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LaBourgade

qui allait se noyer


& autres aventures dans les Essarts
par Nicolas DESSAUX & Nicolas SENAC

Le Dodécaèdre
L’univers à douze faces
DODECAEDRE
L’univers à douze faces

La bourgade
qui allait se noyer
& autres aventures
dans les Essarts
Six scénarios d’aventures picaresques et d’horreur baroque
dans des décors bucoliques,
par Nicolas DESSAUX et Nicolas SENAC
version 1.01

Le Hobgoblin
MMXVIII
Présentation
Les six scénarios qui composent ce recueil se déroulent dans le cadre des
Essarts, une contrée de forêts et de montagnes où viennent se nicher fermes
isolées et bourgades rustiques. Ils sont conçus pour des séances courtes,
centrées sur l’ambiance, mélange d’horreur rurale, de naturalisme et d’aventures
picaresques, avec des personnages non-joueurs pittoresques. Ne les essayez même
pas si votre groupe pense que toute situation peut se résoudre à coup d’épée, si
joueuses et joueurs ne sont pas prêt à accepter un monde où les coutumes sont
importantes et où la discussion est en soit partie du plaisir de jouer.

Cendres & Neiges décrit les sinistres secrets d’une petite communauté isolée
par les glaces de l’hiver et le poids du silence. La Caravane, écrit par Nicolas
Sénac, propose complots et dangers sur les sinueux chemins des Essarts. La
bourgade qui allait se noyer est un mélange d’enquête et d’horreur au bord d’un
immense marais. D’une tonalité plus douce, la Cense de maitre Luige permet
de mener une contre-enquête dans une ferme aux mœurs patriarcales. Goules,
délices & orgues, qui peut en constituer la suite, met les personnages face au
risque d’une invasion de morts-vivants Enfin, le Secret de la dame au serpent est
une enquête sur un crime où le surnaturel revient à la surface.

Ces scénarios sont fournis sans référence à un système de jeu particulier. J’en
ai joué certains avec Shadows of the Demon Lord, avec Donjons & Dragons,
avec L’Appel de Cthulhu. La caravane a été à l’origine écrite pour Epées &
Sorcellerie. Mais parmi mes suggestions, Sombre émulerait sans doute mieux
leur part ténébreuse, Ryutaama le rôle des voyages et les personnages rustiques,
Chtulhu Dark pourrait constituer un autre choix intéressant. Quelque soit le jeu,
privilégiez l’ambiance, donnez le temps aux descriptions et aux conversations,
et ne vous laissez pas fasciner par les systèmes de combat, cela conviendra.

Merci à Squilnozor pour la relecture de Cendres & Neiges. Je reste responsable


des innombrables coquilles. Et merci bien sûr à mes joueurs et joueuses, sans
lesquelles le Dodécaèdre n’existerait pas.

Nicolas Dessaux
12 mai 2018

(3)
Cendres & neiges
Ce scénario d’enquête et d’horreur s’adresse à des personnages de faible
puissance, de préférence en petit nombre. Il se déroule dans l’essart de
Percemailles.

Recommandations
Le climat est un acteur important de l’histoire, qui se déroule en hiver, lors
d’une tempête de neige. Ne manquez pas de le rappeler aux joueurs à chaque
instant : il est presque impossible de quitter le village tant que la neige tombe,
le froid pénètre les vêtements jusqu’à l’os, les déplacements d’une maison à
l’autre sont difficiles en raison de la neige amoncelée, et les journées sont très
courtes. Cela donnera l’ambiance glaciale nécessaire au scénario.

Le silence est un autre élément essentiel : les habitants ne veulent résolument


pas parler de ce qui se passe, tout le monde se connait, les nouvelles circulent
vite d’une maison à l’autre, et chacun sait que celui qui parle finira très mal.
C’est cette ambiance lourde que le maitre de jeu doit s’efforcer de faire ressentir
aux joueurs. Les étrangers sont malvenus à Cendres, particulièrement les
elfes et autres elfins. On ne manquera pas de le leur faire sentir, sans violence
toutefois.

Cette aventure est conçue pour des aventuriers voués à défendre la veuve et
l’orphelin, toujours prêts à défendre leur prochain. S’ils ne démarrent pas au
quart de tour pour aller sauver une belle inconnue, il n’est pas fait pour eux.
Néanmoins, les aventuriers pourraient également être au service du seigneur
de Percemailles, envoyés en mission pour savoir ce qui se passe dans le bourg
vassal de Cendres. Évidemment, quels que soient les soupçons qui pèsent sur
les habitants, ces derniers sont réputés d’honnêtes sujets du maire et de son
suzerain, protégés par la loi.

Introduction
L’aventure commence par une conversation entendue dans une taverne
de Percemailles, un soir d’hiver. Un colporteur halfelin qui mange avec sa
nombreuse famille, explique au tavernier :

« Ces gens de Cendres sont vraiment fous. J’allais là-bas pour vendre des
livres, des partitions, des images pieuses, toute sortes de feuilles imprimées
venues de Gabales, d’Escarpont et autres lieux, et je faisais la réclame à vive
voix sur la place, lorsqu’un elfin aux cheveux roux se précipite sur moi et me dit

(5)
Cendres & neige

«Jézabel, ils vont tuer Jézabel, allez chercher du secours, je vous en conjure !».
Il empestait l’alcool, mais il y avait quelque chose dans ses yeux qui disait vrai.
J’en avais froid dans le dos, et pas seulement à cause de la neige qui me montait
jusqu’aux genoux. Après, d’autres sont venus le chercher, des types hirsutes
avec des bras plus larges que la bedaine de mon oncle Quatrefaces. J’ai dit à
Marjolaine, mon épouse que voici : «Ma mie, ma chère, nous allons décamper
de ce pays de fous’. Je n’y remettrais jamais les pieds, parole d’halfelin».»

Le tavernier hoche la tête d’approbation avant de demander aux personnages


s’ils veulent goûter son pâté de faisan.

Si on l’interroge, le colporteur halfelin, qui se nomme Genêts, racontera la


même histoire en insistant surtout sur la qualité des feuilles imprimées qu’il
vend, en ajoutant tout de même quelques détails : la scène s’est déroulée l’avant-
veille, il était venu porter au docteur cendres un livre dans sa maison lugubre,
et si on l’interroge sur ce ivre, il s’agit d’un traité de mythologie imprimé à
Gebenheim, dans l’Empire. C’est la première fois qu’il se rend à Cendres, la
commande du livre lui ayant été transmise par un collègue et cousin. Une
fois le mot cousin prononcé, Genêts ne pourra s’empêcher d’expliquer les liens
généalogiques qui l’unissent avec ce dernier, et avec la moitié des halfelins de
Percemailles et d’ailleurs.

Que se passe-t-il a Cendres ?


Cendres et une bourgade isolée, sourdement hostile aux étrangers. Très
conservatrice, elle est fidèle aux mœurs des anciens Sartes, qui ont défriché
la forêt pour s’installer ici des siècles auparavant. Bien que ces défrichements
aient eu l’aval du roi des Elfes, les affrontements avec les sylvains ont été
nombreux.

A vrai dire, les premiers bucherons de Cendres ont massacré les elfes des
bois pour s’installer ici. Les sylvains leurs avaient proposés d’unir leurs peuples
par des mariages entre jeunes gens, à l’issue d’une grande fête. Mais les rudes
barbares Sartes, qui convoitaient les femmes sylvaines sans vouloir offrir leurs
jeunes gens, profitèrent de l’ivresse de la fête pour commettre un carnage.

Depuis, Cendres est hantée par des morts-vivants elfiques, qui reviennent
chaque hiver hanter le village lors des premières neiges. Ils ne partent que
lorsqu’ils ont pu attraper une jeune victime, dont ils dévorent les doigts, les orteils
et les lèvres. Afin d’être tranquilles, les habitants ont pris, presque à leur insu,
l’habitude de sacrifier chaque année une victime, en laissant malencontreusement
sortir à la nuit tombée une jeune personne, de préférence folle, idiote, infirme
ou malade. Tout le monde sait plus ou moins, mais personne n’en parle jamais.
C’est un tabou qui pèse lourdement sur la mentalité des Cendrais.

(6)
Cendres & neige

Ceux qui ont échappés aux morts-vivants, ou qui ont vu les cadavres de leurs
victimes, ne tardent pas à devenir fous, selon les tendances de leur personnalité.
Souvent, ce sont eux-mêmes les prochaines victimes, car leur folie les prédispose
à être sacrifiés. C’est ce qu’un jeune elfin, Lafleur, a fini par comprendre. Il
craint pour la belle Jézabel, dont il est secrètement amoureux. Trop lâche pour
quitter le bourg, il va essayer d’attirer à Cendres des aventuriers capables de
l’aider.

Hélas, lorsque les personnages arrivent au village, son destin est déjà joué. Sa
conversation avec le colporteur halfelin a été surprise par la vieille Tétarde, qui
allait faire ses courses chez l’épicier Toodle. Des bucherons l’ont sévèrement
corrigé, lui reprochant d’attirer des ennuis, puis l’ont enfermé dans une remise
de la scierie, le temps qu’il dessaoule. Malencontreusement, il a essayé de
s’échapper la nuit pour retourner chez lui, avant d’être rattrapé par les morts-
vivants. Au matin, les corbeaux ont commencé à dévorer son corps congelé,
privé de ses doigts, orteils et lèvres...

Les aventuriers trouveront sans doute son corps dans son jardin, près de la
haie. Tout le monde, y compris le docteur Cendres, s’accordera à déclarer que
ses plaies sont tout à fait naturelles, attribuables aux charognards, et souhaiteront
incinérer son corps au plus vite devant l’église. S’ils tardaient à le faire, Lafleur
reviendrait sous la forme d’un mort-vivant la nuit suivante, mais les villageois
se garderont d’expliquer leurs craintes à ce sujet.

Des aventuriers curieux ne manqueront pas de remarquer qu’il y a un cimetière


autour de l’église et que l’incinération n’est pas la coutume. Les explications
varieront selon les personnes, qu’il s’agisse du fait qu’il était à moitié elfe ou
de la difficulté de creuser une tombe dans la terre gelée.

Le defunt Lafleur
Jeune fille, la mère de Lafleur s’était laissé séduire par un elfe sylvain
rencontré dans la forêt. Elle a accouché d’un petit semi-elfe, un elfin, honte
qui lui a interdit de se marier. Même s’il est né à Cendres, il reste considéré
comme un étranger. Les hommes méprisent sa taille fluette. Même si les jeunes
filles lui trouvent un certain charme, elles craignent les rumeurs à son sujet, qui
le dépeignent comme un vil séducteur, sans cesse prêt à abuser de leur faiblesse.
Lafleur noie son chagrin dans l’alcool, comme en témoignent les nombreuses
bouteilles vides qui trainent dans sa petite maison de bois. Il possède un petit
portrait peint de sa mère et un arc elfique, dont il ne sait pas se servir. Maître
Holcombe, sans doute par affection pour la défunte mère de Lafleur, l’a recruté
comme intendant dans sa scierie : c’est lui qui est chargé de calculer et de verser
la paye des bûcherons. L’elfin est amoureux de Jézabel, la fille du prêtre, et c’est
lui qui a prévenu les halfelins.

(7)
Cendres & neige

ARRIVEE A CENDRES
Le bourg de Cendres est situé au nord-est de Percemaille, à la lisière de la
forêt, non loin des collines des Maraudeurs. Pour se rendre de Percemailles
à Cendres, il faut normalement une journée à pied, la moitié à cheval. Mais
en raison de la neige qui commence à tomber, il en faudra bien le double.
Les quelques flocons vont peu à peu se transformer en véritable tempête de
neige. Les rares personnes que les aventuriers croisent sur le chemin font mine
d’ignorer où est Cendres, ou donnent une indication très vague : « par là, après
la rivière ! ». N’oubliez-pas que le jour tombe très tôt l’hiver et que les nuits sont
dangereuses dans l’essart de Percemailles. Toutefois, les personnages ne font
pas de mauvaises rencontres en chemin.

Les aventuriers arriveront, à la nuit tombée, sous la neige, devant un petit


pont de bois. Là, l’un d’entre eux apercevra une silhouette dans les bois, mais il
sera impossible de la retrouver, quoique fassent les aventuriers. De l’autre côté
du pont, on aperçoit une maison : celle de Balor le bûcheron.

Balor le bucheron : La bourgade est bordée par une petite rivière.


La première maison après le pont est celle de Balor, un bûcheron immense et
barbu, qui vit avec sa femme et leur petit garçon. D’un abord rugueux, Balor peut
être agressif quand il ne comprend pas quelque-chose – et cela arrive souvent. Il
peut devenir un allié précieux pour les personnages, car il déteste la situation
dans laquelle la communauté s’est enfermée. Il faudra tout de même le mettre
en confiance pour réussir à le faire parler, jamais à la première rencontre. Si
on lui demande l’emplacement d’une auberge, il grognera le nom du docteur et
indiquera l’emplacement de sa maison.

CENDRES ET SES HABITANTS


Toute proche de la forêt, Cendres est une communauté isolée de forestiers
et de bûcherons, qui ne s’intéressent guère à ce qui se passe au-delà de leurs
affaires immédiates. Les étrangers sont vus avec suspicion, même s’ils sont
accueillis poliment tant qu’ils ne troublent pas les mœurs locales. Il n’y a ni
taverne, ni auberge, mais le docteur Cendres pourra héberger des voyageurs s’ils
se montrent courtois.

