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L’abbaye de Fontevraud est fondée dès 1099 par Robert d’Arbrissel.

A cette époque, une nécessité de


réforme religieuse se fait sentir car le clergé est incapable de répondre aux besoins spirituels des fidèles. Ce
renouveau se traduit par l’apparition de réformes monastiques mais aussi par la multiplication du nombre des
prédicateurs errants, « les pauvres du Christ », qui souhaitent éloigner les fidèles de la corruption du monde
laïc. Robert d’Arbrissel est un de ces prédicateurs, il agit dans la vallée de la Loire et grâce à ses talents de
prêcheur, il est rapidement suivi par une foule de fidèles de toutes conditions. En 1101, il reçoit l’ordre de
fixer et d’organiser sa communauté, il entreprend donc la construction d’un monastère sur les terres données
par les seigneurs de Montreuil et de Montsoreau Bellay. Ces terres sont idéalement situées aux confins des
diocèses de Tours, Poitiers et d’Angers car elles se situent sur une voie mais dans un lieu isolé en forêt et le
sous-sol calcaire contient du tuffeau blanc, utilisé pour la construction.
Dès 1106, l’évêque de Poitiers reconnaît l’ordre de Fontevraud, dont la règle s’inspire de la règle bénédictine
mais dont l’originalité réside dans le fait qu’il s’agit d’un ordre mixte dirigé par une abbesse et qui est
constitué de personnes de toutes conditions. Le monastère doit ainsi recevoir les différentes communautés
dans des bâtiments distincts. Il s’organise donc autour du complexe du Grand Moûtier destiné aux religieuses
et qui comprend le quartier Saint-Benoît réservé aux religieuses malades. Au nord-est, le couvent Sainte
Madeleine reçoit les pécheresses repenties et le couvent Saint-Lazare, au sud-est, est destiné au lépreux.
Enfin le monastère Saint Jean de l’habit situé en dehors de la clôture, accueille les religieux qui font office de
chapelains et d’hommes d’affaires pour le monastère. Après la mort de Robert d’Arbrissel en 1117, les
travaux sont poursuivis sous l’abbatiat de Pétronille de Chemillée et de Mathilde d’Anjou. En 1119, le pape
Calixte II bénit le cimetière et consacre l’oratoire et les parties orientales de l’abbatiale. L’abbaye de
Fontevraud devient dès le XIIè siècle une importante abbaye royale placée sous la protection des comtes
d’Anjou et rois d’Angleterre du fait que les abbesses sont issues des familles aristocratiques locales.
Les vicissitudes du temps n’ont pas épargné l’abbaye de Fontevraud qui a subi de nombreuses modifications
notamment au XVIè siècle. Avec la dissolution des ordres religieux et la vente des biens nationaux de 1792,
tout ce qui se trouvait en dehors de la clôture, comme le complexe de Saint Jean de l’habit, fut détruit et
l’abbaye fut abandonnée. Sa transformation en maison carcérale en 1804 a entraîné de nombreux dégâts avec
la création d’ateliers. A partir de 1898, Lucien Magne, architecte des Monuments Historiques, restaura
l’abbatiale et les cuisines et les restaurations se sont étendues à l’ensemble de l’abbaye dès le départ de la
maison carcérale en 1963. Aujourd’hui, les seuls bâtiments du XIIè siècle sont l’abbatiale du Grand Moûtier,
les cuisines dites « tour d’Evrault », la chapelle Saint-Benoît et l’église du prieuré Saint-Lazare.
En quoi l’abbaye de Fontevraud s’inscrit-elle à la fois dans le contexte religieux de l’ordre qui la
régit et dans le contexte artistique de l’Anjou roman ?
Comment l’abbatiale du Grand Moûtier reflète-t-elle les évolutions historiques et artistiques de l’abbaye ?
Pourquoi les « cuisines » correspondent-elles aux besoins de la communauté et aux recherches
architecturales de l’époque ? Qu’en est il pour les chapelles Saint-benoît et Saint-Lazare ?

