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Publié le 3 janvier 2022

CINQUIÈME SECTION
Requêtes nos 44715/20 et 47930/21
A.L. contre la France
et E.J. contre la France
introduites respectivement
le 5 octobre 2020 et le 20 septembre 2021
communiquées le 8 décembre 2021

OBJET DE L’AFFAIRE

Dans le cadre d’une procédure pénale visant le réseau de communication


crypté « EncroChat », le juge des libertés et de la détention du tribunal
judiciaire de Lille autorisa, par cinq ordonnances prises entre le 30 janvier et
le 31 mars 2020, la mise en place, sur un serveur situé en France, d’un
dispositif technique permettant de capter des données à distance, sur le
fondement de l’article 706-102-1 du code de procédure pénale.
Le 1er avril 2020, des enquêteurs spécialisés en cybercriminalité
s’introduisirent dans le réseau Encrochat. Leur attaque informatique permit
d’infecter plusieurs dizaines de milliers de téléphones connectés à ce réseau
et localisés dans une centaine de pays différents. Les enquêteurs procédèrent
ensuite à la captation des données stockées et échangées avec les appareils
concernés, à leur copie, ainsi qu’à leur analyse.
L’autorisation de captation fut prolongée par le juge des libertés et de la
détention puis, après l’ouverture d’une information judiciaire, par le juge
d’instruction. La mesure cessa le 2 juillet 2020.
En exécution d’une décision d’enquête européenne émise par le Royaume-
Uni, les autorités judiciaires françaises transmirent à leurs homologues
britanniques les données relatives aux appareils localisés sur leur territoire à
partir du 3 avril 2020.
OBJET DE L'AFFAIRE ET QUESTIONS – A.L. c. FRANCE et E.J. c. FRANCE

Les présentes requêtes ont été déposées par deux détenus britanniques.
Tous deux allèguent avoir été interpellés et poursuivis pénalement au
Royaume-Uni sur la foi de données transmises par les autorités françaises. Ils
contestent l’imputation des données qui leur auraient été opposées.
Le premier requérant (no 44715/20) indique avoir été arrêté le
18 juin 2020. Il fut mis en accusation devant la Crown Court à Snarebrook
pour association de malfaiteurs en vue de l’importation illicite et de la
détention aux fins de revente d’héroïne et de cocaïne.
Le second requérant (no 47930/21) dit avoir été arrêté le 16 juin 2020. Il
fut mis en accusation devant la Crown Court à Liverpool pour association de
malfaiteurs en vue de la distribution de cocaïne et d’héroïne et en vue de la
commission de trois meurtres.
Sous l’angle de l’article 8 de la Convention, les requérants se plaignent de
l’intrusion des autorités françaises dans le réseau crypté EncroChat, de
l’accès, de la saisie et de la copie des données de ses utilisateurs et de leur
partage avec les autorités britanniques. Ils contestent la légalité, la nécessité
et la proportionnalité de ces ingérences.
Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, les requérants soutiennent
qu’ils ne disposaient d’aucun recours effectif devant les juridictions
françaises.

QUESTIONS AUX PARTIES

1. Les faits dont se plaignent les requérants relèvent-ils de la juridiction


de la France ?

2. Dans la mesure où les requérants ne se présentent pas comme des


utilisateurs d’EncroChat et où ils allèguent que des données issues de la
captation litigieuse leur auraient été opposées par l’accusation dans le cadre
des poursuites pénales les concernant, peuvent-il se dire « victimes » d’une
violation de l’article 8 de la Convention, au sens de l’article 34 (voir
Roman Zakharov c. Russie [GC], no 47143/06, §§ 164-179, CEDH 2015 et
jurisprudence citée) ?

3. Les requérants ont-ils épuisé les voies de recours internes, comme


l’exige l’article 35 § 1 de la Convention ?

4. Les requérants ont-ils introduit leur requête dans le délai de six mois
prévu à l’article 35 § 1 de la Convention ? Quel serait le point de départ de ce
délai en l’espèce ?

