
endivier français avait enterré quelques semaines plus tôt un éclat de racine. Lorsqu'il nous le
ressortit, il était hérissé de radicelles vigoureuses. Ce n'est pas tous les jours qu'on rencontre
un producteur artisanal et autonome qui défend un autre mode de production, qui critique les
fermes pédagogiques («le zoo»), qui participe à de nombreuses luttes pour sauver le peu
d'autonomie paysanne qui survit. L'authenticité de son vécu et la véracité de sa parole nous
ont incité à l'inviter à témoigner pour la deuxième audience du procès de Monsanto dans
lequel un membre du CAGE est inculpé [4].

Parallèlement à ces ingérences citoyennes, une lettre signée de l'acronyme ALADIN avait été
distribuée par on ne sait qui dans les boîtes aux lettres de la commune concernée. Cette
parodie de circulaire de service de biosécurité dispensait aux populations conseils et
avertissements relatifs aux risques de dissémination de transgènes dans l'environnement (par
exemple la possibilité de croisement avec la scarole potagère, variété cousine de la chicorée,
et naturellement compatible avec elle). Dans une invention relevant de l'anticipation, la
circulaire simili officielle impose aux habitants d'introduire des demandes pour la mise en
culture de variétés compatibles avec les OGM cultivés par l'entreprise locale. Le document
parodique mentionne encore la possibilité pour l'autorité imaginaire de recourir à des amendes
en cas de non-respect des mesures, ce qui n'est pas très éloigné de la réalité quand on entend
des représentants de producteurs d'OGM prétendre que ce sont aux autres types d'agriculture
de se protéger contre la dissémination.

L'apparition soudaine d'ALADIN, l' «Agence Locale d'Accompagnement des


Dysfonctionnements Industriels et des Néotechnologies», a d'ailleurs quitté le domaine de la
fantasmagorie pour rejoindre la réalité en janvier 2003, lorsque le gouvernement français a
créé le PPRT, le «Plan de Planification des Risques Technologiques» !

La pression démocratiquement exercée par ces deux premiers GeneSpottingslà où on ne


l'attendait pas a vraisemblablement pesé dans la décision des entreprises de biotechnologie de
ne pas procéder à des expérimentations en plein champ en 2003 sur le sol belge. En effet, en
décembre 2002, Belgo Biotech, l'organe de lobbying des entreprises de biotechnologie
implantées en Belgique, déclare l'arrêt de toute expérimentation de végétaux transgéniques en
plein champ.
Là où la caste des experts s'autopollinise
Une expérimentation a néanmoins fait l'objet d'une demande d'autorisation, mais il s'agit en
l'occurrence d'une entreprise de production «classique» de pommes et d'une spin offad hoc qui
se sont lancées, en collaboration avec l'université catholique de Louvain (la KUL), dans la
mise au point de pommiers transgéniques capables de s'auto-fertiliser.

Aussi en février le CAGE s'invita-t-il à la séance d'experts réunis pour décider s'il fallait
autoriser oui ou oui cette expérimentation étatico-économique. Le CAGE a distribué un
rapport circonstancié de son point de vue sur la pertinence du recours aux OGM, agrémenté
d'arguments d' ordres scientifique et socio-économique, le tout mâtiné de scepticisme à l'
égard des experts, en particulier dans le domaine des biotechnologies qui, loin d'être une
science, en est plutôt au stade de la découverte empirique par à-coups [5].

L'organisateur de cette journée, le matois William Moens, s'efforce depuis peu d'amortir la
contestation des OGM en l'intégrant doucereusement aux processus de décision. À notre
arrivée inopinée, il proposa de distribuer lui-même nos tracts et nos pommes de variétés
rustiques issues de vergers biologiques. Il a ensuite invité un seul membre de notre groupe à
assister à la séance. Cette intégration improvisée nous révéla que si pour la première fois
l'assemblée comptait effectivement divers représentants de la société civile (une étudiante, un
journaliste du Soir),ils étaient réduits au statut de téléspectateurs (synonyme de spectateur
passif) étant donné que tous avaient dû signer au préalable un «Certificat de confidentialité»
stipulant que chacun s'engageait «à ne divulguer aucune des données confidentielles qui
pourraient être mentionnées dans les dossiers à évaluer» [6]. La transparence oui, mais entre
gens de bonnes compagnies. De plus, l'inexistence de publicité de la séance et la nécessité
d'un bagage scientifique adéquat réservaient de facto l'accès à un public extrêmement restreint
; et étant donné que les rares représentants de la société civile tenus au courant et capables de
comprendre les risques et les enjeux ne sont pas autorisés à transmettre les informations au
reste de la société civile, on peut en conclure que la transparence reste un mirage que les
réformistes professionnels se condamnent sciemment à poursuivre toute leur carrière durant :
accepter le système c'est se résigner à l'améliorer.