Le seul endroit collectif est la petite église vouée à Vulcain, patron des
artisans, sous le nom local de Mulcifer. Les maisons entourées de jardins et
d’enclos sont isolées les unes des autres, un peu plus resserrées autour de l’église
et de son cimetière.

Il n’y a ni murailles, ni défenses, si ce n’est des haies de haute taille qui


contribuent à assombrir les chemins qui mènent d’une maison à l’autre. Si l’on

(8)
Cendres & neige

ne connait pas les lieux, ces derniers forment un labyrinthe inquiétant. Les
habitants sont pour la plupart de petits fermiers, qui complètent leurs revenus
en travaillant comme bûcherons pour maître Holcombe.

Le docteur Cendres : Le maire héréditaire est le docteur Cendres


lui-même, descendant à la onzième génération du fondateur de la bourgade.
C’est un homme courtois, mais taciturne. Depuis son veuvage, il vit seul avec sa
servante, Félicité. Chaque matin, dès l’aube, il part faire le tour des habitants,
visiter les vieillards et les malades pour leur prodiguer ses soins. L’après-midi,
il lit des ouvrages imprimés qu’il fait venir de Gallicorne, puis joue du piano,
répétant inlassablement les mêmes gammes sans talent, ni inspiration. Enfin,
il se couche dès le soir tombé, après un petit verre de liqueur que sa servante
lui amène à la porte de sa chambre. C’est le seul vice qu’on lui connaisse.
Cendres est un loyal vassal du seigneur Landart, mais il méprise les gens de
« la ville ».

Le docteur Cendres possède une vaste demeure de pierre sombre et d’allure


gothique, avec plusieurs dépendances. Au rez-de-chaussée se trouvent un hall en
mezzanine, une vaste pièce de réception avec une grande cheminée, une salle à
manger, une grande cuisine et la petite chambre de Félicité. A l’étage, on trouve
la chambre du docteur, son bureau où trônent son piano et sa bibliothèque, ainsi
que quatre chambres vides : celles de son épouse défunte, de ses deux fils partis à
la guerre dans l’Empire, et d’une fille dont il ne parle jamais. Celle-ci a disparu
une nuit d’hiver dans la forêt, de même que sa mère quinze ans plus tôt. Le
docteur se doute bien de ce qui s’est réellement passé.

Ses lectures d’ouvrages d’occultisme, d’alchimie et d’exorcisme lui ont


enseigné assez pour qu’il en sache plus que la plupart des autres habitants, mais
il porte en lui le poids de la culpabilité collective et ne s’abaissera jamais à en
parler à des étrangers, même sous la menace.

Félicité : La servante du docteur Cendres est une femme approchant la


quarantaine, ronde et blonde, restée vieille fille. Entièrement dévouée au docteur,
elle vit dans une petite pièce attenante à la cuisine. Chaque après-midi, elle se
rend chez sa tante pour voir son frère Gustave, un jeune infirme à la santé mentale
vacillante. Les nuits d’hiver, elle est prise d’une peur panique qui la poussera à aider
les aventuriers, sans jamais révéler de but en blanc ce qui se passe dans le bourg.

La vieille Tétarde : Cette vieille femme à la voix croassante est la


voisine de Lafleur, qu’elle déteste cordialement. C’est une commère incorrigible,
qui a des médisances à répandre sur tout le monde. Il faut trier le vrai du
faux dans ses propos et elle ne se laissera certainement pas aller à déballer les
ténébreux secrets du bourg, mais au milieu de ses incohérences et de ses demi-
mensonges peuvent perler d’utiles renseignements.

(9)
Cendres & neige

Maitre Holcombe : Le plus riche propriétaire de Cendres est maître


Robert Holcombe. Propriétaire de la scierie, il procure du travail à la plupart
des habitants de la bourgade. C’est lui-même un ancien bûcheron, qui a épousé
la fille du patron dans ses jeunes années. Il a conservé la rudesse des hommes
des bois et n’a jamais appris à lire, mais c’est un homme rusé et doué en affaires.
Il méprise ouvertement les étrangers, ne découvrant l’usage de la courtoisie
que lorsqu’il est question d’argent. Son autorité sur les bûcherons est totale.
Seul le docteur Cendres lui impose un certain respect. La vaste demeure de
pierre de maitre Holcombe, avec ses immenses cheminées dans chaque pièce,
est meublée avec un luxe un peu clinquant.

Au bord de la rivière, la scierie est composée d’un grand atelier où l’on scie
en long les troncs pour en faire des planches, d’une vaste cour où l’on assemble
ces planches en radeaux pour les mettre à flotter sur la rivière jusque Cimiers,
et d’une petite maison où ont lieu la paie et autres opérations comptables. Une
partie des bucherons travaillent au sciage, les autres à l’abatage. Le travail bât
son plein malgré l’hiver, car la belle saison est consacrée aux travaux des champs
et au jardinage. Dans une cabane derrière la scierie, les bucherons distillent un
alcool de sève de pin, extrêmement fort. Holcombe ferme les yeux là-dessus.

Bethsabée : Cette demoiselle vigoureuse mais romantique travaille à la


scierie, parmi un groupe de jeunes femmes chargées de l’ébranchage des arbres
fraichement coupés. Elle appréciait beaucoup Lafleur, qui lui faisait une cour
discrète, mais en public, en parlera simplement avec un peu moins de dédain
que les autres. Elle rêve de quitter Cendres, dont elle pressent les ténébreux
secrets, mais elle craint de partir seule et démunie. Un séduisant aventurier
aurait ses chances, s’il pouvait lui promettre le mariage et un avenir meilleur.
Mais, comme elle est constamment entourée de ses médisantes collègues et
qu’elle rentre chez ses parents avant la nuit tombée, il est dur de se trouver seul
avec elle. N’oubliez pas que les jeunes filles à marier sont rares au bourg et que
l’on préfère rester entre soi : les hommes de Cendres ne manqueront pas de le
rappeler brusquement à l’importun qui courtiserait l’une d’entre elles.

L’eglise de Mulcifer
L’église, une bâtisse de pierre noire décorée de gargouilles à têtes caprines,
jouxte sa ferme. Elle ne présente aucun ornement particulier, si ce n’est les
quatre faunes de bronze qui entourent le brasier central. La haute tour du clocher
donne un point de vue sur l’ensemble du bourg et au-delà, mais son échelle est
vermoulue.

Vulcain, le dieu des forgerons est honoré à Cendres sous son aspect de patron
des rémouleurs, sous le nom de Mulcifer. C’est d’ailleurs le métier de Renard,
le prêtre de la communauté. En dehors des jours sacrés où il célèbre le culte en

(10)
Cendres & neige

décapitant une chèvre d’une lame acérée avant de jeter sa tête dans les flammes,
Renard affute les lames des bûcherons dans la cour de sa ferme. C’est un homme
sévère, dénué d’humour, auquel manquent plusieurs doigts. Il habite avec son
épouse, Reine, la sage-femme de la communauté, et leurs six enfants.

L’ainée est la jolie Jézabel, une jeune fille en âge de se marier, mais qui ne
trouve guère d’époux en raison des crises de folie auxquelles elle est sujette. En
réalité, toute la communauté devine la raison de ses crises et sait qu’elle est
vouée à un funeste destin. Lorsque la mort de Lafleur sera connue, une certaine
euphorie régnera à la maison, car cela signifie que la jeune fille échappera un
hiver encore à son destin.

La boutique de Toodle
Seul commerce de Cendres, la boutique de Toodle ne se distingue pas des
autres maisons. On pourrait prendre son entrepôt pour une simple grange. C’est
un immense bric-à-brac de marchandises les plus diverses, denrées alimentaires
sèches ou en conserve, textiles et tissus, menues breloques et bijoux, meubles et
outils, entassés dans un ordre improbable. Seul le vieux gobelin Toodle semble
s’y retrouver. Personne ne l’aime, ses prix sont élevés et il n’est pas toujours très
poli, mais on le laisse tranquille tant qu’il ne se mêle que de ses affaires. De
toute façon, c’est comme s’il avait toujours été là : nul ne se souvient quand il
s’est installé à Cendres.

L’enquete
Ce scénario est très ouvert, puisque tout dépend des actions des personnages et
de la manière dont ils mènent l’enquête. S’ils cherchent Jézabel, ils trouveront
une jeune fille certes un peu étrange, mais pleine de vie, et ne manqueront pas
d’attirer l’attention sur eux. Plus ils enquêteront, plus les habitants leur feront
sentir qu’ils ne sont pas les bienvenus et plus les bouches se fermeront. S’ils
cherchent un elfin, ils trouveront probablement le corps de Lafleur, sans plus
d’explication. Il leur faudra donc user de ruses et de patience pour réussir à faire
parler peu à peu quelques habitants, que ce soit Balor, Félicité ou Bethsabée.
Enfin, s’ils sortent la nuit, il est fort possible qu’ils soient attaqués par les
morts-vivants. Ceux-ci attaquent en bandes, dans l’obscurité, en choisissant les
victimes isolées. Ils n’affronteront jamais un groupe d’aventuriers armés. Tapis
dans la neige épaisse, ils observent, attendent le meilleur moment pour frapper
et s’enfuient s’ils rencontrent de la résistance.

S’ils ont tué des morts-vivants, les aventuriers se persuaderont sans doute
qu’ils ont sauvé le village de sa malédiction. Les Cendrais accueilleront cette
nouvelle sans joie, voir avec hostilité. Après tout, les créatures reviendront
l’hiver prochain, encore et encore.

(11)
Cendres & neige

Le maître de jeu pourra choisir entre plusieurs ambiances pour le final. En mode
sombre, les personnages termineront un par un sous les crocs des morts-vivants,
les lèvres, les doigts et les orteils arrachés. Les éventuels survivants s’enfuiront
et maudiront Cendres à tout jamais. En mode héroïque, ils pourront triompher
des morts-vivants. Menez-les jusqu’à la fosse commune où les premiers habitants
de Cendres jetèrent jadis leurs victimes elfiques, où ils pourront affronter les
morts-vivants la nuit, ou encore accomplir les rites funéraires elfiques pour
délivrer les morts-vivants et leur permettre de trouver le repos. 

(12)
La Caravane
Ce scénario consiste en la description d’une caravane peu commune en route
de Percemaille à Escarpont, avec laquelle voyagent les aventuriers, au risque de
s’impliquer dans de sombres affaires qui ne les regardent en rien...

Contexte
Il y a un mois, Bayezid Fatih, plénipotentiaire de Brahim Pacha, a quitté la
côte des Haidouks avec son escorte d’hommes d’armes, pour un long périple
jusqu’à la Gallicorne, avec l’ordre d’y devenir le résident de Nursag dans le
cadre de la politique de rapprochement négociée secrètement par les deux
puissances qui caressent le rêve d’une alliance de revers contre l’Empire... La
cité-état de la côte des Haïdouks et son puissant maître pourraient notamment
renseigner la Gallicorne sur les tumultueuses relations entre ordres melrosiens,
voire intervenir militairement, en échange d’un paiement conséquent.

Bayezid, évitant le territoire impérial, a décidé de passer par le Consulat, où


il a rencontré plusieurs des agents de la Gallicorne qui ont envoyé des courriers
à Escarpont pour prévenir les diplomates cornéens qui se préparent à accueillir
l’ambassadeur de Nursag. Il a notamment discuté avec la famille Myles de
Bracce. Malheureusement pour Bayesid, un des courriers a été intercepté par un
espion de l’Empire. Très vite, un assassin, le Docteur Rafaelli, a été lancé aux
trousses du plénipotentiaire, prêt à tout pour empêcher l’arrivée de Bayezid à
Escarpont. Bien entendu, ce dernier voyage incognito. Il se fait passer pour un
riche et excentrique marchand en route pour Escarpont où il compte se lancer
dans le négoce de poterie – célébrité de la cité impériale – et de textile. Les
mercenaires du Consulat qui l’escortent ne sont au courant de rien, ayant été
engagés pour protéger une caravane qui transporte des épices et des ballots de
coton en quantité suffisante pour donner le change.

La caravane, arrivée à Percemaille, se prépare à couvrir la dernière partie de


son trajet, la plus dangereuse, à travers les territoires contestés et les collines
des Maraudeurs, un groupe de brigands qui a déjà commis de nombreuses
exactions.

De plus, le Docteur Rafaelli, arrivé en catastrophe après avoir tué deux


chevaux sous lui, a intégré le groupe, prévoyant d’accomplir son noir forfait
durant le périple. Et c’est là que les aventuriers entrent en scène : il s’agit
soit de mercenaires supplémentaires recrutés par le chef de l’escorte, le vieux
Nunzio, en prévoyance des difficultés du voyage, soit des voyageurs désirant
rallier la Gallicorne ou l’Empire s’étant joints à la caravane, appliquant par là-
même le sage principe de l’entraide mutuelle.

(14)
La caravane

Les membres de la caravane

La suite d’Ansaldo di Jodela. Bayezid Fatih voyage sous une


fausse identité. Ce diplomate de génie et maître intriguant et s’est élaboré
un personnage haut-en-couleurs : un négociant égocentrique vivant à la mode
orientale et se prenant pour un grand noble. Cette identité triple est un artifice
subtil que cet esprit retors prend un grand plaisir à interpréter. Kebirran-Bey,
noble oriental, est le rôle qu’il joue avec peu de brio.

