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Kansas State University

From the SelectedWorks of Juste Codjo

Spring May 31, 2016

Consencratie: Un modèle de démocratie


consensuelle adapté aux réalités du Bénin
Juste Codjo, Kansas State University

Available at: https://works.bepress.com/juste-codjo/22/


Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin
Dans un environnement socio-économique pauvre et ethniquement diversifié,
soumis aux pressions extérieures et caractérisé par une culture qui conçoit l’autorité
comme une émanation divine, tout régime politique qui accorde l’ultime pouvoir de
décision à un seul individu constitue un handicap pour la surviedesvaleurs démocratiques.
Il rend l’Etat plus vulnérable en matière de sécurité avec des risques
accrus de politisation et de caporalisation de l’administration publique.

C’est au regard de cette analyse scientifique des causes de la


mauvaise gouvernance publique, que Juste CODJO propose ici la mise en place d’une
« CONSENCRATIE », un modèle de démocratie consensuelle fondé sur trois
piliers. Le premier est un parlement où ne sont représentés que des partis
politiques d’envergure nationale. Le deuxième pilier du modèle consiste en
l’instauration d’un exécutif dont le chef est issu d’une formation politique représentée
au parlement où il détient une majorité stable sur laquelle il pourrait se fonder pour sa
gouvernance. Enfin, le modèle de démocratie consensuelle consacre une autorité
administrative et morale conférée à un organe apolitique dénommé le « Haut Conseil de la
République ». Il s’agit, en somme, de prescriptions chirurgicales face au diagnostic
d’une démocratie béninoise en essoufflement après un quart de siècle de pratique.

consencratie
Juste CODJO est à la fois politologue et officier supérieur
des Forces Armées Béninoises. Il est titulaire d’un Diplôme
d’Etat-Major et d’un Certificat d’Etudes Stratégiques du
United States Army Command and General Staff College
(Kansas, USA), d’une Maitrise Es-Sciences Juridiques, option
Relations Internationales, de l’Université d’Abomey-Cala-
vi, et d’un Master en Relations Internationales obtenu en
2012 à Webster University (Missouri, USA). Depuis l’au-
tomne 2012, il poursuit des études de Doctorat en Rela-
tions et Affaires Internationales, option Stratégie et Sécu-
rité, au Kansas State University (Manhattan, Kansas, USA).

Edition - Communication Distribution


Juste Codjo

(+229) 21 035 850 / 96 923 733


+229 97 605 605 sodjinouarsene@sogecob-sarl.com
ifastrategy@gmail.com www.sogecob-sarl.com
C O N S E N C R A T I E

Un modèle de démocratie
consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Juste Codjo
A propos de l’auteur

Juste CODJO est à la fois politologue et officier supé-


rieur des Forces Armées Béninoises (FAB). Après sept an-
nées passées au Prytanée Militaire de Bembèrèkè, il fut reçu
Major du Bénin au Baccalauréat série A1 en 1994. Admis à
l’Ecole Nationale de l’Administration (actuelle ENAM), il in-
terrompit cette formation trois mois après pour intégrer les
FAB en janvier 1995. A l’issue d’une formation militaire de
trois ans en République Fédérale d’Allemagne sanctionnée par
un prix de Major de la promotion des stagiaires étrangers, il
fut admis dans la catégorie des officiers en novembre 2001.
En 2009, il obtint une Maitrise Es-Sciences Juridiques, op-
tion Relations Internationales, à l’Université d’Abomey-Ca-
lavi. Détenteur d’un Diplôme d’Etat-Major et d’un Cer-
tificat d’Etudes Stratégiques du United States Army
Command and General Staff College (Kansas, USA), il
est aussi titulaire d’un Master en Relations Internatio-
nales obtenu en 2012 à Webster University (Misouri, USA).
Depuis l’automne 2012, il poursuit des études de Docto-
rat en Relations et Affaires Internationales, option Stra-
tégie et Sécurité, au Kansas State University (Manhattan,
Kansas, USA). Parallèlement à la rédaction de sa thèse doc-
torale qu’il s’apprête à défendre en décembre 2016, il y ef-
fectue des recherches en sciences politiques et en histoire
tout en enseignant des matières dans les domaines de la
Politique Comparative et des Relations Internationales.

3
4
Travaux de recherche du même auteur:

- « Great Powers’ Race in Africa: The US-China Competition and


the Declining French Influence ». Il s’agit d’une thèse de Master qui exa-
mine la rivalité américano-chinoise en Afrique ces dernières années ainsi
que son impact sur l’influence traditionnelle de la France dans cette région.

- « They Shall Not Be Free: Eisenhower’s National Security


Strategy and Decolonization of Africa ». C’est un article d’histoire
en cours de publication qui examine la stratégie du gouvernement
américain face à la décolonisation de l’Afrique entre 1953 et 1961.

- « Foreign Patronage and Civil War », with Professsor


Andrew Long. Un article en Relations Internationales en cours
de publication à travers lequel il procède, avec un co-auteur,
à une analyse statistique des relations existant entre la stabili-
té d’un pays pauvre et ses alliances avec une puissance étrangère.

- « The Logic of Strategic Consensus: State Environment and Pros-


pects of Civil War ». Thèse de Doctorat qui porte sur le rôle du consensus
stratégique dans le succès des politiques de prévention des rebellions armées.

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6
Dépot légal Nº 8663 du 6/05/2016
Bibliothèque Nationale du Bénin
2ème Trimèstre
ISBN 978 - 99919 - 2 - 234 - 8

Toute reproduction intégrale ou partielle faite par quelque


procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses
ayants causes, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée
par la loi sur la propriété intéllectuelle.

Pour toutes questions et remarques, s’adresser à l’auteur:


justecodjo@yahoo.fr ou justecodjo@gmail.com

Imprimerie Astus Cité

Edition IFA Strategy

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8
En mémoire de mes parents défunts:
- Ma jeune sœur Estelle A. M. CODJO (2016)
- Mon père Vincent D. CODJO (2010)
- Mon oncle Jean DEGBOEVI (2007)
- Mon grand-père Yaovi DEGBOEVI (2006)
- Mon arrière-grand-mère Agbissi
AMOUDO (1992)

DEDICACE

A mon fils Jefson CODJO


A ma mère Suzanne DEGBOEVI
A ma grand-mère Mètossodé DJOSSOU BATO
Qui ont beaucoup souffert de mon absence
ces dernières années.

REMERCIEMENTS
A toutes les personnes qui ont contribué, de près ou
de loin, à la réalisation de cet ouvrage, en particulier:

Arsène S. SODJINOU, Sourou Djilé OHOSSA,


Toussaint DJAHO / Sergent Markus, Emile DAGNON,
Chantal CODJO, William CODJO, Soumanou OKE,
Ventura WAMA, Mohamed SAKE, Ganihou FADIKPE,
Jean SODJI, Gaston ACLINOU, Pascaline SOHOLOU,
Felix A. SODJINOU, Mireille SODJINOU,
Emizet F. KISANGANI.

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10
sommaire
Dédicace ……………………………………………………………... 9

Préface ………………………………………………………………. 13

Avant-propos ………………………………………………………....19

Introduction …………………………………………………………..21
Chapitre 1:Evaluation du Renouveau Démocratique:
Impact des institutions sur la
performance de l’Etat ………………………. 33
1.1. Un état des lieux sommaire de la
performance publique…………………….... .37
1.2. Une analyse des causes de la mauvaise
performance de l’Etat ………………………..40

Chapitre 2: Les grands piliers du modèle de démocratie


consensuelle ……………………………………….....63
2.1.Un parlement constitué de partis politiques
d’envergure nationale …………………………...66
2.2. Un pouvoir exécutif coopératif
et moins vulnérable...............................................71
2.3. Une autorité morale et administrative :
le Haut Conseil de la République .....................74

Conclusion …………………………………………………………..91

Bibliographie ....................................……………………………......119

11
12
préface
La problématique du choix des institutions politiques
appropriées demeure une préoccupation majeure pour les pays
africains en général et pour le Bénin en particulier. Depuis
notre accession à l’indépendance, nous avons constamment
été à la recherche de réponses à une question fondamentale:
quels types d’institutions politiques pour quelles finalités ?

En 1990, nous avons collectivement opté pour un


régime présidentiel fort au détriment des régimes de types
semi-présidentiel et parlementaire, et préféré le suffrage
universel direct au suffrage indirect. En ce qui concerne l’élec-
tion législative, le scrutin proportionnel à un tour a été jugé
plus indiqué que le scrutin uninominal majoritaire en vogue
sous d’autres cieux. Nous avons donc fait un choix délibéré
d’adopter une série d’institutions politiques qui nous parais-
saient plus adaptées à nos réalités nationales que d’autres. Mais
après vingt-six ans de renouveau démocratique, les institutions
politiques mises en place résistent-elles aux épreuves du temps
et aux pressions sociologiques, économiques ou géopolitiques ?

Bâtir une démocratie stable et durable a été, de tous les


temps et sous tous les cieux, une tâche plutôt âpre. L’histoire de
la France, ce pays dont les différents modèles politiques ont sou-
vent inspiré les constituants des pays francophones d’Afrique,
le démontre si bien. Les 80 premières années qui ont suivi la
grande Révolution Française ont été marquées par l’expéri-
mentation de plusieurs modèles. Au total, la France a connu

13
entre 1789 et 1870 deux républiques, deux empires, un direc-
toire, un consulat et des régimes dits de restauration. Il a fal-
lu l’avènement de la Troisième République, un régime de type
parlementaire qui dura environ 75 ans, pour que ce pays
connaisse un début de stabilité politique. Mais là aussi, sous la
Quatrième République, au lendemain de la 2e Guerre Mondiale,
ce même type de régime n’a pu résister aux pesanteurs géostraté-
giques liées à la Guerre Froide et à la question de la décolonisation.

La fonction des hommes et femmes chargés d’identi-


fier des institutions politiques appropriées pour le Bénin, ou
pour n’importe quel autre pays, ressemble à la situation d’un
médecin en face d’un patient. De manière professionnelle,
un médecin ne peut prescrire à un patient un traitement
médical qui ne tienne compte des facteurs de risques tels que
l’âge, le sexe, le poids, la condition clinique du moment, les
antécédents médicaux ou encore l’habitude alimentaire. Il
en est ainsi parce que chacun de ces facteurs a des impacts
certains sur la structure et le fonctionnement de l’organisme du
patient. Tout traitement qui ignorerait l’impact de tels facteurs
de risques pourrait donc compliquer l’état de santé du patient.

Cette approche médicale est tout aussi indispensable


dans le cadre du choix de nouvelles institutions politiques. L’on
devrait se garder de prescrire des règles institutionnelles sans
avoir préalablement pris le soin d’examiner les
impacts d’autres facteurs sur l’attitude des acteurs soumis à
ces règles. Après tout, la finalité des institutions politiques est
d’influencer durablement le comportement des acteurs du jeu

14
politique dans le sens voulu par l’ensemble de la société. Mais tel
l’organisme du patient, il existe d’autres facteurs de risques dans
la société qui influencent aussi le comportement des acteurs
du jeu politique. Il s’agit par exemple des pesanteurs sociolo-
giques, économiques et géostratégiques propres à la société.

Il convient donc, avant toutes réformes, de déterminer


les impacts néfastes de chacun de ces facteurs sur le compor-
tement des acteurs politiques. Ce n’est qu’après cette étape que
pourront être identifiées les institutions politiques susceptibles
d’atténuer, dans la mesure du possible, les effets pervers de ces
facteurs de risques. Mais choisir des institutions données sans
avoir fait cet exercice capital équivaudrait à prescrire un trai-
tement médical à un patient sans lui avoir fait subir une ana-
lyse préalable. Ce faisant, l’on courrait le danger de mettre en
place des institutions qui non seulement ne nous aideraient
pas à atteindre les objectifs fixés mais qui pourraient même
compliquer notre situation sociale, économique et politique.

Dans cet ouvrage, Juste CODJO prescrit un trai-


tement institutionnel sur la base d’une approche sem-
blable à celle d’un médecin. S’inspirant des recherches
théoriques et empiriques en sciences sociales ainsi que des
réalités du Bénin, il apporte une explication aux difficultés de
gouvernance publique au Bénin. Il découle de son analyse que
ces difficultés proviennent de plusieurs sources, notamment
sociologiques, économiques, géostratégiques et politiques.
De façon précise, il s’agit principalement de pesanteurs telles
que (1) la conception que se font la plupart des Béninois de

15
l’autorité, (2) leur tendance à s’identifier à leur origine ethno-
régionale, (3) les pressions socio-économiques découlant de
la pauvreté des individus et de l’Etat, (4) certaines contraintes
géopolitiques découlant des intérêts d’acteurs extérieurs, et
enfin (5) la nature du régime présidentiel adopté en 1990.

C’est donc au regard de cette analyse scientifique des


causes de la mauvaise gouvernance publique, qu’il propose une
série d’institutions politiques pouvant aider le Bénin à atténuer
les effets pervers liés aux réalités sociologiques, économiques
et géostratégiques du pays. Avec ces propositions s’ouvrent
pour nous de nouveaux horizons sur le grand boulevard de
notre destinée commune. Oserons-nous maintenant affronter
les vents et les fouets du temps pour y toucher et opérer les
changements qui s’imposent? Ou fermerons-nous une fois de
plus les yeux sur nos tares inhibitrices de progrès social et subir les
affres de notre inconséquence ? Nous avons toujours le choix…

Professeur Albert TEVOEDJRE


Frère Melchior

16
« Le pouvoir ne peut plus être confisqué par
quelques-uns pour l’écrasement des autres … Mais
nous avons appris à nos dépens que tout pouvoir
livré à lui-même devient fou. »

Professeur Albert TEVOEDJRE, extrait du Rapport


Général de la Conférence Nationale des Forces Vives,
Cotonou (Bénin),
Février 1990.

17
18
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Avant-propos
Que comprendre du concept « Consencratie »?

“Une maison divisée contre elle-même ne peut tenir de-


bout.” Ainsi s’exprimait Abraham Lincoln en 1858, quelques
années avant son élection à la tête des Etats-Unis d’Amérique.
Cette assertion est tout encore valable aujourd’hui, aussi bien
pour le Bénin que pour les autres pays africains. En effet, que
l’on s’en rende compte ou pas, les sociétés africaines sont, pour
la plupart, divisées sur beaucoup de plans. Au Bénin particuliè-
rement, la question ethno-régionale divise de plus en plus. En
général, le Béninois a tendance à s’identifier d’abord et avant
tout par rapport à son origine ethno-régionale. Ceci encourage
naturellement la division, fut-elle moins prononcée qu’ailleurs,
d’une société appelée pourtant à rester unie pour survivre.

Au plan socioéconomique, le clivage se fait aussi sen-


tir. Il y a d’un côté une classe composée d’individus pou-
vant à peine subvenir à leurs besoins, souvent peu ou pas du
tout scolarisés ; et de l’autre une catégorie faite de « nantis » ,
c’est-à-dire des personnes ayant réussi, soit par le fruit de leurs
propres efforts, soit par le fait des facilités tirées du système,
à sécuriser leur avenir économique. Enfin il existe, sans nul
doute, et en relation directe avec ce dernier point, des scis-
sions par rapport aux priorités de gouvernance. Faut-il prio-
ritairement consacrer les ressources de l’Etat à l’éducation,
aux infrastructures, à la santé publique, à la construction d’un

19
CONSENCRATIE

Etat de droit, à la défense et à la sécurité, au développement


du sport ou de la culture ? Ou faut-il tout simplement s’ap-
pliquer à assurer « le pain quotidien » au citoyen ordinaire ?

Dans un tel contexte de fragmentation sociologique,


économique et politique, la démocratie, entendue comme une
forme de gouvernement entre les mains du bas peuple, pourrait
se révéler comme un concept difficile à mettre en œuvre. Pour
y arriver, nous devrions donc nous préoccuper, dans nos efforts
d’élaboration de régimes politiques, d’organiser le pouvoir d’Etat
de sorte que soient représentées, dans la mesure de toutes les pos-
sibilités envisageables, les aspirations de ces différents fragments
et composantes de la société. C’est donc ce qui justifie le choix du
concept « CONSENCRATIE ». En effet, littéralement et lexica-
lement, le concept est né de la combinaison des deux concepts
que sont Consensus et Démocratie. Il signifie donc déjà au pre-
mier degré « la gouvernance démocratique par le consensus ».
Il s’agit donc d’une forme de gouvernance politique qui as-
sure une légitimité aux décisions d’Etat en raison du ca-
ractère inclusif des différents organes de prise de décision.
Ainsi, le pouvoir d’Etat est organisé de façon à assurer une
représentativité et une prise en compte des intérêts des dif-
férents groupes ethno-régionaux, socioéconomiques, ainsi
que ceux des différentes obédiences politiques de la société.
La consencratie est donc un régime politique de transition
vers une démocratie consolidée et de construction d’une na-
tion unie. Après tout, il ne suffit pas seulement de proclamer
la démocratie et la nation pour les obtenir. Il faut plutôt les
construire, les peaufiner, les parfaire de façon méthodique,
parfois au prix de sacrifice et d’efforts sur de longues décennies.