Durant la séance, de nombreuses remarques scientifiques ont fait apparaître la méthode


hasardeuse et les profondes zones d'ombre des «scientifiques» menant l'expérimentation. Le
projet doit sa sauvegarde à l'habileté administrative de William Moens qui est parvenu à
transformer les remarques en demandes de complément d'information, et donc à la nécessité
de poursuivre l'expérimentation afin d'y répondre.

Fort instructive également fut la brève discussion avec le représentant du ministre Ecolo de la
Santé publique, qui nous demanda aimablement de ne pas empêcher la réunion. La fonction
du syndicaliste consistait à taper sur l'épaule de l'ouvrier pour le persuader amicalement de
remettre au lendemain ses aspirations révolutionnaires, celle du mandataire Écolo consiste à
apaiser l'activiste environnementaliste, pour éviter de se voir obligé de le réprimer lui-même.
Le nouveau ministre fédéral de la Santé publique, l' Agalev [7] Jef Tavernier, n'a-t-il pas
d'ores et déjà condamné publiquement toute forme d'«éco-terrorisme» ?

Tomber dans les pommes sans être Kao [8]


Le quatrième GeneSpottingeut lieu le dimanche 16 mars, près de la ville flamande d'Aarschot.
Il visait à une occupation de l'emplacement prévu pour les pommiers transgéniques, sur la
pépinière expérimentale dont le propriétaire est une université étatique (la K.U.L.). Le CAGE
et d'autres groupes souhaitaient tout d'abord procéder à la conversion préventive d'une zone en
passe d'être contaminée en un espace d'agriculture réhumanisée : installation de tentes, d'une
feuillée et d'une roulante ; aménagement d'un potager biologique ; plantation de pommiers de
variétés rustiques. Dans cet environnement arboricole et potager assaini, devaient encore se
dérouler une série d'ateliers d'initiation et de modules didactiques relatifs à diverses nuisances
technologiques. Enfin, un atelier d'épandage de chaux vive devait procéder au marquage de la
limite de contamination telle qu'elle a été évaluée officiellement (cent mètres !).

Le but n'était pas de foncer en kamikaze sur la serre contenant les pommiers transgéniques,
mais d'attirer l'attention sur la poursuite et la non pertinence des expérimentations
transgéniques, et de pointer dans la foulée la participation active des institutions publiques
dans l'élaboration des nouvelles technologies. Rappelons que le nucléaire fut et reste un projet
étatique (comme le confirme sa renationalisation en Grande-Bretagne) et que le premier
végétal transgénique est sorti des laboratoires d'une université publique belge, dans le cadre
d'un programme financé par la région flamande et la Communauté européenne [9].

