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LE PROJET III
ou le processus de conception de l'architecture

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Plan de l’unité d’enseignement

5. Le corps
quelques dimensions 9. Le projet I
6. L’ordre mobilisables dans le
projet 10. Le projet II
7. La signification méthodes de
conception 11. Le projet III
8. La proportion du projet
12. Le projet IV

discipline

1. L'(in)définition

2. La (re)présentation I

3. La (re)présentation II
interprétation/projétation
par le dessin/discours du projet 4. La (re)présentation III
Adaptation d’après une gravure du Teknisk Ukeblad, 1893.

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Table des matières de ce cours

1. Trois types de conception

2. La conception des projets de l’Antiquité

3. La conception des projets au Moyen Âge

4. La conception des projets à la Renaissance

5. La conception des projets au XVIIe s.

6. La conception des projets au XVIIIe s.

7. La conception des projets au XIXe s.

8. La conception des projets au XXe s.

9. La conception des projets au XXIe s.

10. Visée synthétique

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Rappel : il existe 3 situations de conception

« naturelle » « consciente » « réflexive »


La conception chez l’artisan La conception par le dessin La conception de la conception

John Constable, Henri-Louis Duhamel du Monceau, Marcel Ducham,


La charrette de foin, 1821. Éléments d’architecture navale, 1758. Auto-portrait multiple, 1917.

Adaptation d’après Christopher Alexander, Notes on the Synthesis of Form [De la synthèse à la forme],1964.
Les trois situations de conception par la mise en relation d’une forme (F) avec un contexte (C) dans le réel, la représentation mentale de cette mise en
relation et la représentation réflexive de cette représentation.

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→ Les trois situations de conception apparaissent à toutes les époques

Antiquité
▼ naturelle consciente réflexive
Moyen Âge

Renaissance
▼ naturelle consciente réflexive
XIXe siècle

XXe siècle
▼ naturelle consciente réflexive
XXIe siècle

L’hypothèse défendue ici est que les trois situations de conception apparaissent à toutes les époques mais avec des intensités différentes.

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La conception des projets au XVIIe s.
L’architecte au service du roi

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Contre-réforme par la rhétorique architecturale

début XVIe siècle, Martin Luther a lancé la Réforme protestante



fin XVIe siècle, après le concile de Trente, l’église organise la
Contre-Réforme catholique

début XVIIe siècle, manifestation de la Contre-réforme par l’art
baroque

l’architecture baroque propose une rhétorique de l’universalité de
l’église chrétienne, devenue catholique pour se distinguer du
protestantisme

la théâtralité des formes utilisées doit persuader les usagers de
la pertinence du message

les rois et les empereurs vont détourner l’usage de l’architecture
baroque pour la mettre au service de l’expression de leur pouvoir

à l’aube du XVIIe siècle, le monde est encore plein de merveilles


et rien ne semble impossible, les érudits utilisent encore la
science hermétique de la Renaissance qui mêle philosophie,
magie, science et religion, mais la méthode cartésienne à la
base de la science moderne commence à émerger

Bramante, Michel-Ange, Le Bernin et d’autres, Basilica di San Pietro in Vaticano [Basilique Saint-Pierre], Cité du Vatican, Vatican, 1506-1626.

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Iconologie – Répertoire de symboles

dans la tradition des livres de secrets du XVIe siècle (qui malgré leur nom
diffusaient les sciences hermétiques au-delà du cercle des érudits),
l’ouvrage de Cesare Ripa veut « servir aux poètes, peintres et sculpteurs,
pour représenter les vertus, les vices, les sentiments et les passions
humaines »

le livre est une encyclopédie où sont présentées des allégories, par ordre
alphabétique et avec un index à la fin, reconnaissables à leurs attributs et à
leurs couleurs symboliques

l’originalité du livre est qu’il est conçu comme un manuel à l’usage des
créateurs d’images, une tentative de codification pour rendre universel le
langage allégorique (enseigné aux peintres lors de leur formation dès le
XVIIe jusqu’au XXe !)

ce type d’ouvrage rationalise la création artistique parallèlement à
l’émergence de la méthode analytique de René Descartes ( XVIIe) et des
encyclopédistes des Lumières (XVIIIe)

Cesare Ripa, Iconologia overo Descrittione dell'Imagini universali [Iconologie ou Description d'images universelles], 1593.
Répertoire rationnel de modèles iconographiques et des symbolismes qui leurs sont attachés.

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Iconologie – Répertoire de symboles

Cesare Ripa, Iconologia overo Descrittione dell'Imagini universali [Iconologie ou Description d'images universelles], 1593.
Répertoire rationnel de modèles iconographiques et des symbolismes qui leurs sont attachés.

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Iconologie – Répertoire de symboles

Cesare Ripa, Iconologia overo Descrittione dell'Imagini universali [Iconologie ou Description d'images universelles], 1593, éd.1636, vol.1, p.114.

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Iconologie – Répertoire de symboles

Cesare Ripa, Les quatre éléments, Iconologia overo Descrittione dell'Imagini universali [Iconologie ou Description d'images universelles], 1593, éd.1636,
vol.2.

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Iconologie – Répertoire de symboles

Cesare Ripa, Les quatre complexions de l’homme, Iconologia overo Descrittione dell'Imagini universali [Iconologie ou Description d'images universelles],
1593, éd.1636, vol.2, p.52.

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Iconologie – Répertoire de symboles

Cesare Ripa, Les cinq sens de nature, Iconologia overo Descrittione dell'Imagini universali [Iconologie ou Description d'images universelles], 1593, éd.1636,
vol.2, p.49.

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Iconologie – Répertoire de symboles

Cesare Ripa, Les neuf muses, Iconologia overo Descrittione dell'Imagini Sarcophage en marbre représentant les neuf Muses et leurs attributs, Via
universali [Iconologie ou Description d'images universelles], 1593, éd.1636, Ostiense, Rome, Italie, première moitié du IIe siècle.
vol.2, pp.71-72.

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Arts de la mémoire – Une fin annoncée

Giulio Camillo (dit Delminio), Ideal del Theatro [Idéal du Théâtre], 1544.
Le théâtre idéal est inspiré de la méthode des loci de la rhétorique antique et de théories hermétiques et kabbalistiques. Inspiré de Vitruve, l’amphithéâtre en
bois peint avec 7 gradins divisés chacun en 7 sections définit 49 loci associés à 49 figures symboliques. Le théâtre idéal présente au spectateur une
projection de l’esprit humain, un outil mnémotechnique servant à la formation parfaite d’un orateur ou d’un savant.

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Le dernier uomo universale

Robert Fludd est le dernier représentant sérieux de uomo universale (homme


universel), tel que valorisé par l’humanisme de la Renaissance

il est le dernier à tenter d’écrire une œuvre capable d’embrasser la totalité du
savoir humain : l’Utriusque Cosmi Historia (1617-1629), de récapituler tout ce
qui était connu sur l’univers (volume 1 : le macrocosme) et l’humain (volume
2 : le microcosme), ainsi que sur leurs relations

cette œuvre constamment remaniée pour ne jamais aboutir totalement trahit
une sorte de désespoir

Fludd représentait le monde comme une succession de régions délimitées
liant l’humain à Dieu (à la même époque, René Descartes brise l’unité de
cette représentation en définissant un dualisme entre âme et corps)

il utilise la kabbale lorsqu’il décrit les principes qui gouvernent l’univers et
l’homme (son image microscopique) avec les symboles de l’ésotérisme
hébraïque

il estime que le médecin doit étudier les vents parce qu’ils véhiculent les
bonnes et mauvaises influences des anges et des démons (le mythe du
souffle créateur est encore bien présent)

Mathieu Merian, Portrait de Robert Fludd, Philosophia Sacra, 1626.

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Représentation de l’univers (le macrocosme)

verbum (verbe),
ouvre le royaume supracéleste

intelligentia (intelligence)
objet de la connaissance int. directe

intellectus (intellect)
organe interne de la connaissance

ratio (raison)
pensée disciplinée

imaginatio (imagination)
monde intérieur de l'imagination

sensus (perception)
monde des sens

Robert Fludd, L’univers Ptolémaïque III, Utriusque Cosmi Historia, I, a, 1617, Robert Fludd, Utriusque Cosmi Historia, II, a, 1, 1619, p.272.
pp.4-5. En reprenant le mythe de l’échelle de Jacob, cette échelle montre différents
Schéma cosmique complet de l’univers (le macrocosme) montrant les trois niveaux d’existence, de la terre jusqu’à Dieu.
mondes (terrestre – visible, céleste, divin – intelligible).

