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1.

Présentation de la composition
Franz Liszt (1811-1866) a composé diverses études pour piano durant sa vie, les
principales étant les douze études d’exécution transcendante S 139, six grandes études de
Paganini S 141, trois études de concert S 144 et deux études de concert S145. Ces études ont
été composées durant la période de Weimar de 1840 à 1861 environ (même si les études
transcendantes avaient déjà été commencées dans la jeunesse du compositeur) et durant le
début de la période de Rome (début 1860). Nous nous intéresserons ici à la première étude du
diptyque S 145 « Waldesrauschen». Liszt écrit ces deux dernières études pour les deux co-
fondateurs de L’Ecole de Musique (qui deviendra le Conservatoire) de Stuttgart, Siegmund
Lebert et Ludwig Stark. Règne une zone d’ombre concernant la date précise de composition
car aucun des deux manuscrits n’est daté, seuls deux fragments de papier collés mentionnent
la date « Roma 1862 » et février 1862. Le musicologue Alan Walker situe la pièce en 1862
alors que le musicien et éditeur italien Ferruccio Busoni en 1863 et le biographe Ben Arnold
entre 1861 et 1863. Durant sa vie à Weimar et ses premières années à Rome, Liszt rencontre
le succès en amour avec la princesse Carolyne Sayn-Wittgenstein et dans sa carrière musicale.
Mais par la suite, vers la fin des années 1850, Liszt perd en popularité et démissionne de son
poste de maître de chapelle à Weimar sous la pression de ses contemporains et perd son fils en
1859 et sa fille en 1862. C’est dans ce climat tragique que le « Murmure de la forêt » serait
écrit. Nonobstant ce sombre contexte, cette étude n’est pas le reflet typique du style tardif de
Liszt. En effet cette pièce garde les caractéristiques stylistiques des années passées à Weimar,
notamment l’écriture pianistique virtuose.
Même si à l’origine l’étude vise à parfaire la technique de l’élève ou de l’interprète,
certaines études composées au XIXème siècle dépassent cet usage foncièrement pédagogique.
Les 24 études de Chopin, composées de 1829 è 1836, sont l’exemple paradigmatique de
l’évolution de ce genre qui gagne en valeur artistique. A l’instar de Chopin, Liszt donne à ses
études cette même plus-value mais avec les caractéristiques qui lui sont propres. D’ailleurs
Liszt compose principalement ses études pour ses propres programmes de concerts qu’il
interprète lui-même. Même si Liszt n’est pas le premier à écrire ce genre de pièces, son
approche sensible, variée et spécifique dans son rapport à l’émotion met en lumière sa
singularité. De plus, pour la plupart de ses études, les exigences vont bien au-delà de simples
exercices de doigts. Elles peuvent décrire un état mental, un mouvement ou des images. Le
diptyque « Waldesrauschen » et « Gnomenreigen », qui était très apprécié et joué par les
élèves de Liszt, possède deux titres poétiques : l’un décrirait une composition imitant le
bruissement de la forêt et l’autre une pièce qui imiterait les sons des gnomes. Ces titres ne se
trouvent pourtant pas dans les manuscrits autographes conservés à Weimar et à Lucerne mais
l’on sait que Liszt utilisait ces noms lui-même dans les années 1870. L’impressionnisme
avant-gardiste qui imprègne ces deux études de concert semble aussi contribuer à
l’affranchissement de leur dénomination d’études.

