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Études
Cinématographiques
et
Audiovisuelles
Mémoire
de
Master
1
Le
festival
du
film
indépendant
chinois
de
Nankin
:
Bilan
d’une
décennie
(2003-‐2013)
Par
Antoine
HERVÉ
Sous
la
direction
de
Kristian
Feigelson
(IRCAV
–
Université
Paris
3)
« Je, soussigné Antoine HERVÉ, déclare avoir rédigé ce travail sans aides extérieures
ni sources autres que celles qui sont citées. Toutes les utilisations de textes préexistants,
publiés ou non, y compris en version électronique, sont signalées comme telles. Ce travail n’a
été soumis à aucun autre jury d’examen sous une forme identique ou similaire, que ce soit en
France ou à l’étranger, à l’université ou dans une autre institution, par moi-même ou par
autrui. »
17/06/2013
Signature
2
Table
des
matières
INTRODUCTION
...............................................................................................................................
6
I.
LE
CINEMA
INDEPENDANT
CHINOIS
:
MUTATIONS
ET
DEVELOPPEMENTS
................................
17
A.
LA
NAISSANCE
DU
CINÉMA
INDÉPENDANT
EN
CHINE
................................................................
17
1.
Les
films
documentaires
........................................................................................................
17
2.
Les
films
de
fiction
.................................................................................................................
19
3.
Les
réalisateurs
indépendants
:
groupe
social
et
recherche
identitaire
...............................
20
B.
INTERNET
:
ESPACE
VIRTUEL
DE
DISCUSSION
ET
FACTEUR
D’INSTITUTIONNALISATION
DU
CINÉMA
INDÉPENDANT
...............................................................................................................
22
1.
Internet
en
Chine
:
entre
liberté
et
régulation
.......................................................................
22
2.
Internet
et
l'institutionnalisation
du
cinéma
indépendant
....................................................
24
C.
LA
QUESTION
DE
L’AUDIENCE
ET
DE
L’IMPACT
DU
CINÉMA
INDÉPENDANT
..............................
28
1.
Les
festivals
internationaux
comme
lieux
de
reconnaissance
de
l’indépendance
.................
28
2.
Le
public
et
l’impact
des
films
indépendants
en
Chine
..........................................................
30
II.
LE
FESTIVAL
DU
FILM
INDEPENDANT
CHINOIS
DE
NANKIN
(CIFF)
:
CONTEXTE
LOCAL
ET
GLOBAL
........................................................................................................
32
A.
NANKIN,
UNE
VILLE
CINÉPHILE
:
LE
CONTEXTE
LOCAL
...............................................................
32
B.
LA
CONJONCTURE
POLITIQUE
FAVORABLE
LORS
DE
LA
CRÉATION
DU
FESTIVAL
.......................
36
1.
La
censure
chinoise
du
cinéma
..............................................................................................
36
2.
Un
assouplissement
de
la
censure
à
partir
de
2003
..............................................................
38
3
C.
LE
STATUT
DU
CIFF
PAR
RAPPORT
AUX
AUTRES
FESTIVALS
.......................................................
41
1.
Les
différents
festivals
de
films
indépendants
en
Chine
continentale
...................................
41
2.
Le
statut
et
les
spécificités
du
CIFF
........................................................................................
43
III.
ORGANISATION
ET
ENJEUX
DU
CIFF
......................................................................................
46
A.
L’ORGANISATION
DU
FESTIVAL
:
ACTEURS
ET
SOURCES
DE
FINANCEMENT
..............................
46
1.
Les
organisateurs
principaux
.................................................................................................
46
2.
Les
financements
et
les
sponsors
..........................................................................................
47
B.
LA
PROGRAMMATION
ET
LA
LIGNE
ÉDITORIALE
DU
CIFF
..........................................................
51
1.
Les
organismes
de
programmation
.......................................................................................
51
2.
La
ligne
éditoriale
et
l'organisation
de
la
programmation
....................................................
52
C.
LE
FESTIVAL
ET
LA
POLITIQUE
:
L’EXEMPLE
DE
LA
9EME
ÉDITION
DU
CIFF
(2012)
.........................
54
CONCLUSION
.................................................................................................................................
57
ANNEXES
(Volume
2)
LISTE
DES
FIGURES
...........................................................................................................................
2
BIBLIOGRAPHIE
...............................................................................................................................
3
FILMOGRAPHIE
...............................................................................................................................
9
LISTE
DES
ENTRETIENS
...................................................................................................................
11
ENTRETIEN
AVEC
ZHANG
XIANMIN
:
TRANSCRIPTION
....................................................................
11
TABLEAU
1
:
FILMS
DE
FICTION
EN
COMPETITION
OFFICIELLE
AU
CIFF
DEPUIS
2007
.......................
17
4
REMERCIEMENTS
À Kristian Feigelson (Université Paris 3) et Sébastien Colin (INALCO) pour leur suivi
À Charles Tesson (Université Paris 3), second lecteur de ce mémoire
5
INTRODUCTION
Le cinéma indépendant en Chine est né à la fin des années 1980 en premier lieu avec
le cinéma documentaire. Certains cinéastes réalisant des documentaires pour des chaînes de
télévision officielles comme CCTV 中国中央电视台 ont exprimé leur souhait de se
démarquer du point de vue du contenu mais aussi de la forme en mettant en avant l’idée de
« cinéma direct »1, concept visant à capter directement le réel par l’objectif de la caméra.
L’idée d’une vérité se distinguant par l’œil de la caméra sera reprise dans un ouvrage paru en
2002 dont le titre fait figure de manifeste du cinéma indépendant : My camera doesn’t lie :
documents on Avant-garde filmmakers born between 1961 and 1970 我的摄影机不撒谎:先
锋电影人档案-生于 1961-19702.
Dans les années 1990, à cause d’une liberté de mouvement trop restreinte, les
réalisateurs ayant emprunté le chemin de l’indépendance, ont cherché des moyens pour
contourner le système de production et de diffusion officielle. C’est en grande partie avec
l’apparition du numérique et des caméras DV3, maniables et peu voyantes, que le cinéma
indépendant a connu un essor considérable. Cependant, si le nombre de films indépendants
réalisés était en constante augmentation, leur distribution sur le territoire chinois restait
compliquée car les canaux de diffusion pour les films indépendants étaient très limités. En
effet, au début des années 1990, il n’existait pas d’espaces de projection pour les œuvres des
réalisateurs indépendants, les films se passaient de main en main, au sein d’un cercle très
réduit d’initiés qui faisait en majorité partie de la famille ou du réseau d’amis des réalisateurs.
Les propos de Yi Sicheng, coordinateur du Yunnan Multiculture Visual Festival 云之南纪录
影像展 (Yunfest), exprimait bien ce problème : « [ces] réalisateurs […] s’immergent dans
tous les secteurs, tous les domaines, toutes les catégories de la société, et nous dévoilent les
1
Courant cinématographique qui est né aux Etats-Unis et au Canada entre 1958 et 1962. Sur le sujet voir
NINEY François, L’épreuve du réel à l’écran. Essai sur le principe de réalité documentaire, Bruxelles : Éditions
De Boeck Université, 2002, 348 p.
2 CHENG Qingsong 程青松 et HUANG Ou 黄鸥,Wo de sheyingji bu sahuang : xianfeng dianyingren dang’an –
6
problèmes provoqués par les bouleversements sociaux qui sont à l’œuvre en Chine.
Néanmoins, il leur manque toujours une plateforme pour exposer leurs travaux »4.
Les films indépendants rencontrent deux entraves majeures à leur diffusion dans les
salles de cinéma ; d’une part l’industrie du cinéma en Chine est, depuis la politique de
réforme et d’ouverture des années 1980, totalement tournée vers les films commerciaux à gros
budget, et d’autre part la politique de censure qui malgré son relâchement progressif est
toujours présente. Concernant le premier point, nous pouvons constater cette tendance avec la
figure 1 qui montre le nombre de films produit officiellement en Chine et son évolution de
2002 à 2009 parmi lesquels on trouve en particulier des blockbusters 大片, des comédies de
fin d’année 贺岁片 ou encore des main melody films 主旋律5. En 2009, 456 films chinois ont
été produits ce qui est le double des films français la même année. En Chine, il n’existe pas de
structures comme le CNC (Centre National du Cinéma et de l’image animée) pour la France
permettant de donner une chance à certaines cinématographies non-commerciales, de ce fait,
les salles d’art et d’essai sont inexistantes alors que le nombre d’écrans et de salles de cinéma
ne cesse d’augmenter (figure 2). Cette situation tend à se modifier ces dernières années avec
en particulier la création du cinéma BC Moma 百老汇电影中心 à Pékin mais c’est le seul
cinéma d’art et d’essai sur le territoire6. C’est dans ce contexte que des réseaux alternatifs
exclusivement dédiés à la diffusion de films indépendants ont été créés.
4
YI Sicheng, « Préambule », Festival Shadows, Cinéma indépendant chinois, 2ème édition, Paris, 2008, p.34-37.
7
Figure
1
:
Annual
Film
Production
Volume,
2002-‐2009.
Source
:
ENT
Group,
China
Film
Industry
Report
2009-‐2010,
[en
ligne]
http://english.entgroup.cn/uploads/reports/2010.pdf
[consulté
le
20/05/2013].
Figure
2
:
Number
of
Cinemas
and
Screens
2002-‐2010.
Source
:
ENT
Group,
China
Film
Industry
Report
2010-‐2011,
[en
ligne]
http://english.entgroup.cn/uploads/reports/2011.pdf
[consulté
le
20/05/2013]
8
Nous allons tout d’abord expliquer le choix du terme indépendance et le définir. De
nombreux termes ont été utilisés par les critiques et les universitaires pour tenter de
rassembler les réalisateurs – sixième génération, dgeneration, new-born generation – mais
nous verrons que le marqueur générationnel n’est plus approprié actuellement7. Pour qualifier
ce cinéma spécifiquement, les deux principaux termes sont : underground, en chinois dixia 地
下 et indépendant, en chinois duli 独立.8 Nous avons choisi d’utiliser le terme indépendant
dans ce mémoire car c’est le terme que les réalisateurs chinois utilisent principalement9 et on
le retrouve dans le nom donné à certains festivals de films indépendants (Festival de Nankin
et de Pékin) : duli yingxiang 独立影像 (images indépendantes).
7
Voir I. A. 3. Les réalisateurs indépendants : groupe social et recherche identitaire, p.19-20.
8
SONG Tingting, « A new definition for today’s Chinese independent cinema », Ejournalist, 2009/1, p. 157-
158.
9
Discussion avec le réalisateur Pema Tseden et le documentariste Bai Budan le 29/10/2012 à l’occasion de la
8ème édition du festival du film indépendant chinois de Nankin.
10
Voir LEVY Emanuel, Cinema of Outsiders : The Rise of American Independent Film, New York : New York
University Press, 2001, p. 498.
11
MILLET Raphaël, « L’indépendant dans le champ du pouvoir. Une question éminemment politique. », dans
Creton Laurent (dir.), Théorème 5 : Cinéma & (in)dépendance : Une économie politique, Paris : Presses
Sorbonne nouvelle, 1998, p. 46.
12
Voir Tableau 1 : Les films de fiction en compétition officielle au CIFF depuis 2007, Annexes, Volume 2, p.
17-21.
9
artistique peut-elle vraiment être totalement indépendante ? Le geste créateur de l’artiste peut-
il être libéré de toute contrainte ?
« L’idée que le cinéma, comme toute autre production culturelle d’ailleurs, serait un miroir
placé au-delà de la société qu’il réfléchirait de manière plus ou moins exacte nous semble
totalement insuffisante et réductrice. Le cinéma est dans la réalité sociale elle-même, il en fait
parti à la fois par son organisation économique et par la médiation de l’auteur […]. De plus,
de quelle société s’agirait-il ? Celle-ci n’est pas un tout homogène mais un ensemble de
phénomènes, de tendances […]. »14
Le problème principal est ainsi de mettre en lumière les contextes de l’apparition d’un
cinéma spécifique et son inscription dans la société qui l’a vu naître. Comment le cinéma
indépendant est-il né dans le contexte chinois des années 1990 et comment a-t-il réussi à
s’implanter dans la société chinoise ? Pour le démontrer, nous allons nous intéresser à la
diffusion des films indépendants sur le sol chinois en particulier grâce aux festivals qui sont
nés au début des années 2000. Nous allons donc nous questionner sur le phénomène et les
processus d’apparition des festivals qui sont devenus une composante de la société chinoise
actuelle.