L’abbatiale est un édifice orienté et de plan en croix latine. La nef unique est divisée en quatre
travées. Elle communique du côté nord avec le transept par un passage « berrichon » aménagé entre le
piédroit de l’arc triomphal et le mur de la nef (celui du sud est bouché). Le transept saillant est divisé en cinq
travées carrées et a une absidiole orientée à l’extrémité de chaque bras. Celle du nord est plus étroite du fait
de la présence d’un escalier à vis pris dans le mur et qui donne accès au clocher. Celle du sud est quant à elle
moins profonde car elle est englobée dans le mur du dortoir. Le chevet peu profond (10,5 m de profondeur et
9 m de large) est de plan bénédictin classique. Le chœur en abside est entouré d’un déambulatoire à trois
chapelles rayonnantes.
L’élévation intérieure de la nef s’organise sur trois niveaux. Dans la partie inférieure du mur, chaque
travée est rythmée par une arcature aveugle composée de quatre arcades en plein cintre à double rouleau
reposant sur des colonnes triples ou des dosserets. Au dessus, une corniche en biseau supporte une coursière
continue. Dans la partie supérieure du mur, chaque travée est directement éclairée par deux fenêtres dont les
angles internes de l’ébrasement sont ornés de colonnettes. Chacune des travées est recouverte d’une coupole
sur pendentifs ce qui fait entrer l’abbatiale dans le type d’église à file de coupoles. Les doubleaux et les
formerets qui encadrent les travées sont légèrement brisés et à double rouleau. Ils retombent sur de massifs
piliers carrés accostés sur trois faces de colonnes doubles. Ce système et l’importante épaisseur des murs
permettent aux murs latéraux de ne porter aucune charge et reçoivent ainsi une élévation très aérée. La
croisée du transept est matérialisée par des arcs à peine brisés à double rouleau qui reposent sur des piliers
carrés cantonnés de colonnes engagées. Elle est couverte d’une coupole sur pendentifs et elle est surmontée




