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BENJAMIN, Walter : L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique [1935], Paris

: Allia, 2011
CHAPITRE I
« En ce que l'œil saisit plus vite que la main ne dessine, le processus de la reproduction figurative fut si
formidablement accéléré qu'il put tenir le rythme de la parole. » e. 116
CHAPITRE II
« ENCORE manque-t-il à la reproduction la plus parfaite une chose : le hic et nunc [l'ici et le maintenant] de
l'œuvre d'art–l'unicité de son existence au lieu où elle se trouve. Pourtant, c'est au caractère unique de cette
existence, et à lui seul, que l'histoire doit son accomplissement, auquel cette existence est à son tour
assujettie. » e. 130
« Le hic et nunc de l'original détermine le concept de son authenticité. » e. 137
« La totalité du domaine de l'authenticité échappe à la reproductibilité technique–et, naturellement, pas
uniquement à ce seul type de reproductibilité. » e. 141
« Mais tandis que l'authenticité a maintenu sa pleine autorité sur la reproduction manuelle, estampillée en
général comme contrefaçon, elle ne l'a pas conservée vis-à-vis de la reproduction technique. La raison en est
double. Premièrement, la reproduction technique se révèle être plus indépendante de l'original que la
manuelle. Elle peut, à titre d'exemple, mettre en évidence par la photographie des aspects de l'original qui
ne sont accessibles qu'à la lentille ajustable et à ses angles de vue arbitraires et privilégiés, mais pas à l'œil
humain ; ou bien s'appuyer sur des procédés comme l'agrandissement ou le ralenti, et ainsi fixer des images
qui échappent tout bonnement à l'optique naturelle. » e. 143
« Avant tout, elle lui rend possible la rencontre avec le récepteur, sous la forme d'une photographie ou d'un
disque. La cathédrale quitte son emplacement pour être accueillie dans le studio d'un ami des arts ; l'œuvre
chantée, interprétée dans une salle ou à l'air libre, peut désormais être écoutée dans une chambre. » e. 149
« Au demeurant, on peut déplacer le produit de la reproduction technique de l'œuvre d'art dans des
circonstances qui laissent sa nature intacte–mais qui n'en affectent pas moins, et dans tous les cas, son hic
et nunc. » e. 152
« On ne porte pas moins atteinte par ce procédé à la raison d'être de l'art comme d'aucun autre objet naturel,
à son essence la plus sensible, la plus vulnérable. C'est son authenticité. L'authenticité d'une chose réside
dans tout ce qu'elle peut transmettre d'elle depuis son origine, de sa durée matérielle à son pouvoir
d'évocation historique. » e. 155
« Ce qu'il en ressort peut se résumer par le concept d'aura et l'on pourrait dire : ce qui s'étiole de l'œuvre d'art
à l'époque de sa reproductibilité technique, c'est son aura. Le processus est symptomatique ; sa portée
déborde la sphère de l'art. La technique de reproduction–ainsi la désigne-t-on généralement–détache l'objet
reproduit du cadre de la tradition. En multipliant les reproductions, elle remplace l'autorité de sa présence
unique par une existence en masse. Et en autorisant la reproduction future à entrer en contact avec le
récepteur à l'endroit où il se trouve, elle actualise l'objet reproduit. » e. 161
« Leur agent le plus puissant est le cinéma. Sa portée sociale, même dans sa forme la plus positive, voire
précisément dans celle-ci, est impensable sans prendre en compte sa dimension destructrice et cathartique :
la liquidation de l'importance de la tradition dans l'héritage culturel. Ce phénomène est des plus manifestes
dans les grands films historiques. Il s'étend à toujours plus de domaines. Et quand Abel Gance, en 1927, s'est
exclamé avec enthousiasme : “Shakespeare, Rembrandt, Beethoven feront du cinéma. […] Toutes les
légendes, toute la mythologie et tous les mythes, tous les fondateurs de religion et toutes les religions elles-
mêmes […] attendent leur résurrection lumineuse, et les héros se bousculent à nos portes pour entrer9”, il a,
sans vraiment le savoir, convié à une liquidation globale. » e. 167
CHAPITRE III
« Il convient d'illustrer le concept d'aura, proposé plus haut pour les objets historiques, en l'appliquant aux
objets naturels. Nous pourrions définir l'aura comme l'apparition unique d'un lointain, aussi proche soit-il13.
Parcourir du regard, un calme après-midi d'été, une chaîne de montagnes à l'horizon ou une branche qui
projette son ombre sur celui qui somnole, cela veut dire respirer l'aura de ces montagnes et de cette branche.
Cette description a l'avantage d'identifier facilement ce qui conditionne socialement le déclin actuel de l'aura.
