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LA GESTION DES COMPETENCES DANS LA FONCTION

PUBLIQUE D’ETAT EN FRANCE

Gilles Jeannot, Laboratoire Technique Territoire et Société, Ecole des Ponts et Chaussées,
Université Paris-Est

(1) INTRODUCTION

L’idée de «competency management» telle que définie dans le questionnaire peut recouvrir un
champ très large de la pratique des ressources humaines puisque aucune gestion du personnel
ne peut se passer de caractériser la capacité de performance des individus. Même dans la
tradition bureaucratique la plus classique telle que nous l’avons connue en France, le
recrutement des individus sur épreuves scolaires en début de carrière suppose une manière de
différencier les plus performants des autres même si cette différenciation est faite une fois
pour toute la carrière (dans une vision particulièrement bloquée de l’évolution à l’ancienneté)
et sur des critères scolaires. Sans aller aussi loin dans l’extension de la notion, la plupart des
innovations tendant à sortir de ce modèle bureaucratiques tendent à introduire dans le
recrutement et dans le cours de la carrière des modalités de différenciation des individus selon
leurs qualités personnelles et les perspectives de performance différentes.

Si on part cette fois non de la définition générale proposée mais de l’emploi courant de
l’expression, on obtient une délimitation plus étroite du domaine : le terme a en particulier été
associé à l’utilisation de grilles de différenciations des individus qui met en avant des critères
comportementaux et qui ont été principalement été appliqués aux niveaux supérieurs de la
hiérarchie (Hondeghem et al., 2005).

En résumé, pour ce qui concerne la fonction publique d’Etat à laquelle nous limiterons notre
propos, si on se limite à la définition étroite évoquée ci-dessous, il ressort que l’usage de telles
grilles de compétences pour les cadres supérieurs est relativement marginale en France même
si des modalités de différenciation des compétences des cadres supérieurs existent de manière
moins formelle. Si on prend l’acception plus large, il ressort qu’il se développe plusieurs
modalités relativement intégrées de caractérisation des compétences des fonctionnaires d’Etat,
et dans certains cas des formes de gestion de la différenciation des agents les plus et moins
performants.

La traduction étant particulièrement source de confusion, le rapport sera construit autour


d’expériences pratiques clairement identifiables et caractérisables.

(2) L’USAGE DE GRILLES DE COMPETENCES DANS LA GESTION DES CADRES SUPERIEURS

2.1 Grilles de Compétences

Dans l’ouvrage «Competency management in the public sector» et dans l’article de la revue
française d’administration publique, les démarches de compétences présentées dans des pays

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comme la Grande Bretagne, les Pays-Bas ou l’Allemagne se traduisent concrètement par des
grilles de compétences destinées en priorité aux plus haut niveaux de la hiérarchie. Les
contenus des grilles diffèrent (dimension éthique dans certains cas, importance maintenue des
savoirs techniques sectoriels dans d’autres) mais la spécificité de ces grilles est qu’elles
intègrent une appréciation portée sur des caractéristiques comportementales des cadres
(leadership, capacité à communiquer, …).

Il n’y a pas en France pour la haute fonction publique de grilles intégrées de caractérisation
des qualités des individus, valables pour l’ensemble de la haute fonction publique d’Etat. Cela
ne signifie pas cependant que l’on ne trouverait pas de document équivalent, mais il ne
concernerait qu’une partie des hauts fonctionnaires ou qu’ils sont utilisés pour des fonctions
limitées.

Ainsi plusieurs ministères ont établi des notes destinées à accompagner la notation des
individus. Ainsi on trouve dans le document d’accompagnement de la notation des
fonctionnaires des services du premier ministre une grille d’analyse proche de celles évoquées
ci-dessus.