20
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Introduction

21
CONSENCRATIE

22
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

L’Afrique a-t-elle les moyens de s’offrir la démocratie?


Pour plusieurs observateurs, la réponse à cette question est
sans équivoque. En 1990, alors qu’il était Premier Ministre en
France, Jacques Chirac a déclaré à Abidjan en Côte d’Ivoire que
la démocratie, notamment le multipartisme, est « un luxe » et
1
« une erreur politique » pour l’Afrique. Trois décennies plutôt,
le 14 janvier 1960, lors d’une réunion du gouvernement amé-
ricain consacrée à l’examen des implications de l’indépendance
imminente d’une trentaine de pays africains, le Vice-Président
Richard Nixon a déclaré qu’ « il serait naïf pour l’Amérique
d’espérer que l’Afrique se démocratise. » 2 A une époque où
les débats sur la nécessité ou non d’apporter des modifica-
tions à l’architecture démocratique béninoises s’accentuent,3 il
parait indiqué de faire une évaluation rationnelle de l’expé-
rience démocratique de ce pays qui continue, malgré tout,
d’être une référence en la matière parmi les pays d’Afrique noire.

1
Cf. « Jacques Chirac et le sens de l’histoire », Jeune Afrique no 1523 du 12 mars 1990, p. 18.
2
Cette citation provient des archives de la Maison Blanche, autrefois classées secrètes et désormais rendues
publiques. Elles peuvent être consultées à la Bibliothèque Présidentielle Dwight D. Eisenhower à Abilene
(Kansas, USA). Cf. Relevé des discussions de la 432e réunion hebdomadaire du National Security Council,
14 janvier 1960, Dwight D. Eisenhower Library, Eisenhower, Dwight D.: Papers as President, 1953-61, Anne
Whitman Files, NSC Series, Box 12. Sauf indication contraire de l’auteur, les citations d’auteurs ou d’ouvrages
de langue anglaise contenues dans ce livre ont été traduites par l’auteur lui-même.
3
Le vendredi 6 mai 2016, pendant que le présent livre est sous impression, le Président béninois Patrice TA-
LON a officiellement mis en place une Commission Technique chargée de lui faire des propositions de ré-
formes politiques et institutionnelles. Cf. discours du Président de la République du Bénin lors de la cérémo-
nie officielle, https://www.youtube.com/watch?v=DBsKhqR6tbs.

23
CONSENCRATIE

La République du Bénin a connu à ce jour plusieurs ex-


périences démocratiques, les unes moins infructueuses que les
autres. Trois mois après son accession à l’indépendance, le Bé-
nin (alors Dahomey) avait adopté un régime démocratique de
type présidentiel en novembre 1960. Ce type de régime confé-
rait au chef de l’exécutif, élu au suffrage universel direct, l’ultime
pouvoir de décision aussi bien dans les domaines de la politique
intérieure que dans ceux des affaires étrangères et de la défense.
Ceci constituait une grande différence par rapport au régime
parlementaire qui était précédemment en vigueur. Sous ce ré-
gime précédent qui a prévalu de février 1959 à novembre 1960,
les responsabilités étatiques dans les domaines de la défense et
des affaires étrangères relevaient du Président de la Communau-
té Française tandis que la politique intérieure du Dahomey in-
combait à un chef de l’exécutif issu de la majorité parlementaire.4

L’instauration d’un régime présidentiel en 1960 visait es-


sentiellement à éviter l’instabilité politique. Et pourtant, seule-
ment trois ans après l’adoption du régime présidentiel, le Bénin
plongea dans cette instabilité qu’on redoutait tant. La période
de 1963 à 1972 fut caractérisée par une série de coups-d’Etat

4
Pour l’historique de ces régimes dahoméens, se référer au Service de la Documentation et des Archives
de l’Assemblée Nationale, http://www.google.bj/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=3&ve-
d=0ahUKEwiJ8I-5jN7LAhXsbZoKHaOHA2IQFggmMAI&url=http%3A%2F%2Fwww.assemblee-na-
tionale.bj%2Ffr%2Ftelecharger%2F344-histoire-et-patrimoine%2Ffile&usg=AFQjCNGgx30sqf1ArP-
s3Ukx5ZBMcacvGGQ.

24
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

et l’adoption de trois constitutions en six ans ; ce qui valut au


5
Dahomey le nom d’ « enfant malade de l’Afrique ». Le 26 oc-
tobre 1972, une ultime intervention militaire installa au pou-
voir une dictature militaro-marxiste qui promit de « liquider
définitivement l’ancienne politique à travers les hommes, les
6
structures et l’idéologie qui la portent. » Si cette dictature mi-
litaire a réussi à assurer une stabilité politique au pays, elle n’a
pu résister aux nombreuses pressions nationales et internatio-
nales appelant à un pluralisme politique à la fin des années 80.

Ainsi, à la faveur d’une conférence nationale en fé-


vrier 1990, le Bénin a fait à nouveau l’option de renouer avec
des institutions démocratiques après dix-huit années de dic-
tature militaire.7 En sa qualité de Rapporteur Général de
la Conférence Nationale, le Professeur Albert Tévoèdjrè
résume les grandes décisions des assises en ces termes:

5 Ces constitutions furent adoptées en 1964, 1968 et 1970. Pour des détails relatifs à l’instabilité post indépen-
dance, se référer au site officiel du gouvernement béninois, http://www.gouv.bj/tout-sur-le-benin/histoire.
6
Cf. discours programme du 30 novembre 1972 du Gouvernement Militaire Révolutionnaire (GMR). http://
benin-temoignages.hautetfort.com/archive/2012/07/19/discours-programme-du-30-novembre1972.html.
7 Pour s’informer des détails des motivations de l’organisation de cette conférence nationale, cf. Robert Dos-
sou, Rapport introductif n° 1 : L’expérience béninoise de la Conférence nationale ; http://democratie.franco-
phonie.org/IMG/pdf/1592.pdf.

25
CONSENCRATIE

« Vous voulez un Etat de droit où le pouvoir exécutif, le pouvoir


législatif, le pouvoir judiciaire soient clairement séparés. Et vous voulez
une presse libre et responsable. Vous voulez aussi que puissent s’exprimer
et fleurir des mouvements associatifs, des coopératives dynamiques et
productrices de biens. Vous voulez que les hommes et les femmes de ce
pays aient le droit absolu et inaliénable à mettre l’intelligence au centre
de leur vie … L’intelligence et l’imagination au pouvoir, vous avez réso-
lu d’en faire désormais l’axe de notre organisation sociale et politique.
Vous voulez que les libertés fondamentales soient garanties pour tous et
que nul ne s’arroge le droit de chosifier l’autre et de le mettre à genoux. »

Le Professeur Tévoèdjrè conclut dans son rapport que


« Nous avons vaincu la fatalité ». De son point de vue, la
conférence qui venait de s’achever avait « réussi à récon-
cilier la Nation avec elle-même », ajoutant que « tous les
autres problèmes, si nous sommes fidèles aux décisions
8
que nous avons prises, sont déjà résolus en puissance ».

Un quart de siècle après ce retour à la démocratie, plu-


sieurs acteurs politiques semblent déçus de la performance de
l’Etat par rapport aux objectifs fixés par la Conférence Natio-
nale de 1990. A travers un communiqué publié dans le cadre de
l’élection présidentielle de février 2016, le Parti Social Démo-
crate (PSD) décrit la situation sociopolitique et économique

8 Albert Tévoèdjrè, Rapport Général de la Conférence Nationale des Forces Vives, Cotonou (Bénin), Février
1990 ; http://www.lapressedujour.net/archives/31887.

26
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

avec des termes comme : «marasme économique, une pauvreté


ambiante, un affaiblissement de la classe politique, l’utilisation
abusive des moyens de l’Etat à des fins inavouées, l’organisa-
tion fréquente de concours frauduleux, l’instrumentalisation
du chômage des jeunes et la misère des femmes, le piétinement
des textes règlementaires, la caporalisation des institutions de
la république, et le développement galopant de la corruption
9
et de l’impunité». A plusieurs égards, cette description res-
semble étrangement à celle qui avait été faite 43 ans plus tôt
par le Gouvernement Militaire Révolutionnaire dans son Dis-
cours Programme. En effet, le 30 novembre 1972, les instiga-
teurs de la Révolution fustigeaient la performance des divers
régimes démocratiques des années 60 en des termes de « crises
politiques successives, favoritisme dans le recrutement, incom-
pétences et manque de conscience professionnelle des agents
10
publics, manque d’autorité et d’efficacité de l’appareil d’Etat ».

A en croire ces déclarations, il y a des similitudes


entre les résultats produits par le processus démocratique
en cours et ceux de l’expérience démocratique des années
60. Mais il n’y a pas que les résultats qui sont similaires.

9
Cf. communiqué du parti en date du 21 janvier 2016. http://news.icibenin.com/?idnews=818028.
10
Discours programme du 30 novembre 1972 du Gouvernement Militaire Révolutionnaire (GMR). http:
//benin-temoignages.hautetfort.com/archive/2012/07/19/discours-programme-du-30-novembre1972.html.

27
CONSENCRATIE

Certains facteurs ayant conduit à ces résultats au cours de


ces deux périodes distinctes sont tout aussi semblables. Par
exemple, le type de régime politique adopté après la Confé-
rence Nationale de 1990 n’est pas fondamentalement diffé-
rent de celui des années postindépendance. A l’instar du ré-
gime présidentiel adopté en 1960, le système politique actuel
consacre l’élection du Président de la République au suffrage
universel direct, ne lui fait aucune exigence d’appartenir à une
formation politique, lui accorde tous les pouvoirs en matières
de détermination des politiques publiques, d’allocation de res-
sources aux organes étatiques, et de choix des responsables
d’organes publics qu’il peut démettre à sa guise. Les mêmes
causes produisant les mêmes effets, la similitude de régimes po-
litiques et des résultats obtenus au cours des périodes post in-
dépendance et post 1990 suscite deux interrogations majeures:

(1) les malaises socio-économiques et politiques observés


actuellement au Bénin sont-ils la conséquence de la nature
du régime présidentiel décrit plus haut ?

(2) Ces malaises sont-ils attribuables à d’autres facteurs, et


quels sont-ils?

28
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

D’un point de vue scientifique, ainsi que le montrera


l’analyse ci-dessous, les difficultés sociales, économiques et
politiques que traverse le Bénin en ce moment proviennent
de plusieurs sources. Il s’agit principalement (1) de la concep-
tion que se font la plupart des Béninois de la notion d’auto-
rité, (2) de leur tendance accrue à s’identifier à leur origine
ethno-régionale, (3) des pressions socio-économiques décou-
lant de la pauvreté des individus et de l’Etat, (4) de certaines
pesanteurs géopolitiques découlant des intérêts d’acteurs ex-
térieurs, et enfin, (5) de la nature du régime présidentiel tel
que décrit plus haut. En effet, dans un environnement so-
cio-économique pauvre et ethniquement diversifié, soumis aux
pressions extérieures et caractérisé par une culture qui conçoit
l’autorité comme une émanation divine, un régime politique
quiaccorde l’ultime pouvoir de décision à un seul individu
constitue un handicap pour la survie des valeurs démocratiques.
Il rend l’Etat plus vulnérable en matière de sécurité tout en mul-
tipliant les risques de politisation et de caporalisation de l’ad-
ministration publique, toutes choses qui ralentissent la perfor-
mance de l’Etat et donc la prospérité économique à long terme.

S’inspirant d’une analyse fondée sur des recherches


théoriques et empiriques en sciences sociales ainsi que des réa-
lités du Bénin, la présente réflexion prône la mise en place d’un
« modèle de démocratie consensuelle ». Il s’agit d’un système
29
CONSENCRATIE

politique fondé sur trois piliers. Le premier est un parlement


où ne sont représentés que des partis politiques d’envergure na-
tionale. Ceci pourrait être obtenu à travers l’instauration d’une
élection législative à deux tours où ne compétiraient au second
tour que des partis politiques ayant réussi à obtenir des sièges
dans chacune des grandes sous-régions du pays lors du premier
tour. Le deuxième pilier du modèle consiste en la mise en place
d’un exécutif dont le chef détiendrait une majorité stable au par-
lement sur laquelle il pourrait se fonder pour gouverner. Pour y
arriver il est recommendable qu’il soit élu au suffrage univer-
sel indirect par le canal des elections legislatives. Enfin, le mo-
dèle de démocratie consensuelle consacre une autorité admi-
nistrative et morale conférée à un organe apolitique dénommé
le « Haut Conseil de la République » (HCR). Il s’agit d’un conseil
de sept membres siégeant à vie. Ceux-ci doivent être du troisième
âge et refléter la configuration ethno-régionale du pays ainsi que
les valeurs morales cardinales de la société béninoise. Les mis-
sions principales du HCR seraient d’œuvrer à la consolidation de
la paix et de la stabilité, de préserver les valeurs et les intérêts du
pays et de garantir l’indépendance de l’administration publique.

La démarche adoptée ici va au-delà des prises de po-


sition qui ont marqué la scène sociopolitique ces dernières
années et qui généralement se cristallisent autour des mo-
dalités de révision de la constitution du 11 décembre 1990.
30
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Au stade actuel des choses, il ne s’agit pas d’un débat de droit


constitutionnel. Il s’agit d’abord et avant tout d’une réflexion
visant à identifier une série d’institutions politiques pouvant
permettre à la société béninoise d’atteindre des objectifs na-
tionaux tels que la paix, la consolidation de la démocratie à
travers la protection des libertés et des droits du citoyen, la
prospérité économique, etc. Ceci nécessite donc la participa-
tion d’acteurs de divers horizons (par exemple politologues,
sociologues, économistes) dont les expertises permettraient de
comprendre les rapports dialectiques existant entre les institu-
tions envisagées et chacun des objectifs cités ci-dessus. La dé-
marche en vue de la rédaction d’une nouvelle constitution ou
des modifications de la constitution actuelle n’interviendrait
que si la mise en place des institutions convenues l’exigeait.

La présente réflexion est articulée en deux grandes par-


ties. La première est consacrée à une évaluation des impacts
des institutions sur la performance de l’Etat à l’ère du renou-
veau démocratique. Dans cette partie, il sera d’abord procédé à
un bref état des lieux de la performance publique au Bénin ces
dernières décennies. Ensuite, une analyse des causes de la mau-
vaise performance de l’Etat sera présentée. Celle-ci mettra en
relief l’impact institutionnel sur la gouvernance au regard des
contextes sociologique, économique, et géopolitique du Bé-
nin. De cette analyse seront dégagés des impératifs institution-
31
CONSENCRATIE

nels à prendre en compte dans la perspective d’une réforme.


La seconde partie sera consacrée à une description du modèle
de démocratie consensuelle proposé ici. Il s’agira ainsi de four-
nir des détails sur les institutions politiques à mettre en place
au regard des impacts sociologiques, économiques et géopoli-
tiques examinés dans la première partie et surtout en confor-
mité avec les impératifs institutionnels établis par cette analyse.

32
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Chapitre I

Evaluation du Renouveau Démocratique :


Impact des institutions sur
la performance de l’Etat

33
CONSENCRATIE

34
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Pour évaluer l’impact des institutions politiques actuelles


sur la performance de l’Etat, il est important de clarifier un
certain nombre de concepts. Par institutions, il faut entendre
ici l’ensemble des règles définissant l’organisation de l’appareil
étatique ainsi que les organes chargés de veiller à la mise en
application de ces règles. A titre d’exemple, sont considérés ici
comme institutions les partis politiques, les règles définissant
leur organisation et leur participation à la compétition politique
(élections au suffrage universel direct par exemple) ainsi que les
organes impliqués dans la mise en application de ces règles (par
exemple la Commission Electorale, la Cour Constitutionnelle).