En effet, les festivals de films indépendants se sont implantés dans le tissu urbain de
certaines villes chinoises, souvent des capitales provinciales comme Nanjing (Jiangsu) ou
Kunming (Yunnan) ou des municipalités de rang provincial comme Pékin et Chongqing (voir
figure 3). Pékin possède le plus grand nombre de festivals mais c’est aussi la ville où ils
13
Voir III. B. 2. La ligne éditoriale et l’organisation de la programmation, p. 51-52.
14
GOLDMANN Annie, « Quelques problèmes de sociologie du cinéma », Sociologie et sociétés, vol. 8, n°1,
1976, p. 71-72.
10
durent le moins longtemps et où les problèmes sont les plus nombreux. Les festivals se sont
aussi intégrés à des institutions majeures de la société comme les universités, malgré le statut
marginal de ce cinéma. Ainsi, quels sont les facteurs qui ont permis à des festivals dédiés à
cette cinématographie de s’implanter dans le contexte chinois ? Et par conséquent, quels sont
leur statut et leurs enjeux ?
Le choix des festivals pour cette recherche n’est pas anodin. Ce sont de véritables
laboratoires pour l’étude du cinéma car ils permettent la rencontre entre les différents acteurs
de l’industrie cinématographique, formant ainsi une micro-société comme le confirme Angela
Zito : « […] film festivals are an excellent tool for the scholarly study of film […]. Film
festivals bring together directors, writers, critics, scholars and audiences to form a
community. So instead of just seeing the film, alone in a room, you watch it in a fuller social
context ».15
Pour ce mémoire, nous nous sommes focalisés sur le festival du film indépendant
chinois de Nankin 中国独立影像年度展 (CIFF) car, étudier l’ensemble des festivals aurait
été un projet trop ambitieux. Nous avons tenté de dégager certaines tendances et certains
phénomènes ayant permis l’apparition de ce festival. Nous nous sommes ainsi concentrés,
tout d’abord, sur le contexte social avec l’apparition du groupe des réalisateurs indépendants.
Puis, nous nous sommes focalisés sur le contexte technologique avec l’utilisation d’internet
pour le développement du cinéma indépendant et ensuite sur le contexte global avec en
particulier la politique de censure cinématographique. Enfin, nous nous sommes intéressés au
contexte local avec le milieu culturel préexistant à Nankin. Ces points particuliers permettront
de cerner à la fois les facteurs de l’implantation du CIFF et son évolution depuis son
apparition en 2003.
Concernant les sources, il est certain que des recherches sur le terrain auraient été
nécessaires, vu le manque de sources textuelles sur le sujet mais cela n’a pas été possible dans
le cadre d’un master 1, bien que notre séjour d’une année en Chine en 2011/2012 nous ait
permis d’appréhender le milieu du cinéma indépendant. L’observation du festival du film
indépendant chinois de Nankin 2011, la participation à des projections dans des bars comme
15
ZITO Angela, « Zhengzhi, lunli yu meixue : Duli jilupian luntan 政治,伦理与美学:独立纪录片论坛
(politics, ethics and aesthetics : Chinese documentary’s forum) », CIFF website, 31/10/2011, [en ligne]
http://www.chinaiff.org/html/CN/xinwen/xinwenliebiao/2011/1231/1775.html [consulté le 21/05/2013].
11
le Caihuoche 猜 火 车 文 化 沙 龙 ou des galeries d’art comme l’Ullens Center for
Contemporary Art 尤伦斯当代艺术中心 (UCCA) de Pékin, ainsi que des discussions avec
des réalisateurs indépendants, nous ont indiscutablement aidés pour ces recherches. Nous
avons aussi eu la chance de rencontrer et de faire un entretien avec Zhang Xianmin 张献民,
l’un des organisateurs principaux du festival de Nankin, lors de sa venue à Paris en février
2013, dans le cadre du cycle « De Pékin à Taipei : 1000 visages de la Chine » au forum des
images. Nous nous sommes aussi longuement entretenus avec Luo Bing 罗兵, documentariste
indépendant du Caochangdi Workstation 草场地工作站 et réalisateur de plusieurs films sur la
famine, ayant suivi le Grand Bond en Avant 大跃进 au début des années 1960, qui avait été
invité en novembre 2012 par le festival Shadows de Paris.
Kong : Hong Kong university press, 2010, 320 p. et LÜ Xinyu 吕新雨, Jilu Zhongguo : dangdai Zhongguo de
xin jilu yundong 记录中国 : 当代中国的新纪录运动 (Documenting China : The New documentary movement in
contemporary China), Beijing : Sanlian chubanshe, 2003, 344 p.
17
Voir PRUDENTINO Luisa, Le regard des ombres, Paris : Bleu de Chine, 2003, 150 p. et REYNAUD
Bérénice, Nouvelles Chines, Nouveaux cinémas, Paris : Éditions Cahiers du Cinéma, 1999, 319 p.
18
Voir PERNIN Judith (CECMC, CEFC), KERLAN Anne (CNRS, Paris 1), « Le documentaire indépendant
chinois et ses usages en ligne – cinéphilie et engagement dans l’espace du peuple. », Séminaire Histoire
culturelle du cinéma (IHTP), 20/12/2012, Paris : INHA (Institut National d’Histoire de l’Art) et PERNIN Judith,
« Filmer l’espace – cartographier le réel : le cinéma documentaire indépendant en Chine et son rapport à
l’espace », Perspectives chinoises, 2010/1, p. 24-37. Judith Pernin a soutenu sa thèse à l’EHESS début 2013 sous
la direction de Michel Bonnin. Ses recherches portent principalement sur les pratiques du documentaire et la
cinéphilie en ligne. Elle s’est intéressée aux blogs que tiennent certains réalisateurs, en particulier Ai Xiaoming,
et a tenté d’analyser les rapports entre le cinéma indépendant et l’engagement politique.
12
Nous trouvons des études plus diversifiées dans le monde anglo-saxon avec des
ouvrages qui ont été pensés comme des ouvrages de référence sur le cinéma indépendant
chinois en particulier, From underground to independent : Alternative film culture in
contemporary China20. Les différents chapitres abordent chacun un aspect différent de l’étude
du cinéma indépendant ; que ce soit à travers la sociologie, l’esthétique, les cultural studies ou
encore l’économie. Quelques chapitres traitent de la diffusion et de la distribution des films
sur le territoire chinois ; cependant, les festivals sont quelque peu délaissés, les auteurs
préférant orienter leurs travaux sur le phénomène des DVD pirates et du téléchargement. Par
contre, le chapitre de Seio Nakajima traite exclusivement des ciné-clubs, basé sur un travail
ethnographique effectué à Pékin entre 2003 et 2004, ce qui se rapproche plus des
préoccupations de cette recherche, même si les enjeux et les difficultés organisationnelles ne
sont pas les mêmes pour un festival et un ciné-club. D’autres ouvrages tentent de couvrir les
différents aspects du cinéma indépendant en Chine.21
Les ouvrages et les articles, traitant des festivals de cinéma d’une manière générale,
ont aussi été des sources utiles. Ils ont permis d’appréhender les contraintes organisationnelles
et les enjeux liés à ce genre d’événement dans d’autres pays comme la France, en particulier
l’ouvrage : Tribulations festivalières : Les festivals de cinéma et audiovisuels en France22.
19
Voir LICHAA Flora, Le documentaire indépendant chinois. Approche théorique et étude de terrain, Mémoire
de Master 2, Paris : Institut National des Langues et des Civilisations Orientales (Études Chinoises), 2010, 152 p.
Thèse en cours sous la direction de Françoise Kreissler et Kristian Feigelson.
20
PICKOWICZ Paul G. and ZHANG Yingjin (ed.), From Underground to Independent: Alternative film
culture in contemporary China, New-York : Rowman and Littlefield Publishers, 2006, 280 p.
21
Voir ZHANG Zhen (ed.), The Urban Generation: Chinese Cinema and Society at the Turn of the Twenty-
First Century, London: Duke University Press, 2007, 447 p., ZHU Ying and ROSEN Stanley (ed.), Art, Politics
and Commerce in Chinese Cinema, Hong Kong : Hong Kong University Press, 2010, 308 p. et ZHANG Yingjin
(ed.), A companion to Chinese cinema, Chichester : Blackwell Publishing Ltd, 2012, 684 p.
22
TAILLIBERT Christel, Tribulations festivalières : les festivals de cinéma et audiovisuel en France, Paris :
Éditions L’Harmattan, 2009, 348 p.
23
MA Ran, Chinese independent cinema and international film festival network at the age of global image
consumption, Thèse de doctorat, Hong Kong : Hong Kong University (Philosophy), 2010, 376 p.
13
apparition dans le contexte spécifique chinois, local comme global. Cependant, quelques
critiques de cinéma et des programmateurs de festivals internationaux comme Shelly Kraicer
(programmateur du festival international du film de Rotterdam et de Vancouver), écrivent des
articles dans des revues en ligne : Senses of Cinema par exemple. Ils fournissent des sources
précieuses car, grâce à leur expérience professionnelle, ils mettent en relation les différents
festivals auxquels ils ont assisté et mettent en lumière leurs spécificités propres. Shelly
Kraicer a aussi rédigé des articles sur le site de Dgenerate Films24. Ce site a été une source
très importante pour ce mémoire car son équipe fait une veille des actualités concernant le
cinéma indépendant chinois.
Concernant les sources chinoises, les catalogues du CIFF ont été une mine
d’informations pour découvrir quels étaient les différents sponsors, sources de financements
et organismes prenant part à l’organisation de festivals. Ces catalogues comprennent aussi un
certain nombre d’articles rédigés par les organisateurs qui permettent de comprendre la ligne
éditoriale du festival et les enjeux des différentes sections. Les ouvrages chinois sont difficiles
à trouver ailleurs qu’en Chine. Nous nous sommes quand même appuyés sur certains
ouvrages chinois que nous avions en notre possession comme Le cinéma et les problèmes de
l’époque : appréciation et témoignage de la culture cinématographique indépendante 电影与
时代病 : 独立电影文化评价与见证 25 qui est un ouvrage compilant des interviews de
personnes appartenant au milieu du cinéma indépendant en particulier, Zhang Xianmin qui
parle longuement de son entreprise de production et de distribution Indie Workshop 影弟工作
室. Mais ce sont les articles, trouvés sur la base de données du CNKI (China Knowledge
Resource Integrated Database), qui nous ont été les plus utiles car nous avons trouvé
beaucoup d’interviews d’organisateurs du festival de Nankin.26
Notre travail va accorder une certaine importance aux notions de territoire et de réseau.
En effet, le CIFF utilise et transforme la ville de Nankin le temps du festival. Cet événement
s’est adapté à son territoire d’implantation, ce qui a permis sa pérennisation malgré le
24
Dgenerate Films est une entreprise américaine de distribution de films indépendants chinois créée en 2008. À
cause de problèmes financiers, Dgenerate Films s’est fait racheter par Icarus Films début 2013.
25
WANG Xiaolu 王小鲁, Dianying yu shidai bing : duli dianying wenhua pingjia yu jianzheng, 电影与时代病 :
影像年度展 (The China Independent Film Festival) », Dangdai yishu yu touzi, 2009/4, p. 14-15.
14
contexte national relativement hostile au cinéma indépendant. Le CIFF est intimement lié à
des lieux importants de la ville de Nankin : les universités et les musées en particulier.
Comme l’explique Cao Kai 曹恺, l’un des organisateurs du CIFF, l’implantation du festival à
Nankin a été rendue possible grâce à la formation d’un réseau composé de différents lieux
stratégiques :
“CIFF 的核心构架基本上是一个不规则三角形,构成这一三角的是一个民间当代艺术
机构和两个私人工作室。”27
« Le noyau de l’organisation du CIFF est essentiellement un triangle régulier, avec un centre
d’art contemporain et deux studios de cinéma privés. »
“在中心大三角之外,多所南京高校构成了一个形态多变的多边形,这是 CIFF 重要
的高校合作群 […]。”28
« En dehors de ce triangle, les universités de Nankin partenaires forment un polygone, qui
constitue une collaboration très importante du CIFF. »
27
Voir CIFF, Zhongguo duli yingxiang nianduzhan, di wu jie, 中国独立影像年度展, 第五届, (The 5th China
Independent Film Festival), Nanjing, 2008, p. 5
28
Ibid., p. 5
15
Figure
3
:
Carte
des
principaux
festivals
de
films
indépendants
de
Chine
continentale.