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Représentation de l’humain (le microcosme)

pénétration de l’esprit
de Dieu dans l’âme
ventricule médian : la
information de l’âme par le cogitiua (cogitation)
monde imaginaire (copie par les 3 facultés
imaginaire du monde supérieures : ratio
sensible et des sens) (raison), intellectus
(intellect), mens
(intelligence)
information de l’âme par
le monde sensible (les 5
éléments correspondent
aux 5 sens)

ventricule postérieur :
la memoria, siège de
la mémoire et du
mouvement

ventricule antérieur :
l’imaginationa
(imagination)

Robert Fludd, L’homme et le macrocosme, Utriusque Cosmi Historia, Oppenheim : Johann Theodore de Bry, II, a, 1, 1619, p.217.
Robert Fludd est encore un des derniers humanistes dans l’esprit de la Renaissance tardive à la charnière avec l’esprit baroque. Il représente l’humain (le
microcosme) considéré comme un univers en miniature : sa constitution et son rapport avec le macrocosme. Il n’a pas inventé cette représentation générale
et des illustrations plus grossières apparaissent déjà notamment chez Albert le Grand (XIIIe siècle) et Gregor Reisch (XVe-XVIe siècles).

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Arts de la mémoire – Une fin annoncée

Robert Fludd, Theatrum orbi, Utriusque Cosmi Historia, II, a, 2, 1629, p.61.
Dans l’organisation même de la planche de Robert Fludd un certain rationalisme semble émerger.

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Arts de la mémoire – Une fin annoncée

par l’usage de l’ars memorativa (de l’Antiquité jusqu’à la pour pratiquer l’art de la mémoire, il faut créer une collection
Renaissance), la mémoire peut être considérablement de lieux de mémoire où les images de choses à se
développée par la transformation des concepts en images remémorer sont placées et un théâtre est un lieu idéal
visuelles et spatiales (portes, fenêtres, colonnes, petits espaces...)
↓ ↓
les choses à mémoriser sont tirées de l’obscurité à l’arrière de l’inscription theatrum orbi (théâtre du globe) à été associée au
la tête et exposées à l’oculus imaginationis (l’œil de théâtre du Globe de William Shakespeare (construit en 1599)
l’imagination) et elle annonce le concept baroque de theatrum mundi [grand
théâtre du monde]

Robert Fludd, Ars memoriae, Utriusque Cosmi Historia, II, a, 2, 1629, p.47. Robert Fludd, Theatrum orbi, Utriusque Cosmi Historia, II, a, 2, 1629, p.55.

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Galeries élisabéthaines et création d’un monde

« All the world’s stage, And all the men and dans l’esprit baroque naissant où tout glisse, tout fuit et rien ne demeure,
women merely players; » l’assimilation du monde à un théâtre et de la vie à un songe est un lieu
[« Le monde entier est une scène, Et tous les commun !
hommes et les femmes simplement des ↓
acteurs; »] selon le concept baroque de theatrum mundi [grand théâtre du monde],
William Shakespeare, As you Like It chaque humain est un pantin qui joue un rôle, consciemment ou non, sur la
[Comme il vous plaira], acte II, scène VII, grande scène du monde et les ficelles sont tirées par le grand horloger (le
1599. créateur du monde réel ou de la fiction)

en architecture aussi, la Contre-Réforme même à la théâtralisation des
espaces, à la fluidité et à la continuité totale des parois, des peintures, des
sculptures, une fusion de l’architecture avec son décor peint ou sculpté...

« Totus mundus agit histrionem »


[« Tout le monde joue la comédie »]
Épigraphe latine apposée à
l'entrée du théâtre du Globe.

Théâtre du Globe de William Shakespeare, construit en 1599, détruit par un


incendie accidentel en 1613, reconstruit en 1614, fermé par les puritains en
1642, démoli pour construire des logements en 1644, reconstruit à l’identique
en 1996.

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Arts d’imitation et de continuation de l’œuvre de la Nature sur terre

représentation des arts par musique arithmétique


lesquels l’humain imite et
continue l’œuvre de la Nature géométrie
sur terre (dans l’esprit de la géomancie arpentage
Renaissance, un
rapprochement est opéré
entre Dieu et la nature)
astrologie

dans la tradition hermétique,
la figure du singe fait
référence au dieu égyptien de
perspective
l’écriture et du savoir Thot
(Thot-Hermès-Mercure)

l’objectif de ce volume de
Robert Fludd est de montrer cosmographie peinture
que les arts de l’humain sont
vraiment considérés comme
les guides de l’âme et qu’ils chronométrie
science
peuvent transformer ou
militaire
préparer l’âme aux
construction
contemplations les plus de machines
élevées

Robert Fludd, Le singe de la nature, Utriusque Cosmi Historia, I, b, 1618, p.47. Le dieu Thot sous forme de babouin
Volume sur les arts et les sciences. époque ptolémaïque, env.332-30 avant J.-C.

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Du maniérisme au baroque (XVIe-XVIIe)


→ Apollon et les Muses, femmes inspiratrices

le dieu Apollon, assis sous un laurier et


auréolé, est une personnification des forces
régulatrices et harmonisatrices de l’univers

il est accompagné des neuf Muses qui
président traditionnellement les arts

les Muses personnifient l’inspiration
créative qu’elles confèrent aux humains,
elles représentent l’anima, les niveaux de
l’âme humaine d’où surgissent les créations
artistiques

Robert Fludd, Apollon et les Muses, Utriusque Cosmi Historia, I, b, 1618, p.159.

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Architecture baroque au nord (XVIIe)


→ Les quatre tempéraments de la personnalité

selon l’hypothèse matérialiste des présocratiques de l’époque


archaïque (du VIIe à VIe siècle avant J.-C.), toute chose est une
combinaison des quatre éléments fondamentaux (terre, air, feu, eau),
le médecin grec Hippocrate (du Ve au IVe siècle avant J.-C.) affirme que
les qualités élémentaires des quatre éléments (chaud, froid, humide,
sec) se reflètent dans les quatre fluides corporels et Aristote ( IVe siècle
avant J.-C.) ajoute le concept de « qualités élémentales », mises en
relation avec les cinq sens

selon le médecin grec Claude Galien ( IIe siècle), les qualités des quatre
éléments se retrouvent dans quatre humeurs correspondantes (fluides)
qui affectent le fonctionnement de notre corps

ces humeurs affectent également nos émotions et nos comportements,
ce qui les lie à quatre tempéraments (flegmatique, sanguin,
mélancolique, colérique)

les problèmes psychologiques sont dû au déséquilibre de nos humeurs

en restaurant l’équilibre de nos humeurs, un médecin peut donc guérir
nos problèmes émotionnels et comportementaux (purge, saignée),
cette conception de la médecine a eu cours jusqu’à la Renaissance
lorsque l’anatomiste flamand André Vésale releva plus de 200 erreurs
dans les travaux de Gallien

Les quatre tempéraments sur un calendrier allemand, env.1480.


(1) flegmatique avec l'eau et la subtilité, (2) sanguin avec l'air et la fierté, (3) mélancolique avec la terre et la dépression et (4) colérique avec le feu et
l'aventure.

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Architecture baroque au nord (XVIIe)


→ Le dualisme âme-corps

René Descartes publie de manière anonyme tous ses écrits à Leyde


dans la Hollande protestante et tolérante, hors de la pression des
papes et de l’Inquisition, et il arrache sa pensée au discours
scolastique

il définit un dualisme âme-corps différent du dualisme monde


intelligible/monde sensible de Platon :
 l’âme est immatérielle mais siège dans la glande pinéale du cerveau
 le corps est une machine mécanique matérielle

il représente la glande pinéale comme un organe idéalement placé


dans le cerveau pour percevoir simultanément les images et les sons
recueillis par les yeux et les oreilles

l’âme et le corps agissent l’un sur l’autre : l’âme contrôle le corps en


faisant circuler à travers el système nerveux des « esprits animaux »
(ou fluides corporels) et elle peut avoir conscience de ses esprits
mobiles ce qui entraine les sensations

il compare le fonctionnement de l’homme au système compliqué


d’irrigation et de fontaines dans les jardins à la française : l’âme
raisonnable est alors comme le fontenier

René Descartes, De Homine [Traité de l’Homme].


Figure de l’édition de 1664.