Un autre concept important est celui de la performance


de l’Etat. Telle que conçue dans la présente analyse, la perfor-
mance de l’Etat a trait à trois aspects essentiels des activités de
l’Etat. Le premier est relatif à la consolidation de la paix. Dans
ce secteur, l’Etat peut être évalué par rapport à sa capacité à
mettre les citoyens à l’abri d’agressions extérieures mais aus-
si à minimiser les risques de crises pouvant menacer la sécu-
rité intérieure telles que les actes de terrorisme, les rebellions
armées et les crises sociales intenses. Le deuxième a trait au
renforcement du processus démocratique. Il s’agit ici notam-
ment de l’aptitude de l’Etat à assurer un bon fonctionnement
des institutions de la République, à garantir au citoyen une pro-
tection de ses libertés ainsi que sa libre participation au proces-
35
CONSENCRATIE

sus de gouvernance afin d’assurer une transparence à la gestion


des affaires publiques. Le troisième aspect est celui de la prospé-
rité économique où l’Etat peut être évalué en fonction de sa capa-
cité à fournir les biens et services publics qui permettraient aux
citoyens de vivre décemment des fruits de leurs efforts et de se
mettre eux-mêmes à l’abri des besoins fondamentaux. Cette cla-
rification conceptuelle permet à présent d’examiner brièvement
les résultats obtenus par l’Etat à l’ère du renouveau démocratique
pour ensuite analyser les facteurs ayant conduit à ces résultats.

36
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

1.1. Un état des lieux sommaire de la


performance publique

Au plan de la paix, le Bénin semble mieux loti que plu-


sieurs de ses voisins de la sous-région. Il n’a en effet pas à ce
jour fait l’objet de crises sécuritaires majeures de l’ordre des
rebellions armées, de guerres civiles ou d’attentats terroristes.
Néanmoins, l’on ne peut ici affirmer qu’il est à l’abri de ces
crises. Les récentes allégations de tentatives de coup-d ‘Etat
ainsi que le soulèvement populaire empreint de violence de
mai 2015 indiquent que la question de la paix et de la sécurité
d’Etat demeure préoccupante. Elle est davantage préoccupante
au regard de la situation sécuritaire de la sous-région notam-
ment suite aux attaques terroristes perpétrées dans trois des
quatre pays voisins du Bénin (Nigeria, Niger, Burkina Faso).

Au niveau du processus démocratique, il est


évident que le Bénin est, là aussi, en avance sur plu-
sieurs autres pays africains. Toutefois, l’état actuel de dys-
fonctionnement de ses institutions reste inquiétant.
Par exemple, aucun parti politique n’a réussi, en 25 années
d’expérience de renouveau démocratique, à conquérir le
pouvoir exécutif. En effet, les différents Présidents de la Ré-
publique qu’a connus le Bénin à l’ère du Renouveau ont ac-
cédé au pouvoir sans appartenir à une formation politique.
37
CONSENCRATIE

Toutefois, ils ont toujours réussi à mobiliser plusieurs partis


politiques, voire obtenir une majorité suffisante au parlement
après leur élection à la tête du pays. Ceci a généralement été le
fruit de marchandages politiques pas souvent transparents aux
yeux des citoyens. A cela s’ajoute la croissance exponentielle du
nombre de partis politiques en compétition pour le pouvoir au
plan national et dont la plupart sont souvent qualifiés de clubs élec-
toraux et d’outils de marchandage politique. Le processus électo-
ral, qui est aussi un socle important du dispositif démocratique,
est souvent empreint d’allégations de corruption et d’achats de
conscience qui font rarement l’objet d’investigations judiciaires.

Les institutions de contre-pouvoir, notamment le parle-


ment et les organes judiciaires et de veille constitutionnelle, sont
souvent accusées de manquer d’impartialité et d’efficacité, voire
d’être au service du Président de la République. Il en est de même
des organes publics de presse et de communication que beau-
coup d’observateurs estiment être pris en otage par le Président
de la République. Enfin, ces mêmes observateurs indiquent une
11
détérioration progressive des libertés publiques et individuelles.

11 Ces observations ont été faites par plusieurs acteurs de la vie politique et de la société civile, notamment
lors des campagnes présidentielles de 2016.

38
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Au plan socio-économique, la situation n’est pas


plus reluisante. L’objectif ici n’est pas de décrire les pro-
blèmes socio-économiques du peuple qui paraissent comme
une évidence. Ce qui doit plutôt retenir l’attention c’est l’échec
des politiques publiques destinées à assurer la prospérité éco-
nomique. A ce titre, les politiques publiques en matière d’accès
à l’eau potable, à l’électricité, à la santé et à une éducation de
qualité ont souvent montré des limites. Par exemple, les diffé-
rentes initiatives des gouvernements successifs en vue d’amé-
liorer la situation de l’énergie électrique n’ont pu produire les
résultats escomptés.12 Dans le secteur de l’accès à l’eau potable, les
efforts des gouvernements sont aussi souvent soldés par des
13
échecs. Au regard de tous ces exemples, il convient d’identifier
les raisons qui expliquent ces échecs des politiques publiques.

12
Voir cet article du quotidien béninois l’Economiste du 14 juillet 2015 : http://leconomistebenin.info/index.
php/eco-actu/item/913-fin-de-regime-au-benin-yayi-laisse-en-heritage-le-delestage/913-fin-de-regime-
au-benin-yayi-laisse-en-heritage-le-delestage.

13Se référer par exemple au scandale qui a entouré une aide du gouvernement hollandais dans le cadre de pro-
jets de fourniture d’eau potable. Cf. cet article de Radio France Internationale du 13 mai 2015: http://www.
rfi.fr/afrique/20150513-benin-demission-ministre-energie-eau-barthelemy-kassa.

39
CONSENCRATIE

1.2. Une analyse des causes de la mauvaise


performance de l’Etat

La performance de l’Etat est d’ordinaire un produit di-


rect de l’efficacité de l’administration publique à assurer les
services pour lesquels elle a été mise en place. Par adminis-
tration publique, il faut entendre l’ensemble des organes d’Etat
ayant la charge de la mise en œuvre des politiques publiques
dans divers secteurs tels que la défense, la sécurité, la diplo-
matie, la justice, les finances, l’éducation, la santé, l’énergie,
etc. L’Etat accroit sa performance au plan de la sécurité si les
organes publics tels que l’armée, la police, la gendarmerie, les
services de renseignement, les tribunaux et les cours sont ef-
ficaces dans l’accomplissement de leurs tâches respectives. La
protection des libertés et des droits des citoyens ne peut être
assurée que si les organes judiciaires ou les instances publiques
de régulation de la presse sont capables d’assumer leurs mis-
sions. Enfin l’Etat ne peut offrir aux citoyens des services en
matière socio-économique sans des agences publiques ou se-
mi-publiques efficaces. Par exemple, la fourniture d’eau ou
d’électricité ne peut être assurée que si les agences en charge
de cette fourniture sont performantes. Pour comprendre les
causes de la mauvaise performance de l’Etat dans les trois do-
maines cités plus haut, il faut donc remonter aux origines de
l’inefficacité de l’administration publique dans son ensemble.

40
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Pour qu’une administration publique soit perfor-


mante, quatre conditions doivent être remplies. Premiè-
rement, les organes administratifs doivent recevoir des
directives claires par rapport aux politiques publiques à mettre
en œuvre. La deuxième condition a trait à l’allocation de res-
sources matérielles et financières devant permettre la mise en
œuvre efficace desdites politiques d’Etat. Ensuite, l’adminis-
tration doit disposer de ressources humaines compétentes et
expérimentées. Il est particulièrement important que chaque
organe public soit placé sous la direction de cadres compé-
tents et intègres. Enfin, pour être efficace, l’administration
publique a besoin d’être contrôlée par d’autres organes ayant
à cœur la performance de l’Etat. Lorsque ces quatre condi-
tions sont réunies, l’administration publique accroit sa perfor-
mance. La préoccupation du moment est donc de déterminer
les facteurs qui permettent ou empêchent que ces conditions
soient réunies dans un contexte comme celui du Bénin.

En général, le canevas principal à travers lequel l’Etat


s’assure que ces quatre conditions de la performance sont ré-
unies est bien celui de la gouvernance publique. Celle-ci n’est
rien d’autre que le processus au cours duquel l’exécutif et le
législatif travaillent ensemble afin de définir et adopter des
politiques publiques, allouer des ressources financières et hu-
41
CONSENCRATIE

maines aux organes publics et exercer un contrôle permanent


sur l’administration publique. Dans les sociétés démocratiques,
la difficulté à garantir une gouvernance publique saine réside
dans les exigences de la compétition politique auxquelles sont
soumis les membres de l’exécutif et du législatif. En effet, il est
généralement présumé en sciences politiques qu’un politicien,
qu’il soit de bonne ou de mauvaise foi, est avant tout préoc-
cupé par la conservation ou la maximisation de ses chances
politiques. Qu’il ait pour objectif le développement de son
pays ou un enrichissement personnel, il ne peut atteindre ses
objectifs s’il n’occupe pas des postes dans l’exécutif ou dans le
législatif. Il s’en suit donc une compétition permanente au sein
des membres de l’exécutif et du parlement. Ils compétissent
non seulement entre eux-mêmes, mais aussi contre ceux qui
14
sont en dehors du pouvoir et qui convoitent leurs postes.

14
Il est loisible au lecteur de condamner une telle attitude des politiciens mais cela ne change pas cette réalité
observée à travers le monde depuis des siècles. D’ailleurs, cette prémisse a servi de base à plusieurs théories de
sciences politiques. Voir par exemple Bueno de Mesquita, Bruce, Alastair Smith, Randolph M. Siverson, and
James D. Morrow. 2003. The Logic of Political Survival. Cambridge, Massachusetts : MIT Press

42
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Dans un tel contexte de compétition permanente, les dé-


cisions soumises à l’appréciation d’un politicien sont générale-
ment et avant tout évaluées en fonction des impacts qu’elles au-
ront sur ses chances politiques. Ce phénomène s’observe aussi
bien au Bénin que dans les démocraties avancées. Aux Etats-Unis
par exemple, toute loi introduite au Congrès et touchant à la ques-
tion de la possession et de l’usage d’armes a très peu de chance
d’être adoptée même si elle semble pertinente. Il en est ainsi parce
que le soutien d’un membre du Congrès à une telle loi attirerait
contre lui les lobbies et groupes de pression tels que la National
Rifle Association (NRA), mettant ainsi en danger sa réélection.

Dans ces conditions, il est plus facile à l’exécutif de faire


adopter des politiques par le parlement si celles-ci garantissent
non seulement la survie politique des membres de l’exécutif
mais aussi celle de la majorité des membres du parlement dont
le soutien est indispensable à l’adoption de ces politiques. Si
le chef de l’exécutif détient une majorité au parlement, il aura
moins de soucis à se faire. Par contre, s’il ne détient pas une
majorité stable, il s’engagera dans un marchandage constant
avec les membres du parlement afin d’obtenir leur adhésion.
C’est donc à ce niveau qu’intervient la pertinence des insti-
tutions politiques. Pour être plus précis, le choix de certains
types d’institutions politiques au détriment d’autres doit dé-
pendre des conditions sociologiques et économiques du pays et
43
CONSENCRATIE

de leurs impacts sur le processus de la gouvernance publique,


plus particulièrement de la compétition politique. Lorsque ces
conditions sociologiques et économiques ne favorisent pas le
consensus au sein de la classe dirigeante autour d’idéaux na-
tionaux, les institutions politiques à mettre en place devraient
contraindre les acteurs au consensus et à la coopération.

Au Bénin, les institutions actuelles ne contraignent en


rien les acteurs politiques à coopérer les uns avec les autres,
ni à s’allier autour d’idéaux communs pouvant faciliter un
consensus autour de priorités de gouvernance. Par exemple,
la structure du système partisan révèle l’existence et la per-
sistance d’une multitude sans cesse croissante de partis poli-
tiques à caractère ethno-régional. En outre, le mode d’élection
du Président de la République n’exige pas de celui-ci qu’il soit
issu d’une formation politique. Ceci induit donc l’émergence
de coalitions opportunistes au sein des partis politiques vou-
lant participer à la gestion du pouvoir au lendemain de l’élec-
tion présidentielle. Dans de telles circonstances, le Président de
la République se trouve en position de s’imposer à ses cour-
tisans qu’il peut manipuler à sa guise. Il peut donc aisément
s’en suivre une tendance dictatoriale et des tentations d’abus
de pouvoir par le chef de l’exécutif. C’est dire que le système
institutionnel actuel en vigueur au Bénin a des effets né-
fastes sur la gouvernance publique et la performance de l’Etat.
44
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Mais ces effets néfastes peuvent être aggravés par d’autres


pesanteurs sociologiques, économiques voire géopolitiques.

Un examen plus approfondi des institutions politiques du


Bénin en relation avec chacune de ces pesanteurs permettrait de
comprendre pourquoi le système institutionnel actuel ne permet
pas à l’Etat de réunir les quatre conditions majeures définies plus
haut en vue d’assurer sa performance. La première pesanteur à
examiner est culturelle. De nombreuses recherches ont établi
des liens dialectiques entre la culture d’un pays et la démocra-
tie.15Par culture, il faut ici entendre un ensemble cohérent d’atti-
tudes des individus d’une société. Ainsi, Seymour Martin Lipset,
sociologue et politologue américain de renommée interna-
tionale, estime que « la démocratie requiert une culture qui
la supporte, l’acceptation par les citoyens et par l’élite poli-
tique des principes fondamentaux des libertés d’expression, de
presse, d’association, de religion, des droits des partis de l’op-
position, d’Etat de droit, des droits de l’homme, et consorts. 16»

15
Les théories sur les liens entre la culture et la démocratie se fondent généralement sur deux types de
prémisses. Pour les uns, la culture est figée alors que d’autres la considèrent comme pouvant évoluer.
L’argument développé ici se fonde sur la seconde prémisse.
16
Lipset, Seymour Martin. «The social requisites of democracy revisited: 1993 presidential address.»
American sociological review (1994): 3.

45
CONSENCRATIE

Ces dernières décennies, plusieurs études empiriques


ont confirmé l’hypothèse reliant la survie des institutions
17
démocratiques dans une société à la culture de son peuple.

Dans le contexte béninois, la conception populaire de


l’autorité est un facteur préjudiciable à la survie des institutions
démocratiques. En général, les Béninois se réfèrent à l’autori-
té comme étant un attribut divin. Par exemple, il est souvent
fait référence au Président de la République en des termes «
d’homme fort » ou d’individu oint et choisi par Dieu pour
diriger le Bénin. L’implication d’une telle attitude est une at-
tente de voir cet individu dominer son peuple. Or ceci semble
clairement en contradiction avec le principe intrinsèque de la
démocratie, un concept qui requiert la coopération entre di-
vers acteurs. En d’autres termes, cet aspect culturel peut fa-
voriser l’émergence d’une gouvernance solitaire ainsi que
18
l’abus de pouvoir de la part du Président de la République.

17
Cf. Inglehart, Ronald, and Christian Welzel. Modernization, Cultural Change, and Democracy: The Human
Development Sequence. Cambridge University Press, 2005 ; Almond, Gabriel Abraham, and Sidney Verba.
The Civic Culture: Political Attitudes and Democracy in Five Nations. Princeton University Press, 2015.
18
L’impact de cette pesanteur sociologique a été mis en exergue par d’autres auteurs. Par exemple, Luc-Martin
Hounkanrin estime que la culture de la « peur » et de « la crainte du chef » limite le citoyen béninois « dans
l’exercice et dans la jouissance de ses droits. » Cf. Luc-Martin Hounkanrin, Pour la nouvelle république,
Bénin-Afrique: Démocratie consensuelle. Star Editions (Cotonou : Benin) : 2011, 59.