16
I. LE
CINÉMA
INDÉPENDANT
CHINOIS
:
MUTATIONS
ET
DÉVELOPPEMENTS
29
TAILLIBERT Christel, Op. Cit., p. 12.
30
ZHANG Yingjin, « Directors, aesthetics, genres : Chinese postsocialist cinema, 1979-2010 », in Zhang
Yingjin (dir.), A companion to Chinese cinema, Chichester : Blackwell Publishing Ltd, 2012, p. 57.
17
réaliser des films personnels tournés sans autorisation et non plus des « films à thèmes »31
zhutipian 主题片qui monopolisaient la création du documentaire de l’époque. Leur travail
officiel leur apportait un revenu et un statut leur permettant une plus grande marge de
manœuvre. Bumming in Beijing : the last dreamers 流浪北京:最后的梦想者de Wu
Wenguang 吴文光 sorti en 1990 est considéré comme le premier documentaire indépendant32,
même si les expérimentations qui ont conduit à sa réalisation ont commencé dès le milieu des
années 1980 avec, par exemple, la production semi-indépendante du documentaire River
Elegy Heshang 河殇 de Su Xiaokang 苏晓康 en 1988.33
Bumming in Beijing : the last dreamers, tourné de 1988 à 1990, soit les deux années
qui précèdent et suivent les évènements de Tiananmen, est composé d’interviews de cinq
artistes 34 , amis de Wu Wenguang, venus à Pékin sans hukou 户 口 , expliquant leurs
aspirations et leurs attentes. Wu Wenguang marque le début du mouvement du nouveau
documentaire 新纪录运动35 qui sera suivi par d’autres documentaristes comme Jiang Yue 蒋
樾 (The Other Bank 彼岸 en 1993), Duan Jinchuan 段锦川 (The Square 广场 avec Zhang
Yuan 张元 en 1994) ou encore Kang Jianning 康健宁 (Yin and Yang 阴阳 en 1997). Avec
son documentaire The Other Bank, Jiang Yue met en scène l’effervescence artistique du
milieu estudiantin du début des années 1990. Il filme les répétitions et les représentations,
ponctuées d’interviews d’une troupe de théâtre expérimentale dirigée par Mou Sen au sein de
l’Institut de cinéma de Pékin 北京电影学院. La pièce s’intitule Discussion sur la grammaire
de « The Other Bank » 关于“彼岸”语法讨论 basé sur l’ouvrage de Gao Xingjian 高行健
The Other Bank36.
31
Ce genre, représentatif des documentaires télévisuels des années 1980, visait à traiter des thématiques sur la
culture millénaire chinoise ou visait à retracer les grandes épopées historiques.
32
Voir LÜ Xinyu 吕新雨, Op. Cit., p. 338.
33
Voir LICHAA Flora, Op. Cit., p. 28.
34
Zhang Ci 张慈 (écrivain du Yunnan), Zhang Dali 张大力 (peintre du Heilongjiang), Gao Bo 高搏
(photographe du Sichuan), Zhang Xiaping 张夏平 (peintre du Yunnan) et Mou Sen 牟森 (metteur en scène du
Tibet) que l’on retrouve dans le documentaire The Other Bank de Jiang Yue.
35
Voir LÜ Xinyu 吕新雨, Op. Cit., p. 338。
36 Voir DUZAN Brigitte, « Jiang Yue : Présentation », Chinese Movies, 24/02/2013, [en ligne]
18
2. Les
films
de
fiction
Comme pour Wu Wenguang (Bumming in Beijing : the last dreamers) et Jiang Yue
(The Other Bank) dans le cas du documentaire, les premiers réalisateurs indépendants de films
de fiction ont pris comme cadre de référence le milieu intellectuel pékinois, car les problèmes
des artistes (groupe auquel ils appartenaient eux-mêmes) étaient au centre de leurs
préoccupations. Les deux premiers films de Wang Xiaoshuai, par exemple, mettent en scène
les difficultés pour les artistes à la fois de se faire comprendre par la nouvelle société chinoise
mais aussi de pouvoir vivre de leurs créations.
Le premier film de Wang Xiaoshuai 王小帅, The Days 冬春的日子 de 1993, a été
tourné avec un budget d’environ 5 000 euros prêtés par un ami publiciste du réalisateur. Le
film a été tourné en 35 mm avec du matériel de location et en noir et blanc. Pour des raisons
budgétaires, Wang Xiaoshuai est même allé voir une entreprise de pellicules
cinématographiques qui faisait faillite pour en acheter à prix réduit 38 . À l’époque, le
numérique et les caméras DV ne s’étaient pas encore propagés en Chine et cela ne facilitait
pas la réalisation de films pour les cinéastes indépendants. The Days est l’histoire de deux
artistes qui rêvent de pouvoir vivre un jour de leur art mais qui voient peu à peu leur passion
s’éteindre. C’est aussi le cas pour le deuxième film de Wang Xiaoshuai, Frozen 极度寒冷 de
1997, qui raconte la vie d’un artiste de performances qui met en scène sa propre mort. Zhang
Yuan 张元 filme aussi le milieu artistique pékinois mais celui de la musique cette fois dans
Beijing Bastards 北京杂种 en 1993.
Ces films, aussi bien documentaires que fictions, sont des témoignages exceptionnels
sur le milieu artistique de l’époque ; cependant, pour les réalisateurs indépendants, les
difficultés restaient nombreuses. Le matériel était coûteux, ainsi que les pellicules (35 mm ou
dans le meilleur des cas 16 mm) ; la réalisation d’un film nécessitait une grande persévérance
37
WANG Xiaolu 王小鲁, Op. Cit., p. 39.
38
Présentation de The Days par Wang Xiaoshuai lors du cycle « De Pékin à Taipei : 1000 visages de la Chine »
au forum des images à Paris, 09/01/2013-03/03/2013.
19
sans être assuré d’avoir accès à une audience par la suite. C’est pourquoi les premiers
réalisateurs indépendants de films de fiction ont été obligés d’établir des compromis avec le
pouvoir, contrairement aux documentaristes.
« Working outside the official system, the young filmmakers engaged in independent
filmmaking and encountered trouble with founding, distribution and access to audiences. The
desire to remain independent and the difficulty in doing so have caused this filmmakers to
move between the margins and the mainstream and to make film both inside and outside the
system. […] Faced with socio-political and commercial pressures, few independent directors
are able to remain true to their identities and intentions. »39
Ces réalisateurs et les artistes contemporains des années 1990 ont collaboré pour jouer
un rôle plus important dans la société chinoise et acquérir un statut professionnel car ils
étaient au début des années 1990 assez isolés. Ce nouveau groupe social diffère des autres
mouvements dans ses revendications, comme le mouvement étudiant de 1989 par exemple,
car les réalisateurs aspiraient non pas à la démocratie mais à la reconnaissance d’un statut
professionnel particulier. Cependant, ils vivaient totalement en dehors de la société et ils
faisaient partie du groupe des marginaux. Tous les artistes mang liu 盲流 (c’est-à-dire les
« artistes vagabonds ») venus à Pékin sans hukou se sont regroupés dans le quartier de
Yuanmingyuan 圆明园艺术村 à la fin des années 1980 qui était plus une sorte de bidonville
constitué de tous les marginaux du système chinois (voir figure 4).41 Ce fut la première
expérience d’un village d’artistes mais qui a été fermé par la police en 1995. Il reste des traces
de cette période dans le documentaire de Zhao Liang 赵亮, Farewell, Yuanmingyuan 告别圆
明园 de 1995. Le réalisateur y a vécu depuis sa sortie de l’académie de cinéma de Pékin en
1993 jusqu’à la fermeture du village. L’impossibilité d’avoir accès à une audience en Chine a
39
CUI Shuqin, « Boundary Shifting : New Generation Filmmaking and Jia Zhangke’s Films, in Zhu Ying and
Rosen Stanley (ed.), Art, Politics and Commerce in Chinese Cinema, Hong Kong : Hong Kong University Press,
2010, p. 175.
40
Indie Screening Alliance of Art Space (ISAAS) 艺术空间独立放映联盟, Yishu yundong cunzai ma ? 艺术运
20
fait que le public occidental et les festivals occidentaux ont joué un rôle majeur pour la
connaissance et la reconnaissance de cette cinématographie. Depuis les années 1990, les
spécialistes chinois et occidentaux ont tenté de trouver un terme qui correspondrait à ce
groupe social.
« Chinese film scholars and critics have used several alternative labels to idenify
underground film, term such as « newborn generation film » (xinshengdai dianying 新生代
电影), which stresses the generationnal factor of the cinematic movement ; « sixth-generation
films » (diliudai dianying 第六代电影), an apparent attempt to distinguish underground
filmmakers from fifth-generation filmmakers […] »42
« […] critics and directors seem to have reached a consensus that the generationnal marker
no longer functions adequately in the new century. »43
L’ouvrage de Cheng Qingsong et Huang Ou, paru en 2002, My camera doesn’t lie :
documents on Avant-garde filmmakers born between 1961 and 1970 我的摄影机不撒谎:先
锋电影人档案-生于 1961-1970 44 semble être le seul ouvrage à trouver une véritable
identité commune à ce cinéma qui ne soit pas une identité générationnelle. Cet ouvrage
regroupe les interviews de réalisateurs représentatifs du cinéma indépendant des années 1990.
Il existe ainsi une volonté de compiler des témoignages de cinéastes indépendants pour mettre
en évidence l’existence de ce nouveau groupe social dans la société chinoise qui a un rôle à
jouer sur la scène culturelle. Cheng Qingsong utilise les diverses visions du monde et de la
société par les réalisateurs comme marqueur identitaire. Il positionne les réalisateurs
indépendants dans une démarche individuelle et c’est selon lui cette volonté qui les
caractérise.
“ 我并不喜欢“一代人”这个称谓,不喜欢把大家捆绑在一起,应为大家 [独立电影导演]
有太多相似和不相似的地方。我么现在的职业都是电影,可是每个人的电影又是如此
的不同,我们开始用“我”的眼光来看世界,看人。”45
« Je n’aime pas du tout l’appellation de « génération », je n’aime pas mettre tout le monde
dans le même sac, car ils [les réalisateurs indépendants] ont tous des similitudes et des
différences. Notre activité actuelle à tous, c’est le cinéma mais les films de chaque individu
sont divers et variés, nous commençons à utiliser le pronom « je » pour regarder le monde,
pour regarder autrui. »
42
MO Chen and XIAO Zhiwei, « Chinese underground films : critical views from China », Pickowicz Paul G.
and Zhang Yingjin (ed.), From Underground to Independent: Alternative film culture in contemporary China,
New-York : Rowman and Littlefield Publishers, 2006, p. 144.
43
ZHANG Yingjin, Op. Cit., 2012, p. 60.
44 CHENG Qingsong 程青松 et HUANG Ou 黄鸥, Op. Cit.
45 Ibid., p. 8.
21
Figure
4
:
Carte
des
quartiers
et
villages
d’artistes
de
Pékin
et
de
ses
environs
à
partir
de
la
fin
des
années
1980.
22
internet comptait 100 000 utilisateurs, il est passé à 120 millions en 200646 et d’après les
statistiques du CNNIC47, il s’élevait, en décembre 2012, à 564 millions, ce qui représente près
de 40% de la population chinoise48. Cette croissance fulgurante fait que le nouveau facteur
« internet » est aujourd’hui incontournable pour étudier la Chine contemporaine, en particulier
la société chinoise : « the Internet has become an indisputable alternative medium, providing
news and voicing public opinion largely unavailable in the state-owned media »49.
La censure d’internet s’étale sur trois niveaux, tout d’abord, « the great firewall » qui
est un système de filtrage des contenus et des sites internet comme Wikipédia ou plus
récemment Facebook qui ne sont plus disponibles en Chine. Ainsi, Wikipédia a son
équivalent chinois : Baidu Baike 百度百科. Ensuite, de nombreuses lois composent le
système « institutionnalisé » de la censure, ce qui est similaire aux autres médias : presse,
cinéma, télévision et radio. La loi dont on a le plus entendu parler est sans doute celle qui
oblige les fournisseurs d’accès à internet à donner au gouvernement le nom de leur client,
mais aussi dernièrement, les régulations législatives envers les micro-blogs en particulier Sina
Weibo 新浪微波.51 Et le troisième niveau est l’autocensure et la délation de la part des
internautes52 comme l’affaire de « l’armée rouge en ligne », début 2013 dans la province du
Guangdong53.
