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Dudley John. La contemplation (θεωρία) humaine selon Aristote. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome
80, n°47, 1982. pp. 387-413;
doi : https://doi.org/10.3406/phlou.1982.6196
https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_47_6196
Abstract
Abstract. — The present article examines the meaning of human contemplation (θεωρία) in Aristotle.
The term is found to have three meanings, the original meaning of «beholding», the most frequent
meaning «observation, examination, study», and the restricted meaning of the exercise or use of
knowledge already possessed. The highest object of contemplation is limited firstly by the hierarchy of
sciences to the domaine of metaphysics. It is then seen that both in NE and in EE God is the proper
object of the highest contemplation. Contemplation and the life of contemplation are distinguished.
Contemplation consists in examining all the sciences with a view to raising the mind to God as much as
possible, as well as in the observation of the activities of one's good friends with a view to improving
one's moral activity, which in turn promotes contemplation. Contemplation was the chief activity of the
Lyceum, and Aristotle's works are models of the θεωρία of the contemplative life. Finally, an attempt is
made to show that God is the final cause of man's highest contemplation and happiness (cf. Plato's
όμοίωσις θεώ ).
La contemplation (Gecopia) humaine
selon Aristote 1
15 De An. II, I, 2, 412 a 9-1 1 ; II, i, 5, 412 a 22-23; II, v, 4-6, 417 a 21 - 417 b 28; De
Mem. I,449b20-24; De Gen. An. II, i, 735 a 9-1 1 ; Met. 0 (IX), vi, 1048 a 34-35; vm, 1050a
12-14; Met. A (XII), vu, 1072 b 22-23; Prob. XIX, 5, 918 a 7-8. Cf. W.D. Ross, Aristotle's
Physics, A revised Text with Introduction and Commentary, Oxford, 1966, pp. 695-6.
Gauthier-Jolif, L'Éthique à Nicomaque ... Vol. II, p. 605 écrivent: «Contempler
(théôrein) est le terme technique pour désigner la science en acte par opposition à la science
simplement possédée, ou science en puissance».
16 Prob. XIX, 5, 918 a 8.
17 Soph. El. IV, 165 b 32-34: tô yàp uavOàveiv ôucbvuuov, tô te Çoviévai xpœuevov
ttj è7u<xcf|urj kcù tô A.au|3âvEiv èntaifiuriv.
18 Soph. El. IV, 165 b 34; De An. II, v, 5, 417 b 12-13; Prob. XIX, 5, 918 a 7. Cf. Gen.
et Corr. I, m, 318 a 34-35; 319 a 9-10.
19 Voir Gauthier-Jolif, L'Éthique à Nicomaque ... Vol. II, p. 855, qui concluent
que le sens technique de Oeœpia, «c'est 'regarder' actuellement une vérité qu'on a déjà
apprise et que déjà on sait».
20 De An. II, i, 2, 412 a 9-11 : tô 8' eïôoç èvreXèxeva, kcù toùto Si%©ç, tô uèv œç
èjucmîuri, tô 8' cbç tô Oecopeîv. De An. II, i, 5, 412 a 22-23; De An. II, v, 4-5, 417 a 30 - 417
b 2. Sur le sens d'entéléchie cf. L. Couloubaritsis, L'Avènement de la Science Physique.
Essai sur la «Physique» d'Aristote, Bruxelles, 1980, pp. 274-281.
21 Comme exemple de cette compréhension par la Gecopia, Aristote donne le cas d'un
homme qui connaît l'usage des lettres et qui comprend en mettant cette connaissance en
pratique {De An. II, v, 4-6, 417 a 24 - 417 b 2, 417 b 19; Soph. El. IV, 165 b 30-32).
22 EE V ( = EN VI), x, 3, 1 143 a 1 2-1 3 : tô uavôâveiv A-éyeTai aovievai, ôtov xpfjtcu
Tfj è7turrf|urj ; Soph. El. IV, 165 b 33: tô te Çuviévat xpwuevov xfj ènvoTf)urj. Pour
La contemplation humaine selon Aristote 391
24 EE
2î
26
27 Poet.V
VIIV,
(=
(=4,
EN
EN1448
VI),
VII),
bI,m,
13:
xil,
5-6,
3,uavOàvetv
5,1139
1139
1153
ba 25-26.
a3-15.
