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Le vent tourne sur le Mandchoukouo.

Le vent tourne même sur le monde entier et la défaite des


pays envahisseurs va bousculer la logique géopolitique de plusieurs états à travers le globe. A
commencer par le territoire de notre empereur Pu Yi : il était empereur du Mandchoukouo depuis
plus de 11 ans lorsqu’il abdiqua le 17 août 1945. Suite à son abdication, un vent de panique souffle
sur la maison impériale : une fuite collective est engagée afin de survivre à une prochaine arrivée des
forces chinoises qui serait fatale pour ces hauts dignitaires mandchou coupables de trahison pour le
gouvernement du Kuomintang. Cette fuite sera bilatérale, Yoshioka décida d’éloigner les femmes des
hommes dans cette fuite pensant qu’elles ne seraient pas en danger. Ce qui n’était pas de l’avis de Pu
Yi qui souhait lui conserver les femmes avec eux. Edward Behr nous apprend cela dans son ouvrage
mais connaissant la véritable identité de Yoshioka (un espion japonais) nous sommes en droit de
nous demander si l’intention de Yoshioka n’était tout simplement pas de se débarrasser d’elles,
inutiles pour de possibles négociations et qui rendrait l’effectif plus chargé dans la fuite des hommes.
On peut penser ici une sorte de pensée craintive et égoïste où Yoshioka tente de regagner le Japon le
plus facilement possible. La fuite se fit donc avec un groupe mené par Pu Yi fuyant avec son frère, son
serviteur, son médecin et Yoshioka. Le second groupe était formé des femmes (épouse impériale,
concubine, dames de la résidence impériale), elles prirent la direction de la Corée pour se refugier
mais furent interrompues dans leur périple par des guérillas communistes chinoises qui
emprisonnèrent les femmes. Ce qui renforce notre hypothèse sur les réelles intentions de Yoshioka
et sur cette soi distante absence de dangerosité. Quand aux hommes, le 16 aout 1945, ils voyagèrent
en avion jusqu'à la ville de Mukden, désormais Shenyang, où un avion japonais était censé emmener
le cortège mandchou au Japon. Un avion arriva bien à Mukden mais ce fut un avion soviétique. Cette
arrestation fut à l’avenir considérée comme un abandon de la protection de Pu Yi par le Japon. Cette
idée émane de l’absence de nécessité du Japon de rapatrier Pu Yi de par son rôle d’empereur
fantoche qui n’était pas un dirigeant à part entière mais plutôt une figure locale pour légitimer le
contrôle japonais de la Mandchourie. Le retrait du Japon du continent donne un statut inutile à Pu Yi
qui est vulgairement livré aux soviétiques. La pensée d'une détention russe nous emmène
directement à imaginer les goulags ou d’autres lieux de détentions plutôt rudes. Pourtant Pu Yi et les
siens sont accueillis dans un hôtel montagneux extrêmement bien équipé pour s’occuper comme le
précise Pu Yi dans son autobiographie : « radios, livres, journaux et installations pour d'autres types
de loisirs ». Son ancien statut fut donc bien connu pour qu’un individu soit traité de cette manière
par les soviétiques. L’état d’esprit des dignitaires mandchou en URSS était différent par rapport aux
individus nous rapporte Pu Yi : ce dernier acceptait totalement cette situation de prisonnier politique
conscient de sa mise à mort en cas de retour en Chine, qu’importe le parti politique qui prendra le
dessus dans la guerre civile qui divise communistes et traditionnalistes en Chine. Pour ce qui était des
autres dignitaires, ils exprimaient une grande volonté de revenir en Chine savant pertinemment que
le Kuomintang avait besoin d’eux pour renforcer leur légitimité dans la guerre civile. Pourtant la
république de Chine demanda à plusieurs reprises le rapatriement de Pu Yi dans son pays natal, ce
que l’URSS refusa systématiquement. En réalité ces refus sauvèrent la vie de Pu Yi qui était
simplement demandé par le gouvernement chinois pour le juger et le tuer. Pu Yi en était conscient et
demanda plusieurs fois l’asile en URSS à Staline mais ces demandes restèrent fortuites.