Toutefois, il est de notoriété publique qu’il se nomme en fait Ansaldo di


Jodela, marchand de Bracce si imbu de lui-même et si fasciné par l’Orient qu’il
s’est composé le rôle de Kebirran-Bey pour satisfaire sa mégalomanie et son
désir de pouvoir. Mais cette deuxième identité est également un rôle.

Bayezid Fatih interprète à la perfection cet orgueilleux marchand qui se fait


appeler « son Excellence » par ses employés et se vêt de coûteux habits de
soie bigarrée qu’il importe à grands frais et agrémente d’un turban rouge et or,
d’un sabre d’apparat et de diverses médailles factices. Personne ne sait que son
sabre est bel et bien tranchant, et que Bayezid est versé dans son maniement. Il
assume ce rôle depuis son arrivée à Bracce et lui a donc donné une crédibilité
totale aux yeux des mercenaires qu’il a engagés. Tous les membres de la caravane
savent que Kebirran-Bey est la fausse identité d’Ansaldo di Jodela tellement
l’interprétation de ce dernier est caricaturale et ridicule. D’ailleurs, ils s’en
gaussent quand ce dernier se retire dans sa tente, mais aucun n’a percé à jour
Bayezid Fatih.

Par exemple, Ansaldo di Jodela/Kebirran-Bey refuse d’être touché par


des « impurs » et ordonne que tous ses serviteurs se purifient rituellement.
Il ne mange pas de porc, se refuse à consommer de la nourriture non cuite
et ne parle à des gens étrangers à sa suite, constituée par ses serviteurs et
ses mercenaires, que par l’intermédiaire d’un de ses domestiques. Ses choix
alimentaires pourraient bien poser problème durant le voyage où faire un feu
est la meilleure façon de se faire repérer par des brigands de passage. Enfin, il
possède une bourse contenant de la poudre d’or pur pour une valeur de 500 pièces
d’or, présent de Nursag à la Gallicorne, et une dose de breuvage de clairvoyance
dans une petite bouteille de cristal.

Le breuvage de clairvoyance : Ce liquide ambré dans lequel flotte


des particules rougeâtres permet à celui qui le boit de savoir, au prix d’une
méditation longue de 1d6 heures pendant laquelle le personnage est totalement
inconscient, quel est le danger qui le menace le plus présentement, sans toutefois
donner d’informations sur l’auteur de la menace. Par exemple, si un personnage
est sur le point d’être empoisonné par un proche, il saura juste qu’on va tenter
de le faire assassiner.

(15)
La caravane

Nunzio, le chef des mercenaires d’Ansaldo di Jodela, a été engagé à Bracce.


Ce vieux barbon a en vu beaucoup de pays dans son existence tumultueuse où il
a exercé notamment les emplois d’entrepreneur de guerre, de garde du corps,
de sergent de l’armée et de commandant d’un poste-frontière à la frontière
du Consulat avec la Gallicorne. Aux veillées, il aime raconter quelques-unes
des aventures qu’il a vécu aux cotés des grands de ce monde (dont il enjolive la
plupart, bien que certaines soient véridiques), comme la fois où il a déjoué une
tentative d’assassinat contre le prince d’Albe, ou des anecdotes croustillantes
comme le dîner où Rina Sangio avait lancé son assiette de ragoût à la tête
d’Elgo da Senesta.

Nunzio est résolument anti-cornéen, ce qui pourrait poser quelques problèmes


avec les patrouilles de la Gallicorne...

Le vieux briscard aux longs cheveux blancs rassemblés en queue de cheval par
un ruban noir a pourtant perdu son ardeur au combat et sa témérité d’antan.
Si la caravane se trouve dans une mauvaise posture, par exemple prise dans
une embuscade des Maraudeurs, il se pourrait très bien qu’il juge avoir plus de
chances de survivre s’il s’enfuit seul à cheval que s’il reste à protéger le convoi
contre les brigands. Dans ce cas, le jeune Matis, des Essarts, le remplacerais
mais son inexpérience doublée d’une indécision face au danger pourraient bien
être très préjudiciable et pousser les aventuriers à assumer le commandement.

Les mercenaires de Nunzio sont remarquablement dignes de confiance et


honnêtes pour leur profession. Ces hommes de main triés sur le volet ne se
débanderont pas au premier sang et leur discipline les place au dessus des
simples soudards brailleurs. Quant aux serviteurs d’Ansaldo di Jodela, ils
sont au nombre de cinq (cuisinier, secrétaire, trois domestiques). Tous sans
exception ont été recrutés à Bracce, après que Bayezid ait abandonné son
escorte de Nursag trop visible.

Les voyageurs

Le Docteur Rafaelli est sans nul doute le personnage le plus dangereux de


la caravane. Ce tueur sans scrupules, inféodé à l’Empire, va tenter d’assassiner
Bayezid (dont il connaît la véritable identité) durant le voyage. De même, si
des gens, comme les mercenaires ou les aventuriers, se mettent en travers de
sa route, il est fort probable qu’ils paient le prix fort. En effet, le bon docteur
est un meurtrier méticuleux et sournois. Sa profession lui permettra sans doute
d’approcher Bayezid (ou n’importe quel autre de ses ennemis) si ce dernier
est blessé. Il tentera alors de faire s’infecter les plaies ou lui administrera un
remontant empoisonné à la digitaline tout en ayant l’air de s’échiner à soigner
le blessé. Cette digitaline est un poison très puissant, ui peut déclencher en
peu de temps une crise cardiaque. Elle est récoltée par le docteur dans les

(16)
La caravane

feuilles d’une belle plante de montagne aux fleurs roses, poussant notamment
dans les pics de la Vouivre. Si Bayezid n’est pas blessé, le docteur feindra de
le trouver soucieux et/ou en état de choc, enfin bref, usera d’autres expédients
quitte à passer pour un médecin qui voit des maladies imaginaires chez tout le
monde. Si besoin est, il requerra à des techniques plus traditionnelles, comme
le fruit coupé avec un couteau empoisonné sur une des deux faces, ou même la
confrontation physique : strangulation, coup de scalpel vicieux, etc. Il possède
tout un assortiment de lames diverses et variées qu’il enveloppe dans un tissu
noir. A noter que Bayezid, bien campé dans son rôle de pseudo-noble oriental,
refusera de se faire ausculter directement par le médecin, sauf blessure grave,
ce qui risque de compliquer la tâche du Docteur Rafaelli.

Calme et posé, ce dernier prépare soigneusement ses tentatives et n’hésite pas


à faire plusieurs tentatives. Toutefois, à mesure que la caravane se rapproche
d’Escarpont, il sera de plus en plus nerveux.

Le Docteur est un homme dans la force de l’âge, au teint légèrement jaunâtre


(qu’il expliquera par les séquelles une maladie contractée auprès d’un des ses
patients) et à la face marquée par la petite vérole. Il s’habille sobrement, de noir
et de gris. Seules ses manchettes blanches témoignent de l’intérêt qu’il porte à
sa tenue. Effacé auprès de ses compagnons de voyage, il leur fera toutefois l’effet
d’un homme généreux et toujours prêt à rendre service. Il cache un assortiment
de scalpels et autres lames et une dose de digitaline, qui est un poison violent.

Si le Docteur Rafaelli est percé à jour par les aventuriers et qu’il sent qu’il ne
pourra pas se débarrasser d’eux, il leur racontera un habile mensonge, espérant
ranger les personnages de son coté : il est venu assassiner Ansaldo di Jodela car
il a déshonoré sa sœur et sa famille.

Les autres voyageurs ne faisant pas partie de la suite du pseudo-marchand de


Bracce sont :

+ Carmel, une jeune vagabonde aux bras couverts de cicatrices, à la recherche


d’une nouvelle vie qui a remarqué la bourse bien rebondie qui pend à la ceinture de
Bayezid et a bien envie de s’en emparer, bien que la surveillance des mercenaires
l’ait un peu refroidie.

+ Albin et Elsa, un couple de Percemaille allant recueillir l’héritage d’un


parent décédé à Escarpont.

+ Orfeo, un négociant hobelin d’Escarpont rentrant de Percemaille après une


visite d’affaires qui s’est mal passée.

Le voyage
La route de Percemaille à Escarpont/Skardorf serpente dans le Bois de la

(17)
La caravane

Jönde en contournant soigneusement les ruines d’Argente. La première partie


du trajet est la plus périlleuse car la route longe les Collines des Maraudeurs
et les embuscades de caravanes sont monnaies courantes, d’autant plus que le
capitaine Ronan de Cimier et ses chevaliers ne patrouillent que la route de
Cimier à Percemaille. Au delà, le territoire appartient en théorie à la ville,
mais la proximité avec la Gallicorne et son armée en fait une frontière militaire
et un territoire déserté.

La seconde partie du voyage se fait donc en territoire cornéen, où la caravane


risque à tout moment d’être arrêté par une patrouille de la Gallicorne ou
rançonnée par des déserteurs.

Le trajet total est de 400 km, les deux parties du voyage étant à peu près
égales. Le convoi étant constitué de trois chariots tirés par des ânes (deux
pour Bayezid et l’autre pour les voyageurs) et de chevaux (les mercenaires et
éventuellement les aventuriers), sa vitesse est assez réduite : une trentaine de
kilomètres par jour, donc une durée de deux semaines, avec une semaine en
zone d’influence des Maraudeur et une semaine en zone d’influence cornéenne.

évènements marquants (1d20)


1-3 1d6+10Maraudeurs armés de sabres et d’arcs courts lancent un assaut
depuis les collines. La caravane est la cible du feu nourri d’archers embusqués.

4 La caravane passe devant une source. 50 % de chances qu’elle ne soit pas


potable (empoisonnement ou autre).

5 Un arbre est tombé en travers de la route, suite à une tempête récente :


il va falloir le dégager. A moins que cela ne soit le prélude à un guet-apens...

6 Un autre groupe est rencontré sur le chemin (75 % qu’il arrive en sens
inverse, 25% qu’il rattrape la caravane, auquel cas ce sont des cavaliers). Peut-être
est-ce des déserteurs, des marchands accompagné d’un colporteur, des chevaliers,
des familles – d’humains ou autres – fuyant la guerre ou des prêtres itinérants ?

7-9 Le Docteur Rafaelli passe à l’action !

10 Nunzio a la ferme intention de passer à tabac Orfeo à cause de la


nationalité cornéenne de ce dernier.

11 Un mercenaire tente d’abuser d’une des deux femmes de la caravane.


12-13 Carmel tente de voler la bourse de Bayezid.

(18)
La caravane

14 Bayezid laisse malencontreusement perler un indice de sa véritable


identité.

15 La caravane est arrêtée à un poste-frontière de fortune où 2d6 soldats


cornéens lui demande de payer le tonlieu. 50 % de chance qu’il soit plus élevé
que prévu, 25 % de chances qu’il s’agisse d’imposteurs. Risque de confrontation
car Nunzio n’apprécie guère les cornéens, surtout quand ils demandent de
l’argent.

16-17 Une patrouille (2d6+6 soldats commandés par un sergent) de


la Gallicorne arrête la caravane et la soumet à une fouille complète, au grand
désarroi de certains... 25 % de chances qu’ils confisquent les armes.

18-19 Attaque de bête sauvage.

20 Bayezid, ayant eu l’intuition d’un danger, utilise son breuvage de


clairvoyance et apprend qu’un assassin se cache dans la caravane. Il demande
à Nunzio de chasser les autres voyageurs, les abandonnant à une mort presque
certaine dans ce territoire hostile. Il faudra beaucoup de diplomatie aux
aventuriers pour éviter ce sort.

Ignorez les résultats de 15 à 17 la première partie du voyage et les résultats de


1 à 3 la deuxième (rejouez ou remplacer par un événement de votre cru). 

(19)
La bourgade
qui allait se noyer
Que s’est-il passé ?
Les marais de Maïale se sont agrandis au cours des siècles, noyant peu à peu
des vallées autrefois fertiles. Par endroit subsistent des ruines de villages, de
bourgades, de châteaux et même de cités. Lorsque leurs terres ont dû affronter
la menace de l’eau, leurs occupants ont non seulement multiplié les digues et
les canaux, mais aussi les cultes apocalyptiques voués à des divinités perverses.
La plupart ont reflué vers des terres plus hospitalières, tandis que les plus obtus
se sont obstinés à survivre dans leur marécage. C’est le cas du culte du crapaud,
voué à Tsatthoggua. Nombre de familles du bourg d’Ostrada, aujourd’hui en
bordure immédiate du marais, descendent d’adeptes de cette divinité maléfique.
Pendant des siècles, elles lui ont tourné le dos, revenues au culte officiel de
Cérès. Mais plus le marais vient menacer leur bourgade, plus elles reviennent
aux superstitions ancestrales. Personne n’en parle, mais tout le monde le sait.

Le Docteur, un mystérieux aristocrate décadent qui refuse de quitter son


château noyé par les marais, utilise ce culte renaissant pour le servir. Dans son
laboratoire, il prépare un plan pour mieux s’adapter aux conditions aquatiques :
transformer peu à peu les humains en créatures batraciennes. Pour cela, il a
besoin de sang de gnome, une composante bien connue des alchimistes pour
sa capacité à faciliter les hybridations monstrueuses. Il a exigé des adeptes
qu’ils lui livrent des colporteurs gnomes qui viennent régulièrement réparer les
outils métalliques à Ostrada, afin de récupérer leur sang. Mais la communauté
gnome réagit en faisant appel aux chevaliers porte-glaives, officiellement
suzerains d’Ostrada.