par une tour de clocher carrée. Les bras du transept sont divisés en travées par des arcs retombant sur des
colonnes jumelées. L’entrée des absidioles orientées est soulignée par un doubleau porté au nord par des
colonnes simples et au sud par des colonnes jumelées. A l’intérieur, elles sont ornées d’une élévation à deux
niveaux, c'est-à-dire d’une arcature aveugle de part et d’autre des fenêtres qui sont surmontées d’arcades sur
colonnettes et dont les tailloirs se rejoignent de l’une à l’autre. Les absidioles sont voûtées en cul de four. Le
chœur, surélevé de deux marches a aussi une élévation sur trois niveaux. Il est entouré par une haute
colonnade étroite de 10 mètres de haut. Au dessus de celle-ci, le reste de l’élévation du mur est composé
d’une arcature aveugle aux colonnes courtes et de fenêtres hautes alternant des baies cintrées aveugles et
ouvertes, ce qui permet d’éclairer directement l’abside en cul de four. Le déambulatoire est couvert d’un
berceau annulaire porté sur des doubleaux reposant du côté du chœur sur les colonnes cylindriques et du côté
du mur sur des pilastres flanqués de deux colonnes engagées. Sur la partie droite du déambulatoire et entre
les absidioles, des fenêtres en plein cintre dont les angles des embrasements contiennent des colonnettes,
éclairent abondamment le sanctuaire. L’entrée des absidioles échelonnées est marquée par un doubleau porté
par des colonnes engagées. A l’intérieur, seules les absidioles axiale et sud sont décorées entre les fenêtres
d’arcatures portées par des colonnettes. Elles sont couvertes de voûtes en cul de four moins hautes que le
déambulatoire.
L’élévation de l’abbatiale reflète son organisation interne. La façade est très simple et est composée
d’un portail cintré très restauré. Des colonnettes à chapiteau sculpté soutiennent quatre voussures décorées.
Au dessus une fenêtre en plein cintre est décorée de la même manière. L’élévation extérieure de la nef est
seulement visible du côté nord, le côté sud ayant été fort remanié lors de la restauration du cloître au XVI è
siècle. Des contreforts épais marquent l’emplacement des piliers massifs qui supportent les coupoles et
d’autres moins importants épaulent le mur entre chaque fenêtre. Celles-ci sont surmontées de deux arcs
portés par des colonnettes à chapiteau sculpté. La façade extérieure du transept est simple car elle n’est
animée que par des contreforts plats et par des fenêtres à doubles arcs et piédroits. Les absidioles orientées,
très basses sont soutenues par des contreforts colonnes et sont animées de fenêtres accostées de colonnes. Du
côté nord du transept, la tourelle d’escalier qui conduit au clocher est de section carrée et surmontée d’une
flèche de pierre. Il est ouvert sur chaque face de baies géminées en plein cintre surmontées de trois voussures
sur colonnettes. La composition pyramidale et l’étagement des masses du chevet reflètent parfaitement sa
conception interne. Chaque élément est couvert d’un toit distinct et les différentes hauteurs renforcent
l’autonomie de chaque partie. Ainsi, la surface du chœur, couvert par un toit en croupe, est animée de la
même alternance de baies ouvertes et de mur plein souligné d’un cordon saillant. Le déambulatoire et les
chapelles rayonnantes sont couverts d’un toit à une pente. Sur la face externe des chapelles, on retrouve la
même élévation qu’à l’intérieure, c'est-à-dire que les baies sont surmontées d’une arcature aveugle. Il faut
souligner que la conception architecturale extérieure du chevet est très équilibrée. En effet, il y a un subtil jeu
d’équilibre entre les lignes verticales et horizontales. Les contreforts scandent toutes les masses du chevet et
créent de puissantes verticales notamment par l’utilisation des contreforts colonnes qui allègent un peu la
surface. Ces verticales sont adoucies par le nombre important d’horizontales formées par les corniches
saillantes et décorées présentes sous tous les toits. Ainsi, l’utilisation des colonnes et des corniches permet de
dessiner une architecture savante.
Le décor est très différent d’une partie à l’autre de l’abbatiale. Le décor du chevet est réduit à sa plus
simple expression puisque seulement quelques chanfreins de colonnes sont ornés de fleurettes et les
chapiteaux des grandes colonnes sont sculptés de feuilles d’eau. Même à l’extérieur, les seuls ornements se
trouvent sur les corniches à arcades décorées de boutons côtelés, de têtes d’animaux en méplat ou de feuilles
stylisées. Par contre, la nef possède un décor plus chargé et plus étendu. Quarante-huit des chapiteaux des
colonnes doubles sont authentiques et la moitié de ceux des arcades ont été remplacé ainsi que la plupart des
chapiteaux des fenêtres. Les tailloirs continus des chapiteaux des piliers sont ornés de damiers du côté sud et
de chevrons du côté nord. La plupart des chapiteaux notamment tous ceux des arcatures ont un décor végétal
foisonnant. Les sculptures végétales se caractérisent par une facture grasse qui les gonfle de sève et de vie.
On rencontre aussi des chapiteaux historiés de structure plus complexe. Il n’y a pas de programme
iconographique précis et les scènes mélangent les personnages à la végétation afin de mieux les intégrer au
reste du décor. On reconnaît ainsi l’archange saint Michel terrassant le dragon (4° pilier nord), Daniel dans la
fosse aux lions (2° pilier nord) ou Sanson déchirant la gueule du lion (5° pilier sud). Ces scènes se
caractérisent par la violence de leur traitement notamment grâce à la représentation du mouvement par le jeu
des diagonales. Le second pilier du mur sud reçoit un ensemble plus curieux représentant l’ensevelissement
et l’assomption de la Vierge. La facture semble plus achevée, moins brutale, la composition en frise
rassemble de nombreux personnages aux têtes un peu grosses et aux mains trop longues. Malgré leurs
différences, tous les décors sculptés témoignent d’une technique fouillée due à l’utilisation du trépan,
d’influences antiques, pour les drapés ou le sarcophage de la Vierge, et orientales, pour l’abondance des

végétaux comme les palmettes. La façade porte elle aussi un décor abondant mais il reste sobre. Les
chapiteaux des piédroits sont décorés de chimères, les tailloirs et l’arc intérieur de la fenêtre sont ornés
d’entrelacs et l’arc extérieur de la porte reçoit un décor de palmettes.

