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COP26 et ces jeunes qui se mobilisent pour

le climat : "Un enjeu beaucoup plus


fondamental que mai 1968"

3 images © Belga Images

La première grève mondiale pour le climat, c’était en 2018. Depuis, les actions en faveur de la lutte
contre le réchauffement climatique ne font qu’augmenter. En Belgique, le mouvement "Youth for
Climate" s’inspire de la démarche de l’activiste suédoise Greta Thunberg et mobilise de milliers de
jeunes belges. Retour et analyse sur un mouvement en ascension.

A l’heure d’écrire ces lignes, Adélaïde Charlier, le visage namurois et francophone de "Youth for
Climate" se trouve à Glasgow. Avec elle, son pendant néerlandophone, Anuna De Wever. Elles
rejoignent une cohorte très grande d’activistes pour le climat, chapeautés par Greta Thunberg.
C’est la Suédoise qui a lancé le concept des grèves pour le climat, en 2018, en manifestant devant le
parlement suédois. Ses "Fridays for Future" gagnent vite du terrain. Aux quatre coins du monde, les
jeunes se mobilisent. Tous les vendredis, pas d’école, mais grève pour le climat. Le slogan est efficace : "
Pourquoi aller en cours si on n’a pas d’avenir ?". Les manifestations ont lieu dans plus de 120 pays,
Greta interpelle les politiques à l’Onu : "How dare you  ? Comment osez-vous  ?"
Malgré la crise sanitaire, les manifestations ont repris cet automne, dans l’objectif de faire bouger les
lignes en vue de la COP26.

3 images Greta Thunberg lors d’une de


ses manifestations en face du Parlement suédois. © AFP or licensors
Tous les jeunes ne manifestent pas pour le climat
En Belgique, Greta Thunberg inspire deux étudiantes néerlandophones, Anuna De Wever et Kyra
Gantois. Elles lancent le mouvement "Youth for Climate". Les manifestations belges pour le climat
impressionnent jusque dans les rangs de l’ONU. La mobilisation continue pendant des mois. Le
mouvement s’élargit en France. La "vague verte" semble concerner tous les jeunes.
Mais, à regarder les choses de plus près, la nuance est de mise. "Il ne faut pas oublier que les jeunes sont
très différents", estime Geoffroy Pleyers, sociologue et professeur à l’Institut pour l’analyse du
changement dans l’histoire contemporaine de l’UCLouvain. "Si 50% d’entre eux sont touchés  par  une
forme d’écoanxiété, le consumérisme y reste tout de même très présent. Certes, ils sont tous plus
sensibilisés aux enjeux écologiques qu’il y a vingt ans, mais cette sensibilisation ne se décline pas de la
même façon chez tout le monde. Pour certains d’entre eux, cela finit par rentrer dans leur personnalité."
Bernard Feltz,  professeur émérite de philosophie des sciences de l’université catholique de Louvain, va
dans le même sens :  "Bien que le mouvement ait ressemblé quelques milliers de personnes, ce n’est pas
la majorité de la population. Aussi, il n’y a pas que les jeunes qui se sont mobilisés  : des adultes ou des
personnes plus âgées étaient présents aussi. Ces manifestations sont le reflet  de la mobilisation plus
grande de  l’opinion  publique".
En revanche, selon le philosophe, bien que la mobilisation chez les jeunes soit quelque chose d’assez
typique, le cas belge est assez unique :  "Les jeunes ont pris le relais et pérennisé le mouvement".
Un "sursaut" d’une nouvelle génération par rapport au gouvernement précédent qui, estime-t-
il "n’avait pas de plan au niveau international dans ce domaine".