Implication des personnages


Les personnages peuvent être des sergents d’armes, voir des chevaliers de
l’Ordre des porte-glaives, ou des « sergents à terme », c’est-à-dire qu’ils sont
recrutés par l’Ordre pour un temps donné. Ils sont convoqués à la Commanderie,
sur la demande du sous-prieur Scandre, que l’on annonce déjà comme le futur
grand-maître de l’Ordre en raison de ses liens familiaux avec l’Empereur. Ce
n’est néanmoins pas lui qui les reçoit, mais le cellérier, frère Liévin, qui est en
charge de l’administration du domaine – c’est-à-dire l’ensemble des territoires
dont l’ordre est seigneur ou propriétaire.

(21)
La bourgade qui allait se noyer

Frère Liévin exposera la situation sans détours : la bourgade d’Ostrada, aux


confins des Bois Pourris et du marais de Maïale, est une propriété de l’Ordre.
Elle est administrée par un maire héréditaire, maître Gotard. Elle est ruinée
depuis que la vieille route de Tilos est à l’abandon. Néanmoins, des colporteurs
gnomes venus des monts au-delà viennent régulièrement avec leurs carrioles
vendre des casseroles et autres objets en cuivre. Deux d’entre eux, Bakar et
Patuljak, ont disparu à Ostrada, avec leur carriole et leur âne. Une missive
envoyée à maître Gotard n’a reçu qu’une réponse évasive, quelques mots
griffonnés d’une main tremblante, peu habituée à écrire. En tant que seigneur
et protecteur du commerce sur cette route, l’Ordre doit faire respecter la justice
et tout particulièrement, la charte de l’an 1214 par lequel il garantit le droit de
circulation des colporteurs gnomes sur ses terres.

En conséquence, Frère Liévin demande donc aux personnages d’enquêter


sur place. Il les enjoint à porter le manteau de l’ordre, blanc à glaives rouges
croisés, et leur remet une lettre scellée de sa main pour preuve de leur autorité.
Elle leur donne le droit de mener l’enquête et de réclamer l’aide des autorités,
mais nullement de faire justice ou de commander à qui que ce soit. Bureaucrate
zélé, Frère Liévin connaît mal Ostrada, où il ne s’est jamais rendu. Il sait
seulement que les impôts rentrent mal depuis plusieurs décennies et espère que
le prochain Prieur y mettra bon ordre.

La bourgade d’Ostrada
Le village d’Ostrada est situé aux confins des terres des porte-glaives, à quatre
jours de cheval (ou le double à pied) de la commanderie, le long de l’ancienne
route qui menait à Tilos. Autrefois, cette voie pavée était patrouillée par les
chevaliers, avec l’aval des elfes de la Fontaine d’Argent. Mais elle est désormais
désuète, envahie par les arbres étranges des Bois pourris et les remontées
nauséabondes du marais de Maïale. La dernière véritable menace surgie de la
forêt est une horde barbare venue de la troisième face du monde, avec laquelle
les chevaliers se sont affrontés lors de la bataille de Strelica, à quelques arpents
de là. Le paysage alterne les collines boisées de charmes, d’ormes et de chênes,
avec des fonds de vallées humides peuplés d’aulnes et de roseaux. Il est parsemé
de murets de pierres qui attestent d’une mise en valeur agricole passée, peu à peu
envahie par les arbres. Seuls les abords des villages sont encore soigneusement
entretenus, avec des champs étroits sur les hauteurs et des pâtures humides au
bord des étangs. Les brumes matinales remontent des vallées se muent, l’hiver,
en un paysage cristallin. L’ensemble ne manque pas d’un charme inquiétant. La
proximité immédiate du marais ne se devine pas seulement à l’odeur fétide qui
en provient lorsque le vent souffle du sud, mais aussi au concert ininterrompu
des batraciens, leurs croassements n’étant troublés que par les sifflements aigus
des crocodiles. Ces derniers ne constituent pas un véritable danger pour les
pêcheurs et les éleveurs qui mènent leurs troupeaux dans les pâtures humides,

(22)
La bourgade qui allait se noyer

les faisant passer sur de frêles gués de bois et de pierre. Ce sont les grands
sauriens qui suscitent plutôt leur inquiétude.

Le bourg est installé sur une butte surélevée, entourée par le marais. Seule
une bande de terre pavée le relie à la route. Un vaste fossé entoure la bourgade :
c’est le seul ouvrage public qui fasse l’objet de réfections régulières, afin de se
protéger des créatures des marécages. Malgré l’entretien dont il fait l’objet, il
n’est plus aussi profond et ses berges plus aussi solides qu’auparavant. Entre le
fossé et la bourgade s’élève une muraille de briques, effondrée par endroits et
recouverte de lierre. Les galopins y ménagent des trous pour aller jouer au bord
du fossé. Tout le reste respire la décadence et la désertification, que ce soit les
rues au pavé embourbé, le temple qui menace ruine, le manoir à la tour branlante
ou les maisons particulières, dont près de la moitié sont à l’abandon, quand
elles n’ont pas été annexées par un voisin indélicat. La seule animation est le
marché, qui se tient le second jour de la semaine, de l’aube à midi. Quelques
paysans des fermes et hameaux alentour viennent alors vendre leurs produits.

C’était autrefois une bourgade assez densément peuplée, avec des ruelles
étroites, aux maisons élevées sur trois étages. Les murs de brique ocre sont
recouverts de lierre ce qui confère une atmosphère de ruine romantique. Au
centre se trouve le temple voué à Cérès et la place du marché, à laquelle on
accède par la seule voie assez large pour qu’un chariot puisse rouler. Sur le
bord de cette rue, une grande demeure surplombée d’une tour à demi-effondrée
fait office de manoir. C’est là que réside le maire et sa famille. C’est aussi la
seule demeure dotée d’une écurie. Au sud, quelques planches lancées par-dessus
le fossé font office de pontons vers le lacis de rivières et d’étangs du marais.
Les familles de pécheurs qui habitent les maisons à proximité sont les plus
misérables de la bourgade.

Quelques habitants

Maître Gotard, le Maire : Maire héréditaire depuis que son trisaïeul


a acheté cette charge aux chevaliers porte-glaives, maître Gotard est à l’image
de sa bourgade : en décrépitude, avec de longs cheveux blancs et sales, une
moustache immense, le nez rouge, la bedaine débordante. Il a l’air d’un vieillard
cacochyme, bien qu’il n’ait guère plus d’une cinquantaine d’années. Veuf, il vit
entouré d’une mère envahissante et d’un fils dont il ne peut guère espérer qu’il
lui succède.

Sa charge implique qu’il prélève l’impôt et reverse la majeure partie aux porte-
glaives, mais le rendement baisse au fur et à mesure que les soucis, l’arthrose
et la liqueur d’amandes l’emportent. Il éructe parfois des ordres d’une voix

(23)
La bourgade qui allait se noyer

éraillée, quand il s’aperçoit que les fossés se comblent ou que les bâtiments
menacent de s’effondrer, mais son autorité décroit d’année en année. Lorsqu’il
sort, il s’escrime à rentrer dans une armure démodée et trop étroite, le glaive
au côté, avant de monter sur un cheval de trait pour rappeler qu’il est l’autorité
dans la cité.

Gerbert, son fils : Avec sa grande silhouette dégingandée, ses vêtements


hérités de son père et son sourire niais, Gerbert ne passe pas inaperçu. Il sert
de souffre-douleur et de palefrenier à son père. Limité mentalement, il est très
gentil avec les animaux et toujours prêt à s’occuper d’eux, même s’il fait preuve
d’une sollicitude coupable envers les juments et les ânesses. Quand son père le
gronde trop, il se réfugie à l’écurie.

Iosip, le tavernier : L’unique taverne d’Ostrada est une simple masure à


l’entrée du village. Seule une vieille enseigne grinçante aux peintures écaillées
signale son existence. De toute façon, elle n’accueille jamais que des habitués
du bourg qui viennent ici jouer à trictrac autour d’un verre. Même les paysans
qui viennent vendre au marché n’y entrent pas, préférant boire à un étal.

Lorsque des étrangers entrent, un grand silence se fait aussitôt et les buveurs
affectent de ne parler que le dialecte local lorsqu’on leur adresse la parole.
Iosip, le patron, est un rustaud moustachu qui ne cache pas son mépris pour les
nouveaux-venus.

Le père Brocco : Le père Brocco est le dernier desservant du temple


de Cérès, seule église de la bourgade. C’est un gros bonhomme souriant à la
barbe abondante et à l’hygiène limitée, sans doute l’une des personnalités les
plus accueillantes du bourg.

Les terres du temple étant toutes engagées pour payer des réparations qui
n’ont jamais été effectuées, il en est réduit à élever lui-même ses cochons et
à jardiner dans l’enclos sacré. Il connaît une foule de remèdes étranges à base
d’emplâtres improbables et de toiles d’araignées géantes, peu ragoutants mais
généralement efficaces. Il connaît bien le bourg et ses habitants, mais ignore
tout de l’affaire qui concerne les personnages et voit ses ouailles avec un certain
angélisme, bien loin de la réalité.

L’enquète
La version officielle, propagée par le maire, c’est que des gnomes sont bien
venus avec leur carriole de babioles en cuivre, qu’ils n’ont pas vendu grand-
chose, mais ont sollicité le droit de passer la nuit dans une maison abandonnée.
Bien que les habitants aient souhaité qu’ils s’en aillent au plus vite, le maire les
a autorisés à passer la nuit dans une maison en ruine, qui lui appartient, en face

(24)
La bourgade qui allait se noyer

de chez lui. Ils ont repris la route avant l’aube et ne sont pas revenus depuis.
Toutes les personnes interrogées, même les moins volubiles corroboreront
cette version. Certaines l’enjoliveront de détails anecdotiques invérifiables et
de commentaires xénophobes.

Six indices
1 – Des chiens jouent avec un morceau de chiffon rouge. Si on vient leur
arracher des dents, il s’agit incontestablement d’un bonnet de gnome. Et tout le
monde sait que les gnomes ne se séparent jamais de leur bonnet…

2 – Gerbert, le fils idiot du maire, est l’un des rares susceptibles de parler. Il
n’est pas toujours très cohérent, il en sait pas grand-chose, mais du moins se
souvient bien d’avoir vu les gnomes en vie. Plus précisément, il se souvient
qu’ils avaient une « jolie ânesse ». Il a voulu s’en approcher et proposer de
la garder, mais les « vilains « gnomes » l’ont rabroué. Il semble satisfait
qu’ils aient disparu, comme s’il avait été vengé. Il a entendu la scène de leur
capture, qui s’est déroulée sous sa fenêtre, mais il se souvient surtout des cris de
l’ânesse, non sans une certaine jalousie. Toutes les tentatives de le faire parler
sur le sujet reviennent à cet animal.

3 – On entend régulièrement un âne braire dans le village. Mentionnez ce


fait de temps à autre. Les personnages se souviendront peut être que la carriole
des gnomes était tirée par un âne. Comme c’est le seul âne du bourg, on peut se
guider au son pour le retrouver, dans un verger non loin des murailles, du côté
du marais. Ce jardin appartient à un vieux clerc de notaire, Valdo, qui se sert
de l’âne pour porter ses paperasses lorsqu’il fait sa tournée des hameaux pour
établir des contrats de mariage ou de ventes de terre. Il expliquera avoir acquis
l’âne auprès de Francesca, sa voisine, qui l’avait trouvé errant dans son jardin.
Il se lancera dans une dissertation juridique d’apparence érudite pour noyer le
poisson. Le fils de la vieille Francesca, un fabricant de bougie sale et mal luné
nommé Rodo, l’a effectivement trouvé dans la rue, non loin de sa maison, après
la disparition des gnomes et se l’est approprié. Mal à l’aise, il a conseillé de le
vendre à Valdo pour se débarrasser du problème.

4 – Des enfants jouent avec une carriole de petite taille. Ils ont peur des
étrangers. Si on parvient à les interroger, c’est le père de l’un d’entre eux qui
lui a donné, en prétendant l’avoir fabriquée. Un examen attentif de la carriole
montre qu’elle est très soignée, sans doute de fabrication gnome, et qu’elle
a pas mal bourlingué. Le père, un sabotier nommé Stanio, prétend l’avoir
trouvée abandonnée et l’avoir réparée. Au mieux, il admettra qu’elle a sans
doute appartenu à des « mendiants qui ont été chassés du village ». Il a bien
des soupçons, mais se gardera d’en parler et ne sait rien de précis.

5 – La boulangère, Nateria, possède une belle série de chaudrons en cuivre

(25)
La bourgade qui allait se noyer

accrochés dans son échoppe. Elle prétend qu’elle tient ça de sa mère et que ça
lui sert pour faire des confitures. Elle ne niera pas le fait qu’il s’agisse d’artisanat
gnome, assurant que « ces gens venaient souvent dans le temps ». Si elle est
interrogée, elle s’embrouillera avant d’admettre que ces pots lui ont été offerts
par sa belle-sœur Tolceïa. Celle-ci les tient elle-même de son mari Ivo, le
tripier au tempérament sanguin. C’est lui qui s’est emparé des chaudrons dans
la carriole, juste après que les gnomes aient été capturés, mais il n’a pas assisté
à la scène.

