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Minstrels, par Claude Debussy

analyse du prélude n°12, book 1

L'une des figures marquantes de l'histoire de la musique en général,


et du XXe siècle en particulier, est le Français Claude Debussy (1862-
1918), dont la musique a parfois été qualifiée d'impressionniste, par
analogie avec les peintres impressionnistes. Cependant, elle est plus
proche du symbolisme, un lien confirmé par son amitié avec les
poètes symbolistes et par l'utilisation de leurs textes pour des
chansons et des pièces de théâtre.

Sa musique tend à évoquer une humeur, un sentiment, une


atmosphère ou une scène, et pour ce faire, comme dans la poésie
symboliste, il modifie souvent la syntaxe normale. Il crée des images
musicales en utilisant des motifs, des harmonies, des gammes
exotiques (telles que des gammes de tons entiers, octatoniques et
pentatoniques), des timbres instrumentaux et d'autres éléments,
puis compose en les juxtaposant tous. Les motifs n'ont pas besoin
d'être développés, mais sont répétés avec de petites modifications ;
les dissonances n'ont pas besoin d'être résolues, les sonorités
peuvent progresser en mouvement parallèle, le timbre instrumental
acquiert une grande importance.

Toutes ces caractéristiques sont particulièrement évidentes dans sa


musique pour piano en général et, comme il fallait s'y attendre, dans
le prélude n12. Pour cette raison, je crois qu'il est opportun d'étudier
les ressources mélodiques, rythmiques et harmoniques qui
apparaissent dans l'œuvre et qui nous aident à avoir une vision plus
précise de la pièce. Il faut vérifier si au sein de toutes ces ressources
apparaissent les caractéristiques précitées que l'on attribue
habituellement à l'auteur : utilisation de gammes exotiques, de
modes archaïques ou de tons entiers ; abandon des formes
traditionnelles ; utilisations fréquentes d'accords dissonants et
consonants ; liberté rythmique; etc. Tout cela sans oublier la partie
extra-musicale, dont on se souvient était d'une grande importance
pour le compositeur français. Il ne s'agit pas d'une musique
descriptive, mais plutôt d'une invitation au rêve et à un voyage où la
musique est associée à des images ou à des sensations diverses.

Analyse Descriptive

FORME

L'une des caractéristiques et des apports de Debussy était


d'abandonner les formes traditionnelles et nous en voyons un
exemple clair dans ce prélude, dans lequel la forme est donnée par le
développement de l'idée musicale elle-même, n'étant pas quelque
chose qui se superpose à elle. . On retrouve ainsi l'apparition d'une
série de thèmes principaux, chacun composé de motifs plus petits
qui se répètent ou varient tout au long de l'œuvre, lui donnant une
forme, mais pas celle conventionnelle.

Ensuite, je présenterai un schéma analytique de la pièce :

Mesures 1-18 : Premier thème, thème A


Mesures 1-8 : Première affirmation formée par A1 + A1
Mesures 9-15 : Deuxième relevé formé par A2 (9-12) et A3 (13-15).
En A2 on retrouve un motif de quatre notes (sol-si-re-mi) qui
réapparaîtra tout au long du prélude et que je viens d’appeler « x-
motif ».
Barres 15-18 : A4 (Nexus)
Mesures 18-35 : Thème A’ (variation du thème A)
Mesures 19-25 : A2 + A3
Mesures 26-31 A'4 (développement des motifs de connexion des
mesures 15-18.)
Mesures 32-36 : expansion cadentielle avec motif x et cadence
plagale.
Mesures 37-44 : Deuxième thème, Thème B
Mesures 45-57 : A'2 et A'3 (Développement de la deuxième partie du
premier thème)
Mesures 45-49 : développement du La2, en Fa# Majeur.
Mesures 49-57 : motif x, motif y en Lab M, répétition du motif x et
encore motif en y mais en AM
Mesures 58-62 : B1 (caractère rythmique)
Mesures 63-77 : Thème C
Mesures 78-81 : A1 (interrompu par raison x)
Mesures 82-84 : B1
Mesures 85-89 : A2 comme CODA

MÉLODIE

L'élément le plus important à souligner mélodiquement dans ce


prélude est ce que nous avons appelé "x-motif", qui agit comme un
élément unificateur au sein de l'œuvre. Il contient quatre notes (sol,
si, ré, mi) qui, si on y ajoutait un "la", formeraient la gamme
pentatonique si caractéristique utilisée par Debussy dans toute son
œuvre. On peut respirer cet air exotique inhérent à cette gamme à
divers moments du prélude.