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Architecture baroque au nord (XVIIe)


→ Le raisonnement privilégié à la mémoire

le mot esprit devient un concept physique, désormais au pluriel qui désigne des fluides corporels
(« esprits animaux ») influençant nos humeurs, les esprits deviennent objets d’étude empirique
(sang, bile, lymphe, phlegme)

selon le dualisme de Descartes, la substance sous-jacente à toutes les choses réelles n’est plus
l’ousia, l’essence, le substrat, l’épure des êtres vivants de Platon et Aristote, elle est constitué de
l’étendue (la matière étendue du corps) et de l’esprit (l’âme immatérielle)

la dichotomie initiée par Platon et réactualisée par la religion chrétienne est toujours bien présente
(matière/esprit, corps/âme), la matière reste une glue méprisée, accusée de retenir prisonnière une
âme qui tend à s’en libérer

si le dualisme corps-esprit traditionnel (Platon, Aristote, chrétien) amenait la raison à projeter des
explications sur la matière, le dualisme étendue-esprit de Descartes amène la matière à expliquer la
raison, c’est un retour au matérialisme des présocratiques

René Descartes condamne la méthode des loci et les roues/rotules magiques à


« se tapir dans leur antre à odeur de souffre »

il affirme la primauté de la raison et de l’analyse et il prétend que la mémoire n’est pas utile

« cogito, ergo sum » [je pense, donc je suis]



René Descartes, Le discours de la méthode : Pour bien conduire la raison et chercher la vérité dans les sciences, 1637.
le raisonnement privilégié à la mémoire
Frans Hals, Portrait de René Descartes, 1649.

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Architecture baroque au nord (XVIIe)


→ La méthode cartésienne

si le XVIIe siècle est parfois appelé le siècle de la Raison (juste avant le siècle des Lumières), c’est
principalement dû à la réforme méthodologique de René Descartes, clairement articulée autour des
quatre préceptes de ce qui sera appelé la méthode cartésienne :

1. le précepte d'évidence : le caractère immédiat de la perception des phénomènes de la réalité


garantit la pertinence

2. le précepte de réductionnisme (analyse) : le réductionnisme consiste à isoler et décomposer


l'objet pour en connaître les moindres détails (c'est la priorité à l'analyse)

3. le précepte de causaliste (synthèse, raisonnement) : l'interprétation d'un processus peut être une
analyse idéale du plus simple au plus compliqué fondée sur l'étude du passé, un raisonnement
linéaire de cause à effet

4. le précepte d'exhaustivité (dénombrement) : la connaissance exhaustive et universelle par la


description complète de la réalité est possible dans un champ d'observation limité

« et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, étoit si ferme et si


assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques
n'étoient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir
sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchois. »
René Descartes, Discours de la méthode, IV, 1637.

René Descartes, Le discours de la méthode : Pour bien conduire la raison et chercher la vérité dans les sciences, 1637.
Frans Hals, Portrait de René Descartes, 1649.

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Architecture baroque au nord (XVIIe)


→ L’homme machine

animal-machine

émergence
d’une vision mécaniste
du réel

controversée
pour ses implications
éthiques et religieuses

homme-machine

René Descartes, Le discours de la méthode: Pour bien conduire la raison et Julien Offray de La Mettrie, L'Homme Machine, Leyde, 1748.
chercher la vérité dans les sciences, Leyde, 1637. L’auteur a aussi écrit sur l’homme-plante.

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Architecture baroque au nord (XVIIe)


→ Automates anthropomorphes

les automates à formes humaines,


proches des automates animaux,
sont très à la mode au début du
XVIIIe siècle et ils sont montrés dans
les palais royaux et les salons

ils participèrent à l'émergence
difficile des concepts d‘ « animal-
machine » et d‘ « homme-
machine »

Jacquet-Droz, Les trois automates : l’écrivain (6 000 pièces), la musicienne (2 500 pièces) et le dessinateur (2 000 pièces), 1774.
Les automates sont en quelque sorte programmables puisque les cylindres qui les commandent peuvent être changés.

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Architecture baroque au nord (XVIIe)


→ Fondation de l’Académie royale d’architecture

1671 – Louis XIV crée l’Académie royale d’architecture et l’existence de cette institution accentue la normalisation de la
profession, la dépendance de la profession au politique (partiellement à la place de l’église) et la distinction entre la conception
et l’entreprise, tous les arts sont contrôlés pour mettre en valeur le roi (culte de la personne), mais inversement l’état (Colbert)
encourage le développement rapide des arts

1687 – déclenchement de la Querelle des Anciens et des Modernes lorsque Charles Perrault présente à l’Académie française
son poème – Le siècle de Louis le Grand – dans lequel il proclame la supériorité du siècle de Louis XIV sur celui de l’empereur
romain Auguste (époque de Vitruve à la charnière du Ier siècle)

Portrait de Jean De La Bruyère Portrait de Nicolas-François Philippe Lallemand, Gérard Edelinck,


Blondel. Portrait de Charles Perrault, 1672. Portrait de Claude Perrault,
1688..

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Architecture baroque au nord (XVIIe)


→ La Querelle des Anciens et des Modernes

« Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept « La belle antiquité fut toujours vénérable ;
mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent. Sur ce qui Mais je ne crus jamais qu’elle fût adorable.
concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est Je vois les anciens, sans plier les genoux ;
enlevé-; l'on ne fait que glaner après les anciens et les Ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme nous ;
habiles d'entre les modernes. » Et l’on peut comparer, sans craindre d’Être injuste,
Le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste. »
Jean de La Bruyère, Les Caractères, Charles Perrault, Le siècle de
ou les mœurs de ce siècle, 1696. Louis le Grand, 1687.
Hyacinthe Rigaud,
Portrait de Louis XIV en costume de sacre, 1701.

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Architecture baroque au nord (XVIIe)


→ La Querelle des Anciens et des Modernes

à la fin du XVIIe siècle, après les espoirs déçus de la Renaissance, les Modernes français ont la volonté de
développer une pensée rationnelle et de prendre des distances par rapport à l’influence de Rome

les Anciens et les Modernes sont tous d'accord pour dire que :
la structure doit être efficace et l’espace doit être fonctionnel

mais ils ne sont pas d'accord pour la forme des édifices
ils se querellent notamment à propos de :
la symétrie, les ordres des colonnes, les corrections optiques

les Anciens les Modernes


Nicolas-François Blondel Claude Perrault
1er directeur de l’Académie royale d’architecture réinterprétation de Vitruve
↓ ↓
classicisme baroque
↓ ↓
les Anciens prolonge l'Idée intelligible les Modernes pensent que le Beau est
(néo)platonicienne du Beau absolu que seul une perfection sensible esthétique – du
l'esprit peut discerner en copiant les proportions grec aisthêsis (sensation) – et relative (un
des architectures classiques héritées de consensus culturel) qui autorise de
l'Antiquité nouveaux dispositifs formels

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Architecture baroque au nord (XVIIe)


→ Les Modernes – Les commentaires de la traduction de Vitruve

quand Colbert charge


Claude Perrault de
traduire les Dix livres
d’architecture de Vitruve,
il a la volonté de mettre en
place une doctrine
architecturale unique

mais Claude Perrault se
plaint que le texte de
Vitruve est parfois « si
manifestement
corrompu », si bien qu’il
finit par imposer sa
théorie des ordres en y
consacrant presqu’un
quart du texte

Claude Perrault, Les cinq ordres, 1676. In Ordonnance des cinq espèces de colonnes selon la méthode des Anciens, 1682.
Perrault a consulté toutes les autorités italiennes avant de produire ses propres versions gravées sur cuivre.
Il les présente selon une échelle modulaire qui permet de lire et de mémoriser les proportions facilement.

UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 37

Architecture baroque au nord (XVIIe)


→ Les Anciens – Direction de l’Académie royale d’architecture

En 1671, Louis XIV nomme Nicolas-François Blondel en tant que premier directeur de l’Académie
royale d’architecture. Les architectes du roi en sont plus confondus avec les entrepreneurs, ce
qui met également fin de leur formation traditionnelle auprès d’un maître, comme dans toutes les
autres corporations (où l’apprenti apprenait d’un maître de la génération précédente). Par le biais
de l’enseignement unique de l’Académie, une formation unique à l’architecture est mise en place.

« Sa Majesté, considérant que la seule vue de ces édifices ne donne que de faibles lumières, si
les beautés n’en sont expliquées, a voulu pourvoir plus directement à l’instruction des artistes.
C’est pour cet effet qu’Elle a établi dans Paris, sur la fin de l’année 1671, l’Académie
d’architecture, composée de bon nombre de sujets, qui ont été choisis comme les plus
capables dans cet art, tant parmi ceux qui en faisaient profession qu’ailleurs, afin de travailler
au rétablissement de la belle architecture, et pour en faire des leçons publiques. »
Nicolas-François Blondel, Préface des Cours d’architecture, 1675.

Dans ses Cours d'architecture enseigné à l'Académie royale d'architecture (1675), Nicolas-
François Blondel mène un travail académique pour établir une doctrine architecturale commune à
tous et il réfute systématiquement les positions développées par Claude Perrault dans les
commentaires de sa traduction des Dix livres d'architecture (1673) de Vitruve.
Les Anciens sont fidèles à la doctrine de l’Académie et ils font partie de l’establishment proche
de la cour à Versailles et ils tentent d’utiliser le respect de l’Antique pour conserver une marge de
liberté. Dans un esprit d’humanisme sur fond de Contre-Réforme, ils travaillent avec une
esthétique mathématique, encore influencée par les pythagoriciens, les néoplatoniciens et la
métaphysique héritée de la Renaissance.