6 – Si les personnages vont interroger les familles de pécheurs, ils se


heurteront à un mur du silence encore plus lourd qu’ailleurs. Ces gens repliés
sur eux-mêmes sont incultes, frustres et rudes, qui noient dans l’alcool la peur
que leur inspire le marais où ils travaillent. Pourtant, il est possible de jouer
sur leur inimitié avec les autres habitants de la ville pour les faire parler : ils
ont vu des gens camouflés dans des robes et des cagoules vertes, ressemblant à
des hommes-lézards, emmener les gnomes et les livrer à des hommes venus en
barque. Les pêcheurs se sont cachés pour ne pas y être mêlés, mais ils craignent
plus que tout d’être rendus responsables du crime.

Une fois arrivé à ce point de l’enquête...

Les capes et les cagoules vertes sont le seul indice un peu tangible que les
personnages peuvent trouver dans ce nid de mensonges. Si les personnages en
parlent, on leur racontera d’autres bobards concernant des rapts commis par les
homme-lézards la nuit dans le village. Certains finiront même par admettre
que les gnomes ont pu disparaître de cette manière. Bref, ils essaieront de se
défausser du crime.

Laissez les personnages échafauder des solutions pour retrouver les fameuses
capes. Une fois qu’ils ont un plan infaillible, signalez leur un simple petit fait :
par-dessus un mur à demi-effondré, l’un d’entre eux voit une cape verte suspendue
à un fil, au milieu du linge de maison. La bonne, une jeune fille nommée Crusa,
l’a trouvée dans un placard chez son maître, le tabletier Ferdo, un type inquiet
et superstitieux qui fabrique notamment talismans en os en forme de crapaud
« porte-bonheur ». Il est assez faible et sera prêt à livrer ses complices s’il
se sent menacé. A partir de là, il est possible de remonter la piste jusque ses
quatre complices : Svania la potière ; Manol le fossoyeur ; Cirlo le tondeur de
moutons ; Marlea, sa collègue ; Domo, le vannier.

Ils ont capturé les gnomes le soir, dans la maison abandonnée où ils avaient
passé la nuit, puis les ont livrés aux hommes du « docteur ». Ils ne savent pas
grand-chose sur lui, mais respectent son autorité morale comme représentant
des « anciens ». Peu à peu, s’ils sont habilement interrogés séparément,
ils révèleront que ces anciens sont les habitants du bourg d’où viennent leurs
ancêtres, lorsque leurs familles sont arrivées à Ostrada, et que ce bourg est

(26)
aujourd’hui à demi-noyé dans le marais. Ils ignorent absolument ce que le
« Docteur » veut faire des gnomes. Manol se souvient avoir été rencontré les
anciens avec son grand-père quand il était enfant, mais il est incapable de se
souvenir du chemin.

Les hommes du docteur viennent parfois formuler des exigences, qui semblent
concerner d’autres crimes que ceux contre les gnomes, ou se procurer des
ingrédients étranges, alchimiques. Ils ne préviennent jamais de leur venue et
celles-ci sont irrégulières. Les pécheurs, par contre, le connaissent mais il faudra
être très convaincant pour qu’ils consentent à y emmener quelqu’un – et s’ils sont
menacés, ils sont parfaitement capables de perdre quelqu’un en plein marais.

Rencontres dans les marais


Dans cette région, le marais de Maïale est constitué de vallées noyées, dans
un paysage autrefois formé de collines douces et peu escarpées. Les fonds de
vallées sont formés par des chapelets d’étangs et de rivières entrelacées, qui
forment autant de diverticules du fleuve. Certains sont recouverts de nénuphars
et de lentilles d’eau au point qu’il est difficile de circuler en barque si on ne
connaît pas le terrain. On voir parfois émerger des constructions. Les sommets
forment des ilots de terre ferme, mais sont ceinturés de vastes étendues de
roseaux et d’arbustes aquatiques tels que des aulnes.

Les moustiques sont aussi abondants que les grenouilles. Outre les batraciens,
la faune est constituée de crocodiles, nombreux mais indolents, et de dinosaures
de diverses tailles. Les grands sauriens, tels que les brontosaures, sont plus rares.
Faites tout de même à vos joueurs le plaisir d’en apercevoir un.

Rejoindre l’île du Docteur prend environ une journée de barques de voyage


dans des conditions difficiles. Il faut faire des pauses sur les îles. Pour donner
l’ambiance du voyage, vous pouvez l’agrémenter de deux événements :

1 – La première fois qu’ils font escale sur une île, ils sont progressivement
entourés de grenouilles géantes, dont le corps mesure plus de soixante
centimètres. Elles viennent une par une et se tiennent à distance, observant
les nouveaux venus en croassant. Elles ne sont pas agressives, mais leur nombre
monte et c’est assez stressant. S’ils sortent des provisions, les plus audacieuses
essaierons d’en dérober avec leur longue, longe langue, comme un caméléon.

2 – Sur une autre, île, ils découvriront les restes d’un campement. Une dizaine
de personnes ont installé un feu et fait rôtir des grenouilles géantes. Leur camp
est bien organisé et ce n’est pas la première fois qu’ils viennent là. Il s’agit
d’une tribu de primitifs.

Si les personnages s’égarent dans les marais, pour quelque raison que ce

(27)
La bourgade qui allait se noyer

soit, vous pouvez ajouter l’évènement suivant lorsqu’ils sont coincés dans un
passage difficile, encombré de plantes aquatiques et de racines, les personnages
aperçoivent des embarcations assez sommaires mais chargées de monde. Il
s’agit d’une partie de chasse d’une tribu revenue à des mœurs primitives. Ils
sont cannibales, mais assez craintifs s’ils se heurtent à forte résistance. Leur
langage est limité, c’est un dialecte issu de l’ancienne langue locale, mais s’il
est possible de communiquer avec eux, ils connaissent l’île du Docteur et le
craignent beaucoup.

Le château du Docteur
Le château où réside le Docteur est éloigné d’une demi-journée de barque
d’Ostrada. Il est désormais au milieu d’une vaste étendue d’eau, à distance des
ilots voisins. Il est néanmoins possible de l’approcher autrement qu’en barque,
car les toits des maisons de l’ancien village avoisinant le château affleurèrent
presque l’eau. Il n’y a pas de garde régulière, mais les zombies alchimiques
du Docteur circulent en permanence entre les tours. Un groupe attentif à
sa discrétion peut parvenir au château sans être repéré, tandis qu’il le sera
automatiquement s’il n’y prend pas garde.

Le Docteur est le dernier rejeton d’une longue lignée d’aristocrates qui ont
refusés de quitter leur château ancestral alors que celui-ci était progressivement
ceinturé par les eaux, puis noyé peu à peu. Il descend des peuples anciens qui
habitaient là avant les invasions des Sartes et qui vénéraient les sombres
divinités du panthéon interdit. C’est un homme courtois, soucieux de préserver
les apparences. Il est un idéaliste à sa manière puisqu’il rêve de sauver l’humanité
des flots en la transformant en batraciens, mais il est surtout profondément
misanthrope. La compagnie de ses semblables l’ennuie au plus haut point, même
s’il tâche de rien n’en laisser paraître. Il leur préfère le silence des créatures
qu’il anime par ses compétences d’alchimiste et de nécromant : des sortes de
être zombifiés par l’implantation d’implants dans leur cerveau, sur lesquels il
se livre à des expériences de greffes batraciennes plus ou moins réussies (pattes,
branchies, yeux, …). Ils sont effectivement amphibies, capables de nager en eaux
troubles pendant plusieurs minutes sans respirer.

Son château, construit jadis sur une hauteur, est désormais noyé dans le
marais jusqu’au premier étage. Seuls émergent à la surface les tours, le chemin
de ronde qui les relient et le donjon dans lequel réside le Docteur. C’est là qu’il
a installé son laboratoire, dans lequel il vit, dormant dans une alcôve au milieu
de ses expériences en cours pour pouvoir les surveiller à chaque instant. Ce
laboratoire est rempli de cornues, d’alambics, de tables de dissection, de livres
moisis par l’humidité ambiante, de squelettes et de créatures dans des cages.

S’il trouve des intrus dans son château, le docteur se montrera fort fâché,

(28)
La bourgade qui allait se noyer

mais néanmoins poli, sans un mot plus haut que l’autre. S’ils se présentent en
arrivant, il les recevra sans chaleur excessive, mais sans animosité particulière.
Dans tous les cas, il se présentera comme un homme d’honneur et de science,
fidèle à l’héritage de ses ancêtres. Quoique son âge soit indiscernable, de vagues
allusions laisseront penser qu’il a étudié la médecine à Stellara au début du
siècle, soit il y a plus de quatre-vingt dix ans… Il se voit réellement comme
un humaniste et un homme pieu, soucieux de ses devoirs envers les dieux et ses
ancêtres, mais hostile à toute forme de superstition. Il est vrai qu’il n’a que
mépris pour les adeptes de Tsatthoggua à Ostrada, puisqu’il considère sa propre
foi comme bien plus pure, bien plus intellectuelle que leurs simagrées ridicules.
En cas d’allusions aux gnomes disparus, il se contentera d’un haussement d’épaules
en ajoutant simplement : « Je ne crois pas que les gnomes aiment nager ».

Les deux gnomes ont été plongés dans des cuves, dans un liquide qui les maintient
en vie, plus ou moins conscients de ce qui les entoure, avec des tubes qui permettent
d’extraire leur sang régulièrement les besoins alchimiques des expériences du
Docteur. On peut les en sortir en débranchant les multiples tubes implantés en
eux, mais leur santé mentale a sérieusement pâti de ce qui est arrivé : ils sont
transformés en zombies bouffis de haine et ivres de vengeance. 

(29)
La cense de maitre
Luige
Cette aventure s’adresse à des personnages débutants, de simples voyageurs de
rang social assez bas. Elle se déroule dans l’Essart de Cimier, dans une grosse
ferme à une journée de marche de la cité, à la lisière de la forêt d’Abondance.
C’est une enquête très simple, destinée à être joué en une seule courte séance,
pour un petit nombre de joueuses et de joueurs. Il peut se résoudre sans tirer une
arme du fourreau et c’est mieux ainsi. Elle a survie d’introduction à une campagne
dans les Essarts, en présentant les mœurs et les coutumes de Cimier.

Rappelons que dans les Essarts, la loi est assez sommaire. Chaque propriétaire
est maître chez lui. Si un crime ou un délit est commis, il est seul juge et
peut faire exécuter la sentence, dans les limites de la tradition. Les voisins
ou des personnes réputées pour leur sagesse peuvent exprimer leur avis. Il est
de bon usage d’en tenir compte. L’accusé peut, en faisant appel au dieu Jupiter,
demander à faire la preuve de son innocence. Dans ce scénario, l’un des
personnages est accusé injustement d’un délit et doit démontrer qu’il n’a rien
fait de répréhensible.

Implication des personnages


L’implication proposée est assez simple : les personnages sont coincés par un
orage et demandent asile dans la cense de maître Luige. Vous pouvez choisir une
autre forme d’implication. Dans la version originale, telle que je l’ai jouée, l’héroïne
venait livrer du miel à la Cense lorsqu’elle se retrouvait prise dans la tempête.

Un ciel d’orage
Un soir de bruine, les personnages sont soir la route de sombre a cimier.
Chemin faisant, ils font la rencontre d’un séduisant jongleur humain aux douces
paroles, Biaggio Erraldo. Alors qu’ils bavardent, la pluie monte brusquement et
tourne à l’orage. Le chemin risque de se transformer rapidement en torrent.
Heureusement, la censé de maître Luige, une puissante ferme fortifiée, assez
grande pour abriter un véritable hameau, se trouve non loin de là. Nul doute
qu’on leur fournira un abri, comme le veut la tradition.

En effet, ils sont très bien reçus. On les emmène dans la grande salle
commune. On leur propose de ma soupe chaude, du pain frais et de la bière.
Dame Guyenne, la jeune épouse de maitre Luige, propose aux voyageurs de
dormir dans la grange. En attendant, une veillée s’organise, à laquelle dont
conviés les voyageurs et les serviteurs de la cense.

(31)
La cense de maitre Luige

Biaggio, le jongleur se révèle un compagnon de soirée agréable pour tout le


monde. Il propose un petit spectacle, charme les dames avec ses compliments et
vante l’accueil chaleureux de la maison. Si un personnage a des talents artistiques,
il pourra en faire profiter l’assemblée, mais la concurrence est rude.

Maitre Luige est fasciné, mais il trouvera le temps de dire aux personnages
qu’il souhaite leur proposer quelque chose le lendemain. C’est une infâme ruse
de MJ pour faire croire aux plus naïfs des joueurs que la véritable aventure
commencera demain. En fait, il compte seulement leur demander de porter
une lettre à sa sœur qui réside à Cimier, contre quelques pièces : c’est de cette
manière que le courrier circule.

Un tout petit larçin


La nuit venue, tout le monde brave la pluie battante pour rentrer se coucher,
mais l’orage s’éloigne déjà sur la forêt. Privilégié, le jongleur loge dans une
petite pièce attenante à la grande salle, quand les autres voyageurs sont dans la
grange avec les moutons.