L’abbatiale de Notre-dame du Grand Moutier est un bon exemple d’architecture subissant l’influence
d’un mouvement érémitique. En effet, son plan est conforme aux besoins de l’ordre de Fontevraud car sa nef
unique de grand volume ( 57,70 m sur 13m) permet de rassembler le grand nombre de religieuses lors des
offices. Aussi, l’emploi de la nef unique est fortement approprié à la prédication qui est la base de
constitution de cet ordre. La transition entre le sanctuaire et la nef par les passages « berrichons » se retrouve
dans de nombreuses églises romanes car ils permettent de faciliter la communication entre la nef, partie
laïque de l’édifice, et le sanctuaire réservé aux religieux lors des offices. Dans le cas de Fontevraud, la
présence de ces passages est importante car ils permettent d’appliquer la règle de séparation entre les
hommes et les femmes dans un ordre mixte. En effet, des grilles clôturaient les passages et la croisée du
transept et séparaient ainsi les prêtres qui célébraient l’office dans le sanctuaire et ils donnaient le sacrement
aux religieuses regroupées dans la nef. Enfin, le décor est aussi conforme aux préceptes de l’ordre et il
marque aussi les évolutions historiques de la construction. Le chœur fut construit en premier, sous le vivant
de R. d’Arbrissel et la sobriété de son décor traduit bien l’idéal de pauvreté que s’était donné l’ordre. La nef
quant à elle fut entreprise sous les abbatiats de P. de Chemillée et de M. d’Anjou, toutes deux filles de
grandes familles locales et, pendant leurs abbatiats, l’abbaye de Fontevraud devint très puissante grâce aux
dons des ducs d’Anjou et à la protection royale. Cet enrichissement se retrouve dans l’abondant décor de la
nef et de la façade qui contraste avec les idéaux premiers de renoncement et de sobriété. L’iconographie est
aussi en relation avec les idées de l’ordre puisque ce dernier à une dévotion particulière pour la Vierge (qui
seule peut sauver les hommes du pêché et c’est pour cela que l’ordre est dirigé par des femmes). On retrouve
ainsi l’image de la Vierge dans la nef.
L’abbatiale est aussi en accord avec les traditions architecturales de la région dans laquelle elle se
trouve. Sa localisation aux confins du Poitou, de l’Anjou et de la Touraine joue un grand rôle dans les
multiples influences retrouvées dans sa conception et son décor. Le type du sanctuaire à déambulatoire et
chapelles rayonnantes qui reçoit une élévation sur trois niveaux comprenant de grandes arcades, une arcature
aveugle et des fenêtres hautes et dont l’étagement des masses à l’extérieur reflète la conception intérieure est
fréquent dans la région. Par exemple on retrouve le même type de plan et d’étagement des masses
architecturales du chevet à Saint-Benoît sur Loire (début du XIé siècle). Le parti de la nef unique est aussi
fréquent dans la région, ainsi que l’utilisation du couvrement en pierre par les architectes angevins.
L’influence des traditions locales se fait aussi sentir dans le décor sculpté de la nef en particulier. En effet
l’impression d’horreur du vide des sculpteurs traduit par la présence d’un décor foisonnant et la reprise des
motifs de végétaux stylisés sont typiques des recherches plastiques angevines et cela peut s’expliquer par les
origines angevines des deux abbesses. Cependant certains éléments subissent plutôt une influence venue de
l’Aquitaine. En effet, la solution de la file de coupoles pour couvrir la nef unique est un exemple isolé dans
la région. On retrouve cette solution à la cathédrale d’Angoulême, édifice plus ancien et dont les deux
dernières travées sont les modèles des coupoles de l’abbatiale de Fontevraud. On retrouve dans ses deux
bâtiments les coupoles portées par des piliers massifs et la même élévation de la nef sur trois niveaux
comprenant une arcature aveugle, une coursière et des baies jumelles. Cette influence se retrouve aussi dans
la sculpture dont la facture pleine de vie et la recherche de l’expression violente sont différentes de ce qu’on
trouve en Anjou. De même, le décor de certains chapiteaux comme les bustes dans les médaillons sont déjà
présents sur la façade d’Angoulême.
Ainsi, le traitement différent des deux parties de l’abbatiale confirme fortement sa construction en
deux phases et suivant deux conceptions différentes. Le chœur, conforme aux idées du fondateur Robert
d’Arbrissel, s’oppose fortement à la nef de structure aquitaine richement décorée.

La cuisine, aussi appelée « tour d’Evrault », est en accord avec les exigences monastiques et avec les
recherches architecturales de l’époque. Située au sud-ouest de l’abbatiale et à l’extrémité du réfectoire, elle
fut construite vers 1160 et elle est le dernier exemple du XIIè siècle de ce type de bâtiment répandu dans le
bassin de la Loire. Le bâtiment actuel n’est pas fidèle à l’original car il fut modifié par son raccordement au
réfectoire et lors de la restauration en 1902, Lucien Magne ajouta les clochetons de types byzantins et les
fenêtres.
La cuisine est un bâtiment de plan centré octogonal de 9,25 mètres de largeur interne. Chacun de ses
côtés est accosté d’une absidiole de 2,35 mètres de largeur totalement fermée. Chacune contenait un foyer
sauf une qui servait d’accès.