Figure 1 – Fiche d’Appréciation des Cadres dans les Services du Premier Ministre

RUBRIQUES PERMETTANT D'ÉVALUER LES COMPÉTENCES DE L'AGENT


DANS LA PERSPECTIVE DE FONCTIONS ULTÉRIEURES

I . MAITRISE DU POSTE ET COMPÉTENCES PROFESSIONNELLES AVEREES

▪ CONNAISSANCES ET CAPACITÉS PROFESSIONNELLES

1 2 3 4 NP
Capacité à faire aboutir des projets
Capacité d'expertise technique et maîtrise des dossiers
Efficacité
Expression écrite et orale
Respect des délais
Adaptation aux situations nouvelles
Esprit d'initiative
Jugement
Capacité d’anticipation
Degrés de notation : 1 : insuffisant-faible, 2 : moyen ; 3 : bon à très bon ; 4 : excellent

▪ MANAGEMENT

1 2 3 4 NP
Sens du travail en équipe
Capacité à encadrer, déléguer, assurer le suivi des dossiers
Aptitude à former des collaborateurs
Aptitude aux responsabilités
Sens de l'organisation
Aptitude à la communication interne et externe
Aptitude à la négociation
Sens des relations humaines
Degrés de notation : 1 : insuffisant-faible, 2 : moyen ; 3 : bon à très bon ; 4 : excellent

De manière plus succincte, les fiches de postes des cadres peuvent intégrer quelques
composantes associées aux caractéristiques personnelles attendues des agents. Toutes les
fiches de postes du ministère de l’agriculture comprennent une rubrique sur le contexte
institutionnel d’exercice du poste. Au ministère de la justice, pour les directeurs de la

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protection judiciaires de la jeunesse, l’administration dispose à la fois d’une fiche métier
décrivant l’ensemble des activités que peut avoir à accomplir ces directeurs et d’une fiche de
compétence elle aussi très détaillée. Les compétences proposées sont cependant dans de
nombreux cas le reflet direct de l’activité visée. Dans ce cas la grille de compétence est
utilisée principalement pour déterminer des parcours de formation personnalisés associés à
une nouvelle prise de fonction.

Figure 2 - Fiche Compétence Directeur Départemental PJJ (extraits sur la compétence 1


Mettre en œuvre la stratégie et la politique)

Compétence 1 : Mettre en œuvre la stratégie et la politique

Activités

Elaborer, suivre et évaluer un projet départemental partagé : adapter les commandes


régionales aux spécificité des territoires du département.
Valider les projets de service
Mettre en place des instances de suivi et de pilotage en lien avec les procédures régionales
Elaborer les contrats d’objectifs et de moyens
Organiser les modalités de la conduite du dialogue de gestion
Organiser les circuits d’information

Indicateurs de compétence (capacités)

Connaître l’institution et ses orientations


Connaître parfaitement l’organisation et les caractéristiques de la direction régionale de
rattachement
Etre capable de situer son action dans le projet institutionnel
Maîtriser la méthodologie de projet (diagnostic, élaboration, mise en œuvre, évaluation)
Etre en mesure de décliner les orientations régionales au niveau départemental en tenant
compte des spécificités
Etre capable d’assumer sa position hiérarchique
Etre capable de conseiller les établissements et les services dans la définition de leur projet
Savoir dégager des objectifs de travail
Etre capable d’identifier les différents besoins du département pour atteindre les objectifs
définis
S’informer de l’utilisation des crédits au niveau des services
Savoir utiliser les techniques d’animation de groupe et de conduite de réunion.
Etre capable de favoriser les échanges entres les participants
Savoir mettre en avant les écarts entre les objectifs à atteindre et les objectifs réalisés
Etre en mesure d’accompagner et de conseiller les directeurs du services dans le recherche de
solutions adaptées
Connaître les circuits d’information et savoir transmettre les informations
Etre en mesure d’identifier les interlocuteurs pertinents au regard des informations
Etre en mesure d’identifier les interlocuteurs pertinents au regard des informations à
transmettre.