Laissant de côté ce motif caractéristique, d'une manière générale on


peut dire qu'il n'y a pas de mélodies très spécifiques et plutôt,
comme pour le motif x, ce que l'on retrouve tout au long du prélude
ce sont de petits motifs "mélodiques" (majeurs et mineurs,
chromatismes, etc.) . Par contre, à certains moments du prélude,
l'accord est plus fort que le mélodique (comme dans le deuxième
thème). Pour finir avec cette section, il convient de noter seulement
la montée chromatique caractéristique de la mesure 63, qui sera
répétée avec une certaine variété dans la mesure 71.

RYTHME

Sans aucun doute, le prélude a un caractère nettement rythmique et


"ludique", étroitement lié à la partie extra-musicale dont nous
parlerons plus tard. L'important est que le rythme, qui ne présente a
priori rien d'extraordinaire, devienne un élément qui sert à donner
une forme à l'œuvre. Il est également particulièrement important
dans certaines phrases, comme dans B1 (c.c. 58-62), dans lesquelles
nous avons une indication de "quasi tambouro", le passage
acquérant une grande force de percussion. Il convient également de
noter que tout au long de l'œuvre, diverses indications de tempo («
moderé », « mouvt », 1er tempo…) permettent d'articuler l'œuvre.

HARMONIE

Chez Debussy, la tonalité est enveloppée d'ambiguïté et n'est pas un


élément d'articulation de la pièce, mais plutôt un élément de couleur
de plus dans son travail. Ennemi des formules académiques, ses
éléments structurels se caractérisent par des formes floues et
asymétriques, typiques de l'esthétique du symbolisme français. Ainsi,
et dans ce cas particulier, on retrouve des tonalités différentes tout
au long de l'œuvre.
Le prélude commence clairement en sol majeur, ce qui est rendu
clair par la basse alternant tonique et dominante (sol et ré,
respectivement). A la mesure 10 on trouve un premier accord plus
percutant, un vi7, précédé d'une série d'intervalles de secondes
majeures et mineures, qui donnent à l'ensemble une sonorité
particulière. Plus tard, dans la mesure 12, un accord de do majeur
apparaît, sous-dominant de la tonalité. Or, cette tonalité de Sol
Majeur est brusquement remise en cause car les accords I-V-I de Fa
dièse Majeur alternent dans la mesure 18. Cependant, cette
intrusion saisissante de ladite tonalité s'évanouit avec son apparition
dans la dernière croche de cette même mesure. de la tonalité
principale, qui retrouve une fois de plus sa prééminence.
Dans la mesure 26 on se retrouve dans la tonalité de Mib M, qui sera
maintenue plus tard dans les mesures 28-30 avec le Lab comme note
de pédale.

À la mesure 32, la tonalité principale réapparaît, cadençant quatre


mesures plus loin dans une cadence plagale (c. 36) et laissant place à
une série d'accords de quinte augmentés (c.c.37-38). Arrivé à la
mesure 45 on retrouve la tonalité qui s'était déjà tapie timidement
dans la mesure 18 : Fa# Majeur. Ceci, cependant, y voit des passages
intégrés dans d'autres clés telles que Lab M (cc 51-52) et LaM (cc 55-
56). Cela laisse place au passage nettement percussif et rythmique
dans les mesures 60-63, où l'on retrouve le lead de la seconde
mineure.

Ce qui frappe dans les mesures 65-66 peut être compris comme un
clin d'œil à l'harmonie traditionnelle en raison de la cadence qui s'y
déroule : II9-V7-I9-8-7-6.