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OBJET DE L'AFFAIRE ET QUESTIONS – A.L. c. FRANCE et E.J. c. FRANCE

5. À supposer les présentes requêtes recevables, la captation de données,


leur traitement et/ou leur partage avec les autorités britanniques ont-ils porté
atteinte au droit des requérants au respect de leur vie privée et de leur
correspondance, au sens de l’article 8 § 1 de la Convention ?
Dans l’affirmative, ces ingérences étaient-elle « prévues par la loi » et
« nécessaires », au sens de l’article 8 § 2 (Weber et Saravia
c. Allemagne (déc.), no 54934/00, §§ 93 et suivants, 29 juin 2006, et
Roman Zakharov, précité, §§ 228-234) ? En particulier, y a-t-il lieu
d’apprécier la légalité de ces ingérences selon les critères dégagés par la Cour
en matière d’interception en masse (cf., notamment, Big Brother Watch
et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 58170/13 et 2 autres, §§ 332-364, 25 mai
2021) ? Comment s’articule sur ce point les garanties découlant de la
Convention et les règles du droit de l’Union européenne applicables en la
matière ?

6. Le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention


a-t-il été violé en l’espèce ?

7. Les requérants avaient-ils à leur disposition, comme l’exige l’article 13


de la Convention, un recours interne effectif au travers duquel ils auraient pu
formuler leur grief tiré de la méconnaissance de l’article 8 ?
8. Le gouvernement défendeur est invité à soumettre les renseignements
suivants :
- Combien d’appareils ont-ils été concernés par la captation de données
litigieuse ?
- Quelle est la nature des données qui ont pu être ainsi collectées ?
- Quelles garanties contre l’arbitraire et les risques d’abus ont été
prévues et mises en œuvre au stade :
a. de l’examen, de la sélection, de l’utilisation et de la
conservation des données captées ?
b. de la transmission de ces données à des tiers ?
c. de la destruction, en temps utile, des données captées et des
documents d’analyse et des actes judiciaires relatifs à leur
exploitation ?
- Les personnes suspectant une surveillance de leurs données
disposaient-elles d’un droit d’accès aux données les concernant ou
à être informées de l’existence d’une telle mesure ? Un mécanisme
de notification ultérieure était-il prévu ? Des recours auprès d’un
organisme indépendant ou de tribunaux étaient-ils ouverts en cas
d’abus ?

9. Les requérants sont invités à produire tous documents ou pièces de


procédure permettant d’établir que l’usage d’un ou plusieurs appareils

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OBJET DE L'AFFAIRE ET QUESTIONS – A.L. c. FRANCE et E.J. c. FRANCE

EncroChat leur est imputé dans le cadre des poursuites engagées à l’encontre
et la nature des données qui leur sont opposées.
La production des décisions judiciaires prises depuis leur mise en
accusation est également sollicitée. À ce titre, dans le cadre de la requête
no 47930/21, le requérant est notamment prié de fournir :
- La décision rendue le 4 janvier 2021 par la Crown Court dans cette
affaire ;
- Une version non anonymisée de la décision rendue le 5 février 2021
par la Court of Appeal (Criminal Division) ou, à défaut, tout document
permettant à la Cour de s’assurer que la décision produite concerne
bien le requérant ;
- La décision du 11 mars 2021 rejetant la demande du requérant tendant
à être autorisé à saisir la Cour suprême ;
- La décision rendue par la High Court of Justice (Divisional Court)
dans l’affaire R (C) v. Director of Public Prosecutions [2020]
EWHC 2967 Admin.

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OBJET DE L'AFFAIRE ET QUESTIONS – A.L. c. FRANCE et E.J. c. FRANCE

ANNEXE

Liste des requêtes

No. Requête Nom de Introduite Requérant Représenté


No l’affaire le Nationalité par
1. 44715/20 A.L. c. France 05/10/2020 A.L. Bambos
britannique TSIATTALOU
2. 47930/21 E.J. c. France 20/09/2021 E.J. Bambos
britannique TSIATTALOU

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