De manière plus approfondie, mais aussi plus ponctuelle on note l’usage de formes
sophistiquées d’évaluation des capacités des individus. Le ministère de l’intérieur a mis ainsi

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en place une méthode d’évaluation 360°, les inspecteurs de l’administration se tournant vers
les élus locaux et vers les directeurs des autres services de l’Etat pour apprécier le
comportement d’un membre du corps préfectoral. Au ministère de l’Equipement les
gestionnaires disposent de la possibilité de faire passer à certains cadres susceptibles
d’occuper les positions les plus hautes de la hiérarchie un bilan de compétence approfondi, dit
rendez vous d’orientation, incluant des tests psychologiques (Cf. schéma infra ; RVO =
rendez vous d’orientation). Cet outil sert surtout à mettre en évidence le potentiel pressenti en
entretien pour un cadre non membre des corps les plus prestigieux.

2.2 L’Usage des Compétences dans les Processus RH

2.2.1 Les "Revues de Cadres"

Le traitement différencié des cadres supérieurs passe en France dans bien des cas par des
modalités qui relèvent plus d'une organisation permettant de confronter des points de vues
différents plutôt que d'un outil (grille de compétence, 360 ° feedback). La pratique de la
«revue de cadre» développée dans l’ensemble des ministères techniques et qui s'est
récemment diffusée dans d'autres ministères comme celui de l'économie et des finances
illustre cela. L'appréciation différenciée des compétences des cadres supérieurs sont peu
formalisés même si elle repose sur des principes partagés affirmés. Le moment de la "revue de
cadre" n'est que l'aboutissement d'un suivi généralisé des individus qui accompagne la vie
quotidienne de l'administration.

Une revue de cadre est une réunion régulière rassemblant des représentants de la direction du
ministère (secrétariat général), des services d’inspection, des responsables ressources
humaines en charge du suivi individualisé des carrières. Les réunions successives permettent
d’établir un bilan pour chaque cadre et de déterminer s’il est susceptible d’accéder aux plus
hautes fonctions (ex directeurs de services régionaux, sous directeur d’administration
centrale). Les différents participants ont des informations de nature différente sur le même
individu (retour à la direction par le préfet de l’avis sur le cadre, jugement portés dans le cadre
des inspections sur la gestion du service, données sur le suivi de la carrière et les aspirations
d’un cadre par le responsable RH). Les participants de la revue de cadre diffèrent selon les
ministères. Dans le cas de l'équipement la spécificité est que les représentants des services
d'inspection (cf. schéma infra MIGT CGPC) font à la fois des audits de gestion des services et
le jugement sur les individus. Ainsi le jugement porté inclut des retours des agents des
services, placés sous les ordres du cadre évalué, récoltés lors d'audits de gestion. Dans le cas
du ministère de l'agriculture, les inspecteurs ne font pas d'audit de gestion, en revanche le
suivi individualisé est plus extensif et permet de collecter des informations sur la carrière des
individus même lorsqu'ils sortent du ministère. Au ministère de l'industrie, les revues de
cadres sont organisées non par la DRH mais par la principale direction de gestion qui suit la
vie quotidienne des services sur le territoire.

Les revues de cadres permettent de rassembler des éléments sur les savoir faire des individus
appréhendés par la succession des postes occupés avec succès. Mais il permet aussi d'avoir
un jugement sur les dimensions plus comportementales qui se construit par la confrontation
de jugement différents. Ce jugement bien que non formalisé accorde une grande part à la
hauteur de vue et à la capacité d’initiative (Jeannot, 2005, 2).

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L'extension de ce type d'appréciation des individus s'arrête aux limites de la politisation de la
haute fonction publique, l'accès aux postes les plus élevés étant maîtrisé par le politique
(emplois fonctionnels) et à ce titre peut éventuellement dépendre de proximité politique des
plus hauts fonctionnaires avec le gouvernement en place. Ce niveau de politisation de la
décision varie cependant selon les ministères, il est plus limité dans des ministères techniques
à faible enjeu idéologique que dans des ministères aux enjeux idéologiques plus marqués.