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UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 38

Architecture baroque au nord (XVIIe)


→ La Querelle des Anciens et des Modernes

Ordre français et
arc de triomphe
du trône, 1670.

Observatoire,
1667-1672.

Colonnade
du Louvre,
1667-1670.

Nicolas-François Blondel, Cours d’architecture, 1675-83. Claude Perrault traduit les Dix livres d’architecture de Vitruve, 1673.
Admiration de l’architecture grecque idéalisée de l’Antiquité. Admiration de la rationalité de la civilisation romaine.
Dans le frontispice, Nicolas-François Blondel représente la Porte de Saint- Dans le frontispice, Claude Perrault représente ses œuvres et projets.
Denis, Paris, France, 1672.

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Architecture baroque au nord (XVIIe)


→ La Querelle des Anciens et des Modernes

encore sous l’influence du classicisme renaissant nouvel ordre architectural français baroque

Nicolas-François Blondel, Porte de Saint-Denis, Paris, France, 1672. Claude Perrault, Colonnade du Louvre, Paris, France, 1667-1670.

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Architecture baroque au nord (XVIIe)


→ Les Modernes – Un art libéral qui s’ouvre au progrès scientifique

la remise en cause de l’exemplarité des Anciens vient des domaines dans


lesquels les progrès sont les plus rapides (sciences et techniques)

les sciences se développent et Claude Perrault pense que « les plus grands
architectes, avec toute la noblesse de leur art (ont) bien de la peine à s'élever
au-dessus des moindres artisans » (1682)

pour sauver la profession et la distinguer des « arts mécaniques », Claude
Perrault pense qu’il faut « reconnaître leur mérite », les distinguer des « gens
mécaniques » puisqu'ils connaissent « mille choses que l'on n'apprend point
dans les conditions d'un simple artisan », en utilisant une esthétique savante
parallèlement au progrès scientifique et technique, ce qui permet le contrôle du
processus de production en éliminant le petit artisan

les Modernes sont contre la beauté en art qui reposerait sur la connaissance
secrète des nombres détenues par les Anciens (science hermétique)

ils affirment la supériorité de la langue française sur le grec et le latin

ils développent le penser par soi-même dans une époque en pleine mutation
sans pour autant faire référence aux Anciens, ils permettent l’émergence
progressive de l’idéologie des Lumières du XVIIIe siècle qui met en avant la
raison, le goût de l’invention, de la découverte et de la liberté
Rencontre imaginaire à l’Académie des Sciences
Gravure de Claude Perrault (1736)

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Architecture baroque au nord (XVIIe)


→ Dualité : théorie (conception) ↔ pratique (construction)

De manière générale, l’architecture est un art qui combine deux aspects : la conception et la
construction, ou la théorie et la pratique.

Lorsqu’il définit l’architecture en tant que scientia (science), Vitruve (Ier s. av. J.-C.) introduit la
relation complémentaire entre :
 la rationcinatio (calcul, raisonnement)
 la fabrica (art, métier, travail d’art appliqué à une matière, pratique d’un art, habilité)
La fabrica n’est pas tout à fait la fabricatio (fabrication, travail de mise en œuvre).

Dans sa traduction en français de Vitruve, Claude Perrault (1673) remplace :


 la ratiocinatio par le mot théorie parce que raisonnement est trop général
 la fabrica par le mot pratique parce que fabrique n’est pas un mot français

« Toute entreprise humaine touche à deux pôles : une


pensée, un mobile, une intention ; des matériaux et des
techniques pour les exprimer. »
Le Corbusier, Sur les quatre routes, 1970.

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Architecture baroque au nord (XVIIe)


→ Premières confrontations architecte/ingénieur


Nicolas de Larmessin, Habit d'Architecte, env. 1680. Nicolas de Larmessin, Le métier d’ingénieur, env. 1680.
Les costumes grotesques et les métiers, env. 1695. Les costumes grotesques et les métiers, env. 1695.

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La conception des projets au XVIIIe s.
L’architecte est concurrencé par l’ingénieur

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ Le siècle des Lumières

au XVIIIe, la tripartite chrétienne corps – âme – esprit est définitivement mise à mal
par le dualisme cartésien corps – âme qui élimine le terme d’esprit, sauf pour
parler des « esprits animaux » (ou fluides corporels) qui parcourent le corps

les philosophes des Lumières croient en la raison, faculté de l’intelligence à la
recherche de vérités démontrables par des mesures quantitatives. Il n’est plus
question de spéculations métaphysiques au sujet du flottement d’une âme à la
recherche d’une vérité divine

la Révolution française voue un véritable culte à la raison (athéisme et
naturalisme), parfois personnifier par de belles femmes dans des manifestations
populaires

l’esprit est vidé de toute connotation chrétienne et il devient une faculté de
comprendre inhérente à la condition humaine, une raison théorique et pratique
utile à l’humain pour prendre des décisions morales ou scientifiques

l’architecte des lumières croit au dieu Progrès et à la déesse Raison,


parallèlement à l’émergence de la 1er révolution industrielle (env. 1765-1870) :
invention de la machine à vapeur et extraction du charbon (thermodynamique),
développement du réseau ferroviaire (1840), mécanisation de l’industrie textile et
de la métallurgie, remplacement des manufactures et des ateliers artisanaux par
des usines mécanisées, colonialisme pour exploiter les ressources minières et
agricoles nécessaires aux nouvelles usines...

Benoît-Louis Prévost, Gravure du frontispice de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, 1804.

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ Le siècle des Lumières

la raison ne s’ancre plus dans une divinité (Dieu), elle « O Newton ! Si par l’étendue de tes lumières et la sublimité
s’ancre objectivement dans un « Grand Être » ou un de ton génie, tu as déterminé la figure de la terre, moi j’ai
« architecte de l’univers ». Le déterminisme absolu des lois conçu le projet de t’envelopper de ta découverte. »
de Newton est l’image même de ce grand « architecte de Étienne-Louis Boullée, Architecture :
l’univers » Essai sur l’art, 1796-1797.

si la plupart des scientifiques pensent que la matière obéit


à un déterminisme strict, ils ne l’acceptent pas pour l’âme
humaine : la raison reste capable de libre-arbitre, de
s’extraire des pressions du corps !

Étienne-Louis Boullée, Cénotaphe de Newton, Projet non-construit ,1784.


Dessiné en hommage à Isaac Newton, l’homme de toutes les questions sur la révolution des astres.
Un cénotaphe — du grec kenos (vide) et taphos (tombeau) — est un monument funéraire qui ne contient pas de corps (contrairement au mausolée), élevé à
la mémoire d'une personne ou d'un groupe de personnes, et dont la forme rappelle celle d'un tombeau.

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ Le coup d’œil de l’architecte utopiste

dans le théâtre de Besançon, l’organisation des gradins correspond


à l’organisation égalitaire de la nation introduite par le Révolution
française

mais l’égalité des places a pour condition la surveillance généralisée,
la lumière du projet a pour condition la cohésion absolue du public :
dans ce lieu utopique, les spectateurs se voient les uns les autres
(Boullée dit que « nul ne pourrait échapper au regard de la
multitude ») et ils sont obligés de faire corps, obligés de sentir leur
appartenance à la totalité nationale, sans pouvoir s’en retirer

dans la gravure « Coup d’œil du théâtre de Besançon », Ledoux
montre le regard parfaitement compréhensif de l’architecte qui
s’extrait la masse des spectateurs pour pouvoir les contempler,
l’architecte visionnaire qui conçoit un lieu idéal où nation et artiste se
rencontreraient

« Le coup d’œil de l’architecte est plus
mais dans le reflet de l’œil où s’imprime le demi-cercle parfait d’un
nécessaire qu’on ne l’imagine, pour constater les
amphithéâtre, cette rencontre n’existe qu’en puissance car les rangs
effets que le postérité n’a pas le droit de
sont vides de tout spectateur
réprouver. »

Étienne-Louis Boullée, Essai sur l'art, 1796-1797.
ce vide serait là pour susciter l’attente d’un futur changement de
société juste avant 1789, aussi rationnel et transparent que soit le
projet d’architecture, sa matérialisation est encore à l’état d’utopie

Claude-Nicolas Ledoux, Coup d’œil du théâtre de Besançon, 1784.


L’Architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation, 1804.