46
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

En dépit de cette pesanteur sociologique facilita-


trice d’une gestion dictatoriale de la part de toute autori-
té publique, la Constitution béninoise du 11 décembre 1990
confie au Président de la République les pouvoirs de déter-
miner les politiques de l’Etat dans tous les secteurs, d’allouer
les ressources matérielles et financières aux organes publics
et enfin de nommer et de démettre les hauts responsables
publics.19 Luc-Martin Hounkanrin résume bien ce point  :
« Il ressort bien évidemment des dispositions des articles
41, 54, 56 et 129 de la constitution du 11 décembre 1990
que tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains de la
seule institution : le Président de la République. Ne s’agit-il
pas, après tout d’un homme de sang et de chair, le premier
des citoyens mais d’abord un citoyen ? »20

Accorder autant de pouvoirs à un seul individu, dans le


contexte sociologique decrit plus haut, accroit naturellement
les risques d’abus de pouvoir et de gestion dictatoriale. A cela
il faut ajouter les risques de politisation et de caporalisation de
l’administration publique. Il est évident que le chef de l’Etat
dans ces conditions, n’hésiterait pas à utiliser les ressources de
l’Etat et les postes administratifs pour asseoir son pouvoir sur
les autres acteurs qui sont en compétition avec lui. Ce faisant,
les partis politiques se trouveraient contraints de se soumettre

19
Voir par exemple les articles 41, 54, 56 et 129 de la constitution béninoise du 11 décembre 1990.
20
Hounkanrin, Luc-Marti. 2011. Pour la nouvelle république, Bénin-Afrique: Démocratie consensuelle.
Cotonou (Bénin) : Star Editions, p.58.

47
CONSENCRATIE

à sa volonté au risque d’être marginalisés surtout lorsque le


chef de l’exécutif, qui n’est pas issu d’un parti politique repré-
senté au parlement, requiert une majorité pour gouverner.

Au regard de ce qui précède et dans la perspective d’une


réforme institutionnelle, il est impératif d’envisager des règles
qui freinent les effets néfastes de ce facteur sociologique sur
le processus démocratique. Ces règles devraient par exemple :

Impératif nº 1 : contraindre le Chef de l’Exécutif à coo-


pérer avec d’autres acteurs dans le cadre de la détermi-
nation des politiques publiques, de l’allocation de res-
sources et de la nomination des hauts responsables publics ;

Impératif nº 2 : assurer au Chef de l’Exécutif une ma-


jorité stable au parlement au moment de son acces-
sion au pouvoir plutôt qu’au lendemain de celle-ci.

Un autre facteur sociologique dont l’impact mérite une


attention est relatif aux valeurs qui caractérisent la société bé-
ninoise d’aujourd’hui. Il s’agit par exemple de la volonté de dé-
pendance vis-à-vis des autres et de la jouissance matérielle sans

48
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

compensation d’efforts adéquats. Plusieurs acteurs dénoncent


de plus en plus le rôle pernicieux de l’argent dans divers sec-
teurs de la vie de la société béninoise.21 Ceci met en danger la
capacité de l’individu à s’épanouir et à produire le meilleur de
lui-même, une chose qui constitue le fondement de la pros-
périté économique de toute société. La prospérité écono-
mique collective dépend aussi en grande partie de l’attitude du
citoyen par rapport au bien commun. En l’état actuel des va-
leurs au Bénin, ce qui appartient à l’Etat ne parait pas tou-
jours être quelque chose à préserver par tous les efforts. Cette
attitude a des conséquences néfastes sur la gouvernance pu-
blique et évidemment sur la performance de l’Etat. Or le sys-
tème institutionnel actuel ne comporte pas de mécanismes vi-
sant à freiner cette tendance à court, moyen ou long termes.
Prenant en compte le fait que l’autorité suprême du pays est une
autorité politique soumise aux exigences de la compétition po-
litique décrites plus haut, il est à craindre que la décadence de
ces valeurs cardinales ne se poursuive. Pour aider à changer le
cours de cette tendance à long terme, il est donc important de:

Impératif nº 3 : envisager l’institutionnalisation d’une au-


torité morale non soumise, ni à la compétition politique, ni
aux pouvoirs exécutif et législatif.

21Cf. par exemple les déclarations du candidat Pascal Irené Koukpaki lors des campagnes présidentielles
de 2016 : https://www.youtube.com/watch?v=y_4FtdMrMgA.

49
CONSENCRATIE

La gouvernance publique et la performance de l’Etat


béninois sont aussi négativement affectées par une tendance liée
à la configuration ethno-régionale du pays. Il n’est point néces-
saire de rappeler ici que le Bénin regorge de plusieurs dizaines de
groupes ethniques. Cette diversité ethnique, doublée de la ten-
dance du Béninois moyen à s’identifier primordialement à son
appartenance ethno-régionale, affecte la gouvernance publique
et la performance de l’Etat. Au plan de la paix, de nombreuses
recherches en sciences sociales montrent que les risques d’ins-
tabilité et de conflit interne sont plus élevés dans les pays à forte
diversité ethnique.22 Il en est ainsi parce qu’une telle diversité
favorise l’émergence de divergences sociales pouvant conduire
à des conflits intertribaux ou nationaux, mais aussi parce qu’elle
pourrait faciliter la manipulation de ces divergences en vue
d’une déstabilisation de ces pays par des acteurs nationaux
ou étrangers. En d’autres termes, toutes choses étant égales, la
diversité ethnique doublée de la tendance à une
identification ethno-régionale constitue un fac-
teur de risque pour la paix et la stabilité intérieure.

22 Voir par exemple Denny, Elaine K., and Barbara F. Walter. 2014. «Ethnicity and Civil War.» Journal of Peace
Research 51 (2): 199-212; Cederman, Lars-Erik, Nils B. Weidmann, and Kristian Skrede Gleditsch. 2011.
«Horizontal Inequalities and Ethnonationalist Civil War: A Global Comparison.» American Political Science
Review 105 (03): 478-95 et Horowitz, Donald L. 1985. Ethnic Groups in Conflict. University of California
Press.

50
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Une formule trouvée par différents régimes au Bénin


pour atténuer les risques liés à la question ethno-régionale est
l’intégration d’une pratique d’équilibre régional à la répartition
de certains postes publics. Toutefois, il est à noter que cette for-
mule n’est pas institutionnalisée et reste donc un choix laissé à
l’appréciation des différents dirigeants. Par exemple, le Président
Patrice Talon semble vouloir s’écarter d’une telle pratique et n’a
donc pas inclus dans son premier gouvernement des ressortis-
sants d’une sous-région du pays. Ceci a fait l’objet de récupération
et de critiques de la part de certains acteurs politiques. Au regard
des risques liés à la question ethno-régionale dans la gestion des
affaires publiques, il serait donc bénéfique pour le Bénin de :

Impératif nº 4 : intégrer formellement la question ethno-ré-


gionale dans ses institutions politiques et administratives.

La diversité ethnique a aussi un impact néfaste sur la


structure du système partisan. Dans son ouvrage Les Partis
Politiques, le Politologue français Maurice Duverger attribue la
structure du système partisan d’un pays à la combinaison de
23
deux facteurs : la structure de la société et le système électoral.

23 Maurice Duverger, Les partis politiques (Armand Colin, 1951). Voir aussi Ordeshook, Peter C., and Olga
V. Shvetsova. «Ethnic Heterogeneity, District magnitude, and the Number of Parties.» American Journal of
Political Science (1994): 100-123.

51
CONSENCRATIE

Il explique que la diversité socio-ethnique favorise la multipli-


cation de petits partis politiques dans un régime démocratique.
En général, elle promeut une tendance des hommes et femmes
politiques à créer ou maintenir des formations politiques à conno-
tation ethno-régionale. Ainsi, plus le nombre de groupes eth-
niques est élevé, plus le nombre de partis politiques va s’accroître.

Le deuxième facteur qui détermine la structure du


système partisan est le mode de scrutin. Selon les
prédictions de Duverger, l’institution d’un mode de scrutin
proportionnel conduit à la multiplication des partis
politiques tandis que le bipartisme est généralement
le produit d’un mode de scrutin majoritaire à un tour.

Un examen du contexte béninois actuel révèle la com-


binaison d’un environnement à forte diversité ethnique
avec un mode de scrutin proportionnel pour l’élection des
membres du parlement. Cette combinaison favorise la mul-
tiplication de partis politiques à caractère ethno-régional et
pas toujours destinés à « promouvoir et défendre des pro-
jets de société » contrairement aux exigences de la loi.24 En
effet, conformément aux articles 351 et 352 de la Loi 2013-
06 du 25 novembre 2013 portant Code Electoral au Bénin,

24
Cf. article 2 de la Loi 2001-21 du 21 février 2003 portant Charte des Partis Politiques.

52
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

« Les partis politiques ou groupes de partis politiques qui désirent


prendre part aux élections législatives, sont tenus de présenter des
listes de candidats dans toutes les circonscriptions électorales »
et « l’attribution des sièges aux différentes listes en pré-
sence s’effectue selon le système du quotient électoral. »

Au regard de ces institutions électo-


rales, un parti politique basé essentiellement
dans une seule circonscription électorale peut
survivre politiquement en s’alliant à un ou d’autres partis de fa-
çon opportuniste pour présenter des candidats à chaque cycle
électoral et ainsi prendre part au marchandage politique décrit
plus haut . Ceci est d’autant plus facile que la seule condition
pour perdre le statut de parti politique est de manquer de pré-
25
senter des candidats à deux élections législatives consécutives.

25 Cf. article 7 de la Loi 2001-21.

53
CONSENCRATIE

En clair, dans le contexte ethno-régional du Bénin,


les règles électorales et statutaires actuelles ne per-
mettent pas d’avoir un parlement stable constitué de
partis politiques d’envergure nationale pouvant pro-
mouvoir des projets de société de façon durable.

Impératif nº 5 : adopter des règles électorales pou-


vant contraindre les acteurs politiques en compétition
pour le pouvoir national à volontairement constituer
des partis à caractère national fondés autour d’idéaux.

Une autre pesanteur importante pour la gouvernance


publique est le sous-développement socio-économique
du Bénin. Par sous-développement socio-économique il faut en-
tendre l’accumulation de plusieurs indices de pauvreté tels que
des taux élevés d’analphabétisme, le faible pouvoir d’achat du
citoyen moyen, et le manque crucial d’infrastructures diverses
notamment dans les secteurs de la santé, des transports, de
l’éducation, des télécommunications, de l’électricité, de l’eau, etc.

54
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Les nombreuses exigences liées à ces besoins socio-éco-


nomiques constituent un poids sur le processus de la gouver-
nance publique devant conduire à une bonne performance de
l’Etat. Au plan de la sécurité par exemple, il est plus qu’une loi
empirique que les pays en voie de développement sont par-
ticulièrement en proie à l’instabilité.26 D’une part, le fort taux
de jeunes sans emploi et sans éducation favorise le recrute-
ment d’individus physiquement aptes à prendre part à d’éven-
tuelles insurrections.27 D’autre part, les ressources financières
des pays pauvres ne leur permettent pas souvent de constituer
des forces de défense et de sécurité et une administration ju-
diciaire bien entraînées et bien équipées.28 Dans un tel contexte
et dans la perspective d’une réforme, il est donc nécessaire de :

Impératif nº 6 : prévoir un mécanisme institutionnel qui


fasse de l’allocation de ressources aux organes en charge
de la sécurité et de la justice une fonction prioritaire.

26
Pour une revue des résultats empiriques sur ce sujet, voir par exemple Hegre, Håvard, and Nicholas Sam-
banis. «Sensitivity analysis of empirical results on civil war onset.» Journal of conflict resolution 50, no.
4 (2006): 508-535 et Dixon, Jeffrey. «What causes civil wars? Integrating quantitative research findings.»
International Studies Review 11, no. 4 (2009): 707-735.
27
Cf. Collier, Paul, and Anke Hoeffler. 2004. «Greed and Grievance in Civil War.» Oxford economic papers
56 (4): 563-95 et Justino, Patricia. 2009. «Poverty and Violent Conflict: A Micro-Level Perspective on the
Causes and Duration of Warfare.» Journal of Peace Research 46 (3): 315-33.
28
Cf. Fearon, James D., and David D. Laitin. 2003. «Ethnicity, Insurgency, and Civil War.» American Political
Science Review 97 (01): 75-90.

55
CONSENCRATIE

Au plan démocratique, les études statistiques montrent


aussi qu’un processus démocratique a très peu de chance de sur-
vivre dans un environnement où sévit la pauvreté.29 On observe
donc que les pays pauvres finissent souvent par retomber dans
la dictature après une brève expérience démocratique. Les cher-
cheurs lient cette tendance au niveau d’éducation de la masse,
au manque d’une classe moyenne suffisante et capable de faire
la veille citoyenne pour contraindre les dirigeants à respecter
les normes démocratiques. Il est aussi rapporté que les citoyens
des pays pauvres accordent moins d’importance aux libertés pu-
30
bliques et individuelles que ne le font ceux des pays développés.
Il en est ainsi parce que la plupart des citoyens des pays
pauvres sont préoccupés par leur survie économique et
ne peuvent donc accorder leur temps et leurs ressources
à faire la veille citoyenne. Il s’en suit donc une nécessité de :

Impératif nº 7: institutionnaliser la veille citoyenne à travers, par


exemple, la mise en place d’un organe public possédant les attributs
d’une classe moyenne, c’est-à-dire un organe dont les membres sont à
l’abri du besoin économique, sont suffisamment bien éduqués et ont
un intérêt dans la conduite de la veille citoyenne.

29
Voir par exemple Przeworski, Adam, Michael E. Alvarez, José Antonio Cheibub, and Fernando Limongi.
«Democracy and Development: Political Institutions and Well’Being in the World, 1950-1990.» (2001): 236-
236; Epstein, David L., Robert Bates, Jack Goldstone, Ida Kristensen, and Sharyn O’Halloran. «Democratic
transitions.» American journal of political science 50, no. 3 (2006): 551-569.

30Inglehart, Ronald, and Christian Welzel. Modernization, cultural change, and democracy: The human deve-
lopment sequence. Cambridge University Press, 2005 et Inglehart, Ronald, and Christian Welzel. «Changing
mass priorities: The link between modernization and democracy.» Perspectives on Politics 8, no. 02 (2010):
551-567.

56
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Le sous-développement socio-économique consti-


tue aussi un poids pour les politiques publiques en vue de
la prospérité économique. Dans un environnement pauvre,
tout devient important et urgent : infrastructures de diverses
sortes, la fourniture de biens et services aux plans de la télé-
communication, de l’électricité, de l’eau, de la santé, de l’édu-
cation, etc. Dans ce contexte, il est difficile de dégager des
priorités qui fassent l’unanimité. Face à une telle difficulté, les
dirigeants politiques font souvent l’option d’un saupoudrage
des ressources de l’Etat pour couvrir chacun des aspects de
la vie socio-économique afin de contenter leurs électeurs. Or
un tel saupoudrage des ressources réduit la capacité du pays
à prospérer dans l’un quelconque de ces domaines. Pour frei-
ner cet impact néfaste du contexte économique sur la gou-
vernance publique, une éventuelle réforme devrait viser à :

Impératif nº 8 : adopter des institutions politiques pou-


vant aider les dirigeants politiques à obtenir un consensus
sur les priorités en matière de politiques socio-économiques.

Une dernière pesanteur mérite d’être prise en compte


dans le choix des institutions politiques en raison de son im-
pact sur la gouvernance publique et sur la performance de
l’Etat. Il s’agit de la pesanteur géopolitique liée aux intérêts
d’acteurs extérieurs, qu’ils soient étatiques (les grandes puis-

57
CONSENCRATIE

sances notamment) ou non-étatiques (compagnies multina-


tionales ou groupes terroristes par exemple). En matière de
paix et de sécurité, ces acteurs extérieurs n’hésitent généra-
lement pas à s’engager dans des actes de déstabilisation d’un
Etat lorsque la protection de leurs intérêts vitaux l’exige. Cette
déstabilisation peut prendre la forme d’un coup-d ‘Etat, de
l’incitation et du soutien à une insurrection armée, voire d’at-
tentats terroristes. En outre, des engagements internationaux
auprès d’institutions telles que la Banque Mondiale et le FMI
peuvent aussi négativement impacter la capacité des pays
pauvres à investir des ressources suffisantes dans les forces de
défense et de sécurité. Il en est ainsi aussi des politiques pu-
bliques en vue de la prospérité économique qui peuvent être
prises en otage par les engagements internationaux pris par
le Bénin, notamment dans le domaine de la dette extérieure.

Dans cette même perspective, les puissances


étrangères peuvent aussi influencer le choix des systèmes
politiques dans les pays pauvres où leurs intérêts sont repré-
sentés. A titre d’exemple, le choix de plusieurs pays africains
d’adopter des régimes présidentiels forts au moment de leur
accession à l’indépendance dans les années 60 semble avoir été
opéré dans un contexte géopolitique défini par les puissances

58
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

occidentales. En effet, le 14 janvier 1960, alors qu’il anticipait


l’indépendance d’une trentaine de pays africains dans les deux
années à suivre, le gouvernement américain a consacré une
partie de la réunion hebdomadaire de son ‘National Security
Council’ à un réaménagement de sa politique étrangère vis-à-
vis de l’Afrique noire. Dans le contexte de la guerre froide, le
Président américain et ses conseillers étaient préoccupés par
la montée de la puissance soviétique. Une instabilité dans les
nouveaux pays africains constituerait une opportunité pour
les soviétiques d’étendre leur influence vers un continent dont
les ressources et la position géographique étaient d’une im-
portance absolument stratégique pour le Bloc Occidental.