20-23.
... toÏç (piXoaôcpoiç flôi
392 John Dudley
28 Dans le cas de (b) A devrait être fait parce que A est un moyen envers C et C est la
fin (le devenir tant de A que de C est contingent). Dans le cas de (c) A est un moyen envers
C, parce que A est toujours B et B est toujours C (pas de contingence). Cf. EE V ( = EN
VI), v, 3, 1140 a 31 - 1140 b 3.
29 EN X, IV, 10, 1175 a 14-15. Cf. Protrep. Fr. 11 Ross (= B 17, B 20 During):
Oùkoûv ei yeyôvauev, 8fjA.ov on koù èauèv ëveica toù (ppovfjaai ti icai uaOeïv. icataâç âpa
Katâ ye toùrov tôv X.ôyov IluGayôpaç eïpn.KEV ©ç èni tô yvcovai te icai Gecopfjaai nâç
&v8p<ortoç Ô7tô toù OeoC auvÉatTiicev.
30 Cf. e.g. ££V(= EN \l),m,2, 1139 b 22; IV, 4, 1140 a 11-12; v, 5, 1140 b 9-10;
vu, 4, 1 141 a 25; £# X, ix, 23, 1181 b 15-23; Pol. VII, H, 2, 1324 a 19-20 itoA.micfi 9ecopia;
APo I, 33, 89 b 9 fjGiicfi Oaopia; Bonitz, Index ... 328 a - 329 b.
91 C'est ainsi qu'il importe pour Dieu de ne pas contempler un objet inférieur à
lui-même — cf. Met. A (XII), ix, 1074 b 32-33.
La contemplation humaine selon Aristote 393
38 Voir W.D. Ross, Aristotle's Metaphysics, A Revised Text with Introduction and
Commentary, 2 Vols., Oxford, 1953, Vol. I, p. 353. La physique a un statut plus élevé que
les mathématiques. La physique serait la science la plus élevée, si la première philosophie (la
métaphysique) ne lui ôtait pas la première place. Cf. Met. E (VI), I, 1026 a 27-29; Met. K
(XI), vu, 1064 b 9-11. Dans Met. K (XI), vu, 1064 b 2-3 les sciences spéculatives sont
données dans l'ordre suivant : la physique, les mathématiques, la théologie. Mais cette liste
ne représente pas l'opinion d'Aristote sur l'ordre de valeur de ces sciences. Cependant on
peut noter que c'était ce dernier ordre qui fut adopté au Moyen Age comme étant l'ordre de
leur valeur.
39 Met. E (VI), i, 1026 a 18-19 (cf. EE V (= EN VI), vm, 6, 1142 a 17-18); Met. E
(VI), i, 1025 b 25 EE V (= EN VI), H, 3, 1139 a 27-28. Parmi les ôuzvoun pratiques se
trouvent les sciences éthiques et politiques (les moyens envers le bonheur humain). Aristote
dit que la aocpia ne les considère pas (EE V [= EN VI], xn, 1, 1 143 b 19-20), et elles sont
ainsi exclues de la sagesse au sens restreint.
40 Met. E(VI), i, 1026 a 13-16.
41 On ne soulèvera pas ici la question de savoir quel est l'objet de la métaphysique et
si la théologie (8eoA.oyiKf|) s'identifie avec la métaphysique ou philosophie première
(npcoxTi (piXoao(pia).