Figure 3 – Tableau Synthétique du Processus de Sélection des Cadres Dirigeants au


Ministère de l’Equipement

EQUIPEMENT Cabinet
valide
RVO Secrétaire général
Mission des cadres
Dirigeants et des écoles propose

Préparent et
Soumettent
v des
champions
Génère une liste de ddeables

Chargés de mission
De corps Revue annuelle des cadres
CGPC
Mission des cadres dirigeants et des écoles
Représentant des chargés de mission
Incitent les ind.
Inspection par région
À faire connaître leurs
intentions
Migt
Directeurs des services Réception des individus à la demande
Notation Entretiens d’orientation
Conseil d’orientation individuel Appréciation des individus à travers
Les inspections de service

Les ministères de l’équipement et de l’agriculture offrent de manière plus légère les moyens
d’un suivi individualisé de ce type pour tous les fonctionnaires. Cela se traduit par l’existence
soit d’équipes régionalisées de fonctionnaires dont la charge est de recevoir les individus pour
apprécier leurs compétences dans une visée de promotion ou pour les aider à s’orienter.

2.2.2 Le Répertoire Interministériel des Métiers et des Emplois

Le terme « compétence » dans la fonction publique d’Etat est principalement associé aux
référentiels métiers. Ces référentiels sont associés à des démarches de gestion prévisionnelle
des effectifs et des compétences. La démarche de gestion prévisionnelle des effectifs et des
compétences a été développée dans des entreprises proches de l’Etat et pour lesquelles des
alternatives aux licenciements ont été recherchées. La démarche consiste à faire un tableau
des compétences disponibles, un tableau des compétences attendues à moyen terme et à en
déduire les actions à mener pour passer de la situation initiale à la situation désirée sans
licencier personne (formations, gestion progressive de la régression d’une fonction par les
départs en retraites, recrutement). Une première vague de référentiels métiers a été engagée en

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1985 dans certains ministères, une seconde vague quasiment généralisée en 2000.
L’observation de l’usage de ces référentiels montre que leur impact a été limité et qu’ils ont
rarement été utilisés pour la fonction de gestion prévisionnelle des effectifs (Jeannot, 2005,1).

Le répertoire interministériel des emplois et des compétences introduit un pas significatif dans
la démarche. Sa rédaction tout d’abord a conduit les différents représentants des ministères à
faire des efforts pour un alignement de la définition des métiers. Il a ensuite conduit à unifier
le vocabulaire et les représentations des métiers, tout particulièrement pour les fonctions
administratives partagées (comptable, gestionnaire des ressources humaines, …). Les
catégories de ce répertoire sont aujourd’hui largement mobilisées pour définir les fiches de
poste pour le recrutement ou pour définir des programmes de formation. Les catégories du
RIME se retrouvent aussi de manière générale dans les fiches de postes utilisées pour recruter.
Ces fiches de postes décrivent pour l’essentiel des dimensions de savoir faire et non de
comportement.

Sur le plan conceptuel la référence à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences
laisse progressivement place à la référence au répertoire opérationnel des métiers de l’agence
nationale pour l’emploi. L’enjeu est de montrer aux individus l’espace de mobilité qui s’ouvre
à eux à partir de leurs compétences. Cette dimension est appelée à se développer avec le
développement de l’idée de marchés d’emplois locaux. Ces marchés sont appelés à se
développer pour deux raisons. L’accompagnement des réorganisations des services locaux de
l’Etat et la promotion d’une mobilité fonctionnelle sans mobilité géographique.

Les référentiels métiers sont des outils qui permettent de caractériser les compétences
attendues pour un poste particulier et à ce titre différencient les individus dans leur capacité à
occuper ou non un poste donné. En revanche cela n’est jamais un outil destiné à différencier
les qualités ou la performance entre un agent moyen et un agent plus brillant sur deux postes
comparables. Par le caractère généralisé et l’unification du vocabulaire générée le RIME
propose un «competency model», son extension est cependant limitée.