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2. Description de la forme
2.1 Structure
La singularité lisztienne se retrouve aussi dans la forme qui s’écarte des conventions. En
effet, Liszt aura tendance à utiliser un arrangement en sections mettant en valeur la
transformation d’un ou plusieurs thèmes. Selon lui, « un nouveau vin exige de nouvelles
bouteilles », comme si le contenu est intrinsèquement lié au contenant. On trouve cette liberté
formelle sectionnée dans l’étude « Waldesrauschen » qui repose sur une structure
monothématique qui s’articule en diverses transformations thématiques. En effet, la pièce
semble être construite autour d’un thème exposé de la mesure 1 à 14 et évolue par
changements plus ou moins importants. On peut alors établir plusieurs sections qui parcourent
diverses tonalités (cf. annexe 1) :
• Une première Section A est constituée du thème original a (1-14) en Réb M puis en Mi
M, suivi de a1 (15-28) qui subit de légères modifications dans le ton principal puis en
Mi M (22-26) et en Fa M(27-28).
• Une deuxième Section A1 qui subit plus de modifications est constituée d’a1 (29-44)
en Fa M (29-36) puis en La M (37-44), suivi d’a3 (45-60) instable harmoniquement.
• Une troisième Section A2 (61-86) ressemble à une réexposition en Réb M puis module
chromatiquement en Ré M (70), en Mi M (71-80) pour revenir en Réb M (81).
• Une Coda (87-97), tout en douceur, repose sur le ton principal de Réb M.
Il est intéressant de remarquer que cette forme monothématique emprunte quelques
caractéristiques à la forme sonate puisque l’on pourrait y voir l’exposition d’un thème
principal A suivi de modifications qui remplaceraient la fonction de B, d’un développement
(mesure 45-60), d’une réexposition et d’une coda. De plus les transformations d’un seul
thème qui ne perd pas son essence peuvent nous faire penser à la forme d’un thème et
variations.
2.2 Thème original
Le thème principal (Aa) se caractérise tout d’abord par son débit continu de sextolets de
doubles à la main droite qui installe l’harmonie de RébM dans une nuance très fine (pp,
dolcissimo, una corda) (cf. annexe 2). Cette grande fluidité fait référence aux différentes
formes du vent, allant de la brise (ppp) à la tempête (FFF), qui s’immisce dans la forêt
mettant en évidence la beauté et la force de la nature. On peut alors imaginer le bruissement
des feuilles et branches qui dansent au gré de l’humeur du vent. Si ce dernier est symbolisé
par les sextolets, la 6te peut représenter le feuillage. Ce débit constant de souffle donne une
voix à la forêt et à tout ce qu’elle représente, ce qui peut faire penser que la main gauche de ce
thème principal serait cette voix qui ne peut résonner sans le vent. D’ailleurs on peut
remarquer que l’entrée de cette voix sylvicole se fait un peu après l’entrée des doubles,
illustrant parfaitement cette image du vent qui arriverait doucement vers la forêt. Le « vrai »
thème peut alors s’exprimer con grazia par des valeurs plus longues (noires et croches) et se
caractérise par son entrée syncopée reconnaissable à travers toute la pièce (cf. annexe 3). De
plus, il est caractérisé par sa première note expressive (7ème de dominante) qui descend
conjointement avec des broderies par motif de quatre croches trois fois de suite (1er motif)
pour ensuite remonter par un arpège de tonique avec une appogiature expressive (mi bécarre)
qui se résout sur fa (deuxième motif). Un second arpège permet de regagner la hauteur de