Tout ce joli programme d'aménagement d'un village alternatif fut tué dans l'œuf par une
prévention policière particulièrement zélée. C'est en effet tout un comité d'accueil et
d'encadrement qui attendait les participants à ce quatrième GeneSpotting.Des flics en civil, un
flic en altermondialiste, des pandores à toutes les gares, contrôlant les identités y compris
dans le train qui nous menait près du centre expérimental, et puis encore dans le village qui
constituait l'un des points de chute. Jusqu'à ce que le dernier participant prenne la route, les
policiers resteront présents. Malgré la tension qui régnait à l'ultime point de rendez-vous, un
café en face de la gare d'Aarschot, nous décidons de visiter notre objectif. Nous entamons
donc les quelque quatre kilomètres séparant la gare du fruiteelcentrumuniversitaire,
accompagnés comme il se doit d'une camionnette à bande bleue. Lorsque notre petit cortège
arrive au carrefour d'où part le chemin menant au centre situé à environ 800 mètres de là, la
voie est déjà bloquée par un maigre cordon d'agents. Nous obtenons de rester sur la portion
congrue d'asphalte où nous étendons nos calicots anti-OGM et autres sigles «Bio-hazard», où
nous déballons le pique-nique prévu : pain fait maison, salade folle à base de pomme, tartes
aux pommes achetées la veille chez un petit producteur «Bio» et local, des bouteilles de jus de
pomme de même provenance. Nous installons encore les petits pots de fleurs que certains
avaient prévu de repiquer. Quant aux poireaux et aux quatre pommiers haute tige également
au programme, ils sont restés dans la voiture. Le chef des bleus nous prévient : « Tout
rassemblement de plus de trois personnes à l' intérieur de cette zone sera considéré comme
une manifestation et fera l' objet d'une arrestation immédiate». Après une discussion
polyphonique écrite par Samuel Beckett, nous obtenons de nous rendre près de la serre
contenant les arbres transgéniques, mais par deux, et escortés par un pandore veillant à ce que
nous ne quittions pas la voie publique. Nous montrons à notre hôte parfait bilingue les
lucarnes grand ouvertes de la serre théoriquement confinée. Bien qu'il nous expliquât qu'il
était payé pour ne pas penser, il dut reconnaître que n'importe quel oiseau ou insecte pouvait y
pénétrer et en ressortir aisément. Qu'apercevons-nous dans le bâtiment, qui nous guette par la
fenêtre ? Un chercheur. Nous demandons à le voir. Le flic s'exécute. Deux hommes sortent.
Ils ne sont pas chercheurs, nous prétendent-ils, mais techniciens, simples exécutants-
laborantins. Bref, ils se déresponsabilisent à fond bien que l'un des deux était présent à la
séance d'experts au conseil de biosécurité. Il invoque le directeur de la recherche, nous livre
fissason numéro de portable (ce n'est pas tous les jours qu'on vient le mettre face à ses
responsabilités). L'échange est savoureux et révélateur. Quand nous rappelons à ce laborantin
que selon le protocole qu'il est censé respecter, l'expérience doit être intégralement confinée
dans des serres dépressurisées et équipées de sas, il nous répond par un grand sourire crispé.
Même le flic, qui lui a spontanément demandé dans leur langue natale si des oiseaux ou
insectes ne pouvaient y pénétrer, a compris qui se foutait de la gueule de qui. Au retour, le
gentil bougre a même songé (au mépris de sa fonction rémunérée) à une solution : «Eh bien
portez plainte !».

Pour tuer le temps, nous allons informer les badauds qui attendent un spectacle depuis le pas
de leur porte. Un tract en néerlandais eut sans doute donné un peu de consistance à nos
explications. À l'heure du totalitarisme techno-industriel, la méfiance des citoyens à l'égard de
toute contestation fait sourire ou pleurer. Plus jamais ils ne se laisseront manipuler par des
idéologues ; ils ont bien appris la leçon démocratique. Mais combien d'entre ces braves
citoyens accepteraient de voir que le moindre recoin de leur existence se trouve colonisé par
le système industriel-marchand qui a su, lui, occulter toute forme d'affirmation idéologique ?
Ceci étant dit, ces brèves rencontres ne coûtent rien et présentent au moins le mérite
d'humaniser le contestataire aux yeux de ce petit public occasionnel.

Bilan et remarques sur la forme GeneSpotting


Dans un contexte d'intensification de la répression, en France et en Belgique tout au moins, le
GeneSpottingpermet de maintenir la pression avec des risques judiciaires minimes.

Le GeneSpottingpermet d'informer les populations en les initiant à des moyens simples et sans
risques de refuser de laisser leur environnement être converti en laboratoire du progrès
technologique. Par exemple, autour des champs expérimentaux, on organisera une initiation à
la reconnaissance des plantes cousines susceptibles de se croiser avec les végétaux
transgéniques. Nous savons pertinemment que les mesures de biosécurité sont dérisoires, et il
n'est aucunement question pour nous de vouloir les améliorer (des réformistes professionnels
sont payés pour cela). Toutefois, cette initiation qui consiste à vérifier en toute
ingénuité les mesures biosécuritaires des autorités compétentes permet d'intégrer le citoyen à
un processus de remise en question du développement techno-industriel tout en constatant le
rôle du pouvoir politique : celui d'un promoteur incontournable des désastres passés
(nucléaire, amiante, pétrole, automobile, biochimie, perte de sens due à l'organisation
industrielle de l'existence) et à venir (OGM, pollution électromagnétique).

La répercussion médiatique, tant au niveau local que national, fut globalement satisfaisante.
En revanche, la suscitation espérée auprès des habitants locaux constitue un échec cuisant.
Ces GeneSpottingsnous rappellent que notre monde de mobilité obligatoire fonctionne non
pas en fonction de zones géographiques que ses habitants défendraient avec quelque
conscience du pays (au sens de région), mais suivant des réseaux. Ainsi le seul cas de
rencontre avec les réseaux locaux déjà constitués eut lieu à Warcoing, avec le CAGE très
autonome de Tournai. Pour le reste, force est d'admettre qu'un important travail préalable de
prise de contact reste à réaliser.