42 Met. T (IV), m, 1005 b 1-2; E (VI), i, 1026 a 13-16, 23-32; K (XI), iv, 1061 b 19-
33; cf. Phys. I, ix, 192 a 35-36; II, n, 194 b 14-15; De Cad. I, vm, 277 b 10. La philosophie
physique ((puaucfi <piXoao(pia) (De Longaevitate I, 464 b 33; Part. An. II, vil, 653 a 9) n'est
que la seconde philosophie, Ôeoiépa (piXocrocpia (Met. Z (VII), xi, 1037 a 15). Aristote
appelle la physique la «seconde philosophie», parce que son domaine n'est pas celui des
objets les plus élèves (qui appartiennent au domaine de la première philosophie/la
métaphysique). La physique est une poursuite de la sagesse, mais pas au sens le plus formel,
puisque strictement la poursuite de la sagesse (cpiXoaocpia) signifie la poursuite de la
connaissance des objets les plus élevés.
43 Met. r (IV), m, 1005 a 35.
La contemplation humaine selon Aristote 395
dire reçu son achèvement»44. «A partir de ce qui a été dit il est clair que
la sagesse (philosophique) est tant la connaissance scientifique que la
compréhension intuitive des objets les plus honorables en nature»45.
Ainsi la philosophie au sens restreint consiste en la poursuite de la
connaissance de l'objet le plus élevé. La contemplation (Gecopia) est l'acte
de la philosophie. La poursuite de l'objet le plus élevé conduit, comme on
a vu, dans le domaine de la métaphysique. En conséquence, la sagesse et
la contemplation qui est source du bonheur suprême de l'homme, ont
aussi leur objet dans le domaine de la métaphysique46.
Au moyen de la hiérarchie des sciences, l'activité suprême de
l'homme a été ainsi restreinte, en ce qui concerne son objet le plus élevé, à
la science suprême, qui est la philosophie première ou la métaphysique.
Mais à l'intérieur de la métaphysique il existe aussi une hiérarchie
d'objets, et l'on verra que la contemplation suprême de l'homme est la
contemplation de l'objet le plus élevé de la métaphysique, à savoir Dieu.
44 EE\ (= EN VI), vil, 3, 1 141 a 18-20: &ox* ein âv f| aocpia voCç Kai è
ôaJiep Ke(paXf)v ëxouaa &ciarf|HTi trôv TiuicoTâtcov. Cf. Gauthier-Jolif, L'Éthique à
Nicomaque ... Vol. II, pp. 491-2. ta xv^miaxa sont, bien sûr, les êtres supérieurs à
l'homme.
45 EE\(= EN VI), vu, 5, 1 141 b 2-3 : èK 8f| ràv eipT|uëvcov ôfjkov ôti r\ ao(pia èaù
Kai è7tiaTf||iTi Kai voûç xrôv tiuicotôtcov tfj (pûaei.
46 Pierre Defourny, L'activité de contemplation dans les Morales d'Aristote, dans
Bulletin de l'Institut historique belge de Rome, 1937 (18), pp. 96-7 écrit: «... la science
établissant l'homme dans l'eudémonie semble être la branche de la connaissance théorique
qui a Dieu et tout ce qui se rapporte à lui comme objet et que les traités métaphysiques
appellent philosophie première ou théologie». Cf. Gauthier-Jolif, L'Éthique à Nicomaque
... Vol. II, pp. 852-3.
396 John Dudley
51 Defourny,
52 Hans von Arnim,
L'activité
Die de
dreicontemplation
aristotelischen...Ethiken,
p. 93. Akademie der Wissenschaften
in Wien. Philosophisch-historische Klasse. Sitzungsberichte 202, Bd. 2. Abhandlung,
Wicn-Leipzig, 1924, p. 67 sq.; Das Ethische in Aristoteles' Topik. Sitzungsberichte 205,
Bd. 4, 1927, p. 35 sq.; Eudemische Ethik und Metaphysik. Sitzungsberichte 207, Bd. 5,
1928,p. 25 sq.
53 Defourny, L'activité de contemplation ... p. 92.
54 Pour des auteurs qui pour EN tirent la même conclusion à l'égard de l'activité
idéale de l'homme que Defourny pour EN et EE, voir infra p. 409, n. 119.