Une fois que tout le monde est couché, Biaggio sort de sa musette Terepo, un
neuton, sorte de petit lutin haut comme une pomme et demi. Ce petit gredin
commet des larcins pour le jongleur, qui le protège et le nourrit. Terepo porte
des bottes à semelle de bois, qui laissent des empreintes de chat.

Cette fois, il va dérober une bourse contenant 50 ducats d’or consulaires à


Maître Luige. Pour commettre ce forfait, il doit s’approcher sans bruit de la
maison du maître. Il est alors surpris par dame Guyenne, qui regardait à la
fenêtre. Pendant que Terepo se faufile, Biaggio fait diversion en proposant à la
dame de l’aider à trouver le sommeil en lui comptant des poèmes.

Bibian, le jeune porcher, était en train d’admirer dame Guyenne depuis l’œil
de bœuf de sa porcherie. Il a vu entrer Biaggio mais n’en dira rien pour protéger
l’honneur de la dame dont il est éperdument amoureux. Le jongleur a repéré
le manège du jeune homme et sait qu’il est observé. Il se contente d’attirer
l’attention sur lui pour que Terepo passe inaperçu.

Sitôt son forfait accompli, Terepo traine la bourse, presque aussi grande
que lui, vers la grange. Il la glisse dans la besace de l’un des personnages, en
choisissant celui qui a la plus mauvaise mine, le moins charismatique. Biaggio
compte l’y récupérer le lendemain, une fois sorti de la cense.

Pour parfaire son complot, en prenant congé de dame Guyenne, Biaggio


passe prêt de la petite maison de Dino, le vacher, et sa femme Priosca. Là,
hors de vue de Bibian, il fait tomber bruyamment une fourche posée la sur le
pavé, pousse un cri sourd, et dit a voix haute, en imitant celui des personnages

(32)
La cense de maitre Luige

qui a la voix la plus caractéristique : « fait attention, imbécile, ce n’est pas le


moment de se faire prendre avec un tel butin ! », puis il disparait prestement et
retourne à sa couche.

L’accusation
A l’aube, maitre Luige voudra remercier le jongleur en lui offrant quelques
pièces. Il remarque alors que l’autre bourse, celle qui contenait les 50 ducats, a
disparu. Aussitôt, il ordonne qu’on interdise toute sortie de la censé et envoie
ses garçons de ferme fouiller les affaires des personnages - où se trouve donc la
bourse. Il est possible de fuir, ou de se bagarrer, mais ce serais reconnaître leur
culpabilité. Ils risquent d’être recherches dans tout le pays et pire, leur honneur
sera bafoué.

Rappelez ces faits avant de les laisser agir à leur guise, ainsi que leur droit
coutumier de faire appel à la justice de Jupiter en démontrant qu’ils ne sont pas
coupables. De mauvais gré, maitre Luige les laissera mener l’enquête, en leur
faisant jurer sur la barbe du dieu de la justice qu’ils ne s’enfuiront pas. A décharge,
Dino et Tosca viendront témoigner de ce qu’ils ont entendu dans la nuit.

Biaggio est un menteur invétéré et un hâbleur, capable de retourner les


évidences et de semer le doute parmi ses auditeurs. Il n’hésitera pas à user de
stratagèmes similaires pour augmenter les soupçons ou détourner l’attention. Le
premier d’entre eux, c’est qu’il se rangera de leur côté, en protestant qu’il s’agit
de braves gens innocents. Puis il se fera discret, contant fleurette aux jeunes filles
en attendant de pouvoir sortir. Toute tentative de l’accuser n’engendrera que des
railleries, tant que des preuves convaincantes ne sont pas apportées. Après tout,
les évidences sont contre les personnages et son charme a fait son œuvre.

Dans la cense, bien peu de monde est prêt à aider les personnages. Seul Tizio
l’halfelin, qui a sens aigu de la justice mais qui est un gaffeur invétéré, prendra
leur défense. Les autres sont prêts à les pendre sur le champ.

L’enquète
Les multiples traces de pas dans la boue ont brouillé les traces. Mais un bon
pisteur pourrait prouver que Biaggio est venu dans la maison de maitre Luige
le soir. La trace de la bourse traînée par Terepo est également visible, même
si Biaggio a essayé de la brouiller par endroit. Encore faut-il comprendre de
quoi il s’agit.

Dino et Tosca ont tendance a s’embrouiller dans leurs récits. Ils prétendent
avoir vu les personnages. Ils peuvent en faire un récit détaillé mais plein de
contradictions. En les confrontant, il est clair que seule Tosca a entendu quelque
chose et qu’elle a réveillé Dino pour lui raconter alors qu’il baillait.

(33)
La cense de maitre Luige

Bibian a le meilleur poste d’observation de la cense. Il rougit des qu’il y fait


allusion ou quand on parle de dame Guyenne, car il passe ses soirées a l’observer en
cachette. Il acceptera de témoigner si on lui promet d’être discrets là-dessus.

Dame Guyenne ne niera pas avoir écouté les poèmes du jongleur, si elle
est contrainte de le révéler. Elle alléguera seulement que l’orage lui avait fait
perdre le sommeil et protestera fougueusement contre toute allusion à son
honneur. Elle est prête à jurer sur les dieux de la cité qu’elle est n’a pas quitté
des yeux le jongleur, ce qui est plus qu’exact et qui fera beaucoup jaser.

Si les personnages imaginent la solution d’un allié minuscule, ils ne leur


reste plus qu’a fouiller les sacs de Biaggio. Terepo se cache ailleurs, mais ses
minuscules affaires personnelles sont toujours dans la musette. S’il en a la
possibilité, Biaggio essaiera de soudoyer les personnages, de faire tomber la
culpabilité sur n’importe qui d’autre, voir de nier connaître Terepo.

Deux variantes possibles


Si les personnages ont, eux aussi, des activités nocturnes, ce qui est une manie
fréquente chez les joueurs, Biaggio tâchera de s’en servir pour peaufiner les
charges contre eux. Il faudra qu’ils soient habiles pour déjouer ses plans.

S’ils fuient ou s’ils usent de la violence contre qui que ce soit, même Biaggio,
ils se mettront hors la loi. Le serment de Jupiter ne s’applique plus à eux
puisqu’ils sont parjures. La nouvelle se répandra vite. En peu de temps, les
cavaliers de Cimier seront à leurs trousses. Remplacez ce scénario par une
course-poursuite sans merci. Il faudra longtemps avant qu’ils puissent remettre
le pied à Cimier.

L’exécution
S’il est reconnu coupable, Biaggio sera condamné à être pendu par maitre
Luige. Il sera emprisonné dans un cellier en attendant. S’agissant d’une peine de
mort, elle doit être approuvée par des voisins, comme le veux la coutume. D’ici
là, Biaggio trouvera sans doute moyen de s’évader. Terepo ne sera pas inquiété :
nul ne se risquerait à condamner un neuton, sous peine de malédiction. La liste
des PNJ vous donnera des idées de récits à broder pour embrouiller les pistes.

Comptez le temps qui passe. S’ils ne trouvent pas de solution à la nuit tombée,
la sentence réservée aux voleurs s’appliquera. Le coupable chez qui on a trouvé
la bourse sera condamné à être pendu le lendemain. Les voisins confirmeront
la sentence et inviteront joyeusement leur famille pour y assister. Il est peut
être temps d’organiser une évasion puis de passer à la course poursuite. S’ils
sont innocentés, l’histoire fera le tour de l’Essart, ce qui contribuera à leur
notoriété, pour le meilleur et pour le pire. 

(35)
Goules, Délices
& Orgues
Ce scénario, joué pour la première fois en 2006, s’adresse à des personnages
de faible puissance, mais qui ont déjà une petite réputation d’aventuriers, de
redresseurs de torts ou de fines lames à la bourse vide. Destiné à être joué en
une séance courte, il se déroule dans l’Essart de Cimier et peut faire suite à
la Cense de maitre Luige. Les personnages vont devoir éviter que les choix
esthétiques réalisés pour la marqueterie des grandes orgues du temple d’Arès
ne précipitent la fin du monde.

Avant l’entrée en scène des personnages


Maitre Luige, grand propriétaire terrien, avait hérité d’un vieil oncle un
bois de chenèvriers. C’était une sorte d’excroissance de la forêt d’Abondance,
formant comme un tentacule qui dévalait les flancs de la montagne en direction
de la vallée. Ses précédents propriétaires avaient négligé de le mettre en valeur.
Quelque antique superstition semblait les en empêcher. Luige, jamais à cours
d’idée quand il s’agissait de faire de l’argent, avait ouï dire que le temple d’Arès
à Cimier recherchait précisément du bois de chenèvrier pour renouveler la
marqueterie des grandes orgues. De sa plus belle plume, il fit un courrier à
l’intendant pour indiquer que ses arbres étaient prêts à être coupés. Quoiqu’ils
fussent chenus et mal taillés, le prix qu’il était prêt à en donner méritait qu’on
s’y intéresse. Lucian Cianna, l’architecte en charge des travaux, vint inspecter
le bois et l’affaire fut conclue.

Lucian Cianna fit ensuite savoir qu’il cherchait des bûcherons pour abattre ses
arbres. Mais les habitudes ont la vie dure. Personne dans l’Essart de Cimier ne
voulut s’y risquer, sans trop savoir pourquoi. On murmurait à voix basse qu’il ne
fallut pas déranger les arbres.

Obstiné, Lucian Cianna fit alors venir une équipe de bûcherons de sombre, ou
l’on trouve d’excellents professionnels. Cela faisait monter les prix au-delà de
ses prévisions, mais les grandes orgues du temple n’attendent pas. Les bucherons
aménagèrent un camp de tentes dans un pré en bordure du bois et se mirent au
travail. Rapidement, les arbres antiques se transformaient en planches. Lucian
Cianna triomphait de l’imbécile superstition des habitants des hameaux.

Et puis, un matin, en venant inspecter les travaux, il apprit que les bûcherons
n’étaient en grave. Ils voulaient négocier une prime avant de plier le camp :

(36)
Goules, delices & orgues

on venait de trouver le cadavre atrocement défiguré de l’un d’entre eux à la


lisière des genévriers. Lucian Cianna sait qu’il ne pourra faire reprendre les
travaux que s’il découvre ce qui s’est passé. D’après les termes du contrat passe
avec maitre Luige, il est responsable des crimes commis dans le camp. Et pour
découvrir ce qui s’est passe, quoi de mieux qu’une bande d’aventuriers ?

La rumeur publique accuse les arbres. Après tout ce ne serait pas la première fois
que la forêt se venge de ses assaillants. La réalité est toute autre. En abattant un
vieux chenèvrier accroché à flanc de rocher, les bucherons ont accidentellement
ouvert une tombe ancienne et brisé les sceaux rituels qui y avaient été apposés.
Les morts se sont réveillés, outragés d’être ainsi maltraités. Ils ont faim,
terriblement faim, et ils se nourrissent des profanateurs. Mais si on ne s’y met
pas très vite, cela peut dégénérer en épidémie de morts-vivants telle que celle
qui a détruit Argente voici quelques années.

Les chenèvriers : Ces arbres au bois dur, à la teinte rousse, aux feuilles
allongées, sont très rares. Ils poussent dans certaines régions de la forêt
d’Abondance. Autrefois, les elfes s’en servaient en marqueterie et brassaient ses
baies, récoltées à l’automne, pour en faire un alcool fort et sucré. De nos jours,
il est devenu difficile de s’en procurer à un prix raisonnable.

Lucian Cianna : L’architecte est un ancien soldat, sous-officier dans les


cavaliers du Cimier, sergent à terme des Porte-glaives, entré dans le clergé
d’Arès suite à une mauvaise blessure. C’est un homme raide, obstiné, peu
commode, entièrement dévoué à sa tâche, la réfection de l’église d’Arès dans
sa cité natale.

Né dans une famille de menuisiers, il a appris l’architecture sur le tas,


détestant qu’on lui fasse remarquer. Il est extrêmement compétent pour les
choix de matériaux et d’artisans, parcourant à cheval des lieues et des lieues à
travers les Essarts et parfois au-delà pour trouver ce qui lui convient.

Maitre Luige : Le fermier n’intervient que de très loin dans ce scénario,


mais il passera probablement voir ce qui se passe puisque la pâture où logent
les bûcherons lui appartient. Si les personnages s’y installent, il leur fera
comprendre avec insistance qu’étant donné les circonstances, il leur grâce du
loyer. S’ils l’ont déjà rencontré en jouant La cense de maître Luige, il fera
comme s’ils étaient les meilleurs amis du monde.

Voilà les aventuriers


Par le plus merveilleux des hasards, les aventuriers sont à proximité. Ils
peuvent venir spontanément, ayant entendu la rumeur et mus par le désir d’aider
leur prochain, ou bien Lucian Cianna, qui déteste voir ses plans compromis,

(37)
Goules, delices & orgues

leur promet 200 Ducats consulaires s’ils résolvent son problème. Si cela se
complique il pourra aisément monter jusqu’à 500, mais il faudra marchander
longuement avec lui.

Lorsque les aventuriers arrivent sur les lieux, les bûcherons sont en train de
démonter leur camp. Avec bien des hésitations, ils ont creusé une tombe pour
leur compagnon sur le bord de la route, mais ne procéderont a l’inhumation que
quelques minutes avant leur départ. Leurs indications sur l’endroit où ils ont
trouvé le corps sont assez maigres, mais suffisantes : tout prêt de la lisière, non
loin du camp, prêt d’un gros aulne noir – un arbre de sorcière, selon leurs mots.