La délibération de cette séance du 14 janvier 1960,


conduite par le Président Dwight Eisenhower en personne, a
établi que les africains n’étaient pas assez mûrs pour une in-
dépendance, encore moins pour la démocratie. Le Conseil
a alors retenu la nécessité de reposer la stratégie américaine
pour contenir la menace soviétique en Afrique sur plusieurs
piliers dont deux méritent attention. Le premier consis-
tait à encourager les puissances coloniales européennes à
maintenir leur influence dans leurs colonies respectives au

59
CONSENCRATIE

lendemain de la décolonisation. C’est donc dans cette logique


que la France a initié et fait signer plusieurs accords de dé-
fense avec ses anciennes colonies en Afrique.31 Un deuxième
pilier était d’aider à l’établissement de dictatures militaires fortes
en Afrique subsaharienne. Soutenir des dictatures ou des ré-
gimes forts sympathiques aux intérêts occidentaux permettrait
non seulement d’assurer une stabilité dans ces nouveaux pays
africains mais aussi servirait à protéger les intérêts occiden-
taux face à la montée de la puissance soviétique. Aux dires du
Vice-Président Richard Nixon, « Nous devons reconnaitre,
même si nous ne pouvons le dire publiquement, que nous
32
avons besoin d’avoir les hommes forts africains de notre côté.»

Au regard de ces pesanteurs géopolitiques, il est impor-


tant de choisir des institutions politiques qui mettent l’Etat
béninois à l’abri de la manipulation et de la déstabilisation
par des acteurs extérieurs et qui privilégient la protection des
intérêts nationaux tout en n’occultant pas la réalité géopoli-
tique décrite plus haut. Il se fait que le système institutionnel
actuel ne garantit pas suffisamment ces conditions critiques.
Le régime fort actuellement en vigueur et qui accorde pleins
31
Pour des exemplaires de ces accords, voir le site internet de la Collection des Traités des Nations Unies :
https://treaties.un.org/pages/UNTSOnline.aspx?id=3.

32 Les détails relatifs à cette politique américaine figurent dans les archives de la Maison Blanche, autrefois clas-
sées secrètes et désormais rendues publiques. Elles peuvent être consultées à la Bibliothèque Présidentielle
Dwight D. Eisenhower à Abilene (Kansas, USA). Cf. Discussion at the 432nd meeting of NSC, January 14,
1960, Dwight D. Eisenhower Library; Eisenhower, Dwight D.: Papers as President, 1953-61, Anne Whitman
Files, NSC Series, Box 12.

60
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

pouvoirs au Président de la République rend vulnérable le


pouvoir d’Etat. En effet, le système actuel fait du Président de
la République le centre de gravité de l’appareil d’Etat. Il suffi-
rait donc pour les acteurs extérieurs de le contrôler pour tout
aussi contrôler la destinée du Bénin, négligeant ainsi ses in-
térêts nationaux. Par ailleurs, le mode de scrutin qui requiert
l’élection du Président de la République au suffrage universel
direct rend aussi l’appareil d’Etat vulnérable aux yeux d’ac-
teurs étrangers. Les exigences financières liées à ce mode de
scrutin pourraient conduire les candidats à prendre des enga-
gements auprès d’acteurs étrangers pour obtenir leur soutien.
Une fois élus, ils peuvent donc être facilement manipulés par
ceux-ci. Il est donc nécessaire, dans le cadre d’une réforme, de :

Impératif nº 9: envisager un mode de scrutin présidentiel


qui réduise les risques de dépendance du Président élu vis-à-
vis de sources de financements et de soutiens extérieurs.

Pour accroitre la performance de l’Etat, le choix des ins-


titutions politico-administratives doit s’inspirer du contexte so-
ciologique, économique et géopolitique du Bénin examiné ici.
Mais ce choix doit aussi et surtout prendre en compte les neuf
(9) impératifs institutionnels identifiés au regard de l’analyse
contextuelle. Une sélection d’institutions qui ignorerait cette
analyse et les impératifs qui en découlent aurait peu de chance
d’accroitre la performance de l’Etat dans les domaines précités.
61
CONSENCRATIE

62
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Chapitre ii

Les grands piliers du modèle de


démocratie consensuelle

63
CONSENCRATIE

64
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Le modèle proposé ici est consacré seulement aux insti-


tutions politiques au niveau du pouvoir national. A ce titre, il
ne sera donc pas fait mention de l’organisation du pouvoir po-
litique au plan local. Mais il n’empêche qu’une réforme du pou-
voir local s’inspire de la logique qui sous-tend l’architecture du
présent modèle. Dans le même ordre d’idée, aucune réflexion
ne figure ici en ce qui concerne les institutions non-politiques
(judiciaires, économiques, etc.). Une telle analyse est plus ap-
propriée dans le cadre de réflexions menées par des spécialistes
de ces domaines. Cela dit, trois institutions constitueront le
centre d’intérêt de la présente réflexion : le pouvoir législatif,
le pouvoir exécutif ainsi que le pouvoir moral et administratif.

65
CONSENCRATIE

2.1.Un parlement constitué de partis politiques


d’envergure nationale

Le premier pilier du modèle de démocratie consen-


suelle consiste à instituer un parlement stable dans sa confi-
guration. Le présent modèle vise l’émergence et l’essor de
partis politiques d’envergure nationale dans la course à la
gestion du pouvoir d’Etat sur la base d’idéaux et de projets
de société qui transcendent les aspirations ethno-régionales.

Ceci peut être obtenu à travers l’institution d’une élection


législative à deux tours. Au premier tour, tous les partis poli-
tiques, et non les coalitions de partis, enregistrés compétissent.
Les sièges sont attribués sur une base proportionnelle. Il est
donc fort probable que plusieurs partis réussissent à faire
élire des candidats au premier tour. Mais, la compétition du
deuxième tour n’est ouverte qu’aux partis ayant obtenu au
moins un siège dans chacune des grandes entités ethno-géo-
graphiques du pays. Ces derniers conservent leurs acquis du
premier tour et vont au second tour pour briguer les sièges
non attribués. L’attribution de sièges au second tour se fe-
rait sur la base du mode de scrutin majoritaire, c’est-à-dire
que le parti ayant recueilli la majorité des voix dans une cir-
conscription électorale au second tour obtiendrait tous
les sièges devant être attribués dans cette circonscription.
66
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

L’adoption de ces règles électorales aurait plusieurs im-


plications positives pour la structure du système partisan et la
vie politique au Bénin. Par exemple, la combinaison des modes
de scrutin proportionnel et majoritaire garantirait une majorité
parlementaire stable. Le scrutin proportionnel du premier tour
permettrait à plusieurs partis de se faire représenter au parlement
tandis que le mode majoritaire du second tour augmenterait les
chances d’obtenir un parti majoritaire au parlement. Cette logique
découle de la Théorie de Duverger telle que décrite plus haut.

Les dispositions électorales proposées ici contribueraient


aussi à réduire sensiblement le nombre de partis politiques
représentés au parlement. Ce nombre varierait entre deux
(2), au mieux des cas, et onze (11), au pire, donnant ainsi une
moyenne de six partis représentés au parlement. Apres plusieurs
cycles électoraux, les membres des partis ne réussissant pas à se
faire élire finiraient par chercher à intégrer les formations re-
présentées au parlement. Autrement, ils perdraient leur capital
politique. Aussi, étant donné que de nouveaux partis auraient
moins de chance de succès au plan national, on assisterait de
moins en moins à la création de partis politiques opportu-
nistes. A cela il faut ajouter la forte probabilité que les électeurs
finissent par comprendre que leur vote n’a vraiment d’impor-
tance que lorsqu’il est attribué à un parti qui peut obtenir des
sièges au plan national. Tout cela limiterait donc le nombre de
67
CONSENCRATIE

partis et consacrerait le renforcement de grandes formations


politiques actives au niveau national. Les formations de moindre
envergure pourraient toutefois continuer d’exister et opérer au
niveau local et décentralisé. Ceci aurait aussi l’avantage d’ac-
corder un peu plus d’attention à la compétition politique au
niveau local contrairement à la situation actuelle où toutes
les énergies semblent se focaliser autour du pouvoir central.

Ces dispositions contribueraient aussi à instaurer la


coopération et la recherche du consensus au sein des for-
mations politiques. En effet, conscient qu’il n’irait pas au
deuxième tour d’une élection législative, donc qu’il ne réus-
sirait pas à se faire élire tout seul au parlement sans l’élec-
tion de ses camarades de parti des autres régions du pays,
chaque leader de parti rechercherait à coup sûr le consen-
sus dans ses prises de décision au sein et au profit de sa for-
mation politique. Cela réduirait la tendance dictatoriale
qui caractérise et paralyse parfois les formations politiques.

La mise en œuvre d’une telle règle électorale réduirait


aussi les risques de manipulation ethnique en période électo-
rale ou de crise dans la mesure où chacun des partis en lice au
niveau national regroupe nécessairement des cadres et des élus
de diverses régions du pays. A long terme, les électeurs s’iden-
tifieraient moins à l’appartenance ethnique des chefs de partis.
68
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

En outre, face à l’improbabilité de se faire élire au parlement sur


des bases ethnocentristes, les membres des partis politiques fini-
raient par identifier des idéaux et des projets afin de rallier leurs
supporters et de se distinguer des partis rivaux. Ceci produirait
à long terme l’émergence et l’essor de partis politiques fondés sur
des idéaux et des projets de société dont ils feraient la promotion.

La combinaison de ces diverses implica-


tions découlant des règles électorales ainsi propo-
sées permettrait la mise en application de quatre des
neuf impératifs institutionnels identifiés plus haut.
Premièrement, la question ethno-régionale serait donc ainsi
formellement intégrée au fonctionnement des partis politiques
(impératif nº 4). Si les leaders de partis ne peuvent plus mani-
puler cette question ethno-régionale à des fins politiques, l’uni-
té nationale s’en trouvera renforcée à long terme. Ensuite, ces
règles contraignent les leaders politiques à se regrouper au sein
de partis politiques d’envergure nationale sur la base d’idéaux
(impératif nº 5). Elles aident aussi à répondre à deux autres
obligations institutionnelles : celle d’adopter des institutions
politiques pouvant aider les dirigeants à obtenir un consensus
sur les priorités en matière de politiques publiques (impératif
nº 8) et celle d’assurer au chef de l’exécutif une majorité stable au
parlement au moment de son accession au pouvoir (impératif
nº 8). En effet, en garantissant une majorité parlementaire pro-
69
CONSENCRATIE

bablement détenue par un seul parti plutôt qu’une coalition de


partis, la mise en œuvre de ces mesures institutionnelles don-
nerait à un Président de la République issu d’une telle majorité
parlementaire les moyens de déterminer et de conduire sa po-
litique sans grands marchandages. Ainsi, l’on se serait servi des
institutions pour freiner certains effets néfastes des pesanteurs
sociologiques et économiques sur la gouvernance publique.

70
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

2.2. Un pouvoir exécutif coopératif


et moins vulnérable

Le deuxième pilier du modèle de démocratie consen-


suelle se base sur l’institution d’un organe exécutif responsable
et capable de se préoccuper des intérêts nationaux. Pour ce
faire, il serait indiqué que le chef de l’exécutif détienne une ma-
jorité parlementaire au moment de son accession au pouvoir
plutôt qu’au lendemain de celle-ci. En effet, dans le contexte
parlementaire décrit dans la section précédente, il est probable
qu’il existe au parlement une majorité détenue par un seul parti
politique dont les leaders sont contraints à une coopération qui
transcende les frontières ethno-régionales. Le chef de l’exécutif
peut donc aisément provenir d’une telle majorité parlementaire.

Cela peut se faire à travers l’usage du suffrage


universel indirect pour l’élection du chef de l’exécutif. A cet
effet, au moment des élections législatives, chaque parti poli-
tique présenterait un candidat remplissant les critères actuels
requis pour les présidentiables. En votant pour un parti lors
des élections législatives, les électeurs voteraient indirecte-
ment pour le candidat de ce parti au poste de chef de l’exécutif.

L’adoption d’un tel mécanisme permettrait de réduire les


effets néfastes de certains facteurs économiques et socio-poli-
71
CONSENCRATIE

tiques sur la gouvernance publique. Par exemple, elle aiderait à


limiter l’ampleur du marchandage politique qui s’observe dans
le cadre des élections présidentielles et surtout au lendemain
de celles-ci. Plutôt que d’avoir une élection où compétissent
des individus en vue de la gestion du pouvoir exécutif, une
telle mesure mettrait plutôt l’accent sur la compétition entre
divers groupes d’individus, notamment des partis politiques
qui, il faut le rappeler, seraient d’envergure nationale et ne se-
raient plus fondés autour de l’appartenance ethno-régionale.

Cette mesure assurerait aussi au chef de l’exécutif une ma-


jorité stable au parlement au moment de son accession au pou-
voir plutôt qu’au lendemain de celle-ci (impératif institutionnel
nº 2). Etant donné que la survie politique du chef de l’exécutif
dépendrait de celle des membres de sa majorité parlementaire,
l’on peut donc espérer une pression interne au sein de son par-
ti afin de garantir la survie politique du groupe. Ceci ne peut
avoir lieu sans que le chef de l’exécutif ne prenne en compte les
intérêts de plusieurs sous-régions du pays dont proviennent les
membres de sa majorité parlementaire, assurant ainsi la prise en
compte d’intérêts plus importants que ceux d’un seul individu.

Un tel dispositif aiderait à se conformer avec la nécessité


d’adopter des institutions pouvant aider les dirigeants politiques
à obtenir un consensus sur les priorités en matière de politiques
72
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

publiques (impératif institutionnel nº 8). En effet, en confiant


la gestion des pouvoirs législatif et exécutif à un parti politique
qui ne peut plus se fonder sur l’appartenance ethno-régionale
de ses membres pour se maintenir au pouvoir, l’on contraint
donc ce parti à identifier des idéaux qui le distingueraient de
ses rivaux. Ce faisant, il s’installerait à long terme un consen-
sus au sein de chaque parti sur les grandes priorités de gouver-
nance. Ceci limiterait le besoin de saupoudrer les ressources
de l’Etat en vue de couvrir tous les secteurs de la vie nationale.

Enfin, l’institution d’un pouvoir exécutif dont le chef


proviendrait de la majorité parlementaire aurait aussi l’avantage
de réduire les risques de dépendance du Président élu vis-à-vis
des sources de financement et des soutiens extérieurs ou privés
(impératif institutionnel nº 9). En effet, pour être élu Président
de la République, les candidats ne seraient plus soumis à un be-
soin de financement et de soutiens exorbitants, tout au moins
pas de la portée des exigences actuelles. Il suffirait à un parti
d’obtenir la majorité au parlement pour se garantir, seul ou avec
un autre parti, la gestion du pouvoir politique. Ce faisant, le
chef de l’exécutif serait moins vulnérable aux yeux d’acteurs ex-
térieurs ou privés, et en ce sens, son élection ainsi que le succès
de sa gouvernance dépendraient moins d’eux que de la perfor-
mance collective de son parti, tant au parlement qu’à l’exécutif.

73
CONSENCRATIE

2.3. Une autorité morale et administrative :


le Haut Conseil de la République

Le modèle de démocratie consensuelle décrit ici est avant


tout un système de gouvernance publique. En général, un sys-
tème est conçu comme une série d’organes connectés les uns aux
autres et qui forment un ensemble complexe. Pour les spécia-
listes de la stratégie militaire, tout système, aussi complexe qu’il
soit, a un seul organe qui constitue son « centre de gravité » et
qui maintient le système en bloc et en équilibre. Sans ce centre de
gravité, le système s’effondrerait aisément. En concevant un mo-
dèle de gouvernance publique, il est donc important d’identifier
l’organe qui en constitue le centre de gravité. Ceci a l’avantage de
permettre la mise en place de mesures solides pour renforcer cet
organe, réduisant ainsi les risques d’effondrement du système.