55 F. Dirlmeier, Aristoteles, Werke, in deutscher Vbersetzung, herausgegeben von
Ernst Grumach, Band 7, Eudemische Ethik, Berlin, 1962, p. 499, suivi de Ingemar
During, Aristoteles, Darstellung und Interpretation seines Denkens, Heidelberg, 1966,
pp. 451-4; Hans Joachim Kramer, Grundfragen der aristotelischen Théologie, dans
Théologie und Philosophie 1969 (44), pp. 374-5; Gunther Bien, Die Grundlegung der
politischen Philosophie bei Aristoteles, Munich, 1973, p. 1 57 ; Artur von Fraostein, Studien
zur Ethik des Aristoteles, Amsterdam, 1974, pp. 386-90.
56 Dirlmeier, Eudemische Ethik ... p. 502.
398 John Dudley
82 ENX,IX, 1, 1179 a 35 - b 2.
83 ENl, vin, 9, 1099 a 1.
84 EN X, vi, 6, 1176 b 34- 1177 a 1.
85 ENX, vin, 6, 1178b 5-6.
86 Cf. Dirlmeier, Nikomachische Ethik ... p. 593: «Auch der 'Weise' verwirklicht
ethische Tugend, nur daB es ihm (das ist immer eine verschwindend kleine Minderzahl)
gegeben ist, nàher an Gott heranzukommen als den ubrigen wertvollen Menschen».
87 EN I, xiii, 15-17, 1102 b 13-28; EN IX, vin, 8, 1169 a 15-18.
88 EE VI (= EN VII), xii, 5, 1153 a 20-23; EN X, vu, 4, 1177 a 33-34: ôacp ...
\iàXKo\.
La contemplation humaine selon Aristote 403
compris les actions morales) pour vivre selon son intellect89, c'est-à-dire
pour contempler le plus possible.
A part le temps requis pour les autres actions nécessaires dans la vie,
l'homme idéal consacre tout son temps à la contemplation. Mais tant
qu'il aimerait pouvoir le faire, il ne peut pas toujours contempler Dieu.
Toute contemplation n'est pas contemplation de Dieu. Comme on l'a
vu, il existe un sens large et moins spécialisé de 0ea>pia, qui signifie
«observer, examiner, étudier». La contemplation de Dieu est la forme la
plus élevée de la Gecopia et la aocpia. Mais dans la vie, comme on l'a
signalé, il est nécessaire à un moment de s'engager dans le uavGàveiv
et la cpi?ioaocpia pour pouvoir à un autre moment s'engager dans la
Gecopia et la aocpia les plus élevées. L'homme doit considérer Dieu par le
moyen de l'étude des causes et ainsi parvenir aux différents aspects sous
lesquels Dieu peut être vu en éthique, en cosmologie90, en physique, en
métaphysique91. Aristote écrit: «Nous considérons premièrement donc
que le sage connaît toutes choses autant que possible, quoiqu'il n'ait pas
une connaissance de chacune dans le détail»92. Ainsi le sage étudie
toutes les sciences.
La Gecopia, l'acte de la cpiX,oaocpia, consiste alors dans l'étude de
toutes les sciences. Mais comme Dieu est l'objet suprême et donc propre
de la contemplation, le but de toute contemplation directement ou
indirectement est de s'élever vers Dieu, qu'on parvient à contempler de
temps en temps et qu'on peut alors «regarder», jusqu'à ce que l'état
parfait de contemplation cesse, comme il le doit93. Dans cet état
89 EN X, vu, 8, 1177 b 33-34: nàvza noieïv Ttpôç xô Çfjv kotô tô Kpâxurxov xcov èv
amâ>. L'action morale vertueuse (rcpâÇiç) est un but en soi pour le sujet agissant: cf EE V
(=£JVVI),v,4, 1140b6-7;££V(=£ATVI),ii,5, 1139a 35 — 1139b4;£JVX,vi, 3, 1176
b 6-9; Met. 0 (IX), vi, 7, 1048 b 21-22; MM I, xxxiv, 10, 1197 a 8-13. Vue cependant
comme une partie de la totalité de la vie contemplative, TtpôÇiç a un but en dehors d'elle-
même: elle est pour la contemplation et le bonheur parfait; cf. EN X, vu, 5, 1 177 b 2-4; De
Cael. II, xii, 292 b 3-4; EN I, vil, 8, 1097 b 20-21 ; EN I, xn, 8, 1 102 a 2-3; EN III, m, 15,
1 1 12 b 33; EN III, vil, 6, 1 1 15 b 23-24; EN I, vu, 4-5, 1097 a 30 — b 6. Voir mon livre Gott
und 0£(opia ... pp. 206-7.