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départ avec cette fois une appogiature par le haut (troisième motif). A noter que l’on peut y
résumer les notes d’une gamme de Sol b M. Le noyau de ce thème repose sur ces premières
mesures (1-5) tandis que la seconde (6-11) et troisième phrase (12-14) ne sont qu’une
continuation et clôture de ce thème qui vont évoluer par mouvement d’ascension chromatique
créant une difficulté à saisir la tonalité (9 à 14). Le thème s’éteint doucement à la mesure 14
pour laisser place à une première « variation légère » qui souffle tre corde et mF sans
crescendo. A l’instar du vent qui peut ressurgir sans crier gare, le thème lisztien peut chanter
avec différentes intensités sans besoin d’une gradation au préalable. On notera également que
ce thème dans son exposition et dans sa coda entoure la pièce de nuances fines et délicates,
comme si le murmure de la forêt devait attendre la lente arrivée du vent pour s’exprimer et les
derniers filets d’air pour s’éteindre. Enfin ce thème peut être découpé en trois grandes
phrases, une première (1-5), une deuxième (6-11) et une troisième (12-14).
3. Description structurelle des éléments thématiques
3.1 Transformations du thème original
3.1.1 Dans la section A1
A travers les différentes sections le vent de la forêt arbore différents états et se transforme.
Si dans la première partie (Aa1) le thème ne se modifie que par de petits changements
rythmiques (triolet à la mesure 16) et de nuances (mF) et par l’ajout d’une troisième phrase
différente (25-26) et d’une quatrième (27-28) comme transition, le thème subit de gros
changements dans la section A1. En effet celui-ci se raccourcit (A1a2) et change
d’intervalles : en plus de petites décorations (acciacature), la quatrième note du premier motif
est sol et non la, la cinquième est mi et non sol et la sixième est sib et non fa. Le mi et le sib
forment alors un intervalle de triton très expressif (cf. annexe 4.1). La descente de ce premier
motif est également perturbée à la mesure 33 : la deuxième note est do au lieu de ré, la
troisième la au lieu de do et la quatrième fa au lieu de sib. Les notes suivantes de cette mesure
subissent le même traitement avec cette fois le retour de la quarte augmentée (mi sib) (cf.
annexe 4.2). Le deuxième motif reste inchangé mais une texture polyphonique est ajoutée
tandis que le troisième disparaît. A partir de la mesure 37 les nouvelles transformations sont
transposées au ton de La M.
Le thème est également modifié dans la partie A1a3 puisque ce premier en Ré M est
raccourci et transformé : à la mesure 45 seul le début du premier motif est conservé et les trois
dernières notes sont fa#, mi et ré au lieu de la, sol et fa bécarre. Mais surtout le thème est écrit
en contrepoint double avec inversus à la mesure suivante (46) (cf. annexe 4.3). Les deux
mesures 45 et 46 sont transposées chromatiquement en marche aux mesures 47 et 48 en Mib
M. La marche se resserre à la mesure 49 en Mib M puis, à la mesure 50, l’inversus ne
concerne plus que la main droite et la modulation procède par relation de médiante en allant
en Sol M puis en Sib M (51). Il est intéressant de remarquer que les mesures 49 à 54 peuvent
être perçues comme la déclinaison d’un même accord de 7ème diminuée mib fa#, la, do énoncé
par la main droite qui se transforme par enharmonie et se mêle au thème (cf. annexe 4.4).
Enfin la transformation du thème trouve une première apothéose, un premier climax à la
fin de cette section A1 martellato en octaves (cf. annexe 4.5). Le thème à nouveau change
d’intervalles, marqué par une quinte juste descendante et autres modifications conjointes,
mais surtout les octaves clamant le thème perturbé s’enchainent telle une bourrasque de vent