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ Le siècle des Lumières

au XVIIIe, la mécanique instrumentale devient plus précise et les


machines industrielles plus composées, une exigence accrue de
précision est perçue comme condition primordiale de la maîtrise
humaine de la nature

les dessins d’architecture deviennent plus précis et tous les
projets sont projetés à partir des mêmes méthodes et
conventions, la géométrie descriptive se développe

la normalisation des processus de représentation arrache
l’architecture aux spontanéités de la production artisanale pour
l’engager dans des déterminations industrielles

la fabrication en série où la régularité devient la règle et signe la
fin de l’expression, de l’éloquence et de l’expressivité du baroque

Le projet est « le dessin plus ou moins défini avec lequel on


représente [...] soit la construction qu’il s’agira d’exécuter
conformément à l’intention de celui qui fait construire, soit [un]
ensemble » où l’on fait figurer, à titre d’exercice, « tous les
détails, selon un programme donné ».
Quatremère de Quincy, Encyclopédie Méthodique,
Architecture, tome III, 1788-1821.

Charles Percier, Projet de palais des Académies, Grand Prix de Rome, 1786.
Le concept de composition équivaut à l’époque à l’italien progettazione pour désigner un processus ayant pour terme et résultat le projet. Ce n’est pas
uniquement pour désigner la recherche d’un équilibre esthétique, une rationalité globale du projet est poursuivie.

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ La taxinomie systématique en sciences

la rationalité est construite avec ses paradigmes déterministes et taxonomiques

Système de Classification des plantes dans Carl von Linné, Methodus plantarum sexualis in sistemate naturae descripta, 1753.

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ Le siècle des Lumières

les encyclopédies se développent avec notamment


l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts
et des métiers, par une société de gens de lettres (1751-1772)
de Denis Diderot et Jean d’Alembert et le volume Architecture
(1788-1821) de Quatremère de Quincy pour l’Encyclopédie
méthodique Panckoucke ou Encyclopédie méthodique ou par
ordre de matières par une société de gens de lettres, de
savants et d'artistes ; précédée d'un Vocabulaire universel,
servant de Table pour tout l'Ouvrage, ornée des Portraits de
MM. Diderot et d'Alembert, premiers Éditeurs de
l'Encyclopédie (1782-1830)

Diderot et d'Alembert cristallisent les avancées d'Alberti, de
Brunelleschi et d'autres, les architectes et le domaine de
l'architecture rejoignent alors définitivement les arts libéraux
en tant qu'ouvrage de l'esprit – de la raison – digne des
hommes libres

ils définissent également l'expression Beaux-Arts

Étienne-Louis Boullée, Projet de bibliothèque royale, 1785.


La lumière de la raison éclaire le lieu du savoir.

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ Rationalisme français et romantisme anglais

en France, dans Essai sur l’architecture (1753), Marc-Antoine Laugier valorise la


rationalité et le retour à l’essence/pureté de l’architecture (la hutte primitive) : ce qui
mène au néoclassicisme

contrairement à l’Angleterre, où les anglais approuvent le romantisme irrationnel et
extravagant dégagé par Les prisons imaginaires (1745) de Giovanni-Battista Piranesi :
ce qui mène à différents types de revival (grec, gothique...)

Marc-Antoine Laugier, Essai sur l’architecture, Paris, 1753. Giovanni-Battista Piranesi, L’Arche aux gradins, Les prisons imaginaires,
La cabane rustique ou la hutte primitive. Dans la lignée de Cordemoy, Laugier Planche XI, 1745.
porte le rationalisme à l’extrême.

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ Le type remplace le modèle

« Le mot type présente moins l’image d’une chose à copier ou à imiter


complètement, que l’idée d’un élément qui doit lui-même servir de règle au
modèle. […] Le modèle […] est un objet qu’on doit répéter tel qu’il est. Le type est,
au contraire, un objet d’après lequel chacun peut concevoir des ouvrages qui ne se
ressemblent pas entre eux. Tout est précis et donné dans le modèle, tout est plus
ou moins vague dans le type. »
Quatremère de Quincy

le type remplace le modèle (l’Idée)

l’arché-type de la cabane
en tant qu’architecture
originelle

« Dictionnaire d'architecture » de l’Encyclopédie méthodique, Paris, La cabane rustique du frontispice d’Essai sur l’architecture,
Quatremère de Quincy, 1788/1825. Marc-Antoine Laugier, 1753.

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ Le rationalisme à l’extrême mène à des projets de papier

« Qu’est-ce que l’architecture ? La définirai-je avec Vitruve l’art de


bâtir ? Non. Il y a dans cette définition une erreur grossière. Vitruve
prend l’effet pour la cause. Il faut concevoir pour effectuer. Nos
premiers pères n’ont bâtis leurs cabanes qu’après en avoir conçu
l’image. C’est cette production de l’esprit, c’est cette création qui
constitue l’architecture, que nous pouvons, en conséquence, définir
l’art de produire et de porter à la perfection tout édifice quelconque.
L’art de bâtir n’est donc qu’un art secondaire, qu’il nous paraît
convenable de nommer la partie scientifique de l’architecture. L’art
proprement dit et la science, voilà ce que nous croyons devoir
distinguer dans l’architecture. »
Étienne-Louis Boullée, Architecture :
Étienne-Louis Boullée (1728-1799) Essai sur l’art, 1796-1797.

à force de « concevoir pour effectuer », les architectes


révolutionnaires affirment la rationalité de leur profession, mais ils
finissent par concevoir des architectures de papier qui ne seront ou
ne pourront jamais être réalisées...

l’art de bâtir devient presque secondaire !

ce qui laisse le champ libre à d’autres professions qui vont prendre en
main la construction réelle d’édifices

Étienne-Louis Boullée, Projet pour l'opéra de Paris, 1781.


À partir d’environ 1780, Étienne-Louis Boullée limite son activité à l’enseignement et il réalise des projets de papier étranges, à la fois rationnels et
fantastiques, entre Laugier et Piranèse, entre néoclassicisme (c’est là que l’histoire de l’architecture le range habituellement) et romantisme.

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ Révolution française de 1789

pendant la période révolutionnaire, les


architectes se font discrets :
 la situation économique est
morose, les clients se sont exilés
ou sont morts, le secteur du
bâtiment tourne au ralenti. Un
grand nombre de ces projets sont
restés sur le papier, faute de
moyens pour les mettre en
œuvres. Le problème c’est que les
architectes laissent à d’autres le
soin d’occuper la place
 les architectes privilégient encore
leur relation au politique plutôt
qu’au monde professionnel, leur
seul client est la commande
publique
 les architectes abandonnent
progressivement des parties de ce
qui relevait de leurs compétences à
d’autres : entrepreneur, ingénieur,
bureaux d’études... ce qui mène à
un long déclin de la profession

Eugène Delacroix, La liberté guidant le peuple, 1830.


Avec une réinterprétation romantique du sujet par l’artiste.
La Convention et le Directoire accentue encore la distinction entre la conception et l’entreprise en créant l’École des beaux-arts à la place de l’Académie
d’architecture fondée par Louis XIV.

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ La concurrence des ingénieurs

Au XVIIIe siècle, la distinction entre les titres d’architecte et d’ingénieur est confuse, les deux
métiers ne sont pas séparés.
Le métier d’ingénieur émerge progressivement :
 la fin de règne de Louis XIV est calamiteuse, la famine a ravagé des régions entières
 le pouvoir décide d’améliorer les moyens de communication pour pouvoir acheminer plus facilement
des ressources dans tous le pays, ce qui mène à la création du corps des Ponts & Chaussées (1716)
 de l’amélioration des routes, les ingénieurs consolident les ponts, puis construisent les ponts, puis
progressivement d’autres types d’édifices
C’est la création des écoles qui contribue à former des cadres de l’administration et à séparer les
deux formations :
 en 1747, création de l’École des Ponts & Chaussées par Daniel-Charles Trudaine, avec les cours
d’architecture de Jacques-François Blondel (il admettait des auditeurs libres dont les cours étaient
gratuits comme André-Jacob Roubo par exemple)
 en 1783, création de l’École des Mines par Louis XIV (au départ, gestion du réseau des chemins de
fer)
 en 1794, la Convention fonde l’École centrale des travaux publics, devenue l’École polytechnique
avec Gaspard Monge (au départ, gestion du réseau des chemins de fer), avec les cours de Jean-
Nicolas-Louis Durand

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ La concurrence des ingénieurs

La séparation entre architecture et construction est en germe dans la distinction entre :


• en 1829, création de l’École centrale des arts et manufactures (les centraliens dirigent les sociétés de
construction, notamment métalliques), dont est sorti Gustave Eiffel
• les architectes et les artistes restent à l’écart du monde de la construction et du monde de l’ingénierie
dans l’École des beaux-arts et cette situation ne les émeut pas. Les membres de l’Académie
répondent aux commandes publiques

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ La concurrence des ingénieurs

l’Académie royale d’architecture est


créée par Louis XIV en 1671

après la Révolution française de
1789, elle est supprimée

mais les écoles de peinture, de
sculpture et d’architecture sont
regroupées dans l’École des beaux-
arts en 1795

elle perdure jusqu’à Mai 1968

Anne Vallayer-Coster, Les attributs des arts, 1769.