Le bucheron s’appelait Luigo, c’était un villageois de la région de sombre, pas


très causant mais bon compagnon. Un examen approfondi du corps montrera que
les organes vitaux (cœur, poumons, foie, cerveau) ont été arrachés violemment
par des griffes puissantes et le reste est lacéré. Il est totalement échange. Ses
yeux ont été dévorés également, de même que les parties de chaire molle.

Personne ne l’a entendu sortir du camp, mais c’est assez banal et n’attire pas
l’attention. Les bucherons sont très superstitieux et n’ont qu’une envie : enterrer
Luigo et s’enfuir de là.

A l’emplacement du crime il y a du sang séché et des viscères accrochés aux


arbustes. C’est une véritable curée qui a eu lieu. Il y a bien des morceaux de
boyaux accrochés aux branches basses. L’aulne sombre qui surplombe la scène est
inquiétant. Il semble regarder, rire… et pourtant, rien à faire, c’est bel et bien
un vieil arbre creux, absolument inoffensif.

Le tombeau du clan du Lynx


Les traces sont assez minces : Les goules sont légères, maigres, discrètes. Un
pisteur expérimenté devrait pouvoir les repérer, même s’il les perd rapidement
dans le dédale des arbres enchevêtrés. Les créatures sont au nombre de six.

Par contre, on peut suivre assez facilement les pistes taillées par les bucherons
à la recherche des chenèvriers à abattre. Elles mènent à une petite clairière
formée par les arbres coupés, dont subsistent souches et branches émondées.
Cette clairière est dominée par un rocher sur lequel un arbre avait poussé. Il a
été arraché et débité lui-aussi.

En examinant le rocher attentivement, les personnages devineront une cavité,


a peine masquée par l’arrachement de l’arbre. Il faut escalader pour s’y rendre.
La, on voit apparaître une porte de pierre qui a été brisée et déplacée par le
basculement des racines. En la nettoyant un peu, on voit apparaître des runes
antiques, pré-elfiques. Le texte, si quelqu’un peut le lire, est une formule de
malédiction pour ceux qui violeraient le tombeau des ancêtres du clan du Lynx.

(38)
Goules, delices & orgues

Il est possible de se faufiler dans la cavité ou de faire tomber au sol les restes de
la porte de pierre.

La tombe est constituée d’un long tunnel de craie gravé de spirales et de


motifs géométriques. La partie la plus éloigné de l’entrée forme une croix,
comme un pommeau d’épée. Là, on trouvés des offrandes au sol : poteries de
qualité, restes animaux, colliers de perles colorées, armes de bronze verdies
par l’oxydation. Autour se trouvent six alcôves ou devaient reposer les corps. On
devine nettement leur emprunte dans la poussière. Mais ils ne sont plus là…

La partie enquête est vite résolue : des créatures mort vivantes sont sorties
de là et ont dévoré le bûcheron. Mais il faut remettre la main dessus avant
qu’elles n’en poursuivent leurs méfaits. Il faut donc engager la poursuite contre
les créatures.

Traquer les goules


Les goules sont encore faibles. Elles viennent de se réveiller après deux mille
ans de sépulture. Le monde le paysage a changé autour d’elles et leur cerveau est
atrophié. Même si des souvenirs leurs restent, ils sont atrophiés par la haine au
point d’en faire des bêtes sauvages.

Pour l’heure, elles ont trouvé refuge dans une autre ruine, tellement enchevêtrée
dans les arbres qu’on peut passer à côté sans la voir. Elles ne sortent que la nuit,
prudemment. Si les personnages campent en lisière le soir, ou s’ils s’aventurent
dans la forêt, elles les suivront à l’odeur, mais n’attaqueront qu’une personne
isolée, jamais un groupe armé. On peut toutefois leur tendre des pièges. La
chair animale ne les intéresse pas : seule la viande humaine les sustente.

Les goules sont des morts-vivants qui se nourrissent de chair humaine. Elles
ressemblent à des cadavres, avec les pieds fourchus et les canines aiguisées,
mais elles savent parfaitement déguiser leur allure pour tromper leurs victimes.
Elles vivent généralement en bandes dans des cimetières ou des nécropoles.
Leur morsure est empoisonnée et provoque une paralysie progressive, puis une
nécrose malodorante. Une personne tuée par une goule, mais non dévorée,
devient elle-même une goule la nuit suivante.

Les goules peuvent voir dans l’obscurité. Elles sont immunisées contre les
effets magiques fondés sur l’esprit ou le sommeil, ainsi que les poisons. Certaines
goules sont capables de prendre l’allure d’êtres vivants ou se transformer en
fauves. Ce n’est pas le cas pour l’instant, mais si elles gagnaient en puissance,
les goules réveillées par les bûcherons pourraient le faire, prenant tour à tour
forme de simples mortels ou de lynx.

La première nuit après l’arrivée des PJ, elles ne sortiront pas du bois, sauf

(39)
Goules, delices & orgues

pour se saisir d’un personnage isolé. La seconde nuit, l’une d’entre elle se laissera
guider par la faim et l’odorat vers une bergerie isolée. Puis elle va revenir avec
la meute. Elles vont massacrer le chien qui dort devant la porte, puis dévorer
le berger. Leur odeur fétide va faire hurler le chien quelques secondes avant
le carnage, puis faire paniquer les brebis qui forment dehors. Les goules vont
ensuite se retirer très rapidement. Les bruits peuvent attirer les personnages
sils sont éveillés mais ils n’arriveront pas à temps pour stopper l’attaque. S’ils
ont anticipe leurs mouvement sur place, l’attaque n’aura pas lieu mais ils verront
l’éclaireur.

Les nuits suivantes, elles vont attaquer d’autres habitats isolés. Si les PJ n’ont
pas pris de précaution pour les corps, les corps sortiront de leur tombe, rejoindra
les autres et la meute sera plus grande, plus audacieuse pour attaquer des fermes,
voir des hameaux. Brûler les corps ou leur faire subir un exorcisme (par un
prêtre venu de Cimier, mais un PJ religieux, sorcier ou érudit fera l’affaire au
besoin) est une précaution suffisante.

Il y a deux façons principales d’en finir avec la menace des goules :

1. Leur tendre une embuscade et les vaincre par la force des armes. Ce n’est
pas facile car elles sont rusées (elles envoient un ou deux éclaireurs avant chaque
attaque), elles sont lâches (elles battent en retraite vers le bois dès qu’elles sont
menacées) et elles ont un odorat puissant.une fois qu’ils auront trouve la parade
a tout cela les personnages pourront affronter les goules. Abattre les permet de
réduire la meute mais les rend de plus en plus prudentes et les force à changer
de tactique : elles longeront la lisière de la forêt pour sortir de plus en plus
loin.

2. Exorciser leur tombe. Bien qu’elles ne s’en éloignent chaque fois un peu
plus, les s goules reviennent chaise nuit prêt de leur tombeau. C’est également
vrai de leurs rejetons, qui ont tendance a se disperse pour se rapprocher de
leur propre tombeau et s’attaquer a leur propre famille ou leurs connaissances.
Exorciser le tombeau peut être réalisé par un prêtre ou un sorcier qui prendra
le temps d’étudier les formules apposées sur la porte de pierre. Il faudra ensuite
la replacer à son emplacement d’origine et sceller au plomb. Un rituel sera
nécessaire pour les tombeaux des rejetons. Les goules perdront alors beaucoup
de leur force. Elles se réfugieront dans un antre de fortune, cavernes ou ruines,
où elles attendront patiemment les voyageurs pour se nourrir. 

(40)
Le secret de la dame
au serpent
Cette aventure se déroule dans la vallée d’Archemont, dans les Essarts, sur
la seconde face du monde du Dodécaèdre. Plus précisément, elle prend place
dans le manoir de dame Sara, veuve di Erlasio, le hameau de Lurcaïa et ses
autres propriétés du mont aux Bouvreuils, qui se trouvent au croisement des
chemins forestiers qui relient Archemont, Cimiers et Percemaille. Rappelons
que les habitants de la vallée d’Archemont sont appelés Montarchais. L’aventure
convient à un petit groupe de joueurs et de joueuses qui apprécient les scénarios
d’ambiance, d’enquête et d’horreur. Je l’ai écrite, dans un tout autre contexte,
à la demande d’amies pour une séance d’initiation, d’où sa trame très simple.
Des personnages débutants conviennent. C’est un scénario d’horreur baroque,
qui ne convient pas à des enfants sans adaptation préalable.

Synopsys
Membre du culte du Serpent, Dame Sara s’adonne à la magie noire, mais elle
manque d’expérience pour contrôler ses maléfices. Lors d’un rituel, elle appelé
à son service un démon serpentiforme, mais celui-ci s’est retournée contre
elle. Il dévore ses entrailles, puis commence à s’attaquer à ses serviteurs. Les
aventuriers doivent comprendre ce qui s’est passé et mettre fin aux méfaits de
la créature. L’ambigüité du scénario réside dans le fait que la mort peut passer
pour un meurtre et qu’il ya beaucoup de suspects dans l’entourage de dame Sara.

Une aventure fraiche et humide : Lorsque les personnages arrivent,


il bruine légèrement. Mais plus le temps passe, plus le climat se dégrade. Le vent
monte, la pluie devient battante, sans pour autant virer à la tempête. Associée
au grondement permanent de la chute d’eau voisine, la pluie est un élément
important du climat de l’aventure, dans tous les sens du terme. Ne manquez
jamais de rappeler à vos joueurs qu’il pleut, que le sol glisse, que la visibilité
est réduite, que le volume sonore cache les petits bruits et rend les conversations
parfois difficiles.

Plan : Le plan du hameau se trouve dans l’image de tête de ce scénario.


Au premier plan, le hameau de Lurcaïa. A gauche, la maison de dame Sara et
ses dépendances derrière elle. Hameau, maison et dépendances sont reliées
par des escaliers de pierre et de madriers de bois, glissants par temps de pluie.
Les prés, les bois et le hameau appartiennent à dame Sara. Le lac du mont des
Bouvreuils se trouve en contrehaut. Le plan du manoir est assez simple : au rez-

(42)
Le secret de la dame au serpent

de-chaussée, une vaste salle voutée qui sert de cuisine, avec des cloisons pour
créer des celliers. A l’étage, une salle commune, richement décorée et dotée
d’une horloge, avec des alcoves latérales. Au dessus, la chambre de dame Sara,
celle de Jero Micastino et la riche bibliothèque. Dans les combles, la chambre
de Graceline. Les autres personnages dorment dans des alcoves aménagées à
l’étage de la grange. Les autres bâtiments incluent le colombier et une ancienne
maison où l’on stocke de multiples vieilleries.

Entree en scene des personnages


Si les aventuriers sont des voyageurs, ils peuvent venir pour porter un courrier
à dame Sara, de la part de l’un des ses fermiers. Il s’agit de réclamations
concernant le bornage d’un champ au lieu-dit La haute terre, contesté par un
propriétaire voisin.

En effet, il n’existe un service de poste sur le Dodécaèdre. Là où existent des


lignes de diligences sur les rares routes pavées, comme celle qui relie Gabales
à Gryffons, les cochers assurent également le transport de lettres, que l’on doit
venir chercher au relais. Ailleurs, à moins d’être assez riche pour dépêcher un
messager, on fait passer le courrier par les voyageurs, caravaniers, colporteurs
et aventuriers. Il n’est pas rare qu’une lettre change plusieurs fois de mains
en cours de route, souvent contre quelques pièces. En effet, il est d’usage de
dédommager le porteur à l’arrivée. Malgré ses incertitudes, ce système fondé
sur la confiance fonctionne assez bien. Les halfelins, grands voyageurs, sont
également de bons pourvoyeurs de courriers, mais il est inutile de compter sur
leur discrétion.

Si ce sont des personnages débutants, ils peuvent former une patrouille de la


milice montarchaise. Tous les jeunes gens des deux sexes y effectuent leur service.
Les miliciens forment à la fois une garde chargée de veiller aux dangereux
abords des bois, une armée en temps de guerre et une sorte de gendarmerie. Il
est de coutume pour les grands propriétaires d’accueillir les miliciens pour la
nuit et de leur fournir le repas.

Si vous avez joué La Cense de maître Luige, qui se déroule dans l’Essart
voisin de Cimiers, et que les personnages ont la sympathie de Dame Guyenne,
celle-ci leur a confié des pots de feuilles séchés, d’excellentes tisanes pour la
toux selon elle, à remettre à sa vieille amie dame Sara. Il s’agit plutôt de
plantes fumigènes aux vertus légèrement hallucinogènes, que le culte du serpent
emploie dans ses cérémonies.

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Le secret de la dame au serpent

Les personnages non-joueurs

Dame Sara Castellio, veuve di Erlasio : Cette quinquagénaire


guindée est la descendante d’une vieille famille montarchaise. Malgré sa
réputation d’exactitude et de rigueur, elle a connu une jeunesse dissipée, voir
scandaleuse. Après diverses inconduites, elle a épousé contre l’avis de sa famille
Claudi di Erlasio, un cadet de la noblesse consulaire, jeune officier qui ne tarda
pas à mourir dans en duel pour une obscure affaire d’honneur.