90 Pour une liste de passages indiquant le rôle de la cosmologie dans la
contemplation, cf. Trond Berg Eriksen, Bios Theoretikos, Notes on Aristotle's Ethica Nicomachea
X, 6-8, Oslo, 1976, pp. 84-5.
91 Cf. Defourny, L'activité de contemplation ... p. 92: «Ici [se. dans l'££],
comme dans la Morale à Nicomaque, c'est la science du divin qui se trouve au sommet
de la hiérarchie des activités humaines: c'est à son épanouissement que toutes doivent
travailler».
92 Met. A (I), H, 982 a 8-10: ÛJtoXauPâvouev 5f| jtpânov uèv èniaxaaOai rcâvxa tôv
aoepôv cbç èvôéxexai, uf) Ka0' êkcktxov êxovxa èJtiaxriuTiv aùxrôv.
93 Cf. Hardie, Aristotle's Ethical Theory, p. 344: «... knowing is not a way of
404 John Dudley
passing time. It is reasonable to suppose that the philosopher, when he has enjoyed the
pleasant surprise of coming to know, will be ready to move on to the next question».
94 Met. A (XII), vu, 1072 b 14-15.
95 Met. A (XII), vu, 1072 b 24-26: ei oùv oOrœç eu éxsi, éç rjueîç tcote, ô Oeôç àei,
OaouaaTÔv • eî 5è nakXov, êtt Oauuaaubxepov. êxev ôè ©Se.
96 Cf. Gauthier, La Morale ... p. 112. La contemplation «... n'est-elle chez nous,
même dans ses moments privilégiés, qu'un pâle reflet de ce qu'elle est en Dieu». Dans EN
X, vin, 8, 1 178 b 27 Aristote dit que seulement un ôuoiwuâ tv est possible entre l'activité de
Dieu et celle de l'homme idéal.
97 EN X, vin, 7, 1178 b 7-8: 0E(opiïriKf| tic èvépyeia; 1178 b 32 Gecopia tic.
98 EN X, vin, 9-10, 1179 a 1-9.
99 ENX, vin, 6, 1178b 3-5.
100 II est mauvais qu'un homme ne s'occupe pas de ses biens (EN X, vi, 3, 1 176 b
10-11).
101 Cette raison est donnée par Gauthier-Jolif, L'Éthique à Nicomaque ...Vol. II,
p. 70: Aristippe «oubliait qu'en fait l'homme, au lieu de se servir de sa richesse, se laisse
asservir par elle: Aristote est plus psychologue».
102 ENX,\, 5, 1175 b 13-15.
La contemplation humaine selon Aristote 405
importante, d'où elle tire son nom. La vie idéale d'Aristote n'est pas
simplement un vague idéal, mais un mode concret de vie à mettre en
pratique. Par le biais d'un examen d'un autre aspect de la contemplation,
à savoir l'autosuffisance, il sera possible de voir encore plus clairement la
pratique de la contemplation telle qu'Aristote l'a envisagée.
actions honnêtes qui sont aussi les siennes; mais telles sont celles de
l'homme bon qui est un ami»109.
Cette Gecopia de ses prochains implique ainsi clairement
l'observation oculaire de leurs actions (qui est certainement une forme de
uavGdveiv) aussi bien que la considération mentale de ces actions110.
Puisque Aristote parle de l'homme idéal qui la plupart du temps
contemple seul, mais qui aura des collaborateurs dont la tâche est de
lui fournir des objets de contemplation, et puisque cette activité de
contemplation ne comporte pas seulement un aspect purement
intellectuel, mais aussi un élément moral (comme les collaborateurs sont des
amis et que l'homme idéal observe leurs actions en vue de l'amélioration
de ses propres actions morales), le tableau présenté par Aristote ne peut
guère provenir d'un autre mode de vie que celui de l'Académie et du
Lycée 111.