En conclusion, malgré le fait que l'ouvrage soit majoritairement dans


la tonalité de SolM, d'autres tonalités apparaissent également (EbM,
F#M…) qui rendent la tonalité souvent ambiguë. Ainsi, on ne peut
pas parler d'une harmonie fonctionnelle qui guide la pièce, mais
plutôt d'un outil utilisé par le compositeur pour donner de la couleur
à l'œuvre.

TEXTURE

Tout au long du prélude, l'alternance texturale entre certaines


parties plus denses et d'autres moins, devient un élément constant.
Ainsi, par exemple, on retrouve un début calme et léger dont la
densité augmente progressivement : d'abord avec les deuxièmes
intervalles (c.c. 9-10) auxquels s'ajoutent d'autres voix jusqu'à
produire une succession d'accords. Un autre exemple de cette
légèreté constante par rapport à la lourdeur texturale est clairement
perceptible dans la phrase légèrement texturée qui commence à la
mesure 58, qui contraste rapidement avec la solidité des accords qui
commencent à la mesure 65.

DYNAMIQUE

La plage dynamique utilisée tout au long de l'œuvre est assez réduite


et tourne autour du piano. Cependant, afin de donner au discours
musical une plus grande expressivité, d'autres indications de
dynamique apparaissent tout au long du prélude, parmi lesquelles
nous soulignons les suivantes : pp à la mesure 14 ; dp à 35 ; f sur 74
ou le ff sur les deux dernières mesures.

RESSOURCES EXPRESSIVES
Afin d'apporter l'indicible de la nature à sa musique (senteurs,
souvenirs, couleurs, mouvement...), Debussy inscrit sur la partition
diverses indications qui donnent à la musique une plus grande
expressivité. Dans cette partition on en retrouve quelques-uns,
depuis des indications comme « nerveux et avec humour ») ou «
quasi tambouro » jusqu'à des plus courantes comme « expressif ».
De plus, l'utilisation de régulateurs dynamiques permet également
de donner plus d'expression au discours musical.

Il faut aussi mentionner l'importance de l'articulation, surtout dans le


grupeto au début où l'on trouve une indication de "les gruppetti sur
le temps" et aussi dans la section rythmique qui commence à la
mesure 58, où l'on a déjà l'indication mentionné de "quasi tamboro".
De plus, il est important de bien marquer le stacatto tout au long du
morceau et de les contraster avec le legato indiqué. Avec tout cela et
en se laissant emporter par l'évocation qui émane de l'œuvre,
l'interprète exprimera sûrement bien ce que pensait le compositeur.

RELATIONS EXTRA-MUSICALES

«Quand il n'y a pas de moments de se payer des voyages, il faut


suppléer par l'imagination» (C.Debussy)

Les préludes de Debussy s'inspirent d'un large éventail


d'impressions: les merveilles de la nature ("Ce qu'a vu le vent
d'ouest"), la poésie de Charles Baudelaire ("Les sons et les parfums
tournent dans l'air du soir" ), une carte postale de l'Alhambra de
Grenade ("La puerta del vino"), des romans de Charles Dickens
("Hommage à S. Pickwick Esq. P.P.M.P.C"), un clown américain
("General Lavine, excentrique"), etc.

CONCLUSION

Sans aucun doute, ce petit prélude c’est une œuvre qui reflète déjà
la maturité du compositeur et qui, avec le reste des préludes,
deviendra l'une des œuvres les plus populaires en français. On y peut
apprécier quelques-unes des caractéristiques et des apports que
Debussy laisse à l'histoire de la musique : abandon des formes
traditionnelles, élargissement du concept de tonalité, utilisation des
gammes pentatoniques et exotiques, souci du timbre, etc.

Par l'analyse que j'ai menée, tant au niveau descriptif (mélodie,


rythme, harmonie...) qu'extra-musical, j'ai pu aller plus loin que la
simple écoute de la musique de ce compositeur pour qui j'ai tant
beaucoup d'admiration. Sa musique en général et sa philosophie de
la musique elle-même m'ont toujours captivé. Debussy c’est un
compositeur que j’apprécie beaucoup et qui est très inspirateur. Ça a
été un plaisir d’analizer une de ses pièces.

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