Retirée dans son manoir du Mont aux Bouvreuils, elle s’est enfermée dans
un personnage de veuve inconsolable, sévère et ennuyeuse, passant ses journées
à maugréer contre ses domestiques, à se plaindre de maux imaginaires et de
drames picrocholins. Abreuvée de lectures savantes, Dame Sara s’est peu à peu
plongée dans l’étude de la sorcellerie. Ses achats discrets d’ouvrages ésotériques
ont attiré sur elle l’attention du culte du Serpent, dont elle est devenue une
adepte discrète. Mais elle a voulu aller plus loin, plus vite, en se vouant à Set.

Dans sa bibliothèque, ses grimoires sont camouflés par d’innocentes couvertures


dont les titres annoncent des ouvrages de piété ou de science populaire. Peu à
peu, ses délires de persécution lui ont envahi l’esprit au point de troubler son
discernement. Une fouille minutieuse permettrait d’identifier le rituel qu’elle a
essayé et ses risques inconsidérés.

C’est ainsi qu’elle en est venue à l’idée d’invoquer un démon


serpentiformeIncapable de maîtriser le rituel, elle n’a pas compris qu’elle en
serait la première victime. La créature l’a étranglée dans ses anneaux, puis
dévorée de l’intérieur.

Umfreddo : Le cocher de Dame Sara est un ancien soldat, mercenaire


montarchaise dans un régiment de hallebardiers au service de la Gallicorne.
Ses cicatrices et l’insigne d’Arès accroché à son fourreau de rapière ne laissent
guère de doute sur son ancien métier. Il n’est pas très causant. Il bougonne avec
un accent rugueux ponctué de crachements et semble toujours vouloir quitter la
conversation. Son œil borgne et sa silhouette voûtée due à sa hanche douloureuse
lui donnent un air fuyant. Il parle de Dame Sara avec un mépris à peine
dissimulé. Tout le monde sait qu’elle le traitait comme un chien et lui prenait
presque tout son mois en retenues sur ses gages. Lors de la mort de dame Sara,
il était supposé se trouver dans la grange, mais Graceline l’a apperçu descendre
aller en direction des bois. Des villageois, qui ne l’apprécient guère, pourront
confirmer l’avoir vu passer vers la lisière de la forêt Il allait simplement rendre
visite à sa sœur Donna, une marginale un peu simplette qui vit à l’orée du bois,
à qui il donne ses rares économies. Il ignore tout de la double vie de Dame
Sara, mais il fait un coupable idéal.

(44)
Le secret de la dame au serpent

Graceline : Cette une jeune fille qui fait office de bonne et de cuisinière.
Elle est souriante, bien portante et zélée dans son travail. Elle consacre les
rares loisirs que lui laisse son travail à une congrégation de jeunes filles vouée
à Diane, qui font vœu de vertu et d’assistance aux malades. De prime abord,
elle est assez indulgente avec Dame Sara, plaignant sa solitude de veuve. Mais
en l’interrogeant un peu plus, il ne sera pas difficile de voir qu’elle détestait
cette vieille femme acariâtre qui la persécutait sans relâche. De plus, elle
multiplie les petites incohérences, les menus mensonges et les vilenies qui
rendent son récit douteux. La dextérité et la rage avec laquelle elle manie le
couteau lorsqu’elle découpe un animal pour le repas est troublante.

Merlon, le jardinier, sait qu’elle fréquente un jeune homme, un colporteur


surnommé Le Bigre, qui vient lui compter fleurette en venant vendre au manoir
des herbes aromatiques et des lapins braconnés.

Le Bigre : C’est un grand maigre à la démarche chaloupée, qui ne se


sépare jamais d’un long couteau porté à la ceinture. Il évite soigneusement les
autres habitants de la maison, surtout Merlon qui le chasse sans ménagement
dès qu’il l’aperçoit. Il passe pour un vagabond, un vaurien d’origine incertain
qui passe ses nuits dans les tavernes les plus mal famées et séduit les jeunes filles
dans les bals de villages. Son véritable nom est Fantin Bigre. Il était apprenti
boucher à Argente avant la catastrophe, mais ne trouve pas de nouveau maître en
raison de la méfiance qui entoure les réfugiés de cette cité (voir la description
d’Argente dans La Seconde face du monde).

Merlon : Ce vieil homme courtaud, au cou épais, à la face rubiconde et


à la voix éraillée, est le jardinier de dame Sara. Malgré son ivrognerie, ses
dettes de jeux, ses innombrables arrestations pour des bagarres et ses coups de
gueule, dame Sara le conserve à son service. C’est le seul serviteur qu’elle a
conservé de ses parents. Elle lui sait sans doute gré d’avoir, lorsqu’elle était
jeune fille fantasque, couvert ses escapades nocturnes. Il ne lui rend d’ailleurs
pas la politesse, en la traitant de tous les noms, mais il conserve une nostalgie
émue de ses jeunes années. La nuit du drame, il dormait ivre mort dans son
cabanon.

C’est Merlon qui s’occupe du colombier de dame Sara. Il n’a pas remarqué
qu’il manque une colombe, mais pourrait le vérifier si on lui explique bien
pourquoi.

Jero Micastino : Cet homme aux traits durs et au regard intense approche
la trentaine. Il exerce les fonctions d’intendant du domaine de dame Sara. Tout le
monde décrit leur relation comme trouble, sans en connaître la réalité complexe.
Jero est le fils adultérin de don Claudio di Erlasio, le défunt mari de dame Sara.
Sa mère, de basse extraction, est morte en couches. Il a vécu longtemps à l’écart,

(45)
Le secret de la dame au serpent

élevé dans un collège de Corona avant d’atterrir dans la maison de son père,
dont il gère l’héritage sans en avoir droit à la moindre miette. Il est compétent,
cultivé, mais terriblement meurtri de sa condition de bâtard.

Adolescent perturbé, il est devenu un adepte du culte d’Arès, mystique et


proche du fanatisme, mais toujours évincé dans sa congrégation par des jeunes
gens de meilleure origine (voir la description de Corrona et du culte d’Arès
dans Le Consulat). Il sait gré à dame Sara de l’avoir recueilli, et d’avoir épongé
quelques dettes, tandis que celles-ci retrouve en lui les traits de son père Claudio,
qu’elle a passionnément aimé. Il y a quelque chose d’un inceste inaccompli dans
leur proximité. La rumeur court qu’elle ma couché sur son testament « et pas
seulement sur le parchemin » assurent les mauvaises langues.

LE DEROULEMENT
Lorsque les personnages arrivent au manoir du mont aux bouvreuils, dame
Sara est absente. Ils croiseront Merlon, le jardinier, visiblement ivre, qui
les renverra en grommelant vers Graceline, qui est en cuisine. Celle-ci leur
expliquera que dame Sara est partie en promenade en mule sur ses terres, dès
l’aube, comme elle aime à le faire parfois.

La jeune cuisinière semble nerveuse, découpant à gestes secs un canard tué le


matin même. Si on l’interroge, elle attribue sa nervosité à la crainte de louper
la cuisson, ce qui lui vaudrait de se faire passer un savon.

Profitera de ce temps d’attente pour leur faire rencontrer les différents


habitants de la maison. Les personnages doivent comprendre les horaires réglés
sur l’horloge de la maison, le caractère acariâtre de dame Sara, la nervosité
de ses domestiques, la situation difficile du manoir dont le domaine s’étiole…
L’arrivée du Bigre, qui va essayer de s’incruster pour prendre le repas en cuisine
et se protéger de la pluie, peut fournir une distraction et éveiller l’attention des
joueurs.

A l’heure du repas, alors que la pluie devient battante, dame Sara, d’habitude si
ponctuelle, n’est toujours pas là. Un peu plus tard, on entend un hennissement.
C’est Précise, la mule de dame Sara, qui revient seule. Elle a visiblement
arraché sa longe et il y a des traces de sang. La bête est absolument paniquée
– et pour cause, car le Serpent est en train de la dévorer de l’intérieur.

Si les personnages, comme c’est probable, se mettent à la recherche de


dame Sara, ils vont devoir affronter la pluie battante. Les flaques immenses
qui se forment sur les chemins brouillent les traces. Elle limite la visibilité,
s’infiltre sous les vêtements,... Faites les endurez un peu, qu’ils méritent leur
découverte.

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Le secret de la dame au serpent

Le corps de dame Sara gît au bord d’un petit lac situé en contrehaut de la
chute d’eau, à quelques centaines de mètres à l’arrière du manoir. Elle est
visiblement morte depuis des heures, trempée par la pluie, le visage écarlate,
l’expression marquée par une douleur intense, du sang a giclé de sa bouche, et
elle semble s’être violemment débattue Elle semble avoir été étranglée. C’est
bien le cas, mais pas par des mains humaines ni un garrot, mais par les anneaux
du Serpent, qui s’est ensuite infiltrée par sa bouche pour absorber les organes
vitaux. La créature s’est ensuite attaquée au cheval en pénétrant ses entrailles.
C’est ce qui provoque sa panique. Le démon s’en est alors servi pour se rendre
jusqu’au manoir.

Seule une investigation très détaillée des lieux du crime révèlerait des traces
discrètes d’un rituel. Après avoir attaché son cheval, Dame Sara s’est avancé
au bord de l’étang, a sans doute marché dedans, et sacrifié une colombe, afin
d’attirer le démon. Les tractations se sont mal passées, car le démon espérait
un sacrifice plus précieux, et s’est vengé en s’attaquant à elle. On peut voir des
traces de lutte au sol, puis de course avant la chute.

Une fois au manoir, le Serpent va sortir du corps de la jument, qui va mourir


dans des saignements atroces au cours de la nuit. A moins qu’elle fasse l’objet
d’une attention spéciale, il y a peu de chances que les personnages s’en aperçoivent
avant Umfreddo, le cocher.

L’enquete
Laissez les personnages revenir au manoir, sans doute avec le corps, et
mener l’enquête. Même s’ils soupçonnent le surnaturel, il est important pour
l’ambiance, au.ils se prennent à l’enquête. Ils doivent comprendre que :

+ Tous les PNJ ont eu un moment seul dans l’après-midi, entre le départ de
dame Sara et l’arrivée des personnages

+ Tous ont des raisons de l’avoir tuée, plus ou moins valables.

+ Tous présentent des signes de nervosité qui laissent penser qu’ils sont
coupables.

Laissez les enquêter sans problème, avec pour principale difficulté le climat.
Accordez leur une ou deux journées de plus si nécessaire, afin de rendre l’enquête
plus intéressante.

Le final
Une fois qu’ils se sont fait un avis, ou qu’ils tournent en rond, déclenchez
la deuxième partie. Les PNJ ont mourir un par un. Le scénario est à chaque

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Le secret de la dame au serpent

fois le même : le serpent les attaques lorsqu’ils sont isolés, les enserre dans
ses anneaux, les étouffe, puis pénètre par leur bouche. Il se nourrit de leurs
entrailles, puis ressort repu au bout d’une heure. Il se cache dans un lieu étroit.
Quelques heures plus tard, il récidive. Entre chaque victime, il grandit et gagne
en épaisseur. Le serpent se garde d’attaquer les personnages, au moins tant qu’il
reste des PNJ, et il n’attaque jamais un groupe. C’est une créature prudente,
rusée et discrète, qui peut se glisser dans n’importe quel trou, sous les portes,
dans le plancher, se hisser dans les poutres. Sa croissance rapide est un handicap
car elle le rend moins souple. S’il ne trouve plus de proie adéquate au manoir,
il cherchera à ramper jusqu’au hameau.

Laissez vos joueurs s’ingénier à lui tendre des pièges. S’ils font une battue au
hasard, ils ne trouveront rien. Quand ils proposeront une méthode qui semble
intelligente et bien ficelée, faites les réussir. Ils seront ainsi récompensés de
leurs cogitations. Même devenue puissante, la créature ne peut affronter un
groupe armé et coordonné.

Battre le Serpent doit être dangereux, mais pas impossible. Quand il est
acculé au combat, il cherche à faire diversion en leur parlant avec les voix de ses
victimes, en laissant croire qu’elles pourraient revenir à la vie s’il est épargné,
en geignant, en bluffant... S’il est enfin tué, il disparait dans un amas de liquides
visqueux. Cependant, s’ils négligent de brûler la dépouille ou de l’exorciser d’une
quelconque manière, elle reprendra vie au bout de quelques temps, retournera
dans son lac et attendra son heure pour recommencer à nuire. 

(48)
Table des matières
Présentation.......................................... p. 3

Cendres & Neiges................................... p. 5

La Caravane........................................... p. 14

La bourgade qui allait se noyer.................. p. 21

La cense de maitre Luige......................... p. 31

Goules, délices & orgues......................... p. 36

Le secret de la dame au serpent................ p. 42

Crédits
+ Hans Gude,Tessefossen i Vaga i middagsbelysning, 1848.

+ Julian Falaat,Chasse à l’ours au javelot, 1890.

+ Jan Looten, Un paysage boisé avec des voyageurs et des chasseurs sur la route, s.d.

+ Henry Jaecke, Le lac de Come, c. 1876.

+ Adolf Mosengel, Hameau dans les alpes bernoises, c. 1885.

+ Remigius Adrianus van Haanen, Waldlandschaft mit Jäger, 1871.

+ Anton Schiffer, Vue de Hallstat, 1876.

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