Figure 4 – Exemple de Fiche RIME: Cadre Dirigeant d’Administration Centrale

Domaine fonctionnel: élaboration et pilotage des politiques publiques


Définition synthétique: participer à la définition des orientations et piloter au plan national
l’action de l’Etat dans le cadre d’un programme ; diriger sous l’autorité du ministre, une
administration.

Activités principales.
Participation à la définition des orientations et objectifs stratégiques et des indicateurs du
programme mis en oeuvre
Déclinaison des objectifs du programme en objectifs opérationnels pour la structure
Direction d’une administration et de la gestion des ressources humaines associées avec un
dialogue social
Animation et pilotage direct des cadres de direction et des responsables des services
déconcentrés et des établissements publics placés sous son autorité et organisation d’un travail
en réseau avec les acteurs, internes et externes à l’administration
Mise en œuvre des ressources budgétaires disponibles et, le cas échéant, des financements
complémentaires à ceux de l’État pour atteindre les objectifs fixés

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Contribution à l’élaboration du rapport annuel de performances relatif au programme mis en
oeuvre, signalant le cas échéant les difficultés rencontrées et proposant des mesures
correctrices appropriées

Savoir faire
Ecouter et négocier dans des contextes socio professionnels variés
Faire des synthèses et prendre rapidement des décisions dans un système complexe
Mobiliser et animer des équipes et des réseaux
Communiquer pour expliquer le sens de l’action
Déléguer et évaluer
Connaissances
Droit public et fonctionnement des institutions au plan national et au plan européen
Règles comptables et budgétaires
Contextes socio économiques, territorial et européen
Management et gestion connaissance des outils de pilotage
Connaissance techniques dans le domaine concerné

Conditions particulières d’exercice


Cet emploi-référence requiert une forte disponibilité, et exige de prendre des décisions rapides
dans des situations qui peuvent être difficiles et urgentes en tenant compte du contexte
politique et social, national et international.
Dans certains contextes, cet emploi est assuré par du personnel militaire.
Tendances d’évolution
Facteurs clés à moyen terme
Exigence croissante pour l’efficience de l’action administrative
impact sur l’emploi référence
Renforcement des compétences en management-stratégie

Depuis les premiers référentiels métiers, jusqu’au RIME, la possibilité d’utiliser cet
instrument comme outil de prévision et d’adaptation de la main d’œuvre a toujours été mis en
avant. Cependant, dans la plupart des cas, ce type d’utilisation est rudimentaire. La raison
principale est que les évolutions majeures sont connues sans cet outil. Le principal contre
exemple rencontré concerne la gestion des personnels au ministère de la défense où le nombre
de types de fonction est très large et où il faut articuler les carrières des militaires et des non
militaires. Cette liaison est faite via un système informatique de gestion des ressources
humaines (SIRH).

La plupart des ministères envisagent d’ajouter un module compétence à leur SIRH, mais ce
projet n’est pas prioritaire, l’enjeu le plus immédiat étant les travaux nécessaires à la création
d’un opérateur unique de paie pour toute l’administration. Là encore les données collectées
dans des fichiers sont trop rudimentaires pour être vraiment pertinentes.

2.2.3 Cotations de Postes et Critères de Performance Associés à la Prime de


Fonction et de Résultat

L’arrivée de Nicolas Sarkozy constitue une rupture dans le traitement de la fonction publique.
La perspective historique proposée par Philippe Bezes (2009) permet de mieux comprendre
l’évolution française. La France avait pris avec l’arrivée de la gauche au pouvoir une