46
LIU Kang, « Media boom and cyber culture : television and the internet in China », in Kam Luie (ed.), The
Cambridge companion to modern Chinese culture, Cambridge : Cambridge University Press, 2008, p. 318.
47
Le CNNIC (China Internet Network Information Center) est une agence gouvernementale chinoise dépendant
du ministère de la communication et qui publie tous les six mois des données statistiques sur la situation
d’internet en Chine.
48
ARSÈNE Séverine, « Protester sur le Web chinois (1994-2011) », Le temps des médias, n°18, 2012/1, p. 101.
49
LIU Kang, Op. Cit., p. 318.
50
DOUZET Frédérick, « Les frontières chinoises de l’internet », Hérodote, n°125, 2007/2, p.127-142.
51
Voir « China : Regulation of Sina Weibo seen as government censorship », Index on censorship, [en ligne]
http://www.indexoncensorship.org/2012/05/china-regulation-of-sina-weibo-seen-as-government-censorship/
[consulté le 10/05/2013].
52
Voir ARSÈNE Séverine, Op. Cit., p. 102
53
Voir « China’s red army returns online and hunts students », Global voices online, 25/03/2013, [en ligne]
http://globalvoicesonline.org/2013/03/25/chinas-red-army-returns-online-and-hunts-students/ [27/03/2013].
23
2. Internet
et
le
cinéma
indépendant
Au début des années 1990, il n’y avait pas d’espaces de diffusion pour le cinéma
indépendant mais très vite, il s’est emparé d’internet et a ainsi permis aux cinéphiles et
critiques de coordonner l’organisation d’événements. La première chose que les cinéphiles
ont fait avec internet a été de créer des forums dédiés au cinéma en discutant des différents
films indépendants (européens, américains, chinois) vus dans les bars, les cafés et les galeries
d’art. Les cinéphiles étaient tous curieux et désireux de voir un autre type de cinéma que des
films à grand spectacle 娱乐片. Comme le souligne Zhang Zhen : « the absence of a strong
art film tradition in China, however, does not preempt the existence of art film spectators who
have come into contact with various kinds of international art cinema through multiple
channels, particularly since the early 1990’s »54. Internet a ainsi permis un dialogue sur le
cinéma indépendant chinois et mondial avec les cinéphiles chinois puisqu’ils ont maintenant
un meilleur accès à ces films grâce aux ciné-clubs. Le premier forum de cinéphiles, le forum
Houchuang kan dianying 后窗看电影 (Back-window film watchers) dont nous reparlerons, a
été créé à Nankin en 1998 par Wei Xidi 卫 西 谛 . Ce forum a été une plateforme
exceptionnelle en particulier pour la création du festival de Nankin. Cela lui a permis de
promouvoir sa communication, de trouver des bénévoles et a été un moyen pour les cinéphiles
de critiquer les films du festival.
Les micro-blogs, en particulier Sina Weibo, ont aussi joué un rôle majeur dans la
création des festivals. Ceux-ci ont créé leurs propres pages pour communiquer sur
l’événement et pour mettre en place une organisation particulière. Cependant, avec toutes les
restrictions d’internet, le programme des festivals est bien souvent envoyé par e-mail à travers
des listes de diffusion 55 , ce qui restreint considérablement le nombre de personnes
susceptibles de venir. Depuis quelques années déjà, internet en lui-même est aussi un bon
moyen de visionner des films. Sur les sites de vidéo tels Tudou 土豆网,Youku 优酷 ou
encore Soku 搜库, on peut trouver des films indépendants. On peut trouver par exemple les
films Taking Father Home 背鸭子的男孩 de Ying Liang 应亮 qui date de 2005 ainsi que
54
ZHANG Zhen, « Urban dreamscape, phantom sisters, and the identity of an emergent art cinema », in Zhang
Zhen (ed.), The Urban Generation: Chinese Cinema and Society at the Turn of the Twenty-First Century,
London: Duke University Press, 2007, p. 346.
55
Entretien avec Luo Bing 罗兵 (documentariste indépendant chinois du Caochangdi Workstation 草场地工作
24
Fujian Blue 金壁辉煌 de Weng Shouming 翁首鸣 de 2007, deux films représentatifs du
cinéma indépendant chinois actuel. Ainsi, internet a favorisé l’accès des films indépendants à
la jeunesse urbaine estudiantine utilisant ce nouveau média. Le cinéma indépendant chinois a
ainsi trouvé une audience fidèle.
Students at Beijing university and Nanjing University confirm a relatively easy access to
campus broadband systems, through which they frequently manage to upload and download
available independent film works […]. Their familiarity with the names of leading Chinese
independents such as Zhang yuan or Jia Zhangke testifies to the largely efficient circulation
of their works through unofficial channels, and knowledge of current independent titles
among a core group of film fans is also evident in some online film forums and Internet BBS
chat rooms. »56
Les figures 5 et 6 (ci-dessous) montrent d’une part l’âge des utilisateurs d’internet
mais aussi leur profil professionnel. Ce sont des graphiques qui proviennent du rapport 2012
du CNNIC sur l’évolution d’internet en Chine. Nous avons ainsi comparé ces données avec
les graphiques correspondant pour le phénomène du cinéma indépendant (figures 7 et 8). Ces
dernières données nous ont été fournies par le Fanhall Center de Pékin. Fanhall a été créé par
Zhu Rikun en 2004 et est à l’origine une société d’édition de dvd. En 2009, un important
projet de recherche a été mis en place. L’objectif était de fournir aux lecteurs un rapport
annuel sur la situation du cinéma indépendant qui devait être mis chaque année en ligne sur
fanhall.com. Nous avons récolté les graphiques dans le rapport 2010 qui s’intitulait From
underground filmmakers to audience – 2009 Chinese independent cinema report 从独立电影
到观众 - 2009 独立电影年度报告. Cependant, ce projet colossal n’aura vécu que deux
années car le site internet fanhall.com a fermé en 2011. Pour la composition de ces graphiques
(figures 7 et 8), un échantillon de 418 personnes a été utilisé dans quatre villes chinoises :
Pékin, Chongqing, Tianjin et Canton. On peut se poser la question de la représentativité de cet
échantillon ; cependant, ces graphiques permettent de dégager une tendance générale
concernant la composition des cinéphiles indépendants.
Pour le cas d’internet, la plus importante frange de la population qui utilise ce nouvel
outil sont les jeunes entre 20 et 29 ans avec un pourcentage de 30,4 % en 2012. Pour le cas du
cinéma indépendant, 74,87 % des cinéphiles indépendants étaient nés entre 1980 et 1989 (ils
étaient donc âgés entre 20 et 29 ans lorsque l’étude a été réalisée en 2009). On observe ainsi
56
ZHANG Yingjin, « My camera doesn’t lie ? Truth, subjectivity and audience in Chinese independent film and
video », in Pickowicz Paul G. and Zhang Yingjin (ed.), From Underground to Independent: Alternative film
culture in contemporary China, New-York : Rowman and Littlefield Publishers, 2006, p. 37.
25
une corrélation entre l’âge des cinéphiles indépendants et celui des usagers d’internet.
Curieusement, les cinéphiles nés dans les années 1960 et 1970 ne représentent que 12,96 %
alors qu’un grand nombre de réalisateurs indépendants actuels et les plus importants (Jia
Zhangke, Wang Xiaoshuai, Zhang Yuan, Wang Chao entre autres) sont nés durant cette
période57, d’où le sous-titre de l’ouvrage de Cheng Qingsong et Huang Ou : Documents on
Avant-garde filmmakers born between 1961 and 1970 先锋电影人档案-生于 1961-197058.
Concernant les cinéphiles indépendants, on remarque que 16 % d’entre eux sont des
étudiants en cinéma et que 26 % sont étudiants dans d’autres domaines. On constate ainsi que
les étudiants représentent 42 % des cinéphiles et 30,2 % des internautes. On observe encore
une corrélation entre l’activité professionnelle des cinéphiles indépendants et celle des
internautes. Internet a été un formidable outil pour les étudiants s’intéressant au cinéma
indépendant. En effet, ce cinéma qui a été stigmatisé par le système chinois dès ses débuts et
l’est encore s’est emparé de cette plateforme incroyable qu’est internet pour entrer dans un
autre système, un système mondialisé.
57
Catalogues du CIFF (4ème édition, 5ème édition, 8ème édition et 9ème édition) et du festival Shadows (1ère édition,
2ème édition, 3ème édition et 4ème édition).
58
CHENG Qingsong 程青松 et HUANG Ou 黄鸥, Op. Cit., 351 p.
26
Figure
6
:
Occupational
structure
of
internet
users.
Source
:
CNNIC,
Statistical
Survey
on
Internet
Development
in
China,
December
2012,
[en
ligne]
http://www1.cnnic.cn/IDR/ReportDownloads/201302/P020130312536825920279.pdf
[consulté
le
15/05/2013]
27
Figure
8
:
观 众 职 业 构 成
(Composition
des
professions
du
public
des
films
indépendants).
Source
:
Fanhall
Center,
From
Independent
Filmmaker
to
Audience
-‐
2009
Chinese
Independent
Cinema
Report
从独立电影人到观众-2009
独立电影年度报告。
Au début des années 1990, les cinéastes indépendants étaient considérés comme des
marginaux et vivaient totalement en dehors de la société chinoise, bien souvent dans le village
d’artiste de Yuanmingyuan jusqu’en 1995, puis dans le village de Songzhuang 宋庄艺术村
(voir figure 4). Les lieux pour diffuser leur film ainsi que le public étaient assez restreints. Ils
ne pouvaient montrer leurs réalisations qu’à leur famille ou à leurs amis artistes.
L’impossibilité d’atteindre une audience en Chine a fait que les festivals internationaux de
cinéma ont joué un rôle majeur dans la découverte de cette cinématographie et ont donné la
possibilité à ces films de trouver un public. C’est, sans aucun doute, le festival international
du film de Rotterdam qui s’est intéressé le premier au cinéma chinois dès sa création en 1978,
car il s’était donné pour but de faire découvrir au public européen des cinématographies rares
et surprenantes. Il est aujourd’hui l’un des plus grands festivals au monde à faire découvrir les
28
réalisateurs indépendants chinois.59 Ainsi, les films indépendants du début et du milieu des
années 1990 n’étaient-ils projetés que dans les festivals internationaux comme le mentionne le
critique chinois Dai Jinghua en 1994 : « They [chinese independent films] were seen only at
Western film festivals, and foreign embassies in Beijing, and in the cramped, small rooms of
friends. »60
“上个世纪90 年代初,第一批体制外影片产生,起初,这批影片并没有引起任何人的
重视,但在当时的国际环境下,随着影片被国外电影节不断邀请,颁奖,资助,“中国
地下电影”似乎形成了国际上中国电影的一种品牌 […]。”62
« Au début des années 1990, un premier groupe de films tournés en dehors du système est
né. Au début, personne n’y accordait de l’importance mais dans le contexte international de
l’époque, ces films ne cessaient d’être invités dans les festivals internationaux, étaient primés
et obtenaient des financements, comme si « le cinéma underground chinois » formait la
marque commerciale du cinéma chinois à l’international […]. »
Cette tendance à programmer des films indépendants chinois dans les festivals a pris de
l’ampleur depuis les années 2000. En effet, quelques festivals dédient exclusivement leur
programmation au cinéma indépendant chinois, surtout en Europe et aux États-Unis. On peut
citer le festival Shadows de Paris créé en 2006, premier festival de cinéma indépendant
59
Voir Tableau 1 : Les films de fiction en compétition officielle au CIFF depuis 2007, Annexes, Volume 2, p.
17-21 pour appréhender la visibilité des films indépendants de fiction au festival de Rotterdam.
60
ZHANG Yingjin, Op. Cit., 2006, p. 35.
61
Ibid.
62
ZHU Xiaoyi 朱晓艺, Zhongguo Duli Dianying Wenhua Yu Chanye Yanjiu 中国独立电影与产业研究 (An
investigation of the culture and industry of Chinese independent film), Thèse de doctorat, Beijing : Beijing
Normal University, 2007, p. 23-24.
29
chinois d’Europe63, ainsi que plus récemment le London Chinese Independent Film Festival
qui a organisé sa première édition en 2012.