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tempétueuse FFF. Cette fois la progression de nuances est préparée en amont (à la mesure 45
tre corde et poco a poco più agitato venant d’une nuance pp et delicamente) comme si le vent
commençait à gronder de l’intérieur pour mieux se déchaîner par la suite avec une intensité de
plus en plus palpable (mesure 49 sempre cresc).
3.1.2 Dans la section A2
Le thème trouve également un nouveau bouleversement dans A2. Après la récapitulation
de a1’, le deuxième climax apporte une nouvelle dimension au thème. Le motif descendant
initial de ce dernier est ici le conséquent d’un nouveau motif antécédent chromatique, le tout
en octave stringendo molto e sempre fortissimo ed appassionato (cf. annexe 5). Cette
indication hyperbolique accentue la profonde mutation tempétueuse de façon presque
héroïque. Une nouvelle voix, elle aussi ascendante puis descendante mais plus harmonique et
disjointe, vient émerger à la basse dialoguant en alternance avec la voix de la forêt. Peut-être
que le vent souhaite lui aussi avoir sa propre voix distincte de celle de la forêt. Cette
hypothèse peut être défendue par le constat qu’il n’y a aucun autre moment où les sextolets de
doubles disparaissent (excepté 59,60 mais les octaves rapides créent l’illusion). L’alternance
entre ces deux voix en croches créée néanmoins un mouvement de doubles qui nous ferait
presque oublier la disparition du souffle récurrent, voire en ostinato. Enfin l’antécédent
chromatique du thème se sépare du motif conséquent (initial) pour trouver son apogée quasi
trillo sempre FFF (79-80) sur une pédale de dominante. Suit un déploiement chromatique
ascendant par des accords de trois sons à la main droite qui alternent avec une autre ligne
chromatique à la main gauche dissonante qui culmine vers le retour en RébM. On notera la
modulation enharmonique grâce à la note pédale sol# dominante dans la tonalité de Do #M
qui devient la b dominante en Réb M (cf. annexe 6).
3.2 Relation de médiante
On peut remarquer les enchaînements harmoniques qui ne sont pas sans rappeler une
approche compositionnelle qu’appréciait Liszt : la relation de médiante. Les tonalités des
différentes sections reposent en effet sur une relation de tierces, d’abord ascendantes puis une
descendante : A en Réb Majeur, A1 en FA Majeur puis en La Majeur et A2 en Réb Majeur. De
plus on peut remarquer que beaucoup de modulations de passages reposent sur cette relation
lisztienne :
• À la mesure 9 la modulation en Mi M s’opère par enharmonie (lab devient sol#, fa
devient mi#, réb devient do#) (cf. annexe 7.1) et repose sur une relation de médiante
puisque Réb Majeur et Mi M sont séparés d’une seconde augmentée (et donc de tierce
à l’oreille). On retrouve ce même enchaînement de tonalités à la mesure 21 et 22 où la
dominante du IV chiffré +4 en Réb M s’enchaîne par enharmonie et par échanges (de
sensible et de 7ème) à la dominante du II chiffré +6 en Mi M (la sensible fa devient la
sensible mi#, la 7ème dob devient la 7ème si et le réb devient do#) (cf. annexe 7.2).
• À la mesure 36 on retrouve ce rapport de médiante puisque la tonalité de Fa M se
transforme vers La M grâce à la dominante de dominante en sixte augmentée (sixte
allemande #65) (cf. anexe 7.3) qui se résout sur la dominante de La M en sixte et
quarte.
• À la mesure 50, la mesure 49 en Mi M est quasi (la dernière croche à la main gauche
n’est pas un sol bécarre et à la main droite pas de sol bécarre ni de fa #) transposée