Un changement de paradigme
Aussi, le mouvement écologiste n’est pas une nouveauté. Les scientifiques prennent conscience de
l’existence du réchauffement climatique dès les années 1970-1980 et le GIEC (Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat) est créé en 1988. Le mouvement écologique touche,
déjà à ce moment-là, certaines franges de la population, notamment en Allemagne, rappelle Geoffrey
Pleyers. En Belgique, par exemple, c’est le moment d’expériences comme celle de La Baraque à
Louvain-la-Neuve.
Pour le sociologue, il ne s’agit pas non plus du grand premier mouvement global dans nos sociétés
contemporaines. En revanche, on y ressent, aujourd’hui, un côté plus "mondialisé" : "Il s’agit d’un
mouvement très  global. La présence des réseaux sociaux a contribué  à lui donner cette dimension. Par
exemple, lors des manifestations à Paris, quand Greta Thunberg était là, tout le monde parlait en
anglais."
Selon le sociologue, mais aussi selon Bernard Feltz, il n’est pas non plus possible de comparer ce
mouvement à celui de mai 1968 : "On vit un moment charnière, un véritable tournant. Et on se rend
compte que l’enjeu est énorme  : il s’agit de  l’avenir de l’humanité et de questions urgentes. Par rapport à
mai  1968, on est face à quelque chose de plus fondamental  : on touche aux possibilités des conditions
d’une vie sur Terre, alors qu’en  1968 les combats étaient différents et tous les pays n’ont pas été touchés",
explique le philosophe.
Pour lui, il s’agit de modifier radicalement notre vision du monde : le progrès, tel qu’on le connaissait,
reposait sur une vision du monde où les ressources seraient infinies. "Or cette vision impose un monde
sans limites, alors que là, on se rend compte de la finitude du monde".
Le mouvement, tout en demandant un changement et imposant une remise en question, a fait, lui
aussi, son bout de chemin. Aujourd’hui, il s’est professionnalisé. "Ces jeunes sont engagés d’une
manière peu classique. Ils ne sont pas organisés en syndicats ou structures de ce genre, mais leur action
impacte la vie quotidienne et leur mouvement est de longue haleine, comme c’est le cas pour de
nombreux mouvements de contestation aujourd’hui", analyse Geoffroy Pleyers.
Ce ne sont pas des syndicats, et pourtant, il suffit d’écouter les déclarations des porte-parole belges de
"Youth for Climate" pour se rendre compte qu’on va beaucoup plus loin dans la stratégie de
communication. On n’est pas dans de simples grèves d’étudiants, comme on a pu les voir par le passé.
"Lors de la COP21 de  2015, de jeunes Belges et Français étaient présents. Depuis lors, la communication
de ces activistes se professionnalise. Certains membres du mouvement ont des expertises en matière de
communication et d’organisation et consacrent leur carrière à ces enjeux après avoir renoncé à des jobs
bien plus rémunérateurs. Après, ce qui reste très intéressant dans ce mouvement, c’est qu’il est toujours
capable de mobiliser  des adolescents de 13 ou 14 ans.", détaille le sociologue. Pour lui, le poids de ces
activistes au sein de la société est bien réel.

Quel avenir pour le mouvement ?


Au-delà des engagements portés par les différents pays, ce qui distingue le combat écologique des
autres est le sentiment qu’on ne peut pas y arriver tous seuls. "Même l’Europe ne peut rien face au
changement climatique, à elle seule. La question est urgente et totale", estime Bernard Feltz. Si on est
loin d’accomplir des véritables progrès en matière de lutte contre le réchauffement climatique, on peut
facilement imaginer que le mouvement aura bel et bien un avenir.
Encore une fois, l’analyse des experts est plus nuancée. "Il est très difficile de prévoir quelle direction
prendront les membres du mouvement", selon Geoffrey Pleyers. Certains s’engageront peut-être en
politique, d’autres poursuivront leurs carrières dans d’autres domaines, sans doute en portant un
regard particulier à l’écologie. "Après, il faut dire que déjà lors de la COP de  2009 on disait qu’on n’avait
plus le temps. Aujourd’hui, on est en plein dedans. Désormais, personne ne peut ignorer que le
réchauffement  climatique existe.  Et pourtant, certains le font.  En ce sens, le mouvement aura de l’avenir
grâce à des manifestations, induisant  des changements des modes de consommation, en essayant
d’influencer les politiques", conclut le sociologue.
L’espoir ? Toujours le même : produire un véritable changement de paradigme. Pour Bernard Feltz, cela
se rapproche des grandes étapes qui ont permis d’aboutir à des lois sociales après la Seconde Guerre
Mondiale. "On est dans un moment analogue  : à l’époque, on a imposé des contraintes sociales aux
entreprises. C’était un correctif au capitalisme sauvage. Aujourd’hui, on doit faire la même chose
avec  l’écologie. Il faut les contraindre pour avoir un changement. Cela demande que les rapports de force
changement et, culturellement, ils sont en train de changer."

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