À la fin des années 1990, des projections privées ont commencé à être organisées dans
les bars et cafés. C’est ainsi que des ciné-clubs sont nés, en particulier dans les alentours de
l’Institut de cinéma de Pékin, « the film clubs provide an important public space where
exhibition and consumption of those [chinese independent] films take place » 64 . Les
projections sont souvent organisées par des groupes d’étudiants en cinéma ou en art. Ce sont
ces ciné-clubs, de la fin des années 1990, de par leur volonté de créer une identité commune à
leur organisation, qui ont favorisé la formation d’une culture cinéphile indépendante. Les
premiers ciné-clubs avaient des projections régulières pour permettre une certaine continuité
et un certain suivi de la part du public. La majorité de l’audience était composée de
professeurs, de critiques, d’étudiants en cinéma, photographie, théâtre et en arts plastiques
venant de différentes universités.65
« The cineclub and private spectatorship constitute a non-disciplinary and alternative type of
spectatorship, an independent spectatorship. Independent spectatorship provides a social
framework for relations of alternative spectator relations marginalized between state and
corporate interests. »66
L’impact du cinéma indépendant en Chine est assez restreint mais une véritable culture
cinématographique indépendante est apparue et les ciné-clubs, en particulier à Pékin,
deviennent de plus en plus nombreux ces dernières années. Cependant, le plus grand
changement, ayant permis à un plus grand nombre de personnes de voir des films
indépendants, a été l’implantation de festivals dans certaines villes chinoises au début des
années 2000. Comme le confirme Zhan Yingjin : « independent works reach substantially
more viewers […] with unofficial film festival on college campuses »67. Le premier festival
63
Voir Tableau 1 : Les films de fiction en compétition officielle au CIFF depuis 2007, Annexes, Volume 2, p.
17-21.
64 NAKAJIMA Seio, « Film clubs in Beijing : the cultural consumption of Chinese independent films », in
Pickowicz Paul G. and Zhang Yingjin (ed.), From Underground to Independent: Alternative film culture in
contemporary China, New-York : Rowman and Littlefield Publishers, 2006, p. 161.
65
Entretien avec Luo Bing 罗兵 (documentariste indépendant chinois du Caochangdi Workstation 草场地工作
30
de films indépendants à voir le jour en Chine a été, en 2001, The first unrestricted new image
film festival 中国独立映像展68 sur le campus de l’Institut du cinéma de Pékin. Dans ces
événements nécessitant une organisation plus grande, les films ont pu trouver un public
nombreux. Il est plus facile d’organiser des festivals indépendants sur les campus et dans les
universités car les procédures et les frais sont moins contraignants. Cependant, avec des
projections seulement au sein des universités, les festivals peinent à diversifier leur public69.
Aujourd’hui, les premiers cinéastes indépendants tels Jia zhangke, Zhang Yuan ou
Wang Xiaoshuai, sont connus de la majorité des étudiants chinois qui ont accès assez
facilement à leurs films ; le réalisateur indépendant Jia Zhangke le confirme :
« venues/screening events as such function as cultural devices through which more young
people get to know what independent film is »70.
« I don’t intend to underestimate the potential these festivals have in cultivating an audience
for independent cinema. Festivals held in Beijing are subject to more pressure from the
intervention of the State. It is a fact that by also touring at major Chinese cities, these
festivals make themselves wonderful moveable feasts worthwhile to be celebrated not only at
cities such as Beijing, Nanjing, Kunming and Chongqing. As pointed out, the dynamics of
these local festivals proportionally derives from the desire for expression on the part of the
independent filmmakers and the community of theirs rather than from the demand of the
audience. »71
68
ZHANG Zhen, « Bearing witness. Chinese urban cinema in the era of “Transformation” (Zhanxing). » in
Zhang Zhen (ed.), The Urban Generation: Chinese Cinema and Society at the Turn of the Twenty-First Century,
London: Duke University Press, 2007, p. 31.
69
Entretien avec Zhang Xianmin (organisateur du festival du film indépendant chinois de Nankin), le 1er février
2013 à Paris.
70
MA Ran, Op. Cit., p. 207.
71
Ibid., p. 250.
31
II. LE
FESTIVAL
DU
FILM
INDÉPENDANT
CHINOIS
DE
NANKIN
(CIFF)
:
CONTEXTE
LOCAL
ET
GLOBAL
« […] les festivals sont […] sensibles aux besoins de coordination d’ordre géographique. Il
s’agit ainsi d’appréhender l’offre culturelle sur un territoire donné en fonction de son public
potentiel, ce dernier étant évalué en fonction de la concentration démographique et des
pratiques culturelles propres aux catégories de la population considérées […] »72
72
TAILLIBERT Christel, Op. Cit., p. 99.
73
Sur la notion de « ville cinéphile », voir ETHIS Emmanuel, « Avignon : l’exemple d’une “cité
cinématographique” », Sociologie du cinéma et de ses publics, Paris : Armand Colin, 2011, p. 39-50.
74
Ces statistiques ne prennent pas en compte l’agglomération mais seulement la ville. Source : Bureau d'État
des Statistiques (BES) de la RPC, Statistiques 2010. Site internet : http://www.stats.gov.cn [consulté le
10/06/2013].
75
Capitale du royaume de Wu (222-280) pendant la période des « Trois Royaumes », Nankin s’appelait à cette
époque Jianye 建邺. Puis, Nankin (Jiankang 建康) devient la capitale du sud de la Chine pendant la dynastie des
Jin orientaux (317-420). Capitale du sud encore durant la période des « Dynasties du sud » (420-589). De 937 à
975, Nankin fut la capitale des Tang méridionaux. Puis durant l’empire des Ming de 1368 à 1644. Elle fut aussi
la capitale du royaume Taiping (1851-1864). Et enfin la capitale de la République de Chine de 1927 à 1949. Voir
ÉLISSEEFF Danielle, Art et archéologie : La Chine du néolithique à la fin des cinq dynasties (960 de notre ère),
Paris : École du Louvre, 2008, 381 p. et GERNET Jacques, Le monde chinois (tome 2 : L’époque moderne),
Paris : Armand Colin, 2005, 378 p.
32
capitale ou ancienne capitale, cette ville a toujours été un centre culturel important et a
toujours attiré nombre d’intellectuels. C’est à Nankin, pendant la période des « Dynasties du
sud » (220-589), que l’esthétique qui a dominé l’art pictural chinois pendant des siècles a été
développé. En effet les premiers peintres célèbres ont travaillé à la cour de Nankin.76 Sous les
dynasties Ming et Qing, elle a été un centre d’examen impérial avec le Jiangnan examination
hall. Plus récemment, la ville a connu de nombreux mouvements intellectuels estudiantins
dans les années 1980. En 1984 et 1986, les étudiants des différentes universités de la région
ont manifesté dans les rues de Nankin pour exprimer leurs mécontentements envers
l’administration locale et nationale. Et en 1989, les étudiants de l’université de Nankin ont
participé à la mobilisation nationale en grand nombre mais n’ont pas été suivis par la
population de la ville contrairement à Pékin. 77 Pour mettre en relation le mouvement
estudiantin de 1989 à Nankin avec le CIFF, le constat est le manque de coordination et de
transparence des différents échelons administratifs (dont nous reparlerons). En effet, en 1989,
les gouvernements locaux n’étaient pas informés de la marche à suivre et des instructions du
centre – Pékin – concernant les manifestations étudiantes.
« Nanjing politicians were loath to either repress or support the local student movement
because, for a time, they did not know which the center would ultimately sanction. The
ambivalence of local leaders was not apparent to the Nanjing students in the early phases of
the 1989 demonstrations ; instead, they prudently assumed that the political opportunity
structure was restrictive. As they grew more aware and confident of elite fragmentation,
Nanjing activists organized larger and more challenging mass protests, seizing the
opportunity to develop the movement. »78
33
fin des années 1990. En effet, le premier forum de cinéphiles Houchuang Kan Dianying 后窗
看电影 80 (后窗 Fenêtre sur cour, en référence au film d’Alfred Hitchcock et dont la
traduction intégrale pourrait être Back-window Film Watchers 后窗看电影81), créé par Wei
Xidi y est né en décembre 1998. Ce forum a été créé sur le portail web Xici Hutong 西祠胡同,
lancé en 1998, qui est le premier BBS 82 important de Chine mais fortement en déclin
aujourd’hui. La popularité de Houchuang au fil des années a prouvé l’intérêt croissant de la
population chinoise pour le cinéma indépendant. Au départ Houchuang Kan Dianying n’était
pas un forum dédié au cinéma indépendant mais simplement un forum cinéphile. Il l’est
devenu car son initiateur, Wei Xidi, s’y intéressait grandement.83 Ce fut le lieu privilégié pour
discuter du cinéma indépendant et pour poster des critiques de films. À la fin des années 1990
et au début des années 2000, ce forum était le seul lieu pour les cinéphiles indépendants de
tout le pays pour se rencontrer et pour discuter des films qu’ils avaient vus dans les bars ou
qu’ils avaient téléchargés sur internet.
Sur ce forum se côtoyaient des réalisateurs, des cinéphiles, des producteurs et des
organisateurs d’événements concernant le cinéma indépendant. C’était le lieu (virtuel) de
débats cinématographiques comme le seront par la suite les festivals de films indépendants.
D’importants réalisateurs tels Jia Zhangke et Wang Xiaoshuai venaient souvent sur ce forum
pour « partager leurs expériences de tournage »85.
80
Voir le forum Houchuang Kan Dianying : http://www.xici.net/b2467/ [consulté le 10/02/2013].
81
YI Sicheng, A window to our times : China’s independent film since the late 1990’s, Thèse de doctorat, Kiel :
Christian-Albrecht-Universitat (Philosophy), 2006, p. 70.
82
Un Bulletin Board System (BBS) est une plateforme communautaire sur internet.
83
Voir Wei Xidi 卫西谛, Houchuang kan dianying 后窗看电影 (Back-window film watchers), Guilin : Guangxi
shifan daxue chubanshe, 2005, 309 p.
84
LIANG Xiaodao 梁小岛, Zhongguo dalu jiushi niandai yilai : duli dianying wenhua de goucheng yu
34
L’influence de Houchuang a été importante pour le développement de la critique
cinématographique qui a pris de l’ampleur dans les années 2000. Mais les critiques de films
ne constituaient pas la totalité de l’activité de ce forum ; les internautes se conseillaient des
films, se donnaient les astuces pour avoir des VCD ou des DVD pirates et communiquaient
sur les événements concernant le cinéma indépendant86.
Dans les années 2000, Houchuang n’est plus seulement un forum, mais aussi une
association de cinéphiles comme il en existait déjà dans de nombreuses villes chinoises87. Le
but premier des associations de cinéphiles était la promotion du cinéma indépendant. Elles
organisaient donc des projections de films dans les bars, les galeries d’arts et les universités.
Houchuang était l’une des plus importantes associations de cinéphiles de Chine avec le 101
Film Studio 101 电影工作室 de Shanghai et le Shijianshe 实践社 de Pékin88.
Concernant le forum en tant que tel, Wei Xidi quitta son poste de modérateur en 2002
pour se consacrer aux projections et à l’organisation du CIFF.
De nombreux cinéphiles étaient ainsi déjà attachés à la ville de Nankin et c’est dans ce
contexte que le CIFF a vu le jour. Les organisateurs connaissaient pour la plupart le contexte
local ayant vécu ou travaillé à Nankin. Ainsi, la recherche de lieux de projection et les
discussions avec les partenaires locaux ont été plus aisées. Le forum Houchuang a aussi joué
un rôle dans la communication du festival et les internautes avaient la possibilité de critiquer
les films qu’ils venaient de voir ; ainsi le festival obtint une plus grande visibilité et le forum
Houchuang a sans doute permis au festival de Nankin de devenir l’un des festivals de films
indépendants le plus important de Chine. Wei Xidi a, dès 2004, fait partie du comité de
sélection des films. Ainsi, un public intéressé par le cinéma indépendant était déjà présent à
Nankin. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, pour la 7ème édition du festival en 2010, pas moins
86
LIANG Xiaodao 梁小岛, Ibid., p. 37.
87
PERNIN Judith (CECMC, CEFC), KERLAN Anne (CNRS, Paris 1), « Le documentaire indépendant chinois
et ses usages en ligne – cinéphilie et engagement dans l’espace du peuple. », Séminaire Histoire culturelle du
cinéma (IHTP), 20/12/2012, Paris : INHA (Institut National d’Histoire de l’Art).