Les attributs de la peinture, de la sculpture et de l’architecture sont représentés sur le même tableau, ce qui fait écho à l’académisme et à la future École des
Beaux-Arts. Huile sur toile, 90 x 121 cm.

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ Du baroque au néoclassicisme

Vue aérienne de l’Église Sainte-Geneviève, Paris, France, 1756. Louis-Michel van Loo,
Portrait de Louis XV,
XVIIIe siècle.

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ Du baroque au néoclassicisme

Façade principale, Photo antérieure à 1885. Jacques-Germain Soufflot, Élévation principale, dessin de Élévation principale,
1757 et 1764. dessin de Renié.

UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 61

Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ Du baroque au néoclassicisme

« Le principal objet de M. Soufflot, en bâtissant son église, a été de


réunir, sous une des plus belles formes, la légèreté de la construction des
édifices gothiques avec la magnificence de l'architecture grecque. »
Maximilien Brébion

Jacques-Germain Soufflot, Premier projet pour l’Église Sainte-Geneviève, Plan définitif.


Paris, France, 1756. Gravure de Charpentier.

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ Du baroque au néoclassicisme

Jacques-Germain Soufflot, Deux versions du projet pour l’Église Sainte- Plan définitif.
Geneviève, Paris, France, 1758 et 1764.

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ Du baroque au néoclassicisme

Donato Bramante, Tempietto, Rome, Italie, vers 1502.


Cour de l'église San Pietro in Montorio.

édifice néoclassique composé


de pastiches d’autres édifices

Jacques-Germain Soufflot, Premier projet pour l’Église Sainte-Geneviève, Apollodore de Damas, Le Panthéon, Italie : Rome, env.125-28.
Paris, France, 1756.

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ La concurrence des ingénieurs

UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 66

Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ Du baroque au néoclassicisme

Jacques-Germain Soufflot, Maquette pour l’Église Sainte-Geneviève, Paris, Jean-Baptiste Rondelet, Maquette de travail
France, 1774. pour l’Église Sainte-Geneviève, Paris, France, 1756.

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Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ La concurrence des ingénieurs

le sol du site
est un ancien site
d’extraction de l’argile
pour les potiers gallo-
romains (profondeurs
des galeries > 30 m)

10 ans pour les vider et
les remplir de
maçonnerie !

Soufflot fait un radier


général constitué de
deux couches de pierres
croisées !

épaississement des
piliers, coût
extrêmement élevé,
nécessite de
nombreuses réparations

Jean-Baptiste Rondelet, Maquette de travail pour l’Église Sainte-Geneviève, Paris, France, 1756.

UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 68

Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ La concurrence des ingénieurs

Vue de côté.

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UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 69

Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ La concurrence des ingénieurs

Jean-Baptiste Rondelet, Maquette de travail pour l’Église Sainte-Geneviève, Jean-Baptiste Rondelet, Coupe de l’Église Sainte-Geneviève, Paris, France,
Paris, France, 1756. 1756.

UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 70

Néoclassicisme en Europe (XVIIIe)


→ La concurrence des ingénieurs

personne n’a été porté en triomphe à la fin du chantier !

Jacques-Germain Soufflot, puis Jean-Baptiste Rondelet, Église Sainte-Geneviève, Paris, France, 1757-1790.
Après la Révolution française, l’église a été transformée en Panthéon des grands hommes, en 1791.

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UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 71

7
La conception des projets au XIXe s.
L’architecte néoclassique rejette la construction

UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 72

Romantisme en Europe (XIXe)


→ Le sentiment contre la raison !

au tournant du XIXe siècle, l’esprit romantique – principalement allemand


et anglais – se développe en opposition avec l’esprit français des
Lumières du XVIIIe siècle, créant une tension entre sensation et raison

l’esprit romantique n’est pas la nostalgie cachée d’un passé révolu qui
voudrait renouer avec un hermétisme ancien ou une réaction
obscurantiste de rejet de la pensée française des Lumières, mais
l’expression d’une angoisse devant la révolution technique qui s’annonce
à la charnière entre le XIXe et le XXe siècle (la 2e révolution industrielle)

une indécision entre :
 classicisme aristocratique
 ambition bourgeoise
 revendication prolétarienne

l'artiste romantique explore toutes les possibilités de l'art pour exprimer
ses états d'âme, il exalte le mystère et le fantastique et cherchant
l'évasion et le ravissement dans le rêve, le morbide et le sublime,
l'exotisme et le passé

le romantisme oscille entre l’idéal ou le cauchemar d'une sensibilité
passionnée et mélancolique

à cette époque, le mythe de l’artiste incompris parce qu’en avance sur
son temps, misérable mais libre émerge !
Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, 1817-1818.

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UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 73

Romantisme en Europe (XIXe)


→ La raison et le sentiment sont complémentaires

Apollon Dionysos
(dieu de la mesure, la lumière, de la musique et des arts) (dieu du vin et de ses excès, du théâtre, de la tragédie)
↓ ↓
symbole de la mesure/raison symbole de la démesure/déraison
(ordre, beauté, l'harmonie, clarté) (chaos, ivresse, énergie vitale, danse, théâtre)
↓ ↓
l’esprit de cohérence, lucide, clair, ordonné, organisé l’élan vital spontané, instinctif, déchainé, désordonné monté
descendu du ciel des profondeurs de la terre
↓ ↓
la recherche du beau idéal, notamment, du classicisme de la la recherche du sublime, notamment, du baroque et du
Renaissance et du néoclassicisme du XIXe siècle romantisme du XIXe siècle

><
Léocharès, Apollon du Belvédère, Michel-ange, Dionysos (grecs) / Bacchus (romains), 1496-1497.
Copie romaine d'un original du IVe siècle av. J.-C.
Apollon est parfois considéré comme le coryphée, c’est-à-dire le chef de
cœur des neufs Muses de l’Antiquité.

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Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ Le Geist allemand

une tradition romantique s’est progressivement installée en Allemagne

Hildegard von Bingen, Liber divinorum operum Albrecht Dürer, Melancolia I, 1514. En art, la Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant
simplicis hominis [Livre des œuvres divines], 1163- mélancholie est l’état de tristesse passagé source une mer de nuages, 1817-1818. Restitution d’une
1174. Hildegard a une vision en presence de son de génie ou de folie, d’un artiste ou d’une émotion intense quasi-religieuse et identification
secrétaire et de sa confidente. intellectuel lassé existentiellement. possible du spectateur au personnage de dos.

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Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ Le Geist allemand

pour les Lumières, l’esprit est un support matériel, un


instrument matériel de la pensée, mais pour les
romantiques, l’esprit est désincarné (tentative de revenir à
Platon) et la raison – pure et triomphante – des Lumières
est devenue déformante, infectée et glauque

dans la mythologie germanique, le Geist est l’esprit errant


du mort qui revient la nuit

pour Friedrich W. Nietzsche, l’esprit est une puissance
créatrice, un enivrement, un enthousiasme, un
envoûtement (dionysiaque plutôt qu’apollonien), un retour
à une sorte de ruach divin hébreux qui insuffle le
mouvement de la création, l’esprit est alors une puissance
créatrice où l’instinct est la forme d’intelligence la plus
efficace

la leben (vie) est la manifestation de l’énergie entre la


matière et l’esprit, une force vitale riche en potentialités
irrationnelles, une « volonté de puissance »

l’artiste est vu comme un créateur irrationnel confronté
aux affres de la condition humaine, régulièrement plongé
dans des états de mélancolie et de désespoir !
Autoportrait : Le déséspéré, par Gustave Courbet

UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 76

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ L’architecte est volontairement irrationnel

dans l’esprit romantique, la créativité est liée à l’imagination



l’architecte est un génie artistique, irrationnel et créatif, il n’est plus
discipliné par la raison comme l’architecte des Lumières

il est animé d'une liberté intérieure hors des codes et des conventions,
il puise ses idées dans la subjectivité, il s'inspire de la divinité, de
l'intuition et de ses passions

« Un noble philosophe parla une fois de l’architecture comme d’une


musique figée, ce qui lui valu maint haussement d’épaule. Nous
sommes d’avis qu’on ne peut réintroduire cette belle pensée mieux
qu’en qualifiant l’architecture d’art musical rendu au silence ».
Johann Wolfgang von Goethe, « Lettre, Francfort, le 14 août 1797 ».

« L'architecture est en général la musique figée, une idée qui n'était pas
étrangère aux poètes de la Grèce, comme cela ressort du mythe
célèbre d'Amphion qui aurait amené, par les sons de sa lyre, les pierres
à s'ajointer pour former les murs de la ville de Thèbes »
Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling, Textes esthétiques, vers 1800.