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évolution singulière en mettant en avant une réforme faite avec les agents, ce qui s’est
concrétisé tout particulière avec la circulaire dite « Rocard » de 1989. Par la suite les idées les
plus libérale du New public management (recentrage de l’Etat sur les fonction d’orientation,
création d’agences, prime au mérite, introduction de contrats de droit privé, mise en cause du
système des corps) ont été avancées dans de nombreux rapports mais sans être réellement
mises en œuvre de manière systématique (tentative ratée de passage en force par Alain Juppé,
retour d’un gouvernement socialiste de Jospin, période de transition du gouvernement
suivant). Nicolas Sarkozy a affirmé sa volonté d’investir le sujet de la réforme de l’Etat dans
sa campagne électorale. L’idée d’une prime au mérite pour les fonctionnaires allait tout
particulièrement dans le sens de son propos sur « travailler plus pour gagner plus ». Par
ailleurs la volonté de ne remplacer qu’un agent sur deux partant en retraite a conduit à
l’opération dite de révision générale des politiques publiques qui se traduit par des
réorganisations des services d’une ampleur non vécue ces dernières années. L’ensemble des
évolutions proposées ont été rassemblées dans un livre blanc sur la fonction publique dont la
rédaction a été confiée à Ludovic Silicani (2008).

L’instauration d’une prime de fonction est de résultat généralisée est un pas important dans
cette nouvelle orientation. Le principe est de promouvoir un système de salaire en trois
composantes. Une composante liée au grade et qui a vocation a être stable. Une composante
liée au poste occupé qui correspond au modèle taylorien. Enfin une composante liée aux
résultats. Cette dernière correspond au modèle du performance-related pay. L’ambition de la
réforme et importante car elle vise à intégrer toutes les primes accumulées au fil des
négociations et des années en un seul modèle valable pour tous les ministères.

Les textes définissant cette primes datent de décembre 2008 et l’essentiel des ministères (sauf
ministères de l’intérieur) auront mis en œuvre ce nouveau système au début 2010 (Les conseil
d’Etat, la Défense et l’éducation nationale et la Fonction publique pour les Administrateurs
civils (ENA) l’on fait en 2009 et la limite est 2012. Les autres catégories d’agents seront
concernées dans les années proches.

Cette réforme concerne la pratique du competency management selon deux angles. En


premier lieu à travers la cotation des postes et en second lieu à travers la pratique d’attribution
de la part résultat.

Pour ce qui concerne la cotation des postes il semble que l’on se soit attaché principalement à
suivre le niveau hiérarchique. Cette dimension est essentielle pour les fonctions
administratives concernées. Cependant le débat sur une appréciation des individus a pu se
poser dans ce cadre pour les agents qui occupent des fonctions de chargé de mission (suivi
d’un dossier et non d’un service) ou d’expertise. Le ministère de l’agriculture a pris le parti de
ne pas différencier les postes selon la complexité des dossiers tenus par les chargés de
mission. Le ministère de l’équipement a pris le parti de différencier les chargés de mission
selon le niveau hiérarchique auxquels ils sont attachés (par exemple un conseiller de directeur
d’administration centrale aura une prime de fonction plus importante qu’un conseiller de sous
directeur). Pour les agents exerçant des activités de recherche ou d’expertise, une correction
du niveau de fonction défini par le niveau hiérarchique est apportée par la reconnaissance
d’un niveau «spécialiste» ou «expert» attribué par une commission ad hoc qui existe déjà
depuis plusieurs années. Il y a donc bien dans ce dernier cas une différenciation des niveaux
de performance des agents intégrée dans la part «fonction». Cette manière de différencier le
salaire selon le poste occupé peut aussi être rapprochée des réformes dites des qualifications
engagées dans les entreprises publiques ouvertes à la concurrence en France (Jeannot, 2008).

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Pour la part résultat, il semble que le changement se fasse dans la continuité, ceci en
particulier pour ce qui concerne la corrélation entre la prime et des indicateurs chiffrés de
productivité. Les ministères qui constituaient leur notation sur une appréciation globale de la
manière de servir portée par les niveaux hiérarchiques supérieurs dans les entretiens
d’évaluation poursuivent dans la même tradition. L’appréciation relève alors largement d’une
appréciation des compétences transversales comme la capacité d’initiative ou la hauteur de
vue. Les outils existants corrélant une prime à des résultats effectivement mesurés (comme le
taux de résolution des affaires pour la police, ou des indicateurs chiffrés de mesure de la
satisfaction client) auront vocation à être pris en compte dans une prime collective et non
individuelle. Les montants concernés (environ 200 euros par an pour la police) sont beaucoup
plus faible que ceux concernés par la PFR (jusqu’à 20 ou 30 % du salaire global).