88
ZHANG Yaxuan 张亚镟, « Wuxian de yingxiang. 1990 niandai wei yi lai de zhongguo duli yingxiang
35
de 12 000 personnes y ont participé89. Parmi les festivaliers, on observe deux types de public
qui se répartissent géographiquement entre deux extrémités, « le lointain et l’ultra-
proximité »90. Ainsi, il y a d’une part le public local du CIFF qui provient en grande partie des
étudiants de l’université de Nankin où ont lieu la plupart des projections – ils forment une part
importante du public – et d’autre part on observe aussi le déplacement à cet événement des
cinéphiles indépendants de tout le pays. Pour ces cinéphiles, les liaisons ferroviaires, grâce à
la ligne à grande vitesse Pékin-Nankin-Shanghai, facilitent les déplacements pour se rendre à
l'évènement.
Les amateurs ou professionnels du cinéma indépendant avaient besoin d’un lieu pour
se retrouver et partager leurs expériences. Le CIFF et les autres festivals de films
indépendants en Chine ont ainsi formé un espace privilégié d’expériences visuelles et de
discussions pour les cinéphiles.
La censure des créations artistiques a progressivement diminué depuis les années 1980
en Chine. Le système de la censure est un système complexe et sa logique est difficilement
compréhensible, du fait de la subjectivité des censeurs. En effet, la censure ne devrait pas
pouvoir faire l’objet de législations et pourtant, la Chine tente de légaliser ce système. « La
censure […] ne possède aucune assise dans la légalité ; et pourtant elle légifère. On en vient
donc à la rapporter nécessairement à un arbitraire. La censure est illégale, ou tout du moins
« alégale », impossible à faire entrer dans le cadre de la loi. En résumé la censure apparaît
comme le meilleur exemple que l’on puisse trouver de légalité dans l’arbitraire, ou de
légalisation de l’arbitraire »91. En Chine, la censure est surtout un instrument moralisateur ; il
89
CORNELL Christen, « The 7th China Independent Film Festival in Nanjing », Artspace China, 19/10/2010,
36
faut respecter certaines valeurs et ne pas nuire à la stabilité politique et à l’harmonie sociale.92
Mais chaque cas est différent et les sujets à ne pas traiter sont en constante évolution. Les
règlements divers et variés promulgués par le gouvernement sont donc utilisés pour asseoir ce
système et pour asseoir sa légitimité, mais il en résulte un manque certain de clarté et de
structuration du système de censure chinois.
Si le film correspond aux exigences du SARFT, il obtient un visa de censure qui est
appelé en chinois longbiao 龙标 (littéralement la marque du dragon). Le bureau de la censure
cinématographique du SARFT comprend environ 30 personnes chargées de superviser la
censure des films et des scénarios au niveau national. Ils viennent à la fois de l’industrie
cinématographique mais aussi de différentes instances gouvernementales telles que la ligue de
92
VEG Sebastian, « Harmoniser les dissensions. Exemples récents de censure dans la littérature et le cinéma
chinois », Perspectives chinoises, 2007/3, p. 70-77.
93
JAFEE Valerie, « Bringing the world to the nation : Jia Zhangke and the legitimation of Chinese underground
films », Senses of cinema, juillet 2004, [en ligne] http://sensesofcinema.com/2004/feature-
articles/chinese_underground_film/ [consulté le 24/11/2012]
94
VEG Sebastian, Op. Cit., p. 70-77.
37
la jeunesse communiste95. La plus grande difficulté est la coordination aux différents échelons
pour la mise en place d’une politique commune ; en effet, les règles de censure peuvent varier
d’une région à une autre. Ces faiblesses du système (manque de coordination, différences de
jugements entre les commissions de censure) ont laissé aux cinéastes indépendants une petite
faille dans laquelle ils se sont engouffrés. Cependant, plus que la censure du SARFT, les
réalisateurs ont peu de moyens d’être financés autrement que par un studio d’État. Ce sont
presque exclusivement les conditions financières qui dominent la création artistique. Cette
situation permet la régulation du cinéma indépendant sans intervention gouvernementale.
95
CAIN Robert, « Hey, You’ve Got to Hide Your @#!* Away: The Rules of Film Censorship in China. »,
38
Mais la position du gouvernement vis-à-vis de la censure évolua au début des années
2000. Une loi fondatrice entra en vigueur le 1er décembre 2003 qui a assoupli les procédures
d’examen des films. On observe donc un relâchement de la censure car dorénavant, le SARFT
n’exige plus un scénario complet du film pour examen préalable, mais seulement un synopsis
de 1000 caractères comme il est stipulé dans l’article 4 du décret 18 du Règlement de
l’examen provisoire des scénarios et synopsis de films 电影剧本 (梗概) 立项、电影片审查
Cependant, comme le mentionne l’article 9, le film terminé doit tout de même être
envoyé au bureau de la censure :
99
“第九条 :摄制完成的电影片应当报广电影局审查”
« Article 9 : Une fois le tournage terminé, le film doit être déclaré au SARFT pour être
examiné. »
97
SARFT, Dianying juben (genggai) lixiang, dianyingpian shencha zanxing guiding 电影剧本 (梗概) 立项、
电影片审查暂行规定 (Règlement de l’examen provisoire des scénarios et synopsis de films), 08/10/2003, [en
ligne] http://www.gov.cn/gongbao/content/2004/content_62742.htm [consulté le 23/03/2013].
98
La réglementation sur l’administration des films est une réglementation de 1996 qui a mis en place les
principes de la censure cinématographique moderne en Chine mais cette réglementation a subie de nombreux
changements, le gouvernement y a incorporé de nouveaux décrets comme celui du 1er décembre 2003.
99
Voir SARFT, Dianying juben (genggai) lixiang, dianyingpian shencha zanxing guiding 电影剧本 (梗概) 立
39
Il y a une volonté de la part du gouvernement d’aider la création artistique, tout en la
gardant sous contrôle. En effet, la Chine s’est rendue compte qu’il ne servait à rien d’interdire
frontalement mais plutôt de laisser faire la logique du marché qui, en fin de compte, permet de
ralentir le développement du cinéma indépendant. Le 13 novembre 2003, le SARFT a
convoqué pour une réunion les représentants majeurs du cinéma indépendant dont He Jianjun
何建军, Ju Anqi 雎安奇, Jia Zhangke 贾樟柯, Lou Ye 娄烨, Wang Xiaoshuai 王小帅, Zhang
Xianmin 张献民 et Zhang Yaxuan 张亚璇. Il est intéressant de noter que deux des personnes
présentes, Zhang Yaxuan et Zhang Xianmin, ont été les fondateurs du festival du film
indépendant chinois de Nankin. Zhang Yaxuan et Cao Kai ont fondé le festival de Nankin.
Pour la première édition du festival, ils ont attribué le titre de Academic Adviser à Zhang
Xianmin.101
“在这次座谈会上,[…] 独立电影的创作者们与国家电影局从对峙走向了对话,电影
局的态度从压制到逐渐理解到寻求对策,这是中国独立电影史上具有进步意义的一幕,
电影局表示对独立电影导演们“既往不咎”,对以往的违规行为都可以“一笔勾销”,并
表示出有诚意共同探讨一条独立电影的发展之路。”102
« Durant cette réunion, […] les représentants du cinéma indépendant et le bureau national du
film sont passés peu à peu d’une opposition frontale à un dialogue. L'attitude du bureau du
film est passé de la condamnation à la compréhension en voulant rechercher des solutions.
Dans l'histoire du film indépendant chinois, cette réunion est un acte fondateur vers le
progrès. Le bureau national du film a déclaré que les comportements et agissements des
réalisateurs indépendants en infraction avec les règlements, pourraient être oubliés et il s’est
exprimé en faveur d’une nouvelle voie de développement du cinéma indépendant qui pourrait
être explorée conjointement. »
Suite à cette réunion, un certain nombre de réalisateurs, dont les sept gentlemen, ont vu
leurs sanctions lever. En 2004, l’interdiction sur les films du réalisateur indépendant Jia
Zhangke ont été abolis et son film de fiction The World 世界 est sorti en salle en Chine en
2005.103 Avec le développement de ce cinéma, une plateforme de diffusion des films était
donc indispensable pour faire connaître au public chinois cette cinématographie. L’année
2003 a ainsi marqué un tournant dans la politique de censure du cinéma qui n’a cessé
d’évoluer en s’assouplissant. Dans ce contexte et cette même année, deux importants festivals
de films indépendants ont été créés : le festival du film indépendant chinois de Nankin et le
101
Entretien avec Zhang Xianmin (organisateur du festival du film indépendant chinois de Nankin), le 1er
février 2013 à Paris.
102
ZHU Xiaoyi 朱晓艺, Op. Cit., p. 24.
103
ZHANG Yi, « Le cinéma chinois à l’heure de l’économie de marché », Mondes Chinois, N°17, 2009, p. 61-
63.
40
Yunnan Multiculture Visual Festival (Yunfest) 云之南纪录影像展 de Kunming dédié
spécifiquement aux documentaires.
Nous ne parlerons pas ici des nombreux festivals étudiants ni des festivals qui ont existé,
mais ne sont plus reconduits. Nous nous intéresserons seulement à ceux qui sont d’actualité en
Chine de par leur importance et leur organisation professionnelle, encore organisés en 2011.
104
LICHAA Flora, Op. Cit., p. 66.
105
YANG Yang 杨洋, Women de gushi 我们的故事 (Our Story), film documentaire, 2011, 60’
106
Voir le site internet du Beijing Queer Film Festival : http://www.bjqff.com [consulté le 22/04/2013].
41
Nous allons prendre en compte ici les festivals qui se veulent représentatifs, par leur
programmation, de la totalité de la création cinématographique indépendante en Chine. Le
cinéaste Ying Liang 应亮, réalisateur entre autre de Taking Father Home 背鸭子的男孩 en
2005 et de When Night Fall 我还有话要说 en 2012, est à l’origine du Chongqing
Independent Film and Video Festival. Il a fait des études de réalisation à l’université de
Chongqing et à l’université normale de Pékin. L’idée a germé en 2004, mais la première
édition n’a eu lieu qu’en 2007. Le festival a lieu tous les ans entre novembre et décembre.
Pour sa 5ème édition en 2011, près de 80 films, longs et courts-métrages étaient présentés. En
2011, la programmation était composée de plusieurs sections : le programme principal tout
d’abord avec la section des longs-métrages 长片单元 et la section des courts-métrages 短片
单元, puis le programme spécial avec une section dédiée à une cinématographie asiatique (en
2011, cette section était dédiée à la Thaïlande), une section dédiée aux réalisateurs de Hong
Kong, de Taiwan et de Macao 华人民间电影联盟 et une section dédiée aux réalisations
étudiantes 青年电影训练营107. Les projections ont lieu principalement au sein de l’université
de Chongqing mais aussi dans des bibliothèques, librairies et bars aux alentours de
l’université.
« CIFVF claims its mission is to facilitate the creation and exchange of grassroots films and
video arts, to cultivate film talents from Chongqing as well as from other parts of China and
to broaden the artistic horizon and stimulate the imagination of the young generation. »108
107
Voir la présentation de la 5ème édition du CIFVF : http://www.mask9.com/node/42609 [consulté le
22/04/2013].
108
MA Ran, Op. Cit., p. 213.
42
2. Le
statut
et
les
spécificités
du
CIFF
Le CIFF diffère du CIFVF et du BIFF, tout d’abord par la nature même des
organisateurs. Les organisateurs du CIFVF et BIFF sont des personnalités du milieu artistique
mais qui sont sous le radar des autorités, et les problèmes qu’ont ces deux festivals ne
proviennent pas tant du festival en lui-même que des personnalités qui les organisent.109 Zhu
Rikun pour le BIFF est une figure emblématique du cinéma indépendant : il a produit de
nombreux films connus internationalement comme Winter Vacation 寒假 de Li Hongqi 李红
旗 110 qui a été distribué en France par Capricci111. Zhu Rikun a aussi réalisé quelques courts-
métrages très politisés comme son dernier film Cha Fang 查房, primé au festival cinéma du
réel de Paris en 2013, qui filme en caméra cachée un contrôle de police. C’est sans doute pour
cela que Zhu Rikun est dans le radar des autorités car comme il l’affirme lui-même : « Over
the past few years, the festival that I set up has hardly ever been able to run smoothly »112.