L’élévation interne sur trois niveaux se caractérise par l’utilisation de formes géométriques simples
qui s’emboîtent et qui changent la forme du plan à chaque niveau. Sur chaque côté de l’octogone, l’entrée de
l’absidiole voûtée en cul de four est marquée par la présence d’un arc légèrement brisé à double rouleau
soutenu par des colonnes engagées. Aux angles de l’octogone, une colonne sur deux arrive au niveau de
l’ouverture des absides. Elles supportent les mêmes arcs brisés qui permettent de faire passer le niveau
supérieur à un plan carré qui s’inscrit dans l’octogone de base. Les quatre autres colonnes sont beaucoup plus
hautes et elles supportent des arcs qui viennent contrebuter la clé des arcs soutenant le carré. Dans les
intervalles entre les côtés du carré et ceux de l’octogone, des conduits de cheminées ont été installés de
chaque coté des colonnes. Dans les angles du carré, des trompes ramènent à un plan octogonal dont les
angles se situent au milieu des côtés de l’octogone principal. Ce nouveau plan est nécessaire à la mise en
place de la couverture en forme de pyramide de pierre. On retrouve le même système d’utilisation des
intervalles entre les trompes et les angles du carré pour installer des conduits de cheminées.
L’élévation extérieure reflète, comme pour l’abbatiale, l’organisation interne de l’édifice. Les huit
absides sont séparées les unes des autres par des contreforts colonnes qui contrebutent sur toute la hauteur les
angles de l’octogone de base. La couverture est en forme de pyramide de pierres taillées (comme tout le reste
de l’édifice) à trois niveaux. Chaque plan est souligné par un toit différent (voûte en cul de four pour les
absides, toit à une pente pour le deuxième niveau et pyramide pour finir) et cela accentue la verticalité créée
par les contreforts. Cependant, on retrouve le même équilibre qu’au chevet de l’abbatiale car les corniches
soulignent les horizontales des assises des plans. A l’origine, les souches de cheminées n’étaient pas
matérialisées, sauf le conduit central. Les clochetons de type byzantin qu’on observe aujourd’hui sont des
ajouts de Lucien Magne.
La décoration de ce bâtiment est très sommaire et ne se rencontre à l’intérieur que sur les chapiteaux
des colonnes engagées sculptés de feuilles d’eau ou de feuillages. Cette sobriété est contrastée par
l’exubérance du décor extérieure notamment avec le parement en écailles du toit. Les corniches sont elles
aussi décorées mais plus simplement. La corniche inférieure est décorée de modillons en T et de masques
anciens ; la corniche supérieure est quant à elle composée d’arcatures dont les modillons sont ornées de
petites têtes.

Ce bâtiment par ses singularités architecturales et décoratives est en accord avec les exigences
religieuses de l’ordre et avec les recherches architecturales locales. En effet, tout concourt à faire de ce
bâtiment un fumoir plutôt qu’une cuisine ; or le fumage et la salaison sont les principaux modes de
conservation des aliments, tels que la viande et le poisson, dont l’abbaye fait grande consommation.
L’utilisation systématique de la pierre, le plan soigneusement clos et fermée sur lui-même, la présence d’une
vingtaine de cheminée et l’isolation du bâtiment montrent bien qu’il était destiné à contenir des feux
permanents. Aussi, les dimensions importantes de cet édifice utilitaire peuvent être expliquées par
l’importance numérique de la communauté. La sobriété de la décoration trouve une justification dans le
caractère utilitaire des cuisines mais présente aussi la recherche de beauté et d’équilibre voulus par les
premières abbesses de l’abbaye.
Par la conception générale de son architecture, la« cuisine » de Fontevraud participe aux recherches
architecturales de l’Anjou. En effet, le plan centré est fréquemment utilisé dans la région poitevine. On
trouve notamment un exemple de plan centré de forme octogonal à la Maison-Dieu de Montmorillon. Un
exemple plus général et ancien de plan centré est celui des « lanternes des morts », bâtiment placé au centre
des cimetières et contenant un feu permanent. Il faut noter que l’un des plus ancien est la Chapelle sainte de
Fontevraud située au milieu du cimetière. De plus, l’utilisation de ce type de bâtiment pour une cuisine n’est
pas un cas original. Les abbayes de la Loire moyenne ont souvent eu recours à ce type de plan et l’exemple
le plus ancien est celui de Marmoutier (1066). Il ne faut pas oublier que les architectes romans maîtrisent les
techniques nécessaires pour couvrir de vastes espaces en pierre. Ici l’adoption de la formule du cône creux a
pu être inspirés des « dubes »de Saint Ours de Loches. Enfin la « cuisine » participe à l’esprit architectural
par son décor, la géométrisation des chapiteaux à feuilles d’eau et la prolifération exubérante des écailles du
toit étant un signe de l’horreur du vide des architectes poitevins et ce trait devient un des caractères
essentielles de leur art.