Il semble cependant que la mise en œuvre ne reprend que partiellement les modèles en arrière
plan de la réforme. De manière à rendre acceptable la réforme, le gouvernement a annoncé
que les niveaux de primes l’année suivant la réforme seraient alignés sur le niveau de l’année
précédente. Cela signifie que la partie résultat sera ajustée pour vers le haut ou vers le bas
pour compenser la variation éventuelle introduite par la partie fonction. L’idée étant
qu’ensuite la partie résultat corresponde réellement aux résultats. Par ailleurs le niveau
maximal de prime (auquel s’applique les coefficients de poste et de résultats) sont définis par
décret corps par corps. Ceci limite aussi l’impact de la réforme, et en particulier le passage
vers un salaire lié au poste occupé.

(3) DEVELOPPEMENTS RECENTS: LA MONTEE D’UNE RECONNAISSANCE DES QUALITES


PROFESSIONNELLES

Parallèlement à ces deux grands outils que sont le RIME et la PFR, diverses actions
incrémentales tendent à introduire de nouvelles manière des reconnaître les compétences. Le
Conseil d’Etat dans son rapport de 2004 a rassemblé ces évolutions autour de l’idée de
«professionalisation».

La reconnaissance des qualités professionnelles passe par l’évolution progressive des


concours internes de promotion qui laissent place à des épreuves pratiques plus que scolaires.
La plupart de ministères remplacent progressivement des épreuves internes sur critères
scolaires par des épreuves testant directement les capacités des individus à maîtriser certains
savoir faire. La conjoncture donne une place importante à cette promotion professionnelle
dans la mesure où le gouvernement affiche à la fois la volonté de réduire les effectifs et de
développer les fonctions stratégiques plus que celles d'exécutions. L'évolution RH des années
à venir va largement consister à accompagner la promotion des individus dans les grades
Cette évolution est facilitée par le fait que les agents de cat B ont pour beaucoup été recrutés
avec une formation scolaire initiale supérieure au niveau de diplôme exigé par les concours.

La France a développé pour tous les salariés un principe de valorisation des acquis de
l'expérience. Le principe est d'obtenir un diplôme académique si on prouve que l'on maîtrise
le niveau de compétences pratiques correspondant à ce niveau scolaire. Ce principe s'applique
aux agents du public. Les demandes pour faire valoir ce droit semblent pour l’instant assez
peu nombreuses. Deux raisons peuvent être avancées. La valorisation des acquis de
l’expérience conduit à donner un diplôme scolaire et il n’y a pas de lien direct entre le niveau
scolaire et le grade de l’individu et donc son salaire. D’autre part, ces outils sont faits pour

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permettre à des personnes qui exercent une activité correspondant à un niveau scolaire
supérieur à celui qu’ils ont acquis de combler ce retard. Or dans la fonction publique le
problème est plus celui des individus qui ont postulé avec un niveau scolaire supérieur à celui
exigé au concours que d’individus qui ont un niveau scolaire inférieur à l’activité exercée.

Des opportunités sont offertes aux agents d'effectuer un bilan de compétence avant
d'envisager une réorientation. Des cellules mobilité testent la pertinence des demandes
individuelles et l'administration finance de tels bilans. Au ministère de l’éducation nationale
et au ministère des finances des bilans de compétences sont proposés aux agents de
l’administration qui souhaitent changer de domaine d’intervention. Ce bilan est remis à
l’agent et ne participe pas de son évaluation. Dans les deux cas, ces expériences sont limitées
et ne concernent que quelques dizaines d’agents.