Certains exégètes ont remarqué qu'Aristote ne donne nulle part un
exposé clair de la nature de sa vie contemplative idéale. Ainsi trouve-t-on
le phénomène apparemment étrange que les Éthiques défendent une
activité qui n'est nulle part définie ni décrite de façon claire. Léonard
suggère qu'Aristote n'a pas décrit la contemplation parce qu'il voulait
maintenir secrètes ses expériences intimes ou parce qu'il était incapable
d'exprimer avec précision la nature mystérieuse de la contemplation ou
parce qu'il n'avait pas formulé le problème clairement pour lui-même 1 1 2.
Ces suggestions sont peu probables. Eriksen écrit en plus que la nature de
la contemplation idéale d'Aristote «was hardly clearer to his
contemporaries»113. Mais il semble bien plus probable que la Gecopia était en fait
l'activité de l'Académie et plus tard du Lycée. C'est pour cette raison
qu'Aristote dans ses traités éthiques ne donne pas de détails sur la vie
contemplative. Le style de vie dans l'Académie et dans le Lycée était
tellement connu des élèves d'Aristote qu'il ne lui était pas nécessaire d'en
donner un exposé plus long dans les traités qui nous sont parvenus. Dans
la section suivante on examinera la pratique par Aristote lui-même de ce
mode de vie, tel qu'il est reflété dans ses œuvres.
114 Gauthier, La Morale ... pp. 113-4 utilise aussi l'argument de la vie d'Aristote
pour prouver la nature de la vie idéale. L'argument de la vie d'Aristote est aussi important
que bien fondé. Eriksen, Bios Theoretikos ... p. 141 écrit: «EN X, 6-8 is among other
things an apologia pro vita sua». Cf. Grayeff, Aristotle and his school ... p. 13, qui parle
d'«... Aristotle, whose work appears as the very embodiment of contemplative thought and
disinterested learning».
115 Cf. Hardie, Aristotle's Ethical Theory, pp. 337-8 : «It is implied that a man is in
the fullest sense happy only when he is meditating, in an experience coloured perhaps by
religious emotions, on theological or astronomical propositions and their proofs. But
Aristotle presumably regarded himself as addicted to theory, and there were stretches of his
career in which it appears on the evidence that he was more engaged in the study of fish, to
say nothing of men, than in that of theology».
408 John Dudley
119 Cf. Gauthier -Jolif, L 'Éthique à Nicomaque . . . Vol. II, p. 856 : « Dieu n'intervient,
pour ainsi dire [ !], qu'indirectement, parce qu'au regard de l'homme, il faut bien un objet, et
un objet proportionné à sa nature, qui est divine (1177 a 15-16; b 28, 30). En ce sens, la
contemplation aristotélicienne ne saurait être que strictement intellectuelle : son ambition
est d'achever le sujet qu'est l'intellect, non de le dépasser pour atteindre, au-delà de lui, un
objet transcendant». G. Verbeke, L'idéal ... p. 79 écrit: «nous ne verrons nulle part que
Dieu est considéré comme le bien suprême pour l'homme et que c'est par une union à lui
que se réalise pleinement l'idéal de la perfection humaine. La fin ultime, préconisée par
Aristote, n'a rien de transcendant: c'est une fin purement 'humaniste', ne dépassant
aucunement l'horizon de la réalité humaine».
120 Cf. supra p. 403 n. 89.
121 EN X, vin, 7, 1178 b 8-9, 21-28; £#I, xil, 4, H01 b 21-27; Pol. VII, i, 5, 1323 b
21-26; EE I, vil, 2, 1217 a 21-24; EE VII, xn, 16, 1245 b 15-19.
122 Voir le raisonnement d'Aristote dans EN X, vin, 7-8, 1 178 b 7-10, 21-27.
123 EN I, vu, 15, 1098 a 16-18 et passim; EE II, I, 7-9, 1219 a 27-39.
124 EN X, vil, 9, 1178 a 5-8; EN X, vin, 7-8, 1178 b 7-32.
410 John Dudley
126
125 EN X, vin,
vin, 8, 11178
178 bb 25-27.