Dans le système de démocratie consensuelle, l’organe


constituant le centre de gravité est un conseil restreint dénom-
mé le « Haut Conseil de la République » (HCR). Sa concep-
tion s’inspire d’un organe portant la même dénomination et
qui avait contribué à assurer une transition apaisée au len-
demain de la Conférence Nationale de 1990 au Bénin. Pour
rappel, le HCR de 1990 avait reçu mandat, entre autres, de
contrôler le suivi des décisions de la Conférence Nationale,
d’exercer la fonction législative notamment en matière bud-
74
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

gétaire, de contrôler l’exécutif, d’assurer l’accès équitable


des partis politiques aux médias du service public, de veil-
ler au respect de la déontologie en matière d’information et
33
d’assurer la défense et la promotion des droits de l’homme.

Dans le présent modèle, le HCR est conçu pour être la


plus haute autorité morale et administrative du pays. Sa mis-
sion principale est (1) de veiller à la paix et à la stabilité du pays
en préservant l’unité nationale, (2) d’assurer la performance et
l’indépendance de l’administration publique, et (3) de veiller
à la préservation des valeurs cardinales propres au peuple bé-
ninois dans son ensemble. A ce titre, il se doit d’être au-dessus
des considérations politiques et doit incarner l’unité nationale.
Ses membres, de par leurs attitudes quotidiennes, doivent ins-
pirer confiance et exemplarité auprès populations béninoises
pour la nécessaire restauration des valeurs d’intégrité, de pro-
bité et de patriotisme à tous les niveaux de la vie nationale.
Ils doivent aussi se faire les ardents défenseurs de l’intérêt
national dont ils définissent, en cas de polémique, la nature
et le contenu. A ce titre ils doivent se préoccuper des intérêts
non seulement à court et moyen termes mais aussi et surtout à
long terme. Ceci parait capital dans un environnement pauvre

33
Cf. Albert Tévoèdjrè, Rapport Général de la Conférence Nationale des Forces Vives, Cotonou (Bénin),
Février 1990 ; http://www.lapressedujour.net/archives/31887.

75
CONSENCRATIE

où la satisfaction des besoins socio-économiques immédiats


peut aisément entraver les planifications pour le long terme.

Le présent modèle propose que le HCR soit compo-


sé de sept (07) membres dont chacun est originaire et repré-
sentatif de l’une des sept (7) entités géographiques telles que
définies ci-après : Nord-Ouest (Atacora-Donga), Nord-Est
(Borgou-Alibori), Haut-Centre (Collines), Bas-Centre (Zou),
Sud-Ouest (Mono-Couffo), Sud-Centre (Atlantique-Littoral)
et Sud-Est (Ouémé-Plateau). Ainsi défini, le Conseil serait
donc composé de : deux membres de la région septentrionale,
deux du centre et trois du sud du pays. Pour être valide, toute
décision du HCR doit être prise à la majorité des membres
le composant, incluant au moins un vote de chacune de ces
trois régions que sont le nord, le centre et le sud. Par exemple,
une décision qui n’inclut que les trois membres du sud et les
deux du centre ne serait pas valide bien que découlant de la
volonté de la majorité. Dans un environnement où la ques-
tion d’identité ethno-régionale est constamment présente dans
les prises de décision au sommet de l’Etat, ces critères sur la
configuration ethno-régionale renforceraient la légitimité du
Conseil, augmentant ainsi les chances de ralliement autour de
ses décisions. Ils auraient aussi pour objectif de contraindre
chaque membre du Conseil à rechercher la coopération
avec les membres provenant d’autres régions que la sienne.
76
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Il est aussi proposé que les membres du HCR soient du


troisième âge, qu’ils possèdent une expérience professionnelle
avérée au plan national, voire international et qu’ils siègent au
Conseil à vie. L’âge minimum devrait être déterminé en fonc-
tion de l’espérance de vie du pays, de sorte que les membres ne
siègent pas plus de vingt ou vingt-cinq ans en moyenne. Au
regard de l’espérance de vie actuelle (59 ans suivant les données
de la Banque Mondiale), l’âge minimum requis pour siéger au
HCR pourrait être fixé à 60 ou 65 ans. Le critère de l’expérience
professionnelle est important étant donné que le Conseil est
conçu pour être la plus haute autorité administrative. A ce titre,
les membres du Conseil devraient avoir démontré, de par leurs
carrières passées, leur capacité à connaitre le fonctionnement
de l’administration publique nationale ou internationale. Les
Hauts Conseillers devraient aussi pouvoir justifier d’un statut
de personnalités apolitiques, c’est-à-dire qu’ils ne doivent pas
avoir été actifs, ni partisans au plan politique dans les 25 ou 30
années précédant leur entrée au Conseil. Ensemble, ces diffé-
rents critères ont pour but de contribuer à renforcer la légitimité
du HCR afin de lui permettre d’accomplir ses missions, notam-
ment dans le cadre du règlement des conflits socio-politiques.

En outre, le mandat à vie des Hauts Conseillers vise à


accroitre leur performance. En effet, en siégeant à vie, c’est-
à-dire aussi longtemps que ses capacités physiques et men-
77
CONSENCRATIE

tales le permettraient, le Haut Conseiller serait plus à l’abri de


pressions extérieures dans la mesure où il n’aurait pas besoin
de recourir à des électeurs ou autres acteurs pour conserver
son poste. Il se sentirait donc indépendant et prendrait des
décisions en accord avec ses convictions personnelles. Par
ailleurs, n’ayant pas à se soumettre à une compétition po-
litique pour conserver son poste, il serait moins tenté de re-
chercher une accumulation de ressources indispensables
à une telle compétition. Cette disposition sur le mandat à
vie s’inspire du modèle judiciaire américain, notamment
le « Supreme Court » dont les membres
siègent à vie depuis sa création en 1789.

Lorsqu’un membre du Conseil est appelé à être rem-


placé, les mesures suivantes devraient être prises. La sélec-
tion du nouveau Haut Conseiller se ferait par le collectif des
maires de l’entité géographique dont ressort le précédent Haut
Conseiller au cours d’une session close, fermée au public. Par
exemple, si le Haut Conseiller dont le poste est vacant est de
la sous-région Sud-ouest (Mono-Couffo), seuls les maires de
cette sous-région prendraient part à la session close en vue de
son remplacement. Les candidats soumis à la sélection doivent
eux aussi être issus de cette même entité géographique. Tou-
tefois, il est recommandé qu’une alternance soit effectuée,
dans la mesure du possible, entre les différentes composantes
78
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

ethniques de la sous-région. Par exemple, dans l’exemple


précédent, un Haut Conseiller du Mono devrait être
remplacé par un ressortissant du Couffo et vice versa.

Dans tous les cas, les candidats à un poste de Haut


Conseiller devenu vacant devraient avoir été approuvés par
les autres membres du Conseil. Par exemple, chaque Haut
Conseiller pourrait proposer, au début de la session close
des maires, une liste de trois candidats préalablement sou-
mis à une enquête de moralité et remplissant les condi-
tions définies plus haut. Afin de minimiser les risques d’in-
fluence extérieure sur le processus de sélection, la session
close du collectif des maires ne devra prendre fin que lorsque
34
ceux-ci auront réussi à désigner le nouveau Haut Conseiller.

La vacance peut intervenir, non pas seulement en cas


d’incapacité physique (décès ou maladie) d’un Haut Conseil-
ler, mais aussi en cas de destitution. En effet, le peuple de-
vrait se réserver le droit de faire destituer un Haut Conseiller
pour toutes conduites contraires aux valeurs et aux engage-
ments qui s’imposent au HCR. Ainsi une pétition populaire,

34
Ce mode de sélection des membres du HCR s’inspire du processus de désignation du Pape, l’autorité morale
suprême de la communauté catholique mondiale. En effet, le Pape n’est choisi ni par voie de suffrage univer-
sel incluant tous les fidèles du monde, ni par les responsables du Vatican. Il est plutôt choisi par un collège
de cardinaux du monde, qui sont censés être proches des fidèles. Ceci concourt indéniablement à renforcer
la légitimité de l’autorité papale.

79
CONSENCRATIE

dont la forme peut être convenue par consensus, pourrait


susciter une procédure de destitution. Dans un tel cas, seuls
prennent part à cette procédure les maires des sous-régions
autres que celle dont provient le Haut Conseiller à destituer.
Ils se réunissent en session close où ils statuent et dé-
cident d’une éventuelle destitution par un vote
à la majorité des trois quart par exemple. Une
fois la destitution prononcée, le remplacement du Haut
Conseiller intervient dans les conditions définies plus haut.

Ces conditions de sélection et de destitution des membres


du HCR ont pour fin de garantir leur performance au service
de l’intérêt national. Dans le présent modèle, les conditions de
désignation indiquées plus haut minimisent, même si elles ne
les éliminent pas complètement, les risques d’influence sur les
membres du HCR par des personnes extérieures au Conseil. Il
en est ainsi parce que ces membres, même étant désignés par
le collectif des maires de leur localité, ne nécessiteraient plus
leur soutien pour conserver leurs postes de Haut Conseiller.
La seule condition pour qu’un Haut Conseiller perde son poste
ainsi que les avantages y afférents serait une pétition popu-
laire suivie d’un vote des maires des sous-régions autres que la

80
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

sienne. Ainsi qu’il a été indiqué plus haut, les comportements


d’un homme ou d’une femme d’Etat sont généralement in-
fluencés par les désidératas de ceux sur qui il ou elle doit se
reposer pour conserver son poste.35 A priori, il est fort probable
que chaque Haut Conseiller se préoccupe, à travers ses prises
de position au Conseil, de défendre non seulement les intérêts
de la grande masse qui a le pouvoir d’initier une pétition de
destitution, mais aussi ceux des communes des sous-régions
dont il n’est pas originaire afin de contenter ceux-là mêmes qui
ont un pouvoir de destitution sur lui. On peut donc espérer
que les membres du HCR se préoccupent dans leur ensemble
de préserver, de façon délibérée, l’intérêt général.

La mission fondamentale du HCR, et donc sa raison


d’être, est de garantir la paix et la stabilité de la république à
travers la sécurité physique du pays, le bon fonctionnement
des institutions ainsi que la protection des libertés publiques
et individuelles. Il parait évident que cette paix et cette stabilité
républicaines ne peuvent être garanties si le chef de l’exécutif
peut, à lui tout seul, designer les personnes chargées de diri-
ger les forces de défense, la police, les services de renseigne-
ment, les institutions constitutionnelles, la plupart des organes

35
Voir Bueno de Mesquita, Bruce, Alastair Smith, Randolph M. Siverson, and James D. Morrow. 2003.
The Logic of Political Survival. Cambridge, Massachusetts : MIT Press.

81
CONSENCRATIE

judiciaires et la presse de service public ; ou s’il peut à lui seul


décider des ressources à allouer à ces organes. Certes ces déci-
sions sont prises en Conseil des Ministres, mais il est évident
que les ministres, eux-mêmes désignés exclusivement par le
Chef du Gouvernement, ne pourraient avoir suffisamment
d’indépendance pour influencer les choix faits par celui-ci.
Et s’il est vrai que le parlement dispose, en théorie bien sûr,
d’un pouvoir de décision et de contrôle sur ces désignations et
allocations de ressources, il est tout aussi vrai qu’en pratique
l’environnement béninois ne contraint en rien les parlemen-
taires à faire usage de ce pouvoir. Comme il a été indiqué plus
haut, les hommes et femmes politiques ne se consacrent prio-
ritairement qu’aux activités qui garantissent leur survie poli-
tique. Or, le contrôle de l’action gouvernementale ne garantit
souvent pas la survie politique des membres du parlement
dans le contexte socio-économique et ethnoculturel du Bénin.

Contrairement aux membres du parlement, les membres


du HCR seraient conscients de ce que leur survie collective dé-
pendrait du bien-être du peuple dans son ensemble. N’étant pas
soumis à des campagnes en vue d’une réélection, chacun d’eux
comprendrait que la seule garantie pour conserver leur place
est de faire en sorte de maintenir un bon fonctionnement du
processus démocratique. Ils se consacreraient plus à exercer un
contrôle sur l’administration publique afin d’accroître les per-
82
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

formances de celle-ci car ils seraient conscients qu’une révolu-


tion populaire ou un coup d’Etat mettrait éventuellement un
terme à l’existence du Conseil et des privilèges y afférents. Il
convient donc de donner au HCR un pouvoir constitutionnel-
lement reconnu aux fins de remplir sa mission sacrée qu’est la
préservation de la paix et de la stabilité. Cela s’entend dans la
mesure où il constitue le centre de gravité du système propo-
sé ici et en tant que tel, il doit être pourvu de moyens appro-
priés pour tenir tous les autres organes du système en équilibre.

Le moyen le plus adéquat qui permettrait au


HCR l’accomplissement de sa mission sacrée serait
son pouvoir de contrôle sur certains organes de l’Etat.
Ce pouvoir de contrôle devrait s’étendre à quatre niveaux.
Premièrement, il est nécessaire que le HCR s’implique ac-
tivement dans le choix, la nomination, et la décision met-
tant fin aux fonctions des hauts responsables des organes
publics et semi-publics jugés stratégiques, à l’exception des
postes électifs. Il s’agit, à titre indicatif, des organes en charge
de l’organisation des élections, de la défense, de la sécuri-
té publique, de la justice, de la presse, de la communication,
des renseignements d’Etat, de l’énergie, etc. Ainsi, les pos-
tulants à ces postes ne peuvent être nommés, ni démis de
leurs fonctions par l’exécutif sans l’approbation du HCR.

83
CONSENCRATIE

La logique qui sous-tend cette disposition est que ces


responsables d’organes ont un contrat avec l’Etat, et le HCR
a le devoir de veiller à ce qu’ils servent l’Etat, et que ce fai-
sant ils ne soient pas soumis à des pressions ou à des repré-
sailles de la part des décideurs politiques qui les ont nommés.

Dans ce même contexte, le Haut Conseil pourrait dis-


poser de la capacité de mettre fin aux fonctions d’un respon-
sable d’organe public s’il jugeait, à travers un vote qualifié par
exemple, que ledit responsable n’était plus apte à occuper ses
fonctions ou d’autres fonctions non-électives. Ainsi lorsqu’in-
tervient un vote d’inaptitude, le haut fonctionnaire visé de-
vrait démissionner de ses fonctions dans un délai à fixer par
la loi. La non-démission dans les délais requis entrainerait
d’office une aptitude définitive du haut responsable, c’est-à-
dire que celui-ci se rendrait d’office inapte à occuper d’autres
fonctions publiques non-électives. Un tel pouvoir de contrôle
du HCR permettrait non seulement de rendre ces respon-
sables plus indépendants vis-à-vis de l’exécutif mais il les obli-
gerait aussi à accorder plus d’importance à l’intérêt général. Il
en est ainsi parce que tout individu rationnel ne se préoccupe
pas seulement de conserver son poste actuel mais il veut aus-
si se mettre en position d’occuper d’autres postes à l’avenir.

84
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Le deuxième niveau auquel devrait s’étendre le pouvoir


de contrôle du HCR est l’allocation de ressources financières
à travers le budget général de l’Etat. Ainsi, le HCR pourrait
opposer une objection au budget s’il constatait que celui-ci
n’alloue pas suffisamment de ressources au profit de certains
organes dont les activités ont directement trait à la sûreté de
l’Etat. Au nombre de ces organes pourraient figurer l’admi-
nistration judiciaire dans son ensemble (cours, tribunaux, et
prisons), ainsi que les forces de sécurité et de défense (police,
gendarmerie, armée, services de renseignements d’Etat). Sans
moyens adéquats au profit de ces organes, il est difficile de pen-
ser que le HCR arriverait à accomplir sa mission de stabilité et
de sécurité du pays. Or l’expérience a montré que ces organes ne
constituent pas toujours une priorité pour la classe politique
dans son ensemble.36 En outre, un gouvernement qui alloue trop
de ressources à l’armée ou à la police peut très vite, à tort ou à
raison, faire l’objet de méfiance et de suspicion de la part de l’op-
position ou de la société civile. Dans ces conditions, il est donc
nécessaire qu’un organe perçu comme neutre approuve ces
allocations pour calmer les inquiétudes des uns et des autres.

36
Au cours d’une conférence à Washington en juin 2014, le Président de la Commission Défense et Sécu-
rité de l’Assemblée Nationale a confié à l’auteur, qu’après trois années de fonction à ce poste, il n’avait ni
rencontré le Chef d’Etat-Major Général des Forces Armées Béninoises, ni visité une caserne militaire, ni
s’être rendu sur l’une des positions extérieures où sont déployés nos soldats dans le cadre des opérations
de maintien de la paix. L’on peut donc se demander si sa fonction de contrôle de l’action du gouvernement
dans les domaines de la défense et de la sécurité constituait sa priorité ou celle du parlement pendant ces
trois années. L’on ne peut donc logiquement pas s’étonner des derniers soulèvements de militaires béninois
en Côte d’Ivoire en l’absence de contrôles parlementaires.