(4) CONCLUSION: EVALUATION DE LA GESTION DES COMPETENCES

Avec le RIME et ses différentes adaptations en cours dans les ministères, l’administration
d’Etat possède un modèle intégré d’approche des compétences dont le principal avantage est
de permettre la constitution progressive d’un vocabulaire commun. Ce vocabulaire permet de
faciliter les opérations de recrutement (externe ou interne), les politiques de formation et la
mobilité interministérielle. Ce modèle accorde cependant une part limitée aux éléments de
comportements et n’intègre aucune dimension de hiérarchie au sein d’une fonction. La seule
différenciation étant liée au fait de posséder ou non en bloc les compétences attendues d’un
«métier». Si c’est ainsi un modèle réellement intégré, il ne relève que partiellement de la
définition du competency management.

L’instauration d’une prime de fonction et de résultat propose un autre modèle intégré de


caractérisation des ressources humaines plus directement inspiré du courant du new public
management. La part fonction tend à augmenter l’importance accordée au niveau du poste
occupé. On est cependant encore loin des réformes visant à corréler l’essentiel du salaire au
poste occupé comme l’on connu les entreprises françaises de service public (France télécom,
La poste) ; la part du salaire concerné reste limitée et la variation selon le poste corrélée au
corps d’appartenance. Pour la part résultat, la logique de continuité semble l’emporter, dans
certains cas elle est liée à des engagements sur des objectifs précis, dans d’autres elle est
associée de manière très qualitative à l’engagement de l’individu dans ses missions. Il faudra
attendre encore quelques années pour apprécier la manière dont cette prime de fonction et de
résultat transformera les pratiques de ressources humaines.

Le modèle le plus proche d’une gestion des compétences qui inclut une appréciation
complexe des caractéristiques des employés (connaissances, savoir faire, comportement) et
qui conduit à distinguer les individus plus ou moins performants, se trouve dans le modèle des
revues de cadres. Cette approche, qui a été généralisée depuis de nombreuses années dans les
ministères d’ingénieurs et qui a fait preuve de sa pertinence tend à se diffuser dans d’autres
ministères. Cette approche de la gestion des compétences ne repose pas sur des outils mais sur
des procédures de décision et surtout sur un groupe d’hommes dont la tâche principale est
d’apprécier de manière complexe et dans des débats contradictoires le potentiel des individus.
Les limites subjectives propres à chaque jugement individuel sont compensées (en partie au
moins) par la confrontation des points de vues. Les ministères qui ont développé ce type de
pratiques pour les cadres supérieurs s’efforcent de proposer des formes équivalentes pour
l’ensemble des agents. Une telle démarche a un coût non négligeable, ce coût est cependant le

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meilleur moyen d’éviter les effets pervers de toute codification: le caractère réducteur de la
codification et surtout l’ajustement des individus pour donner à voir les signes extérieurs
attendus dans cette codification

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Bibliographie

Bezes Philippe (2009), Réinventer l’Etat, les réformes de l’administration française (1962-
2008), PUF.
Conseil d’Etat (2004), « Perspectives pour la fonction publique », in Rapport 2003, La
documentation française, p. 229- 386
Hondeghem Annie, Horton Sylvia, Schepeers Sarah, « Modèles de gestion des compétences
en Europe », Revue française d'administration publique, n° 116, 2005, p. 561-582.
Jeannot Gilles (2005, 1) : "De la gestion prévisionnelle des emplois des effectifs et des
compétences (GPEEC) aux cadres statutaires : la progressive émergence de la notion de
"métier" dans la fonction publique d'Etat en France,
Jeannot Gilles (2005, 2) "Les conditions d’une gestion des compétences des cadres de l’action
publique territoriale", Politiques et management public, vol 23, n° 2, juin 2005, p. 1-19.
Jeannot Gilles (2008), « Réforme de la fonction publique et réorganisation de l’Etat », Esprit,
décembre 2008, p. 94-109.
Silicani Jean-Ludovic, Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique. Faire des services
publics et de la fonction publique des atouts pour la France, Ministère du budget des
comptes publics et de la fonction publique, avril 2008, 236 p.

Remarks

Report prepared by Gilles Jeannot from the Laboratoire Technique Territoire et Société, Ecole
des Ponts et Chaussées, Université Paris-Est.

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