Pour cette raison, il a quitté l’organisation du BIFF en 2011 mais, même après son départ,
l’édition 2012 a subi de nombreuses pressions. La figure emblématique du CIFVF est le
réalisateur Ying Liang. Il est sous la surveillance des autorités depuis ses premiers longs-
métrages de fiction (Taking Father Home en 2004, The Other Half en 2006). Ying Liang est à
la fois cinéaste mais aussi activiste, il est l’un des réalisateurs indépendants le plus engagé
politiquement. Son dernier film When night falls, réalisé en 2012 a engendré d’énormes
pressions de la part du gouvernement. Ying Liang est parti de l’histoire vraie de Yang Jia 楊
佳 qui fut condamné à mort en 2008 pour avoir tué six policiers après avoir été arrêté et battu.
Le film se concentre sur l’histoire de sa mère qui, pendant le procès, a été mise à l’écart pour
éviter qu’elle vienne témoigner. Ying Liang met en lumière dans ce film les failles du système
judiciaire chinois. Après avoir subi de nombreuses pressions policières, Ying Liang est
actuellement à Hong Kong sans possibilité de retourner en Chine continentale.113 Il publie
109
Entretien avec Zhang Xianmin réalisé le 1er février 2013 à Paris.
110
Voir 7ème édition du CIFF, Tableau 1 : Les films de fiction en compétition officielle au CIFF depuis 2007,
Annexes, Volume 2, p. 17-21.
111
Capricci est une société française de production et de distribution basée à Paris et à Nantes qui a déjà
distribué de nombreux films indépendants chinois (plusieurs films de Wang Bing 王兵 ou encore le film Old
Dog 老狗 du réalisateur tibétain Pema Tseden 万玛才旦).
112
ZHU Rikun, « The hazards for independent Chinese cinema », NewStatesman, 25/10/2012, [en ligne]
http://www.newstatesman.com/world-affairs/world-affairs/2012/10/hazards-independent-chinese-cinema
[consulté le 10/06/2013].
113
Discussion le 3 mai 2013 à Paris avec Vincent Wang, producteur, fondateur avec le réalisateur Tsai Ming
Liang de la société de production taïwanaise Homegreen Films en 2001 et fondateur de la société de production
parisienne House on Fire en 2009.
43
régulièrement sur son journal Facebook des statuts sur sa situation actuelle et sur les pressions
dont il est victime.114
Le CIFF, quant à lui, est organisé en grande partie par des universitaires qui, grâce à
leur statut, ont une plus grande marge de manœuvre. Pour le CIFF, l’un des organisateurs
principaux est Zhang Xianmin, professeur à l’institut de cinéma de Pékin.
D’un point de vue géographique, Nankin et Chongqing sont des villes qui sont moins
enclins à recevoir des pressions de la part du gouvernement central et où les organisateurs du
CIFF et du CIFVF ont plus la possibilité de négocier avec les autorités locales car, Pékin étant
le centre politique de la Chine, l’organisation d’un festival de films indépendants est moins
aisé115. Le BIFF a ainsi énormément de difficultés d’organisation d’une année sur l’autre.
Lors de l’édition 2012, le BIFF a subi une coupure de courant lors de sa soirée d’ouverture116.
Concernant le CIFF, un article, paru sur le site du très officiel Global Times 环球时报,
journal suivant la ligne éditoriale du Quotidien du Peuple 人民日报, a été dédié à la 8ème
édition du festival en 2011, parlant surtout des films avec une thématique moins sensible.
L’article mentionne aussi la participation au festival de cadres de la province du Jiangsu (dont
Nankin est la capitale)117. Ce qui est aussi intéressant de noter est que cet article se trouve
dans la version anglaise du journal et non dans sa version chinoise. Ainsi, le statut de Zhang
Xianmin et de certains autres organisateurs aide sans doute à une plus forte tolérance envers
ce festival. On voit ainsi que le CIFF a acquis au fil des années une visibilité que les autres
festivals n’ont pas.
114
Voir YING Liang 应亮, Yu dianying wuguan, yu ziyou xiangguan 与电影无关,与自由相关 (Nothing
44
Concernant la programmation, le CIFF est le seul de ces trois festivals à s’être doté
d’une compétition officielle et à remettre des prix aux réalisateurs. Lors d’une interview, Cao
Kai a expliqué ce qui différenciait le CIFF des autres festivals de films indépendants :
Si l’on compare la 5ème édition du CIFVF de 2011 qui est un festival « généraliste » de
cinéma indépendant chinois à la 8ème édition du CIFF la même année, on remarque que sur les
dix films du programme principal de longs-métrages du CIFVF, neuf films étaient des
documentaires, la seule fiction projetée a été Old Dog du réalisateur tibétain Pema Tseden.
118
CAO Kai 曹恺, Op. Cit., 2009/4, p. 15.
45
III. ORGANISATION
ET
ENJEUX
DU
CIFF
Après avoir pris connaissance des différents contextes du CIFF, nous allons nous
attarder sur le festival en lui-même. Nous allons tenter de comprendre, par l’étude de son
organisation et des différents acteurs, ses enjeux et ses difficultés. « L’étude des acteurs du
développement des festivals de cinéma et audiovisuel est pertinente dans la mesure où elle
permet d’interroger la fonction dévolue à la forme festival, les objectifs poursuivis par la
manifestation en question […] ».119
La première édition du festival s’est tenue en 2003 et a été organisée par Zhang
Yaxuan, conjointement avec Cao Kai.120 Zhang Yaxuan n’a organisé que la première édition
du CIFF, elle est critique de cinéma et actuellement présidente du China Independent Film
Archive (CIFA) hébergé jusqu’en 2010 dans les locaux de l’Iberia Center for Contemporary
Art 伊比利亚当代艺术中心 de Pékin. Cao Kai, quant à lui, est un cinéaste expérimental,
documentariste et photographe qui vit et travaille à Nankin. Il est né en 1969 et est diplômé de
l’académie d’art de Nankin.
46
éditions. Il est intéressant de noter que les organisateurs principaux ont des liens avec la ville
de Nankin, Zhang Xianmin y est né, Cao Kai y vit et y travaille et Wei Xidi y a créé le forum
Houchuang Kan Dianying. Il leur est ainsi plus facile de connaître les sponsors et
financements locaux, les lieux où peuvent être projetés les films ainsi que le contexte local. Il
faut dire que la plupart des festivals de films indépendants en Chine sont organisés par des
personnes originaires ou qui vivent dans la ville d’implantation du festival. De plus, leur statut,
en particulier celui de Zhang Xianmin et Wei Xidi, leur permettent une plus grande marge de
manœuvre, en particulier dans les négociations avec les autorités locales.
L’organisme qui aide à l’organisation du festival depuis 2003 est le RCM Museum of
Modern Art 南视觉美术馆 de Nankin dont le fondateur est Ge Yaping. RCM Museum of
Modern Art est un musée privé créé en 1999. C’est le premier organisme à avoir proposé son
aide au CIFF au niveau de l’organisation, du prêt à la fois de la salle de projection et du
matériel. Il s’est donné pour mission d’aider à l’organisation d’expositions ou d’événements
culturels locaux.121
Le festival a énormément évolué depuis sa création en 2003. Entre 2003 et 2006, les
sponsors et financements étaient inexistants ; il n’y avait pas de catalogue faute de moyens
financiers (le catalogue existe depuis 2007 et est financé par le RCM Museum of Modern Art
de Nankin). Le site internet n’existait pas, celui-ci a été mis en place par Wei Xidi mais il
n’est plus mis à jour depuis la 8ème édition du festival en 2011. De plus, il n’existait qu’une
salle de projection (qui était une salle du RCM Museum of Modern Art).122
121
Voir le site internet du RCM Museum of Modern Art, http://www.rcmgallery.com/index.htm [consulté le
116/05/2013].
122
Entretien avec Zhang Xianmin réalisé le 1er février 2013 à Paris.
47
organisateurs ont aussi négocié un partenariat avec la chaîne de cafés Sculpting in time 雕刻
时光 à côté du campus principal de l’université de Nankin (Gulou campus 鼓楼校区) où ont
lieu la plupart des projections. Une salle est réservée exclusivement aux festivaliers où l’on
peut rencontrer les réalisateurs et les organisateurs pour des discussions informelles, ce qui
donne au festival une touche conviviale. Ce café fait de la publicité en placardant des affiches
pour annoncer l’événement.123
Les sources de financement du CIFF reste encore assez floues car, lors de mon
entretien, Zhang Xianmin est resté assez discret sur le sujet. On remarque cependant que les
financements du festival proviennent en grande partie de fonds privés, d’artistes mécènes
comme le peintre Li Jikai par exemple qui a financé une part importante de la 5ème édition du
CIFF en 2008124. Cao Kai mentionne bien que, si le festival arrive à se développer, c’est
exclusivement grâce à des sources de financement privées et que ce sont les plus grosses
rentrées d’argent.
“它 [CIFF] 的单一的资金来源在世界电影节中都是少有的,一般的电影节要不是政府
支持的项目,要不是基金会支持的项目,或者是多渠道资金来源的项目,很少像南京
独立影像年度展这样的情况。我们也曾经尝试寻找多渠道的资金来源,也得到过官方
电视台的支持,也得到过其他民营电影发行公司的支持,虽然这部分的钱不是很多,
但是我们觉得还是有很多人和机构都是有可能来支持中国民间独立电影。”125
« L’unique source de financement du CIFF se fait rare dans le monde des festivals de cinéma,
car la plupart des festivals sont des projets soutenus par le gouvernement, par les fondations,
ou encore par d’autres canaux, mais très peu sont dans même la situation que le CIFF. Nous
avons tenté de chercher des sources de financement par d’autres canaux, nous avons réussi à
obtenir le soutien d’une chaîne de télévision officielle, nous avons aussi obtenu le soutien
d’entreprises de distribution privées. Bien que cela ne représente pas beaucoup d’argent, nous
nous sommes quand même dit qu’il restait beaucoup de personnes et d’organismes qui
veulent peut-être soutenir le cinéma indépendant chinois. »
123
Observation réalisée lors de notre participation à la 8ème édition du festival de Nankin en 2011.
124
Voir CIFF, Op. Cit., 2008, p. 9.
125
CAO Kai 曹恺, Op. Cit., p. 14.
48
Heaven Pictures Culture & Media Co. Ltd, basé à Pékin et dirigé par Yang Cheng, est
depuis 2010 un financement important du CIFF.126 Cette entreprise a créé un fond de soutien
au cinéma indépendant chinois : Heaven’s pictures indie cinema fund 画天独立电影基金 qui
permet de financer des projets liés au cinéma indépendant avec, entre autre, le financement
d’une partie du CIFF127.
Les partenariats avec les universités, ainsi que certains partenariats officiels, font que
le CIFF est aujourd’hui considéré comme un festival semi-officiel128 mais qui tente quand
même de garder sa ligne éditoriale de programmation.
126
Voir MA Ran, Op. Cit., p. 233.
127
Voir le site d’Indie Studio : http://www.indicine.org/cnactivitydetails.aspx?id=27 [consulté le 18/05/2013] et
CIFF, Zhongguo duli yingxiang nianduzhan, di ba jie, 中国独立影像年度展, 第八届, (The 8th China
Independent Film Festival), Nanjing, 2011.
128
Voir MA Ran, Op. Cit., p. 233.
49
ème
Figure
10
:
Carte
de
Nankin,
acteurs
du
CIFF
(8
édition
en
2011)
50
B. LA
PROGRAMMATION
ET
LA
LIGNE
ÉDITORIALE
DU
CIFF
Indie Workshop a été fondé à Pékin en 2005 par Zhang Xianmin et son but est de
populariser et d’aider le cinéma indépendant : cette structure a produit ou distribué un certain
nombre de films indépendants depuis sa création dont les documentaires Little Feet 小脚人家
de Bai Budan 白卜旦 en 2005 et My Mother’s Rhapsody 萱堂闲话录 de Qiu Jiongjiong 邱炯
炯 en 2011 ou encore la fiction Black and White Photo 黑白照片 de Shu Haolun 舒浩仑 en
2010. Tous les films produits ou distribués par Indie Workshop sont projetés au festival de
Nankin. Mais Indie Workshop organise aussi d’autres événements comme des projections
dans des galeries d’art avec, par exemple, le cycle de cinéma indépendant, Indie Forum 独立
电影会 à l’UCCA de Pékin.
Pee Xie Image Studio a été créé à la fin de l’année 2000 à Nankin mais c’est seulement
en 2003 qu’il est devenu le Studio de Cao Kai dont l’activité principale est la programmation
d’événements liés au cinéma indépendant chinois. Cao Kai a repris ce studio exclusivement
pour établir la programmation du CIFF. Cet organisme produit principalement des films
expérimentaux et des documentaires129.