85
CONSENCRATIE

En plus, le contrôle du HCR devrait aussi avoir pour but d’assurer


que ces organes obtiennent un minimum de ressources et qu’ils
ne soient pas relégués au dernier plan par un gouvernement. Ceci
est d’autant plus important que certains de ces organes, tels que
l’armée et les services de renseignement, sont constitutionnelle-
ment dépourvus du droit de grève et de revendication collective.

Il est impératif que le pouvoir de contrôle du HCR s’étende


à un troisième niveau : celui de la politique extérieure du gouver-
nement. Ici aussi il faut recourir à un dicton populaire en stra-
tégie militaire qui postule que « la sécurité d’un Etat commence
au-delà de ses frontières ». Et des théories sur les relations in-
ternationales le démontrent clairement : les politiques de l’Etat
impliquant des acteurs extérieurs ont un effet significatif sur la
paix et la sécurité d’un pays. Il s’agit, à titre d’exemple, des ac-
cords de prêts, de l’aide au développement, et de la signature de
contrats d’exploitation de ressources naturelles ou de marchés
publics. Il est donc important que le HCR soit obligatoirement
consulté dans le cadre de ces différentes politiques et qu’il se ré-
serve le droit d’opposer au gouvernement une motion de non-
lieu lorsqu’une activité donnée ne garantirait pas suffisamment
ou menacerait la paix et la stabilité du pays. Contrairement
aux cas souvent survenus sous d’autres cieux, cette disposition
exposerait moins le gouvernement et son chef aux actes de
déstabilisation de la part d’acteurs extérieurs dont les intérêts se
86
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

trouveraient menacés par des politiques publiques nationales.

A travers son pouvoir de contrôle aux trois niveaux définis


ci-dessus, le HCR en tant que centre de gravité du présent mo-
dèle, devrait être en mesure de maintenir en équilibre les divers
organes de l’administration publique, y compris les organes ju-
diciaires. Mais l’équilibre du système dans son ensemble ne peut
être assuré si le centre de gravité n’a aucun moyen de maintenir en
équilibre deux autres organes importants : l’exécutif et le législatif.

En effet, sans aucun pouvoir sur ces deux organes, le


HCR ne pourrait assurer la stabilité du système de démocra-
tie consensuelle. S’il est à craindre qu’un pouvoir direct ré-
duirait ces organes à de simples marionnettes du Conseil,
l’on ne peut par contre rejeter la nécessité d’un pouvoir indi-
rect du HCR sur ces deux entités. Ainsi, le Conseil pourrait
être investi du droit de dissolution du parlement et du gou-
vernement en cas de crise majeure. Une crise majeure peut
être perçue comme une situation, d’ordre politique ou social,
pouvant menacer la stabilité du pays ou du système démocra-
tique. Cette mesure de dissolution devrait constituer un der-
nier recours après l’échec de toutes les tentatives de médiation
du Haut Conseil. Lorsque cette mesure intervient, les élus sont
renvoyés devant le peuple pour de nouvelles élections. La me-
nace de dissolution, avec comme corollaire le risque de ne pas
87
CONSENCRATIE

être réélus, aurait pour effet de contraindre le chef de l’exécutif


et sa majorité parlementaire à rechercher le compromis dans
leurs décisions et à éviter les prises de positions extrémistes.

Ainsi qu’on peut s’en apercevoir, la mise en place du


Haut Conseil de la République tel que décrit ici serait un
moyen institutionnel et légal de freiner certains impacts né-
fastes des facteurs sociologiques, économiques et géopoli-
tiques sur la gouvernance et la performance de l’Etat. Par
exemple, faire du HCR une autorité morale non soumise ni
à la compétition politique, ni aux pouvoirs exécutifs et légis-
latifs contribuerait à réduire les risques liés à la décadence
des valeurs morales. Ceci est d’autant plus nécessaire au re-
gard du rôle sans cesse croissant que joue l’argent dans l’arène
de la compétition politique et qui indéniablement affecte
la gouvernance publique et le comportement des électeurs.

L’adoption du HCR permettrait d’intégrer formellement


la question ethno-régionale aux institutions politiques et ad-
ministratives comme identifié ici à travers l’impératif nº 4 de
l’analyse sur les pesanteurs sociologiques. Une telle adoption
serait aussi en conformité avec l’impératif institutionnel nº
6 qui prescrit la nécessité de prévoir un mécanisme institu-
tionnel qui fasse de l’allocation de ressources aux organes en
charge de la sécurité et de la justice, une fonction prioritaire.
88
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

En outre, l’adoption du HCR permettrait d’institutionna-


liser la veille citoyenne à travers la mise en place d’un organe pu-
blic possédant les attributs d’une classe moyenne tel que prescrit
par l’impératif institutionnel nº 7. En effet, en attribuant autant
de pouvoir de contrôle à un organe dont les membres possèdent
un niveau d’éducation élevé et sont à l’abri du besoin écono-
mique, l’on peut espérer qu’il joue le rôle traditionnel d’une classe
moyenne telle qu’observée dans les pays développés, notam-
ment celui de limiter les abus des pouvoirs exécutif et législatif.

Enfin, la consécration du HCR limiterait les risques de


manipulation de l’exécutif par des acteurs extérieurs ou privés.
Dans le contexte institutionnel du présent modèle, ces acteurs
ne pourraient imposer leur volonté au peuple béninois s’ils ne
peuvent contraindre à la fois le HCR, le Chef de l’exécutif et la
majorité du parlement. Ceci constituerait une amélioration du
contexte actuel qui fait du Président de la République le seul or-
gane à contrôler en vue d’imposer des intérêts étrangers ou privés.

89
CONSENCRATIE

90
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

C o n c l u s i o n

91
CONSENCRATIE

92
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Ainsi que l’on peut s’en rendre compte, le modèle de dé-


mocratie consensuelle présenté ici est fondé sur une conception
qui fait du pouvoir étatique un pouvoir à double dimensions:
une dimension politique et une dimension morale. Dans le cadre
de la gouvernance publique dans un pays comme le Bénin, le
présent modèle confère chacune de ses dimensions à des entités
distinctes. Le pouvoir politique est conféré à deux organes : le
parlement et l’exécutif. Le premier est constitué d’élus du peuple
issus exclusivement de partis politiques d’envergure nationale.
Ceci pourrait être obtenu à la faveur d’élections législatives à deux
tours où ne seraient admis que des partis politiques ayant obte-
nu au premier tour au moins un élu dans chacune des grandes
sous-régions du pays. La gestion du pouvoir exécutif est confé-
rée à un Président de la République élu au suffrage universel in-
direct parmi les candidats des partis représentés au parlement.

Quant au pouvoir moral, il est conféré à un conseil de


sept personnalités apolitiques, du troisième âge, siégeant à vie,
reflétant la configuration ethno-régionale du pays et pouvant
incarner les valeurs cardinales propres à la société béninoise.

93
CONSENCRATIE

La mission principale de l’organe détenteur de ce pouvoir


moral est d’œuvrer à la consolidation de la paix, de veiller à
l’indépendance et à la performance de l’administration pu-
blique et d’assurer une pérennisation des valeurs morales
et sociales. Ensemble, ces trois institutions constituent les
piliers centraux du modèle de démocratie consensuelle.

Ainsi que le montre le tableau récapitulatif ci-dessous,


l’adoption de ces trois institutions permettrait de prendre en
compte tous les neufs (9) impératifs institutionnels identifiés
plus haut. Pour rappel, ces impératifs découlent d’une analyse
des impacts néfastes des pesanteurs sociologiques, écono-
miques, et géostratégiques sur la gouvernance et la performance
de l’Etat. C’est dire que le présent modèle a été conçu pour
prendre en compte les réalités liées à l’environnement béninois.

94
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Tableau récapitulatif
des réformes institutionnelles
en vue d’accroitre la performance
de l’Etat au Bénin

95
CONSENCRATIE

96
Impacts sur la
Pesanteurs liées à gouvernance et la Impératifs Solutions proposées
l’env ironnement performance de institutionnels

Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin


du pays l’Etat

- Ne sont représentés
au parlement que des par-
tis ayant obtenu au moins
un siège dans chacune des
grandes sous-régions du
pays (coopération interne
au sein des partis au risque
de ne pas accéder au parle-
ment et au gouvernement).

- Le Président de la
République est issu du par-
Accroit les risques Nº 1 : ti majoritaire au parlement
Déification de de gestion dictato- Contraindre le (coopération entre le PR et
97

l’autorité (facteur riale et de politisa- Chef à coopérer les membres de sa majorité


sociologique Nº1) tion de l’adminis- avec d’autres au risque de perdre le pou-
tration publique. acteurs. voir).

- Le Président de la
République est tenu d’ob-
tenir l’approbation d’un
organe apolitique (HCR)
pour la nomination et le
limogeage de hauts respon-
sables publics et l’allocation
de ressources aux organes
publics (coopération entre
le PR et le HCR et dépoli-
tisation de l’administration
publique).
Impacts sur la
Pesanteurs liées à gouvernance et la Impératifs insti- Solutions proposées
l’environnement du performance de tutionnels

CONSENCRATIE
pays l’Etat

Nº 2 :
Assurer au chef de Le Président de la République est
Accroit les risques de ges- l’exécutif une majorité issu du parti majoritaire au parle-
tion dictatoriale et de poli- stable au parlement au ment (réduction du marchandage
Déification de l’autorité tisation de l’administration moment de son acces- politique empreint de corruption et
(suite) publique (suite) sion au pouvoir. de politisation de l’administration).
98
Impacts sur la
Pesanteurs liées à gouvernance et la Impératifs Solutions proposées
l’environnement du performance de institutionnels

Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin


pays l’Etat

Les hauts responsables publics ne


Nº 3: peuvent être nommés ou démis sans
Institutionnalisation l’approbation du Haut Conseil de la
Valeurs morales en Accroit les risques de d’une autorité morale République (un organe apolitique
décadence gestion opaque des affaires non soumise ni à la dont les membres sont du troisième
99

(facteur sociologique Nº2) publiques. compétition politique, âge, siègent à vie, reflètent les valeurs
ni aux pouvoirs de la société et la configuration eth-
exécutifs et législatifs. no-géographique du pays).
Impacts sur la
Pesanteurs liées à gouvernance et la Impératifs Solutions proposées
l ’e n v i r o n n e m e n t performance de institutionnels

CONSENCRATIE
du pays l’Etat

- Ne sont représentés au par-


lement que des partis ayant obtenu
au moins un siège dans chacune des
Nº 4 : grandes sous-régions du pays (coo-
Intégrer formellement pération interne au sein des partis au
Accroit les risques de ges- la question ethno-ré- risque de ne pas accéder au parlement
Diversité ethno-régionale tion clanique des affaires gionale aux institutions et au gouvernement).
100

(facteur sociologique Nº3) publiques et d’instabilité politiques et administra-


socio-politique. tives. - Les hauts responsables pu-
blics ne peuvent être nommés ou
démis sans l’approbation du Haut
Conseil de la République (un organe
apolitique dont les membres sont du
troisième âge, siègent à vie et pro-
viennent de chacune des grandes
sous-régions du pays)
Impacts sur la
Pesanteurs liées à gouvernance et la Impératifs Solutions proposées
l’environnement du performance de institutionnels

Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin


pays l’Etat

Institution d’élections législatives


à deux tours ; ne prennent part au
second tour que des partis ayant
obtenu au moins un siège dans cha-
Nº 5 : cune des grandes sous-régions du
Accroit la tendance mul- Contraindre les acteurs pays, avec attribution de sièges par
tiplicative des partis po- politiques à volontaire- mode proportionnel au 1er tour et
Diversité ethno-régionale litiques d’envergure eth- ment constituer des par- par mode majoritaire au second
101

(suite) no-régionale (menace tis à caractère national tour (réduction du nombre de par-
pour l’unité nationale). fondés autour d’idéaux. tis participant à la gestion du pou-
voir au plan national et émergence
d’idéologies au sein des partis afin
de se distinguer de leurs rivaux,
l’appartenance ethnique
ne pouvant plus les distinguer).
Impacts sur la
Pesanteurs liées à gouvernance et la Impératifs Solutions proposées
l’environnement du performance de institutionnels

CONSENCRATIE
pays l’Etat

Le Président de la République est


Nº 6 : tenu d’obtenir l’approbation d’un
Accroit les risques d’ins- Prévoir un mécanisme organe apolitique (HCR) pour la
tabilité et de conflits inté- institutionnel qui fasse nomination et le limogeage de hauts
rieurs à travers le manque de l’allocation de res- responsables publics et pour l’allo-
d’investissement dans les sources aux organes en cation de ressources aux organes
Sous-développement forces de l’ordre public charge de la sécurité et publics (investir dans le maintien
102

socioéconomique (police, justice, armée, ren- de la justice une fonc- de l’ordre public serait une priorité
seignement, etc.) tion prioritaire. pour le HCR qui pourrait perdre ses
prérogatives en cas de révolution ou
de coup-d’Etat).
Impacts sur la
Pesanteurs liées à gouvernance et la Impératifs Solutions proposées
l’environnement du performance de institutionnels

Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin


pays l’Etat

Création d’une autorité morale


et administrative suprême sous la
Nº 7 : forme d’un organe apolitique (HCR)
Réduit les chances de Institutionnaliser la dont les membres sont du troisième
consolidation de la dé- veille citoyenne à travers âge, possèdent une expérience pro-
Sous-développement mocratie en raison de la mise en place d’un or- fessionnelle au plan national ou
103

socioéconomique (suite) l’absence d’une classe gane public possédant international, siègent à vie et sont
moyenne pouvant mener les attributs d’une classe bien rémunérés (Le HCR se préoc-
la veille citoyenne. moyenne. cuperait de la survie des institutions
démocratiques au regard de leur
mandat à vie).
Impacts sur la
Pesanteurs liées à gouvernance et la Impératifs Solutions proposées
l’environnement du performance de institutionnels

CONSENCRATIE
pays l’Etat

Nº 8 : Le Président de la République est


Adopter des institutions issu du parti majoritaire au parle-
politiques pouvant aider ment (adoption des politiques pu-
Induit des difficultés à les dirigeants politiques bliques en fonction des priorités
Sous-développement dégager des priorités de à obtenir un consensus du parti, donnant ainsi lieu à un
socioéconomique (suite) gouvernance dans les sec- sur les priorités en ma- consensus au sein de l’équipe déte-
104

teurs socioéconomiques. tière de politiques pu- nant les pouvoirs exécutif et


bliques. législatif).
Impacts sur la
Pesanteurs liées à gouvernance et la Impératifs insti- Solutions proposées
l’environnement du performance de tutionnels

Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin


pays l’Etat

- Le Président de la Répu-
blique est élu au suffrage universel
indirect parmi les candidats des
Nº 9 : partis représentés au parlement (ce
Adopter un mode de type de suffrage nécessite moins de
Rendent l’Etat vulnérable scrutin présidentiel qui ressources et limite la nécessité de
aux pressions extérieures réduise les risques de dé-prendre des engagements en dehors
et à la déstabilisation, aug- pendance du Président du parti d’appartenance).
105

Contraintes géopolitiques mentant les risques d’ins- élu vis-à-vis des sources
tabilité socio-politique. de financement et de - Le Président de la Répu-
soutiens extérieurs. blique est tenu d’obtenir l’approba-
tion d’un organe apolitique (HCR)
pour la mise en œuvre de politiques
étrangères touchant aux intérêts
stratégiques du Bénin.
CONSENCRATIE

Le modèle proposé ici s’inspire aussi de la recherche


scientifique et de la pratique dans plusieurs domaines tels que la
politique comparative, les relations internationales, la sociolo-
gie, la gestion des organisations, etc. Il découle principalement
des travaux d’éminents chercheurs sur les régimes politiques.
Ainsi, le concept du HCR en tant qu’autorité morale perma-
nente et centre de gravité du système s’inspire des recherches qui
montrent que les régimes démocratiques ne survivent pas dans
un environnement où sévit la pauvreté. Ils finissent générale-
37
ment par retomber dans la dictature. Les exemples empiriques
qui confirment cette thèse sont légion. L’ épisode démocratique
béninois des années 60 pourrait être aussi inscrit dans ce registre.