Les chapelles Saint-Lazare et Saint-Benoît sont les derniers bâtiments du XIIè siècle encore
conservés. Cependant, leur analyse doit être nuancée par le fait qu’ils ont été fortement remaniés et gardent
peu de traces de cette époque. Cependant leur structure et des parties de décors témoignent de leur
appartenance au style gothique angevin.
L’église Saint-Lazare se situe à l’écart du complexe abbatial car elle était destinée aux lépreux. Elle
fut construite entre 1150 et 1164. La travée accolée qui sert d’entrée dans la nef est un ajout du XVè siècle.
Cet édifice est de style gothique angevin courant et simple. Il est de plan rectangulaire divisé en trois travées
carrées couvertes de voûtes bombées. La travée rectangulaire du chœur est voûtée en berceau et le chevet
plat est percé d’un doublet. L’ensemble est surmonté au niveau de la séparation du chœur et de la nef par un
clocher plat à deux arcades. Ce type de plan est fréquent pour les édifices de petites tailles dans la région.
Le décor sculpté marque aussi l’adhésion de l’église au style de la région car on retrouve les fenêtres en plein
cintre, les doubleaux épais et les colonnes engagées à chapiteaux sculptés de feuilles d’eau et de griffes sur
les bases. L’évolution du décor dans ce bâtiment plus tardif réside dans la présence de chapiteaux sculptés de
l’ engoulant poitevin (figure de monstre avalant une colonne) et par les nervures moulurés des voûtes et
l’absence de clés sculptées. Ces éléments montrent bien les prémices des recherches gothiques de la région.
La chapelle Saint-Benoît, située au sud de l’abbatiale était destinée aux religieuses malades ou âgées.
Sa courte nef unique ne peut être appréciée car un plancher a été aménagé à la place de la voûte. Seul le
chœur garde des traces du style gothique poitevin de la fin du XIIè siècle. On y trouve notamment des voûtes
d’ogives très déliées et, entre les fenêtres, montent des colonnes qui se rejoignent à la clé. Le décor sculpté
est sommaire car l’ornementation est réduite à une modénature très finie et fournie.
Ainsi ces deux bâtiments marquent une autre étape dans l’évolution architecturale de l’abbaye par leur
annonce précoce du style gothique angevin.

Les bâtiments restant de l’époque romane sont en parfaite adéquation avec leur fonction et avec les
préceptes de l’ordre car malgré les recherches dans le décor, la sobriété règne dans cette abbaye royale. Les
édifices construits à différents moments témoignent des évolutions conceptuelles et architecturales suivant
les différents commanditaires. Une certaine homogénéité règne dans l’ensemble grâce aux fortes influences
du style angevin. Cependant, la nef de l’abbatiale, d’influence aquitaine, demeure un élément isolé de
l’Anjou roman.




BIBLIOGRAPHIE

OUVRAGES GENERAUX :
• CROZET R. ; L’art roman en Anjou; Paris ; éd. Henri Laurens ; 1948.

• D’HERBECOURT P. et PORCHER J. ; Anjou roman ; s.l. ; Zodiaque ; 1949 ; La nuit


des Temps.

• MALLET J. ; L’art roman de l’ancien Anjou ; Paris ; Picard ; 1984.

OUVRAGE SPECIALISE :
• MELOT M. ; L’abbaye de Fontevraud, s.l. ; éd. Jacques Lanore ; 1997 ; coll. Petite
monographie des grands édifices.

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