25-27. Cf.
Danssupra
ce passage
p. 404. Aristote parle d'une pluralité de
dieux parce que son argument, qui est dialectique, prend son point de départ dans des
opinions populaires. Il veut dire que la vie de l'homme est heureuse dans la mesure où elle
ressemble à celle de Dieu. Cf. Dirlmeier, Nikomachische Ethik ... p. 596; J. Vanier, Le
bonheur, principe et fin de la morale aristotélicienne, Paris/Bruges, 1965, pp. 373-4. Cf. EE
VII, xii, 1-2, 1244 b 1-11 ; Pol. VII, i, 5, 1323 b 21-26; Pol. VII, m, 5-6, 1325 b 14-30; EE VI
(= EN VII), I, 1-3, 1145 a 18-29; Protrep. B 50 During; Plat. Tht. 176 a-b et passim.
127 EE VIII, H, 21, 1248 a 24-26 (Texte Susemihl).
128 EE VIII, m, 15, 1249 b 13-15.
129 EN I, vi, 3, 1096 a 23-24; EN VIII, vu, 6, 1 159 a 5-7; EN VIII, xn, 5, 1 162 a 4-5;
La contemplation humaine selon Aristote 41 1
£JVIX,IV, 4, 1166 a 21-22; ££I, vin, 7, 1217 b 25-33; EE VI (= £7VVII), i, 2, 1145 a 25-
26;££VI (= EN VII), xiv, 8, 1154 b 24-31 ; EE VII, xn, 16, 1245 b 16-18.
130 EE VII, m, 4, 1238 b 27-30 (texte Susemihl et Dirlmeier); EE VII, IV, 5, 1239 a
17-19; EN VIII, xn, 5, 1162 a 4-5 — la phrase kcù àvOpobnoiç itpôç Geoûç est d'une
importance considérable du moment qu'on se rend compte qu'il s'agit d'un passage
dialectique et que l'élément de venté dans «les dieux» qui sont bons et supérieurs à
l'homme est nécessairement le Dieu de la Métaphysique; Rhet. II, xvn, 1391 a 33 — 1391 b
3; cf. aussi Part. An. I, v, 644 b 31 — 645 a 4 cité supra p. 408.
131 EE\{= EN VI), vu, 4, 1 141 a 34 — b 2; vu, 3, 1 141 a 21-22. Cf. Phys. II, IV, 196
a 24-35; De Cad. II, vm, 290 a 31-32.
132 Cf. S. Mansion, Les positions maîtresses de la philosophie a"Aristote, dans
Aristote et Saint Thomas d'Aquin, Journées d'études internationales, Louvain-Paris, 1957,
p. 68.
133 Cf. De Cael. II, xn, 292 b 19-25.
134 Cf. Verdenius, Human reason and God ... p. 293: «... according to Aristotle it
depends on man himself whether he will choose God as his principle of action or not. He
even goes so far as to say that a good obtained by human efforts is more divine than what is
412 John Dudley
Conclusion
due to fortune». (EEl, m, 6, 1215 a 15-19; EN I, ix, 4-5, 1099 b 18-21 ; MM\, IX, 7-10, 1 187
a 5-23).
135 MM I, rx, 6, 1 187 a 4. Cf. EN I, I, 3, 1095 b 19-20.
136 Comme le prétend, par exemple, W.D. Ross, Aristotle, p. 230.
137 Voir ci-dessus pp. 397-401.
138 Platon, Théétète 176 a-b: 8iô koù rceipàcrôm xpf| èv0év8e eicetae tpeûyeiv ôti
TâxiaTa. <puyfj Se ôuouoaiç 0e(p kotô tô ôuvatôv. Cf. Platon, Resp. 540 a-b; Tim. 90 b-c;
Leg. 716 c-d; Resp. 383 c, 500 c-d.
La contemplation humaine selon Ar is to te 413