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(avec inversus à la main droite) en Sol M par marche harmonique (cf. annexe 7.4). Ce
qui correspond à une relation de médiante tout comme la mesure 50 en Sol M module
vers Sib M à la mesure 51. En effet grâce à l’accord de dominante (+65barré) en Sol
M, celui-ci se transforme par enharmonie en dominante de Sib M (+2).
• À la mesure 57, on peut remarquer une relation de sous-médiante car à la mesure 55
et 56 la tonalité était Fa Majeur et la mesure 57 en Ré M. L’enchaînement se fait
grâce à l’accord augmenté I de la mesure 56 qui permet de glisser chromatiquement
vers l’accord I chiffré 6 de Ré M (cf. annexe 7.5).
4. Lien entre analyse et interprétation
Cette analyse permet d’orienter et d’influencer l’interprétation pianistique de cette
étude sous différents aspects :
Tout d’abord au niveau de la forme puisque la structure étant éclaircie, il sera
important et naturel de faire sentir par une respiration importante les différentes parties qui
vont modifier le thème initial. Faire ressentir la forme et le plan compositionnel peut
facilement et simplement s’opérer grâce la conscience structurelle.
De plus la perception analytique des phrases, notamment du thème principal, participe
à cette cohérence phrastique. Mieux cerner les petites et grandes respirations permet de jouer
naturellement la pièce comme si l’on devait chanter avec sa voix. Par exemple, il serait
judicieux de commencer à respirer calmement à la fin de la mesure 14 pour créer un effet de
surprise à la mesure 15, comme si le vent surgissait d’une accalmie sans prévenir. Mieux vaut
donc jouer mezzo forte subito.
S’imprégner de l’essence impressionniste de cette pièce permet de mieux en cerner les
caractéristiques à soigner. Cibler les zones expressives comme les appogiatures ou notes
ajoutées (comme la 6te qui symbolise le bruissement des feuilles) ou syncope du thème
permet de favoriser l’effet. Simplement, avoir conscience de cette ode à la nature permet de
donner un sens aux indications visibles comme les nuances. Par exemple, il est intéressant à la
première mesure de donner l’effet de venir de loin comme si le vent se réveillait doucement et
de manière lointaine. Tout comme à la fin, le repos sur la tonique ppp devrait être joué aussi
légèrement qu’une fine brise qui souffle ces dernières caresses. Gommer les attaques en
jouant de près serait alors judicieux. On peut également se contenir mesure 45 à 48 pour que
la tempête sourde puisse avoir le temps de s’accumuler, de grandir intérieurement (49-54)
pour mieux se déchaîner à la mesure 55.
De plus, repérer l’harmonie et les procédés d’écriture permet aussi de mieux saisir les
métriques pour en faire ressortir les effets. Repérer les marches permet de mieux structurer le
discours musical et avoir conscience des nouveaux intervalles transformés du thème peut nous
faire jouer sur le timbre. Par exemple, à la mesure 34, il est important d’équilibrer les deux
voix pour faire ressortir la texture polyphonique. Comme les aigus sonnent facilement, il sera
préférable de timbrer suffisamment la basse. De même que prendre conscience des échanges
contrapuntiques à partir de la mesure 45 permet de veiller à ce que les doubles ne prennent
pas trop de place pour que le chemin des deux voix puisse être perçu. Comprendre comment
l’accélération harmonique est structurée (45 à 54) permet aussi de ne pas s’en remettre
exclusivement à la sensation qui peut être trompeuse. Ainsi, il serait tentant de la mesure 49 à
54 de tout considérer en un bloc puisqu’à l’oreille on pourrait percevoir un même accord
diminué. Même si cela est vrai, l’analyse permet d’identifier les tonalités, et donc les petites
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sections de cet embrasement. Cela ne se traduira sans doute pas par de grandes respirations,
mais par paliers qui seront structurés et qui conduiront à un effet bien meilleur. Dans d’autres
pièces du répertoire, on peut même observer des rapports d’hémioles intéressantes qui
montrent que le compositeur veut lutter contre le chiffrage. Ne pas avoir repéré ces hémioles
et jouer sans ressentir la mesure qui se heurte à la musique serait regrettable.