Bernard Picart, Amphion construit les murs de Thèbes par la musique de sa lyre, 1731.

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UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 78

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ Le romantisme anglais

« L'art est l'arbre de la vie. La


science est l'arbre de la mort »
William Blake

William Blake, Estampe de 1795, retravaillée et réimprimée en 1805. Newton William Blake, The Ancient of Days, 1794.
est représenté au fond de l’océan sur un rocher recouvert d’algues. Ce frontispice de Europe a Prophecy
Les romantiques anglais représentent des visions de leur univers intérieur. montre Urizen accroupi un compas à la main.

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Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ Taxonomie architecturale – architecture paramétrique

rejeté avec dédain par les partisans du génie et de


l’inspiration – les romantiques –, la méthode de
Jean-Nicolas-Louis Durand – qui développe le
néoclassicisme – rencontre les besoins de précision
et de régularité de l’époque, avec une méthode
économique de génération de projets, au cours de
laquelle la composition relève de la simple déduction
(le répertoire des composants a été défini selon des
critères de faisabilité technique)

la matrice combinatoire de Durand est un système
comparable avec d’autres moyens de représentation
aux matrices combinatoires utilisées en architecture
paramétrique au XXIe siècle

Gaspard Monge invente la géométrie descriptive

Durand et Monge avaient tous les deux une
méconnaissance des contraintes constructives et
structurelles de la matière des édifices, mais ils
raisonnaient à partir du dessin et de la géométrique

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UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 80

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ Typologies d’édifices

Jean-Nicolas-Louis Durand, Recueil et parallèle des édifices de tout genre, anciens et modernes : remarquables par leur beauté, par leur grandeur, ou par
leur singularité, et dessinés sur une même échelle, Paris : Gillé fils, 1800.

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Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ Typologies d’édifices

J.-N.-L. Durand (1760-1834)

focus sur les éléments



un objet architectural
au contour clairement
délimité en comparaison
avec d’autres objets

Jean-Nicolas-Louis Durand, Précis des leçons d’architecture données à l’ École polytechnique, 1802.

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Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ La Modulation des édifices

« l’architecture est tout à


la fois une science et un
art : comme science, elle
demande des
connaissances ; comme
art, elle exige des talents
[...] Le talent n’est autre
chose que l’application
juste et facile des
connaissances. »
J.-N.-L. Durand, 1802.

« L’architecture est l’art


de composer et
d’exécuter tous les
édifices publics et
particuliers. […] De tous
les arts, l’architecture est
celui dont les productions
sont les plus
dispendieuses… »
J.-N.-L. Durand, 1802.

Jean-Nicolas-Louis Durand, Précis des leçons d’architecture données à l’École polytechnique, 1802 (planche 18).
Modulation des édifices, habitat modulaire.

UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 83

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ La Modulation des édifices

recherche de l’économie
et de la fonctionnalité
dans la construction

travail sur la modulation

« Soit que l’on consulte la


raison, soit que l'on examine
les monuments, il est évident
que plaire n’a jamais pu être le
but de l’architecture, ni la
décoration architectonique être
son objet. L’utilité publique est
particulière, le bonheur et la
conservation des individus et
de la société, tel est, comme
nous l’avons vu d’abord, le but
de l’architecture. [...] C'est
donc de la disposition seule
que doit s'occuper un
architecte, même celui qui
tiendrait à la décoration
architectonique, et qui ne
chercherait qu'à plaire, puisque
cette décoration ne peut être
appelée belle, ne peut causer
un vrai plaisir, qu'autant qu'elle
ne résulte que de la disposition
la plus convenable et la plus
économique. »
Jean-Nicolas-Louis Durand, Précis des leçons d’architecture données à l’ École polytechnique, 1802 (planche 20).
J.-N.-L. Durand, 1802.
Modulation des édifices, habitat modulaire.

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Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ La marche à suivre dans la composition d’un projet quelconque

« Combiner entre eux les


divers éléments, passer
ensuite aux différentes
parties des édifices, et de
ces parties à l'ensemble,
telle est la marche que l'on
doit suivre, lorsqu'on veut
apprendre à composer;
lorsque l'on compose, au
contraire, on doit
commencer par
l'ensemble, continuer par
les parties, et finir par les
détails. »
J.-N.-L. Durand, 1802.

Jean-Nicolas-Louis Durand, Précis des leçons d’architecture données à l’ École polytechnique, 1802.
Marche à suivre dans la composition d’un projet quelconque.
Processus de composition. Cette planche 21 a été ajoutée à l’édition de 1813.

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Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ Le développement de la géométrie descriptive

Jean Victor Poncelet, Traité des propriétés projectives des figures, Planche II, 1822. Gaspard Monge, Géométrie descriptive : Leçons données
aux écoles normales, Planche II, 1892.

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Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ L’École des beaux-arts et le Grand Prix de Rome

Henri Labrouste, Le temple de Neptune, Paestum, Italie, 1828.


Restitution de la façade et ensemble de détails restitués.

UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 87

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ La charrette à l’École des beaux-arts

primauté du
dessin sur le
faire

rejet de la
construction en
fonte et en fer

séparation entre
conception et
construction

Alexis Lemaistre, Gravures représentant la charrette et l'enregistrement des projets aux pieds de la statue de Melpomène, 1889.

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UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 88

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ L’architecte devient presque un décorateur

premier programme de bibliothèque autonome


(cette bibliothèque n’est pas l’annexe d'un palais, d'une école ou d'un monastère)

Henri Labrouste, Bibliothèque Sainte-Geneviève, paris, France, 1844-1850.

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Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ L’architecte devient presque un décorateur

de nouveaux programmes d’édifices apparaissent


les architectes ont les commandes de l’État et ils devraient adapter leurs méthodes de conception

mais ce sont les entrepreneurs et les ingénieurs auxquels les architectes s’associent
qui assurent la conception réelle de ces édifices

Edward Edwards, Memoirs of libraries: including a handbook of library Henri Labrouste, Bibliothèque Sainte-Geneviève,
economy, London : Trübner & Co., 1859, p. 674. Paris, France, 1844-1850.
Illustration de Thomas.

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UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 90

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ L’architecte devient presque un décorateur

Henri Labrouste, Bibliothèque Sainte-Geneviève, Paris, France, 1844-1850.


Une façade en maçonnerie de l’architecte cache la structure intérieure en métal de l’entrepreneur ou de l’ingénieur.

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Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ Les structures en fer et en verre

Joseph Paxton, Crystal Palace, Royaume-Uni : Londres, 1850-51.


Exposition universelle de Londres en 1851 (première exposition universelle).
La construction métallique n’est plus cachée par une façade néoclassique massive couverte d’ornementation.

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UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 92

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ Les défis techniques des ingénieurs

à la même époque, les ingénieurs réalisent des prouesses techniques à l’aide de la construction en fer

Gustave Eiffel, Tour Eiffel, Paris, France, 1889.


Exposition universelle de Paris en 1889, apothéose de la construction en acier.

UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 93

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ Les défis techniques des ingénieurs

habituellement la tour Eiffel est


associée à l’idée
d’incompréhension de l’opinion
publique et d’opposition à la
nouveauté

mais la tour Eiffel est largement


plébiscitée... sauf par les
académiciens !

la polémique n’a pas passionné


les foules, le défi technique si !

la tour est réellement conçue par


deux ingénieurs et l’exploit
technique cantonne l’architecture
au décor !

Gustave Eiffel, Tour Eiffel, Paris, France, 1889.


L’entrepreneur Gustave Eiffel a accepté après 6 mois d’hésitations le projet de deux ingénieurs de son entreprise : Émile Nougier et Maurice Koechlin.

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UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 94

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ La riposte des architectes académiciens

après l’affront de l’Exposition universelle de 1889 avec la construction de la


tour Eiffel, les académiciens préparent leur revanche pour celle de 1900

Henri Deglane, Albert Louvet, Albert-Félix-Théophile Thomas et Charles Girault, Grand Palais des beaux-arts, Paris, France, 1897-1900.

UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 95

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ La riposte des architectes académiciens

dans cette photo des échafaudages du


dôme du Grand Palais des beaux-arts (vers
1898), c’est à la fois l’image de la
construction d’un futur et celle d’une ruine
du passé, c’est surtout un projet de
transition entre deux époques, pas encore
tout-à-fait assumé

à la fin du XIXe siècle, la France est l’une des


principales puissances économiques
d’Europe et elle veut impressionner le
monde entier

le projet est démesuré : 77 000 m²,


1 km de façade,
accueil de 12 000 visiteurs

Henri Deglane, Albert Louvet, Albert-Félix-Théophile Thomas et Charles Girault, Grand Palais des beaux-arts, Paris, France, 1897-1900.