Celui-ci est dû à deux circonstances, l'une et l'autre liées à l'importance croissante des masses dans la vie
actuelle. En effet : “Rapprocher” de soi les choses spatialement et humainement est pour les masses
actuelles14 un désir tout aussi passionné que leur tendance à vaincre l'unicité de tout donné en recevant sa
reproduction. Chaque jour se fait plus irrésistiblement sentir le besoin de rendre l'objet possédable par une
proximité toujours plus intime, dans une image, mieux, dans une illustration, dans sa reproduction. Et il est
évident que la reproduction, telle que le journal illustré et les actualités hebdomadaires la mettent à
disposition, se distingue de l'image. Unicité et durée sont dans celle-ci étroitement imbriquées, autant que la
fugacité et le caractère répétitif le sont dans la reproduction. L'extraction de l'objet hors de son enveloppe,
la destruction de son aura, constitue la marque d'une perception dont “le sens pour ce qui est semblable dans
le monde” 15 s'est accru au point que, par la reproduction, elle annexe aussi l'unique. Ainsi se manifeste,
dans la sphère de la contemplation, ce qui, dans celle de la théorie, apparaît d'une importance croissante,
soit la statistique. L'alignement de la réalité sur les masses et des masses sur la réalité est un processus d'une
portée illimitée, tant pour la pensée que pour la vision du monde. » e. 191
CHAPITRE IV
« L'UNICITÉ de l'œuvre d'art coïncide avec son intégration dans la continuité de la tradition. À dire vrai, cette
tradition elle-même est quelque chose de totalement vivant, d'extraordinairement changeant. Une statue
antique de Vénus, par exemple, se trouvait dans un autre contexte de tradition chez les Grecs, qui lui vouaient
un culte, que chez les clercs du Moyen Âge, qui voyaient en elle une idole maléfique. Pourtant, ce qui se
présente de la même façon aux deux, c'est son unicité, en d'autres termes : son aura. » e. 210
« Il est alors d'une importance décisive que ce mode d'existence auratique de l'œuvre d'art ne soit jamais
totalement détaché de sa fonction rituelle16. En d'autres termes, la valeur singulière de l'œuvre d'art
“authentique” trouve son fondement dans le rituel, au sein duquel elle puisait sa valeur d'usage originelle et
première. » e. 216
« Tenir compte de ces relations est indispensable pour considérer l'œuvre d'art à l'époque de sa
reproductibilité technique. Car elles préparent la connaissance, ici décisive : la reproductibilité technique
émancipe, pour la première fois dans l'histoire, l'œuvre d'art de son existence parasitaire dans le rituel.
L'œuvre d'art reproduite devient, de plus en plus, la reproduction d'une œuvre d'art destinée à être
reproduite19. Quantité d'épreuves sont par exemple possibles à partir d'une plaque photographique ; la
question du tirage authentique n'a aucun sens. Mais dès l'instant où le critère de l'authenticité échoue à
évaluer la production artistique, c'est toute la fonction sociale de l'art qui s'en trouve bouleversée. Au lieu de
se fonder sur le rituel, elle prend appui sur une autre praxis : la politique. » e. 228
CHAPITRE VI
« Les images dans les périodiques illustrés deviennent plus précises encore et plus impératives dans le film,
où chacune des images apparaît conçue préalablement comme la suite de toutes celles qui la précèdent. » e.
279
CHAPITRE IX
« L’homme se retrouve en situation de devoir agir, certes avec toute sa personne vivante, mais en renonçant
à son aura. Car l'aura est liée à son hic et nunc. D'elle, on ne peut faire aucune image. » e. 346
« Aussi, l'aura qui entoure celui qui joue s'évanouit nécessairement–et avec elle, simultanément, l'aura de ce
qu'il interprète. » e. 349
CHAPITRE XIII
« Par la force du gros plan, l'espace se dilate, par celle du ralenti, le mouvement s'étire. » e. 502
« Le ralenti ne se limite pas à dévoiler des facteurs établis du mouvement mais découvre dans cette totalité
connue l'inconnu, “qui n'agit pas du tout comme des ralentissements de mouvements plus rapides, mais
comme des phénomènes curieux de glissement, d'apesanteur, d'élévation surnaturelle”. » e. 504
CHAPITRE XIV
« Annihiler sans pitié l'aura de leurs créations auxquelles ils imprimaient, par le moyen de la production, les
marques de la reproduction. » e. 531
CHAPITRE XV
« On voit que c'est au fond la vieille rengaine qui se plaint que les masses aspirent à se divertir, tandis que
l'art exige le recueillement du spectateur. C'est un lieu commun. » e. 561
« Les édifices sont accueillis de deux façons : selon l'usage qu'on en fait et selon la perception qu'on en a. Ou
pour mieux dire : tactilement et visuellement. On n'aura rien compris de cette réception si on se la figure sur
le mode du recueillement tel qu'il est couramment pratiqué par les voyageurs devant les monuments
célèbres. Il n'existe en effet, pour le domaine tactile, aucun équivalent à ce qu'est la contemplation pour le
domaine visuel. La réception tactile ne se produit pas tant par la voie de l'attention, que par celle de
l'habitude. Dans l'architecture, celle-ci détermine largement jusqu'à la réception visuelle qui, par nature, se
réalise bien moins dans une attention tendue que dans une observation faite en passant. Mais ce mode de
réception formé au contact de l'architecture comporte, dans certains cas, une valeur canonique. Car les
tâches incombant à l'appareil perceptif humain, dans les tournants historiques, ne peuvent nullement être
remplies par les seuls moyens de l'optique, c'est-à-dire de la contemplation. On en vient progressivement à
bout en suivant la direction imposée par la réception tactile, soit par accoutumance. » e. 574

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