Dans son ouvrage, Edward Behr dit : « Aux yeux de Mao et d'autres dirigeants communistes chinois,
Pu Yi, le dernier empereur, était l'incarnation de tout ce qui avait été mal dans l'ancienne société
chinoise. S'il pouvait être démontré qu'il avait subi un changement sincère et permanent, quel espoir
y avait-il pour le contre-révolutionnaire le plus pur et dur ? Plus la culpabilité est accablante, plus la
rédemption est spectaculaire et plus la gloire du Parti communiste chinois est grande ». Cette phrase
démontre bien le changement radical de pensée qui s’opère en République populaire de Chine
désormais sur le cas de Pu Yi. Son rapatriement n’est plus une volonté meurtrière mais bien une
volonté de démontrer l’efficacité d'un nouveau système de transformation des hommes afin de faire
d’eux de véritables communistes. C’est donc en 1950 que Pu Yi et le reste des dignitaires mandchous
peuvent refouler leur terre natale. Mais, pour Pu Yi, ce qui peut paraitre comme un soulagement de
revenir dans son pays sans une épée de Damoclès au-dessus de sa tête n’est en fait pas une partie de
plaisir. Pu Yi et les derniers dignitaires furent accueillis pendant 10 ans au sein de la prison pour
criminels de guerre de Fushun. Dans ce centre de détention, Pu Yi va être confronté pour la première
fois de sa vie à une double réalité qu'il n’a jamais connu auparavant : être autonome et réaliser ce
qu'il fut. Edward Behr nous apprend qu'il fut pour la première fois un prisonnier comme un autre et
qu'il dut pour la première fois de sa vie exécuter des tâches simples comme se laver les dents soi-
même ou lacer ses lacets. Cette nouvelle pratique pour lui à plus de 40 ans va alimenter la deuxième
difficulté que l’ancien empereur a dû affronter : le mauvais traitement des autres prisonniers. Le
camp de prisonniers était rempli de dignitaires japonais ou mandchou qui reconnaissaient leur
ancien « tyran » et se faisaient une joie de lui rappeler que désormais une égalité sévissait dans cette
prison. Avec de plus une séparation avec sa famille encore inédite, Pu Yi avouera que des envies
suicidaires lui parvinrent à cette période. Mais ce qui le sauva de ces envies macabres est sa relation
privilégiée avec Jin Yuan, le directeur de la prison. On comprend très vite le lien fort qui unissait ces
deux hommes lorsque l’on observe le passage de l’autobiographie de Pu Yi à ce moment de sa vie :
l’ancien empereur relate une grande quantité de discussions qu'il eut avec le dirigeant du centre
pénitentiaire. Ce dernier participa grandement à sa formation communiste et sa déchéance de statut
en l’emmenant rencontrer des habitants de la Mandchourie qui vécurent de durs moments lors de
l’occupation japonaise. Behr relate d'une grande émotion que Pu Yi ressentit à voir et écouter ses
anciens fidèles. Pu Yi serait donc désormais pourvu d’une conscience communiste comme la
procédure de la prison le souhaite : on peut évoquer son investissement pour les pièces de théâtre
représentant des histoires idéologiquement communistes. Behr évoque également une question
assez intéressante : Pu Yi s’est-il réellement transformé après son passage en centre de détention ?
Plus de 10 ans en prison ont-ils suffi à effacer une vie fastueuse et sous le signe de l’élévation en tant
que personne supérieure aux autres ? Behr ne s’étonne pas de cette rapide transformation, par en
parallèle, le changement radical de dignitaires japonais qui ont été « élevés dans la tradition des
samouraïs et le culte Bushido qui glorifie la mort au combat et le sacrifice au Japon martial, et sont
devenus, à Fushun, tout aussi fervents dans leur soutien aux idées communistes que Pu Yi ».

Septembre 1959, Mao Zedong annonce l’amnistie de criminels de guerre. Pu Yi est concerné par
cette annonce et sort de prison après 14 années de détention. La vie qu'il va connaitre à partir de là
pourrait être considérée comme la troisième phase de sa vie : Pu Yi va devenir un travailleur
communiste à Pékin et va d’abord occuper un poste de ramasseur de déchets sur les voies publiques.
Pour la petite histoire, il se perdit lors de sa première journée de travail. Car même si Pu Yi vécut
pendant les 18 premières années de sa vie à Pékin, il ne connait pas la capitale de son ancien empire.
Mais en étant confronté à cette situation, il fut agréablement surpris de la gentillesse des gens de son
quartier. Voici ce qu'il rapporta dans son autobiographie : « Lorsque nous avons balayé jusqu'à
l'entrée de la ruelle, je n'ai pas pu retrouver mon chemin de retour et je suis entré dans la maison
d'un étranger. Ils ont deviné ce qui s'était passé et m'ont ramené à la maison. Ils ont dit qu'il n'était
pas nécessaire que je les remercie car nous étions tous de la même rue, et même si nous n'avions pas
été là, il n'y avait rien d'étrange à ce que les gens s'entraident dans la nouvelle société ». Ensuite Pu
Yi connut un moment extrêmement important pour lui au moment où il travailla au jardin botanique
de Pékin. Il l’avoue lui-même dans sa biographie : il n’a jamais réellement connu la sensation d’avoir
une famille proche avec lui. Ce qui peut paraitre comme un certain manque, voire un regret, lorsque
l’on lit ses lignes dans ses ouvrages. Pourtant lors de son emploi au contact des plantes, il vécut
surement pour la première fois une réelle appartenance a une famille. « Lorsque le vieux Liu, mon
colocataire, apprit que je l'avais perdu (une montre), il me demanda en détail quel était l'itinéraire
que j'avais pris et partit aussitôt, bien qu'il ne fût pas de service. À mon grand embarras, beaucoup
d'autres ont également découvert ce qui s'était passé, et tous ceux qui n'étaient pas de service sont
allés chercher la montre. Le vieux Liu finit par la trouver devant le réfectoire d'une brigade de la
Commune populaire d'Evergreen et la rapporta de bonne humeur. Je sentais qu'on me rendait bien
plus qu'une simple montre ». Cette histoire de montre pose la question du bonheur pour un homme
dont le destin fut riche en aventures mais qui ne fut jamais réellement maitre de ses choix. Peut être
que pour la première fois de sa vie Pu Yi occupe une vie classique et s’épanouit par l’acceptation
d’égal à égal des autres hommes. Il put par ailleurs se marier librement en avril 1962 avec une
femme nommée Li Shuxian. Même si sa vie a pu connaitre de belles périodes comme son passage à
Tianjin entre 1924 et 1932 où il vécut une vie mondaine, sa période d’existence d’habitudes
« classiques » fut une période de découverte d’une vie heureuse et commune. Sa mort fut
malheureusement marquée par son arrestation et sa mise en surveillance durant la période de la
révolution culturelle en 1966 et aussi lors de la même année d’un double cancer qui lui sera fatal le
17 octobre 1967.

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