129
Voir le blog de Cao Kai : http://blog.sina.com.cn/caokai69 [consulté le 20/05/2013].
51
2. La
ligne
éditoriale
et
l’organisation
de
la
programmation
du
CIFF
À ses débuts, le CIFF avait une ligne éditoriale très claire ; « le festival du film
indépendant chinois de Nankin possède un règlement implicite qui est de projeter seulement
des films ne possédant pas le longbiao [logo de la censure] »130, c’est-à-dire des films tournés
sans autorisation et qui ne sont pas passés devant un comité de censure ou qui n’ont tout
simplement pas été acceptés par le SARFT. Le CIFF expliquait que les films possédant le
longbiao avaient déjà la possibilité d’être distribués dans les cinémas et qu’il fallait donc
s’impliquer dans la diffusion des films qui n’avaient pas cette possibilité.
“在所有参加竞赛和展映的剧情片作品中,优秀作品和一般水平的作品之间有着一个
明显的落差,这种差距是一种整体上的差距,不仅仅是剧本,导演,影像表现的某一
个方面的差距,这再次说明了电影是一个团队完成的作品,她的成功取决于创作团队
中所有人的努力。”132
« Parmi les films de fiction en compétition officielle, il y a une énorme différence de qualité
entre les œuvres excellentes et les œuvres ordinaires, cet écart n’est pas seulement dû au
scénario ou à la réalisation mais se manifeste par beaucoup d’autres aspects. Ce qui montre
que la réalisation d’un film est un travail d’équipe dont le succès dépend des efforts de tout le
monde. »
On remarque ainsi que le comité ne sélectionne pas les films, mais programme toutes
les œuvres issues de la production indépendante, qu’importe la qualité de celles-ci. On peut le
remarquer sur le tableau 1 en annexe133 avec certains films de la compétition officielle qui
130
“中国独立影像年度展一直有一个不成文的规定,就是展映非龙表单元的影片。”Voir CIFF, Op. Cit.,
2011, p. 187.
131
“ [CIFF] 不仅是当今大陆独立影像创作状况的恰当反映,也是当今社会的一个较全面反映。” , voir
CIFF, Zhongguo duli yingxiang nianduzhan, di si jie, 中国独立影像年度展, 第四届, (The 4th China
Independent Film Festival), Nanjing, 2007, p. 2.
132
CIFF, Op. Cit., 2008, p. 27.
133
Voir Tableau 1 : Les films de fiction en compétition officielle au CIFF depuis 2007, Annexes, Volume 2, p.
17-21.
52
n’ont aucune visibilité dans les festivals internationaux. La programmation repose ainsi sur la
volonté de diffuser la totalité des films indépendants chinois réalisés sur une année pour créer
une plateforme d’expression pour tous les réalisateurs, qu’ils soient amateurs, professionnels
ou étudiants. Cependant, dans ses propos, Wang Fang veut faire comprendre que le terme
« indépendance » ne signifie pas « amateurisme ». Même si le numérique et les caméras
DV134 ont permis au plus grand nombre de réaliser des films, un apprentissage des différents
métiers du cinéma doit s’ensuivre.
Depuis 2007, le CIFF s’est doté d’une compétition officielle de films de fiction
composée d’un jury de cinq membres qui doivent attribuer plusieurs récompenses135. Les
différentes sections du CIFF se sont peu modifiées depuis 2007. En plus de la compétition
officielle (Feature Films Competition 剧 情 片 竞 赛 单 元 ), il y a la section Top Ten
Documentaries of the Year 十佳纪录片展映单元, qui est aussi une compétition ou un
documentariste se voit décerner un prix, la section courts-métrages (Short Films Screening 短
片展映单元), la section des documentaires (Documentaries screening 纪录片展映) et la
section des films expérimentaux (Experimental Short Films Inventional Exhibition 实验短片
邀请展).
“这些拿到龙标的青年艺术电影,从某种意义上来说,也是一种实验性很强的创作领
域。它们在开拓独立电影的新的可能性。[…] 而且我们发现,此单元放映的影片,很
多是从独立电影的圈子中走出来的人创作的。我觉得我们有时候也应该以稍微乐观的
方式来看待他们,看到我们是携带了很多独立电影的素质走到一个更为主流的系统中
来的。”136
« Ces films d’arts et d’essais ayant obtenu le longbiao sont en un sens un territoire créatif
fortement expérimental. Ils apportent de nouvelles possibilités au cinéma indépendant. […]
De plus nous nous sommes aperçus qu’un nombre important de films dans cette section avait
été réalisé par des personnes appartenant au milieu du cinéma indépendant. Je pense donc
134
Voir Tableau 1 : Les films de fiction en compétition officielle au CIFF depuis 2007, Annexes, Volume 2, p.
17-21.
135
Ibid.
136
CIFF, Op. Cit., 2011, p. 187.
53
qu’il faut quelquefois les traiter de manière un peu plus optimiste, et voire que, même s’ils
sont réalisés dans le système, ils ont aussi les mêmes qualités qu’un film indépendant. »
C. LE
FESTIVAL
ET
LA
POLITIQUE
:
L’EXEMPLE
DE
LA
9ème
ÉDITION
DU
CIFF
(2012)
Après huit années d’existence, le CIFF devait organiser sa 9ème édition à la fin de
l’année 2012, en octobre ou novembre comme chaque année. Le problème était le suivant : le
18ème Congrès du Parti communiste chinois devait se tenir à peu près à la même période mais
la date exacte n’était pas définie. Ce Congrès qui se tient tous les cinq ans renouvelle l’équipe
dirigeante (c’est-à-dire le comité permanent du Parti) et précise l’orientation et la ligne
politique pour les années à venir. Hu Jintao et Wen Jiabao (ce dernier était considéré comme
réformiste) avait été le tandem dirigeant de mars 2003 à mars 2013.
Cependant, avec l’ampleur qu’avait pris le festival ces cinq dernières années – lieux de
projection multiples dans les universités et dans une salle de cinéma – son statut de festival de
films indépendants, malgré sa position semi-officielle récente, gênait les autorités à cause du
Congrès qui était particulièrement tendu en cette année 2012.137
137
Entretien avec Zhang Xianmin réalisé le 1er février 2013 à Paris.
138
EKMAN Alice, « Chine : nouveaux dirigeants, nouvelles réformes ? », Politique étrangère, 2013/1, p. 147-
159.
54
Rien ne devait donc troubler ce Grand Congrès. De leur côté, le CIFF et en particulier
Zhang Xianmin se doutaient que la censure allait se durcir pendant la période précédent cet
important événement politique. Le CIFF a toujours subi des pressions mais en 2012, elles se
sont accrues à tous les niveaux, depuis les administrations locales jusqu’au gouvernement
central. Zhang Xianmin a tout de même tenté de négocier avec les autorités : « pour rassurer
les autorités, on leur a promis que notre festival ne coïnciderait pas avec le Grand Congrès
[…] et qu’il se passerait après ». 139 Le gouvernement local trouvait ce compromis assez
raisonnable sur le moment.
Cependant, quelques mois avant le Congrès et donc le festival, les tensions sont
montées d’un cran sans raison. Aucune coordination n’existait entre les différentes
administrations, certaines étaient d’accord pour que le festival se déroule et d’autres non.
Personne ne disait fermement que le festival devait être annulé. Le festival se préparait, les
catalogues avaient été imprimés et au dernier moment, l’événement ne pouvait avoir lieu. Les
différents partenaires officiels se sont retirés, en particulier les universités, il n’y avait donc
plus de lieux de projection. Les organisateurs du CIFF ont décidé que le festival aurait quand
même lieu, malgré les pressions, mais en plus petit comité, dans une salle de projection d’un
hôtel privé. Cependant, au dernier moment, tout a été annulé sans raison apparente.140
Concernant la programmation, le CIFF avait aussi pris des risques. Ils avaient pour
objectif de projeter le film When night falls de Ying Liang lors de la soirée de clôture du
festival mais sans le mettre sur les supports de communication à cause du poids qu’exerçait la
censure le film. Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses : peut-être y a-t-il eu des fuites et
la programmation de ce film est-elle l’une des raisons de l’annulation du festival.141
Le festival de Nankin n’a pas été le seul cas de festivals de films indépendants
annulés. L’année 2012 a été une année troublée pour le cinéma indépendant. Certains n’ont
mêmes pas tenté d’organiser leur édition en 2012 comme le CIFVF car son programmateur et
organisateur principal, Ying Liang, était exilé à Hong Kong. Récemment, Le Yunfest a enduré
le même scénario que le CIFF pour son édition d’avril 2013 (le festival n’ayant lieu qu’une
139
Entretien avec Zhang Xianmin réalisé le 1er février 2013 à Paris.
140
Ibid.
141
dGenerate Films, « The troubled time of Ying Liang’s When night falls », dgeneratefilms.com, 24/10/2012
55
fois tous les deux ans). Le festival de Songzhuang, contre toute attente, a réussi à organiser
tant bien que mal son édition 2012, malgré une coupure de courant par les autorités locales
lors de la soirée d’ouverture.142
142
LEE Kevin B., « Beijing indie film festival goes dark after record turnout, heads underground. », Indiewire,
56
CONCLUSION
Nous avons ainsi tenté de mettre en lumière les contextes de l’apparition d’un festival
de films indépendants en Chine ainsi que son organisation. Cependant, il est très difficile de
généraliser nos conclusions car le contexte chinois est changeant et la contemporanéité du
sujet fait qu’il est compliqué de l’appréhender dans sa globalité. Une recherche plus
approfondie s’impose, avec l’étude des autres festivals, si l’on veut pouvoir dégager certaines
tendances communes à l’implantation et au développement des festivals de films
indépendants. Cependant, le CIFF a été intéressant comme première approche ; nous avons
pris conscience de l’importance des contextes et du territoire.
Dans tous les cas, l’implantation d’un festival de films indépendants, ici le CIFF, ne
pouvait pas se faire sans un contexte spécifique. L’étude du contexte global et local a mis en
lumière les différents phénomènes ayant permis son apparition.
Le contexte local devait être mis en relation avec la ville qui abrite cet événement
culturel. En effet, l’implantation d’un événement de ce type doit prendre en compte les
opportunités qu’offre le territoire, d’un point du vue humain tout d’abord : les habitudes des
habitants en matière de consommation de la culture, mais aussi d’un point de vue
organisationnel : les offres culturelles et intellectuelles déjà présentes dans la ville qui sont
autant de partenaires potentiels pour l’événement.
143
BRENNETOT Arnaud, « Des festivals pour animer les territoires », Annales de géographie, Paris : Armand
Colin, n°635, 3004, p. 29.
57
Le cas du CIFF montre que le contexte local est primordial dans l’organisation et
l’implantation d’un festival, mais cela est vrai pour tous les événements culturels, peu importe
le territoire et ses spécificités propres.144 Le contexte global, quant à lui, est plus spécifique à
la Chine. La politique de censure du cinéma de la part du gouvernement est à prendre en
compte, mais comme on l’a vu, le manque de coordination et un système de loi peu applicable
sur le terrain font que ce système est très confus et qu’il peut être contourné ou peut se laisser
contourner.
Enfin, les acteurs organisationnels nous ont fait comprendre que le festival pouvait se
développer jusqu’à un certain seuil mais qu’il suffisait d’un changement du contexte national
pour que ce développement se fige. En effet, après les événements survenus en 2012, le CIFF
a perdu ses principaux financements et sponsors.145 Le festival ne devrait donc pas, non plus,
se poursuivre en 2013. Cependant, les organisateurs principaux Zhang Xiamin et Cao Kai ont
lancé un appel à la jeune génération pour prendre en main le festival. 146 Selon Zhang
Xianmin, quelques personnes seraient motivées pour un passage de flambeaux147 et le festival
pourrait ainsi renaître en 2014.
Pour poursuivre ce travail entamé, une étude complète des différents festivals serait
intéressante pour dégager certaines tendances communes à leur implantation et à leur
développement. Les facteurs de l’annulation de ces événements pourraient aussi faire l’objet
d’une recherche future.
144
Pour le cas de la France, voir TAILLIBERT Christel, Op. Cit., 348 p.
145
Discussion avec Flora Lichaa le 8 juin 2013 à Paris.
146
Entretien avec Zhang Xianmin réalisé le 1er février 2013 à Paris.
147
Ibid.
58