Il est donc important d’avoir dans un environnement aus-


si pauvre que celui du Bénin un organe permanent et puissant
qui veille à la survie des institutions démocratiques. L’Afrique a,
certes, besoin d’institutions fortes comme l’a dit le Président amé-
ricain Barack Obama,38 mais en l’absence d’une classe moyenne
éclairée il parait nécessaire d’avoir un organe fort et indépendant
pour veiller sur ces institutions. D’ailleurs, le politologue-cher-
cheur Adam Przeworski l’a si bien formulé lorsqu’il a écrit que :

37 Cette thèse, connue sous le nom de “modernization theory”, est avancée et soutenue par des chercheurs tels
que Seymour M. Lipset, Adam Przeworski, Ronald Inglehart, Christian Welzel, et Carles Boix.
38 Barack Obama a fait cette déclaration dans un discours prononcé devant le parlement ghanéen le samedi
11 juillet 2012 à Accra.

106
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

« Une démocratie ne perdure que si elle peut par


elle-même veiller à sa mise en œuvre. Elle n’est pas
un contrat parce qu’il n’y pas un tiers pour veiller à
sa mise en application. Pour survivre, un ordre dé-
mocratique doit constituer un équilibre optimal pour
les forces politiques qui pourraient le renverser. » 39

Prenant en compte cette préoccupation, le présent modèle fait


du HCR un organe qui veille à la survie de la démocratie. Et
l’ordre institutionnel proposé ici constitue un équilibre optimal
aussi bien pour les acteurs politiques que pour les membres
du HCR. Mieux, ils constituent un équilibre optimal pour les
organes administratifs tels que les forces de défense et les or-
ganes judiciaires dont les intérêts sont préservés à travers les
prérogatives et le contrôle du HCR sur le pouvoir politique.

Quant à l’idée de confier la mission de paix et de sécu-


rité à un organe permanent non-élu, elle provient du résultat
des recherches académiques sur les guerres civiles et les rebel-
lions armées. Ces recherches ont révélé que la probabilité d’in-
surrection armée et de guerre civile est beaucoup plus élevée
sous un régime en transition démocratique que sous d’autres
types de régimes politiques. Ces mêmes recherches indiquent
que les dictatures sont les régimes les plus à même de garantir
39
Przeworski, Adam. «Self-Enforcing Democracy.» Handbook of Political Economy, ed. by B. Weingast,
and D. Wittman (2006), 312.

107
CONSENCRATIE

la sécurité intérieure et l’ordre public dans un Etat.40 Mais cette


sécurité est souvent obtenue au prix de la violation des libertés
individuelles. Confier la responsabilité de la paix et de la stabi-
lité à un organe non soumis à la compétition politique pour-
rait donc garantir un peu plus l’ordre public et la quiétude dans
la société. Ceci est possible en ce sens que le HCR jouirait de
certains privilèges similaires à ceux des régimes dictatoriaux,
notamment celui de la garantie de leur poste et du pouvoir y
afférent. La crainte d’une dictature du Conseil paraitrait certes
légitime, mais le HCR tel que conçu ici a peu de possibilités de
violer les libertés individuelles. Il détient évidemment un pou-
voir de contrôle sur les organes de sécurité et de répression mais
il ne peut actionner ces organes. Cette fonction relève plutôt de
la compétence du chef de l’exécutif qui toutefois demeure sous
le contrôle du HCR dans le cadre de l’emploi de ces organes.

Il ne faut néanmoins pas surestimer la capacité du


HCR en tant que centre de gravité du modèle proposé ici.
Notamment, il est important de reconnaitre que son succès
dépendrait de nombreuses conditions qu’il n’est pas possible
d’inventorier ici. A titre indicatif, il serait nécessaire pour le
Conseil de disposer aussi bien d’une administration qualifiée
que d’un cabinet personnel avec des compétences avérées pour
40 Se référer par exemple aux recherches produites par Edward Mueller et Erich Weede (1990), Havard Hegre
et ses collègues (2001), James Fearon et David Laitin (2003), et Jack Goldstone et ses collègues du Political
Instability Task Force (2010).

108
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

chacun des membres. Ceci augmenterait la qualité des décisions


du Conseil en ce sens que celles-ci seraient mieux motivées et
mieux élaborées. Aussi, la performance du Conseil dépendrait
des avantages matériels et des privilèges dont jouiraient ses
membres et qui les mettraient plus ou moins à l’abri des ten-
tatives de manipulations par des acteurs extérieurs ou privés.

Enfin, et ceci parait le plus important, la performance


du modèle est conditionnée par la qualité des tout premiers
Hauts Conseillers. Si les premiers membres à siéger sont d’une
probité et d’un professionnalisme tels que souhaités ici, ils
pourront perpétuer ces qualités sur les nouveaux membres
dans la mesure où ceux-ci sont sélectionnés parmi les candi-
dats proposés par les Hauts Conseillers eux-mêmes. Mais si
la sélection des premiers Hauts Conseillers n’identifie pas des
hommes ou des femmes de qualité, la performance du présent
modèle en prendrait un coup. C’est pourquoi la sélection des
premiers membres devant y siéger devrait se faire par consensus
national, à la faveur d’une conférence nationale par exemple.

Au regard de la logique qui a sous-tendu le raisonnement


développé ici, il apparait que certaines des réformes précédem-
ment proposées par d’autres voix seraient loin de résorber de
façon efficace les malaises dépeints plus haut. Par exemple, il
a été suggéré l’institution d’un mandat unique afin de limiter
109
CONSENCRATIE

les velléités d’abus de pouvoir et de tentatives de révision oppor-


tuniste de la constitution. La réalité est qu’une telle institution
ne mettrait nullement le pays à l’abri des abus de pouvoir dé-
plorés çà et là. Ainsi qu’il a été noté ici, l’environnement socio-
logique béninois favorise l’émergence de tels abus et le régime
présidentiel offre au Président de la République des opportu-
nités de satisfaire ces demandes d’abus d’autorité. En instituant
un mandat unique dans le contexte du régime présidentiel,
l’on peut prédire qu’il se trouvera toujours des présidents qui
voudraient remettre en cause le mandat unique. S’il y a eu par
le passé des tentatives de révision autour de la limitation du
nombre de mandats, (deux mandats non renouvelables), il n’y
a donc pas de raison de croire que le mandat unique ne serait
remis en cause s’il était institué. L’on pourrait donc assister à
une instabilité du système en raison de ces velléités de révision
qui auraient désormais lieu tous les 5 ou 6 ans en fonction de
la durée du mandat unique. La solution aux problèmes d’abus
de pouvoir et aux tentatives récurrentes de modification de la
constitution n’est donc pas dans la limitation du nombre de
mandats. Elle est plutôt dans la capacité du système institution-
41
nel à assurer la mise en application de ce qui aura été institué.
41
Il faut dire ici que le Mexique a institué le mandat unique depuis 1917. Toutefois, le Mexique est un Etat
fédéral, et ne concentre donc pas les pouvoirs entre les mains du Président de la République. En plus, les
règles électorales non seulement favorisent la domination de quelques grands partis politiques, mais elles
contraignent aussi les candidats à l’élection présidentielle à provenir d’un parti politique officiellement en-
registré.Tout ceci a donc contribué à la domination du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) pendant
plusieurs décennies. C’est dire que, bien qu’il existe tous les 6 ans une alternance des individus à la tête de ce
pays, le système Mexicain consacre une continuité des politiques de deux ou trois grands partis.
Cf. http://www.electionguide.org/countries/id/140/.

110
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

Dans le contexte institutionnel actuel fait de marchan-


dage politique aux implications financières exorbitantes,
l’institution d’un mandat unique pourrait aussi freiner la
performance de l’Etat. En effet, avec le mode de scrutin pré-
sidentiel actuel (suffrage universel direct), il est difficile de
se faire élire Président de la République et de conserver ses
chances politiques sans obtenir le soutien de divers acteurs
politiques, extérieurs ou privés. Un Président élu dans ces
conditions passerait donc les premières années de son man-
dat à honorer les engagements pris chez ces divers acteurs s’il
ne veut faire face à un blocage systématique de ses politiques
par ces mêmes acteurs. Dans ces conditions, l’institution d’un
mandat unique pourrait avoir des implications néfastes sur
la performance du Président. Il faut plutôt mettre en
place un mécanisme qui puisse réduire la nécessi-
té pour les candidats à ce poste de dépendre de sou-
tiens financiers et matériels exorbitants pour être élus.

111
CONSENCRATIE

Il a aussi été proposé d’opérer des réformes en vue de


garantir l’indépendance des organes judiciaires et l’autono-
mie des partis politiques à travers un financement public qui
ne dépende pas de la volonté du Président de la République.
Dans le contexte actuel, la désignation des membres des or-
ganes judiciaires ainsi que l’allocation de ressources à leur pro-
fit relèvent de la compétence quasi-exclusive de l’exécutif et
du législatif. Or l’histoire récente du Bénin révèle que le chef
de l’exécutif détient généralement une majorité au parlement.
Aussi, une récente étude statistique des régimes présidentiels
africains menée par le politologue Américain Nicolas Van de
Walle montre que dans plus de 90% des cas, les Chefs d’Etat
détiennent une majorité parlementaire, qui se forme souvent
au lendemain des élections présidentielles et non pas avant.

Considérant donc que le Président de la République


contrôlera le Parlement dans la majorité des cas, on peut
prédire que toute réforme qui n’ôterait à l’exécutif et au par-
lement que le pouvoir de désignation des membres d’organes
judiciaires ne réduirait pas suffisamment les risques d’abus
de pouvoir par le Chef de l’Etat. Il faut nécessairement y ad-
joindre une limitation du pouvoir d’allocation à ces organes.
Autrement, le Président de la République continuerait de
détenir un moyen de pression dont il peut user pour mani-
puler les responsables d’organes administratifs en général.
112
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

A ce stade, le présent ouvrage n’a pas encore répondu


à une question fondamentale qui sans nul doute préoccupe le
lecteur: comment pourrait-on mettre en place le modèle pro-
posé ici dans un pays comme le Bénin ? Il faut dire ici que la
mise en œuvre d’un tel modèle nécessite un examen approfon-
di par les juristes et les constitutionalistes afin de déterminer
les mécanismes appropriés pour une telle démarche. Mais il
apparait, au regard des consultations faites par l’auteur auprès
de divers acteurs, que l’institution d’élections législatives à deux
tours proposée ici pourrait se faire à travers une modification
du code électoral et de la charte des partis politiques. Autre-
ment dit, le premier pilier du modèle peut être adopté sans ap-
porter des modifications à la constitution du 11 décembre 1990.

Par contre, la mise en place des deux autres piliers du


modèle nécessiterait une modification de la constitution ac-
tuelle. Mais il faut préciser que le HCR peut être institué sans
changer les options fondamentales de la Conférence Natio-
nale de 1990. Pour rappel, la Cour Constitutionnelle, par sa
décision DCC 11-067 du 20 octobre 2011, a consacré que :

« Ne peuvent faire l’objet de questions à soumettre au


référendum, les options fondamentales de la Conférence
Nationale de février 1990, à savoir:

113
CONSENCRATIE

- La forme républicaine et la laïcité de l’Etat ;


- L’atteinte à l’intégrité du territoire national ;
- Le mandat présidentiel de cinq ans, renouvelable
une seule fois ;
- La limite d’âge de 40 ans au moins et 70 ans au plus
pour tout candidat à l’élection présidentielle ;
- Le type présidentiel du régime politique au Bénin. »
A la lecture de cette décision, il apparait que l’institu-
tionnalisation d’une autorité morale et administrative ayant un
pouvoir de contrôle sur l’administration publique peut se faire
sans toucher aux options fondamentales énumérées ci-dessus.
Il en ainsi parce qu’elle ne remettrait en cause aucune des op-
tions listées par cette décision.

La seule inquiétude résiderait donc dans la modifica-


tion du mode de scrutin du Président de la République, qui
passerait d’un suffrage universel direct à un suffrage uni-
versel indirect. Mais l’on ne peut être définitivement situé
que si les spécialistes du droit déterminent que modifier le
mode de scrutin consisterait à changer le type présidentiel
du régime politique au Bénin. De l’avis de certains juristes,
le type présidentiel du régime politique a trait aux préro-
gatives de chef du gouvernement conférées au Président de
42
la République par la Constitution actuellement en vigueur.

42
Il s’agit ici d’un avis exprimé par Monsieur Serge Prince Agbodjan, juriste béninois, au cours d’un échange
avec l’auteur sur le sujet en avril 2016.

114
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

En clair, les modalités de mise en œuvre du modèle pro-


posé ici ont des implications juridiques qui méritent d’être éva-
luées. Mais indépendamment de ces implications juridiques, la
pertinence des institutions proposées au regard des difficultés
actuelles du Bénin devrait amener les différents acteurs de la
société béninoise à contempler des mécanismes d’adoption de
tout ou partie du modèle. De façon idéale, l’organisation d’une
conférence nationale à l’instar de celle de 1990 constituerait
une excellente opportunité dans ce sens. En principe, ce mo-
dèle devrait facilement obtenir l’adhésion des membres de la
société civile en ce sens qu’il garantit une meilleure gouver-
nance publique. L’institution du HCR donnerait d’ailleurs à la
société civile un interlocuteur dans le cadre des actions de veille
citoyenne en vue du renforcement du processus démocratique.
Logiquement, les partis politiques ayant déjà une assise natio-
nale devraient aussi adhérer au présent modèle dans la mesure
où il leur garantit un avenir beaucoup plus certain. Par contre
les leaders de partis d’envergure essentiellement régionale se-
raient probablement réticents. Mais il n’est pas impossible
qu’ils finissent par y adhérer puisqu’ils ont une possibilité de
s’allier entre eux pour former des entités d’envergure nationale.

Toutefois, il serait naïf d’espérer que la majorité de la classe


politique œuvre pour des réformes dans le sens souhaité ici. De
telles réformes ne seraient possibles que si elles sont exigées
115
CONSENCRATIE

par la société civile et le peuple dans son ensemble. Dans cette


perspective, l’élection d’un nouveau Président en mars 2016 qui
a promis de mettre les réformes politiques et institutionnelles
au cœur de sa gouvernance constitue une aubaine pour le Bé-
nin. A cela, il faut ajouter la volonté du nouveau Président, se-
lon ses propres déclarations, d’exercer un seul mandat et d’en
faire un mandat de transition. Toutes ces conditions sont pro-
pices à l’adoption d’un modèle comme celui qui est proposé ici.

Au cours des consultations entreprises par l’auteur, plu-


sieurs acteurs ont exprimé des inquiétudes par rapport au ca-
ractère théorique du modèle étant donné qu’il n’a pas encore
été expérimenté ailleurs. C’est le lieu de rappeler que le sys-
tème politique américain, dont s’inspirent nombre de pays
aujourd’hui, était aussi essentiellement théorique quand il a
été adopté à la fin du 18e siècle. A une ère où la monarchie
constituait le régime politique en vogue à travers le monde, les
Américains avaient opté pour un système qui consacrait la li-
berté des individus ainsi qu’une séparation et une limitation
du pouvoir au sommet de l’Etat. A l’époque, ce régime avait fait
l’objet de critiques par de nombreux observateurs européens.
Par exemple, Alexis De Tocqueville, philosophe et historien
français, décrivait le système américain en termes de « des-
potisme populaire » ou encore de « tyrannie de la majorité »

116
Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

au point de prédire son incapacité à conduire une


politique extérieure efficace en raison de la dis-
43
sension permanente liée à la liberté des acteurs.

Si le Bénin souhaite se doter d’institutions politiques


pouvant lui permettre de résister aux aléas du temps comme ce
fut le cas ailleurs, il lui faut oser défier la peur de l’inconnu. Car,
comme l’a dit le Professeur Albert Tévoèdjrè au lendemain de
la Conférence Nationale de 1990, « Nous venons depuis hier de
gagner un siècle, celui qui vient. Or ce siècle lui-même peut en-
44
core nous échapper si nous manquons de vigilance et d’audace. »

43
De Tocqueville, Alexis. De la démocratie en Amérique. Vol. 1 (Librairie de Charles Gosselin, 1842) et Vol.
2 (Pagnerre, 1850).
44
Albert Tévoèdjrè, Rapport Général de la Conférence Nationale des Forces Vives, Cotonou (Bénin), Février
1990 ; http://www.lapressedujour.net/archives/31887.

117
CONSENCRATIE

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Un modèle de démocratie consensuelle adapté aux réalités du Bénin

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