Conclusion
Même si l’on ne peut analyser une pièce de façon exhaustive et même si le
compositeur ne peut pas tout nous révéler, tenter de comprendre permet non seulement d’être
mieux équipé pour interpréter, contempler et apprécier une œuvre, mais permet aussi de nous
rapprocher de l’essence de la musique et de la démarche artistique du compositeur. Il y a un
rapport ontologique apaisé dans cette recherche contemplative qui nous rappelle que la
musique dépasse largement le jugement de notre exécution instrumentale et le désir de
reconnaissance envers autrui. Cet état de spectateur actif désintéressé élargit notre rapport à la
musique qui devient unique et intime. Il nous permet de nous libérer de l’appréciation d’autrui
et de mieux se laisser traverser par la musique. Si cette dernière est une étoile qui peut briller
et se refléter dans nos yeux, encore faut-il que notre regard soit tourné vers l’astre et non vers
les yeux d’autrui. Analyser une œuvre musicale, c’est revenir à ce jeu d’attention qui éveille
nos considérations envers un compositeur, son œuvre et la musique elle-même. Etudier les
conventions stylistiques, repérer si elles sont préservées, modifiées ou ignorées par les
compositeurs rappelle que la musique échappe au cloisonnement, à la définition que l’on en
fait. Analyser des compositions peut nous faire réfléchir à une conception non figée de la
musique qui peut revêtir autant de manteaux qu’il y a d’esprits. Tenter de comprendre une
œuvre, c’est aussi se demander comment elle existe, si elle a besoin d’être jouée et d’être
entendue par des oreilles extérieures. Ne pourrions-nous pas penser, à l’instar d’un poème qui
peut aussi être pensé silencieusement, que la musique dépasse la sphère auditive physique de
l’auditeur et du musicien ? La musique ne pourrait alors se résumer à des prestations qui
viseraient à contenter, à émouvoir des oreilles extérieures et à s’en satisfaire. Analyser permet
alors de découvrir de nouvelles facettes de la musique qui étaient jusque-là cachées, comme si
apparaissaient alors des chemins qui semblent loin de nous mais qui finissent en réalité par
converger vers nous. Comme le disent les Romantiques, le chemin mystérieux va vers
l’intérieur. Paradoxalement, c’est en se détournant de soi que la musique peut nous rappeler
qui l’on est. Cette posture est source de plénitude et d’ataraxie. Ainsi peut-on entendre la forêt
murmurer dans ces pages lisztiennes si l’on tend l’oreille. Et si l’on regarde vers ce qui
semble être une feuille morte annotée, alors peut-on en découvrir les secrets qui la font danser
avec le vent.

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Bibliographie

ECKHARDT Maria et HAUG-FREIENSTEIN Wiltrud, « Préface », dans Zwei Konzertetüden,


Budapest et Munich, G. Henle verlag, 1994.

RANDEL Don Michael (éd), « Transformation of Themes », dans The Harvard Dictionary of
Music, Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 2003.

SACRE Guy, La Musique de piano, Paris, Robert Laffont, 1998.

WALKER Alan, « Liszt », dans The New Grove Dictionary of Music and Musicians, Londres,
Macmillian Publishers, 2001.

ZHIWEI Zheng, Pedagogical Thoughts on Liszt’s Six Concert Etude, Thèse, Morgantown
(États-Unis), WestVirginiaUniversity, 2015.

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Annexes

1. Plan harmonique et formel

A1 (thème + gros A2
Sections A Coda
changements) (comme réexposition)
a2 = + a4 =
a3 = +
a1 = petits court et thème
court a1’ = thème ème
a = change- avec 2 climax dans avec
avec original
Thème thème ments de change- l’ombre du thème change-
double avec fin
original rythmes et ment original ments
contre- différente
registres d’inter- d’inter-
point
valles valles
RébM/
RébM/modu- FaM/ Modul- RébM/mod-
Tonalités modula- MiM/do#m/RébM RébM
lations LaM ation ulations
tions
Mesures 1-14 15-29 29-44 45-60 61-70 71-87 87-97
Dynami- pp < > pp >
mf < pp… < fff f< fff < >
ques ppp ppp

2. Sextolets et 6xte

3. Syncope et valeurs longues

8
4. Changement d’intervalles

4.1 Première apparition du triton

4.2 Deuxième apparition du triton

4.3 Contrepoint double et inversus

9
4.4 7ème diminuée dans différentes positions (en orange)

4.5 Octaves martellato

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5. Voix de la forêt avec celle du vent

6. Thème devient un trille sur pédale de dominante en DO#/RébM

7. Relation de médiante

7.1 Par enharmonie

7.2

11
7.3 6xte augmentée

7.4 Marches et 7èmes dim

7.5 Accord augmenté

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