Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
432 Physique,
Topiques, II,
III,7,
1,1, 412
198
116b a 9.19-20.
rejeter, mais elle est insuffisante dans la mesure où elle oublie ou néglige
le rôle du Créateur. Leibniz a bien vu le fil qui relie Bacon ou Descartes à
Spinoza lorsqu'il dit que le spinozisme est un «cartésianisme outré» : de
telles conceptions font délibéremment et méthodologiquement l'impasse
sur le fondement ultime du monde. D'où son rappel, souvent répété, à la
foi et à la religion de ces auteurs : «Tous ceux qui voient l'admirable
structure des animaux se trouvent portés à reconnaître la sagesse de
l'auteur des choses, et je conseille à ceux qui ont quelque sentiment de
piété et même de véritable philosophie, de s'éloigner des phrases de
quelques esprits fort prétendus, qui disent qu'on voit parce qu'il se
trouve qu'on a des yeux, sans que ces yeux aient été faits pour voir7.»
Aujourd'hui, on pourrait croire qu'après Kant, le débat sur la
question de la finalité se soit définitivement sorti des difficultés et des
impasses de ce type de conception providentialiste : la finalité, montre
Kant, est un principe régulateur de notre connaissance, un principe
heuristique fécond dont on ne peut se passer, et non une source de
connaissance objective et absolue. Or, malgré l'importance de la
révolution kantienne, force est de constater qu'aujourd'hui encore, le débat
autour de la finalité est encore et toujours dominé, en tout cas chez ses
détracteurs, par une conception de type providentialiste.
On se limitera ici à un seul témoignage, celui de Jacques Monod
dont le maître-ouvrage, Le hasard et la nécessité, on s'en souvient, a joui
d'un succès immense tant en Europe qu'aux États-unis, et ce pas
tellement pour la nouveauté des thèses philosophiques avancées que parce
qu'il révélait au grand jour, de manière claire et tranchée, les positions de
principe et les décisions philosophiques implicites de la pratique
contemporaine de la science du vivant. On se contentera ici d'évoquer la façon
dont la question de la finalité est abordée, pour être aussitôt rejetée, dans
sa conférence inaugurale au Collège de France. Cette stratégie de
dénonciation est particulièrement avérée dans la citation mise en exergue à cette
conférence : «II n'y a pas moins de convenance dans la forme et la
grosseur des fruits. Il y en a beaucoup qui sont taillés pour la bouche de
l'homme, comme les cerises et les prunes; d'autres pour sa main, comme
les poires et les pommes; d'autres, beaucoup plus gros, comme les
melons, sont divisés par côtes et semblent destinés à être mangés en
famille. Il y en a même aux Indes, comme le jacq, et chez nous la
citrouille, qu'on pourrait partager avec ses voisins8.» Cet
invraisemblable texte de Bernardin de Saint-Pierre est l'épouvantail favori de la
critique anti-finaliste, et Jacques Monod est ainsi certain de réaliser une
parfaite captatio benevolentiae de son auditoire : un sourire entendu, de
91101 Physique,
Pour
Cf. C.une
DUFLO,
éthique
II, 6,La194
finalité
de ala 34-35.
connaissance,
dans la nature,
p. 154.
Paris, 1996, p. 10.
124 P. DESTRÉE
12 Lettre à Bayle de 1687, dans LEIBNIZ, Œuvres, éd. L. Prenant, Paris, p. 284 (= Die
philosophischen Schriften, éd. Gerhardt, III, p. 54-55).