L'un des aspects les plus positifs sans doute des GenSpottings,c'est l'émulation intellectuelle
que ces actions suscitent. Recherches, réflexion collective, rédaction à plusieurs mains. Ce
travail conséquent de documentation et d'argumentation forcera par exemple la firme de
Warcoing à s'expliquer publiquement par des communiqués de presse.
Le GeneSpottingpermet de confronter notre connaissance — ni compartimentée ni intéressée
— aux arguments des promoteurs de la bricologie généticienne et autres complaisants.
Comme nous sommes devenus malgré nous des spécialistes du sujet, ces rencontres sont
immanquablement l'occasion de désacraliser ces ignorants imbus de leur titre d' «experts
scientifiques». Dans une civilisation où le savoir est organisé en compartiments étanches, tout
individu socialisé s'interdit de penser au-delà des limites imposées : schizophrénie
généralisée. Ainsi le scientifique, être sursocialisé par excellence, à plus forte raison s'il est
carriériste, refoule spontanément toute velléité de réflexion critique et se défend de penser
plus loin que le bout de son éprouvette, autrement dit en dehors du cadre du projet pour lequel
on lui a accordé des crédits. «Je ne suis pas responsable de l'usage qu'on fera de mes
recherches» me confiait récemment une lointaine connaissance qui a pour métier (ou plutôt
pour fonction) de fabriquer des clones dans quelque laboratoire de l'ULB.

En tout état de cause, la lutte contre le génie génétique aura montré que des actions collectives
auto-organisées sont parvenues à retarder son développement de façon conséquente.

Enfin, ce 11 avril 2003, le ministre vert de la Santé refusait l'autorisation de mise en culture in
vivo des pommiers transgéniques testés dans la serre de la KUL. Officiellement, la Belgique
cesse donc d'être un laboratoire grandeur nature pour le génie génétique.

Surdéveloppés de tous pays, la fuite en avant


technologique n'est pas une fatalité !
Invitez-vous là où les experts préparent le chaos génétique
de demain.
Du 14 au 20 mai 2003, participez au
GeneSpottingeuropéen.

Notes
[1] L'inuline est à la chicorée ce que l'amidon est à la pomme de terre. L' hydrolyse de l'inuline permet
d'obtenir du fructose.
[2] Et dont la fabrication par procédés transgénétiques reste un mystère cf. Berlan ; de plus, d'autres
techniques préexistaient. « L'insuline fabriquée par chimère génétique était inactive. Explication : la protéine
était mal pliée. Pour une raison que l'on ne connaît pas, en changeant les conditions de sa fabrication, elle a
accepté de se plier correctement. Rappelons-nous que les scientifiques nous disent que la protéine du prion
mal pliée est pathogène pour les animaux et les humains», Le Monde, novembre 2002. Ce texte est disponible
sur le site anti-industriel http.//netmc.9online.fr.
[3] La culture hydroponique consiste à cultiver des plantes terrestres en faisant l'économie du support d'un sol.
Les végétaux cultivés trempent dans des bacs où
s'écoule une solution nutritive.
[4] Le 7 mai 2000, près de deux cents opposants aux OGM s'étaient introduits sur le terrain expérimental de
Monsanto installé à Franc-Waret, près de Namur. L'empoisonneur international poursuit en justice quatorze
inculpés. La première audience du procès s'est tenue le 3 février 2003. Les prochaines séances sont
programmées pour le 6 octobre et le 10 novembre 2003.
[5] Cet argumentaire de quatre pages est disponible à la page électronique suivante :
hnf.samizdat.net/article.php ?id_article=2432
[6] Dans sa recension de cette journée d'expertise, le journaliste du Soirmentionne notre intervention, reprend
l'argument le moins alarmant de nos arguments et, évidemment, oublie de signaler le certificat en question.
[7] Nom du parti vert flamand. Agalev est l'acronyme de Anders gaan leven,formule en néerlandais signifiant
littéralement «(Aller) vivre autrement».
[8] Le professeur Kao est le chercheur états-unien d'origine asiatique qui est à l'origine de ce projet.
[9] Lire à ce sujet «La biotechnologie dans tous ses États», L'HAF, n°1, décembre 2002, p.4.

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