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UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 96

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ La riposte des architectes académiciens

une façade en maçonnerie de l’architecte cache la structure intérieure en


métal de l’entrepreneur ou de l’ingénieur

152 pieux de fondations prévus par les grands prix de Rome


(mais le site est à proximité de la Seine avec ses crues/décrues régulières)
pieux en chêne résistent mieux à l’eau quand ils sont sous l’eau
(mais crues/décrues et ils sont en sapin pour des questions de délais)

au final, 3 350 pieux de 3 à 10 m de profondeur (Ø = 25 à 30 cm) !

Henri Deglane, Albert Louvet, Albert-Félix-Théophile Thomas et Charles Girault, Grand Palais des beaux-arts, Paris, France, 1897-1900.

UCL | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 99

Néoclassicisme en Europe (XIXe) « Je deviens architecte, il le faut, car je complèterai


ce qui me manque ainsi pour ma porte. »
→ Du classicisme au modernisme Auguste Rodin

Auguste Rodin, La porte de l’enfer, Musée Rodin, Paris, France, 1880-1917 Lorenzo Ghiberti, « Porte du paradis », Battistero di San Giovanni [Baptistère
(27 ans de travail !). La porte de l’enfer est une commande de l’État français Saint-Jean], Florence, Italie, 1425-1452 (27 ans de travail !).
pour créer une porte ornementale pour un musée des arts décoratifs qui ne
verra finalement jamais le jour.

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UCL | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 101

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ Du classicisme au modernisme

d’abord, le penseur représente


Dante, l’auteur de la Divine
Comédie penché sur les cercles
des Enfers pour y contempler les Albrecht Dürer, Melancolia I, 1514.
damnés qui s’y débattent en vain,
soumis à des supplices variés

l’écrivain médite alors sur sa propre
création, c’est l’image du poète, au
sens étymologique de créateur

de manière réflexive, le penseur est
également un portrait allégorique
du sculpteur réfléchissant à sa
création
↓ Jean-Baptiste Carpeaux, Ugolin et ses enfants,
Musée d’Orsay, Paris, France, 1864.
devenue l’une des sculptures les
plus célèbres au monde, le penseur
représente l’image universelle de
l’être humain plongé dans sa
pensée, mais se préparant à
l’action (comme la tension du corps
semble le suggérer)

Auguste Rodin, Le penseur (plâtre), 1880. Michel-Ange, Sculpture de Laurent de Médicis en penseur au-dessu de son
En art, la mélancholie est l’état de tristesse passagé source de génie ou de tombeau dans la Sagrestia Nuova [Nouvelle Sacristie] de l’une des trois
folie, d’un artiste ou d’une intellectuel lassé existentiellement, lors d’une chapelles des Médicis, Église San Lorenzo, Florence, Italie, 1521.
période de crise qui aboutira parfois positivement.

UCL | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 102

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ Du classicisme au modernisme

Pour soulever un poids si lourd,


Sisyphe, il faudrait ton courage !
Bien qu’on ait du cœur à l’ouvrage,
L’Art est long et le Temps est court.

Loin des sépultures célèbres,


Vers un cimetière isolé,
Mon cœur, comme un tambour voilé,
Va battant des marches funèbres.

— Maint joyau dort enseveli


Dans les ténèbres et l’oubli,
Bien loin des pioches et des sondes ;

Mainte fleur épanche à regret


Son parfum doux comme un secret
Dans les solitudes profondes.
Charles Baudelaire, « Le Guignon »,
Les Fleurs du mal, (1821-1867),
1857.

Auguste Rodin, Cariatide tombée portant sa pierre (bronze), 1881. Cariatides à l’entrée de l’Érechthéion, Acropole d’Athènes, Grèce, env.420-
405 avant J.-C.
La cariatide exprime visuellement l’asservissement des femmes de Carya
coupables de s’être alliées avec les perses.

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UCL | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 103

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ Du classicisme au modernisme

Auguste Rodin, Torse d’homme (plâtre), 1882. Michel-Ange, L'Esclave mourant, 1513-1516.

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Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ La riposte des architectes académiciens

pourtant le ciment armé


existait depuis 1867 et il avait
fait ses preuves en milieu
humide

mais les architectes


– grands prix de Rome – ne
semblaient pas connaître le
matériau !

Eugène Trutat, Exposition universelle de 1900 : Pont Alexandre III et Grand Palais, Paris, France, 1900.

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UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 105

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ Les architectes sont dépassés par l’évolution du monde

Au XIXe siècle, la division entre la conception et l’entreprise est claire. L’architecte est un
concepteur qui se distingue clairement de l’entrepreneur qui est un constructeur :
 l'image idéalisée de l'architecte-créateur commence à s'étioler parallèlement à l'arrivée du capitalisme
naissant et de nouveaux clients – les bourgeois – qui préfèrent faire confiance à l'homme de science
plutôt qu'à l'homme de l'art (l’ingénieur plutôt que l’architecte)
 l'ingénieur relève des défis techniques, structurels et constructifs incroyables et il prend
progressivement le pouvoir sur l'architecte qui conserve sa nostalgie d'un passé glorieux et qui se
cantonne dans de l’habillage d’édifices et l’ornementation des façades
 au pouvoir de 1799 à 1815, Napoléon 1er déteste les architectes parce qu'ils auraient ruiné Louis XIV
alors que le grand roi ne savait pas compter
 au début de l'industrialisation et des grandes concentrations urbaines, l'idéologie progressiste dirigiste
(faire le bonheur des hommes grâce à la science et à la technique) est la source d'émergence du
modernisme/fonctionnalisme
 les architectes élèvent des monuments au Progrès (palais des machines, halls des expositions
universelles, gares de chemins de fer, bourses de commerce…) qui ne sont plus des palais, mais
valorisent la bourgeoisie avec des ossatures modernes recouvertes de postiches néoclassiques

UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 106

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ L’optimisme envers le progrès à la fin du siècle

le XIXe siècle commence et termine à la fois par une révolution


industrielle, ce qui modifie fortement la société

les sciences sont d’un optimisme arrogant, avec rationalisme appuyé sur
un déterminisme, elles croient arriver au but ultime de la connaissance :
tout comprendre, tout expliquer !

1er révolution (env. 1765-1870) 2e révolution (env. 1870-1913)

invention de la machine à vapeur invention de l’électricité, du


et extraction du charbon téléphone et extraction du pétrole
(thermodynamique) (automobile et chimie)

Une couverture d’un recueil de partitions datant de 1900 reflétant l’optimisme À gauche, James Watt, Maquette d’une machine à vapeur, fin XVIIIe siècle.
d'une époque éprise de progrès technologique. À droite, Thomas A. Edison, Lampe à incandescence ancienne
à filament de carbone, 1879.

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UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 107

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ Entre réalisme et symbolisme à la fin du siècle

SYMBOLISME (env.1875-1910)
réaction au réalisme,
contre le matérialisme et le rationalisme
du monde moderne

l’art représente l’invisible (l’intelligible), la
réalité que nous imaginons en privilégiant
l’imagination et les émotions
par la suggestion subtile d’idées (mélange
complexe de pensées mystiques,
d’occultisme et de psychologie)

idéalisme
thèmes et sujets : l’extase, l’ambiguïté, la
mélancolie,
la mystification, la révélation, le sommeil, les
rêves,
le silence, l’immortalité, le pouvoir troublant
de la sexualité féminine...

≈ atteindre le modèle

l’architecture suggère subtilement un


imaginaire à l’habitant en prolongeant l’esprit
du romantisme
Victor Horta, Hôtel Tassel, Bruxelles, Belgique, 1892-1893.

UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 108

Néoclassicisme en Europe (XIXe)


→ Entre réalisme et symbolisme à la fin du siècle

><
RÉALISME (env.1850-1900)
réaction au romantisme,
contre les sujets traditionnels
(historiques, mythologiques, religieux)

l’art représente le visible (le sensible),
le réel dans lequel nous vivons avec
une conscience sociale, en montrant
le réel sans l’idéaliser par la
description objective des sujets (sans
les canons de beauté classiques)

mimétisme
thèmes et sujets : l’objectivité, l’ennui
et les difficultés de la vie rurale, travail
dans les usines, la vie de labeur des
pauvres, la nature, le monde paysan,
les faits de l’histoire du moment...

≈ développer les copies

l’architecture sans compromis


décoratif impose délibérément à
l’habitant un réel sans concessions, ce
qui mènera à l’architecture moderniste
du XXe siècle
Ferdinand Dutert & Victor Contamin, Galerie des machines, Paris, France, 1887-89.
Exposition universelle de Paris en 1889, apothéose de la construction en acier.

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UCLouvain | LBARC1102 – Théories d'architecture | D. CLAEYS 109

damien.claeys@uclouvain.be

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